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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 915) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et ¼.

Il est procédé, par un tirage au sort, à la composition des sections de février.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de la commune de Curange demandent le prolongement du chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt, proposé par le gouvernement. »

- Renvoi au ministre des travaux publics.


« Le sieur Rutten, artiste vétérinaire de troisième classe, à Visé, demande qu’il soit porté une loi sur l’exercice de l’art vétérinaire, et que l’on permette à tous les artistes vétérinaires indistinctement de constater les cas d’abattage. »

M. Delfosse – Cette pétition contient des détails relatifs à l’épizootie ; elle présente donc un caractère d’urgence. Je pense que la commission n’hésitera pas à proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur. Je demanderai qu’il soit fait un prompt rapport.

- La requête est envoyée à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.

Commission d'enquête parlementaire sur les causes de l'éboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

Motion d'ordre

M. Lesoinne – La chambre a décidé hier qu’elle nommerait une commission d’enquête chargée de rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich. M. le ministre des travaux publics vient de donner l’ordre d’arrêter les travaux et il ne pouvait faire autrement car si l’on reparaît le tunnel, la commission n’aurait plus les moyens de constater les causes de l’éboulement. Cependant, un retard plus ou moins long serait préjudiciable au public et aux recettes du chemin de fer. Je demanderai donc que la commission d’enquête soit nommée le plus tôt possible et qu’elle se mette immédiatement à l’œuvre.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Effectivement, après la décision que la chambre a cru utile de prendre hier, j’ai dû, à l’instant même, ordonner de suspendre les travaux. Je ne pouvais pas, permettez-moi l’expression, faire disparaître le corps du délit. D’un autre côté, comme l’a dit M. Lesoinne, il importe que les travaux puissent être repris le plus tôt possible afin de dégager le tunnel, pour que les convois de marchandises puissent le traverser. Je proposerai donc à la chambre de nommer la commission d’enquête à l’ouverture de la séance de demain.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

Proposition de loi modifiant la loi du 31 juillet 1834 sur les droits d'entrée et de sortie des céréales

Motion d'ordre

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, la chambre a adopté la prise en considération d’une proposition due à l’initiative de quelques-uns de nos honorables collègues concernant les céréales.

Vous aurez remarqué que cette proposition étend ses effets à l’orge.

D’après un tableau annexé au projet de loi déposé en 1843 par le gouvernement sur les céréales, la moyenne de l’entrée de l’orge étrangère, qu’exige notre consommation, est de 20,000,000 de kilogrammes.

Eh bien, l’orge qui, depuis plusieurs années, n’était frappée que d’un droit de 4 fr. à l’entrée, serait chargée d’une taxe tellement exorbitante, que je ne puis croire que ceux de nos honorables collègues qui ont appuyé cette proposition de leur signature, en aient mesuré toute la portée.

Voici le résultat de quelques calculs qui m’ont été communiqués et que j’ai lieu de croire exacts :

D’après le système de l’honorable député de Waremme, le droit sur l’orge serait calculé d’après celui que payerait le froment. Le prix moyen du froment, indiqué par la dernière mercuriale, est de 16 fr. 38 c.

D’après cette base, le froment payerait, par hectolitre et en principal : 9 fr. 25 c., plus 16 p.c. additionnels, 1 fr. 48 c., soit en total 10 fr. 73 c.

Par suite, l’orge taxée, à raison de 50 p.c. du droit du froment, payerait 5 fr. 36 ½ c. par hectolitres de 60 kilogrammes, ce qui par 100 kilogrammes, donne 89 fr. 41 c. Or, comme le droit actuel est de 4 fr. 64 c., la majoration serait de 84 fr. 77 c.

En conséquence, comme la valeur moyenne des orges importées est de 9 fr. à 9-50 l’hectolitre, le consommateur payerait le droit exorbitant de 5 fr. 36 ½ c. pour un valeur de 9 fr.

Vous conviendrez, messieurs, que cette proposition a jeté la perturbation parmi ceux qui s’occupent de l’importante industrie des brasseries, de cette industrie si éminemment nationale. Car une proposition signée par 22 membres, fait, en dehors de cette enceinte, l’effet d’un acte très-sérieux, et qui a beaucoup de chance de se transformer en loi.

Le résultat de cette loi serait fatale à plusieurs centres de population : la ville de Louvain, que je me permets de citer, va vous en donner la preuve.

D’après des calculs approximatifs, la consommation de Louvain s’élève à 60,000 hectolitres, qui, au droit actuel de 28 c., porte le droit qu’elle payer à 16,800 fr.

D’après la proposition de l’honorable M. Eloy, le droit serait porté à 5 fr. 36 ½ c., soit 321,600 fr. La fabrication de Louvain serait donc grevée à elle seule, d’une surtaxe de 304,800 fr.

Messieurs, cette proposition a répandu l’alarme et l’inquiétude sur plusieurs points du pays. J’ai demandé la parole pour calmer ces craintes.

Je suis persuadé que les dispositions de la proposition sur les céréales, qui auraient la portée que je viens d’indiquer, n’ont aucune chance de succès, dans cette assemblée ; je suis persuadé que l’industrie des brasseries peut se rassurer sur les suites de la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne – Je ne demanderais pas mieux que de répondre aux observations de l’honorable préopinant, mais ce serait aborder le fond de la question, et je ne crois pas pouvoir le faire, puisque cette question n’est pas à l’ordre du jour. Je ferai seulement remarquer qu’il y a un moyen très facile de faire cesser les craintes des brasseurs de Louvain ; c’est d’aborder dans les sections l’examen du projet ; alors on discutera ce qui est relatif à chacune des différentes espèces de céréales, et de cette manière, on fera cesser toutes ces terreurs paniques. Le commerce des bières de Louvain se fait un fantôme quand il croit que c’est lui qui va payer le droit que nous proposons de frapper l’orge. Il me serait facile de démontrer (page 916) qu’il n’en sera nullement ainsi, mais il faudrait pour cela entrer dans des explications trop longues. Je me réserve de donner des explications dans la discussion de la proposition. Je me charge de donner aux brasseurs de Louvain les apaisements les plus complets.

M. Rodenbach – Je ferai remarquer à l’honorable député de Louvain que la proposition signée par 21 membres de la chambre n’est pas définitivement acceptée. Tout ce que les signataires ont voulu faire, c’est de constater un principe. On s’est dit : Il y a malaise dans le pays ; l’agriculture est exposée à une crise par suite du bas prix des céréales ; et pour tranquilliser le pays, on a signé une proposition tendant à augmenter les droits sur les céréales. La proposition ne fait que constater le principe de cette augmentation. Elle doit être examinée par les sections et par la section centrale.

Le gouvernement a également un projet de loi, des amendements à présenter. Ainsi, que les brasseurs ne soient pas si alarmés.

D’ailleurs, les signataires de la proposition ne veulent pas la cherté du pain ; car, dans leur opinion, il ne doit pas renchérir. Ils sont aussi partisans du bien-être des ouvriers que ceux qui attaquent prématurément leur proposition.

- Cet incident n’a pas d’autre suite.

Projet de loi qui autorise la concession du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse et de ses embranchements

Discussion générale

La discussion continue sur l’ensemble du projet de loi.

M. Lys – Les intérêts du district qui m’a envoyé dans cette assemblée, loin d’être froissées par le projet de concession, pourraient peut-être en retirer indirectement quelque avantage, et, en effet, plus le charbon serait abondant aux fosses de Liége, plus les prix en seraient favorables pour l’approvisionnement de nos manufactures. C’est vous dire, messieurs, que rien ne peut me dispenser de consulter ici l’intérêt général ; j’adopterais dès lors la concession si les conditions auxquelles elle serait faite ne s’y opposaient. M. le ministre a accepté un délai d’un mois, après lequel le contrat pourrait être résilié, circonstance qui a porté la section centrale à négliger, pour ainsi dire, l’examen de l’acte de concession, surtout en ce qui concerne l’intérêt des tiers. Je ne comprends point, en effet, comment le gouvernement ait pu se laisser imposer une pareille condition, que je considère comme contraire à l’honneur national, et, en effet, les concessionnaires se seraient bien gardés de faire pareille condition à la France.

Comment peut-on exiger qu’un traité qui est subordonné, pour son existence, à un consentement à donner par une puissance étrangère, doive être parfait, sans qu’au préalable ce consentement soit accordé ?

En effet, d’après le projet, le tracé s’étend en France, sur une longueur de 2 kilomètres, dont la concession peut être accordé par ordonnance royale, sans l’intervention des chambres.

M. l’ingénieur Demoor nous disait le 5 juin 1844, dans son rapport :

« Il n’y a lieu à prévoir, de ce chef, ni obstacles, ni retards. La concession en Belgique, doit toutefois être subordonnée à celle de la partie française. »

Cette concession ne devait souffrir d’aucun retard. On vous disait cela, le 5 juin, et jusqu’à ce jour, elle n’est pas encore obtenue. Le gouvernement en avait fait une des clauses du contrat, art. 11.

Les concessionnaires pouvaient résilier le contrat, si la concession demandée au gouvernement français, pour la partie du chemin de fer de la frontière belge à Vireux n’était pas accordée avant le mois de janvier 1845.

Remarquez-le bien, cette résiliation ne concernait que la compagnie. Le gouvernement n’avait pas le même droit. De là résulte : qu’il dépendra de la compagnie et non du gouvernement belge, de donner une toute autre direction au railway.

Il dépendra des concessionnaires de résilier le contrat, si la France ne leur donnait pas passage sur le territoire français par la partie qu’ils désirent.

Pareil droit de résiliation n’appartiendrait pas à l’Etat belge.

Il est de l’intérêt de la Belgique que ce chemin soit poussé jusqu’à Vireux, parce qu’alors on aura la certitude que le cours de la Meuse ne sera pas négligé, et le bassin de Liége pourra être moins lésé par le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Mais si nous accordons la concession avant d’avoir obtenu celle de la France, vous pouvez être convaincu que Vireux ne sera plus le but du chemin de fer ; l’embranchement de Couvin deviendra la ligne principale, ce qui pourrait être fort désavantageux aux provinces de Liége et de Namur, et empêcherait la jonction d’une ligne de chemin de fer de Liége par Namur et Dinant à la ligne projetée de vireux.

Vous savez, messieurs, qu’une compagnie demande déjà la concession pour un chemin de fer de Liége à Namur, et elle l’accepterait volontiers si vous mettiez pour condition de pousser jusqu’à Dinant.

Voilà l’un des motifs qui m’empêcheront de voter en ce moment pour la concession. On nous laisse peu de jours pour l’examen de la concession, et remarquez-le bien, M. le ministre des travaux publics nous faisait un reproche avant-hier à l’occasion du chemin de fer vers l’Allemagne, et le tunnel de Cumptich ; il attribuait les pertes que faisait l’Etat à l’exigence de la chambre pour le prompt achèvement du railway. Ici, messieurs, il nous force, pour ainsi dire, de discuter sans un examen approfondi.

Le peu de jours qu’on nous laisse pour l’examen de la concession est la première cause qui nous fait abandonner tout examen des droits des tiers.

Et, en effet, c’est ce que fait la section centrale elle-même à l’occasion de la réclamation de notre ancien collègue M. Puissant :

« Les dernières études faites par les ingénieurs de l’Etat ont apporté des modifications aux directions et aux tracés primitifs de quelques embranchements. La partie de l’embranchement de la vallée du Thiria, entre la route de Charleroy et Rocroy et le village de Morialmé, se trouve aujourd’hui supprimée au détriment de plusieurs usines métallurgiques. La chambre a renvoyé à l’avis de la section centrale une réclamation contre cette suppression ; plusieurs de ses membres ont partagé les regrets du pétitionnaire ; mais la section centrale a pensé que le temps manquait pour provoquer le retour au premier plan, et elle s’est bornée à recommander la pétition à l’attention spéciale du ministre. »

N’est-ce pas là une espèce de déni de justice ? Un premier plan avait admis l’embranchement réclamé par M. Puissant.

Vous n’alléguez aucun motif pour rejeter la réclamation, vous l’adopteriez même, mais le temps vous manque pour provoquer le retour au premier plan, et vous vous borner à recommander la pétition à l’attention spéciale du ministre, ce qui équivaut au dépôt de la pétition au bureau des renseignements. C’est là, je l’avoue, une nouvelle manière d’apprécier le droit de pétition consacré par la Constitution.

On en agit de même envers l’ingénieur Splingard. La section centrale se contente de la réponse que lui fait M. le ministre des travaux publics, il lui fait part des motifs qui portent la compagnie Richards à attacher une grande importance à la stipulation de l’art. 7. Ces motifs ne sont pas consignés dans le rapport de la section centrale, on nous les laisse ignorer. On se borne à nous dire : M. le ministre n’a nul espoir que cette compagnie consente à la modification demandée par le sieur Splingard ; le temps nous manque d’ailleurs pour tenter la chose.

Permettez-moi de vous lire cette partie du rapport :

« La section centrale, informée par le ministre des travaux publics des motifs qui portent la compagnie Richards à attacher une grande importance à la stipulation de l’art. 7, n’a nul espoir que cette compagnie consente à la modification demandée par le sieur Splingard ; le temps nous manque d’ailleurs pour tenter la chose ; et il y a lieu de craindre que, dans l’état où se trouve l’affaire, ce ne soit compromettre l’exécution du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, qui est d’une utilité publique incontestable. Si, par suite de la préférence que l’art. 7 offre à la société Richards, le sieur Splingard se voyait évincé, ce serait un sacrifice imposé à l’intérêt privé en faveur de l’intérêt public, sacrifice qui n’aurait pas lieu sans une juste indemnité ; on en trouve la garantie dans les articles 23 et suivants de l’arrêté royal du 29 novembre 1836. »

Voilà, selon moi, un nouveau déni de justice et je ne pourrais adopter une concession, qui, de l’aveu du gouvernement, lèse les droits des tiers.

Le sacrifice n’aura pas lieu, dit le ministre, sans une juste indemnité, et on en trouve la garantie dans les art. 23 et suivant de l’arrêté royal du 29 novembre 1836.

Je lis ces articles 23, 24, 25 et 26 :

« Art. 23. Le demandeur évincé sera remboursé par l’adjudicataire de tous les frais d’enquête et autres relatifs à l’instruction prévue au présent règlement.

« Art. 24. Lorsqu’il est l’auteur du projet, il aura, en outre, de ce chef, droit à une indemnité à charge de l’adjudicataire.

« Art. 25. Est réputé auteur du projet, celui qui en a fourni les éléments principaux, conformément au présent arrêté.

« Art. 26. L’indemnité, dont il est fait mention à l’article 24, sera établie en raison des sommes et du temps consacrés aux travaux préparatoires et du mérité de conception du projet ; elle sera réglée par notre ministre de l’intérieur, sur l’avis des ponts et chaussées ou de la commission d’ingénieurs qui aura rédigé le cahier des charges ; une clause spéciale du cahier des charges en déterminera le montant. »

Mais l’arrête dont il s’agit suppose une adjudication publique, et ici il n’y en aura pas.

Ce n’est pas dans l’art. 15 du cahier des charges qui vous trouverez cette garantie ; et vous ne ferez rien autre que de laisser une porte ouverte pour exiger des indemnités, non des concessionnaires, mais à la charge de l’Etat, demandes d’autant plus fondées, qu’elles trouveront dans le rapport de la section centrale la preuve que le ministre a reconnu que des indemnités sont dues. Il y aura d’autres indemnités que celles que je viens de citer et notamment celle du capitaine Roland.

Quant à la seconde conclusion de l’ingénieur Splingard, savoir :

« 2° Que la chambre daigne prendre en considération la requête annexée au présent mémoire, ayant pour objet de solliciter la concession de nos deux projets de railway.

« Quant à la seconde conclusion du sieur Splingard, la section centrale exprime le vœu que la chambre veuille s’occuper le plus tôt possible de l’examen des projets de railway dont le pétitionnaire demande la concession. »

C’est sans doute le gouvernement et non la chambre qu’a voulu dire le rapporteur.

Le rapport contient une observation faite par la première section relative à l’art. 39, et j’avoue que la section centrale s’est contentée d’une réponse du gouvernement qui n’était nullement suffisante.

L’idée de la première section n’a pas été comprise.

L’art. 39 du cahier des charges est ainsi conçu : On suppose donc qu’un particulier, sur un point de son choix, veuille établir des magasins ou abordages, le gouvernement pourra-t-il autoriser l’expropriation par cause d’utilité publique de la propriété d’un tiers, lorsqu’il ne s’agit que l’intérêt particulier ? Vous me comprenez, (page 917) messieurs ; je suppose que je veuille bâtir des magasins ou abordages pour mon compte particulier ; je ne possède pas assez de terrain, j’ai besoin d’emprunter celui de mon voisin. Le gouvernement pourra-t-il autoriser l’expropriation du terrain de mon voisin à mon profit ? C’est ce qui paraît résulter de l’art. 39. M. le ministre fait un signe négatif, j’attendrais ses explications.

C’est ce que semble décider cet art. 39, et je dis que ce serait là une violation du droit de propriété.

La concession ne serait pas au profit de tous, mais au profit d’un seul ou de quelques individus.

Je n’entrerai point dans l’examen de la question de savoir si cette nouvelle voie ferrée amènera des affluents avantageux pour le chemin de fer de l’Etat ; cela est très-contestable ; mais ce qui est incontestable, c’est que le nouveau railway réduira considérablement les recettes de la Sambre.

Je finirai pas faire observer que le nouvel article 7 avait aussi été le sujet des observations de la première section, qui n’a nullement entendu que l’exploitation fût étendue en faveur des concessionnaires pour les embranchements et communications non compris dans la concession. C’est là une innovation au cahier des charges, art. 50 du cahier des charges dont je vais donner lecture…

C’est un véritable monopole que vous accorderiez à la compagnie Richards ; ce n’est pas le présent que vous engagez, mais l’avenir ; ce ne sont pas les embranchements actuels que vous sacrifiez, les droits des tiers, mais tout ce qui pourra se faire pendant 90 ans dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, c’est, pour ainsi dire, abandonner à toujours le railway qui serait construit, car à l’expiration du terme de 90 ans, il se trouverait des embranchements qui pourraient avoir des concessions de 80 ans et plus, et qui gêneraient l’action de l’Etat sur le railway concédé, dont le terme serait expiré. Si vous examinez ce qu’était l’état de l’industrie il y a cinquante ans et ce qu’elle est aujourd’hui, vous réfléchirez quel est l’abandon que vous feriez pour un terme qui peut aller aussi loin dans l’avenir. Quelle richesse de connaissances en industrie ne possédera-t-on pas alors ? et vous seriez à la merci de votre concession. Je lis l’art. 7 du projet…

C’est là nous faire racheter beaucoup trop cher le minimum d’intérêts auquel on renonce, et je préférerais la garantie de ce minimum d’intérêts aux stipulations de l’art. 7, qui établirait un véritable monopole dans un pays où nous sommes si jaloux de notre liberté.

M. David – Quant à moi, messieurs, je ne m’opposerai pas à la concession que demande la société Richards.

J’ai l’intention d’aborder le chapitre des péages du cahier des charges. Je présente un amendement relativement à l’art. 26 ; je crois, d’après la discussion d’hier de la chambre, que je suis dans mon droit.

De toutes parts – Oui, oui.

M. David – Cet article porte :

« Art. 26. Pour indemniser les concessionnaires des dépense et travaux qu’ils s’engagent à faire par le présent cahier des charges, et sous la condition expresse qu’ils rempliront exactement toutes leurs obligations, le gouvernement leur concède, pendant un terme de quatre-vingt-dix ans, à dater de la mise en exploitation du chemin de fer et de ses embranchements, sur toute la longueur, l’autorisation d’y percevoir les droits déterminés au tarif ci-après, quand ces transports se feront entièrement aux frais des concessionnaires et au moyen de leurs waggons, locomotives et chevaux » ; j’appuie, dis-je, sur cette phrase, parce que, quand chaque propriétaire d’usines, chaque particulier aura le droit de lancer sur une partie du railway, aux légères distances indiquées par le cahier des charges un matériel qui sera sa propriété particulière, je crains qu’il n’y ait de malheurs, des catastrophes, comme on n’en a que trop souvent à déplorer.

D’ailleurs, sous le rapport des embarras, des retards qui en résulteront, il est évident que cette condition sera encore bien pénible.

Le principe que je voudrais voir prévaloir ici, et qui est la base de mon amendement est celui-ci : je voudrais que les transports se fissent entièrement aux frais et au moyen du matériel qui appartiendra aux concessionnaires. Je voudrais ensuite que les tarifs de la concession de Sambre-et-Meuse fussent calqués sur le tarif de l’Etat, qu’on adoptât non-seulement le tarif de l’Etat, mais encore, que l’on imposât les conditions de transport admises pour les chemins de fer de l’Etat.

Voici donc l’amendement que je viens vous soumettre.

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de substituer à l’art. 26 du cahier des charges la disposition suivante :

« Pour indemniser les concessionnaires des dépenses et travaux qu’ils s’engagent à faire, par le présent cahier des charges, et sous la condition expresse qu’ils rempliront exactement toutes leurs obligations, le gouvernement leur concède, pendant un terme de 90 ans, à dater de la mise en exploitation du chemin de fer et de ses embranchements sur toute leur longueur, l’autorisation de percevoir, comme maximum, les mêmes droits que ceux qui seront perçus sur les chemins de fer de l’Etat et qui y seront en vigueur au moment de l’approbation de la convention.

« Les conditions de transport sur le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse seront également les mêmes que celles adoptées sur les chemins de fer de l’Etat. »

Messieurs, ce qui vous fera probablement reconnaître la nécessité d’adopter mon amendement, c’est l’examen du tarif qui nous est proposé au cahier des charges.

Je vais avoir l’honneur de vous présenter quelques observations sur la nature de ce tarif.

« Les marchandises sont divisées en deux classes, savoir :

« Première classe. – Marchandises de toutes natures autres que celles désignées à la deuxième classe.

« Deuxième classe. – Marchandises d’un volume encombrant, difficile, dangereux, fragile ; les liquides, laines, cotons, verreries, faïences, droguerie, etc… »

Messieurs, je n’ai pas d’observations sérieuses à faire à cette classification ; mais au quatrième paragraphe de l’art. 1er, je trouve :

« Les péages seront perçus par charges complètes de 4,000 kil., et par charges incomplètes (moins de 4,000 kilog.), ainsi qu’il suit. »

Messieurs, le système des charges complètes a fait son temps. Il a été essayé, jugé, par l’administration de nos chemins de fer ; on a su l’apprécier ; personne n’en veut plus aujourd’hui ; on en revient à demander la tarification par cent kilogrammes, ce qui paraît infiniment plus naturel, et ce qui, dans tous les cas, donne moins d’embarras et est beaucoup plus équitable. D’ailleurs, l’adoption de ce nouveau système paraît avoir produit d’heureux résultats ; car il faut convenir qu’on lui doit en partie l’extension qu’on prise les transports

A la suite de la condition des charges complètes, on indique par lieue de 15,000 mètres et par tonneau de mille kilog., quels seront les prix des transports.

Ici se présentent, non pas un tarif, mais des tarifs multipliés. Si l’on parcourt ces tarifs, on se trouve dans un véritable dédale, et l’on reconnaît que les tarifs seront d’une application bien difficile.

En résumant la partie du cahier des charges relative au tarif, je suis arrivé à pouvoir vous prouver qu’il existera huit tarifs. Il ne peut en exister moins, d’après le cahier des charges de la société Richards. Voici ces tarifs :

« 1er tarif. Lorsque le transport s’effectuera sur toute la ligne, depuis la Sambre jusqu’à la Meuse, ou depuis la Meuse jusqu’à la Sambre, ou bien depuis l’un ou l’autre de ces rivières jusqu’à un point quelconque au-delà de la crête de partage de leurs bassins respectifs. 0-475. »

« 2e tarif. Lorsque le transport ne s’effectuera que depuis la Sambre, ou depuis la Meuse, jusqu’à un point quelconque, mais en deçà de la crête de partage, par conséquent sans franchir ladite crête. 0-525. »

Il en résultera qu’en deçà de la crête du partage, on devra payer, sans franchir cette crête 1 fr. 25 c. : augmentation sur le prix précédent, augmentation que je trouve assez naturelle ; mais je prouverai combien ces prix sont élevés.

« 3e tarif. Lorsque les transports ne s’effectueront qu’en montant vers la même crête de partage. 0-575.

« 4e tarif. Lorsque les transports ne s’effectueront qu’en descendant de la crête de partage vers l’un ou l’autre bassin : 0-425. »

Ainsi, de quelque manière que vous envisagiez ce tarif, partout il y a variété ; il y a variété, en partant de la Sambre pour parcourir la ligne entière jusqu’à la Meuse, variété pour des parties de parcours ; il y a variété, quand on charge, chemin faisant ; il y a variété pour les deux crêtes. En un mot, il y a tarif sur tarif, et ces nombreux chargements du prix seront très embarrassants.

Ces tarifs si compliqués présentent une majoration considérable sur les prix du gouvernement. On invoquera peut-être les frais qu’occasionne la rampe des crêtes, par exemple. Mais, messieurs, il n’y a pas de rampe sérieuse sur tout ce chemin de fer. Veut-on trouver des rampes difficiles à gravir, qu’on prenne les points qui ont exigé des plans inclinés ; veut-on citer des parties de notre chemin de fer où l’on a pensé dans le temps à exiger un prix proportionnellement plus élevé, à cause du prix qu’il a coûté, que l’on prenne le chemin de fer de la Vesdre, qui a été d’une construction si pénible. Mais il n’y a que des rampes fort ordinaires sur le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.

Le cinquième tarif se dessine à l’occasion des charges incomplètes ; c’est le tarif des marchandises de toute nature sans distinction de classes.

Le sixième tarif concerne les transports qui doivent être effectués sur moins de 15,000 mètres ; dans ce cas, les droits stipulés pour les charges complètes seront majorés de 5 p.c.

A ce sixième tarif, il faut ajouter les frais de chargement et de déchargement qui seront aux frais de l’expéditeur.

Le septième tarif consisterait en ceci : c’est qu’il faudra une indemnité qui ne pourra dépasser 30 centimes par waggon et par lieue en faveur de concessionnaires, quand on emploiera leur matériel.

Ce tari, qui fait l’objet du §5 de l’article « Péages » est ainsi conçu :

« 7e tarif. L’expéditeur devra lui-même fournir les waggons et leurs accessoires, pour les transports qui s’effectueront sur une longueur de moins de 10,000 mètres.

« Dans le cas où, pour ces transports, les concessionnaires fourniraient leurs waggons, ils auraient le droit de percevoir, en sus des péages indiqués au tarif ci-dessus, une indemnité qui ne pourra dépasser fr. 0-30 par waggon et par lieue.

« Lorsque la longueur à parcourir sera de 10,000 mètres et plus, les waggons et les accessoires pourront être exigé des concessionnaires ; dans ce cas, les chargements ou déchargements s’effectueront endéans trois heures après l’arrivée des waggons à destination. Le cas échant, l’expéditeur payera au concessionnaire dix centimes par waggons et par heure de retard.

« Une heure entamée sera censée employée en totalité ; par contre, l’heure pendant laquelle les waggons arriveront à destination, ne comptera pas pour le chargement ou le déchargement. »

(page 918) Remarquez ces mots « pourront être exigés des concessionnaires. » Il est évident que les concessionnaires ne seront dès lors pas forcés de livrer leur matériel. On a donc l’intention de faire circuler le matériel des particuliers sur toutes les parties du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse. J’ai déjà signalé les dangers que présenterait une semblable autorisation, au point de vue de la sécurité des voyageurs, et des retards que pourrait éprouver le transport des marchandises.

Le huitième et dernier tarif qui est l’objet du § 6, est ainsi conçu :

« Sur les transports, par les plans automoteurs des embranchements, les concessionnaires pourront percevoir en outre des droits stipulés aux cinq paragraphes qui précèdent, fr. 0-125 par lieue et par tonneau. »

Le § 7 porte :

« Le transport d’objets dangereux, de masses indivisibles de grandes dimensions, ou dont la pesanteur serait de plus de 2 ou de moins de 0,5 ne sera pas obligatoire pour les concessionnaires.

« Les conditions de ce transport pourront se régler de gré à gré ; tout transport nécessitant par ses dimensions l’emploi d’un ou de plusieurs waggons, payera pour la charge entière du waggon ou des waggons, quel que soit le poids. »

J’appelle votre attention sur le 1er § de cet article. Je demande ce qui arrivera si l’on refuse obstinément de transporter.

Il faudrait ici une clause plus claire, une clause positive. Je suppose que j’aie des corps d’arbre à faire transporter ; sous le prétexte que ces objets sont d’un volume encombrant, et désagréables à décharger, on me refuserait de les transporter, et je n’aurai aucun droit de dire aux concessionnaires : Vous les transporterez.

Il faut donc rendre ici l’obligation du commissionnaire positive.

J’arrive maintenant au tarif des voyageurs. Et pour le dire en passant, dans le document imprimé que j’ai sous les yeux, il y a une transposition : les voyageurs sont mis à la place des bagages et les bagages à la place des voyageurs. (Hilarité.) Eh bien, si l’on parcourt le tarif relatif aux voyageurs, on reconnaît que le taux, exigé par la société en instance, est excessivement élevé.

Je ne parlerai que du prix des voitures de troisième classe, des waggons.

Par lieue, les waggons coûteront 25 centimes, tandis que les chars-à-bancs sur le chemin de fer de l’Etat ne payent que 16 à 17 centimes : ce qu’on peut facilement vérifier.

Pourquoi donc le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse aurait-il le privilège de conditions aussi démesurément favorables pour s’établir ? Il me semble que ce chemin de fer a un avenir assez magnifique, en s bornant aux tarifs du gouvernement. Il suffit pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la petite carte lithographiée qui nous a été distribuée par M. Piddington ; il n’existe peut-être pas une contrée au monde où un chemin de fer présente des conditions si favorables de succès : on compare le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse au chemin de fer de Durham qui, entre tous les chemins de fer anglais, réalise les résultats les plus fructueux.

J’ajouterai, à l’appui de mon opinion que la société Borguet vient aujourd’hui demander la concession du chemin de fer de Liége à Namur, en se soumettant à des tarifs plus bas que ceux du gouvernement. Or, y a-t-il une comparaison à faire entre les ressources respectives des deux chemins de fer ?

Mais maintenant quelles sont les conditions de l’établissement du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ? C’est que la société Borguet se trouve à côté d’un fleuve qui aura toujours une navigation, navigation qui, j’espère, sera même améliorée ; elle se trouve à côté d’une route plate sur laquelle on peut rompre charge à chaque instant ; par conséquent, elle se trouve en présence d’une concurrence autrement redoutable que celle que pourra jamais rencontrer la société Richards, surtout avec les prix élevés qu’elle exige.

Le chemin de fer de Liége à Namur rencontre sur tout son cours des terrains d’une valeur extraordinaire. Il y a un pont de Meuse, un pont de fleuve à construire. Outre les concurrences que je viens de signaler, il est certain que si on met en regard les propositions du chemin de fer Borguet de Namur à Liége, et celles de la société anglaise du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, on est frappé, et on doit l’être, de la dissemblance radicale qu’il y a entre elles.

L’Entre-Sambre n’a aucune concurrence à redouter, il a un avenir immense devant lui. Voudriez-vous encore lui accorder un tarif différentiel plus élevé que les tarifs du chemin de fer de l’Etat ? Songez-y bien messieurs, je vous y engage. Les bénéfices qui vont résulter des hauts prix de la gigantesque entreprise que nous allons voter sont des bénéfices anglais au détriment de l’industrie nationale. Si je voulais faire payer cher, augmenter les tarifs du gouvernement, je nuirais à l’industrie nationale. Je veux, au contraire, diminuer ces prix, par la raison qu’un jour nous pourrions être dans le cas de regretter d’avoir posé un précédent qui pèserait sur les lignes nouvelles que nous seront obligés d’accorder dans 5 ou 6 ans à la province de Liège comme à d’autres. Je reste ici constant à mes principes si longtemps défendus par moi dans cette enceinte, que les bas prix sont la source de la richesse des industries et du railway lui-même.

Si on fait des chemins de fer dans la province de Liège, et qu’on invoque les tarifs accordés à l’Entre-Sambre-et-Meuse, aura-t-on rendu un service à l’industrie en immobilisant le tarif pour 90 ans ? Force sera de maintenir, au milieu du mouvement général d’abaissement, ce tarif plus élevé de 25 à 30 p.c. que celui du gouvernement, pendant cette longue et écrasante période.

Le gouvernement, messieurs, ne fera pas toujours payer à son chemin de fer les prix actuels ; il est certain que nous marchons vers un abaissement, et non vers une élévation de tarif, et dans ces circonstances, il faudrait être bien imprévoyant pour enchaîner l’avenir de l’industrie. A aucun prix, je ne souscrirais pour ma province, quelque besoin qu’en eussent nos industries, à des conditions dont il est impossible que bientôt on ne cherche à se débarrasser.

Il faut se défier de l’audace de l’Angleterre. Quand elle tiendra certains réseaux de chemin de fer belge, elle fera les sacrifices convenables sur les prix de ses produits, pour les envoyer en Italie, en Amérique, en France ; en perdant même sur sa navigation, ses fers arriveront dans ces pays à meilleur marché que les nôtres, qui se trouveront grevés, dans notre pays, de frais de transport auxquels il n’y aura plus de remède à apporter.

Je ferai remarquer qu’il n’est pas de mon intérêt personnel de demander l’abaissement des tarifs de la Sambre. Si je ne faisais ici abnégation de mon intérêt personnel, je devrais désirer qu’on fît payer le plus cher possible, car j’ai moi-même intérêt dans des charbonnages du pays de Liége qui y gagneraient. Ce n’est pas ce que je demande, parce que, un jour et bientôt même, nous devrons recommencer à demander l’abaissement des tarifs du gouvernement et que quand vous aurez accordé un tarif fixe et élevé à une compagnie, vous aurez rendu à toujours stationnaire, en quelque sorte, votre tarif. Vous ne pourriez plus sortir du labyrinthe que vous auriez créé autour de vous ; vous auriez signé votre ruine et votre condamnation. C’est ne pas entrevoir le progrès que se refuser à croire à ces prédictions.

Messieurs, lorsqu’il a été question de l’abaissement des tarifs des canaux, j’ai donné un vote favorable à cette proposition. J’invoque ici ce vote, que je rappelle au Hainaut ; je me suis toujours prononcé pour les mesures présentées dans l’intérêt de cette province qui ne nous a pas rendu la pareille. J’ai réclamé en faveur de ma province une compensation aux avantages que la nature a accordés au Hainaut. Le Hainaut a des canaux et des chemins de fer, nous, nous n’avons que des chemins de fer et nous ne pouvons obtenir les moyens de reconquérir, par eux, nos anciens débouchés.

Il est évident qu’on ne peut pas creuser des canaux dans les pays de montagnes aussi facilement que dans les pays de plaines. Le Hainaut a donc très-beau jeu à s’opposer à l’abaissement des tarifs du chemin de fer. Il y a entre nos provinces une différence topologique très-grande. Je rappelle donc que j’ai toujours été favorable à la diminution des péages sur les canaux ; que je n’ai jamais fait acte d’hostilité envers le Hainaut. J’espère que, quand nous aurons besoin de son appui, il ne nous le refusera pas, comme il l’a toujours fait.

M. Zoude – Je n’ai pas l’avantage d’être au rang des actionnaires du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.

Je n’appartiens pas non plus à l’arrondissement qui jouit du bienfait de ce chemin.

J’appartiens à la classe des défenseurs de l’intérêt général du pays, à la classe de ceux qui veulent augmenter la richesse nationale en donnant de la valeur aux objets enfouis sous le sol de cette contrée, dont l’honorable M. de Baillet vous a fait hier l’énumération, et qui de plus veut faire produire à la superficie des richesses agricoles, qui dans l’état actuel des choses suffit à peine à la subsistance de ses rares habitants.

Je veux donner de la faveur à ces forêts qui, après celles des Ardennes, sont les plus considérables et les plus riches, qui peuvent fournir aux besoins des constructions civiles et navales, qui, par la création du chemin de fer, se trouveront aux portes de Bruxelles, et d’Anvers, tandis qu’elles sont, par l’état des chemins actuels, plus inabordables que les bois du nord que nous tirons des confins de l’Europe.

Je veux augmenter la richesse nationale en facilitant l’extraction et le transport des nombreuses carrières de marbre auxquelles le marché de Paris offre un placement si facile.

Je veux augmenter la richesse nationale en augmentant l’extraction des houilles dans le bassin de Charleroy, qui sera en position de fournir exclusivement aux besoins des nombreuses usines des départements de l’Ardenne et de la Meuse, où les houilles arrivent avec une économie de transport de 6 francs à la tonne.

Mais une richesse aussi importante, est celle des minéraux de fer, qui sont d’une qualité telle que l’Angleterre n’a rien qui leur soit comparable, et que l’Allemagne et la Suède n’ont rien qui leur soit supérieur.

Sous Guillaume, le pays fournissait les câbles de la marine royale.

Ces mines ont enfin le privilège de fournir avec quelques usines du Luxembourg, du fer propre à la tréfilerie.

Seules enfin dans le royaume, elle fournissent du fer propre à être converti en acier, et des rapports auxquels je dois ajouter foi, m’ont prouvé que cet acier était employé utilement dans les carrières de la Meuse.

La réputation de ces mines est tellement accréditée en Angleterre, que, sous le roi Guillaume, une compagnie anglaise avait offert d’y dépenser une somme de 25 millions en routes et canaux, à la seule condition d’avoir la concession de toutes les mines qui s’y trouvent.

Mais ces mines si riches et si abondantes, reviennent à des prix très-élevés aux usines, parce que les minières sont littéralement inabordables l’hiver, et même l’été, quand la saison est humide ; ce qui exige l’avance de capitaux considérables, pour faire des approvisionnements dans les rares beaux jours de l’été, et par suite, élève le prix de nos fers de manière à ne pouvoir concourir, au dehors, avec le fer étranger.

Pour la construction de ce chemin, nos fers de première qualité peuvent lutter partout, même sans protection, ou avec un chiffre protecteur réduit.

En effet, il faut, pour une tonne de fer, l’emploi de 9 tonnes de minerai, combustible et castine.

(page 919) Or, la tonne coûte par lieue 1 fr. 40 c. par le chemin de fer, elle ne coûte que 47 c.. Economie par lieue : 93 c.

Mais il faut à peu près 10 tonnes de minerais et combustibles castine pour une tonne de fer ; ou par tonne et par lieue : 9 fr. 30 c.

Mais la distance moyenne des mines et des combustibles aux usines étant en moyenne de 5 lieues, il en résultera par tonne une économie de 46 fr. 50 c.

La protection contre les fontes anglaises était de 50 fr.

Il ne resterait plus qu’une légère différence par tonne, 3 fr. 50 c.

Mais nos fontes étant égales en bonté à celles de Suède, il en résultera que l’Angleterre viendra s’approvisionner chez nous.

Une réduction aussi considérable facilitera singulièrement nos exportations vers le marché français.

Il est d’autres considérations que je me réserve de faire valoir dans le cours de la discussion.

Je laisse à M. le rapporteur le soin de répondre aux discours des honorables MM. Lys et David.

Je dirai cependant un mot des péages : le tarif accordé à la société n’est pas plus élevé que celui de l’Etat ; il a été l’objet d’une enquête, il a été approuvé par l’industrie du pays ; depuis l’époque où cette enquête a eu lieu, aucune réclamation contre ce tarif n’est arrivée au gouvernement, ni au représentant de la société, qui est en relation avec tous les principaux industriels ; il faut donc croire que ce tarif ne laisse rien à désirer. Et après tout il n’est donné à la société que comme maximum. Mais si ce tarif est établi par l’Etat, on ne peut guère qu’il en suive toutes les phases ; car le chemin de l’Etat n’est pas créé pour y trouver toujours un bénéfice immédiat, mais bien pour se créer des revenus indirects, et quelquefois dans le but d’atteindre un but politique, ce que l’on ne peut exiger d’un chemin créé pour une opération financière.

M. Brabant – Messieurs, le projet que nous avons à discuter en ce moment comprend une question d’art et une question économique. Sous le rapport de la question d’art, je crois que le projet de chemin de fer qui vous est proposé n’a pas été suffisamment étudié. Ce qui le prouve, ce sont les modifications nombreuses que le projet a subies depuis sa présentation devant la chambre, modifications telles, que je ne sais pas encore aujourd’hui quel est le véritable tracé que nous adopterons. Ces modifications ont eu lieu pour satisfaire des prétentions que je reconnais être très légitimes, mais elles me paraissent tellement mal calculées, devoir donner des produits si insignifiants, que je ne comprends pas que dans une entreprise industrielle, ce soit une raison d’intérêt d’exploitation qui les ait dictées.

Ainsi, je vois que l’on accorde à Philippeville un embranchement direct et que cet embranchement devra être exploité par locomotives. Philippeville produit très-peu de marchandises, je crois qu’il y aura très-peu de matières pondéreuses à transporter de là vers un point quelconque du tracé. Produira-t-elle beaucoup de voyageurs ? Eh bien, l’ingénieur chargé des études du projet, vous a indiqué les populations qui pouvaient affluer à ce chemin de fer. La population de la commune de Philippeville est de 1,132 habitants ; la partie du canton qui pourra se servir du chemin de fer compte environ six mille habitants.

Nous avons l’expérience des rapports du nombre des voyageurs et des populations ; nous avons vu des communes plus populeuses à elles seules que tout le canton de Philippeville, ne donner qu’un nombre très-insignifiant de voyageurs. Je me tiendrai à cet exemple, je ne suivrai pas le projet dans tout son parcours, mais je le prendrai à son origine, du côté du chemin de fer de l’Etat où l’on fait aboutir le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, à Marchiennes ; et remarquez que le principal but de ce chemin était de satisfaire aux besoins des établissements métallurgiques qui se trouvent dans l’arrondissement de Charleroy.

Ces établissements très-considérables se trouvent fort inégalement partagés par la direction du chemin de fer. Ainsi les établissements de l’Ouest de Charleroy, ceux au milieu desquels on va rejoindre le chemin de fer de l’Etat sont au nombre de trois, et produisant 77,394 tonnes de minerais, castine, houille et fer (ce chiffre de 77,394 tonnes est le montant de ces quatre matières), tandis que les hauts-fourneaux situés à l’est de Charleroy, qui sont beaucoup plus considérables, consomment et produisent 242,165 tonnes.

Ce sont les relevés des moyennes indiquées par l’ingénieur Magis, dans le cahier que j’ai sous les yeux. Vous pouvez voir ces renseignements aux pages 26 et 28. Le Monceau, la Providence et Hourbes recevront les matières avec un parcours de deux lieues moindre que les établissements qui se trouvent à l’est de Charleroy. Ces établissements, très-considérables, qui valent trois fois les établissements de l’ouest seront obligés de faire un parcours de deux lieues de plus que les établissements de l’ouest, excepté le Couillé qui n’aura qu’une lieue de plus à faire. La station de Marchienne est au 68e piquet, à 68 kilomètres, et Chatelineau est au 78e, à 70 kilomètres. Il y a dont une différence de deux lieues. Cela avait été senti par l’ingénieur chargé des études, et voyant l’inégalité des conditions des hauts-fourneaux du bassin de Charleroy, il propose de leur accorder ultérieurement une réduction de droits proportionnée au détour qu’ils auront à faire par le railway projeté. Qui accordera cette indemnité, cette réduction de droits aux hauts-fourneaux de l’est ? Ce ne sera pas la compagnie et dès lors, messieurs, vous pensez bien qui ce sera : nous contractons l’obligation de faire tôt ou tard gratis le transport depuis la station de Marchiennes jusqu’à la station de Chatelineau. Une modification de tracée a été présentée récemment ; cette modification de tracé satisfait aux conditions d’art voulues ; c’est celle qui a été présentée par le capitaine Roland et qui consiste à faire un embranchement partant de Jamioul et venant à Marcinelle. Son point de jonction au chemin de fer de l’Etat vient se placer à peu près au milieu entre les deux points extrêmes de Marchiennes et Chatelineau. J’aurai l’honneur de proposer un amendement dans le sens de ce tracé.

Messieurs, au point de vue économique, nous devons voir deux intérêts : l’intérêt des producteurs et des consommateurs des marchandises qui seront transportées sur le railway, et l’intérêt du trésor, qui a été quelque peu oublié par M. le ministre des travaux publics et par la section centrale. L’intérêt des producteurs et des consommateurs des marchandises, à transporter, ainsi que l’intérêt des voyageurs qui pourront circuler sur ce chemin de fer, ces intérêts se trouvent compromis par les stipulations du cahier des charges. Déjà l’honorable M. David nous a fait voir combien le tarif pourrait présenter de dangers. Messieurs, il s’agit d’une exploitation faite par des Anglais et très probablement les Anglais ne nous exploiteront pas plus favorablement qu’ils exploitent leurs compatriotes. Or, je ne vois dans le cahier des charges aucune garantie d’une exploitation satisfaisante, d’une exploitation populaire, d’une exploitation dans l’intérêt de ceux qui auraient besoin de se servir de cette voie. Remarquez, messieurs, que l’on établit un tarif, et l’on dit ensuite dans l’art. 36 :

« Art. 36. Au moyen de la perception de droits réglés ainsi qu’il vient d’être dit, et sauf les exceptions stipulées ci-dessus, les concessionnaires contractes l’obligation d’exécuter constamment avec soin, exactitude, célérité et sans tour de faveur, à leurs frais et par leurs propres moyens, le transport des marchandises de toutes natures, voyageurs avec leurs bagages, voitures, chevaux et bestiaux, fonds et valeurs qui leur seront confiés. »

Mais, messieurs, les exceptions sont assez nombreuses. Ainsi la compagnie est dispensée de transporter les objets dangereux, et je crois qu’on fait bien de l’en dispenser ; je ne serais jamais d’avis que l’on transportât des poudres, des esprits, des acides sur le chemin de fer ; mais la compagnie peut, en outre, refuser le transport des masses indivisibles de grande dimension et dont la pesanteur spécifique serait de plus de 2 ou de moins de 5. Ainsi, messieurs, des objets qui entrent en quantité considérable dans l’ensemble des transports, pourront être agréés lorsqu’ils viendront d’autres producteurs. Non-seulement cette disposition entravera l’industrie de certains producteurs, mais elle l’anéantira complètement au profit des concurrents qui seront plus favorisés par la compagnie au profit de la compagnie elle-même, si quelque jour elle s’avise de vouloir exploiter des matières de cette catégorie.

Messieurs, j’ai parlé de monopole. Eh bien, l’art. 7 accorde pour ainsi dire à la compagnie le monopole de toutes les constructions de chemins de fer à exécuter dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Mais en supposant même que la compagnie se désistât de l’exécution de certains tracés, elle pourra la rendre impossible au moyen de la réduction des péages pendant un temps très-court. J’aurai voulu que le tarif, un fois réduit, ne pût plus être augmenté, tandis que M. le ministre des travaux publics, s’est contenté dans le cahier des charges, de dire que les tarifs réduits devront être maintenus pendant trois mois. Eh bien, messieurs, c’est en général le temps rigoureusement nécessaire pour faire abandonner la partie à ceux qui voudraient entrer en concurrence par la construction d’une ligne nouvelle.

Messieurs, un intérêt très-important a été complètement négligé par M. le ministre des travaux publics. On ne s’est pas donné la peine d’examiner jusqu’à quel point le trésor pourrait être lésé par suite de la réduction des recettes de la Sambre canalisée et des produits des barrières situées sur les routes auxquelles le chemin de fer en discussion viendra faire concurrence. La cinquième section avait demandé des explication sur ce point ; on a répondu que le nouveau railway pourrait avoir pour effet de réduire de quelque chose les recettes de la Sambre canalisée. Eh bien, messieurs, ce quelque chose s’élèvera peut-être (malheureusement je suis réduit à dire « peut-être », faut de renseignement de la part de M. le ministre des travaux publics), ce quelque chose s’élèvera peut-être à 200,000 fr. Quelle est la partie de cette somme appartenant à la Sambre supérieure, quelle est la partie de cette somme appartenant à la Sambre inférieure ? C’est ce que nous ne sommes pas à même de savoir ; mais ce que nous savons, c’est que le rôle de la Sambre inférieure se réduira à peu près à approvisionner de houilles Namur et le district de Dinant.

Quant aux barrières, aujourd’hui la plus grande partie du minerai et de la castine se transporte par la route de Philippeville à Charleroy. J’ai trouvé, dans le rapport de l’honorable M. Mast de Vries sur le budget des travaux publics, que la partie de la route de Charleroy à Philippeville jusqu’à la limite de la province de Namur, rapportait près de 30,000 fr. Eh bien, ces 30,000 fr. se réduiraient à très-peu de chose. Vous aurez là une concurrence bien autrement redoutable que celle qui a été faite par le chemin de fer de l’Etat à toutes les routes pavées de la Belgique.

Depuis quelques années, le produit des barrières est tombé de 500,000 fr. Cependant nous avions 700 lieues de route qui n’avaient à soutenir la concurrence que de 112 lieues de chemins de fer.

Ici vous avez une route de 6 lieues, qui seule aura à supporter toute la concurrence du railway en projet.

Cette diminution de péages sur la Sambre n’est plus rien aujourd’hui, parce qu’il s’agit de l’industrie. Mais l’année dernière, je demandais une réduction de péages, qui aurait peut-être augmenté les produits, je la demandais au nom de tous ceux (c’est la généralité des citoyens) qui sont (page 920) obligés de se servir des houilles de la Sambre, depuis Namur, jusqu’à Huy et Dinant. Alors c’était un dommage considérable qu’on aurait causé au revenu public ; on n’a pas fait droit à mes réclamations.

Aujourd’hui, il s’agit de la navigation de la Sambre de Charleroy à Namur, et l’on ne s’inquiète plus de l’importance du tort qui en résultera pour le trésor.

Je voterais de grand cœur le chemin de fer dont il est question, si j’étais persuadé que le tracé qui nous est proposé est le meilleur qu’on pût adopter. Mais je crois que des études plus approfondies auraient mis le ministre à même de nous présenter un tracé beaucoup plus satisfaisant que celui en discussion.

Ce n’est pas peut-être un an de délai qui aurait compromis bien gravement les intérêts du district de Charleroy.

Il sera peut-être un jour au regret de la précipitation qu’il met à demander l’exécution de ce projet. Il aura le regret que nous avons presque tous pour les fausses directions qui ont été prises dans l’exécution du chemin de fer de l’Etat. Il n’est personne qui ne regrette qu’on ait pris Malines pour point central. Un peu plus de temps mis aux études aurait permis d’aller directement sur Gand et sur Malines. Ce n’est pas un an ou 18 mois qu’auraient attendus les populations des lignes de l’Est et de l’Ouest qui leur aurait causé un grand préjudice.

Je propose l’amendement suivant :

« Le tracé pourra être modifié dans ses points de raccordements avec le chemin de fer de l’Etat. »

Par ce moyen, je crois qu’on pourrait adopter un tracé de beaucoup supérieur à celui proposé.

Quant à l’ensemble de la loi, je réserve mon vote.

M. Meeus – Je prendrai les dernières paroles de l’honorable préopinant pour mon point de départ. Ce n’est pas, vous a-t-il dit, un an ou 18 mois d’attente, qui pourraient influer d’une manière fâcheuse sur les diverses industries du district de Charleroy.

L’honorable préopinant oublie sans doute que ce chemin de fer est attendu depuis 10 ans par le district de Charleroy, que ce chemin de fer a été entrepris d’abord par une compagnie, qui, après avoir fait le premier versement, n’a pu le mettre à exécution ; que depuis lors il ne s’est trouvé ni dans le pays, ni en dehors du pays, à l’exception de la compagnie qui demande l’exécution actuelle, aucune compagnie qui ait voulu entreprendre ce chemin de fer.

Mais, remarquez-le bien, les entreprises sont toujours de leur nature extrêmement chanceuses, et subordonnées à une appréciation qui provient de la baisse des capitaux, de la manière d’exécuter les travaux, de la baisse des matériaux à employer, et d’une foule de considérations qui échappent dans le moment de faveur.

Aujourd’hui une compagnie se présente. Mais dans quel moment ? Au moment où en France, et en Angleterre, la spéculation est portée sur tout ce qui est chemin de fer, à tel point que les gouvernements français et anglais se sont inquiétés jusqu’à porter la question devant les parlements.

Mais pour vous faire mieux juger l’appréciation d’une semblable entreprise peut différer, il me suffit d’appeler votre attention sur ce qui s’est passé entre le gouvernement et la compagnie même.

D’abord la compagnie n’avait pas osé entreprendre sans la garantie d’un minimum d’intérêt. Quelle était alors l’appréciation de la compagnie ? Elle craignait que le revenu ne répondît pas à son attente. Elle craignait de ne pas placer ses actions en Angleterre. Depuis cette époque l’agiotage qui règne en Angleterre et en France sur les actions, en a rendu le placement tellement certain, que le minimum d’intérêt ne lui a plus paru une condition essentielle pour trouver les capitaux nécessaires.

Mais si aujourd’hui le chemin de fer n’est pas entrepris, ne pourra-t-il pas, dans un an, survenir certaines conditions qui modifieront l’appréciation de la compagnie qui se présente aujourd’hui.

Remarquez que, quand le gouvernement belge a commencé son vaste railway, les premiers rails se sont payés 480 fr., ces mêmes rails qu’on a obtenus depuis à 195 fr.

Vous savez, par les rapports faits par les ministres qui se sont succédé au département des travaux publics, que la dépense du fer entre pour la majeure partie dans la construction d’un railway ?

La matériel a subi la même diminution On payait les locomotives de 60 à 50,000 fr., on les obtient aujourd’hui pour 35 et 36,000 fr. Il en est de même des waggons.

Messieurs, après l’expérience que nous venons de subir en quelques années, peut-on dire qu’un chemin de fer s’entreprendra aussi bien dans dix-huit mois qu’actuellement ? Mais non, mille fois non. Il y a des conditions d’appréciation pour une entreprise telle qu’elles ne sont que du moment ; et il faut qu’un gouvernement soit assez habile pour saisi les conditions favorables qui se présentent et faire jouir le pays de travaux utiles à sa prospérité industrielle et commerciale. Je félicite donc, pour ma part, le gouvernement de ne pas avoir laissé échapper l’occasion qui s’est présentée de doter d’un chemin de fer éminemment utile une des contrées les plus importantes de la Belgique, une contrée dont la richesse ne nous est pas encore entièrement révélée ; une contrée dont la richesse doit avoir une influence immense sur toute la Belgique ; une contrée qui doit réellement devenir, quant à la production du fer et à la production du charbon, la partie essentielle du pays.

Je n’entrerai pas, messieurs, dans de nouvelles considérations sur la richesse du district de Charleroy et de Philippeville. L’honorable M. de Baillet, l’honorable M. Zoude vous ont dit à suffisance combien cette contrée présentait d’avenir.

Je ne puis donc, pour ma part, assez insister sur l’opportunité de réaliser le contrat avec la compagnie Richards. Aussi, puisque le terme fatal est le 1er mars, je me garderai de proposer un amendement ou d’en adopter un qui pourrait renverser le contrat.

Cependant, messieurs, ce n’est pas à dire que le tracé ait mon entière approbation.

Pour autant que je connais les localités, pour autant que j’ai pu prendre des informations, le tracé pêche par deux points. Et tout d’abord, je m’occuperai du district de Philippeville. Le but du gouvernement et de la compagnie (car je ne vois réellement dans ces deux intérêts qu’un seul intérêt), pour le gouvernement, c’est de procurer aux industriels la jouissance du chemin de fer, et pour les concessionnaires, c’est d’avoir le plus de consommateurs possibles qui usent de leur chemin de fer. Ce que je vais donc dire est dans les deux intérêts, et je suis convaincu que, si mes observations sont justes, elles seront admises et par le gouvernement et par la compagnie.

D’après le cahier des charges, messieurs, ou, pour mieux dire, d’après le contrat passé entre le gouvernement belge et la compagnie, il est dit, article 3 :

« La ville de Philippeville sera reliée au chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, soit par l’établissement d’un embranchement spécial, soit par la modification du tracé du tronc principal, à partir de Walcourt.

« La compagnie aura l’option entre ces deux moyens.

« Dans le cas de la modification du tracé du tronc principal, un embranchement devrait être établi entre Walcourt et Cerfontaine. »

Messieurs, je crois que le tronc principal doit passer par Philippeville et que l’embranchement doit être dirigé sur Cerfontaine. Et en effet, si vous voulez jeter les yeux sur la carte, il vous sera facile de comprendre que les fourneaux au bois (et je veux la prospérité de la forgerie au bois comme celle de la forgerie au coke), que les fourneaux de Sautour, Roly, par exemple, et tous ceux en un mot qui sont groupés autour de Couvin, n’useront que très-faiblement des riches minières de Morialmé, de Jamioul et tant d’autres qui sont groupés autour de l’embranchement marqué en rouge sur la carte. Ils n’en useront pas, parce que, s’ils doivent faire montrer les mines par Walcourt et revenir par Cerfontaine, ils ont 15,000 mètres de plus à parcourir que si le tronc principal passe par Philippeville. Or, cette différence est telle que, d’après les calculs qui ont été faits, tous ces hauts-fourneaux devraient encore se servir des transports par charrois.

Si cela est vrai, et pour moi j’en suis convaincu, l’intérêt du gouvernement, comme l’intérêt de la compagnie, militent pour que le tronc principal passe par Philippeville, pour revenir de là dans les fonds de Grandmont, point de rigueur, sous Neuville ; de cette manière, comme je vous l’ai dit, il y a une différence de 15,000 mètres pour toute la forgerie au bois qui est située depuis Couvin jusqu’à Philippeville : et la prospérité de la forgerie au bois se trouve liée ici, comme l’honorable M. Zoude vous la parfaitement bien dit, à la propriété boisée. Car, si les fourneaux au bois se trouvent dans des conditions trop inférieures de production, bien certainement les propriétaires vendront mal ou ne vendront pas leurs bois.

Je prie donc le gouvernement de prendre ces observations en sérieuse considération. Je ne pense pas que ce nouveau tracé puisse présenter des difficultés d’exécution, parce que, d’après le contrat entre le gouvernement et la compagnie, celle-ci doit faire un embranchement entre Walcourt et Philippeville, et qu’il ne reste qu’une très-petite distance de Philippeville au tronc principal, tel qu’il existe actuellement vers Marienbourg.

Ce point éclairci, je rentre dans les observations présentées par l’honorable M. Brabant ; et c’est le second point du tracé sur lequel je désire vous entretenir.

Et jetant encore une fois les yeux sur la carte, on s’étonne vraiment qu’on ait été chercher Marchiennes pour point de raccordement avec le chemin de fer de l’Etat.

A l’inspection de la carte et des nombreuses usines qui sont groupées à l’est de Charleroy, il semble tout naturel que c’est vers ce côté que devait être le point de jonction. Comme l’honorable M. Brabant la fort bien dit, à l’ouest de Charleroy, il se trouve très-peu d’établissements métallurgiques ; à l’est, au contraire, se trouve la plus grande partie de ces établissements, mais cela n’est pas seulement vrai pour les hauts-fourneaux, c’est encore plus vrai pour les sièges des exploitations houillères dont les 9/10 se trouvent à l’Est.

Il n’y a pas, comme l’a dit M. Brabant, entre le projet de la compagnie et le projet du capitaine Roland une différence de 2 kilomètres, il y a une différence de 4 kilomètres. Remarquez-le bien, messieurs, en supposant que l’on prît le tracé du capitane Roland, et que l’on supprimât le tracé sur Marchiennes, la minorité des exploitants aurait les 4 kilomètres à faire, tandis qu’aujourd’hui on veut les faire faire par la majorité des exploitants. En bonne justice, et dans ce siècle des majorités, il faudrait nécessairement, d’après cette considération, que le projet du capitaine Roland l’emportât.

Pour moi, messieurs, je désire que le chemin de fer satisfasse tous les intérêts et je vous avoue que je serais très-fâché que l’on supprimât l’embranchement sur Marchiennes, puisqu’aujourd’hui la compagnie l’a accepté ; mais je demande au gouvernement, ou que la compagnie prenne l’embranchement du capitaine Roland, quitte à indemniser celui-ci, et c’est là une affaire d’équité dans laquelle le gouvernement pourrait intervenir, ou bien que le gouvernement s’engage à concéder cet embranchement, dans le cas où la compagnie ne voulût pas se charger de l’exécuter.

Remarquez-le bien, messieurs, cet embranchement est tout-à-fait essentiel (page 921) dans l’intérêt de la majorité des hauts-fourneaux et des charbonnages, qui se trouvent à l’est de Charleroy.

Messieurs, je désire ne pas prolonger la discussion et je me bornerai à ces courtes observations. Seulement je demanderai au gouvernement si, comme le cahier des charges semble l’indiquer, il est bien entendu que le matériel de la compagnie sera construit de telle manière qu’il ne faille jamais rompre charge pour arriver au chemin de fer de l’Etat. Ce qui est essentiel pour les différentes industries qui vont profiter de la nouvelle voie de communication, c’est de pouvoir continuer leurs transports sur le chemin de fer de l’Etat sans interruption. Pour moi, messieurs, cette question est vraiment insolite, mais je sais que dans le pays on s’en est préoccupé, et il suffit qu’on s’en soit préoccupé pour que je porte l’observation à cette tribune. Je suis convaincu que M. le ministre y répondra de la manière la plus favorable.

Il me reste, messieurs, une dernière observation à faire sur le tracé du capitaine Roland ; c’est que la station près de Charleroy est tout à fait convenable, qu’il n’y a rien à y changer ; tandis que la station près de Marchiennes devrait être agrandie, ce qui serait nécessairement onéreux.

Je dois faire une autre observation ; je dirai dans l’intérêt du génie militaire. Je ne crois pas qu’il soit convenable qu’un chemin de fer vienne précisément s’établir hors de la portée du canon de la forteresse, et puisque Charleroy est une des places qui doivent être conservées, il est bon de la conserver d’une manière efficace. Si vous ajoutez encore à ces considérations que Charleroy est une ville importante, dont le commerce peut augmenter par suite même de ce fait, que le chemin de fer viendra aboutir sous ses murs, il me semble qu’il ne peut plus rester de doute quant à l’opportunité d’adopter le tracé du capitaine Roland. Or, encore une fois, le gouvernement me semble avoir toute facilité pour amener un arrangement à cet égard, soit avec la compagnie, soit avec le capitaine Roland lui-même.

M. Cogels – Messieurs, l’honorable préopinant vous a démontré suffisamment l’urgence du projet de loi qui nous est soumis, je ne m’étendrai pas sur cette question ; je rappellerai seulement ce que j’ai dit à cet égard dans la séance d’hier, en vous parlant de la manière dont on avait vu échouer en France des entreprises qui avaient été concédées, pour lesquelles les capitaux étaient pour ainsi dire réunis, et qui ont manqués uniquement parce que la loi a été votée quelques mois trop tard.

Si nous ajournions l’adoption du projet de loi jusqu’à la session prochaine, il serait fort possible qu’il survînt tel événement qui fasse échouer l’entreprise, et si nous l’ajournions plus longtemps, il serait fort probable qu’il survînt des événements de nature à faire renoncer les concessionnaires à leur demande en concession.

Je n’examinerai pas la question du tracé, parce qu’elle ne m’est pas familière. Je ne connais pas suffisamment les localités, et dès lors, je ne pourrais, en aucune manière dire si tel ou tel tracé est plus convenable. Mais je crois devoir relever une des objections qui ont été présentées par l’honorable M. Brabant, quant à l’embranchement vers Philippeville, qu’il nous a dit devoir être improductif. S’il s’agissait d’un chemin de fer à construire par l’Etat dont les revenus devraient être perçus par l’Etat, je concevrais l’objection, parce qu’alors nous pourrions examiner si l’utilité qu’il y a à relier Philippeville au réseau des chemins de fer compenserait les sacrifices que nous serions appelés à faire ; mais il s’agit d’une compagnie particulière ; cette compagnie a consenti à l’embranchement ; il me paraît que c’est son affaire plus que la nôtre ; et que si nous pouvons, même au prix d’un sacrifice pour la compagnie, procurer à la ville de Philippeville la faveur qu’elle réclame, nous n’avons absolument rien à y risquer. Du reste, je pense que la compagnie, dans son intérêt bien entendu, consentira à toutes les modifications utiles qui pourraient être apportées au tracé et dès lors je ne verrais aucun inconvénient à l’adoption de l’amendement de l’honorable M. Brabant, puisque cet amendement se borne à laisser au gouvernement la faculté d’apporter, de commun accord avec la compagnie, des modifications au tracé, puisque cet amendement n’impose aucune modification, et qu’il ne peut, dès lors, en aucune manière, être une cause de résolution du contrat.

Je m’attacherai maintenant aux objections qui ont été présentées par l’honorable M. Lys et par l’honorable M. David.

L’honorable M. Lys a vu un très-grand inconvénient dans l’art. 7 de la dernière convention, en ce qui concerne les embranchements pour lesquels on accorde la préférence à la compagnie. Cette préférence, messieurs, je la trouve assez naturelle, car ces embranchements sont l’accessoire du chemin de fer construit par la compagnie, et il me semble que pour ne pas détruire toute harmonie dans l’exploitation de l’ensemble, il fallait, à conditions égales, accorder la préférence à la compagnie. Cependant vous pouvez voir, messieurs, par l’article 40 du cahier des charges, que le gouvernement s’est réservé le droit d’accorder encore des embranchements à des particuliers, ainsi que le droit de décréter des embranchements et de dire ensuite à la compagnie : « Maintenant c’est à vous de savoir si vous voulez exécuter ces embranchements, oui ou non ; sinon je les fais exécuter par d’autres. »

Quant aux termes de la concession, je crois que l’honorable M. Lys n’a pas bien compris le sens de l’art. 7. Il est dit dans cet article que les embranchements seront concédés conformément à l’art. 50 du cahier des charges et d’après les bases arrêtés pour le chemin principal.

Eh bien, messieurs, lorsqu’on dit : « D’après les bases », cela ne signifie pas que si d’ici à quarante ans par exemple, vous concédiez un embranchement, la concession serait faite pour un nouveau terme de 90 ans, car ce serait là détruire les bases, lorsque l’on dit : « D’après les bases », cela signifie que l’accessoire suivra le principal et que le terme fixé pour l’accessoire expirera en même temps que le terme fixé pour le principal.

Je crois que c’est là la seule interprétation rationnelle de l’art. 7. Du reste, je prierai M. le ministre des travaux publics de bien vouloir s’expliquer sur cette question et dissiper les doutes que l’art. 7 paraît avoir fait naître.

Messieurs, on vous a fait une autre objection sur l’exploitation qui se ferait par une compagnie anglaise. L’honorable M. David vous a dit que ce seront des bénéfices anglais prélevés au détriment de l’industrie nationale. Je ne puis admettre que ces bénéfices seraient prélevés au détriment de l’industrie nationale ; plus l’industrie belge se développera au moyen du chemin de fer que la compagnie anglaise est disposée à construire et plus les revenus du chemin de fer augmenteront ; mais ce développement de l’industrie sera au profit de la Belgique et non pas au profit de la compagnie anglaise ; seulement la compagnie anglaise prélèvera un faible tantième sur les bénéfices qu’elle aura fait faire à l’industrie belge, et je désirerai de tout mon cœur que les bénéfices de la compagnie anglaise fussent tels qu’elle pût, pendant 90 ans, distribuer à ses actionnaires un dividende de 10 ou 15 pour cent. Les Anglais y gagneraient, mais l’industrie belge y gagnerait infiniment plus.

Une autre objection a été faite par l’honorable M. David, elle consiste dans l’élévation des prix des transports.

C’est encore une question sur laquelle je ne puis pas me prononcer. Je dirai seulement que nous ne devons nous laisser guider dans cette circonstance que par les intérêts de ceux-là mêmes qui réclament le chemin de fer et qui n’ont, que je sache, élevé aucune réclamation contre le tarif. Si l’industrie du pays que le chemin de fer doit parcourir, se contente du tarif, pourquoi ne nous en contenterions-nous pas, d’autant plus que c’est encore une question dans laquelle le trésor n’est nullement intéressé ?

Je ne prolongerai pas davantage cette discussion, et, pour me résumer, je dirai que je ne vois aucun inconvénient à l’adoption de l’amendement de l’honorable M. Brabant ; mais que l’amendement de l’honorable M. David, s’il était admis, compromettrait complètement l’exécution de la convention.

M. de La Coste – Messieurs, si j’ai bien compris la proposition de l’honorable M. Brabant, ainsi que les observations présentées par l’honorable M. Meeus, il y a une différence dans ce que désirent les honorable membres. Il me semble que l’honorable M. Meeus veut conserver la direction sur Marchiennes, sauf à établir un embranchement qui joindrait Charleroy. Pour autant que je puisse juger les choses, ce serait à cette dernière opinion que je me rallierais le plus facilement. Au surplus, comme je connais fort peu ces localités, ce n’est pas principalement sur cet objet que je désire vous entretenir un moment. J’ai besoin d’adresser quelques observations et de demander quelques explications à M. le ministre des travaux publics.

Selon l’honorable M. Brabant, l’Etat ferait, du chef de cette nouvelle voie de communication, sur le produit des voies plus anciennes, une perte qu’il évalue à 200,000 fr. ce n’est pas pour moi un motif péremptoire pour m’opposer au projet ; dans cette circonstance, l’Etat, selon moi, est placé dans la même condition qu’une ville qui possède une chaussée ou un canal, et qui perd une partie de ce revenu, par suite de l’établissement d’une autre voie de communication ; l’Etat même est dans une condition plus favorable. En effet, la richesse qui se répand sur le territoire vivifié par la nouvelle voie de communication, tourne nécessairement au profit de la richesse publique, et même au profit des revenus du trésor.

Je prierai seulement M. le ministre des travaux publics de prendre note de ceci, afin que, dans les cas analogues qui pourront se présenter, on ne fasse pas une objection insurmontable de ce qui maintenant ne paraît pas même une difficulté.

Pour pouvoir voter consciencieusement sur ce projet pour lequel j’ai déjà dit que j’étais favorablement disposé, je désirerais des éclaircissements sur deux points.

Je désirerais savoir d’abord jusqu’à quel point le gouvernement sera tenu des indemnités envers d’anciens concessionnaires ou autres, dont vous a parlé principalement l’honorable M. Lys, et quelles seraient les charges qui pourraient incomber au trésor de ce chef. Comme l’Etat n’a aucune chance de bénéfice direct dans cette entreprise, il me semble qu’il devrait être parfaitement indemne. C’est là le principe auquel on est maintenant revenu en France ; après avoir essayé différents systèmes, on est arrivé à se décider pour cette alternative, ou bien que l’Etat ait la chance complète des bénéfices, comme celle des pertes, ou bien qu’il soit parfaitement indemne.

Le second point sur lequel je désire des éclaircissements, point extrêmement essentiel, parce qu’il se rattache aussi aux difficultés qui ont été faites ou qui pourront naître relativement au tarif, difficultés qui sont, d’après le projet, perpétuées pour un terme de 90 ans ; le second point, dis-je, sur lequel je demande des éclaircissements, c’est de savoir comme il se fait que, dans cette occasion, notre gouvernement se dessaisisse de tout moyen d’abréger la durée de la concession, soit par la concurrence, soit par des stipulations facultatives de rachat ; tandis qu’en France, on vient de fixer la durée d’une semblable concession à 50 ans, en ouvrant, de plus, sur ce terme, une concurrence en rabais ; et tandis que, dans le même Etat, on agite fortement la question de savoir s’il n’y a pas lieu à racheter tous les canaux construits par l’industrie particulière ?

M. Malou – Messieurs, je suis aussi disposé à voter le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ; cependant je désirerais obtenir des éclaircissements sur quelques articles du cahier des charges.

L’art. 23 me paraît établir, pour la compagnie concessionnaire, le droit de faire des règlements ayant une sanction pénale ; en d’autres termes, il ne pourrait déléguer à des particuliers l’exercice d’un pouvoir qui doit appartenir essentiellement à la législature, ou qui doit être délégué par elle à une autorité publique, et seulement à une autorité publique.

(page 922) Je lis, à cet effet, dans l’art. 23 :

« Art. 23. Toutes les lois, tous les règlements généraux en matière de grande voirie actuellement en vigueur ou à intervenir par rapport aux routes et chemins de fer de l’Etat, seront applicables aux chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse et ses embranchements.

« Le gouvernement, après avoir entendu les concessionnaires, arrêtera les mesures et les dispositions nécessaires pour assurer la police, la conservation et la sûreté du chemin de fer et de ses dépendances.

« Les concessionnaires sont autorisés à faire, sauf l’approbation de l’administration, les règlements qu’ils jugeront utiles pour le service et l’exploitation du chemin.

« Les règlements dont il s’agit dans les deux paragraphes qui précèdent, sont obligatoires pour les concessionnaires et en général pour les personnes qui feront usage du chemin de fer. »

Il résulte de cet article que la compagnie pourra établir des pénalités à l’égard des particuliers, comme sanction des règlements qu’elle établirait ; et si l’article ne devait pas être entendu ainsi, les règlements, dépourvus de sanction, ne pourrait être établis ou seraient établis inutilement par la compagnie.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, qu’avant de conclure la convention avec la compagnie, il réserve à l’autorité publique seule le droit de donner une sanction aux règlements qu’elle établirait.

L’art. 39, au sujet duquel l’honorable M. Lys a déjà fait une observation, contient une innovation d’une beaucoup plus grande portée. Il s’agit, en effet, de reconnaître ici l’expropriation pour cause d’utilité particulière.

Que porte, en effet, cet article ?

« Art. 39. Il sera loisible à qui que ce soit, d’établir le long du chemin de fer et de ses embranchements, et sur un point à son choix, des magasins ou abordages, avec des machines, engins ou attirails propres à faciliter le chargement et le déchargement des wagons, à condition d’établir en dehors du chemin de fer une ou plusieurs voies latérales, afin que les waggons en chargeant ou déchargeant, ne puissent ni entraver ni empêcher la libre circulation sur le chemin de fer ou les embranchements

« Le gouvernement se réserve, dans ce cas, d’autoriser l’expropriation pour cause d’utilité publique. »

Eh bien, ce n’est pas une expropriation par cause d’utilité publique, mais bien une expropriation pour cause d’utilité particulière. Il s’agit ici de la garantie de la propriété, et cette garantie est extrêmement importante.

Je ne citerai qu’un seul fait. Supposez, par exemple, deux personnes, dont l’une est riveraine du chemin de fer, et dont l’autre est un peu éloignée. Eh bien, ce deuxième propriétaire, dans son intérêt privé, pour annuler la concurrence du propriétaire riverain du chemin de fer, exproprierait ce dernier. C’est là une chose complètement inadmissible.

Je citerai dans notre législation un précédent qui sera sans doute présent à votre mémoire. Lorsqu’il s’est agi de réviser la loi de 1810, relative aux mines, on a compris qu’il fallait admettre quelques dérogations aux principes absolus de la législation, qu’il pouvait y avoir, dans certains cas, utilité publique à exproprier un particulier dans l’intérêt direct du concessionnaire d’une mine ; mais alors on a stipulé en faveur de ce dernier, comme garantie de la propriété, des droits entièrement exceptionnels. On lui a donné des garanties toutes spéciales qui manquent complètement dans l’art. 39 du cahier des charges.

Je n’insisterais pas tant sur ce point, si je croyais que la renonciation du 2e § de l’art. 39 pût être considérée par la compagnie comme une clause résolutoire du contrat. Mais évidemment il n’en est pas ainsi. Ce n’est pas un droit qu’on stipule pour la compagnie, opposé à l’intérêt d’un autre particulier, que l’article est introduit. Et remarquez bien que cette disposition étant supprimée, les magasins ne s’en établiront pas moins, partout où il sera besoin d’en établir ; on s’arrangera avec les propriétaires qui feront leurs conditions, et qui, comme les lois le veulent, conserveront la libre disposition de leurs propriétés, de sorte que la suppression du § 2 de l’article 39 ne peut pas être considérée comme une clause de résolution du contrat.

J’ai besoin également d’obtenir une explication sur l’art. 40.

Lorsque je rapproche l’art. 7 de la nouvelle convention, des dispositions du cahier des charges, je vois que l’art. 7 renvoie seulement à l’art. 50 dudit cahier des charges, et non pas à l’art. 40. Si ce n’était pas là une omission volontaire, il en résulterait que la compagnie aurait le droit de préférence stipulé par l’art. 50, seulement pour les lignes d’une certaine étendue, et non pour les lignes secondaires qui seraient faites, par exemple, par le propriétaire d’une usine sur son propre terrain jusqu’au chemin de fer.

C’est ainsi que j’entends l’art. 50. Il suivrait donc de cette interprétation, si elle était juste, qu’en vertu de l’art. 40 la compagnie ne serait pas autorisée à exproprier, par exemple, dans son intérêt, un chemin par lequel un industriel qui serait à un kilomètre de la voie concédée, voudrait sur son propre territoire et à ses propres frais, joindre le centre de son usine au chemin de fer.

Si cette disposition n’était pas nettement posée, l’art. 40 serait une attention de plus portée à la propriété.

Il me reste enfin à demander quel est le sens de l’art. 59 du cahier des charges. Cet article est ainsi conçu :

« Art. 59. Les droits d’enregistrement seront fixés, et s’élèveront à un franc soixante-dix centimes en principal. »

Ordinairement, lorsqu’une pareille exemption d’impôt est stipulée, elle est limitée par le texte même de la stipulation. On a l’intention, je pense, d’accorder les droits fixes d’enregistrement seulement à l’acte de concession lui-même ; et non pas à tous les actes qui seraient enregistrés, au profit de la compagnie, pendant toute la durée de la concession.

Toutefois, il faut bien reconnaître que le texte n’est pas assez limitatif. J’appelle sur ce point l’attention de M. le ministre des travaux publics, pour qu’il avise à ce qu’une explication bien nette soit donnée, avant que la concession ne devienne définitive.

De ces diverses observations, il en est une seule sur laquelle je crois devoir insister, en proposant un amendement. Il s’agit du deuxième paragraphe de l’art. 39. Je propose d’en décréter la suppression.

En supprimant ce paragraphe, et qu’il me soit permis de faire une observation qui m’a échappé tout à l’heure, en supprimant ce paragraphe, on n’interdit pas d’une manière absolue, et dans toutes les hypothèses possibles, l’expropriation pour cause d’utilité publique ; mais seulement on reste dans les principes généraux et d’après ces principes, le gouvernement peut décréter, sous sa responsabilité, que dans telles circonstances il y a réellement utilité publique. Ainsi la suppression de ce paragraphe n’est que le renvoi au droit commun.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, avant d’aborder les objections de détail que plusieurs orateurs ont fait valoir, la chambre me permettra d’examiner la haute utilité du chemin de fer en lui-même et les conditions avantageuses auxquelles ils sera exécuté, car en face de ces considérations générales qu’on a semblé oublier un peu, les objections de détail qu’on a présentées perdent à peu près toute leur importance.

En général, quand il s’agit d’une concession de route, de canal ou de chemin de fer, d’une concession à laquelle le gouvernement ne prête aucun concours pécuniaire, dans tous les pays une telle concession est toujours accordée sans contestation aucune.

En effet, quand le concours de l’Etat n’est pas exigé, l’ouverture d’une nouvelle communication de ce genre, est toujours un bien. Elle crée des débouchés nouveaux à l’agriculture, à l’industrie, au commerce ; elle augmente la valeur des propriétés, elle développe la production agricole et industrielle, elle accroît la somme des richesses publiques. L’Etat obtient ces avantages sans aucun sacrifice.

J’ai eu l’honneur de le rappeler à la séance d’hier : avant 1842, par la loi de concessions de péages, le gouvernement eût été autorisé à concéder le chemin sans l’intervention de la législature ; il l’a en effet concédé sans cette intervention en 1837 à une compagnie qui s’est dissoute depuis ; il a concédé ainsi le railway d’Anvers à Gand par le pays de Waes. Depuis, les chambres ont apporté une clause restrictive à la loi de concessions de péages, afin d’examiner si les chemins de fer qu’il s’agirait de concéder ne pourraient pas nuire par leur concurrence aux chemins de fer de l’Etat. Ici la concurrence avec le chemin de fer de l’Etat n’existe pas ; bien loin que le chemin de fer projeté fasse concurrence à celui de l’Etat, il forme un des affluents les plus considérables qu’on établira.

Vous connaissez le but spécial du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ; c’est de rapprocher le minerai des hauts fourneaux et réduire le prix de revient du fer par cet abaissement des frais de transport ; c’est porter la houille aux minières mêmes pour rendre l’extraction du minerai moins coûteuse.

Lors de l’enquête commerciale, les industriels de Charleroy ont été unanimes pour déclarer que, pour relever la forgerie, pour lui ouvrir les débouchés qui lui manquent, pour soutenir la concurrence sur les marchés de l’étranger avec l’Angleterre, il ne leur manquait que des moyens de communication meilleurs et plus économiques. Ils ont établi que par le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse le prix du transport du minerai, qui entre pour un tiers dans le prix de la fonte, serait réduit d’un sixième. En Angleterre, la supériorité de la forgerie vient de ce qu’on rencontre dans le même sol, le minerai et la houille ; c’est aussi l’avantage dont jouit la forgerie du midi de la France et de l’Aveyron ; c’est pour cela que les usines de ces localités sont parvenues à se faire une si belle position sur le marché central de Paris. Par la réduction notable des frais de transport du minerai aux hauts fourneaux, vous allez placer l’industrie métallurgique du district de Charleroy dans une position telle qu’elle verra s’ouvrir le marché des Ardennes françaises et de la Marne qui lui était fermé, et qu’elle pourra mieux lutter avec la forgerie anglaise.

Une chose surprenante, messieurs, c’est que les hauts fourneaux d’Entre-Sambre-et-Meuse, qui exportent des fontes dans le département du Nord, n’en exportent presque pas dans les départements des Ardennes et de la Marne qui se trouvent dans leur voisinage ; le seul motif est l’absence de communication. Quand le chemin de fer sera fait, l’économie du transport facilitera l’exportation vers ces contrées. Ainsi, la fonte, à Charleville, centre de la consommation, coûte aujourd’hui 145 fr. les mille kilogrammes ; par le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, la fonte belge, à Charleville, ne coûtera que 125 fr. les mille kilogrammes. La différence est de 20 fr. par tonne, c’est-à-dire 2 francs par 100 kilogrammes.

Vous le savez, messieurs, si, par suite des négociations entamées avec la France, nous parvenions à obtenir une réduction de 2 fr. par 100 kilog., sur le droit de 4 fr. qui frappe nos fontes à leur entrée en France, nous considérerions cet avantage comme très-considérable, et nous consentirions à des sacrifices pour l’obtenir. Ce que vous attendriez d’un traité de commerce, le chemin de fer projeté vous le donne, sans compensations ni sacrifices.

Pour la houille, les mêmes résultats seront obtenus. Vous savez qu’elle coûte maintenant dans le département des Ardennes 42 fr. par tonneau, 60 fr. à Reims et 70 fr. à Châlons. Le même tonneau ne coûte que 8 à 10 fr. dans le district de Charleroy. Lorsque, par le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, qui sera immanquablement prolongé en France, vers (page 923) Sedan et Reims, ces prix se trouveront considérablement réduits, l’usage de la houille se généralisera, et ce débouché triplera en importance ; la forgerie au bois se transformera en forgerie au coke ; la houille remplacera le bois dans le chauffage domestique, dans les briqueteries et les fours à chaux ; la consommation augmentera dans une proportion difficile à assigner.

Ce sont là des faits facilement appréciables par tous.

Ainsi, au point de vue de l’agriculture, le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, en amenant la houille près des produits calcaires, permettra de fertiliser des terres improductives ; au point de vue de l’industrie, en diminuant le prix de revient de la fonte et en abaissant les frais de transport vers la France, il ouvrira à l’industrie sidérurgique et aux houillères un débouché nouveau sur le marché français. C’est là un résultat très-important. Vous n’ignorez pas que, sous le rapport international, ce chemin de fer est le point de départ d’une ligne qui, en passant par Rocroy, doit desservir Charleville et Sedan, et rejoindre, à Reims et Châlons, le chemin de fer en projet de Paris à Strasbourg.

Nous aurons une seconde voie directe vers Paris et la route la plus courte vers Strasbourg, port du Haut-Rhin, vers le duché de Bade et vers la Suisse.

Au point de vue international, ce chemin est donc aussi important qu’au point de vue agricole, industriel et commercial. Je vous ai rappelé ces faits qui vont sont connus, afin de faire comprendre, par la haute importance attachée à ce chemin, que, quand bien même quelques objections de détail du cahier des charges seraient fondées, ce ne serait pas une raison pour que les chambres se décidassent à rejeter une convention aussi favorable aux intérêts généraux du pays.

Je passe maintenant aux principales objections qui ont été produites. L’honorable M. David à soutenu que les péages, tels qu’ils étaient fixés par le cahier des charges, étaient des péages onéreux.

Messieurs, il n’en est rien. D’abord, il ne faut pas oublier qu’ils constitueraient un maximum. Vous savez qu’en France les compagnies ont eu soin, dans leur propre intérêt, de fixer les péages au-dessous du maximum établi. Les compagnies des chemins de fer d’Orléans et de Rouen ont abaissé leurs tarifs bien au-dessous de ce maximum qui leur était accordé. Les péages que nous avons admis sont ceux qui avaient été adoptés dans les enquêtes par les industriels des province de Namur et du Hainaut en 1837 ; les intéressés ont déclaré que ces péages leur convenaient. Depuis lors, aucune plainte, aucune réclamation n’a été faite.

M. David voudrait qu’on adoptât les tarifs de l’Etat. Mais les tarifs fixés par le cahier des charges sont plus modérés que les tarifs de l’Etat, dans leur partie la plus importante. Ainsi, le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse a surtout en vue les transports de minerai, de houille, de fonte et de marbres. Voilà son but spécial, industriel ; les minerais et les marbres ne payeront, d’après le tarif du cahier des charges, tel qu’il est rédigé, que 42 centimes par tonne et par lieue ; tandis que, d’après la proposition de l’honorable M. David, le minerai payerait 50 centimes c’est-à-dire le taux du tarif de l’Etat. Ainsi, le grand avantage qu’attend et espère l’industrie de Charleroy, c’est-à-dire, la diminution du prix de la fonte par la réduction des transports de minerais n’existerait plus au même degré.

Il en serait de même pour le transport des houilles. D’après le tarif d’Entre-Sambre-et-Meuse, les houilles ne payeraient que 47 c., tandis que, d’après le tarif de l’Etat, elles payeraient 50 c.

Ainsi, pour ces deux objets importants, la fonte et la houille, le tarif de l’Etat serait moins avantageux à l’industrie de Charleroy que ne seraient les péages fixés dans le cahier des charges.

Il ne faut pas, du reste, oublier que le tarif d’Entre-Sambre-et-Meuse sera le tarif le plus modéré, peut-être, des chemins de fer exploités par les compagnies.

En France et en Allemagne (je ne parle pas de l’Angleterre où les tarifs sont usuraires), les tarifs fixés par les cahiers des charges sont beaucoup plus élevé que celui déterminé par le cahier des charges que nous discutons.

L’honorable M. Brabant a fait une autre objection : il a trouvé que le gouvernement avait mis une certaine précipitation à décider un tracé qui n’aurait pas été suffisamment étudié et mûri. Mais l’honorable membre a perdu de faits les faits. Le projet qui existe est, sauf certaines modifications utiles qui y ont été apportées, celui-là même qui a été étudié et proposé au gouvernement par un de nos plus honorables anciens collègues, dont nous regrettons tous la perte ; perte qui se fait surtout vivement sentir dans telles discussions ; je veux parler de feu M. le colonel de Puydt. Après de longues études dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, le colonel de Puydt a présenté, comme le meilleur, le tracé qui a été adopté par le gouvernement, sauf quelques changements peu considérables qu’on y a introduits.

Les ingénieurs de l’Etat, chargés de la vérification du tracé, l’ont approuvé, après avoir passé trois ans dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Enfin les ingénieurs anglais, hommes de grande réputation en Angleterre, sont venus, dans l’intérêt de la compagnie, vérifier le tracé fait par le colonel de Puydt et accepté par les ingénieurs de l’Etat, et ils y ont donné pleine approbation. Ainsi, il est impossible d’avoir plus de garanties d’une étude profondément mûrie.

Certes, on ne peut dire que le gouvernement a mis ici de la précipitation : si toutes les études avaient été faites avec le même soin, beaucoup de plaintes, qui ont surgi dans cette enceinte, ne se seraient pas fait entendre.

Relativement au cahier des charges et aux conditions qu’il renferme, veuillez remarquez que ce cahier des charges a été accepté en 1837 par le gouvernement, après une vérification approfondie ; je l’ai comparé depuis à ceux adoptés pour les chemins de fer d’Orléans et de Rouen, et on y a apporté les modifications heureuses que nous avons trouvées insérées dans ces cahiers de charges qui servent souvent de base à ceux que l’on soumet aux chambres françaises. Ainsi, il y a toute garantie qu’un grand soin a présidé à sa rédaction, que tous les intérêts y ont été soignés et défendus.

L’honorable M. Malou, et avant lui l’honorable M. Lys ont surtout appuyé leurs observations sur l’art. 39 ainsi conçu :

« Art. 39. Il sera loisible à qui que ce soit, d’établir le long du chemin de fer et de ses embranchements, et sur un point à son choix, des magasins ou abordages, avec des machines, engins ou attirails propres à faciliter le chargement et le déchargement des wagons, à condition d’établir en dehors du chemin de fer une ou plusieurs voies latérales, afin que les waggons en chargeant ou déchargeant, ne puissent ni entraver ni empêcher la libre circulation sur le chemin de fer ou les embranchements

« Le gouvernement se réserve, dans ce cas, d’autoriser l’expropriation pour cause d’utilité publique. »

L’honorable M. Malou propose la suppression de la réserve que contient le deuxième alinéa de cet article. Il a donné pour sens à cette suppression qu’on devrait se conformer aux clauses ordinaires de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Je me suis assuré que la compagnie ne voyait aucune difficulté à interpréter l’article 39 dans le sens indiqué par M. Malou, et c’était là aussi l’interprétation que lui avait toujours donnée le gouvernement. Ainsi, je ne m’oppose pas à la suppression proposée par l’honorable M. Malou, avec le sens qu’il y a attaché.

Plusieurs honorables membres ont trouvé que le gouvernement n’a pas des droits de surveillance assez formels. Mais les articles 43 et suivants établissent ce droit de surveillance de la même manière qu’il est formulé dans tous les cahiers des charges des chemins de fer de l’étranger.

Ces articles sont ainsi conçus :

« « Art. 43. Le choix et la nomination des agents nécessaires à l’exécution des travaux, à l’exploitation de la route et à la perception des péages, appartiendra exclusivement aux concessionnaires ; mais le gouvernement aura le droit de désigner ceux de ces agents qui seront assermentés aux fins de remplir les fonctions d’officiers de police judiciaire, au vœu de la loi du 15 avril 1843.

« Art. 44. Le gouvernement fera surveiller par ses agents l’exécution de tous les travaux, tant de premier établissement que d’entretien, ainsi que d’exploitation ; cette surveillance sera exercée aux frais des concessionnaires ; à cet effet, les concessionnaires verseront endéans les trois mois à compter conformément à l’art. 3 et annuellement, pendant la durée des travaux, dans la caisse qui leur sera indiquée à cet effet, une somme de fr. 15,000 ; et en outre pendant toute la durée de la garantie de l’Etat et endéans le premier trimestre de chaque année, une somme annuelle de fr. 3,000 ; la garantie éteinte, cette somme sera réduite à fr. 1,000.

« Art. 45. La surveillance à opérer par le gouvernement aux termes de l’article qui précède, ayant pour objet exclusif d’empêcher les concessionnaires de s’écarter des obligations qui leur incombent, est toute d’intérêt public, et par suite elle ne peut faire naître à sa charge aucune obligation. »

La lecture seule de ces articles (je pourrais en lire d’autres), vous prouve que toutes les précautions qui ont été prises au point de vue de la sécurité publique, ont été introduites dans le cahier des charges.

Relativement à l’art. 7 de la convention nouvelle, le sens qu’y a attaché l’honorable M. Cogels est celui que le gouvernement y attache. Comme il s’agit d’un contrat bilatéral, il ne suffit pas de savoir comment le gouvernement l’interprète Il faut savoir aussi dans quel sens l’autre partie l’interprète. Nous avons donc recueilli nos souvenirs, et il nous a été démontré que cette disposition a le sens qu’y a donné l’honorable M. Cogels. Ainsi, la compagnie aura la préférence pour les embranchements qui feront l’objet de concessions nouvelles et, d’après les bases de la concession primitive. Lorsque cette rédaction a été adoptée, cette dernière phrase a été introduite par moi, dans le but surtout d’empêcher qu’on ne vînt réclamer pour l’exécution des embranchements le concours de l’Etat qui n’est pas accordé pour le tronc principal. Les branches accessoires auront le sort de la ligne centrale.

L’honorable M. Brabant a rappelé qu’une objection a été présentée, et que le gouvernement n’a pas donné tous les renseignements qu’il avait demandés. Ces renseignements concernent la question de savoir si, par l’exécution du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, le trésor public ne subirait pas une certaine perte par la diminution des péages sur la Sambre et la Meuse.

Il s’agit là du transport des houilles en destination de la France ; car les houilles en destination de Namur et des contrées qui avoisinent Namur, en amont et en aval, seront transportées toujours par la Sambre inférieure. Il ne s’agit donc que du transport des houilles vers les Ardennes françaises. D’après les chiffres que j’ai indiqués dans la discussion de mon dernier budget, chiffres que m’avait fournis M. l’ingénieur Guillery, les charbons de Charleroy qui s’expédient vers les Ardennes françaises ne s’élèvent qu’à cinq mille tonneaux annuellement, qui produisent en péages sur la Sambre inférieure 10,000 fr. et sur la Meuse 17,000 fr. ; car vous savez que les péages sur la Meuse sont très-peu élevés. Aussi, la perte ne serait que de 27,000 fr. Elle serait beaucoup plus considérable, que ce ne serait pas un motif pour ne pas construire le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse (page 924) car si l’on avait adopté une telle manière de voir, on aurait jamais exécuté le chemin de fer de l’Etat, qui a fait réduire bien autrement le produit des péages sur les canaux et sur les routes ordinaires parallèles au chemin de fer.

Or, messieurs, il n’est venu dans la pensée de personne de soutenir qu’il fallait renoncer à la construction de nos chemins de fer pour éviter certaines pertes qui en pourraient résulter dans le revenu des routes ordinaires ou de quelques voies navigables. D’ailleurs, quand on établit une voie de communication nouvelle, on ouvre bien plutôt des débouchés nouveaux qu’on ne crée une concurrence aux voies anciennes.

Reste l’objection que l’on a faite relativement à l’art. 7 de la convention, au droit de préférence qui a été accordé à la compagnie pour l’exécution des chemins de fer affluents ou accessoires qui pourraient être décrétés par la suite dans la zone de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Messieurs, c’est le seul avantage que la compagnie ait demandé au gouvernement. Cet avantage nuit-il aux intérêts généraux ? N’existe-t-il pas de motifs particuliers pour l’admettre ?

D’abord le gouvernement a saisi l’occasion qui se présentait de rédiger une convention nouvelle pour imposer à la compagnie l’exécution de plusieurs embranchements dont la construction, il faut bien le dire, sera onéreuse pour elle. Ainsi, la construction de l’embranchement qui doit relier Philippeville au tronc principal et qui doit être exploité par locomotives forme une clause onéreuse pour la compagnie. Elle devra aussi prolonger l’un des embranchement jusqu’à Florennes ; et, par l’ancienne convention, elle était obligée de construire, sans le concours de l’Etat, la branche internationale pour Couvin vers la France qui n’était pas comprise dans la concession de 1837.

Messieurs, il faut remarquer que le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse a un caractère tout-spécial. Ce chemin de fer, comme je l’ai déjà dit, a pour but d’aller prendre les minerais de l’Entre-Sambre-et-Meuse et de les amener aux hauts fourneaux. Mais, pendant la durée de la concession, ces minières vont se déplacer.

L’intérêt de la compagnie est de pouvoir poursuivre en quelque sorte ces minières au fur et à mesure qu’elles se déplaceront. Pour atteindre son but, ce railway doit se ramifier, dans toutes les directions, comme quelques chemins industriels de l’Angleterre. Ainsi donc ce droit de préférence est légitimé par le caractère spécial même de ce chemin de fer.

En Angleterre, messieurs, le comité des travaux publics du parlement qui est appelé à examiner les concessions de chemins de fer, a admis comme un des principes administratifs qui la dirigent, que lorsqu’une compagnie est en possession d’un tronc principal, la préférence lui est accordée pour les concessions d’affluents qui viennent s’embrancher sur ce tronc, parce que l’on considère les transports qui se font dans une certaine zone autour du chemin principal, comme lui appartenant jusqu’à un certain point. L’intérêt dominant de la compagnie est donc d’établir successivement ces embranchements. Sans doute elle ne les exécutera pas tous par elle-même mais elle tient à examiner sur les demandeurs en concessions nouvelles prennent toutes les garanties de sociétés sérieuses ; si, par une mauvaise exécution ou par une mauvaise exploitation, ces sociétés ne deviendraient pas des obstacles à une exploitation bien entendue dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Dans ce dernier cas, la compagnie se réserve le droit d’exécuter elle-même.

Le droit de préférence qu’elle demande n’est donc pas un droit d’empêcher de faire, mais la faculté de faire. Ainsi, lorsque la concession d’un chemin de fer accessoire ou d’un embranchement sera demandée, si la compagnie rencontre dans ce concessionnaire les conditions désirables, son intérêt sera de le laisser exécuter. Si elle ne rencontrer pas ces bonnes conditions, elle construira elle-même. Où est le mal, messieurs ? Il est de l’intérêt du pays, il est de l’intérêt de l’Entre-Sambre-et-Meuse que beaucoup d’embranchements soient exécutés ; et, comme je viens de le dire, ce droit de préférence ne tend pas à empêcher d’exécuter, mais c’est une garantie que ces affluents seront prochainement établis.

Ainsi, messieurs, la clause relative au droit de préférence est dans l’intérêt public ; elle n’empêche rien. Quant aux demandeurs en concession de ces embranchements, comme l’a très-bien compris la section centrale, leurs droits d’auteurs restent saufs. Les lois et les arrêtés sur la matière ne sont pas abrogés.

Messieurs, comme l’heure est avancée, je bornerai là mes observations.

M. le président – Les amendements qui ont été présentés seront imprimés et distribués.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.