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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 mai 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1599) (Président de M. Vilain XIIII)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners fait l’appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre :

« Le sieur Arnold Vandersanden, ancien garde forestier particulier, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Pasque prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à ce que son fils, Jean, soit exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Gand prie la chambre de n’autoriser la concession du chemin de fer de Bruges à Courtray, que sous la condition d’exécuter immédiatement un embranchement sur Aeltre ou sur Deynze. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à ce chemin de fer.


« La commission administrative de la caisse de prévoyance du Couchant de Mons adresse à la chambre quatre exemplaires du compte-rendu de ses opérations pendant l’année 1844. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi modifiant les droits sur les céréales

Motion d’ordre

M. Malou – (pour une motion d'ordre) Messieurs, dans la séance d’hier, deux propositions ont été successivement faites : la première était celle de l’honorable M. Castiau, qui demandait la question préalable sur une partie du projet de la section centrale ; la deuxième, la seule qui subsiste encore aujourd’hui, est celle de l’honorable M. Verhaegen, qui demande la question préalable sur le projet transmis par le sénat. Je viens demander à la chambre de prononcer l’ordre du jour sur la motion de l’honorable M. Verhaegen. J’indiquerai brièvement les motifs de cette demande.

Il me paraît d’abord évident que la substitution de la proposition de l’honorable M. Verhaegen à celle de l’honorable M. Castiau est une reconnaissance nécessaire, implicite de ce que la chambre, après le vote sur la question préalable, resterait saisie du projet présenté par la section centrale, et que dès (page 1600) lors, il y aurait lieu, pour la chambre, de voter sur ce projet. Par cette seule considération déjà se justifie l’ordre du jour. En effet, messieurs, nous ne discutons pas pour discuter, mais nous discutons pour prendre des résolutions et pour prendre des résolutions utiles. Or, je me permettrai à mon tour un dilemme : ou la question préalable sera accueillie ou elle sera repoussée ; si la question préalable est accueillie, on aura déclaré peut-être que le sénat est sorti de ses attributions constitutionnelles mais on se trouvera en présence du projet de la section centrale ; si au contraire la question préalable est rejetée, nous nous trouvons encore en présence du même projet de la section centrale. De là résulte, messieurs, que nous discuterions très-inutilement sur cette question, puisque, en cas de résolution affirmative ou en cas de résolution négative, la position de la chambre serait identiquement la même. S’il m’était permis d’invoquer un axiome de procédure, je dirais : Frustra probatur quod probatum non relevat.

Messieurs, la motion qui vous est faite est tardive, quant au sénat, ; et prématurée, quant à la chambre. Elle est tardive, quant au sénat, parce que si l’on voulait élever une objection constitutionnelle, il fallait ne pas laisser les sections et la section centrale être saisies du projet ; il fallait faire ce que l’on a fait ailleurs, demander que la question constitutionnelle fût soumise à un examen préalable, comme doivent l’être les questions préjudicielles ; il fallait demander que cette question fut vidée avant l’examen du projet par les sections.

Je dis, messieurs, en second lieu, que la question est prématurée quant à la chambre. En effet, messieurs, je conçois la solution utile de cette question dans l’hypothèse que je vais indiquer, et si cette hypothèse se réalise, je prendrai volontiers part à la discussion de la question constitutionnelle. Si la chambre adopte le projet de loi du sénat tel que le sénat le lui a renvoyé, alors il faudra décider si le projet doit être soumis directement à la sanction royale ou s’il doit être renvoyé au sénat ; alors il y aurait une discussion utile, un vote à émettre.

Dans cet état de choses, messieurs, si l’ordre du jour n’était pas admis, je crois que nous devrions encore prononcer la disjonction, que nous devrions remettre la proposition qui vous a été faite hier à la session prochaine, où nous aurons plus de temps pour agiter à plaisir de grandes questions.

Un membre – Vous proposez donc l’ajournement de la question des céréales ?

M. Malou – Je ne propose nullement le renvoi de la question des céréales à la session prochaine. Si d’autres le proposent, nous verrons ce qu’il y aura lieu de faire. Mais pour le moment, je dis que la question qu’on a soulevée est complètement inutile, et devrait dans tous les cas, si l’ordre du jour n’était pas prononcé, être disjointe de l’examen de la loi des céréales.

M. Manilius – Messieurs, j’ai dû demander la parole sur la motion de l’honorable préopinant, surtout lorsque j’ai entendu dire par l’honorable député d’Ypres que la proposition de l’honorable M. Verhaegen n’est plus de saison, qu’elle est venue trop tard. Messieurs, je crois que quand même l’ordre du jour auquel je m’oppose, serait prononcé, il n’en serait pas moins vrai que c’est ici le moment d’examiner la question qui a été soulevée. Pour vous le prouver, je n’ai qu’à lire deux lignes du Moniteur, à vous rappeler les paroles de M. le ministre de l'intérieur dans la séance du 15 mars dernier. Lorsque dans cette séance j’opposais l’inconstitutionnalité du message du sénat et que j’étais appuyé par l’honorable M. Lys et par l’honorable M. Dumortier, on me répondait qu’il fallait attendre que les sections eussent examiné la proposition ; que le moment n’était pas venu de discuter la question de constitutionnalité. Voilà les paroles de l’honorable M. Nothomb :

« Une fois qu’il est décidé que l’on soulèvera la question de compétence du sénat, je reconnais que cette question seule demandera plusieurs jours, indépendamment de la question du fond, et dès lors, quelque célérité que nous puissions y mettre, nous ne pouvons espérer de terminer cette loi avant jeudi. »

On trouvait donc alors qu’il y avait lieu d’attendre que les sections eussent examiné et qu’on nous eût fait un rapport. Mais on s’attendait à un rapport lucide et franc, et non à un rapport ambigu.

Je me prononce donc de toutes mes forces contre l’ordre du jour. D’ailleurs, lors même que vous le prononceriez, il n’en serait pas moins vrai que vous auriez à examiner la question. C’est ici une espèce de fin de non-recevoir que j’oppose à la demande d’ordre du jour.

Messieurs, écarter la question préalable, c’est écarter toute la question des céréales avec tout ce qui s’y rattache ; car, d’après le rapport même de l’honorable M. Malou, il s’agit ici et de la proposition des 21, et du projet de M. le ministre, et du projet du sénat. On a tout rattaché à la question des céréales dans le rapport, bien qu’on n’y parle de rien.

Messieurs, pour prouver encore l’ambiguïté du rapport, pour prouver qu’il nous laisse toute latitude pour discuter tout ce qui se rattache à la question des céréales, c’est qu’on dit dans le rapport que la proposition de la section centrale est un amendement, et on le dit en termes non ambigus cette fois.

Voici cette phrase, la seule qui soit claire dans le rapport. C’est l’avis qu’a émis l’honorable M. Malou dans la section centrale ; je ne dis pas que c’est l’avis de la section centrale ; mais on a laissé l’honorable M. Malou insérer son avis dans son rapport :

« En se bornant à proposer cet article, la section centrale n’a pas cru devoir s’arrêter à la question de compétence constitutionnelle, agitée au sein de quelques sections. Cette question, délicate à plus d’un titre, n’aurait exigé une solution expresse que dans le cas où la chambre, adoptant sans amendement le projet du sénat, aurait eu à décider si la proposition votée devrait dès lors être soumise à la sanction du Roi. Il y a plus encore : quelque opinion que l’on se forme sur l’étendue de la prérogative constitutionnelle du sénat, il paraît évident que la chambre était, par suite de l’initiative des 21 représentants, saisie de l’examen de la législation des céréales dans son ensemble, que toutes les propositions peuvent être produites ou considérées comme amendement au projet des 21 membres de cette assemblée, et que, dans cet état de choses, la question de compétence du sénat ne se présente en réalité que d’une manière théorique et abstraite. »

Ainsi, s’il n’y avait pas eu d’amendements, la question devait être examinée ; parce qu’il y a eu un amendement, elle ne doit pas être examinée. C’est toujours de ce principe que part M. Malou.

Messieurs, si le sénat s’avisait par exemple de proposer 50 c. additionnels à l’impôt des patentes, je suppose que l’on fît un amendement réduisant l’augmentation à 25 c., il serait curieux que le rapporteur vînt dire que le sénat était dans son droit, puisque nous avions fait un amendement ; ce serait tout aussi logique. Or il est évident que ce ne serait nullement logique.

On a parlé de théorie, de choses abstraites. On a raison de parler de théories. Pour nous, la grande théorie, c’est la Constitution que nous avons jurée. C’est cette théorie que nous devons vouloir maintenir en pratique. J’espère que nous la maintiendrons.

Je ne m’étendrai pas davantage pour le moment, puisque je n’ai la parole que sur la motion d’ordre. Mais je suis le premier inscrit sur la proposition de l’honorable M. Verhaegen. Je prouverai alors que nous avons toujours fait preuve de déférence envers le sénat, qu’en maintenant nos prérogatives, nous ne dévierons pas de cette déférence.

Je m’oppose à la motion de l’honorable M. Malou.

M. le président – M. Lys vient de déposer un sous-amendement à la proposition de M. Verhaegen. Il est ainsi conçu : « Je propose la question préalable sur le paragraphe premier du projet de loi transmis par le sénat. »

M. Osy – Je viens appuyer, en peu de mots, ce que vient de dire l’honorable M. Manilius.

Je vois, dans le rapport de la section centrale, que toutes les sections se sont occupées de la question de la compétence du sénat. En effet, je lis, page 3 de ce rapport : « La première section admet la compétence du sénat…. La deuxième section se prononce contre la compétence du sénat. Il en est de même de la cinquième section.

« La quatrième, après avoir discuté la compétence, prononce l’ajournement de toute solution sur ce point. »

Vous voyez que toutes les sections s’en sont occupées. La section centrale devait conclure sur cette question, déclarer le sénat compétent ou incompétent. Il est impossible d’éluder la question. Car, si nous votons la proposition de la section centrale, le sénat viendra vous dire : Qu’avez-vous fait de ma loi ? Ce sera un mode irrégulier. Vous voulez éviter un conflit, vous en aurez deux.

Nous devons commencer par décider la question de compétence. Si vous décidez que le sénat est incompétent, vous pourrez adopter la proposition de la section centrale comme nouvelle loi, mais non comme amendement.

J’appuie la proposition de l’honorable M. Verhagen, parce que je considère le projet de loi transmis par le sénat comme inconstitutionnel aux termes de l’art. 27.

M. Dubus (aîné) – Je crois devoir rappeler à la chambre comment a été amenée la discussion actuelle. D’abord qu’est-ce qui a été mis en discussion, en délibération ? C’est une proposition de la section centrale que vous avez tous sous les yeux.

Cette proposition, à laquelle le gouvernement s’est rallié, a été discutée pendant près de deux séances, avant qu’il en surgit la demande de question préalable. On a proposé la question préalable contre la proposition même de la section centrale, et dès lors il a bien fallu que la discussion du fond s’arrêtât, puisque vous aviez à décider préalablement s’il y avait lieu à délibérer sur la proposition que l’on discutait. Mais jusqu’à quel point la discussion doit-elle s’arrêter ? Aussi longtemps que subsistera l’obstacle ; et quel était l’obstacle ? c’était la question préalable, proposée contre le projet de loi de la section centrale. Mais du moment où cette proposition a été retirée, du moment où on vient y substituer une demande de question préalable contre une autre proposition qui n’a pas été mise en délibération, sur laquelle aucune discussion n’a été engagée, en un mot, contre la proposition du sénat, mais alors, qu’avez-vous à faire, sinon de reprendre la discussion au point où elle s’était arrêtée ? Il est évident que puisque l’obstacle a disparu, c’est la discussion qui a eu lieu dans la séance de samedi et jusque vers la fin de la séance d’hier qui doit reprendre son cours ; c’était la proposition de la section centrale qui était à l’ordre du jour ; l’obstacle qui en a arrêté la discussion est levée, vous devez donc reprendre votre ordre du jour, vous devez continuer cette discussion.

Ainsi, cette première considération suffit, selon moi, pour faire admettre l’ordre du jour qui vous est proposé, c’est-à-dire que vous repreniez immédiatement la discussion qui a été interrompue hier, uniquement parce qu’une question préalable était opposée à l’article formulé par la section centrale. Je le répète, puisque cette question préalable est retirée, de plein droit la discussion doit reprendre son cours.

On insiste cependant, en prétendant qu’il faut vider la question constitutionnelle.

A supposer que cela soit vrai je dirai qu’il faut vider cette question en temps opportun, mais qu’on n’a pas le droit d’entraver la discussion ouverte devant la chambre, de l’arrêter par un incident qui doit lui demeurer étranger, qui ne doit aucunement en amener la solution, ni dans un sens ni dans l’autre.

(page 1601) Sous quel prétexte arrêterait-on une discussion ouverte, et qui était peut-être sur le point de se terminer ? En quoi la question pour laquelle on demande la priorité, amènerait-elle la chambre à se prononcer pour ou contre la proposition de la section centrale ?

La question qu’on soulève est tout à fait étrangère au fond de la proposition de la section centrale, elle est étrangère aussi à la forme de cette proposition, parce que ce n’est plus à la proposition de la section centrale qu’on oppose la question préalable, c’est uniquement au projet de loi qui nous a été transmis par le sénat.

Cette discussion serait donc tout à fait inutile. Cette seconde considération doit surtout faire une grande impression sur les membres de cette assemblée qui ne doivent pas se livrer sans nécessité à l’examen d’une question aussi délicate, et provoquer en quelque sorte un conflit entre les deux chambres.

Sur ce point, messieurs, je pourrais invoquer les précédents de la chambre. A une autre époque, la chambre s’est trouvée dans une situation tout à fait semblable, et la chambre a montré alors beaucoup de sagesse, la chambre a pris le parti qui a été pris par la section centrale, et au moyen duquel elle a évité le conflit.

Je rappellerai succinctement les faits relatifs à ce précédent.

Dans la séance de la chambre du 17 décembre 1839, il lui avait été présenté un projet de loi définitif, ayant pour objet, notamment, de prolonger le service dans la milice, de le porter de 5 à 8 années. Ce projet de loi n’avait pas été discuté, aucun rapport n’avait même été fait, à ce que je pense, lorsque, dans la séance du sénat du 22 mars 1841, M. le ministre de la guerre présenta un projet de loi provisoire, tendant à mettre éventuellement à la disposition du gouvernement jusqu’au 1er mai 1842, les miliciens des classes de 1834, 1835 et 1836 ; le résultat était aussi de prolonger le service de ces miliciens.

Le projet de loi fut adopté d’urgence par le sénat et transmis à la chambre. La chambre le renvoya à l’examen de la section centrale du budget de la guerre. Un rapport fut fait au nom de cette section centrale, dans votre séance du 27 mars 1841. M. le rapporteur fit connaître qu’au sein de cette section avait été élevée la question de constitutionnalité. Le projet de loi était relatif au contingent de l’armée. Aux termes de l’art. 27 de la Constitution, toutes les lois relatives au contingent de l’armée doivent être votées d’abord par la chambre des représentants. Selon le rapport qui vous fut fait alors, deux membres de la section centrale sur cinq avaient pensé que le projet de loi tombait sous l’application de l’art. 27 de la Constitution, et les trois autres membres s’étaient abstenus. Dans cette situation, le rapporteur nous déclarait que la section centrale n’avait pas cru devoir proposer à la chambre la discussion de la loi transitoire dont il s’agit, mais il ajoutait que la section centrale était d’avis que la chambre mît immédiatement en discussion la loi définitive qui lui avait été présentée le 17 décembre 1839. La section centrale ne pouvait pas faire de proposition par amendement à cette loi définitive, parce qu’elle n’était pas saisie de l’examen de cette loi définitive ; elle n’avait pas de mandat à cet égard. Que fit la chambre ? Elle donna à l’instant un mandat à cette section centrale, pour s’occuper de la loi définitive du 17 décembre 1839, et, dans la séance du 30 mars, un nouveau rapport vous fut fait, rapport par lequel, à l’occasion de ce projet de loi définitive, la section centrale vint proposer une loi provisoire qui absorbait celle du sénat, et qui la rendait inutile. La chambre adopta le 31 mars cette loi provisoire qui fut renvoyée au sénat, et le sénat l’adopta à son tour le 7 du mois d’avril. Et ainsi, messieurs, on évita un conflit qui, s’il faut s’en rapporter à l’opinion d’honorables membres, et notamment de l’honorable M. Osy, était évidemment inévitable alors, tout autant qu’il est inévitable aujourd’hui.

Il y a eu discussion ; mais dans le cours du débat d’honorables membres qui parlent aujourd’hui dans un sens tout opposé, ont cherché à démontrer à la chambre que le parti le plus sage à prendre, c’était celui-là ; qu’il ne fallait pas provoquer, sans nécessité, un débat sur les attributions constitutionnelles du sénat, et que, quand l’occasion se présentait d’éviter une difficulté semblable, d’éviter un conflit entre les deux chambres du parlement, on devait la saisir avec empressement.

Pourquoi ce qui était sage alors, ne le serait-il plus aujourd’hui ? pourquoi faudrait-il aujourd’hui aller au-devant d’un conflit qu’on évitait alors ?

« Mais, nous dit-on, vous n’éviterez pas le conflit ; si vous ne soulevez pas la question, si vous votez le projet de la section centrale, le sénat soulèvera la question, et il se refusera à s’occuper de la proposition que vous lui enverrez. »

Pour faire évanouir cette supposition, il suffit de vous faire remarquer, messieurs, qu’en 1841, le sénat s’est conduit autrement ; et de vous dire que si vous preniez le parti que je soutiens, moi, être le plus sage, vous n’avez pas de raison de croire que le sénat se montrera moins sage que vous, et qu’il sera bien aise de provoquer le conflit que vous voulez éviter.

Ainsi toutes les raisons se réunissent, pour que vous vous prononciez pour l’ordre du jour, et que vous repreniez la discussion qui a été interrompue. En cela, vous userez de votre droit, vous vous conformerez à vos précédents, vous éviterez sagement une discussion qui, dans la situation actuelle des choses, est parfaitement inutile.

- M. d’Hoffschmidt remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.

M. Verhaegen – Messieurs, on fait des efforts inouïs pour échapper à une conséquence que je regarde comme inévitable. L’honorable M. Dubus, qui nous a dit hier que sur la question de constitutionnalité il partageait notre avis, s’associe à ces efforts, et il veut aujourd’hui que la question constitutionnelle ne soit pas examinée.

Messieurs, je ne puis pas adopter cette marche. La chambre a une prérogative écrite dans l’art. 27 de la Constitution. D’après les précédents qui ont été rappelés par l’honorable M. Dubus, ce n’est pas la première fois que le sénat a empiété sur des droits incontestables de la chambre des représentants. En possession d’une prérogative qui prend sa source dans des principes populaires, reculerons-nous lorsqu’il s’agit de la maintenir ? Voilà la question.

Cette question est-elle oiseuse, comme l’a osé soutenir M. le ministre de l'intérieur, c’est ce que personne ne peut prétendre de bonne foi.

Je comprends fort bien que le ministère qui, dans l’intérêt de sa conservation, doit avoir des ménagements pour l’une comme pour l’autre chambre, cherche à rester étranger au débat qui vient de surgir ; je comprends que M. le ministre de l'intérieur qui, par son influence, a fait naître la proposition du sénat, et qui s’est engagé par cela même à la soutenir, juge maintenant à propos de tourner la difficulté ; mais, messieurs, pour nous la position est bien différente : il est de la dignité, du devoir de la chambre des représentants de soutenir ses prérogatives, dût-il même en résulter un conflit avec l’autre chambre, que M. le ministre de l'intérieur a provoqué par sa conduite tortueuse. Que M. Nothomb ait donc le courage de soutenir la compétence du sénat, comme il s’y était engagé au sein de sa commission ; alors seulement nous aurons un contradicteur loyal, et la lutte s’engagera d’une manière régulière. Nous sommes prêts, nous, à démontrer l’incompétence du sénat ; que ceux de nos honorables collègues qui ne partagent pas notre opinion se joignent à M. le ministre de l'intérieur pour soutenir la compétence ; mais je doute qu’il s’en présent beaucoup.

La question est inutile, nous dit-on ; c’est une question qu’il ne faut pas aborder, et l’honorable M. Malou va même jusqu’à demander subsidiairement la disjonction du projet de loi transmis par le sénat. Mais, messieurs, il ne m’en faut pas davantage pour démontrer que la chambre doit examiner la question, car si, par la disjonction, le projet du sénat venait à disparaître, ne fût-ce que momentanément, l’œuvre de la section centrale manquerait de base en même temps que le sénat aurait le droit de se plaindre d’un véritable déni de justice.

L’honorable M. Dubus prétend que c’est la seule proposition de la section centrale qui est mise en discussion. Mais, messieurs, la proposition de la section centrale a pour base d’abord le projet de loi du sénat, ensuite la proposition des 21, et l’honorable M. Malou ne pourra certes pas me contredire, car il résulte de l’intitulé même de son rapport, que la section centrale s’est occupée de l’un et de l’autre projet et a formulé des conclusions par forme d’amendements, en copiant à peu près de mot à mot le projet du sénat.

Messieurs, comme nous venons de le voir, il y a une relation immédiate entre la proposition soumise à la chambre par la section centrale et projet de loi du sénat ; on aura beau faire, on aura beau chercher des termes moyens, des biais, on ne pourra jamais échapper à la question de constitutionnalité. La disjonction est devenue impossible, car le rapport de la section centrale porte sur un tout indivisible.

Mais, dit-on, l’obstacle qui avait été apporté par l’honorable M. Castiau à l’examen de la proposition de la section centrale au moyen de la question préalable a disparu, puisque l’honorable M. Castiau a retiré sa proposition. Mais, messieurs, veuillez vous rappeler que l’honorable M. Castiau s’est rallié à la proposition que j’ai eu l’honneur de présenter hier à la fin de la séance, et dès lors il y a nécessité de nous occuper de la question constitutionnelle avant la fin de la discussion.

Il m’importe assez peu (et ici je réponds encore à l’honorable M. Dubus), il m’importe assez peu que nous examinions la question de constitutionnalité dans le moment actuel ou que nous la réservions pour la discussion du fond. Ce ne serait là qu’un ajournement très-insignifiant.

M. Malou propose l’ordre du jour sur la question préalable, mais que résulterait-il de cet ordre du jour s’il venait à être admis ? c’est qu’immédiatement après le vote on serait obligé d’aborder la question qu’on s’efforce en ce moment d’éluder. Et, en effet, l’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de la section centrale ayant pour base, entre autres, le projet de loi transmis par le sénat. En discutant la proposition de la section centrale, nous aurons donc le droit de discuter le projet du sénat et, par conséquent, nous aurons donc le droit de discuter le projet du sénat et, par conséquent, d’en examiner, avant tout, la constitutionnalité.

C’est maintenant une chose désolante, messieurs, que de voir employer des moyens détournés pour arriver à un but que l’on n’ose pas ouvertement avouer.

Le ministère a fait en 1843 une proposition qui était très-sage et qu’il aurait dû soutenir ; mais que, par faiblesse et dans le seul intérêt de sa positon il a abandonnée en sacrifiant comme toujours la prérogative royale. Le projet de 1843 était suffisant pour éviter la fraude qui sert aujourd’hui de prétexte à toutes les exagérations, et il présentait les plus belles chances de succès. Les avis des chambres de commerce, des députations permanentes, des commissions d’agriculture venaient en aide au gouvernement. Sur trente-cinq, quinze étaient complètement favorables au projet, dix l’admettaient avec quelques légères modifications ; dix seulement le rejetaient, mais en demandant des changements à la loi de 1834. L’occasion était donc belle pour obtenir de la chambre l’adoption du projet de 1843. Eh bien, le ministère a eu la faiblesse de céder devant des exigences et de reculer. Alors les exigences en partie satisfaites ont voulu plus encore. La mesure a été comblée et on a vu paraître la proposition dite des 21 qui était tellement exorbitante qu’elle a jeté la perturbation dans le pays.

Un pétitionnement presque général avait effrayé M. le ministre de l'intérieur, et il ne lui est resté d’autre moyen que de provoquer une prétendue initiative du sénat pour faire disparaître ainsi un projet qui soulevait tant d’inquiétudes et de méfiances.

(page 1602) Alors une proposition a surgi au sein du sénat et M. le ministre de l'intérieur s’y est rallié immédiatement ; il n’avait pas à hésiter, car cette proposition avait été élaborée dans les bureaux du ministère, et un honorable sénateur avait bien voulu la prendre sous sa tutelle.

M. Nothomb, comme nous venons de le dire, s’était rallié à la proposition de l’honorable sénateur qui avait bien voulu la présenter comme sienne ; mais voilà que, de toute part, cette proposition est attaquée comme inconstitutionnelle, et vite M. le ministre de l'intérieur recule de nouveau, et c’est au sein de la section centrale qu’il va se réfugier. Cette section, dont la mission était d’examiner la proposition du sénat et la proposition des 21, ne s’occupe ni de l’une ni de l’autre de ces propositions et formule un projet qui est destiné à tourner la difficulté, et M. Nothomb s’y rallie aussitôt.

Voilà trois palinodies successives dans le seul but de ne pas déplaire à la majorité et de conserver son portefeuille.

Messieurs, quoi qu’il arrive, quel que soit le sort réservé à notre proposition, nous aurons rempli notre devoir, nous aurons éclairé le pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, j’ai réitéré hier l’engagement de soutenir la prérogative du sénat, si cette prérogative était mise en cause. Nous avons une première question à nous poser : c’est de savoir s’il est nécessaire de nous livrer à cette discussion. Je parle devant une assemblée politique, ce n’est pas devant une académie des sciences politiques. Il ne s’agit pas ici de disserter sans nécessité sur des questions de droit constitutionnel. Nous avons, comme hommes politiques, une première question à nous poser, c’est la nécessité même de la discussion, la nécessité même d’une solution directe.

Il n’y a, messieurs, aucune contradiction entre dire, d’une part, que si le fond d’une question devait être discuté, on résoudrait cette question dans tel sens, et, d’autre part, se demander à soi-même s’il est nécessaire de se livrer à cette discussion. C’est même ainsi que des hommes politiques doivent toujours procéder. La section centrale vous a expliqué hier la position qu’elle a prise. Elle vous a dit : Je vous saisis d’une proposition, et je trouve les pouvoirs nécessaires dans l’ensemble des projets qui m’avaient été renvoyés. Je ne puise pas mes pouvoirs précisément et directement dans le projet qui nous a été transmis par le sénat. Je les puise dans l’ensemble des propositions, notamment dans l’examen que j’ai été appelé à faire de la proposition des vingt et un députés. Qu’objecte-t-on ? On fait abstraction de la proposition des 21, on dit à la section centrale : Vous ne pouvez puiser vos pouvoirs dans la proposition du sénat. Elle répond : Je trouve des pouvoirs suffisants pour vous saisir d’une proposition, dans la proposition des 21 députés, proposition dont j’étais saisie antérieurement à la proposition du sénat. Voilà la position que la section centrale a prise, position qu’on a caractérisée d’une manière bien dure et qu’on doit cependant considérer comme une position prudemment prise.

Le ministère, a dit l’honorable préopinant, doit des égards à chacune des deux chambres ; mais chacune des deux chambres, dirai-je en complétant la pensée de l’honorable membre, doit des égards à l’autre.

Plusieurs membres – Le sénat nous en doit ! C’est le sénat qui en manque envers nous !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le sénat ne vous a pas manqué d’égards. Vous voulez un conflit pour le plaisir d’avoir un conflit ; vous ne le voulez pas utilement. Les assemblées délibérantes ne font que des choses utiles, elles n’élèvent un conflit que quand la chose est nécessaire, inévitable ; les assemblées délibérantes ne viennent pas invoquer je ne sais quel courage pour affronter tous les périls que peut présenter une situation.

La question que vous avez donc à vous poser, c’est celle que soulève la motion de l’ordre du jour, c’est celle de savoir si la discussion de la question de prérogative et inutile, puisque vous êtes saisis d’une proposition de la section centrale, qu’elle a pu vous soumettre en puisant les pouvoirs nécessaires dans la proposition des 21 députés dont l’examen lui livrait d’une manière indéfinie la question des céréales.

La nécessité de discuter la question de prérogative n’existe pas plus aujourd’hui qu’elle n’existait dans la session de 1840-1841. J’insiste sur ce précédent qu’a cité l’honorable M. Dubus.

Dans la session de 1840-1841, la possibilité d’un conflit entre les chambres s’est présentée avec des circonstances bien autrement graves. C’était le ministère lui-même qui avait saisi le sénat d’une proposition qui pouvait se rattacher à la loi du contingent de l’armée. Le sénat, saisi par le gouvernement d’un projet de loi l’a examiné et l’a voté. Ce projet a été transmis à la chambre des représentants par le sénat. La chambre des représentants s’est trouvée dans la nécessité de statuer. Il faut bien faire ressortir ce point. Il existait une loi temporaire d’après laquelle les trois premières classes de la milice étaient mises à la disposition du gouvernement jusqu’au 1er mai 1841. Si donc une nouvelle loi n’était pas intervenue, le contingent de l’armée se trouvait être réduit, l’armée même était désorganisée. Il fallait prendre une résolution. La section centrale n’a pas voulu chercher les pouvoirs nécessaires pour faire une proposition dans le projet qui lui avait été transmis par le sénat. Elle ne pouvait pas non plus demander au gouvernement de saisir la chambre d’un projet de loi ; le gouvernement s’est mis dans l’impossibilité de le faire, puisqu’il avait porté le projet devant le sénat. C’est alors qu’on s’est rappelé qu’en 1839, le 17 décembre, un projet de loi sur la même question avait été présenté à la chambre des représentants ; et la section centrale, à qui on avait renvoyé le projet du sénat, reculant devant des scrupules constitutionnels, a demandé à la chambre l’autorisation de puiser les pouvoirs nécessaires pour faire une proposition dans le projet de loi présenté par le gouvernement le 17 décembre 1839.

Cette autorisation lui a été donnée immédiatement, presque sans discussion. On a compris, comme aujourd’hui que ce n’était qu’à la dernière extrémité, dans le cas où l’on se trouverait véritablement dans une impasse, qu’on devrait arriver à s’exposer à soulever un conflit entre l’une et l’autre chambre.

La section centrale, saisie de la question des céréales, n’a pas eu besoin de venir vous demander l’autorisation de puiser ailleurs que dans le projet de loi du sénat, un mandat pour vous présenter un projet de loi ; elle s’est trouvée saisie d’un projet de loi antérieur, très-général, très-vaste, qui lui livrait d’une manière indéfinie toute la question des céréales. En cela, la position de la section centrale des céréales a été beaucoup plus avantageuse que ne l’était la position de la section centrale du contingent de l’armée de 1841 ; car la chambre aurait pu dire alors : Je ne vous donne pas l’autorisation que vous me demandez ; il n’y a plus de section centrale constituée pour examiner le projet du 17 décembre 1839, oublié, en quelque sorte, dans les cartons de la chambre. Je ne vous donne pas l’autorisation que vous demandez. Dès lors, il y avait nécessité d’élever le conflit avec le sénat. Ainsi la position que prend la section centrale des céréales est plus favorable que celle prise en 1841, par la section centrale du contingent de l’armée.

Messieurs, nous engageons la chambre à rester fidèle à ses précédents, d’autant plus que, certes, pour la question soulevée en 1841, aucun reproche ne pouvait être adressé au sénat, puisque c’était le ministère lui-même qui avait porté directement devant le sénat le projet de loi qui faisait naître cette difficulté. Je me résume : Nous soutiendrons que le sénat n’a pas excédé ses pouvoirs, s’il est nécessaire d’aborder cette grave question. Mais nous devons avant tout vous demander ministère et chambre, comme hommes politiques, s’il est nécessaire de soulever cette question ; si cela n’est pas nécessaire, si nous pouvons arriver à une solution sans la soulever, c’est ce parti que nous devons prendre, c’est celui que nous indique la prudence politique.

Si la chambre se trouvait dans la nécessité d’aborder cette question, nous nous associerions à la discussion ; nous soutiendrions l’opinion que nous avons énoncée. Mais cette nécessité n’existe pas, ce serait s’exposer sans nécessité à voir naître un conflit entre les deux chambre.

M. de Mérode – Messieurs, à propos de l’inconstitutionnalité qu’on attribue au vote du sénat, je dirai, comme un précédent orateur, que c’est une question de bonne foi. Et certainement, s’il eût été clair, comme l’a prétendu l’honorable M. Castiau, que la loi était une loi de recette, des membres du sénat se seraient aperçus de cette évidence. Certes, l’honorable M. de Haussy est un homme de loi distingué, et il n’a pas fait d’objection que je sache au vote émis par le sénat ? Pourquoi ? parce que personne n’a songé à la recette à percevoir pour le trésor à propos de l’objet que nous discutons ; parce que l’on était exclusivement occupé d’un intérêt différent, d’un intérêt spécialement agricole, et dès lors le but de la loi ne rentrait pas dans l’application directe de l’article constitutionnel que l’on oppose au vote du sénat.

M. Manilius – Mais c’est le fond que vous traitez.

M. de Mérode – Je parle pendant cinq minutes pour vous faire gagner du temps, et on ne me laisse pas parler ! Je vous prie de ne pas m’interrompre.

M. le président – Je rappelle à l’orateur que c’est la motion d’ordre qui est en discussion.

M. Manilius – On n’a permis à personne de parler sur le fond. Je n’ai pas osé en dire un mot, je demande que l’honorable comte de Mérode reste dans la motion en discussion.

M. le président – M. Manilius, vous n’avez pas la parole.

M. Delehaye – Il faut qu’il y ait égalité pour tous.

M. de Mérode – Je n’en ai pas pour deux minutes.

M. le président – J’ai averti M. de Mérode qu’il ne s’agissait que de la motion d’ordre, je suis persuadé qu’il va s’y renfermer.

M. de Mérode – Je vais avoir fini.

Messieurs, cet article porte une interdiction. Quel en est e sens ? Avons-nous le droit de l’expliquer sans le concours des autres pouvoirs ? Je ne sais rien. Je n’examine pas cette question aujourd’hui, parce qu’il est inutile de se plonger dans des difficultés quand on peut les éviter ; et j’engage le gouvernement à persister dans la résolution de ne pas nous faire perdre notre temps, qui est précieux. Le sénat n’a pas envie d’usurper nos prérogatives, cela est clair à nos yeux depuis quinze ans ; dès lors, il est inutile de lui donner une leçon dont il n’a pas besoin pour se maintenir dans les limites constitutionnelles qui lui sont tracées. Il appréciera ultérieurement les observations faites dans cette enceinte, et s’il les apprécie dans le sens de ceux de nos collègues qui regardent la loi présentée comme une loi de recette et non pas spécialement comme une loi d’économie politique agricole, tout dissentiment sera évité dans l’avenir sur cette question ; et certes nous ne sommes pas ici pour entretenir des conflits avec le sénat pour les cultiver amoureusement ; pour batailler quand nous devons travailler, parce que le travail est urgent et que la bataille ne sert à rien.

M. Malou, rapporteur – Depuis que j’ai eu l’honneur de vous soumettre une motion d’ordre, une nouvelle proposition vous a été faite.

Je commence par déclarer que je demande l’ordre du jour aussi bien sur la proposition de l’honorable M. Lys, que sur celle de l’honorable M. Verhaegen.

Plusieurs membres – C’est la même chose.

M. Malou, rapporteur – L’honorable M. Verhaegen a employé des mots quelque peu durs pour qualifier la position qu’a prise la section centrale et les efforts parfaitement légitimes et avouables que nous faisons pour écarter la discussion qui s’agite devant vous.

(page 1603) Notre but est d’employer de la manière la plus utile, dans l’intérêt du pays, le peu de temps qui nous reste à lui consacrer cette année. Notre but a été de signaler les dangers d’une discussion, dans laquelle il ne faut pas se précipiter de gaieté de cœur. C’est à regret que nous devrions l’aborder, si une nécessité fatale nous y poussait. Ce but ainsi qualifié, je pense que nous devons hautement l’avouer.

Il faut, dit-on, du courage ; il ne faut pas avoir peur d’exprimer son opinion. Mais qu’est-ce donc que le courage, lorsqu’il n’y a pas de danger ? Je demanderai à l’honorable membre s’il y a quelque danger qui nous menace. Il n’y a qu’un danger, celui de perdre son temps dans une discussion qui peut occuper une « basoche » politique, mais qui est indigne de la chambre, parce que le devoir de la chambre est, non pas de traiter de questions de théorie constitutionnelle, mais de s’occuper des affaires du pays.

M. Manilius – Nous avons juré de maintenir la Constitution ; il n’y a rien d’indigne de nous à la maintenir et à discuter ce point ; il y a au contraire dignité.

M. Malou, rapporteur – On persiste toujours à déplacer la question extrêmement simple. Je demande de nouveau qu’on réponde par oui ou par non à cette question : lorsque nous aurons voté sur la proposition de l’honorable M. Verhaegen, aborderons-nous la discussion du projet du sénat, oui ou non ? Si l’on me dit qu’on l’abordera, il est évident que c’est une discussion théorique que nous allons entamer.

On persiste également à dire que nous avons fait deux amendements au projet du sénat. Pourquoi, malgré les assertions de deux membres de la section centrale, persiste-on à dire que nous avons plutôt voulu amender le projet du sénat, que celui des 21 ? Nous avons été saisis de deux propositions ; nous en avons fait une troisième, produit de notre légitime initiative. Et cependant on persiste à dire que nous avons plutôt admis la proposition du sénat que celui des 21 représentants.

L’honorable M. Verhaegen nous dit qu’à la proposition de l’honorable M. Castiau, qui était un obstacle à la discussion, a succédé un obstacle nouveau. Mais il n’en est pas ainsi. C’est la proposition de l’honorable membre, probablement contre son intention, qui a levé l’obstacle. En effet, le retrait de la proposition de l’honorable M. Castiau, le libellé même de la proposition de l’honorable M. Verhaegen sont une preuve directe que la question préalable étant décidée, même affirmativement, il y aurait lieu d’examiner le projet de la section centrale. Ainsi, c’est l’honorable membre, involontairement je veux le croire, qui a levé l’obstacle.

On se méprend sur la proposition d’ordre du jour ; on dit : Votre proposition n’a pas d’utilité, puisque je pourrai traiter la question constitutionnelle quand votre proposition sera adoptée. Messieurs, je n’ai pas prétendu provoquer l’ordre du jour sur les futurs discours de l’honorable membre (On rit), mais sur la demande de la question préalable à l’égard d’un projet dont la chambre est saisie. Ainsi l’honorable membre pourra parler sur la question constitutionnelle quand on aura voté sur ma motion. Mais la chambre ne sera plus saisie de la proposition de question préalable.

On dit enfin : Si l’ordre du jour était prononcé, vous n’auriez plus que la proposition des 21 et celle de la section centrale. Mais il me semble que c’est bien assez (on rit).

Nous discuterons sur la proposition de la section centrale. Nous sommes saisis par cette proposition des résultats de la discussion dans les sections et dans la section centrale, sur la questions des céréales.

M. Verhaegen – Et que ferez-vous du projet du sénat ?

M. Malou, rapporteur – Je n’ai rien à en faire ; je l’ai prouvé à satiété. Je renverrai au sénat le projet voté par cette chambre. Il n’y a pas autre chose à faire.

Nous ne sommes pas ici pour donner des consultations au sénat sur l’étendue de ses prérogatives. Si j’étais consulté à ce sujet comme avocat, je donnerais mon avis. Comme chambre, je n’ai pas à dire si le sénat a bien ou mal fait. Je n’ai qu’à lui renvoyer la loi adoptée. C’est là qu’est le droit de chacun, c’est là qu’est le respect pour les droits de chacun.

M. Lys – Je suis surpris que l’honorable rapporteur propose l’ordre du jour sur mon sous-amendement avant que je l’aie développé. C’est un très-grand égard que l’honorable rapporteur a eu pour la chambre en cette circonstance. J’ai cru devoir vous proposer un sous-amendement, parce qu’il me semble qu’il pouvait rester quelque doute si le sénat avait outrepassé ses pouvoirs pour le tout ou pour une certaine partie. Pour moi, il n’y a aucun doute que le sénat a outre-passé ses pouvoirs pour une certaine partie (le § 1er de l’art. 1er). Le développement de mon sous-amendement sera fort simple. L’art.27 ne laisse aucun doute. Mais on veut éluder cette discussion. On me dit : C’est de la proposition de la section centrale que vous avez à vous occuper. Mais qu’a-t-on renvoyé aux sections ? Il est clair pour tout le monde, je pense, qu’on leur a renvoyé la proposition des 21 et celle du sénat. Qu’on fait les sections ? Elles ont examiné ces deux projets, et dès lors, la section centrale, qui a été constituée à la suite de ces discussions et de ces sections, a été nécessairement saisie et de la proposition des 21 et de la proposition du sénat. Et c’est effectivement ce qui est arrivé ; comme on me le dit, l’intitulé du rapport le prouve.

Il est clair, messieurs, malgré tout ce que dira l’honorable rapporteur, que la proposition de la section centrale est tout à fait le projet du sénat amendé et qu’elle n’a, de l’aveu de l’honorable M. Dumortier, aucun rapport avec la proposition des 21.

Ainsi, messieurs, la section centrale a été instituée pour examiner le projet des 21 et pour examiner le projet transmis par le sénat. Nous ne pouvons donc nous borner, dans ces circonstances, à discuter le rapport que vous a fait la section centrale, puisqu’elle n’a conclu à rien en ce qui concerne le fait du sénat d’avoir outre-passé ses pouvoirs. Messieurs, il serait fort singulier que lorsque le ministère, dans une autre chambre, a abandonné vos droits, a soutenu que le sénat ne sortait nullement de ses pouvoirs en prenant la décision qu’il a prise, vous n’auriez pas le droit, je dirai le devoir, de prouver que le ministère est sorti de ses pouvoirs ; qu’il a permis une infraction à la Constitution, en ne s’y opposant d’aucune manière. La Constitution, messieurs, a été violée, et vous n’auriez pas le droit de faire respecter ce que vous avez juré de faire observer ! Je dis, messieurs, que le serment que vous avez prêté vous force à défendre la Constitution. Je m’étonne que le ministère n’aille pas jusqu’à dire : ce n’est pas vous qui violez la Constitution ; vous n’en êtes donc nullement responsables.

Nous ne pouvons nous borner à discuter le projet de la section centrale parce que, si nous nous bornions à cette discussion, ce serait donner à croire que nous reconnaissons la compétence du sénat, ce serait là un aveu tacite.

M. Castiau – Messieurs, il paraît que, depuis hier, la question a changé de face. Hier, nous avions à examiner une question de droit, une question de constitutionnalité. Je viens d’entendre M. Dubus, et dans sa bouche, la question de droit, la question de constitutionnalité est devenue une question de prudence, une question de sagesse.

Mais, quoi qu’en pense l’honorable membre, nous ne sommes pas ici pour faire du catonisme politique et pour concourir pour un prix de sagesse. Nous sommes ici pour agir en hommes et en représentants du pays. Notre devoir est, quoi qu’il en coûte, de défendre la Constitution, de maintenir et les droits du pays et nos propres prérogatives.

La sagesse et la prudence à laquelle on veut faire appel sont ici d’accord avec le droit pour nous déterminer à défendre nos prérogatives. Que résulte-t-il, en effet, de toutes ces concessions timides auxquelles on nous convie ? Que les abus se multiplient et que les conflits deviennent plus difficiles et plus graves. Puis, on s’empare de ces précédents pour nous imposer de nouvelles concessions. C’est ainsi que l’honorable M. Dubus, à qui je réponds en ce moment, est venu invoquer je ne sais quel précédent pour engage la chambre à éluder, cette fois encore, la question de constitutionnalité. Eh bien, je m’empare de cet exemple pour le lui opposer. Si, à l’époque à laquelle il a fait allusion, la chambre avait rempli ce que je crois être un devoir, si elle avait énergiquement maintenu sa prérogative, cette preuve de courage et d’indépendance aurait faut plus que tous les arguments du monde. Le sénat serait rentré dans les limites de ses attributions ; toutes les chances de conflit auraient disparu, et nous ne serions pas aujourd’hui en présence de la grave difficulté qui nous arrête.

L’honorable M. Dubus, parlant du retrait de ma motion de question préalable, a pensé que ce retrait avait fait disparaître l’obstacle qui empêchait de reprendre la continuation de la discussion générale. Mais dirait-on pas que le retrait de ma motion aurait été pur et simple ? Si j’ai retiré ma motion, c’est pour me réunir à l’instant même à la motion de l’honorable M. Verhaegen, qui était plus large et plus radicale que la mienne. Je n’avais proposé la question préalable que sur la question d’argent, sur la question des droits de douane, parce que là se trouvait le principe de l’inconstitutionnalité que nous combattons. M. Verhargen, lui, est allé plus loin ; il a pensé que toutes les parties du projet de loi du sénat étaient inconstitutionnelles, même la disposition relative à l’augmentation des marchés régulateurs. J’ai consenti à porter avec lui la question sur ce terrain. Mais l’obstacle, au lieu de s’évanouir, comme le prétend M. Dubus, s’est aggravé. Il a doublé d’importance ; la question de constitutionnalité, restreinte d’abord à l’établissement des tarifs, va s’étendre maintenant à toute la proposition. Singulier moyen de faire disparaître la difficulté !

C’est en hommes politiques, vient de vous dire gravement M. le ministre de l'intérieur, qu’il faut examiner et résoudre cette question. La politique, c’est toujours le grand mot qu’on invoque pour étouffer le droit et parfois la Constitution ! la politique ! mais il appartient bien vraiment à M. le ministre de prononcer ce mot sans cette enceinte ! Il se pose ici en homme politique. Et c’est au moment où il vient de recevoir de l’honorable M. Verhaegen les plus dures leçons et les plus sanglants reproches ! Ne vient-on pas de mettre à nu devant vous toute l’inconsistance politique de M. le ministre et l’histoire de ses inconséquences et de ses aberrations à l’occasion de la question qui nous occupe ?

En 1843, il croit devoir modifier dans un sens libéral la législation de 1834 sur les céréales ;:l’agriculture et la propriété font entendre leurs murmures, et le ministre recule devant son propre ouvrage et il retire honteusement le projet qu’il était venu nous présenter. La réaction marche en avant : elle produit la proposition des 21. M. le ministre s’en épouvante et s’adresse au sénat pour se débarrasser de cette proposition importune. Au sénat, il appuie le projet de loi,il nous l’apporte ; il prend ici l’engagement de le défendre ; et maintenant cette proposition qu’il a adoptée, il l’abandonne et la (page 1604) cache pour n’avoir pas à la défendre. Voilà la politique de M. ; le ministre. De la politique ? non, non, il a perdu le droit de tenir ce langage dans cette enceinte. Sa politique, son système gouvernemental, c’est la faiblesse, c’est l’inconséquence, c’est l’oubli des promesses, c’est l’anarchie.

Qu’on vienne, après cela, se répandre en éloquentes et touchantes déclarations sur les conflits entre les pouvoirs, sur la gravité des conflits, sur les dangers des conflits. Qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce la chambre qui a provoqué ces conflits ? Jusqu’ici on n’a à citer de sa part que des actes d’abstention, presque de faiblesse Si donc il y a conflit, que la responsabilité en retombe sur le corps qui y aura donné lieu par un abus de pouvoir.

Cependant, je le reconnais avec M. le ministre, un conflit est toujours chose grave. Mais ici, la faiblesse n’a pas même l’excuse de pouvoir l’éviter. Quoi qu’elle fasse, quelques subtilités qu’elle invoque, elle ne peut l’écarter. Cette question de constitutionnalité devant laquelle elle recule jusqu’au point de sacrifier nos prérogatives.

Comment l’éviter, cette question, quand elle se lie à la proposition que nous discutons et qui n’est, qui ne peut être que le projet de loi du sénat ?

En droit comme en fait, je l’ai dit déjà et je le répète, c’est le projet de loi du sénat que nous examinons. C’est sur ce projet que s’engage la discussion.

La commission n’avait pas le droit d’écarter le projet du sénat que nous avions renvoyé à son examen. Elle n’avait pas le droit non plus d’écarter la question de constitutionnalité ; car cette question serait doublement résolue contre nous ; elle serait résolue par la discussion sans protestation du projet du sénat ; elle le serait encore et définitivement si, comme il est permis de le supposer, la majorité refuse de s’associer aux amendements de la section centrale pour dénaturer l’œuvre du sénat, et rétablit ce projet dans sa pureté primitive. Car alors, il n’y manquerait que la sanction royale, et comment, dans ce cas, examiner et résoudre la question constitutionnelle ?

En fait, la proposition de la section centrale, à part d’insignifiantes modifications, est la même que celle du sénat. Ceci est une question de loyauté et de bonne foi. Je m’adresse donc à tous les membres de cette chambre et je leur demande si, en leur âme et conscience, on ne doit pas considérer la proposition de la section centrale comme la reproduction et l’adoption du projet du sénat.

M. le rapporteur vient de développer, sur les prérogatives des sections centrales, une doctrine que je ne puis admettre. Il en résulterait, en effet, que les sections centrales seraient plus puissantes que la chambre et qu’elles pourraient lui enlever l’examen des propositions dont elle serait saisie. Oui, une section centrale a le droit de changer, de modifier les propositions qui lui sont renvoyées ; elle peut même en changer le principe. Mais ce qu’elle ne peut faire, c’est nous enlever l’examen de cette proposition, c’est soustraire cette proposition, c’est nous dessaisir de nos droits et de nos prérogatives.Autrement, je le répète, les sections centrales seraient plus puissantes que la chambre elle-même dont elles enchaîneraient ainsi le libre arbitre, et dont elles paralyseraient les droits d’examen et de discussion.

En vérité, messieurs, je ne comprends pas comment on puisse exprimer, dans cette enceinte, non pas une opinion, mais un doute, un simple doute sur la question de savoir si c’est bien la proposition du sénat que nous discutons en ce moment ? Mais n’avons-nous donc pas un règlement, des précédents parlementaires sur l’ordre de nos discussions ?

Quand un projet de loi vous est présenté par le gouvernement, qu’arrive-t-il ? Il est renvoyé à une section centrale. Elle peut le modifier et le changer. Elle peut en proposer le rejet. Mais elle ne peut pas nous dessaisir de ce projet. Il ne nous en revient pas moins pour la discussion ; et même pour la discussion, il a le pas sur toutes les propositions, sur tous les amendements de la section centrale.

Si c’est là la marche qu’on suit pour les projets de loi présentés par le gouvernement, c’est bien la même marche qu’on doit suivre pour les projets de loi présentés par le sénat. Constitutionnellement ils sont placés sur la même ligne. On leur doit donc le même accueil et la même déférence, même quand ils soulèvent des questions de Constitution et de prérogatives.

Et voyez maintenant l’accueil que fait au projet du sénat la section centrale, elle qui nous oppose des considérations de convenances quand nous voulons discuter une question de principe, une question constitutionnelle ? Elle refuse de s’en occuper et de nous en occuper. Mais du moins nous en propose-t-elle l’ajournement ? Annonce-t-elle l’intention d’en faire l’examen dans le courant de la prochaine session ? Pas le moins du monde. C’est un dessaisissement définitif et absolu qu’elle vous propose. En d’autres termes on vient vous demander d’enterrer mystérieusement, et dan l’ombre, et pour toujours, la proposition du sénat, sans même lui faire l’honneur d’un seul mot d’examen, d’une seule heure de discussion.

Si la marche suivie, dans cette circonstance, par la section centrale, est anormale, peu convenable, en opposition avec nos règlements et nos précédents parlementaires, que dire de l’attitude du gouvernement dans cette circonstance ? Mais, en vérité, on manque d’expressions pour la caractériser, cette inexplicable attitude ; et si la chambre n’avait pas hier frappé d’un rappel à l’ordre un mot prononcé par mon ami M. Delehaye, je m’emparerais de ce mot, pour l’appliquer au déplorable spectacle que nous offrent aujourd’hui les représentants du gouvernement et spécialement M. le ministre de l'intérieur.

Le projet de loi, c’est, dit-on, M. le ministre de l'intérieur qui l’aurait lui-même dicté. Je n’irai pas jusque-là. Je ne lui dirai pas qu’il a dicté la proposition du sénat ; mais il l’a appuyée et adoptée dans toutes ses dispositions. C’est lui qui l’a apportée avec empressement dans cette enceinte ; c’est lui qui en a pressé la discussion ; c’est lui qui voulait l’emporter d’urgence ; c’est lui enfin qui avait pris ici l’engagement solennel de la défendre et d’en soutenir la constitutionnalité.

Et aujourd’hui que fait-il ? il abandonne le projet de loi du sénat. Il ne veut pas même qu’on le discute, et il unit ses arguments et ses efforts aux arguments et aux efforts de la section centrale pour présider à l’enterrement du projet de loi du sénat.

Est-ce aller trop loin, messieurs, que de déclarer qu’une telle conduite est une conduite sans consistance, sans dignité, sans loyauté ; qu’elle n’est rien autre chose qu’une double mystification, mystification pour le sénat, mystification pour la chambre des représentants ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, un des premiers devoirs du gouvernement c’est de faire en sorte qu’il ne s’élève pas sans nécessité un conflit entre les deux chambres…

M. Dumortier – C’est vous qui avez provoqué le conflit.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je le nie. Le sénat a fait sa proposition librement. (Interruption.) La question de constitutionnalité n’a pas été soulevée au sénat.

M. Rogier – Elle a été soulevée dans la commission.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Dans la commission un doute a été élevé par un membre ; j’ai exprimé mon opinion personnelle, j’ai dit que je regardais le sénat comme compétent.

M. Delehaye – Vous avez induit le sénat en erreur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mon opinion personnelle est que le sénat n’a pas commis un excès de pouvoir.

Maintenant, messieurs, y a-t-il lieu de discuter cette question, est-il nécessaire de la discuter, est-il indispensable de la discuter ? Faut-il s’exposer à voir naître un conflit entre les deux chambres ? Telle la véritable question, et nous croyons qu’elle doit être résolue négativement.

Ainsi, messieurs, la conduite du gouvernement se justifie parfaitement du moment qu’on ne veut pas perdre de vue l’un des premiers devoirs du gouvernement et des chambres qui consiste à ne pas faire naître sans nécessité des conflits entre les deux chambres, fût-ce même pour les questions les plus claires. Voilà ce que j’avais à répondre à l’honorable préopinant.

M. Manilius – J’ai une simple question à adresser à M. le ministre de l'intérieur. Je lui demande sur quoi nous voterions si l’amendement de la section centrale était rejeté.

M. Dumortier – Je demande, moi, à la chambre, à M. le président, à M. le rapporteur de la section centrale, à M. ; le ministre, en un mot, à quiconque pourra me répondre ; je demande quelle est la proposition en discussion.

M. Malou, rapporteur – Je regrette que l’honorable préopinant n’ait pas pu assister à toute la séance d’aujourd’hui, car il a été répondu plusieurs fois à la question qu’il vient de faire. (Interruption.) je dirai à l’honorable M. Manilius que je commence à être fatigué de ses interruptions.

M. Manilius – Je suis fatigué, moi, de répondre à des niaiseries.

M. le président – La discussion est impossible sui l’on interrompt continuellement. Le règlement défend les interruptions, et il est de la dignité de la chambre de conserver le calme dans les débats. J’invite donc tous les membres à ne plus interrompre et à garder le calme et la modération de langage dignes de cette assemblée.

M. Malou – Je remercie M. le président de son observation, et j’espère qu’il n’y aura plus d’interruption de la nature de celle que M. Manilius s’est permise. Des interruptions polies….

M. Manilius – Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Je reconnais que le règlement donne à M. le président le droit de rappeler un orateur à l’ordre et même d’adresser aux membres de la chambre quelques remontrances pour que l’ordre règne dans nos débats de maintenir, en un mot, la police dans la salle.

Je ne reconnais ce droit à aucun membre. Or, l’honorable M. Malou vient d’obtenir la continuation de la parole ; il en a remercié M. le président, il pouvait se borner là ; il n’a pas à me donner de leçons, des réprimandes ; je ne les souffre ni de lui, ni de personne, si ce n’est de celui qui, dans cette chambre, a le droit de faire des observations, en vertu des pouvoirs que lui confère le règlement.

M. Malou, rapporteur – Je me suis permis cette observation, parce que l’honorable M. Manilius, quand je l’ai prié de ne plus m’interrompre, a dit qu’il était fatigué de répondre à des niaiseries. Un pareil langage est une chose déplorable dans toute assemblée.

M. le président – Les paroles de M. Manilius ne sont pas parvenues jusqu’à moi. J’invite de nouveau les membres de la chambre à ne plus interrompre les orateurs ; tous ont le même intérêt au maintien du silence.

M. Malou, rapporteur – Je viens au fait.

La question posée par l’honorable M. Dumortier, est celle-ci : Quel est le projet principal ? Eh bien, c’est une question qu’on n’a jamais faite à la chambre ; c’est une question qu’on ne doit ni poser ni résoudre.

Vous délibérez sur un projet proposé par la section centrale. Dès lors, le projet de la section centrale est la proposition principale. Je vais, à mon tour, pousser l’interpellation plus loin ; je dis que la chambre est saisie de la proposition des 21, et que si l’honorable M. Dumortier est embarrassé d’avoir un projet principal, je l’engage à reproduire, comme sienne, la proposition des 21, à la soutenir dans la discussion et a provoquer un vote sur (page 1605) cette proposition ; alors il ne demandera plus s’il y a une proposition principale, ce sera évidemment celle là.

M. Dumortier – Messieurs, à la réponse que vous venez d’entendre, vous pouvez comprendre tout l’embarras de la position de l’honorable rapporteur. Il est évident qu’il ne veut pas avouer que le projet de loi principal est la proposition du sénat.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non ! non !

M. Dumortier – Vous avez beau dire non, M. le ministre de l'intérieur ; je maintiens ce que j’ai dis et je le prouverai tout à l’heure. (Interruption.)

M. le président – On ne peut empêcher un orateur de discuter des faits acquis au débat.

M. Dumortier – Je dis donc que la réponse de l’honorable rapporteur trahit évidemment l’embarras de sa position.

M. de Garcia – Je demande la parole.

M. Dumortier – En effet, que vient-on vous dire ? On vous dit : « Vous délibérez sur le projet de la section centrale. » Je ne veux pas ici faire un rappel aux dispositions du règlement ; mais vous savez aussi bien que moi qu’une section centrale ne fait qu’examiner un projet de loi, et le règlement ne l’a pas investie d’un droit que le ministère lui dénierait au besoin, du droit de prendre l’initiative d’un projet.

Tout membre de la chambre qui veut présenter un projet de loi, doit s’assujettir aux nombreuses formalités prescrites par le règlement ; il faut qu’il dépose sa proposition, quelle soit renvoyée aux sections qui doivent en autoriser la lecture ; qu’elle soit ensuite prise en considération et renvoyée de nouveau aux sections. Il y a donc, pour toute proposition émanée de l’initiative d’un membre, un cercle de formalités à parcourir ; la chambre ne reconnaît pas, n’a jamais reconnu à une section centrale, qui n’est autre chose que l’émanation des sections pour l’examen des projets, ne lui a jamais reconnu, dis-je, le droit de prendre l’initiative en dehors des formalités que je viens de rappeler. Une section centrale ne peut procéder que par voie d’amendements.

Un membre – Mais non ! Lisez le règlement.

M. Dumortier – Elle n’a le droit que de procéder par voie d’amendements ; elle a deux moyens pour opérer, ou d’accepter purement et simplement le projet renvoyé à son examen, ou bien de proposer des amendements au projet.

Un membre – Le règlement parle de conclusions motivées.

M. Dumortier – Ces conclusions ne sont et ne peuvent être des amendements.

Je fait un appel aux membres qui depuis 15 ans siègent dans cette enceinte, et je leur demande si pendant ces 15 ans, une section centrale a jamais été investie du droit que la section centrale de la loi des céréales s’est attribué.

On dit : « La section centrale était saisie de la proposition des 21. » Mais on veut pas avouer que la section centrale était également saisie du projet du sénat ; et pourquoi ? Parce qu’on ne veut pas sanctionner ce projet ; on reconnaît dans le fond que ce projet est inconstitutionnel ; mais on veut éluder, écarter la question de constitutionnalité, et prétendre ensuite qu’on n’a rien préjugé quant à cette question.

Pour examiner et résoudre cette question, rien n’est plus simple. Prenez les deux projets, celui de la section centrale et celui du sénat ; comparez les deux textes, et vous acquerrez l’assurance qu’à l’exception du chiffre de l’impôt, le mécanisme des deux projets est identiquement le même ; on a bien cherché à formuler une rédaction un peu différente, pour dissimuler le projet de loi du sénat ; mais, je le répète, il suffit de jeter les yeux sur les deux projets, pour reconnaître que le projet de la section centrale n’est que la copie un peu modifiée de celui du sénat. En un mot, le travail de la section centrale n’est autre chose que le projet du sénat amendé.

Pas un mot dans la proposition de la section centrale ne ressemble de près ni de loin au projet de loi présenté par 21 membres de cette chambre. Et n’est-ce pas dès lors une dérision, une chose déplorable, que de voir des gens sérieux, des gens d’intelligence et de capacité venir vous dire que le projet présenté par la section centrale est un amendement au projet des 21. N’est-il pas affligeant de voir ainsi dénaturer la vérité ?

Le projet de la section centrale n’est donc rien autre que le projet du sénat amendé. Et remarquez que ceci n’est pas sans importance, car la section centrale ne procède que par amendements ; il faut toujours que la chambre, aux termes du règlement, sache quelle est la question principale, afin qu’en cas d’amendements présentés par la section centrale, la marche des travaux ne soit pas interrompue.

Il est certain que le projet de la section centrale est simplement le projet du sénat avec quelques modifications. Maintenant, pour lever le doute que je puis avoir, l’honorable rapporteur m’engage à reproduire la proposition des 21 ; je verrai ce que j’aurai à faire dans le cours de la discussion ; je ne suis pas du tout éloigné de reprendre le projet des 21, projet que j’ai signé, et cela, afin de voir une discussion nette et franche s’établir sur cette proposition. Je me sens d’autant plus disposé à prendre ce parti que le projet des 21 a été représenté sous des couleurs excessivement fâcheuses pour ceux qui l’on signé. N’avons-nous pas vu dans cette chambre et même hors de cette chambre représenter le projet comme une loi de famine ? Et nous qui avons présenté le projet, dans l’intérêt de l’agriculture, nous accepterions une pareille dénomination ! Nous laisserions, sans discuter, absorber notre proposition dans le vote que vous allez émettre ? Je ne puis consentir, moi, à un semblable mode de procéder, et dusse-je représenter le projet des 21 article par article, je ne faillirai pas à cette tâche. Je ne souffrirai pas que notre proposition soit enterrée par le projet de loi de la section centrale. Nous avons besoin d’expliquer les intentions patriotiques qui nous ont guidé et qui ont été si étrangement méconnues.

Des mots sinistres, « mort aux 21 signataires », ont été trouvés inscrits sur les murailles, jusque près du palais de la Nation. (Interruption.) Je fais de ces manifestations le cas qu’elles méritent ; mais, en présence d’une pareille excitation contre les 21, les 21 ont le droit d’exiger que leur proposition soit examinée, afin qu’ils puissent prouver que leur proposition devait être un bienfait pour l’agriculture, sans nuire aux intérêts de l’industrie.

Messieurs, il y a donc dans la discussion actuelle deux choses à distinguer. La première, c’est la question constitutionnelle qui se rattache à la prérogative de la chambre, prérogative que tout le monde, excepté M. le ministre de l'intérieur, regarde comme enfreinte par le sénat. La seconde, c’est l’absorption du projet des 21, proposition dont il ne serait plus question, qui disparaîtrait, non par la volonté des 21 signataires, mais par un projet détourné de la section centrale, qui disparaîtrait sans même avoir eu les honneurs d’une discussion. Mais, vous dit-on, quant à la première question, ce n’est pas sur le projet du sénat que vous demandez la question préalable, c’est sur le projet de la section centrale.

Messieurs, je ne puis pas comprendre cette manière d’argumenter. Il est maintenant clair comme le jour que le projet de la section centrale n’est rien autre chose que le projet du sénat, amendé par elle. Or, un projet qui est inconstitutionnel par son essence, n’est pas devenu constitutionnel parce qu’un amendement y aurait été introduit, soit par une section centrale, soit par un membre de cette chambre ; car de même qu’une section centrale a le droit de présenter des amendements, chaque membre peut également user d’une pareille initiative. Vous voyez donc quelles seraient les conséquences du système que l’on soutient, et qui est un véritable sophisme.

Si le sénat transmettait à la chambre un projet de loi manifestement inconstitutionnel, le plus inconstitutionnel de tous, qui révolterait tous les membres de cette chambre, il suffirait qu’un membre y proposât un amendement pour qu’il devînt constitutionnel, pour qu’on ne pût plus s’occuper de la question d’inconstitutionnalité. Voilà comment on arrive à l’absurde. Par conséquent, l’argument qu’on présente est un sophisme. Mais, vous dit-on, il est inutile de discuter ce projet, on ne le discutera pas ; en ne le discutant pas, on ne sanctionne pas. On sanctionne par le silence, comme par un vote. Le silence est une véritable sanction. Si nous reconnaissons qu’il y a inconstitutionnalité dans le projet qui nous a été transmis par le sénat, notre devoir nous défend d’y donner notre sanction, même par le silence.

Messieurs, j’ai entendu plusieurs fois parler de la gravite des conflits. C’est une chose excessivement grave, nous a dit M. le ministre de l'intérieur, que de conflits entre les deux chambres ; il faut les éviter à tout prix. J’ai interrompu M. le ministre de l'intérieur, pour lui faire remarquer si un conflit existait maintenant, il était loin d’y être étranger. Il siégeait au sénat comme ministre, quand le projet dont il s’agit y a été discuté ; il devait faire apercevoir au sénat que, dans la proposition qu’il discutait, il y avait une atteinte portée aux droits de la chambre des représentants. Si donc quelques est coupable, c’est le ministre de l’intérieur, personne autre que lui. Ce n’est pas nous qui avons engagé le sénat à voter ce projet, à outre-passer ses droits. Si le ministre a excité le sénat à présenter son projet de loi, c’est parce que 21 membres de cette chambre avaient présenté un projet qui le gênait beaucoup, et qu’il voulait le faire avorter ; c’est dans ce but unique qu’il a fait surgir un projet de loi qui devait enterrer le nôtre.

On est mal venu à venir nous parler du danger des conflits, quand on a concouru à les faire naître. D’ailleurs, ces dangers ne sont pas à craindre de la haute sagesse du sénat. Le sénat comprendra, qu’il avait outre-passé ses pouvoirs, quand il verra que par un membre ne s’est levé, dans cette enceinte, pour soutenir la constitutionnalité de son projet.

M. Fallon – Moi je me lèverai quand il s’agira de se prononcer sur cette question.

M. Malou – Moi aussi et bien d’autres se lèveront pour défendre la constitutionnalité du projet du sénat.

M. Dumortier – Ce qui est remarquable, c’est que, de tous les orateurs qui ont été entendus, pas un seul n’a parlé de la constitutionnalité du projet du sénat.

Un membre – Il s’agit de la motion d’ordre.

M. Dumortier – La question préalable n’est pas autre chose que la question de compétence ; pas un seul membre n’a osé ouvrir la bouche pour soutenir la question de compétence qu’on veut esquiver.

Messieurs, je viens de démontrer qu’il y avait ici deux questions distinctes : la question de prérogative à laquelle la chambre doit tenir par-dessus tout, et une autre non moins grave, le dessaisissement de la proposition des 21. Si nous passons à l’ordre du jour, si nous entamons la discussion du projet de la section centrale à la discussion des articles, le projet des 21 sera reproduit, et la discussion sera interminable. La chambre ne peut pas, aux derniers jours de la session, entamer cette discussion ; elle n’a pas le temps suffisant pour se livrer à l’examen de ces articles. Je propose l’ajournement de toutes les propositions relatives à la tarification.

Nous discuterons la session prochaine de cette tarification ; nous aurons le temps alors de faire valoir toutes les parties de notre proposition et elle ne sera pas escamotée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je pense qu’il faut d’abord statuer sur la motion d’ordre du jour qui est faite.

L’honorable préopinant a découvert un nouveau excès de pouvoir ; il le reproche à la section centrale. Selon lui, la section centrale n’avait pas le (page 1606) droit de vous proposer le projet de loi en un seul article qui vous est connu, elle devait amender directement la proposition des 21.

L’honorable membre perd de vue l’art. 55 du règlement qui ne définit pas d’une manière aussi restreinte la mission de la section centrale ; il perd de vue en outre tous les précédents de cette chambre.

S’il est vrai de dire que nos sections centrales n’ont que le mandat de présenter des amendements article par article, suivant en quelque sorte servilement les propositions dont elles sont saisies, il faut en conclure qu’il y a eu excès de pouvoir de la part des sections centrales pour les deux tiers des projets de loi présentés dans cette chambre.

M. Dumortier – On mettait les deux textes en regard.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je n’ai pas interrompu M. Dumortier, je l’ai écouté religieusement, je le prie de ne pas m’interrompre.

L’art. 55 du règlement porte :

« Ce rapport (de la section centrale) contient, outre l’analyse des délibérations des sections et de la section centrale, des conclusions motivées. »

La section centrale a donc le droit de présenter des conclusions motivées sur lesquelles la chambre doit statuer. Dans les circonstances présentes, elle vous a présenté des conclusions motivées ; elle déclare que, pour vous les présenter, elle a puisé les pouvoirs nécessaires dans la seule proposition des 21, si elle avait voulu se renfermer dans cet examen, si elle avait voulu faire complètement abstraction du projet du sénat. Voilà la position qu’elle a prise, d’après ses déclarations. Elle s’est conformée à tous les précédents. Très-souvent une section centrale saisie d’un projet définitif général, n’ayant pas le temps de l’instruire, est venue vous présenter un projet provisoire en un seul article.

Où est l’excès de pouvoir ? Dans je ne sais quelle déclaration faite par l’honorable rapporteur qu’il y aurait dessaisissement de la proposition des 21. Je pense que l’honorable membre n’a pas été présent à l’ouverture de la discussion. La proposition des 21 est pour le moment abandonnée. J’en demande pardon non pas en vertu d’une déclaration du rapporteur, déclaration qu’il n’aurait pas eu le droit de faire, mais par suite d’une déclaration faite par l’honorable M. Eloy de Burdinne à la suite d’une interpellation de M. le président. M. le président a demandé aux auteurs de la proposition s’ils se ralliaient à la proposition de la section centrale. S’ils avaient déclaré qu’ils maintenaient pour la discussion actuelle la proposition des 21, M. le président aurait déclaré que cette proposition était en discussion en même temps que celle de la section centrale.

Maintenant il est libre à l’honorable M. Dumoriter d’arriver encore à ce résultat, c’est de rependre la proposition ; alors nous aurons à examiner la question de priorité, nous aurons à voir à laquelle des deux nous accorderont la priorité. C’est une question qui a été agitée dans beaucoup de circonstances.

Je vous ai rappelé, après l’honorable M. Dubus, un précédent que vous offrent les discussions de cette chambre. L’honorable M. Dumortier n’était pas présent quand il s’agissait de ce précédent.

M. Dumortier – Cela ne prouve rien.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous verrons.

Dans la session de 1840-1841, le sénat a voté un projet de loi relatif, à certains égards, au contingent de l’armée, non par suite d’une proposition née dans le sein du sénat, mais par suite de la présentation d’un projet au nom de la Couronne. Ce projet est arrivé ensuite dans cette chambre ; on s’est vu en présence d’un conflit ; on a trouvé moyen de tourner la difficulté en puisant dans un ancien projet, dont la chambre avait été saisie, les pouvoirs qu’on n’osait pas prendre dans le projet que le ministère avait porté devant le sénat. La difficulté a été signalée le 27 mai 1841 par M. de Puydt. Un seul membre a pris la parole pour se féliciter et pour féliciter la chambre de ce qu’on pouvait sortir de cette position difficile en tournant la question. Voici les expressions aussi simples que remarquables dont se servait cet honorable membre.

Plusieurs membres – Qui ? qui ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Un membre qui prend la parole après l’honorable M. de Puydt :

« Messieurs, vous savez tous qu’une difficulté s’est élevée dans le sein de la section centrale sur la question de savoir si les prérogatives de la chambre en cette circonstance étaient restées intactes.

« M. le rapporteur vient de vous exposer comme cette difficulté avait été envisagée par la section centrale. Maintenant pour tourner cette difficulté, (le mot « tourner » ne l’effrayait pas), on s’est aperçu que le projet de loi transmis par le sénat était une mesure provisoire qui se rattache à un projet de loi dont nous sommes déjà saisis. Or, si nous examinons définitivement ce dernier projet, la mesure provisoire devient inutile, et dès lors on évite d’aborder cette grave question constitutionnelle qui est toujours une chose plus ou moins embarrassante. Cette loi définitive, il est de notre devoir de l’examiner en tout cas, eh bien, examinons donc cette loi. C’est là ce que vous propose la section centrale. Si vous partagez cette avis il faudrait alors que la section centrale fût investie du mandat de nous présenter dans le plus bref délai un rapport sur la proposition primitive ; nous pourrions dès lors discuter le projet de loi lundi ou mardi…

« Un membre – N’y a-t-il pas de rapport ?

« Non, il n’y a pas de rapport, L’honorable M. Willmar, ministre de la guerre à cette époque, n’a dépose la loi que dans les derniers jours de décembre, peu de temps avant notre ajournement. La loi fut renvoyée aux sections, et la section centrale dont j’avais l’honneur de faire partie s’est réunie plusieurs fois. La chambre n’ayant pas assez de temps pour examiner cette loi avec toute l’attention qu’elle mérite adopta un projet de loi temporaire, dont le projet transmis par le sénat n’est que la copie. Cette mesure avait donc été prise uniquement parce que la chambre n’avait pas le temps d’examiner le projet principal. Si nous voulons maintenant aborder ce dernier projet, nous éviterons, je le répète, une discussion de prérogative qui est toujours une discussion un peu délicate, et nous préviendrons par là toute contestation entre les deux chambres législatives de la Belgique.

« Je propose en conséquence à la chambre d’inviter la section centrale à présenter un prompt rapport, de manière que nous puissions sans délai discuter le projet de loi qui a été présenté en 1839. »L’honorable membre qui donnait ces sages conseils à la chambre, était l’honorable M. Dumortier. (Hilarité générale.)

Eh bien messeurs, je dirai, à mon tour, qu’il faut tourner la difficulté ; qu’une question de prérogative est toujours une question grave, délicate ; qu’il faut s’estimer heureux si l’on peut sortir de la situation sans aborder directement une question de ce genre, ne fût-ce que pour gagner du temps.

On avait trouvé un biais, en 1841. Qualifiez de biais ce qu’on vous propose aujourd’hui ; le nom n’y fait rien. Mais je me joins, pour 1843, aux félicitations qu’on vous adressait, aux excellents conseils qu’on vous donnait en 1841.

M. Dumortier (pour un fait personnel) – M. le ministre de l'intérieur a commencé par dénaturer complètement ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre. A l’en croire, j’aurais prétendu que la section centrale avait commis un excès de pouvoir. Je me suis borné à dire que la section centrale n’avait procédé que par voie d’amendement. J’ai dit en démontré, de la manière la plus évidente, qu’elle n’a fait qu’amender le projet du sénat. Ce n’est pas commettre un excès de pouvoir ; mais c’est bien procéder par voie d’amendement. Encore une fois, qu’on jette les yeux sur les deux autres projets de loi ; on verra que le projet de la section centrale n’est rien autre chose que celui du sénat.

Mais, vous dit-on, la section centrale a le droit de présenter des conclusions motivées ; elle avait le droit de présenter un projet sur les céréales, par ce fait seul qu’elle était saisie de l’examen d’un projet de loi. Cela n’est pas douteux. Mais qu’a-t-elle fait ? Elle a présenté le projet du sénat amendé : qu’on discute tant qu’on voudra, on devra toujours être d’accord sur ce point.

Le projet des 21 est, dit-on, abandonné. Je ne pense pas que cela soit.

M. le président – Je rappellerai à l’honorable membre qu’il n’a obtenu la parole que pour un fait personnel.

M. Dumortier – Je ne pense pas que la chambre trouve mauvais que je continue. Au reste, je pourra tourner la question comme on a tourné la difficulté.

M. le ministre de l'intérieur vient de citer un précédent ; il a rappelé qu’en 1841 j’ai engagé la chambre à tourner une difficulté qui se présentait relativement à la loi sur le contingent de l’armée. Messieurs, je m’honore d’avoir tenu ce langage à la chambre ; il vous prouve combien je désire éviter tout conflit entre les deux chambres. Mais quand je m’exprimais ainsi, en 1841, un projet de loi n’avait pas été suggéré au sénat par un ministre, dans l’intention d’escamoter le vote sur un projet dû à l’initiative des membres de cette chambre. Voilà la différence. Dans le cas actuel, nous avions, au nombre de 21, saisi la chambre d’un projet de loi que la chambre a pris en considération, et qui est devenu un document parlementaire. Il n’appartient pas à M. le ministre de l'intérieur de faire absorber ce projet de loi. A en croire M. le ministre de l'intérieur ce projet serait complètement absorbé ; l’honorable M. Eloy de Burdinne l’aurait abandonné.

M. Eloy de Burdinne – Je ne l’ai pas abandonné.

M. Dumortier – C’est l’expression de l’honorable M. Nothomb.Non, la proposition des 21 n’est pas abandonnée par eux.

M. Rodenbach – Je l’ai abandonnée.

M. Dumortier – L’honorable M. Eloy de Burdinne a pu consentir à un ajournement, mais seulement en son nom ; il n’a pas parlé au nom des 21. La proposition a été signée par 21 membres ; pour qu’elle soit abandonnée, il faut que les 21 signataires y renoncent. Pour moi, qui suis l’un de signataires, je n’y renonce pas.

M. Eloy de Burdinne – Ni moi non plus.

M. Dumortier – Je prétends que la chambre discute notre proposition. C’est mon droit.

Voilà la différence qu’il y a entre la proposition de 1841 et la position actuelle. Il n’y avait pas alors une proposition signée par 21 représentants.

J’ai vu dans le système présenté une combinaison pour éviter au ministère une difficulté, non pas vis-à-vis du sénat, mais vis-à-vis de la proposition des 21. Lorsque j’ai vu qu’on voulait escamoter, par un moyen détourné, notre proposition, j’ai pris la parole pour m’élever contre ce système.

S’il en avait été ainsi en 1841, quelque soit mon désir d’éviter un conflit entre les deux chambres, j’aurais tenu le même langage, parce que le premier devoir d’une assemblée parlementaire, c’est de maintenir ses prérogatives.

Je prouve d’ailleurs que je veux encore éviter un conflit, puisque je propose d’ajourner la discussion du projet, en ce qui concerne les recettes, jusqu’à la discussion de la proposition des 21.

M. le président – M. Dumortier vient de déposer la proposition suivante : « Je propose l’ajournement de la partie du projet qui concerne (page 1607) les recettes jusqu’à la discussion de la proposition signée par 21 représentants. »

- La discussion continue sur la motion de M. Malou.

M. Malou, rapporteur – On déplace tellement la question, au point de vue où la section centrale s’est placée pour faire une proposition, que je crois devoir expliquer la pensée qui l’a guidée. Je donnerai lecture à la chambre du seul paragraphe du rapport où il soit question de la proposition des 21 représentants ; il est ainsi conçu :

« Si les propositions que nous avons l’honneur de vous soumettre sont discutées dans la présente session et si elles sont admises, il n’en résultera, dans notre pensée, aucun préjugé, ni pour ni contre le système à adopter, lors de la révision d’ensemble qui serait ultérieurement provoquée, soit en vertu de l’initiative parlementaire, soit, par suite de l’initiative du gouvernement . l’on écarterait, pour le moment, sans se prononcer sur leur mérite comme principe durable, tous les systèmes qui touchent aux bases de la loi de 1834. l’on décréterait en quelque sorte un nouveau essai de cette loi complétée et améliorée, mais non détruite ; l’expérience même que l’on voudrait ordonner démontrerait si, et dans quel sens, la législation doit être modifiée, d’après les véritables intérêts du pays ; mais, pour le moment, toutes les propositions déjà faites, soit dans les chambres , soit dans les sections, seraient considérées comme étant devenues sans objet. » C’est en ce sens que lorsque l’honorable M. Fleussu a fait l’interpellation à laquelle a répondu l’honorable M. Eloy de Burdinne, j’ai dit que, pour le moment, si la chambre votait la proposition de la section centrale, elle serait dessaisie de la question des céréales tout entière, sauf à la chambre à user de son initiative, quand et comment elle le jugera convenable. Je crois que c’est là la véritable position. Lorsque la chambre aura voté la proposition de la section centrale, il devra être fait une nouvelle proposition, pour que la chambre soit saisie. C’est ce qui arrive tous les jours.

Je m’expliquerai plus tard sur la motion d’ajournement. Pour le moment, il ne s’agit que de l’ordre du jour sur les deux variantes de question préalable.

M. Orts – Sur la question d’ordre du jour, je n’ai qu’à examiner une proposition bien souvent reproduite dans cette enceinte. Si à la question posée par M. le ministre : « Est-il nécessaire de s’occuper de la question de constitutionnalité du projet de loi du sénat ? » je pouvais répondre : « Non, cela n’est pas nécessaire, » je n’aurais pas pris la parole. Mais je crois pouvoir établir que l’examen de cette grave question de constitutionnalité est nécessaire.

Voici comment :

De quoi sommes-nous saisis ? Une première proposition a été faite par 21 représentants ; elle reste dans les termes d’une proposition, si elle n’est pas votée. Nous sommes saisis d’un projet de loi voté par le sénat. N’est-il pas naturel que la préférence doive être donnée à un projet déjà voté par une chambre sur une simple proposition faite par un certain nombre de nos collègues ?

On dit : Il ne s’agit plus du projet du sénat. La présentation de conclusions motivées par la section centrale, met à l’écart la proposition du sénat. Il ne s’en agit plus. On nous présente comme projet de loi les conclusions de la section centrale, sauf les amendements qu’on jugera à propos d’y introduire.

Mais quand la proposition de la section centrale aura été votée par nous, chambre des représentants, et qu’elle sera retournée au sénat, pensez-vous qu’il ne sera pas de la dignité du sénat de dire : « Lorsque j’ai usé de mon droit constitutionnel, lorsque j’ai voté une loi, et que, conformément à la constitution, ce projet a été transmis à l’autre chambre, pour être discuté, au lieu de vous occuper de la loi votée par moi, vous esquivez la question ; vous la tournez, pour me servir de l’expression qu’on a employée plus d’une fois dans cette discussion. Au lieu de voter la loi que je vous ai transmise, vous votez sur autre chose ; vous me présentez un autre projet de loi ; je vous rends la pareille. Vous aviez à voter d’abord sur ma proposition ; je ne voterai pas sur la vôtre. »

Nous serions dès lors dans une véritable impasse.

Le sénat pourrait nous dire : « Il est de ma dignité de vouloir que la chambre des représentants se prononce sur cette question de constitutionnalité ; elle le doit. »

Où marcherions-nous ? N’est-il pas naturel que nous ayons à examiner d’abord la question de constitutionnalité ou d’inconstitutionnalité ?

Cela fait, si la décision de la chambre est que, malgré l’art. 27 de la Constitution, le sénat a pu voter la loi, ce serait fini ; le projet de loi retournerait au sénat. Si vous votez en sens contraire, le sénat verrait ce qu’il aurait à faire.

Une autre considération est celle-ci : Ne serait-il pas possible que, par suite des amendements qui seraient successivement introduits, le projet de la section centrale redevînt le projet du sénat.

L’honorable rapporteur de la section centrale a reconnu que cela pouvait arriver, et il a ajouté : « Quand cela sera arrivé, alors nous aurons à examiner si le projet de la chambre doit être immédiatement soumis à la sanction royale, ou s’il doit être renvoyé au sénat.

Messieurs, tous ces futurs contingents on les rejette bien loin, tandis qu’en examinant immédiatement la proposition du sénat, vous tranchez la difficulté. On veut tourner la difficulté ; on veut échapper à l’examen d’une question éminemment constitutionnelle. M. le ministre de l'intérieur nous a cité à cet égard un précédent. Messieurs, ce précédent ne me touche guère. Je m’abstiendrai de porter un jugement sur ce précédent, mais je dirai qu’il est peut-être dangereux de l’invoquer ; car on trouve,dans les discours des orateurs qui ont parlé à cette occasion, cette pensée formulée de la manière la plus nette : Il faut tourner la difficulté. Eh bien, messieurs, sur une question de constitutionnalité, en matière de prérogative des chambres, il ne faut pas tourner les difficultés ; il faut les discuter franchement.

Je crois donc, messieurs, qu’il est inexact de dire que la discussion de la question de constitutionnalité à l’égard du projet du sénat est inutile, est un hors-d’œuvre. Je pense qu’il est important de décider cette question avant toutes choses, et par conséquent, je voterai contre l’ordre du jour et je soutiendrai les propositions qui vous sont faites par mes honorables collègues et amis MM. Verhaegen et Lys.

- La clôture est demandée.

M. Eloy de Burdinne (contre la clôture) – Messieurs, j’avais demandé tout à l’heure la parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de l'intérieur qui m’a fait dire ce que je n’ai pas dit. Je demande à rectifier un fait que je pourrais considérer comme un fait personnel. (Parlez ! parlez !)

En quatre mots, messieurs, je dirai que j’ai consenti à ce que l’on s’occupât de la proposition de la section centrale, et à ce qu’on ajournât celle des 21 membres. J’ai déclaré que je pouvais faire cette déclaration au nom de mes collègues, au moins au nom de la majorité de mes collègues, à qui j’en ai parlé. A la vérité, l’honorable M. Dumortier, étant alors absent, n’a pu être consulté ; l’honorable abbé de Haerne et quelques autres, ne l’ont pas été non plus.

J’ai cru, messieurs, que vu l’époque avancée de la session, il valait beaucoup mieux prendre la proposition de la section centrale que ne rien avoir du tout pour le moment. J’ai pensé que la proposition que nous avons faite donnerait matière à de longues discussions qui ne pourraient être terminées avant notre séparation ; mais je n’ai pas entendu renoncer à soutenir notre proposition.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.

M. le président – M. Malou a proposé de passer à l’ordre du jour sur la question préalable demandée par M. Verhaegen et par M. Lys. Je mets cette proposition aux voix. (L’appel nominal ! l’appel nominal !)

Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Malou.

75 membres prennent part au vote.

55 votent pour la proposition.

20 votent contre.

En conséquence, la chambre décide qu’elle passe à l’ordre du jour sur la proposition de question préalable faite par M. Verhaegen et par M. Lys.

Ont voté pour la proposition de M. Malou : MM. de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Lejeune, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Wallaert, Zoude, Brabant, Cogels, d’Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, Biebuyck, de Garcia, de Haerne, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel et de Meester.

Ont voté contre : MM. de Tornaco, Devaux, Dumortier, Lange, Lesoinne, Lys, Manilius, Meeus, Orts, Osy, Rogier, Sigart, Thytion, Verhaegen, Castiau, Coghen, David, Delehaye, Delfosse et d’Elhoungne.

Discussion générale

M. le président – M. Dumortier a fait une proposition d’ajournement. D’après le règlement, la discussion sur une proposition d’ajournement se confond avec celle sur le fond. La discussion est donc ouverte sur la proposition de M. Dumortier et continue sur le fond.

M. Van Cutsem – Messieurs, les difficultés qu’il y a à faire une loi sur les céréales prouvent l’importance de cette matière. Depuis longtemps, la législature et le pouvoir s’en sont occupés, ils l’ont étudiée, ils ont cherché à l’approfondir, et le pays en est toujours à attendre une bonne législation sur les céréales.

Une loi sur les céréales doit protéger l’agriculture, source la plus féconde de la richesse publique, et assurer la subsistance de l’ouvrier. Si nous pouvons doter la Belgique d’une loi semblable, elle deviendra prospère, parce que, comme l’a dit longtemps avant nous l’illustre Sully, tout fleurit dans un Etat où fleurit l’agriculture.

En défendant les intérêts de l’agriculture, nous soutenons les intérêts des brasseurs et des distillateurs, parce que ces intérêts sont inséparables : au fait, la loi la plus favorable aux brasseries et aux distilleries sera celle qui protégera la production indigène ; de manière que la Belgique recueille sur son territoire toutes les différentes céréales qu’on consomme chez elle. Si la Belgique récolte sur son territoire les différentes céréales qu’on consomme dans le pays, et que ces céréales se vendent à un bon prix, les populations rurales, qui représentent plus des quatre-sixièmes de la nation, se trouvent dans l’aisance, débarrasseront les fabriques de coton, de drap, les magasins de denrées coloniales de leur trop plein, et les brasseurs et les distillateurs verront aussi leurs produits s’écouler plus facilement.

S’il en est ainsi, messieurs, n’est-il pas évident que la législature doit faire pour l’agriculture ce qu’elle a fait pour toutes les autres industries du pays, pour le commerce et la marine marchande ? C’est-à-dire qu’elle doit protéger cette branche essentielle de notre richesse nationale contre l’industrie agricole étrangère qui, par le bas prix de ses produits, est à même de faire à notre industrie une concurrence autrement dangereuse, autrement (page 1608) pénible que ne peut le faire aucun fabricat étranger, aucune marchandise étrangère aux fabricats et marchandises similaires du pays.

Le cultivateur belge est à moitié ruiné quand le froment ne se vend qu’à 16 francs l’hectolitre ; et pour avoir un prix rémunérateur satisfaisant ou bon il doit pouvoir le vendre à 16 et 20 fr. l’hectolitre. Si à ces fais qui ne seront, je suppose, pas contestés par nos adversaires, vous ajoutez que les céréales étrangères peuvent très-souvent se vendre sur nos marchés à 12, 13 et 14 francs, comment peut-on vouloir que nos cultivateurs qui sont ruinés à moitié quand ils ne font que 16 fr. de leur froment, qui doivent en faire 19 ou 20 fr. l’hectolitre pour en avoir un prix satisfaisant ou bon, puissent soutenir la concurrence contre l’étranger, si vous ne leur accordez une certaine protection, une protection au moins égale à la différence qui existe entre le prix rémunérateur des pays étrangers et celui de la Belgique ? Je demanderai à mes adversaires pourquoi la Belgique qui emploie annuellement 848,137 hectares à la culture du froment et qui produit, relativement au nombre de ses habitants, beaucoup plus de froment que l’Angleterre et la France puisqu’elle produit environ 3 kilogrammes de froment par jour pour chaque habitant, alors que la France n’en récolte qu’un et demi, et l’Angleterre un, devrait-elle s’exposer à être inondée de céréales étrangères, alors que ces deux pays, où nous pouvons sans doute prendre des leçons d’économie politique, protègent les produits de leur agriculture de la manière la plus efficace, et parviennent presque toujours, à l’aile de cette protection, à obtenir les céréales à des prix plus bas et plus réguliers que dans les pays qui n’accordent aucune protection à l’agriculture ; c’est ainsi, messieurs, que le prix moyen du froment a été depuis 1835 jusqu’en 1844 constamment moins élevé en France qu’en Belgique, qu’on a vendu le froment à certaines époques 5 fr. meilleur marché chez nos voisins du midi que chez nous : en effet, voyez les mercuriales françaises et belges du mois de septembre 1838, et vous y constaterez que l’hectolitre de froment se vendait alors à 19 fr. 76 c. en France et à 24 fr. 73 c. en Belgique.

Comment voulez-vous, messieurs, qu’en face de pareils faits, je n’aie pas la persuasion que l’agriculture doive être protégée, et fortement protégée ? Comment voulez-vous que je ne sois pas convaincu que c’est à tort que l’on effraye le consommateur belge de cette protection qu’on voulait accorder au cultivateur par une loi à peu près semblable à la loi française ; et que je me défense de cette idée, que ce sont les spéculateurs étrangers et belges qui, craignant de faire des bénéfices moins grands sous le régime d’une loi semblable à la loi française, se placent derrière le fabricant, l’artisan, l’ouvrier, le brasseur et le distillateur, et les poussent, à l’aide d’arguments qui paraissent justes lorsqu’on les examine avec passion, à s’opposer à la protection que les défenseurs de l’agriculture sollicitent pour elle ? Si les spéculateurs en céréales, si ces bons spéculateurs en céréales, qui ne laissent, pendant les années calamiteuses, sortir les grains de leurs greniers qu’en petite quantité pour en maintenir les hauts prix, sans s’inquiéter en aucune manière des besoins du peuple mourant de faim, ne se plaçaient derrière une masse de personnes crédules, qu’ils abusent sur leurs véritables intérêts, n’étaient pas en réalité les seuls, quoiqu’ils ne se montrent pas en nous envoyant des pétitions qu’ils préfèrent faire faire par d’autres, à s’opposer à la protection que nous voulons accorder à l’agriculture, comment serait-il possible que les mêmes personnes refusassent à l’industrie agricole, qu’ils reconnaissent comme la première des pays civilisés, la protection qu’ils donnent à nos fabriques de coton, de filature de lin, auxquelles elles s’efforcent chaque jour d’assurer le marché intérieur ? Si ces personnes n’obéissaient pas à leur insu à une influence étrangère, comment ne verraient-elles pas, que si la concurrence intérieure suffit pour empêcher qu’on fasse payer trop cher au consommateur les fabricats du pays de toute espèce, cette même concurrence intérieure mettrait également obstacle en Belgique, où il y a encore tant de terres qui pourraient être livrées à la culture des grains, à ce qu’on nous fasse payer les céréales à des prix exorbitants ?

Je demanderai à mes adversaires si les céréales se vendent à meilleur marché dans vingt-deux contrées du globe qu’en Belgique, parce que les grains des pays étrangers y abondent de toutes parts, ou si c’est parce qu’on y a encouragé la culture des céréales. Et s’ils veulent reconnaître la réalité des faits, ils devront avouer que ce sont les encouragements seuls, donnés à la culture des céréales qui permettent de les vendre à bas prix.

Eh bien, si vous encouragez la culture des céréales en Belgique, vous parviendrez à y faire cultiver des terres qui ne l’ont pas été jusqu’aujourd’hui, et vous ferez alors manger aux malheureux le pain à meilleur marché qu’aujourd’hui, parce que les prix baisseront par la concurrence de la production indigène sans nuite au producteur, puisque la consommation, ne se développant, finira par rétablir l’équilibre dans ce bénéfice net, qui n’est jamais aussi assuré que lorsque le taux est très-petit et réparti sur une grande échelle de production. Si nous voulons donc élever les droits sur les grains étrangers, ce n’est pas pour faire augmenter le prix des céréales, c’est pour faire étendre la culture de ce produit dans le pays, et faire manger d’ici à peu d’années le pain à un prix infiniment moins élevé qu’il ne se vend aujourd’hui, tout en laissant au producteur un plus grand bénéfice qu’il trouvera sur la quantité à placer.

Vous voyez donc que la production que nous demandons pour notre agriculture finira par être utile et au producteur et au consommateur, tandis que la liberté commerciale en matière de céréales ne peut être avantageuse ni à l’agriculteur ni au consommateur ; elle sera nuisible à l’agriculture parce que lorsque le commerce, qui est toujours dans son seul intérêt aux aguets, aura approvisionné nos marchés, le cultivateur ne pourra plus vendre ses produits que lorsqu’on pourra, pour ainsi dire, s’en passer ; elle sera nuisible au consommateur parce que le cultivateur finira par se décourager d’une culture qui ne lui donnera que des pertes et l’abandonnera à la rapacité du spéculateur belge ou étranger, qui lui vendra, sans aucun égard pour ses misères, le froment dont il aura besoin en lui en faisant payer le prix le plus élevé. Telles sont les calamités qui pèseraient sur le consommateur avec cette liberté de commerce en matière de céréales, et si on peut démontrer qu’elle a été utile à un pays comme la Hollande, pour l’appliquer à la Belgique, ce ne peut être qu’en perdant de vue que la Hollande, qui a un sol peu propre à la culture des céréales, un sol très-rétréci par des landes arides et des dunes rebelles à toute végétation, est par cela seul obligée de se faire des greniers d’abondance pour tous temps et ne se trouve partant pas dans les mêmes conditions que la Belgique, qui produit annuellement douze millions d’hectolitres de céréales. La liberté commerciale en matière de grains ne peut donc convenir à la Belgique ; et la loi du 31 juillet 1834, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne peut même convenir à notre pays, parce que, avec cette loi, le consommateur est toujours exposé à payer le pain cher, toutes les fois que le spéculateur en grains voudra faire prospérer son industrie, puisqu’il doit alors pendant un certain temps aider les mercuriales pour faire hausser le prix de l’hectolitre jusqu’à 20 fr. pour le faire entrer en franchise de droits et qu’après l’avoir introduit en Belgique, il ne doit l’écouler que peu à peu pour le maintenir à un prix qui lui permette de faire les plus grands bénéfices possible.

Vous voyez donc, messieurs, que la protection accordée à la culture des grains peut seule assurer des approvisionnements réguliers à la Belgique et des approvisionnements à bas prix au consommateur, ainsi qu’une vente à un taux normal au cultivateur, et que des phrases ou des raisonnements passionnés ne prouvent rien en présence de pareils arguments.

Si les adversaires de la protection que je veux accorder aux céréales me démontrent que, bien que le pain se vende à meilleur marché en France avec la même protection que je réclame pour les céréales belges, il se débitera à des prix plus élevés qu’avec la loi de 1834, ou avec le libre commerce des céréales, je ne demanderai plus aucune protection pour les céréales, parce que avant tout, je veux que l’ouvrier, que l’artisan puisse manger à bon marché le pain qu’il n’obtient qu’à l’aide des travaux les plus pénibles.

Si tel a été mon but en faisant une démonstration en faveur de l’industrie agricole, qui pourra ne pas approuver mes vues alors que je me serais trompé dans ma manière d’apprécier les faits ? Qui pourrait espérer de faire croire à ceux qui ont vu, depuis que je suis dans cette assemblée que j’ai constamment défendu l’industrie linière, réclamé des subsides pour ceux qui s’y livrent, que changé du tout au tout que me mettant en contradiction avec mes actes comme cet ancien Romain qui écrivait l’éloge de la pauvreté sur des tables d’or, j’aurais d’un côté réclamé de l’ouvrage pour donner du pain à l’artisan, et que d’un autre côté, j’aurais voulu porter ce pain à des prix qui ne devaient pas lui permettre de s’en nourrir ? Qui pourrait croire, que je voudrais inscrite sur la liste ces industries souffrantes à côté de l’industrie linière, l’industrie des distillateurs et des brasseurs, lorsqu’encore naguère, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour maintenir toute sa splendeur à l’industrie tabagique qu’on voulait grever de droits plus élevés ?

Mu par les considérations que je viens d’annoncer, je voterai pour la proposition de la section centrale, et j’attendrai l’effet que produira la mise à exécution sur la culture et le prix des céréales, ainsi que les renseignements que nous fournira M. le ministre de l'intérieur sur cette importante question avant de proposer à la législature d’autres mesures sur cette matière ou de donner mon adhésion à des projets de loi que d’honorables collègues pourraient lui soumettre sur le même objet.

M. Rogier – Messieurs, il est regrettable, tout le monde en conviendra, qu’une discussion aussi importante se présente dans un moment où la chambre, préoccupée déjà de beaucoup d’autres questions, est à la veille de s’ajourner. En 1834, messieurs, la loi fut aussi votée d’urgence à la fin d’une session. Peut-être si la chambre s’était alors donné le temps de moins réfléchir, aurait-on fait une meilleure loi, et aurait-on échapper à l’obligation de venir chaque année demander des modifications à cette loi de 1834. Peut-être nous aurait-on épargné les peines et au gouvernement les soucis de cette nouvelle discussion.

La disposition d’esprit où se trouve la chambre me parait complètement insuffisante pour pouvoir décider en parfaite connaissance de cause. M. le rapporteur de la section centrale, déterminé sans doute par des bonnes intentions, a bien voulu rapetisser sa proposition. Il est venu dire à la chambre : On peut adopter d’urgence cette proposition, elle est insignifiante, c’est un petit remède très anodin ; il s’agit tout simplement de faire cesser quelques inconvénients de la loi de 1834. M. le ministre de l'intérieur, donnant les mains à M. le rapporteur de la section centrale, dit aussi : Il y dans la loi de 1834 des inconvénients qu’il importe de faire cesser au plus tôt. L’alarme a été répandue dans le pays en 1843 ; des flots de céréales étrangères nous ont envahis ; il y a eu une crise, une perturbation générale.

Messieurs, comme l’a dit l’honorable rapporteur de la section centrale, il ne faut pas ici de malentendu. La dissimulation n’est bonne nulle part, elle serait détestable dans la confection d’une loi. Transformer la tribune parlementaire, qui, elle aussi doit être une chaire de vérité, en un théâtre de fiction, ce serait singulièrement rabaisser notre rôle. Notre devoir est d’éclairer le pays et non de le tromper. La pire des lois serait celle qui, sons couleur de donner un avantage au pays, lui créerait un dommage nouveau ; qui , sous prétexte de faire cesser un inconvénient passager, en établirait un permanent.

Quel est le but apparent de la loi qui nous est proposée ?

(page 1609) S’il faut en croire M. le ministre de l'intérieur et M. le rapporteur de la section centrale, le but de la loi serait donc de faire cesser un des vices de la loi de 1834.

Voici en quoi il consiste :

Sous la loi de 1834, quand l’hectolitre de froment (nous ne parlerons que du froment pour ne pas compliquer les chiffres), quand l’hectolitre de froment est coté sur le marché à 15, 16, 17, 18 ou 19 fr., le froment étranger est frappé d’un droit de 37 fr. 50 c. aux mille kilog. Quand le prix de l’hectolitre est coté à 20 fr. et en dessous, le droit vient à cesser, le blé étranger est entièrement libre à l’entrée.

Cette brusque transition d’un droit de 37 fr. 50 à zéro, est un appât pour le spéculateur. Au moment où le prix du grain se rapproche sensiblement de 20 fr., il lui suffit de provoquer une hausse légère, pour arriver à la libre entrée, et gagner 37 fr. 50 par chaque mille kilog. qu’il versera le marché. L’avantage est grand pour la spéculation, aussi elle en a profité. N’exagérons pas cependant, ne nous alarmons pas outre mesure des dangers dont on veut nous effrayer. On nous parle de la quantité immense de céréales qui a été introduite en juin 1843. on nous dit que cette importation a amené une perturbation générale dans l’économie politique du pays. Eh bien, messieurs, la preuve que cette introduction d’une certaine quantité de froment n’a pas entraîné la perturbation, cette preuve se trouve dans le tableau des mercuriales qui nous a été fourni par M. le ministre. Que résulte-t-il en effet de ce tableau ? Il en résulte qu’après le mois de juin 1843, au mois de juillet et au mois d’août, les prix ont été au dessus de 20 francs. Ils sont restés au-dessus de 19, jusqu’à la fin de novembre tandis qu’avant la spéculation, dans les deux dernières semaines d’avril, pendant tout le moi de mai et la première semaine de juin, il n’avaient pas atteint ce taux.

Donc, on est tombé dans une singulière erreur,on a cédé à de singulières préoccupations quand on est venu parler de perturbation dans toute l’économie intérieure.

Qu’il y ait des inconvénients dans le régime actuel, nous ne le nions pas ; qu’il faille y porter remède, d’accord. Mais quel remède faut-il y apporter ? Est-ce celui que propose la section centrale ? Ce remède serait-il efficace ? Non, messieurs, ce remède ne serait pas efficace. Je vais le prouver.

D’après le projet de la section centrale, le froment ne serait plus libre à l’entrée qu’à partir du prix de 24 fr. ; de 20 à 22 fr., il serait soumis à un droit de 12 fr. 50 c. aux mille kilogrammes ; de 22 à 24 fr., il payerait 3 fr. cette aggravation, messieurs, gênera-t-elle beaucoup les spéculateurs, fera-t-elle cesser les inconvénients dont on se plaint ? Nullement : le bénéfice que les spéculateurs font aujourd’hui en ne payant pas les droits, ce bénéfice est bien un peu diminué, mais il ne l’est pas assez pour entraver la spéculation ; au lieu de gagner 37 fr. 50 c., on ne gagnerait plus que la différence entre ce chiffre et le droit de 12 fr. 50, c’est-à-dire 25 fr., lorsque le prix du froment sera de 20 à 22 fr. ; et l’on gagnera la différence entre 37 fr. 50 c. et 3 fr. lorsque le prix sera de 22 à 24 fr. On aura donc encore un très-grand intérêt, on aura à peu près le même intérêt à provoquer sur les marchés régulateurs cette hausse factice de prix dont on se plaint.

Il est vrai, messieurs, que dans cette hypothèse où les prix tendraient toujours à la hausse, il y aurait un surcroît de protection, mais ce n’est pas là le résultat qu’on annonce vouloir obtenir, ce n’est pas là le but que M. le ministre de l'intérieur peut désirer d’atteindre. C’est la spéculation seule que l’on dit avoir en vue. S’il en est ainsi, il faut donc chercher un autre remède, car celui-ci est impuissant, il laisserait les spéculateurs devant un bénéfice à peu près égal à celui qu’ils peuvent obtenir sous la législation actuelle.

Le remède à employer, messieurs, n’est pas introuvable ; il a été proposé en 1840 par MM. les ministres Liedts et Mercier, qui étaient complètement d’accord sur ce point, il a été proposé de nouveau, en 1843, par les ministres de l’intérieur et des finances, MM. Nothomb et Mercier, encore complètement d’accord. Ce remède est bien simple ; mais il procède dans un sens tout à fait opposé à celui du projet actuel et qui a néanmoins reçu l’assentiment de MM. les ministres.

Le mal réside dans le droit de 37 fr. 50 c. qui vient tout d’un coup à tomber, sans transition aucune, lorsque le prix du grain arrive à 20 fr. Qu’y a-t-il donc à faire ? mais c’est de diminuer progressivement ce droit de 37 fr. 50, comme MM. Liedts et Nothomb l’ont parfaitement compris. Dans le système de M. Liedts, au prix de 16 à 17 fr., le froment était frappé d’un droit de 8 fr. et de ce droit de 8 fr., on passait à la libre entrée. Ainsi, il n’y a plus pour le spéculateur qu’un bénéfice de 8 fr. Dans le système de M. Nothomb, le droit le moins élevé est de 6 fr., et on passe de ce droit de 6 fr. à la libre entrée.

Voilà, messieurs, un moyen efficace de couper court au jeu de la spéculation. Si l’on ne veut pas autre chose, voilà le système qu’il faut suivre.

Je ne comprends pas comment, après avoir présenté un système aussi bien raisonné, M. le ministre de l'intérieur vient se rallier à un système tout à fait contraire, à un système où l’on procède par augmentation, au lieu de procéder par diminution comme le faisait M. le ministre. Je dis que je ne le comprends pas, mais j’ai tort, car trop d’exemple nous ont ouvert les yeux à cet égard.

Laissons de côté, messieurs, tous ces détours, c’est une aggravation de tarifs que l’on propose. Cette aggravation ne fera pas cesser les inconvénients que l’on et en avant, ces inconvénients continueront à exister au même degré qu’aujourd’hui.

La véritable question à examiner est donc celle de savoir s’il y a lieu d’accorder une aggravation de droits au-delà des limites actuelles de 20 fr. Les circonstances ont-elles changé depuis 1834 ? le prix de 20 fr. par hectolitre n’est-il plus aujourd’hui un prix rémunérateur suffisant ? Voilà la question. On a beau l’entourer de certaines précautions oratoires plus ou moins ambiguës, plus ou moins subtiles, c’est là le fond du projet de la section centrale, et en cela il ne conserve que trop les traces des propositions mal éteintes des 21 membres et du sénat. Il se ressent complètement de son origine.

Les 21 membres et le sénat ont voulu une aggravation de tarif ; la section centrale tout en ayant l’air d’avoir enterré les propositions des 21 membres et du sénat, la section centrale poursuit le même but ; elle cherche seulement à l’atteindre par des moyens plus détournés.

Messieurs, il n’y a point lieu d’aggraver le tarif tel qu’il est fixé par la loi de 1834. Personne dans le pays n’avait osé en faire la demande ; il a fallu que l’initiative en vînt, et fort irrégulièrement, selon moi, d’un corps respectable, mais qui, alors même qu’il en aurait eu le droit, aurait dû particulièrement s’abstenir d’intervenir dans cette question où l’intérêt territorial se trouve engagé.

Oui, je le répète, le sénat eût-il le droit d’intervenir dans une pareille question, il eût mieux fait de s’abstenir. J’ajoute cette observation à celles qui ont déjà été faites, et j’espère qu’elles auront un utile retentissement.

Je dis que jamais, avant cette proposition, personne n’avait demandé une aggravation de droits au-dessus de 20 francs.

En 1834, au début de la réaction contre la liberté commerciale, lorsque M. Eloy de Burdinne s’est mis, comme aujourd’hui, à la tête d’une proposition que j’ai combattue, comme ministre avec une très-faible minorité, et que je ne regrette pas d’avoir combattue ; lorsque l’honorable membre vous fit la proposition, quel était le prix que l’on considérait à cette époque comme un prix rémunérateur suffisant : ce n’était pas 20 fr., c’était 18 fr. Le rapport de M. Coghen en fait foi.

Il a fallu sans doute que la chambre fût alors préoccupée du besoin de prendre ses vacances pour laisser substituer, dans le projet de loi, au chiffre de 18 fr., celui de 20fr. comme prix rémunérateur, au-delà duquel la protection devait cesser.

En 1840, MM. les ministres Liedts et Mercier vinrent proposer la libre entrée, non plus à partir de 20 francs, mais à partir de 17 francs, et ils firent cette proposition, non pas à la légère, mais avec réflexion, et après mûr examen. Voici ce que je lis dans l’exposé des motifs de l’honorable M. Liedts :

« Convaincu de la nécessité de cette révision, j’ai préparé un projet de tarif nouveau destiné à modifier le tarif établi par la loi de 1834 ; j’ai confié l’examen de ce projet à une commission composée d’hommes parfaitement instruits en cette matière. C’est après m’être éclairé de leur avis, que je me suis arrêté au projet que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui, de concert avec M. le ministre des finances, qui, de son côté, l’a également soumis à un examen spécial et consciencieux. »

Eh bien, que proposaient alors les deux ministres dans ce projet examiné d’une manière spéciale et consciencieuse par M. le ministre des finances ? Ils proposaient la libre entrée à partir de 17 francs avec un simple droit de balance de 25 centimes ; depuis 17 fr. à 16 fr. le droit d’entrée était de 8 fr. ; de 16 à 15 fr. , il était de 15 fr. ; de 15 à 14 fr., il était de 25 fr. etc.

M. le ministre de l'intérieur actuel trouva sans doute ce projet trop libéral ; il le remplaça par un autre, et quand il le remplaça, on peut supposer qu’il avait parfaitement étudié la matière, qu’il savait bien ce qu’il voulait, car on ne vient pas à la légère compromettre la signature royale et substituer un projet dont la chambre est saisie, un projet nouveau qui n’aurait pas été suffisamment étudié. On ne se permet pas un pareil jeu, quand on veut avoir la prétention de passer pour un homme politique, sérieux, prudent, circonspect et digne.

Le projet de 1843 ne demande qu’un droit de 28 francs entre 17 et 18 ; de 17 francs entre 18 et 19 et de 6 francs entre 19 et 20. Voilà une échelle satisfaisante ; voilà un projet raisonné. Je sais fort bien qu’il diffère du projet de M. Liedts, projet dont M. le ministre des finances (M. Mercier) avait fait un examen spécial et consciencieux. Sans doute, M. le ministre des finances aura aussi donné au second projet une attention non moins spéciale et consciencieuse. Mais par cela même que le gouvernement est revenu deux fois sur une pareille question, je doit supposer qu’il s’est entouré de toutes les lumières nécessaires, et qu’il y a dans tout ceci autre chose qu’un jeu d’enfants.

Or, ce projet de 1843, qu’est-il devenu ? Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s’il consentirait à maintenir son projet….

Des membres – Il a été retiré par arrêté royal.

M. Rogier – Pourquoi l’a-t-on retiré ?... Je vais me charger de donner la réponse.

Le projet de 1843 a eu le malheur de ne pas être agréé par quelques membres de cette chambre. La discussion pouvait amener des désagréments personnels pour MM. les ministres. N’osant pas compromettre de nouveau la signature royale en proposant un nouveau projet, qu’a-t-on fait ? L’on a eu recours à des amis qui cette fois se sont montrés complaisants et dévoués ; on leur aura dit : « Il serait inconvenant de reculer encore une fois devant sa propre opinion ; j’ai déjà fait beaucoup de brèche au projet de loi de mon prédécesseur ; en trois ans, M. le ministre des finances a signé deux projets de loi différents ; n’exigez pas trop. » Eh bien, ces amis sont venus au secours du ministre (page 1610) par une proposition de loi, et telles sont les profondes conviction de notre ministère qu’à la première apparence de cette proposition, il s’est empressé d’y adhérer toute contraire qu’elle était à ses propres projets.

Mais ce n’est pas tout : le projet de 1843 avait excité quelque émotion : il était arrivé des campagnes quelques pétitions ; cela avait épouvanté le gouvernement. Mais le projet des 21 a provoqué des manifestations bien autrement prononcées : cette fois, on peut dire qu’il y a eu une perturbation générale dans le pays. (Non ! non ! – Oui ! oui !)

M. Delehaye – Les pétitions sont là.

Une voix – Il y a des pétitions dans un sens opposé.

M. Rogier – Oui, messieurs, il y a eu une agitation générale dans le pays, agitation légère, pacifique, tout à fait constitutionnelle…

M. Eloy de Burdinne – Elle a été provoquée.

M. Rogier – Qualifiez-la comme vous voudrez, mais vous ne pourrez nier que l’agitation ne soit restée parfaite légale et constitutionnelle ; vous ne pouvez nier que la proposition n’ait causé dans le pays une vive émotion.

Infailliblement le rôle du gouvernement allait encore changer. Ne sachant plus à quel saint se vouer, il est allé solliciter le secours du sénat. Pour combattre son propre système de 1843, il avait invoqué le secours des 21, et pour combattre la proposition des 21, il invoque le secours du sénat L’on a communiqué au sénat un projet de loi tout fait. (Marques d’incrédulité.) Je dis que le projet de loi transmis par le sénat sortait directement des bureaux du ministère de l’intérieur. M. le ministre ne me démentira pas. Le sénat, quelques habiles que puissent être ses membres, aurait-il pu, en 24 heures, improviser un projet aussi complet ?

M. le ministre de l'intérieur n’a donc pas été étranger à l’intervention du sénat. Il y a plus : on aurait soulevé, dans la commission, la question de savoir si le sénat ne sortait pas de ses attributions. Qu’a dit M. le ministre de l'intérieur ? Il a dit : « Soyez tranquille, je trouverai, je m’en suis assuré, des défenseurs dans la chambre pour la compétence du sénat ; votez donc sans crainte. » Voici ce qui a été dit dans la commission, je le tiens d’un membre de la commission ; on ne me démentira sans doute pas, et si j’étais forcé de citer un nom propre, la chambre aurait sans doute autant de confiance dans le dire de cet honorable sénateur que dans le dire de M. le ministre de l'intérieur.

Je vous le demande, messieurs, est-il possible de faire descendre plus bas la prérogative royale et le gouvernement parlementaire ? Aujourd’hui, si nous éprouvons nous-mêmes tant d’embarras à sortir de cette espèce de trame qu’on a jetée sur la chambre, à quoi la faute ? Les auteurs de nos embarras sont les ministres et ceux qui leur servent d’instruments dans cette circonstance.

Le projet de loi de 1843, auquel le ministère a renoncé, avait pour lui la sanction presque universelle du pays, du pays représenté par des corps réguliers. Voilà ce que j’appelle le pays…

M. de Garcia – Et les campagnes ?

Une voix – On ne les compte pour rien.

M. de Renesse – Les campagnards sont des parias : leurs droits ne sont pas reconnus.

M. Rogier – Les campagnes ont leurs représentants, sinon dans les chambres de commerce, au moins dans les députations permanentes et dans les commissions d’agriculture. Presque tous ces corps approuvaient complètement le projet du ministère, et pas une ne demandait une aggravation au tarif actuel. Il en est un qui proposait un droit au-delà de 20 fr. ; mais avec des changements dans l’échelle qui paralysaient l’élévation du droit.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous étiez contraire à ce projet.

M. Rogier – On me fait observer que j’étais opposé à ce projet. Voici en quel sens je ne me suis pas rallié.

Persistant dans une opinion que j’ai toujours soutenue, je me suis prononcé en section centrale en faveur d’un droit fixe. Cette opinion, je la soutiendrais encore si j’avais quelque chance de la faire réussir. L’on a mis en doute que les avis des différents corps consultés aient été favorables au projet de 1843. Permettez-moi de vous les faire connaître.

- Députation permanente du Limbourg : « Le nouveau projet de loi paraît avoir apporté de grandes améliorations dans le système des droits gradués qu’il maintient. » Elle ne demande pas un droit protecteur au-delà de 20 fr.

- Flandre orientale : La commission d’agriculture se prononce pour le maintien du système actuel.

- Luxembourg : La députation permanente se prononce formellement pour le projet de loi du gouvernement, elle trouve qu’il concilie à la fois les intérêts de l’agriculture, du commerce et de la consommation.

- Flandre occidentale : La députation permanente ainsi que la commission d’agriculture sont d’avis que, comme moyen de chercher à améliorer la loi existante, il y a lieu d’adopter le projet du gouvernement. C’est une réponse à l’honorable M. de Muelenaere qui m’interrompait tout à l’heure.

- Namur : La députation permanente se prononce pour le maintien du statu quo.

- Brabant : la députation permanente est pour le statu quo.

- Liége : la commission d’agriculture et la députation permanente approuvent le projet.

- Hainaut : La députation permanente propose une nouvelle échelle.

- Anvers : la commission d’agriculture et la députation permanente émettent des avis favorables.

Les chambres de commerce d’Alost, de Gand, de St-Nicolas, de Termonde, de Bruges, d’Ostende, d’Ypres, de Courtray, de Tournay, de Liége, de Verviers, de Bruxelles, de Louvain, de Charleroi, de Mons, d’Anvers sont toutes favorables au projet du gouvernement.

Voilà, messieurs, l’état de l’enquête provoquée par M. le ministre de l'intérieur, sur son projet de 1843. C’est en présence de cette masse d’autorités, que M. le ministre de l'intérieur, saisi de je ne sais quelle frayeur exagérée, retira ce projet et se retrancha dans la proposition de 21 de nos collègues.

Messieurs, qu’y aurait-il de mieux à faire, si l’on voulait porter remède aux inconvénients que l’on trouve dans l’exécution de la loi de 1834 ? Ce serait de représenter le système de 1843, qui avait reçu l’assentiment presque général du pays légal.

Ce n’est pas moi qui le proposerai. Nous savons ce qu’il nous en coûte, à nous, membres de l’opposition, de nous faire ministériels ; nous reproduirions le projet du ministre que nous trouverions sans doute parmi nos adversaires le ministre lui-même Que conclure de tout ceci ? Le gouvernement n’a pas d’opinion arrêtée sur cette grande question des céréales.

Dans la chambre les idées ne sont pas plus fixes. Quel spectacle en effet présente la chambre depuis jours ? La proposition des vingt et un membres a été successivement reniée, abandonnée, reprise par ses patrons.

On peut le dire, il y a désaccord dans le camp des 21. dans les sections, y a-t-il eu plus d’unanimité ? Si je juge des autres sections par la mienne, elle peut en donner une idée exacte, car toutes les opinions y étaient représentées. On y a procédé par restrictions, par doutes, par abstentions, et on n’a pu arriver à un vote positif.

MM. les ministres ont aujourd’hui, 6 mai, une opinion ; mais demain, 7, l’auront-ils encore ?

Nous les avons vus changer d’opinion d’année en année, de mois en mois ; pourquoi ne changeraient-ils pas de jour en jour ? Le ministère aujourd’hui a une opinion si peu fixée, qu’il a ouvert cette discussion en exprimant des doutes ; il vous a dit : la question n’est pas suffisamment étudiée ; il faut une enquête. Redoutant une enquête parlementaire, il est venu vous offrir une enquête administrative. Il a avancé que son opinion n’était pas faite ; il a donné une longue série de questions qu’il se propose de soumettre aux corps délibérants qu’il avait déjà consultés, et qui avaient si bien répondu sur son projet de 1843.

Dans cet état des esprits, en l’absence de l’initiative du gouvernement, en l’absence de toute opinion saisissable de la part du cabinet, peut-on voter une loi loi qui, quoiqu’on en dise, fait autre chose que d’effleurer celle de 1834, qui touche cette loi au cœur, puisqu’elle porte à 24 fr. le prix auquel la libre entrée serait seulement permise, tandis que dans la loi de 1834, ce taux était de 20 fr. En 1834, toute la discussion a porté sur ce chiffre.

Si vous ne voulez pas étrangler la discussion, il faut recommencer ce qui a été fait en 1834 et discuter peut être pendant trois semaines.

Eh bien, la chambre est-elle suffisamment éclairée ? non elle n’est pas suffisamment éclairée pour discuter dès maintenant, elle n’est pas éclairée par le gouvernement qui s’abstient ; elle n’est pas éclairée par les 21 qui s’abstiennent. On ne prend pas la défense de cette augmentation de droit, parce que cette augmentation ne figure que d’une manière détournée dans la loi ; on veut bien augmenter, mais on n’ose pour ainsi dire par défendre l’augmentation.

Je rends hommage à l’honorable M. Dumortier qui croit la proposition bonne et la soutient. Tous ceux qui partagent son opinion doivent au projet, à eux-mêmes de la soutenir.

L’éloge que j’adresse à l’honorable député de Tournay s’adresse à tous ceux qui suivent sa ligne de conduite.

M. Eloy de Burdinne – C’est moi qui ai pris l’initiative.

M. Rogier – En un tel état de choses, qu’avons-nous, messieurs, de mieux à faire ? La loi de 1834 est mauvaise ; mais je l’aime encore mieux telle qu’elle est qu’une loi plus mauvaise encore, et qui serait définitive. On la présente comme une loi provisoire. Autre subtilité d’esprit à laquelle les hommes sérieux de cette chambre ne pourraient se laisser aller. Nous savons fort ben que la loi que nous allons voter est une loi définitive et qui restera telle, après avoir servi à déblayer le terrain parlementaire de deux propositions qu’on regarde comme un grand embarras. Nous savons qu’une fois l’augmentation obtenue, il ne sera pas possible d’en revenir. Nous connaissons cet avare Achéron, qui ne lâche pas sa proie. Une fois en possession d’un tarif protecteur on s’y tient ; et toute réduction est combattue à outrance. Soyez-en bien sûrs, lorsque vous aurez fixé le prix rémunérateur à 24 francs, vous ne pourrez plus le ramener à 20 fr., et encore moins le faire descendre à 17 francs comme le proposait M. le ministre des finances en 1840. C’est donc bien une loi définitive. Elle le sera pour les intérêts auxquels elle s’adresse actuellement, pour les intérêts nouveaux qui vont être créés par elle. Si, sous les auspices de cette loi, les propriétaires augmentent leurs baux, comment retirer une protection en vue de laquelle les fermiers auront contracté ?

Ainsi, il ne fait pas vous faire illusion, si vous votez une augmentation, elle sera définitive ; il faut le reconnaître de bonne foi. Voulez-vous faire une loi provisoire ? ne touchez pas au droit ; car, si vous admettez une augmentation, il vous sera impossible d’y toucher de longtemps.

L’agriculture a-t-elle besoin d’une nouvelle protection ? je ne décide pas ; je veux être éclairé ; je veux une enquête approfondie ; je veux qu’on interroge les propriétaires grands et petits, les cultivateurs, les fermiers, les journaliers, les industries agricoles. Pourquoi, puisque vous demandez (page 1611) une protection spéciale pour l’agriculture, pourquoi lui refuseriez-vous une telle marqué d’intérêt ?

Pourquoi ne feriez-vous pas consulter le pays par les mandataires du pays ? Cela se fait dans tous les gouvernements constitutionnels.

En Angleterre, il y a fréquemment de telles enquêtes. Indépendamment des enquêtes parlementaires, le gouvernement en fait par lui-même. Il nomme des commissions. Ces commissaires vont dans chaque district, dans chaque paroisse. Ce sont des agents éclairés qui vont interroger les intéressés sur les lieux. A la suite de ces enquêtes locales, à domicile, les commissaires parlementaires ou administratifs font un rapport. Dans ce rapport, à côté du mal il y a le remède proposé.

Voilà comment on procède en Angleterre.

Pourquoi ne ferions-nous pas, en Belgique, ce qu’on fait dans les pays plus avancés que nous dans la carrière parlementaire ?

Cette enquête n’est pas une chose si difficile. Déjà le parlement s’est enquis de la situation du commerce et de l’industrie ; il peut aussi s’enquérir de la situation de l’agriculture. Il se montrera ainsi conséquent avec lui-même. Vous avez entendu l’honorable M. Eloy de Burdinne vous dire qu’il a fait cette enquête par lui-même et pour son compte, qu’il a parcouru le pays, qu’il a recueilli lui-même des faits nombreux, qu’il communiquerait en temps et lieu.

J’ai beaucoup de confiance dans l’expérience de cet honorable membre. Mais il me permettra de lui dire que les renseignements qu’il aura recueilli pour son compte et par lui seul, seront insuffisants pour éclairer la chambre. Si, au contraire, dix ou quinze commissaires, appartenant à cette chambre, ou pris même en dehors de son sein, faisaient ce qu’a fait l’honorable membre, dans un but très-louable, nous pourrions obtenir ainsi des renseignements complets.

L’honorable M. Eloy de Burdinne n’est pas le seul qui ait fait une enquête. Un honorable étranger qui a reçu chez nous l’hospitalité et l’indigénat, et qui s’en montre si digne, un philanthrope pratique, l’honorable comte Arrivabene a fait une enquête qu’il a publiée et imprimée. Dans la commune qu’il habite l’été, il a fait une enquête qui pourrait servir de modèle. J’en recommande la lecture aux membres de la chambre. C’est l’oeuvre d’un bon citoyen, œuvre qui offre beaucoup de renseignements utiles.

Dans l’état actuel des choses, en l’absence de toute opinion, de tout système dans le gouvernement, je crois que le seul vrai remède à proposer serait une enquête. Celui de la section centrale est vain. Il y a plus ; il est dangereux.

On l’a dit : il y a déjà des germes d’irritation dans le pays ; les opinions vont se trouver en présence. Prenez garde de mêler à la guerre des opinions la guerre des intérêts. Prenez garde qu’à tort ou à raison, il ne se fomente dans les classes inférieures de sourds mécontentements qui éclatent parfois d’une manière si terrible.

Il ne faut pas, sans bonnes raisons, sans motifs sérieux, sans besoin urgent, aggraver une loi qui touche aux premiers besoins des populations.

Avant d’en venir là, il faudrait les écouter, les éclairer ; il faudrait leur démontrer que ce projet a pour but, non pas de porter chez elles la misère et la famine, mais d’accorder à tous une juste protection, une juste récompense de leurs travaux.C’est par des enquêtes, c’est (comme le disait l’illustre Vauban à Louis XIV), c’est en passant la revue du peuple, qu’on parvient à l’éclairer et à améliorer son sort. Ce but, vous ne l’atteindrez certes pas, en augmentant sans raison aucune (car le prix des grains est assez élevé le droit sur les céréales).

M. Eloy de Burdinne – Pour les faire manger à meilleur marché.

M. Rogier – J’attendrai la suite de cette discussion pour apprécier si la proposition d’une enquête parlementaire aurait des chances de succès. Pour le moment, soit qu’on accorde l’enquête parlementaire, soit qu’on se borne à une enquête administrative, je crois que le parti le plus simple pour la chambre serait d’ajourner la discussion du projet de loi.

En ce sens, j’appuierai la proposition de l’honorable M. Dumortier.

M. de La Coste – Je demande la parole pour une motion d’ordre.

M. Coghen – Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre vous a dit qu’en décrétant une enquête parlementaire vous seriez conséquents avec vous-mêmes. Malheureusement je ne puis en dire autant de l’honorable membre. Il s’est toujours opposé aux enquêtes parlementaires. Ce n’est que dans ces derniers temps qu’il a changé d’opinion, qu’il trouve un remède à tous les maux dans les enquêtes ordonnées par la chambre. « Ne remuons pas le pays, vous dit l’honorable membre, n’agitons pas les populations ». Et que veut-il lui-même ? Qu’on aille de ville en ville, de maison en maison (ce sont les expressions dont il s’est servi) demander à chacun ce qui lui manque, ce qu’il désire !

Ah ! messieurs, vous rencontrerez dans les populations d’autres questions que celles des céréales. Prenez-y garde : ne suscitez pas ces questions au sein du pays.

L’honorable membre s’est livré à une longue revue, rétrospective, nécessaire peut-être pour attaquer une partie de cette chambre, pour incriminer surtout le ministère, mais inutile, s’il avait voulu se placer au point de vue restreint qu’offre le projet de loi.

En 1843, nous avons saisi la chambre d’une proposition. A cette époque, nous croyions avoir les documents nécessaires pour approfondir la question, pour procéder à une révision générale, définitive de la loi sur les céréales. Depuis, nous avons reconnu que nous manquions des renseignements statistiques indispensables pour faire la révision générale de la loi sur les céréales. Nous avons entrepris de les recueillir. Nous avons annoncé à la chambre sur quel plan. Le gouvernement n’est donc pas inactif. Il a reconnu que de nouveaux documents doivent être recueillis qui, jusqu’à présent, l’avaient été, en l’absence de denrées indispensables.

L’honorable membre porte aux populations des campagnes, aux populations ouvrières des sympathies que je partage. C’est ce qui l’a engagé à rechercher la situation des populations, ailleurs que dans les campagnes. J’ai aussi fixé mon attention sur les populations de nos villes. C’est le motif pour lequel j’ai rédigé un travail sur les octrois municipaux. J’ai vu, messieurs, pour ma part, avec satisfaction, les protestations de beaucoup d’autorités communales. Je ne dirai pas précisément contre la proposition des 21, mais contre les tendances que faussement on y cherchait. J’ai vu ces protestations avec satisfaction, parce que j’espère que désormais les mêmes autorités seront aussi circonspectes lorsqu’il s’agira d’augmenter les octrois municipaux.

Ce document vous sera communiqué dans quelques temps, vous apprécierez alors le sort, la situation d es populations ouvrières que renferment nos villes ; comme vous pourrez, dans d’autres documents qui vous seront distribués, apprécier la situation des populations des campagnes. C’est le gouvernement, messieurs, qui paisiblement aura réuni ces renseignements ; il n’aura pas eu besoin d’aller éveiller peut-être d’autres questions, comme le ferait certainement une enquête de commissaires nommés directement par la chambre, je n’hésite pas à le dire.

Je vais même plus loin, messieurs, je ne repousse pas d’une manière absolue dans l’avenir des enquêtes ordonnées par la chambre. Mais il faudrait que la chambre pût utilement faire ces enquêtes. Eh bien ! je n’hésite pas à déclarer que si vous décrétez une enquête agricole, cette enquête sera impossible si le gouvernement ne voulait pas s’y associer. Si vous voulez qu’une enquête se fasse utilement, laissez le gouvernement réunir les renseignements qu’il vous a annoncés et qui seront publiés.

Le véritable fait nouveau que je dois reconnaître, que j’ai reconnu, c’est que les matériaux indispensables pour faire une révision générale et définitive sur le tarif des céréales, ces matériaux manquent. Nous les réunissons.

Aussi, messieurs, ne s’agit-il pas en ce moment de faire une loi définitive. Il s’agit de prévenir un danger qu’offre le moment, un danger que les circonstances semble rendre de nouveau imminent.On nous a accusé d’exagération. Je viens, messieurs, de signer à l’instant la mercuriale qui sera insérée dans le Moniteur de demain. J’y trouve (prix du froment) : Anvers, fr. 19 90 ; Bruxelles, fr. 19 42 ; Hasselt, fr. 20 40 ; Louvain : fr. 19 11.

Un membre – Quelle est la moyenne ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La moyenne est encore aujourd’hui de 18 fr. 20. (Interruption.)

Je vous cite les marchés où les prix ont même dépassé 20 fr. Je conviens que la moyenne pour les dits marchés régulateurs est encore aujourd’hui de 18 fr. 20 ; mais remarquez-le bien, vous avez une augmentation de huitaine et huitaine ; et certes, on peut admettre la probabilité de voir arriver le prix à 20 fr. sur un assez grand nombre de marchés et sur une quantité assez forte pour que la moyenne s’élève à 20 fr. Voilà un fait, messieurs, qu’il faut prendre en considération. La responsabilité qui retombe sur le gouvernement, qui retombe sur la chambre, ne leur permet pas de fermer les yeux sur ce fait.

Maintenant, messieurs, qu’on nous indique un remède. Nous ne sommes pas absolus.

M. Rogier – Le remède est dans le projet de 1843.

M. Delehaye – Doublez le nombre des marchés régulateurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le remède est dans le projet de 1843, dit-on ; mais le projet de 1843 comprenait une révision générale et complète de la loi de 1834.

M. Rogier – Le remède spécial s’y trouve.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le projet de 1843 avait entre autre ce but. Mais son objet principal était la révision générale et complète de la législation de 1834.

Le point de vue auquel nous nous plaçons est donc très-restreint. C’est un fait nouveau qui s’est révélé dans le pays ; c’est un danger qui frappe aujourd’hui tous les yeux.

Je sais bien, messieurs, qu’on peut je ne dirai pas tout nier, mais tout atténuer. On trouve légitimer l’opération qui s’est faite à la fin de juin 1843.

Un membre – Personne n’a dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On trouve cette opération, sinon légitime, au moins légale.

M. Osy – C’est un défaut de la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est un défaut de la loi ; eh bien ! remédions à ce défaut de la loi. Qu’on nous indique le moyen d’y remédier, qu’on nous établisse, par exemple, que l’adjonction de douze marchés régulateurs aux dix existants, que le doublement de la période, sont des mesures suffisantes ; qu’on nous le prouve, on peut entreprendre cette preuve sans se livrer à de bien longues considérations, et pour ma part, je m’en féliciterai ; que l’on nous prouve qu’il est inutile d’y joindre une autre mesure qui consiste à toucher aux droits, à mettre un droit non pas très-élevé, un droit que l’honorable membre lui-même ne considère pas comme fort important, lorsque le prix est arrivé à 20 fr., et au-delà. Qu’on nous prouve que cette dernière mesure est inutile, que les mesures précédentes (page 1612) sont suffisantes, et qu’on veuille se placer sur le même terrain que celui sur lequel nous nous plaçons. Ce terrain, je le répète, est très facile à définir. Nous ne demandons qu’une seule chose. Vous reconnaissez avec nous que la loi de 1834 renferme un danger ; indiquez le moyen de remédier à ce danger, sans faire toutefois la révision générale et complète de la loi de 1834.

M. Cogels – Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Voilà le problème et le problème est très-restreint.

Messieurs, si la chambre décidait qu’il n’y a rien à faire, qu’il faut tout ajourner, nous braverions l’avenir ; nous formerions des vœux pour que le fait qui s’est produit en 1843, ne se représente plus. Nous formerions le vœu de traverser tout cet été, sans voir le prix du froment arriver à 20 fr., et au-delà par des moyens factices.

Voilà donc, messieurs, sur quel terrain il faut ramener la question. Il y a, comme l’a di l’honorable M. Osy, un défaut dans la loi de 1834. Qu’on nous indique un moyen de corriger ce défaut. La section centrale en a indiqué un ; on le repousse ; eh bien, qu’on en indique un autre.

Je conclus donc, messieurs, en disant que l’enquête parlementaire est au moins inutile. Le gouvernement réunit les matériaux qui vous manquent pour entreprendre la révision générale et définitive de la législation sur les céréales. Je dis en second lieu que l’ajournement pur et simple offrirait ce danger, que vous laisseriez le pays devant un écueil que présente la loi de 1834. Voulez-vous que le pays, que le gouvernement reste devant cet écueil ? C’est ce que nous décidons par cette discussion.

Motions d’ordre

M. de La Coste – Messieurs, au commencement de la discussion, M. le président nous a dit que, comme le projet était en un seul article, il n’y aurait qu’une seule discussion qui porterait sur l’ensemble et sur l’article. Je demande à la chambre s’il ne me serait pas permis, après qu’on aurait épuisé cette discussion, de proposer un article additionnel relativement au tarif.

Mon intention serait de faire mien en partie l’article proposé originellement par le sénat. Je prendrais cela, je le dis franchement dans le projet du sénat comme je le prendrais dans la loi anglaise ou dans la loi française.

Je demande donc s’il me serait permis de faire ma proposition après la clôture de cette discussion. (Non ! Non !)

Plusieurs membres – Faites-le maintenant.

M. Cogels – Messieurs, l’article unique du projet de la section centrale renferme des dispositions essentiellement distinctes sur lesquelles il me paraît qu’il est impossible de ne pas avoir une discussion séparée. (Non ! Non !) Messieurs, la division est de droit dans le vote ; mais il me semble qu’elle doit avoir lieu dans la discussion. Car on peut fort bien admettre l’augmentation du nombre des marchés régulateurs et combattre l’augmentation du tarif.

M. Malou, rapporteur – Je ne puis, messieurs, me rallier à l’observation que vient de présenter l’honorable préopinant. On a joint la question d’ajournement à la discussion générale et on a parfaitement bien fait. Pour le vote il y aura division ; mais l’article de la section centrale est une pensée et il faut discuter cette pensée dans son ensemble. Il ne faut donc pas diviser la discussion.

M. de La Coste – D’après ce qui a été dit, je demanderai la permission de présenter mon amendement. (Oui ! oui !)

M. Dumortier – Messieurs, j’aurai aussi une proposition à faire à l’assemblée ; elle sera bien simple.

L’honorable M. de a Coste vient de vous dire que son intention était de reprendre une partie de la proposition du sénat. De mon côté mon intention est aussi de reprendre une partie de la proposition du sénat, c’est celle relative au délai fixé pour l’entrée et la sortie des céréales. J’examinerai aussi si je n’ai pas à reprendre la proposition des 21 membres relativement aux chiffres, à moins que la chambre n’écarte du projet qui est maintenant en discussion tout ce qui est relatif aux chiffres et se borne à augmenter le nombre des marchés régulateurs. Mais dans cet état de choses je dois regretter de voir que la section centrale n’a pas donné dans son rapport l’analyse des travaux des sections relativement à la proposition des 21 membres, et je désirerais que pour demain la section centrale pût faire imprimer cette analyse, afin que chacun puisse voir ce qui a été demandé dans chaque section.

Ainsi, dans notre section nous avions présenté une proposition dont je n’ai point trouvé l’analyse dans le rapport de la section centrale ; dans une autre section l’on avait présenté une échelle différente de celle qui est établie par la loi de 1834, le rapport ne fait pas non plus mention de cette proposition.

M. Malou, rapporteur – Je tiens à la disposition de l’honorable membre les procès-verbaux des sections, et les procès-verbaux ne renferment pas une seule observation qui n’ait été analysée dans le rapport de la section centrale. L’honorable membre pourra d’autant mieux s’en assurer, qu’à mesure que j’analysais une observation, j’avais soin de faire un trait en marge dans le procès-verbal. Je le répète, il n’est pas une seule observation qui ait été omise.

M. Osy – M. le ministre de l'intérieur vient de vous communiquer les mercuriales de la semaine der, qui lui font croie que bientôt le prix moyen atteindra 20 fr. Je partage, messieurs, cette opinion ; je crains une hausse très-forte sur le prix des grains, car je sais qu’il ne se trouve presque rien dans le pays. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de nous communiquer l’état des grains qui se trouvent dans les entrepôts du pays. Je le répète, je crains que nous n’ayons cette année des prix très-élevés, non pas factices mais réels, car on ne peut rien tirer de l’étranger.

M. Eloy de Burdinne – Je demande qu’on voie aussi ce qui se trouve dans les greniers des marchands.

- Sur la proposition de M. le ministre de l'intérieur, la chambre décide qu’elle se réunira demain à 11 heures.

La séance est levée à 4 heures ¾.