Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 janvier 1844

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1844)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Berlize, sous-lieutenant au 1er régiment de ligne, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs habitants de Lancontrée présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »

« Mêmes observations des habitants de diverses communes du Brabant, de la commune de Dilsen, des propriétaires et cultivateurs de Burdinne et du canton de Bodognée. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.


« Le sieur Jacquet prie la chambre de lui faire obtenir une récompense pour des services qu’il a rendus lors de la révolution. »

« Le sieur Gilkinet, pharmacien, à Ensival, demande que les médecins dans le plat pays ne soient plus autorisés à préparer et à fournir les médicaments nécessaires à leurs malades. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Desmet, maître de poste, à la Tête-de-Flandre, prie la chambre de s’occuper du projet de loi sur la poste aux chevaux. »

« Même demande du sieur Rueloux, maître de poste, à Charleroy, Leleux, maître de poste, à Louvain, et de la veuve de Neubourg, maîtresse de poste, à Leuze. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.


« Les commissaires de police d’Ostende et de Furnes demandent que les commissaires de police soient admis, comme les membres de l’ordre judiciaire, à obtenir une pension de retraite sur la caisse de l’Etat. »

- Sur la proposition de M. Donny, renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif aux pensions.


M. Savart-Martel, indisposé par suite d’une chute, s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Delehaye, au nom de la commission des naturalisations, dépose le rapport sur la demande de grande naturalisation formée par M. le colonel Chapelié.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.

Ordre des travaux de la chambre

Motion d’ordre

M. Delfosse. - Nous avons eu hier, sur la langue flamande, une discussion que je crois très intéressante, mais à laquelle je n’ai pas compris grand’chose. Je crois que beaucoup de mes honorables collègues n’y ont pas compris plus que moi. Cette discussion se rattache au budget de l’intérieur, en ce qui concerne l’instruction primaire. Sous ce point de vue, une interpellation a été adressée à M. le ministre de l’intérieur par l’honorable M. Orts ; M. le ministre de l’intérieur a répondu à cette interpellation. Je conçois que quelques membres de cette chambre répliquent à leur tour à M. le ministre de l’intérieur. Mais je pense qu’après cette réplique la discussion sur la langue flamande doit, pour le moment, être close.

En ce qui concerne M. le ministre de la justice, nous n’avons pas en ce moment à nous occuper de la question ; il fallait s’en occuper dans la discussion du budget de la justice, ou bien il faut en faire l’objet d’une discussion spéciale. (Approbation.)

Si nous ne faisons pas ainsi, nous serons entraînés beaucoup trop loin. Cela pourra retarder de plusieurs jours le vote du budget de l’intérieur.

Je demande donc que la chambre, après avoir entendu ceux qui voudraient répliquer à M. le ministre de l’intérieur sur la question qui se rattache au budget en discussion, fixe un jour pour la discussion spéciale. (Appuyé.)

M. Dedecker. - Je conçois parfaitement tout ce qu’il y a de fondé dans l’observation de l’honorable M. Delfosse. En effet, il ne convenait guère de commencer un débat pour lequel la chambre n’est pas compétente. Mais l’honorable M. Delfosse aurait dû faire son observation avant l’incident de la séance d’hier. Mais pour être juste, après avoir entendu toutes les attaques dirigées contre ce qu’il y a de plus distingué dans la littérature flamande, vous devez entendre la contrepartie.

M. Delfosse. - Si je n’ai pas proposé plutôt l’ajournement hier, c’est que je ne savais pas dans quelles limites l’honorable M. de Foere renfermerait sa proposition. Avant qu’il prît la parole, je pouvais croire qu’il ne s’occuperait que de questions relatives au budget de l’intérieur.

M. Verhaegen. - Au point où est arrivée la discussion, il me semble impossible de l’arrêter. Je vais vous dire pourquoi.

L’honorable M. de Foere nous a dit hier beaucoup de bonnes choses, et je le déclare, comme l’a déclaré l’honorable M. Orts, je partage en tout point sa manière de voir ; non pas que j’en fasse un motif d’opposition contre M. le ministre de la justice ; non pas que j’y voie, comme on l’a prétendu, un coup d’Etat. M. le ministre a été induit en erreur, j’en suis convaincu, et je l’engage à retirer son arrêté pour que la question reste intacte.

Ainsi, que l’on ne suspecte pas mes intentions ; si j’appuie l’honorable M. de Foere, c’est que je suis convaincu qu’il a raison, c’est qu’il y aurait manque de courage, surtout quand il s’agit d’un adversaire politique, de ne pas le soutenir, quand il est dans le vrai. Je me propose donc d’appuyer à tous égards les observations qui vous ont été soumises par l’honorable M. de Foere.

Quant à la motion d’ordre, je dirai d’abord que M. le ministre de l’intérieur vient encore une fois de se séparer de son collègue de la justice. (Dénégation de la part de M. le ministre de l’intérieur.)

Messieurs, M. Nothomb, ne nous a-t-il pas déclaré qu’il ne voulait prescrire jusqu’à présent aucune marche ? Or, il s’agit de l’instruction primaire.

D’après l’interpellation de l’honorable M. Orts, il nous importe de savoir quelle langue on entend enseigner dans les écoles, si c’est le flamand ou le hollandais. Je me réserve de prouver qu’avec les modifications d’orthographe introduites dans l’arrêté qui fait l’objet de l’attaque, c’est de la langue hollandaise qu’il s’agit.

M. le ministre de l’intérieur ne veut pas prendre de parti ; il laisse liberté entière à toutes les provinces ; je répète qu’ainsi il se sépare de son collègue de la justice, puisque ce dernier prescrit une orthographe spéciale, et qui, au fond, est hollandaise, relativement à la traduction du Bulletin officiel.

M. le président. - Je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il discute le fond.

M. Verhaegen. - Mais, M. le président, c’est la motion d’ordre.

M. le ministre de l’intérieur laisse liberté entière mais la grammaire ne laisse pas de liberté, car elle est une et indivisible. Que M. le ministre de l’intérieur nous dise donc quelle grammaire il se propose d’adopter pour les écoles primaires ? laisser liberté entière, c’est dire qu’il pourra y avoir plusieurs grammaires pour la même langue, selon les diverses localités. Encore une fois, cela n’est pas possible ; que M. le ministre ait donc le courage de prendre un parti

M. le président. - Je rappelle à l’honorable membre que la motion d’ordre est seule en discussion. Quand viendra la discussion du fond, il pourra dire au fond tout ce qu’il jugera convenable.

M. Verhaegen. - Je n’ai qu’un mot à ajouter c’est que la discussion a été engagée par l’autorisation qu’a donnée la chambre à l’honorable M. de Foere, de publier son discours. Veut-on aujourd’hui revenir de cette décision ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne me suis pas séparé de mon honorable collègue de la justice ; mais j’ai fait une distinction fondée qu’on ne peut nier.

Je sais que beaucoup de personnes voudraient me séparer de M. le ministre de la justice, non seulement grammaticalement, mais autrement. (On rit.)

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Cela ne sera pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les positions sont tout a fait distinctes : M. le ministre de la justice a été chargé par une loi de publier le Bulletin officiel ; il doit joindre au Bulletin officiel pour les provinces flamandes une traduction. Pour ce travail il a dû choisir une orthographe. Avait-il le droit de faire ce choix ? Evidemment oui. A-t-il bien fait de donner la préférence à l’orthographe nouvelle ? C’est une question purement littéraire.

Quelle était ma position ? Je suis appelé à appliquer la loi sur l’instruction primaire. Cela me donne-t-il le droit d’adopter une orthographe pour la langue flamande et de la rendre uniforme dans le pays ? Je ne le crois pas. Mais je ferai une hypothèse qui fera comprendre ma position. Je suppose que, dans mes moments de loisir, je m’occupe à faire une grammaire flamande (on rit), je dis que, pour cette grammaire, j’aurais le droit de choisir une orthographe ; je me donnerais la mission que M. le ministre de la justice a trouvée dans une loi.

M. Maertens, rapporteur. - Ce ne serait pas la grammaire du ministre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce serait la grammaire d’un tel devenu grammairien.

Voilà la différence des positions. Je ne me suis pas séparé de M. le ministre de la justice. Les positions sont tout à fait différentes. Les explications que j’ai données hier doivent faire cesser toute discussion, quant à l’instruction publique.

La chambre aura à décider si elle veut prolonger cet incident, s’il n’est pas nécessaire de répondre au discours de l’honorable M. de Foere.

M. de Mérode. - Je suis un des premiers inscrits pour la discussion entamée hier. A. cet égard, je renonce à la parole. Mais comme l’honorable M. de Foere s’est expliqué d’une manière assez étendue, en faveur de son opinion ; comme je connais beaucoup de membres qui ne sont pas Hollandais, qui ne veulent pas de réunion à la Hollande, qui ne partagent pas l’opinion de l’honorable M. de Foere, je serais bien aise de les entendre. La parole avait été accordée à l’honorable M. Dedecker. Nous pourrions l’entendre et terminer la discussion.

M. d’Huart. - J’appuie de tous mes efforts la motion d’ordre faite par l’honorable M. Delfosse, Elle devrait être adoptée, par cette seule considération, que la question ne concerne nullement le budget du ministère de l’intérieur. Ensuite, s’il s’agissait d’entendre un seul membre qui voulût répondre à l’honorable M. de Foere, mieux vaudrait ne pas ajourner la discussion. Mais vous avez quinze ou vingt honorables députés des Flandres qui voudront prendre la parole, et qui feront bien, s’ils croient avoir quelque chose de nouveau à dire.

Je crois donc, je le répété, qu’il faut adopter la proposition de l’honorable M. Delfosse et ajourner la discussion spéciale. Ainsi les honorables membres qui veulent y prendre part auront tout le temps de se préparer.

M. de Foere. - Messieurs, la discussion qui a été soulevée sur l’arrêté du premier janvier se rattache directement à l’instruction primaire. Il n’est pas douteux que les instituteurs primaires seront influencés par ceux qui partagent l’opinion de la commission, lorsqu’on leur dira que le gouvernement vient de substituer la langue hollandaise à la langue flamande. Ces pauvres instituteurs, craignant de perdre leur place, n’oseront pas résister à ces influences.

Déjà, comme je vous l’ai dit, certains inspecteurs ont exercé de nombreuses influences directes sur les instituteurs ; ils invoqueront maintenant l’arrêté du 1er janvier à leur appui, et je sais que l’on a déjà employé cette argumentation, que le gouvernement est pour le dialecte hollandais. Ils adopteront donc les huit règles de la commission. C est à tel point que la nouvelle feuille flamande imprimée à Bruxelles, dans l’intérêt de l’adoption de ces huit règles...

M. d’Huart. - C’est le fond.

M. de Foere. - Je suis dans la question. Voici le texte d’une décision qui a été prise depuis l’arrêté du 1er janvier dans une réunion tenue à Louvain.

M. le président. - Toute la question se borne maintenant à savoir si l’on discutera.

M. de Foere. Dans ce cas, je bornerai là mes observations. Il est certain que la question se rattache directement à l’instruction primaire. Je m’oppose donc à la motion de l’honorable M. Delfosse et je demande que la discussion continue.

- La motion de M. Delfosse tendant à remettre à un autre jour la discussion sur l’arrêté du janvier, est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La chambre veut-elle fixer immédiatement ou ultérieurement le jour de cette discussion ?

M. Rodenbach. - Je propose de la fixer immédiatement après celle du budget de l’intérieur.

M. Malou. - Il y a déjà plusieurs projets dont la discussion est fixée après celle du budget de l’intérieur. Une de ces lois notamment est assez urgente ; le sénat devant se réunir prochainement, il est à désirer qu’elle soit discutée avant cette réunion. Je veux parler du projet de loi relatif à la prescription des créances comprises dans l’article 64 du traité. Je propose donc de fixer la discussion sur la langue flamande après celle des objets déjà à l’ordre du jour.

- La proposition de M. Malou est adoptée.

M. David (pour une motion d’ordre). - Je ferai remarquer qu’il est un projet extrêmement important et extrêmement urgent ; c’est celui relatif au transit des laines en masse, sur lequel je vous ai fait rapport dernièrement. Ce projet, qui n’a qu’un article, ne donnera pas lieu à de longues discussions. Je demande donc qu’il soit mis à l’ordre du jour avec les autres projets qui s’y trouvent déjà.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1844

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVIII. Instruction publique

Enseignement moyen
Article 3

« Art. 3. Frais d’inspection des athénées et collèges : fr. 7,300 »

M. le président. - Nous rentrons dans la discussion du budget de l’intérieur.

La discussion continue sur l’interpellation de M. Orts.

M. Verhaegen. - Messieurs, je l’ai déjà dit, je pense que la réponse qui a été faite par M. le ministre de l’intérieur à l’interpellation de mon honorable ami M. Orts, n’est pas suffisante, en présence de la position qu’a faite au gouvernement M. le ministre de la justice par l’arrêté du 1er janvier. C’est ce que je me propose de vous démontrer.

Messieurs, loin de moi de vouloir séparer le cabinet en deux camps, je repousse de toutes mes forces les insinuations que s’est permises à cet égard M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur a saisi cette occasion pour vous dire que, « quelques efforts que l’on fasse, il ne se séparera jamais de M. le ministre de la justice. » Je m’empresse, messieurs, de prendre acte de cette déclaration ; elle établit la solidarité du ministère ; et à ce prix seulement le ministère peut être homogène. Mais, je le répète, je repousse pour ma part les insinuations auxquelles on s’est livré à mon égard ; l’objet auquel on a fait allusion m’est parfaitement étranger ; je le déclare tout haut.

Messieurs, l’interpellation de l’honorable M. Orts portait sur un fait important : comme je l’ai déjà dit, M. le ministre de l’intérieur n’a pas répondu à l’interpellation d’une manière satisfaisante ; en présence de l’arrêté de son collègue le ministre de la justice, M. Nothomb ne peut plus dire aujourd’hui que chacun fera ce qu’il jugera à propos ; le terrain n’est plus libre ; une entrave a été apportée à cette liberté par l’arrêté de M. le ministre de la justice. L’honorable abbé de Foere vient de vous le démontrer, et en effet, pour un grand nombre d’instituteurs l’arrêté du 1er janvier servira de règle, ils y puiseront les règles de la grammaire, et ils croiront, en agissant ainsi, complaire au gouvernement.

Si on veut laisser une liberté pleine et entière, que l’on se mette donc d’accord, que M. le ministre de la justice retire l’arrête du 1er janvier, qui, s’il faut s’en rapporter à M. Nothomb, est insignifiant.

Messieurs, il s’est passé hier une chose fort extraordinaire, et je dois le dire, en même temps très pénible. L’honorable abbé de Foere a eu de la peine à se faire entendre ; son discours a été accueilli par des murmures d’impatience.

Qu’il me soit permis de le dire, messieurs, plusieurs membres de cette assemblée n’étaient pas à même de comprendre la question, et cependant elle est d’un haute gravité ; si au lieu d’être traitée en 1844, elle avait été traitée en 1831, le discours de l’honorable M. de Foere, au lieu d’être accueilli par des murmures, aurait été couvert de patriotiques applaudissements. Il y aurait eu même quelque danger à présenter une thèse contraire.

Messieurs je pense qu’a raison de ce qui s’est passé hier il y aurait manque de courage à ne pas soutenir l’honorable abbé de Foere : la question, messieurs, ainsi qu’il vous l’a dit, tient à des sentiments de nationalité. Quant à moi, je suis né flamand, et je ne rougirai jamais de mon origine.

Nous avons, messieurs, deux langues maternelles. C’est un arrêté de M. le ministre de l’intérieur du 15 octobre 1843, sur le concours, qui nous l’apprend : d’abord, nous avons la langue française, et c’est à celle-là, quoique né Flamand, que je donne la préférence, parce qu’elle est à la fois langue maternelle et langue universelle ; nous avons ensuite la langue flamande qui, aussi, est une langue mère, mais à la condition seulement qu’on la conserve dans sa pureté primitive et qu’on n’en fasse pas une langue bâtarde.

Je lis avec plaisir, dans mes moments de loisir, certains auteurs flamands. Je ne lis pas les auteurs hollandais. Il fut une époque où l’on nous obligeait d’apprendre la langue hollandaise ; cette langue nous était imposée, et c’était là un des véritables griefs de la révolution. Ceux qui, comme moi, appartenant au barreau, ont été obligés d’étudier laborieusement cette langue étrangère, savent ce qui leur en a coûté. La langue flamande nous était familière, mais il ne nous fut point permis d’en faire usage.

Qu’on ne vienne pas nous dire, messieurs, que nous voulons rétrograder, que nous nous opposons au progrès ; certes nous voulons le progrès, mais il n’y a pas de progrès à substituer une langue à une autre langue.

M. le président. - Je rappellerai que la question du fond a été remise à un autre jour.

M. Verhaegen. - Je veux prouver que M. le ministre de l’intérieur n’a pas du tout répondu a l’interpellation de mon honorable ami (Interruption.) Je comprends fort bien que ceux de nos honorables collègues qui n’ont pour langue maternelle que la seule langue française, n’attachent pas une bien grande importance à cette autre langue maternelle, à laquelle nous, Flamands nous tenons comme signe de notre origine. M. le ministre de l’intérieur ne peut donc pas se borner à nous laisser dans le vague alors qu’un précédent a été posé par son collègue de la justice. Il faut à cet égard qu’il ait le courage de revenir à un système d’unité.

Pourquoi veut-on maintenir l’arrêté du 1er janvier ? si la chose est si ridicule qu’on voulait le faire croire hier, lorsqu’on interrompait à tous moments, par des rires, le discours de l’honorable M. de Foere, si la chose est si risible, pourquoi donc s’en occuper par un arrêté ? ce qu’il y a de plus risible en définitive, c’est l’arrête, c’est donc le gouvernement qui a donné matière à toute cette raillerie.

Je demande donc qu’on s’explique catégoriquement ; adopte-t-on l’arrêté, oui ou non ? Si M. le ministre de l’intérieur persiste dans sa réponse, alors il faut qu’il engage son collègue de la justice à retirer l’arrêté du premier janvier.

M. Dedecker. - Oui, messieurs, la question soulevée hier par l’honorable M. de Foere a son importance, mais je crois qu’elle a un autre genre d’importance que celui qu’y attache l’honorable M. Verhaegen. C’est je pense d’une manière tout à fait incidente que l’honorable M. Verhaegen s’est épris tout à coup d’une langue à laquelle il songeait probablement fort peu, il y a huit jours. Il a eu le bonheur de voir dans cette discussion un moyen de trouver quelques voix de plus contre le budget de l’intérieur.

M. le président. - Je prie l’orateur de ne pas incriminer les intentions.

M. Dedecker. - Toute la discussion soulevée par l’honorable M. de Foere est une discussion intentionnelle : il a supposé que tous ceux qui sympathisent avec la nouvelle orthographe flamande sont des factieux. (Interruption.) L’honorable M. de Foere a prononcé plus de vingt fois les mots de faction. (Oui ! oui !) La discussion a été placée sur un terrain glissant, mais ce n’est certes pas par moi, et puisque hier on a suspecté, incriminé les intentions de tant de personnes respectables, il me semble qu’il devrait bien m’être permis de rechercher les motifs de la sympathie toute nouvelle que l’honorable M. Verhaegen manifeste pour la langue flamande.

M. le président. - Veuillez ne pas perdre de vue la décision que la chambre vient de prendre.

M. Dedecker. - La chambre vient de décider qu’elle ne s’occupera pas en ce moment de la question de linguistique soulevée par l’honorable M. de Foere, en tant qu’elle se rapporte à l’arrêté du 1er janvier dernier, mais elle a décidé en même temps qu’elle discuterait aujourd’hui le point le savoir si M. le ministre de l’intérieur doit s’abstenir, oui ou non, d’adopter une orthographe pour les livres destinés aux écoles primaires.

Je dis que l’honorable M. Verhaegen n’a pas su faire cette distinction essentielle. L’honorable ministre de la justice devait nécessairement adopter une orthographe pour la traduction flamande des lois et arrêtés insérés au Bulletin officiel ; il devait nécessairement adopter l’une orthographe ou l’autre. De cette manière M. le ministre était bien forcé de prendre fait et cause pour l’une ou pour l’autre.

Eh bien ! messieurs, depuis six ans le gouvernement a nommé une commission, il a ouvert un concours, il s’est formé en congrès scientifique de deux cents personnes réunies à Gand, tout cela pour amener l’adoption d’un système qui a prévalu, qui a été adopté par l’unanimité des personnes qui s’occupent de la langue flamande, a un très petit nombre d’exceptions près.

N’est-il pas tout naturel que ce soit ce système orthographique qui ait obtenu la préférence du gouvernement ?

M. le président. - Je prie l’orateur de bien vouloir se renfermer autant que possible, dans la question en discussion.

M. Dedecker. - J’y arrive M. le président. Je voulais seulement démontrer que M. le ministre de la justice, alors qu’il se trouvait dans la nécessité de faire un choix, ne savait en faire un autre que celui qu’il a fait. Voilà pour ce qui concerne l’arrêté du 1er janvier, mais, comme je le disais, il y a distinction à faire entre ce qui est relatif à cette mesure et la conduite à tenir par M. le ministre de l’intérieur, quant à l’approbation des livres destinés à l’enseignement primaire. Je crois qu’ici M. le ministre de l’intérieur peut sans aucune espèce d’inconséquence se séparer de son collègue de la justice ; et quelque partisan que je sois de la nouvelle orthographe, je pense que le M. le ministre de l’intérieur ferait une chose imprudente, s’il imposait à qui que ce soit une opinion quelconque dans une matière aussi délicate. Je crois qu’il n’a pas le droit de le faire. Il doit respecter toutes les opinions en cette matière et laisser l’ensemble des principaux écrivains le soin d’amener avec le temps l’unité dans l’orthographe flamande.

Ainsi, messieurs, d’un côté, j’approuve de tout cœur la conduite tenue par M. le ministre de la justice et sans être le moins du monde inconséquent, j’approuve de tout aussi bon cœur la conduite que se propose de tenir l’honorable ministre de l’intérieur.

M. Verhaegen. - Je ne sais pas pourquoi l’honorable préopinant se permet de suspecter mes intentions ; M. le président, en l’interrompant, a fait acte d’impartialité. Je déclare que j’ai parlé de conviction. J’ai fait abnégation de tout sentiment d’animosité, de toute pensée d’opposition contre un membre quelconque du cabinet. Je voulais, à en croire l’honorable M. Dedecker, détacher des voix de la majorité de M. le ministre de l’intérieur. Ne vous y trompez point, messieurs, ma conduite n’est pas du tout celle qu’on me suppose. Si je suis décidé à voter contre le budget de l’intérieur, ce n’est pas à raison des personnes, je ne réduis pas la question à ces proportions ; je voterai contre le budget de l’intérieur à raison de certains principes qui ne me conviennent point et que je ne cesserai de combattre par tous les moyens qui seront en mon pouvoir. Que M. Dedecker le sache bien, je ne fais partie d’aucune coalition ; si toutefois une coalition existe, ce que j’ignore.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois de nouveau protester contre l’idée qu’il y aurait contradiction dans la manière d’agir des deux ministres. J’ai dit que je maintenais le principe de la liberté, et ce principe, je l’applique à M. le ministre de la justice. Mon honorable collègue est chargé de publier le Bulletin officiel avec une traduction flamande ; pour cette traduction, il a fait choix d’une orthographe ; il était dans son droit ; il a commencé par user à son profit du principe de liberté que j’ai posé hier. Il n’y a donc ici aucune contradiction.

Quelle doit être la portée de l’arrêté du 1er janvier ? Je l’ai déjà dit, cet arrêté ne préjuge rien quant à la question en général, cet arrêté ne décide qu’une seule chose, c’est que M. le ministre de la justice usant de la liberté que nous accordons à tout le monde, a adopté l’orthographe nouvelle pour le Bulletin officiel. Il ne faut tirer de cette mesure aucune autre conclusion ; ce n’est pas un précédent qui atteste de la part du gouvernement le parti pris d’imposer uniformément une orthographe.

M. Verhaegen. - Je dois ajouter un mot aux paroles que j’ai prononcées tout à l’heure. Quand j’ai dit que je ne faisais partie d’aucune coalition, si toutefois il pouvait en exister, j’ai voulu faire comprendre, entre autres, que je n’entendais pas me ranger parmi les amis politiques au nom desquels avait parlé l’honorable M. Dolez dans la discussion générale du budget de l’intérieur ; je tenais à dessiner ma position pour qu’il ne restât point d’équivoque sur ce point.

M. Fleussu. - On vient de parler de coteries, de coalitions, puis on a fait allusion au discours de l’honorable M. Dolez, dont je regrette l’absence en ce moment ; je ne puis supposer que l’honorable M. Verhaegen ait eu l’intention d’appliquer à M. Dolez les mots coteries, coalitions ; l’honorable M. Dolez n’est point homme de coterie ; il a pu exprimer les sentiments de quelques-uns de ses collègues, d’après la connaissance qu’il en aura probablement acquise sur ces bancs mêmes et par suite de relations qui s’établissent entre collègues.

M. d’Huart. - Je voulais dire quelques mots sur la question qui nous occupe, mais l’honorable M. Dedecker a déjà présenté à peu près toutes les observations que je voulais faire valoir.

L’honorable M. Verhaegen engage M. le ministre de l’intérieur à trancher la question et à adopter d’une manière décisive telle ou telle orthographe pour les livres dont on se sert dans les écoles primaires. Eh bien, moi, j’engage M. le ministre de l’intérieur à n’en rien faire, à suivre la marche qu’il vous a fait connaître hier, à examiner les livres quant au fond, sans s’occuper en aucune manière de la forme de l’orthographe. C’est là, je pense, ce que demandent nos honorables collègues des Flandres, et je crois que M. le ministre fera d’autant mieux d’agir de la sorte que la question devra être discutée ultérieurement.

M. de Foere. - Messieurs, la discussion s’établit sur l’interpellation de l’honorable M. Ors, et sur la réponse que l’honorable M. ministre de l’intérieur lui a faite.

Dans sa réponse, M. le ministre de l’intérieur vous a dit qu’il en faisait une question de temps, que le temps décidera s’il existera, ou non, majorité pour ou contre le système de la commission et que, quant à lui, il usera entre-temps de la plus grande réserve. M. le ministre de l’intérieur vient, en même temps, de soutenir le droit qu’avait, selon lui, son collègue de la justice de faire choix entre l’une ou l’autre orthographe, et il s’est aussi constitué solidaire de l’acte du 1er janvier de son collègue. Il y a, selon lui, sur ce point homogénéité et solidarité d’opinion. Cependant, messieurs, il a y contradiction évidente entre les deux ministres. L’un a basé exclusivement l’opportunité de son arrêté du 1er janvier sur l’immense majorité qui, selon lui, existe dès aujourd’hui en faveur des règles de la commission ; l’autre ministre soutient, au contraire, que cette majorité n’existe pas aujourd’hui, mais que le temps la décidera. Il est donc évident que l’un ministre ruine complètement la seule base sur laquelle l’autre avait fondé l’opportunité de son arrêté. Je le demande, où sont maintenant l’homogénéité et la solidarité de leur opinion commune ?

M. le ministre de l’intérieur a répondu à l’interpellation de l’honorable M. Orts que, relativement à l’instruction primaire, il restera neutre entre les deux orthographes, qu’il usera de la plus grande réserve jusqu’à ce que le temps ait décidé la question de la majorité. J’aurai l’honneur, messieurs, de vous administrer la preuve la plus évidente que M. le ministre de l’intérieur ne reste pas neutre, qu’il n’use pas de la plus grande réserve dans la question. En approuvant l’arrêté du 1er janvier, en s’associant à l’opinion de M. le ministre de la justice, il décide la question dès aujourd’hui. Il est infaillible que les instituteurs primaires ne voient pas dans l’arrêté du 1er janvier l’opinion du gouvernement. Ils y verront, en toutes lettres, que le gouvernement adopte de préférence les huit règles de la commission alors surtout que le ministre de l’intérieur, le chef de l’instruction publique, vient de déclarer ouvertement que son collège de la justice a bien fait lorsqu’il a pris son arrêté. J’en conclus que sa déclaration de neutralité n’est pas sincère ; j’en conclus qu’alors même qu’elle fût sincère, sa déclaration ne peut plus avoir aucune valeur réelle. L’arrêté du 1er janvier est une manœuvre adroitement employée pour amener la majorité du corps des instituteurs primaires. Les intrigants s’empareront de l’arrêté de M. le ministre de la justice, approuvé par son collègue de l’intérieur, pour continuer à exercer les influences que déjà, depuis longtemps, ils ont exercées sur les institutions primaires. Ces pauvres maîtres d’école craindront de perdre leur place, d’être mal notés, s’ils n’adoptent pas les huit règles d’orthographe hollandaise pour laquelle les deux ministres viennent de se prononcer. Je soutiens que la question de majorité du corps enseignant est décidée dès à présent et que le ministre de l’intérieur détruit d’une main ce qu’il déclare vouloir laisser intact de l’autre.

- La clôture sur l’incident est demandée, elle est mise aux voix et adoptée.

« Art. 3. Frais d’inspection des athénées et collèges, fr. 7,300 »

M. Devaux. - Messieurs, c’est encore d’administration que je veux entretenir la chambre ; elle me pardonnera donc d’entrer dans quelques détails.

M. le ministre de l’intérieur fait inspecter les athénées depuis deux ans, mais je ne puis qu’approuver cette mesure, je crois que l’inspection pourrait être mieux organisée.

M. le ministre de l’intérieur a chargé de l’inspection des collèges les professeurs d’autres collèges ; les professeurs d’un collège ont inspecté d’autres collèges. Ainsi les professeurs du collège de Liége ont inspecté l’athénée de Namur, et ainsi de suite.

Si cette mesure n’a pas un caractère permanent, elle est assez indifférente j’engage M. le ministre de l'intérieur à ne pas la rendre permanente ; il comprendra qu’il est de l’intérêt de l’instruction qu’il n’en soit pas ainsi.

Pour que ces inspections soient utiles, il faut qu’elles soient faites avec beaucoup de soin ; il faut qu’elles puissent donner au gouvernement une véritable idée de la situation des divers établissements et que le gouvernement puisse mettre sous les yeux de chaque administration communale le résultat de l’inspection du collège de la localité pour lui en faire connaître le côté faible. Or, vous comprenez que si on charge le chef de l’établissement de telle ou de telle ville, d’inspecter l’athénée ou le collège de telle autre ville, sauf l’année suivante à faire au contraire inspecter celui-ci par celui-là, un inspecteur qui est lui-même sujet à inspection sera peu porté à un examen envers des professeurs qui peuvent devenir ses inspecteurs à lui-même.

J’engage donc M. le ministre de l’intérieur à ne pas prolonger cette mesure. Je crois qu’il serait plus naturel d’employer, pour l’inspection, d’anciens professeurs, et surtout des professeurs d’universités.

Les collèges sont assez difficiles à inspecter. Je pense qu’il vaudrait mieux ne pas les inspecter tous, mais seulement une partie chaque année ; de cette manière, l’inspection pourrait être plus approfondie ; il ne suffit pas que les inspecteurs interrogent les élèves, il faut qu’ils entendent les professeurs, il faut qu’ils voient la manière dont ils donnent leurs leçons ; c’est ainsi qu’on parvient à découvrir le fort et le faible de chaque enseignement, chose d’ailleurs assez difficile.

Maintenant je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il désire que je rattache à l’article en discussion ce qui se rapporte au concours des athénées et des collèges.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui.

M. Devaux. - Soit.

Messieurs, vous savez que le concours des athénées et collèges a été institué en 1840. Il s’est prononcé deux opinions à ce sujet dans la chambre, l’une favorable, l’une défavorable au concours. J’ai déjà dit dans cette enceinte que j’étais très favorable au concours ; c’est cette mesure que l’on doit la réorganisation de l’enseignement moyen dans la plupart des grandes villes du royaume.

M. le ministre de l’intérieur, lorsqu’il est entré au pouvoir, ne s’est prononcé ni pour ni contre, ou plutôt il s’est prononcé à la fois pour et contre. Vous vous rappellerez que dans son programme d’installation il a blâmé le concours dans ses détails, et il la maintenu chaque année, M. le ministre de l’intérieur remanie le concours ; ces remaniements, dans mon opinion, sont malheureux pour la plupart. Le ministre fait moins bien que ce qui existait.

Dans le principe, on faisait concourir la classe supérieure de chaque établissement, et on la faisait concourir sur chacune des branches enseignées dans la classe ; de cette manière tous les élèves étaient sûrs qu’ils comparaîtraient un jour au concours, toutes les classes passant par le concours, chaque administration communale pouvait, au bout de quelques années, savoir quelle était la force des études dans son collège, en comparaison des autres établissements.

Aujourd’hui, c’est le sort qui désigne et la matière et la classe, il en résulte que c’est une espèce de loterie. Les élèves n’ont plus le même stimulant. On ne sait quelle classe concourra, sur quelles matières portera le concours ; les administrations municipales ne connaissent plus la force des études dans leurs établissements. En cas d’insuccès, on dit à l’administration communale : le sort a désigné telle classe, si telle autre classe avait été concouru, l’établissement aurait eu plus de succès. On lui dit encore le sort a désigne telle branche d’enseignement, s’il avait désigné telle autre branche, l’établissement l’aurait sans doute emporté.

Ce règne du hasard introduit dans le concours est donc très défavorable, il empêche les élèves d’être stimulés, comme ils l’étaient lorsqu’ils étaient certains de comparaître un jour au concours ; il empêche les administrations communales de se faire une véritable idée de la situation de l’instruction dans leurs collèges.

J’ajoute que, comme on tire au sort entre toutes les classes, deux classes, l’une pour les classes supérieures et l’autre pour les classes inférieures, il peut arriver que la même classe soit appelée deux années de suite, et que les autres soient exclues.

On a joint maintenant au concours une espèce de programme très minutieux indiquant les branches d’enseignement à répartir entre les diverses classes.

C’est un programme extrêmement détaillé. Je ne veux pas dire qu’il soit entièrement mal conçu mais je pense qu’il est fâcheux que le gouvernement veuille établir cette uniformité parfaite entre tous les établissements. Qui est assez savant, assez sûr de lui, en fait d’enseignement, pour dire que sa méthode est la meilleure de toutes, qu’il n’y en a pas, qu’il n’en naîtra pas de meilleure.

Je ne dis pas qu’on ne puisse guider plus ou moins les collèges qui laissent à désirer, mais je ne voudrais pas qu’on imposât un programme uniforme à tous les établissements, de manière qu’il n’y eût plus de concurrence entre les méthodes ; ce serait proscrire l’expérience de toute innovation, décourager et empêcher tout progrès ultérieur, car, encore une fois, le gouvernement n’est pas sûr d’avoir trouvé la perfection.

Au concours écrit on a joint un concours oral. Les meilleurs élèves, ceux qui ont obtenu le plus de points, on les fait se transporter à Bruxelles, et ils y subissent un examen oral, qui exerce une influence décisive sur le résultat du concours. Cette mesure me paraît mal conçue Des enfants sont transportés d’un point du pays à l’autre. Des enfants quelquefois de dix ans sont transportés à Bruxelles ; les parents sont obligés de les confier à des maîtres d’étude ou de se déplacer eux-mêmes. Ce n’est pas là le seul inconvénient.

L’examen oral, qui, d’ailleurs, intimide les enfants, ne peut jamais avoir la même précision que le concours écrit, Les réponses sont fugitives ; quand il y a contestation entre les juges, il est difficile d’apprécier le mérite absolu de ces réponses. Un autre inconvénient de l’examen oral, c’est qu’il est à la défaveur des élèves flamands. En Flandre, on enseigne en français, parce que c’est la langue des hautes études et des livres, mais il est vrai de dire que la plupart des élèves n’apprennent le français qu’à l’école ; ces élèves, dans les premières années, ont plus de difficulté à s’exprimer en français. A la fin de leurs études, cette difficulté disparaît jusqu’à certain point. Mais dans les premières années, ils éprouvent plus de difficulté quand ils doivent répondre oralement à un jury ; c’est un grand désavantage pour eux.

Un autre inconvénient encore de ce voyage des enfants à Bruxelles est celui-ci : pour l’examen écrit, on prend toute précaution, l’élève ne peut pas signer son travail, il doit mettre son nom dans un billet cacheté qui n’est ouvert qu’après le jugement. Quand, au contraire, il doit comparaitre devant le jury, il n’y a plus de secret, il est inutile de lui faire mettre son nom dans un billet cacheté. De là nécessairement des soupçons de partialité aujourd’hui, dans l’avenir, je suis loin de dire que ces soupçons seront fondés, mais ils existeront. Pour l’examen écrit on admet le secret, par l’examen oral on est forcé de le violer.

J’ai une autre observation encore à faire sur la négligence extrême avec laquelle on rédige les matières sur lesquelles s’établira le concours. Il est arrivé, par exemple, qu’on a envoyé du ministère de l’intérieur aux divers collèges, par un délégué de ce département, un texte grec à traduire. Les pauvres élèves ont travaille à la sueur de leur front pour comprendre ce qu’on leur avait envoyé ; ils tâchaient d’en deviner le sens, c’était inintelligible. On avait mal copie un extrait d’un recueil grec. On a dû annuler le concours et recommencer quelques jours après sur nouveaux frais. Cela atteste de la légèreté de la part des personnes qui sont chargées de ce soin. Je vais en donner une autre preuve. Je la trouve à la page 335 du volume relatif à l’instruction moyenne que M. le ministre vous a fait distribuer, c est un texte français envoyé du ministère de l’intérieur à tous les collèges pour être traduit en latin.

Pour vous donner une idée de la littérature dont le ministère de l’intérieur envoie des modèles aux collèges, je me bornerai à lire deux phrases de ce morceau.

Voici la première : Il s’agit de Crésus, roi de Lydie.

« Ce prince n’est pas moins célèbre par les trésors qu’il hérita de ses ancêtres, que par l’or que roulait le fleuve Pactole (un prince célèbre par l’or que roule un fleuve) qui, descendant du mont Tmolus et passant sous son palais, traversait la ville capitale de Sardes, que par les tributs qu’il recevait des florissantes villes de commerce de son royaume. » (On rit.)

Voilà un échantillon de la littérature donnée pour modèle aux collèges par le ministère de l’intérieur.

Voici la dernière phrase qui finit l’histoire de Crésus :

« Crésus jouit le reste de ses jours de la confiance de Cyrus et de celle de son fils Cambyse et fut membre du conseil d’Etat. » (Hilarité générale.)

On ne dit pas si ce fut en service ordinaire ou en service extraordinaire.

C’est probablement la traduction faite sans intelligence de quelque passage d’un auteur ancien.

Je vous avais dit que je pourrais signaler tel ou tel acte du ministère de l’intérieur en fait d’instruction publique qui touchait au ridicule, je crois avoir tenu ma promesse.

M. le ministre de l’intérieur vous a dit qu’en supprimant la place d’administrateur de l’instruction publique, il s’était chargé de traiter lui-même les affaires. Je pense pour son honneur qu’il n’a pas traité celle-là. Les employés du ministère ont donc trop d’ouvrage, ou ne paraissent pas attacher aux matières d’instruction l’importance qu’elles méritent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je remercie l’honorable préopinant de n’avoir pas attaché trop d’importance à certains détails qu’il vient de faire connaître ; ce sont de ces accidents qu’il est bien difficile d’empêcher.

En effet, la besogne a été très forte à la division de l’instruction publique ; le personnel n’a pas été assez considérable. Je me félicite que la chambre ait bien voulu enfin cette année me mettre à même de fortifier cette administration devenue si importante.

L’honorable préopinant vous a entretenus de deux objets : l’inspection et le concours.

Il vous a dit avec raison que l’inspection des athénées et des collèges soulève des questions très délicates. Nos idées ne sont pas fixées sur le système d’inspection ; je n’hésite pas à répondre que je ne regarde pas comme une mesure définitive celle que l’honorable membre a citée. On peut se demander s’il ne faut pas avoir pour l’enseignement moyen une inspection permanente et une inspection extraordinaire ; c’est une question qu’on ne pourra résoudre qu’à la suite de différents essais. En général, ces questions ne peuvent pas se résoudre à priori, il faut tenter des expériences qui sont quelquefois malheureuses, il faut j’y résigner ; on ne peut pas procéder autrement.

Je passe au concours.

Dans la circulaire par laquelle j’ai annoncé ma rentrée aux affaires, je n’ai pas blâmé le concours ; j’ai dit que, bien que quelques personnes en eussent contesté la légalité, j’entendais maintenir l’institution.

C’était un fait que je citais pour qu’on sût que la question de stricte légalité ne m’avait pas échappé, et que malgré ce doute je croyais devoir conserver la mesure. Il est vrai que d’année en année on a fait des changements au système des concours. C’est encore parce que, selon moi, il faut faire des essais successifs pour arriver à découvrir le meilleur mode. Ici encore on ne peut pas procéder à priori. On a d’abord pensé que chaque année le gouvernement devait désigner la classe ou la branche appelée au concours.

Le ministre était assiégé de sollicitations ; on lui demandait de désigner de préférence les classes supérieures. Il en résultait que cette désignation pouvant se présumer on ne s’occupait dans les établissements que de ces classes, il faut bien le dire : on mettait quelques élèves en serre-chaude, passez-moi le mot.

Pour moi, un établissement ne consiste pas seulement dans les classes supérieures, il constitue un ensemble, il faut que chaque classe soit également forte, parce que chaque classe est également nécessaire. Un établissement pourrait être très faible dans son ensemble, bien qu’il vînt à produire au concours un certain nombre d’élèves très forts en rhétorique, de même qu’un établissement pourrait être assez fort en n’offrant pas d’élèves distingués en rhétorique. Frappé de ces objections, on a dit alors : il ne faut pas que ce soit le ministre, mais le sort qui désigne.

Cet essai, nous l’avons fait ; c’est ce que l’honorable préopinant a critiqué, et jusqu’à un certain point avec raison. Je crois qu’on s’était engagé chaque fois dans un système extrême.

A la suite de ces deux essais, je suis arrivé à un troisième, c’est là ce qui a échappé à l’honorable préopinant.

Voici ce que porte l’arrêté du 15 octobre dernier, art. 2 : « Deux des sept classes, comprises dans le programme, sont appelées à concourir. Le sort désigne une classe. Le gouvernement a désigné ensuite une autre. »

On a donc combiné pour le concours prochain les deux moyens : le sort et l’indication par le ministre. C’est peut-être là le mode auquel il faudra définitivement s’arrêter. Les critiques que l’honorable préopinant a adressées à la désignation par le sort m’avaient été faites, j’en ai tenu compte ; je regrette que l’honorable membre n’ait pas pris connaissance du dernier arrêté ; néanmoins, je l’avais fait distribuer récemment à tous les membres de la chambre.

Le concours consiste dans une épreuve écrite et dans une épreuve orale. L’épreuve orale se fait à Bruxelles. Autrefois il n’y avait qu’une épreuve écrite. On a prétendu qu’elle ne présentait pas de garanties suffisantes, qu’il fallait y ajouter une épreuve orale. Mais cela ne s’applique pas à tous les élèves qui ont concouru. On ne fait pas venir tous les élèves à Bruxelles.

On n’appelle à Bruxelles que les élèves, en faveur desquels il existe une présomption ; cette présomption, la voici : « Sont admis à l’épreuve orales tous les concurrents qui ont, sur 800 points, obtenu 550 points et au-delà. » (Arrêté royal du 5 octobre 1843, art. 14 § 3).

On a trouvé dans cette deuxième épreuve une garantie. Je conçois que ce déplacement des élèves ait ses inconvénients. Mais avec la facilité des communications qui existe dans le pays, ces inconvénients sont devenus bien moindres. Je ne pense pas du reste que des réclamations se soient élevées contre cette deuxième épreuve.

Un membre. - Et les pauvres !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Aux élèves pauvres on a payé une indemnité pour frais de déplacement, indemnité prise sur le budget de l’intérieur.

Cette épreuve orale a lieu à Bruxelles, et l’élève est interrogé non seulement sur le travail qu’il a fait, mais encore sur les parties du programme de l’établissement auquel il appartient, pour toutes les classes inférieures qu’il est censé avoir suivies. De cette manière, on s’assure de la bonté de l’établissement dans son ensemble.

Enfin on a maintenu par l’arrêté du 15 octobre une disposition de l’arrête précédent, qui détermine un programme. Le concours se fait entre les établissements d’instruction moyenne. Or, qu’est-ce qu’un établissement d’instruction moyenne ? Pour le savoir, il a fallu indiquer le programme de l’enseignement moyen. Il ne m’a pas paru qu’il fût trop minutieux. J’ai reçu quelques réclamations l’an dernier. J’y ai fait droit dans le dernier arrêté. Si d’autres réclamations fondées m’étaient adressées, j’y ferais droit sans croire mon amour-propre engagé.

Il est évident que si vous faisiez une loi sur l’enseignement moyen, vous seriez obligés d’y insérer un programme ; c’est ce que vous avez fait dans la loi sur l’enseignement supérieur et dans la loi sur l’enseignement primaire. Vous diriez que les matières suivantes doivent nécessairement être enseignées dans les établissements qui voudraient être considérés comme athénées et collèges. Je n’ai pas fait autre chose : en l’absence d’une loi, il m’a fallu dire que les seuls établissements admis au concours seraient ceux qui offriraient le programme d’enseignement annexé à l’arrêté ; sinon il y aurait eu arbitraire dans l’admission au concours, et même impossibilité d’appréciation.

Ce programme a exercé une influence heureuse ; je suis convaincu que si l’honorable préopinant critique quelques détails sur lesquels je puis passer condamnation, il doit apprécier le principe. Il est résulté de ce programme que tous les établissements d’instruction moyenne se sont complétés et coordonnés d’après ce programme. C’est un grand résultat. Le programme, d’ailleurs, a été réclamé par presque tous les établissements.

L’honorable préopinant a rappelé que l’idée primitive du concours ne m’appartient pas. J’ai toujours eu soin d’en convenir moi-même ; l’idée appartient à celui qui, le premier, l’a mise à exécution ; je n’ai jamais caché son nom.

Je ne crois pas me hasarder, en disant que si mon honorable prédécesseur avait eu plus longtemps à appliquer cette idée, il eût agi comme moi, c’est-à-dire qu’il eût fait successivement des essais pour arriver à découvrir le véritable système.

C’est ce que j’ai fait ; je ne crois en rien avoir donné un démenti à l’idée première.

- L’art. 3 est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen et industriel (écoles de Gand et de Verviers), autres que les écoles d’arts et métiers et les ateliers d’apprentissage : fr. 167,100 »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Indemnité aux professeurs démissionnés des athénées et collèges : fr. 5,000 »

- Adopté.

Enseignement primaire
Article 6

« Art. 6. Frais d’inspection. - Frais des écoles normales et des écoles primaires supérieures. - Dépenses des cours normaux. - Encouragements, subsides aux communes et secours : fr. 681,000 »

M. Orts. - M. le ministre de l’intérieur nous a assez souvent répété sous quel point de vue il envisageait la loi du 23 septembre 1842 pour que nous ayons à lui demander compte de l’exécution de cette loi. C’est, à l’entendre, le plus beau fleuron de sa couronne ministérielle ; il nous l’a répété presque à chaque occasion où on l’a attaqué relativement à la marche générale de son administration.

Eh bien, quoique M. le ministre de l’intérieur nous ait dit hier : « J’ai beaucoup fait dans l’espace de 18 mois qui nous sépare de l’adoption de la loi, je prétends malgré cette déclaration de M. le ministre de l’intérieur, que s’il a beaucoup fait, sa marche a été contraire à ce qu’il aurait dû faire ; enfin, pour me servir d’une expression qui peindra toute ma pensée, qu’il a travaillé au rebours. Quant aux choses à organiser, il a donné la préférence à certains points qui n’étaient pas en première ligne, et il a laissé dans un état de langueur d’autres parties de la loi qui demandaient une prompte organisation.

Vous le savez, la loi du 23 septembre 1842 a eu pour objet de pourvoir à l’application de deux principes et d’abord un principe constitutionnel, écrit dans l’art. 17 de notre pacte fondamental, la liberté d’enseignement. Respect à ce principe ! Mais le pouvoir a senti qu’il devait se mettre à la tête de l’instruction primaire, dans un intérêt tout gouvernemental, et la loi l’indique assez. Ainsi les institutions privées ne peuvent être admises à prendre part au bienfait de l’instruction gouvernementale qu’en se soumettant au régime de la loi.

La loi du 23 septembre 1842 a été une loi toute de confiance. Chacun de vous se le rappellera. J’ai émis l’opinion (beaucoup de mes honorables collègues, sur ces bancs, l’ont déclaré avec moi) que tout dépendait de l’exécution, que si l’exécution n’était pas franche, juste, impartiale, mieux aurait valu ne pas voter la loi.

L’institution des établissements décrétés par la loi sur l’enseignement primaire se réduit à des principes extrêmement simples : d’abord il y a des écoles primaires supérieures gouvernementales. A ces écoles primaires gouvernementales devaient être attachés des cours normaux. Il existe en outre deux grandes écoles normales créées par le gouvernement.

Les écoles privées peuvent être admises au bénéfice de la loi, et même des écoles normales privées peuvent participer à toutes les faveurs que la loi assure à ceux qui fréquentent les écoles normales gouvernementales.

D’après cela, il est évident que l’organisation des écoles gouvernementales devait préaller. Le gouvernement a-t-il suivi cette marche ? Non ; je vais l’établir en citant quelques faits, et en les rapprochant des dispositions de la loi.

D’abord j’insiste sur les dispositions de l’art. 35 de la loi sur l’enseignement primaire

L’art. 35 de cette loi porte :

« Il sera immédiatement établi, par le gouvernement, deux écoles normales pour l’enseignement primaire, l’une dans les provinces flamandes, l’autre dans les provinces wallonnes.

« Dans chaque province, des cours normaux pourront être adjoints par le gouvernement à l’une de ces écoles primaires supérieures. »

L’art. 10 de la loi statue qu’après quatre ans, les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront avoir fréquenté avec fruit pendant deux ans les cours d’une école normale du gouvernement, ou les cours normaux adjoints à une des écoles primaires supérieures, ou bien (et remarquez-le, cela est placé en dernière ligne, comme de droit) une école normale attachée à une institution privée, mais adoptée par le gouvernement.

Vous voyez donc, messieurs, que quatre ans après l’introduction de la loi, les communes sont obligées de prendre leurs instituteurs parmi ceux qui, pendant deux ans, ont fréquenté les cours normaux.

Que fait M. le ministre de l’intérieur ? La loi est promulguée le 23 septembre 1842. Combien de temps croyez-vous qu’il attende pour organiser les deux écoles normales du gouvernement ? Il attend jusqu’au 11 novembre 1843, c’est-à-dire, près de 14 mois après la promulgation de la loi. Et à qui confie-t-il la direction de ces deux écoles normales ? A deux membres pris dans un corps que je respecte, dans un corps digne certainement de diriger l’instruction de la jeunesse, dans le clergé. Mais il ne se borne pas là, et vous allez voir tout de suite la grande impartialité de M. le ministre de l’intérieur ; peu de temps après l’arrêté qui organise les écoles normales gouvernementales, et par un arrêté du 17 décembre, le gouvernement adopte les sept écoles normales confiées à la direction du clergé et placées respectivement dans tous les diocèses, sauf celui de Malines. Or, comme on vous l’a déjà fait observer, c’est dans le diocèse de Malines que M. le ministre de l’intérieur place les deux écoles normales gouvernementales, et il confie la direction de ces écoles à des membres pris dans le clergé.

Je vous le demande, est-ce là tenir la balance d’une main juste et impartiale ? Eh quoi ! Vous aviez déjà huit écoles modèles que vous avez depuis transformées en écoles primaires supérieures ; vous avez quantité de chefs d’institutions privées qui se sont distingués dans la carrière, qui ont fait preuve de leurs talents, de leurs sentiments religieux et de leur moralité, et pas un n’a été jugé digne par vous d’être mis à la tête, je ne dirai pas des deux écoles normales gouvernementales, mais d’une seule.

C’est, messieurs, répandre le découragement parmi cette classe si respectable de la société. La place de directeur d’une des écoles normales du gouvernement est pour un instituteur vieilli dans la carrière ce qu’on appelle vulgairement le bâton de maréchal de France, dans l’instruction primaire, il n’y a rien au-dessus de cette place ; c’est un poste de confiance, c’est la plus honorable récompense des services rendus. Je dois avouer que si j’étais moi-même instituteur et un de ceux qui se sont distingués dans la carrière, cet acte aurait répandu dans mon âme le plus profond découragement. Et soyez-en persuadés, il a été envisagé de cette manière par de respectables instituteurs.

Et que M. le ministre de l’intérieur ne me dise pas : Auriez-vous trouvé parmi ces chefs d’institution des hommes capables ? Ici j’en appellerai de l’honorable M. Nothomb, ministre de l’intérieur, à l’honorable M. Nothomb, député siégeant sur nos bancs ; et je lui demanderai si, à l’époque où il siégeait parmi nous, il aurait approuvé un pareil acte de partialité.

Lors de la discussion de la loi sur l’enseignement primaire, un honorable membre ayant demandé à M. le ministre de l’intérieur s’il confierait la direction des écoles normales au clergé, il répondit qu’il ne fallait pas en faire une obligation au gouvernement. Et M. le ministre de l’intérieur avait raison ; si sa réponse avait été autre, je pense que plusieurs voix lui auraient manqué, et qu’il n’aurait pas réussi à faire passer une loi aussi importante contre trois voix seulement d’opposition.

Je dis, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur, en déclarant que l’on ne pouvait pas faire une obligation au gouvernement de choisir un prêtre pour diriger les écoles normales gouvernementales, a fait ses réserves, qu’il a déclaré qu’il verrait ce qu’il y aurait à faire.

Je sais que M. le ministre de l'intérieur avait le pouvoir de faire ce qu’il a fait ; mais pour moi, c’est un acte que je qualifie de partial ; c’est là un de ces actes qui détruisent cette foi robuste que nous avions placée dans l’exécution de la loi ; c’est un acte qui inspirera peut-être plus d’un repentir.

Vous croyez, messieurs, qu’après avoir organisé les deux écoles normales, M. le ministre de l’intérieur va instituer les cours normaux qui devaient être attachés à chaque école primaire supérieure. Il n’en fait rien ; et au moment où je parle, ni à Bruxelles, ni à Bruges, ni à Liège, il n’existe de cours normaux organisés. J’avais adressé à M. le ministre de l’intérieur une demande sur ce point ; je n’ai pas obtenu de réponse.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’en donnerai une.

M. Orts. - Tous ces cours devraient être organisés, puisque vous avez eu la volonté et le loisir de donner l’existence gouvernementale aux sept écoles normales du clergé, il vous eût été tout aussi facile de créer les cours normaux près des écoles primaires supérieures.

Mais voici peut-être pourquoi cela n’a pas été fait, ou du moins il est permis de le soupçonner. Quatre ans après la promulgation de la loi, les instituteurs communaux devront être pris parmi ceux qui auront fréquenté des institutions normales pendant deux ans. Nous voilà dans la seconde année depuis l’adoption de la loi ; dans deux ans, la prescription de la loi devient donc obligatoire ; et pour peu que vous tardiez encore, les élèves des écoles normales du clergé seront en mesure de se présenter, tandis que ceux qui auraient pu profiter de l’instruction normale dans les écoles primaires supérieures, et il y en a une par arrondissement, arriveront trop tard,

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous êtes dans l’erreur.

M. Orts. - Mais pour qu’on puisse fréquenter un cours normal, il faut qu’il ait été institué. Je voudrais savoir comment les élèves qui auront été à l’école primaire supérieure de Bruxelles par exemple, pourront faire des études normales pour pouvoir se présenter dans deux ans comme instituteurs, ils pourront aller à Nivelles ou à Lierre, ou dans un des sept établissements cléricaux ; mais dans les autres villes, chefs-lieux d’arrondissements, vous avez négligé jusqu’ici d’organiser cette partie si intéressante de l’enseignement. Je vous en signale les inconvénients.

Il est, messieurs, un autre point sur lequel je crois devoir fixer l’attention de M. le ministre de l’intérieur.

L’art. 15 de la loi sur l’enseignement primaire est des plus importants. Ce n’était pas tout d’avoir créé l’enseignement primaire ; il fallait savoir comment les écoles du gouvernement et les écoles communales seraient dirigées. Il ne fallait pas laisser les écoles sous le régime de l’arbitraire, permettre que dans l’une on suivit telle règle, telle méthode, dans l’autre telle autre.

L’article 15 de la loi y a pourvu ; il porte :

« Le règlement arrêté par le conseil communal sur la proposition de l’inspecteur provincial, l’inspecteur cantonal entendu, et approuvé par la députation du conseil provincial, sauf recours au Roi, déterminera dans chaque commune la rétribution des élèves, le mode de recouvrement, les jours et les heures de travail, les vacances, les modes de punitions et de récompenses. »

Ce règlement, comme vous le voyez, ne peut pas émaner d’un conseil communal. Le conseil communal n’a ici aucune initiative ; c’est l’inspecteur provincial qui doit le lui proposer. Or, ni à Bruxelles, ni à Liége, ni à Gand, le règlement n’a été proposé.

M. le ministre de l’intérieur nous dit que c’est à lui qu’il faut s’adresser lorsqu’il s’agit d’agents appartenant à son ministère ; il assume sur lui toute la responsabilité. Je demande comment il se fait qu’il laisse dans un pareil état les écoles gouvernementales ?

Entre-temps les écoles restent privées de cette direction que trace l’art. 15 de la loi ; les punitions, les heures de travail, le paiement des rétributions, tout cela est laissé dans le domaine du futur contingent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a d’anciens règlements.

M. Orts. - Voulez-vous voir jusqu’où va cette négligence à exécuter sous ce rapport la loi du 23 septembre 1842 ? Il suffira de la comparer avec un arrêté royal organique de la loi, et qui porte la date du 26 mai 1843.

Par cet arrêté, on trace la règle à suivre dans les écoles primaires pour des questions qui ne touchent pas effectivement au mode de travail, à tout ce qui est l’administration intérieure de l’école, mais qui concernent principalement l’admissibilité des pauvres à titre gratuit dans les écoles primaires.

Voici comment on a fixé sa marche à suivre : avant la fin de juillet, toutes les familles pauvres doivent annoncer quels sont les enfants qu’elles désirent placer dans les écoles primaires.

Cette liste est close au 1er du mois d’août. Le conseil communal doit au mois d’octobre, avant la rentrée des classes, arrêter la liste de tous ceux qui sont admis à fréquenter gratuitement les écoles primaires ; de plus, cette liste doit être approuvée par la députation permanente, et l’on ajoute même : « sauf recours au Roi. » Ce qui prouve bien l’importance qu’on y attache.

Maintenant cela s’est fait à Bruxelles et, j’en suis sûr, dans les autres villes ; au 1er octobre on a arrêté la liste des enfants qui étaient admis dans les écoles pendant l’année scolaire 1843-1844 ; mais dans le cours de cette année scolaire il y a des déplacements continuels ; une foule d’enfants quittent l’école, une foule d’autres demandent à y être reçus ; qui doit autoriser ces admissions ? Est-ce encore le conseil communal ? C’est l’arrête du 26 mai 1843 qui a réglé ce point. Voici ce que porte à cet égard l’art. 15 de cet arrêté :

« Art. 15. Les instituteurs, chefs des écoles communales ou adoptées, ne peuvent admettre, à titre gratuit ou moyennant rétribution, que les enfants portés sur la liste définitivement arrêtée et qui leur sont adressés par l’administration communale.

« Toutefois, après l’admission de tous les enfants portés sur cette liste (voir art. 11) d’autres peuvent être admis à quelque époque que ce soit, s’il reste des places vacantes. Les règles d’admission seront établies, dans chaque localité, par le règlement dont il est parlé à l’article 15 de la loi du 23 septembre 1842. »

Eh bien, messieurs, ce règlement n’a pas encore été proposé par l’inspecteur provincial à Bruxelles. On assure qu’il ne l’a pas été davantage à Gand, à Bruges, à Liége, de manière que si l’administration communale s’en était tenue à la lettre de la loi, elle aurait pu voir les écoles désertes avant le mois d’août prochain ; car, ainsi que je viens de le dire, beaucoup d’enfants quittent l’école dans le cours de l’année, et, aux termes de la loi, l’administration communale se serait trouvée dans l’impossibilité d’admettre un seul nouvel élève puisque le mode d’admission des enfants qui se présentent dans le cours de l’année doit être déterminé par un règlement qui n’existe pas.

Je le demande, messieurs, est-ce là l’exécution franche et intelligente de la loi ? Y a-t-il là de l’activité ? Est-ce là cette marche à laquelle nous étions en droit de nous attendre ?

Qu’a fait l’administration communale de Bruxelles dans cet état de choses ? Elle a cru que la lettre tuait et que l’esprit vivifiait. Elle ne s’est pas renfermée dans la stricte légalité, et je crois qu’elle a bien fait ; elle a décidé que le collège échevinal recevrait tous les mois les enfants réunissant les conditions légales d’admission gratuite qui se présenteraient, jusqu’à concurrence des places vacantes. Cela n’était pas conforme à la loi, j’en conviens, mais c’était indispensable, si l’on ne voulait s’exposer à voir les écoles désertes.

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des points essentiels qui auraient dû attirer toute l’attention de M. le ministre de l’intérieur. Ce sont là des articles de la plus haute importance qui sont restés en souffrance par l’incurie du ministère.

Si M. le ministre de l’intérieur ne trouve pas assez de temps, s’il n’a pas été en état d’organiser des dispositions aussi urgentes dans un espace de 18 mois (car il y a 18 mois que la loi est décrétée), oh, quand il s’est agi d’aller au-delà de la loi, il ne s’en est pas fait faute. A Virton et à Thuin, il existait des écoles communales ; elles ont été non seulement adoptées comme écoles communales, mais on y a ajouté des cours d’humanité, on en a fait des athénées, des collèges au petit-pied, et l’on est venu bouleverser par là tout le système de l’instruction primaire. En effet, M. le ministre doit se rappeler qu’il a répété sans cesse, dans la discussion de la loi, qu’il n’y avait aucune conséquence à tirer du régime établi pour l’enseignement primaire au régime à établir pour l’enseignement moyen. En attendant, cependant, on transforme des écoles primaires en écoles secondaires, et lorsqu’on examine la situation de Virton et de Thuin on reconnaîtra que les élèves qui ne peuvent faire que jusqu’à leur troisième dans les espèces d’athénées de ces villes (car remarquez bien qu’on n’a pas voulu que le cours d’humanités fût complet), on reconnaîtra que ces élèves, après avoir achevé leur troisième, vont passer dans l’un ou l’autre des collèges cléricaux qui se trouvent à peu de distance de Virton et de Thuin.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ou municipaux.

M. Orts. - Je préférerais que les élèves entrassent de prime abord dans les collèges dont je viens de parler ; car s’ils vont d’abord faire deux ou trois années d’études à Virton ou à Thuin, et qu’ils passent ensuite dans un autre collège, ce sera une perturbation complète dans leurs études.

Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas cette confusion entre l’enseignement primaire et moyen, surtout en présence des dispositions de la loi du 23 septembre 1842, car l’art. 34 de cette loi détermine positivement les matières qui doivent être enseignés dans les écoles primaires supérieures ; voici en effet ce que porte cet article :

« Art. 34. Outre les objets énoncés dans l’art. 6, l’enseignement dans ces écoles comprend :

« 1° Les langues française et flamande et, au lieu de celle-ci, la langue allemande dans la province de Luxembourg ;

« 2° L’arithmétique ;

« 3° Le dessin, principalement le dessin linéaire, l’arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ;

« 4° Des notions des sciences naturelles applicables aux usages de la vie ;

« 5° La musique et la gymnastique ;

« 6° les éléments de la géographie et de l’histoire, et surtout de la géographie et de l’histoire de la Belgique. »

Je défie, du reste, qui que ce soit de trouver dans la loi ni même dans les discussions auxquelles elle a donné lieu, la moindre chose qui puisse permettre au gouvernement de confondre un établissement d’instruction primaire avec un établissement d’instruction moyenne.

Voilà, messieurs, autant d’actes qui prouvent une exécution partiale, une exécution faite d’une manière à retarder l’organisation complète de ces institutions que le gouvernement doit protéger avant tout, auxquelles il doit toute sa sollicitude.

J’avais oublié, messieurs, d’ajouter encore une considération à celle que j’ai présentées relativement au retard apporté à l’organisation des cours normaux qui doivent être attachés à chacune des écoles primaires supérieures. Je vous disais qu’après deux années de fréquentation de ces cours, on pouvait être admis comme instituteur dans les écoles communales ; mais il y a mieux, c’est que l’art. 28 de la loi sur l’enseignement primaire (et ici je rends hommage à la sollicitude du législateur, qui a décrété cet article, à la sympathie qu’il a montrée dans cette occasion pour les jeunes instituteurs), l’art. 28, dis-je, autorise le gouvernement à accorder des bourses jusqu’à concurrence de 200 fr. aux élèves qui désirent suivre les cours normaux des écoles primaires supérieures. Il est clair que tous ceux qui peuvent fréquenter ces cours avec fruit ont l’espoir de prendre part à cette libéralité, si encourageante ; mais au train dont vont les choses, je crains fortement qu’ils ne soient devancés et que ces faveurs, qui doivent nécessairement être distribuées avec discrétion et avec l’économie que commande la situation de nos finances, ne soient absorbées par ceux qui auront eu le bonheur de suivre les cours normaux (déjà adoptés par le gouvernement) de l’un ou de l’autre des établissements du clergé.

Il est bien d’autres points, messieurs, que je pourrais signaler, mais sur lesquels je crois devoir garder un silence prudent, car rien ne me répugne autant que des questions personnelles. Si M. le ministre de l’intérieur élevait des doutes sur la question de savoir s’il aurait pu trouver un directeur pour l’une au moins des écoles normales du gouvernement, parmi les instituteurs laïques, je lui rappellerais qu’il a cru devoir décorer un homme éminemment remarquable appartenant à cette classe d’instituteurs, et j’ajouterai que s’il avait voulu fixer son choix pour la place de directeur de l’une au moins des écoles normales de l’Etat, sur un instituteur laïque, il n’aurait nullement été embarrassé d’en trouver plusieurs qui la méritassent à tous égards.

Dans tout cela, messieurs, je vois un système qui ne peut que m’inspirer la plus grande défiance, et qui me fait comprendre encore davantage la nécessité ou nous sommes de conserver toute notre sympathie pour ces dignes pères de familles qui rendent de si grands services à l’instruction et qui, quoique n’appartenant pas à l’ordre honorable et respectable du clergé, ont cependant les plus grands titres à toute notre bienveillance.

Ce système, suivi par M. le ministre de l’intérieur, m’inspire une défiance telle, que la loi de 1842 m’apparaît menaçante pout l’opinion à laquelle j’appartiens, et qu’il faudra des actes importants, empreints de justice et d’impartialité, pour dissiper des craintes légitimes et fondées. C’est vous dire assez, messieurs, que je ne voterai pas pour le budget de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, « La loi organique de l’enseignement primaire n’a pas reçu sur tous les points son exécution ; sur quelques points le gouvernement est allé au-delà de la loi. » Tel est le résumé du discours que vous venez d’entendre, je vais passer en revue les faits de l’honorable préopinant a cités à l’appui de cette double accusation.

Les lois, messieurs, se votent à jour fixe, mais ne s’exécutent pas toujours ainsi. Elles reçoivent une exécution successive. Fallait-il plutôt commencer par telle disposition que par telle autre ? Ce sont là des questions subordonnées aux circonstances.

La marche que j’ai suivie était la seule possible ; si quelques points sont encore sans exécution, c’est que je n’ai pu leur donner la priorité.

Deux dispositions de quelque importance ne sont pas encore exécutées, l’honorable préopinant vous les a signalées.

L’art. 15 exige qu’il soit fait un règlement dans chaque commune pour la tenue de l’école ; ce règlement doit être arrêté par le conseil communal, sur la proposition de l’inspecteur provincial et de l’inspecteur cantonal.

Il est évident qu’il fallait, avant tout, pour que ce règlement pût être présenté aux conseils communaux, que les deux inspections provinciale et cantonale fussent organisées. D’ailleurs, messieurs, y avait-il à ce point péril en la demeure ? Je ne le pense pas, car il faut supposer que, dans chaque école communale, il y a un règlement quelconque ; je ne puis pas admettre que les écoles communales aient existé jusque-là sans règlement ; or, les anciens règlements continuent à rester en vigueur.

La deuxième disposition, restée sans exécution, et que l’honorable préopinant n’a fait qu’entrevoir, c’est celle qui concerne les conférences cantonales ; l’art. 14 de la loi suppose qu’il y aura des conférences cantonales entre les instituteurs. Ces conférences exigent un règlement ; mais pour que ces conférences puissent avoir lieu, il fallait encore que l’inspection fût préalablement organisée.

La loi a reçu son exécution dans toutes ses grandes bases. On a commencé par instituer l’inspection provinciale, puis l’inspection cantonale. La dépense de cette dernière inspection étant à la charge des provinces, les conseils provinciaux ont, l’été dernier, alloué la somme nécessaire.

Voilà ce qu’on a dû faire d’abord ; il fallait établir les autorités qui constituent ce que j’appellerai, en me servant d’un mot employé hier, le gouvernement de l’instruction primaire. Le ministère ne pouvait pas procéder autrement ; il fallait bien qu’il eût à sa disposition les nouveaux agents que la loi lui donne.

L’honorable préopinant trouve qu’on a mis beaucoup de retard à l’organisation des écoles primaires supérieures de l’Etat, et à l’institution des deux écoles normales.

Parlons d’abord des écoles primaires supérieures.

La loi porte qu’il pourra y avoir une école primaire supérieure par arrondissement judiciaire. Ces écoles portent le titre d’écoles primaires supérieures de l’Etat, mais il ne faut pas en conclure que le gouvernement puisse, par sa seule action, établir une école de ce genre. Non, messieurs, la loi suppose le concours des autorités communales le gouvernement n’y n’intervient que pour une somme de 3,000 fr. au plus. C’est la commune qui fournit le local, et qui pourvoit au surplus des dépenses, si les trois mille francs, donnés par le gouvernement, joints aux rétributions scolaires, ne suffisent pas aux frais de l’établissement.

Il fallait donc traiter avec les villes, le gouvernement ne pouvait pas procéder autrement. Telle est la disposition de la loi.

A-t-on bien ou mal fait d’adopter cette disposition ? Telle n’est plus la question : l’honorable préopinant ne veut pas corriger la loi, il veut seulement qu’elle soit exécutée.

Il y a 27 arrondissements judiciaires. Voyons ce qui a été fait.

Il existait 8 écoles-modèles à l’époque où la loi a été promulguée. Ces huit écoles ont été transformées en écoles primaires supérieures comme le veut la loi. Il a de plus été institué 12 écoles primaires supérieures nouvelles. Voilà de compte fait 20 écoles de ce genre.

M. Orts. - J’ai parlé des cours normaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’occupe maintenant des écoles primaires supérieures, je viendrai tout à l’heure aux cours normaux.

L’honorable préopinant m’a accusé d’incurie, de négligence. C’est un reproche auquel je suis très sensible ; je crois au contraire, qu’on a mis la plus grande activité à exécuter la loi du 23 septembre 1842.

Une voix. - Où sont situées ces écoles ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Puisqu’on le désire, je vais énumérer les villes.

Les huit écoles modèles à transformer en écoles primaires supérieures existaient à Anvers, Malines, Bruxelles, Louvain, Gand, Mons, Tournay et Namur.

On établi douze écoles primaires supérieures nouvelles dans les villes suivantes : Jodoigne, Bruges, Furnes, Alost, Renaix, Thuin, Stavelot, Limbourg, Marche, Neufchâteau, Virton et Dinant. Voilà donc 20 écoles primaires supérieures instituées sur les 27 que le gouvernement peut établir ; des négociations sont ouvertes avec sept villes, afin d’arriver à l’établissement des sept écoles qui manquent encore, pour épuiser les pouvoirs que la loi donne au gouvernement.

Je demande, messieurs, si des faits semblables dénotent de l’incurie de la part du ministère de l’intérieur. En bien peu de temps, on a transformé les huit écoles modèles, on a institué 12 écoles primaires supérieures nouvelles, et on est en négociation avec des villes pour l’établissement des 7 écoles que le gouvernement peut encore ériger ; car il faut au gouvernement, je le répète, le concours des autorités locales, ne fut-ce que pour fournir les locaux nécessaires.

L’honorable préopinant m’a adressé un deuxième reproche, quant aux écoles primaires supérieures.

La loi dit qu’il pourra être adjoint des cours normaux à une école primaire supérieure dans chaque province. Qu’avez-vous fait, dit l’honorable préopinant, pour organiser ces cours normaux ?

J’ai fait tout ce qu’il a été possible de faire. J’ai adressé aux gouverneurs des provinces et aux inspecteurs toutes les instructions nécessaires ; je crois, messieurs, pouvoir me borner à vous faire connaître ce qui a été fait à Bruxelles. Qu’il me soit permis seulement de m’étonner que ces faits soient inconnus à l’honorable préopinant ; personne, après moi, dans cette enceinte, n’était plus à même que lui de les connaître.

Voici ce que j’écrivais au gouverneur du Brabant, le 25 mars dernier :

« Bruxelles, le 25 mars 1843.

« A M. le gouverneur de la province de Brabant.

« Monsieur le gouverneur,

« Aux termes du 2ème paragraphe de l’art. 35 de la loi du 23 septembre 1842, le gouvernement est autorisé à adjoindre des cours normaux à l’une des écoles primaires supérieures de chaque province.

« J’ai l’intention d’appliquer cette disposition à l’école primaire supérieure de Bruxelles.

« Je crois devoir vous communiquer dès aujourd’hui, mes vues à l’égard de cet enseignement normal et pédagogique, en vous priant d’en donner connaissance à MM. les membres de la commission administrative de l’école, ainsi qu’à M. l’instituteur directeur.

« Il sera d’abord accordé un certain nombre de bourses consistant, pour la première année, en une admission gratuite à l’école. On choisira pour titulaire de ces bourses, des jeunes gens appartenant à des familles honnêtes, mais peu aisées.

« Déjà un certain nombre d’admission de ce genre a eu lieu à l’école primaire supérieure à Bruxelles ; les élèves qui jouissent de cette faveur, formeront le noyau de l’institution normale.

« Le directeur de l’école sera chargé d’exercer sur ces jeunes gens une surveillance toute spéciale, d’étudier leurs caractères et leurs dispositions et d’éveiller en eux, autant que possible, la vocation indispensable pour faire un bon instituteur.

« Les élèves qui (par suite de cet examen qui pourra durer une ou deux années) auront été reconnus propres à la profession d’instituteur recevront sur les fonds de l’Etat des bourses instituées par l’art. 28 de la loi. Ils pourront également en obtenir sur les fonds provinciaux eu conformité de l’art. 24.

« Lorsqu’ils en seront arrivés à ce point, le gouvernement prendra des mesures pour qu’ils soient internés dans l’école et soumis à une surveillance constante et active.

« Quand ils auront achevé leur cours d’études, ils pourront être employés comme assistants dans l’école même, ou envoyés en qualité d’instituteurs dans les écoles des villes ; ils se trouveront d’ailleurs dons les termes de l’art. 10 pour être exemptés de l’agréation.

« Vous voyez par ce qui précède, M. le gouverneur, que pendant les deux ou trois premières années, la dépense résultant de cette organisation sera très peu importante.

« Il suffira que le gouvernement accorde à l’école une légère augmentation de subsides, afin que les admissions gratuites qui d’ailleurs seront limitées, ne portent point préjudice aux intérêts de la caisse, et peut-être aussi afin d’indemniser l’instituteur directeur du surcroît de travail qui doit en résulter pour lui.

« Telles sont, M. le gouverneur, mes vues générales sur l’organisation de l’enseignement normal dans les écoles primaires supérieures.

« Un règlement plus détaillé sera prochainement arrêté pour ce service, et des instructions précises seront données à MM. les directeurs des écoles primaires supérieures.

« Veuillez, M. le gouverneur, demander à la commission administrative de me faire parvenir la liste des élèves de l’école, actuellement admis à titre gratuit et qui pourraient dès cette année être considérés comme aspirants-élèves-instituteurs.

« Le ministre de l’intérieur,

« Nothomb. »

Cette circulaire a été communiquée à la commission administrative de l’école primaire supérieure de Bruxelles, celle-ci l’a transmise au directeur de l’école ; le directeur de l’école a rendu compte de l’exécution qu’il donnait à cette circulaire ; il l’a entièrement approuvée, et la commission administrative l’a également approuvée, puisqu’aucune objection ne m’a été faite. J’ai sous les yeux le rapport du directeur de cette école, je ne veux pas lire entièrement ce rapport, dans lequel le directeur indique les élèves qu’il a choisis, je me contenterai de donner lecture du dernier paragraphe du rapport :

« Il est bien entendu, messieurs, c’est à la commission administrative que le directeur s’adresse, et l’honorable préopinant doit connaître cette commission.

« Il est bien entendu, que ces divers degrés d’aptitude ne peuvent se rapporter qu’au présent ; il est évident que dans le cours des études ces degrés varieront à l’infini. C’est donc une très bonne mesure de la part du gouvernement, que d’avoir accordé un certain temps d’épreuves aux jeunes gens admis dans la section normale !... »

La commission administrative s’est bornée à envoyer le rapport du directeur au gouverneur, et le gouverneur me l’a transmis. J’en ai conclu que la marche que j’avais indiquée était approuvée par la commission administrative.

M. Orts. - Les cours ne sont pas organisés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On dit que les cours ne sont pas organisés. C’est une erreur ; ils sont organisés, en ce sens, que des élèves sont choisis et doivent suivre les cours ordinaires de l’école, pour que l’on puisse s’assurer de leurs dispositions et de leur vocation. Quand le temps d’épreuve requis sera rempli, ils entreront dans la section normale proprement dite de l’établissement. Ainsi, eu égard au système que le gouvernement a adopté en cette matière et contre lequel aucune objection n’a été présentée, l’administration n’a pu jusqu’à présent faire plus qu’elle n’a fait. Si d’ailleurs la commission administrative croit qu’une marche plus accélérée fût possible, pourquoi ne me l’a-t-elle pas fait savoir ?

Pourquoi s’est-on borné à me transmettre ce rapport que je tiens en main. Je le déclare donc ici aujourd’hui, que ces faits ont reçu de la publicité ; si on pense qu’on peut imprimer plus de rapidité à l’organisation des cours normaux de l’école supérieure de Bruxelles, qu’on indique les moyens, qu’on ne se borne pas à adhérer purement et simplement à la circulaire que j’ai transmise, par l’intermédiaire du gouverneur, à la commission de cette école. Je ne reculerai pas devant les moyens qu’on a eu tort de me laisser ignorer jusqu’à présent. Une circulaire du même genre a été adressée aux gouverneurs des autres provinces, pour établir des cours normaux auprès d’écoles primaires supérieures ; ces instructions ont reçu le commencement d’exécution que les circonstances comportaient.

Je dis également que si, quant à ces écoles supérieures, il y des moyens d’accoler l’établissement des cours normaux, je les appliquerai ; mais encore une fois, il faut que les commissions administratives me les fassent connaître.

Résumons-nous sur ce premier chef d’accusation.

On disait : vous n’avez pas mis assez d’empressement à instituer les 27 écoles primaires supérieures, ni à annexer à 9 d’entre elles des cours normaux. J’ai prouvé que, sur les 27 écoles primaires supérieures 20 sont instituées ; des négociations sont ouvertes, négociations nécessaires pour établir les 7 autres. Quant aux cours normaux, j’ai transmis les instructions nécessaires aux commissions administratives ; la marche que j’ai indiquée a été approuvée, notamment à Bruxelles.

Ici vient se placer l’accusation que, sur certains points j’aurais été dans l’exécution de la loi au-delà de la loi. J’ai attaché, dit l’honorable préopinant, dès cours de latinité aux écoles primaires supérieures de Thuin et de Virton. L’expression est inexacte. A Thuin et à Virton, existait un collège ; sur la demande du conseil communal, j’ai laissé subsister certains cours de latinité. Je n’ai violé aucune des dispositions de la loi ; j’aurais pu laisser subsister tout le collège préexistant ; il se trouve qu’au lieu du collège entier, on n’a laissé subsister que certains cours de latinité.

M. Devaux. - L’inspection ecclésiastique s’appliquera-t,-elle à ces cours de latinité ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.

M. Devaux. - Ces cours de latinité seront-ils sous le régime de la loi sur l’enseignement primaire ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.

Ainsi l’école primaire supérieure est placée sous le régime de la double inspection, mais les cours de latinité, débris, pour ainsi dire, de l’ancien collège, subsistent en dehors de ce régime. Il n’y a donc là aucun excès de pouvoir. On aurait pu laisser subsister, comme à Bruxelles, à la fois l’athénée et l’école primaire supérieure.

M. Orts. - C’est ce qu’il fallait faire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Toutes les villes n’ont pas les ressources de Bruxelles ; le gouvernement ne donne pas à toutes les villes pour leur collège 25 mille francs par an. A Thuin, par exemple, on est plus modeste, on s’estime heureux de pouvoir, à côté de l’école primaire supérieure, conserver certains cours de latinité. L’honorable préopinant a cru pouvoir se permettre un soupçon ; il a pensé qu’on avait eu en vue un moyen de recrutement pour les collèges qu’il appelle cléricaux et qu’il suppose à proximité des écoles primaires supérieurs auxquelles subsistent certains cours de latinité. Je demande sur quel fait on peut établir ce soupçon ?

Je sais que, non loin de Virton, il y a un collège qu’on a appelé clérical, le collège de Bastogne, mais, d’un autre coté, il y a un athénée à Arlon, et la distance de Virton à Bastogne est plus grande que celle de Virton à Arlon. (On rit.) Si c’est un système de recrutement, je ne vois pas pourquoi ce serait plutôt au profit de Bastogne.

Ainsi, c’est encore là un fait très secondaire, d’une explication très facile, et sur lequel on a eu tort de fonder un système ayant pour but d’appliquer à l’enseignement moyen le régime de l’enseignement primaire. (Interruption.) Je sais ce qui a pu donner lieu ce soupçon, puisque le mot a été employé, je le répète c’est la tentative faite à Ath. Je vais sur ce point donner une explication. Ce n’est pas moi qui avais imposé l’arrangement que le conseil d’Ath a proposé à l’évêque de Tournai. C’est le conseil communal qui l’a proposé. (Interruption.)

Il est très vrai que le fait a été ainsi présenté par les journaux, mais je l’ai déjà expliqué dans cette chambre, on aurait dû avoir égard à mon explication ; on me répondra ici : ce sont des conseillers qui ont eu l’idée de conclure cet arrangement avec l’évêque de Tournay. Le conseil communal d’Ath faisait en cela beaucoup moins que n’ont fait d’autres conseils communaux. Qu’on lise le rapport sur l’enseignement moyen ; on verra qu’ailleurs on est allé beaucoup plus loin. On ne s’est pas borné à demander l’inspection, des conseils communaux ont livré le collège entier à l’autorité ecclésiastique, et les ministres d’alors ne l’ont pas empêché. Cette tentative faite à Ath est restée sans résultat, l’arrangement n’a pas été, en définitive, accepté par le clergé. La tentative ne forme donc pas le précédent qu’on semble redouter.

J’arrive au deuxième chef d’accusation : les écoles normales. On m’accuse d’avoir apporté un retard calculé à l’établissement des écoles normales de l’Etat, et d’avoir agi de manière à laisser prendre le devant aux écoles normales ecclésiastiques. C’est là une accusation grave, mais elle ne résiste pas à l’examen des faits.

L’art. 35 de la loi organique porte qu’il sera établi immédiatement par le gouvernement deux écoles normales, l’une dans les provinces wallonnes, l’autre dans les provinces flamandes. J’ai déclaré, dans la discussion, que ces établissements ne seraient pas donnés aux villes qu’on choisirait, sans qu’on exigeât un sacrifice de leur part. (Interruption.)

J’ai annoncé qu’on exigerait les locaux. Un grand nombre de villes se sont adresses au gouvernement, j’ai fait examiner les locaux offerts, et j’ai trouvé que les villes qui méritaient la préférence étaient Lierre et Nivelles. J’ai cru que ces villes étaient bien situées pour des établissements de ce genre, elles ont fait tous les sacrifices nécessaires ; des travaux d’appropriation ont été faits et n’ont été achevés qu’en novembre dernier. Exiger donc plus tôt l’établissement des écoles normales, c’était supposer que le gouvernement trouverait d’emblée les travaux préparés. Je m’attendais ce reproche et j’avais cru le prévenir.

C’est un arrêté royal du 10 avril dernier, qui a décidé la question entre les villes concurrentes et a désigné les villes de Lierre et de Nivelles. Il a été ajouté que cette désignation ne serait définitive que quand chacune de ces villes aurait fourni les locaux et terrains nécessaires, et dans un état tel qu’ils pussent satisfaire à la destination qui leur était donnée. On s’est mis à l’œuvre ; les villes ont fait de grands frais, et tous les travaux ont été terminés en novembre.

Le choix fait par l’arrêté du 10 avril n’était que provisoire ; par un nouvel arrêté du 20 novembre, le Roi a déclaré que ce choix était définitif.

Mais, dit l’honorable préopinant, j’ai laissé prendre les devants aux sept écoles normales ecclésiastiques.

Ici il y a de la part de l’honorable membre une erreur de droit.

La loi, art. 10, exempte de l’agréation les élèves qui justifieront d’avoir fréquenté avec fruit, pendant 2 ans, les cours d’une école normale primaire soumise à l’inspection depuis deux ans.

Ces deux décisions courent non pas à dater de la loi, mais à dater de l’approbation du régime de l’inspection. (Interruption.)

Cette erreur est fondamentale ; votre accusation, qu’il me soit permis de le dire, et j’insiste là-dessus, porte à faux.

M. Orts. - Vous ne m’avez pas compris.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous ai parfaitement compris.

Il faut que les élèves, pour être exemptés de l’agréation, aient suivi les cours pendant deux années dans un de ces établissements agréés par l’Etat depuis deux ans, à partir, non de la date de la loi, mais du jour où le gouvernement a commencé l’inspection.

Vous allez voir quelles précautions j’ai prises, vous allez décider si je n’ai pas tenu, d’après l’expression de l’honorable préopinant, la balance d’une main ferme.

Ce n’est pas moi qui ai créé les sept écoles normales ecclésiastiques. C’est un fait ancien. Ce fait résulte de la liberté constitutionnelle d’enseignement.

Cela posé (et il ne s’agit de corriger ni la constitution, ni la loi organique ; il s’agit seulement de leur exécution) ; j’ai donc trouvé sept écoles normales ecclésiastiques instituées. Les évêques, qui les avaient instituées, se sont adressés à moi, pour obtenir ce qu’on appelle l’agréation ; c’est-à-dire, qu’ils ont demandé que le gouvernement appliquât à ces établissements l’inspection civile. Savez-vous quand les évêques se sont adressés au gouvernement pour obtenir le bénéfice de la loi ? Le 28 janvier 1843. Eh bien, je crois qu’en droit j’aurais dû immédiatement accorder l’agréation. Je ne l’ai pas fait. Voici pourquoi :

J’ai prévu que je m’exposais à une accusation. J’ai dit : « Comment agréer immédiatement les sept écoles normales, me trouvant dans l’impossibilité d’établir en même temps les deux écoles normales de l’Etat ? Je suis dans cette impossibilité, parce que je n’ai pas les locaux nécessaires. L’agréation, je la donnerai, mais il faut que ce soit en même temps que les deux écoles normales de l’Etat seront instituées. Je désiré que le clergé ne prenne pas les devants sur les deux écoles normales de l’Etat. » Ce langage a été compris. Je le répète, les évêques ont attendu, renonçant ainsi à l’espèce de droit qu’ils avaient de me demander l’agréation immédiate.

Les deux écoles normales de l’Etat ont pu être établies en novembre dernier, lorsque les locaux ont été complètement appropriés et mis à ma disposition.

L’agréation, sollicitée par les évêques, le 28 janvier, leur a été alors accordée ; les évêques avaient attendu plus de dix mois.

Mais ce n’est pas tout. J’ai dit tout à l’heure que les deux années couraient à partir du jour où l’inspection commencera dans les sept établissements agréés. Les deux écoles normales sont instituées ; mais les cours ne sont pas encore organisés, en ce sens qu’il faut bien recruter les élèves, ce qui se fait en ce moment. Les écoles ne seront donc ouvertes que le 9 avril prochain, c’est-à-dire le mardi de Pâques, jour où commence le deuxième trimestre de l’année. Croyez-vous qu’en agréant les sept écoles ecclésiastiques, j’aie ajouté que l’inspection commencera à partir du jour de l’agréation ? Les sept écoles ecclésiastiques auraient encore une fois pris les devants, puisque les cours des écoles normales de l’Etat ne devaient s’ouvrir que le 9 avril. Voici ce que j’ai cru devoir faire insérer dans l’arrêté d’agréation :

« L’offre des cinq évêques est agréée ; en conséquence, le 9 avril 1844, les sept écoles normales primaires seront placées sous le régime d’inspection et admises au bénéfice attribué par la loi à cette position. »

Ainsi j’ai pris toutes les précautions pour que les écoles normales ecclésiastiques agréées ne prissent pas les devants sur les écoles normales de l’Etat. J’ai tenu en suspens l’agréation ; et en l’accordant, j’ai déclaré qu’elle aurait ses effets à partir du 9 avril, jour où les cours des écoles normales de l’Etat seront seulement ouverts.

Vous voyez que cette accusation, comme je le disais, ne résiste pas à l’examen des faits.

Mais le grand grief, c’est d’avoir placé à la tète des écoles normales de l’Etat des ecclésiastiques. Voici comment je m’étais expliqué dans le cours de la discussion de la loi sur l’instruction primaire. Je cite cette explication, non pas que je sois considéré comme définitivement engagé, non pas que j’aie agi forcément par suite de cet engagement ; mais j’ai cru que le système était bon ; si l’avenir prouve le contraire,. on pourra en revenir.

Un membre. - C’est ce que l’on ne fera pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pourquoi pas si le système offrait de graves inconvénients. Voici ce que je répondais à plusieurs membres de la chambre qui voulaient faire insérer dans la loi une disposition qui portât que les directeurs des écoles normales de l’Etat seraient nécessairement des ecclésiastiques.

« L’honorable comte de Mérode, M. Dumortier et moi, nous avons le même but : c’est ce qui arrivera dans la pratique ; mais je dis que vous ne pouvez pas aller aussi loin dans les termes de votre loi. On m’a demandé si je nommerais un ecclésiastique principal. Je n’hésite pas à dire oui, si, comme gouvernement, je le fais librement ; non, si on me l’imposait. Je ne veux pas que cela me soit imposé par la loi. Je veux, en un mot, que le gouvernement conserve sa libre action. Je demande que dans les termes de la loi, on n’aille pas plus loin que ne l’exige le système de la loi.

« Il est très possible, très probable, que si je suis appelé à exécuter la loi, je propose au Roi de nommer deux prêtres directeurs des deux écoles normales ; maïs le gouvernement restera libre de son action ; il saura s’il doit maintenir ou faire cesser cet état de choses. »

Il n’y avait donc pas eu d’engagement absolu. En tenant ce langage, j’avais présenté à l’esprit des réflexions faites très sagement par plusieurs honorables membres qui vous avaient dit : Il y a telle chose que je ne veux pas voter, si c’est inséré dans la loi, et que j’admets, si c’est fait administrativement, parce que ce que le gouvernement fait administrativement, il peut le défaire administrativement. J’ai trouvé le système bon. En présence des sept écoles normales ecclésiastiques, dont je ne pouvais empêcher l’existence, il était prudent de mettre à la tête des deux écoles de l’Etat des ecclésiastiques. Ces ecclésiastiques sont des hommes distingués, qui comprendront parfaitement la mission qui leur est donnée. Mais, objectera-t-on, si la dignité, l’indépendance du gouvernement, se trouvaient compromises dans l’avenir ! Alors, le gouvernement userait de son droit ; ces deux ecclésiastiques ont été nommés par lui ; il pourrait les révoquer.

Un membre. - Le gouvernement serait dans l’embarras.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nullement ; comme l’a dit l’honorable M. Orts, on trouverait parmi les laïques des hommes en état de les remplacer. Je le reconnais avec lui. J’aime que le clergé sache que le gouvernement ne serait pas dans l’embarras. Le gouvernement serait libre de révoquer ou de ne pas révoquer. Le reste est une question de personnes. Il s’agit de savoir si les personnes qui composeraient le gouvernement auraient le courage de prononcer une révocation.

M. Delfosse. - Vous n’auriez pas ce courage.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si une révocation était nécessaire, j’aurais le courage de la prononcer ; j’ai eu ce courage en d’autres circonstances.

Est-ce une chose si nouvelle, que de confier la direction des écoles normales primaires à des ecclésiastiques ? J’ai sous les yeux le rapport fait par M. Cousin sur l’instruction primaire en Allemagne. J’appelle principalement votre attention sur le rapport concernant la Prusse. En Prusse, il y a 28 écoles normales primaires, il y en a 4 dans les provinces rhénanes ; de ces 4, 2 sont protestantes, 2 sont catholiques ; Les 2 écoles protestantes ont à leur tête des ministres protestants ; les 2 écoles catholiques ont à leur tête des prêtres catholiques. Les 2 écoles catholiques sont : l’une à Brühl , près de Bonn, l’autre à Saint-Matthias, près de Clèves. Le gouvernement prussien a cru pouvoir confier la direction des deux écoles normales catholiques à deux prêtres catholiques.

M. Delfosse. - Je le crois bien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous le croyez bien. Mais pourquoi le gouvernement belge n’aurait-il pas la même confiance dans le clergé ? Est-ce que le clergé belge a pris là une position hostile au gouvernement ? Est-ce que ces nominations engagent la liberté d’action du gouvernement ? Si l’honorable préopinant croit que je n’aurais pas le courage de révoquer des directeurs ecclésiastiques, d’autres auraient ce courage. Il suffit que la liberté d’action du gouvernement ne soit pas engagée. Le reste est une question de personnes.

Moi, je crois qu’on pouvait sans crainte donner cette marque de confiance au clergé belge. Je crois que les deux ecclésiastiques qui sont devenus, par leur nomination, des fonctionnaires publics comprennent leur mission, et l’accompliront dignement, loyalement.

Je crois avoir discuté les différents faits qui ont été cités par l’honorable préopinant.

Je ne m’arrêterai pas à l’arrêté royal, relatif aux pauvres. Il est vrai que cet arrête se réfère au règlement communal nouveau qui aurait dû être fait ; ce règlement n’existe pas. Mais je suppose qu’il existe quelque ancien règlement. S’il n’y en avait pas, ce serait de l’anarchie ; car l’absence de règlement s’appelle anarchie.

La loi sur l’instruction primaire a été exécutée avec toute la célérité toute la loyauté possible. Si certains points sont encore sans exécution, c’est qu’ils ne pouvaient recevoir plus tôt leur exécution, ou qu’il s’agissait d’objets secondaires. L’exécution devait d’ailleurs être successive. Ou ne pouvait exécuter la loi instantanément, en un seul jour.

En terminant, je repousse de nouveau le reproche d’inaction, et avec plus de force toutes ces insinuations qui dénotent un système de défiance.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j’avais eu l’intention d’abord de présenter un amendement au littera C de l’art. 6 du chapitre XVIII. Je voulais faire porter de 84,000 à 123,000 fr. le chiffre destiné à couvrir, concurremment avec les provinces et les communes, les dépenses pour les écoles primaires supérieures. J’ai craint qu’on ne m’opposât, comme fin de non-recevoir, l’art. 23 la loi du 23 septembre 1842. Mais si je ne présente pas d’amendement, je n‘en dirai pas moins toute ma pensée sur cet article parcimonieux et sur l’application qui en a été faite.

La Belgique est divisée en 41 arrondissements administratifs, et seulement en 27 arrondissements judiciaires. En d’autres termes, quatorze arrondissements administratifs sont privés de cette justice, je dirai directe, pour laquelle pourtant ils paient comme les autres. La justice dont on charge un arrondissement voisin de leur faire l’aumône, ils ne l’obtiennent qu’au prix de déplacements incessants et d’interminables lenteurs. En ce qui concerne un de ces arrondissements, je le prouverai tout à l’heure par d’irrécusables chiffes.

La chambre, quand elle a voté l’article 33 de la loi du 23 septembre 1842, qui décide, en principe, qu’il pourra y avoir une école primaire supérieure par arrondissement judiciaire, n’avait pas entendu, sans doute, voter un supplément d’iniquité en faveur de certains arrondissements et au profit de certains autres. La chambre n’avait pas entendu, j’en suis certain, que le fait seul, pour un arrondissement, d’être privé d’un tribunal de première instance, entraînerait la privation d’une école primaire supérieure. La chambre n’a sûrement pas voulu dire : Il y a des arrondissements dont les habitants sont condamnés à faire vingt ou trente fois douze lieues pour obtenir justice ; si les habitants ont d’assez bonnes jambes pour courir après une justice qui semble fuir devant eux, leurs enfants doivent eu avoir d’aussi bonnes pour courir après l’instruction.

Ce que n’avait pas dit la chambre, le ministre de l’intérieur l’a pris pour dit. Il a laissé pauvres ceux qui étaient pauvres, pour tout donner aux riches. Si j’avais cru pouvoir proposer un amendement, j’aurais parlé au nom de tous les arrondissements aussi malheureux que le mien ; je laisserai à leurs représentants le soin de les défendre, et en quatre mots, je dirai quelle est la situation de celui qui m’a confié le mandat législatif.

Il y a des moments, messieurs, où je crois que l’arrondissement de Philippeville est arrivé trop tard dans la famille belge, et que, lorsqu’en 1815, une politique ennemie de la France a donné cet arrondissement en pâture au gouvernement des Pays -Bas, il n’y avait plus place déjà pour un nouvel enfant au foyer de la famille.

L’arrondissement de Philippeville, dont la population est de 46,875 habitants, n’a pas de tribunal de première instance. Les habitants, comme je le disais tout à l’heure, ont huit, dix et douze lieues à faire pour obtenir justice, et comme la justice d’un tribunal obéré est nécessairement lente, ils ont le trajet à faire quinze, vingt ou trente fois ; je n’accuse en rien le zèle des juge du tribunal de Dinant, mais que voulez-vous que fasse un tribunal qui, à la fin de l’année judiciaire 1842, comptait 303 causes arriérées ?

J’ai autant à dire à propos de tous les départements ministériels. J’aurai à demander humblement à M. le ministre de la guerre de nous donner une garnison à peu près suffisante pour garder la poudre qui, un jour, nous fera sauter. Ce serait trop exiger de lui sans doute, que d’espérer lui faire comprendre qu’une petite ville de guerre, étranglée dans une ceinture de pierre, n’a pas d’autres moyens d’existence que sa garnison.

Je néglige les autres départements ministériels et je reviens à mon sujet.

La loi du 23 septembre 1842 permettait à M. le ministre de l’intérieur de créer une école d’enseignement primaire supérieur par arrondissement judiciaire. Croyez-vous, messieurs, que M. le ministre se soit fait le raisonnement bien simple : « J’ai là deux arrondissements ; l’un a tout, l’autre rien. Celui qui n’a rien compte pourtant 46,875 habitants. Il y a là des enfants qui ont besoin d’instruction ; si je donnais à cet arrondissement l’école dont Dinant, avec son collège, n’a que faire ! si je lui donnais l’école primaire supérieure ! Je suis vraiment heureux d’avoir trouve cette idée-là ! Etre juste, être humain, une fois en passant, sans que cela tire à conséquence, cela doit faire du bien ; il faut que j’essaie !» Non, messieurs, M. le ministre n’a pas fait ce raisonnement, parce que Dinant a un tribunal, Dinant doit avoir l’école primaire supérieure ; Dinant a un collège, qu’importe ! Dinant aura, avec son collège, l’école primaire supérieure : abondance de bien ne nuit pas. M. le ministre m’a pourtant donné un motif ; mon respect pour une auguste personne me défend de le répéter ici à moins que je ne sois interpellé par M. le ministre lui-même.

Je voulais donc, en premier lieu, proposer un amendement qui aurait obligé le gouvernement à être juste envers les arrondissements seulement administratifs, comme envers les arrondissements judiciaires ; mais, je le répète, on aurait pu m’opposer une fin de non-recevoir. Je me borne donc à déclarer que si je n’obtiens pas l’assurance que, sur le chiffre énorme de l’art. 6, si largement livré à l’arbitraire, justice sera rendue à mon arrondissement en ce qui touche l’instruction primaire, en réservant mon vote sur le budget dans son ensemble, je voterai contre toutes les allocations demandées pour l’instruction publique, puisqu’après tout, ceux que je représente n’y ont aucune part.

Je m’attends à une réponse, et je la préviens : Votre arrondissement me dira-t-on peut-être, n’offre pas assez, nous ne pouvons nous arranger avec lui. Moi, messieurs, j’ai toujours pensé que c’est aux pauvres surtout qu’il faut donner, et qu’il faut leur donner en raison directe de leur pauvreté.

M. le ministre de l’intérieur est trop bien pénétré des saintes doctrines du christianisme pour méconnaître cette-là.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant a fait la critique de la loi. La loi ne permet d’établir qu’une école primaire supérieure par arrondissement judiciaire. A l’époque où elle a été discutée, la ville de Dinant s’était adressée au gouvernement pour obtenir une école primaire supérieure. Il en a même été question dans cette chambre, et sans vouloir dire qu’il y avait des engagements, je dois néanmoins rappeler qu’il y avait priorité de demande de la part de cette ville.

Veuillez, messieurs, vous rappeler les paroles qui ont même été prononcés par le respectable collègue que nous avions alors pour représentant de la ville de Dinant.

L’honorable membre savait donc lui-même, je lui en demande bien pardon, en droit, qu’il ne pouvait y avoir qu’une école primaire supérieure par arrondissement ; on savait en outre en fait que la ville de Dinant s’était déjà adressée au gouvernement et qu’elle avait été appuyée dans cette chambre.

Maintenant faut-il établir, par dérogation la loi, une deuxième école primaire supérieure à Philippeville ? C’est une question de fait que je veux bien examiner, et si à la suite des négociations qui sont ouvertes avec la ville de Philippeville, je reconnais qu’une deuxième école peut être établie dans l’arrondissement, voici ce que je ferai : je m’adresserai à la chambre, et au lieu de mettre à l’article du budget : « Subsides pour les 27 écoles primaires supérieures, » je mettrai : « Subsides pour les 27 écoles primaires supérieures établies en vertu de l’art. 33 de la loi organique de l’instruction primaire, et d’une 28ème école que le gouvernement est autorisé à établir à Philippeville. »

En effet, le gouvernement devra trouver dans le libellé de la loi l’autorisation qui lui manque en présence du texte de l’art. 33. J’attends que cette négociation avec la ville de Philippeville soit arrivée à son terme.

M. Delfosse. - Messieurs, si la discussion générale n’avait pas été close dans la séance de samedi, j’aurais pris la parole, non pas pour faire connaître les motifs de mon opposition à M. le ministre de l’intérieur, ils sont suffisamment connus, mais pour ne pas paraître adhérer à toutes les doctrines professées sur les bancs où j’ai l’honneur de siéger.

Je puis en ce moment, sans sortir de l’objet en discussion, produire quelques-unes des considérations que je voulais émettre.

Je suis du petit nombre de ceux qui ont voté contre la loi sur l’instruction primaire. Je ne m’en repens pas ; je m’en félicite, au contraire. Cette loi commence à porter ses fruits.

L’honorable M. Orts vient de vous le dire. Deux ecclésiastiques ont été nommés pour diriger les écoles normales de l’Etat. On a choisi, en outre, pour inspecter les écoles, des hommes qui, j’en suis sûr, ont l’agrément du clergé. On peut affirmer, d’après les choix connus, qu’il y aura entre les inspecteurs civils et les inspecteurs ecclésiastiques l’entente la plus touchante et la plus cordiale.

Aussi les évêques n’ont-ils pas hésité un instant à placer leurs écoles normales sous le régime de l’inspection de la loi. Ils savaient d’avance que cette inspection n’aurait rien de gênant pour eux.

Désormais, il n’y aura dans le pays que des instituteurs façonnés par le clergé. Le clergé aura la direction exclusive de l’enseignement primaire.

Ces choses-là étonnent l’honorable M. Orts. Elles ne m’étonnent pas messieurs, on a dû s’y attendre le jour où la loi a été votée.

Le jour où l’on a dit dans la loi que la partie religieuse, et surtout la partie morale de l’enseignement serait confiée aux soins du clergé, le jour où la loi a lié la compétence du gouvernement en matière de morale, ce jour-là les laïques ont été dépossédés, ce jour-là on a proclamé que le prêtre est seul apte à diriger l’enseignement primaire. Car, que serait l’enseignement primaire sans la religion et sans la morale ?

Cette position faite au clergé, messieurs, n’est en harmonie ni avec les mœurs, ni avec l’esprit du siècle. Il fut un temps où le clergé marchait à la tête de la civilisation, où il avait seul le dépôt des lumières ; mais ce temps est loin de nous. Les lumières sont aujourd’hui répandues dans toutes les classes de la société ; nul n’a le droit d’en revendiquer le monopole.

Le clergé, comme corps, a fait de grandes pertes depuis 1789. De là quelques regrets du passé ; de là, un peu de mauvaise humeur contre le présent ; de là, certaines prétentions auxquelles il faudrait résister.

Je respecte les droits et les intentions du clergé. Mais je dis qu’il y a en lui, comme corps, certains souvenirs, certains mécontentements, certaines exigences contre lesquelles il faudrait prémunir la jeunesse.

Eh bien, c’est le contraire qui a été fait ; par la loi sur l’instruction primaire, on a livré la jeunesse au clergé ; on a donné au clergé un moyen sûr et facile de communiquer, sans contrôle, ses idées et ses sentiments.

Ce n’est pas ainsi qu’on agit en France. En France, on soutient que l’Etat doit maintenir son action et son autorité sur l’éducation publique ; on dit hautement qu’il les maintiendra.

Je sais bien que chez nous l’enseignement est libre et qu’il ne l’est pas en France ; mais c’est justement parce que nous avons la liberté d’enseignement que le gouvernement aurait dû se réserver une action plus forte sur les écoles créées par la loi. C’est quand on est désarmé sur un point, qu’il est bon de se fortifier sur les autres.

Mais pour cela il aurait fallu du courage et M. le ministre de l’intérieur en a constamment manqué. Il a toujours faibli en présence du clergé. Il n’a pas osé maintenir, que dis-je, il n’a pas osé réclamer le droit de l’Etat.

C’est là, messieurs, un de mes principaux griefs contre le ministre de l’intérieur. Mon opposition n’est pas une opposition de personne, c’est une opposition de principes.

Je repousse M. le ministre le ministre de l’intérieur pour le motif que je viens d’indiquer ; je le repousse pour la loi sur la nomination des bourgmestres ; je le repousse pour la loi sur les fraudes électorales ; je le repousse pour la loi sur le fractionnement ; je le repousse pour la partialité avec laquelle il a exécuté ces lois ; je le repousse enfin pour tout le mal qu’il fait au pays.

Un honorable député de Mons, qui appuie les cinq sixièmes du ministère dans un but louable, j’aime à le reconnaître, a paru croire que tout serait fini par la retraite de M. le ministre de l’intérieur. C’est une illusion, messieurs, la retraite de M. le ministre de l’intérieur serait une bonne chose, une chose morale, à laquelle les deux opinions devraient travailler ; mais elle ne finirait pas tout. Rien ne sera fini tant que les principaux griefs de l’opinion libérale ne seront pas redressés. Jusque-là, et je crois ici exprimer la pensée de beaucoup de mes collègues, nous resterons dans l’opposition, non par goût, mais par devoir.

(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844) M. Verhaegen. - Messieurs, le discours de l’honorable M. Orts vient de me prouver que plusieurs des honorables membres qui siègent sur nos bancs n’ont donné un vote favorable à la loi de l’instruction primaire que parce qu’ils avaient encore quelque foi dans la loyauté et la sincérité politique du gouvernement. Moi qui, depuis très longtemps, avais formé mon opinion sur la sincérité et la loyauté du cabinet, j’ai voté contre et je m’en félicite.

Je m’attendais, je dois le dire, à la partialité qui a présidé à l’exécution de la loi. Une conviction bien profonde m’a guidé dans la discussion de l’année dernière ; les plaintes qui surgissent aujourd’hui justifient à tous égards mon opposition.

Le fait d’ailleurs avait précédé ce qu’on appelait le droit. M. le ministre de l’intérieur était resté dans l’inaction, nonobstant tous les avertissements que je m’étais permis de donner, et le clergé s’était insensiblement emparé du terrain. C’est M. le ministre de l’intérieur, lui-même, qui vient de faire revivre mes anciens griefs en répondant à une objection de l’honorable M. Orts : « Il y avait sept écoles normales créées par l’épiscopat, vous a-t-il dit. C’était un fait accompli dont j’ai dû subir les conséquences. »

Oui le clergé avait fondé sept écoles normales, en partie avec les fonds de l’Etat, le ministère les a vu créer, puis il les adoptées et subsidiées et comme si ce n’était pas encore assez, il vient de conférer la direction des deux seules écoles normales du gouvernement à des ecclésiastiques, de sorte que le clergé est en possession du monopole, dans toute la force du terme !!

Plus d’une fois, messieurs, à cette tribune, je vous ai fait remarquer que le gouvernement qui avait tout à faire pour l’instruction primaire, abandonnait le terrain au clergé ; plus d’une fois je lui ai dit que s’il ne se pressait pas, il arriverait trop tard, et aujourd’hui il confesse qu’il n’est plus temps ! !

Si le gouvernement, lorsque je l’ai sommé de le faire avait établi immédiatement ses écoles normales ; s’il les avait établies sur des fondements solides, il aurait pu soutenir la concurrence contre le clergé, et son devoir l’y obligeait, car la constitution veut une instruction aux frais de l’Etat, et par suite dirigée par l’Etat Nos avertissements ont été dédaignés, nos paroles ont été traitées d’exagérées, il fallait avoir foi dans la prudence et la loyauté du gouvernement, et c’est aujourd’hui le gouvernement qui ose venir nous dire que c’est un fait accompli ! ! Mais si c’est un fait accompli, à qui donc la faute ? au gouvernement seul qui l’a laissé s’accomplir ! ! au gouvernement qui n’a pas voulu nous écouter et qui se permettait de nous accuser d’exagération ! !

L’inaction du gouvernement en ce qui concerne l’instruction primaire lui était imposée par ceux dont il gère les affaires, défense lui était faite de laisser discuter la loi, avant qu’il n’y eût un fait accompli, son existence ne lui était assurée qu’à ce prix. L’honorable M. Nothomb, qui ne cesse de se dire homme d’affaires, a fort bien compris sa position, il a géré, très bien géré les affaires de certain parti, toujours il a négligé les nôtres, les nôtres qui sont celles du pays tout entier ! !

Toutes les places étant prises et le gouvernement ne s’en étant réservé aucune, il fallait sanctionner le fait par le droit. La loi que M. le ministre est parvenu à faire voter par la chambre n’a d’autre couleur que celle du fait accompli, et dès lors personne ne pouvait se tromper sur l’exécution qui y serait donnée. Qu’il me soit permis de le répéter : ce qui vous a été signalé comme un abus grave au sujet des écoles normales et de l’inspection civile, je l’avais prévu lors de la discussion de la loi ; toutes les écoles normales, sans en excepter une seule, comme j’avais l’honneur de vous le dire tantôt, sont au pouvoir du clergé, et quant à l’inspection civile, telle qu’elle a été organisée par M. le ministre de l’intérieur, elle n’est qu’une mystification ajoutée à toutes les autres : la partialité qui a préside aux nominations des inspecteurs civils prouve que le ministère, comme toujours, s’est mis à genoux devant l’épiscopat. Dans la plupart des localités, si toutefois on en excepte quelques grandes villes, les inspecteurs civils ont été choisis dans la classe des hommes les plus rétrogrades et les moins aptes à remplir ces fonctions ; je ne crains point de le dire tout haut, les inspecteurs civils nommés par le gouvernement m’inspirent, en général, beaucoup moins de confiance que les inspecteurs ecclésiastiques. Voila cependant où nous en sommes réduits !

La liberté d’enseignement proclamée par la constitution, a été changée en monopole au profit du clergé. Le fait a précédé le droit et ce fait était dû à l’inaction du gouvernement. Maintenant je crains bien qu’on suive la même tactique, pour une autre liberté qui nous est tout aussi chère, j’entends parler de la liberté de la presse !

Déjà depuis quelque temps on s’occupe en fait à détruire peu à peu la liberté de la presse ; encore une fois le gouvernement reste inactif, et quand on pourra invoquer le fait accompli, on vous proposera de le sanctionner par le droit, on vous présentera un projet de loi sur la presse comme corollaire de la loi de l’instruction primaire. Ne veut-on pas tous les jours que les journaux libéraux, quelque modérés, quelque impartiaux qu’ils soient, sont mis à l’index, et que ceux qui les lisent sont menacés des foudres de l’Eglise.

M. le président. - Vous rentrez dans la discussion générale.

M. Verhaegen. - Je veux dire à M. le ministre de l’intérieur pourquoi je voterai contre son budget.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela ne m’étonne pas le moins du monde.

M. le président. - Vous pouviez dire cela dans la discussion générale : je suis obligé maintenant de vous inviter à vous renfermer dans l’article en discussion.

M. Verhaegen. - Nous sommes arrivés au chapitre de l’instruction primaire, et j’ai le droit d’examiner tout ce qui s’y rattache, on plutôt ce que certain parti veut y rattacher ; n’a-t-on pas vu naguère, dans une commune rurale, un inspecteur civil accompagné d’un inspecteur ecclésiastique, se permettre une violation de domicile à l’égard d’un instituteur, faire des recherches multipliées pour découvrir quelques numéros de l’Observateur et de l’Echo de Bruxelles ? N’est-ce pas la une grave atteinte à la liberté de la presse ?

Dans l’instruction primaire on voulait des garanties pour la religion et la morale, on a demandé et on a obtenu la censure pour les livres dont il serait fait emploi dans les écoles ; comme conséquence de ce principe et dans l’intérêt de la religion et de la morale, on finira par demander une censure pour la presse ; déjà cette censure existe en fait, et la lettre pastorale des évêques sur les mauvais livres et les mauvaises publications en a été le signal. Partout le clergé est à l’œuvre, le ministère laisse faire et plus tard il se joindra à l’épiscopat !!

Messieurs, les craintes que j’énonce en ce moment, ou plutôt les prévisions que je me permets de vous communiquer sont les mêmes que celles dont je vous parlais naguère au sujet de l’enseignement primaire ; ces craintes, ces prévisions m’ont valu des reproches d’exagération, et aujourd’hui les événements les justifient et ces événements sont devenus des faits accomplis, pour me servir de l’expression de M. Nothomb.

Plusieurs faits se sont accomplis, sous le ministère de M. Nothomb, parce que l’intérêt du parti qui le soutient le voulait ainsi ; la qualification d’homme d’affaires qu’il s’est donnée chaque fois que l’occasion s’en est présentée lui convient à plus d’un titre.

Oui, M. Nothomb est un véritable homme d’affaires, il a bien soigné les intérêts de ses mandants en nous enlevant nos franchises communales, en faisant adopter la loi de l’instruction primaire, la loi apportant des modifications au système électoral, en un mot toutes les lois réactionnaires qui nous pèsent si cruellement. Qu’a-t-il fait pour notre opinion et pour le pays ? Absolument rien ; car, il faut bien le dire, si d’autres lois importantes ont été votées sous son ministère, telles que la loi des indemnités, la loi en faveur de la ville de Bruxelles, le traité final avec la Hollande, c’est que le moment de faire passer ces lois était arrivé, c’est, pour me servir d’une expression triviale, que la poire était mûre. Tout autre ministre aurait obtenu le même résultat. La majorité de M. Nothomb ne lui est pas assez dévouée pour qu’elle cède à son influence, disons-le sans détour, ce n’est pas la majorité qui suit l’impulsion de M. Nothomb, c’est M. Nothomb qui suit l’impulsion de la majorité, qui est aux ordres de la majorité.

Messieurs, la position de M. le ministre de l’intérieur est désormais nettement dessinée. Il s’appuie dans cette chambre sur une majorité factice, je dis factice, parce que cette majorité n’a pour lui aucune sympathie et qu’elle ne lui donnera son concours qu’aussi longtemps qu’il gérera ses affaires, mais M. Nothomb est loin de pouvoir s’appuyer sur une majorité dans le pays. (Bruit.) Messieurs, les murmures qui accueillent mes dernières paroles m’autorisent de les expliquer par quelques faits qui sont devenus historiques : Le ministère Villèle a été aussi un ministère d’affaires, il avait une majorité dans la chambre, parce qu’il faisait les affaires de cette majorité, mais il n’avait pas les sympathies de la France. C’est en faisant beaucoup d’affaires que le ministère Villèle a préparé l’avènement du ministère Polignac, car le ministère Martignac n’a été qu’un ministère de transition.

M. le président. - Revenons-en à la discussion de l’article qui est en ce moment soumis à la chambre, vous êtes tout à fait dans la discussion générale.

M. Verhaegen. - C’est l’interruption qui a été cause de cette digression. J’en remercie du reste les interrupteurs.

Je n’ai plus qu’un seul mot à dire. Sous le gouvernement des Pays-Bas nous avions aussi au banc ministériel un homme à grands expédients , et qui avait le talent de caresser sans cesse la majorité qui le soutenait au pouvoir ; cette majorité se composait de presque tous les députes des provinces septentrionales dont il soignait les intérêts aux dépens des provinces méridionales et de quelques députés de ces dernières provinces qui donnaient son appoint. Ce ministre, tout impopulaire qu’il était dans le pays, a résisté à de nombreuses attaques en invoquant l’appui d’une majorité dans la chambre ; le roi Guillaume lui-même, aux demandes incessantes de renvoi que légitimait une impopularité toujours croissante ne répondait que par ces mots : « Pourquoi renverrais-je un ministre qui peut compter sur une majorité dans le parlement ? »

Si le roi Guillaume s’était rendu au vœu si généralement exprimé par les provinces méridionales, il aurait évité, ou au moins retardé la catastrophe. Vous connaissez les suites de son obstination !

Lorsqu’il n’y eût plus d’affaires à gérer dans l’intérêt des provinces septentrionales, lorsque la révolution eût mis feu à un conflit entre ces provinces et les provinces méridionales, la majorité d’autrefois fit défaut au ministre du roi Guillaume. L’impopularité qui l’avait poursuivi en Belgique, le poursuivit aussi en Hollande. Il tomba abandonné de tous ceux qui naguère encore se disaient ses amis. Que M. Nothomb y réfléchisse bien. Lorsqu’il ne restera plus rien a faire dans l’intérêt de l’opinion qui le soutient aujourd’hui, sa chute sera devenue inévitable et sa carrière politique définitivement close.

(Moniteur belge n°, du janvier 1844) M. Orts. - Il m’est impossible, messieurs, de laisser passer sans réponse le discours de M. le ministre de l’intérieur. Il lui a plu de mettre dans ma bouche deux propositions auxquelles je n’ai même pas pensé. M. le ministre de l’intérieur m’a toujours représenté comme lui ayant reproché de ne pas avoir organisé les écoles primaires supérieures. Mais je n’en ai pas dit un mot. Quant aux huit écoles modèles qui existaient, il n’avait rien à y organiser, la loi les organisait pour lui. Voici, en effet, ce que porte l’art. 33 :

« Les écoles modèles du gouvernement, actuellement existantes, sont maintenues et prendront le titre d’écoles primaires supérieures. »

Vous n’aviez donc rien à faire sous ce rapport.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il fallait les réorganiser.

M. Orts. - Il n’y avait rien à réorganiser, il n’y avait qu’un simple arrêté à prendre pour changer le nom de ces établissements, et du jour au lendemain, les professeurs et employés des écoles modèles se sont trouvés transformés en professeurs et employés des écoles primaires supérieures.

Je ne vous ai pas reproché non plus de ne pas avoir organisé dans un assez bref délai les écoles normales ; je vous ai reproché de ne pas avoir organisé assez à temps les cours normaux qui devaient être attachés aux écoles primaires supérieures ; c’est à l’organisation de ces cours que vous n’avez pas donné l’impulsion active que vous deviez y donner.

C’est ainsi que vous avez supposé que je vous aurais reproché d’avoir laissé prendre le pas aux écoles normales épiscopales sur les deux écoles normales de l’Etat. Je n’en ai pas dit un mot. J’aurais commis une véritable erreur de date. Je vous ai même indiqué la date des deux arrêtés. Je vous ai dit que vous avez posé la première pierre d’organisation des deux écoles normales de l’Etat par l’arrêté du 11 novembre 1843, et j’ai ajouté que vous aviez adopté, peu de jours après, les sept écoles normales cléricales ; et je m’empresse de le dire, vous étiez dans votre droit en les adoptant ; à Dieu ne plaise que je vous conteste le droit que vous confère la loi. Mais vous n’avez pas apporté les mêmes soins, la même promptitude à l’organisation des cours normaux près des écoles primaires supérieures, ces cours sont cependant, en fait d’instruction normale, ce qu’il y avait de plus urgent à organiser.

Vous êtes venu nous rendre compte d’une correspondance que vous avez échangée avec le gouverneur du Brabant, qui est votre agent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et avec la commission administrative.

M. Orts. - Cette correspondance est du mois de mars 1843, tandis que la loi organique est du 23 septembre 1842. Vous avez représenté au gouvernement du Brabant qu’il fallait songer à organiser les cours normaux à attacher à l’école normale supérieure de Bruxelles. Ces cours ne sont pas encore en activité. A qui la faute ? Pourquoi avons-nous des inspecteurs provinciaux et des inspecteurs cantonaux ? C’est pour tenir la main à l’exécution prompte des dispositions de la loi.

Et à cette occasion je pourrais dire qu’il y a des inspecteurs provinciaux qui gardent pendant un mois en portefeuille le rapport à faire sur la proposition d’adoption d’écoles primaires. Ce fait existe, et pourquoi ? Parce que peut-être il convient de tergiverser dans cette circonstance.

Quoi qu’il en soit, l’inspectorat n’a pas été créé pour constituer une sinécure. C’était aux inspecteurs du Brabant à tenir la main à ce que le cours normal près de l’école primaire supérieure de Bruxelles fût promptement ouvert.

En ce qui concerne l’art. 10 de la loi, on a prétendu que j’avais commis une erreur de droit ; que c’est à partir du jour où le régime d’inspection est créé que commence à courir le délai dont il est question dans cet article.

Mais, messieurs, l’art. 10 de la loi est précis, il nous apprend qu’un élève instituteur, avant de pouvoir être appelé aux fonctions d’instituteur communal, doit avoir, pendant deux ans, fréquenté les cours, soit d’une des écoles normales du gouvernement, soit de la section normale établie près d’une école primaire supérieure, soit enfin les cours d’une école normale privée. Il suffit de lire l’art. 10 de la loi, pour être convaincu que tel est le sens de cet article.

Or, comment voulez-vous qu’une école primaire supérieure, où les cours normaux ne sont pas organisés en 1844, puisse envoyer ses élèves en 1846 pour être nommés instituteurs dans des écoles communales. Je disais donc à M. le ministre de l’intérieur que s’il négligeait d’organiser en 1844 les cours normaux, les élèves qui auront suivi ces cours, ne pourraient pas lutter avec les élèves sortants soit des écoles normales de l’Etat, soit des écoles normales privées, adoptées par le gouvernement. Voilà quelle était ma réclamation.

Je sais bien que, pour être admises à jouir du bénéfice de l’art. 10 de la loi, les écoles normales privées doivent avoir accepté depuis deux ans le régime d’inspection. Mais je ne parle pas des écoles du clergé, je parle des cours normaux annexés aux écoles primaires supérieures.

Quoi qu’il en soit, le temps est venu d’organiser ces cours.

Maintenant qu’a-t-on répondu à cette observation sur laquelle j’insiste, à savoir que le sort des écoles primaires dépend d’un bon règlement, d’un règlement qui soit précis et, autant que possible, uniforme sur les points importants que renferme l’art.15, tels que le système des récompenses et des punitions, le mode de travail, etc.

Rien n’est fait, et pourquoi ? Parce que les inspecteurs provinciaux nommés depuis plus d’un an ne proposent pas de règlement ; ils placent les communes dans une position qui est celle de la force d’inertie ; elles ne peuvent pas adopter un règlement, parce qu’on ne leur propose rien. Dans son arrêté organique, le gouvernement dit, que pour les élèves à recevoir dans le cours de l’année, il faut recourir au règlement dont il s’agit à l’art. 15 de la loi, on cherche ce règlement, et on ne le trouve pas, parce que l’inspecteur chargé de le proposer au conseil communal n’en a rien fait.

Il y a là, je le répète, une véritable incurie ; j’en accuse M. le ministre de l’intérieur, parce que, dans une précédente séance, il s’est élevé avec force contre les suppositions, qu’il fallait s’en prendre à un autre qu’à lui-même ; ainsi mon observation subsiste. Si cela dure il y aura anarchie ; voilà, me paraît-il un grief sérieux.

Quant à ce que j’ai dit relativement à la nomination des directeurs des deux écoles normales du gouvernement, je supplie la chambre de croire qu’il n’y a de ma part aucune insinuation personnelle contre les honorables ecclésiastiques placés à la tête de ces établissements, J’ai dit qu’il était inconcevable que tandis qu’il n’existait pas d’écoles normales privées autres que celles du clergé, adoptées par le gouvernement, vous eussiez confiée la place de directeur dans les deux écoles normales de l’Etat à des ecclésiastiques dont je respecte le caractère ; mais il me paraît que l’ordre civil pouvait bien avoir une part dans ces faveurs, et comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur lui-même, il existe parmi les instituteurs de l’ordre civil des hommes dignes d’occuper ces fonctions. Messieurs, vous le savez comme moi, les instituteurs recommandables sous tous les rapports, appartenant à l’ordre civil, sont dans une position qui mérite toute la sympathie du gouvernement. Il y en a une foule qui, ayant vu décliner, par suite d’une concurrence que nous connaissons tous, les établissements qu’ils dirigeaient, sollicitent aujourd’hui jusqu’à des places de simples moniteurs dans les écoles primaires. J’ai dit sur ce point toute ma pensée.

M. le ministre de l’intérieur, pour rester fidèle à son programme de conciliation lors de la discussion de la loi du 23 septembre 1842, aurait dû apporter dans la nomination des fonctionnaires, et spécialement des directeurs des deux écoles normales de l’Etat, plus de justice distributive et surtout plus d’impartialité.

Je crois, au moyen de ces observations, avoir établi que M. le ministre de l’intérieur s’est placé dans une position très commode, en m’attribuant des objections que je n’avais pas faites, et en se dispensant assez adroitement de répondre à mes véritables objections.

- La clôture est demandée de toutes parts.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pourrais répondre aux deux avant-derniers orateurs, et même à certains égards à l’honorable préopinant, qu’en rentrant dans la discussion générale ; je crois dès lors devoir renoncer à la parole.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L’art. 6, instruction primaire, 681,000 fr. est mis aux voix et adopté.

Ecole vétérinaire
Article transféré

M. le président. - C’est ici que vient se placer l’article du budget relatif à l’école vétérinaire, et qui a été tenu en suspens.

(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844) M. Rogier. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans la discussion générale. Je n’ai pas pris part à la discussion du chapitre de l’instruction publique, parce que j’avais déjà eu occasion de faire connaître mon opinion sur la politique de M. le ministre de l’intérieur et du cabinet. Les observations que j’ai à présenter en ce moment sont purement administratives ; je pense que, quels que soient les hommes qui siègent au banc des ministres, l’opposition ne doit pas toujours se borner à un rôle purement critique ; elle doit aussi pousser aux améliorations et chercher, autant que possible, à les faire accepter par le ministère, alors même que ce ministère n’aurait pas ses sympathies politiques.

Les détails consignés dans le rapport de la section centrale sur l’école vétérinaire de l’Etat m’ont suggéré quelques réflexions que je demande à vous soumettre. Il résulte de ce rapport que le nombre des élèves a décru sensiblement d’année en année. En 1831, il était de 134, en 1838, il était de 130, en 1840, de 90, en 1842, de 66 et en 1843, 1844, il est de 46 élèves.

Pour ces 46 élèves on nous demande une somme de 150 mille fr. ; chacun de ces élèves, pour devenir vétérinaire, a quatre années d’études à faire. C’est donc une somme de 60 mille fr. qui sera dépensée pour former une cinquantaine de vétérinaires, ou 12,000 fr. par élève. C’est très cher en supposant que tous les élèves deviennent vétérinaires.

Ce n’est pas que je veuille critiquer en principe l’établissement et l’administration de notre école vétérinaire. Je crois qu’elle a déjà fait beaucoup de bien au pays et quelle peut encore en faire beaucoup. Le pays manquait de vétérinaires, l’école en a produit et doit encore en produire. Quant au nombre décroissant des élèves, il est expliqué par les conditions plus sévères qui ont été imposées à leur admission. Beaucoup d’élèves dans le principe étaient admis avec trop de facilité.

Je ne puis pas blâmer ce qui a été fait. Je pense que c’est sous l’administration de M. Liedts que des examens plus sévères ont été exigés. Mais je demande si un établissement qui coûte 600,000 frs. pour former 50 vétérinaires, si un pareil établissement remplit complètement son but, s’il ne pourrait pas recevoir plus d’extension et rendre plus de services. Je demande, en un mot, si l’école vétérinaire doit continuer à produire seulement des médecins vétérinaires, si l’enseignement ne pourrait pas y devenir un enseignement agricole, si de la même manière que nos quatre universités produisent des centaines de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, d’autres établissements ne pourraient pas produire des agriculteurs, des ingénieurs agricoles. Que l’on compare le nombre des élèves qui fréquentent l’école vétérinaire et ceux qui fréquentent les quatre universités. Chaque année nos universités jettent dans le pays 400 jeunes gens titres ou non titrés, brevetés ou non brevetés avocats, médecins, ingénieurs ; ceux qui obtiennent des diplômes poursuivent bien ou mal leur carrière ; ceux qui n’en obtiennent pas deviennent très souvent, il faut l’avouer, un embarras pour leur famille ou pour la société.

Je ne viens pas me poser ici en ultraconservateur, je ne veux point parquer les paysans dans les campagnes, attacher invinciblement chaque individu au sol. Mais je dis que c’est un mal d’entraîner trop de jeunes gens hors de la carrière paternelle. Nos institutions laissent un libre développement à tous les essors, à toutes les aptitudes extraordinaires : je ne crois pas que ces facultés restent ignorées et stériles au fond des campagnes ; s’il se présente des facultés hors ligne elles sauront se faire jour et prendre leur place, grâce à nos belles, à nos bonnes institutions.

Je le répète, tandis que nos 4 universités produisent chaque année 4 à 500 élèves qui obtiennent des diplômes ou, ce qui est pis, qui n’en obtiennent pas, tandis que les universités font une si large part à l’enseignement de la médecine, du droit, et du génie civil, notre établissement agricole ne fournit qu’un nombre insignifiant, je ne dirai pas d’ingénieurs agricoles, je ne dirai pas d’agriculteurs, mais de simples médecins pour les animaux.

La Belgique a été autrefois renommée pour son agriculture, je prends le mot dans son acception la plus large. Elle a occupé par son industrie, aussi bien que par son agriculture, la première place en Europe. Mais a-t-elle conservé son rang ? N’a-t-elle pas été devancée par l’Angleterre. Ne l’a-t-elle pas été par plusieurs contrées de l’Allemagne ? En Allemagne, le gouvernement et les particuliers ont fait des efforts incessants en faveur de l’agriculture. Une multitude d’établissements ont été créés pour encourager le goût des études et des occupations agricoles. Sous ce point de vue on peut dire qu’il y a beaucoup à faire en Belgique.

Il y a malheureusement, messieurs, non pas seulement dans les villes, mais même dans les campagnes, une sorte de dédain pour l’agriculture. Nos campagnards croient avoir atteint un grand but quand ils ont poussé leur fils dans la carrière du barreau, du notariat ou de la médecine. Qu’arrive-t-il ? Une place de notaire vient à être vacante, 20 ou 30 candidats se présentent appuyés par toute espèce de moyen. De là ces abus qu’on signale si souvent, les incessantes pétitions dont les ministres sont accablés et la faiblesse avec laquelle on cède souvent à certaines obsessions.

L’enseignement agricole devrait amener à lui beaucoup de ces activités qui aujourd’hui s’égarent dans des établissements qui ne leur sont pas destinés. Ce n’est pas 50 élèves vétérinaires que je voudrais voir à l’établissement de Bruxelles, mais 3 ou 400 élèves agronomes. Je voudrais que ces jeunes gens allassent ensuite se disperser dans les campagnes, répandre les nouveaux procèdes de culture, d’engrais, de fabrication, de mécanique et qu’ils le fissent non pas superficiellement et comme à l’aventure, mais avec toute la maturité, toute l’autorité que doit donner une science bien acquise.

On a cité les projets de colonies commerciales comme bons à occuper l’activité de nos populations. Je ne suis pas contraire au système des colonies extérieures ; loin de là, je souhaiterais voir le gouvernement s’engager plus hardiment dans cette voie, et encourager sagement mais efficacement ces établissements extérieurs. Mais nous avons des colonies intérieures beaucoup plus importantes à favoriser. Savez-vous qu’en Belgique il reste encore 386 mille hectares de terre incultes, l’étendue de toute une province, de la province de Brabant ! N’est-ce pas là une carrière immense ouverte à l’activité des Belges ? Nous sommes témoins en ce moment du zèle et de l’activité avec lesquels on se précipite vers les colonies transatlantiques. Ne pourrait-on pas déployer la même hardiesse, le même zèle pour entreprendre la colonisation de notre propre sol ? Il y a des provinces tout entières à conquérir dans notre propre royaume.

Nos fils de fermier n’ont pas encore d’enseignement qui leur convienne. J’irai plus loin, les fils des propriétaires que deviennent-ils, que font-ils ? Ils ont abandonné la carrière des armes qui était autrefois l’apanage des fils de famille. Aujourd’hui ils dédaignent cette carrière. Est-ce parce que le privilège est disparu ? Je n’en sais rien. Mais c’est là un fait ; et je n’hésite pas à le dire, il est regrettable de voir un si grand nombre de fils de famille préférer l’oisiveté à la noble carrière des armes. Le clergé qui autrefois comptait tant de noms et de positions respectables où se recrute-t-il aujourd’hui ? Généralement dans les classes les moins éclairées de la population. Les fils de famille dédaignent la carrière ecclésiastique qui a été si glorieusement parcourue par de si beaux noms. De là encore une des causes de l’affaiblissement de l’influence du clergé. Eh bien n’ai-je-pas raison de le dire, le rôle des fils de famille en Belgique où, pour exercer de l’influence, pour avoir de l’importance, pour être quelque chose, il faut faire quelque chose, ce rôle est nul ou presque entièrement effacé.

Ne serait-il pas désirable de voir beaucoup de ces jeunes gens fréquenter une université agricole, se former là à l’étude des connaissances agronomiques, et rapporter ensuite dans leurs propriétés de bons préceptes, de bons exemples, une utile et féconde activité.

L’agriculture n’est pas une carrière à dédaigner. C’est la première industrie ; c’est l’industrie mère, l’industrie nourricière de toutes les autres, la mamelle de l’Etat, pour me servir de l’expression connue de Sully, Sully l’honnête, le loyal, le grand ministre. Envisagée à ce point de vue, l’agriculture n’offre-t-elle pas une carrière des plus honorables, une carrière des plus attrayantes pour toutes les positions, pour toutes les fortunes ?

J’engage donc M. le ministre de l’intérieur, lorsqu’il nous présentera la loi, annoncée dans le rapport de la section centrale, sur l’école vétérinaire, à s’occuper des moyens de donner une grande extension à l’enseignement agricole. Il ne suffit pas, je le répète, de faire des artistes vétérinaires. On en a déjà fait, on en fera encore. Mais ce qu’il faut au pays, ce sont des agriculteurs instruits. A côté de ces études agricoles, qui continueront dans l’établissement de la capitale, puisqu’il y a là un commencement d’organisation, il faut dans les diverses provinces des fermes-modèles, appropriées aux circonstances diverses de la configuration et de la nature du sol. L’enseignement agricole est impuissant, s’il ne marche accompagné de l’application. Avant de propager des procédés nouveaux, il faut s’assurer de leur bonté, de leur efficacité, et c’est dans les fermes-modèles que doivent s’effectuer ces essais.

De tels établissements existent dans d’autres pays : on en a obtenu les meilleurs résultats. Pourquoi n’en obtiendrait-on pas les mêmes avantages s’ils existaient chez nous ?

Beaucoup d’établissements agricoles ont été fondés dans diverses contrées de l’Allemagne. Des expositions de produits agricoles ont lieu. Des fêtes agricoles sont données aux habitants des campagnes. Ici, dans ce pays essentiellement agricole, il n’est presque jamais question des habitants des campagnes. On a été jusqu’à leur reprocher et vouloir leur interdire les fêtes du chemin de fer.

Le chemin de fer est fait pour l’habitant des campagnes tout autant que pour celui des villes.

Je ne désire pas que les campagnards se déplacent pour venir s’établir dans les villes ; mais je veux entre les villes et les campagnes des relations d’utilité réciproque que le chemin de fer doit avoir pour but d’établir, de favoriser et d’entretenir.

J’ai vu sourire à l’expression d’ingénieurs agricoles ; je crois l’expression juste. Les ingénieurs des ponts et chaussées, les ingénieurs des mines formeraient, avec les ingénieurs agricoles, trois catégories de fonctionnaires, ayant chacun des attributions très distinctes et bien déterminés Si j’avais dit que les ingénieurs du tabac l’expression aurait paru encore plus hasardée. Eh bien, les manufactures de tabac, en France, par qui sont-elles dirigées ? Par des ingénieurs sortis de l’école polytechnique. Pourquoi beaucoup de nos établissements agricoles, au lieu d’être abandonnés à la routine, à l’ignorance, ne seraient-ils pas dirigés par des ingénieurs sortis de nos grands établissements agricoles ?

Voilà les observations que j’avais à faire. J’espère que M. le ministre de l’intérieur voudra bien les prendre pour ce quelles peuvent valoir. Je les abandonne à son appréciation.

(Moniteur belge n°, du janvier 1844) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me bornerai à répondre à l’honorable préopinant, que ces considérations ont beaucoup de valeur à mes yeux. Je lui sais gré de les avoir présentées, malgré l’inattention de la chambre.

Je crois que si l’école dont il s’agit, et qui a une existence provisoire, est définitivement maintenue, il faut qu’elle ait un double but, comme les grands établissements de ce genre en Suisse et en Allemagne. (Approbation).

M. David. - Il me semble que la chambre est fatiguée ; je lui proposerais d’autoriser l’insertion de mon discours au Moniteur.

- Cette proposition est adoptée.

(Moniteur belge n°28, du 28 janvier 1844, reprenant le discours dont il est fait mention ci-dessus :) M. David. - Certes, messieurs, il faut reconnaître qu’au point de vue élevé où s’est placé l’honorable M. Rogier, pour traiter la question de l’école vétérinaire de l’Etat, il court peu de chance de se voir dépasser par moi. Je vais néanmoins hasarder la critique de ce qui se fait maintenant à cette école. Si l’on passait légèrement sur les observations judicieuses de mon honorable collègue, dont les conseils ne tendent qu’à faire tirer parti d’un établissement qui pourrait devenir si utile, on consacrerait la dilapidation à pure perte, tandis qu’avec les éléments que le gouvernement possède, il peut déverser beaucoup de bien sur le pays ! Le système de M. Rogier a donc mon approbation, et je trouve qu’à côté des développements qu’il vient de nous donner, on peut encore dire un mot d’une autre plaie que l’école vétérinaire était appelée à guérir, et qui, faute d’une loi spéciale, subsiste malheureusement en plein : je vais parler de l’empirisme vétérinaire.

N’est-il pas déplorable de voir accorder annuellement une aussi énorme somme pour l’entretien de l’école vétérinaire ; alors qu’à côté d’elle, on laisse subsister l’empirisme, ce fléau de notre agriculture et de notre économie rurale ? Agir avec si peu de prévoyance, n’est-ce pas détruire d’une main ce que l’on a édifié de l’autre ? Et pourquoi forcer les élèves de l’école vétérinaire à faire pendant 4 à 5 années successives d’aussi sérieuses études pour l’obtention d’un diplôme sans, au préalable, leur avoir assuré les moyens de pratiquer leur art avec quelque succès ? Pourquoi ne pas donner, à notre époque, une loi répressive sur l’exercice illégal de la médecine vétérinaire, alors qu’il en existe pour la médecine humaine plus importante sans doute, mais aussi plus difficile à combiner ?

Je sais très bien, et je m’attends à ce que M. le ministre me réponde qu’il a tout préparé, qu’il s’occupe activement de la chose, mais une fois le chiffre voté, tout est relégué dans les cartons pour ne raverdir que l’année suivante, à pareille époque, ou pareille occasion. C’est-à-dire, quelques jours avant la discussion du budget. Voilà 4 ou 5 ans que les vétérinaires sont bernés de la sorte ; ils ne sont du reste pas mieux traités que les pauvres pharmaciens des campagnes, en faveur desquels j’ai si souvent élevé la voix dans cette enceinte, et qui languissent dans l’attente d’une autre loi que l’Académie de médecine élabore avec une si désespérante lenteur.

Et puis, fût-on même de bonne foi ; accordât-on une loi répressive, on n’en est pas au bout ; reste alors à organiser le service vétérinaire civil et le mettre en rapport avec les exigences du pays, cela se pratique partout ailleurs. Ici au contraire on continue à créer tous les ans bon nombre de vétérinaires alors que le pays en est surabondamment pourvu.

Là ne s’arrête pas ma critique : Je dirai que l’école vétérinaire est montée sur un pied par trop coûteux. Pourquoi ce luxe de professeurs ? professeurs ordinaires, extraordinaires, directeur, et aumônier ? A quoi bon, par exemple, ces professeurs extraordinaires ? A quoi bon, ce directeur qui n’est pas professeur, qui n’enseigne rien et ne me paraît servir à rien ? S il faut un directeur, qu’il soit au moins professeur, qu’il donne des leçons, autrement le titulaire actuel n’est qu’une dispendieuse superfétation.

L’aumônier qu’a-t-il à faire dans une école vétérinaire ? autrefois il n’en était pas question et les élèves n’étaient ni plus ni moins religieux. On les conduisait à la messe le dimanche à la chapelle publique de la paroisse, qui est ouverte à tout le monde. Pourquoi a-t-on reformé ce mode à la fois orthodoxe et économique ?

Vous parlerai-je du professeur de grammaire française, d’arithmétique et de géographie, toutes branches élémentaires que l’on enseigne dans les écoles primaires ? Eh bien, des professeurs semblables se trouvent attachés à cette coûteuse école.

Le chiffre énorme de fr. 153,500 que cet établissement coûte annuellement au pays provoque encore une autre observation. C’est que les trois écoles vétérinaires de France, Alfort, Lyon et Toulouse, ne coûtent à une nation de 35 à 36 millions d’âmes que la somme de 492,200 fr., soit 820 fr. par élève par an. Comparez, je vous prie, et rappelez-vous le chiffre que vous annonce à l’instant l’honorable M. Rogier et qui veut de me surprendre par sa réduction. Nous avons tout au plus actuellement, a-t-il dit, 40 élèves à l’école vétérinaire ! Eh bien, messieurs, ces 40 élèves, en admettant que la décroissance du chiffre s’arrête, ces 40 élèves auront coûté à l’Etat, chacun, l’énorme somme de 3,830 fr. Or, il faut, pour l’éducation d’un vétérinaire, 4 ou 5 années. Mais, où allons-nous, grand Dieu, si, au lieu de faire des économies, nous portons la prodigalité jusqu’à payer l’éducation de vétérinaires qui ne sont admis qu’en très petit nombre, à fonctionner, la somme effrayante de 15 à 18 mille francs !

De plus, pourquoi continuer à allouer des bourses, des subsides, à affranchir même du service militaire les jeunes gens qui sont élèves à l’école vétérinaire ? C’était peut-être bien dans le principe de la création de l’école, lorsqu’il y avait pénurie de vétérinaires dans le pays mais aujourd’hui qu’ils y fourmillent, que les trois quarts d’entre eux vivotent, trament une pauvre existence, sont honteux de leur position, regrettent amèrement et leurs peines et leurs études dans cette triste carrière, pourquoi, dis-je, continuer à faire de nouvelles dupes, en les amorçant par des avantages ruineux pour l’Etat et perfides pour eux-mêmes ? Il faut donc supprimer ces bourses ou subsides tout d’abord et n’admettre dorénavant à l’école que le jeune homme d’une position assez aisée pour qu’il puisse y faire ses études à ses propres frais, et une fois diplômé, attendre avec tranquillité sa clientèle à l’abri de grandes et pénibles privations.

En parlant ainsi, c’est dans l’hypothèse qu’il faille continuer l’école vétérinaire à Bruxelles ; car je pense, et un grand nombre de bons esprits sont d’accord sur ce point, qu’il serait beaucoup plus rationnel, bien plus économique surtout, si l’on rattachait cette école vétérinaire à l’une ou l’autre de nos universités de l’Etat. Tous les professeurs qui y enseignent peuvent donner à peu de chose près des cours de médecine vétérinaire, et cet enseignement ne perdrait certes rien au change. Du reste, l’année dernière, dans cette enceinte, cette même question fut soulevée mais trop peu soutenue par son auteur, elle fut abandonnée comme tant d’autres qui fourniraient matière à de sages et réelles économies.

Messieurs, il est une chose que je désirerais savoir par l’organe de M. le ministre de l’intérieur lui-même. C’est celle-ci : l’école vétérinaire mérite-t-elle la double qualification d’école vétérinaire et d’agriculture de l’Etat ? Le titre est pompeux, messieurs, et on s’y laisserait facilement prendre en voyant les efforts que fait le pays en faveur de son agriculture. Mais des personnes bien informées m’ont assuré que ce titre n’était qu’un leurre, que jamais on n’y a sérieusement professé l’agronomie, qu’elle ne compte qu’un seul professeur allemand dans tout le corps professoral de l’école d’agriculture. Vous avouerez qu’un seul professeur ne pourrait, en quelque, sorte, qu’effleurer la généralité de cette vaste science. Quel avenir peut donc s’offrir aux jeunes gens qui se laissent allécher par le programme en question, programme qui ne leur laisse que déception après, car avant tout il paraît que l’école est essentiellement école vétérinaire, et rien de plus. M. le ministre de l’intérieur voudra, j’espère, bien me donner quelqu’appaisement sur ce point, car avant tout, notre confiante jeunesse ne doit pas être trompée.

Concluons de tout ce qui précède qu’en premier lieu il faut extirper l’empirisme, source de tant de pertes pour notre agriculture. Disons ensuite que si l’on maintient l’école vétérinaire il faut y introduire toutes les réformes d’une sage économie, faire que cette école coûte le moins possible à l’Etat et quelle soit organisée de manière à ce que le nombre de vétérinaires qu’elle est appelé à créer, soit en rapport avec les véritables besoins du pays. Je demanderai que dès à présent le gouvernement supprime les bourses et toutes les faveurs qu’il a pu accordés jusqu’à ce jour, particulièrement la faveur d’être libéré du service militaire, faveur au moyen de laquelle on peut faire tomber sa mauvaise chance sur un malheureux qui ne peut, ni se faire remplacer, ni entrer à l’école vétérinaire.

Il m’est revenu qu’avant le tirage de la milice, des jeunes sens en ont fait une spéculation. Ils se présentaient à l’école vétérinaire quelque temps avant le tirage. Si le sort au tirage leur étaient favorable, ils quittaient l’école, en cas contraire, ils devenaient vétérinaires pour le même prix à peu près (un petit subside aidant), que celui qu’ils auraient dû donner pour se procurer un remplaçant.

Pour moi, je l’ai déjà à peu près dit, il me paraît bien évident que l’on pourrait se passer d’une école vétérinaire spéciale à Bruxelles telle qu’elle est aujourd’hui, parce que cet établissement est excessivement coûteux, et qu’il ne rend pas les services qu’on a le droit d’en attendre. Si l’on veut instituer quelque chose de véritablement utile et ménager le trésor, il faut faire concourir à l’enseignement de cette science le corps universitaire qui enseigne les sciences médicales, et donne 2 ou 3 cours près, l’instruction en ce qui concerne la médecine vétérinaire. Et ces 2 ou 3 cours spéciaux, ne pourrait-on pas alors les faire donner par des professeurs vétérinaires que l’on aurait choisis ad hoc ?

Vous le voyez, messieurs, il y a ici moyen de faire des économies, en soutenant et protégeant la science, en améliorant la position de tous, celle des vétérinaires comme celle de l’agriculteur ; mais je sens qu’il est trop tard pour cette année. Un amendement ne serait pas facile à improviser. Des choses aussi sérieuses ne s’improvisent d’ailleurs pas ; j’appelle du reste l’attention de la chambre sur les observations de M. Rogier et les miennes, toutes faibles qu’elles soient. La chambre aura le temps de les méditer, car nous ne les aborderons plus qu’à la session prochaine.

J’espère qu’alors le ministre qui nous présentera le budget de l’intérieur, aura eu soin d’introduire de sérieuses reformes dans un établissement dont le but a été louable, a même rendu des services dans son principe, mais qui n’est que la source d’une dépense exagérée relativement à notre population.

(Moniteur belge n°, du janvier 1844) - L’article est mis aux voix et adopté.

La séance est levée est levée à 4 heures trois quarts.