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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 29 mars 1844

(Moniteur belge n°91, du 31 mars 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à 11 heures.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi créant un conseil d'Etat

Rapport de la section centrale

M. Fleussu. - J’ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale sur la question de savoir s’il convient d’établir un conseil d’Etat.

Un membre. - Quelles sont les conclusions.

M. Fleussu. - Les conclusions tendent au rejet.

M. Rodenbach. - A l’unanimité des membres de la section centrale ?

M. Fleussu. - A l’unanimité moins une voix.

- La discussion des conclusions de la section centrale sera fixée ultérieurement.

Projet de loi établissant un mode définitif de nomination du jury d'examen universitaire

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Theux, mais comme il n’est pas présent, je l’accorderai à M. de La Coste.

M. Smits. - L’honorable M. de Theux étant légèrement indisposé, ne pourra se rendre que plus tard à la séance.

M. de La Coste, rapporteur. - Messieurs, la gravité de la question qui nous occupe a été diversement envisagée par quelques-uns des orateurs qui ont parlé en faveur du projet ministériel.

L’un d’eux argumentant, ce me semble, du particulier au général, s’étonne qu’on s’émeuve de ce que le gouvernement réclame dans l’étendue la plus vaste une attribution qu’il exerce dans certains cas spéciaux et exceptionnels. Un autre orateur, que vous avez entendu hier, voit au contraire dans l’objet de vos débats, un intérêt moral de l’ordre le plus élevé.

Messieurs, c’est parce que je partageais cette opinion dès la première apparition du projet, que j’ai donné à la question qui nous occupe une attention à laquelle je dois le périlleux honneur d’être le rapporteur de votre section centrale.

Disons-le cependant, messieurs, la gravité de cette question ne paraît point la même, suivant les différents aspects sous lesquels on envisage celle-ci.

Cette gravité est très grande pour les établissements d’instruction dont le sort serait mis en jeux, pour les intérêts locaux, pour les intérêts d’opinion qui s’y rattachent.

Elle est encore grande, mais cependant d’une nature moins propre à émouvoir les esprits, si l’on a surtout en vue d’introduire des améliorations pratiques.

Elle est, à mes yeux, bien moindre, et j’expliquerai tout à l’heure cette pensée, si on la considère d’un côté qui semble cependant avoir préoccupé particulièrement plusieurs orateurs, c’est-à-dire si on considère le projet comme un moyen d’extension du pouvoir royal.

Eh bien, messieurs, pour si peu il ne faut pas mettre la couronne en jeu ; il ne faut pas faire intervenir les droits du chef de l’Etat dans de semblables détails ; à peine exigent-ils le concours d’un ministre. Et vaut-il bien la peine, messieurs, pour de tels résultats, de se lancer dans ces questio

ns, qu’à bon droit l’honorable M. Fleussu n’a abordées qu’avec répugnance, ces questions de prérogatives, périlleuses même dans les vieilles monarchies ?

Messieurs, ce qui a, permettez-moi de le dire, donné le change à l’opinion à cet égard, c’est que le projet est, je puis rendre cet hommage désintéressé à M. le ministre de l’intérieur, très habilement composé de deux parties distinctes, de deux principes dont les limites ne sont pas très exactement définies ; de sorte que chaque membre dans son esprit, donne au principe qu’il préfère toute l’étendue qu’il désire.

Ainsi, les uns se préoccupent de l’attribution au pouvoir royal, regardent l’attribution aux universités comme un accessoire qui leur déplaît, mais de peu d’importance, et acceptent.

Les autres se préoccupent de l’intervention des universités, adoptent celle du pouvoir royal avec peu d’empressement et acceptent encore.

Cependant, messieurs, il me semble que si l’intervention des universités devient sérieuse, celle du pouvoir royal le devient moins, celle du pouvoir royal, loin d’augmenter, décroît ; au lieu d’avoir les trois septièmes des nominations, le pouvoir royal, le pouvoir de la couronne (il est un peu difficile dans une discussion semblable de se servir toujours des expressions les plus propres), le pouvoir de la couronne donc, n’a plus qu’un cinquième des nominations. Et à quoi se réduit ce qu’on réclame de plus pour lui ? A imprimer le mouvement à la rotation ; passez-moi cette expression un peu triviale, à en tourner la manivelle.

Que le pouvoir s’affermisse de plus en plus par sa sagesse, par la force du temps, par la force qui réside en lui-même, c’est un vœu que je forme. Car, par le pouvoir nous sommes tous protégés dans notre sécurité, dans la jouissance de nos droits principaux. Mais, messieurs, si moi, homme du pouvoir pendant vingt ans, et, comme je viens de le dire, désireux de le voir s’affermir, si moi, j’allais m’enfoncer dans ces questions de prérogatives, on me dirait, comme on disait hier à un autre membre de cette assemblée : Mais vous avez dormi ? mais d’où venez-vous et tombez-vous du ciel ? ne savez-vous donc pas ce qui s’est passé ? Ne savez-vous pas que dans un esprit trop parcimonieux peut-être envers un pouvoir nécessaire à la société, nous avons strictement mesuré sa part ? Que nous avons surtout voulu repousser cette idée d’un pouvoir antérieur, d’un pouvoir préexistant, puisant sa force en lui-même ? Que nous avons voulu repousser toutes ces discussions subtiles des légistes qui veulent donner force au pouvoir au moyen des idées abstraites de prérogative, des idées abstraites de pouvoir exécutif. Eh ! non, nous avons tout défini, nous avons tout limité.

Messieurs, tandis qu’on veut étendre dans un sens le pouvoir royal, d’un autre côté on tend à le restreindre dans sa sphère la plus élevée, dans ce qui constitue véritablement la souveraineté, c’est-à-dire (Erratum Moniteur belge n°92, du 1er avril 1844 :) dans la participation à la loi. On veut restreindre ce pouvoir de la loi contre lequel en 1830 on ne s’est pas armé, contre lequel on n’avait aucune jalousie et auquel par conséquent on n’a pas opposé la disposition méticuleuse d’un art. 78.

Je ne puis donc voir, messieurs, dans l’ensemble de nos dispositions constitutionnelles quelque chose qui interdise l’intervention des chambres, si cette intervention est, comme nous le soutenons, nécessaire à l’exercice, au maintien d’une liberté constitutionnelle. Et sans cela, messieurs, il faudrait admettre que la constitution se détruit elle-même, et qu’ayant posé un principe, elle ôte le moyen de le maintenir.

L’honorable M. Fleussu semble croire que l’art. 25 de la constitution ne permettrait pas l’intervention des chambres et permettrait celle de la cour de cassation. Mais, j’en demande bien pardon à l’honorable député de Liége, l’art. 25 concerne tous les pouvoirs, aussi bien la cour de cassation que les chambres. Par conséquent, messieurs, pour admettre le système que je combats, il faudrait admettre non seulement que nous sommes depuis huit ans hors de la constitution, de complicité avec le gouvernement, mais que tous les ministres, tous les hommes d’Etat qui ont soutenu, soit le système de l’intervention des chambres, soit le système de l’intervention de la cour de cassation, étaient hors de la constitution.

Messieurs, à mes yeux la véritable question est une question pratique. L’intervention des chambres est-elle une garantie nécessaire, ou du moins préférable aux autres ?

Mais d’abord on dispute qu’il faille une garantie spéciale. Pourquoi ne vous contentez-vous pas de la responsabilité ministérielle, dit-on ? Et pourquoi, messieurs, ne vous contentez-vous pas de cette responsabilité en beaucoup d’autres cas ? Il serait bien plus commode, par exemple, que les juges ne fussent pas inamovibles ; avec un peu de responsabilité ministérielle et des juges amovibles, le gouvernement deviendrait bien plus facile.

Pour établir qu’une garantie est superflue, on a fait, messieurs, un argument ad hominen ; on a dit : en 1835 l’honorable, comte de Mérode et d’autres membres se contentaient de la nomination par le Roi. D’abord, messieurs, dans le fait même il y a des nuances très remarquables : l’honorable comte de Mérode proposait que le jury fût nommé pour trois ans, et qu’on donnât au Roi la première nomination ; or, ce mot de première nomination semble exclure les nominations postérieures ou, au moins, les mettre complètement en doute. Ces mots, d’ailleurs, rappelaient des dispositions où elles avaient un sens alors encore bien connu : la loi fondamentale des Pays-Bas donnait au Roi la première nomination à une foule d’emplois électifs. Enfin, messieurs, comme on vous l’a dit hier, on invoquait alors comme garantie le contrôle des chambres sur le gouvernement, et il est possible que, dans la pensée de l’honorable comte de Mérode, des honorables membres qui ont voté dans le même sens que lui, ce contrôle n’ait pas eu, dans bien des cas importants, l’efficacité qu’ils en attendaient.

Je n’irai point cependant, messieurs, jusqu’à dire qu’il n’existe point de responsabilité ministérielle. C’est là un grand principe constitutionnel que nous devons maintenir tout comme nous devons maintenir la liberté d’enseignement ; mais dans le fait offre-t-il bien toutes les garanties que l’on en attend ? Que voyons-nous ? Quand un ministre est au pouvoir, il fait, sauf quelques grandes questions, comme celles-ci, il fait à peu près tout ce qu’il veut, excepté de se maintenir longtemps, (on rit), et quand il se retire, ses adversaires et ses successeurs lui en savent tant de gré qu’ils n’ont garde d’inquiéter sa retraite (nouveaux rires) ; des récriminations, des clameurs et puis le silence ; voilà toute la responsabilité d’ordinaire. Dans les premiers temps où je siégeais sur ces bancs, je me le rappelle encore, j’ai entendu de semblables clameurs, l’honorable M. Lebeau se les rappelle aussi peut-être ; mais lui qui s’est montré assez sévère envers moi, je lui demanderai s’il y a jamais distingué le son de ma voix.

On vous offre, messieurs, une autre garantie. Dans le ministre, dit-on, il y a deux hommes ; il y a l’homme politique et l’administrateur. Mais, messieurs, ces deux hommes ne changent pas même d’habit comme le serviteur de l’avare, ces deux hommes sont dans le même pourpoint. Je crois, moi, que l’homme politique sera le plus fort et qu’il commandera quelquefois les choix à l’autre. Ces choix seront dictés par la position, par les exigences d’un parti ; car ce n’est pas, messieurs, quoique je paraisse aujourd’hui refuser de la force au pouvoir, ce n’est pas tant sa force qui m’effraie que sa faiblesse. Cette faiblesse, il ne faut pas en faire un reproche à tel ou à tel homme, cette faiblesse est un peu dans les institutions, dans la mobilité des élections, dans les exigences des localités.

L’honorable M. Dolez, employant à peu près les mêmes expressions qu’on m’a tant reprochées, disait il y a quelques jours : « Les ministres, ce sont des hommes politiques, des hommes exclusivement politiques. » Je puis donc dire : quoi que vous promettiez, vous ferez des choix politiques ; et je ne donnerai pas à ces expressions le sens que j’y ai donné quant aux choix de la chambre, et que j’expliquerai tout à l’heure ; j’irai plus loin, je dirai que, dans les mains non pas du ministère actuel, mais d’un ministère quelconque, d’un ministère moins candide, si vous le voulez, cette loi serait une excellente arme politique, un excellent moyen de discipliner un parti et de le mener en bataille contre l’autre.

Vous voyez, messieurs, qu’au moins, selon moi, la responsabilité ministérielle ne suffit pas et qu’il faut une garantie que nous plaçons dans le concours des chambres.

Voyons donc dans quel sens j’ai employé à leur égard l’expression de choix politiques que l’on m’a reprochée. L’honorable M. Lebeau a bien voulu, quoique, à ce qu’il me paraît, avec une certaine hésitation, accorder au rapporteur de la section centrale une certaine gravité, une certaine intelligence ; eh bien, messieurs, cette réflexion seule devait lui faire comprendre qu’il y avait entre nous un malentendu, qu’il entendait ces expressions dans un sens et moi dans un autre.

L’honorable M. Thyrion a lu le passage incriminé, je ne sais pas pourquoi il s’est arrêté à la phrase qui en expliquait le sens. Après avoir dit que nous sommes soumis à l’action constante de la nation, que par là nos choix expriment ses vœux, ses sentiments relativement à ses intérêts de l’ordre le plus élevé, (erratum Moniteur belge n°92, du 1er avril 1844 :) j’ajouterais.

« Vœux, sentiments dont il est permis de croire la sphère plus étendue, autant qu’elle est (erratum Moniteur belge n°92, du 1er avril 1844 :) plus haute, que celle du simple esprit de parti. Que si l’influence de celui-ci avait pu se mêler à celle que nous venons d’indiquer, certes, il faudrait le regretter. »

C’était, messieurs, dire à la chambre aussi poliment qu’un rapporteur peut le faire : Si vous avez été sous l’influence de l’esprit de parti, en faisant vos choix, vous avez eu tort » ; et que disait M. Lebeau des ministres ? « Le ministre, disait-il, est homme politique et administrateur ; si, en faisant les fonctions d’administrateur, il agit sous un point de vue politique, il a tort. » Voilà toute la garantie qu’il nous offrait contre les ministres.

L’honorable membre ne s’est pas contenté du passage dont l’honorable M. Thyrion avait donné lecture, il y a joint un passage du rapport de la section centrale de 1835, qui était inséré dans mon rapport comme j’aurais pu y insérer le texte d’une loi, qui n’était qu’une simple citation pour indiquer quel était l’esprit de la loi de 1835.

« Mais, dit l’honorable M. Lebeau, si ce n’est votre ouvrage, c’est votre pensée ; » mais si la pensée exprimée en 1835 par la section centrale, est ma pensée, je ne comprends pas comment l’honorable M. Lebeau peut dire que si ma pensée avait été exprimée en 1835, la proposition n’aurait pas eu dix voix pour l’appuyer, car celle de 1835, ainsi expliquée, a été adoptée par 54 voix. (Réclamations). Je parle, messieurs, du vote sur l’ensemble de la proposition de la section centrale de cette époque et j’en appelle au Moniteur.

Dans le passage de mon rapport que j’explique, il y a deux choses : l’expression, la pensée. Il faut bien que l’expression ne soit pas heureuse puisqu’elle a trompé des esprits éclairés. Je pourrais peut-être la défendre. Je pourrais recourir à l’étymologie du mot politique qui est polis, la cité, l’assemblée des citoyens. Mais comme certains membres ont pris à tâche de contester la capacité scientifique de la chambre, peut-être voudraient-ils qu’elle n’entendît pas le grec. (On rit).

Je me borne donc à expliquer la pensée du rapport : nous agissons sons l’œil vigilant de la nation, sous l’influence du sentiment moral du pays. Il ne s’agit pas là de catholiques et de libéraux, considérés comme partis, puisque j’ai dit que si vous admettez l’esprit de parti dans vos choix, vous aurez tort. Il ne s’agit pas même spécialement des catholiques, comme opinion religieuse, il s’agit, je le répète, du sentiment moral de la nation, de son bon sens proverbial.

L’honorable M. Fleussu ne nous a-t-il pas dit qu’une des conséquences de la liberté d’enseignement était qu’il pouvait s’établir un professeur d’athéisme ? La liberté, selon l’honorable M. Fleussu, va jusque-là ; mais elle ne va pas jusqu’à exiger que nous admettions ce professeur dans le jury.

Je crois, messieurs, que l’hypothèse de M. Fleussu pour notre pays est fort hasardée, mais il ne faut pourtant pas la taxer d’impossible. Dans ma jeunesse j’ai entendu beaucoup parler d’un savant célèbre qui était un adepte ou un fanfaron d’athéisme, et qui en était un fervent prédicateur. Je pense que le sens moral de la nation s’opposerait ce qu’on admît un tel homme dans le jury ; la nation ne voudrait pas que ses fils vinssent soumettre leurs doctrines à un tel jury, et qu’à un semblable contact ils perdissent de généreuses inspirations pour leur vie, et des espérances pour leur mort.

Mais je vais plus loin, et ceci servira de réponse à une objection de l’honorable M. Lebeau. Messieurs, je ne suis ni ne veux être un chef de parti, je ne cherche pas sur ces bancs des soldats qui portent mes couleurs ; je ne sépare pas les membres de cette assemblée en catholiques et en libéraux qui, mis en opposition avec les catholiques, seraient par conséquent des anticatholiques. Je pense qu’ici nous sommes des hommes d’Etat qui, lorsque nous parlons des questions religieuses, y voient un grand fait social d’où découlent de grands avantages, notamment pour le peuple ; je crois que personne dans cette enceinte ne se déclare hostile à ce grand fait social ; je pense que la seule différence qui existe entre nous, c’est que les uns sont plus frappés des avantages qui dérivent de ce fait social et que les autres sont plus frappés des inconvénients qui s’attachent à toute chose.

Eh bien, messieurs, toutes les fois que la question a été nettement posée sur ce terrain, qu’est-il arrivé ? L’opinion très consciencieuse, sans doute, que j’appellerai l’opinion de la défiance, a été réduite à une assez faible minorité, l’autre opinion a eu l’avantage, et quelque fois, elle a entraîné jusqu’à ceux qui voulaient lui résister. J’ai la confiance qu’une grande prépondérance, ou du moins une grande influence, sera toujours acquise dans cette chambre à cette opinion, que je n’appelle pas exclusivement catholique, à cette opinion largement tolérante dont faisaient partie MM. Lebeau et Rogier, lorsqu’au congrès, par exemple, ils s’élevaient contre la disposition qui ordonne de faire passer le mariage civil avant le mariage religieux ; lorsque l’honorable M. Lebeau, sur la question de l’enseignement s’est trouvé parmi les membres qui ont rejeté l’amendement présenté par M. de Sécus, abandonné par lui, et repris par M. Fleussu. Et puisque je parle de cet incident, je ferai remarquer qu’à cette époque, la minorité voulait cependant, relativement à l’enseignement, l’intervention des élus directs de la nation.

Je ne pense donc pas que cette opinion puisse jamais perdre son influence dans cette chambre et au sénat, au point de mettre en danger la liberté d’enseignement et les établissements dont le sort est lié à ce principe, et peut-être même que si la minorité dont j’ai parlé, devenait majorité, elle serait alors moins défavorable aux établissements, ou, pour parler franchement, à l’établissement auquel je fais allusion. Si alors la majorité avait en face d’elle une minorité véritablement hostile, une minorité ardente, implacable, dans cette chambre, dans le sénat on lui résisterait peut-être, mais je ne suis pas certain que le ministère lui résistât.

Mais, dit l’honorable M. Lebeau, quel serait votre recours, si la majorité devenait réellement hostile à l’opinion que vous voulez protéger ; messieurs, un ministre lui ferait-il la loi ? Le seul recours dans une telle hypothèse, et sous notre forme de gouvernement, c’est un retour de l’opinion publique à des idées saines et modérées.

Messieurs, les idées que je viens d’émettre répondent aussi à ce qui a été dit sur le scrutin secret. On regarde ce scrutin secret comme une grande arme de parti ; je crois que c’est une garantie contre l’influence du gouvernement, contre l’influence personnelle, contre les obsessions des candidats ; mais je pense, et les exemples que j’ai allégués en font foi, que la majorité se prononcerait publiquement comme elle le ferait au scrutin secret.

Messieurs, telle est, dans toute sa franchise, la pensée que j’ai voulu émettre. Il me semble qu’entre collègues, une telle déclaration doit suffire. (Erratum Moniteur belge n°92, du 1er avril 1844 :) On peux critiquer mes opinions, mais c’est ce qu’en abrégé j’ai voulu indiquer dans le rapport. Les choix que j’ai appelés politiques, ne sont pour moi que des choix dictés par les sentiments de la nation et nullement par l’esprit de parti.

Si au lieu d’avoir à répondre devant des collègues, j’avais à répondre devant un tribunal, (c’est une espèce de procès de presse qu’on me fait), je pense qu’en rapprochant les différents passages du rapport, en les expliquant l’un par l’autre, en invoquant cette maxime de droit, qu’on ne peut pas scinder les paroles ; je pense, dis-je, que j’obtiendrais gain de cause à moins que le principe de la responsabilité ayant été poussé à ses dernières conséquences, le ministère n’eût nommé le jury.

Mais, dit-on, vous condamnez l’esprit de parti. Eh bien, il s’est manifesté une partialité évidente dans le choix des chambres ; voyez la protection dont l’université de Louvain a joui.

Messieurs, l’université de Louvain est une des plus anciennes institutions du pays. Elle est née avec la protection du pouvoir civil, mais comme toutes les institutions du moyen âge, avec la consécration du pouvoir religieux. Cette université célèbre, à laquelle on accourait de tous les points de l’Europe, avait péri, à la suite de l’invasion française ; elle est sortie des ruines sous le gouvernement précédent ; en 1835, elle était encore l’université la plus fréquentée du royaume. Qu’a-t-on fait ? et ici je parle comme député de Louvain, on nous l’a ôtée, au moment où elle avait l’espoir de recouvrer son ancien droit de devenir une seconde fois l’université unique du royaume. Elle a été remplacée alors par un établissement libre. Si la nouvelle université disparaît, cette ville ne doit plus compter sur aucune compensation. Et cette université ne pourrait pas exciter les sentiments d’une très grande bienveillance ! On va jusqu’à lui reprocher d’avoir recueilli quelques débris de son ancien héritage, la jouissance très précaire des bureaux qui étaient affectés jadis à ce célèbre établissement. On lui reproche les bourses dont elle jouit. Eh bien, messieurs, quelle est la question principale dans l’espèce ? c’est l’intention des fondateurs. Or, je pense que si vous voyiez revenir les fondateurs avec leurs pourpoints tailladés et leurs vieilles armures, peut-être reprendraient-ils aux autres universités celles des bourses de fondateur qui leur ont été concédées.

Je puis citer un exemple frappant, non pas d’après ma connaissance personnelle, mais d’après des témoignages dignes de foi. Une question a été soulevée en Hollande, à Maestricht, sous le roi actuel. Il s’agissait de fondations des bourses qui avaient été créées en faveur de l’ancienne université de Louvain. On a demandé au chef de l’Etat que faut-il en faire ? Il n’a point dit qu’il fallait les partager entre les universités d’Utrecht, Leyde et autres de la Hollande ; il a, dit-on, répondu : Les bourses ont été fondées en faveur de l’université de Louvain, rendez-les à l’université de Louvain.

On a dit que la loi devait surtout protéger les minorités.

Eh bien, je pense que l’université de Louvain se trouve constamment en minorité. Les autres universités ont une base toute autre. Elles sont placées dans un grand centre de population. Elles ont une sorte de circonscription territoriale. L’université de Louvain, au contraire, a pris pour base un principe ; sa circonscription s’étend partout où ce principe s’étend. L’université de Louvain se trouve donc partout exposée à la rivalité des autres universités.

Maintenant vous dirai-je les motifs qui ont porté la chambre à protéger la renaissance de cette université ? Était-ce pour dédommager en quelque sorte Louvain de son ancienne et célèbre université ? Il m’est bien difficile de vous expliquer les intentions qu’avait la chambre à une époque déjà éloignée et où je n’étais pas membre de l’assemblée. Et, d’ailleurs, puisqu’un honorable membre a même admis que la Providence pouvait avoir des torts, je ne pense pas que mes fonctions de rapporteur m’obligent à prouver que la chambre n’ait jamais pu se tromper.

Mais, messieurs, je crois qu’on s’exagère singulièrement cette objection qui, du reste, selon moi, n’est nullement décisive pour la question, et surtout qu’on a tiré des conséquences qui n’ont rien de fondé.

L’université de Louvain, dans les premières années, a reçu des chambres huit membres sur les 24 nominations qui leur étaient attribuées annuellement. Rarement ce nombre s’est élevé à neuf et s’il a été porté à dix et jusqu’à onze, c’est au ministère qu’il faut s’en prendre. Si le ministère avait trouvé que la chambre commettait une injustice, il aurait dû la réparer. Loin de là, tous les ministères sans exception ont ajouté des membres de l’université de Louvain à ceux qui avaient été désignés par les chambres.

Messieurs, quoique député de Louvain, veuillez croire que je ne borne pas à Louvain tout mon horizon et que je ne fais pas consister toute l’instruction dans l’université de Louvain. Pour moi, l’enseignement supérieur, en Belgique, se compose de l’université de Louvain et des universités de l’Etat, et de l’université de Bruxelles et de l’enseignement privé. Voilà ce qui forme l’ensemble de l’enseignement. A chacune de ces différentes parties de l’enseignement sa part, à chacun son droit !

Je ne puis concevoir dans quel ordre d’idées on a pu supposer que la section centrale et son rapporteur en particulier aurait été guidé par un esprit d’hostilité envers l’université de Liége. Je n’avais pour cela aucun mot. La section centrale, à l’appui de ses observations, devait faite voir que les études privées ont plus d’importance qu’on ne le suppose, que tel établissement envoie aux examens beaucoup plus d’étudiants que d’autres ; mais là se bornait la portée de son raisonnement et de ses chiffres qui n’étaient point spécialement à l’adresse de l’université de Liége. Ces chiffres mêmes ne m’appartiennent pas, ils sont nés dans le sein de la section centrale. Ce n’est point à l’honorable député de Liége, qui a porté la parole, que s’adressent celles-ci. Il n’a point relevé ce trait pour me le lancer et je l’en remercie.

Les universités de l’Etat dans les commencements ont eu d’abord 14, 15, 16 et 17 membres dans les 6 jurys. Mais lorsque le gouvernement a trouvé ce nombre trop faible, il lui a été facile de l’augmenter. Sous M. Rogier ce nombre a été porté à 19 et jusqu’à 20. C’est une part très grande pour les universités de l’Etat, presque trop grande, quand on considère qu’il y a là deux corps ayant un intérêt commun qui pouvaient porter avec ce nombre de membres un très grand poids dans la balance, un poids qui ne pouvait certainement pas contrebalancer les huit ou neuf membres de l’université de Louvain.

Quant à l’université de Bruxelles je ne lui suis pas plus hostile qu’aux autres. Dans cette université, il y a pour moi deux choses : un ensemble de doctrines dont je ne suis pas juge, et un établissement de la ville de Bruxelles. Quand les intérêts de la ville de Bruxelles ont été en jeu, quand nous avons discuté cette loi qui a rétabli ses finances et fait cesser toutes les difficultés de son administration, j’ai uni ma voix à des voix plus éloquentes, mais qui faisaient peut-être moins d’impression, parce qu’on pouvait penser qu’un intérêt local avait sur elle une certaine influence.

Je ne puis pas me placer entre un établissement de la ville de Bruxelles et les deux premiers corps de l’Etat, pour voir s’il y a eu entre elle et eux malentendu ou bien des torts mais à coup sûr dans ces dernières années l’objection a perdu toute sa valeur. Dans ces dernières années les chambres savaient parfaitement, en conséquence de la permanence du jury et de l’intention manifestée par le ministère dans ses choix annuels, que celui-ci ferait sa part à l’université dé Bruxelles. Quand on sait qu’un de ses enfants sera doté par un parent, on ne commet pas une injustice en faisant un avantage aux autres.

On regarde le ministère comme le grand réparateur des torts. Pourquoi n’a-t-il pas réparé à différentes époques ceux de l’université libre ? Sous le ministère de M. Rogier même, on s’est peu inquiété de l’université de Bruxelles, on s’est surtout mis en peine des universités de l’Etat.

On dit que toute la question est dans la part faite par les chambres : oui, la question de guerre, la question de représailles mais ce n’est pas là la question pratique. Nous ne voulons pas les choix par la chambre seule, nous voulons le concours des trois pouvoirs ; et ce que nous avons à examiner, c’est le résultat de ce concours. La question véritable, la question pratique c’est de savoir si ce concours a produit l’impartialité nécessaire dans le jury. La plupart des orateurs qui ont attaqué l’intervention des chambres sont convenus de cette impartialité.

L’honorable M. Cogels qui hésitait sur le degré d’adhésion qu’il donnerait au projet de la section centrale, est convenu de cette impartialité, l’honorable M. Thyrion en est convenu également. L’honorable M. Fleussu a dit : On a répandu le bruit que les élèves de l’université de Louvain avaient quelques avantages dans les examens : Je ne le crois pas. Que nous importe l’impartialité envers les élèves, nous a dit l’honorable M. Verhaegen que je regrette de ne pas voir ici. S’il était là, je lui dirais : c’est un aveu ! et j’en prends acte.

Mais, a-t-on dit, vous ne connaissez pas les soupçons qui peuvent se cacher au sein des familles. Je sais que les plaideurs qui perdent leur procès condamnent leurs juges. De mon côté j’ai été en contact avec la jeunesse studieuse, j’y ai entendu quelques plaintes, mais ces plaintes avaient une direction bien différente de l’opinion des partisans du projet du gouvernement.

Selon moi l’impartialité ne résulte pas seulement des témoignages que j’ai rappelés, mais de la composition du jury tel qu’il existe maintenant. Depuis plusieurs années l’université de Bruxelles a toute garantie quant à l’impartialité du jury.

Voyons d’abord pour le droit.

Pour cette faculté, il y a deux jurys ; l’un pour la candidature et l’autre pour le doctorat. De quoi se composait, en 1843, chacun de ces jurys ? Premièrement de trois magistrats ; parmi ces trois magistrats l’un dans le jury de candidature était un homme politique dont l’opinion connue est celle de la majorité de cette assemblée ; comme il en a récemment fait partie, il n’y a pas d’indiscrétion à poser ce fait.

Quant aux autres ce serait une inquisition odieuse que de rechercher par rapport à des magistrats de la cour de cassation à quelle opinion ils appartiennent. Si l’on en venait là cependant, on trouverait facilement dans la composition d’un de ces jurys, un magistrat auquel on attribue une opinion contraire aussi prononcée que celle de notre ancien collègue.

Mais sans rentrer dans ces pénibles détails, il suffit qu’on admette qu’il y a eu un seul membre neutre ou favorable à l’université de Bruxelles parmi les trois magistrats placés dans chaque jury pour que le récipiendaire sortant de cet établissement pût compter sur l’impartialité du jury, car il y avait en outre deux professeurs des universités de l’Etat, un professeur de l’université de Bruxelles et un seul de l’université de Louvain. Ainsi, à moins qu’on ne récuse les deux professeurs des universités de l’Etat et les trois magistrats sans aucune exception, ce qui serait de la plus extrême injustice ; le professeur de l’université de Bruxelles donnait la majorité aux élèves de cet établissement.

Dans la faculté de médecine, il y avait pour la candidature trois professeurs des universités de l’Etat, et le président de l’Académie de médecine. Par cette nomination le gouvernement, si je ne me trompe, a voulu donner une garantie de plus à l’université de Bruxelles ; il y avait outre cela deux professeurs de l’université de Bruxelles, et un seul de Louvain.

Pour le doctorat, il y avait, il est vrai, deux professeurs de Louvain contre un de Bruxelles. Mais il y avait, comme nous venons de le voir, une large compensation dans le jury pour la candidature. Le jury du doctorat était complété par 4 professeurs des universités de l’Etat, qu’on ne peut considérer comme ligués avec ceux de Louvain.

Vous voyez que jusqu’ici la balance est au moins égale.

Pour les sciences et les lettres, l’université de Louvain avait un avantage ; elle avait deux professeurs dans chaque jury, Bruxelles n’en avait qu’un. Mais comment deux professeurs de l’université de Louvain auraient-ils pu rendre le jury partial, tandis qu’il renfermait dans son sein trois professeurs des universités de l’Etat et le chef d’une grande institution de la ville de Bruxelles ; certes, il y avait là une garantie d’impartialité. D’ailleurs, il me semble que l’on pourrait aussi avoir quelque égard à la grande quantité d’élèves que Louvain envoie aux examens.

On a dit que la section centrale semblait vouloir établir le principe de proportionner le nombre des représentants de l’université au nombre des élèves. Nous avons formellement déclaré que nous ne voulons pas établir ce principe d’une manière absolue, mais on ne peut entièrement écarter cette considération au point de vue de l’équité. On nous a reproché d’avoir pris pour base le nombre des récipiendaires ; mais voyons les admissions.

Dans les quatre dernières années, les admissions, ont été, suivant l’annuaire de M. Quetelet :

Pour l’université de Louvain :

Philosophie et lettres : 277. Moyenne, 69.

Sciences : 93. Moyenne, 23.

Pour l’université de Bruxelles :

Philosophie et lettres, 89. Moyenne, 22.

Sciences, 17. Moyenne, 4.

La disproportion est assez forte pour que si l’université de Louvain a dans le jury plus de représentants que l’autre, on ne puisse crier à l’injustice, d’autant plus qu’à côté des professeurs de l’université de Bruxelles, il y avait le chef d’une grande institution scientifique de la capitale.

On a dit que c’était un cercle vicieux que d’argumenter du nombre des élèves, parce que si l’on accordait beaucoup de professeurs aux établissements qui ont beaucoup d’élèves, ce nombre de professeurs servirait à attirer des élèves. Si cela était vrai, les élèves admis des universités de l’Etat en philosophie et sciences excéderaient d’un tiers le nombre des élèves de l’université de Louvain, car les universités de l’Etat envoient au jury trois professeurs. Il s’en faut bien que le fait réponde à l’hypothèse.

Celle-ci pourrait conduire aussi à une autre conséquence très peu favorable au projet du gouvernement ; c’est que ce projet tendrait à rétablir d’une manière factice entre les établissements l’égalité du nombre d’élèves, puisqu’il établit l’égalité dans le nombre des représentants de chaque université.

Serait-ce là la liberté ? Peut-être dans le sens que l’entend M. le ministre de l’intérieur ; mais je ne suis d’accord ni avec lui ni avec l’honorable M. Fleussu, sur la définition de la liberté d’enseignement. L’honorable M. Fleussu a dit : qu’est-ce que la liberté d’enseignement ? Le droit de placer ses enfants dans tel établissement que l’on veut ; mais pour cela il faut que les établissements puissent exister et comment subsisteraient ceux dont les élèves seraient dans une position défavorable pour l’accès aux positions sociales ? M. le ministre de l’intérieur a dit : la liberté d’enseignement c’est le droit de répandre les connaissances, il n’en résulte pas de droit civil ; Mais ce serait là une liberté stérile, ce serait dire à l’arbre qu’il peut croître, mais qu’il ne peut porter de fruits. Pour que la liberté soit complète, entière, telle qu’on la veut dans la constitution, il faut que ceux qui sortent des divers établissements soient dans des conditions complètement égales.

J’ai déjà dit que, selon moi, la proposition ministérielle, si elle était appliquée avec franchisé, n’augmenterait pas le pouvoir du gouvernement, qu’au contraire, elle le diminuerait plutôt. D’ailleurs, il ne suffit pas, selon moi, de demander à tout propos du pouvoir ; il faut encore que ce pouvoir soit demandé dans un but élevé, et ce but je ne l’aperçois pas ici.

J’ai établi qu’il fallait une garantie ; que l’intervention des chambres n’offrait pas les inconvénients qu’on lui reproche. Devons-nous considérer comme une garantie meilleure le concours des universités ? pour moi, j’aurais plutôt admis une proposition qui aurait donné au gouvernement le droit de nomination sans restriction, parce qu’alors la responsabilité serait du moins entière. Mais encore alors, j’aurais repoussé la proposition d’après les motifs que j’ai déjà exprimés, parce que je ne trouve dans ce pouvoir aucun intérêt pour le gouvernement, parce que je le trouve dangereux pour lui. Les plaintes, les soupçons de familles, dont a parlé l’honorable M. Lebeau, reviendraient au gouvernement, seraient dirigés contre lui. Si je veux une garantie, ce n’est pas que le gouvernement soit l’objet de mes soupçons ; c’est parce qu’il me faut une garantie d’indépendance pour les membres du jury.

Je ne crois pas que le jury, nommé par M. le ministre de l'intérieur, irait sacrifier un pauvre jeune homme. Je ne le crois pas. Mais il me faut plus qu’une idée générale de l’équité du jury ; car, comme je le disais, il ne nous faudrait pas alors des juges inamovibles pour les questions judiciaires, il me faut non seulement une confiance générale dans l’équité du jury ; mais il faut aussi qu’il offre une garantie d’indépendance.

L’honorable M. Verhaegen nous a dit qu’en admettant le roulement, le manque d’indépendance serait plus à craindre qu’avec la permanence, parce que les membres nommés par les chambres, étant moins sûrs d’être réélus, seraient plus dépendants des chambres. Ceci, pour le dire en passant, ne s’accorde pas avec l’idée de l’honorable M. Donny qui craint qu’on ne soit trop porté à les réélire. Mais il faut toujours en revenir à cette idée principale, que nous ne cherchons pas notre garantie dans l’action unique de la chambre.

Nous faisons consister la garantie, l’indépendance et l’impartialité dans le concours des trois pouvoirs. Si par un motif mal fondé l’un des trois pouvoirs excluait un membre du jury, qui aurait mérité d’être conservé, ce membre pourrait être nommé par l’une des deux autres qui sans doute ne partageraient pas la même prévention.

Le ministre aussi a voulu une garantie ; il présente comme telle le concours des universités qui n’en offre aucune. Celle du concours de la cour de cassation a donné lieu de la part même de l’honorable M. Lebeau aux objections les plus fortes.

Aussi ayant admis qu’il fallait une garantie, c’est pour ainsi dire malgré moi, par une conséquence de ce principe, que j’ai voulu maintenir l’intervention des chambres.

Je sais que pour les membres de la chambre ce n’est pas une tâche agréable ; je sais qu’il leur serait agréable d’en être déchargés, mais je le déclare, ce concours est une garantie nécessaire d’un principe constitutionnel ; il est nécessaire, du moins si l’on veut maintenir le jury, si l’on veut conserver une grande institution nationale ; une institution tout à fait propre à notre pays, et qui à ce seul titre mériterait votre intérêt.

On a cherché d’autres moyens : on a voulu au lieu d’un jury, rendre aux universités d’une manière quelconque le droit de conférer les grades. Toutes les universités, si ce n’est peut-être celle de Bruxelles, ont protesté contre ce plan ; toutes ont dit que ce serait la perte de l’enseignement, de la science, que les universités dégénéreraient en écoles spéciales, en espèce de fours égyptiens pour faire éclore aux moindres frais et le plus promptement possible des docteurs en droit et en médecine.

Si donc nous voulons le maintien du jury, avec une garantie suffisante, il faut maintenir le système de 1835, quant à l’intervention des chambres. La section centrale le maintient, mais elle détruit la plus grande objection qu’on y ait faite contre ce système en établissant le roulement, non pas le roulement absolu, qui se réduirait à une simple opération mécanique, mais un roulement qui laisse une latitude d’appréciation ; un roulement sérieux portant, comme je le ferai voir lors de la discussion des articles ; je ferai voir alors, je l’espère, que les objections qui ont été faites ne sont pas fondées, et que les autres moyens présentés sont beaucoup moins propres à atteindre le but.

Il y a un vœu général dans toute cette assemblée, ou du moins chez un grand nombre de ses membres, c’est la conciliation. Mais pour arriver à la conciliation, faut-il absolument sortir de ce qu’a proposé la section centrale ? Et le problème serait-il de trouver non quelque chose de bon, mais autre chose que ce qu’a proposé la section centrale ? La section centrale a été arrêtée par des sentiments de conciliation. Ce qu’elle a proposé est une transaction.

La loi de 1835 était elle-même une transaction entre deux principes extrêmes, le choix par les chambres seules et le choix par le gouvernement seul. Maintenant nous vous proposons une transaction nouvelle entre le système de 1835 et le système de roulement que j’appellerai absolue mécanique, qui est celui que l’honorable M. Delehaye a, selon moi, très logiquement déduit de la proposition ministérielle.

Le système défendu par l’honorable M. Delehaye, je ne puis m’y rallier ; au contraire, il donne prise aux objections principales que le rapport de la section centrale fait valoir contre le projet du gouvernement quant à la représentation des établissements. Mais, à mes yeux, l’amendement de l’honorable M. Delehaye a le mérite de poser la question d’une manière très belle et très franche, et de mettre ainsi dans tout leur jour les inconvénients du système ministériel.

Messieurs, nous n’avions pas à nous prononcer sur la question de savoir si la disposition quelconque que vous adopterez sera provisoire ou définitive. Le projet ministériel nous était présenté comme un projet définitif ; il est ainsi inutile ; nous n’avions pas mission de vous présenter autre chose que du définitif. Mais si c’est un moyen de conciliation que de soumettre notre projet à une épreuve, nous ne nous y opposerons pas. Nous confiant dans la bonté de notre système, nous espérons que le temps le consacrera ; et si l’expérience fait voir qu’on peut y introduire des améliorations, nous y adhérerons.

En procédant ainsi, messieurs, tout le calme ; qui peut en effet le nier ? Si le ministère avait proposé le projet de la section centrale, surtout comme épreuve nouvelle, il y aurait eu quelques protestations peut-être, mais une imposante majorité aurait applaudi à ces améliorations et les aurait sanctionnées.

Ainsi, messieurs par l’adoption de cette proposition, tout se calme, nous passons à l’examen paisible de questions importantes qui attendent une solution et nous concourons même en ce qui dépend de nous au calme des esprits dans des pays voisins.

M. le ministre de l’intérieur et l’honorable M. Lebeau vous ont parlé de la France, de l’Irlande. Si j’étais aussi injuste qu’on l’a été pour moi, je m’écrierais : ah ! je vois ce que c’est : on veut que nous montrions chez nous la liberté de l’enseignement réduite en tel état que chacun à l’étranger en détourne les yeux, à ceux qui invoquent cette liberté on veut, où était son autel, pouvoir montrer son tombeau. Mais je suis plus juste : je conviendrais volontiers que la liberté telle que l’entend M. le ministre de l’intérieur, serait encore reçue comme un bienfait en certains pays. Si je la réclame dans une mesure plus large, c’est que je la trouve établie, c’est que je la vois ainsi écrite dans notre charte, c’est qu’elle est en harmonie avec notre état social, c’est qu’à ce principe se lie le sort de grands établissements. Je ne prétends pas que les libertés qui existent ici soient applicables à tous les lieux, à tous les temps, à toutes les situations politiques ou sociales. Je ne fais pas de la propagande. Je dirai plus, j’ai confiance dans les sentiments de tolérance et de magnanimité des princes que je vois sur les trônes qui nous environnent. Mais pourtant une considération me frappe. En présence de ces luttes où le faible, à tort ou à raison, s’agite et réclame, où le fort à droit de décider, je ne voudrais pas que l’on pût supposer que nous venons lui apporter l’appoint de notre complaisance, j’ai presque dit de notre servilité.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, dans la grave discussion qui occupe la chambre, je ne partage pas l’opinion de plusieurs de mes honorables collègues, députés de Gand. Ce désaccord m’impose le devoir de prendre part à cette discussion, malgré la répugnance que j’ai éprouvée d’abord.

Je dis répugnance, messieurs, car je n’ai pas dans le ministère, dans sa persévérance, la même confiance que l’honorable M. Lebeau ; car j’ai grande peur qu’au bout de cette discussion il n’y ait quelque déception pour les défenseurs du projet ministériel. Je désire me tromper, messieurs, j’espère même me tromper ; et cet espoir augmente en présence des considérations que vient de faire valoir l’honorable rapporteur de la section centrale et qui ne me paraissent guère susceptibles de résister à une réfutation sérieuse ; mais si je me trompe, on devra me rendre cette justice, que l’attitude quelque peu expectante et dubitative du ministère était bien faite pour fomenter les doutes et les appréhensions.

Quoi qu’il en soit, le projet du gouvernement consacre un principe juste ; un principe qui importe à l’existence et au développement du haut enseignement en Belgique ; un principe qui importe aux universités libres comme aux universités de l’Etat : qui importe aux progrès scientifiques et intellectuels du pays : ce principe je le défendrai, quoi qu’il arrive.

C’est déjà vous dire, messieurs, que pour moi la question du jury d’examen est surtout et avant tout une question scientifique. Malheureusement, elle a été jetée en pâture aux passions politiques ; elle est devenue, elle est à cette heure une question de parti.

Personne, messieurs, ne regrette plus que moi que la question du jury d’examen soit devenue une question de parti. Je le regrette d’abord, parce que, dès qu’elle est transformée en question de parti, il y a plus de difficultés, il y a plus d’obstacles à lui donner une solution impartiale.

Je le regrette encore parce qu’une question de parti implique nécessairement une question de cabinet, et qu’en ce moment une crise ministérielle viendrait ajourner, indéfiniment peut-être, la discussion si importante, si longtemps différée, si impatiemment attendue par le pays, de notre système commercial et industriel.

Je fais cette déclaration, messieurs, car je n’entends pas qu’aux adversaires seuls du projet ministériel appartienne en quelque sorte le privilège des sympathies pour les intérêts matériels du pays. Je fais cette déclaration parce que je regretterais que quelques phrases échappées à l’honorable M. Lebeau fussent mal interprétées. Je ne puis croire, en effet, que l’honorable M. Lebeau ait voulu dans son discours établir la préséance absolue des questions morales et politiques sur les questions d’intérêts matériels. Les intérêts matériels, messieurs, il faut que les partisans comme les adversaires du projet ministériel le reconnaissent, les intérêts matériels ont été trop oubliés, trop sacrifiés depuis 1830. Il est temps enfin que les questions d’intérêts matériels, qui sont les questions vitales, ne soient plus reléguées comme des questions secondaires et abandonnées chaque fois que le moindre orage se montre à l’horizon politique, que la moindre commotion vient agiter les partis.

Nos intérêts matériels ! Là se trouve, selon moi, le problème le plus grave, le plus urgent que nous ayons à résoudre. Là doivent se concentrer toutes nos sympathies. Là doivent se porter notre sollicitude et nos soins. Car notre commerce qui languit, notre industrie qui souffre, le paupérisme qui s’étend comme une lèpre sur les plus belles de nos provinces, quel sujet plus digne et plus élevé pourrait-on assigner à nos discussions, quelle préoccupation plus grande et plus grave pourrions-nous avoir ? Est-ce qu’avec un commerce en décadence, avec une industrie tous les jours moins prospère, avec la misère qui envahit nos provinces, il n’est pas certain que bientôt vous ne trouverez plus chez le peuple, ni sentiment de nationalité, ni sentiment d’indépendance, ni sentiment de dignité, ni moralité ? (Très bien !)

Messieurs, je déplore, je le répète, que cette question soit devenue une question de parti. Et il est un point de vue qui n’a pas encore été suffisamment indiqué : c’est qu’en faisant de la question du jury d’examen une question de parti, on n’a pas seulement rangé les universités du pays sous les drapeaux politiques des deux côtés de cette chambre ; mais on a également imposé le drapeau de ces partis à la jeunesse de nos universités. Or on ne devait pas arracher cette jeunesse, la jeunesse instruite et intelligente du pays, à la neutralité politique qui est sauvegarde comme la nécessité de son âge. Il y a là une faute, une imprudence, un danger. En voyant le parti qui a pris cette initiative, je reconnais difficilement la prudence et la réserve ordinaires de la majorité de cette chambre, cela soit dit sans blesser sa susceptibilité. Un parti, messieurs, qui se dit essentiellement conservateur et gouvernemental, qui aspire comme tel à la prépondérance dans les chambres et dans les conseils de la couronne, qui a jeté ce double titre de conservateur et de gouvernemental dans la balance, chaque fois qu’il s’est agi de faire un appel au pays, ce parti pouvait-il être moins prudent qu’en se créant ainsi des ennemis à plaisir, en s’aliénant les forces vives du pays ?

Enfin, j’ajouterai encore que la couleur toute politique donnée à ce débat est funeste, parce que, si déjà jusqu’à présent vos choix pour le jury d’examen ont été des choix politiques, il saute aux yeux qu’à l’avenir le maintien du mode de nomination actuel revêtirait vos choix d’un caractère politique plus prononcé encore ; et dès lors, à chaque session, vous verriez s’engager une lutte peu digne entre les partis, une lutte de noms propres, c’est-à-dire la lutte la plus dangereuse, la plus vive, la plus irritante.

Toutefois, messieurs, si je regrette que la question du jury d’examen soit devenue une question de parti, je m’empresse de le déclarer, cette question une fois posée, une fois qu’elle a agité la surface du pays doit être résolue franchement, loyalement. Et je serai juste il ne faut pas reprocher, messieurs, au ministère d’avoir, sans opportunité, soulevé cette question. En la soulevant le ministère a bien fait. Il a obéi à la loi de la nécessité ; car les abus étaient évidents, étaient criants ; car les plaintes étaient incessantes et unanimes. Dès lors, je ne pu partager l’opinion émise par d’honorables préopinants que le ministère aurait obéi à quelque mystérieuse influence. J’aime mieux reconnaître au projet de loi une origine plus simple, plus naturelle et plus honorable. Pour moi, messieurs, je retrouve l’origine du projet dans le conseil qu’en 1835 l’honorable M. Dumortier avait d’avance en quelque sorte donné au ministère. Voici, messieurs, comment l’honorable M. Dumortier s’exprimait en 1835 :

« C’est une chose fort curieuse que parce qu’il y a des essais à faire, ces essais doivent nécessairement être faits par le gouvernement. C’est comme si vous disiez que le gouvernement est seul capable de faire les essais sur ce qui concerne l’instruction publique. Si vous voulez faire un essai d’une manière franche, faites faire cet essai par la législature qui est la véritable représentation des pères de famille. Si la législature fait de mauvais choix, rien ne sera plus facile que de présenter un projet de loi pour lui enlever son droit de nomination, en lui disant : Vous avez fait de mauvais choix. »

Or, messieurs, quels ont été là conduite et le langage du ministère ? II s’est trouvé en face de chiffres plus éloquents que tous les raisonnements ; il a trouvé, à n’en pas pouvoir douter, que les choix de la législature étaient mauvais ; eh bien ! il à suivi le conseil de l’honorable M. Dumortier ; il est venu présenter un projet de loi par lequel il vous a dit : « La majorité des chambres a fait de mauvais choix pour le jury d’examen ; résignez entre les mains du gouvernement un pouvoir dont vous avez mal usé, dont vous ne pouvez bien user. »

Messieurs, dans cette discussion l’on a parlé beaucoup de la liberté d’enseignement. La liberté d’enseignement a été le premier et le dernier mot des partisans comme des adversaires du projet ministériel. Je dois donc, messieurs, m’expliquer aussi. Et je le dirai tout d’abord, je ne veux point, comme semble le supposer l’honorable rapporteur de la section centrale, précipiter la liberté d’enseignement de son autel dans la tombe ; je veux au contraire la liberté d’enseignement dans toute sa sincérité ; je la veux pour moi, je la veux pour les autres. Ce n’est pas seulement comme principe constitutionnel, ce n’est pas parce qu’elle est un principe constitutionnel que je la respecte ; elle m’est chère, messieurs, malgré les abus qui peuvent en résulter, abus que beaucoup de bons esprits ont présenté comme possibles, mais que je ne crois guère probables en Belgique. La liberté d’enseignement ! Hé ! messieurs, le triste spectacle de ce qui se passe en France ne suffirait-il pas pour rallier autour d’elle tous les pères de famille, tous les hommes d’intelligence et de cœur, tous ceux que révoltent l’oppression de la pensée, l’asservissement de la conscience ! Messieurs, en présence de réclamations aussi justes que celles de la France en faveur de la liberté d’enseignement, je ne saurais pousser aussi loin que l’honorable M. Lebeau le rigorisme des formes administratives ?

Mais la liberté d’enseignement ne doit point être exagéré, elle ne doit point être dénaturée, surtout ; elle n’est, comme l’a très bien définie M. le ministre de l'intérieur, elle n’est que le droit égal pour tous, de propager les connaissances humaines. Si vous voulez savoir ce qu’elle a été dans la pensée des auteurs de la constitution, il suffit de se reporter aux circonstances dans lesquelles la constitution a été faite. La constitution, vous le savez, est une véritable réaction. Touchant l’instruction, elle réagit contre la législation du régime néerlandais, législation qui a été l’une des fautes les plus regrettables du gouvernement des Pays-Bas, et peut-être l’une des causes les plus énergiques, les plus immédiates de sa chute. Prévenir le retour de cette législation, voilà tout ce que les auteurs de la constitution ont voulu. Mais à côté de la liberté d’enseignement, notre constitution (on l’a trop oublié) a posé un autre principe, tout aussi salutaire, tout aussi sacré, tout aussi inviolable que la liberté d’enseignement elle-même ; c’est l’enseignement aux frais de l’Etat. Messieurs, on ne peut pas plus supprimer, on ne peut pas plus enchaîner, on ne peut pas plus fausser l’enseignement aux frais de l’Etat, qu’on ne peut supprimer, enchaîner ou fausser la liberté d’enseignement.

En effet, la constitution a consacré les deux principes : elle les a revêtus du même cachet d’inviolabilité. C’est que l’enseignement aux frais de l’Etat, messieurs, est le correctif nécessaire de la liberté d’enseignement aux frais de l’Etat, est une digue puissante opposée à l’invasion des fausses et pernicieuses doctrines que la liberté d’enseignement, il faut bien le reconnaître, pourrait favoriser. La constitution a voulu ce correctif ; elle n’en a point voulu d’autre ; elle a laissé le reste, elle a eu raison de laisser le reste au bon sens, à la moralité du peuple belge.

De là, messieurs, résultent plusieurs conséquences importantes. La première conséquence, c’est que, dans l’organisation du jury d’examen, il ne faut pas seulement avoir en vue le principe de la liberté d’enseignement, mais, qu’il faut également respecter le principe de l’enseignement aux frais de l’Etat. La deuxième conséquence, C’est qu’en disant que l’opinion du principe de la majorité du pays représentée par la majorité des chambres doit avoir sa part d’influence et d’action dans l’instruction publique, on dit à la fois une chose très fausse, et une chose très vraie. On dit une chose très fausse lorsqu’on se place au point de vue de la section centrale, au point de vue d’un parti. On dit, au contraire, une chose très vraie lorsqu’on se place au point de vue de la constitution. Car ; ne voyez-vous pas que la constitution fait à la majorité sa part d’influence, sa part d’action sur l’instruction publique, en remettant entre ses mains l’enseignement aux frais de l’Etat ? N’est-ce pas là cette représentation de l’opinion du pays dans l’enseignement qu’on revendique pour la majorité des chambres ? Pour mon compte, je n’en vois pas d’autre consacrée par la constitution. Dira-t-on peut-être que l’enseignement donné aux frais de l’Etat n’est pas conforme à l’opinion, aux doctrines, aux convictions de la majorité parlementaire ? Mais alors pourquoi la majorité vote-t-elle les crédits demandés pour l’enseignement aux frais de l’Etat ? Elle exerce cependant là son contrôle et sur le choix des hommes et sur le choix des doctrines. Elle exerce là le même contrôle que pour tous les autres actes de l’administration du pays. Que si l’on venait objecter que la majorité vote les crédits, mais désapprouve, mais répudie soit le choix des hommes, soit le choix des doctrines, soit le choix des universités de l’Etat ; je répondrais que c’est une erreur et une faute. Quant à moi, messieurs, jamais je ne suivrai, dans cette voie, la majorité. Quand je vote les crédits pour l’enseignement supérieur aux frais de l’Etat, je vote ces crédits parce que je le trouve bon, utile, salutaire, et si, au contraire, j’avais la certitude que l’on enseigne dans les établissements de l’Etat des doctrines pernicieuses, immorales, réprouvées par ma raison et par ma conscience, certes, des deux choses l’une : ou le ministère ferait droit à mes vives réclamations ou je refuserais mon vote au crédit demandé. Jamais il ne serait dit que j’aurais voté l’empoisonnement moral de nos jeunes générations (Très bien !)

Des principes que j’ai posés, messieurs, il résulte une troisième conséquence moins importante, je l’avoue ; c’est que les précautions oratoires que l’honorable M. Desmaisières a cru devoir employer lorsqu’il s’est élevé contre l’esprit de localité, ne peuvent pas m’atteindre. En défendant l’université de Gand contre la partialité et l’injustice de la loi existante, je n’obéis ni à des sentiments, ni à un intérêt de localité. Les défenseurs des universités de l’Etat se dévouent à des considérations plus grandes et plus hautes. L’existence et la prospérité de ces universités n’importent pas seulement aux villes de Gand et de Liége, mais au pays tout entier, mais aux progrès de la science, mais à l’avenir intellectuel et scientifique de notre jeune nationalité ! Qu’on s’abstienne donc de me rappeler, en quelque sorte, à la constitution, et au serment que j’ai fait de la respecter ; c’est moi qui défends, dans l’enseignement aux frais de l’Etat, un principe de la constitution que personne ne doit ni méconnaître, ni oublier.

D’après les considérations qui précèdent, on doit donc admettre, messieurs, que c’est à la lueur du double principe de la liberté d’enseignement et d’un enseignement aux frais de l’Etat, qu’il faut résoudre la question de la composition du jury d’examen ; que c’est dans la combinaison de ces deux principes, dans le respect égal et loyal de ces deux principes qui gît la solution de la question tout entière.

Maintenant, messieurs, si l’on examine à la clarté décisive de ces deux principes et le système du passé et le système qu’on nous propose pour l’avenir, soit du côté du gouvernement, soit du côté de la section centrale, je pense que le doute, que l’hésitation même est impossible. Le passé ! l’honorable M. Fleussu est venu mettre sous vos yeux des chiffres que l’on ne peut pas atténuer que l’on ne peut pas réfuter, parce qu’on ne réfute, ni l’on atténue l’inexorable logique des chiffres. Et encore, messieurs, l’honorable M. Fleussu ne vous a pas tout dit.

Non seulement l’université de Louvain a obtenu dans cette chambre et dans le sénat 65 nominations au jury, pendant que l’université de Gand n’en obtenait que 20, pendant que l’université de Liége n’en obtenait que 18, pendant que l’université de Bruxelles n’en obtenait que 16 ; mais il y a eu la même partialité, quoiqu’agissant en sens inverse, dans la nomination des suppléants. Ainsi, lorsqu’on choisissait les titulaires, on les prenait en majorité parmi les professeurs de l’université de Louvain ; on n’en choisissait qu’un petit nombre dans le personnel des universités de l’Etat ; et enfin, ceux qu’on y prenait n’étaient pas toujours les professeurs les plus renommés. Lorsqu’il s’agissait au contraire, de suppléants, de ceux qui ne siègent au jury qu’accidentellement, oh ! alors on choisissait surtout parmi les professeurs des universités de l’Etat, particulièrement parmi ceux de l’université de Gand. La chambre faisait donc déjà ce que le projet de la section centrale veut maintenant ériger en droit ; elle faisait des nominations négatives, elle prononçait des exclusions. Or, on ne peut nier, messieurs, que les nominations faites ainsi dans l’université de Louvain étaient des nominations réelles, tandis que les nominations faites ainsi dans les universités de l’Etat, étaient de véritables exclusions. En effet, dès qu’un professeur se trouvait nomme membre suppléant du jury par la chambre, il ne pouvait plus être nommé membre titulaire par le gouvernement ; exclusion d’autant plus injuste, messieurs, que les membres suppléants du jury d’examen ont toujours été choisis par une étrange fatalité, dans l’élite du corps professoral. Sur cette liste figurent des noms dont nos universités sont fières à juste titre.

Voilà ce qu’a été le passé, messieurs. Certes les faits sont clairs, irrévocables, décisifs. Ils parlent haut contre la loi de 1835. Ils démontrent que sans le vouloir, que même en voulant tout le contraire, la fatalité de leur position a entraîné les chambres à être peu justes et partiales. Messieurs, l’avenir doit se prévoir par l’expérience du passé. Il faut donc soumettre les systèmes nouveaux qu’on nous propose à l’épreuve des mêmes principes.

Le projet du gouvernement propose la nomination des membres du jury par le roi. Ce principe a déjà été défendu par mon honorable ami, M. Lys, par les honorables MM. Thyrion, Verhaegen, Lebeau ; et je ne doute point qu’avant la fin de cette discussion, M. le ministre de l’intérieur ne vienne également apporter à la défense de ce principe l’appui de son talent, l’appui de sa puissante parole. Dès lors je demanderai la permission de ne pas m’étendre sur ce point ; personne d’ailleurs n’a ébranlé les arguments pleins de force présentés par les honorables membres que je viens de nommer. Tous ces arguments sont restés debout ; c’est à peine si l’on a osé les regarder en face, loin de les réfuter. On a dit, il est vrai, que le projet du gouvernement, à côté d’un principe salutaire, a posé une limitation qui peut entraîner de graves inconvénients ; j’entends parler de la reconnaissance des établissements libres, de l’obligation imposée à la couronne de choisir nécessairement des représentants de ces universités pour la composition du jury d’examen.

Messieurs, cette limitation apportée à la prérogative de la couronne, je dois l’avouer, cette reconnaissance et cette représentation forcée des établissements libres me paraît pouvoir engendrer quelques inconvénients. Mais j’ai considéré, pour ma part, que nous vivons à une époque où les idées absolues, où les systèmes absolus n’ont guère de chance de succès.

En effet, messieurs, nous sommes sous un régime de liberté ; or, un régime de liberté est nécessairement un régime de transaction. Aussi, entendons-nous tous les jours et incessamment parler de conciliation, parler de transaction ; c’est le mot d’ordre de tous les partis. Eh bien ! pour le jury d’examen, c’est comme transaction que j’ai cru devoir accepter cette reconnaissance des établissements libres, et la limitation que, par leur représentation forcée, le projet du gouvernement impose aux choix de la couronne. Tout le monde doit voir une très grande concession, une immense garantie pour les établissements libres, dans cette transaction que nous acceptons de bonne foi.

Messieurs, comme j’ai l’honneur de prendre la parole immédiatement après l’honorable rapporteur de la section centrale, je crois devoir, dans la mesure de mes forces, relever les principales considérations qu’il vient de présenter en réponse aux arguments des différents orateurs qui ont appuyé le projet du gouvernement. Je réclamerai ici toute l’indulgence de la chambre ; il me sera difficile de mettre beaucoup d’ordre dans mes observations, l’honorable rapporteur ayant suivi lui-même l’ordre dans lequel les différents arguments auxquels il a répondu, ont été présentés dans la discussion.

S’il faut en croire l’honorable rapporteur, le projet ministériel, loin d’étendre la prérogative royale, vient au contraire la restreindre. En effet, dit l’honorable rapporteur, au lieu de 3 nominations sur 7, le projet ne laisse plus à la couronne qu’une seule nomination sur cinq ; et l’honorable membre a été jusqu’à prétendre que le projet du gouvernement faisait jouer à la couronne un rôle peu digne, puisque dans ce système, elle n’a plus qu’à « tourner la manivelle de la rotation. »

D’abord, messieurs, quand on proteste si haut de son juste respect pour la couronne que le fait l’honorable rapporteur, on doit, ce me semble, la ménager un peu, même dans ses métaphores. Ensuite l’observation de l’honorable rapporteur n’est pas exacte ; elle pèche par la base. En effet, s’il est vrai que d’après le projet de loi ministériel, la couronne n’a plus qu’une seule nomination entièrement libre et sans condition, on ne peut néanmoins contester que le droit de la couronne pour les autres nominations ne soit sérieux, efficace (il effraie même quelques esprits) que la prérogative royale, pour ces nominations, soit circonscrite dans les limites du projet de loi ; qu’elle soit subordonnée, dans son exercice, à la représentation des universités et des sciences ; il n’importe, messieurs ; car il est bien d’autres nominations attribuées à la couronne, et pour lesquelles son action est restreinte dans un cercle très étroit, tracé par la loi elle-même. Ainsi, pour les nominations de l’ordre judiciaire, la couronne n’est-elle pas obligée de limiter son choix aux propositions des différents corps qui ont le droit de présentation ? L’objection de l’honorable rapporteur est donc sans portée.

L’honorable rapporteur a cru voir une atteinte contre la prérogative royale dans la question de constitutionnalité que plusieurs honorables préopinants ont soulevée contre la loi de 1835.

Je ne suis pas de ceux, messieurs, qui pensent devoir insister vivement sur cette inconstitutionnalité. Lorsque huit années ont passé sur la loi, lorsqu’elle a été exécutée par les chambres et par le roi, il faut être plus avare du reproche d’inconstitutionnalité. A cet égard, je partage l’opinion émise par l’honorable M. Fleussu. Mais partir de là pour soutenir, avec l’honorable rapporteur, qu’en accusant d’inconstitutionnalité la loi de 1335, on fait remonter jusqu’au roi ce reproche, messieurs, il faut en convenir, c’est pousser par trop loin la susceptibilité.

Je passe à un point plus grave. L’honorable rapporteur n’a pu se dissimuler toute l’importance que les défenseurs du projet ministériel étaient en droit d’attacher à l’aveu qui lui est échappé dans son rapport touchant les choix politiques faits par la chambre. L’honorable rapporteur a retiré le mot politique, et je le veux bien. Mais quant à l’explication qu’il a essayé de vous en donner, et pour laquelle il a dû avoir recours au grec, j’avoue humblement, messieurs, que c’est de l’hébreu pour moi. Eh comment prétendre que le mot politique n’exprime pas ce que tout le monde entend par ce mot... (Interruption.)

L’honorable rapporteur m’interrompt pour me renvoyer au dictionnaire grec ; je le remercie beaucoup ; mais je crois la chose inutile ; il me suffira de faire remarquer que lorsqu’on est obligé de donner aux mots une acception toute différente de l’acception commune, de l’acception vulgaire, c’est bien malheureux, car c’est compliquer inutilement les discussions.

Au demeurant, messieurs, quand l’honorable rapporteur n’aurait pas avoué que les choix étaient politiques, est-ce que sans cet aveu les faits, les noms propres ne sont pas toujours là ? En est-il moins irrécusablement établi que l’université de Louvain a eu la majorité absolue et la majorité relative dans la plupart des sections du jury ? Que l’université de Louvain a toujours été favorisée ? Que les universités de l’Etat et de Bruxelles ont toujours été sacrifiées ? Parviendrez-vous jamais à déraciner ce fait soit de la conviction des membres de cette chambre, soit de la conviction du pays ?

Certes, si l’honorable rapporteur a espéré y parvenir, ce ne peut être en soutenant, comme il l’a fait, qu’il faut laisser aux chambres la nomination du jury universitaire, parce que les chambres savent résister aux minorités, en secouer la tyrannie, et que le ministère ne le saurait pas.

Sans doute, messieurs, à en juger par ce qui s’est passé, l’honorable rapporteur a grandement raison de dire que les majorités ne subissent pas la tyrannie des minorités ; la minorité de la chambre n’a eu aucune part, aucune représentation dans les choix sortis de votre scrutin pour le jury universitaire. Sans doute aussi, il en serait autrement si un ministre responsable était chargé de la composition du jury. Mais peut-on mieux justifier le projet du gouvernement ?

Le ministère, dites-vous, subira l’influence d’une minorité ardente, qui l’entraînera, qui le tyrannisera dans ses choix ; la majorité des chambres au contraire sera inexorable.

Mais, ou je me trompe étrangement, ou cela signifie que la majorité fera toujours ses choix dans le sens de la majorité, c’est-à-dire, des choix de parti, des choix partiaux. Tandis que le ministère, forcé de ménager la minorité, forcé de compter avec elle, devra faire aussi des nominations dans le sens de la minorité, c’est-à-dire, des choix marqués au coin de l’impartialité. En deux mots, cela signifie : que la chambre sera nécessairement partiale et que le gouvernement sera nécessairement impartial. Messieurs, c’est là une justification irrésistible du projet de loi, justification d’autant plus irrésistible qu’elle s’appuie sur une expérience de huit années.

Messieurs, tous les orateurs qui ont pris part à cette discussion se sont élèves contre l’irresponsabilité politique et morale qui recouvre l’action des chambres quand elles nomment le jury d’examen. Tout le monde s’est récrié contre cette irresponsabilité que le scrutin secret protège.

L’honorable rapporteur a exprimé une opinion toute contraire et aussi toute nouvelle. Selon lui, il y a dans le scrutin secret une garantie d’impartialité. Une garantie ! mais encore une fois, les faits sont là, les chiffres sont là, comment peut-on argumenter contre des chiffres, contre des faits ? N’est-ce pas fermer les yeux à la clarté du jour ?

L’honorable rapporteur trouve que le scrutin secret est un gage d’impartialité ; je dis, moi, que le scrutin secret a été proscrit par la constitution pour tous les votes politiques, parce que le secret du scrutin détruit la responsabilité du représentant, et peut servir de voile aux passions des partis.

Je passe, messieurs, à l’apologie que l’honorable rapporteur est venu faire de l’ancienne université de Louvain et de l’université nouvelle. En 1835, a dit l’honorable membre, on a enlevé à la ville de Louvain son université qui comptait encore le plus grand nombre d’élèves ; et voici qu’aujourd’hui on vient lui reprocher et les faibles débris qu’on lui a laissés de sa splendide succession, et la sollicitude qu’a montré pour elle la majorité de cette chambre.

Messieurs, permettez-moi de rétablir la vérité des faits. Entre l’ancienne université de Louvain dont la gloire appartient à toute la Belgique, et l’université catholique, la filiation me paraît quelque peu douteuse. Il y a plus d’une solution de continuité dans la généalogie. Ce n’est pas comme héritière légitime que l’université catholique a recueilli la succession de l’université de Louvain, elle s’est emparée d’une succession en déshérence.

On a ôté en 1835 à la ville de Louvain son université. Il importe donc, dit l’honorable rapporteur, de maintenir celle qui l’a remplacée ; il importe qu’elle ne soit pas écrasée dans sa concurrence avec les universités de Gand, de Liége et de Bruxelles. Je le veux bien ; mais je ne veux pas plus.

Cependant j’ajouterai que l’honorable rapporteur se trompe en faisant un grief à la minorité de la suppression de l’université de Louvain en 1835. Pas plus que l’honorable rapporteur, je n’avais l’honneur de siéger en 1835 dans cette enceinte ; cependant je connais assez les débats qui ont eu lieu à cette époque pour savoir que ce n’est pas au parti qui soutient maintenant l’université de Louvain, à se faire une arme de la suppression prononcée en 1835. On pourrait dire avec plus de raison, qu’en supprimant l’université de Louvain, la majorité savait bien à qui retournerait la succession. Le but de la suppression n’aurait-il pas été d’établir à Louvain cette université catholique libre, dont la centralisation double les forces ? Ce but, je ne le blâme pas, je le déclare, mais je blâmerais une concurrence illusoire, parce qu’elle mène droit au monopole. Or, trop de protection, trop de sollicitude pour l’université catholique rendraient toute concurrence une déception.

Je ne m’arrêterai pas, messieurs, à réfuter plusieurs autres allégations échappées à l’honorable rapporteur. Telle est cette maxime, citée par l’honorable rapporteur, qu’il faut protéger les minorités, maxime qui précisément sert de base au projet de loi du ministère. Telle est encore, cette protestation de l’honorable rapporteur, contre les reproches adressés au travail de la section centrale par le corps professoral de l’université de Liége. Il n’y a ni hostilité, ni défaveur envers les universités de l’Etat, dit l’honorable rapporteur ; s’il y a des chiffres dans le rapport qui parlent contre ces établissements, la faute en est aux chiffres, et nullement au rapport de la section centrale.

Messieurs, les chiffres qui se trouvent dans le rapport de la section centrale forment en premier lieu une pétition de principe ; on argumente du nombre des élèves au nombre des représentants que chaque université a dans le jury ; or nous, nous raisonnons du nombre des représentants dans le jury, au nombre des élèves qu’on est parvenu à attirer à l’université de Louvain.

En second lieu, l’exactitude des chiffres a été contestée ; l’université de Liége, dans un mémoire remarquable qu’elle a adressé à cette chambre, a démontré que si l’université de Louvain avait envoyé le plus grand nombre de récipiendaires au jury, c’était à raison du grand nombre d’élèves ajournés qu’elle a eus, et qui font dans les calculs du rapport double et même triple emploi !

L’honorable rapporteur a fait de grands efforts, messieurs, pour justifier les choix partiaux de la chambre ; et je m’empresse de déclarer que, quand je parle de choix partiaux, de choix injustes, je ne veux nullement blesser la majorité ; j’ai la conviction intime, profonde, que la chambre, en faisant des choix politiques, a obéi à la nécessité de sa position, à la nécessité de sa nature, et c’est précisément parce que telle est sa nature, sa position, qu’il faut lui ôter l’occasion d’encourir les mêmes reproches à l’avenir.

Messieurs, on vous a dit que dans la partialité de la composition du jury d’examen, les chambres étaient excusables ; qu’elles avaient, en effet, pu s’en rapporter au gouvernement pour combler les lacunes qu’aurait offertes le jury. L’on a ajouté, en faisant allusion à l’université de Bruxelles, que, lorsqu’un père sait qu’un de ses enfants sera doté d’ailleurs, il ne favorise plus cet enfant, il ne songe qu’à établir les autres.

S’il est une chose, messieurs, à laquelle l’université de Bruxelles ne s’attendait guère, c’était de s’entendre dire que le corps législatif s’est conduit envers elle comme un père (on rit) ; et je crains fort qu’elle n’ait grande confiance dans une tendresse paternelle qui se traduit en une exclusion, je ne dirai pas en une espèce de proscription. L’argument de l’honorable rapporteur est si étrange qu’il est difficile de croire qu’il ne soit pas une ironie. Je ne pousserai pas plus loin cette réfutation.

Mais indépendamment des objections de l’honorable rapporteur, et que j’ai dû rencontrer avec quelque désordre, il est d’autres objections, messieurs, qui ont été faites contre le projet de loi. Je vais essayer de les détruire.

Mon honorable ami M. Delehaye et l’honorable M. Desmaisières ont allégué, à l’appui de leur opinion défavorable au projet ministériel, l’intérêt même des universités de l’Etat. Ces honorables membres ont paru craindre de remettre au gouvernement la nomination des membres du jury d’examen, parce que cette nomination pourrait, dans un avenir plus ou moins éloigné, devenir entre les mains du gouvernement, une arme pour renverser les universités de l’Etat.

Messieurs, cette objection n’est-elle pas détruite déjà par le reproche précisément contraire de tous les autres adversaires du projet ministériel ? Tous les adversaires de ce projet, à l’exception de MM. Delehaye et Desmaisières, repoussent le projet non comme nuisible aux universités de l’Etat, mais comme pouvant être fatal aux universités libres, à cause de la prédilection qu’on suppose au gouvernement pour les établissements qu’il dirige. Puis il y a le vœu unanime du corps professoral des universités de l’Etat, qui demande que la nomination du jury d’examen soit déférée au gouvernement. Peut-on croire que les universités viendraient ainsi tendre le cou à la loi qui doit les tuer ?

Je remarque que mon honorable ami, M. Delehaye, n’est pas plus partisan que moi, soit du système actuel, soit de celui de la section centrale. S’il n’accepte pas le projet du gouvernement, c’est que mon honorable ami a formulé en amendement un système offrant, selon lui, toutes les garanties qu’il désire. Je regrette, messieurs, de ne pouvoir l’adopter ; mais il m’a paru qu’en accordant à des corps permanents la nomination des membres du jury qui seront nécessairement appelés souvent, sinon toujours, à faire pencher la balance du côté de l’une ou de l’autre université ; il m’a paru, dis-je, qu’on donne lieu aux craintes et aux objections que mon honorable ami, M. Delehaye, allègue à tort contre le projet du gouvernement. Ce projet, au moins, on ne peut l’accuser d’être contraire aux universités de l’Etat ; mais celui de l’honorable M. Delehaye peut être fatal à ces universités, parce qu’il confère la nomination de plusieurs membres du jury des corps permanents, tous établis à Bruxelles. Ces corps auront donc nécessairement une tendance à favoriser l’université de Bruxelles, au préjudice des autres.

Ajoutez à cela les inconvénients qu’on a déjà relevés dans l’amendement de mon honorable ami. Tout a été dit à cet égard et par l’honorable M. Lebeau et par d’autres préopinants. Ainsi, on vous a signalé le danger d’introduire la politique dans les corps chargés de faire les nominations ; le danger de voir les nominations empreintes d’un esprit de coterie tant dans les universités elles-mêmes que dans les corps permanents ; parce que chez les uns et les autres l’amendement attise l’esprit de coterie et de coalition. Chacun sait combien dans le monde des savants il y a de petites jalousies, de petites animosités, de petites passions de toute espèce. Le système de l’amendement serait un nouveau ferment de discorde et de dissensions intestines. Enfin, messieurs, l’amendement de mon honorable ami, malgré l’excellente intention qui l’a dicté, repose sur une base impossible.

En effet, tous les hommes spéciaux reconnaissent l’impossibilité absolue de grouper les différentes sciences, objet de l’examen, de façon qu’on puisse faire agir l’action du sort. C’est là une objection très grave, insurmontable.

Tel professeur qui possédera telle science faisant partie d’un groupe ne possédera pas telle autre science classée dans le même groupe. Que fera-t-on dans ce cas qui est le cas le plus ordinaire ? Messieurs, j’aurai la franchise de le dire : avec l’amendement de mon honorable ami, vous auriez un jury qui ne présenterait aucune des garanties de science et d’impartialité qu’on doit désirer dans un bon jury d’examen.

Je dois donc repousser l’amendement de l’honorable M. Delehaye. Cet amendement, je le répète, a été dicté par une sympathie bien naturelle pour les universités de l’Etat, par une préoccupation bien naturelle pour leur avenir ; mais il est loin de répondre aux vues de son auteur ; il est loin de réaliser les résultats que l’honorable membre en attend.

Pour mon compte, d’ailleurs, je n’ai aucune crainte pour l’avenir de l’université de Gand ; la place honorable qu’elle occupe dans le pays est un titre imprescriptible à l’existence. Elle a pris racine dans le sol gantois ; et si jamais un ministre s’oubliait au point de mal administrer les universités de l’Etat, ou s’il venait proposer la suppression de l’une d’elles, je suis certain que l’honorable M. Delehaye tout le premier interpellerait le ministère et le forcerait d’être juste.

L’honorable M. Desmaisières a, par forme d’insinuation, présenté un autre argument. Il vous a dit : « Les membres qui ont voté le maintien des deux universités ont voté aussi pour l’intervention des chambres dans les nominations du jury d’examen, et ceux qui ont voté pour l’intervention exclusive du pouvoir royal, ont voté pour qu’il n’y eût qu’une seule université de l’Etat, et par conséquent, la suppression de l’université de Gand ou de Liège. Il y a des personnes aujourd’hui, dit M. Desmaisières, qui pensent que les mêmes moyens doivent conduire au même but. » Je demanderais à l’honorable membre qui pense cela ? Ce n’est pas l’honorable membre, il a protesté mille fois contre cette pensée. Ce n’est pas l’opinion publique ! Je ne pense pas qu’un chacun ait été fouiller dans le Moniteur pour y ramasser des noms propres. D’ailleurs, cette opinion est erronée, M. Desmaisières, en convient, et ce n’est pas sur une opinion erronée qu’on peut fonder une argumentation. Ajouterai-je que le fait en lui-même n’a pas de portée ? Car, si parmi ceux qui ont été d’opinion qu’il ne devait y avoir qu’une seule université de l’Etat, se trouve le ministre de l’intérieur (et c’est sur lui que l’observation frappe) ; d’un autre côté, parmi ceux qui ont voté l’intervention des chambres, j’aperçois l’honorable M. Dechamps qui, dans la discussion de la loi de 1835, disait qu’on devait considérer comme un avantage que les universités de l’Etat fussent bientôt désertes ; j’aperçois aussi l’honorable M. Desmet qui disait que l’enseignement aux frais de l’Etat était un mal, qu’il fallait organiser les universités de l’Etat de telle façon que bientôt on n’en eût plus besoin, et qu’elles pussent mourir de leur belle mort.

Vous voyez, d’après cela, que l’observation même de M. Desmaisières peut se rétorquer et contre lui et contre les honorables membres qui siègent à ses côtés. Donc, si c’est là le motif de son opposition, il reconnaîtra, j’espère, qu’il n’est ni sérieux, ni spécieux. L’honorable M. Desmaisières cependant fait une autre objection encore.

D’après lui, le reproche unique allégué contre l’observation des chambres dans la nomination des jurys d’examen est un reproche nouveau, la permanence. Auparavant, on n’avait pas, dit-il, songé au danger de la permanence des jurys. On n’avait pas même prévu ses inconvénients ! L’honorable M. Desmaisières oublie qu’on se plaint de la partialité, de l’injustice, du caractère politique qui ont marqué le choix des chambres. Ensuite est-il bien vrai que la permanence du jury soit un reproche nouveau ? Non. Ce danger a été signalé dès 1835 par M. Ernst, ministre de la justice. Je vais vous donner lecture du discours prononcé au sénat le 23 septembre par M. Ernst :

« M. Ernst, ministre de la justice - Nommer les membres du jury pour trois ans, serait faire, messieurs, une expérience extrêmement dangereuse : le mal serait irréparable si, par malheur, le premier choix n’était pas satisfaisant. D’un autre côté, si, comme il est très probable, des professeurs sont nommés jurés, l’exercice de ces fonctions pendant 3 ans pourrait engager un grand nombre d’élèves à leur donner la préférence pour les cours qu’ils professeraient, afin de les avoir pour examinateurs. Plus long sera le temps pour lequel seront nommés les jurés, et plus ils seront exposés à des sollicitations, à des démarches de tout genre que nous devons autant que possible chercher à éviter. Il convient donc que les jurés ne soient nommés que pour une année ; si même il eût été possible, nous aurons aime à les voir nommer à chaque session et très peu de temps avant leur réunion. »

Vous voyez donc que ce que l’honorable M. Desmaisières trouve être un reproche nouveau, avait été signalé avec ses inconvénient nombreux dès 1835, par l’un des auteurs de la loi.

Ce n’est pas tout. Déjà l’honorable ministre de l’intérieur nous a cité un article de M. d’Hane de Potter, membre du sénat, inspecteur-administrateur de l’université de Gand, article publié en 1838, dans lequel les dangers de la permanence sont indiqués. De même, dès le mois de janvier 1838 l’université de Gand a adressé au ministre un travail extrêmement remarquable, dans lequel elle signalait tons les vices du système, non seulement le danger de la permanence, mais le danger de l’intervention des chambres, et la nécessité de donner au pouvoir la nomination des jurys d’examen. Ce mémoire semble avoir inspiré l’exposé de motifs qui est en tête du projet de loi. Je m’étonne que ce document remarquable soit inconnu de mon honorable collègue de Gand. Je m’étonne de devoir lui apprendre que c’est grâce aux indications de ce mémoire et de ceux qui ont suivi, que M. le ministre de l’intérieur a été informé des abus auxquels il a voulu mettre un terme par le projet de loi. (Interruption.)

Messieurs, je serais fâché qu’on pût croire que je veux dire quelque chose de désobligeant pour M. le ministre de l’intérieur. Dans ma pensée, M. le ministre a dû être frappé des abus qui lui ont été signalés de toutes parts et notamment par l’université de Gand. (L’orateur cite un passage du mémoire de l’université de Gand.)

Vous voyez, messieurs, que l’université de Gand a, dès 1838, signalé les inconvénients de la permanence du jury et de la nomination par les chambres. Dans un autre mémoire de 1842 qui ne fait pas moins d’honneur aux hommes distingués qui composent le corps professoral de l’université de Gand, les mêmes abus se trouvent retracés avec autant de dignité que de force ; et la demande d’une réforme y est présentée au nom de la science, dont les professeurs ont, en quelque sorte, le sacerdoce. On aura beau faire, messieurs, les chambres ne peuvent prétexter cause d’ignorance ! (Interruption.)

Messieurs, j’ai pour moi l’aveu de M. Dumortier qui a dit ; « Je regrette que les choix aient été partiaux ; j’aurais voulu qu’ils fussent autrement. »

Il est vrai, messieurs, qu’une excuse s’est produite. D’après l’honorable M. de Mérode, il faut considérer avant tout l’intérêt des élèves, et non celui des professeurs ; or, dès qu’il n’y a pas eu de partialité, on n’est pas fondé à se plaindre ; le jury d’examen a rempli son but.

Erreur, messieurs ! L’intérêt des professeurs, c’est l’intérêt des établissements. Sacrifice les professeurs, c’est sacrifier les établissements. Croyez-vous que les adversaires du projet ne songent qu’aux élèves, et qu’ils ne songent pas un peu aussi à certaine université qui se trouve si favorisée par la loi actuelle ?

Quant à l’impartialité du jury, (et ici je réponds à la fois à M. le comte de Mérode et à l’honorable rapporteur), il est vrai que des faits spéciaux de partialité n’ont pas été signalés ; mais il est évident que la composition partiale du jury fait naître des soupçons de partialité chez les examinateurs ; or, l’impartialité du jury, elle est aussi comme la femme de César, elle ne doit pas être soupçonnée.

L’honorable M. Dumortier a attaqué le projet du gouvernement sous un autre aspect ; il a comparé le jury pour le concours universitaire au jury que le projet de loi de M. le ministre de l’intérieur propose d’établir pour les examens. L’honorable ministre de l’intérieur a déjà répondu à cette objection. Mais j’aurais voulu qu’il y répondît avec plus d’énergie. J’aurais voulu voir repousser le témoignage du professeur qu’avait invoqué l’honorable M. Dumortier ; car, par cela seul que ce professeur a avoué qu’il aurait manqué au mandat d’honneur que lui avait confié le Roi, son témoignage a perdu toute valeur à mes yeux. Je ne crois plus à sa parole parce que je ne puis estimer son caractère.

Enfin, il est encore une objection qui n’a pas été produite, que M. le ministre de l’intérieur a prévue, et qu’il a eu tort, selon moi, de prévoir, c’est l’accusation d’avoir cédé à une influence étrangère. Je pense qu’il eût été plus digne, plus national de ne pas prévoir cette accusation ; jeune nation, nous devons apprendre à nous respecter. Pour moi, j’ai assez de confiance dans la chambre, dans le sentiment national, pour être convaincu qu’un ministre, capable de se laisser influencer par l’étranger dans les affaires de ménage du pays, ne resterait pas au banc ministériel ; il tomberait sons le mépris de la chambre, comme sous le mépris du pays.

Messieurs, il me reste à vous soumettre quelques considérations contre le projet de la section centrale. Ce projet, on l’a dit et je le répète, est le plus mauvais de tous ; non seulement il contient tous les inconvénients du système ancien, mais à ces inconvénients il en ajoute de nouveaux encore. Par exempte, il établit la permanence des suppléants ; de sorte que, d’après ce projet, les professeurs d’un établissement favorisé le représenteront à perpétuité sur une même branche de l’enseignement ; pour cela les suppléants n’auront qu’à alterner avec les titulaires.

En second lieu, le projet de la section centrale limite la prérogative du gouvernement. Quand la chambre aura nommé deux professeurs du même établissement, le gouvernement ne pourra plus en nommer un troisième : c’est là le plus grand des inconvénients. Car, quand la chambre aura nommé deux professeurs pour des branches accessoires d’université, le gouvernement ne pourra plus nommer dans la même université un examinateur pour une branche plus importante.

On parle, messieurs, d’atteintes portées à la prérogative royale par le projet du ministère, mais voici, de la part de la section centrale, une tout autre atteinte à la prérogative royale. C’est l’expérience du passé mise à profit, messieurs, c’est la consécration du procédé d’exclusion suivi pour les suppléants.

L’intervention du sort que la section centrale a appelée à son secours (et quand on appelle le sort à son secours, on a tort de reprocher à l’honorable M. Lebeau d’avoir fait intervenir la Providence), l’intervention du sort détruit tout l’équilibre de l’avenir. Si le sort est favorable à un établissement (les professeurs de l’université de Gand l’ont fait remarquer dans leur mémoire), si un établissement a la chance, il peut avoir le monopole des élèves, le monopole du haut enseignement, le monopole des doctrines pendant plusieurs années.

D’ailleurs, j’ai cru apercevoir une objection fondamentale contre le projet de la section centrale, objection que personne n’a présentée et qui m’a frappé. Le projet de la section centrale interdit à la chambre de nommer deux fois de suite les mêmes membres du jury ; elle fait peser la même interdiction sur le Roi et sur le sénat ; mais qui garantit l’exécution de cette disposition de la loi ? C’est une loi sans sanction ; si la chambre des représentants n’obéit pas à la loi, si elle nomme deux fois de suite le même membre du jury, si le sénat nomme deux fois de suite le même membre du jury, que ferez-vous ? Si c’est une méprise, que ferez-vous ?

Plusieurs membres. - On recommencera.

M. d’Elhoungne. - Permettez-moi de vous le dire, vous faites pour vous une loi de bon plaisir ; (murmures) pour vous la loi est sans sanction, pour le sénat elle est sans sanction, elle n’est obligatoire que pour le Roi. Dans l’ordre de nos idées constitutionnelles, vous ne pouvez établir une telle différence entre les diverses branches du pouvoir législatif. Cette objection qui vous fait murmurer est d’une grande force, même comme simple hypothèse. Si la chambre voulait revenir sur la loi, et que le sénat ne le voulût pas, la chambre pourrait évidemment abroger la loi, en faisant des choix contrairement à la loi ; l’équilibre entre les trois branches du pouvoir législatif serait détruit ; l’équilibre serait détruit par le fait (murmures.) Je le répète, messieurs, c’est comme hypothèse que je vous présente cette observation. Vous qui placez si haut la dignité de la couronne pouvez-vous porter une loi qui prête à des hypothèses pareilles ? Et qui vous dit qu’un conflit ne s’élèvera pas ? Celui de 1840 n’est certes pas oublié.

Messieurs, je me résume ; outre la lutte de noms propres qu’il perpétue dans cette chambre, outre l’intervention occulte du ministère qu’il nécessite, le projet de la section centrale est le plus défectueux de tous les systèmes. Il ne va pas du connu à l’inconnu sans doute. Il va du connu au connu, mais c’est dans la voie des abus et des inconvénients.

L’attention de la chambre étant fatiguée...

Une voix. - Oui. (Non ! non ! Interruption.)

M. d’Elhoungne. - La chambre étant fatiguée, je m’arrêté. Messieurs, en présence des faits qui condamnent le passé, vous ne maintiendrez pas le passé avec tous ses abus, avec ses injustices. La majorité de cette chambre ne refusera pas à l’opinion libérale un acte de justice qui deviendra un gage de conciliation. Le moment est venu, messieurs, de laisser se refroidir les passions politiques : ne leur donnez pas un nouvel aliment. Le malaise trop réel qui travaille le pays convie les hommes de tous les partis sur le terrain neutre des questions industrielles et commerciales. C’est là que doivent nous réunir la commune pensée de soulager les souffrances du peuple, l’espoir de rouvrir les sources de la prospérité publique. Alors seulement, messieurs, nous aurons rempli le premier de nos devoirs ; nous aurons répondu à l’appel du discours de la couronne en travaillant au perfectionnement moral et matériel du pays.

Je voterai contre le projet de la section centrale et pour le projet du gouvernement.

M. Desmaisières (pour un fait personnel). - Il est échappé à l’honorable préopinant, dans la chaleur de l’improvisation de porter à mon égard une accusation que je regarde comme très grave. Il vous a dit qu’en vous présentant le relevé des votes qui ont eu lieu en 1835, j’ai voulu faire une insinuation à l’adresse de M. le ministre de l’intérieur. Je dois protester contre une telle accusation. Que vous ai-je dit ? J’ai simplement rappelé les chiffres des votants, sans citer aucun des membres de la chambre qui avaient pris part au vote. J’ai ensuite ajouté que si ce qui s’était passé en 1835 nous commandait, à nous, mandataires temporaires de la nation, de ne pas abandonner le principe de l’intervention des chambres dans la nomination du jury d’examen, j’étais, quant à moi, persuadé que ceux qui demandaient en 1835 la suppression des universités de Gand et de Liége, même l’honorable auteur de la proposition de cette suppression, ne la voudraient plus aujourd’hui.

Je n’ai cité aucun nom ; j’ai constaté seulement qu’en 1835, sur 52 membres qui avaient voté la suppression des universités de Gand et de Liége, 23 avaient voté contre l’intervention des chambres dans la nomination du jury, que sur 37 qui avaient voté pour le maintien des universités de Gand et de Liège, 31 s’étaient prononcés pour l’intervention des chambres. Voilà tout ce que j’ai dit, rien de plus.

Après cela, j’ai ajouté qu’en 1835 aucun des membres qui avaient voté contre l’intervention des chambres n’avait mis en avant l’objection de la permanence du jury pour s’opposer à cette intervention.

L’honorable membre trouve qu’il y a des membres de la chambre qui ont mis cette objection en avant. Il cite les paroles prononcées au sénat par M. Ernst, ministre de la justice. D’abord ces paroles n’ont pas été prononcées dans cette chambre, et ce n’est que de la chambre que j’ai parlé. Ensuite, l’honorable M. Ernst, ministre de la justice, a voté contre la suppression des universités de Gand et de Liége et a défendu chaudement, et au sénat même, le principe de l’intervention des chambres.

Ainsi, vous voyez que, dans ce que j’ai dit, il n’ya rien d’inexact, il n’y a aucune insinuation contre personne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Quelques paroles prononcées par l’honorable M. d’Elhoungne m’engagent à prendre immédiatement et pour un moment la parole.

Il a exprimé le regret d’avoir vu naître cette discussion ; mais il a dit en même temps qu’il reconnaissait que le gouvernement avait pris toutes les précautions nécessaires, pour que cette discussion ne revêtît pas un caractère trop grave, qu’elle n’eût pas une portée politique.

D’un autre côté, il lui a semblé que le gouvernement n’avait pas pris, dans cette discussion, une position digne de lui. Il me paraît qu’il y a contradiction de la part de l’honorable préopinant. Il fallait pousser la question à l’extrême, en faire une question poïétique, une question de cabinet, vis-à-vis de la chambre ; ou bien il fallait prendre l’attitude que nous avons prise et que nous conservons. C’est sérieusement que nous avons présenté le projet de loi, c’est sérieusement que nous en avons demandé la discussion, c’est sérieusement que nous en poursuivons la discussion ; c’est un acte sérieux que nous faisons, mais ce n’est pas un acte de violence que nous avons voulu faire.

Il est difficile, messieurs, de satisfaire l’honorable préopinant. Selon lui j’aurais dû prendre la parole hier et avant-hier, peut-être même le priver aujourd’hui de son tour de parole. Je me proposais en effet, de répondre immédiatement à l’honorable rapporteur de la section centrale ; mais, messieurs, j’ai préfère laisser parler l’orateur que vous venez d’entendre, et certes, vous ne le regretterez pas. (Marques d’assentiment.)

Je vais rentrer un instant dans la discussion, puisqu’on m’y convie. Il y a deux objections dont l’une a été faite par l’honorable rapporteur de la section centrale et l’autre par moi-même, et qui, jusqu’à présent, n’ont pas assez attiré l’attention de la chambre.

L’objection faite aujourd’hui par l’honorable rapporteur de la section centrale et celle-ci : le gouvernement aura par le projet de loi qu’il vous propose, une influence moindre qu’il n’a dans l’ancien mode de nomination tel qu’on se propose de le conserver d’après le projet de la section centrale. Le gouvernement ne nommera plus librement qu’un seul membre sur quatre ; le choix des quatre autres membres lui sera imposé par les universités : d’abord parce qu’il doit choisir un membre dans chaque université, en second lieu parce qu’il doit consulter les autorités qui dirigent les universités. Dans l’ancien système au contraire, qu’il s’agit de maintenir, il a trois choix, il ne consulte personne ; il choisit les trois septièmes.

C’est là, messieurs, une grande erreur. Le gouvernement n’a pas le libre choix des trois septièmes des membres actuels du jury ; les trois membres qu’il choisit sont des choix commandés, et je ne puis assez insister sur cette considération qui fait tomber l’objection faite tout à l’heure par l’honorable rapporteur, considération qui a peut-être frappé quelques-uns d’entre vous.

Je ne veux pas discuter ici des noms propres ; je ne le puis pas ; mais, je vous prie simplement de jeter les yeux sur la composition du premier jury, celui de droit, page 1106 du recueil que vous possédez tous. Vous verrez que les deux chambres, après avoir fait leurs choix, ont laissé au gouvernement la représentation d’abord de trois établissements. Dans les quatre choix faits par les chambres, l’université de Liége est seule représentée ; il y a donc trois universités non représentées, Bruxelles, Gand et Louvain. Première limite posée au gouvernement. Il faut que, nécessairement, puisqu’il est chargé de rétablir l’équilibre, il représente les trois établissements omis.

C’est n’est pas tout, messieurs, deuxième limite, les quatre choix faits par les deux chambres ne représentent principalement que le droit civil ; le gouvernement est donc forcé de représenter les sciences non représentées par les quatre choix dus aux chambres ; c’est-à-dire de représenter : le droit public, le droit criminel et le droit romain.

Voilà donc, messieurs, de fait, quelle a été la position du gouvernement pour les trois choix que l’ancien système lui attribue, quant au premier jury. Première limite ; représentation nécessaire de la part de trois établissements ; deuxième limite : représentation nécessaire de la part de trois sciences omises.

Il est une seconde objection sur laquelle je prends la liberté de revenir un moment, parce qu’il me semble qu’on ne s’y est pas arrêté et que je désire qu’on s’y arrête ; car je veux une discussion. Elle est commencée, nous l’avons acceptée, il faut qu’elle soit entière.

J’ai dit, en ouvrant ce débat lundi dernier, qu’il n’était possible d’éloigner l’intervention du ministère dans la composition du jury qu’en admettant la permanence. Du moment qu’on se résigne à la permanence, les chambres n’ont aucune impulsion à recevoir. Les choix, convenus à l’avance, se font en quelque sorte d’eux-mêmes. Ainsi, ceux qui, d’une part, redoutent et proscrivent l’intervention du gouvernement et qui, de l’autre, se résigne à la permanence, je dis qu’ils sont parfaitement logiques.

Mais du moment que vous ne voulez plus de la permanence, vous arriverez, ai-je dit, à une intervention du gouvernement, mais déguisée, mais occulte.

Je désire qu’on réponde à cette objection, et je vais m’expliquer plus clairement encore, parce que je veux une réponse.

Vous tirerez au sort, et le sort vous désignera le membre sortant ; il faudra le remplacer. Eh bien, je dis que pour le remplacer, il faudra que le ministre de l’intérieur, ce grand maître des universités de l’Etat, comme on le répète tant, se concerte avec les membres de la chambre pour le choix de la personne, pour mettre ce choix en rapport avec la représentation des établissements et avec la représentation des sciences ; sinon, messieurs, vous arriverez à manquer de coordination dans les matières. Vous aurez donc l’intervention du ministère, mais vous l’aurez secrète, mystérieuse, non avouée et sans responsabilité.

Je souhaite qu’on détruise cette objection.

Je disais, messieurs, qu’il était difficile de satisfaire l’honorable orateur que vous venez d’entendre. Il m’a reproché tantôt de ne pas avoir assez insisté sur un argument, tantôt d’avoir négligé une objection, tantôt de m’être attaché à une accusation que j’aurais dédaignée.

Messieurs, j’ai repoussé une accusation que je n’ai jamais regardée, il est vrai, comme sérieuse, celle que le gouvernement de votre pays aurait présenté le projet de loi sur les injonctions d’un gouvernement étranger. Mais en repoussant cette accusation, je me suis permis une réflexion grave, qui n’était pas sans hardiesse, et qui a frappé l’honorable membre lui-même. J’ai dit qu’il y avait ici intervention, qu’il y avait intervention étrangère en ce sens que dans cette discussion on se montre trop préoccupé peut-être de la grande lutte dont la France est devenue le théâtre. Je regrette, je déplore cette coïncidence. Et je n’hésite pas à dire que si le projet vous avait été soumis dans d’autres temps, il y a deux ans peut-être, ou s’il avait pu ne vous être soumis que dans deux ans, alors que cette lutte n’existait pas ou aura cessé, je l’espère, il aurait été discuté avec beaucoup plus de calme et j’ajouterai avec beaucoup plus de chances d’adoption.

Le gouvernement fait un acte sérieux, et qu’il devait faire en tenant compte, comme je l’ai dit, de l’ensemble des intérêts qui lui sont confiés. L’honorable député lui-même aurait dû se placer sur ce terrain, et me remercier de la position que j’ai prise. Il ne faut pas de faiblesse, messieurs, mais aussi il ne faut pas de folie ; et c’est été une folie que de voir le gouvernement lui-même se passionner, en exagérant la portée de cette question, au point de compromettre tout le sort de cette session.

Messieurs, on vous a rappelé que j’ai voté pour l’établissement d’une seule université. C’est un vote que je ne regrette pas ; mais la résolution prise par le législateur, je la regarde malheureusement comme irréparable, je considère comme un devoir pour le gouvernement de la maintenir loyalement et de prouver par sa conduite qu’il n’entre pas dans ses intentions de supprimer l’une ou l’autre université de l’Etat.

L’honorable M. d’Elhoungne ne siégeait pas dans cette enceinte lorsque cette question a été décidée. Aujourd’hui il se montre grand partisan de l’université de Gand, je dois en conclure des deux universités de l’Etat.

M. d’Elhoungne. - Parce qu’elles existent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Parce qu’elles existent ; vous prévenez ma pensée et je n’hésite pas à dire que si vous aviez siégé dans cette chambre en 1835, vous auriez appuyé le principe d’une seule université de l’Etat. Je n’en doute pas, et si j’en doutais, je devrais retrancher de votre discours beaucoup de considérations que vous avez présentées. L’établissement d’une seule université de l’Etat est dans l’ordre d’idées où vous vous êtes placé, la centralisation des hautes études, l’influence qu’une université unique aurait pu exercer sur l’unité nationale.

Quoiqu’il en soit, messieurs, puisqu’on a rappelé ce vote, je le répète, je ne le regrette pas. Mais je regarde la résolution comme irréparable et c’est parce que je la regarde comme irréparable, que, de ma part, aussi longtemps que je me trouverai au ministère, les deux universités de l’Etat seront placées par moi sur la même ligne, sans arrière-pensée.

Je verrai quelle part je dois encore prendre à la discussion générale.

M. Desmet. - Je dois commencer d’abord à répondre à l’honorable M. d’Elhoungne, pour un fait quasi personnel. Si je l’ai bien compris, il m’a attaqué sur un discours que j’ai prononcé dans la discussion sur le projet de loi de l’enseignement supérieur ; l’honorable député de Gand a fait entrevoir que je n’étais pas grand partisan de l’enseignement sous la direction du gouvernement, c’est-à-dire de l’établissement des universités de l’Etat ; il a très bien vu et c’est ainsi que je pense encore. J’ai peur de tout ce qui penche vers le monopole et qui peut détruire, ou paralyser les libertés. L’honorable membre se déclare aussi grand partisan de la liberté de l’enseignement, et la regarde comme la plus précieuse de toutes nos libertés ; mais tout en l’envisageant ainsi, il se presse à déclarer que la constitution veut aussi qu’il y ait un enseignement dirigé aux frais de l’Etat : Ici refroidit un peu fort son grand amour pour cette précieuse liberté de l’enseignement, il ne veut pas la laisser tout entière, il faut qu’elle soit accompagnée de l’enseignement de l’Etat ; cela me paraît que l’honorable membre exige un correctif à la liberté de l’instruction.

L’honorable M. d’Elhoungne veut croire que l’enseignement aux frais de l’Etat soit une obligation absolument constitutionnelle ; je ne pense pas comme lui, et quand j’ai exprimé une opinion contre la nécessité d’avoir des universités de l’Etat, je ne crois avoir blessé en rien la constitution.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. Desmet. - La constitution n’a pas consacré ce principe qu’il fallait avoir une instruction de l’Etat. Que dit la constitution ? Elle dit que pour le cas où l’on trouverait bon que l’Etat eût son enseignement, celui-ci devait être régi par la loi. Ainsi, à cet égard j’avais pleine liberté, et si j’ai omis une opinion contre l’établissement d’universités de l’Etat, c’est que j’ai eu peur du monopole, et à cet égard il y a bien d’autres personnes qui pensent comme moi.

En défendant cette opinion de l’obligation dans laquelle serait l’Etat d’avoir des universités, qu’a dit l’honorable membre ? Il nous a surtout reproché d’avoir voté tous les ans les subsides pour les universités. Mas, messieurs, une loi existe, et je le demande, si les hommes qui partagent mon opinion avaient empêché l’exécution de cette loi, en refusant les subsides, qu’aurait-on dit alors ? C’est alors qu’on eût crié à l’intolérance. C’est parce que nous nous soumettons aux décisions de la majorité, parce que nous ne voulons pas empêcher l’exécution de la loi, que nous votons les subsides demandés pour les universités de l’Etat.

J’ai été assez étonné de cette remarque, je puis concevoir qu’il ne faille jamais voter contre son cœur, mais je pense que, quand la majorité décide un principe et qu’il faille des fonds pour le mettre à exécution, il serait déplacé, sauf quelques rares exceptions, de refuser les subsides pétitionnés ; c’est ainsi que j’entends l’esprit de conciliation.

L’honorable membre a encore accusé nos choix de partialité ; mais l’honorable M. Lebeau lui-même a répondu hier à cette objection, car il a démontré que lorsque l’on considère la composition du jury d’examen telle qu’elle résulte du concours des chambres et du gouvernement, on doit reconnaître qu’elle ne présente aucune partialité. J’ai ici, messieurs, la liste du jury d’examen tel qu’il est maintenant composé, et cette liste prouve qu’il n’y a pas la moindre partialité dans les choix de la chambre. Cependant c’est la liste du jury pour la philosophie et les lettres, ce qui est certainement la branche la plus importante, puisque c’est dans l’examen sur cette branche que l’on voit percer plus ou moins certaines opinions. On a tort de revenir perpétuellement sur cette partialité, surtout quand on sait qu’elle n’existe pas ; il me semble que c’est donner gain de cause à ceux qui sont contre le projet du cabinet.

L’honorable membre s’est encore élevé contre le scrutin secret, il a dit que le vote est caché, qu’il n’y a aucune responsabilité. Mais, messieurs, quand on voit ce qui se passe sous ce rapport, on doit bien reconnaître que le vote n’est pas caché ; tout le monde dans la chambre et dans le pays, sait parfaitement quels sont les membres qui ont voté dans tel ou dans tel sens. Ce reproche n’a donc aucun fondement.

J’ai été fort étonné que M. le ministre de l’intérieur, dans la réponse qu’il a faite à l’honorable préopinant, n’ait pas relevé une observation analogue à celle qu’il a si vivement reprochée à l’honorable M. Vilain XIIII. L’honorable M. d’Elhoungne a supposé que la chambre pourrait ne pas observer la loi. L’honorable M. Vilain XIIII avait dit qu’il craignait que l’une ou l’autre des universités ne voulût point se soumettre à la loi ; M. le ministre de l'intérieur s’est levé aussitôt pour lui répondre qu’il ne pouvait pas croire que jamais personne refusât d’obéir à la loi. Eh bien, messieurs, ce qu’on ne peut pas supposer pour les universités, on peut encore bien moins le supposer pour les chambres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne partage pas cette opinion de M. d’Elhoungne.

M. Desmet. - Vous ne l’avez pas relevée.

Dans la séance de lundi dernier, lorsque M. le ministre de l’intérieur a exposé ses développements en faveur de projet qu’il nous a présenté, il nous a dit que cette loi n’aurait pas été une catastrophe mais un accident. Je partage en partie cette opinion, mais je distingue ; si la question est résolue dans le sens de la liberté, si la liberté sort triomphante de la lutte, non, ce ne sera pas une catastrophe, ce sera un accident et en ce qui me concerne, je pardonnerai volontiers à son auteur et à tous les membres du ministère, la présentation de ce projet ; certainement je ne leur garderai pas rancune, je ne verrai là qu’une faute que j’oublierai.

Mais, messieurs, si malheureusement pour le pays la proposition devait passer, alors ce serait vraiment une catastrophe. Ce projet a jeté l’inquiétude dans le pays tout entier ; tout le monde est alarmé, non pas seulement ceux qui s’occupent de science et d’instruction, mais tous les citoyens ; l’inquiétude est partout. Cette inquiétude s’est surtout propagée dans une ville qui à une université libre, on y voit la chute de l’université, on y dit même que, si la malencontreuse proposition du cabinet devait passer, on craint que pour les vacances prochaines plus de 100 élèves quitteront l’université. On y crie à l’ingratitude et on se repend déjà de l’acte de complaisance qui a eu lieu naguère.

J’irai plus loin, messieurs, Je puis dire que l’inquiétude existe jusque dans les universités de l’Etat. Ici, je m’expliquerai franchement ; je crois qu’avec l’honorable ministre de l’intérieur on peut parler sans déguisement. L’honorable M. Nothomb n’a jamais été favorable à la liberté d’enseignement ; il a dit que cette liberté était consacrée par la constitution, qu’il constatait un fait, mais il a dit en même temps qu’il ignorait si c’était à tort ou à raison. Lorsque j’ai entendu ces paroles, j’ai dit que la conviction de M. le ministre de l’intérieur n’était pas acquise à la liberté d’enseignement ; il subit cette liberté parce que la majorité du congrès l’a écrite dans la constitution, mais il n’en est pas partisan. Eh bien, messieurs, avec le caractère entier que l’on connaît à M. le ministre de l’intérieur et dont je ne lui fais pas un reproche, car je sais que ce caractère est mû par un zèle ardent qu’il a pour le bien du pays et que tout ce qu’il fait est dans cette intention, mais aussi on peut aller trop loin quand on ne voit qu’un seul intérêt, et c’est ici surtout le cas pour l’enseignement. Ces esprits outrés pour conserver au pouvoir toute sa puissance, poussaient quelquefois trop loin leur exigence dans l’enseignement qu’ils veulent réserver à l’Etat, et une fois lancés sur cette pente, ils ne savent où s’arrêter. Ce n’est pas moi seul qui le dis, mais voici comment s’exprimait Benjamin Constant sur ce sujet :

« En dirigeant les études, le gouvernement s’arroge le droit et s’impose la tâche de maintenir un corps de doctrine. Ce mot seul indique les moyens dont il doit se servir... et y aura des opinions investies d’un privilège, mais si ce privilège ne suffit pas, croyez-vous que l’autorité, jalouse de sa nature, ne recourra pas à d’autres moyens ? Ne voyez-vous pas pour dernier résultat, la persécution, plus ou moins déguisée, mais compagne constante de toute action superflue de l’autorité ? »

Avec ce caractère il ne peut pas rester en chemin, il faut qu’il aille plus loin ; il faut qu’il fasse triompher son opinion qui ne veut qu’une seule université ; si vous en doutez, vous ne connaissez pas son caractère. Vous savez tous que M. le ministre de l’intérieur a voté contre l’existence des deux universités. Eh bien, messieurs, tôt ou tard il voudra en venir à n’avoir qu’une seule université à Bruxelles, et c’est là ce qui jette l’inquiétude dans les universités de Gand et de Liège.

L’honorable ministre de l’intérieur, ainsi que l’honorable M. Lebeau, s’est prévalu d’une proposition faite en 1835 par l’honorable comte de Mérode. Il est vrai, messieurs, qu’en 1835, l’honorable comte de Mérode, de concert avec feu M. Dubois, a fait une proposition tendant à confier au gouvernement la nomination exclusive des membres du jury d’examen : Mais, messieurs, faites-y bien attention, avant la fin de la discussion, l’honorable comte de Mérode avait, pour ainsi dire, abandonné la proposition. Comment le vote a-t-il eu lieu ? On a voté d’abord sur la question de savoir si la chambre serait intervenue dans la nomination des membres du jury, et ici, l’honorable comte de Mérode a voté avec les 41 membres qui ont répondu négativement à cette question ; mais lorsqu’il s’est agi de se prononcer sur la proposition de la section centrale, qui a été convertie en loi, alors l’honorable comte de Mérode a abandonné son système, et s’est rallié à celui de la section centrale ; qui a aussi voté dans ce sens ? c’était M. Dequesnes, et cependant on n’a pu douter de l’attachement de cet honorable membre au pouvoir fort.

Une chose remarquable, c’est que, quand on a voté sur la question de l’intervention des chambres, les quatre ministres se sont abstenus ; parce que, comme l’a dit l’honorable comte de Muelenaere, ils ne connaissaient pas la portée de la décision qu’il s’agissait de prendre, L’honorable M. Rodenbach avait fait une proposition extrêmement large, en ce qui concernait l’intervention des chambres, et l’on craignait de voir adopter cette proposition. Voilà, messieurs, pourquoi la question de principe a été résolue à la majorité d’une voix seulement. Lorsque plus tard la chambre a eu à se prononcer sur une proposition positive dont elle pouvait apprécier alors la portée, il y a eu une majorité plus forte ; elle fut votée par 54 voix contre 30.

Eh bien, messieurs, aujourd’hui encore, si vous voulez que tout le monde puisse émettre son vote en connaissance de cause, il faut commencer, ce me semble, par voter sur l’amendement de l’honorable M. Cogels ; alors on saura s’il s’agit d’une loi définitive ou d’une loi provisoire, et alors nous ne serons pas appelés, comme en 1835, à émettre un vote dont nous ne connaissons pas la portée.

On doit convenir, messieurs, que la combinaison qui a prévalu en 1835 est une combinaison heureuse ; vous l’avez vu dans l’exposé de M. le ministre de l’intérieur, personne ne s’est plaint des décisions du jury. En a-t-il été de même des jurys qui ont été nommés par le gouvernement ? On vous a cité un cas, on vous a parlé de la commission nommée par le gouvernement pour examiner les artistes vétérinaires. Pour la commission des mines, la même chose a en lieu ; il y avait là aussi deux écoles, une école gouvernementale et une école libre : eh bien, l’on s’est plaint vivement des décisions du jury nommé par le gouvernement, et, si je suis bien informé, des plaintes sont venues de bancs de la chambre qui sont aujourd’hui fortement pour la nomination exclusive du gouvernement.

Vous savez, messieurs, que, il a quelques années, des plaintes nous ont été adressées dans une pétition couverte d’au moins 200 signatures, contre les nominations faites par les commissions médicales provinciales ; eh bien, ce sont encore là des commissions nommées par le gouvernement. Voilà, messieurs, les résultats des choix du gouvernement, tandis que les choix faits par le concours des trois pouvoirs n’ont donné lieu à aucune réclamation, j’ai donc le droit de dire que la combinaison est heureuse et non seulement elle est heureuse, elle est en même temps rationnelle. Que devons-nous faire, en effet ? Nous devons garantir la liberté de l’enseignement. Pour atteindre ce but, on a donné une part des nominations à chacun des grands pouvoirs de l’Etat, seulement on a donné au gouvernement la part la plus large. En cette matière on a donné des garanties à la liberté et c’est ce qu’il fallait faire surtout, car il ne s’agit pas seulement ici de la science, il ne s’agit pas seulement de délivrer des brevets, comme l’a dit M. le ministre, le jury d’examen n’est pas une jurande qui accorde des maîtrises, mais c’est un jury qui nous doit garantir la liberté constitutionnelle.

Je considère, moi, le jury d’examen comme un jury de jugement, comme une haute cour qui doit sauvegarder, les plus précieuses libertés, enfin comme une cour de comptes, qui apprécie les capacités et qui les juge dignes d’être admises et suffisantes pour être présentées à la confiance du public.

On a dit, messieurs, qu’il n’y avait pas de responsabilité pour la chambre et qu’il y avait une grande responsabilité pour le gouvernement. D’abord, messieurs, pour avoir une responsabilité, il faut un corps de délit. Or, comment allez-vous obtenir un corps de délit ? comment constaterez-vous que le gouvernement n’a pas bien choisi, qu’il a fait ses nominations avec partialité ?

Si la constitution proclame la responsabilité ministérielle, elle proclame aussi la liberté. Or, messieurs, quels sont les corps les plus aptes, les plus habiles à conserver la liberté, si ce ne sont les chambres ? Qu’est-ce donc que la constitution, messieurs ? C’est une loi de défiance, et c’est en défiance du pouvoir que la constitution a institué les chambres. Ainsi les corps les plus habiles à défendre les libertés du pays, ce sont évidemment les chambres.

Oui, et vous devez le reconnaître, que les garanties en sont particulièrement dans les chambres élues par le peuple ; c’est là qu’est la véritable garantie des libertés consacrées par la constitution et de la liberté de l’enseignement comme des autres. Mettriez-vous à la merci du gouvernement la liberté de la presse comme vous voudriez mettre la liberté de l’enseignement, ne laissez donc pas la plus précieuse de nos libertés à la discrétion d’un ministre…

Si j’avais un conseil à donner au gouvernement ? je l’adjurerais de conserver le statu quo, je lui dirais : Ne vous mêlez pas trop des affaires de l’instruction. Et je crois réellement que le gouvernement se rend coupable d’une grave imprudence, en voulant trop empiéter sur le domaine de l’instruction.

Est-il nécessaire de rappeler des exemples frappants du sort réservé aux gouvernements qui veulent s’arroger des droits exclusifs en cette matière ?

Quelle a été la cause de la révolution brabançonne ? N’est-ce pas le séminaire général institué par Joseph II ? Qu’est-ce qui a provoqué la révolution de septembre ? N’est-ce pas le collège philosophique ? Et les ordonnances, en France, n’ont-elles pas provoqué la révolution de juillet ? Qui nourrit encore dans le pays un dangereux germe ? n’est-ce pas le monopole de l’université ?

M. le ministre de l’intérieur vient de dire que l’intervention étrangère n’est pour rien dans la présentation du projet de loi, Je veux le croire : cependant il m’est permis de répondre par un adage un peu trivial à la vérité : Excusatio non petita, acusatio manifesta. Depuis lors c’est dans la bouche de tout le monde à tort ou à raison, on le dit, on le soupçonne ; il serait dur cependant que nous dussions perdre nos libertés pour faire plaisir à un gouvernement et de plus pour faire tort à cette nation qui est dans l’esclavage de l’enseignement. Mais il est une calomnie dont nous avons été l’objet de la part d’un ministre français et que M. le ministre de l’intérieur aurait dû repousser, et qu’il n’a pas relevée. Le ministre français avait dit dans l’exposé des motifs du projet de loi sur l’instruction secondaire, que la liberté d’enseignement avait amené l’affaiblissement des études en Belgique. Une semblable assertion n’est-elle pas tout à fait contraire à la vérité ? Pourrait-on me citer une seule époque où les études ont été plus fortes en Belgique qu’aujourd’hui ?

Je voudrais que M. le ministre de l’intérieur fît une seule tournée dans les Flandres, et il verrait combien les études et l’instruction sont en progrès ; il n’y a dans la Flandre occidentale, aucune commune, aucun village, qui, outre de plusieurs écoles primaires, à son pensionnat, où on donne une instruction très élevée, où on enseigne plusieurs langues étrangères autres que le français ; il y a plusieurs communes où on enseigne l’anglais et l’allemand ; à Moorslede, village très rural et éloigné de grandes villes, depuis l’existence de l’excellent pensionnat fondé par le pénultième curé, on parle l’anglais dans les rues : tout le monde, tous les paysans, je dirai même jusqu’aux vachers sont familiarisés avec cette langue.

Je prends encore pour exemple ma ville. Depuis que nous avons conquis le droit précieux de la liberté d’enseignement, elle possède un collège qui a près de 400 élèves ; elle a, en outre, des écoles des frères de la charité, des écoles dominicales, et ces écoles donnent gratuitement l’instruction à plus de 2,000 enfants pauvres, et depuis qu’elle a les frères de la chrétienté plus aucun enfant n’est sans avoir quotidiennement l’instruction. Eh bien, sous le régime néerlandais, il y avait à Alost un collège qui était fréquenté par 10 internes ; ces 10 internes coûtaient annuellement 10,000 florins à la ville. Ainsi, chaque élève coûtait 1,000 florins !

Tels étaient les effets du monopole ; mais depuis que la liberté d’enseignement existe en Belgique, il est incontestable qu’il n’est pas un pays au monde où les études soient plus générales, plus fortes qu’en Belgique ; et grâce, je ne pourrais assez le répéter, grâce à la liberté de l’enseignement.

Messieurs, veuillez-nous-en croire, soyez difficiles et même opiniâtres à ne pas laisser toucher à nos libertés, et surtout à la précieuse liberté de l’enseignement ; nous ne pouvons que nous en louer, le bien qu’elle nous a fait, sous le rapport des progrès de l’enseignement, n’est-il pas immense ? et ne serait-ce pas une imprudence de donner des moyens pour la détruire ? Vous ne pouvez ignorer l’influence du jury d’examen sur cette liberté ; vous êtes sûrs que la manière dont il se compose actuellement, garantit la liberté ; pourquoi donc vouloir le changer et pourquoi ne pas le conserver tel qu’il existe ?

Prenons-y garde, messieurs, si vous touchez à une des libertés constitutionnelles, vous les entamerez bientôt toutes, et chaque opinion, d’après son désir et peut-être même d’après son caprice, voudra en détruire, et vous arriverez à la fin à la destruction entière, qu’il ne vous restera de votre libérale constitution que des lambeaux et que vous abandonnerez encore au pouvoir pour en faire usage d’après son bon plaisir. L’histoire nous apprend que c’est ainsi que les bonnes institutions se perdent...

J’ai vu avec peine dans le cours de cette discussion qu’un membre qui siège de l’autre côté de la chambre comprenait si mal la liberté religieuse que la constitution nous garantit. Je n’ai pu comprendre comment l’honorable M. Verhaegen a pu censurer le passage d’une lettre particulière qu’un des prélats du pays avait écrite à un de nos collègues et laquelle lui avait été communiquée. Le passage de cette lettre que M. Verhaegen a communiquée à l’assemblée contenait ceci (si je l’ai bien compris), que « l’enseignement de la religion et de la morale était du domaine exclusif de la puissance spirituelle... »

Mais si l’on veut disputer cette vérité, qui est tout évangélique, où en est notre liberté religieuse ? Voudrait-on peut-être soutenir que la religion et la morale sont de la compétence du pouvoir civil ? Ce serait aller un peu loin, et je ne m’étonnerais point que d’ici en peu de temps on ne dise à l’autorité civile qu’elle doit s’occuper de la direction des séminaires et que nous ne vissions de nouveau établir un séminaire général et réimprimer de la part du gouvernement le catéchisme de l’empire.

Le même membre a encore critiqué, si je l’ai bien compris, les mandements de nos évêques, qui engagent les fidèles à se défier de la mauvaise lecture, des mauvaises impressions. Mais, messieurs, je vous le demande encore une fois, où en sont nos libertés’ ? où en est la liberté religieuse, si l’épiscopat, si nos supérieurs ecclésiastiques ne peuvent plus instruire les catholiques sur un objet si éminemment important et dangereux que la lecture des ouvrages qui voient le jour quotidiennement en Belgique et qui blessent non seulement les principes les plus essentiels de la religion, mais même les premières bases de la société ! Voudrait-on peut-être voir renaître l’odieux despotisme des placets ? Oh ! messieurs, si l’on a cette idée, que l’on ne parle plus en Belgique de libertés et que l’on s’empresse de jeter au feu la constitution que la révolution de septembre nous a octroyée, j’espère que non, j’espère que la Belgique ne verra plus reparaître ces mauvais jours et que la liberté triomphera en tout et partout.

Je voterai pour la proposition de la section centrale et probablement pour le provisoire de quatre années, non pas que je le trouve absolument nécessaire, mais je veux bien que l’on continue encore l’essai comme preuve de condescendance !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant vient de m’attribuer la déclaration que je regarderai la liberté de l’enseignement comme n’étant qu’un fait en Belgique.

C’est ce que je n’ai jamais dit ni même pensé.

J’ai dit que la liberté de l’enseignement, une des causes et un des résultats de la révolution de 1830, était un grand fait historique, mais que c’était de plus un principe constitutionnel, principe que j’accepte sincèrement, que je pratiquerai loyalement, chaque fois que mon concours sera nécessaire pour sa mise en application. La seule question qui nous divise, c’est celle de savoir quelle est la portée de ce principe. Qu’on respecte ici mes convictions, comme je respecte celles d’autrui, mais qu’on ne se prévale pas de cette dissidence, pour soutenir que je suis ennemi du principe même.

De plus, on a supposé que, malgré la déclaration que j’ai faite, mon intention secrète serait de revenir ou d’aider à revenir tôt ou tard sur la mesure législative qui a décrété deux universités de l’Etat en Belgique. J’ai formellement déclaré, qu’à mes yeux, cet acte était aujourd’hui irréparable.

Je n’ai aucune intention secrète, je demande qu’on discute, qu’on éclaircisse une question.

On m’a reproché de ne pas avoir traduit en quelque sorte à votre barre un gouvernement étranger, de n’avoir pas demandé compte de paroles qui ont été prononcées ailleurs.

Messieurs, je ne veux pas examiner jusqu’à quel point on a eu tort ou raison de prononcer ces paroles, mais je crois que les gouvernements contemporains doivent admettre un principe qui est celui-ci : c’est qu’un gouvernement ne doit jamais s’occuper de la situation intérieure d’un autre gouvernement, et rien au monde ne me fera dévier de ce principe, quand même un gouvernement étranger dévierait de ce principe à mon égard. (Marques d’assentiment).

Je reconnais avec l’honorable préopinant que la meilleure réponse à donner, c’était de citer les nombreux établissements qui ont été créés en Belgique depuis 1830, tant par l’action du gouvernement et de la commune que par les particuliers et le clergé. Mais si aujourd’hui ce fait est si bien établi, c’est grâce aux rapports que j’ai publiés dans ces derniers temps ; les journaux français ont analysé ces rapports ; le Moniteur français, entre autres, a consacré deux articles au rapport sur l’enseignement moyen ; il reconnaissait en concluant : que quelqu’opinion qu’on pût avoir sur les institutions de la Belgique, on ne pouvait s’empêcher de reconnaître qu’à aucune époque les moyens d’enseignement n’ont été plus multipliés dans ce pays.

Cette conclusion me suffit.

M. Devaux. - Messieurs, j’aime les discussions sincères ; aussi je commence par reconnaître que nous sommes en présence d’une grande question politique, et si je fais cet aveu, ne croyez pas que mon intention soit de jeter des paroles irritantes dans le débat. Je crois combattre des adversaires sincères, entre hommes loyaux, de conviction à conviction, de conscience à conscience, les questions les plus graves peuvent se débattre avec calme et sang-froid.

Oui, messieurs, il y a ici plus que la question de savoir s’il y aura un roulement entre les membres du jury, plus que la question de savoir s’il y aura, comme on l’a dit, un imprévu absolu ou non absolu dans le choix des examinateurs.

Ce qui vous émeut puissamment, ce qui émeut le pays, ce qui a ému la presse, et qui a causé des événements graves dans le ministère ; ce qui a amené la démission d’un ministre, et celle d’un autre fonctionnaire, membre de cette chambre, ce n’est pas la question de savoir s’il y aura plus ou moins roulement dans le jury, s’il y aura plus ou moins d’imprévu dans le choix de ses membres, questions qui ont leur importance, sans doute, mais qui sont dominées par une autre d’un ordre plus élevé.

La question politique qui domine la loi est grave sous un triple rapport. Grave d’abord, comme question de délimitation des pouvoirs constitutionnels ; grave, en second lieu, comme question d’influence des partis en vertu de la loi, au moyen de la loi ; grave enfin comme question de libre et loyale concurrence des opinions enseignées et des grands établissements qui les propagent.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que la question a revêtu ce caractère ; elle l’a depuis neuf ans, et pas un seul instant, depuis la discussion de 1835, elle ne l’a perdu. Cette question, messieurs, a joué un rôle immense, trop peu aperçu pour quelques-uns d’entre vous, dans l’histoire des partis en Belgique.

Permettez-moi de vous rappeler quelques paroles que je prononçai dans la discussion du jury universitaire en 1835 ; ce n’est pas pour le plaisir de me citer moi-même, mais c’est pour mieux vous montrer dans les impressions de cette époque l’influence que cette question a exercée sur les esprits.

Voici ce que j’avais l’honneur de dire à la chambre dans la séance du 19 août 1835 :

« Mais ce que je repousse de toutes mes forces, c’est l’intervention des chambres dans la nomination des membres des jurys d’examen. J’ai démontré dans la séance d’hier les inconvénients pratiques qui résulteraient de l’adoption du système de la section centrale.

« J’ai parlé de ces inconvénients inconstitutionnels, de l’inconcevable confusion de pouvoirs qui en résultent ; d’autres considérations tout aussi graves ne doivent point nous échapper.

« Messieurs, lorsque mon honorable ami, l’ancien ministre de l’intérieur, vus présenta le projet de loi, voici comment il s’exprimait en parlant de la commission qui l’avait rédigé.

« En résolvant avec des vues conciliatrices et si sages, et avec une constante unanimité, des questions aussi délicates, en facilitant ainsi les discussions ultérieures, en montrant à des opinions divergentes les moyens de s’entendre et de se rapprocher, elle a rendu à la Belgique un service que tous les amis du pays sauront apprécier.

« Puisse la loi que vous adopterez être un gage de concorde intérieure et la base d’une des plus belles gloires auxquelles les nations puissent aspirer ! »

De son côté, le rapporteur de la commission, M. Ernst, disait, en terminant son rapport au roi :

« Puisse l’exécution répondre à notre attente ! Puisse, Sire, l’esprit de confiance mutuelle et de conciliation qui a régné dans nos délibérations, laisser une forte empreinte dans notre travail et contribuer à l’heureuse influence qu’une bonne loi sur l’enseignement ne peut manquer d’avoir sur l’union de tous les Belges ! »

« Tels étaient alors les sentiments de la commission du gouvernement. On se sentait heureux que les hommes d’opinions différentes fussent parvenus par leur modération, à une pareille unanimité. Ce que l’on proposait alors, c’était une véritable loi de conciliation, c’était une loi qui devait faire disparaître de la scène politique ces questions épineuses qui, sans cesse renouvelées, agitent si malheureusement les passions. On se félicitait que des esprits modérés fussent parvenus à écarter d’irritantes discussions. Et en effet lorsque la loi parut, s’éleva-t-il un grand cri contre elle de la part des partis. Les questions qui avaient divisé tous les esprits se trouvaient résolues dans la loi à la satisfaction commune, et si celle-ci offrait quelques défauts, donnait lieu à quelques réclamations, il était facile de les faire disparaître. Il était aisé d’y faire droit. Mais aucune passion n’était soulevée par la loi elle-même. Tous les partis étaient calmes à son apparition, et tout faisait présager ses heureux effets. En sera t-il de même ?

« Aujourd’hui, l’opinion qui, je le prévois, va prédominer, sera-t-elle une opinion de conciliation ? l’œuvre qu’elle va faire triompher, sera-t-elle une œuvre de fusion ? Je crois bien le contraire. Au lieu de concilier les passions, vous les irriterez ; la lutte que vous pouviez calmer, vous allez la perpétuer ; chaque année devra se renouveler ici la grande bataille du catholicisme et du libéralisme.

« Vos intentions, en général, sont impartiales, je le veux ; mais aucun de vous peut-il répondre d’un scrutin, du hasard des majorités ? Vos intentions seraient les plus pures, les apparences seront contre vous, et n’est-ce rien que l’apparence dans une matière si épineuse, quand il s’agit de ces questions irritantes et de cette jeunesse déjà si exposée à toutes les impressions passionnées ? Si une partie de la jeunesse peut se croire opprimée par le choix des membres du jury, quand elle croira qu’il y aura partialité contre elle, n’aurez-vous pas dans cette partie de la société attisé des passions que peut-être le reste de la vie n’éteindra plus, et qui cependant peuvent être si funestes au pays ?

« Le pouvoir en Belgique sera toujours le médiateur entre les deux opinions qui divisent le pays. Le pouvoir, qu’il appartienne à l’une ou à l’autre de ces opinions, sera essentiellement modéré et modérateur. C’est là son caractère constant, sa nécessité. Tant que nos institutions subsisteront, il n’en peut être autrement. Il n’en est pas de même des majorités parlementaires : les majorités sont changeantes, et n’ont personne à ménager.

« Relisez l’histoire, surtout l’histoire des gouvernements représentatifs, et voyez s’il est beaucoup de majorités qui soient restées les mêmes pendant dix ans ; demandez-vous si quelquefois les armes qu’une majorité s’était forgées, une majorité contraire n’est pas venue s’en emparer pour les tourner contre elle.

« Ne l’oublions pas, ce qui tait la durée des partis et des opinions, ce n’est pas leur force numérique, c’est leur force morale. Et rien ne détruit la force morale comme l’abus qu’un parti fait ou semble faire de sa position. La modération, voilà ce qui est durable, voilà la véritable force de nos jours.

« Faisons une loi de conciliation, et que ceux mêmes qui s’en tiennent aux apparences ne puissent nous reprocher d’avoir fait une loi de réaction. »

Voilà, messieurs, les paroles que je prononçai en 1835. Vous pouvez juger si les faits les ont confirmées, Rappelez-vous quelle était la situation des partis alors ; la division qui règne aujourd’hui ne s’était pas encore dessinée. Alors, nous étions bien rarement divisés en catholiques et en libéraux. D’autres questions plus urgentes dominaient celle-là. Une autre ligne de démarcation divisait les partis. Nous étions occupés à rasseoir le pouvoir si fortement ébranlé par le mouvement de 1830. Dans cette œuvre laborieuse, nous voulions dans les prérogatives à accorder au pouvoir, aller les uns plus loin, les autres moins loin ; là était la lutte véritable, la lutte de tous les jours ; la division de catholiques et de libéraux n’apparaissait qu’à de rares intervalles. Pour parler le langage que je viens de vous rappeler, je devais à cette époque me séparer des hommes avec lesquels je votais journellement. Je ne suis pas le seul, car il arriva dans cette discussion que les partis du temps se démembrèrent, s’effacèrent complètement, et la chambre se divisa en catholiques d’un côté et en libéraux de l’autre, aussi nettement qu’aujourd’hui. Vous voyez quel a été le rôle de cette question. Quand je dis que tous les membres de l’opinion catholique se rangèrent d’un côté et tous les membres de l’opinion libérale de l’autre, je me trompe. Contre l’intervention des chambres se prononcèrent toutes les nuances du parti libéral, y compris, pour ne citer que ces noms, MM. Donny, Pirmez, Fallon, Dechamps, Nothomb, Zoude, Van den Hove, Quirini, aujourd’hui professeur à l’université de Louvain ; mais aux libéraux réunis en masse, vinrent se joindre MM. de Mérode, Brabant, Ch. Vilain XIIII, Dumonceau (aujourd’hui professeur à l’université de Louvain), Verdussen, de Longrée , Bosquet , Eloy de Burdinne et Desmanet de Biesme.

Je le demandé, était-ce là de l’exagération ? Jugez-en par ces noms mêmes. La nomination par les chambres triompha. Ce vote fut, messieurs, un germe de division, c’était le premier pas dans une voie nouvelle ; l’opinion catholique ne s’en aperçut pas d’abord, et d’ailleurs elle se croyait si forte qu’elle ne redoutait rien de l’avenir ; mais j’ose le dire, j’en atteste ma propre conscience, ce fut là un premier et puissant germe de division entre des hommes qui, dans une autre lutte, s’étaient trouvés dans les mêmes rangs. Cette loi, en effet, allait au-delà de la liberté d’enseignement. Sur les questions de liberté, les catholiques et les libéraux étaient d’accord, mais on allait au-delà de la liberté, on sacrifiait la liberté d’enseignement, on sacrifiait la délimitation des pouvoirs constitutionnels, on sacrifiait les principes de l’ancienne union, car l’union voulait les libertés publiques par la loi, mais elle ne voulait pas la domination d’un parti par la loi. Je n’en fais pas un crime aux personnes. C’est presque toujours avec sincérité que les partis commettent les premières fautes qui les égarent.

Dans ce débat, ai-je dit, une importante question de pouvoirs est engagée. Depuis dix ans, je suis convaincu que la loi du jury d’examen a sanctionné une usurpation des chambres. Les chambres législatives n’ont que les pouvoirs que la constitution leur donne. La constitution dit en termes formels que les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la constitution.

Vous ne tenez de la constitution que le pouvoir législatif et trois ou quatre attributions secondaires, telles que la nomination des membres de la cour des comptes, le droit d’enquête, les naturalisations. Le sénat a le droit de présenter des candidats pour la cour de cassation. Mais ce sont là des attributions formellement écrites dans la charte des grands pouvoirs, vous n’en avez pas une seule de plus, vous n’avez pas le droit de vous en attribuer une seule que la constitution ne vous ait pas donnée. Cependant la chambre de 1835 l’a fait pour le jury.

Par la nomination du jury vous êtes devenus pouvoir administratif ou judiciaire, vous êtes devenus autre chose que pouvoir législatif. Ce précédent posé, il est impossible de dire quelle conséquence il pourrait amener dans des jours de crise ou d’entraînement, car il légitime toutes les usurpations des chambres ! Si vous êtes capables de nommer constitutionnellement un jury d’examen, vous êtes capables d’intervenir dans toutes les branches d’administration qui présentent un haut intérêt pour le pays, de nommer des commissaires auprès des armées ; des ambassadeurs auprès des cours étrangères. Cela est si vrai que dans la discussion de 1835, pour légitimer l’intervention des chambres dans la nomination du jury, nos adversaires furent obligés de soutenir que la chambre pouvait, en vertu d’une loi, s’ingérer dans l’administration ; faire des nominations administratives, nommer même des ambassadeurs.

De tels principes, on n’oserait plus les reproduire aujourd’hui, et cependant si on ne les admet, comment justifier le projet de la section centrale ? Vous donner des attributions que la constitution ne vous confère pas, c’est la violer, c’est la refaire ; il n’est pas un article de la constitution que vous ne puissiez faire et refaire, si une loi suffit pour vous conférer un pouvoir que le pacte fondamental ne vous a pas donné. Sans doute au-delà de l’autorité que vous donne le texte de la constitution, vous avez une autorité d’influence sur les affaires, mais cette influence vous l’exercez par la discussion et non par une intervention directe. Vous pouvez exercer une grande influence morale sur les affaires administratives, mais vous n’avez pas le droit de vous ingérer directement, positivement dans l’administration.

On vient de dire qu’on pouvait faire la même objection au système qui abandonnait la nomination de quelques membres du jury à la cour de cassation. La question n’est peut-être pas entièrement la même. Je ne veux pas me prononcer sur la question de savoir si la cour de cassation ne pourrait décider que tel homme est capable d’être avocat, mais si ce système se produisait et qu’on soulevât la question constitutionnelle, je devrais y réfléchir avant de lui donner mon appui. Cependant le danger est bien différent ; il n’y aura jamais les mêmes luttes entre la cour de cassation et le gouvernement, qu’entre le gouvernement et les chambres.

La cour de cassation ne fait pas la loi ; tandis que votre influence est telle qu’on peut dire : Vous la faites souvent tout seuls. Quand vous vous êtes reconnu une attribution extraconstitutionnelle, où est la barrière assez forte pour vous empêcher de vous en conférer d’autres encore ? Il y a donc, messieurs, dans le projet de loi, une grande question de pouvoirs.

Sous ce rapport, M. le ministre de l’intérieur a eu grand tort de nier que la prérogative royale fût désintéressée dans le débat. La question de la limite des pouvoirs des chambres intéresse au plus haut point la prérogative royale. Il n’y a pas de question constitutionnelle qui l’intéresse davantage.

Je passe à la question de partialité. Le projet de loi, a dit un honorable membre, est un outrage à la majorité ; il condamne tout ce que vous avez fait depuis dix ans. Cela est vrai, mais ce qui est outrageant, ce sont les faits de partialité dont le projet n’est que la réparation. D’ailleurs, on a déjà répondu que, s’il y avait outrage, il s’adressait moins à vous qu’à la loi ; car ce que vous avez fait, en usant de la loi, il est possible qu’une autre majorité l’eût fait comme vous. Vous avez nommé 40 professeurs d’une université, 12 d’une autre, 8 d’une troisième, pas un seul d’une quatrième. Vous avez fait plus : les nominations que vous avez faites en dehors des universités sont empreintes de la même partialité ; on y trouve la même prédominance de votre couleur politique. Vous avez fait plus encore : vous avez montré la même partialité lors même que vous avez nommé des professeurs des universités de l’Etat. Trois de ces professeurs ont trouvé grâce devant vous ; je ne les connais pas ; mais si j’en crois des personnes qui disent les connaître, tous les trois tiennent à la couleur politique de la majorité de cette chambre. Il est un jury qui a été composé, pendant cinq ans, de cinq membres appartenant à l’opinion que représente l’université de Louvain et de deux d’une opinion douteuse.

Remarquez qu’il n’est pas nécessaire pour nuire à une université ou pour en favoriser une autre que tous les jurys soient composés d’une manière partiale. Un seul jury, que vous le placiez à l’entrée ou à la fin des études, à l’examen de la candidature ou à celui du doctorat, un seul jury peut faire pencher la balance, éloigner les élèves d’un établissement et les refouler vers un autre.

Le système est donc jugé par les faits.

Représentez-vous un ministre qui se présenterait devant la chambre, devant la minorité de la chambre, après avoir exécuté la loi, comme l’a fait la majorité. Supposez qu’un ministre ait nommé 40 professeurs d’une université et pas un seul d’une autre. Je vous le demande, qui serait le défenseur d’un tel ministre ? Qui oserait dire un mot pour sa défense ? Oserait-il se présenter devant vous ?

Qu’est-ce que le jury d’examen ? Une espèce d’arbitrage entre les grands établissements d’instruction supérieure. Est-il un moyen d’avoir des arbitres plus partiaux que de les faire élire par des corps politiques, par une majorité essentiellement partiale.

L’honorable rapporteur de la section centrale a parlé tout à l’heure de la grande influence de la minorité sur les choix de la majorité. Mais, en vérité, pour ce qui concerne le jury, c’est rire ; vous savez en quoi consiste cette grande influence. La minorité arrive ici, certaine d’avance que son vote sera sans influence. La plupart du temps, nous mettons des billets blancs, tellement nous sommes sûrs de notre influence.

Si, en passant, je voulais parler de la compétence de la chambre, je vous demanderais s’il en est parmi vous, dix, quatre, trois, un seul, qui puisse, la main sur la conscience, dire qu’il a prononcé en connaissance de cause ? Sur les titres et la capacité des examinateurs pour la médecine, la philosophie, les sciences, le gouvernement peut prononcer parce qu’il a les moyens d’investigation ; mais nous, quelles investigations faisons-nous ? Il se fait une liste mystérieusement, je ne sais par qui ; les uns l’adoptent aveuglément ; les autres ne votent pas ou perdent leur voix. Voilà les édifiantes nominations du jury !

On nous a dit qu’en définitive, il n’y a pas de partialité dans les décisions du jury.

Messieurs, si la majorité de la chambre et du sénat, si le ministère n’avaient fait siéger dans le jury que des professeurs d’une seule université, j’ai assez bonne opinion des professeurs de toutes les universités pour croire que leurs décisions auraient pu ne pas être beaucoup plus partiales que celles du jury, car il ne suffit pas de différer d’opinion politique avec un parti on avec une université, pour refuser à un jeune homme qui a étudié consciencieusement, l’entrée de la carrière ; il faut être plus qu’homme politique ; il faut être malhonnête homme.

J’ai assez bonne opinion, je le répète, des professeurs de toutes les universités, pour croire qu’un jury ainsi composé des professeurs d’une seule université aurait pu ne pas commettre des injustices criantes ; mais serait-ce une raison à alléguer en faveur d’un pareil système ? Non ; parce que la composition même du jury agit sur les établissements autant que leurs décisions.

Les décisions, dit-on, ne sont pas partiales. Je n’en sais rien. Il est difficile de le savoir par soi-même. Quant aux opinions que j’ai recueillies, elles ne sont pas unanimes. J’ai entendu dire que certains jurys sont impartiaux ; j’ai entendu dire qu’il y en avait qui ne l’étaient pas.

Lors même que tous les jurys auraient été impartiaux, que toutes leurs décisions auraient été marquées au coin de la plus scrupuleuse justice, je dis que la composition partiale du jury est un très grand mal. Dans le public, vous ne le nierez pas, l’opinion est que la composition du jury est favorable à une seule des quatre universités. Les élèves, toutes choses égales, doivent préférer se rendre à cet établissement. Les élèves doivent préférer trouver dans les jurys de la bienveillance, non seulement pour leurs travaux, mais encore pour l’établissement où ils étudient.

Quand un grand corps de l’Etat, comme la chambre, sur lequel tous les yeux sont fixés, proclame, chaque année, par un acte solennel, sa prédilection pour un établissement d’instruction, c’est une grande faveur qui vient en aide à sa fortune, et nuit aux établissements rivaux. Si j’étais membre de l’université protégée, je regretterais cette faveur, je ne voudrais pas de cet avantage. Je voudrais que la fortune de l’établissement fût due non pas à la loi, mais à une concurrence loyale, dégagée de toute injustice, de tout privilège.

La section centrale, que propose-t-elle ? Sous le rapport de la partialité des nominations comme sous celui de leur inconstitutionnalité, elle reste entièrement dans le statu quo. Elle ne fait que formuler les faits tels qu’ils se sont passés. Je vais le prouver.

Le projet de la section centrale pose deux conditions nouvelles. Pas plus de deux professeurs du même établissement ne seront nommés par chaque chambre, pour chaque jury ; dans aucun cas, il n’y aura plus de deux professeurs du même établissement dans un seul jury. Je dis que ces deux changements ne remédient à rien de ce qui s’est passé depuis 8 ans. La chambre ne pourra nommer plus de deux professeurs du même établissement, dans un même jury. Mais, depuis 1835 jamais la chambre n’a nommé plus de deux professeurs d’un même établissement dans un même jury ; jamais elle n’en a nommé plus d’un.

Pas plus de deux professeurs du même établissement ne pourront siéger dans le jury. Or, depuis 1835, il n’y a pas eu plus de deux professeurs du même établissement dans un même jury. Que fait donc la section centrale ? Elle ne fait rien que formuler le passé et donner même plus de latitude aux chambres pour être partiales que celle dont elles ont usé. De plus, elle leur donne un droit d’exclusion. Les chambres n’auront qu’à nommer chacune un professeur d’une branche accessoire dans une université pour que le professeur d’une branche principale de cette université soit exclu du jury.

Une telle injustice n’est, dit-on, pas à craindre ; c’est impossible ; c’est une supposition injurieuse pour la chambre. Si, en 1836, on avait dit que la chambre aurait nommé 40 professeurs d’une université, 8 d’une autre, pas un seul du troisième, on aurait dit que c’était impossible, que ce serait une injustice. Les faits ont prouvé que cela est possible.

Le pouvoir, messieurs, sera plus impartial que les chambres, parce qu’il est responsable, parce qu’il compte avec la minorité. Oui, messieurs, le pouvoir, quoi qu’il fasse, doit compter avec la minorité, plus que la majorité ne le fait. En voulez-vous la preuve ? Elle est dans la présentation du projet de loi lui-même.

On me dit : Mais pour juger la presse nous avons un jury, voudriez-vous le laisser nommer par le gouvernement ? La liberté d’enseignement est aussi sacrée que la liberté de la presse.

On a déjà répondu qu’il n’y avait pas analogie, qu’il ne s’agit pas ici de punir les délits de l’enseignement comme il s’agit de l’autre côté de punir les délits de la presse. Mais je veux accepter le terrain ; j’accepte la comparaison, et je dis que si notre constitution le permettait, si nous étions dans un tel état de choses qu’il fallût que des arbitres quelconques prononçassent sur la capacité des écrivains avant qu’ils pussent écrire, je préférerais mille fois une commission nommée par le gouvernement à une commission nommée par la majorité de la chambre.

Et cependant, vous le savez, je ne tiens pas le pouvoir pour infaillible ; je ne crois pas que le pouvoir usera toujours de son autorité d’une manière irréprochable. Mais je crois qu’il en usera d’une manière moins partiale que les majorités politiques. S’il s’agissait de faire des nominations obscures et peu importantes au fond de nos campagnes, dont la publicité ne peut avoir justice, je pourrais me défier davantage du gouvernement. Mais il s’agit de nominations contrôlées par la publicité, de nominations qui intéressent les chambres, qui intéressent le pays, qui intéressent les deux grandes opinions qui divisent le pays. Le gouvernement sera donc contrôlé. Je ne dis pas qu’il ne faillira pas, qu’il ne fera pas de faute, mais je suis sûr qu’il sera moins partial, moins absolu que la majorité des chambres.

Un honorable membre, messieurs, vous a proposé un amendement consistant à rendre provisoire le système de la section centrale. Au moins c’est ainsi qu’une grande partie de l’assemblée a compris la portée de l’amendement de l’honorable M. Cogels. Peut-être des explications ultérieures feront-elles mieux connaître son opinion.

Je pense, messieurs, qu’il n’y a pas lieu d’accepter le provisoire des conclusions de la section centrale. Lorsque pendant trois ans on a mis à essai un système, lorsqu’ensuite pendant cinq ans on en a obtenu la continuation, je demande si ce n’est pas faire une chose dérisoire que de vouloir encore un nouvel essai pour quatre ans, essai qui se fera dans les mêmes conditions de partialité et d’inconstitutionnalité.

L’amendement de l’honorable M. Cogels, en tant qu’il s’applique au système de la section centrale, savez-vous ce que c’est ? C’est le retrait du projet de loi. Si le gouvernement retirait le projet de loi, qu’arriverait-il ? Il arriverait que nous nous retrouverions dans le provisoire, que nous aurions à renouveler chaque année le provisoire qui dure depuis huit ans. L’adoption de l’amendement de l’honorable M. Cogels, c’est donc le retrait du projet de loi. Je me trompe, c’est quelque chose de plus humiliant encore pour le pouvoir que le retrait de sa proposition ; c’est l’engagement pris par le gouvernement de ne pas revenir avant 1848 sur une question qu’il pourrait reproduire dans un an, s’il retirait purement et simplement son projet.

Messieurs, cette discussion a été déjà bien longue ; mon intention n’est pas de la prolonger.

On a beaucoup parlé de la liberté d’enseignement. Les personnes qui en ont parlé, veulent, j’en suis convaincu, la liberté d’enseignement. Mais je les prie de croire que bien sérieusement je veux aussi cette liberté.

Messieurs, la liberté d’enseignement, on l’a demandée la première fois sous l’empire des lois et des arrêtés du gouvernement des Pays-Bas. A cette époque quelle opinion était menacée ? C’était, messieurs, l’opinion catholique. De là, chez beaucoup de membres, cette idée dont ils ne se rendent pas compte peut-être, que lorsque l’enseignement de l’opinion catholique est assuré, la liberté d’enseignement est assurée, qu’aucune opinion ne peut courir de dangers. Eh bien, nous ne pouvons partager cette erreur. La liberté d’enseignement peut courir des dangers de deux côtés différents. Il ne suffit pas qu’une seule opinion soit garantie, il faut que toutes les opinions aient leur enseignement libre et garanti. Or votre loi n’a pas fait un partage égal, elle n’a pas donné une égale faveur à toutes les opinions. Je crois que la fortune de l’université de Louvain, c’est en partie, je dis en partie, votre loi qui l’a faite.

M. Rodenbach. - Ce sont ses bons professeurs.

M. Devaux. - Si les bons professeurs suffisaient, vous pourriez demander vous-mêmes le changement de la loi ; vous ne demanderiez à la loi que la liberté ; vous ne demanderiez pas le privilège d’une représentation partiale.

Messieurs, on parle de l’ancienne union ; on en parle avec regret, et je le comprends ; mais je le répète encore, l’union, l’ancienne union a été fondée sur des libertés ; elle ne demandait que des libertés. Tant qu’on ne demandera que des libertés, tant que chacun sera en sécurité sur les libertés, l’union pourra subsister. Elle se brise, elle se divise quand les uns visent à la domination, à la domination par la loi, par le privilège de la loi.

On demande la conciliation. Eh bien, si cet appel est sincère, qu’on ne conserve pas les premiers motifs de la division, qu’on ne conserve pas les premières causes qui ont rompu la conciliation, qu’on ne conserve pas ce premier grief qui a été pendant huit ans, sur le cœur de tant d’hommes modérés.

La loi de 1835, a été un premier pas en dehors de l’union. Elle a été une cause permanente, sourde d’abord, inaperçue par une partie de cette chambre, d’une scission qui s’est élargie plus tard.

La constitution belge, messieurs, est la réparation du régime odieux du gouvernement des Pays-Bas. Mais la loi du jury va au-delà de la constitution. Ce n’est plus une réparation ; ç’a été une réaction.

Messieurs, j’accepte le projet du gouvernement comme une réparation équitable ; et en l’acceptant, je sais que je prends l’engagement que je ne craindrai jamais de renouveler, de défendre la liberté de l’enseignement, si dans le présent ou dans l’avenir, elle était menacée. J’accepte la réparation, mais je repousserai toujours la réaction. Quelle que soit la majorité, quel que soit le gouvernement je m’élèverai contre la réaction d’une voix aussi ferme que celle que je fais entendre en ce moment en faveur d’une mesure qui la respecte et lui vient en aide. (Très bien ! très bien !)

M. d’Huart. - Messieurs, vous êtes fatigués par une discussion qui dure depuis 5 jours ; aussi, je ne viens pas abuser de votre patience, et je ne réclame votre attention que pour motiver simplement mon vote.

Je pense, contrairement à ce que vient de dire l’honorable M. Devaux, que quelles que soient les considérations dans lesquelles il puisse sembler bon à chacun de nous d’entrer, quelle que soit la portée que l’on veuille donner à la question qui nous occupe, il n’en restera pas moins vrai que l’objet utile de la discussion est de rechercher le moyen le plus convenable d’ôter au jury d’examen, tel qu’il est institué par la loi de 1835, le seul inconvénient incontestable qu’a amené la mise en pratique du système que cette loi consacre, c’est-à-dire la permanence des mêmes personnes dans ce jury. Et cette permanence des membres du jury, ce n’est point parce qu’elle aurait produit le moindre acte de partialité dans les décisions de ce jury, ce n’est point parce que des élèves auraient eu à s’en plaindre, qu’elle soulève des réclamations, c’est uniquement parce que cette permanence peut être considérée comme contraire aux progrès des sciences, qu’on nous demande d’empêcher que cet inconvénient se perpétue.

Messieurs, on est forcé de convenir que les décisions du jury sont impartiales ; mais on dit qu’il y a dans les éléments de la composition du jury quelque chose de partial. Je conçois, messieurs, qu’en disséquant le système de la loi de 1835, comme différents membres l’ont fait, on trouve que, dans certaines parties de ce système, il y ait de la partialité. Mais ce n’est pas de cette manière-là qu’il faut juger un système ; il faut le juger dans son ensemble ; il faut voir toutes ses parties réunies. Ce qui prouve, messieurs, la bonté du système de 1835, c’est précisément cette considération que tous les partisans du projet ministériel ont produite : c’est que le gouvernement est obligé de rétablir l’équilibre qui pourrait avoir été rompu.

La solution de la question, réduite aux termes que je viens d’indiquer et qui sont sa véritable expression, ne devait pas soulever l’irritation que nous voyons malheureusement apparaître ; simple en lui-même, le vice, non du principe de la loi de 1835, mais de l’usage qui a été fait de cette loi, semblait pouvoir être corrigé sans grande difficulté, pourvu que le remède fut simple et non destructif de la base même de l’institution primitive. Il est possible que je me trompe, mais je crois sincèrement que si nous avions été saisis d’abord d’une proposition conçue dans le sens que je viens d’indiquer, tout serait résolu depuis longtemps, en nous épargnant l’espèce de crise dont nous sommes témoins.

Pourquoi le projet du gouvernement rencontre-t-il tant d’opposition, pourquoi a-t-il provoqué des inquiétudes ? Parce qu’il est une innovation radicale dans le régime pratiqué depuis neuf ans, dont il écarte entièrement les principes, parce que beaucoup de personnes craignent qu’en vue de remédier à un inconvénient, on ne donne naissance à d’autres inconvénients plus graves.

Je veux croire qu’il y a de l’exagération dans les appréhensions que l’on manifeste, cependant quel que soit le point de vue où l’on se place pour apprécier la proposition qui nous est soumise, on ne peut disconvenir qu’elle renferme des germes dangereux. En effet, reconnaître spécialement par la loi des établissements libres en leur donnant des attributions de la plus haute importance, c’est s’enchaîner à des conditions dont on ne saurait apprécier les conséquences dans l’avenir ; obliger le pouvoir royal à fixer nécessairement ses choix parmi le personnel d’institutions qui pourraient se coaliser dans un but quelconque propre à leurs intérêts, c’est détruire la responsabilité ministérielle en la désarmant des moyens d’agir efficacement, c’est s’exposer à créer par la loi un mal peut-être sans remède.

Pour satisfaire à la pensée de ceux qui considèrent la nomination des membres du jury comme dépendante exclusivement de la prérogative royale, il faudrait que cette nomination fût libre et dégagée des restrictions inflexibles que renferme le projet ; pour ceux qui trouvent dans la responsabilité ministérielle des garanties suffisantes, ces restrictions devraient également disparaître, parce que le cercle étroit dans lequel les choix seraient circonscrits, étant déterminé, la liberté d’action manque et par suite la responsabilité s’évanouit.

Pour moi, messieurs, je suis aujourd’hui, comme en 1835, persuadé que ni la lettre ni l’esprit de la constitution n’attribuent nécessairement la nomination des membres du jury d’examen au pouvoir exécutif, je crois, avec la législature, qui s’est itérativement prononcée à ce sujet, et avec M. le ministre de l’intérieur lui-même, que nous sommes parfaitement en droit de régler la nomination dont il s’agit, selon ce qui nous semblera le plus conforme aux intérêts du pays. Ne supposez pas que je considère la responsabilité ministérielle comme une vaine chimère et que je me laisse entraîner par l’idée que l’exercice d’une attribution essentielle conférée au gouvernement s’opère sans subir l’influence de l’opinion publique, sans égard pour le contrôle parlementaire ; loin de la, messieurs, la responsabilité ministérielle, la responsabilité morale surtout, est à mes yeux une sérieuse réalité ; mais l’appréciation du mérite de cette responsabilité ne peut se faire abstractivement, nous devons tenir compte de la nature délicate du principe constitutionnel qui est ici en cause et dont le développement exige les garanties les plus larges ; il ne nous est point loisible de perdre de vue le caractère spécial de la grande institution du jury d’examen qui doit dominer de la même manière non seulement les universités libres, mais encore les universités entretenues aux frais de l’Etat par les soins du gouvernement.

Les inspirations de la prudence seront un guide dans le vote que j’émettrai en cette circonstance, et l’émotion soulevée par le projet de loi ne restera point sans influence sur mon esprit. Ne voulant pas douter de la pureté des intentions des deux opinions opposées qui ont fait entendre leurs organes dans cette chambre, je m’arrêterai à la décision qui, donnant à la fois le plus de garanties à ces deux opinions, fournira le moins au hasard et qui ainsi, tout en remédiant, autant que possible, aux inconvénients constatés, s’écartera le moins de la voie connue dans laquelle nous sommes entrés depuis neuf ans.

Dans l’état évident des choses, il faut bien reconnaître l’impossibilité de formuler un système définitif pour la nomination du jury d’examen, qui obtienne l’appui d’une majorité imposante ; l’opinion qui succomberait resterait donc, malgré cela, moralement forte ; froissée, et par conséquent mécontente, elle aurait peine à se dépouiller d’un esprit d’hostilité et de défiance qui réagirait d’une manière pernicieuse sur la direction des affaires de l’Etat, et le pays serait, en définitive, la victime du nouvel élément de désunion jeté dans son sein. Je me permets d’appeler l’attention spéciale du gouvernement sur cette considération.

Le provisoire devient donc une sorte de nécessité à laquelle du reste il est conseillable de se soumettre avec d’autant plus de raison, que la liberté d’enseignement posée constitutionnellement en Belgique d’une manière absolue, ne trouve point, pour l’application, d’exemple chez d’autres nations. Je voterai pour ce provisoire parce qu’il n’aliène pas l’avenir et que le nouvel essai qu’il consacrera est nécessaire pour compléter une grave expérience qui n’est encore qu’ébauchée.

Quant au mode, il résulte suffisamment de ce que je viens de dire, que celui qui ne conserve plus rien de la loi de 1835, ne saurait avoir mon assentiment ; aussi, tout en me réservant d’accueillir les amendements à une exécution pratique qui pourraient fortifier les garanties de la bonne composition du jury d’examen, je n’hésite pas à me prononcer pour la proposition de la section centrale, laquelle proposition, en maintenant soigneusement la base fondamentale de la loi primitive, et en évitant les écueils de la reconnaissance formelle d’établissements libres, me paraît le mieux satisfaire à la fois aux exigences des progrès scientifiques et à celles de l’impartialité et de la prudence.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, lorsque la chambre a bien voulu m’entendre au début de cette discussion, je me suis engagé à faire connaître mon opinion sur le fond même du débat. Je viens remplir, messieurs, cet engagement. J’espère que la chambre, malgré la fatigue de cette séance, voudra bien me prêter quelque attention.

Quelques honorables collègues se sont occupés encore de ma position personnelle, mais j’espère les convaincre qu’ils se sont trompés en répétant l’assertion que j’aurais adhéré sans réserve aucune au mode de nomination proposé par le gouvernement, assertion que j’ai formellement démentie et que dès lors on n’aurait pas dû reproduire. J’espère les convaincre aussi qu’ils se sont trompés en insinuant que je n’aurais donné ma démission que dans le but de mettre mes convictions à la suite de celles de mes amis politiques. Je ne suis sorti du cabinet, au contraire, que pour reconquérir la complète liberté de ma parole, et la chambre reconnaîtra que mes convictions qui n’étaient pas celles de mes collègues dans le ministère, qui ne sont pas non plus celles de quelques-uns de mes amis politiques, que ces convictions, je ne les ai mises au service de personne.

Je bornerai à ces quelques mots ce qui est relatif à ma justification personnelle.

J’ai une conviction surtout à faire partager par la chambre : c’est que, placée comme elle l’est entre le système du gouvernement et le système de la section centrale, elle n’a véritablement qu’à choisir entre des doutes.

On s’est trop habitué, messieurs, à ne considérer le débat que comme engagé entre ces deux systèmes ; les amendements qui ont été présentés et ceux qui pourraient l’être encore n’ont pas de chances d’attirer l’attention sérieuse de la chambre.

Cependant, messieurs, il ne me sera pas difficile de démontrer que la liberté d’enseignement, qui est ici la première en cause, et que chacun a la prétention de défendre, que cette liberté, si elle est compromise par le système du gouvernement, n’est pas mise hors de péril par le système de la section centrale, dans le cas où un mode définitif serait sanctionné par la chambre.

Dans l’état actuel de la discussion nous nous trouvons, messieurs, en présence d’une double alternative : c’est d’inspirer des craintes, ou bien aux élèves des universités de l’Etat, si le projet de loi de la section centrale est adopté, ou bien aux élèves de l’université de Louvain, si le projet du gouvernement est admis.

Consacrer ces craintes par un vote définitif, n’est-ce pas un mal ? Il ne faut toucher à une liberté constitutionnelle qu’avec un respect scrupuleux. Il ne suffit pas que le jury que vous allez instituer vous paraisse impartial à vos propres yeux, mais il faut qu’il soit censé l’être aux yeux de ceux dont les intérêts sont surtout en cause.

Si, par une décision irrévocable, vous laissez croire à un établissement libre, à une opinion considérable, à de grands intérêts, qu’après le vote de la loi la liberté d’enseignement ne sera plus entière, prenez-y garde, messieurs, n’est-ce pas exposer nos libertés politiques tour à tour aux revanches et aux représailles des partis ?

Ce danger, messieurs, n’est pas le seul, ce danger n’est pas même le plus imminent. La question du jury d’examen est importante sans doute, mais il est quelque chose de plus important et qui la domine, c’est la situation même du pays.

C’est de cette situation surtout que les esprits sont préoccupés plutôt encore, il faut le reconnaître, que de la question du jury d’examen, question trop abstraite pour pouvoir laisser d’aussi profondes émotions.

On veut savoir, messieurs, si le vote que vous allez émettre va, pour la deuxième fois depuis la révolution, amener dans les chambres cette division qui s’est manifestée en 1841, division qu’il a fallu trois années d’efforts pour effacer.

J’examinerai devant vous, messieurs, si le gouvernement, si les partis, si le pays n’ont pas un intérêt commun à ne pas faire renaître cette division, n’ont pas un intérêt commun à éviter ce péril que créerait, selon moi, un vote définitif sur l’un ou l’autre des systèmes qui sont en présence.

A voir la tournure que cette discussion a prise, à voir les partis prêts à se livrer une de ces batailles parlementaires qui défont les majorités et qui compromettent une situation, ne dirait-on pas, messieurs, qu’un abîme sépare les deux systèmes entre lesquels nous sommes placés ? et cependant, il faut le dire, les deux projets reposent sur une même idée. Dans tous les deux ce sont des jurys politiques institués par des pouvoirs politiques. Par l’un des deux systèmes, la composition du jury est attribuée au gouvernement responsable, au ministère qui est l’émanation des majorités ; par l’autre, la composition du jury est réservée à cette majorité même, de concert avec le gouvernement. Au fond, le principe est donc le même, c’est toujours le gouvernement, c’est toujours l’Etat qui institue le jury, soit que l’on fasse participer à sa formation les trois branches du pouvoir ; soit que l’on donne cette nomination à une de ces branches isolément. Dans les deux cas, messieurs, le jury a sa base dans le parlement ; dans les deux systèmes le jury est politique.

Or, faut-il que le jury ait une origine politique ? Les conditions d’impartialité, les plus essentielles de toutes pour une telle institution, sont-elles conciliables avec une telle origine ? La liberté d’enseignement qu’il s’agit de garantir avant tout, cette liberté n’est-elle pas en péril, soit que vous attachiez son sort aux fluctuations ministérielles comme le fait le projet du gouvernement, soit que vous attachiez son sort aux fluctuations des majorités parlementaires, comme le propose la section centrale ?

Ce sont ces questions, messieurs, que je veux examiner devant vous.

Les défenseurs du projet du gouvernement nous parlent au nom de la prérogative royale, au nom des droits de l’Etat ; les défenseurs du projet de la section centrale parlent au nom de la liberté d’enseignement. Eh bien, ma conviction est que la prérogative royale n’est nullement engagée dans cette question, et que la liberté de l’enseignement n’est pas plus sauvegardée, ne trouve pas des garanties meilleurs dans le système de la section centrale que dans celui du gouvernement.

Il est difficile de comprendre, messieurs, par quelle liaison d’idées ou plutôt par quelle confusion d’idées on en est venu considérer la nomination du jury d’examen comme rentrant dans les attributions du pouvoir exécutif.

La liberté constitutionnelle de l’enseignement consacrée en 1830, avait produit les études privées et deux universités libres. Les hautes études aboutissant à des professions libérales, il fallait que les conditions d’admissibilité à ces professions fussent égales pour tous. De cette nécessité même est née l’idée de l’institution d’un jury d’examen indépendant. L’honorable M. Lebeau nous disait hier : « mais jury impartial et nomination par une majorité politique et dès lors partiale, c’est là une contradiction même dans les termes. » Je le reconnais en partie, messieurs, mais l’honorable M. Lebeau m’avouera que jury indépendant et prérogative royale sont aussi des noms qui semblent s’exclure en principe. Je serais curieux de connaître, par exemple, comment on accueillerait celui qui, parlant au nom des intérêts de la société, demanderait que la nomination des jurys institués pour connaître des faits de la presse, qu’une telle nomination rentrât dans le domaine du pouvoir exécutif.

M. le ministre de l’intérieur l’a parfaitement compris, il n’a jamais présenté le mode de nomination par le gouvernement comme la restitution que l’on ferait d’un droit que l’on aurait enlevé au pouvoir royal.

Il n’a pas posé un principe, seulement il a cru que ce mode de nomination, entouré de certaines garanties, pouvait être le meilleur moyen pratique de composer un jury impartial et capable.

Si la chambre même venait à adopter une proposition de ce genre, ce ne serait pas en vertu d’un principe, ce serait malgré le principe qui exige que la collation des grades qui, au nom de la constitution, a été enlevée aux universités de l’Etat, ne soit pas remise exclusivement aux mains du chef de ces universités.

Messieurs, je vous ai dit que les deux systèmes reposaient sur le même fond d’idées ; j’ajouterai que les deux thèses sont défendues par une même argumentation.

D’après les uns, on ne peut pas conférer au gouvernement la nomination exclusive du jury d’examen parce que la présomption d’impartialité lui manquerait essentiellement, le gouvernement se trouvant naturellement entraîné par la prédilection qu’il doit porter à ses propres établissements.

Les autres ne veulent pas du projet de la section centrale, parce qu’ils ne croient pas non plus que les majorités parlementaires, dominées par les influences politiques, puissent être impartiales.

On nous a dit que, pour obtenir un jury impartial, il fallait que le mode de nomination fût non politique. Je partage cette manière de voir. Mais la partie de la thèse de M. le ministre de l’intérieur et de l’honorable M. Lebeau, que je ne puis admettre, c’est celle où ils se sont efforcés de prouver que la nomination par le gouvernement n’a aucun caractère politique.

Que l’on dise qu’en général le gouvernement est placé mieux que les chambres, au-dessus des partis, que son rôle est plus médiateur, qu’il est engagé moins directement dans les luttes politiques, je le comprends ; mais déclarer que les nominations faites par le gouvernement n’ont pas de caractère politique, c’est évidemment nuire à sa thèse, en l’exagérant.

Si cela était vrai, je ne comprendrais plus rien à l’histoire de ces 10 dernières années pendant lesquelles la puissance gouvernementale et la puissance élective ont pris l’une à l’égard de l’autre des garanties qui se résument presque toutes en questions de nomination.

Quand on a établi l’inamovibilité des juges, quand on a fait intervenir les conseils provinciaux et le sénat dans les nominations aux cours d’appel et à la cour de cassation ; lorsqu’on a décidé que le gouvernement n’aurait aucune intervention dans la nomination des ministres des cultes, lorsque dans l’ordre administratif même, on est allé jusqu’à vouloir refuser au gouvernement la nomination des délégués du pouvoir exécutif dans la commune, la nomination des bourgmestres, qu’a-t-on fait ? sinon déclarer par là qu’on attachait aux nominations faites par le gouvernement un caractère politique.

Messieurs, dans l’ordre administratif, dans un certain ordre politique même, je reconnais que le gouvernement se trouve dans des conditions de modération et d’impartialité supérieures aux conditions dans lesquelles se trouvent les assemblées électives ; mais il faut le reconnaître, messieurs, dans la question du haut enseignement, l’intervention du gouvernement a un caractère politique tout spécial, par la raison bien simple que le gouvernement possède des universités qu’il a instituées et qu’il dirige.

Il est impossible de nier qu’il soit irrationnel, antilogique, comme le disait l’honorable M. Ernst en 1835, de confier à l’autorité qui fonde les universités de l’Etat, et institue les professeurs de ces universités, de lui confier, dis-je, d’une manière absolue, la nomination des jurés qui sont appelés à juger de la capacité des élèves des écoles rivales.

Si l’enseignement libre n’avait pas existé, on n’aurait jamais songé à instituer un jury d’examen ; les universités de l’Etat auraient continué à jouir du privilège de conférer seules des grades ! C’est donc à cause de l’enseignement libre que le jury d’examen a été surtout institué. Le jury indépendant relève donc de la liberté d’enseignement, et ne rentre pas, par sa nature, dans les attributions essentielles du pouvoir exécutif.

Messieurs, les faits viennent à l’appui de ces raisons si claires.

Aucune des commissions qui ont été nommées de 1830 à 1834, n’a revendiqué pour le gouvernement le droit absolu de nommer les membres du jury d’examen. Dans le projet de 1834, présenté aux chambres par l’honorable M. Rogier, l’idée de laquelle on était parti, était celle d’instituer un jury non politique, et pour atteindre ce but, l’honorable M. Rogier a cru qu’il ne fallait attribuer cette nomination, ni au gouvernement, ni aux chambres.

En 1835, une seule des six sections proposa de conférer la nomination du jury au gouvernement, et dans la section centrale, cette proposition ne fut pas même renouvelée. Lors de la discussion, les systèmes qui se sont trouvés en présence, étaient le système de la section centrale, et divers autres systèmes qui voulaient attribuer la nomination de ces jurys à des corps permanents ou aux universités elles-mêmes.

Les défenseurs les plus zélés de la prérogative royale, l’honorable M. Devaux et ses amis, ont présenté et défendu un système pris dans cet ordre d’idées ; il faut reconnaître que le mode de nomination par le gouvernement est né à la fin de la discussion, on pourrait presque dire de la lassitude de la discussion, et que ce mode n’a pas été mis en avant comme un principe.

Depuis 1835, la question de jury a passé par le creuset de plusieurs épreuves. En 1838, le gouvernement consulta les jurys qui sont composés d’hommes impartiaux, intelligents et probes. Eh bien, les jurys ont-ils conseillé au gouvernement de reprendre un droit qu’on lui aurait enlevé ? Ils n’y ont pas songé.

En 1842, lors de la discussion de la révision de la loi de l’enseignement supérieur, la section centrale, d’accord avec le gouvernement, a proposé de maintenir le mode actuel de nomination du jury. Les conseils académiques, les élèves mêmes des universités dans les mémoires qu’ils ont adressés à cette époque aux chambres, n’ont pas dit un seul mot pour faire attribuer la nomination du jury au gouvernement. Comment expliquerez-vous, je vous prie de me le dire, qu’une prérogative royale de cette importance ait été oubliée de tous pendant quatorze ans ?

La prérogative royale n’est donc pas en cause dans la discussion qui nous occupe. Ceux qui le pensent se laissent dominer, à leur insu peut-être, par des idées françaises qui ne peuvent être les nôtres. La charte française n’est pas la constitution belge ; les principes sont analogues, il est vrai, mais l’application est loin de l’être.

Les honorables membres auxquels je réponds admettraient-ils, par exemple, que l’application des lois françaises nous fût faite, sous le rapport de la liberté de la presse ? Consentiraient-ils à donner les lois de septembre pour base à notre législation sur la presse ? Pourquoi donc se laisser aller au courant des idées françaises, lorsqu’il s’agit de la liberté d’enseignement qui n’est encore en France qu’une promesse, non réalisée, de la charte.

La question du jury est donc une question de liberté d’enseignement, c’est une colonne de notre constitution qu’il s’agit d’ébranler ou d’affermir.

L’honorable M. Verhaegen nous a reproché, dans une séance précédente, de nous opposer à l’extension de la prérogative royale sur le domaine du haut enseignement, tandis que nous avons voulu cette extension dans la question communale.

Je pourrais renvoyer à l’honorable membre le reproche qu’il nous adresse et lui demander comment il explique la contradiction flagrante dans laquelle il est lui-même tombé.

Quelque respect que nous ayons pour la liberté communale, l’honorable membre reconnaîtra que ce n’est qu’une liberté administrative ; il ne la mettra certainement pas sur la même ligne que l’une de nos grandes libertés politiques, sur lesquelles notre constitution tout entière repose. Il est clair qu’une liberté politique se trouve dans un ordre plus élevé qu’une liberté purement administrative.

Comment se fait-il donc que l’honorable M. Verhaegen ait appelé loi réactionnaire celle qui voulait attribuer au pouvoir royal la nomination des délégués même du pouvoir exécutif dans la commune, la nomination des bourgmestres, tandis qu’il épargne cette qualification de réactionnaire, au projet de loi qui tend à attribuer au gouvernement la nomination du jury d’examen qui domine les hautes études tout entières, et qui n’a aucun rapport de juridiction et d’attributions avec le pouvoir central !

Comment, messieurs, on a fait de la réaction à propos de la liberté de la presse, au dire de l’honorable M. Verhaegen, quand, depuis 14 ans, aucun essai de loi n’a été fait pour atteindre même indirectement, la liberté de la presse, quand aucune parole n’a jamais été prononcée dans cette enceinte que pour la défendre.

On a dû s’appuyer sur des phrases isolées, sur des phrases mal interprétées, contre l’interprétation desquelles les auteurs ont toujours énergiquement protesté, pour prétendre qu’une certaine opinion se trouvait sur la pente d’une réaction contre la liberté de la presse.

Ici, il s’agit non pas d’une phrase isolée, mais d’une loi importante qui inspire à une opinion tout entière des craintes sur le sort d’une de nos libertés essentielles. Et l’honorable M. Verhaegen trouve tout cela progressif et libéral, quand il n’avait que de l’indignation à répandre sur l’extension de l’autorité du gouvernement dans la commune !

J’aborde une autre objection faite par l’honorable M. Lebeau qui m’a paru plus sérieuse. Comment se fait-il, nous a dit M. Lebeau, qu’en 1835, alors que vous vous trouviez plus qu’aujourd’hui dans le courant des idées démocratiques que la révolution avait fait dominer, alors que les universités libres étaient peine naissantes, qu’elles n’avaient pas jeté des racines de dix années dans le sol, comment se fait-il qu’à cette époque vous n’aviez pour la question du jury, aucune défiance contre le pouvoir central, et que cette défiance vienne à naître en 1844 ? Ce fait m’avait aussi frappé et j’ai cherché à me l’expliquer. Je pourrais indiquer plusieurs raisons sur lesquelles je n’insisterai pas parce qu’elles me paraissent accessoires. La principale parmi celles-ci, c’est que les lois que la majorité a corrigées au profit des idées de gouvernement, c’étaient des lois d’administration où l’application de ces idées gouvernementales était mieux justifiée, que dans des questions de libertés politiques. Mais il est une autre raison qui expliquera mieux le fait signalé par M. Lebeau ; cette raison je vais vous la dire :

L’honorable M. Devaux en rappelant tout à l’heure le discours si remarquable qu’il a prononcé en 1835, m’a fourni le motif de la différence signalée entre l’opinion dominante en 1835 sur le jury et celle qui domine en 1844. Cette raison, c’est que la plupart des défenseurs de la nomination par le gouvernement en 1835, ont abandonné leur thèse en 1844, c’est que les arguments fondamentaux par lesquels vous aviez impressionné les esprits en 1835, vous les ayez répudiés depuis.

L’honorable M. Devaux vient de vous lire le discours qu’il a prononcé à cette époque, discours dont je m’empare : Il nous parlait alors d’une œuvre de conciliation et de fusion qu’il fallait faire. « La loi, disait-il, est destinée à faire disparaître de la scène politique ces questions épineuses qui agitent si malheureusement les passions, La lutte que vous devez calmer, vous allez la perpétuer, chaque année devra se renouveler ici par le scrutin sur le jury, la grande bataille entre le catholicisme et le libéralisme. Le pouvoir en Belgique ajouta-t-il, sera toujours le pouvoir médiateur entre les opinions qui divisent le pays. »

Eh bien, à cette thèse de 1835, n’en a-t-on pas substitué une autre depuis 1840 ? En 1835, vous vouliez faire disparaître les questions épineuses qui agitaient les passions ; vous redoutiez la lutte ; vous vouliez qu’elle ne se perpétuât pas ; en 1844, au contraire, vous appelez la lutte, vous la déclarez bonne et nécessaire, vous voulez que la sphère politique soit agitée par les partis. En 1835, vous désiriez une fusion entre les partis, en 1844 vous voulez que la division de catholiques et de libéraux forme le fonds de notre politique intérieure, vous voulez que les ministères et les majorités se constituent sur cette division. En 1835, vous ne vouliez pas que les grandes batailles entre les catholiques et les libéraux se produisissent chaque année devant les chambres. En 1844, vous voulez que ces grandes batailles soient régularisées, soient permanentes. Le pouvoir que vous appeliez en 1835 le médiateur entre les partis, vous avez tenté de le transformer en parti lui-même. Si donc des défiances exagérées se sont emparées de certains esprits, la cause n’en est-elle pas là ? Le fait signalé par M. Lebeau, et dont il ne faut pas exagérer la portée, ne trouve-t-il pas sa meilleure explication dans ces doctrines qui ont jeté de l’inquiétude dans le pays ?

Je rentre, messieurs, dans la question même. Avant de vous entretenir du mode de nomination dans le système des deux projets qui sont en présence, permettez-moi de vous parler des attributions, de la constitution même du jury. Chacun comprendra que selon qu’on agrandira les proportions du jury, selon que son influence sera étendue, la question du mode de nomination deviendra une question plus grave, plus difficile, à laquelle vous auriez lié la question de liberté d’enseignement.

Il faut reconnaître, qu’en 1833, on ne s’est pas bien rendu compte de l’importance de ce fait. L’idée à laquelle on s’est arrêté était d’instituer un jury professionnel, un jury destiné à ouvrir les carrières du barreau et de la médecine aux candidats qui voulaient y entrer. On voulait instituer un jury professionnel, c’est un jury scientifique, professionnel, politique tout à la fois, qu’on a créé. Il est scientifique par le nombre et la nature des matières qu’il embrasse ; il est politique par le mode de nomination. Les discussions de 1842, le rapport si remarquable de M. Dubus, aîné, l’exposé de motifs de M. le ministre de l’intérieur ont révélé l’importance du jury et par cela même ont agrandi la question. Le jury de 1835 conservé dans les deux projets de loi du gouvernement et de la section centrale n’est pas un jury spécial et professionnel comme la commission centrale de Berlin, c’est un conseil supérieur des hautes études, où l’enseignement tout entier vient se centraliser. Le jury en interrogeant sur tout enseigne tout. C’est le programme vivant imposé aux universités de l’Etat, aux études privées et aux universités libres.

Les professeurs des universités doivent enseigner d’après les idées, d’après les méthodes que les membres du jury ont adoptées, les professeurs ne sont que les répétiteurs des membres du jury. L’élève n’a plus les yeux fixés sur le professeur, mais sur l’examinateur ; les professeurs ne participant plus à l’examen, ont perdu toute leur autorité, toute leur influence sur leurs élèves ; cette influence, cette autorité est dévolue aux membres du jury. Le jury placé ainsi au faîte de l’enseignement est une puissance véritable, c’est le gouvernement de l’enseignement supérieur en Belgique. Il est de fait que le pouvoir qui possède le droit de nommer ce conseil des hautes études, ce gouvernement de l’enseignement supérieur, que ce pouvoir, gouvernement ou chambre, sera le maître de toutes universités et disposera de leur avenir. Il ne faut donc pas s’étonner si le mode de nomination du jury d’examen soulève autant de susceptibilité et d’appréhensions. Chacun a l’instinct de cette puissance ; les uns la refusait au gouvernement, le considérant comme ne pouvant se dégager entièrement des intérêts qu’il a à défendre comme chef des universités de l’Etat, les autres ne veulent pas la déférer exclusivement aux chambres nécessairement partiales en faveur de l’un ou l’autre des établissements libres.

Mais, messieurs, cette liberté de l’enseignement que je regarde comme compromise par le système du gouvernement, est-elle sauvée par le système de la section centrale ? Je ne puis le croire, et je ne comprends pas que ceux qui considèrent cette liberté comme en danger par l’adoption du projet du gouvernement puissent la croire hors de tout péril avec le système de la section centrale, si ce système était consacré comme mode définitif. Pour moi, si je devais me décider entre ces deux projets, je vous avoue que je ne ferais un choix entre deux périls. Attacher le sort des universités libres aux changements ministériels ou à la mobilité des majorités parlementaires, aux chances électorales, n’est-ce pas soumettre un intérêt permanent, une liberté constitutionnelle aux vicissitudes d’un pouvoir variable ?

Comment ! la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté des opinions et des cultes, reposent toutes sur un terrain ferme ; il ne dépend ni du gouvernement, ni des majorités de les amoindrir ou de les renverser ; une loi même serait impuissante pour atteindre une de ces libertés constitutionnelles ; il faudrait, pour cela, réviser solennellement la constitution elle-même, et la liberté du haut enseignement flotterait à tous les vents des élections où des volontés ministérielles ; elle n’aurait aucune base immuable ; vous livreriez un article fondamental de la constitution, comme un problème à des chances incertaines, à tous les hasards d’un peut-être !

Pour assurer l’avenir de la liberté d’enseignement, il ne faut pas la mettre à la discrétion d’un jury politique, nommé par un pouvoir politique, le gouvernement ou la majorité. Le but que nous devons avoir, c’est de dégager la liberté d’enseignement de la question des examens et des grades, et de débarrasser le gouvernement et les chambres des difficultés qu’on leur a créées.

Le système de l’honorable M. Rogier en 1834, était conçu dans cet ordre d’idées ; on lui a substitué un autre système, en 1835 ; et l’expérience a prouvé, l’avenir démontrera que le mode définitif, le système le meilleur est celui qui fera revenir à ce point de départ ; non pas que j’accepte le système de 1834 comme le meilleur, mais je crois que c’est dans cet ordre d’idées que l’on puisera les principes d’un projet définitif.

Je ne veux pas formuler de système, la chambre n’y est pas assez préparée ; mais permettez-moi d’indiquer les idées qui pourront peut-être servir lorsqu’on s’occupera d’organiser un jury définitif. Dans les pays étrangers où l’expérience est vieille, d’autres systèmes ont prévalu. En Prusse, les universités confèrent-elles mêmes les grades préparatoires et scientifiques ; une commission centrale d’instruction, établie à Berlin, examine les candidats sous le rapport professionnel et pratique. C’était le système de la section centrale en 1842, le gouvernement même s’y était rallié. Je regrette que ce système ait été abandonné. Je sais à quelles objections il peut prêter, mais elles n’étaient point insolubles, et ce système était un point de départ d’une discussion approfondie.

En Angleterre, un autre système régit les établissements d’instruction. Il n’y existe pas de jury d’examen ; l’université confère non seulement les grades scientifiques, mais encore les grades légaux. Lorsqu’une université libre s’élève, lorsque le cadre complet des hautes études est rempli, lorsqu’elle répond, en un mot, à toutes les conditions d’une université sérieuse, le parlement lui accorde, par un bill, la faculté de conférer les grades préparatoires et définitifs. Il y a quelques années l’université libre de Londres obtint ainsi un bill qui la plaçait à cet égard dans une égalité de concurrence avec les universités d’Oxford et de Cambridge.

En 1835, j’avais déjà indiqué ce système qui avait ma prédilection particulière ; mais il n’était pas alors réalisable, parce que les universités libres, à peine naissantes, ne pouvaient prétendre au titre d’universités. En 1835 deux ministres, les honorables MM. de Theux et Ernst ont prévu, dès cette époque, que ce système pourrait bien triompher dans l’avenir, Ils ont déclaré alors qu’un temps viendrait peut-être où les universités libres seraient assez complètes, donneraient assez de garanties de fortes études, pour que le gouvernement pût leur accorder l’autorisation de conférer les grades légaux. Ce système lèverait toutes les difficultés que nous avons maintenant à résoudre, il mettrait les universités libres à l’abri des éventualités de l’avenir.

Il ne dépendrait plus ni du gouvernement ni des majorités de porter atteinte à la liberté du haut enseignement. L’émancipation des institutions libres serait consacrée. Je n’examinerai pas la valeur des objections que l’on a opposées à ce système, je ne m’occuperai pas non plus des moyens d’organisation ; le moment n’en est pas venu.

Mais je suis convaincu que ce système triomphera dans l’avenir ; tous les esprits sont déjà sur cette pente. L’honorable M. le ministre de l’intérieur ne veut pas d’un jury politique, il combat à ce point de vue le système de la section centrale ; la section centrale de son côté, ne veut pas du système du gouvernement parce que c’est selon elle un jury politique.

Dans les deux côtés de la chambre, je trouve des tendances marquées à se rallier à cette idée commune. L’amendement de l’honorable M. Delehaye, l’opinion émise dans un écrit par l’honorable M. Castiau, les opinions développées par les honorables MM. de Mérode et de Haerne, n’ont-elles pas pour conclusion : point de jury politique. Le système que je viens d’indiquer est le seul qui n’admette pas de jury politique, c’est le seul qui débarrasse le gouvernement de toutes les difficultés qu’on lui a créées, c’est le seul terrain neutre où puissent se réunir diverses opinions ; les catholiques et les libéraux seront facilement d’accord s’ils veulent s’y placer.

En me résumant, si je n’avais qu’un choix à faire entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale, je préférerais le projet de la section centrale, mais je ne l’adopterais comme mode définitif qu’avec une grande répugnance parce que la liberté d’enseignement ne serait pas sauvée. Je préférerais ce système parce que, il faut le reconnaître, il est plus en rapport avec l’idée que nous nous formons d’un jury national.

Le système du gouvernement présente davantage le caractère d’une commission ministériel.

Dans tout le cours les débats, on l’a déjà fait remarquer, les adversaires du projet de la section centrale ont été injustes envers ce projet ; ils ont toujours considéré que la nomination était attribuée exclusivement aux chambres, tandis que les trois branches du pouvoir législatif concourent aux nominations.

On a toujours argumenté comme si le gouvernement n’avait aucune part à la nomination du jury. Par cette triple nomination qui se fait d’une manière successive, elle se corrige et se complète pour ainsi dire elle-même, et les choix irréfléchis et de passion deviennent difficiles dans leur ensemble.

Je l’ai dit en commençant et je termine par cette réflexion. Il y a quelque chose qui domine la question du jury universitaire, c’est la situation même du pays (mouvement d’attention).

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, le vote de cette loi pourrait faire revivre la situation de 1841 tout entière, situation qui été un accident et que personne n’a voulu créer de propos délibéré ; un vote définitif pourrait amener de nouveau la division de la chambre en deux camps, une victoire catholique ou libérale à quelques voix de majorité, un ministère forcé malgré son programme de s’appuyer exclusivement sur l’un des deux côtés de la chambre, une majorité parlementaire devenue incertaine, une lutte possible entre les deux chambres, l’une pouvant rejeter ce que l’autre aurait adopté, une dissolution possible de ministère et, ce qui est plus grave, la recomposition d’un cabinet nouveau entouré d’immenses difficultés. Cette recomposition ne pourrait se faire en dehors des influences créées par le vote de la chambre ; ce vote teindrait de sa couleur le futur ministère. Voilà quelles seraient les conséquences d’un vote irréfléchi, si les partis, si le gouvernement qui n’ont aucun intérêt à faire naître cette situation, n’usaient pas de beaucoup de prudence et de modération.

La situation de 1844 pourrait être même plus fâcheuse que celle de 1841. Le débat en 1841 portait sur une question de composition personnelle du cabinet, sur une question de confiance. On soutenait que la composition du ministère ne donnait pas peut-être assez de garanties à une opinion considérable du pays, quelque respect qu’on eût pour le caractère de chacun des membres du cabinet. En 1844 on se heurte non à une question personnelle et de confiance, mais à un principe qui tient aux entrailles mêmes d’une des grandes fractions du pays.

Tous auraient à perdre à faire naître cette situation. En effet, quel moment choisit-on pour raviver ces divisions qui tendent à s’affaiblir pour réveiller des passions qui semblent devoir s’éteindre ? le moment même, il faut le dire hautement, où un rapprochement se manifestait dans tous les esprits. Plusieurs orateurs auxquels vient de se joindre l’honorable M. d’Elhoungne l’ont reconnu. Oui le pays voulait qu’on se préoccupât surtout des grands intérêts matériels auxquels son avenir est attaché.

Je ne veux, pour preuve de cette tendance au rapprochement des esprits, que la discussion même politique du budget de l’intérieur pendant cette session. Dans cette discussion, les mots de catholiques et de libéraux n’ont plus été prononcés. La droite toute entière, permettez-moi cette expression, a pu se taire parce qu’elle n’a pas été attaquée. Le grand débat des principes de 1840 n’existait plus, il était descendu aux proportions d’une discussion personnelle destinée aussi à s’amoindrir et à disparaître. Cette discussion a pu être irritante à la surface, elle ne l’était pas au fond.

L’honorable ministre de l’intérieur a pu dire que ceux qui le repoussaient adoptaient le programme qu’il avait tant contribué à faire triompher.

Ne serait-il pas déplorable qu’une loi à laquelle personne ne songeait il y a quelques semaines vînt ainsi tout compromettre ? Ce serait un accident, mais le pays pourrait s’y méprendre, il pourrait prendre cet accident pour une situation,

En décidant qu’on soumettrait le projet de la section centrale à une expérience nouvelle, comme l’honorable M. d’Huart vient de le proposer, vous éloigneriez, selon moi, les craintes qu’un projet permanent pourrait faire concevoir. J’ai la conviction profonde qu’à une époque de plus de calme, on trouverait pour la question du haut enseignement un système qui réunirait facilement les partis au lieu de les diviser. (Très bien, très bien.)

M. Rogier. - Je demande à présenter quelques observations seulement en réponse au discours de l’honorable préopinant contre le projet ministériel.

J’exprimerai mon étonnement de ce que ces objections qui semblent avoir été si mûrement méditées, n’aient pas été faites d’abord dans le sein du conseil. Il n’est pas douteux que ces objections n’eussent produit sur l’esprit des collègues de M. Dechamps une impression tout à fait décisive ; car l’honorable ministre de l’intérieur, répondant à l’un de ses anciens amis, n’a-t-il pas donné à entendre que, s’il avait su l’honorable M. Vilain XIIII opposé à la loi, il se serait abstenu de la présenter.

L’honorable M. Dechamps doit d’autant plus regretter de ne pas avoir manifesté son opposition au sein du conseil, que la loi que nous discutons serait, à ses yeux, une loi fatale, une source féconde en catastrophes de tout genre. Eh ! non ; que l’honorable M. Dechamps soit tranquille. Aucun des malheurs qu’il redoute ne se réalisera ; et si, comme je le suppose, il vient reprendre dans le cabinet la place qu’il a momentanément quittée, je suis convaincu qu’il ne tardera pas à se rassurer sur les effets de la loi.

Vraiment, messieurs, je ne comprends pas la défiance qui entoure tout à coup le cabinet de la part d’une majorité qui depuis trois ans semble l’avoir soutenu ; je ne comprends pas cette défiance de l’honorable M. Dechamps contre lui-même.

Remettre au cabinet la nomination du jury d’examen, mais c’est continuer à le soutenir. Je ne pense pas que la majorité à laquelle appartient l’honorable M. Dechamps ait eu à se plaindre de l’usage qu’a fait le gouvernement de ses prérogatives, et ce n’est certes pas, parce que l’honorable M. Dechamps se trouverait dans le cabinet que cette opinion aurait plus de raison de craindre.

On a parlé de loi provisoire. Mais, messieurs, à quel projet veut-on appliquer le caractère provisoire ? Est-ce au projet de la section centrale, ou est-ce au projet du gouvernement ? S’il s’agit du projet de la section centrale, je n’en veux à aucune condition. S’il s’agit du projet du gouvernement, je consentirais s’il le faut, à en essayer pendant quatre ans. Nous aurions essayé pendant huit ans de la prérogative parlementaire, nous essaierions pendant quatre ans de la prérogative gouvernementale, et s’il y avait abus dans ce dernier système, nous pourrions en revenir à celui que je proposais en 1834, ce que pour ma part je n’ai pas abandonné d’une manière définitive.

Nous ne voulons pas, messieurs, prolonger la discussion générale.

Il est possible que nous soyons amenés à prendre encore la parole dans la discussion des articles ou sur la position des questions.

- La clôture de la discussion générale est prononcée.

La chambre décide qu’elle se réunira demain à dix heures.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.