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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 novembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 131) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Les membres de l’administration communale d’Alken demandent que cette commune soit séparée du canton de Looz et réunie au canton de Hasselt. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Les médecins et chirurgiens de l’arrondissement de Courtrai demandent (page 132) l’abolition de l’impôt-patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les patentes.

Projet de loi augmentant le traitement des membres de l'ordre judiciaire

Discussion des articles

Chapitre premier. Des traitements

Article 2. Haute cour militaire

La discussion continue sur l’art. 2 relatif aux traitements des membres de la haute cour militaire et sur les amendements proposés à cet article.

M. Vanden Eynde – Par les votes que vous avez émis sur les articles de la loi déjà adoptés, vous avez consacré le principe que, pour déterminer le traitement d’un magistrat, il faut avoir égard au travail dont il est chargé, aux sacrifices qu’il fait dans l’intérêt de la chose publique, aux besoins de sa position, au rang qu’il doit occuper dans la société. Il faut également faire application de ce principe pour déterminer quel doit être le traitement des membres de la haute cour militaire ; car ils appartiennent également à l’ordre judiciaire ; ce sont des juges ; c’est une juridiction exceptionnelle. Il importe, par conséquent, de rechercher quelles sont les obligations de la haute cour militaire, quelles sont ses attributions, si son existence est provisoire ou permanente, légale ou constitutionnelle.

Je ne m’occuperai pas de la question de préséance que M. le ministre de la guerre a si mal à propos jetée dans la discussion, ni de l’imputation toute gratuite qu’il a adressée aux cours d’appel, de vouloir prendre le pas sur la haute cour militaire. Il sera temps, il sera peut-être utile de s’occuper de cette question, lorsque le gouvernement aura présenté un projet pour autoriser définitivement, en conformité de l’art. 105 de la Constitution, les tribunaux militaires.

Je me bornerai, messieurs, à examiner quelles sont les attributions et les devoirs des membres de cette cour.

A peine la Belgique s’était-elle constituée en Etat indépendant, que le gouvernement provisoire présenta, le 17 octobre 1830, un arrêté portant organisation de l’armée. Pour y maintenir l’ordre et la discipline, il fallait nécessairement lui donner des lois, et par l’art. 5 de ce même arrêté, elle décida qu’on observerait provisoirement tous les règlements en usage depuis 1815, que les Codes pénal et militaire et disciplinaire seraient aussi maintenus jusqu’à révision ultérieure, qui serait confiée à une commission, laquelle entrerait immédiatement en fonctions.

Il ne suffisait pas, pour maintenir l’ordre et la discipline dans l’armée, de lui donner des lois qu’elle doit observer, il fallait aussi des autorités pour les appliquer. C’est dans ce but que le gouvernement provisoire, par son arrêté du 6 janvier 1831, institua la haute cour militaire. Il importe que je vous donne connaissance de cet arrêté ; voici comment il est conçu :

« Le gouvernement provisoire ;

« Revu son arrêté du 27 octobre, par lequel sont provisoirement maintenus les règlements et le Code pénal militaire ;

« Considérant que, dans l’état actuel des choses, les militaires condamnés par les conseils de guerre ne peuvent user de la faculté d’interjeter appel ;

« Que les jugements prononcés par les conseils de guerre ne peuvent être exécutés ;

« Qu’enfin la justice est entravée dans son action envers les militaires justiciables en premier et dernier ressort de la haute cour militaire ;

« D’où il résulte une triple lacune, qu’il est de la plus grande nécessité de remplir, dans l’intérêt des condamnés, de la société et d’une bonne discipline militaire ;

« Sur le rapport du commissaire-général de la guerre ;

« Le comité de la milice entendu ;

« Vu l’urgence ;

« Arrête :

« En attendant que la législature ait statué sur l’organisation définitive des tribunaux militaires,

« Le siège de la haute cour est fixé à Bruxelles ;

« Elle prendra séance à partir du lundi 10 janvier 1831 ;

« Sont nommes membres de cette cour. (suivent les nominations.)

« Elle remplira les fonctions attribuées à la haute cour militaire d’Utrecht, en tout ce à quoi il n’a pas été dérogé par les arrêtes du gouvernement provisoire. »

Voilà donc, par la nécessité du moment, une cour de justice militaire établie, en attendant que la législature puisse organiser définitivement les tribunaux militaires.

Cet arrêté porte, je l’ai dit, la date du 6 janvier 1831 ; le 7 février suivant, la Constitution belge fut décrétée.

Son art. 105 porte :

« Art. 105 – Des lois particulières règlent l’organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions. »

Vous voyez déjà, par cet article, que les attributions actuelles de la haute cour militaire ne sont pas en harmonie avec la disposition qui permet même que les fonctions des juges militaires, par conséquent des membres de la haute cour militaire, puissent être temporaires.

L’art. 139 oblige le gouvernement et la législature à procéder à la révision de ces lois, dont plusieurs prescriptions ne sont pas harmonie avec les autres dispositions de la Constitution, relatives aux cours et tribunaux.

Il suit de ce que je viens d’avancer que la haute cour militaire a bien une existence « légale », mais pas une existence « constitutionnelle ». Elle n’existe pas en vertu de la Constitution. La Constitution tolère l’existence de la haute cour militaire, parce qu’elle a été créée par le gouvernement provisoire pour les nécessités du moment ; mais cette cour n’a qu’une existence « provisoire » et « précaire ».

En effet, il ne pouvait en être autrement. Un examen sommaire de ces attributions vous en fournira la preuve.

Déjà l’honorable M. Verhaegen m’a prévenu hier par son discours : il a établi que les attributions de la haute cour militaire sont en opposition directe avec les attributions que la Constitution a conférées avec la cour de cassation. Un examen sommaire de ses attributions vous prouvera tout cela.

Tous les membres de l’armée de terre et de mer, toutes les personnes attachées à l’armée, sont, d’après le Code pénal militaire, justiciables de la haute cour militaire, non-seulement pour les délits militaires, mais encore pour les délits civils, c’est-à-dire pour les délits prévus par les dispositions du Code pénal civil, auquel sont soumis tous les citoyens.

Cette cour juge souverainement en fait et en droit, comme l’a dit l’honorable M. Verhaegen. Elle ne veut pas se soumettre aux décisions de la cour de cassation ; elle ne reconnaît pas sa haute et suprême juridiction. Ses arrêts ne peuvent, par conséquent, être cassés par cette juridiction.

Un exemple va vous prouver l’injustice d’une pareille attribution que s’arroge la haute cour militaire.

Je suppose qu’un militaire falsifie des billets de banque de la Société générale établie à Bruxelles, et qu’elle fasse comme la cour d’assises de la Flandre orientale, qu’elle condamne le coupable à la peine capitale, en vertu de l’art. 139 du Code pénal civil ; quelle sera la juridiction qui sera appelée à casser ces arrêts ? La haute cour ne respecte pas la cour de cassation ; elle ne veut pas se soumettre à ses décisions. Dès lors, comment annuler une décision évidemment injuste, portant fausse application d’une loi. Vous savez que l’arrêt de la cour d’assises de Gand a été annulé par la cour de cassation. Les accusés ont été renvoyés devant la cour d’assises de Bruges, qui a prononcé, non le peine capitale, mais, en vertu d’une autre disposition du Code pénal, la peine des travaux forcés à temps.

Mais que ferait-on à l’égard d’individus qui seraient injustement condamnés par la haute cour militaire, qui ne reconnaît pas la juridiction de la cour de cassation, chargée, par la loi, de maintenir l’unité de la jurisprudence ? Nos lois ne fournissent, dans ce cas, au condamné, aucun moyen de revenir de cet acte d’iniquité. Une cour de justice qui a de telles attributions est-elle en harmonie avec nos institutions constitutionnelles ?

Si vous poussiez plus loin l’examen des attributions de la haute cour militaire, vous arriveriez à constater même des injustices commises par erreur de fait. Je suppose que la haute cour attraie devant elle un individu n’appartenant pas à l’armée, mais qu’elle suppose en faire partie, et qu’elle prononce contre lui la peine capitale, à quelle juridiction s’adressera cet individu ?

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – A la cour de cassation.

M. Vanden Eynde – Mais la haute cour ne respecte pas ses décisions.

Il est vrai que l’art. 106 de la Constitution porte :

« Art. 106. – La cour de cassation prononce sur les conflits d’attribution d’après le mode réglé par la loi. »

Mais que faire, lorsque la haute cour se déclare indépendante de la cour de cassation ? Qu’arrivera-t-il ? Lorsque la cour de cassation a infirmé un arrêt de la haute cour militaire qui avait déclaré que le duel n’était pas punissable en vertu du Code pénal de 1810, la haute cour n’a pas respecté cet arrêt ; elle a prétendu que la cour de cassation ne peut attaquer ses décisions, elle s’est posée la rivale de la cour de cassation.

Cependant, M. le ministre de la justice a déclaré hier que la haute cour dont les attributions sont en opposition directe avec celles de la cour de cassation, a une existence constitutionnelle.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la parole.

M. Vanden Eynde – Je ne sais sur quels motifs M. le ministre peut établi cette opinion.

Un membre – Il n’a pas dit cela.

M. Vanden Eynde – Cela se trouve dans le Moniteur, ou du moins cela doit s’y trouver, j’en ai pris note.

C’est cependant, messieurs, c’est aux membres de cette cour de justice militaire, qui n’ont qu’une existence provisoire, dont les attributions sont diamétralement opposées à celle de la cour de cassation qui a été instituée comme pouvoir suprême pour maintenir l’unité de la jurisprudence, et qui doivent subir des grandes modifications ; c’est à ces membres, dis-je, que l’on veut donner un traitement définitif et normal. C’est là le but de tout toute loi qui doit régler les traitements des membres de l’ordre judiciaire. Il me paraît que cela est impossible.

« Pour tous les cas, dit le rapport de la section centrale du congrès national sur le chapitre de la Constitution intitulé « Du Pouvoir judiciaire », il doit exister une autorité supérieure qui juge le jugement lui-même et le pouvoir des juges, plutôt qu’il ne décide la Constitution. Cette autorité doit être unique. La loi ne peut avoir qu’un seul sens dans l’intention du législateur. »

Et vous soustrairiez, messieurs, à cette volonté nationale, écrite dans le pacte fondamental, une institution que vous établiriez définitivement, par votre pacte, la rivale de la cour de cassation, qui est destinée à maintenir l’unité de la jurisprudence ? Vous ne le ferez pas.

Les tribunaux de commerce sont également investis d’une juridiction exceptionnelle, et cependant ils sont soumis à la haute juridiction de la cour de cassation. Pourquoi n’en serait-il pas de même des tribunaux militaires, autre juridiction exceptionnelle qui existe aussi en vertu du même article de la Constitution ?

(page 133) Sur une interpellation de l’honorable baron Osy, M. le ministre de la justice a déclaré qu’il n’était pas possible de s’occuper, dans la loi actuelle, de la position des greffiers des tribunaux de commerce, parce que, vous a-t-il dit, bientôt il soumettra à la législature un projet de loi organique de ces tribunaux, qui déterminera les fonctions et les attributions de ces fonctionnaires et règlera définitivement leurs traitements.

Messieurs, les mêmes motifs s’appliquent aux membres de la haute cour militaire. Car, en définitive, la haute cour militaire n’est qu’une institution provisoire, en attendant que les tribunaux militaires soient réorganisés. Pourquoi donc M. le ministre a-t-il une opinion différente à l’égard de ces magistrats ?

Messieurs, je crois que vous serez plus conséquents, et que vous remettrez à la discussion de la loi que le gouvernement doit vous présenter dans le plus bref délai possible sur l’organisation de la justice militaire, la fixation des traitements des membres des tribunaux militaires

Leurs traitements sont d’ailleurs assez élevés. Ils sont proportionnés à leur position, à leurs travaux, aux sacrifices qu’ils doivent faire dans l’intérêt du bien public. Ils peuvent attendre que le gouvernement soumette à la législature le projet de loi qui est réclamé impérieusement depuis si longtemps.

Messieurs, je pourrai borner ici mes observations ; car les mêmes raisons qui doivent faire différer la fixation définitive des traitements des membres de la haute cour militaire, doivent également militer pour différer la fixation définitive des traitements des auditeurs militaires.

Les auditeurs militaires, comme vous le savez, remplissent, près des conseils de guerre, les fonctions de procureur du Roi et les fonctions de greffier. Ils font même, en réalité, les fonctions de juge instructeur et les fonctions de juge prononçant le jugement. Ils sont ainsi, à la fois, parties poursuivantes et juges prononçant la condamnation.

De pareilles attributions, messieurs, sont incompatibles avec une bonne administration de la justice. Il est urgent de les changer. Vous devez donc également attendre que vous ayez réglé la position définitive des auditeurs militaires, pour fixer définitivement leurs traitements.

Par la loi du 19 février 1834, vous avez fixé le traitement des auditeurs militaires de première classe à 4,200 francs et celui des auditeurs militaires de seconde classe à 3,600 francs. Ces traitements sont évidemment proportionnés aux traitements des auditeurs militaires et à leur position.

D’ailleurs, ces traitements ne sont que provisoires ; c’est ce que déclare la loi du 25 décembre 1834, dont l’article unique porte :

« Les traitements et indemnités des auditeurs militaires provinciaux et des auditeurs militaires adjoints restent fixés au taux établi par la loi du 13 février 1834 jusqu’à ce qu’il y soit pourvu définitivement par la loi d’organisation sur la justice militaire. »

Vous le voyez donc ; vous avez décidé, en 1834, que vous ne changeriez pas les traitements des auditeurs fixés au mois de février de la même année, avant qu’il ne soit pourvu, par une loi, à l’organisation définitive de la justice militaire. Vous l’avez décidé, messieurs, sur la proposition du gouvernement, sur la proposition de M. Ernst, dont le nom a été si souvent cité par son honorable successeur. Vous l’avez décidé après un mûr examen et en pleine connaissance de cause. Reviendrez-vous aujourd’hui sur cette disposition, sur une simple proposition d’un honorable membre de cette assemblée, qui ne la motive même pas ?

M. de Garcia – Je l’ai motivée.

M. Vanden Eynde – Quels motifs avez-vous allégués ? Sont-ce les nécessités de la position ? Est-ce que la position des auditeurs militaires est changée depuis 1834 ? Ont-ils de plus grands besoins ? Leurs travaux sont diminués ; nous ne sommes plus en état de guerre. Que font les auditeurs militaires aujourd’hui ? Ils poursuivent quelques misérables affaires correctionnelles ; rarement un crime. Et pour cela il faudrait augmenter leurs traitements !

Quelle est leur position dans la société ? quel rang y tiennent-ils ? Ils sont mieux payés que les capitaines et même que les majors d’infanterie. Et cependant il n’ont que le grade de major ; ils portent leur costume et leur uniforme.

Je pense donc, messieurs, qu’il n’y a pas plus lieu de nous occuper aujourd’hui des traitements des auditeurs militaires, qu’il n’est nécessaire de s’occuper des traitements des membres de la haute cour militaire. Pour moi, je rejetterai l’amendement qu’a proposé l’honorable M. de Garcia.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la permission à la chambre de lui relire ce que j’ai dit hier relativement à la haute cour militaire, et je pense n’avoir rien à retrancher de l’opinion que j’ai avancée à ce sujet. Je vous disais :

« Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur l’institution de la haute cour militaire, et sur les modifications qu’elle est susceptible de recevoir, toujours est-il que son existence légale ne peut être méconnue, puisque cette cour complète l’organisation des tribunaux militaires maintenue en Belgique par l’article 105 de la Constitution. »

M. Vanden Eynde – Vous avez prononcé le mot « constitutionnel » en réponse à ce qu’avait dit l’honorable M. de Garcia.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – J’ai invoqué l’art. 105 de la Constitution ; il n’est donc pas étonnant que je me sois servi du mot « constitutionnel ». Mais évidemment il n’a pu entrer dans ma pensée de dire que la haute cour militaire avait une existence constitutionnelle définitive. Ce n’est pas ainsi que je l’ai entendu. J’ai voulu dire que la haute cour militaire est maintenue légalement par l’art. 105 de la Constitution. J’ai peut-être mal exprimé ma pensée ; mais je crois ne pas être en désaccord avec l’honorable préopinant, quant à la question de savoir si la haute cour militaire a encore maintenant une existence légale.

Il me semble, du reste, que le mot « constitutionnel » ou « légal » a la même signification dans la circonstance présente ; chercher à y trouver une différence devient un jeu de mots. C’est dans l’art. 105 de la Constitution que l’on trouve la preuve de la légalité de la haute cour militaire ; par conséquent, cette institution, quoique provisoire, est constitutionnellement reconnue.

Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque l’honorable M. Vanden Eynde a parlé de la haute cour militaire ; mais c’est principalement pour exprimer l’opinion que nous ne devons pas, dans ce moment, nous occuper de la question qu’il a traitée. Je concevrait qu’on la soulevât, si l’on venait soutenir que la justice militaire ne doit pas recevoir une nouvelle organisation, que l’organisation actuelle est définitive. Mais personne ne prétend cela. Nous reconnaissons qu’une loi organique est nécessaire ; mais pour le moment il ne s’agit pas d’en discuter les principes ; cette question est vaste ; ni la chambre, ni le ministre n’y sont préparés.

Messieurs, l’honorable M. Vanden Eynde veut me mettre en contradiction avec moi-même, parce que j’ai demandé une augmentation pour les membres de la haute cour militaire, et que, répondant à l’honorable M. Osy, j’ai dit qu’il n’y avait pas lieu de s’occuper de la position des greffiers des tribunaux de commerce, vu que l’organisation de ces tribunaux n’était pas définitive, mais devait être réglée prochainement.

Messieurs, l’expression dont je me suis servi justifie la différence que j’ai mise entre ces deux corps. J’ai dit qu’une nouvelle organisation des tribunaux de commerce était « prochaine » ; et, en effet, j’espère être à même de vous présenter, dans le cours de cette session, un projet de loi pour régler cet objet d’une manière complète et définitive ; avant de connaître l’importance des attributions qui seront réservés aux greffiers, il ne peut s’agir de fixer leurs traitements ; et dès lors je n’ai pas cru devoir m’occuper de ces fonctionnaires. Quant à la haute cour militaire, je n’ai pas tenu le même langage, je ne puis certes promettre de présenter dans cette session un projet de loi pour organiser la justice militaire ; je dois traiter cet objet avec mon collègue M. le ministre de la guerre qui, pas plus que moi, n’est en état de vous dire quand le travail sera terminé.

La présentation de ce projet de loi n’est donc pas aussi prochaine que celle du projet sur les tribunaux de commerce, et il n’est ainsi pas étonnant que je me sois occupé de la haute cour, en passant sous silence les greffiers des tribunaux de commerce.

Messieurs, ce que je viens de dire justifie également l’amendement de l’honorable M. de Garcia relatif aux auditeurs militaires ; mais je dois encore répondre un mot à l’observation présentée par l’honorable membre. Vanden Eynde, en ce qui concerne les occupations des auditeurs militaires. L’honorable membre semble croire que les auditeurs militaires ont aujourd’hui beaucoup moins de besogne qu’ils n’en avaient autrefois ; mais c’est là une véritable erreur. Il n’existe plus maintenant que des auditeurs provinciaux ; lorsque l’armée était sur le pied de guerre, il y avait des conseils de guerre en campagne auxquels étaient attachés des auditeurs adjoints ; alors les auditeurs provinciaux avaient peu de choses à faire, mais maintenant que l’armée est sur le pied de paix, les conseils de guerre en campagne et les auditeurs adjoints, sauf un, n’existent plus ; et il suit de là que les auditeurs provinciaux ont une besogne beaucoup plus considérable. Leur position est donc tout à fait autre que ce qu’elle était en 1834, et cette différence de position sous le rapport du travail justifie complètement l’augmentation de traitement que l’honorable M. de Garcia propose de leur accorder.

M. Delehaye, rapporteur – Messieurs, je crois, avec M. le ministre de la justice, que ce n’est pas, à l’occasion d’un projet de loi relatif aux traitements, que nous devons nous occuper de la constitutionnalité de la haute cour militaire. Dans l’opinion de la section centrale, cette institution n’est point inconstitutionnelle. Il est vrai que la Constitution nous oblige de réviser ce qui concerne la haute cour militaire ; mais elle n’a point fixé le délai dans lequel cette révision devra être opérée ; je conçois que le gouvernement puisse être accusé de négligence sous ce rapport, mais ce n’est pas un motif pour considérer l’institution comme inconstitutionnelle. La section centrale n’a proposé le maintien du statu quo, en ce qui concerne la haute cour militaire, que parce qu’elle a pensé que cela engagerait le gouvernement à nous présenter le plus tôt possible un projet de loi tendant à réviser l’organisation de la haute cour militaire, comme le prescrit la Constitution. C’est là une des nombreuses promesses de la révolution dont le pays attend encore l’accomplissement. Ce qui me fait croire que nous serons encore longtemps sans être saisis de ce projet, c’est que M. le ministre de la justice a dit, dans la séance d’hier, qu’il s’en occuperait quand l’occasion s’en présenterait ; eh bien, je pense que cette occasion se présentera beaucoup plus tôt si la chambre maintient aujourd’hui le statu quo comme le propose la section centrale.

J’aborde, messieurs, les propositions de M. le ministre de la justice. M. le ministre de la justice propose, pour le président et pour l’auditeur-général de la haute cour militaire, le chiffre de 10,000 fr., ; l’honorable M. Van Volxem avait proposé 11,000 fr., mais il avait proposé le même chiffre pour les premiers présidents et pour les procureurs-généraux des cours d’appel ; l’opinion du gouvernement était alors, et cette opinion est encore partagée aujourd’hui par M. le ministre de la justice actuel, que la haute cour militaire devait être mise sur le même pied que les cours d’appel. Or, messieurs, vous avez décidé que les premiers présidents et les procureurs-généraux des cours d’appel ne recevraient qu’un traitement de 9,000 fr. ; il est donc nécessaire de ne pas dépasser ce chiffre pour le président et l’auditeur-général (page 134) de la haute cour militaire. J’insiste d’autant plus sur cette observation que M. le ministre nous a dit qu’il ne proposerait pas, au second vote, de revenir sur le chiffre adopté pour les cours d’appel.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je n’ai pas dit cela.

M. Delehaye – M. le ministre ne l’a pas dit d’une manière directe, mais il a suffisamment fait connaître que telle était son intention, puisque, quand il a fait les nouvelles propositions pour les tribunaux de première instance, il a dit que ces nouvelles propositions étaient la conséquence du vote émis par la chambre en ce qui concernait les cours d’appel. L’opinion de M. le ministre est donc bien qu’il n’est plus question de renouveler ce vote.

Eh bien ! messieurs, lorsque nous n’avons accordé que 9,000 fr. aux premiers présidents et aux procureurs-généraux des cours d’appel, je ne vois pas pourquoi nous donnerions 10,000 fr. au président et à l’auditeur-général de la haute cour militaire. Je ne veux pas examiner en ce moment si la haute cour militaire doit avoir le pas sur les cours d’appel. C’est là une question qui, ainsi que l’a dit M. le ministre de la justice, doit être examinée ultérieurement ; mais je ne puis m’empêcher de dire qu’il n’y a rien de fondé dans l’argument présenté par M. le ministre de la justice, et qui consiste à dire que la haute cour militaire a parmi ses justiciables des lieutenants-généraux. La haute cour militaire a cela de commun avec le plus simple juge de paix, qui peut avoir parmi ses justiciables des hommes tout aussi haut placés et plus haut placés même que les lieutenants-généraux, puisque les ministres eux-mêmes sont justiciables du juge de paix dans le canton duquel ils ont leur domicile.

La section centrale n’a pas été appelée à émettre son opinion sur les dernières propositions de M. le ministre de la justice ; mais d’après les arguments qui ont été présentés en son sein, je crois qu’aucun de ses membres ne serait opposé à ce qu’on accordât une augmentation au substitut de l’auditeur-général. Le substitut de l’auditeur-général occupe un rang plus élevé que les auditeurs militaires dans les provinces, pourquoi n’aurait-il pas dès lors un traitement plus élevé ? Sa besogne est, du reste, extrêmement considérable. Cette considération me porte à modifier l’opinion que j’avais d’abord émise à cet égard, et m’engagera à adopter le chiffre proposé par M. le ministre de la justice pour le substitut de l’auditeur-général.

Quant au greffier de la haute cour militaire, je ne pense pas qu’il puisse se plaindre de sa positon : il touche un traitement au moins égal à celui des greffiers des cours d’appel, y compris le casuel.

En effet, messieurs, d’après un relevé statistique que j’ai communiqué à M. le ministre de la justice, le greffier de la cour d’appel de Gand ne reçoit pas 5,000 fr., traitement et casuel réunis ; le greffier de la cour d’appel de Liége est dans le même cas. Il me semble dès lors que le greffier de la haute cour militaire doit bien se contenter d’un traitement de 5,280 fr.

Il devrait d’autant plus s’en contenter que ses fonctions lui permettent de s’occuper de beaucoup d’autres choses. Dans la discussion de la loi des sucres nous avons eu un mémoire très-étendu sur cette question, qui était rédigé par le greffier de la haute cour militaire ; on m’a dit encore qu’il a consacré trois ans à la rédaction d’un livre.

Eh bien, messieurs, je dis qu’il n’est pas un seul greffier de cours d’appel qui ait le temps d’employer je ne dirai pas trois ans mais trois semaines à écrire un livre, et je pense qu’un fonctionnaire qui a assez de loisirs pour faire des livres, pour rédiger des mémoires, pour s’intéresser dans différentes industries, ne doit pas avoir une besogne tellement forte qu’elle puisse justifier une augmentation de traitement.

Je suis disposé, messieurs, à adopter le chiffre de 3,000 fr. proposé par M. le ministre de la justice pour les commis-greffiers ; il me semble que ce traitement ne serait pas trop élevé.

Quant au président et à l’auditeur général, si M. le ministre proposait 9,000 fr., chiffre adopté pour les premiers présidents et les procureurs généraux des cours d’appel, je pourrais peut-être adopter une semblable proposition, mais je ne consentirai jamais au chiffre de 10,000 fr.

M. de Garcia – Messieurs, la discussion qui a lieu en ce moment entre plusieurs membres de cette assemblée me semble rouler plutôt sur des mots que sur la réalité des principes. J’ai soulevé la question qui occupe maintenant la chambre : celle de savoir si l’institution de la haute cour militaire, telle qu’elle se trouve organisée aujourd’hui, est en harmonie avec nos principes constitutionnels. J’ai soutenu et je maintiens ce que j’ai dit, depuis longtemps, que cela n’est pas. Résulte-t-il de là que l’existence de cette haute cour jusqu’à ce jour soit illégale ? Non, messieurs, je n’ai jamais, et je ne pouvais soutenir semblable chose, puisque la Constitution a maintenu jusqu’à révision l’organisation judiciaire en général, et, par suite, la haute cour militaire. Ceci était commandé par la force des choses, à peine de laisser une lacune dans l’administration générale de la justice.

Entendons-nous donc bien, messieurs, sur les mots et sur les choses, et nous serons probablement d’accord. Hier et aujourd’hui, M. le ministre de la justice a donné clairement à entendre qu’il ne considère pas la haute cour militaire telle qu’elle existe actuellement, comme étant complètement en harmonie avec les principes de la Constitution. Eh bien, je n’ai pas dit autre chose, j’ai bien souvent attaqué l’institution de la haute cour militaire ; mais je n’ai jamais voulu dire qu’elle fût inconstitutionnelle ; j’ai seulement soutenu que la législature devait s’occuper le plus tôt possible d’en réviser l’organisation pour la mettre en harmonie avec nos principes constitutionnels. Ce que j’ai dit à cet égard, je le maintiens. Est-il constitutionnel, en effet, d’enlever la garantie du jury à un militaire qui est accusé d’avoir commis un crime prévu par le code pénal ordinaire ? Est-il constitutionnel de lui enlever la garantie du jury en matière de délits de presse ? Est-il constitutionnel que la haute cour militaire constitue, en certain cas, une deuxième cour souveraine, une deuxième cour de cassation, quand la constitution porte, art. 95, qu’il n’y aura qu’une seule cour de cassation pour la Belgique ? Poser ces questions, c’est les résoudre. Je voudrais que l’on attribuât à la justice militaire la connaissance des délits contre la discipline, des délits d’insubordination, en un mot, des délits militaires ; mais je voudrais que tous les crimes contre la société fussent jugés par le juge civil. On parle du nombre considérable d’affaires dont la haute cour militaire doit s’occuper ; mais, si l’on entrait dans le système de réforme que je demande et qui est exigé par la Constitution, la haute cour militaire n’aurait pas à s’occuper de toutes ces affaires.

M. le ministre de la guerre, s’engageant dans cette question, nous a fait le tableau de ce qui existait en France sous la république et sous l’empire, et de ce qui existait sous le royaume des Pays-Bas ; je ne suivrai pas M. le ministre de la guerre sur ce terrain ; peu m’importe ce qui se faisait aux époques dont il a parlé ; ce qui m’importe c’est que toutes nos institutions soient en harmonie avec nos principes constitutionnels. Je suis conservateur, mais je ne le suis pas au point de ne pas vouloir que nos lois soient conformes à la Constitution. Aussi longtemps que je siégerai dans cette enceinte, je ferai tous mes efforts pour faire marcher le gouvernement et la chambre vers ce but.

Aussi messieurs, quand je combats l’augmentation des traitements dont il s’agit, ce n’est point à l’augmentation elle-même que je m’oppose, je demande seulement qu’elle ne soit pas accordée maintenant ; c’est un levier que j’emploie pour obtenir du gouvernement la présentation d’un projet de loi conforme à nos principes constitutionnels. Et qu’on ne s’y trompe pas, je ne veux pas faire une guerre aveugle aux magistrats de la haute cour militaire, je n’ai pas l’honneur de les connaître ; je crois que, quelle que soit l’organisation future de cette institution, la position de ces magistrats respectables devrait toujours être garantie ; mais ce que je désire, c’est de détruire le germe d’une dépense inutile. Quand une dépense n’est que passagère, ce n’est rien ; mais si, par le vote que vous émettriez aujourd’hui, vous donniez une espèce de sanction à l’existence actuelle de la haute cour militaire, je craindrais que vous ne réalisiez jamais l’économie que je signale et que vous pouvez faire en suivant des principes constitutionnels.

J’aborde maintenant l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter.

Aujourd’hui, messieurs, nous n’avons plus que des auditeurs de première et de deuxième classe. Comme l’a fait observer avec vérité M. le ministre de la justice, ces magistrats ont actuellement une grande besogne. Cette besogne ne se borne pas à une province, elle s’étend à une division militaire, et sont considérables et très-étendues.

L’honorable M. Vanden Eynde m’a objecté que je n’avais pas motivé mon amendement. Je n’ai guère compris cette argumentation, si ce n’est pour se donner beau jeu de la combattre. J’ai motivé ma proposition de la manière la plus claire. J’ai démontré que l’auditeur militaire était chargé d’une besogne considérable et importante, qu’à raison de ses fonctions près du conseil de guerre, il réunissait en lui seul les fonctions de juge d’instruction, de procureur du Roi et de greffier, qu’il était chargé de faire une foule d’expéditions pour les chefs de corps et même pour la haute cour militaire.

J’ai encore motivé mon amendement sur cette considération que, quelle que soit l’organisation définitive de la justice militaire, il faudra des autorités militaires ; je l’ai encore établi, sur ce fait, que jusqu’en 1834 ces fonctionnaires ont reçu des traitements beaucoup plus considérables que ceux qu’ils reçoivent aujourd’hui, et que depuis 1830, ils ont toujours été assimilés aux procureurs du Roi de deuxième et de troisième classe. Ces montants sont-ils insuffisants ? La chambre a déjà jugé le contraire en appuyant mon amendement.

L’honorable M. Vanden Eynde m’oppose une loi de 1834, aux termes de laquelle le traitement des auditeurs militaires est fixé provisoirement à 4,200 fr., jusqu’à l’organisation de la justice militaire. D’abord il n’est pas exact de dire d’une manière absolue que le traitement des auditeurs militaires soit de 4,200 fr., puisque ceux de deuxième classe n’ont que 3,600 fr. ; l’on voit donc qu’en combattant mon amendement que l’on veut mettre en dessous des procureurs du Roi des magistrats qui ont toujours été assimilés aux procureurs du Roi de deuxième et de troisième classe.

Messieurs, j’ai déjà dit qu’il y aurait une souveraine injustice à ne pas améliorer le sort des auditeurs militaires. La besogne de ces magistrats, leur nombre restreint, la nécessité de les conserver, quelle que soit l’organisation future de la justice militaire sont des motifs suffisants pour ne pas les laisser dans la position pécuniaire où ils sont maintenant.

D’après touts ces considérations, je me bornerai à voter une augmentation de traitement pour les auditeurs militaires, et à rejeter toutes celles présentées pour la haute cour.

M. Vanden Eynde – Messieurs, je n’avais demandé la parole que pour déclarer qu’aussitôt que M. le ministre de la justice revient sur l’opinion qu’il a émise sur l’existence constitutionnelle de la haute cour militaire, je ne diffère plus d’opinion avec lui, puisque je reconnais l’institution légale de ce tribunal.

Du reste, je persiste à ne pas accorder les augmentations de traitement qui sont proposées, rien de ce qui a été dit par les honorables préopinants ne m’a fait changer d’opinion.

M. Verhaegen – Messieurs, comme on l’a dit, on ne fait qu’un jeu de mots, quand on parle de constitutionnalité, de légalité. Nous sommes, en effet, d’accord sur un point capital ; tous nous désirons une organisation définitive pour la haute cour militaire, et nous la voulons en rapport avec nos institutions. Mais là n’est pas la question ; la seule question qui (page 135) nous soit soumise en celle-ci : En attendant cette organisation, faut-il faire quelque chose pour la haute cour militaire qui existe provisoirement, en vertu des dispositions de la Constitution ?

L’honorable M. de Garcia pense qu’il conviendrait de faire quelque chose pour la haute cour militaire, mais il est résolu à s’abstenir, parce qu’en s’abstenant, il croit qu’il forcera le gouvernement à proposer une organisation dans un bref délai. C’est un levier, dit-il, dont il veut user vis-à-vis du ministère pour l’obliger à l’exécution de sa promesse ; mais dans ce système, l’honorable M. de Garcia devrait aller plus loin ; il devrait refuser tout appointement quelconque aux conseillers de la haute cour militaire ; le levier serait d’autant plus puissant.

Quant à moi, je ne comprends pas que, pour forcer le gouvernement à présenter un projet d’organisation, on aille frapper ceux qui ne peuvent, en aucune manière, être responsables de l’inaction du ministère. Croit-on, par hasard, que si on refuse d’être juste envers les membres de la haute cour militaire, ce refus porte le gouvernement à hâter la présentation de son projet ? Je suis d’une opinion tout à fait contraire, et j’aime user de tous les autres moyens que j’ai en mon pouvoir pour forcer le gouvernement à obéir aux prescriptions de la Constitution.

L’honorable M. de Garcia n’est d’ailleurs par d’accord avec lui-même : il propose une augmentation pour les auditeurs militaires, et il la refuse aux membres de la haute cour. Son but, il nous l’a dit, est de forcer le gouvernement à réparer l’injustice en présentant un projet d’organisation ; eh bien, ce but serait d’autant mieux atteint s’il refusait aussi une amélioration de position aux auditeurs militaires et s’il rendait ainsi l’injustice plus palpable ; mais non, il fait exception pour les auditeurs, et il refuse tous les autres !

Messieurs, il me reste un mot à dire en réponse au discours de l’honorable M. Vanden Eynde. Je ne m’étonne pas que M. Vanden Eynde, qui a parlé et voté contre l’augmentation de traitements en faveur des premiers présidents et procureurs-généraux près des cours d’appel, s’oppose à l’augmentation demandée pour le président et l’auditeur-général de la haute cour militaire, mais je m’étonne que cet honorable membre, qui a si chaudement défendu le chiffre de six mille francs pour les conseillers des cours d’appel, et qui a fini par l’honorer de son vote, vienne aujourd’hui combattre la faible augmentation que je réclame dans l’intérêt des conseillers de la haute cour militaire !!...

M. de Garcia – Messieurs, l’honorable M. Verhaegen m’a accusé d’être inconséquent et injuste. « Vous proposez, dit-il, un amendement pour augmenter le traitement des auditeurs-militaires ; d’un autre côté, vous ne voulez augmenter le traitement d’aucun des magistrats de la haute cour militaire ; donc vous êtes inconséquent, donc vous êtes injuste. » Voilà bien, dans toute sa force, l’argument de M. Verhaegen, et il ne me sera pas difficile d’y répondre.

Messieurs, j’ai expliqué le motif qui m’a déterminé à demander une augmentation de traitement pour les auditeurs militaires. Dans ma pensée, quelle que soit l’organisation définitive de la justice militaire, il faudra toujours des auditeurs militaires, quelle que soit la dénomination qu’on leur donne. D’un autre côté, dans mon opinion, la haute cour militaire est complètement inutile. Je voudrais voir les attributions de cette institution déférées à une section de la cour de cassation, section qu’on formerait, si l’on voulait, partie de magistrats civils, partie de magistrats militaires ; ainsi je remplirais le vœu de la Constitution, qui prescrit une seule cour de cassation pour le royaume.

La haute cour militaire disparaîtrait comme juge d’appel. Les militaires pour délits militaires n’auraient qu’un degré de juridiction, les conseils de guerre, sauf recours à la cour de cassation, pour violation de la loi. Pour tous les crimes et délits ordinaires, les militaires seraient renvoyés devant la justice ordinaire.

Je l’ai déjà dit, ce système, d’un seul degré de juridiction pour les militaires à raison de délits militaires, n’est ni neuf ni exorbitant. Les militaires, dans ce cas, sont jugés exceptionnellement par leurs pairs, et c’est un avantage ; ce système n’est pas neuf, comme je viens de le dire, et je le prouve : Que moi, magistrat, je commette un délit, croyez-vous que j’aie deux degrés de juridiction ? Non, messieurs, je suis jugé directement par mes pairs, je suis jugé par la cour, et je n’ai qu’un degré de juridiction, sauf le recours en cassation pour violation de la loi.

En résumé, messieurs, selon moi, la haute cour doit disparaître dans l’organisation future de la justice militaire. Il n’en est pas de même des conseils de guerre, et des auditeurs militaires qui devront rester. Dans cette manière de voir, je puis combattre l’augmentation de traitement des uns et appuyer celle des autres, sans qu’on puisse m’adresser le reproche d’être inconséquent et injuste.

On parle toujours d’économies ; je voudrais en faire une de ce chef. Elle ne se réaliserait pas incontinent peut-être, puisque je veux conserver les positions acquises ; mais elle existerait au moins en germe.

Dans cet état, messieurs, je crois m’être justifié, non-seulement du reproche d’inconséquence et d’injustice, mais je crois aussi avoir démontré la portée utile de ma double proposition.

M. le président – M. le ministre retire le chiffre de 10,000 fr. qu’il avait proposé pour le président et l’auditeur-général, et le remplace par celui de 9,000 fr.

M. Verhaegen propose de porter à 7,000 fr. le traitement des conseillers de la haute cour militaire.

La section centrale et le gouvernement proposent le maintien du traitement actuel..

Le chiffre de 7,000 fr. est mis aux voix. – Il n’est pas adopté.

M. Vanden Eynde – Je crois que M. le président s’est trompé quand il a dit que le gouvernement et la section centrale étaient d’accord sur le traitement des conseillers. Il me semble que la section centrale propose le maintien du traitement actuel et que le gouvernement propose un autre chiffre.

M. le président – La section centrale propose la suppression de l’article, ce qui équivaut au maintien du traitement actuel. M. le ministre de la justice proposait d’abord de porter le traitement du président et de l’auditeur-général à 10,000 fr. et de maintenir, pour les conseillers, le traitement actuel. Il était donc vrai qu’en ce qui concerne les conseillers, le gouvernement et la section centrale étaient d’accord.

Plusieurs voix – Quel est le traitement actuel des conseillers ?

M. le président – 3,000 fl., ce qui fait environ 6,350 fr.

M. Dumortier – Il me semble qu’avant de voter ce chiffre, ce qui serait consacrer la haute cour militaire, il serait bon que le gouvernement déclarât s’il entend proposer un projet de loi sur cet objet.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Le projet est à l’étude.

M. Dumortier – Quelquefois on étudie longtemps ; c’est n’est pas là un engagement de présenter un projet de loi. Je ne tiens pas à ce que la présentation de ce projet ait lieu dans le cours de cette session, il me suffira que M. le ministre s’engage à le présenter à la prochaine session.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Nous nous en occupons très-sérieusement.

M. le président – Pour le président de la haute cour militaire et l’auditeur-général, la section centrale propose le maintien du traitement actuel. Le gouvernement propose de porter ce traitement à 9,000 fr.

- La proposition du gouvernement est mise aux voix

Elle n’est pas adoptée.

Pour le substitut de l’auditeur-général, la section centrale propose le maintien du traitement actuel ; le gouvernement propose de porter ce traitement à 6,000 fr.

La proposition du gouvernement est mise aux voix

Elle n’est pas adoptée.

Le gouvernement propose de porter le traitement du greffier à 6,000 fr.

La section centrale propose le maintien du traitement actuel.

La proposition du gouvernement est mise aux voix

Elle n’est pas adoptée.

Le gouvernement propose de porter le traitement du commis-greffier à 3,000 fr.

La section centrale propose le maintien du traitement actuel.

La proposition du gouvernement est mise aux voix

Elle n’est pas adoptée.

M. le président – Il reste l’amendement de M. de Garcia concernant les auditeurs militaires. Cet amendement est ainsi conçu :

« Le traitement des auditeurs militaires de première classe sera égal à celui des procureurs du Roi de deuxième classe et celui des auditeurs de deuxième classe égal à celui des procureurs du Roi de troisième classe. »

La section centrale ne présenter aucune innovation.

Le gouvernement s’est rallié à l’amendement proposé.

Cet amendement est mis aux voix

Il n’est pas adopté.

M. le président – L’art. 2 se trouve écarté.

Article premier. Paragraphe 4. Juges de paix

M. le président - Nous revenons à l’art. 1er. Dans la séance d’hier, M. Delfosse avait proposé un amendement conçu en ces termes :

« Nul ne pourra être nommé jugé de paix, s’il n’est au moins candidat en droit. »

M. Savart présente un sous-amendement ainsi conçu :

« Pourront être nommés juges de paix, quoique non candidats en droit, les suppléants des justices de paix, les greffiers et commis-greffiers des cours et tribunaux, les notaires et avoués, pourvu que les prénommés aient rempli pendant cinq ans leurs fonctions respectives. »

M. Savart-Martel – Messieurs, il ne faut pas trop circonscrire le droit de nomination des juges de paix. Evidemment, mon amendement n’a lieu que pour le cas d’adoption de la proposition de l’honorable M. Delfosse.

Les juges de paix doivent être considérés comme conciliateurs et comme juges proprement dits, notamment en matière possessoire, et aussi comme officiers de police.

Mais s’il est à désirer que ces magistrats aient des connaissances en droit, le principe, appliqué d’une manière absolue, conduirait à l’absurde.

Mon exception, en faveur des suppléants, greffiers et commis-greffiers, des notaires et avoués, est fondée sur des motifs qu’il est inutile de développer, surtout quand on y joint cette garantie, que les personnes, en faveur desquelles je réclame l’exception, devront avoir rempli leurs fonctions pendant cinq années.

M. de Saegher – Messieurs, la proposition que vous a faite hier l’honorable M. Delfosse soulève une question grave et qui, à notre avis, mérite toute l’attention de la chambre. C’est celle de savoir si, à l’avenir, on ne pourra prendre, pour remplir les fonctions de juge de paix, que des individus ayant au moins le grade de candidat en droit. Messieurs, d’un coté il est vrai que, dans l’esprit de la loi organique sur les justices de paix, il n’était pas nécessaire que les juges de paix eussent fait des études spéciales en droit. Nous en avons la preuve dans le discours qui a été prononcé par l’orateur qui est venu présenter le projet de loi à l’assemblée constituante. Cet orateur, M. Thouret, s’exprimait en ces termes :

« Il faut que tout homme de bien, pour peu qu’il ait d’expérience et d’usage, puisse être juge de paix. »

(page 136) Cependant, pour soutenir le système contraire, on pourrait faire remarquer que M. Thouret ajouta immédiatement après ces paroles :

« La compétence des juges de paix doit être bornée aux choses de conventions très-simples et de la plus petite valeur et aux choses de fait qui ne peuvent être bien jugées que par l’homme des champ qui se rend sur les lieux mêmes, vérifie l’objet du litige et trouve dans son expérience un guide sûr. »

Ainsi, dans l’intention du législateur, d’un côté, il n’était pas nécessaire que le juge de paix fût homme de loi, pour peu qu’il fût homme de bien, et qu’il eût quelque expérience et quelque usage. Mais alors aussi la compétence se réduisait, d’après la loi, aux seules causes personnelles et mobilières jusqu’à la valeur de 50 livres sans appel et 100 livres à charge d’appel, et aux contestations relatives à des actions possessoires, et quelques autres objets d’une moindre importance. Mais, depuis l’émanation de cette loi, les attributions des juges de paix ont considérablement augmenté. C’est ainsi qu’aujourd’hui le juge de paix est d’abord président du tribunal de simple police. Il doit donc connaître toutes les lois de police en vigueur dans le pays ; et parmi ces lois il en est d’une application extrêmement difficile qui soulèvent des questions sur lesquelles la jurisprudence de la cour de cassation n’est pas même fixée.

En second lieu, depuis l’émanation de la loi, le juge de paix est devenu officier de police judiciaire ; il est par conséquent chargé des fonctions délicates d’officier de police judiciaire, notamment au premier moment où un crime ou délit est commis dans son canton. Ce sont des fonctions extrêmement importantes et qui réclament une connaissance parfaite d’une partie du Code d’instruction criminelle.

En troisième lieu, le juge de paix a été chargé, et par le Code civil et par le Code de procédure civile, d’attributions très-étendues, et qui, encore une fois, exigent la connaissance d’une partie de ces Codes.

Enfin, par la nouvelle loi du 20 mars 1841, relative à la compétence des juges de paix, la législature a encore une fois augmenté de beaucoup les attributions de ces magistrats. Depuis cette loi, les juges de paix jugent jusqu’à concurrence de 100 fr. sans appel, et de 200 fr., ils sont obligés de recourir à la preuve légale, et que cette disposition met ces magistrats dans la nécessité de se pénétrer des principes qui règlent les contrats et obligations, la preuve testimoniale et les présomptions. Vous voyez donc, qu’encore une fois, il faut aux juges de paix des connaissances étendues, relativement à cette partie importante du droit.

D’après ces considérations, je pense aussi que, comme « règle », et sauf quelques exceptions dont nous parlerons bientôt, il faut admettre qu’il est nécessaire que le juge de paix ait des connaissances spéciales en droit ; car je le répète, comment serait-il possible qu’un juge de paix pût décider une contestation relative, par exemple, à un loyer, à un bail de ferme, s’il ne connaît pas les principes relatifs à ces questions de droit ? Comment pourrait-il prendre une décision équitable, conforme aux lois, s’il ne connaît pas les principes sur la matière ?

Vous reconnaîtrez avec moi que la matière des actions possessoires est une des plus graves, une des plus difficiles que nous rencontrions dans notre droit civil ; que, sans en avoir fait une étude toute spéciale, il est impossible non pas seulement de la comprendre mais même d’en avoir une idée. Eh bien, comment voulez-vous qu’un juge de paix décide une question de cette nature, s’il n’en possède pas les notions indispensables ?

Mais, dit-on, les juges de paix doivent être des hommes de conciliation plutôt que des juges. J’admets, moi, l’utilité du préliminaire de la conciliation, surtout pour ce qui concerne les campagnes. Je l’admets d’autant plus que l’art. 13 de la loi du 20 mars 1841 est rédigé dans cet esprit. En effet, il porte que le juge de paix pourra défendre à l’huissier de donner aucune citation, sans qu’au préalable les parties aient été appelées devant lui. Cependant on pourra répondre à cette objection que, pour concilier les parties, il faut être à même d’apprécier leurs droits.

Car, comment voulez-vous, lorsqu’une contestation s’élève entre les parties, relativement à l’interprétation d’un article de loi, relativement à une action possessoire, qu’un juge de paix puisse les concilier, s’il ne connaît pas le droit de chacune d’elles ? Car le fondement de la conciliation, de la transaction doit être l’équité basée sur le droit et sur le fait. Or, comment le juge de paix pourra-il apprécier la nature de la transaction ou des moyens de conciliation qu’il doit proposer aux parties, s’il ne connaît pas à peu près l’objet et la nature du droit contesté entre ces parties ?

Ainsi l’on peut soutenir avec raison, que la conciliation exige au moins autant de connaissance de la matière que la rédaction du jugement même. Je crois également qu’il est aussi difficile de concilier équitablement les parties sur un procès que de rédiger le jugement qui mettrait fin à ce procès.

Nous pensons donc que, dans le plus grand nombre de cas, comme règle générale, et sauf quelques rares exceptions, le gouvernement doit nommer aux fonctions de juges de paix des jurisconsultes, des avocats, en un mot, des personnes qui, devant le jury d’examen, aient reçu le grade de docteur en droit. Cependant, à notre avis, cette règle ne peut pas être trop absolue. Quelquefois le succès de la voie de conciliation dépend autant du caractère du magistrat qui la propose, de l’estime qu’il a su se concilier parmi ses justiciables, et de la position sociale qu’il occupe, que des connaissances qu’il peut posséder. Il est des juges de paix qui ont su se concilier l’estime et la considération publique à tel point qu’un mot de leur part fait autant que toutes les connaissances qu’on pourrait attribuer à ces magistrats.

C’est ainsi que je connais deux personnes exerçant, ad interim, les fonctions de juge de paix depuis un grand nombre d’années, de la manière la plus digne et la plus avantageuse pour les justiciables, quoiqu’elles n’aient pas obtenu le grade de docteur en droit.

Ainsi, dans notre opinion, il est à désirer qu’en règle générale les gouvernements n’appelle aux fonctions de juges de paix que les docteurs en droit ; mais nous n’admettons pas que le gouvernement soit obligé de le faire dans tous les cas.

J’insiste sur ce mot « docteur en droit » ; car, en aucune manière, il ne me serait possible d’admettre l’opinion de M. Delfosse, qui tend à nommer aux fonctions de juges de paix, même les candidats en droit. En général, ceux qui obtiennent seulement ce grade, sont des personnes qui ont cessé leurs études, ou par découragement ou par défaut de connaissances.

Il est assez extraordinaire de rencontrer parmi les candidats en droit des sujets capables. Je pense que, parmi ceux-là, il sera rare de rencontrer des personnes qui puissent remplir convenablement leurs fonctions de juge de paix. Je crois, au reste, que nous ne pouvons lier le gouvernement dans les choix qu’il croira devoir faire.

Nous disions tout à l’heure que, pour faire tout le bien possible, il faut que le juge de paix jouisse de la considération, de la confiance publique. Pour qu’il puisse l’obtenir, il faut qu’il ait avec les habitants du canton des relations de tous les jours. Pour avoir ces relations, pour obtenir cette confiance, cette considération dont il a besoin pour remplir surtout la partie de son ministère relative à la conciliation, il faut qu’il habite le canton, qu’il ne le quitte qu’à de rares intervalles.

Voilà malheureusement ce qui n’existe pas dans un grand nombre de cantons. Beaucoup de juges de paix de cantons ruraux habitent la ville, viennent à de rares intervalles, les jours d’audience, remplir les fonctions de leur ministère. Les fonctions les plus importantes sont remplies souvent, en son absence, par des suppléants qui n’ont pas les connaissances nécessaires.

J’appelle donc l’attention du gouvernement sur cet objet. Ne serait-il pas possible de prendre des mesures pour éviter cet inconvénient ? Cela ne devrait-il pas faire l’objet d’un article spécial ?

Pour qu’un juge de paix jouisse de toute la considération qui lui est nécessaire, il faut qu’il ne puisse exercer aucune autre fonction, qu’il ne soit ni négociant, ni agent d’affaires, ni médecin, qu’il n’exerce aucune autre fonction qui puisse le distraire de ses occupations habituelles, et qui puisse lui enlever la considération dont il doit jouir. C’est encore un point sur lequel j’appelle l’attention du gouvernement. Ce sont des abus qui existent dans presque tous les arrondissements. Ne faut-il pas une disposition spéciale à cet égard ?

En résumé, je pense qu’en règle générale ce sont les docteurs en droit qui doivent, de préférence, être chargés des fonctions importantes de juge de paix.

Je pense cependant que nous ne pouvons pas limiter le gouvernement à cet égard ; que nous devons d’autant moins le faire que l’expérience nous prouve que le gouvernement ne mérite, à cet égard, aucune défiance Vous voyez, en effet, messieurs, que sur cinq places de juge de paix vacantes, il en est au moins quatre qui sont données à des docteurs en droit.

Par ces considérations, je voterai contre l’amendement de l’honorable M. Delfosse.

M. Desmet – Messieurs, j’avais demandé la parole pendant que l’honorable M. de Saegher parlait, parce que je croyais qu’il se prononçait pour l’amendement de l’honorable M. Delfosse. Maintenant que je vois, par ses conclusions, qu’il s’y oppose, je viens appuyer ses observations.

L’honorable préopinant vous a d’abord cité un passage du discours d’un membre du parlement de Rouen, de M. Thouret, où il était dit qu’il ne fallait pas de jurisconsultes pour être juges de paix, mais des hommes de bon sens, des honnêtes gens. On peut en croire ce que disait ce magistrat ; les jurisconsultes qui étaient membres du parlement de Rouen pouvaient en juger ; ils savaient combien les Normands aiment la chicane ; ils comprenaient qu’il était préférable qu’il ne trouvassent pas dans la qualité de juge de paix un aliment à leur passion pour les procès, enfin que celui-ci devait être plutôt un conciliateur qu’un homme de procédure.

Messieurs, quel a été le grand argument de l’honorable M. de Saegher en faveur de la nomination des jurisconsultes aux fonctions de juges de paix. C’est, vous a-t-il dit, qu’on a apporté de grandes modifications aux attributions primitives des juges de paix. Messieurs, ces modifications ne sont pas si importantes ; elles ne portent que sur l’élévation du chiffre de la compétence.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la parole.

M. Desmet – Aujourd’hui, comme primitivement, les juges de paix ont d’abord à connaître des actions personnelles et mobilières, et cela pour une somme déterminée. En cela aucun changement.

En second lieu, ils ont à connaître des actions possessoires. Le chiffre de la compétence a été élevé. Mais ce n’est certainement pas dans l’élévation d’un chiffre que se trouve la difficulté, c’est dans la matière même.

En troisième lieu, messieurs, les juges de paix, ont aussi les attributions des juges de simple police. Mais en cela encore aucune modification n’a été portée à leurs attributions.

Je pense donc, messieurs, qu’on n’a pas apporté des changements nouveaux aux attributions des juges de paix. A la vérité, en ce qui concerne les actions possessoires, la somme est doublée ; mais la matière n’est pas plus difficile pour cela.

Messieurs, ce qu’il faut avant tout pour les fonctions de juges de paix (page 137) sont des hommes de considération, des hommes de probité et de bonne expérience. Je pense donc qu’il faut laisser intacte l’institution primitive et laisser le gouvernement libre de faire de bons choix.

Messieurs, j’appuie aussi ce que vous a dit l’honorable membre relativement à la résidence des juges de paix. Je désire vivement qu’à cet égard la loi soit exécutée. Si je ne me trompe, les lois actuelles sont suffisantes pour obliger les juges de paix à résider dans leur canton ; il faut que ces lois soient strictement exécutées.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je vous ai dit hier que l’amendement de l’honorable M. Delfosse, tel qu’il l’avait présenté d’abord, mais non tel qu’il l’a modifié depuis…

M. Delfosse – Je n’ai modifié que sa rédaction.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je croyais que vous exigiez que l’on fût docteur en droit pour être juge de paix.

M. Delfosse – J’exigeais seulement que l’on fût candidat. On ne peut être docteur sans être candidat.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Oui, mais on peut être candidat sans être docteur.

M. Delfosse – Cela est vrai ; mais, je vous répète que je n’ai changé que la rédaction de mon amendement ; mon amendement tel qu’il était primitivement rédigé n’exigeait pas que l’on fût docteur en droit pour être juge de paix ; j’admettais les candidats.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je disais hier, messieurs, que le gouvernement suivait, en général, et autant que cela lui est possible, la marche qui se trouvait réglée par l’amendement de l’honorable M. Delfosse, qui, je le pensais, exigeait le grade de docteur en droit. Je disais que le gouvernement choisissait de préférence pour les fonctions de juges de paix des hommes ayant cette qualité ; je crois qu’il doit continuer à en être ainsi. Cette marche est surtout justifiée par la nouvelle loi votée en 1841, qui a augmenté la compétence des juges de paix, non-seulement quant au taux des affaires sur lesquelles ils peuvent prononcer, mais aussi quant aux différentes matières dont ils peuvent connaître et dont il ne connaissaient pas antérieurement : telles que les demandes en validité de saisie, etc.

Cependant, messieurs, il ne faut pas perdre de vue, comme on vous le disait hier, le principe même de l’institution des justices de paix. Ce principe vous a été rappelé par la lecture que vous a donnée l’honorable M. de Saegher, du passage d’un discours prononcé par M. Thouret.

Ce principe, messieurs, n’est pas changé. Il est encore reconnu par tout le monde. C’est ainsi que, dans le rapport que vous faisait en 1841 sur la loi de compétence l’honorable M. Liedts, nous lisons : « On ne doit pas oublier, en effet, que cette justice élémentaire et presque domestique a été instituée plutôt pour prévenir les procès que pour les juger. »

Voilà, messieurs, le vrai caractère des juges de paix.

Les juges de paix doivent, il est vrai, être considérés sous trois rapports différents.

Ils sont d’abord et en premier lieu conciliateurs. Ils deviennent, dans les limites de leur compétence, des juges, lorsqu’ils ne peuvent parvenir à concilier les parties ; et, en troisième lieu, ils sont officiers de police judiciaire.

Messieurs, si les juges de paix n’avaient que des fonctions purement judiciaires à remplir, je n’hésiterais pas un instant, non pas à adopter l’amendement de l’honorable M. Delfosse, qui est tout à fait inadmissible, mais à exiger que les candidats pour ces places fussent docteurs en droit.

Mais en songeant aux autres fonctions que les juges de paix ont à remplir, je me suis demandé s’il serait prudent d’interdire l’accès à cet emploi à tous ceux qui n’ont pas obtenu leur grade devant les jurys d’examen ? Cette question, je pense, doit être résolue négativement. Il est important sans doute qu’un juge de paix ait des connaissances en droit, mais il est plus important encore que le juge de paix ait un caractère conciliant et jouisse dans la commune où il est placé de la considération et de l’influence nécessaire pour pouvoir opérer le bien que cette institution doit produire. Si les choix étaient limités aux docteurs en droit, le gouvernement devrait souvent confier ces fonctions à des jeunes gens sortant à peine des universités, et les refuser à des gens d’expérience qui pourraient bien mieux répondre au but de l’institution des justices de paix.

Je dois donc repousser l’amendement de l’honorable M. Delfosse, d’abord parce que, tel qu’il est présenté, il n’aurait de résultat avantageux, sous aucun rapport, et ensuite, parce que, s’il était modifié et s’il exigeait que les aspirants aux fonctions de juges de paix fussent docteurs en droit, il pourrait, dans certains cas, amener des nominations peu en harmonie avec le but de l’institution des justices de paix.

Je dis que l’amendement de l’honorable M. Delfosse n’aurait aucun résultat avantageux. Et en effet, messieurs, quelles sont les connaissances nécessaires pour le candidat en droit ? L’examen porte sur le droit naturel, sur la philosophie du droit, l’encyclopédie du droit, l’histoire du droit romain, les éléments de droit civil moderne, la statistique, l’économie politique et l’histoire politique.

Or, je ne pense pas qu’il soit absolument nécessaire qu’un juge de paix ait toutes ces connaissances, il serait beaucoup plus important qu’il connût bien les lois de la procédure, la loi du notariat, etc, etc., qui ne font pas partie des connaissances exigées pour la candidature. Il ne puisera pas notamment dans les connaissances exigées du candidat la connaissance si importante des actions possessoires dont a parlé l’honorable M. de Saegher. Un juge de paix qui n’aurait que les connaissances d’un candidat en droit, et qui aurait ces connaissances dans toute leur étendue, pourrait néanmoins être un très-mauvais juge de paix.

Messieurs, une autre objection que j’aurais également faite contre l’amendement était tirée de la difficulté qui pourrait se présenter de trouver des suppléants qui n’auraient plus eu la chance de devenir juges de paix. L’honorable M. Savart a prévenu en partie cette objection en proposant de dispenser de l’obligation d’être docteur en droit, celui qui aura été suppléant, ou qui aura exercé quelques autres fonctions. Mais s’il est nécessaire d’avoir certaines qualités, certaines connaissances pour être juge de paix, il faut également avoir ces qualités pour être suppléant, puisque ce dernier est appelé à remplir, en l’absence du juge de paix, les fonctions de ce magistrat. Je ne pourrais donc pas adopter davantage l’amendement de l’honorable M. Savart, parce que, je le répète, si certaines connaissances sont indispensables pour les juges de paix, elles le sont aussi pour les suppléants.

Après avoir repoussé au fond l’amendement de l’honorable M. Delfosse, je pourrais en outre le combattre, si je puis m’exprimer ainsi, en lui opposant une fin de non-recevoir.

La chambre est saisie d’un projet de loi auquel je faisait allusion hier en répondant à l’honorable M. Castiau, et où il est question des justices de paix et de leur organisation ; ce sera lors de la discussion de ce projet qu’il devra être question de fixer les conditions qu’il conviendra d’exiger des juges de paix ; ces conditions pourront dépendre de ce qui sera décidé relativement aux commissaires de police cantonaux. Si ces nouveaux agents sont docteurs en droit, s’ils assistent les juges de paix dans toutes les affaires, s’ils portent la parole même dans les affaires civiles, on pourra être moins exigeant à l’égard des juges de paix, qui trouveront dans ces fonctionnaires une aide que leur manque maintenant.

Je pense donc, messieurs, que ce n’est qu’alors qu’il faudra s’occuper des conditions à imposer à ceux qui aspirent aux places de juge de paix. D’ici là on pourra examiner s’il y aurait lieu, non pas d’exiger des juges de paix qu’il soient candidats en droit, ce qui n’aurait aucune portée, mais d’exiger qu’ils passent un examen semblable, par exemple, à celui que passent les candidats-notaires. C’est une question qui doit être examinée, qui mérite de l’être, et qui appelle réellement toute la sollicitude du gouvernement et des chambres, en présence de la loi nouvelle sur la compétence.

L’honorable M. de Saegher a parlé avec beaucoup de raison de la nécessité qu’il y aurait d’obliger les juges de paix à résider au chef-lieu de canton. Messieurs, cette obligation est écrite dans la loi de floréal ; elle est, de plus écrite dans la loi que je tiens en main et qui dit, art. 7 : « Les juges de paix sont obligés de résider au chef-lieu de canton. »

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’établir des peines disciplinaires nouvelles contre les juges qui pourraient se soustraire à cette obligation. Il existe des moyens suffisants pour les obliger à s’y soumettre

L’honorable M. de Saegher a parlé également de la nécessité d’interdire le commerce aux juges de paix, mais l’art. 15 de la loi que nous discutons porte cette défense.

Encore un mot sur l’amendement de l’honorable M. Delfosse ; l’idée qu’a développée cet honorable membre n’est pas neuve ; déjà en 1831 une proposition semblable avait été faite, mais elle n’a pas été admise ; la loi de 1827 contenait une disposition sur cet objet, disposition qui me paraît suffisante et qui est ainsi conçue :

« Art. 35. Les juges de canton et leurs assesseurs devront, indépendamment des conditions requises par la loi fondamentale, avoir accompli leur 25e année.

« Ils sont choisis parmi les citoyens les plus notables et aisés qui se seront distingués par leur capacité et leurs connaissances, mais de préférence parmi les docteurs ou licenciés en droit.

« Dans les villes commerçantes ou manufacturières les assesseurs du juge de canton seront pris en partie parmi les négociants ou fabricants. »

Je pense, messieurs, que cet article trace au gouvernement une règle de conduite qu’il doit suivre et qu’il suit toujours lorsque la chose est possible, lorsque les sujets qui se présentent le permettent, mais je ne crois pas qu’il faille aller plus loin ; et dans tous les cas, je le répète, l’amendement de l’honorable M. Delfosse ne me semble aucunement admissible.

M. Rodenbach – L’honorable député de Gand a cité de abus qui ont été cités également par plusieurs membres qui siègent derrière moi ; ces abus ne sont que réels. On a nommés juges de paix dans les deux Flandres des jeunes gens de la capitale qui ont fait leur droit et qui se rendent quelquefois pendant quinze jours, trois semaines, dans la localité où ils doivent résider, pour venir passer ensuite des mois entiers à Bruxelles. Je prierai M. le ministre de la justice de tenir la main à ce que cet abus cesse. M. le ministre nous a dit que la loi avait prévu le cas, mais je lui demanderai quelles mesures il prendra pour faire respecter cette disposition de la loi ? Les juges de paix sont inamovibles, et dès lors comment M. le ministre de la justice s’y prendra-t-il pour forcer un juge de paix à résider dans la localité où il doit exercer ses fonctions ? Lorsqu’un greffier ne veut pas se rendre à son poste, il peut être destitué, mais un juge de paix est à l’abri de la destitution ; il est inamovible.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable M. Rodenbach vient de dire que différents juges de paix ne demeurent pas dans la localité qui leur est assignée comme résidence. Je prierai l’honorable membre de vouloir bien en dehors de cette enceinte, m’indiquer les personnes auxquelles il fait allusion, et je lui promets de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme aux abus dont il se plaint.

M. Delfosse – Je ne croyais pas que la proposition que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre rencontrerait autant d’adversaires (page 138) qu’elle en a rencontré. L’opposition de l’honorable député de Namur ne m’a nullement surpris ; cet honorable membre nous disait, dans une présente séance, qu’il suffit à un juge de première instance d’avoir du bon sens. Si cet honorable membre se contente du bon sens pour les juges de première instance, il peut fort bien s’en contenter aussi pour les juges de paix.

Un des autres adversaires de ma proposition, l’honorable député de Gand, qui a pris tantôt la parole, aurait pu en être considéré comme le défenseur, car il a fait valoir contre ma proposition toutes les raisons que je puis donner pour la justifier.

M. le ministre de la justice a présenté quelques objections auxquelles il ne me sera pas difficile de répondre ; hier, lorsque j’ai soumis ma proposition à la chambre, M. le ministre de la justice a demandé un jour pour y réfléchir, après, toutefois, nous avoir dit qu’elle lui souriait assez. Les recherches faites depuis hier par M. le ministre de la justice paraissent avoir abouti à un bien mince résultat ; la principale mission des juges de paix, c’est de concilier les parties ; voilà ce que M. le ministre de la justice vient de nous apprendre ; mais, messieurs, hier, comme aujourd’hui, M. le ministre de la justice devait savoir que c’est là la principe mission des juges de paix ; cette mission, je ne l’ai jamais contestée, je ne la conteste pas encore.

On oppose à mon amendement une espèce de fin de non-recevoir ; on me dit que ce n’est pas le moment de l’examiner, qu’il sera plus opportun de l’examiner lorsque nous nous occuperons de la loi sur la circonscription cantonale. Messieurs, je crois, au contraire, que le moment est très-opportun pour examiner ma proposition ; il y a des traitements des juges de paix que nous avons presque doublés ; lorsqu’on augmente les traitements d’une classe de fonctionnaires, on peut très-bien, ce me semble, examiner si les conditions de travail et de capacité que l’on exige d’eux sont en rapport avec les nouveaux traitements.

M. le ministre de la justice nous dit que ma proposition n’est pas neuve, qu’une proposition semblable a déjà été faite en 1831, et qu’elle a été rejetée. M. le ministre oublie que ce qui m’a amené à faire cette proposition, ce sont des faits postérieurs à 1831. C’est d’abord la loi sur la compétence votée en 1841, c’est ensuite le vote d’hier si favorable aux juges de paix ; voilà deux motifs que j’ai donnés à l’appui de ma proposition ; ces motifs n’existaient pas en 1831.

Messieurs, si la loi sur la circonscription cantonale devait être discutée d’ici à quelques temps, dans cette session ou dans la session prochaine, je ne m’opposerais nullement à, l’espèce d’ajournement proposé par M. le ministre de la justice ; je me bornerais à demander le renvoi de ma proposition à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi dont je viens de parler ; c’est là ce que je demanderai également, si l’espèce d’ajournement proposé par M. le ministre de la justice est adopté par la chambre ; je crois que cette motion d’ajournement devra être d’abord mise aux voix. Mais je crains que la loi sur la circonscription cantonale ne soit pas discutée d’ici à longtemps. Je ne demanderais pas mieux que de la voir discuter ; il y a des intérêts très-graves qui en réclament la discussion prochaine ; mais jusqu’à présent la majorité n’a pas paru très-disposée à la mettre à l’ordre du jour ; le gouvernement lui-même n’a pas pressé, sous ce rapport, les travaux de la chambre. Il se rattache à cette loi d’autres intérêts que ceux de la justice ; il s’y rattache des intérêts électoraux c’est ce qui explique le peu d’empressement que l’on met à la discuter.

Indépendamment de cette fin de non-recevoir, on a fait valoir contre mon amendement une raison qui paraît préoccuper la plupart de mes honorables contradicteurs ; on a dit, et c’est là le fruit des recherches auxquelles M. le ministre de la justice s’est livré depuis hier….

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je n’ai pas dit que je devais faire des recherches ; j’ai dit que je désirais y réfléchir.

M. Delfosse – Si le mot « recherches » déplaît à M. le ministre de la justice, je dirai que c’est le fruit des réflexions auxquelles il s’est livré depuis hier. On a dit que les juges de paix sont avant tout chargés de concilier les parties. Messieurs, les juges de paix ont deux missions importantes : l’une de ces missions, c’est de concilier les parties ; l’autre c’est de juger. Celui qui n’a pas de connaissances en droit peut remplir la première de ces deux missions, il peut concilier les parties ; cependant cela est encore contesté, car l’honorable M. de Saegher nous a dit, non sans quelque apparence de raison (et cela vient à l’appui de ce que je disais tantôt, qu’il a été plutôt le défenseur que l’adversaire de ma proposition), l’honorable M. de Saegher nous a dit que, pour concilier les parties, il faut, dans bien des circonstances, connaître le droit, afin de pouvoir leur expliquer quelles doivent être leurs espérances ou leurs craintes.

Mais je vais plus loin que l’honorable M. de Saegher ; j’admets que, pour concilier les parties, il ne faille pas avoir des notions de droit ; le juge de paix qui n’a pas ces notions pourra donc remplir la première mission, mais il ne pourra évidemment remplir l’autre, il ne pourra pas juger ; lorsqu’il sera appelé à juger, il devra consulter un jurisconsulte, et alors ce ne sera pas l’homme investi de la confiance du gouvernement, ce sera une personne inconnue.

Au contraire, celui qui a fait des études en droit est apte à remplir tous les devoirs imposés aux juges de paix ; il peut concilier, il peut juger. On ne dira pas, sans doute, que cela qui a des connaissances en droit est par cela même moins propre qu’un autre à concilier les parties ; est-ce que les lumières seraient, par hasard, un obstacle à l’esprit de conciliation ? Est-ce parce qu’on serait plus éclairé qu’on voudrait que les parties se ruinassent en procès ? C’est le contraire qui arrive, messieurs ; j’ai sur ce point une expérience personnelle ; l’étude du droit et une courte pratique du barreau m’ont fait sentir tout le danger des procès. C’est surtout parce que j’ai fait des études en droit, c’est parce que j’ai suivi pendant quelque temps le barreau, que j’évite et que je conseille aux autres d’éviter les procès autant que cela est possible.

On vous a fait remarquer avec raison, messieurs, que le juge de paix peut être appelé à statuer sur les questions de droit les plus difficiles, et vous voulez qu’un magistrat qui sera appelé à résoudre ces questions, ne connaisse pas les lois ! Mais alors pourquoi exigez-vous des membres des tribunaux de première instance qu’ils soient docteurs en droit ? Les membres des tribunaux de première instance ne doivent-ils pas être animés du même esprit de conciliation que les juges de paix ? Ne sont-ils pas aussi, dans plusieurs cas, appelés à concilier les parties ?

Messieurs, je crois en avoir dit assez pour justifier mon amendement. Je croyais qu’il rencontrerait moins d’adversaires dans la chambre. Du reste, si l’opinion de M. le ministre de la justice venait à prévaloir, si la fin de non-recevoir qu’il m’a opposée était adoptée, j’insisterais, je le répète, pour le renvoi de ma proposition à la section centrale qui est chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription cantonale.

M. Rodenbach – M. le ministre de la justice m’a dit que si je connaissais des juges de paix qui ne résident pas, je devrais les lui faire connaître. Ce rôle ne convient pas à un représentant de la nation, cela ressemblerait beaucoup à une délation. Il suffit qu’un représentant signale un abus d’une manière générale, pour que le gouvernement cherche à y porter remède. Dans le cas actuel, M. le ministre de la justice devrait adresser une circulaire à tous les procureurs du Roi, pour les inviter à veiller à ce que les juges de paix résident. Mais je répète la question que j’ai faite tout à l’heure et à laquelle M. le ministre de la justice n’a pas répondu : Quels moyens coercitifs le gouvernement a-t-il contre les juges de paix, magistrats inamovibles, qui ne résident pas ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je pense n’avoir rien dit d’où l’on puisse conclure que j’aie voulu engager un membre de cette chambre à être délateur. L’honorable M. Rodenbach avait cité des faits qui m’étaient inconnus et je l’ai prié de me les faire connaître en détail pour que je puisse recourir aux moyens propres à les réprimer.

L’honorable M. Rodenbach me demande quels sont les moyens dont dispose le gouvernement pour forcer un juge de paix à résider ? Les moyens sont dans la loi : lorsqu’un juge de paix ne réside pas, s’il reçoit l’injonction de résider et qu’il n’obtempère pas, il doit être considéré comme démissionnaire.

M. Dumortier – Messieurs, la discussion qui nous occupe en ce moment, a plus de gravité, à mes yeux, qu’elle ne parait en avoir. Pour moi, il ne s’agit de rien moins que de désorganiser une institution dont nous avons ressenti jusqu’ici les effets bienfaisants ; il s’agit de substituer au système de l’assemblée constituante un système complètement nouveau.

Quel est ce système ? Le mot seul l’indique : quand l’assemblée constituante a crée les juges de paix, elle a voulu en faire des hommes de paix, des hommes de conciliation, qui cherchassent, non pas à procurer des affaires aux avocats et aux tribunaux de première instance, mais à prévenir les procès.

Maintenant, atteindrait-on ce but par le système que propose l’honorable M. Delfosse ? Non, messieurs ; l’adoption de ce système changerait radicalement le caractère de l’institution des justices de paix. Il procurerait peut-être une foule de procès aux avocats et aux tribunaux de première instance mais c’est ce dont nous n’avons nullement à nous occuper ici ; nous, représentants de la nation, nous avons à examiner, à soigner les intérêts des petits contribuables qui n’ont pas besoin de se mettre dans les mains des avocats, pour bien gérer leurs affaires.

Toute carrière publique qui nécessité un privilège doit devenir sans doute, de la part de la chambre, l’objet d’un examen sérieux, avant qu’elle établisse ce privilège. Or, qu’est-ce que le diplôme qu’on propose d’exiger des juges de paix ? Ce n’est autre chose qu’un privilège. Eh bien, qu’en résulterait-il ? Ce que vous écarteriez systématiquement des fonctions de juge de paix, tous les honorables pères de famille, tous les propriétaires paisibles qui habitent un canton et qui ne rempliront pas et ne pourront plus remplir ces conditions de privilège. Il en résulterait que les fonctions de juge de paix seraient accessibles seulement à des jeunes gens qui sortent à peine des universités. Ces jeunes gens rendraient-ils à nos populations les mêmes services que les honorables citoyens dont j’ai parlé ? Non, sans doute ; j’examine ce qui se passe autour de moi, je vois que les meilleurs juges de paix qui se puissent rencontrer, sont précisément ces respectables citoyens qui se dévouent corps et âme, pour amener ou maintenir la paix dans le canton. C’est là une mission bien plus belle que de siéger en un tribunal et de prononcer de magnifiques jugements, et de pouvoir faire dire de soi : « Ce juge de paix est un jeune homme plein de talent et d’avenir, il fera son chemin. »

Messieurs, si vous adoptiez l’amendement de l’honorable M. Delfosse, savez-vous quelle serait la modification fondamentale que vous introduiriez dans l’institution des justices de paix ? C’est que vous feriez des justices de paix le premier échelon pour arriver à une position supérieure dans la magistrature. Quelle serait alors la seconde conséquence de ce fait ? C’est que vous n’auriez jamais ou du moins fort rarement des juges de paix à résidence fixe, permanente, dans les cantons. Or, ce n’est pas sans doute en se tenant éloigné d’un canton qu’on peut en connaître les habitants et acquérir peu à peu sur les familles cette influence salutaire et légitime sans laquelle il n’y a pas de juge de paix possible.

(page 139) Or, la plupart des contestations déférées aux juges de paix, sont des contestations de famille ; et n’est-ce pas un véritable bonheur que de faire cesser les contestations de famille ? Tel est, à mes yeux, le devoir le plus impérieux, le plus sacré d’un juge de paix, et pour mon compte, je remarque que les juges de paix qui n’ont pas l’honneur d’être avocats, sont des conciliateurs excellents.

On parle de capacité. Sans doute, il ne faut pas que le gouvernement nomme des gens incapables ; mais il ne faut pas non plus qu’on exige l’omniscience de la part d’un juge de paix ; il n’est pas nécessaire qu’il sache disserter sur tout. Dès qu’il connaît quelques titres du Code, ne peut-il pas très-bien juger les questions de droit qui sont soumises à son tribunal ? Faut-il impérieusement qu’il ait usé les bancs d’une université, pour acquérir cette connaissance ? Je pense qu’un homme d’intelligence et de bon sens peut très-bien se pénétrer de quelques titres du Code, sans aller pour cela à l’université. Ce n’est pas toujours sur les bancs de l’université que l’homme acquiert plus de bon sens et de rectitude dans le jugement. (On rit.)

Je crois donc devoir combattre de toutes mes forces l’amendement de l’honorable M. Delfosse ; je le combats surtout par cette considération grave, que la justice de paix, dans l’application de ce système, cesserait d’être une magistrature purement locale, et qu’elle ne servirait plus que d’échelle à des jeunes gens sortis des universités pour arriver à des positions supérieures dans la magistrature.

M. Delfosse – Messieurs, pas plus que l’honorable préopinant, je ne veux dénaturer les institutions de l’Assemblée constituante ; je pense avoir pour les institutions créées par cette assemblée célèbre tout autant de sympathie que l’honorable préopinant. Mais, messieurs, l’institution des juges de paix est-elle encore aujourd’hui telle que l’Assemblée constituante l’a créée ? A l’époque où l’Assemblée constituante a créé cette institution, les juges de paix étaient les élus du peuple ; rendez à l’institution le caractère qu’elle avait à cette époque, et alors je serai, comme vous, partisan de l’institution telle qu’elle a été créée par l’Assemblée constituante.

Il n’entre pas non plus dans mes intentions, pas plus que dans celles de l’honorable préopinant, de faire tomber les pauvres paysans dans les griffes des avocats ; malheureusement il y a dans les campagnes d’autres griffes que celles des avocats. Mais c’est précisément pour que les paysans échappent aux griffes des avocats que j’exige plus de lumière de la part de ceux qui sont appelés à juger les contestations entre les paysans. Ceux-là seuls qui ont des lumières, qui ont fait des études en droit peuvent échapper aux sophismes des avocats et aux subtilités de la chicane ; un juge de paix ignorant est souvent à la merci d’un avocat de mauvaise foi.

L’honorable préopinant nous parle encore de privilèges. Il ne veut pas de privilèges ; par plus que lui, je ne veux de privilèges. Mais il est des conditions de capacité qui sont requises, non en faveur des individus, mais comme garanties pour la société. Quand on a exigé le diplôme en droit pour les conseillers des cours d’appel et pour les juges des tribunaux de première instance, ce n’est pas un privilège qu’on a accordé aux individus, c’est une garantie qu’on a exigée dans l’intérêt de la société.

Qu’appelez-vous privilège ? Est-ce que les portes des universités ne sont pas ouvertes à tous les citoyens belges ? Est-ce que chacun ne peut pas y puiser les lumières qu’on exige pour l’exercice de certaines professions ou pour la nomination à certains emplois ? Ne parlez donc pas de privilège ; il n’y a ici de privilège que dans votre imagination.

A entendre l’honorable préopinant, les études universitaires faussent le jugement. C’est là un paradoxe dont on a fait depuis longtemps justice, paradoxe soutenu par J.-J. Rousseau, dont je ne m’attendais pas à voir l’honorable préopinant se faire ici l’apologiste

Messieurs, une objection que j’avais pressentie a été présentée contre ma proposition. On a dit : Ce n’est pas assez d’être candidat en droit, il faut être docteur en droit pour juger les choses difficiles qui se présentent devant les justices de paix. Remarquez que ceux qui trouvent que je ne fais pas assez, finissent par conclure qu’il ne faut exiger aucune garantie de capacité. Singulière manière de raisonner !

Je persiste à croire que mon amendement est dans l’intérêt des justiciables ; je persiste à croire que, pour juger des questions de droit, il faut avoir des notions de droit. Néanmoins, comme une partie de la chambre ne paraît pas disposée à décider en ce moment cette question que je reconnais être très-grave, je consens à l’ajournement proposé par M. le ministre de la justice ; je désire que cette question soit examinée mûrement, lorsqu’on s’occupera de la loi de circonscription cantonale, et je fais des vœux sincères, pour que la discussion de cette loi vienne bientôt.

Je demande donc que ma proposition soit renvoyée à la section centrale chargée de l’examen de ce projet.

M. Dumortier – Je ne sais pas ce que J.-J. Rousseau est venu faire dans cette affaire et je suis étonné que l’honorable préopinant l’y ait introduit. J’ai fait remarquer des faits établissant que les juges de paix présentent autant et plus de garantie, dans l’état actuel des choses, qu’ils n’en présenteraient avec le système que propose l’honorable membre ; je ne vois là rien de commun avec les allusions qu’il vient de faire. Mais, puisqu’il s’est exprimé de cette manière, je vais faire voir les conséquence de son système. Un individu est reçu candidat en droit, il est refusé quand il se présente pour le doctorat ; voilà un homme incapable d’être avocat, excellent pour être juge de paix…

Renvoi d'un amendement à la section centrale

M. le président – Nous devons décider d’abord la question de savoir si le renvoi proposé aura lieu ; si le renvoi n’est pas adopté, la discussion continuera.

M. Dumortier – Je veux bien me rendre à l’observation de M. le président, mais je pense qu’il ne faut pas ordonner le renvoi ; la chambre est assez éclairée pour décider la question. Cela vaudrait mieux que d’en faire plus tard l’objet d’une nouvelle discussion.

- La proposition d’ajournement est mise aux voix.

Deux épreuves ayant été déclarées douteuses, il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

61 membres répondent à l’appel ;

37 membres répondent oui ;

32 membres répondent non.

En conséquence, la chambre ajourne la proposition et la renvoie à l’examen de la section centrale du projet de loi concernant les circonscriptions cantonales.

Ont répondu oui : MM. de Renesse, de Roo, de Terbecq, de Tornaco, Devaux, Dolez, Duvivier, Fleussu, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Manilius, Osy, Pirson, Rodenbach, Savart-Martel, Sigart, Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen, Castiau, Cogels, Coghen, Coppieters, de Baillet, de Corswarem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Naeyer, Deprey et Liedts.

Ont répondu non : MM. de Saegher, de Sécus, de Villegas, d’Huart, Donny, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Maertens, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Simons, Thienpont, Vanden Eynde, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, d’Anethan, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode.


M. le président – Il reste à mettre aux voix l’art. 1er dans son ensemble.

« Les traitements des membres de la cour de cassation, des cours d’appel, des tribunaux de première instance et des justices de paix sont fixés comme suit : »

Suivent les traitements actuellement existant que vous n’avez pas modifiés et les traitements nouveaux que vous avez adoptés.

- L’article 1er est mis aux voix et adopté dans son ensemble.

Chapitre II. Du droit au traitement

Articles 3 et 4

- L’art. 2 a été rejeté ; nous passons à l’art. 3, qui devient art. 2

« Le traitement est dû à partir du 1er du mois qui suit la prestation de serment ; il cesse le 1er du mois qui suit la cessation des fonctions. » - Adopté.


« Art. 4. Lorsque le supplément de traitement accordé à des magistrats à raison de leur qualité de président, vice-président, juges d’instruction, auditeur-général, procureur-général, avocat-général ou procureur du Roi, n’est pas touché par le titulaire, soit à raison de la vacature de la place, soit pour tout autre motif, il sera dû à celui qui, à titre de son office, en remplira momentanément les fonctions. » - Adopté.


Article 5

« Art. 5. La moitié du traitement affecté à des places momentanément vacantes dans les cours et dans leurs parquets, ou du traitement qui, pour un motif quelconque, ne serait pas touché par le titulaire, sera partagée par parts égales entre tous les membres de la cour ou de son parquet, suivant que la vacation existera dans l’une ou dans l’autre. »

- La section centrale propose le rejet de cette disposition.

Elle est mise aux voix.

Elle n’est pas adoptée.

Article 6

« Art. 6. Les suppléants appelés en cas de vacature, si les besoins du service l’exigent, à remplir momentanément les fonctions de juge ou de substitut, toucheront pendant la durée de leur délégation, la moitié du traitement attaché à ces fonctions, non compris l’augmentation à laquelle le titulaire aurait droit à raison de son ancienneté.

« S’il n’est pas appelé de suppléant, la moitié du traitement sera partagée par parts égales entre les membres du tribunal ou de son parquet, suivant que la vacature existera dans l’une ou dans l’autre. »

La section centrale propose de remplacer cet article par la disposition suivante :

« Art. 4 (6 du projet). Les suppléants appelés en cas de vacature à remplir momentanément les fonctions de juge ou de substitut, toucheront, pendant la durée de leur délégation, la moitié du traitement affecté à ces fonctions. »

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Par suite du rejet de l’article précédent, je déclare me rallier à cette proposition de la section centrale.

- L’article 4 est adopté.

Article 7

« Art. 7. Les suppléants des justices de paix appelés à remplir les fonctions de juges, pendant la vacature de la place, toucheront l’intégralité du traitement y attaché, non compris l’augmentation à laquelle le titulaire aurait droit à raison de son ancienneté. »

La section centrale propose de substituer à cet article la disposition suivante :

« Art. 5 (du projet). Les suppléants des justice de paix appelés à remplir les fonctions de juge, pendant la vacature de la place, toucheront l’intégralité du traitement y attaché. »

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je me rallie à cet amendement.

- La proposition de la section centrale est adoptée.

Article 8

« Article 8. En cas de vacature d’une place de greffier près d’une cour, d’un tribunal ou d’une justice de paix, celui qui la remplira par interim jouira du traitement ainsi que des émoluments y attachés, à charge de pourvoir aux dépenses du greffe. Dans ce cas et dans tout autre où une place de commis-greffier sera vacante, la moitié du traitement y affecté sera réparti entre le greffier et les commis-greffiers en exercice. »

(page 140) La section centrale propose l’amendement suivant :

« Art. 6. (8 du projet). En cas de vacature d’une place de greffier près d’une cour, d’un tribunal ou d’une justice de paix, celui qui la remplira par interim, jouira du traitement ainsi que des émoluments y attachés, à charge de pourvoir aux dépenses du greffe. »

M. Verhaegen – Je demande la parole pour faire une simple observation. Je voudrais savoir ce qu’on fait des greffiers près des tribunaux de simple police, qui sont aussi des greffiers de justice de paix, car indépendamment des greffiers des juges de paix, il y a des greffiers des tribunaux de simple police ; je demande si on les maintient.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Il existe en effet encore quelques greffiers de tribunal de simple police, leur nombre est très-restreint ; on n’a plus pourvu à leur remplacement depuis 1832 ou 1833. Les fonctions de greffier près des tribunaux de simple police sont remplies par les greffier des juges de paix. On ne s’est pas occupé, dans la loi, des greffiers des tribunaux de simple police, parce qu’il n’en reste plus que quelques-uns, et que cette place doit être supprimée, d’après le projet qui vous est soumis.

J’ai une autre observation à faire ; plusieurs fois le mot « vacature », qui n’est pas français, est répété dans la loi, il faudrait le remplacer par « vacance ».

M. le président – La chambre autorise le bureau à remplacer le mot « vacature » par « vacance ». (Adhésion.)

- La rédaction de la section centrale est mise aux voix et adoptée.

Chapitre III. De la retraite

Article 7 (article 9 du gouvernement)

« (Art 9 du gouvernement) Les membres des cours et des tribunaux seront mis à la retraite lorsqu’une infirmité grave et permanente ne leur permettra plus de remplir convenablement leurs fonctions. »

La section centrale propose la disposition suivante :

« Art. 7 (9 du projet). Les membres des cours et tribunaux seront mis à la retraite lorsqu’une infirmité grave et permanente ne leur permettra plus de remplir convenablement leurs fonctions.

« Ils seront admis à demander leur retraite lorsqu’ils auront accompli leur 75e année. »

M. Delehaye, rapporteur – La section centrale est d’accord avec le gouvernement, dans le cas où une infirmité grave et permanente ne permet plus au magistrat de remplir convenablement ses fonctions. L’inamovibilité du magistrat est une faveur qui lui est accordée dans l’intérêt des justiciables. Mais lorsqu’il se trouve dans le cas que je viens d’indiquer, la section centrale propose qu’il soit mis à la retraite

La section centrale a écarté un second cas, indiqué par M. Van Volxem, alors ministre de la justice. L’honorable M. Van Volxem allait plus loin : il voulait qu’à 70 ans le magistrat fût envisagé comme ne pouvant plus remplir ses fonctions. Vous concevez qu’une telle disposition eût porter atteinte à l’inamovibilité de la magistrature. La section centrale ne l’a pas admise.

Mais elle a pensé que quand un magistrat, âgé de 75 ans, demande à être mis à la retraite, c’était le cas de faire pour lui ce qu’on a fait pour les professeurs des universités, de lui accorder une espèce d’éméritat. Nous avons été guidés en cela par l’intérêt général. En effet, il est possible qu’un magistrat de 75 ans soit encore, à la rigueur, en état de remplir ses fonctions, mais qu’il n’ait plus la vigueur nécessaire pour décider promptement les affaires. Or, il est des affaires qui exigent une prompte décision, qui demandent une certaine promptitude de jugement, qu’on peut ne plus trouver chez un magistrat de 75 ans, bien que sa capacité soit encore telle que vous ne puissiez le déclarer inhabile à continuer ses fonctions.

Nous avons pensé que le magistrat qui se trouve dans cette position avait le droit, quand il le demandait, d’être mis à la retraite, avec son traitement pour pension. Notez bien qu’en vertu du principe de l’inamovibilité il a le droit de rester en fonctions.

Nous avions pensé que le gouvernement se serait rallié à cette disposition, d’autant plus qu’une disposition analogue a été adoptée pour les professeurs. Nous avons pensé que cette proposition conciliait le principe de l’inamovibilité et l’intérêt des justiciables. Aussi a-t-elle été adopté à une très-grande majorité par la section centrale.

M. Malou – Depuis le dépôt du rapport de la section centrale, nous avons voté une loi générale sur les pensions. D’après l’art. 1er de cette loi, tout magistrat, fonctionnaires ou employé, est admis à demander sa retraite à l’âge de 65 ans. Cette seule considération me paraît nécessiter une modification ou le rejet du 2e paragraphe de la proposition de la section centrale.

Il est inutile de décider, dans la loi sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire, que les magistrats pourront demander leur retraite à 75 ans, alors que tout magistrat, fonctionnaire ou employé, est admis à demander sa mise à la retraite à l’âge de 65 ans. Ce serait un non-sens.

J’ai voté, à la section centrale, contre cette disposition, parce qu’elle va directement contre le but que le gouvernement et la section centrale doivent se proposer par l’adoption du chapitre III.

On veut donner aux magistrats une retraite, lorsqu’ils en ont besoin, lorsqu’il est de l’intérêt des justiciables qu’ils la prennent. Maintenant si vous donnez un droit exceptionnel à celui qui attend jusqu’à 75 ans, loin de prendre sa retraite lorsque l’intérêt des justiciables exigeait qu’il la prît, vous l’engagez à rester en fonctions jusqu’à 75 ans On va donc directement contre le but qu’on doit se proposer.

Si le chapitre III n’a pas ce résultat, je ne sais, en vérité, quel résultat il peut avoir.

Ainsi, je propose, comme j’ai voté à la section centrale, de supprimer ce §2, de laisser les magistrats dans le droit commun.

On dit que ce serait une espèce d’éméritat. Sans doute pour celui qui a consacré toute sa vie aux fonctions judiciaires, il serait bon d’avoir un éméritat ; mais ici il s’agit de tout autre chose ; car on n’exige aucune durée de service dans la magistrature. Si je ne me trompe, pour avoir droit à l’éméritat, il faut que les professeurs aient 25 ans de fonctions dans l’enseignement académique.

Ici l’on n’exige qu’une condition, celle de l’âge ; de sorte qu’un magistrat, âgé de 75 ans, et qui aurait rempli pendant dix ou douze ans, pendant cinq ans peut-être, des fonctions judiciaires, aurait droit à l’éméritat.

C’est une exception que je ne puis admettre.

M. Dumortier – Indépendamment des considérations que l’honorable M. Malou vient de présenter, je veux faire remarquer que le projet va un peu plus loin. Ainsi l’on accorderait à un magistrat qui voudrait sa retraite, la totalité de son traitement pour pension. La loi fixe le maximum des pensions, pour les ministre même, eussent-ils 25 ans de services, à 6,000 francs. Si l’on admet l’article proposé, la pension sera de 9,000 francs pour un conseiller à la cour de cassation, de 14,000 francs pour le premier président et le procureur général de cette cour, quand bien même ils n’auraient que quelques années d’exercice. Cela ne me paraît pas admissible. Je ne pense pas qu’un membre de la cour de cassation puisse avoir une pension plus forte que celle d’un ministre, et il me semble que la pension des magistrats doit être limitée au maximum fixé par la loi ; c’est beaucoup même, qu’une pension de 6,000 francs après des services souvent peu prolongés et toujours bien rétribués par l’Etat.

Je demande donc qu’il soit stipulé qu’elle ne pourra excéder le maximum fixé par la loi générale sur les pensions.

Je fais cette proposition afin qu’il n’y ait de surprise pour personne ; ce maximum est encore fort élevé, lorsqu’on considère que, dans l’ordre judiciaire, les services n’ont pas, en général, une durée aussi longue que dans les autres carrières.

M. Delehaye, rapporteur – Ces observations seraient très-justes s’il ne s’agissait pas des magistrats qu’on ne peut mettre à la retraite, tant qu’ils sont en état de remplir leurs fonctions.

Aux magistrats qui demanderont leur mise à la retraite à l’âge de 65 ans, on appliquera la loi générale sur les pensions. Mais il s’agit ici du magistrat qui, pouvant encore remplir ses fonctions, ne peut cependant, à raison de son grand âge, remplir ces fonctions d’une manière convenable pour l’intérêt des justiciables. Cet intérêt exige que ce magistrat se retire. Vous ne pouvez cependant l’éloigner.

La cour, direz-vous, pourra le faire ; sans doute, dans le cas d’infirmité permanente ; ce n’est pas le cas actuel ; il s’agit d’un magistrat qui peut encore à la rigueur remplir ses fonctions ; la cour dans laquelle il a siégé pendant de longues années, appréciera sa position avec bienveillance ; elle le maintiendra en fonctions. Nous avons voulu que, dans ce cas, ce magistrat demandât lui-même à se retirer. Pour l’y engager, nous proposons de lui allouer son traitement pour pension, et cela dans l’intérêt général, dans l’intérêt des justiciables.

Mais, dira-t-on, un magistrat peut avoir atteint l’âge de 75 ans, et n’avoir passé que peu d’années dans les fonctions de la magistrature. Mais quels sont donc ceux qui débutent dans la carrière magistrale après l’âge de quarante ans ? Evidemment cela n’arrive presque jamais. La plupart des magistrats, quels qu’ils soient, débutent dans la carrière avant l’âge de quarante ans. Mais allons plus loin. Supposons qu’un magistrat entre dans la carrière à l’âge de 50 ans. Bien certainement il aura d’abord parcouru la carrière du barreau et aura siégé parmi les magistrats pendant 20 ou 25 ans. Je pense que cette considération peut bien mériter la position que veut lui faire la section centrale. Je persiste donc dans nos propositions, tant dans l’intérêt des magistrats que dans l’intérêt des justiciables.

Qu’il me soit permis, messieurs, de rappeler de nouveau que vous n’avez aucune action sur ces magistrats. Si vous aviez une action contre eux, les dispositions que propose la section centrale viendrait à tomber.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, l’honorable rapporteur soutient la proposition de la section centrale et prétend que cette proposition est dans l’intérêt de la justice et dans l’intérêt des justiciables.

Je pense, messieurs, que la proposition de la section centrale aura pour résultat inévitable de faire rester dans leurs fonctions tous les magistrats quelconques jusqu’à l’âge de 75 ans. Il est évident, que si à l’âge de 75 ans, par exemple, un magistrat devenait incapable de remplir ses fonctions, ses collègues ne prononceraient pas sa mise à la retraite, mais diraient : Il n’a plus que deux ans à siéger parmi nous ; laissons-lui obtenir l’intégrité de sa pension.

Si, au contraire, la pension du magistrat n’augmente par année que d’un 60°, comme le veut la loi des pensions, il n’y aura pas autant d’intérêt pour lui à rester une ou deux années de plus en fonctions, et ses collègues n’hésiteront pas à user des moyens que la loi leur donne pour le mettre à la retraite.

Ensuite, messieurs, il me paraît qu’il y a une véritable anomalie dans la proposition de la section centrale. Car, ainsi que vous l’a fort bien dit l’honorable M. Malou, il pourrait arriver qu’un magistrat qui aurait 75 années d’âge et seulement 20 ans de service, eût l’intégrité de son traitement tandis qu’un magistrat qui aurait dû se retirer à 75 ans et qui aurait 40 années de service, n’aurait pas droit à une pension aussi élevée. Evidemment un système qui aurait de semblables conséquences ne peut être admis.

M. Malou – Messieurs, je n’ajouterai que quelques mots.

Quel doit être l’effet du chapitre que nous discutons ? Cet effet, je n’hésite pas à le dire, est comminatoire, et il est impossible qu’il soit autre.

La loi règle la mise à la retraite forcée ; elle la règle avec tous les ménagements possibles, mais de manière à ce que le magistrat qui devra être (page 141) mis à la retraite, le demandera lui-même préviendra la procédure dont il est question dans les articles qui suivent celui que nous discutons. C’est là toute la force de la loi.

Dans le projet primitif du gouvernement, il y avait deux dispositions : l’une présumait l’incapacité à l’âge de 70 ans, l’autre exigeait la preuve de l’incapacité résultant d’infirmités graves et permanentes. La section centrale a écarté la première de ces dispositions. J’ai fait à la section centrale cette observation : ou bien le magistrat à l’âge de 70 ans est capable, et alors vous devez le conserver ; ou bien, il est incapable, et alors la disposition est inutile.

En m’expliquant ainsi, j’ai rencontré l’objection que vient de présenter l’honorable M. Delehaye. Quel que soit, en effet, l’âge du magistrat, tant qu’il est capable, il restera en fonctions ; mais lorsqu’il sera incapable d’exercer ses fonctions, à raison d’une infirmité grave et permanente, soit que cette infirmité vienne au milieu de sa carrière, soit qu’elle l’atteigne dans sa dernière vieillesse, on lui appliquera les art. 8, 9 et suivants de la loi générale des pensions.

Ainsi, il est de l’intérêt de la magistrature, et surtout des justiciables, de rester dans le droit commun quant aux pensions. Si l’on n’y restait pas, on arriverait aux résultats les plus contradictoires. Ainsi un magistrat, après un très-petit nombre d’années de fonctions, pourrait avoir une très-forte pension, tandis que le magistrat qui aurait clos sa carrière dans les circonstances normales et ordinaires, aurait une pension beaucoup moindre.

Il est impossible que l’on évite cet inconvénient, et lorsque nous en viendrons à l’art. 14, je le démontrerai par les faits.

M. le président – Si personne ne demande plus la parole, je mettrai l’article aux voix.

M. Dumortier – M. le président, il s’agit d’une des dispositions les plus importantes de la loi ; je crois que la chambre est fatiguée et qu’il serait bon de renvoyer la discussion à demain.

Je demande à mes honorables collègues de vouloir réfléchir à une chose. L’inamovibilité est un bienfait et un grand bienfait pour l’ordre judiciaire. Mais cette inamovibilité a surtout été établie, comme on vous l’a dit, dans l’intérêt des justiciables. Si nous examinons ce qui existe chez d’autres nations qui nous ont précédé dans la carrière de l’inamovibilité, nous voyons qu’il y a un temps fixe où cesse l’inamovibilité. Ainsi, aux Etats-Unis, l’inamovibilité ne dure que jusqu’à un âge quelconque.

Je demande s’il ne serait pas utile de réfléchir sur cette disposition. Je pense que les personnes qui s’occupent spécialement de la question, feraient bien de l’examiner. Car il importe, d’une part, que l’on ne laisse point sur leur siège des magistrats incapables de siéger, et que, d’autre part, on ne grève point le trésor de pensions disproportionnés avec ses ressources.

Plusieurs membres – A demain.

Projet de loi qui érige en commune distincte la section de Meerdonck (commune de Vracene)

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi tendant à ériger en commune spéciale la section de Meerdonck qui fait aujourd’hui partie de la commune de Vracène.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué. Il est renvoyé à l’examen d’une commission qui sera nommée par le bureau.

La séance est levée à quatre heures et demie.