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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 juin 1844

(Moniteur belge n°157, du 5 juin 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi un quart.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les médecins, chirurgiens et accoucheurs établis à Bruges, demandent l’abolition de l’impôt patente, auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale chargé de l’examen du projet de loi sur les patentes.

M. Rodenbach. - J’ai été chargé de déposer cette pétition sur le bureau et je voulais demander le renvoi que vient de proposer M. le président.


« Les sieurs Gremens, Vanholstraede, Beirnaert et Peters, cultivateurs à Munte, réclament l’intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef d’abattage de leurs vaches atteintes de maladies contagieuses. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - Nous en sommes restés au deuxième paragraphe de l’art. 2. Quatre amendements à ce paragraphe ont été présentés, développés et appuyés. La discussion continue sur ce paragraphe et les quatre amendements.

M. Donny. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur vous a donné des explications si développées sur les entrepôts flottants, et l’amendement de l’honorable M. Osy a jusqu’ici rencontré si peu d’appui, qu’il est superflu, peut-être, de prendre la parole ; mais j’ai pensé qu’il pouvait être utile de faire connaître à l’assemblée que la chambre de commerce d’Ostende est d’une opinion diamétralement opposée à celle de la chambre de commerce d’Anvers. M. le ministre de l’intérieur vous a donné lecture de deux rapports de la chambre de commerce d’Anvers dans lesquels elle a énoncé son avis ; je me permettrai de vous lire seulement quatre à cinq lignes qui contiennent la manière de voir de la chambre de commerce d’Ostende sur le paragraphe en discussion.

« Par le § 2 de l’art. 2 du projet du gouvernement, les navires belges venant des pays transatlantiques, ou de la Méditerranée, pourront, sans perdre le bénéfice attaché a une importation directe, toucher dans un port intermédiaire pour y prendre des ordres.

« Cet avantage doit rester, tel que le projet le propose, exclusivement réservé en faveur des navires belges, et ne peut, dans aucun cas, s’étendre aux navires étrangers, quand même ceux-ci prétexteraient avoir reçu au premier port de départ une destination éventuelle pour la Belgique. Si le gouvernement devait se départir du point de vue qui lui a dicté ce paragraphe, il aurait à regretter d’avoir cédé à des sollicitations uniquement faites en faveur du commerce étranger. »

Vous voyez, messieurs, combien diffèrent entre elles les opinions de ces deux chambres de commerce.

Pour ce qui me regarde personnellement, je suis aussi d’une opinion diamétralement opposée à celle de mes honorables collègues, MM. Osy et Cogels. Je pense que si la chambre veut rester conséquente avec elle-même, si elle ne veut pas introduire dans la loi une disposition qui en bouleverse toute l’économie, elle doit repousser l’amendement proposé par M. Osy et adopter le système proposé par le gouvernement.

L’amendement de l’honorable M. Osy n’est, à mon avis, en harmonie ni avec le but de la loi ni avec le moyen nécessaire pour atteindre ce but. Le but que nous nous sommes proposé, vous le savez, est double : nous avons, d’une part, voulu favoriser l’exportation des produits de l’industrie belge ; d’un autre côté, nous avons voulu donner de l’extension à la grande navigation belge le moyen que nous avons cru nécessaire pour atteindre ce but, c’est de jeter de la défaveur et une défaveur marquée sur les entrepôts européens. Pourquoi avons-nous cru que ce moyen était nécessaire ? Evidemment, parce que les navires étrangers qui nous apportent des marchandises provenant des entrepôts européens n’exportent rien ou exportent extrêmement peu de nos produits ; et d’un autre côté, parce que ces navires causent un préjudice considérable à la navigation belge.

En ce qui concerne les intérêts industriels, est-il dans cette assemblée un seul membre qui puisse espérer sérieusement qu’un navire anglais venant de Cowes, chargé de denrées coloniales, exportera plus de produits belges qu’un navire venant de l’entrepôt de Londres avec les mêmes denrées coloniales ?

Quant à l’intérêt de la navigation nationale, est-il un seul membre parmi vous qui puisse penser sérieusement qu’un navire anglais venant de Cowes, avec des denrées coloniales, ne causera pas autant de préjudice à la navigation belge qu’un navire venant de l’entrepôt de Londres avec un chargement semblable ?

Je vais plus loin, et je dis non seulement que le navire venant de Cowes sera aussi préjudiciable à la navigation belge qu’un navire venait de Londres, mais j’ajoute que le premier causera un préjudice beaucoup plus grand. Je crois que telle n’est pas l’opinion de M. Cogels ; je sais que, selon lui, un navire étranger important des marchandises des entrepôts européens est plus à craindre que le navire venant de Cowes. Mais entre l’honorable membre et moi, je puis en appeler une autorité qui me paraît de nature à devoir fixer l’attention de la chambre, beaucoup plus que l’opinion de l’honorable M. Cogels, beaucoup plus que la mienne.

Je suis en possession de l’opinion d’un armateur belge. Chacun reconnaîtra que quand il s’agit de l’intérêt des armateurs belges, un armateur belge est un juge extrêmement compétent. Voici ce qu’on m’écrit, et je suis prêt à passer la lettre que je tiens en mains à l’honorable M. Cogels si cela lui est agréable :

« S’il fallait choisir entre deux maux, je préférerais recevoir des marchandises des entrepôts de l’Europe, que d’une station maritime par la raison, que les marchandises provenant des entrepôts sont chargées de plus de frais que celles provenant des stations et qu’elles ne peuvent par suite faire une grande concurrence à celles importées directement, il en est autrement pour les marchandises des stations. Prenons-en exemple : un navire anglais a chargé des cafés à Rio en destination de Cowes et Market ; arrivé à Cowes, on envoie à Anvers à un commissionnaire des échantillons de la cargaison, en lui demandant son avis, les prix actuels, etc., etc. On fait la même chose pour Londres, Brême, Hambourg, etc., etc., et si le prix d’Anvers est plus favorable qu’ailleurs, le navire est dirigé sur Anvers. Il est évident que ces cafés reviendront moins cher à Anvers que si le navire en question s’était rendu à Londres et y avait entreposé sa cargaison, qu’on aurait ensuite dirigée de l’entrepôt de Londres vers Anvers. En effet, les cafés venant ainsi de Londres auraient à supporter : 1° un déchargement ; 2° un entreposage ; 3° un chargement, 4° une assurance et 5° un fret de Londres a Anvers (et encore, je néglige ici la commission et le courtage d’achat, le pesage à Londres et quelques menus frais). »

Vous voyez, messieurs, quelle est l’opinion des armateurs sur les entrepôts flottants. Il est possible, probable même que les commissionnaires ont une tout autre idée de ce genre d’opération, mais il ne s’agit pas ici de l’opinion des commissionnaires.

J’ai dit, messieurs, que l’amendement de l’honorable M. Osy n’était pas en harmonie avec le but que nous nous proposons ; j’ajoute qu’il n’est pas non plus en harmonie avec le moyen que vous avez adopté pour atteindre ce but. Quel est ce moyen ? De jeter de la défaveur sur les entrepôts européens, et l’amendement de l’honorable M. Osy favorise les entrepôts flottants, qui sont aussi des entrepôts européens. Si cet amendement était admis, voici ce qui arriverait : Les négociants qui, aujourd’hui, font des opérations en tirant des entrepôts fixes les marchandises dont ils ont besoin, ne pourraient plus importer ces marchandises au faible droit et verraient, tout au moins, restreindre leurs opérations ; mais les commissionnaires, qui sont dans l’habitude de faire des opérations au moyen des entrepôts flottants de Cowes, Plymouth et Falmouth, pourraient continuer à en faire, et avec plus d’avantage qu’aujourd’hui, parce que la suppression de la réduction des opérations avec les entrepôts fixes de l’Europe donnerait plus de développement aux entrepôts flottants.

Si l’amendement est admis, vous aurez fait une loi qui aura imposé des sacrifices au cabotage, qui nous aura plus ou moins exposés à des représailles qui peuvent frapper sur des industries principales du pays, une loi qui aura jeté plus ou moins de mécontentement dans quelques localités importantes, et tout cela pourquoi ? pour favoriser vos exportations ? Non. Pour développer la grande navigation nationale ? Non. Uniquement pour donner plus d’extension aux opérations des commissionnaires de la Belgique, et leur procurer un peu plus de bénéfice.

Si je pouvais avoir quelque doute sur la question, ce doute se serait évanoui, quand j’ai entendu les arguments dont on a fait usage pour appuyer l’amendement de M. Osy. Quel est, en effet, le principal argument qu’on a fait valoir ? Votre loi, a-t-on dit, ne sera pas exécutable ; on pourra l’éluder. Vous avez beau proscrire les opérations de Cowes, elles se feront encore malgré vous, malgré votre loi ; on trouvera des moyens d’éluder vos dispositions, mais ces moyens vont démoraliser les capitaines de navires ; nous ne voulons pas de moyens qui démoralisent. Messieurs, avec des arguments semblables, on peut détruire toutes les lois de douanes qui vous seraient présentées, parce que chaque fois que vous voudrez établir un droit sur un objet quelconque, on vous dira : Ce droit que vous voulez percevoir, vous ne le percevrez pas ; les formalités que vous prescrivez, on les éludera ; il y aura des fraudeurs, ces fraudes vont démoraliser les populations, je ne veux pas d’une loi qui soit une cause de démoralisation pour des populations.

Cependant, quelque force que puisse avoir cet argument, tous les jours vous décrétez des dispositions douanières, sans avoir égard à cet inconvénient, parce que vous êtes dans la nécessité de protéger votre commerce et votre industrie. C’est absolument la même chose dans le cas actuel. La loi peut avoir des inconvénients. Mais vous ne devez pas vous laisser arrêter par ces inconvénients, lorsqu’il s’agit de protéger le commerce et la navigation du pays.

Au surplus, ces moyens d’éluder la loi ne seront pas aussi faciles qu’on le pense. Lorsque le principe sera déposé dans la loi, le gouvernement aura la tâche de le faire exécuter. S’il ne trouve pas dans la loi et dans la loi générale des douanes les moyens de faire respecter votre disposition, il vous demandera des pouvoirs nouveaux, On pourra, si non immédiatement, au moins dans un temps rapproché, faire en sorte que rigueur et respect restent à la loi. D’après ce peu de considérations, je voterai contre l’amendement de M. Osy, et en faveur du système proposé par le gouvernement.

M. de Haerne. - Je désire répondre à ce que l’honorable M. Cogels a dit hier, au sujet de mon amendement. Il a supposé que le principe qui se trouve dans mon amendement, avait été écarté par la chambre. Je dois répondre à ses observations, parce que peut-être ont-elles exercé sur l’esprit de la chambre une influence défavorable à mon système. Je crois qu’il n’en est rien, et que l’honorable M. Cogels est, à cet égard, tout à fait dans l’erreur. J’en appelle aux souvenirs de la chambre. Que s’est-il passé à l’égard du principe du système que je défends ? Lorsque nous sommes arrivés à la discussion des questions de principe, j’ai mis mon système en avant. Alors M. le ministre de l’intérieur a soutenu qu’il convenait d’examiner cette question lors du vote des articles du tarif.

Lorsque le premier article du tarif « Fanons de baleine » a été mis en discussion, j’ai présenté de nouveau mes observations. Alors l’honorable ministre de l’intérieur, d’accord avec quelques honorables membres, et notamment avec l’honorable M. Donny, m’a renvoyé à la discussion du paragraphe 2 de l’art. 2. Ainsi vous voyez que dans l’intention du ministère et de la chambre, qui a accepté tacitement son opinion, le principe que je défends a été non pas écarté, mais tenu en suspens.

Je tenais à constater ce fait parce que je comprends que, sans cela, il serait tout à fait inutile de vous entretenir davantage de ce principe.

Il y a ici trois systèmes principaux en présence. D’abord nous avons le système défendu par les honorables députés d’Anvers qui soutiennent que la faveur de l’escale, de la relâche doit être accordée non seulement aux navires belges, mais encore aux navires étrangers.

Ensuite, nous avons un deuxième système, celui du ministère qui tend à accorder cette faveur seulement aux navires belges, nullement aux navires étrangers.

Dans mon système, que j’appellerai le troisième qui se présente dans cette discussion, cette faveur de l’escale, de la relâche que l’on veut accorder à certains navires, que les uns veulent accorder aux navires belges, que d’autres veulent accorder aux navires étrangers aussi bien qu’aux navires belges, est pour ainsi dire illusoire ; au contraire, on doit en quelque sorte l’accorder, du moment qu’on ne frappe pas les navires étrangers qui nous importent des produits transatlantiques et qui sont étrangers à ces pays.

Voila mon système : je veux écarter par une défaveur les navires étrangers aux pays transatlantiques qui nous apportent les produits de ces pays, par exemple les navires hollandais, anglais, français, qui se rendent au Brésil et qui nous apportent de là en droite ligue des cargaisons de café. Je dis que ce sont là des entrepôts flottants, tout aussi bien que ceux qui ont fait escale, et que le ministère considère seuls comme entrepôts flottants. Je mets l’escale de côté. Je soutiens que la disposition qui interdit la relâche pourra toujours être éludée comme l’ont soutenu les honorables députés d’Anvers. A cet égard, je suis tout à fait d’accord avec eux.

Direz-vous que l’inconvénient de la fraude se présente dans toutes les lois de douane ? Je le sais. Mais il faut voir jusqu’à quel point la fraude est facile. Si nous démontrons que la fraude est facile, qu’on ne pourra l’empêcher, je dis que nous votons une loi illusoire, une loi sans sanction.

Il me semble de la dernière évidence qu’on pourra toujours éluder la disposition qui interdit l’escale , en ce sens que l’on pourra faire relâche où l’on voudra, à Cowes, à Portsmouth, etc. ; on mouillera même dans l’Escaut, à Flessingue ; on pourra relâcher dans un port français, ou à l’entrée de la Tamise, en un mot, où l’on voudra, et l’on pourra toujours s’informer à la côte de l’état du marché et agir en conséquence, se diriger sur l’un ou l’autre port d’après la situation du marché, telle qu’on l’aura constatée dans le lieu où l’on aura abordé. Cela est de la dernière évidence.

Je n’admets pas que l’on puisse supposer que le gouvernement pourra empêcher cette fraude. Quand la fraude est si facile que tout le monde peut la connaître, que personne ne peut l’empêcher, la loi est sans sanction. Dès lors, pour atteindre le but du gouvernement, qui est celui de la loi (savoir : favoriser la marine nationale et les arrivages directs contre les arrivages indirects et les entrepôts), il faut nécessairement écarter tous les entrepôts flottants, qu’ils aient ou non fait escale. Je ne puis comprendre autrement le sens de la loi.

Vous avez entendu hier l’honorable M. Cogels et d’autres membres encore qui ont prétendu que mon système était plus rationnel que celui du ministère, si l’on veut accepter la loi avec franchise, si l’on veut franchement atteindre le but de la loi. Le ministère lui-même a semblé abonder dans ce sens, il n’a pas réfuté les objections tirées de la fraude. Il me semble donc que, d’après la marche de la discussion, il faut entrer dans le sens de mon amendement.

L’honorable M. Cogels s’est étonné de ce que M. le ministre de l’intérieur s’est montre favorable au système que je défends. S’il est le plus rationnel, il ne doit pas s’en étonner.

Toute la différence qu’il y a entre les opinions de M. le ministre de l’intérieur et les miennes, c’est qu’il fait entre les navires étrangers qui ont fait escale et ceux qui n’ont pas fait escale une distinction que je ne fais pas.

Je ne pense donc pas que le ministère ait combattu mon opinion. L’honorable M. Cogels vous a dit hier que notre marine est insuffisante pour les pays transatlantiques du Midi ; il a dit que nous n’avons pas 80 navires en état de faire cette navigation. Je crois qu’à cet égard, l’honorable M. Cogels a pu se tromper. Je ne veux pas mettre mon expérience en parallèle avec la sienne ; je reconnais toute sa supériorité à cet égard, je sais qu’il est plus compétent que moi ; mais c’est sur le rapport d’hommes également compétents que se fonde mon opinion.

Je crois pouvoir assurer que nous avons plus de 80 navires en état de faire la navigation au long cours. Mais je veux admettre l’opinion de l’honorable membre. J’ajouterai que, par suite de la concurrence entre les navires appartenant aux divers pays, le fret sera réduit, et que, par suite, un grand nombre de navires étrangers apporteront sur notre marché les denrées coloniales dont nous avons besoin.

C’est la considération principale sur laquelle je veux insister en terminant.

Comme j’ai eu l’honneur de l’expliquer hier, je ne veux pas forcer le ministère à frapper les entrepôts flottants de la même manière que les entrepôts fixes ; seulement je lui en donne le pouvoir. Ici je suis jusqu’à un certain point de l’opinion des honorables députés d’Anvers.

Je donne au gouvernement le droit de frapper les navires étrangers, soit qu’ils aient fait, soit qu’ils n’aient pas fait escale, mais jamais au-delà du droit différentiel qui frappe les entrepôts européens.

M. Cogels. - Messieurs, l’honorable député de Tournay qui a pris la parole après moi dans la séance d’hier et que je regrette de ne pas voir ici, m’a bien mal compris. Il a supposé que je voulais que le commerce d’Anvers se bornât à un commerce de commission, et surtout à un commerce de commission qui se dirigerait principalement vers ces cargaisons qui se vendent sous voile, et que seules je consentais à nommer entrepôts flottants. Bien loin de là ; à la fin de mon discours j’avais dit que j’engageais le gouvernement à réfléchir aux mesures à prendre pour écarter ces véritables entrepôts flottants, mais pour ne pas porter d’entraves aux arrivages directs de cargaisons sous pavillon étranger qui ne pouvaient pas se dispenser de toucher à la rade de Cowes ou à un autre port pour ordre.

L’honorable M. Dumortier nous a dit en même temps que le système français sur lequel M. le ministre de l’intérieur nous avait donné quelques renseignements, avait eu pour la France des résultats très favorables et lui avait créé des marchés que nous devions lui envier. Je ne suis pas d’accord, messieurs, avec l’honorable député de Tournay. Le marché du Havre, qui est celui qui se trouve le plus rapproché de la Belgique et auquel nous devons principalement nous attacher, n’est, à vrai dire, qu’un marché de coton. Et pourquoi n’est-il qu’un marché de coton ? Parce que le coton est le seul article pour lequel la France se soit écartée des restrictions qu’elle apporte aux importations des autres marchandises, parce que pour le coton elle a un traité d’assimilation, un traite de réciprocité avec les Etats-Unis, et que les vaisseaux des Etats-Unis, en touchant en rade du Havre même, éludent les restrictions qui sont apportées quant aux relâches à Cowes.

Mais, quant au sucre, quant au café, on ne doit pas nous citer le marché du Havre. Le marche du Havre est, comme la plupart des autres marchés de France, un marche qui se borne, pour les denrées coloniales, principalement à la consommation de la France. Ces marchés ont un avantage sur nous : c’est qu’ils ont une population de 32 millions, et si l’honorable M. Dumortier trouve le moyen de nous donner une population de 32 millions, je m’en contenterai également. Mais nous n’avons qu’une population de 4 millions ; nous devons nous en contenter si nous voulons nous borner à un marché de consommation, ou nous devons chercher à profiter de notre position, et à devenir le marche de l’Allemagne et de la Suisse.

L’honorable M. Dumortier, que j’ai vu animé hier d’une véritable sollicitude pour le marché d’Anvers, nous a dit qu’il voulait faire d’Anvers un grand marché. Je suis charmé de lui voir ces intentions ; mais j’espère qu’il ne doute pas que la chambre de commerce d’Anvers, que les députés d’Anvers n’aient également l’intention de voir Anvers devenir un grand marché. La question est ici de savoir qui de nous est le plus à même d’apprécier les moyens d’y parvenir.

L’honorable M. Dumortier, nous a dit encore qu’en France on applaudissait au système. C’est encore une erreur ; car, si ma mémoire est fidèle, il y a eu, de tous les ports de la France, des réclamations contre le système trop restrictif adopté par le gouvernement ; et par la statistique on peut voir que la marine commerciale de France, loin de prendre de l’accroissement, est dans un état de décroissance, surtout en ce qui concerne les navires de long cours. Car les Français comptent dans leur marine tous ces petits caboteurs qui font les voyages sur les côtes, et qui n’existent pas en Belgique, où tous les transports, même de port à port, se font par l’intérieur.

Ainsi, ce système n’a pas eu sur la marine commerciale de France cette heureuse influence qu’a voulu nous signaler l’honorable député de Tournay.

M. le ministre de l’intérieur, en me répondant, a prononcé quelques paroles dont je m’emparerai, parce qu’elles me prouvent qu’il doit avoir été, quant aux relâches à Cowes, induit complètement en erreur. Voici ce que dit M. le ministre de l’intérieur : « Certes, s’il y avait à Anvers des négociants ayant directement des relations avec les contrées transatlantiques, s’ils n’avaient recours aux maisons de Londres que pour la garantie et la réalisation des traites, la situation serait tout autre. Mais, je le répète, ce n’est pas ainsi que les choses m’ont été présentées.

C’est cependant ainsi, messieurs, que les choses existent, et je vais vous prouver qu’elles ne peuvent exister autrement.

Il est reconnu, d’après la statistique, que nous importons, valeur officielle, 80 millions de denrées coloniales, que je réduirai à leur valeur effective de 50 à 51 millions, en prenant les prix courants du jour. Il est reconnu, d’autre part, que nous n’exportons vers les régions transatlantiques que 6 à 7 millions. Restent donc 43 à 44 millions, que nous avons à payer aux contrées transatlantiques.

Comment les payons-nous ? Nous les payons, messieurs, et nous ne pouvons les payer autrement, par les traites qui sont fournies des colonies sur les maisons de Londres. Or, pour que les maisons de Londres acceptent ces traites, quelles sont leurs exigences ? Ce sont les exigences de toutes les maisons prudentes : c’est de faire remettre les connaissements et de conserver une certaine direction sur la cargaison, jusqu’à ce qu’elle arrive en Europe, afin qu’elle ne puisse pas passer dans des mains qui ne seraient pas sûres, et que le prix ne leur échappe pas. Les maisons, quelque solides qu’elles soient, ne trouveront jamais de correspondants qui acceptent pour elles à découvert au-delà d’une certaine limite. Ainsi vous trouverez des maisons qui jouissent d’une grande réputation, pour lesquelles on acceptera 50,000 fr., 100,000 fr., 150,000 fr., 200,000 fr. ; mais il y a une borne à tout. Ce sont déjà là des sommes très fortes, et certainement on n’acceptera pas 4 ou 500,000 fr. à découvert.

On accepte donc sur la cargaison et l’on veut avoir un nantissement. Or, pour une cargaison qui se trouve encore sur mer, il n’y a pas d’autre nantissement que le connaissement et la police d’assurance. Il faut donc que le connaissement et que la police d’assurance soient remis à la maison qui accepte les traites.

Comment, dès lors, voulez-vous que les navires arrivent sans toucher à un port d Angleterre ? Car ici, la maison d’Anvers ou de toute autre ville qui a fait l’affaire directement, a bien la disposition de la cargaison, mais cependant elle cède une partie de cette disposition. Il y a une espèce de tutelle qui s’établit vis-à-vis d’elle par la maison qui a accepté la traite.

Messieurs, je n’ai pas fait beaucoup d’opérations commerciales ; je n’ai jamais été intéressé que dans une seule ; je puis la citer ici et vous dire comment les choses se sont passées.

Il s’agissait d’une cargaison de sucre que l’on a fait venir de la Havane. On a passé les ordres sur le marché de la Havane. On a demandé de charger sur un navire belge, s’il y en avait un disponible qui voulût charger à un fret favorable, ou à défaut d’un navire belge, de charger sur un navire américain ou sur un navire anglais. On a ouvert un crédit sur Londres et on a donné ordre de toucher à Cowes pour ordre, pour se diriger sur le marche d’Anvers, s’il y avait avantage à le faire, ou sur un autre marché du continent, dans le cas où Anvers se trouverait avoir un approvisionnement trop considérable, et où un autre marché présenterait une réalisation plus favorable.

Voilà bien une opération directe faite pour compte d’Anvers, par une maison d’Anvers et qui cependant a dû passer par la traite sur Londres, par la relâche à Cowes, chose qui vous arrivera jusqu’au moment où vos exportations seront suffisantes pour couvrir le montant de vos importations. Car, il y a toujours un solde, et ce solde, il faut le régler d’une manière ou d’autre. Or, comme je vous l’ai dit hier, il n’y a qu’un seul moyen, c’est par la traite sur Londres, parce que dans les colonies on ne connaît que le change sur Londres.

Vous voyez donc que M. le ministre de l’intérieur a été complètement induit en erreur, lorsqu’on lui a présenté toutes les cargaisons qui allaient à Cowes prendre des ordres, comme cargaison sous voile disponible, comme de véritables entrepôts flottants.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La plupart.

M. Cogels. - Au contraire, c’est l’exception. On nous a cité la maison Baring. Il n’y a guère que quelques années que toutes ces affaires passent par la maison Baring et j’en ai dit hier la cause. Mais j’ai été pendant douze ans à la tête d’une compagnie d’assurance ; et c’est la qu’on voit toutes les affaires qui se traitent. Eh bien, je puis le déclarer, dans la plupart des polices d’assurance que nous avons signées, soit du Brésil, soit de la Havane, soit d’autres contrées transatlantiques, on s’était réservé la faculté de toucher à Cowes pour ordre, parce que c’est une mesure de prudence, une mesure de sagesse dont vous ne devez pas priver le négociant ; sinon vous lui dites : « je vous ai indiqué ce marché ; vous y viendrez, quand même vous devriez y trouver votre ruine. » Et c’est ce que vous ne devez pas vouloir.

J’ai fait voir hier que j’étais moi-même ennemi de ce qu’on nomme entrepôts flottants, que je voulais écarter ces cargaisons qui arrivaient disponibles, quoique je ne visse pas dans ces cargaisons les mêmes dangers que dans les entrepôts d’Europe. J’ai dit que je voulais donner au gouvernement tous les moyens nécessaires pour écarter de nos marchés ces cargaisons, mais qu’il ne fallait pas s’exposer à interrompre complètement les relations directes que nous avons avec les colonies et pour lesquelles nous étions encore obligés, dans la situation de notre marine, de nous servir des navires étrangers.

Je dirai maintenant deux mots sur la différence entre les entrepôts européens et les entrepôts flottants.

On vous a dit, messieurs, que nous devions nous défier davantage des entrepôts flottants que des entrepôts européens, parce que, dans les entrepôts européens, il y avait déjà des frais considérables qui avaient été faits, et que n’avaient pas encourus les entrepôts flottants. Ceci, messieurs, est un raisonnement qui pèche par sa base, car nous ne devons pas chercher à aller rembourser en Angleterre des frais et des bénéfices qui ont déjà été faits. Moins nous pourrons payer de frais à l’étranger, plus nous pourrons en faire tourner à notre profit, mieux cela vaudra.

Mais une autre circonstance à laquelle on ne fait pas attention, c’est que souvent ces frais n’entrent pour rien dans les calculs du négociant anglais ; car, ainsi que vous l’a fait remarquer M. le ministre de l’intérieur au début de la discussion, les cargaisons que les Anglais reçoivent des pays transatlantiques se composent souvent de différents articles dont quelques-uns sont admis dans la consommation anglaise, et d’autres en sont exclus.

Ainsi, pour ne citer que deux articles, les cuirs et les cotons sont admis dans la consommation anglaise, et il y en a beaucoup d’autres. Les cafés, au contraire, sont presque exclus, parce qu’ils sont protégés par des droits très élevés, qu’on vient cependant de réduire. Les sucres sont aussi presque exclus. Qu’arrive-t-il ? C’est que lorsqu’un navire a une cargaison mixte, c’est-à-dire une cargaison qui se compose d’articles qui peuvent s’introduire dans la consommation anglaise et d’autres qui ne le peuvent pas, il fait entrer la moitié de la cargaison dans la consommation et l’autre moitié reste dans le London Dock, pour l’exportation. Il compte les frais sur la partie qui est entrée dans la consommation et il peut devoir vendre à tout prix ce qui se trouve dans l’entrepôt de Londres parce que de cet entrepôt, il ne peut pas même faire entrer la marchandise dans la rue voisine. Vous comprenez donc, messieurs, que pour nous les entrepôts flottants sont beaucoup moins redoutables que les entrepôts fixes.

De plus, l’entrepôt flottant importe toute sa cargaison, et si jamais on voulait nous importer le London Dock tout entier, je vous déclare que je ne m’y opposerais nullement, car alors nous aurions réellement un grand marché ; mais ce que je ne désire pas, c’est qu’on aille y faire son choix, c’est que nous soyons replacés dans la position où nous nous trouvions après le traité de Munster où nous n’étions pas les commissionnaires des Anglais, mais où les Hollandais et les Anglais étaient nos commissionnaires et où nous ne faisions que consommer après avoir payé le fret et la commission.

A propos de commissionnaires, puisqu’on a appuyé beaucoup sur ce mot et puisqu’on paraît n’attacher aucun prix au commerce de commission, je ferai à cet égard une observation. Comment voulez-vous avoir des consignations sans commission, et comment voulez-vous avoir un marché sans consignations ? Mais toutes ces maisons que l’on nous a citées la maison Baring, les Hope, les Braunsberg, les Willinhs, les Crommelinhs, les plus fortes maisons de l’Angleterre et de la Hollande, toutes ces maisons sont des commissionnaires. Les plus fortes maisons de France sont des maisons de commission, des maisons qui reçoivent de grandes consignations et qui, seules, peuvent les recevoir, parce qu’elles seules ont les reins assez forts pour faire de grandes avances sur ces consignations. Ce sont ces consignations qui, seules, peuvent constituer un marché. Si vous les écartez, vous vous bornerez à un commerce d’épiciers, vous vous bornerez à acheter pour les besoins de votre consommation, rien de plus, et, ainsi que je l’ai dit hier, vous aurez les négociants de la Suisse et de l’Allemagne qui vous passeront par-dessus la tête, parce qu’ils auraient, eux, la faculté dont vous vous privez vous-même. Rien n’empêchera le négociant de Cologne, par exemple, d’aller acheter une cargaison sous voile, de diriger cette cargaison sur Anvers, de d’y faire charger et de la transporter en transit par votre pays, sans qu’il vous en reste absolument rien.

L’honorable M. Donny vous a donné lecture d’une lettre d’un armateur. L’honorable membre n’avait pas fait attention, non plus, à la réserve que j’avais faite en terminant mon discours, car il aurait vu que je voulais m’opposer aussi aux cargaisons sous voiles. Je conçois fort bien qu’un armateur, qui est purement armateur, désire voir écarter, non pas seulement les cargaisons sous voiles, mais toute cargaison sous pavillon étranger, ou bien voir frapper ces cargaisons de droits différentiels exorbitants. Il ne demandera pas le monopole, parce qu’il sait qu’il ne l’obtiendrait pas, mais il demandera un droit différentiel qui constituera une espèce de monopole. S’il peut élever le fret à 5 livres pour le pavillon belge, alors qu’il n’est que de 2 livres pour le pavillon anglais, il ne demandera pas mieux. C’est son affaire, je conçois qu’il ne faut pas ici passer à côté des armateurs, qu’il ne faut pas négliger leurs intérêts ; j’ai eu soin de défendre ces intérêts moi-même, car c’est principalement sur l’intérêt des armateurs que je me suis appuyé lorsque j’ai défendu le principe des droits différentiels.

Mais j’ai dit aussi : « Prenez-y garde, n’accordez pas trop, ne faites pas surtout des concessions qui puissent détruire notre grand commerce et borner toutes les affaires de la Belgique à des importations pour la consommation, à des importations d’objets qui ne puissent être consommés que par des Belges et importés par des Belges, sans que vous vous assuriez, surtout de prime abord, de plus grandes chances d’exportation des produits de votre industrie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si je voulais m’engager dans une discussion contradictoire assez inutile avec l’honorable préopinant, je pourrais m’emparer des explications données hier, pour soutenir que je ne suis pas aussi mal informé qu’il le suppose. En effet, que vous ai-je dit de l’usage introduit de diriger les cargaisons de retour vers l’île de Wight, avec des connaissements portant Cowes et autres marchés ? C’est bien là la désignation la plus indéfinie.

M. Osy. - Cowes and market.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cowes est un marché si vous voulez. Voila ce que porte le connaissement, voilà, messieurs l’usage général. L’honorable membre dit que je suis dans l’erreur, que l’opération qu’il a en vue est celle-ci : Une cargaison est dirigée vers la Belgique ; il faut des traites sur Londres, et le connaissement doit être mis sous les yeux du banquier de Londres, afin qu’il accepte les traites, afin qu’il fasse honneur aux traites. Voilà, messieurs, ce que l’honorable membre affirme. Je veux bien croire que, par exception, un certain nombre d’opérations se font de cette manière, mais l’usage général est celui que j’ai indiqué tout à l’heure, et que l’honorable membre lui-même a reconnu, c’est-à-dire la destination pour Cowes, où l’on se met à la recherche d’un marché quelconque. Je dis que cet usage général est constaté, et dès lors il y a ici autre chose que l’intervention d’une maison de banque de Londres uniquement pour accepter une traite. Mais, quoi qu’il en soit, ne disputons pas longtemps ; je prends l’honorable membre au mot, et je propose d’accorder au gouvernement le droit de faire une exception pour le cas tout spécial que l’honorable membre nous a signalé ; je le prends au mot, et nous allons être de suite d’accord.

Il y a donc deux genres de navires étrangers qui se présentent à Cowes ; les navires étrangers dont la cargaison est étrangère aussi et sans désignation fixe ; quant à ceux-là, il me paraît que nous sommes d’accord pour les exclure d’une manière absolue du système de relâche. Il y a ensuite les navires étrangers dont je n’appellerai pas la cargaison étrangère ; c’est une cargaison belge, expédiée au nom d’une maison belge et en destination de la Belgique, mais ce navire se présente à Cowes, parce que des opérations de banque exigent que la lettre de connaissement soit placée sous les yeux d’un banquier anglais, afin qu’il fasse honneur à la traite.

Eh bien, messieurs, faisons une exception en faveur de ce cas tout spécial, en faveur des navires étrangers dont la cargaison n’est pas étrangère. J’en conviens. Il arrive très souvent que des négociants belges donnent l’ordre, dans une contrée transatlantique, d’expédier des cuirs, par exemple, soit par un navire belge, si un navire belge se présente, soit par un navire étranger ; eh bien, dans ce cas, la cargaison de ce navire est réellement belge.

Cependant, je ne voudrais pas que l’exception résultât de plein droit du texte de la loi ; je voudrais laisser ceci à décider au gouvernement.

Voici donc, messieurs, la transaction que j’offre à l’honorable préopinant.

Nous maintiendrions la disposition générale du § 2, qui forme le 1er alinéa et qui est ainsi conçu :

« Les navires belges venant des pays transatlantiques ou de lieux situés au-delà du détroit de Gibraltar pourront, sans perdre le bénéfice de l’importation directe, et en se conformant aux conditions prescrites par le gouvernement, toucher dans un port intermédiaire pour y prendre des ordres, pourvu qu’ils n’y fassent aucune opération de commerce, de chargement ou de déchargement. »

Voila un principe général exprimé de la manière la plus absolue, J’efface le reste du paragraphe, et voici deux nouveaux alinéa que je propose :

« Les navires étrangers venant des mêmes endroits, et qui seront munis d’un connaissement et de papiers de port dûment visés par les consuls belges au nom de maisons belges, et en destination de ports belges, pourront être admis au même bénéfice (c’est-à-dire la faculté de relâcher dans les ports intermédiaires.)

La partie du paragraphe dont je propose la suppression, était ainsi conçue :

« Néanmoins, si l’intérêt du pays le réclame, le gouvernement pourra modifier ou restreindre cette faculté selon qu’il le jugera utile. »

Cette disposition doit être maintenant rédigée d’une autre manière. Il faut qu’il soit bien entendu que l’interdiction de vendre, de charger ou de décharger, ne pourra jamais être modifiée qu’en faveur de navires belges proprement dits, Je propose donc de dire :

« En ce qui concerne les navires belges, le gouvernement pourra modifier l’interdiction de vendre, de charger, ou de décharger. »

Il faut encore ici laisser une grande latitude au gouvernement ; il y a des cas où il doit être permis aux navires belges de ventre leur cargaison et même de la remplacer partiellement par des marchandises prises dans le port intermédiaire. Tout ce qui peut être favorable aux navires belges doit être accueilli. On ne peut pas accorder trop de latitude aux navires belges. Le surplus de la cargaison, après la vente partielle, ce surplus doit conserver le bénéfice de l’importation directe. Je dis : le surplus de la cargaison, parce que je n’accorde pas ce bénéfice à la cargaison partielle qui pourrait être prise dans le port intermédiaire d’Europe, en remplacement de la partie de la cargaison vendue.

Ainsi, messieurs, que je sois dans l’erreur ou que je ne sois pas dans l’erreur sur l’usage général qui peut exister, cela est indifférent. Nous avons en vue le cas spécial, indiqué par l’honorable préopinant, et pour ce cas spécial nous proposons une exception. Toutefois, l’exception n’est pas faite de plein droit, le gouvernement verra jusqu’à quel point l’exception doit être faite et de quelles précautions il faut l’entourer.

M. Osy. - Messieurs, hier les honorables MM. Dumortier et de Haerne, ont demandé qu’on n’admît pas les navires qui seraient rendus sous voiles en Angleterre. Tout le monde était d’accord pour exclure les cargaisons vendues sous voiles, de l’avantage attaché aux importations des lieux de production. Il était donc inutile de porter la discussion sur ce point. Nous demandons seulement que les navires qui auraient relâché à Cowes, sans y avoir fait une opération de commerce, pussent être admis. En effet, il est impossible que les affaires se fassent, sans avoir passé par une maison de banque de Londres. Les maisons les plus considérables d’Anvers sont obligées de prendre cette précaution, parce qu’il n’est pas certain que la maison des colonies vous expédie effectivement les marchandises, si les traites ne sont pas accompagnées du connaissement. Il est donc impossible que les affaires se fassent autrement.

J’aurais désiré que les navires qui n’auraient été en Angleterre, que dans le but que j’ai indiqué, pussent venir directement à Anvers. J’avoue que la nouvelle proposition de M. le ministre de l’intérieur est une petite amélioration. Mais il en résultera encore une grande gêne, et certainement un bon nombre de consignations nous échapperont.

Je demanderai qu’une disposition soit ajoutée à l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Les navires qui sont partis pour la Havane, pour le Brésil, pour Syngapore et pour Batavia ne pourraient pas connaître, en temps utile, les mesures que nous allons prendre. Il faudrait donc stipuler un délai de six mois pour les navires venant d’Amérique, et d’un an pour les navires venant des Indes ; ces navires pourraient encore toucher à Cowes pendant le délai qui leur serait respectivement accordé.

M. Desmet. - Le ministre de l’intérieur, par l’amendement qu’il vient de présenter, modifie considérablement le système qu’il a établi dans la disposition du paragraphe deux ; le système sera à présent plus rationnel et plus conforme avec le principe des arrivages directs, qui est le but principal de la loi que nous discutons ; l’amendement entre complètement dans les vues de celui qui a été présenté hier par l’honorable M. de Haerne ; la seule différence qu’il y a encore est celle que M. de Haerne abandonne au gouvernement la faculté de mettre à exécution la mesure. Je pense qu’à ce sujet le système de l’honorable abbé de Haerne est à préférer, parce qu’il est possible que la disposition qui concerne les relâches pourrait présenter des inconvénients dans l’exécution, et pourrait quelquefois contrarier ou entraver les arrivages des matières premières dont les industries du pays auraient absolument besoin ; c’est pour la même raison qu’en France il y a des exceptions, et que, par exemple, les navires chargés de coton brut peuvent aborder aux ports d’Angleterre.

Si le ministre a amendé si utilement la disposition du paragraphe 2, il y laisse cependant encore quelque chose d’incorrect, et qui demande une correction. C’est la disposition qui porte que les navires belges pourront toucher dans un port intermédiaire pour y prendre des ordres, pourvu qu’ils n’y fassent aucune opération de commerce, de chargement ou de déchargement.

Si j’ai bien compris hier le ministre, dans le développement qu’il a donné du paragraphe, il avantage particulièrement le pavillon national, et lui donne la faculté de faire relâche, par la raison que le navire belge en destination pour la Belgique peut très utilement décharger en chemin quelques parties de la cargaison qu’il transporte ; mais si c’est pour le motif de débarquer des marchandises dans un des ports où il passe, il doit alors absolument avoir la faculté de pouvoir décharger. Cependant la disposition, telle qu’elle est rédigée, défend autant le chargement que le déchargement ; il est donc indispensable de corriger en ce sens le paragraphe,

J’adopterai, avec cette correction, la disposition présentée par le ministre ; je l’adopterai, parce que nous devons absolument ouvrir le chemin pour nous créer un commerce direct : c’est le seul moyen d’exporter nos produits manufacturiers, de créer de nouveaux débouchés, de nous procurer un transit avantageux et, surtout, de nous procurer de première main les diverses espèces de matières premières dont nos industries peuvent avoir besoin.

Mais je crains que nos droits différentiels soient trop peu élevés pour obtenir quelque bon résultat ; il faut qu’ils soient tellement forts, tant pour les importations que pour les exportations, qu’ils procurent des bénéfices qui puissent compenser les avantages que les armateurs trouvent sur des autres marchés. Il faut que les droits différentiels puissent donner des moyens de concourir avec le bas fret, avec la faculté du placement, et la hauteur des prix des autres marchés, et surtout dans le bénéfice de faire des exportations des produits belges. C’est pour ces divers motifs que le marché anglais a cette grande préférence, que le port de Cowes est la bourse générale du commerce, c’est par ces avantages particuliers et par l’extension qu’a le commerce anglais, que cette nation si manufacturière trouve à placer ses immenses produits. Nous autres mêmes nous recevons des fabricants anglais de deux manières différentes : d’abord, par les envois directs en payant nos droits d’entrée, et ensuite l’Angleterre nous fait arriver les tissus de Manchester et les productions manufacturées de Birmingham et de ses nombreuses fabriques sous la forme d’une fève de café ou sous celle de la canne de sucre, ou d’un ballot de coton brut.

Je voterai le paragraphe tel qu’il est amendé, quoique j’eusse préféré l’amendement ou le système présenté par l’honorable M. de Haerne, mais en déclarant encore que je crains fortement que la mesure de nos droits différentiels n’aura pas un résultat aussi complet que veut bien le prétendre le ministre de l’intérieur ; la protection est trop minime pour améliorer de beaucoup notre commerce direct ; et pour ce qui concerne les relâches dont nous favorisons tout particulièrement le pavillon national, je crains aussi que nos navires n’en rendront pas compte, les droits différentiels procurant des avantages trop peu suffisants pour compenser les bénéfices qu’ils pourraient faire en débarquant dans d’autres pays ; ils chercheront, comme les navires étrangers, le marché où les prix de la denrée coloniale seront le plus élevé, et ils chargeront des produits là où ils trouveront ceux le plus facile à placer, et avec lesquels ils auront le plus de bénéfice à faire.

M. Coghen. - Messieurs, le second paragraphe de l’article quant aux navires belges, stipule tout ce qu’on peut désirer dans l’intérêt du pavillon national, mais les grandes relations que nous avons avec les pays éloignés exigent davantage pour les navires étrangers. L’amendement de l’honorable ministre de l’intérieur vient combler la lacune que présente le projet de loi. Vouloir défendre la relâche, soit dans l’île de Wight, soit à Falmouth, soit à Plymouth, c’est impossible ; il y aura toujours des cas fortuits, des cas de force majeure qui viendront régulariser la relâche, indispensable pour les voyages de long cours. Je crois, d’ailleurs, qu’il serait même imprudent de l’interdire, car il y a des considérations d’un ordre très élevé, qui font un devoir au commerce de s’informer de l’état politique de l’Europe, ainsi que de la situation du crédit des maisons auxquelles sont adressées les cargaisons.

Messieurs, le commerce général d’entrepôt, le transit n’est pas même engagé dans la question. La consommation du pays est seule en jeu. Toutefois, l’amendement de M. le ministre de l’intérieur devrait subir une légère modification. J’approuve l’amendement, quant au principe, mais nous devons veiller à ne pas l’étendre de manière à rendre les affaires impossibles. Quand on nous envoie des cargaisons de marchandises, soit des Indes, soit de la mer du Sud, ordinairement les connaissements se font avec destination d’un port et à ordre, de manière que si nous adoptions la rédaction telle qu’elle est proposée, de n’admettre en droit de relâche que les navires en désignation de destination, il y aurait danger, parce qu’on est obligé de faire des remboursements sur l’Angleterre, parce que nos exportations vers les pays transatlantiques sont trop impuissantes pour payer les importations ; or donc, les remboursements sur l’Angleterre sont forcés, ont pour conséquence, que presque tous les connaissements sont à ordre. Dès lors l’amendement, s’il était admis, donnerait de grandes difficultés. Je crois que, pour obvier à ces inconvénients, il conviendrait de supprimer dans la disposition les mots : Au nom de maisons belges, et de conserver ceux-ci : En destination de ports belges.

Je dois le répéter, presque toutes les expéditions se font avec des connaissements à ordre. Je vais prouver qu’il est impossible qu’il en soit autrement :

Un honorable député d’Anvers a dit que les maisons de Belgique et d’autres pays sont obligées de faire confirmer par une maison de Londres les ordres qu’elles donnent et les crédits qu’elles ouvrent en Angleterre. Il y a, toutefois, à cela, de nombreuses exceptions. Il est des maisons qui jouissent d’une réputation européenne, lesquelles se bornent à envoyer des ordres à l’étranger avec assignation des remboursements sur les différentes places de change. Mais une grande partie des opérations se font, comme on l’a dit, avec ordre de remboursements sur Londres contre le renvoi du connaissement ; alors ces connaissements doivent nécessairement se faire à ordre. Car, s’ils se faisaient au nom de la personne qui a passé l’ordre, l’expéditeur et celui qui a confirmé le crédit se trouveraient dessaisis de leur marchandise, de leur garantie, se trouveraient à la merci de celui qui a passé l’ordre. Il faut que dans ce genre de transactions, les connaissements soient à ordre ; alors les maisons d’Angleterre qui acceptent, endossent à celui pour compte de qui est la cargaison,

Je demanderai, en conséquence, la suppression des mots : « Au nom de maisons belges. » Si l’on n’admettait pas cette suppression, on rendrait impossibles les opérations, telles qu’elles se font aujourd’hui. Et qu’on ne s’effraye pas des conséquences de cette suppression, c’est moi-même qui ai demandé la garantie que donne l’amendement de M. le ministre : je l’ai demandée pour prévenir la possibilité d’avoir une trop grande concurrence de la part des entrepôts flottants de Cowes ; mais cette stipulation doit être faite de manière qu’elle puisse avoir un résultat.

Quand les papiers du bord et le connaissement établissent que le navire est en destination pour la Belgique, et que le consul belge du lieu d’expédition ou, en son absence, le consul d’une nation amie a visé les documents, c’est tout ce qu’on peut raisonnablement demander. J’attendrai les observations que présenteront l’honorable M. Donny et M. le ministre de l’intérieur pour y répondre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si vous effacez les expressions : « au nom de maisons belges,» je demanderai comment les opérations conserveront le caractère belge. Ce caractère disparaît complètement. Si vous préférez que ce soit à l’ordre de maisons belges, j’y consens, Sous cette mention, le connaissement serait fait sur Anvers, sans que qui que ce soit en sache quelque chose à Anvers ; c’est à Cowes qu’on s’informera si on peut se diriger sur Anvers. Vous avez dit ; C’est pour notre compte que ces cargaisons transatlantiques nous sont envoyées : nous avons besoin de l’intermédiaire de Londres pour les opérations de banque. Donc la cargaison, le connaissement est à votre ordre. Trouvez-vous que ces expressions au nom d’une maison belge soient trop rigoureux, qu’on y substitue les mots à l’ordre de maisons belges. Pour conserver à l’opération le caractère belge, il faut exiger que le connaissement soit pour compte, au nom ou à l’ordre d’une maison belge.

M. Donny. - J’ai vu avec regret que M. le ministre de l'intérieur a cru devoir faire un pas vers l’amendement de l’honorable M. Osy que j’ai repoussé de toutes mes forces. M. le ministre, pour justifier cette démarque en quelque sorte rétrograde, a eu en vue une exception. Il a dit : La règle générale doit rester telle que je l’ai proposée dans la loi, mais il peut être fait une exception pour le cas où il s’agit d’une opération belge faite par des Belges pour compte de Belgique ; il ne faut pas que la règle générale posée dans l’intérêt de la Belgique puisse tourner contre l’intérêt de l’industrie belge. Présentée de cette manière, l’exception proposée peut se justifier.

Cependant je ne m’y serais pas rallié. Je sais combien il est facile de faire des simulations dans le détail desquelles je ne crois pas devoir entrer. J’aurais voté contre cette exception, tout en pensant qu’elle peut se justifier jusqu’à un certain point par l’intérêt des négociants belges.

Mais l’honorable M. Coghen ne se contente pas de cela, il faut un autre pas qui franchit toute la distance entre l’amendement du ministre et celui de M. Osy. Ce n’est plus une exception, ce serait une règle générale qu’on établirait. Il dit que le capitaine signera un connaissement indiquant la destination d’Anvers. Mais il n’y aura pas un seul navire venant des contrées transatlantiques où les dispositions de votre loi seront connues qui se munisse de pareils connaissements. On fera les opérations à Cowes, comme si vous n’aviez pas fait de loi. L’amendement de l’honorable M. Coghen, comme celui de l’honorable M. Osy, bouleversera toute l’économie de votre loi qui présentera des inconvénients sous quelques rapports et n’atteindra pas le but que vous voulez atteindre.

Je voterai contre l’amendement.

M. Osy. - Je dois appuyer ce qui vient de dire l’honorable M. Coghen. Si le connaissement était à l’ordre d’une maison belge, les maisons anglaises ne voudraient pas accepter les traites. Les maisons anglaises ne donnent crédit aux colonies, ne consentent à accepter les traites que moyennant la garantie du connaissement ; si le connaissement était fait à l’ordre d’une maison belge personne n’accepterait les traites, parce qu’on n’aurait aucune garantie. Il suffit que le connaissement porte en destination pour Anvers et pour aucun autre port, que le navire soit affrété pour Anvers et que les documents soient revêtus du visa du consul belge ou du consul d’une nation amie, pour donner à l’opération un caractère belge. Si nous voulons exiger que le connaissement porte le nom d’une maison belge, il sera impossible de faire aucune opération.

Je préférerais la première disposition.

L’honorable M. Donny doit avoir tout apaisement si le navire est affrété pour Anvers, car les papiers du bord le constateront. La proposition de l’honorable M. Coghen doit être adoptée, car avec l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, toute opération serait impossible, aucune maison de Londres ne voudrait confirmer et encore moins accepter les traites. Je le répète, on a des garanties suffisantes contre les entrepôts flottants si le connaissement et papiers de bord portent que le navire a été affrété pour Anvers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois m’opposer au retranchement des mots : au nom de maisons belges, je peux invoquer à l’appui de ma proposition les explications de MM. Cogels et Osy. Ils ont déclaré que les maisons belges étaient propriétaires primitifs et réels des cargaisons, Pourquoi veut-on maintenant effacer les mots au nom de maisons belges ? Tout à l’heure on acceptait l’amendement. En biffant ces mots vous rentrez complètement dans le système des entrepôts flottants que vous voulez repousser.

Je trouve qu’on humilie trop les maisons d’Anvers. Je leur suppose un peu plus de crédit, que les honorables membres.

Si vous supprimez ces mots au nom d’une maison belge, comme vient de le dire M. Donny, ce n’est plus une exception, c’est un système général que vous consacrez ; à l’insu des maisons d’Anvers, on dirigera sur Cowes des navires en destination pour les ports de la Belgique, il n’y aura rien de sérieux dans cette énonciation. Pour qu’elle soit sérieuse, il faut que les maisons belges interviennent, que des ordres aient été donnés, qu’il y ait eu concert avec les maisons belges. Je ne vois pas d’inconvénient à cette mention dans le connaissement. Déjà on a reconnu que les grandes maisons belges étaient en état d’inspirer assez de crédit pour qu’on traite avec elle, sans intermédiaire. Je maintiens donc la rédaction que j’ai proposée et j’invoque l’adhésion qu’on lui a donnée tout à l’heure et les explications données hier et aujourd’hui par les honorables députés d’Anvers. On a persisté à dire que les maisons belges intervenaient, que mes renseignements n’étaient pas exacts ; j’avais affirmé que les maisons belges étaient étrangères à ce qui se passait dans les opérations transatlantiques ; puisque j’étais dans l’erreur, puisque les maisons belges ne sont pas étrangères à ces opérations, vous devez admettre la mention des maisons belges dans le connaissement.

M. Cogels. - Je n’ai pas dis que j’acceptais l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. J’ai dis très bien quand il a voulu interdire aux navires étrangers la faculté de rompre charge ; quant aux autres dispositions de son amendement, je trouvais que c’était mieux que ce qu’il avait proposé d’abord, mais c’était loin de me satisfaire pleinement. J’ai dit que les maisons belges avaient des relations avec les contrées transatlantiques, qu’elles étaient connues, qu’elles traitaient des affaires, mais je n’ai pas dit que c’était en leur nom qu’on faisait les connaissements. Il y a plus, c’est que le navire envoyé du Brésil avec un subrécargue aura un connaissement à ordre ; il pourra arriver à Anvers sans toucher Cowes, ou après y avoir touché pour relâche, comment saurez-vous si c’est par force majeure ou pour y prendre des ordres ?

Cependant vous ne pouvez pas repousser cette cargaison, si vous ne voulez pas mettre obstacle aux relations directes avec le Brésil.

Il en est de même pour les Etats-Unis. Le navire américain qui arrivera sous le bénéfice de la réciprocité, ayant un connaissement à ordre et un subrécargue à bord, ce subrécargue s’adressera à la maison qui lui présentera le plus de garanties. C’est un usage dont la sécurité du commerce dépend, que vous ne pouvez pas changer, comme on vous l’a expliqué. Mais si vous ouvrez un crédit, et ceci s’adresse aux maisons de premier ordre comme aux autres, si ce crédit dépasse certaines limites, si vous voulez que la maison de Londres accepte, il faut lui donner le connaissement qui constituera pour elle une propriété si le connaissement est à ordre. Mais si le connaissement est au nom d’une maison belge, ce n’est plus pour elle un titre quelconque, c’est comme une lettre de change sans endossement, vous auriez un morceau de papier et pas de propriété.

Si vous voulez que dans le connaissement se trouve le nom d’une maison belge, que ce connaissement ne soit pas à ordre, vous éloignez les consignations comme si vous adoptiez la disposition de la loi dans sa première rédaction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pense, encore une fois, que nous arrivons à une discussion de mots. Tout connaissement est endossable. Il sera au nom d’une maison d’Anvers ou à ordre ; je ne veux pas que le nom de la maison belge soit effacé, sinon la maison belge est complètement en dehors de l’opération transatlantique, si je puis parler ainsi.

M. Coghen. - Je croyais m’être bien expliqué. Je croyais avoir indiqué de quelle manière se font les opérations avec l’étranger.

Je ne dirai pas que, pour toutes les maisons, il y ait nécessité de faire confirmer par des banquiers de premier rang de Londres, ses crédits ouverts pour les cargaisons qu’on demande aux Indes, à l’Amérique du Sud, etc. Il y a sans doute des maisons de réputation européenne, qui n’ont pas recours à ce moyen. Mais il y en a aussi qui sont aussi solides, offrant autant de garanties, et qui n’ayant pas une réputation aussi étendue, sont obligés de faire confirmer leur crédit par l’Angleterre. Alors les maisons anglaises exigent que les traites soient accompagnées de l’ordre d’assurance des connaissements à ordre. Si maintenant vous exigez que ces connaissements se fassent directement au nom des maisons belges, l’expéditeur comme celui qui a confirmé le crédit, n’auront pas les titres dont elles ne se dessaisissent ordinairement qu’après avoir fait apaisement.

Ainsi, lorsqu’on donne un ordre à Syngapore ou ailleurs, la maison de Londres qui confirme le crédit ouvert chez elle ne se borne pas à demander le connaissement et l’ordre d’assurance, elle veut savoir, parfois même, dans quelles limites est combinée l’opération. Si un an, deux ans s’écoulent avant l’exécution de la spéculation, peut-elle savoir aussi longtemps d’avance la position de la personne pour qui elle aura confirmé un crédit ? Evidemment non. Elle est donc obligée d’avoir un document qui lui donne des garanties. Ce document, c’est un consement à ordre.

L’honorable M. Donny dit que l’on peut dissimuler ; mais toutes les dispositions de la loi peuvent être éludées. Qu’une maison anglaise établisse à Anvers un agent, au nom de qui seront faits tous les connaissements, ce sera une maison belge ; et vous n’atteindrez pas le but que vous vouliez atteindre ; ce sera un agent, un prête-nom.

Je préfère de beaucoup des dispositions en harmonie avec les opérations commerciales, et que, par suite, on pourra franchement et loyalement exécuter, à des dispositions que l’on sera obligé d’éluder.

Si l’on veut éviter la disposition de la loi, on l’évitera. Vous ne saurez empêcher les relâches, les protêts de mer, les cas fortuits et de force majeure. Quelles que soient les précautions que vous mettiez dans votre loi, vous ne pourrez éviter cela ; car jamais vous ne pourrez mettre dans une loi belge que vous n’admettrez pas les cas de force majeure. Si l’on veut relâcher dans un port de mer, on le fera pour manque d’eau, pour soins à faire donner à un malade, etc., et pour beaucoup d’autres prétextes que je pourrais énumérer.

J’ai depuis longtemps l’expérience des affaires maritimes, je les ai vues de près. Je sais comment les choses se passent ; ce que je dis ici est le résultat de l’expérience.

M. Rogier. - Après le discours de l’honorable préopinant, qui, ainsi qu’il vient de le rappeler, est un armateur belge, j’aurai peu de chose à dire.

Cette discussion présente une singularité : la loi, dont nous nous occupons a pour but, a-t-on dit, de favoriser les ports de mer et en particulier le port d’Anvers. Il se trouve que, depuis le commencement de la discussion, les députés qui représentent ces arrondissements ont eu à combattre plusieurs dispositions de la loi ; tandis que les députés considérés comme contraires aux intérêts d’Anvers, veulent imposer à ce port de prétendus avantages qu’il ne réclame pas.

Ici heureusement un armateur de Bruxelles, qui, dans d’autres circonstances, n’était pas d’accord avec les députes d’Anvers, vient soutenir l’opinion anversoise. C’est un homme d’une longue expérience ; il vous l’a dit. Cependant ses observations ne paraissent pas trouver faveur. Celles de l’honorable abbé de Haerne paraissent inspirer plus de confiance à la majorité et au gouvernement même.

On raisonne toujours pour tout ce qui concerne la relâche à Cowes, comme si le navire étranger qui aurait fait cette relâche obtiendrait par là même le droit d’entrer dans un port belge, sans supporter aucun droit différentiel ; il n’en est pas ainsi. Le navire étranger qui aura touché à Cowes et qui arrivera à Anvers, ou à Ostende, sera toujours frappé de la surtaxe différentielle, que vous lui avez imposée. Vous avez établi entre le pavillon belge et le pavillon étranger, pour le café, par exemple, une surtaxe de 2 fr. 50 c. Que le navire étranger s’arrête un jour, deux jours à Cowes, ou qu’il ne s’y arrête pas, il sera toujours frappé de la surtaxe de 25 fr. par tonneau.

M. le ministre de l’intérieur nous a dit hier qu’il fallait empêcher les navires anglais qui ont exporté des marchandises anglaises dans les contrées transatlantiques de rapporter, en concurrence avec les nôtres, des produits de ces pays en Belgique. On a pourvu à cet inconvénient, en admettant une surtaxe de 2 fr. 50 c. Cette surtaxe n’est-elle pas jugée suffisante ? Augmentez-la encore ; mais il ne faut pas, en s’opposant aux relâches, contrarier toutes les habitudes du commerce.

On veut, dit-on, atteindre les navires anglais ; mais l’article comprend tous les navires étrangers. Toutes les importations qui nous sont faites ne le sont pas par navire anglais ; il nous en est fait aussi par les navires des Etats-Unis et des puissances du Nord. Les puissances du Nord nous importent près du tiers des produits transatlantiques que nous recevons. Ces puissances sont-elles exclues de la faculté de la relâche à Cowes ? Lorsque leurs navires s’arrêteront à Cowes, perdront-ils le bénéfice du droit différentiel dont la loi favorise les arrivages directs ? Dans le système du projet, on peut comprendre jusqu’à un certain point la mesure contre les navires anglais ; mais elle ne me paraît pas devoir frapper les autres pavillons qui n’ont pas exporté en Amérique des produits manufacturés faisant concurrence aux nôtres.

Je demande si, pour cette dernière catégorie de navires, il y aura interdiction de relâche. Je demande si l’assimilation des navires étrangers aux navires belges comprend la faveur accordée aux navires belges pour la relâche à Cowes.

C’est un point très important. Le moyen d’attirer le commerce dans nos ports, ce n’est pas de multiplier les obstacles. Si, pour avoir fait une opération reconnue indispensable, un navire est frappé d’un droit répulsif a l’entrée dans nos ports, il cherchera d’autres ports. Nous nous serons ainsi frappés nous-mêmes.

Il est évident que le statu quo serait préférable à ces entraves que l’on veut apporter aux opérations commerciales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette que l’honorable préopinant soit rentré dans la discussion générale qu’a soulevée ce paragraphe.

M. Rogier. - Comment cela ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Au reste, l’honorable membre était dans son droit.

M. Rogier. - Je n’ai fait que répondre aux observations présentées hier par M. le ministre. Je n’ai aucun intérêt à prolonger cette discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne ferai jamais un reproche à l’honorable préopinant de ce qu’il prend la parole dans cette discussion. Si j’avais, je ne dirai pas un reproche à faire (je n’en ai pas le droit), mais un regret à exprimer, ce serait peut-être du silence de l’honorable préopinant. Ce serait un regret bien sincère que j’exprimerais.

Nous sommes resté, dans cette discussion, conséquent avec nous-même, en ce sens que toute relâche volontaire serait interdite aux navires étrangers.

Nous semblions d’accord tout à l’heure qu’il fallait, en règle générale, n’accorder la faculté de relâche qu’aux navires belges ; qu’en second lieu, il fallait aussi l’accorder, mais, avec certaines restrictions, aux navires étrangers dont cependant la cargaison est belge. C’est l’expression dont je me suis servi.

Ne croyez pas, messieurs, que ce système de relâche volontaire dans l’île de Wight effraye seulement le véritable commerce belge. Je suis convaincu qu’en Allemagne on prendra, et peut-être dans un bref délai, des mesures contre ce système de relâche. Nous aurons pris l’initiative, mais je crois que l’acte que nous aurons posé aura des imitateurs.

L’honorable préopinant m’a toutefois adressé une question qui aura un côté très utile dans l’avenir pour nos négociations. Vous accordez aux navires belges la faculté de relâcher. L’accorderez-vous aussi au pavillon étranger assimilé ? Je réponds que c’est selon. Je regarde la faculté de relâcher, accordée aux navires belges, comme un droit extraordinaire ; néanmoins je ne dis pas qu’il ne faille pas, dans certains cas, l’accorder au pavillon étranger assimilé ; mais ce sera une faveur nouvelle et une très grande faveur. Par exemple, si un traité de commerce était possible avec l’Angleterre, la concession de la relâche à Cowes serait une concession extrêmement importante.

Accorderons-nous cette faculté au pavillon américain assimilé au nôtre ? C’est une question que l’on examinera ; mais je dis que cette concession très importante ne résulte pas de plein droit de l’assimilation.

Je suis étonné, messieurs, de l’opposition que rencontre maintenant la proposition que j’ai faite. Cette proposition avait d’abord reçu un accueil extrêmement favorable, qui m’avait singulièrement et flatté et encouragé. Il se trouve qu’on ne veut plus de cette proposition, ou plutôt on veut la rédiger de manière à ce que ce ne soit plus une exception, mais que ce soit le système général de relâche que nous voulons repousser.

On dit qu’il est impossible que les connaissements soient faits au nom de maisons belges. On avait d’abord regardé la chose comme très facile ; on croyait même qu’il serait extrêmement facile d’avoir plusieurs connaissements. Il paraît que, depuis, l’on a reconnu que ce serait très difficile. On veut donc un seul connaissement, mais un connaissement à l’ordre d’une maison de banque de Londres. Je demande de nouveau que devient le caractère belge de l’opération, où est le cachet belge qu’elle doit porter ? Il disparaît complètement.

On continue à rabaisser le crédit des maisons belges.

M. Osy. - Je me suis cité moi-même.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous vous êtes cité vous-même. Il y a là une grande modestie de votre part ; on vous l’a déjà dit, vous ne pouviez pas citer d’exemple moins acceptable par nous. (On rit.)

Je crois, au contraire, que les maisons belges, en général, les grandes et même les petites, inspirent beaucoup de confiance à l’étranger. Vous nous représentez les maisons de Londres comme toujours dans la crainte des faillites en Belgique. Mais il n’y a pas de pays où il n’y ait moins de faillites qu’en Belgique.

Les maisons de Londres, et notamment la maison Baring, ont pris des précautions extraordinaires à l’égard des maisons des Etats-Unis, et elles ont eu parfaitement raison ; mais je crois qu’on n’emploiera pas ces précautions extraordinaires envers les maisons belges.

Je sois forcé de maintenir la rédaction telle que je vous l’ai proposée. Adopter le retranchement des mots au nom de maisons belges, c’est rentrer dans le système général que vous avez voulu repousser.

M. Coghen. - Messieurs, la rédaction primitive du gouvernement offrait des inconvénients, elle offrait la possibilité de relâches simulées. L’honorable M. Osy a proposé d’assimiler pour les relâches les navires étrangers aux navires belges. J’ai dû lui déclarer que c’était aller trop loin, que c’était l’exposer aux dangers des entrepôts flottants. Est venue ensuite la rédaction de l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, mais avec un seul mot de trop, qui consacre une véritable impossibilité.

Messieurs, il faut consulter la pratique ; il faut voir comment les choses se font réellement. Tout ce que nous pouvons écrire dans la loi, tout ce que nous pouvons dire du crédit belge, de la solidité des maisons belges, ne changeront rien à ce qui se fait. Les maisons anglaises ont une prudence telle qu’elles ne dévieront pas d’un point de leurs prescriptions, et elles ont raison, de sorte qu’il serait impossible que ce connaissement soit toujours nominatif, même quand ce serait pour compte belge. Mais la généralité des connaissements sera toujours à ordre, et la maison de Londres ne les endossera que lorsqu’elle aura tout apaisement à l’égard de la solidité de la maison pour qui elle accepte.

Messieurs, je crains, et le fait prouvera que c’est avec raison ; c’est que si l’amendement de M. le ministre de l’intérieur est adopté tel qu’il est proposé, on sera obligé d’y revenir, ou les maisons étrangères, pour obvier à la loi, seront obligées d’établir des agents à Anvers, au nom desquels on fera tous les connaissements. Cela me paraît inévitable.

J’avoue que j’aimerais mieux qu’il n’y eût pas d’amendements et qu’on laissât le § 2 tel qu’il est proposé. Ce serait aux capitaines étrangers à savoir ce qu’ils auraient à faire. Et soyez certains, messieurs, que, malgré l’établissement d’un consul à Cowes ou sur d’autres points de l’Angleterre, malgré toutes les précautions que prendra le gouvernement, on n’aura pas les garanties que je désirerais avoir dans l’intérêt du commerce directe et national, en exigeant que les papiers de bord, le manifeste, la charte-partie ou le connaissement soient en destination de Belgique. Je trouve là une immense garantie. Sans cette précaution, on éludera votre loi par des relâches qu’on dira toujours forcées et que le gouvernement sera obligé de reconnaître comme telles.

M. Osy. - L’honorable ministre de l’intérieur veut que le connaissement soit fait au nom d’une maison belge, et que cette maison belge l’endosse. Mais si ce connaissement arrive à une maison de mauvaise foi, elle ne l’enverra pas endossé à une maison de Londres, et la maison de Londres n’acceptera pas la traite ; il faut donc permettre que la maison de Rio ou de la Havane envoie un connaissement à Londres, mais exiger qu’il soit stipulé que le navire est affrété pour Anvers. De cette manière vous aurez toute garantie que le navire viendra à Anvers.

Je crois qu’il est impossible d’accepter l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, sans le retranchement que l’honorable M. Coghen demande.

- La discussion est close.

M. le président. - L’honorable M. Osy a proposé de rédiger ainsi la première phrase du paragraphe en discussion :

« Les navires belges et étrangers venant des pays transatlantiques, etc. «

M. Osy. - Je retire mon amendement.

M. le président. - M. Dumortier a proposé de rédiger ainsi la première partie du paragraphe 2 :

« Les navires belges venant des pays transatlantiques ou de lieux situés au-delà du détroit de Gibraltar, pourront, sans perdre le bénéfice de l’importation directe, et en se conformant aux conditions prescrites par le gouvernement, toucher un port intermédiaire pour y prendre des ordres ou y décharger une partie de leur cargaisons, pourvu qu’ils n’y fassent aucune opération de chargement.

L’amendement consiste dans l’addition des mots ou y décharger une partie de leur cargaison.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Dumortier a réuni les deux paragraphes ; il voulait qu’il fût bien entendu qu’on ne peut accorder la faculté de faire des opérations de commerce qu’aux navires belges. J’ai rédigé le § dernier dans ce sens. Je suis persuadé que si l’honorable M. Dumortier était présent, il retirerait sa rédaction.

M. le président. - Je dois la mettre aux voix, sauf à la chambre à la rejeter.

- L’amendement de M. Dumortier est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. le président. - La première partie du § 2, telle que la propose le gouvernement, est ainsi conçue :

« § 2. Les navires belges venant des pays transatlantiques ou de lieux situés au-delà du détroit de Gibraltar, pourront, sans perdre le bénéfice de l’importation directe, et en se conformant aux conditions prescrites par le gouvernement, toucher dans un port intermédiaire pour y prendre des ordres, pour vu qu’ils n’y fassent aucune opération de commerce, de chargement ou de déchargement. »

- Cette rédaction est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - M. le ministre de l’intérieur a proposé une nouvelle rédaction de la seconde partie du § 2. L’honorable M. Coghen propose de supprimer de cette rédaction les mots : au nom de maisons belges.

- L’amendement de M. Coghen est mis aux voix et rejeté.

La seconde partie du § 2 est adoptée dans les termes proposés par M. le ministre de l’intérieur, ainsi que l’ensemble du paragraphe.

M. le président. - Nous avons maintenant un nouvel alinéa proposé par M. de Haerne, et qui est ainsi conçu :

« Le gouvernement pourra majorer, jusqu’à concurrence du droit qui frappe les arrivages des entrepôts d’Europe, la taxe à payer par les navires, autres que belges, et qui seront étrangers aux pays dont ils amènent les produits, soit que ces navires aient fait escale, soit qu’ils arrivent directement en Belgique. »

- Cette disposition est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.


« § 3. Les produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique arrivant directement en Belgique, sous pavillon du pays dont ils sont originaires et d’où ils sont importés, pourront être admis sur le même pied que sous pavillon belge, lorsque celui-ci ne sera pas soumis dans ce pays à d’autres ni à de plus fort droits que le pavillon national.

« Le gouvernement est autorisé à prendre, par arrêté royal, les mesures nécessaires à cet effet. »

M. Rogier. - Messieurs, je ne reviendrai pas sur les observations que j’ai présentées antérieurement en ce qui concerne l’assimilation d’entrepôts que j’aurais voulu voir établir entre la Belgique et les Etats-Unis. Le § 3 porte : « Les produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique arrivant directement en Belgique, sous pavillon du pays dont ils sont originaires et d’où ils sont importés, pourront être admis sur le même pied que sous pavillon belge. » Mais les produits venant des entrepôts transatlantiques sous pavillon du pays d’entrepôt continueront à être frappés du droit différentiel. La loi n’accorde pas l’assimilation pour cette catégorie de produits. Je regrette que la loi, surtout en ce qui concerne les Etats-Unis, n’accorde pas l’assimilation aux produits d’entrepôts arrivant sous pavillon américain. Je ne puis, sous ce rapport, que m’en référer aux observations que j’ai présentées dans la discussion première. On ne m’a point donne de réponse satisfaisante, on ne m’a point fait connaître les motifs pour lesquels on refuse l’assimilation aux produits des entrepôts américains. On a toujours dit que l’on réservait cette question pour un traité à faire avec les Etats-Unis, c’est-à-dire que l’on réserve l’accessoire pour un traité alors que l’on décide le principal par la loi.

Il est encore, messieurs, une autre exclusion dans ce paragraphe ; le gouvernement ne parle ici que des produits arrivant des pays transatlantiques. Est-ce à dire que les produits d’Europe arrivant sous pavillon des pays dont ils sont originaires, ne seront pas assimilés aux produits arrivant sous pavillon belge ? Par exemple, le bois du Nord, pour en revenir à cette catégorie, le bois du Nord arrivant sous pavillon suédois, danois ou russe, ne sera pas assimilé aux mêmes produits arrivant sous pavillon belge ? Le § 3 paraît interdire cette assimilation. Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur comment il entend sous ce rapport le § 3.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant et la chambre me permettront également de m’en référer aux premières explications qui ont été données, en ce qui concerne les entrepôts. Remarquez bien quel est le sens de cette disposition, Ce sont des pouvoirs extraordinaires accordés au gouvernement, pouvoirs en vertu desquels il peut prendre de fait des arrangements internationaux, sans qu’il y ait un traité sujet à être soumis à l’assentiment des chambres, et qui resterait sans effet jusqu’à ce qu’il fût approuvé par les chambres. Ce sont donc des pouvoirs extraordinaires que vous donnez à votre gouvernement. Faut-il aller plus loin ? Nous ne l’avons pas pensé. Nous avons pensé que la question des entrepôts devait rester réservée pour ces négociations. S’il intervient des arrangements pour les entrepôts, ce sera un traité qui ne pourra recevoir d’exécution qu’après avoir obtenu l’assentiment des chambres. Nous ne renonçons pas à des arrangements de ce genre, mais nous ne demandons pas ici des pouvoirs extraordinaires. Nous suivrons, à cet égard, les prescriptions de la constitution.

L’honorable préopinant m’a fait une question qui me semble trouver sa solution dans le texte formel de la loi. L’assimilation n’est possible que pour les produits de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique. C’est une exception que la loi fait en faveur de ces produits. Le gouvernement pourrait-il accorder l’assimilation pour des produits d Europe, par exemple, pour les bois du Nord ? Non, messieurs, le gouvernement ne le pourrait pas par un simple acte du gouvernement. Si l’on offrait à la Belgique des négociations très avantageuses, il pourrait intervenir un traité, mais ce traité ne pourrait recevoir son exécution qu’après avoir obtenu l’assentiment des chambres.

Je réponds donc négativement à la deuxième question posée par l’honorable préopinant, et la négation me semble évidente en présence du texte de la loi.

M. Cogels - Je trouve dans ce paragraphe une disposition qui me semble devoir être modifiée. Nous avons admis par le tarif aux droits les plus modères les articles des pays transatlantiques venant des lieux de production ; mais nous n’avons pas compris dans ces importations les articles également produits par l’Amérique du Sud et venant de l’Amérique du Sud, mais non pas tout à fait des lieux de production. Je m’explique : Supposons que des cuirs de Buenos Ayres se trouvent à Rio Janeiro ; d’après votre loi on ne pourrait pas les importer, parce qu’ils ne viendraient pas des lieux de production, mais ils seraient assimilés aux importations des entrepôts d’Europe ou au moins des entrepôts transatlantiques.

Ici, messieurs, nous serions beaucoup plus sévères que l’Angleterre ; car l’Angleterre, d’après son dernier acte de navigation, admet pour tous les entrepôts d’Amérique, sauf ceux des Etats-Unis ; elle admet, de tous les ports de l’Amérique du Sud indistinctement, tous les produits quelconques, que ce soient des produits du lieu d’exportation, oui ou non. Il me paraît que nous devrions donner la même facilité à notre navigation ; car, très souvent dans les ports du Mexique, dans les ports du Chili, dans les ports du Pérou, on trouverait charger des articles qui ne sont pas des produits de ces pays mêmes et, cependant, sont très utiles pour compléter un chargement. Je pense donc, messieurs, que de tous les ports de l’Amérique du Sud, si vous voulez excepter les Etats-Unis, que j’aimerais mieux, moi, voir comprendre dans la mesure, il me semble que de tous ces ports on devrait admettre les produits de l’Amérique, sans qu’ils arrivent exactement des lieux de production.

Si M. le ministre veut consulter le dernier acte de navigation, il verra, je le crois, que l’Angleterre est beaucoup plus large sous ce rapport que nous ne le sommes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai sous les yeux le dernier acte de navigation, et j’ai littéralement traduit de cette pièce les expressions qui se trouvent dans la disposition soumise à la chambre. Il faut que les objets soient originaires du pays d’où ils sont importés.

Quant aux cuirs, vous remarquerez, messieurs, qu’il n’est pas fait de distinction dans le tarif ; dès que les cuirs sont importés d’un pays hors d’Europe, ils ne payent que le droit le plus faible. On n’exige pas ici que l’importation se fasse des pays de production.

M. Rogier. - M. le ministre de l’intérieur me fait observer que la question que j’ai posée se trouve résolue par le § 3. Mais c’est précisément parce qu’elle me semblait résolue par le § 3, que j’ai demandé à M. le ministre quel système il comptait suivre relativement aux produits originaires des pays d’Europe, et arrivant sous pavillon de ces pays. Jusqu’à présent, M. le ministre ne nous a pas dit ce qu’il entend faire. Il ne nous a pas dit pourquoi ces pays sont placés dans une position exceptionnelle vis-à-vis des pays transatlantiques, dont le pavillon peut être assimilé au pavillon belge, en ce qui concerne les importations directes des lieux de production. Pourquoi ce principe général n’est-il pas appliqué aussi au continent européen ? Voilà ce que j’aurais voulu savoir et ce que M. le ministre de l’intérieur ne vous a pas dit.

Nous avons, messieurs, des relations très importantes avec plusieurs ports de mer européens ; ainsi que je l’ai démontré dans une séance précédente, ces relations vont croissant d’année en année ; vos exportations vers les pays du Nord et du Sud prennent un accroissement notable. Toutes ces relations, si l’on n’admet pas l’assimilation, peuvent être renversées.

Il est fâcheux que cette observation arrive à la fin d’une discussion qui a déjà tant fatigué la chambre. Je vous prie cependant, messieurs, de la peser et de ne pas compromettre des relations qui, de jour en jour, nous deviennent plus avantageuses.

La position des pays de production du Nord va changer totalement vis-à-vis de nous. Leur pavillon importe chez nous leurs produits avec une surtaxe insignifiante ; par suite de l’augmentation de droit que vous avez votée, ces pays vont se trouver frappés dans leurs pavillons et dans leurs produits vis-à-vis de La Belgique. N’est-il pas, dès lors, à craindre qu’ils n’agissent vis-à-vis des produits belges comme nous aurons agi vis-à-vis de leurs produits ?

Dans l’état actuel des choses, la Suède reçoit les produits belges sous pavillon belge aux mêmes conditions que sous pavillon suédois. On nous fait le même traitement en Danemark. Si l’assimilation est interdite au gouvernement, à l’avenir ces pays pourront repousser les marchandises belges arrivant sous pavillon belge, et les frapper d’une surtaxe, alors même qu’elles arriveront sous pavillon suédois ou son pavillon danois. Je ne proposerai pas d’amendement. Il est inutile de donner au gouvernement plus de pouvoir qu’il n’en veut. Je me borne à signaler le danger. Je laisse d’ailleurs au gouvernement la responsabilité de l’adoption de toutes les mesures qu’il a proposées, comme du rejet de toutes celles dont il ne voudrait pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, les pouvoirs constitutionnels du gouvernement subsistent. Si le gouvernement pense qu’il y a lieu de négocier pour l’admission des produits de l’Europe sur le pied du pavillon national, il ouvrira une négociation, et vous soumettra le traité. Je crois que si, dans la demande de pouvoirs extraordinaires en faveur du gouvernement on était allé aussi loin que semble le désirer l’honorable préopinant, on aurait risqué de donner au gouvernement la faculté de détruire toute la loi. En second lieu, on aurait en quelque sorte biffé de la constitution l’art. 68. Nous avons pensé qu’il ne fallait pas demander à la chambre des pouvoirs aussi extraordinaires. Il y a des choses que le gouvernement pourra faire immédiatement, par un simple acte du pouvoir exécutif ; il y en a d’autres qu’il entreprendra peut-être, mais qui feront l’objet de traités dont la ratification sera soumise aux chambres. Cela dépendra des circonstances.

- Le 3ème paragraphe est mis aux voix et adopté.


« § 4. Les arrivages par canaux et rivières, sous pavillon d’un Etat où le pavillon belge serait grevé de droits différentiels, seront soumis en Belgique à des surtaxes de navigation ou de douane équivalentes. Le gouvernement est autorisé à prendre, par arrête royal, les mesures nécessaires à cet effet. »

M. Rogier demande qu’on ajoute les mots : par les mêmes voies après ceux-ci : serait grevé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) consent à cette addition.

- Le § 4, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.


« §5. Pendant un an, à partir de la promulgation de la présente loi, le gouvernement pourra, moyennant le payement d’un droit de fr. 50 par tonneau, accorder la nationalisation à des navires étrangers reconnus, par des experts à designer par lui, être de bonne qualité et en parfait état de navigabilité. La jauge s’établira comme pour la perception du droit de tonnage.

« Le gouvernement est autorisé à accorder la remise du droit, à la condition que, pour chaque navire nationalisé, il sera construit en Belgique, dans un délai à fixer, un navire d’une capacité au moins égale. »

M. Coghen. - Messieurs, j’applaudis aux prescriptions du § 5 de l’art. 2.

Il est évident que, dans l’état où se trouve la marine belge, il faut, pour faire jouir immédiatement le pays des avantages du commerce direct, pour créer la possibilité d’exportation, il faut nationaliser des navires étrangers.

Mais il me semble qu’il est nécessaire de stipuler qu’on n’accordera les faveurs du pavillon belge qu’aux navires étrangers, construits en chêne, qui auraient trois ans ou quatre ans d’âge tout au plus, et qui auraient un tonnage dont on déterminerait le minimum. Je désire que la Belgique n’accepte pas les navires que les autres nations auraient répudiés, les navires qui, dans les listes d’assurances, sont mis dans la 3ème, dans la 4ème, ou même dans la 5ème classe. Ils donneraient une très mauvaise réputation à notre pavillon. Je crois donc que la Belgique ne doit nationaliser que des navires construits en chêne, et qui n’ont pas plus de quatre ans d’âge. Quant au minimum de tonnage, je le réclame dans l’intérêt du petit cabotage. Il est évident que le commerce direct augmentant, une grande partie de nos navires de petit cabotage perdrait l’occasion d’emploi, si l’on admettait indistinctement les navires, n’importe leur tonnage.

On me dit que l’honorable M. Donny a déposé un amendement à cet égard. J’attendrai la lecture de cette proposition, pour voir si elle est propre à nous faire atteindre le but que j’ai en vue/

M. le président. - M. Donny a déposé l’amendement suivant :

« Ne pourront être nationalisés d’autres navires que ceux construits en bois de chêne, ayant une capacité de 200 tonneaux au moins et âgés de trois ans au plus.

« Le propriétaire belge d’un navire nationalisé devra s’engager à le faire naviguer, sous pavillon belge, pendant cinq ans au moins, et s’obliger, sous caution, à verser au trésor public, à titre de pénalité, une somme égale au double du droit de nationalisation en cas de contravention à cet engagement, et du quadruple de ce droit, au cas qu’il serait établi que le bâtiment n’est propriété belge que par simulation, ou conserve la faculté de naviguer sous pavillon étranger. »

La parole est à M. Donny, pour développer son amendement.

M. Donny. - Messieurs, je suis heureux de me rencontrer avec l’honorable M. Coghen. Comme lui je désire que les bâtiments à nationaliser, soient construits en bois de chêne ; comme lui, je désire que ces bâtiments soient d’un certain tonnage ; j’ai fixé le minimum à 200 tonneaux comme lui aussi, j’ai déterminé un maximum d’âge ; j’ai fixé cet âge à 3 ans au plus.

Ces restrictions m’ont paru nécessaires. Il y a en Hollande un très grand nombre de mauvais navires, de mauvais koffs sans emploi ; si rien n’empêche la nationalisation de ces bâtiments, il se trouvera des spéculateurs qui iront les acheter, et qui viendront les nationaliser en Belgique.

Il résulterait de là trois grands inconvénients. D’abord, comme l’a fort bien dit l’honorable M. Coghen, la nationalisation de ces mauvais navires donnerait une très mauvaise réputation à la marine belge, et provoquerait, dès lors, une augmentation dans les primes d’assurance. Ensuite les possesseurs de ces méchantes barques viendraient faire une concurrence redoutable aux armateurs belges qui auront fait construire, à grands frais, des bâtiments sur les chantiers du pays. En troisième lieu, les constructeurs de Belgique se trouveraient sans ouvrage pendant un certain temps.

J’ai ajouté à ces restrictions quelques pénalités pour les cas dont il n’est pas parlé dans le projet de M. le ministre de l’intérieur, qui me semblent cependant devoir être prévus.

La première pénalité s’appliquerait à celui qui, après avoir contracté l’obligation de faire naviguer le navire sous pavillon belge, pendant un certain nombre d’années que je fixe à 5, le ferait naviguer, hors du pays, sous un autre pavillon.

Je vous propose de punir l’infraction à cet engagement par une pénalité égale au double du droit de nationalisation. Je demande une pénalité plus forte, une pénalité égale au quadruple de ce droit, pour le cas de simulation. C’est là une fraude qui se fait dans des cas semblables, une fraude qu’il faut prévoir et punir sévèrement. Je vous dirai, à ce sujet, ce qui est arrivé, il y a peu d’années en Belgique.

Un smak, qu’on nommait Joanna-Cordelia, capitaine Seeuws, et qui naviguait entre Rotterdam et Dunkerque a été porteur de trois pavillons pendant une année entière : il était à la fois navire oldenbourgeois, navire hollandais et navire belge. On ne peut pas tolérer un semblable abus : il faut que la nationalisation belge soit quelque chose de sérieux.

Lorsqu’un navire étranger est déclaré navire belge, il recueille tous les avantages attachés au pavillon belge ; il faut, par contre, que le pays recueille tons les avantages d’une extension réelle de sa marine.

Peut-être M. le ministre nous dira-t-il que ce sont là des points à réglementer par arrêtés, des objets qui ne peuvent pas figurer dans la loi. Je pense cependant qu’il n’est pas inutile de mettre cette restriction dans la loi, parce que c’est un moyen de mettre le gouvernement à l’abri des sollicitations de toute espèce et de donner au pays une garantie contre la faiblesse éventuelle ou les erreurs du gouvernement.

Il est un point dont je n’ai pas parlé dans mon amendement, mais sur lequel je dois appeler l’attention de M. le ministre. Nous avons deux écoles de navigation, et ces écoles marchent fort bien ; elles ont déjà produit des sujets auxquels on peut reconnaître du mérite ; quelques-uns promettent même de devenir des hommes distingués. Jusqu’ici ces jeunes gens sont sans emploi. Je pense qu’il importe que le gouvernement avise quelques mesures pour qu’on emploie ces jeunes gens.

Dans d’autres pays, en France, on ne confie un bâtiment aux mains d’un capitaine qu’après s’être assuré que ce capitaine est théoriquement et pratiquement en état de conduire son navire. Ici rien de semblable ne se fait. Je ne propose aucune mesure dans ce sens, parce que notre navigation est dans un état naissant et que les mesures qu’on pourrait proposer seraient peut-être dans le cas de nuire à son développement. Je me borne à appeler l’attention du gouvernement sur ce point.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre a prévu l’objection par laquelle je répondrais à son amendement. Ce sont des dispositions réglementaires qui doivent faire l’objet d’un arrêté royal. Je pense que, sur quelques-unes de ces dispositions, il serait facile de nous entendre ; mais il en est d’autres sur lesquelles je ne pense pas qu’il y ait moyen de s’entendre aujourd’hui. L’honorable membre exige d’abord que les navires soient en chêne ; il exige, en second lieu que le tonnage soit d’au moins 200 tonneaux. Je crois qu’il faut se contenter de 150 tonneaux. il y a des parages pour lesquels il convient d’avoir des navires de 150 tonneaux au plus. Je parle cependant de parages lointains. Ce sont les parages pour lesquels il faut encourager la navigation de long cours. C est ainsi qu’on m’a assuré que, pour le Mexique et la côté occidentale de l’Amérique, il nous faut des navires de 150 tonneaux au plus, à cause de la nature des chargements à y porter et de celle des retours. En troisième lieu, l’honorable membre exige que le navire n’ait pas plus de trois ans d’âge. Je crois qu’il est beaucoup trop rigoureux. Il y a d’excellents navires en chêne qui ont plus de trois ans de durée. Je crois qu’il est impossible de fixer d’une manière générale l’âge du navire dans la loi. Je crois que ceci doit être abandonné aux experts. Il faut qu’il soit constaté, indépendamment de l’âge, si le navire est en bon état de navigabilité, comme le prescrit la loi. Il devra être en chêne et en parfait état de navigabilité. Indépendamment de cela, exiger qu’il n’ait que trois ans, c’est beaucoup trop. Je ne suis donc pas d’accord avec l’honorable membre sur les 2ème et 3ème points.

Je pense qu’il faut exiger un tonnage, non de 200 au moins, mais de 150 tonneaux. Et, quant à l’âge, c’est une affaire de circonstance. Tel navire, solidement construit et qui a été soigneusement entretenu peut avoir cinq et six ans, et davantage encore, et être un très bon navire, Vous voyez que le délai est extrêmement limité, c’est un délai d’un an pour nationaliser les navires étrangers. Ce délai est même devenu trop court, 1’exécution de la loi étant subordonnera une transition d’un an.

L’honorable M. Coghen, qui a indiqué une partie des conditions qui font l’objet de la proposition de M. Donny, me semble se mettre en contradiction avec lui-même. Tout en exigeant pour les navires étrangers trois ans, ou tout au plus quatre ans, il voudrait qu’il fût permis aux navires belges qui se sont expatriés en 1830, de rentrer dans leur patrie ; ces navires doivent avoir plus de trois ou quatre ans de durée.

Enfin, il y a un autre point que stipule l’honorable M. Donny, c’est que la nationalisation soit sérieuse, exclusive, c’est-à-dire, que ce soit véritablement un navire belge et non un navire qui tour à tour prendra plusieurs pavillons. En effet, je crois qu’il faut appliquer ici l’article 9 de la loi du 7 janvier 1837 : c’est la loi sur les primes. Le gouvernement a pris un grand nombre de dispositions réglementaires pour les primes de construction,

Cet article est ainsi conçu : « Art. 9. A l’appui dei déclarations susdites, les propriétaires devront joindre un acte d’engagement sur timbre dûment enregistré, souscrit par deux cautions solvables et solidaires, de faire naviguer le vaisseau exclusivement sous pavillon belge, pendant cinq années consécutives au moins à partir du jour de sa première mise en mer, sous peine de restitution des sommes perçues du chef de la prime. »

Un engagement de ce genre sera également exigé du navire nationalisé. Je pense donc qu’en insérant cette disposition réglementaire dans la loi, on risquerait de faire trop ou trop peu. Je me félicite néanmoins des observations présentées par les honorables membres, le gouvernement en fera son profit. Déjà je me suis occupé de la rédaction d’un projet de règlement. Je n’oserais pas dire que ce sera le règlement définitif, il est très court je vais le lire ; les honorables membres en connaîtront les dispositions dès à présent et la publicité qu’il recevra, provoquera les observations auxquelles il peut donner lieu.

« Léopold, etc.

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Art. 1er. Conformément au 1er alinéa du § précité de l’art. 2 de la loi, le pavillon national ne sera accordé qu’à des navires qui auront été reconnus par les experts à designer par le gouvernement, être de bonne qualité et en parfait état de navigabilité

« Art. 2. Le pavillon national ne sera d’ailleurs concédé qu’à des navires construits en bois de chêne et d’une capacité de 130 tonneaux au moins.

« Art. 3. La propriété du navire par des sujets du royaume devra être justifiée en conformité de la loi du 14 mars 1819.

« Art. 4. Le propriétaire du navire devra, par un acte d’engagement à fournir, sur timbre, dûment enregistré et souscrit par deux cautions solvables et solidaires, se soumettre, 1° à le faire naviguer exclusivement, pendant cinq ans au moins, sous pavillon belge ; 2° à avoir, pendant le même temps, pour capitaine, ou tout au moins pour second, un marin belge.

« A défaut de l’accomplissement de cette double obligation, le pavillon sera retiré, sans qu’il y ait lieu à restituer le droit payé ; et le propriétaire sera, en outre, passible, envers le trésor, d’une indemnité égale au montant de ce droit. Il en sera de même dans le cas prévu par l’art. 14 de la loi du 14 mars 1819, et ce sans préjudice aux pénalités comminées par cet article.

« Art. 5. La remise du droit prévu par le deuxième alinéa dudit § 5 sera subordonnée à l’accomplissement, à l’égard du navire construit dans le pays, des dispositions prévues par les articles 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12 et 13 de la loi du 7 janvier 1837 sur les constructions de navires. »

Vous voyez quelles sont les précautions que le gouvernement se propose de prendre. Il en est qui ne sont pas prévues par l’honorable M. Donny. Je pense que l’on peut s’en référer au gouvernement. Ce sont là des dispositions qui peuvent être abandonnées aux soins du pouvoir exécutif.

M. Coghen. - Si le gouvernement désire régler ce dont il s’agit, par arrêté, je n’ai pas d’objection à faire, pourvu qu’on soit certain de l’exécution du règlement. Quant à l’âge des navires, j’ai dit que je croyais que 4 ans suffisaient pour les admettre à la faveur du pavillon. L’honorable ministre a cru que j’étais en contradiction avec moi-même, parce que je proposais d’admettre les navires qui ont quitté le pays lors de la révolution ; j’ai dit que, par exception on pourrait admettre les navires qui ont été obligés de quitter le pays pour ne pas périr dans nos ports ; mais je n’ai fait aucune proposition, j’ai laissé cela à l’appréciation du gouvernement. Ces navires peuvent être encore bons, car des navires de 15 ans, en bois de chêne coupé en bonne saison, seront meilleurs que des navires de 4 ans faits avec du bois coupé en sève. Ce sera aux experts à veiller à ce qu’on n’admette que de bons navires dans l’intérêt de la réputation de la marine belge. Quant au délai pendant lequel le gouvernement pourra nationaliser des navires étrangers, je pense qu’il faut le portera deux ans au lieu d’un an, comme le demande M. le ministre, parce que ce n’est que dans un an que la loi recevra son entière exécution, et qu’il faut donner aux armateurs le temps d’apprécier la portée de ses effets.

M. Osy. - Il me paraît que le gouvernement pourrait régler par arrêté ce que demande M. Donny, puisque la loi dit que le navire doit être de bonne qualité et en partait état de navigabilité. Je pense, comme M. le ministre de l’intérieur que le délai d’un an ne suffit pas pour la faculté de nationaliser les navires étrangers. Il faut donner le temps de voir les effets de la loi. J’appuie donc la proposition de porter le délai à deux ans après la promulgation de la loi.

Messieurs, avant la révolution, nous avions des navires superbes qui avaient été construits dans le pays. Vous savez les événements qui les ont fait émigrer. Depuis 1834 on parlait toujours d’établir un système commercial en Belgique, c’est l’exécution de ce projet qu’ils attendaient pour rentrer.

Aujourd’hui que nous adoptons un système colonial, je voudrais que l’on laissât aux propriétaires de ces navires la faculté de les ramener en Belgique, Je crois que nous devons nous montrer généreux, que nous devons admettre que, pendant un an, ils auront le droit de nationaliser leurs navires, sans payer aucun droit. Ce serait un acte de justice ; car ces navires n’ont émigré que par suite des événements.

D’autre part, on devrait accorder, pendant deux ans, le droit d’acheter des navires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Lorsque le délai d’un an a été proposé, le projet de loi était rédigé dans un sens beaucoup plus rigoureux ; il n’y avait plus de transition, l’exécution pleine et entière de la loi commençait à dater de sa promulgation. Il n’en est plus ainsi. Vous avez, entre autres, admis une transition d’un an pour les matières premières ; ce n’est donc guère qu’au bout d’un an que l’exécution réelle de la loi commencera. Je crois donc que l’on pourrait aujourd’hui, sans inconséquence, prolonger le terme et le porter à deux années.

Quant au deuxième point, il faut traiter les choses comme les hommes ; nous avons permis aux hommes de rentrer dans leur patrie ; permettons aussi de rentrer dans la patrie aux navires qui ne l’ont quittée assurément que par des circonstances indépendantes de la volonté de leurs propriétaires.

Mais ces navires sont-ils en état de parfaite navigabilité ? Il faudrait exiger qu’ils remplissent toutes les conditions.

La dernière phrase du deuxième § pourrait être ainsi rédigée :

« Pourront être dispenses du droit de 30 fr. par tonneau, les navires d’origine belge, naviguant sous pavillon étranger et pour lesquels, dans le délai de trois mois, à dater de la présente loi, on demandera la nationalisation, » c’est-à-dire de bonne qualité, en parfait état de navigabilité.

Il y a de ces navires qui ont été construits en 1829 et au commencement de 1830. Ces navires, construits en chêne, sont sans doute en parfait état de navigabilité. On pourrait les admettre à rentrer sans droits. Mais je crois qu’il ne faut accorder cette faculté que pour trois mois.

M. Cogels. - Je suis charmé de voir que M. le ministre de l’intérieur se soit rallié à la proposition de l’honorable comte Coghen et de M. le baron Osy, en ce qui concerne les navires, qui ont été forces d’émigrer en 1830.

Il y a de ces navires qui n’étaient pas construits en 1829 et 1830, qui se trouvaient encore sur nos chantiers, et qui, malgré cela, ont joui du bénéfice de leur contrat avec la société de commerce des Pays-Bas, et ont pu rentrer en Hollande ; ces navires peuvent être encore très solides ; car ils étaient très bien construits.

Je dirai à cette occasion que je connais des navires qui ont fait la navigation des Grandes Indes pendant 12 ans, sans coûter un centime aux assureurs, sans avoir la moindre avarie. Lorsqu’un navire est bien construit, il peut naviguer pendant 20 ans et plus. Au reste, d’après la loi, un navire ne peut prendre la mer, à moins qu’il n’ait été reconnu par les experts qu’il est dans un parfait état de navigabilité,

M. Donny. - M. le ministre de l’intérieur vous a donné lecture d’une partie d’un règlement qu’il se propose de mettre en vigueur, et il l’a fait dans le but de provoquer sur ce point les observations des intéresses. L’honorable M. Coghen s’est contenté de cette communication. Je ne veux pas être plus sévère que lui. Je pense que la publicité donnée aux intentions du gouvernement mettra les intéressés en position de faire parvenir leurs réclamations, et qu’après avoir pris leurs observations en considération, le gouvernement pourra prendre, à cet égard, toutes les mesures nécessaires. Je déclare donc retirer mon amendement, dans la pleine confiance qu’il sera fait droit aux justes réclamations des armateurs.

Je ne puis me rallier de même à l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, qui tend à donner au gouvernement, pendant deux ans, la faculté qu’il n’aurait que pendant un an, d’après la disposition primitive du projet de loi.

Les raisons données par M. le ministre ne m’ont pas touché. Je crois, moi, que, pendant l’espace d’un an, il nous arrivera beaucoup de navires, tous les navires dont nous avons besoin. La raison, c’est qu’il y a chez nos voisins des navires de reste, dont on ne sait que faire, et dont on sera charmé de trouver le placement en Belgique.

M. Rogier. - Un des buts de la loi, c’est d’encourager la construction de navires nationaux. Déjà par une loi spéciale, il a été accordé des primes à ces constructions. Ces primes n’ont pas toujours été efficaces, parce que les armateurs ont soutenu qu’une fois que le navire était construit, il ne pouvait naviguer à défaut de protection pour le pavillon. La loi actuelle a donc pour but de compléter la loi sur les primes de constructions maritimes. Il y aura des primes de construction et des primes de navigation. Mais par l’extension donnée au § 5, il pourra arriver que la loi qui accorde des primes aux constructions navales redevienne encore inefficace.

Il y aura des primes de construction. Mais si vous admettez sans limites la nationalisation des navires étrangers, vous empêchez les constructions navales du pays.

S’il est vrai qu’il résulte de très grands avantages des constructions navales dans le pays, vous détruisez ces avantages en admettant une quantité illimitée de navires étrangers.

Si nous remontons à l’origine des droits différentiels, nous voyons qu’ils ont eu pour but d’encourager les constructions navales. La loi du 12 juillet 1821, loi où est déposé le principe des droits différentiels, porte à l’art.11 :

« Art. 11, § 6. En ce qui concerne l’importation et l’exportation des marchandises par des vaisseaux nationaux, on pourra accorder la restitution des droits d’entrée ou de sortie, qui seront jugés utiles pour soutenir et donner un encouragement convenable à la construction des navires nationaux. »

Voilà quel et le but des droits différentiels établis en principe par la loi du 12 juillet 1821 : encourager la construction des navires nationaux.

Quant aux navires belges qui ont émigré, en 1830, je crois qu’il y aurait quelque équité à les admettre, commue nous avons admis les individus.

Mais quant aux navires étrangers, ce serait aller contre le but même de la loi, que de les admettre en nombre illimité.

Si je présente ces observations, ce n’est pas que le contact et le concours des étrangers m’effraient. Je persiste à croire, au contraire, que le pays doit pour prospérer, entretenir le plus de relations possible avec les étrangers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si je prévoyais qu’un grand nombre de navires étrangers se présentassent pour obtenir la naturalisation, je partagerais peut-être l’opinion de l’honorable préopinant, en ce sens qu’il faudrait fixer un maximum. Mais je ne crois pas qu’il y ait grande affluence de navires étrangers. Ne perdons jamais de vue l’état de notre marine. Nous n’avons que 130 à 150 navires ; encore le tiers au plus de ces navires sont capables de faire les voyages de long cours.

Un des buts de la loi est sans doute de favoriser les constructions de navires à l’intérieur, mais il faut un assez long temps pour construire des navires ; si vous n’admettez pas les navires étrangers qui demanderont la naturalisation, votre loi, après sa promulgation, sera dans l’impossibilité de recevoir son exécution, faute du matériel nécessaire que suppose la loi même. Aussi je regarde cette disposition comme extrêmement importante. C’est la prudence qui nous commande de prendre une disposition de ce genre, et les constructeurs de navires ne doivent pas s’en effrayer, les navires étrangers qui se présenteront ne seront pas en aussi grand nombre.

S’il y avait un maximum à indiquer, je n’oserais par même indiquer le chiffre. Les navires qui se présenteront seront peut-être en si petit nombre qu’ils resteront trop en-dessous du chiffre maximum que nous aurons indiqué.

Cependant, j’examinerai s’il n’y aura pas lieu de mettre un maximum dans l’arrête royal, sauf à étendre ce maximum si les circonstances l’exigeaient. Mais, je le répète, je ne crois pas, avec l’honorable M. Rogier, qu’il se présente un bien grand nombre de navires. Je ne le crois pas surtout pour la première année où notre loi ne recevra que très partiellement son exécution.

Nous demandons pour deux ans la faculté de nationaliser. Nous dérogeons à une loi. Le gouvernement a aujourd’hui un pouvoir bien plus étendu. Nous dérogeons à une loi ; et pourquoi ? C’est précisément pour rassurer les constructeurs belges. Il existe une loi du 14 mars 1819, loi que l’on peut soutenir encore en vigueur.

L’article 2 de cette loi porte :

« Nous nous réservons (on parle au nom du roi) d’accorder des lettres de mer pour des navires de constriction étrangère pour autant que les intérêts du commerce et de la navigation l’exigeront. »

Ainsi, messieurs, d’après l’art. 2 de la loi du 14 mars 1819, le roi peut indéfiniment accorder la nationalisation. Nous vous proposons d’abroger cette disposition et de ne donner au gouvernement la faculté de nationaliser les navires étrangers que pendant deux ans. En présence de cette disposition nouvelle, les constructeurs belges doivent être parfaitement rassurés ; nous leur donnons une garantie pour l’avenir.

M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur vient de présenter une disposition pour autoriser le gouvernement à laisser rentrer sans frais les navires d’origine belge qui ont passé en pays étranger depuis la révolution. Mais il ne demande que cette autorisation pour trois mois. Je crois que ce délai est trop court, il est impossible que l’on puisse, au bout d’un aussi bref délai, connaître l’effet de la loi. Je proposerai donc d’accorder l’autorisation au gouvernement pendant six mois.

M. Dumortier. - Messieurs, je viens appuyer les observations de l’honorable M. Osy, mais en même temps je viens appuyer celles présentées par l’honorable M. Rogier. Il me semble réellement qu’accorder un délai de deux ans pour la nationalisation des vaisseaux étrangers, c’est sacrifier un des plus grands principes qui nous dirigent, celui de protéger la construction des navires. Il est certain que si vous accordez un terme aussi long, vous empêchez la construction des navires dans le pays ; car on trouvera des navires à acheter dans les pays étrangers à des prix inférieurs à ceux que coûterait leur construction en Belgique.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il faut 500 navires à la Belgique.

M. Dumortier. - Or, j’ai dit dans la discussion générale que la construction des navires est une des industries les plus avantageuses pour le pays. En effet, elle exige l’emploi du bois, du fer, du cuivre, du chanvre. Il ne faut pas priver la Belgique d’un placement aussi considérable de ses produits.

J’admets donc, avec l’honorable M. Osy, que l’on peut accorder aux navires d’origine belge un délai de six mois pour revenir en Belgique ; mais que pour la nationalisation des autres navires le délai d’un an est suffisant.

Quant au nombre des navires dont on parle, je crois qu’on exagère un peu. Nous ne pouvons espérer d’avoir, d’ici à deux ans, 500 navires appartenant à des Belges. Toutes les opérations dans le monde se font progressivement. On ne trouvera pas immédiatement des acquéreurs pour 500 navires. Mais ce qui pourrait arriver, c’est qu’on trouvât à acheter à l’étranger des navires à des prix avantageux, et que le pays fût ainsi privé des bénéfices considérables de la construction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai fait une observation, que je prie la chambre de ne pas perdre de vue. On avait d’abord demandé un an, mais c’était dans un système d’exécution bien plus rigoureux, c’était dans un système d’exécution immédiate de toute la loi.

C’est sur la proposition de l’honorable M. Dumortier lui-même qu’on a stipulé dans la loi une transition d’un an pour les matières premières. Je dis que cette transition d’un an change tout à fait la situation. Le délai d’un an ne doit courir qu’à partir de l’époque où la loi sera pleinement à exécution. D’ici là, pendant l’époque de transition, il est impossible que les armateurs étrangers se décident à faire nationaliser leurs navires. Pendant cette époque, tous les effets de la loi sont dans l’incertitude. J’insiste sur ce point, il n’y a aucune contradiction à demander aujourd’hui, deux ans, parce qu’il faut ajouter l’année primitivement demandée à l’année de transition.

M. Rodenbach. - Messieurs, je crois que le terme de trois mois à accorder aux propriétaires de navires d’origine belge et qui ont passé en Hollande, est suffisant. C’est déjà leur accorder un très grand avantage que de leur permettre de faire nationaliser sans ce délai, leurs navires sans payer aucun frais.

M. Dumortier. - Et ceux qui sont sur mers.

M. Rodenbach. - On sait bien que si un navire se trouve aux grandes Indes, il ne pourra se trouver dans le délai fixé en Belgique. Mais cela ne sera pas nécessaire, il suffira que le propriétaire fasse une déclaration dans le délai de 3 mois ; vous voyez donc que ce terme est suffisant.

D’ailleurs, si ce délai ne suffit pas aux propriétaires de ces navires pour se décider, ils auront la faculté de faire rentrer leurs vaisseaux en Belgique, dans le terme d’un an ou de deux ans, selon que la chambre en décidera, en payant le droit de 30 fr. par tonneau.

Messieurs, il y a déjà quelques navires qui sont rentrés en Belgique. Des armateurs m’ont dit qu’ils en avaient fait rentrer trois ou quatre ; et il y en a qui sont partis pour Guatemala. Ils ont ajouté qu’ils en feraient revenir d’autres.

Le délai de trois mois me semble donc devoir suffire.

M. Dumortier. - Je ne puis partager l’opinion de l’honorable M. Rodenbach ; car, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure en l’interrompant, beaucoup de navires sont maintenant en mer et ce n’est pas dans l’intervalle de trois mois qu’ils pourront revenir. On me répond : Les propriétaires feront une déclaration ; mais la loi ne dit nulle part qu’une déclaration suffira.

Je ne puis comprendre qu’il y ait le plus petit inconvénient à accorder un délai de 6 mois pour la rentrée des navires qui ont été construits en Belgique, qui sont réellement belges. Car, vous le savez, messieurs ; nous avions à Anvers, avant les événements de 1830, une flotte magnifique ; mais par l’absence de droits différentiels, par l’absence de dispositions en faveur de la marine nationale, ces navires ont été chercher à l’étranger une protection qu’ils ne trouvaient pas dans leur propre pays. Ces navires, messieurs, sont l’honneur de nos ports de mer ; pourquoi mettriez-vous des entraves à leur rentrée ?

M. Rodenbach. - La moitié sont vendus à des Hollandais.

M. Dumortier. - Je crois que c’est une grave erreur.

D’ailleurs, peu importe. Le fait est que si ces navires ont été construits en Belgique, et que c’est la perte de notre marine qui nous a quittés. Ce sont des navires construits sur des modèles remarquables, d’excellents voiliers ; nous devons donc favoriser leur rentrée dans le pays. Nous en aurons besoin.

Quant à ce qui est de la nationalisation de navires étrangers, il me paraît, contrairement à ce qu’a dit M. le ministre de l'intérieur, que le système que nous avons adopté, et qui tend à n’établir que progressivement les droits sur les matières premières, est de nature à écarter la nécessité d’avoir immédiatement un grand nombre de navires. Si l’on avait ordonné la mise à exécution immédiate de la loi dans toute sa rigueur, je concevrais qu’on accorât une faveur plus grande pour faire nationaliser des navires étrangers, parce que les besoins du pays l’exigeraient. Mais nous avons admis un délai pour l’exécution complète de la loi ; on aura donc le temps de construire des navires en Belgique ; tandis qu’il est certain que si vous laissez aux armateurs d’Anvers et des autres ports la faculté pendant deux ans d’acheter des navires tout gréés à l’étranger, dans des pays où l’on construit à meilleur marché, on ne construira plus en Belgique ; les chantiers d’Anvers, de Bruges, d’Ostende et de Gand ne feront rien, et vous serez privés ainsi de magnifiques avantages.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Faut-il accorder trois mois ou six mois pour, je ne dirai pas la rentrée des navires, mais la déclaration que doivent faire les propriétéires de navires ? La question est assez indifférente. Nous proposons trois mois. On raisonne toujours dans la supposition qu’il serait dit dans la loi qu’il faut que les navires rentrent effectivement en Belgique dans ce délai. Il est certain que la rentrée réelle du navire est subordonnée aux circonstances. Mais il s’agit d’une simple déclaration du propriétaire et le délai de 3 mois est suffisant.

M. Osy. - il faut laisser le temps de la réflexion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois que la plupart des propriétaires de navires ont fait leurs réflexions. Il en est que je connais et dont la résolution est arrêtée.

Reste la disposition principale. Fait-il accorder un an ou deux ans ? Je ne puis assez répéter à la chambre que la situation est complètement changée, parce que la chambre n’a pas stipulé l’exécution immédiate de la loi en son entier, mais une transition d’un an.

M. Osy. - Lorsque vous avez fait la loi relative aux personnes des parties cédées qui voudraient rester Belges, vous leur avez accordé quatre ans pour se décider. Cependant elles auraient également pu se décider dans le délai d’une année. Mais vous avez voulu leur laisser le temps de la réflexion.

Il faut aussi donner, dans les affaires commerciales, le temps de la réflexion ; et trois mois ne suffisent pas pour cela. Il y a d’ailleurs des navires qui appartiennent à des propriétaires qui restent dans différents pays. Il y aura peut-être des contrats à faire, avant que l’on puisse faire la déclaration.

Je pense, messieurs, qu’il faut accorder le délai de six mois.

M. le président. - Le premier amendement au 5ème §, c’est d’accorder deux ans au lieu d’un an.

- Cet amendement est mis aux voix, il n’est pas adopté.

Le terme d’un an est ensuite mis aux voix et adopté.

M. le président. - Le second amendement c’est de fixer à 6 mois au lieu de 3 mois le délai relatif aux navires construits en Belgique, et qui ont quitté nos ports en 1830.

- Le délai de 6 mois est mis aux voix, il n’est pas adopté.

Le terme de 3 mois est adopté.

Le § 5 est adopté dans son ensemble.


« § 6. Le gouvernement pourra exiger la justification de la provenance ou de l’origine des marchandises et déterminer la forme et la nature de cette justification. »

- Adopté.


« § 7. Le gouvernement déterminera, par arrêté royal, les délais dans lesquels la présente loi sera exécutoire selon les provenances. »

M. Osy. - Je dois rappeler ici ce que j’avais demandé à M. le ministre de l’intérieur, relativement au délai pendant lequel les navires qui sont maintenant en mer pourront continuer à toucher Cowes sans être frappés par la loi actuelle. D’après l’observation qui m’a été faite par M. Coghen, je crois qu’il faut fixer ces délais à un an pour l’Amérique et à 18 mois pour les Indes. Il ne suffit pas, en effet, que les navires en mer connaissent la nouvelle loi, mais il faut que tous les correspondants, même dans les Indes, la connaissent, afin qu’ils sachent que le connaissement doit être fait pour Anvers.

Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il peut prendre un engagement à cet égard, sinon je pense que la loi devra stipuler les délais que j’ai indiqués.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est impossible, messieurs, que je puisse déclarer, dès à présent, si l’on doit admettre précisément les termes indiqués par l’honorable préopinant ; ce que je puis faire c’est de dire qu’on laissera toute facilité au commerce et que le gouvernement trouvera dans ce paragraphe les pouvoirs nécessaires pour accorder au commerce une transition convenable. Le gouvernement consultera le commerce et il fera ce que les intérêts bien entendus du pays exigeront ; il laissera aux armateurs et aux négociants le temps nécessaire pour changer leurs habitudes.

- Le § 7 est mis aux voix et adopté.


« § 8. Les marchandises désignées dans la présente loi lesquelles, à la date de la promulgation, se trouveront en entrepôt, seront soumises au régime nouveau établi à leur égard. »

- Adopté.

L’article 2 est ensuite adopté dans son ensemble.

Article 3

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai une observation à faire sur l’art. 3. Cet article renferme deux dispositions différentes ; l’une donne au gouvernement des armes qui lui sont indispensables, selon moi, pour qu’il puisse se charger de l’exécution de la loi. C’est l’objet du § 1er.

Le 2ème § donne au gouvernement l’autorisation de renforcer le système des droits différentiels s’il est reconnu insuffisant en lui-même. Je retire ce 2ème §.

Il y aura alors quelques légers changements à faire dans la rédaction de l’article.

D’abord dans le premier alinéa : « Le gouvernement pourrait toujours, » il faut effacer le mot toujours. « Les dispositions prises dans l’un et dans l’autre cas, » il faut dire : « Les dispositions prises à cet effet. »

M. le président. - Voici l’article 3, tel qu’il est modifié par M. le ministre de l’intérieur :

« Si, par des mesure prises à l’étranger, le régime établi par la présente loi était rendu inefficace, ou si, à la suite de l’introduction de ce régime, il était pris à l’étranger des mesures pour aggraver la position de l’industrie ou du commerce belge, le gouvernement pourrait augmenter les encouragements de provenance et de pavillon sans préjudice de l’application de l’art. 9 de la loi du 26 août 1822.

« Les dispositions prises à cet effet seront soumises à l’approbation des chambres, immédiatement si elles sont assemblées, et, si elles ne le sont pas, dans leur prochaine réunion. »

M. Rogier. - Je pense, messieurs, que l’on devrait ajourner la discussion de cet article jusqu’après le comité secret. Les dispositions de l’art. 3 pourront alors, s’il y a lieu, être modifiées d’après les résolutions qui auront été prises.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois, en effet, que cet article se rattache à la question des représailles, et je pense même qu’on pourrait le discuter dans le comité général. Du reste, ne préjugeons rien sur ce point.

Nous serions donc, d’après cela, arrivés au moment où le comité secret doit avoir lieu. Je prierai M. le président d’user de ses pouvoirs et de déclarer que la chambre se réunira demain en comité secret.

M. Rogier. - J’aurai, messieurs, à proposer une disposition additionnelle, et comme je ne veux pas qu’elle arrive au dernier moment, je crois devoir la présenter avant le comité secret, sauf à la développer ultérieurement, si la chambre veut me le permettre,

Voici, en deux mots, ce dont il s’agit. Nous voulons accorder aux armateurs belges une protection qu’ils ont demandée à la suite de toutes les autres industries. Or, messieurs, il ne suffit pas d’accorder une protection aux armateurs, il faudrait aussi protéger et encourager les marins belges. La mesure que je veux proposer à cet effet pourrait s’organiser par un règlement d’administration générale. Je veux parler d’une caisse de secours et de prévoyance en faveur de la marine belge. Ce serait en quelque sorte la conséquence de la loi qui a pour but le développement de la marine belge. (Interruption.) Je suis convaincu que lorsque je serai entré dans quelques explications, ma proposition sera adoptée sans difficulté, soit qu’on en fasse un article additionnel, soit qu’on en fasse une loi spéciale. Voici, messieurs, comment ma proposition serait conçue :

« Dans l’année qui suivra la promulgation de la présente loi, il sera créé, par arrêté royal, des caisses de secours ou de prévoyance, au profit de tous les marins naviguant sous pavillon belge.

« Le fonds de ces caisses se composera :

« 1° D’une retenue sur le salaire des marins ;

« 2° D’un versement à faire par les armateurs ;

« 3° De dons et legs ;

« 4° D’un subside de l’Etat qui ne pourra s’élever, pour les diverses caisses, à plus de fr. 10,000 fr. par an. »

M. Malou. - Je désire faire une observation sur l’article dont la discussion vient d’être ajournée. Je voudrais que d’ici à la discussion de l’art. 3, on examinât si, en toute hypothèse, il ne conviendrait pas de n’accorder au gouvernement les pouvoirs dont il croira avoir besoin, que dans l’intervalle des sessions, et de déclarer que les mesures prises par le gouvernement cesseraient d’avoir leur effet à la fin de la session qui suivrait l’époque où elles auraient été adoptées. De cette manière, les chambres seraient forcées de se prononcer, et le gouvernement se trouverait dans la nécessité de leur soumettre les mesures auxquelles il aurait cru devoir recourir, assez à temps pour qu’elles pussent se prononcer.

J’ai seulement voulu attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur et de la chambre sur cette question. Je n’entrerai pas maintenant dans d’autres développements.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’examinerai ces observations. Seulement je me permettrai, à mon tour, de dire dès à présent, et à l’honorable préopinant, et à la chambre : N’ayez pas peur de rendre le gouvernement trop fort dans cette occurrence.

- La séance est levée à 4 heures et demie.