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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 mars 1844

(Moniteur belge n°66, du 6 mars 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à 2 heures et 1/4. La séance est ouverte.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Charles-Louis Rack, receveur des contributions directes et accises à Wouwen, né en France, demande la naturalisation. »

« Même demande du sieur François Faige, négociant à Bruxelles, né à Megève (Savoie). »

Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Plevoets, ancien maître tailleur au 3ème régiment d’artillerie, qui a été démissionné de son emploi, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir une indemnité. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre.


« Plusieurs habitants de Fontaine-l’Evêque présentent de observations contre le projet de loi sur les céréales. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les céréales.


« Les membres du conseil communal de Roclenge demandent la construction d’une route de Tongres à Visé. »

M. Simons. - Messieurs, dans la séance du 21 février dernier, sur une interpellation faite par mon honorable ami, M. le comte de Renesse, M. le ministre des travaux publics nous a appris qu’il avait donné des ordres aux ingénieurs en chef des provinces de Liège et de Limbourg, à l’effet de faire les études préliminaires de la route demandée par la pétition dont on vient de nous présenter l’analyse. Comme ces messieurs se sont déjà occupés de cette affaire, d’après les renseignements que nous avons obtenus, je crois qu’il conviendrait de renvoyer directement la pétition à M. le ministre des travaux publics.

La pétition contient des renseignements utiles dont le département des travaux publics pourra faire son profit. D’ailleurs, la même chose a eu lieu dans d’autres circonstances, et je crois qu’il n’y a aucun inconvénient à admettre le renvoi direct à M. le ministre des travaux publics, que j’ai l’honneur de proposer à la chambre.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.


Par dépêche, en date du 2 mars, M. le ministre de la guerre adresse à la chambre une note explicative concernant la réclamation de la députation permanente du conseil provincial du Hainaut au sujet des transports et convois militaires.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. Dedecker demande un congé de deux jours.

- Accordé.


M. Huveners donne lecture de la lettre suivante :

« M. le président,

« Frappé subitement dans une affection des plus chères par la perte d’une sœur, je vous prie de demander pour moi à la chambre un congé de 15 jours.

« Agréez, etc.

« (Signé) De Brouckere. »

- Ce congé est accordé.

Rapport sur une pétition

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport, une pétition des propriétaires des ardoisières du Luxembourg qui demandent une augmentation de droits d’entrée sur les ardoises étrangères. Je vais avoir l’honneur de vous faire ce rapport.

Plusieurs membres. - L’impression.

M. Desmet. - Messieurs, la commission d’industrie vous a déjà présenté plusieurs rapports par lesquels elle vous faisait des propositions, tendant à améliorer notre tarif des douanes ; il y a quelques jours, il s’agissait des pianos, maintenant il s’agit des ardoises ; le premier de ces objets avait été mis à l’ordre du jour, mais lorsqu’il s’est agi d’en aborder la discussion, M. le ministre de l’intérieur a demandé que cette discussion fût renvoyée à l’examen général du tarif, qui a été fixé après Pâques. Vous savez comme moi, messieurs, que la révision du tarif est un travail de très longue haleine, et je crains fortement que, si l’on veut faire tout à la fois, nous n’obtenions aucun résultat dans la session actuelle.

Cependant il y a urgence pour beaucoup d’articles, qui sont très mal tarifés. J’ignore si M. le ministre de l’intérieur se propose de nous présenter quelques lois spéciales ou s’il entend qu’on fasse une révision générale du tarif ; dans ce dernier cas, il est certain que la session se passera sans que nous ayons pris une mesure quelconque. Cependant, jusqu’à présent, nous avons beaucoup fait pour l’étranger. Je vous rappellerai la mesure qui favorise le transit du bétail et qui n’est pas encore retirée ; je vous citerai la convention faite avec l’Allemagne qui, heureusement, n’a pas été renouvelée ; je vous citerai encore la convention avec la France relative aux vins et aux étoffes de soie ; un an après la conclusion de cette convention le ministère a envoyé une circulaire d’après laquelle on laisse entrer les vins de France par la Hollande. Il en résulte que les vins fabriqués en Hollande sont mis sur le même pied que les vins de France ; sous ce rapport, nous n’avons pas seulement modifié le tarif de douane, mais nous avons même modifié le droit d’accises en faveur de la Hollande et au détriment de nos marchands de vins. Nous savons que de la Hollande il nous arrive une assez grande quantité de vins fabriqués en Hollande et qu’on fait passer pour vin de Bordeaux : l’extension qu’on a donnée à la convention de 1842 a donc été prise contre l’intérêt du commerce belge et en faveur du commerce hollandais, en faveur d’un pays qui ne nous fait aucune concession. J’ai donc raison de dire, messieurs, que nous faisons beaucoup pour l’étranger, tandis que nous ne faisons rien pour notre propre industrie.

D’après ces considérations, je demande, messieurs, que la chambre veuille discuter les divers projets qui lui ont été présentés par la commission d’industrie et ne pas les renvoyer après Pâques. Car, je le dis encore, je crains fortement qu’en remettant toutes ces propositions, comme le demande le ministre de l’intérieur, jusqu’après Pâques, nous n’obtenions rien en faveur de notre industrie et du travail national.

M. Osy. - Messieurs, par la loi du 6 août 1842, vous avez sanctionné la convention faite avec la France le 18 juillet précédent. Cette convention réduit les droits d’importation sur les vins de France, soit que l’importation ait lieu par terre, soit qu’elle se fasse par mer. Jusqu’au mois de septembre 1843, le gouvernement a cru que cette convention ne pouvait pas s’appliquer aux vins venant de la Hollande, ce n’est que par une lettre du 13 septembre 1843 que M. le ministre des finances a autorisé la douane à permettre l’importation des vins venant de Maestricht. Je demanderai s’il n’est pas contraire à la loi du 6 août 1842 d’appliquer aux vins fabriqués en Hollande la réduction de 25 p. c. accordée aux vins français. Je prierai M. le ministre de l’intérieur, qui est présent à la séance, de bien vouloir nous faire connaître son opinion à cet égard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je persiste à croire que nous devons rester conséquents avec nous-mêmes, que nous devons avoir une discussion d’ensemble sur le système commercial et industriel. M. le rapporteur de votre commission d’enquête a déposé la deuxième partie de son travail, les conclusions industrielles ; à la suite de la discussion de ces conclusions nous verrons ce que nous avons à faire à l’égard de tous les projets de révision du tarif qui nous ont été présentés. Le gouvernement désire avant tout que cette discussion d’ensemble ait lieu, et je puis réitérer l’engagement que tous les éclaircissements nécessaires seront donnés à la chambre, soit en séance publique, soit en comité général. Je continue donc à demander, comme je l’ai fait pour d’autres lois spéciales de douane, l’ajournement jusques après la discussion générale dont le jour a été fixé ; ou plutôt je demande que rien ne soit décidé en ce moment.

Nous avons plusieurs projets de lois relatifs au tarif des douanes, nous en avons qui concernent les glaces les pianos, les ardoises ; toutes ces questions pourront être résolues convenablement, lorsque nous nous serons occupés du système commercial et industriel en général. Nous ne pouvons pas procéder autrement ; si aujourd’hui vous mettez à l’ordre du jour la question des ardoises, vous mettrez en même temps à l’ordre du jour toute la question douanière, vous aurez par anticipation la discussion générale. Il faut attendre cette discussion générale ; c’est sérieusement qu’elle a été mise à l’ordre du jour, et il ne faut pas anticiper sur cette discussion qui est d’ailleurs très prochaine.

M. Rodenbach. - M. le ministre dit que lorsque nous aurons discuté les conclusions de la commission d’enquête, nous pourrons nous occuper utilement des projets tendant à protéger les différentes industries du pays. M. le ministre a déjà dû s’occuper de ces questions ; est-ce une révision générale du tarif qu’il s’agit de faire ? Mais, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Desmet, ce serait là un travail qui durerait un an ou deux, ce serait une discussion immense. Cependant plusieurs industries ont besoin d’une protection efficace et immédiate ; ces industries ne peuvent pas attendre. Il y a dans le tarif, relativement à quelques-unes de ces industries, des anomalies, des choses absurdes et ridicules, qui demandent sans retard une révision.

Je pense que lorsque nous aurons discuté la question des droits différentiels, il faudra améliorer partiellement et successivement nos lois de douane ; il faudra accorder au plus tôt une protection efficace aux industries qui ont le plus besoin de cette protection. Si l’on veut tout renvoyer à une révision générale, il se passera encore deux ou trois ans sans que nous fassions quelque chose, et, en attendant, nous verrons périr nos industries.

M. de Garcia. - Il est impossible, messieurs, d’adopter un autre mode que celui qui est proposé par M. le ministre de l’intérieur. Nous sommes saisis d’une masse de projets de lois qui ont pour objet de protéger différentes industries ; à quelle industrie donnerez-vous la préférence, si vous discutez séparément ces divers projets ? Quant à moi, je demanderai la priorité pour les projets qui intéressent la province de Namur ; d’autres membres réclameront évidemment la priorité pour d’autres projets ; que ferez-vous dans ce conflit ? Nous sommes saisis, par exemple, d’une proposition concernant les bois étrangers et d’une proposition relative aux cuivres ; voilà des objets qui intéressent la province de Namur ; eh bien, si vous voulez mettre à l’ordre du jour le projet relatif aux ardoises, je demanderai la préférence pour les projets concernant les bois étrangers et les cuivres. Je dis que vous ne pouvez vous occuper de ces questions que lorsque vous aurez discuté les conclusions du rapport de la commission d’enquête ; lorsque vous aurez discuté ces conclusions, vous pourrez statuer sur les points les plus urgents, soit que vous les examiniez dans leur ensemble, soit que vous les abordiez séparément.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois, messieurs, que la question est très importante ; l’industrie demande protection ; cette protection, il est urgent de la lui accorder ; cependant si vous renvoyez après Pâques la discussion des différents projets tendant à accorder des protections à diverses industries, il est évident que ce sera un renvoi aux calendes grecques ; si vous voulez renvoyer la chose à une révision générale du tarif des douanes, révision que je réclame depuis longtemps, il est évident que vous ne ferez rien. Je ne puis donc partager l’opinion de l’honorable M. de Garcia, qu’il faut faire tout à la fois ; je pense qu’il faut faire d’abord ce qui est le plus urgent, ensuite ce qui l’est moins ; de cette manière nous ferons successivement droit à toutes les réclamations, et c’est ce que nous devons faire ; nous devons protéger toutes les industries du pays, sans en excepter aucune.

Je prie donc la chambre de ne pas décider qu’elle renvoie la discussion des projets dont il s’agit à la discussion générale des conclusions du rapport de la commission d’enquête.

M. Desmet. - Je partage tout à fait l’opinion de M. Eloy de Burdinne, que l’ajournement proposé serait un véritable renvoi aux calendes grecques. Je pensais que le gouvernement aurait fait des propositions ; mais d’après ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur, il voudrait que l’on discutât avant tout les conclusions du rapport de la commission d’enquête. Or, je pense que la commission d’enquête n’a pas même présenté de conclusions en ce qui concerne la révision du tarif des douanes, de sorte qu’en discutant le rapport de la commission d’enquête, nous ne nous occuperons réellement que des droits différentiels. Je désirerais savoir si le gouvernement a l’intention de nous faire des propositions tendant à accorder à diverses industries la protection dont ces industries ont besoin. Dans tous les cas, je pense, messieurs, que si vous voulez protéger vos industries, si vous voulez procurer du travail aux ouvriers, vous ne devez pas renvoyer la discussion après Pâques.

M. Zoude, rapporteur de la commission d’enquête pour la partie industrielle. - Je dois rappeler que j’ai eu l’honneur d’annoncer que la commission d’enquête ne proposait pas de conclusions à l’égard de l’industrie ; elle a constaté seulement la situation des différentes branches de l’industrie ; elle signale les causes du malaise qu’elles éprouvent ; la chambre verra quel remède il y aura à y apporter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la chambre a fixé la discussion de la politique commerciale et industrielle du pays. Vous êtes saisis, entre autres, d’un projet de loi relatif au système des droits différentiels. Je demande que cette idée continue à dominer toutes les questions spéciales. Quand la question de principe aura reçu une solution, nous verrons ce qu’il y aura à faire pour chacune des questions spéciales. Je demande donc qu’on n’anticipe pas sur cette discussion générale. D’ailleurs, je ne propose pas un long délai ; un mois à peine nous sépare du jour où cette discussion doit avoir lieu.

M. d’Hoffschmidt. - Je demanderai que dès aujourd’hui il soit décidé que le rapport et les conclusions de la commission seront mis à l’ordre du jour immédiatement après qu’il aura été statué sur le rapport de la commission d’enquête. Je crois effectivement qu’il y aurait des inconvénients à discuter maintenant les questions spéciales avant la question de principe. D’ailleurs, le moment fixé pour la discussion des conclusions de la commission d’enquête n’est plus éloigné que d’un mois, comme vient de le faire observer M. le ministre de l’intérieur,

M. Eloy de Burdinne. - Je désire répondre quelques mots à l’honorable ministre de l’intérieur. M. le ministre de l’intérieur ne veut pas qu’on entame les questions spéciales, relatives à la protection de l’industrie, avant que la chambre ait statué sur le système des droits différentiels.

Sans doute les droits différentiels ont quelques rapports avec ces questions spéciales ; mais cependant M. le ministre de l’intérieur n’est pas conséquent avec ses actes, car M. le ministre nous a proposé une modification à apporter à une loi de douane, je veux parler de la loi sur les céréales, Or, il ne demande pas que ce projet modificatif soit discuté après les droits différentiels. Si l’on peut s’occuper de modifications au tarif des douanes sur certains points, on peut le faire également pour d’autres points, alors surtout que l’intérêt du pays exige impérieusement qu’on s’occupe de l’industrie nationale.

Depuis longtemps je vous ai fait remarquer, messieurs, que nous négligeons trop ce grave intérêt, que généralement l’étranger vient sar nos marchés, en concurrence avec les producteurs belges, et qu’avec un pareil système, nous ruinerons le pays ; oui, messieurs, bientôt nous serons en présence d’une masse de malheureux sans ouvrage. Les Flandres peuvent déjà nous donner l’échantillon de ce qui nous arrivera plus tard, si nous persévérons plus longtemps dans un système aussi désastreux. L’unique moyen de conjurer un pareil avenir, c’est de favoriser efficacement l’industrie du pays.

- La proposition de M. le ministre de l’intérieur, tendant à ne fixer l’ordre du jour de l’objet dont il s’agit qu’après la discussion des conclusions de la commission d’enquête sur les droits différentiels, est mise aux voix et adoptée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je désire donner quelques explications sur le fait qui vient d’être signalé par l’honorable M. Osy.

Messieurs, par la convention du 16 juillet, la Belgique a accordé une réduction de droits aux vins français entrant soit par mer, soit par les frontières de terre.

L’honorable M. Osy vous a dit que, par un ordre de service, en date du 13 septembre dernier, il a été reconnu que cette faveur devait aussi s’appliquer aux vins de France entrant par la frontière hollandaise ; l’honorable membre trouve que cette application est contraire à la convention.

Messieurs, il n’en est rien ; la convention n’a pas exclu les vins de France qui entrent par une autre frontière de terre que la frontière que j’appellerai franco-belge ; cette faveur s’étend aux tuiles de France, par quelque frontière qu’ils entrent, du moment que ce sont des vins de France ; il faut qu’il soit constaté que ce sont réellement des vins de France ; or, de l’aveu de toutes les parties, la convention, doit être entendue dans ce sens.

M. Osy. - Lorsque le gouvernement a mis à exécution la loi du 6 août 1842, il l’a entendue comme je l’explique, puisque, pendant un an, il n’a pas appliqué la loi aux vins français venant de la Hollande par le Limbourg. Ce n’est que par une circulaire de septembre 1843, c’est-à-dire un an après qu’on a encore fait cette concession à la France. Eh bien, l’interprétation donnée par le gouvernement à la convention me paraît contraire à l’esprit de la convention, et je ne puis pas l’admettre.

M. Dumortier. - Lorsque j’ai demandé la parole, je voulais faire remarquer que rien ne vous garantissait que les vins qui venaient de Hollande, fussent des vins français proprement dits ; car beaucoup de personnes ignorent qu’en Hollande on fabrique des vins de Bordeaux avec des raisins secs, du bois de Campêche et un peu de sucre. (On rit.) Il y a en Hollande beaucoup de maisons de commerce sur les portes desquelles il est écrit : ici on fabrique du vin.

Et maintenant, je vous le demande, est-ce là réellement ce qu’on a voulu par la loi de 1842 ? A-t-on voulu que des vins frelatés, fabriqués, des vins de Jésus, par exemple, puissent nous venir par les frontières de la Hollande ? Je ne puis le croire. Je dis que la plupart des vins qui viennent de Hollande, par le fait seul qu’ils nous arrivent de là, sont suspects, quant à leur origine, que ce sont présumablement des vins fabriqués.

Il n’y a donc pas de motif pour étendre le privilège que nous avons accordé. Le privilège est déjà très onéreux pour le trésor public. Vous savez qu’il a fait perdre un million de revenu à la Belgique ; n’allons donc pas étendre le privilège, alors qu’il n’y a pas nécessité absolue.

Je pense, avec l’honorable M. Osy, qu’on devrait se borner à exempter du droit plus élevé les vins qui arrivent par la frontière de terre et la frontière de mer de France. Sinon, on causerait un second et grave préjudice à la Belgique. Déjà vous lui avez occasionné un préjudice par le principe même de la loi ; vous feriez encore un grand tort à la navigation de la Belgique, si l’on étendait le privilège, comme l’a fait le gouvernement depuis le mois de septembre 1843. Je pense donc qu’il faut restreindre la disposition dans les limites où le gouvernement l’a lui-même restreinte pendant la première année, après la promulgation de la loi du 6 août 1842.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dirai d’abord à la chambre que l’importation de vins de France, qui se fait par la frontière hollandaise, est très peu considérable. Il est fort peu de Belges qui s’adressent à des maisons hollandaises, pour avoir des vins de France.

Les deux honorables préopinants auraient du moins dû se mettre d’accord dans leurs objections. Selon l’honorable M. Osy, c’est une nouvelle concession que l’on a faite à la France. Selon l’honorable M. Dumortier, c’est du vin fabriqué en Hollande qui s’introduit en Belgique, mais ce serait alors un acte anti-français, car certes, l’intérêt de la France exige qu’on ne facilite pas l’importation en Belgique de vins qui ne sont que des vins fabriqués, falsifiés. Il y a donc contradiction entre les deux honorables préopinants.

Il est très vrai que, pendant une année, il y a eu doute sur l’interprétation de la convention, mais on s’est assuré que, d’après le texte et l’esprit de la convention, la réduction doit s’appliquer aux vins de France, soit qu’ils viennent directement de France, soit qu’ils fassent un circuit par un autre pays. La convention ne distingue pas, et la partie qui a contracté avec nous a trouvé que cette interprétation de la convention ne lui portait aucun préjudice. Il est évident qu’ici le gouvernement français avait le droit d’être entendu ; c’est avec ce gouvernement que nous avons traité, il fallait donc consulter le gouvernement français sur le sens de la convention.

D’un autre côté, il s’est trouvé que le sens donné par le gouvernement français à la convention n’était pas contraire au sens qu’y donnait le gouvernement des Pays-Bas, nous n’avons dès lors vu aucun inconvénient à faire droit aux réclamations du gouvernement des Pays-Bas.

Du reste, je le répète, il s’agit ici d’un intérêt insignifiant ; l’importation des vins français par la frontière hollandaise est fort minime ; il n’y avait donc pas lieu à repousser les réclamations du gouvernement des Pays-Bas. Il est inutile de créer des griefs contre nous de la part des gouvernements étrangers pour des objets d’une importance tout à fait secondaire. Or, je ne puis assez le dire, l’introduction des vins de France qui se fait par la frontière hollandaise est très peu importante.

M. Savart-Martel. - La circonstance que l’importation, dont plainte, serait plus ou moins considérable me touche peu, puisqu’il s’agit ici de l’interprétation d’une convention bilatérale.

Nous faisons beaucoup pour la France qui ne fait rien pour nous.

Le meilleur moyen d’interpréter une convention, c’est l’exécution qui y est donnée spontanément et dans le premier moment ; or, le gouvernement est en aveu que, pendant la première année au moins, la loi a été entendue et exécutée dans le sens que réclame notre honorable collègue, M. Osy. Cette interprétation est donc présumée l’interprétation légale.

L’interprétation nouvelle nuit au commerce belge, je ne vois pas pourquoi nous l’admettrions.

Il est connu qu’on fabrique en Hollande du prétendu vin de France, boisson frelatée, dont nous n’avons aucun besoin, et qui ne peut que nuire à la santé publique.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - On a déjà fait observer que le traité ne fait pas de distinction de frontières, qu’il porte, d’une manière générale, que les vins d’origine française sont admis au droit réduit. Il s’agit donc uniquement de savoir si les vins qui entrent par la frontière hollandaise sont ou non d’origine française. Les ordres ont été donnés pour constater l’origine des vins qu’on présente à la frontière. Nous ne devons pas craindre que certains vins fabriqués en Hollande soient introduits en Belgique, car ils ne sont pas dans le goût de nos consommateurs ; ceux-ci ne les accepteraient pas. En outre, les agents de l’administration sont chargés de vérifier si les vins sont purs et de bonne qualité. Il ne s’agit pas d’ailleurs ici de vins venant de la Hollande à proprement parler, mais de Maestricht, où quelques marchands étaient dans l’habitude de livrer du vin à certaines communes qui entourent cette ville ; ce ne sont donc pas de vins qu’on fabrique en Hollande, comme on l’a dit, mais de vins français que nous recevons de Maestricht.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Et qui, le plus souvent, sont pris dans les entrepôts d’Anvers.

M. Desmet. - Les réclamations dont il s’agit viennent des marchands de Liége. M. le ministre disait tout à l’heure que l’objet de cette réclamation était bien minime. Je ne le trouve pas si minime, car l’introduction des vins par la frontière hollandaise n’est pas de moins de 1300 hectolitres et de 14,000 bouteilles. On sait que la Hollande est le troisième pays qui livre le plus de vin à la Belgique. La France est en première ligne, la Prusse vient ensuite, et la Hollande en troisième lieu : en permettant l’application du traité à la frontière hollandaise, on ne fait pas seulement tort à la douane, mais aux marchands de vin de la Belgique.

Ainsi vous avez diminué de 25 p. c. le droit d’accise sur les vins de France, et maintenant vous appliquez cette réduction aux vins venant de la Hollande. Tous les jours, nous faisons des concessions sans jamais obtenir de compensation. Quand nous avons voté la loi accordant une faveur aux vins français, nous n’avons pas entendu que cette faveur fût étendue aux vins fabriqués en Hollande. Vous faites donc une concession à la Hollande, vous favorisez des marchands hollandais au détriment de nos marchands ; c’est pour vous dire que nous faisons tous les jours des concessions à l’étranger, et que nous négligeons continuellement nos propres intérêts. C’est ainsi que par le nouvel impôt sur le tabac vous favorisez la France, au détriment de l’industrie, de l’agriculture et du commerce de Belgique, et qu’ainsi vous vous mettez entièrement à découvert quand vous devez traiter avec elle. Comment voulez-vous qu’elle fasse un traité avec nous quand vous lui accordez tout ce qu’elle a besoin ?

M. Simons. - Comme j’ai fait des démarches pour qu’en faveur de quelques marchands de vin de la ville de Maestricht, le traité reçût l’application contre laquelle on réclame, je crois devoir prendre la parole pour défendre la disposition qui a été prise. Il s’agit d’une interprétation d’une convention ; or, si on veut l’examiner, on verra que le traité ne détermine pas la frontière par laquelle les vins français peuvent être introduits pour jouir de la réduction de droit consentie par le traité. L’honorable M. Savart a dit que jusqu’ici le traité avait été interprété en ce sens, que pour jouir de la réduction, les vins français devaient entrer par la frontière de France, ou par la frontière de mer en venant de France. C’est l’inverse qui a eu lieu. Dès l’origine, le traité avait été entendu et exécuté comme on le fait maintenant, c’est-à-dire qu’on pouvait faire l’importation de vins de France par la frontière limbourgeoise. Mais sur les instances de quelques marchands de Liége, comme c’est encore sur leur réclamation que le débat actuel a lieu, le gouvernement a restreint l’interprétation du traité et défendu momentanément l’importation par la frontière limbourgeoise. Des réclamations ont été faites par la France, qui a intérêt à ce qu’on n’introduise pas des vins étrangers comme vins français. C’est la France elle-même qui a réclamé. Il s’agit d’un traité clair, car on ne limite pas l’importation à la frontière de France, mais on accorde la réduction de droit à tous les vins français, par quelque frontière qu’ils soient introduits.

Vous avez dans la ville de Maestricht quelques marchands de vin qui, depuis nombre d’années, fournissent la partie du Limbourg restée à la Belgique. Ou veut leur enlever cette clientèle. Quant à la qualité du vin, je puis vous assurer que c’est du vin de France et non du vin fabriqué en Hollande Je pourrai en fournir la preuve.

Je répète, en terminant, que le traité ne parle pas de frontière ; c’est un prétexte qu’on met en avant pour détruire le commerce de quelques négociants de Maestricht qui exploitent une clientèle depuis nombre d’années. J’ajouterai que les vins falsifiés ne valent pas le droit à l’importation, même avec la réduction.

M. le président. - Aucune proposition n’étant faite, nous passons à l’ordre du jour.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l'intérieur

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai l’honneur de présenter un projet de loi tendant à accorder des crédits supplémentaires au département de l’intérieur. Je vais donner lecture du texte du projet :

« Art. 1er. L’article 2 du chap. XVII du budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1843 (frais des jurys d’examen pour les grades académiques) est majoré d’une somme de trente-neuf mille cent vingt-sept francs soixante-seize centimes. »

« Art. 2. L’article unique du chap. IX du budget du même département, pour l’exercice de 1842 (fonds d’agriculture) est majoré d’une somme de cent quatre-vingt-huit mille francs. »

« Art. 3. Il est alloué au même département un premier crédit de trente mille francs pour subvenir aux frais de confection des tables décennales des actes de l’état-civil, pour la période de 1833 à 1842, en exécution du décret du 20 juillet 1807 et des articles 69 et 70 de la loi provinciale.

« Cette somme formera l’article unique du chap. XXI du budget de 1844. »

« Art. 4. Il est ouvert au département susdit un crédit supplémentaire de vingt-neuf mille trois cent seize francs trente-huit centimes pour l’acquit de diverses dépenses restant à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.

« Cette allocation formera le chap. XXII du même budget. »

Je ferai observer que cette dépense avait été prévue dans la situation du trésor, que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres, et renvoyé à l’examen de sections.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au ministère des affaires étrangères (marine)

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai encore à présenter à la chambre un projet de loi tendant à accorder des crédits supplémentaires au département des affaires étrangères.

Ce projet est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il sera transféré de l’art. 1er à l’art. 2 du chapitre IV du budget de la marine, exercice 1843, une somme de trois mille douze francs vingt deux centimes.

« Art. 2. Il est ouvert au département des affaires étrangères (marine) un crédit supplémentaire

« A. De quarante-sept mille quatre cent soixante-onze francs neuf centimes dont est majoré l’art. 2 du chapitre IV du budget de la marine pour l’exercice 1843.

« B. De sept mille trois cent trente-un francs trente-trois centimes dont est majoré l’art. 3 du môme chapitre.

« Ensemble cinquante-quatre mille huit cent deux francs quarante- deux centimes. »

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet dont il vient de donner lecture. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres et renvoyés à l’examen des sections.

Projet de loi portant interprétation de l'article 334 du code pénal

Formation du comité secret

M. le président. - Nous passerons maintenant à l’objet de l’ordre du jour, la continuation de la discussion du projet de loi interprétatif de l’art. 334 du code pénal. Conformément à une décision prise à la dernière séance, je déclare que la chambre va se constituer en comité secret, et en conséquence, les tribunes seront évacuées.

- A 4 heures et 1/2 la séance est rendue publique.

Vote sur l'ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur le projet présenté par la commission.

52 membres sont présents.

35 adoptent,

14 rejettent.

3 s’abstiennent.

En conséquence, le projet est adopté.

On voté l’adoption : MM. de Meester, de Roo, de Saegher, de Tornaco, Devaux, de Villegas, Donny, Fleussu, Henot, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Meeus, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vandensteen, Verwilghen, Castiau, de Baillet, de Corswarem, de Garcia de la Vega, Delfosse, d’Elhoungne et Liedts.

On voté le rejet : MM. (Erratum Moniteur belge n°67, du 7 mars 1844 :) d’Anethan, de Mérode, de Sécus, Desmet, Goblet, Huveners, Lejeune, Mercier, Nothomb, Simons, Vanden Eynde, Brabant, Dechamps et de Foere.

MM. Dumortier, Rodenbach et Cogels se sont abstenus ; ils sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Dumortier. - Messieurs, en principe je penche en faveur de l’opinion de M. le ministre de la justice ; cependant, je dois le dire, on a présenté dans la discussion des objections excessivement graves contre cette opinion. J’ai donc cru devoir m’abstenir, d’autant plus qu’il s’agit d’une loi d’interprétation qui peut avoir un effet rétroactif.

M. Rodenbach. - La cour de cassation a jugé quatre fois noir, les cours d’appel ont jugé quatre fois blanc ; quand j’ai vu cette différence d’opinion parmi des jurisconsultes aussi distingués, moi qui ne suis pas jurisconsulte, j’ai cru devoir m’abstenir.

M. Cogels. - Je n’ai pas osé me prononcer sur une question sur laquelle les plus habiles jurisconsultes, sur laquelle les cours du royaume n’ont pu se mettre d’accord.

Je sais que l’art. 28 de la constitution me donne le droit de concourir à l’interprétation des lois, mais c’est un droit dont, en cette circonstance, j’ai cru ne pas devoir user.

Je me suis abstenu avec d’autant moins de regret que le vote que la chambre vient d’émettre ne résout pas la question et que si le dissentiment qui existe entre les cours du royaume s’établit entre les pouvoirs dont le concours est nécessaire à la promulgation des lois, il y aura dans la jurisprudence une lacune qu’il sera impossible de combler.

- La séance est levée à 5 heures.