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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 mai 1844

(Moniteur belge n°132, du 11 mai 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur de Mangier, major pensionné, décoré de la Légion d’honneur, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le payement de la pension comme légionnaire et des arriérés de cette pension. »

« Plusieurs secrétaires communaux dans l’arrondissement de Thielt demandent le maintien de l’arrêté royal du 1er janvier sur la traduction du Bulletin officiel en langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Turnhout demandent une diminution des droits d’entrée sur le poisson frais venant de la Hollande. »

« La chambre de commerce de St-Nicolas déclare adhérer au système de droits différentiels, proposé par M. Cassiers ; elle demande toutefois une plus grande protection pour le pavillon national. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.


« Plusieurs médecins et chirurgiens accoucheurs, établis à Gand, demandent l’exemption du droit de patente pour tous ceux qui exercent une des branches de l’art de guérir. »

M. Rodenbach. - Je trouve qu’il n’est pas juste de faire payer une patente à ceux qui exercent la profession libérale de médecin ; car souvent c’est par humanité qu’ils doivent exercer leur état. D’autres Ires branches libérales ne payent pas de patente, notamment. Il me semble qu’on devrait placer les docteurs en médecine et en chirurgie sur la même ligne que les avocats. Je demande le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion générale sur les conclusions

M. le président. - La parole est à M. de Foere.

(Moniteur belge n°135, du 13 mai 1844) M. de Foere. - Avant d’entrer en discussion, j’éprouve, avec quelque répugnance, le besoin de répondre à un appel que l’honorable M. Delfosse a fait à mes sympathies envers la classe ouvrière. Si ce besoin ne se rattachait pas à la grande question qui nous occupe, et si, dans l’intérêt de cette question, il n’était pas nécessaire d’en éloigner tous les préjugés nuisibles, j’aurais pris la résolution de le dissiper par la seule voie de la discussion.

Je déclare que, dans mes plus sincères convictions, la question maritime n’a jamais eu pour moi d’autre but que celui de protéger la classe ouvrière elle-même. J’ajouterai que, dans ma pensée intime, la classe ouvrière de la province de Liége retirera du commerce maritime, si nous sommes assez heureux de le développer, autant d’avantages que la classe ouvrière de toutes les autres provinces du pays. Je crois même, et j’en ai la conviction, que la province de Liége continuera l’exportation de ses produits naturels, et qu’elle augmentera l’exportation de ses produits industriels.

J’entre maintenant en discussion.

Les discours remarquables qui ont été prononcés dans la séance d’hier, ont beaucoup abrégé la tâche que je m’étais imposée. J’ai changé le plan de défense que je m’étais formé. J’établirai d’autres faits, dans le but de concilier et de fixer les opinions divergentes.

Si j’ai bien analysé les débats qui ont eu lieu jusqu’à présent, ils se sont exclusivement établis entre les intérêts de l’Escaut et de la Meuse. Avant de réduire ces divergences d’opinion et d’intérêt à leur juste valeur, il importe beaucoup au fond de la discussion de principe de constater les points sur lesquels, d’après leurs propres aveux, il y a entre l’Escaut et la Meuse, entre le gouvernement et la commission, en un mot dans le pays tout entier, parfaite conformité d’opinions. Après avoir établi cette similitude d’opinions, les dissidences seront mieux appréciées ; on pourra mieux mesurer la distance qui sépare les deux intérêts. C’est ainsi que, dans la période actuelle du débat, il sera posé sur son véritable terrain, ainsi que l’analyse de la discussion en facilitera l’intelligence, le progrès et le mérite.

Parmi les orateurs que nous avons eu l’honneur de rencontrer, comme des adversaires intelligents et loyaux, j’ai distingué particulièrement l’honorable M. Lesoinne. Il a le mieux saisi le côté pratique de la question. L’honorable député de Liège a commencé son discours par admettre deux faits que la commission d’enquête a recueillis à Liége, aussi bien qu’à Anvers, comme dans toutes les autres villes. Elle les a constatés, comme point de départ dans son rapport. Le premier : c’est le malaise, l’état de souffrance (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) de plusieurs industries ; considérés dans leurs rapports avec le commerce extérieur. Il a exprimé l’autre fait en ces termes : « Il est encore vrai, a dit l’honorable membre, que plusieurs Etats de l’Europe repoussent par des droits prohibitifs une quantité de nos produits. »

Le bruit de ces deux faits a souvent retenti dans cette enceinte ; aussi ils ont été déposés dans les mémoires et les documents de toutes les chambres de commerce. La chambre peut donc considérer ces deux faits comme définitivement acquis à la discussion. Il n’y a, à leur égard, aucune dissidence d’opinions dans le pays. Cependant, l’Escaut et la Meuse, comme le pays tout entier, n’ont pu rester les bras croisés en présence de ces deux faits. Par une conséquence très logique en principe, quoique fausse dans son application, cette unanimité d’opinions a amené un troisième fait. Il est extrêmement remarquable qu’avant que ce fait fût posé de commun accord entre l’Escaut et la Meuse, ces deux intérêts qu’on présente comme opposés, s’entendaient admirablement sur les motifs qui devaient créer ce fait. Je crois même pouvoir affirmer, sans craindre d’être démenti, que, si l’acte dont je parle trouva beaucoup de contradicteurs, du moins le pays tout entier s’associa aux prémisses dont, dans l’opinion de ses partisans, il était la conséquence.

Ce fait, vous le connaissez tous, messieurs, c’était la navigation à vapeur vers les Etats-Unis. Mais ce que vous avez peut-être oublié, ce sont les motifs qui ont créé cette navigation. Il importe beaucoup de les rappeler à votre souvenir. D’abord, ils répandent une lumière éclatante sur la grande question qui nous occupe. Ensuite il n’est nullement probable que cette unanimité d’opinions se réduise aujourd’hui à une fraction de minorité. Il y aurait inconséquence flagrante.

Je vais, donc avoir l’honneur d exposer ces motifs à la chambre. Ce sont identiquement les mêmes sur lesquels nous fondons la protection que nous demandons pour notre marine marchande.

Presque tous les Etats de l’Europe, disaient alors l’Escaut et la Meuse, avec le pays tout entier, repoussent notre industrie par des droits prohibitifs. Dans leur intérêt, il faut diriger leur attention vers les contrées d’outre-mer où la civilisation européenne, la population, les immigrations, le luxe, les besoins et, par conséquent, la consommation des fabricats d’Europe augmentent considérablement. Il faut faire participer nos industries à leurs marchés. Si nous ne voulons pas nous exclure nous-mêmes de ces importants marchés, tous nos soins doivent se diriger vers les moyens protecteurs d’exporter nos produits.

L’opinion renfermée dans ce premier motif peut être considérée comme établie irrévocablement et de commun accord.

Le deuxième motif était aussi partagé par Anvers et par Liége, comme par tous les hommes qui apprécient justement notre situation commerciale et industrielle. Il peut être formulé en ces termes : Nous exportons plus par terre que par mer ; d’un autre côté, tous les ans, nos exportations par terre diminuent et nos exportations par mer n’agrandissent pas. La raison en est, disait-on, avec raison, que tous les ans les marchés du continent se resserrent pour nous, soit que chez nos voisins la production des articles, similaires en qualité et en prix, augmente, et qu’ils parviennent à satisfaire à leurs propres besoins, soit que leurs tarifs soient devenus progressivement plus sévères envers nous, soit enfin pour ces deux raisons réunies.

En présence de cette situation, il devient urgent de rechercher les moyens de remédier à cet état de choses ; il faut tâcher de compenser par mer les pertes que nous subissons par terre et que probablement nous éprouverons progressivement. Si nous restons les bras croisés au milieu de tant de forces actives et concurrentes qui s’agitent autour de nous, nous continuerons de faire des pas rétrogrades, et nous ne répondons pas de l’avenir du pays.

Cette conformité d’opinion a été maintenue dans la discussion par nos adversaires quant aux faits sur lesquels elle est basée. L’honorable M. Delfosse a très bien établi l’immense distance qui, dans notre statistique commerciale, sépare nos importations des contrées d’outre-mer de nos exportations vers ces mêmes contrées. L’honorable ministre de l’intérieur, d’accord avec nous sur les faits et sur les conséquences qui en découlent, a établi la différence entre 50 millions d’importations des contrées lointaines, contre 4 millions et demi d’exportations vers les mêmes contrées. Cette différence a constitué une des principales bases du rapport de la commission et elle est arrivée à la même conclusion, qu’il était urgent de chercher à compenser par mer les pertes que nous faisons par terre.

Le troisième motif qui a présidé à l’établissement de la navigation à vapeur peut se formuler ainsi : L’exploitation de marchés lointains n’exclut pas l’exploitation de ceux d’Europe. Elle ne s’oppose pas non plus à des négociations et à des transactions dans lesquelles la Belgique pourrait entrer avec les pays voisins, afin d’obtenir des facilités de commerce international par un abaissement mutuel de tarifs. Le commerce par mer n’exclut pas le commerce par terre ; ils peuvent être exercés concurremment avec beaucoup d’avantage et sans qu’il en résulte le moindre inconvénient. Les faits généraux sont là qui le prouvent à toute évidence. En exerçant le commerce international par terre, les marchés d’outre-mer n’en seront pas moins acquis à nos industries qui peuvent y soutenir la concurrence. C’est la même raison pour laquelle toutes les nations maritimes et industrielles à la fois recherchent les débouchés lointains avec une si grande activité. Elles les recherchent d’autant plus que le commerce avec les pays d’outre-mer s’exercent au moyen d’échange de produits européens contre des articles exotiques que l’Europe ne produit pas et qu’elle ne peut produire.

Il est vrai que cette navigation à vapeur, si elle avait pu avoir du succès, aurait vivement contrarié les intérêts de la Hollande, mais, disaient alors les partisans de cette navigation, nous sommes libres, nous sommes indépendants comme la Hollande. Nous avons de part et d’autre le droit de gérer nos propres affaires comme nous les entendons. Nous donnions alors à la Hollande une preuve de fait que le traité de Munster et la pragmatique sanction de Charles VI ne pesaient plus sur la Belgique.

Le quatrième motif qui a été allégué pour faire accorder une protection puissante à la navigation à vapeur nationale était celui-ci : Marchant toujours ensemble comme deux amis intimes, liés par des intérêts communs, contemplez, s’écriaient l’Escaut et la Meuse, les grands résultats des relations directes et des échanges commerciaux qu’ils amènent ; jetez les yeux sur les ports du Havre, de Liverpool et de New York. Quel beau spectacle commercial se développe là devant vos yeux ! Ces nations s’échangent mutuellement leurs produits par des relations directes. Mais aussi, comment arrivent-elles à ces prodigieux résultats commerciaux ? La réponse ne se faisait pas attendre : ces résultats étaient produits par leur propre navigation commerciale.

Il faut créer des routes sur mer, disait-on, avec non moins de raison, pour rapprocher le producteur du consommateur. Sous le rapport du commerce et de l’industrie, les navires sont, à l’égard de deux continents, ce que les routes et les canaux sont à l’égard des provinces éloignées les unes des autres dans un même pays. Dans les deux cas, les échanges s’opèrent d’une manière régulière et suivie entre des articles dissimilaires, suivant la diversité de la nature du sol, des industries, du climat, et par conséquent, selon la diversité des besoins ; c’est ainsi que les routes et les canaux rapprochent les provinces de Liége et du Hainaut des autres provinces qui ont un sol différent et des industries dissimilaires. Cette diversité de besoins joue un grand rôle dans l’industrie et dans le commerce extérieur aussi bien que dans le commerce intérieur. Il faut donc à tout prix se créer une navigation nationale vers les Etats-Unis ; il faut demander au gouvernement une protection efficace de 400,000 fr par an pendant quatorze ans pour établir une navigation à vapeur vers les Etats-Unis. Si une société quelconque recule encore devant cette puissante protection, le gouvernement, en dépit de la constitution et de la loi, se chargera peut-être de l’entreprise aux frais de l’Etat. Entre-temps, nous continuerons de demander, comme l’a fait l’autre jour M. Delfosse, une stricte économie dans les dépenses.

Si l’application du principe à la navigation à vapeur vers les Etats-Unis a été abandonnée, et abandonnée de commun accord, il est resté cependant une parfaite conformité d’opinion à l’égard du principe. L’utilité et même la nécessité de mettre à l’intérieur d’un pays, par des routes et des canaux, des centres de productions dissimilaires en communication avec des centres de consommation, équivaut, dans l’opinion de tout le monde, à une démonstration mathématique. Mais si cette démonstration, à l’égard des routes et des canaux à l’intérieur d’un pays, est admise, pourquoi serait-elle abandonnée à l’égard des routes que nous traçons sur mer au moyen de navires ? Si une énorme protection maritime a été nécessaire, dans le but d’échanger nos industries avec les industries d’un seul pays, les Etats-Unis, pourquoi n’accorderait-on pas un droit différentiel, lorsqu’il s’agit de diriger nos navires, non seulement vers un seul pays, mais vers tous les pays de consommation du monde ? Ce refus constituerait une contradiction d’autant plus flagrante que la protection demandée aujourd’hui pour protéger la navigation commerciale du pays et pour rapprocher, au moyen de cette navigation, nos producteurs des consommateurs d’outre-mer, (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) ne coûte rien à l’Etat. Les chiffres du tarif différentiel ont été combinés de manière qu’il n’en résulte aucune perte pour le trésor public.

Vous demandez des preuves qui établissent l’assertion qu’il faut une protection efficace à la marine marchande du pays pour exporter des produits. Elles abondent en faits et en raisons. En faits : consultez l’histoire maritime et commerciale de tous les peuples anciens et modernes et vous serez saturés de conviction. Consultez votre propre statistique maritime et commerciale ; sous le rapport de vos exportations, elle offre des résultats comparatifs très remarquables. Notre navigation nationale, consistant en 130 navires, a lutté, chaque année, contre 1,300 navires étrangers qui sont entrés annuellement dans nos ports. Quel a été le résultat de cette concurrence énorme à l’égard de l’exportation de nos produits ? Nos 130 navires ont exporté, tous les ans, à peu près la moitié de la valeur que les 1,300 navires étrangers ont exportée. Tel est aussi le résultat comparatif de l’exportation dans tous les pays du monde, qui sont en même temps industriels et maritimes.

Si nous cherchons dans la raison des preuves de cette différence qui est tout entière à l’avantage de la navigation nationale, elles abondent également. Les navires étrangers sont presque exclusivement envoyés dans nos ports pour y apporter des marchandises et pour les quitter après y avoir déchargé leur cargaison. Les faits sont là pour le prouver.

Ensuite, les étrangers ne connaissent la nature, ni les qualités, ni les prix des produits nationaux. Ils ne peuvent pas comparer nos produits avec les leurs, soit en qualité, soit en prix, comme peuvent le faire les négociants du pays. Ceux-ci sont dans une meilleure situation pour faire le choix d’articles exportés et exportables, et pour faire de nouveaux essais. Pour exporter, les étrangers sont forcés d’employer des commissionnaires belges. Il est naturel qu’ils n’aient pas dans des agents intermédiaires la même confiance que dans leurs agents nationaux. Ils ont chez eux une maison de commerce qui fait les achats. Chez nous, il faut qu’ils supportent les frais de commission. Ils possèdent dans leurs propres pays des articles d’exportation qui sont déjà appropriés aux goûts et aux habitudes des contrées lointaines où ils trouvent un placement facile. Lorsqu’ils les ont placés et qu’ils les ont échangés contre les produits de ces contrées, ils viennent jeter leurs cargaisons de retour dans les ports. Ces importations du commerce étranger font obstacle à nos propres échanges.

Vous attachez, avec beaucoup de raison, une très grande importance à la possession d’agences nationales établies dans les centres les plus importants du commerce d’outre-mer, afin de nouer des relations utiles et sûres avec les maisons de commerce établies en Belgique.

Sans aucun doute, pour encourager les exportations dans les contrées d’outre-mer, il faut dans ces contrées des maisons de confiance qui placent nos produits avec avantage et qui en même temps prépareront des cargaisons de retour.

Après l’établissement du système maritime, les subsides du gouvernement seront utilement employés à l’établissement de ces comptoirs extérieurs. Mais il est surprenant que quand il s’agit de l’exportation de nos produits, on ne reconnaît pas la nécessité des maisons établies à l’intérieur du pays. Ces maisons sont infiniment plus nécessaires pour exporter les produits, que les agences établies à l’extérieur pour opérer des soldes ou pour préparer des cargaisons de retour ; et on veut que, dans une semblable situation, ce soit le commerce étranger qui soit plus propre à faire dans notre pays même le choix des articles exportables et de nouer ces relations utiles entre le pays et les contrées d’outre-mer.

Il n’y a pas de maisons plus disposées et plus remplies de connaissances pour faire choix de ces articles, que nos maisons nationales mêmes établies dans le pays et en relations avec nos industriels. Pendant que les navires du pays sont en voyage pour exporter nos produits et ceux de l’Allemagne et pour ramener des cargaisons de retour, nos armateurs négociants préparent une nouvelle cargaison de sortie en articles pour lesquels ils trouvent un débouché avantageux. Pour compléter leurs cargaisons, ils font de nouveaux essais en articles qui n’ont point encore été exportés. Leurs expériences profitent à nos industriels. Ils leur donnent des conseils pour approprier leurs produits aux goûts et aux habitudes des consommateurs lointains, et ils font avec nos industriels des expéditions et des opérations en participation avec d’autant plus de confiance que, jouissant de la faveur différentielle, ils pourront se défaire de leurs retours avec facilité et avantage sur les marchés du pays. Ce sont là les principales raisons pour lesquelles la navigation commerciale du pays est beaucoup plus avantageuse à l’exportation de nos produits que la navigation commerciale de l’étranger.

Au surplus, messieurs, il y a différentes espèces d’armateurs étrangers. La plupart des navires étrangers qui entrent dans nos ports, appartiennent à des armateurs proprement dits, qui ne sont pas négociants. Lorsque ces armateurs ne trouvent pas de chargement immédiat, ils ne tardent pas de quitter nos ports après avoir déchargé leur cargaison. Ils vont chercher des frets ailleurs. La plupart des navires suédois, danois, brêmois et hanovriens, se trouvent dans ce cas. Plus ils peuvent faire de voyages dans une année, plus leurs intérêts sont servis. C’est à tel point vrai que lorsqu’ils louent leur navire à un négociant, ils font stipuler le nombre de ce qu’on appelle les jours de planche, c’est-à-dire qu’ils font fixer le nombre des jours pendant lesquels le navire sera obligé de rester dans le port de déchargement. Ce sont, pout la plupart, ces sortes de navires qui entrent dans nos ports. Il est vrai, lorsqu’une expédition se trouve préparée, ces navires se mettent en concurrence avec les navires du pays pour obtenir des frets. Il n’en est pas de même des navires appartenant à des armateurs nationaux ; ceux-ci restent ordinairement dans nos ports jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un fret. Mais, comme je l’ai fait remarquer, ce sont les maisons de l’intérieur, surtout les négociants-armateurs du pays, qui sont plus particulièrement utiles à l’exportation de nos produits.

Le secret des exportations, a dit l’honorable M. Delfosse, est dans la production à bon marché.

Personne n’a jamais douté de cette vérité. La commission d’enquête a même écrit un paragraphe tout entier, afin de faire comprendre cette vérité à la chambre ; cette opinion est partagée par le gouvernement, par la chambre, par Anvers et par Liége. Mais, remarquez-le bien, messieurs, lorsque la navigation à vapeur a été établie par ces mêmes autorités, cette navigation, énormément protégée, se trouvait en face du même principe. Elle a été créée dans le même but, c’est-à-dire, pour protéger l’exportation de nos produits vers les Etats-Unis. Cependant, cette objection que l’on élève aujourd’hui n’a pas empêché l’établissement de cette navigation nationale à vapeur. On a répondu à cette objection comme on lui répond aujourd’hui. On a dit que les articles qui réunissent aujourd’hui les conditions d’exportation, seraient placés au-dehors dans un cercle beaucoup plus étendu, et que le commerce protégé dans ses retours exporterait d’autres produits, capables de soutenir la concurrence, mais dont l’exportation n’avait pas encore été essayée sérieusement. On a fait remarquer, en outre, que la législature remplissait ses devoirs envers l’industrie et le commerce, en leur donnant des moyens d’exportation par une navigation nationale protégée, et que c’était aux industries arriérées à remplir les leurs, en cherchant à améliorer leurs produits en qualité et en prix, afin de pouvoir concourir sur le marché des Etats-Unis, soit avec les produits de ces Etats, soit avec les produits des autres nations, envoyés sur le même marché. Nous soutenons encore aujourd’hui avec Anvers et Liége, que lorsque les relations directes seront efficacement établies par le système que nous proposons, et que les résultats en auront prouvé les avantages, ces industries arriérées en recevront une grande impulsion, et se mettront en devoir de perfectionner leurs produits. La situation n’est donc pas changée ; nous nous trouvons exactement dans la même position. Les mêmes opinions qui ont été acquises à cette navigation à vapeur vers les Etats-Unis doivent, pour être conséquents avec elles-mêmes, être acquises aujourd’hui à la discussion.

L’honorable M. Delfosse s’est plaint de ce que déjà Liège rencontre, pour ses houilles, la forte concurrence de l’Angleterre et de la Prusse sur le marché de la Hollande. Je prie l’honorable membre d’examiner si, sous ce rapport, il n’est pas en contradiction avec lui-même, et avec les intérêts qui ont établi cette navigation à vapeur, je veux parler des intérêts de Liège et de Verviers, qui ont pris une grande part à l’établissement de cette navigation. Pour eux, comme pour d’autres, le secret de l’exportation est dans la production à bon marché. Quand on pose des principes en fait de concurrence, il faut bien se garder de tomber dans une inconséquence qui consiste à ne pas appliquer des principes et des objections à soi-même, tout en les appliquant à ses adversaires.

Les Etats-Unis, a dit l’honorable M. Lesoinne, ont élevé contre nous leur tarif. Mais encore ici votre navigation à vapeur se trouvait aussi en présence du même tarif…

M. Lesoinne. - Ce n’était pas le même tarif.

M. de Foere. - L’honorable M. Lesoinne me fait observer que ce n’était pas le même tarif. Cette observation n’est pas une objection sérieuse. Il n’en est pas moins vrai que, quelles que fussent les modifications qui aient été apportées au tarif des Etats-Unis, il était, dans tous les cas, très élevé contre vos produits similaires aux leurs. Il était de 30 à 35 p. c. ad valorem. Cependant les intérêts de Liége, de Verviers et d’Anvers, se sont liés ensemble, pout créer cette navigation avec une protection énorme.

La première condition d’un débat, c’est d’être conséquent avec soi-même. Il faut accepter aujourd’hui les mêmes positions qu’alors vous vous êtes faites à vous-mêmes.

Ce qu’il fallait faire alors, c’était de protéger votre navigation à voiles vers des contrées où, à raison des produits dissimilaires, les tarifs ne vous excluaient pas. C’est la proposition que nous faisons aujourd’hui. Il fallait encore diriger votre navigation nationale vers des contrées qui n’ont pas elles-mêmes de navigation. Vous auriez établi des relations fructueuses avec ces pays qui n’ont ni tarif prohibitif, ni navigation propre ; vous auriez échangé vos produits contre leurs produits dissimilaires. C’est toujours sur les échanges des produits dissimilaires que le commerce régulier et suivi est fondé. Tout autre commerce n’est qu’un commerce de ricochet.

En accordant une protection à la navigation à vapeur vers les Etats-Unis, vous ne pouviez, dans aucun cas développer considérablement vos exportations vers les Etats-Unis au-delà des limites actuelles. En premier lieu, le tarif des Etats-Unis vous excluait, quant aux articles similaires ; en second lieu, vous étiez en possession de moyens abondants pour exporter dans ce pays les articles que son tarif ne repoussait pas. Les Etats-Unis vous envoyaient tous les ans 70 navires ; ils ne demandaient pas mieux que de s’en retourner directement chez eux avec des cargaisons de retour, composées de vos produits et d’articles entreposés.

Il est un sixième point sur lequel Anvers et Liège sont parfaitement d’accord. C’est une des bases principales sur lesquelles la commission d’enquête a établi son rapport. L’honorable M. Lesoinne l’a exprimé en ces termes : « On reconnaît enfin, a dit l’honorable membre, la vérité de cet axiome des économistes politiques, qu’un pays ne peut payer les produits d’un autre pays quant ses propres produits. »

C’est sur cet axiome qu’est basée en grande partie l’indispensable nécessité de faire des échanges commerciaux. Si vous n’échangez pas les produits contre les produits d’autres pays, votre commerce ne s’établira jamais d’une manière suivie et régulière.

Il nous reste, à l’égard des contrées d’outre-mer, une lacune à combler entre 4 millions 1/2 et 30 millions ; c’est-à-dire, que nous exportons seulement vers les contrées lointaines pour une valeur de quatre millions 1/2, tandis que nous recevons de ces mêmes contrées une valeur de 30 millions. Ce sont là des ressources considérables pour payer nos produits avec les produits d’autres pays, et pour établir, dans l’intérêt de vos industries, des relations directes et des échanges commerciaux, basés sur des besoins mutuels, avec les pays de production dissimilaires. L’axiome rappelé par l’honorable député de Liége recevra son application ; il est toujours sage de se conformer aux axiomes. Ce sont, comme vous le savez, messieurs, les vérités que l’expérience générale a recueillies. Or, payer les produits d’autres pays avec les vôtres est le résultat avantageux que l’expérience de toutes les nations industrielles et commerçantes a constamment constaté.

Un septième motif sur lequel il existe aussi une parfaite conformité d’opinion, a été très souvent exprimé par Liége. Lorsque les expéditeurs acceptent, en payement des articles qu’ils y ont exportés, du papier-monnaie, cette opération donne lieu à des pertes considérables. Si les industriels se font payer par des traites sur Londres, cette opération présenté souvent aussi des pertes, quoique moins sensibles, sur le change, auxquelles il faut ajouter la commission du banquier.

Cette opinion est encore partagée par tout le monde, c’est la raison pour laquelle nous sommes tous d’accord avec l’honorable M. Lesoinne, qu’il faut payer, au moyen d’échanges, les produits d’autres pays avec les vôtres, afin de ne pas subir ces pertes considérables si vous vous faites payer, soit par papier-monnaie des colonies lointaines, soit par des traites sur Londres.

C’est donc par l’échange des marchandises coloniales contre vos propres produits que vous créerez le moyen le plus sûr, le plus régulier et le plus avantageux de nouer utilement des relations directes.

Nous arrivons maintenant à un huitième point de conformité d’opinion d’une nature très importante. C’est une des grandes bases sur lesquelles le système différentiel maritime est fondé.

Conformément aux désirs exprimés par la chambre de commerce de Liége, l’honorable M. Delfosse a invoqué l’avantage commercial de faire des retours de la Hollande par la Meuse, après avoir exporté par la même voie en Hollande les houilles ou d’autres produits naturels de sa province.

La chambre de commerce d’Anvers et les autres chambres du pays qui se sont prononcées en faveur des droits différentiels, appliqués au commerce maritime, le gouvernement et la commission professent tous le grand principe, sanctionné par l’expérience générale, que le moyen le plus sûr et le plus régulier d’exporter les produits du pays est dans les retours avantageux.

Les avantages que la chambre de commerce de Liège demande pour sa localité, le gouvernement, la commission, la très grande majorité du pays les demandent pour le pays tout entier, sans excepter la province de Liége. En effet, rien ne favorise plus efficacement les exportations aux contrées lointaines que les importations avantageuses faites des mêmes contrées. Cette combinaison des sorties avec les retours est l’âme du commerce maritime. Elle est sanctionnée, depuis des siècles, par les résultats avantageux que l’expérience générale a partout sanctionnés. Or, Liége accepte le principe pour sa localité ; nous sommes donc parfaitement d’accord ; il y a entre nous une exacte conformité d’opinion, lorsque nous posons le principe ce qui encourage le plus efficacement les exportations, ce sont les retours avantageux.

Messieurs, pour faire bien comprendre l’immense importance qui se rattache aux retours avantageux opérés par la navigation nationale de tous les pays à la fois maritimes et industriels, j’aurai l’honneur de développer l’esprit et le but de la fameuse enquête anglaise de 1840 et d’expliquer la nature de la liberté commerciale que le commerce et l’industrie de l’Angleterre ont demandée. La chambre de commerce de Liége et la presse ont été induites en erreur (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) sur l’un et sur l’autre point. Si l’honorable M. Cogels, et après lui l’honorable M. Donny, avaient connu les antécédents de cette enquête, ou tout au moins, s’ils l’avaient lue, ils ne seraient pas tombés dans une erreur grave, en attribuant exclusivement à la diminution des produits coloniaux anglais et à l’augmentation de leur consommation, les dernières modifications que, sous ce rapport, sir Robert Peel a successivement apportées au tarif colonial de l’Angleterre. Ces modifications sont presque exclusivement dues aux besoins impérieux que, malgré la puissance de la marine marchande de l’Angleterre, le commerce et l’industrie de ce pays éprouvent pour faire des retours avantageux après avoir exporté au loin ses produits industriels. Cette vérité sort de tous les pores des antécédents parlementaires de l’enquête anglaise, comme des pores de cette enquête même.

On a invoqué cette enquête contre nous ; or elle est basée sur la même nécessité de combiner les retours avantageux avec les exportations.

Ce sont exactement les mêmes retours que, dans l’intérêt de nos exportations industrielles, nous réclamons. Le système colonial de l’Angleterre ne permettait pas que les produits similaires des colonies étrangères entrassent dans la consommation intérieure. Il en résultait que le commerce, exportant dans les colonies libres ou étrangères, rencontrait des entraves considérables dans ses exportations, attendu qu’il ne pouvait faire des retours pour la consommation intérieure. Il était forcé de les entreposer ou de les jeter dans les ports du continent. (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) C’est la liberté d’importer des denrées, pour la consommation intérieure, des colonies libres ou étrangères, ou l’affranchissement du système colonial de l’Angleterre, que le commerce et l’industrie de ce pays ont appelée liberté commerciale. Cette liberté, exclusivement réclamée pour faciliter et pour développer le commerce d’exportation vers toutes les contrées coloniales étrangères, a été confondue chez nous avec la liberté commerciale qui a pour objet l’abaissement international des tarifs.

Le commerce et l’industrie de l’Angleterre ont constamment demandé que sa législation coloniale fût modifiée, afin qu’affranchie du monopole du commerce des colonies anglaises, ils pussent établir des relations directes avec les colonies étrangères et faire avec leurs produits des échanges commerciaux. Si la connexité des exportations et des importations directes a été vivement sentie et démontrée comme un besoin impérieux par l’Angleterre dont l’industrie, le commerce et la navigation ont reçu des développements immenses, à plus forte raison est-elle impérieusement réclamée par la Belgique pour développer ses exportations lointaines.

La démonstration a été complète, lorsque les difficultés et les désavantages d’opérer les soldes, soit en papier-monnaie, soit en traites, ont été prouvés par l’enquête anglaise.

Le célèbre homme d’Etat Huskisson avait déjà soulevé le coin du voile qui couvrait cette importante question coloniale. Il avait prédit que le jour arriverait auquel l’Angleterre, dans l’intérêt de son industrie, permettrait à son commerce de faire des colonies étrangères des retours en consommation intérieure.

Vous aurez compris, messieurs, l’indispensable nécessité de faire des retours avantageux dans vos propres ports, si vous voulez développer vos exportations. Sans combiner les sorties avec les retours, vous ne pouvez exercer un commerce régulier et utile, ni échanger d’une manière suivie, nos produits avec les produits coloniaux. L’Angleterre commerciale ou industrielle, malgré toute la puissance de sa navigation, a constamment demandé cette liberté de commerce avec les colonies étrangères. Un commencement d’exécution lui a été accordé par le premier tarif de sir Robert Peel. Les droits qui pesaient sur les cafés étrangers ont été d’abord considérablement diminués, dans l’intérêt de l’industrie et du commerce, le gouvernement anglais vient de proposer une nouvelle diminution considérable sur le chiffre qui pèse sur les cafés et les sucres des colonies étrangères.

On a cru, dans cette chambre, que cette liberté commerciale avait porté sur l’abaissement des droits qui protégeaient les produits fabriqués, afin de permettre aux produits similaires du continent la concurrence sur le marché anglais. J’ai prouvé que cette opinion est complètement erronée.

Cependant l’Angleterre n’a rien négligé pour entretenir et pour propager cette déception. A cet effet, elle a baissé quelques chiffres d’après les avis de l’enquête qui posait en principe un abaissement complètement illusoire.

Il avait été contenu d’avance que cet abaissement s’arrêterait à la limite où la concurrence étrangère resterait impossible. Le vieux tarif anglais était prodigieusement élevé.

Les progrès que l’Angleterre avait faits en industrie, permettaient de l’abaisser sans s’exposer à la concurrence étrangère. L’Angleterre est allée jusque-là. Alors elle s’est ingénié à prêcher sur le continent la liberté commerciale aux nations qui lui avaient objecté : « Votre tarif est monstrueusement élevé ; nous suivons votre exemple, et vous voulez que nous abaissions notre tarif en votre faveur ! »

L’industrie de Verviers a été sérieusement engagée dans l’enquête anglaise. Ce fait prouvera le principe qui l’a dirigée. Mac-Gregor a été cité par la chambre de Liége comme partisan et comme promoteur de la liberté commerciale. Interrogé par Hume, président de l’enquête, il a répondu que les fabricants de draps ne demandaient pour le moment aucune protection ; mais il ne voulait pas soutenir, ajoutait-il, que bientôt une protection de 15 p. c. n’eût point été nécessaire pour assurer le marché anglais aux fabricants du pays contre la concurrence de Verviers, d’Eupen et d’autres parties de l’Allemagne.

Au lieu d’un chiffre protecteur de 15 p.c. contre les draps de Verviers, sir Robert Peel en a établi un de 20 p c, , chiffre qui, avec les frais de transport, d’assurance et de commission, peut être porté à 25 p. c. Telle est la liberté commerciale que la chambre de commerce de Liége attribue à l’Angleterre.

A l’exception d’articles nécessaires à la vie animale et de quelques autres, d’un poids léger, sur lesquels la répression de la fraude n’exerçait pas d’action, tous les autres ont été tarifés d’après le même système convenu. Les chiffres ont été arrêtés au-delà d’une limite à laquelle la concurrence étrangère restait impossible. Les faits l’ont d’ailleurs suffisamment prouvé.

Les honorables députés de Liège sont parfaitement d’accord avec le pays tout entier sur un neuvième principe commercial concernant la protection de l’industrie indigène.

Ils ne refusent pas une prohibition pour les fers, les bouilles et les armes de la province de Liége.

M. Lesoinne. - Pas pour les armes.

M. de Foere. - Je me bornerai donc aux fers et aux houilles. Dans leurs documents envoyés à la commission d’enquête, Liége et Verviers ont admis le principe qu’il faut une juste protection pour toutes les industries du pays. Or la construction des navires est une industrie extrêmement importante ; elle fait vivre une foule d’autres industries, et elle donne une valeur à plusieurs produits naturels du pays. La navigation est une autre industrie non moins importante. En exploitant ces deux industries, nous employons nos capitaux, nos bras et nos matières premières. En exerçant la navigation commerciale par nous-mêmes sur une plus grande échelle, nous n’aurons plus la simplicité de payer chaque année, pour frets, 7 millions à la navigation étrangère. Liége et Verviers comprennent donc qu’il y aurait de l’inconséquence à distraire ces deux industries du principe général qui veut que chaque industrie importante du pays soit protégée suffisamment.

Anvers, Liége, Verviers vivent, en dixième lieu, dans une parfaite harmonie relativement à l’établissement du transit. Ces villes y ont toujours attaché de grands avantages. C’est la raison pour laquelle elles ont applaudi hautement à la construction du chemin de fer destiné à lier commercialement la mer par Liège et Verviers au Rhin, Mais, comme l’honorable M. de La Coste l’a fort bien fait observer, il y a, dans le transit, un commerce actif et passif. Le premier est celui que vous exercez vous-même en ramenant de pays lointains, comme le fait l’Angleterre, des marchandises que vous avez échangées contre les vôtres et que vous réexportez lorsque le marché de l’Allemagne les réclame. L’autre, le commerce de transit passif, s’exerce dans vos ports et sur votre chemin de fer par le commerce étranger. Il n’est nullement probable que Liége et Verviers aient changé aujourd’hui d’opinion ; car il en résulterait que le pays aurait été assez bon de faire les énormes frais de construction, d’administration et d’entretien du chemin de fer commercial, exclusivement à l’avantage du commerce étranger. On ne suppose pas de semblables inconséquences.

Plus vous pourrez importer des pays lointains pour le transit, plus vous aurez des moyens d’exporter, parce que les moyens sont presque toujours dans les retours avantageux.

J’ai mis en évidence les opinions professées par la province de Liége aussi bien que par toutes les autres provinces, sur les principales bases sur lesquelles repose le système des droits différentiels efficace. Après avoir établi cette parfaite conformité d’opinions sur un grand nombre de points essentiels qui dominent la question, je me suis mis à la recherche des dissidences essentielles qui pourraient encore exister entre le gouvernement, la commission d’enquête et la chambre de commerce d’Anvers d’un côté, et la province de Liége de l’autre.

Je dois le dire, je n’en ai découvert aucune. Dans tous les cas, s’il en existe, je suis disposé à les accepter en discussion.

Si vous portez la discussion sur le terrain de la navigation vers la Hollande, soit d’Anvers par les eaux intérieures, soit de Liége par la Meuse, ces positions sont encore exactement les mêmes. Si, par une supposition gratuite, Liège ne pouvait plus ramener de la Hollande des produits coloniaux, il en serait de même pour Anvers et pour le pays tout entier. Si les cafés Java continuent, comme le pense M. Lesoinne et comme nous le pensons tous, d’être consommés dans le pays, Liège les importera de la Hollande comme Anvers. Si cette consommation diminuait, le fait existerait encore pour Anvers comme pour Liége. Si, par suite de cette restriction de la consommation du café Java, les frets d’importation en Hollande augmentaient, le pays tout entier se trouverait sur la même ligne, car la province de Liége n’est pas la seule qui importe en Hollande. Enfin, si la Hollande a recours à des représailles injustes, le pays tout entier se trouvera devant ces représailles. Dans l’espoir d’un meilleur avenir, il devra les subir avec dignité et avec fermeté. Je ne vois nulle part, sous ces différents rapports, aucune différence de position.

On a beaucoup parlé qu’il ne faut pas surexciter dangereusement les espérances des industriels, en leur faisant accroire que, par l’établissement d’un système de droits différentiels efficace, ils pourront immédiatement exporter leurs produits dans les contrées lointaines. Jamais semblable opinion n’a été émise par aucun membre de la commission. Il a été, au contraire, établi, que les avantages ne pourraient être recueillis que progressivement, soit pour les produits du pays qui réunissent dès aujourd’hui les conditions d’exportation et qui, au moyen de l’exclusion de notre navigation, trouveront un placement plus étendu et plus général, soit pour les mêmes produits dont l’exportation dans diverses contrées lointaines n’a point encore été utilement essayée, soit enfin pour ceux que nos industriels chercheront à améliorer en qualités et en prix. C’est dans ce but que la législature et le gouvernement doivent à l’industrie et au commerce des moyens d’exportation.

Ce sont ces moyens que nous demandons. Si quelques industries restent arriérées, si, supposition presqu’absurde, elles ne progressaient pas, le gouvernement et les chambres auraient rempli leur devoir. Si, au contraire, en suivant l’instinct de leurs intérêts, elles veulent progresser et améliorer leurs produits, en prix et en qualités, nous avons l’entière conviction, basée sur l’expérience générale, que la législature leur aura donné les moyens d’exporter.

Quoiqu’on nous l’ait plusieurs fois reproché, nous n’avons jamais présente un système de droits différentiels efficace comme une panacée universelle à toutes les plaies du pays. Jamais une telle opinion n’a été émise de notre part. C’est un système qui doit puissamment, mais progressivement, aider nos exportations. C’est de la même manière qu’en Angleterre, comme dans tous les autres pays, le système a opéré sur les exportations de leur industrie. L’Angleterre ne cesse d’attribuer à sa protection maritime les prodigieux développements de son industrie et de son commerce. Les mêmes expériences sont faites aujourd’hui en France.

On a aussi objecté qu’en France et en Angleterre on protège la marine marchande dans les intérêts presqu’exclusifs de leur marine militaire. A cet égard, on est tombé, depuis plusieurs années, dans des erreurs graves qu’on répète encore aujourd’hui dans cette enceinte.

La vérité est exactement dans la proposition inverse. L’Angleterre et la France ont une marine militaire, dans le but presqu’exclusif de protéger leur marine marchande et leurs colonies qui, elles-mêmes, se lient à leur industrie. La marine militaire n’est pas le but ; c’est le moyen. C’est la marine marchande qui est le but. Si leur marine marchande et leurs colonies ne devaient point être protégées, leur marine militaire serait presque inutile.

Nous n’avons pas besoin de marine militaire, par trois raisons : la Belgique est neutre aussi bien sur mer que sur terre. En deuxième lieu, nous n’avons pas de colonies à protéger. En troisième lieu, la piraterie sur mer recule de plus en plus devant les progrès de la civilisation actuelle et devant les mesures efficaces que les principales puissances maritimes de l’Europe prennent pour l’extirper entièrement. Ainsi, dans aucun cas, nous n’avons besoin de marine militaire.

Comme rapporteur de la commission d’enquête, je me propose de prendre de nouveau la parole, soit pour défendre les positions qu’elle a prises, soit pour discuter mes questions de détail.

(Moniteur belge, n°132, du 11 mai 1844) M. Mast de Vries. - En prenant la parole, messieurs, dans la grave discussion qui nous occupe, je n’ai pas la prétention de jeter de nouvelles lumières sur une question traitée avec tant de talent par les orateurs des deux opinions qui divisent la chambre ; mais ayant eu l’honneur de faire partie de l’enquête parlementaire, je crois devoir vous donner les raisons qui me font dévier des conclusions qui vous ont été présentées par la commission.

A quelque opinion que l’on appartienne, il faut convenir, messieurs, que cette opinion a été quelque peu ébranlée par la discussion. Ce qui se passe dans cette chambre a lieu aussi dans le pays. Ainsi, par exemple, si mes souvenirs sont exacts, telle réunion de négociants d’une de nos grandes villes, unanime pour demander le régime protecteur, se trouve divisée aujourd’hui et réclame en partie contre les droits différentiels. Telle chambre de commerce opposée en grande partie au système de droits protecteurs, avait, après une longue discussion, admis ce système, sauf quelques exceptions. De nouveau, aujourd’hui, elle se trouve divisée. Cet état de choses ne me surprend point. Quand on doit passer d’un système à un autre, que l’exécution est immédiate, que l’expérience va se faire, le doute vient exercer toute son influence. L’on craint de changer un certain passable contre un incertain brillant ; quant à moi, messieurs, je me hâte de le déclarer, dans la situation où nous nous trouvons, si j’avais la certitude de pouvoir conserver la situation commerciale actuelle, quelque décriée qu’elle soit, je rejetterais tout autre système. Mais malheureusement c’est la conviction contraire qui me domine ; les explications si franches données par le gouvernement dans le comité général ne me laissent aucun espoir à cet égard ; le rétrécissement de nos relations commerciales m’obligera à donner ma voix un système nouveau. Puissions-nous avoir la main heureuse dans notre choix !

Mais, pour que ce système nouveau soit vraiment national, il faut qu’il puisse réunir le plus grand nombre de voix possible ; il faut faire en sorte que le commerce de la Meuse puisse y donner son adhésion comme celui de l’Escaut ; il faut ne l’introduire que progressivement. L’amendement que j’ai l’honneur de déposer, propose de ne compléter les droits différentiels qu’en cinq ans.

La 1ère année, la différence serait si minime qu’il est impossible que nos relations puissent s’en ressentir. J’espère qu’il en sera de même par la suite. Mais si, au bout de la 3ème ou 4ème année, nos relations diminuaient, ce serait un indice certain que nous aurions atteint le point culminant du système différentiel, ce serait l’indice le plus sûr, celui qui frapperait le plus le pays ; ce serait le vrai moment de s’arrêter.

En admettant cet amendement, messieurs, vous feriez disparaître aussi toute appréhension de représailles des gouvernements étrangers ; ils pourraient étudier à leur tour les différentes phases par où nous passerions, et être amenés ainsi insensiblement à établir des relations plus avantageuses avec nous.

J’ajouterai, messieurs, que cet amendement présente encore cet immense avantage, que nos armateurs pourraient se procurer, à mesure des besoins, les navires nécessaires, et nous éviterions par là de devoir nationaliser des vaisseaux étrangers.

Vous avez entendu les doléances des représentants du commerce de la Meuse. Il est évident qu’elles ont quelque fondement. Je ne veux pas soutenir qu’elles ne sont pas empreintes de quelque exagération. Mais il est certain, je crois, que le commerce de la Meuse doit souffrir par le système qu’on va établir.

Pour obvier à cet état de choses, pour laisser le commerce de la Meuse dans la position qu’il possède à peu près aujourd’hui, je proposerai l’amendement suivant :

« Les importations de denrées coloniales faites par la Meuse seront assimilées à celles faites, sous pavillon étranger, des pays transatlantiques autres que ceux de production. »

Je ferai une application de cette disposition.

D’après le projet, le café, importé par la Meuse, paierait 15 fr. 50 c. ; d’après ma proposition, il ne paierait plus que le droit de 13 fr. 50 c.

J’espère que vous apprécierez et que vous appuierez ma proposition, et que vous la jugerez de nature à faire disparaître des rivalités d’intérêts, qui ont souvent les résultats les plus fâcheux et les plus déplorables.

M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur, en répondant à mon discours, a accepté le terrain sur lequel j’ai placé la discussion. Il a reconnu que la raison la plus forte que l’on puisse invoquer en faveur des droits différentiels, c’est qu’ils contribueraient puissamment à l’exportation des produits de notre industrie. Il a reconnu que le système des droits différentiels serait considérablement affaibli, s’il était démontré que son influence sur nos exportations serait nul ou peu sensible.

Voici les paroles de M. le ministre de l’intérieur ; telles qu’elles sont consignées au Journal officiel :

« L’honorable M. Delfosse a placé la question sur son véritable terrain. S’il est vrai que les calculs de probabilité que j’ai présentes soient démentis par l’expérience ; s’il est vrai qu’il n’y ait pas de corrélation entre les exportations belges et les importations des pays transatlantiques par pavillon beige, le système est condamné dans son but principal. »

Il ne me sera pas difficile, messieurs, de démontrer que l’opinion, qui, de l’aveu de M. le ministre de l’intérieur, condamne le système des droits différentiels dans son but principal, est une opinion vraie, fondée sur l’expérience.

J’ai déjà prouvé, la première fois que j’ai eu la parole, qu’en général, nos relations directes avec les pays transatlantiques ont donné lieu à peu d’exportations. M. le ministre de l’intérieur a été obligé d’en convenir ; mais il a prétendu que j’avais négligé une distinction essentielle.

M. le ministre de l’intérieur n’a pas nié ce fait que nos exportations dans les pays de provenance sont presque nulles, si on les compare nos achats dans ces mêmes pays, Mais tout en admettant ce fait, il a soutenu que si nos relations directes, prises en masse, sans acception de pavillon, ont donné lieu à peu d’exportations, il n’en a pas été de même de nos relations directes par navires belges.

M. le ministre de l’intérieur en a conclu que tout au moins les relations directes par navires sont favorables aux exportations.

M. le ministre de l’intérieur s’est livré à des calculs de probabilités fondés en partie sur les chiffres de nos exportations dans les pays de provenances. D’après ces calculs, il y aurait plus de probabilités d’exportations par navires belges allant aux lieux de provenances que par navires étrangers ayant la même destination, et surtout que par navires, soit belges, soit étrangers, en destination pour les pays d’entrepôt

Les calculs de M. le ministre de l’intérieur tombent, en partie, devant ce fait que j’ai signalé l’autre jour, que toutes proportions gardées, nous avons placé en Hollande, pays d’entrepôt, plus de produits que dans les pays transatlantiques. La proportion de nos ventes à nos achats en Hollande, est de 13 à 19 ; aux Etats-Unis, au Brésil, à Cuba, à Rio de la Plata, elle est seulement de 1 à 10 ; à Haïti elle n’est que de 1 à 640 !

A ces faits significatifs j’aurais pu joindre un fait plus significatif encore : c’est que la proportion de nos ventes à nos achats dans les villes anséatiques est de 6 à 1. En 1842, nous n’avons reçu des villes anséatiques que pour 1,590,736 fr. et nous y avons exporté pour 9,894,999 fr.

Je maintiens qu’en présence de ces faits l’on n’est pas admis à soutenir que les relations directes sont plus favorables à nos exportations que les relations avec les pays d’entrepôt.

L’autre partie des calculs de M. le ministre de l’intérieur est-elle plus vraie ? Y a-t-il plus de probabilités d’exportation par navires belges que par navires étrangers ? Je ne le pense pas, messieurs. Je pense, au contraire, que la plus grande probabilité d’exportation est pour le navire étranger, si le fret de ce navire est plus bas que celui du navire belge. Ce n’est pas la couleur du pavillon, c’est la modicité du fret qui attire les produits destinés à l’exportation.

Je sais bien, et M. le ministre de l’intérieur nous l’a dit, qu’il y a eu, toutes proportions gardées, plus d’exportations dans les pays transatlantiques par navires belges que par navires étrangers. Mais quelle en est la cause ? N’est-ce pas, messieurs, parce que le gouvernement a accordé des subsides aux navires belges ? Pour obtenir ces subsides, les navires belges devaient avoir des départs réguliers et se contenter d’un fret peu élevé. Cette circonstance, bien loin d’appuyer les calculs de M. le ministre de l’intérieur, les renverse. Elle prouve ce que je disais tantôt, que ce n’est pas la couleur du pavillon, mais la modicité du fret qui attire les produits destinés à l’exportation.

Je n’ai pas blâmé, messieurs, les subsides que le gouvernement a accordés aux navires belges qui avaient des départs réguliers pour les pays transatlantiques, de même que je n’ai pas blâmé l’établissement d’une navigation à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis. Et pourquoi n’ai-je pas blâmé ces mesures, que je considérais comme temporaires, et qui avaient une tout autre portée que les droits différentiels ? C’est qu’elles étaient réellement de nature à faciliter l’exportation de nos produits, ceci soit dit en passant pour répondre au reproche de contradiction que l’honorable abbé de Foere nous a adressés tantôt.

Je persiste à croire que ce qui facilite les exportations, ce ne sont pas les relations directes, même par navires belges, mais que c’est la production à bon marché. Rien de ce qui a été dit, ni par M. le ministre de l’intérieur, ni par les autres partisans des droits différentiels, n’a affaibli cette vérité, qui est incontestable, et que tous les calculs de probabilités de M. le ministre de l’intérieur ne sauraient détruire.

Mais., m’a demandé M. le ministre de l’intérieur, comment se fait-il, si la production à bon marché peut se passer de l’appui des droits différentiels, comment se fait-il que les Anglais et les Français fournissent au Brésil beaucoup plus de draps que nous, alors qu’il est reconnu que nous fabriquons les draps mieux et à meilleur marché qu’eux ? Messieurs, la réponse à cette question est très facile. Si les Anglais et les Français fournissent plus de draps au Brésil que nous, c’est qu’ils fabriquent des qualités qui conviennent au Brésil, de qualités que le Brésil veut avoir et que nous ne fabriquons pas.

La preuve, messieurs, que la cause de notre infériorité au Brésil, pour la vente des draps, n’est pas dans l’absence d’un système de droits différentiels, c’est qu’aux Etats-Unis nos draps sont préférés aux draps de France et d’Angleterre. Et cependant le système des droits différentiels est établi en France et en Angleterre, pour les Etats-Unis tout comme pour le Brésil.

Si je faisais une concession à M. le ministre de l’intérieur, concession toute gratuite ; si j’admettais avec lui qu’il y a plus de probabilités d’exportations par navires belges que par navires étrangers, il ne faudrait pas encore en conclure que l’accroissement de nos relations directes par navires belges nous ferait exporter plus de produits.

On peut dire, messieurs, que nous avons exporté jusqu’à ce jour dans les pays transatlantiques, tout ce qui pouvait y être exporté, tout ce qui pouvait y être placé avantageusement ; ce qui le prouve, c’est que les navires belges sont partis, les uns sur lest, les autres avec des charges incomplètes.

En 1842, quatorze navires belges de 3,070 tonneaux sont partis pour le Brésil, avec une charge de 2,213 tonneaux seulement ; un navire belge est parti sur lest pour la même destination, trois navires belges de 983 tonneaux sont partis pour Haïti, avec une charge de 141 tonneaux seulement. Quatre navires de 808 tonneaux, partis pour Rio de la Plata, n’ont exporté que 198 tonneaux.

Il est évident, messieurs, que si d’autres produits que ceux qui ont été exportés dans les pays transatlantiques, avaient pu y être placés avantageusement, les navires belges ne seraient pas sortis sur lest, ou avec un chargement incomplet ; ce ne sont ni les relations directes, ni les navires belges qui ont manqué, ce sont les produits susceptibles d’être placés avantageusement.

S’il n’y avait pas de ces produits pour les navires belges qui sont partis sur lest ou avec un chargement incomplet, il n’y en aurait pas eu davantage pour d’autres navires.

Je ne puis résister, messieurs, au désir de vous lire quelques extraits d’une lettre qui m’a été adressée hier par un homme profondément versé dans la science des faits commerciaux, d’un homme qui a voyagé et résidé longtemps dans les pays transatlantiques :

« Il n’y a, m’écrit-il, entre autres choses, aucune corrélation nécessaire ou de fait entre les importations et les exportations, soit vers les pays lointains, soit vers les pays limitrophes. Non seulement vos chiffres le prouvent à l’évidence, mais les relevés du commerce de tous les pays en sont à chaque page la démonstration la plus précise.

« Ainsi la France qui n’admet pas comme nous la consommation des produits brésiliens, qui surtaxe les cafés, les sucres, etc., du Brésil, de droits énormes, y envoie cependant une quantité considérable de produits que nous fabriquons mieux et à meilleur marché qu’elle. L’Angleterre est absolument dans le même cas, et c’est la situation désavantageuse où ce système la met pour les paiements, qui a engagé, disons mieux, qui a forcé le cabinet tory à proposer la réduction des droits différentiels et autres qu’il avait énergiquement repoussée en 1840, lorsqu’elle était présentée par ses adversaires politiques.

« La Suisse et la Saxe en sont d’autres exemples. La première, en effet, exporte davantage vers les pays transatlantiques qu’elle n’en reçoit, quoiqu’aucune barrière de douane n’entrave les importations chez elle. (Elle exporte 44 millions par la voie de France vers les pays d’outre-mer ; elle importe par la même voie pour 44 millions de produits, dont une partie provient de la Belgique, de l’Angleterre, de la Hollande, etc. (Léon Faucher, p. 55)

« Mais nous-mêmes n’exportons-nous pas en France malgré les protections, malgré les prohibitions dont elle couvre ses frontières, pour une somme plus considérable que nous n’importons de chez elle, même officiellement ; car si l’on ajoutait au chiffre officiel la somme des affaires clandestines, on arriverait à une différence encore bien plus considérable.

« Nous avons exporté en Allemagne, en Hollande, en France et dans le Grand-Duché, pour 169 1/2 millions au commerce général en 1842, et pour 113 millions au commerce spécial ; nous en avons importé seulement pour 134 millions au commerce général et pour 97 millions au commerce spécial.

« Ainsi donc, nous restreindrions nos relations, déjà désavantageuses, selon moi, avec les pays voisins, qui nous achètent la presque totalité de nos produits superflus, pour aller chercher mieux sur des marchés que nos négociants ont toujours refusé d’approvisionner, à cause des chances de pertes et de tromperies qu’ils offrent. On peut faire sortir notre commerce de ses voies naturelles pour le lancer, malgré lui, dans une route où jusqu’à présent il n’a pas trouvé une sécurité suffisante.

« Le défaut de corrélation qui existe entre les exportations et les importions s’explique sans peine, lorsqu’on a vu comment les choses se passent dans les ports lointains, et même à Anvers. Avant de nous proposer des droits différentiels, les auteurs de la proposition auraient bien dû prendre l’air des ports étrangers ; ils en seraient revenus guéris, sans aucun doute, de leur fièvre d’innovation.

« Entrons dans l’une des quatre bourses de la Nouvelle-Orléans, que j’ai longtemps habitée ; nous y voyons d’abord annoncés des arrivages de navires, les trois quarts arrivant de tous les ports d’Europe, et même des Etats-Unis, tous sur lest ou à peu près. Les autres sont adressés à un consignataire et leurs colis aux différents correspondants déchargeurs. Ces consignataires ne font en général pas d’autre commerce que l’importation et le placement des produits importés, les envois en Europe se font, au contraire, par des expéditeurs qui ne font pas d’autre commerce et par des courtiers, Ceux-ci reçoivent les cotons, les farines, les tabacs, les sucres, etc., etc., des plantations, et, selon que les avis qu’ils reçoivent de Liverpool, du Havre, ou d’ailleurs font prévoir un écoulement favorable, c’est vers ces ports qu’ils expédient. Quand ils doutent ou que les avis qu’ils reçoivent de leurs correspondants le leur ordonnent, ils adressent leurs navires en rade de Cowes où ils reçoivent leur destination définitive.

« Il ne peut donc y avoir aucune corrélation entre des opérations absolument distinctes, séparées, et c’est vouloir ramener le commerce à son enfance, aux temps de la compagnie des Indes orientales, à Ostende et en Hollande, que de vouloir faire coïncider les exportations avec les importations, puisque ni au Havre, ni à Liverpool, ni à Londres, ni à Marseille, ni à New York, ni dans aucun grand centre commercial, cette corrélation n’existe, et qu’il a été reconnu par l’Angleterre elle-même lorsqu’elle a supprimé la compagnie des Indes occidentales, qu’il était fâcheux, onéreux que cette coïncidence existât forcément.

« Or n’est-il pas de la dernière évidence que si l’on frappe l’expéditeur américain, ou autre, de droits différentiels, il adressera ses marchandises vers le port où il trouvera meilleur accueil et plus de certitude de placement.

« Mais, dit-on, c’est précisément pour le forcer à expédier les marchandises à Anvers directement, que l’on veut frapper ces expéditions indirectes d’un droit différentiel. Il faut seulement avoir parcouru une fois les quais de New-York ou de la Nouvelle-Orléans ou même de la Havane, pour comprendre toute l’absurdité de ce raisonnement.

« En effet, sur 4, 6 et quelquefois 800 navires au long cours, qui s’y trouvent rangés, vous n’y voyez jamais un pavillon belge, du moins à l’époque où j’y étais. À peine 6 ou 8 français. Une vingtaine d’anglais, et autant de brêmois ou d’hambourgeois. Tous les autres navires sont des américains, quoique tous les autres pavillons soient reçus sur le même pied qu’eux. Or, n’est-il pas évident que l’expéditeur ne pourra attendre qu’il plaise à un navire belge de se risquer dans ces parages, pour envoyer des produits à Anvers, en ligne directe. Peu lui importe si nous prenons ses cotons directement ou indirectement ; ce qu’il veut, c’est une certitude d’écoulement. Or, qui lui garantit, s’il envoyait ses cotons par un navire américain, par exemple, qu’il ne trouverait pas à Anvers des expéditions faites d’Egypte ou d’ailleurs, par pavillon belge, ce qui ruinerait sa spéculation. Dans le doute, il fera comme le sage, comme font nos négociants à l’égard des marchés qu’on leur préconise, il s’abstiendra.

« Maintenant nous nous demandons : Qu’importe à Anvers de recevoir les colons de première, de deuxième ou de centième main, si nos fabricants y trouvent leur avantage, si nos commissionnaires, nos importateurs y ont le même bénéfice ; si, au moyen des immenses magasins de l’Angleterre, ils évitent ces grands approvisionnements ruineux, par les capitaux énormes qu’ils exigent ; à mesure qu’Anvers offrira un écoulement plus régulier, plus assuré, plus large, les consignations directes prendront naturellement le chemin de son port, sans effort, sans violence, par l’intérêt seul des expéditeurs étrangers. Ce qu’il doit donc demander, et ce que le pays doit lui accorder, c’est tout ce qui peut tendre à diminuer le fret et les frais de transport tant à l’entrée qu’à la sortie. Il faut surtout diminuer ces droits d’entrée qui agissent d’une manière si funeste sur les spéculations commerciales en les transformant en une véritable loterie où la hausse et la baisse de quelques centimes n’affectant ni le droit ni les frais, occasionnent ces gains désordonnés, ces ruines instantanées qui troublent le commerce ou exigent des moyens qui ruinent les pays qui doivent les supporter. »

Voilà, messieurs, l’opinion d’un homme qui, comme je le disais tantôt, et comme vous avez pu le remarquer à la lecture que je viens de faire, est profondément versé dans la science des faits commerciaux ; vous voyez que les relations directes, même par navires belges, exercent peu d’influence sur les exportations. Dès lors, de l’aveu de M. le ministre de l’intérieur, le système des droits différentiels est condamné dans son but principal.

Les raisons que j’ai fait valoir pour démontrer que le système des droits différentiels, bien loin de développer notre industrie, lui fera, au contraire, beaucoup de mal, ces raisons sont restées debout.

Les droits différentiels amèneront ou bien un renchérissement du fret et des matières premières, ou bien un déficit qu’il faudra couvrir par de nouveaux impôts, dont l’industrie paiera sa part. Je l’ai prouvé, et l’on ne m’a pas répondu.

Les droits différentiels porteront un coup fatal au batelage aux usines et aux houillères de la province de Liège. Je l’ai prouvé, et l’on ne m’a pas répondu. M. le ministre de l’intérieur et d’autres partisans des droits différentiels ont bien dit que les exportations de la province de Liége en Hollande, par la voie de la Meuse, ne seraient pas atteintes ; mais je n’appelle pas cela répondre. Une affirmation ne signifie rien. M. le ministre de l’intérieur, et ceux qui ont parlé après lui auraient dû prouver que j’avais eu tort de soutenir que les bateliers de la Meuse ne pouvant plus prendre des denrées coloniales en Hollande et devant remonter à vide, seraient forcés d’exiger un fret plus élevé à la descente, que cette élévation du fret animerait d’une manière sensible sur le prix de matières aussi pondéreuses que la houille et le fer, et mettrait nos concurrents en possession du marché hollandais, alors même que la Hollande n’userait pas de mesures de représailles.

Ici l’honorable abbé de Foere a encore cru remarquer une contradiction. « Quoi ! vient-il de nous dire, Liège trouve que les retours de la Meuse sont avantageux, que les retours de la Meuse exercent une heureuse influence sur l’exportation des produits de son industrie, et Liége nous repousse lorsque nous demandons aussi des retours avantageux pour d’autres parties du pays. » Il y a, messieurs, une immense différence entre les retours avantageux qui s’opèrent par la Meuse et les retours avantageux qui s’opèreraient si le système que l’honorable abbé était adopté. Les retours avantageux qui s’opèrent par la Meuse ne coûtent rien au pays, le pays n’accorde pas de prime à la navigation de la Meuse, les retours avantageux que l’honorable abbé de Foere sollicite coûteraient beaucoup au pays ; ils ne pourraient s’obtenir qu’à l’aide de primes très fortes. Voila, messieurs, la différence qu’il y a entre les retours de la Meuse et les retours dont parle l’honorable abbé de Foere. Vous voyez que cette fois encore l’honorable membre a eu tort de nous reprocher une contradiction.

Le système des droits différentiels amènera des représailles qui frapperont toutes les industries du pays, qui priveront subitement le pays d’un débouché de plus de 26 millions de francs. Je l’ai dit ; on l’a nié ; chose facile, mais on a laissé sans réponse deux points sur lesquels j’ai insisté et qui sont décisifs. Le gouvernement des Pays-Bas a usé dans le temps de représailles contre la France, parce que la France avait élevé son tarif. La mesure prise par la France était cependant une mesure générale, tout comme celle qu’on nous propose.

Le gouvernement des Pays-Bas, lié par ses traités envers l’Angleterre, se trouve dans l’impossibilité de nous faire de grandes concessions ; il n’a d’autres ressources que l’emploi de représailles pour obtenir de nous le retour au statu quo ; voila les deux points auxquels on aurait dû répondre.

Je sais bien que M. le ministre de l’intérieur craint d’aborder cette question en séance publique. Pauvre homme d’Etat, en vérité ! Mais les orateurs qui ont pris la parole après lui n’étaient pas tenus à garder la même circonspection. L’honorable M. Donny, se renfermant dans une réserve diplomatique qui peut s’expliquer par le rôle que l’honorable membre a joué dans les négociations d’Utrecht ; l’honorable M. Donny m’a dit, pour toute réponse, qu’il fallait avoir foi dans la sagesse du gouvernement.

Il est étrange, messieurs, qu’on vienne nous parler de la sagesse du gouvernement, dans un moment où nous sommes encore sous l’impression récente des communications qui nous ont été faites, et qui ont prouvé l’insuffisance, je ne veux pas dire l’ineptie du gouvernement dans ces relations internationales. Si je ne connaissais le caractère de l’honorable M. Donny, je serais tenté de voir dans cet appel à la sagesse du gouvernement, le désir d’engager le gouvernement, pour le cas où de nouvelles négociations seraient ouvertes, à avoir recours une seconde fois au talent diplomatique de l’honorable député d’Ostende. (On rit.)

M. Donny. - Rien n’est plus loin de ma pensée.

M. Delfosse. - Je veux le croire.

L’honorable M. Dumortier m’a accusé d’imprudence, parce que j’avais parlé des représailles. Je l’ai déjà dit en comité secret ; je suis convaincu que le gouvernement hollandais se déterminera lorsqu’il devra prendre une résolution, non d’après les paroles que j’aurai prononcées dans cette enceinte, mais d’après les intérêts de la Hollande, qu’il connaît au moins tout aussi bien que nous.

J’ai cru remplir un devoir, et je crois encore que j’ai rempli ce devoir, en signalant à mon pays le danger dont il est menacé ; si j’ai commis une imprudence, je prie l’honorable M. Dumortier de vouloir bien en accepter sa part, car si j’ai dit que l’adoption du projet de loi amènerait des représailles, l’honorable M. Dumortier a dit que l’adoption du projet de loi sans modifications amènerait des représailles…

M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.

M. Delfosse. - Vous avez dit que si l’on maintenait la faveur accordée aux entrepôts situés au-delà de Gibraltar et du Sund, on s’exposerait à des représailles de la part de la Hollande.

M. Dumortier. - J’ai dit que cela aurait l’apparence d’une mesure hostile à la Hollande ; ce qui est tout différent, et j’ai ajouté qu’il fallait faire disparaître de la loi de navigation jusqu’à l’apparence d’une hostilité, afin d’éviter toute mesure réactionnaire.

M. Delfosse. - C’est au fond la même chose.

Messieurs, j’ai écouté et lu avec beaucoup d’attention tous les discours qui ont été prononcés, et, je dois le dire, je n’ai trouvé dans la plupart d’entre eux que des doutes, des hésitations. Et c’est dans une telle situation d’esprit, c’est lorsque l’on doute, lorsqu’on hésite, qu’on irait bouleverser tout le système commercial et exposer le pays aux plus graves dangers !

Mais, nous dit M. le ministre de l’intérieur, il faut de la justice, il faut pour tous la liberté commerciale ou le système protecteur ; le système protecteur est un ; le littoral a fait des sacrifices au reste du pays ; il faut que le reste du pays fasse à son tour des sacrifices au littoral, il faut que les destinées du littoral s’accomplissent.

Messieurs, lorsque j’ai entendu ces paroles, lorsque j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur nous dire qu’il fallait justice pour tous, qu’il fallait de la protection pour tous, j’ai cru que, conséquent avec ses paroles, il allait nous proposer des mesures favorables à la navigation de la Meuse.

La navigation maritime se trouve déjà protégée, la navigation de la Meuse ne l’est pas ; elle est livrée à elle-même ; je me trompe, elle est entravée par le gouvernement.

S’il faut de la justice pour tous, protégez donc la navigation de la Meuse. Mais non, ce n’est pas cela que vous voulez ; vous voulez favoriser la navigation qui a déjà reçu des faveurs, et frapper celle qui n’a déjà été que trop frappée. Voila la justice de M. le ministre de l’intérieur.

Je le sais, la province de Liége, comme la province de Hainaut, jouit d’une forte protection pour les charbons et pour les fers. Je n’avais pas l’honneur de faire partie de la représentation nationale, lorsque cette protection a été établie, et je suis encore à me demander si elle était bien nécessaire ; je suis à me demander si elle n’a pas contribué à cette production exagérée qui cause aujourd’hui tant d’embarras à nos industriels.

En 1840, lorsque l’honorable M. Mercier, qu’il veuille bien se le rappeler, proposa l’augmentation du droit d’entrée sur certains fers anglais, je fus le premier à élever la voix pour m’opposer à cette augmentation. Dernièrement, il est vrai, j’ai voté l’augmentation du droit d’entrée sur les fontes anglaises. Je l’ai fait, parce qu’il paraissait y avoir unanimité dans cette chambre, parce qu’on nous disait que nous nous trouvions dans une position exceptionnelle, que le pays courait risque d’être inondé de fontes anglaises, et qu’il en résulterait une grave perturbation industrielle. Ce sont ces raisons, tout exceptionnelles, qui ont entraîné mon vote, et encore ce vote, je ne l’ai pas donné sans quelque répugnance. Mais, je le déclare hautement, je ne considérais cette mesure que comme temporaire, et le jour où le gouvernement viendra en proposer l’abrogation, il pourra compter sur mon assentiment.

Je pense que les industriels de la province de Liège et du Hainaut ne seraient pas, le cas échéant, opposés à une réduction des droits d’entrée sur les fers et les charbons. La chambre de commerce de Liége a proposé elle-même, dans un mémoire adressé au gouvernement, une réduction de 50 p. c. du droit d’entrée sur les charbons.

Ne perdons d’ailleurs pas de vue, messieurs, qu’autant il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de soutenir, par des protections, les industries dans lesquelles des capitaux considérables sont engagés, autant il peut être dangereux de pousser par des protections nouvelles les capitaux dans une mauvaise voie, dans une voie peu productive.

Ce sont là les principes d’économie appliquée de M. Rossi, dont l’honorable M. d’Hoffschmidt invoquait dernièrement l’autorité.

On parle toujours comme si le littoral n’avait fait que des sacrifices sans compensation, comme si le littoral ne jouissait d’aucune faveur. Mais n’est-ce donc rien que les primes accordées à la construction des navires ? N’est-ce donc rien que le monopole du sel ? N’est-ce donc rien que le quasi-monopole du sucre ? N’est ce donc rien que la faveur accordée pour le tonnage ? N’est-ce dont rien que la remise des 10 p. c. sur tous les droits d’entrée ? N’est-ce donc rien que la protection accordée à la pêche nationale ? N’est-ce donc rien enfin que le remboursement du péage de l’Escaut, qui s’élève déjà à 800,000 fr. et qui, si les vœux sincères que je forme pour la prospérité d’Anvers se réalisent, pourra un jour s’élever à deux millions.

Il faut, dit-on, que les destinées du littoral s’accomplissent.... Oui, messieurs, il faut que les destinées du littoral s’accomplissent, mais ce n’est pas par de mesquines entraves qu’elles s’accompliront.

Tel était l’avis des députés d’Anvers, lorsque la grave question du péage de l‘Escaut a été agitée, alors ils demandaient l’admission égale des navires de tous pays, de toute provenance. D’accord avec eux, je dis : Oui, il faut que les destinées du littoral s’accomplissent, mais c’est par la liberté qu’elles s’accompliront.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, la question que nous avons à résoudre est celle de savoir si la Belgique, avec un marche intérieur trop limité pour la puissance de sa production industrielle, son marché intérieur au partage duquel, quoi qu’on fasse, il faudra toujours admettre, dans une certaine limite, la concurrence étrangère ; si la Belgique, avec des marchés limitrophes qui tendent à se resserrer pour nos produits, à mesure qu’à la faveur des droits protecteurs, ces pays produisent de plus en plus ce que nous produisons nous-mêmes ; si la Belgique, dis-je, en présence de cette situation commerciale, doit renoncer à se créer un commerce maritime, doit renoncer à l’espoir de voir élargir les débouchés transatlantiques.

En effet, messieurs, compter sur le système actuel, lorsque pendant 14 ans, non seulement il n’est pas parvenu a augmenter nos relations commerciales, mais n’a pas même pu maintenir le statu quo de ces relations ; compter sur le système actuel pour fonder un commerce maritime étendu, c’est se complaire dans une illusion que l’expérience dément.

Je suis étonné de rencontrer parmi les adversaires du projet du gouvernement d’honorables membres que j’ai trouves à côte de moi, en 1840, lorsqu’il s’est agi d’établir un service de bateaux à vapeur entre Anvers et New York, pour démontrer l’importance de ces marchés lointains, pour déplorer l’insignifiance de nos exportations vers les pays transatlantiques. Alors les honorables MM. David et Lys nous disaient que ce marché transatlantique était la vie, l’avenir de l’industrie belge.

Le moyen de la navigation à vapeur nous était présenté alors comme devant provoquer nos exportations lointaines ; c’était, disait-on, une œuvre grande dont on faisait honneur au ministère de cette époque ; on convenait qu’il fallait sortir du statu quo reconnu par tous comme impuissant pour développer notre commerce maritime.

En 1840, on n’invoquait pas, comme l’honorable M. Delfosse vient de le faire, l’exemple de la Suisse et de la Saxe qui n’ont pas non plus de navigation à vapeur vers le continent américain ; on ne répudiait pas non plus l’exemple de la France et de l’Angleterre que l’on trouve inapplicable quand nous l’invoquons en faveur des droits différentiels, mais que l’on regardait comme très concluant quand on le citait en faveur de la navigation à vapeur.

Alors il fallait sortir du statu quo, rompre le cercle vicieux dans lequel nous étions renfermés, quant à nos exportations lointaines. Aujourd’hui on change de langage. Cet avenir de l’industrie belge, on semble y renoncer, puisqu’on se résigne à défendre le statu quo que l’on croyait insuffisant en 1840 pour créer cet avenir.

Messieurs, on dirait, à entendre quelques membres, qu’il s agit d’opter entre les marchés transatlantiques et les marches européens de la France, de la Hollande et de l’Allemagne. Mais, je ne puis comprendre comment vos négociations avec les pays européens seraient obstatives aux efforts dirigés pour conquérir les marches d outre-mer.

J’ai une opinion contraire : si, par un meilleur système commercial prudemment établi, nous parvenions à doubler, à quintupler, comme il est possible de le faire, nos exportations insignifiantes de 6 à 7 millions vers les contrées tropicales, n’est-il par évident que nous serions plus forts, dans nos négociations, par cela seul que nous en aurions moins besoin, que nous serions moins à leur merci.

Messieurs, l’ouverture des marchés transatlantiques pour notre industrie n’est pas soumise aux mêmes difficultés dont sont entourées les négociations avec les pays d’Europe. Ces marchés sont ouverts à la Belgique comme aux autres peuples. Il suffit de compléter notre législation commerciale en favorisant notre navigation et les relations directes avec ce pays.

Je dis : il s’agit de compléter notre législation commerciale ; car nos adversaires ont toujours présenté le système du gouvernement comme devant provoquer une espèce de révolution dans notre législation intérieure.

Messieurs, il n’en est rien. Le système différentiel n’existe-t-il donc pas chez nous ? Personne n’ignore que la navigation nationale jouit d’une prime différentielle de 10 p. c. sur les droits de douane, que nous avons un droit différentiel prohibitif pour l’importation du sel, que ces droits sont établis relativement à la pêche, au sucre et aux thés. Le système existe donc. La question est de savoir s’il faut l’étendre à d’autres articles de notre tarif, s’il faut surtout mieux le régulariser qu’il ne l’est.

Je vais aborder les objections essentielles qui ont été faites contre le projet qu’il s’agit d’adopter. La Belgique, a-t-on dit, n’a pas les éléments nécessaires pour créer un commerce maritime. Nous concevons, ajoute-t-on, des droits différentiels pour la France et l’Angleterre, pays à colonies, mais nous ne concevons pas des droits différentiels pour la Belgique, qui ne possède pas de colonies.

J’en demande pardon aux honorables membres qui ont fait l’objection, mais ils n’en ont pas compris la signification. Une chose évidente, c’est que le système des droits différentiels est surtout propre aux pays qui n’ont pas de colonies. En effet, quelle est la position des pays qui n’ont pas de colonies, comme l’Allemagne, et la Belgique et la position de l’Angleterre et de la France à l’égard des colonies libres ? L’Angleterre et la France, par cela seul qu’elles ont un régime colonial excluent de fait, à des degrés différents, de leur consommation les cafés du Brésil, les sucres de la Havane, les riz et les tabacs des Etats-Unis et les autres produits de ces marchés.

L’Allemagne et la Belgique, n’ayant pas à protéger, par des privilèges, des colonies particulières, reçoivent sur le pied le plus favorable les produits des colonies émancipées.

En présence de ce double fait, comment se fait-il que ce soient la France et l’Angleterre qui exportent vers le continent américain, chacune pour plusieurs centaines de millions de francs, tandis que l’Allemagne y expédie beaucoup moins et la Belgique presque rien ? La raison en est simple : c’est qu’en consentant à recevoir le café et le sucre des Antilles et de l’Amérique du Sud par les navires anglais ou par les entrepôts anglais, nous avons favorisé les échanges entre l’Angleterre et ces contrées, au lieu de nous les réserver.

M. le ministre de l’intérieur l’a déjà constaté : le commerce avec les colonies se fait en général par échanges. L’honorable M. Delfosse a nié la corrélation qu’il y avait entre les importations et les exportations, il a nié que le commerce avec le continent américain se fît surtout au moyen d’échanges. Il nous a cité une autorité anonyme que je suis prêt à respecter ; mais j’ai à lui opposer une autre autorité autrement imposante, c’est l’enquête anglaise de 1840, dont je citerais des passages, si je ne craignais d’être trop long....

Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Puisqu’on m’y invite, je vous en lirai quelques passages, vous verrez par ces passages qu’il a été établi dans l’enquête d’Angleterre de 1840, qu’il y avait nécessité presque générale de prendre au Brésil, à la Havane, aux Antilles, dans toute l’Amérique, des produits coloniaux en échange des fabricats européens qu’on y importait.

On demandait à Mac Gregor, sous le n° 901 :

« Les droits élevés sur l’importation du café des colonies étrangères, n’entravent-ils pas nos relations commerciales avec ces pays ?

« Réponse. Oui,

« N°902. De quelle manière s’établissent ces entraves ?

« Réponse. Comme une restriction au commerce naturel, que nous saurions poursuivre si nous recevions le café, ou tout autre objet d’usage de ces contrées, en échange des articles qu’elles réclament de nous.

« N°904. Cela n’oblige-t-il pas nos marchands à rechercher le café en payement de leurs marchandises, pour l’expédier dans d’autres ports en Europe ?

« Réponse. Ils sont forcés d’en agir ainsi, surtout dans le commerce avec le Brésil.

« N°905. Y a-t-il d’autres modes de payement ?

« Réponse. On y paye en plusieurs autres produits brésiliens ; mais le gouvernement brésilien et les marchands brésiliens nous menacent de représailles (have threatened us with retaliating measures), si nous continuons à ne pas prendre leurs sucres et leur café, comme étant les productions principales qu’ils aient a exporter en payement des 3,000,000 de liv. sterl. de produits manufactures anglais qu’ils nous achètent.

« N°906. Le refus, de la part de l’Angleterre de recevoir le café brésilien, ne limite-t-il pas beaucoup l’introduction des manufactures britanniques dans cette contrée ?

« Réponse. Depuis trois à quatre ans, la diminution a été continuelle. »

Je trouve plus loin dans un autre interrogatoire :

« Vois êtes un négociant de Liverpool, faisant le commerce avec le Brésil ?

« Réponse. Oui.

« N°1953. Avec quelle partie du Brésil commercez-vous ?

« Réponse. Avec Fernambouc.

« N°1954. Exportez-vous des manufactures britanniques ?

« Réponse. Oui.

« N° 1955. Depuis quand ?

« Réponse. Depuis quatorze ou ans ans que je réside à Liverpool.

« N°1957. En quelle monnaie se payent les manufactures britanniques que vous vendez à Fernambouc ?

« Réponse. En papier-monnaie.

« N°1958. Quelle est la valeur de cette monnaie comparée avec les espèces métalliques ?

« Réponse. Les espèces (piastres) jouissent d’une prime de 50 à 60 p. c.

« N° 1959. Le papier-monnaie est donc déprécié

« Réponse. Oui.

« N° 1960. Est-il facile de se procurer des lettres de change sur l’Angleterre ou sur l’Europe ?

« Réponse. Cela nous est très difficile.

« N° 1961. Dans ce cas, vous êtes en quelque sorte contraint de prendre des produits brésiliens en échange des manufactures britanniques ?

« Réponse. Très fréquemment.

« N° 1962. Etes-vous souvent obligé de prendre du sucre comme le meilleur mode de payement des marchandises que vous exportez à Fernambouc ?

« Réponse. Oui. »

Ainsi, messieurs, il a été démontré dans l’enquête anglaise qu’on ne paye en général aux colonies qu’en papier monnaie, que ce papier subit une dépréciation de 50 à 60 p. c. relativement aux espèces métalliques, qu’on trouve difficilement des lettres de change sur l’Europe, qu’en conséquence, il faut presque toujours échanger les produits manufacturés d’Europe contre des produits des colonies.

L’allégation de M. Delfosse est donc détruite par les faits consignés dans l’enquête que je viens de citer et dont l’autorité est autrement imposante, comme je le disais tout à l’heure, que l’autorité anonyme sur laquelle il s’est appuyé.

Ainsi, messieurs, je vous ai demandé tout à l’heure comment il se faisait que la France et l’Angleterre, qui ont un régime colonial qui exclut en fait les produits des autres colonies que les leurs, de leur propre consommation, sont parvenues à exploiter presqu’exclusivement ces colonies libres où nous n’envoyons presque rien, tandis que nous devrions avoir de meilleures chances d’exportations vers ces marchés, nous qui recevons leurs denrées coloniales en consommation en Belgique, dans les conditions les plus favorables. Je vous en ai donné la raison : c’est parce que les pays sans colonies, comme l’Allemagne et nous, nous permettons à l’Angleterre de diriger sur la place d’Anvers, de verser dans notre consommation les produits coloniaux qu’elle a échangés à Rio, à Cuba et ailleurs, contre les fabricats de Manchester qu’elle y a importés.

Pour faire mieux comprendre ma pensée, je la présenterai sous une forme absolue.

Je suppose que l’Allemagne et la Belgique, qui n’ont pas de colonies, adoptent demain un système de droit différentiel qui exclue les arrivages des entrepôts d’Europe, et ceux par navires étrangers aux lieux de productions.

Ne résultera-t-il pas de ce fait que l’Angleterre, par exemple, ou bien devra abandonner son régime colonial, ce qu’elle ne fera pas, ou bien renoncera à opérer ses échanges dans les colonies libres, dont elle ne pourra plus déverser les produits sur le continent. Ne pouvant plus acheter que difficilement au Brésil, elle ne pourra plus y vendre ses produits pour la somme de 125 millions de francs.

Ces 125 millions de francs seront réservés aux nations sans colonies, le jour où ces nations adopteront un système différentiel favorisant le commerce direct.

Je répète donc que le système des droits différentiels convient particulièrement aux pays qui n’ont pas de colonies ; c’est une nécessite pour eux de l’établir s’ils veulent conquérir un commerce maritime.

Il est un fait fort important qu’il ne faut pas perdre de vue. Un changement dans la législation des contrées transatlantiques est peut-être prochain.

Jusqu’à présent, les colonies libres ont admis toutes les nations qui commercent avec elles, ont admis l’Angleterre et la France, qui les excluent, sur le même pied que les pays qui, comme nous, les favorisent. Cette législation, peu rationnelle, sera-t-elle maintenue ? On peut en douter. Vous savez que le Zollverein a traité avec les Etats-Unis ; il admet leur riz, leur tabac, leur coton, à des droits exceptionnellement favorables, à charge pour les Etats-Unis d’admettre les fabricats de l’Allemagne à des droits abaissés.

Ce que l’Allemagne vient de faire par un traité, c’est ce que nous pouvons faire par le système en discussion. Nous pouvons dire aux colonies libres : nous recevrons votre café, votre sucre, votre coton, votre riz, votre tabac, à des droits différentiels, favorables, au désavantage du café, du riz, du tabac, du coton des Indes britanniques, dont le marché se trouve établi à Londres et à Liverpool.

Ainsi notre système est précisément celui qui forme la base du traité conclu entre le Zollverein et les Etats-Unis.

Pour le Brésil, un fait plus remarquable peut être signalé : Vous savez que le Brésil, fatigué de sa législation, a laisse périmer tous ses traités conclus avec les autres pays. Le dernier qui expire en novembre prochain, est celui conclu avec l’Angleterre. Dans l’enquête anglaise de 1840, tous les négociants anglais ont prévu que ce traité ne serait pas renouvelé, à moins que l’Angleterre n’admette le commerce libre avec le Brésil. L’Angleterre craint que le Brésil ne se refuse à la prorogation du traité. Le gouvernement de l’Angleterre dans le but de faire une concession au Brésil en particulier, vient de diminuer les droits sur le café et le sucre étrangers aux plantations britanniques.

Il consent à réduire le droit sur les cafés étrangers de 8 à 6 pence. Le droit sur le café des plantations britanniques demeure fixé à 4 pence. L’Angleterre a cru faire ainsi une immense concession, c’est la première fois que, dérogeant à son système général, elle admet dans sa consommation des produits des colonies à esclaves.

Mais cette concession n’est que fictive. Savez-vous quel est le droit différentiel que cette réduction laisse subsister ? C’est un droit de plus de quatre cents francs par tonneau ; et nous nous effrayons d’un droit de vingt-cinq francs par tonneau que le gouvernement propose sur les cafés ! Pour les sucres, l’Angleterre continue à ne pas admettre le sucre provenant des colonies à esclaves. Le droit différentiel nouveau qu’elle se propose d’établir comme concession s’élèvera encore à 250 fr. par tonneau. Aussi il est évident qu’en présence de cette éventualité probable du non-renouvellement du traité de l’Angleterre avec le Brésil, nous devons adopter un système qui favorise le commerce direct entre le Brésil et la Belgique.

Une des objections que l’on vient de renouveler encore, c’est l’état d’infériorité de certains articles de l’industrie belge pour l’exportation. On dit : Produisez à bon marché et mieux ; vous exporterez quel que soit votre système.

En 1840, les honorables MM. David et Lys ont protesté énergiquement contre ces allégations, ils nous ont démontré que l’industrie belge, pour beaucoup de produits, n’est pas dans une position d’infériorité relativement à celle des autres nations. Pour l’industrie drapière, par exemple, la France frappe nos draps de prohibition ; elle craint notre concurrence sur son propre marché, et nous ne pourrons soutenir la concurrence avec la draperie française dans les colonies où nous sommes admis sur le même pied qu’elle. Notez que les draps de Verviers conviennent particulièrement aux colonies : ils sont légers, apparents, et d’un prix peu élevé ; tandis que les draps de Sedan sont très forts et très chers.

Pour les armes, la chambre de commerce de Liége vous a signalé ce fait, que Liége, ne trouvant pas à Anvers des relations régulières et suivies avec les marchés lointains , est obligé souvent de transporter par axe ses armes au Havre, où elle trouve des relations établies. Les frais de transport frappent la marchandise d’une augmentation de 15 à 20 p. c. Malgré cette défaveur, Liège parvient à exporter.

La supériorité de Liége pour la fabrication des armes est un fait reconnu que personne ne contestera. Cependant, en 1840, l’Angleterre a exporté à Rio pour 2 millions de fr. d’armes, tandis que la Belgique n’y a exporté que pour 300,000 fr. Or la fabrique d’armes de Liége est supérieure à l’industrie similaire d’Angleterre.

Pour les toiles, pour nos tissus de lin, la France ne veut les admettre que moyennant des droits élevés, parce qu’elle craint notre concurrence. Cependant elle vend aux Etats-Unis pour 7 à 8 millions de tissus de lin, tandis que nous n’en exportons pour ainsi dire pas. La concurrence que nos toiles de Flandres font aux toiles de Normandie sur le marché français, malgré des droits élevés, comment ne peuvent-elles le faire sur les marchés coloniaux où ces droits n’existent pas ?

La France envoie aux Etats-Unis pour 12 millions de tissus de coton ; et cependant, lorsqu’il s’agit de négocier avec elle, elle ne consent à admettre nos tissus de coton chez elle qu’à des droits très élevés. La fabrication gantoise, qui consiste en tissus communs et en calicots, est plus appropriée aux besoins des colonies que la fabrication alsacienne qui consiste en imprimés fins. Malgré ces faits la France exporte pour 12 millions de tissus de colon aux Etats-Unis où nous ne savons rien placer.

Je pourrais en dire autant de nos verres à vitre, de notre clouterie, de la fabrication des genièvres et de beaucoup d’autres de nos produits. Ainsi ce n’est pas à l’infériorité de notre fabrication industrielle que notre impuissance d’exporter doit être attribuée.

Quel est donc le motif pour lequel nos exportations sont languissantes et tendent à diminuer vers les pays lointains ? Ecoutez, messieurs les raisons que vous ont données les partisans comme les adversaires du système en projet. Toutes ces raisons se résument dans une seule : les relations directes, les relations suivies, régulières, nous manquent.

Que vous ont dit l’honorable M. Lesoinne, l’honorable M. David et presque tous ceux qui ont pris la parole pour s’opposer au système du gouvernement ? Ils vous ont dit : pour que nos exportations soient possibles, il faut la création de comptoirs, il faut que, comme les autres peuples, nous ayons des factoreries, des maisons correspondantes, que notre fabrication industrielle puisse connaître les goûts et les besoins des marchés transatlantiques ; en un mot, qu’il y ait contact habituel entre le vendeur et l’acheteur.

Eh bien messieurs, comment établirez-vous ces comptoirs, ces maisons correspondantes, comment l’industrie pourra-t-elle connaître les goûts et les besoins du consommateur lointain, comment créerez-vous les habitudes commerciales, source des affaires ? N’est-ce pas toujours par les relations directes ? Or, ces relations, vous avouez qu’elles n’existent pas. Comment les créerez-vous ? Est-ce par le statu quo ou par notre système ?

L’honorable M. Lesoinne vous a dit un mot très juste. Il vous a déclaré qu’il ne suffit pas de former une cargaison de produits à l’égard desquels nous avons une supériorité sur nos concurrents, qu’il fallait que cette cargaison ne fût pas envoyée d’aventure. Une expédition de ce genre, a-t-il ajouté, produit presque toujours de la perte.

Pourquoi, messieurs, une expédition faite à l’aventure produit-elle des pertes ? Par deux motifs principaux, et j’attire un moment sur ce point votre attention,

Lorsque nous arrivons sur le marché transatlantique, nous le trouvons encombré de produits européens similaires aux autres ; lorsque nous revenons en Belgique avec la cargaison de retour, le marché belge est aussi souvent encombré de mêmes produits coloniaux que nous importons.

Aussi longtemps que ce fait existera, l’on conçoit que nos exportations et notre commerce maritime seront impossibles.

Or, pourquoi trouvons-nous presque toujours les marchés transatlantiques encombrés de produits européens ? Pourquoi, au retour, retrouvons-nous notre propre marché d’Anvers encombré de produits coloniaux ? C’est parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous favorisons par notre système les échanges entre l’Angleterre et la France, et les colonies libres, et parce que, pour le retour, nous admettons les cafés, les sucres des entrepôts européens qui déversent leur trop plein sur notre propre marché qu’ils encombrent.

Pour établir les relations directes qui nous manquent, pour mettre par là le producteur et le consommateur en contact habituel, pour créer ainsi les affaires, il faut renoncer au système actuel. Le statu quo que vous défendez, rend impossibles ces relations, et je l’ai suffisamment prouvé.

Si vous me disiez : « Mais, en admettant les importations de toutes provenances et par tout paillon indistinctement, j’amènerai la matière première et les denrées de consommation à plus bas prix ; l’industrie et le consommateur belge en profiteront, » je vous comprendrais ; c’est une thèse que je n’admets pas, mais que l’on pourrait défendre. Mais, ce qui est évident, c’est que vous empêchez, autant qu’il est en vous, par votre système, l’établissement des relations directes ; vous l’empêcherez dans l’avenir, comme vous l’avez empêché dans le passé, tandis que le système différentiel favorise ces relations.

Si donc vous avez admis que ce n’est pas l’industrie qui est impuissante à produire pour l’exportation, mais que ce sont les relations qui nous font défaut, votre système est jugé.

Messieurs, le système présenté par le gouvernement veut atteindre deux buts. L’un est de créer en Belgique des marches d’importations coloniales de première main, l’autre de favoriser nos exportations. Or, pour créer ces marchés d’importations coloniales de première main, il faut évidemment ne plus admettre le café de Rotterdam, le sucre, le coton de Liverpool, de Londres et du Havre, sans aucune distinction avec les arrivages des pays de production. Comment voulez-vous, messieurs, créer, par exemple, à Anvers un marché de café en concurrence avec le marché de Rotterdam (et je n’entends naturellement pas parler du café Java, mais des cafés Brésil St-Domingue), si vous recevez dans votre propre consommation les importations des entrepôts de Rotterdam ? Mais vous faites par là tout ce qui est en vous pour maintenir et agrandir le marché de Rotterdam, et pour empêcher que celui d’Anvers ne se forme !

Il en est de même, messieurs, pour les matières premières, et je ne citerai que les cotons. Lors de l’enquête, il a été reconnu par tous les négociants de Gand, qu’il y aurait pour l’industrie cotonnière gantoise un immense avantage à voir s’établir en Belgique des marchés de coton de première main. Ils ont constaté que les fabriques de Manchester et de Rouen possédaient un grand avantage sur Gand, parce qu’elles avaient sous la main, à Liverpool et au Havre, des marchés importants de coton ; ils ont évalué que le défaut de choix, la nécessité de faire des approvisionnements plus considérables, les frais de chargement, de déchargement et de commission équivalaient, pour l’industrie gantoise, à une défaveur de 10 à 12 fr.

L’honorable M. David me fait un signe dubitatif.

M. Delehaye. - C’est cependant évident.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je dois croire ici à la compétence de l’industrie gantoise.

M. David. - Mais vous détruisez les entrepôts qui sont une ressource de plus pour elle.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je réponds que la différence des droits n’est pas telle, que nous détruisions le commerce d’entrepôts, et puis vaut-il mieux, pour jouir de la faculté, dans des cas exceptionnels, d’aller s’approvisionner dans les entrepôts d’Europe, renoncer à l’avantage permanent de posséder un marché d’importation directe ?

Là est la question, et Gand a répondu négativement.

On me dira : Mais comment pouvez-vous espérer établir à Anvers un marché de coton, en concurrence avec celui du Havre, avec une consommation si inférieure à celle de la France ?

D’abord, cette consommation est loin d’être insignifiante, et puis ne devons-nous pas compter de conquérir une partie du transit vers les provinces rhénanes, vers la Suisse et peut-être vers l’Alsace ? Anvers, avec son port magnifique que le chemin de fer a placé à une distance de quelques heures du Rhin, ne doit-il pas enlever au Havre cette grande place de transit, une partie de ce transit vers l’Europe centrale, et spécialement les affaires en coton ?

Ce marché de première main est impossible avec le système actuel. Accepter notre coton des entrepôts d’Europe, c’est renoncer à créer un marché chez nous. Je vous en donnerai une raison entre mille :

Pourquoi, messieurs, les maisons d’Anvers, par exemple, ne font-elles pas aux maisons américaines des avances aussi considérables pour les consignations en coton, qu’on en fait sur la place de Liverpool ? Et c’est à cause de ces avances considérables que les exportations des Etats-Unis se dirigent de préférence sur cette place. Mais la raison en est très simple ; ces avances, de moitié ou des deux tiers, sont impossibles chez nous. Il faudrait, pour qu’elle fussent possible, que les maisons d’Anvers eussent la certitude d’avoir au moins pour elles la consommation intérieure ; il faudrait que, lorsqu’elles adressent un ordre aux Etats-Unis, elles pussent compter que, dans l’intervalle, les entrepôts d’Europe, le Havre et Liverpool, ne viendront pas, à la faveur d’une baisse imprévue, jeter leur trop-plein sur le marché belge. C’est une des raisons péremptoires pour lesquelles l’établissement d’un marché de coton en Belgique est impossible avec le système actuel.

Messieurs, j’aborde ici l’objection principale qu’a faite l’honorable M. Delfosse. Cet honorable membre a voulu contester ce qui n’est guère contestable : la corrélation qui existe en général entre les importations directes et les exportations. Il vous a dit : Mais comment se fait-il que la Belgique, dont les importations coloniales s’élèvent à 70 millions de francs, n’exporte que pour 6 à 7 millions dans les pays transatlantiques ? Si les importations directes provoquent les exportations, vous avez donc les éléments nécessaires pour les développer. Pourquoi n’exportez-vous pas ? L’honorable M. Delfosse a fait une autre objection dans le même ordre d’idées. Il vous a dit tout à l’heure :

« Je reconnais que la navigation nationale a, en général, plus exporté que la navigation étrangère (et il a attribué cela à une cause que j’examinerai tout à l’heure) ; mais les navires belges, a-t-il ajouté, sont souvent partis ou sur lest ou avec une charge incomplète. On n’a donc transporté que tout simplement ce qu’on avait à transporter, ni plus ni moins. »

Messieurs, une chose étrange, c’est que nos adversaires argumentent constamment des résultats du système actuel contre nous, qui le déclarons insuffisant, tandis que nous devrions, au contraire, argumenter contre eux, qui plaident en faveur du maintien de ce système, de tous les faits qu’ils signalent. En effet, messieurs, depuis 10 années, qu’avons-nous soutenu ? Nous avons dit qu’il fallait favoriser les retours par des avantages plus marques, afin de favoriser les exportations. L’honorable M. Delfosse me répond : « Mais ces exportations ne se sont pas développées, même par la navigation. »

D’abord, c’est la navigation nationale qui a pris la grande part dans nos insignifiantes exportations, puisque, dans les 6 1/2 millions de produits belges exportés, elle figure pour plus de 5 millions. Mais si ces exportations par navires belges n’ont pas pris plus d’extension, c’est parce que votre système existe, c’est parce que la faveur dont ces navires jouissent est inefficace et inopérante. (Interruption.)

Vous avez, dites-vous, pour 70 millions d’importations, et vous n’exportez que pour 6 millions. Mais je tire de ce fait une conclusion contre vous. Qu’avez-vous soutenu depuis dix ans ? Qu’il suffit de provoquer des importations en général sans distinction de provenance ou de pavillon ; que, de cette manière, nous attirerons de grandes masses d’importations et pour la consommation et pour le transit ; que ces arrivages de toutes provenances favoriseraient nos exportations. Voilà votre thèse, que nous avons sans cesse combattue. Quelle était la nôtre ? Nous disions : Il ne suffit pas, pour exciter les exportations, d’avoir beaucoup d’importations quelconques, il faut que ces importations soient faites directement ou par navire national, ou par navire du pays de production. Ce n’est pas autant la quantité des importations que leur nature qui favorise le commerce d’échanges.

M. Delfosse. - Ce ne sont pas seulement les navires étrangers, ce sont aussi les navires belges qui ont importé beaucoup plus qu’ils n’ont exporté. Il y a eu des navires belges partis sur lest et d’autres avec charge incomplète.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Mais je puis vous répondre par un fait : c’est que sur 58 millions d’importations, en 1842, la navigation étrangère y est entrée pour 49 millions, et la navigation belge seulement pour 9 millions. Mais veuillez ne pas m’interrompre.

Lorsque vous parlez des importations directes, vous jouez sur les mots et nous ne donnons pas à cette dénomination le même sens que vous. L’importation par un navire étranger au pays de production est pour nous une opération indirecte.

Pourquoi, selon nous, cette quantité assez considérable d’importations n’a-t-elle pas provoqué plus d’exportations ? C’est parce qu’elles ont été faites non pas directement, mais par navigation indirecte. C’était un navire anglais, par exemple, qui échangeait au Brésil une cargaison de fabricats de Manchester contre une cargaison de café, qu’il importait ensuite chez nous en droite ligne. Or, cette opération, est au fond à peu près la même que celle d’un navire anglais qui nous importerait ce même café Brésil de l’entrepôt de Londres ou de celui de Liverpool. Le fait que nos adversaires signalent tourne donc complètement contre eux-mêmes.

Messieurs, on ne se rend pas assez compte de l’ensemble du système proposé ; on nous dit : « Mais prenez garde, vous allez exclure la navigation étrangère, et en excluant la concurrence de la navigation étrangère, vous augmenterez le prix des matières premières, le prix des denrées de consommation et du fret ; vous rendrez ainsi notre position pire qu’elle ne l’est aujourd’hui. » Mais, messieurs, ce sont là autant d’erreurs : veuillez remarquer que nous ne touchons pas au transit ; nous admettons les navires de toute provenance pour le transit. Or, vous le savez, la navigation étrangère, pendant une période de dix années récentes, a augmenté en France dans la proportion de 3/5 sur la navigation nationale, en Angleterre dans la proportion de 70 p. c. Que faut-il conclure de ce fait ? C’est que le système des droits différentiels, prohibitif en Angleterre, exorbitant en France, n’a pas empêché la navigation étrangère d’entrer de plus en plus et dans une proportion très forte, dans le mouvement commercial des colonies avec l’Angleterre et avec la France ; et cela, messieurs, à l’aide d’un seul élément, l’élément du transit. La France, depuis 1832, a admis la liberté du transit, et par le seul moyen du transit la navigation étrangère a afflué dans les ports français.

Pourquoi n’en serait-il pas de même en Belgique, où les droits différentiels seront très modérés et le transit plus libre ?

En deuxième lieu, messieurs, nous admettons en principe l’assimilation des navires des pays de production. Cette assimilation pourra être admise, par ordonnance royale, pour les pays transatlantiques, pour les nations européennes. Ainsi, entre les Etats-Unis et la Belgique, le lendemain de l’adoption du système proposé, il est probable que le gouvernement s’empressera d’assimiler les navires américains, de manière que même les 10 pour cent qui favorisent maintenant la navigation nationale de la Belgique, au détriment de la navigation américaine, que ces 10 p. c. viendront à tomber. Notre position, à l’égard des Etats-Unis, sera donc plus favorable à la navigation américaine qu’elle ne l’est. Aussi (c’est une réflexion que je tiens à présenter) je ne crois pas le moins du monde que la navigation nationale prendra, en vertu du système proposé, un grand développement dans nos relations avec les Etats-Unis. Je crois, au contraire, que la navigation américaine aura la plus grande part dans le transport entre les deux pays. Mais les résultats que j’espère voir atteindre, ce sont les relations que notre navigation établira avec l’Amérique du Sud, les Antilles et le Levant, dans les pays où il n’y a pas une marine aussi développée.

Ainsi, messieurs, nous ne touchons pas au transit, et nous admettons en principe l’assimilation des navires du pays de production.

Pour les matières premières, on l’a répété bien des fois, nous réduisons les droits actuels et dès lors les matières premières ne peuvent pas renchérir.

A l’égard des denrées de consommation, la faveur différentielle sur le café, par exemple, est de 25 fr. par tonneau. Ce droit est-il tel qu’il doive éloigner la navigation étrangère ? Mais, messieurs, il arrive souvent que, dans l’intervalle de quelques mois, le prix du café subît des fluctuations plus fortes que cette différence de 25 francs.

M. Dumortier. - Cela ne fait qu’un centime et demi par livre.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Ainsi, messieurs, le système proposé sera, selon moi, assez efficace pour protéger, mais non pour exclure, et toutes les craintes relatives l’exclusion de la navigation étrangère me paraissent complètement dénuées de fondement.

Ce que je viens de dire, messieurs, répond déjà aux objections qui ont été faites relativement au renchérissement du fret ; car si nous n’excluons pas la concurrence de la navigation étrangère, je ne comprends pas comment nous allons faire renchérir le fret. Nous ferions peut-être élever le fret si nous persistions dans un système qui amènerait à la longue le dépérissement de la navigation nationale. Alors le prix du fret s’élèverait, parce que cet élément de concurrence n’existerait plus.

Je crois, messieurs, que le système des droits différentiels doit, au contraire, avoir pour résultat l’abaissement du prix du fret, et cela par une raison toute simple : c’est l’avantage que nous donnons à l’armateur pour ses retours. En lui assurant des retours, nous lui permettons de diminuer son fret d’aller. Nous avons un exemple frappant qui prouve la vérité de cette assertion ; c’est ce qui se passe pour le sel. Vous savez, messieurs, qu’il existe pour le sel un droit différentiel tel, que la navigation étrangère est complètement exclue. Eh bien, d’après le raisonnement de l’honorable M. Delfosse, le prix du fret pour le transport de nos écorces et de nos lins vers l’Angleterre devrait être considérablement élevé. Eh bien, messieurs, le contraire a lieu, et, chose remarquable, c’est vers Liverpool, où les navires belges vont prendre leur cargaison de sel en retour, c’est vers Liverpool que le fret des écorces et du lin est surtout fort abaissé, beaucoup moins élevé que dans aucun autre port de l’Angleterre. Eh bien, messieurs, cela provient de ce qu’à Liverpool nous trouvons des retours d’un placement assuré. Ainsi un droit différentiel prohibitif, en ce qui concerne le sel, a eu pour résultat, non pas de faire renchérir le fret pour nos exportations, mais d’en réduire, au contraire, le prix dans une proportion considérable.

M. Delfosse. - Je demande à expliquer mes paroles. Je n’ai pas dit que le fret renchérirait nécessairement ; j’ai dit qu’il y aurait ou bien renchérissement du fret, ou bien déficit dans les recettes de l’Etat. Or, il est bien évident que le gouvernement, ne recevant aucun droit sur le sel importé par navires nationaux, il en résulte une perte pour le trésor.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Vous ne répondez pas à mon observation. Il n’y aurait déficit pour le trésor que dans le cas où, comme pour les matières premières, on procéderait par réduction de droits, Or, ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour le sel. Ce n’est pas ici que votre objection peut trouver sa place. L’honorable M. Delfosse, lorsqu’il parle de la Meuse, dit constamment : « Mais si vous nous privez des retours de la Hollande par la Meuse, vous allez nécessairement amener le renchérissement du fret. » L’honorable M. Delfosse admet donc complètement nos idées en ce qui concerne la Meuse, et cependant il ne veut pas les admettre à l’égard des pays transatlantiques. Le raisonnement de M. Delfosse, pour la Meuse, est précisément celui que nous faisons pour la navigation transatlantique.

Nous disons que la certitude de retours avantageux favorisera nos exportations et amènera l’abaissement du prix du fret. L’honorable M. Delfosse raisonne exactement comme nous pour la Meuse, mais il renverse sa thèse quand il s’agit de la navigation de long cours.

M. Delfosse. - Nous avons nos retours naturellement sans que le pays nous accorde de prime.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, j’ai oublié tout à l’heure de répondre a une autre objection de l’honorable M. Delfosse. En présence des tableaux fournis par M. le ministre de l’intérieur, l’honorable membre a avancé que, si la navigation nationale exportait plus de produits, proportionnellement, que la navigation étrangère, cela tenait a une cause, à l’établissement de services réguliers de bateaux à voiles entre Anvers et Rio et quelques autres points transatlantiques.

Mais d’abord, avant 1842, avant l’établissement de ces services réguliers, le même fait existait : la navigation nationale participait dans une proportion plus grande que la navigation étrangère dans nos exportations lointaines.

Mais, dit l’honorable M. Delfosse, le gouvernement, pour prix des subsides qu’il accordait, a imposé à ces services réguliers, à cette navigation, des frets réduits, et c’est à cause de ces frets réduits qu’il n’a pu exporter.

C’est la une erreur. L’abaissement du fret qu’on a imposé à la navigation nationale en service régulier, a amené naturellement le même abaissement de fret pour la navigation concurrente étrangère, de manière que le fret est resté au même niveau pour tous, et la navigation étrangère aurait dû exporter tout autant que la navigation nationale,

Messieurs, je n’ai plus qu’à entretenir la chambre d’un point ; c’est la question des représailles. Je n’en parlerai qu’avec ménagement, et du reste, je n’ai pas à discuter les chances de représailles ; je n’aurais, à cet égard, comme chacun de vous, qu’une appréciation toute personnelle à faire. Je veux simplement indiquer cette double pensée : que des mesures de représailles seraient injustes et seraient impolitiques de la part des nations qui les prendraient.

Le système modéré de droits différentiels est-il un acte d’hostilité à l’égard des autres nations ? On raisonne toujours comme si nous admettions un système exclusif, comme l’Angleterre et la France, à l’égard de la navigation étrangère ; je vous ai prouvé qu’il n’en est rien.

Je vous ai dit que le principe de l’assimilation des navires du pays de production était au fond de notre projet. Nous disons donc à chaque pays : Nous ferons le commerce direct avec vous, par vos navires et par les nôtres. Nous éloignerons à certain degré de ce commerce la concurrence des navires étrangers aux deux pays. Mais, messieurs, est-ce là un principe d’hostilité ?

Je ne reproduirai pas la raison générale que l’on a fait valoir et qui consiste à soutenir qu’il est de principe international admis par les nations commerçantes qu’un peuple peut modifier son tarif d’une manière générale, applicable à toutes les nations, sans que chacune d’elles ait le droit de répondre à cette mesure générale et dès lors sans caractère d’hostilité, par des représailles prises d’une manière spéciale.

Un membre. - La Hollande a exercé des représailles contre la France ; pourquoi le gouvernement des Pays-Bas ne ferait-il pas à la Belgique ce qu’il a fait à la France ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je ne sais ce que le gouvernement des Pays-Bas fera, pas plus que vous ; mais je dis que depuis 1822 surtout, ce principe est entré dans les usages de la diplomatie commerciale. Huskisson les avait proclamés en Angleterre.

Est-il vrai que la Hollande sera spécialement frappée en fait ? Cela n’est pas exact. Les entrepôts d’Angleterre et du Havre, seront aussi bien atteints que l’entrepôt de Rotterdam ; plus peut-être : parce que le café de Java, auquel nos consommateurs sont habitués et que nos faibles droits différentiels n’excluront pas, sera moins atteint que les arrivages des entrepôts de Londres, de Liverpool et du Havre auxquels nous voulons tâcher d’enlever une partie du transit que ces places possèdent vers l’Allemagne et vers la Suisse.

L’intérêt de la Hollande même serait-il de nous frapper de mesures de représailles ? Mais, en nous frappant de mesures de représailles, la Hollande nous forcerait de lui faire une concurrence bien plus sérieuse que celle que nous voulons établir. La Hollande craint vivement qu’à la longue Anvers ne devienne pour Rotterdam une rivale, relativement aux importations vers l’Allemagne et l’Europe centrale ; d’un autre côte, la Hollande n’ignore pas que nous sommes pour elle un marché de 38 millions composés en grande partie de produits coloniaux. La Hollande, par des représailles, ne peut-elle pas craindre de nous pousser à rendre notre système différentiel plus efficace, comme une partie de la chambre voudrait déjà nous y engager ? Elle compromettrait ses importations de 38 millions, elle aiderait Anvers à établir son marché d’une manière plus prompte et plus sérieuse que nous ne voulons le faire nous-mêmes. Son intérêt ne lui conseille pas d’en agir ainsi.

Du reste, messieurs, vous le savez comme moi, il y a en Hollande des influences qui luttent entre elles, l’influence du haut commerce et l’influence de ceux qui voudraient faire de la Hollande une nation industrielle. Le haut commerce s’oppose à la réalisation de cette dernière théorie, qui avait pour résultat l’établissement d’un tarif industriel protecteur.

Eh bien, messieurs, si la Hollande recourait à des mesures de représailles contre nous, en élevant son tarif de manière à frapper l’introduction de nos fabricats en Hollande, la Hollande entrerait, par cela même, dans les idées de ceux qui veulent modifier le tarif libéral de 1822, que le commerce hollandais, au contraire, s’efforce de maintenir.

Le gouvernement ne peut pas discuter l’hypothèse des représailles. C’est placer la question des droits différentiels sur un terrain étranger à la question même. La position change complètement au point de vue de cette hypothèse. Tout ce que je puis dire, c’est qu’en Hollande nous n’avons pas voulu poser un acte d’hostilité à l’égard de qui que ce soit, et que nous n’avons pu, dès lors, admettre l’hypothèse des représailles.

Messieurs, dans ma conviction, si nous n’adoptons pas le système proposé par le gouvernement, nous n’aurons pas de base sérieuse pour un commerce d’exportation maritime, ce sera renoncer à la création de ce commerce si important pour nous. Si nous ne possédons pas cette base, nos négociations deviendront plus difficiles.

Il y a dans cette chambre et dans le pays beaucoup de partisans de la fondation d’une société centrale de commerce d’exportation. Eh bien, n’est-il pas évident qu’il est impossible de songer à créer une société de commerce d’exportation, si vous ne lui donnez pas pour fondement ou des privilèges ou un système de droits différentiels. Si vous maintenez le statu quo, le système actuel, la société de commerce d’exportation sera dans la même position dans laquelle se trouvent aujourd’hui les armateurs belges, avec cette différence seulement, qu’elle aura la faculté de perdre plus et pendant plus longtemps.

Comme l’heure est avancée et que je me sens fatigué, j’ajournerai quelques autres observations que j’ai à présenter en réponse aux critiques que M. de Foere a faites du projet du gouvernement. Nous avons deux sortes d’adversaires : ceux qui, comme l’honorable M. de Foere, accusent le projet du gouvernement d’inefficacité, et ceux qui, comme M. Delfosse, le taxent d’exagération.

Du reste, les observations que j’aurai à émettre à cet égard, trouveront mieux leur place lorsque nous en serons venus à la discussion des articles et des questions de principes qui ont été posées par M. le ministre de l’intérieur.

M. Eloy de Burdinne dépose un amendement qu’il développera demain.

- Sur la motion de M. de Mérode, la chambre fixe à l’ordre du jour de demain, en premier lieu, le vote sur les projets de loi tendant à accorder la grande naturalisation à MM. le général Chazal, le colonel Chapelié, le major Collins et La Roche-Blin.

La séance est levée à 4 heures et demie.