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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 décembre 1845
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétitions relatives à la construction du chemin de fer (Rodenbach), à l’organisation de la poste aux chevaux (de Renesse, d’Hoffschmidt),
avis des chambres de commerce sur les entrepôts francs (de
Haerne, Malou, Desmet, Rodenbach, Malou)
2) Rapport sur des pétitions
relatives, notamment, aux servitudes de halage (Pirson, d’Hoffschmidt), à l’organisation des examens universitaires
(Zoude, de Haerne, Manilius, Fleussu, de Garcia, Fleussu, Delehaye, Dumortier, Delehaye, de Theux), à la construction
d’une route et à l’entretien de la chaussée romaine (Eloy de
Burdinne, de Theux, d’Hoffschmidt,
Eloy de Burdinne, d’Hoffschmidt,
Eloy de Burdinne)
3) Motion d’ordre relative à
l’adjudication d’un marché militaire, excluant certaines communes de la
livraison de toiles de lin (de Roo, Rodenbach,
de Haerne, Malou)
4) Motion d’ordre relative à
la réorganisation de l’académie des sciences et des belles-lettres de Bruxelles
(Dumortier, Malou, Dumortier, de Garcia, Vanden Eynde, Malou, Dumortier, de Theux, Vanden Eynde, Mercier)
5) Projet de loi portant des
modifications au code pénal en matière d’atteinte aux mœurs et de réglementation
de la prostitution (Devaux, d’Anethan,
Devaux, d’Anethan, Liedts, Malou, de
Theux, Devaux)
6) Projet de loi relatif aux
entrepôts. Politique commerciale du gouvernement et entrepôts francs (Malou, Lys, Malou,
Donny, Dumortier, Manilius, Malou)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 175) M.
Huveners fait l'appel nominal à une heure.
M.
Albéric Dubus lit le procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est
approuvée.
M.
Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«
Le sieur Geest, propriétaire à Roulers, réclame l'intervention de la chambre
pour obtenir le payement de ce qui lui revient, du chef d'une emprise faite par
l'Etat pour l'établissement du chemin de fer vers la frontière de France. »
M.
Rodenbach. - J'ai entretenu M. le ministre des travaux publics de la réclamation
du pétitionnaire; M. le ministre m'a informé qu'il s'était occupé de cet objet
; et il est probable qu'à l'heure qu'il est. le sieur Geest a reçu une réponse
satisfaisante; cependant, dans le doute, puisqu'il a cru devoir s'adresser à la
chambre, je demande que sa pétition soit renvoyée à la commission.
-
Le renvoi à la commission des pétitions est ordonné.
«
Les sieurs Picton, Leleur et autres délégués des maîtres de poste demandent une
loi sur la poste aux chevaux. »
M.
de Renesse. - Je saisirai cette occasion pour demander à M. le ministre des
travaux publics s'il croit pouvoir prochainement exécuter la promesse faite par
son prédécesseur, de nous présenter un projet de loi pour régler les relais de
poste.
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). - La chambre se rappellera que quand elle a prononcé l'ajournement des
propositions relatives à la poste aux chevaux, cet ajournement n'a pas été
indéfini. Par suite de ce qui s'est passé, mon honorable prédécesseur a nommé
une commission qui a été chargée de préparer les bases d'un projet nouveau pour
le présenter à la chambre. Cette commission a terminé son travail, je
l'examinerai, et je pense que je pourrai prochainement présenter un projet de
loi de réorganisation de la poste aux chevaux.
-
La pétition du sieur Picton est renvoyée à la commission des pétitions.
M. le
ministre des finances (M. Malou). a déposé les rapports des chambres de commerce
sur les entrepôts de commerce. Ils resteront déposés sur le bureau pendant la
discussion.
M.
de Haerne. - Je crois qu'il y a une omission dans les pièces déposées, car l'avis
envoyé par la chambre de commerce de Courtray ne s'y trouve pas. Je désirerais
qu'il fût également déposé.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - J'ai fait réunir tous les rapports qu'on a pu trouver
dans les dossiers pour les déposer sur le bureau.
M.
Desmet. -
J'appuie la demande de l'honorable M. de Haerne; il est essentiel de connaître
l'avis de la chambre de commerce de Courtray qui est contraire au projet de loi
présenté.
M.
Rodenbach. - Les chambres de commerce de Gand, de Brruges et de Courtray ont émis
un avis contraire au projet de loi sur les entrepôts; les pièces qui le contiennent
doivent se trouver, il faut faire des recherches; car il est indispensable que
nous connaissions l'opinion de nos chambres de commerce, avant de voter
l'article 13 qui est le plus important de la loi.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - J'ai fait faire un inventaire des pièces que
j'ai déposées, j'en ai le double, et le rapport de la chambre de commerce de
Courlray s'y trouve mentionné. Je suppose qu'un membre de la chambre l'aura
pris pour le consulter. D'ailleurs, la chambre de commerce de Courtray a publié
son opinion dans une brochure; j'en ferai déposer un exemplaire sur le bureau.
RAPPORTS SUR DES PETITIONS
M. le
président. - La chambre a demandé un prompt rapport sur plusieurs pétitions. M.
de Corswarem a la parole pour présenter ces rapports.
M.
de Corswarem, rapporteur. - « La dame Foulon, veuve Evrard, demande la
révision de l'ordonnance de 1669, sur les servitudes riveraines.»
«
Plusieurs habitants et propriétaires de terrains riverains de la Meuse, dans la
province de Namtir, demandent la révision de l'ordonnance de 1669, sur les
chemins de halage. »
Votre
commission vous propose de renvoyer ces deux pétitions à MM. les ministres de
la justice et des travaux publics.
M.
Pirson. -
Je crois qu'il sera plus opportun de discuter les questions que soulèvent ces
pétitions lorsque nous nous occuperons du budget des travaux publics; je me
réserve de prendre alors la parole sur ces questions, mais si on ordonne dès à
présent le renvoi proposé, je prierai M. le ministre de faire examiner ces
pétitions avec le soin qu'elles comportent.
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). - Je pense, en effet, que ce n'est pas à propos d'une pétition qu'il
convient de discuter les questions importantes que soulève la réclamation dont
on vient de vous entretenir. Je ferai examiner avec soin les pétitions sur
lesquelles on vient de vous faire un rapport, et je serai prêt, lors de la
discussion de mon budget, à répondre à toutes les observations qui pourront
être présentées.
-
Le double renvoi proposé est ordonné.
_________________
M.
de Corswarem, rapporteur. - « Le conseil communal de Bommershoven
demande la construction du chemin de fer d'Ans à Hasselt par Tongres. »
« Même
demande est faite par les habitants de la commune de Nederheim. »
Toutes
les demandes en construction de chemin de fer présentant un intérêt général, la
commission propose le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux
publics.
-
Ce renvoi est ordonné.
M.
Zoude, autre rapporteur de la commission des pétitions. - « Les étudiants en droit de
l'université de Louvain demandent que la disposition qui a suspendu l'exécution
de l'article 51 de la loi sur l'enseignement supérieur, soit prorogée
jusqu'après la révision de cette loi. »
«
Les candidats en droit de l'universiié de Liège demandent la révision de la loi
du 27 septembre 1835, sur l'enseignement supérieur, et prient la chambre de
proroger, en attendant, la loi transitoire du 27 mai 1837. »
«
Les étudiants en droit de l'Université de Gand demandent que la disposition qui
suspend l'exécution de l'article 31 de la loi du 27 septembre 1835, soit
prorogée jusqu'en 1848. »
«
Les étudiants en droit de l'université de Bruxelles ont fait la même demande. »
Les
élèves en droit des quatre universités du royaume viennent prier la chambre de
vouloir proroger jusqu'en 1848, les dispositions de la loi de 1835, qui
prescrivent l'examen sur des matières dont ils ont été dispensés par des délais
successifs que la législature leur a accordés jusqu'ici.
Les
pétitionnaires invoquent l'époque de 1848 dans l'espoir que d'ici lors, la
chambre pourra consacrer quelques moments de loisir pour s'occuper de la
question de savoir s'il y a lieu à réviser des dispositions dont l'abrogation
est vivement sollicitée par les élèves, leurs professeurs et les membres du
jury d'examen tout à la fois.
Il
parait en effet évident aujourd'hui que les auteurs de cette loi n'ont pas
suffisamment apprécié les forces humaines qui physiquement comme mentalement ne
peuvent excéder certaines bornes ; d'un côté est l'espoir fondé d'obtenir des
connaissances solides, au-delà il est à craindre qu'on ne recueille que des
connaissances superficielles.
Une
observation faite par les élèves d'une université, a particulièrement frappé
votre commission, c'est que déjà sans l'addition des cours dont on demande
l'ajournement ou plutôt la suppression, il est peu d'élèves en droit qui aient
obtenu le doctorat avec la plus grande distinction, tandis qu'en médecine, il
n'y a presque pas de session où de pareils diplômes ne soient accordés, et même
dans les diverses branches médicales tout à la fois; cependant, comme l'a dit
le prince de la médecine, la vie est courte pour une science, si longue à
acquérir.
On se plaît cependant à reconnaître que les écoles
de droit comptent parmi leurs élevés bon nombre de jeunes gens, doués d'une
grande intelligence et bien studieux en même temps; ce qui est à nos yeux un
grand argument pour écarter des examens les nouvelles matières, dont l'étude
n'a pas été nécessaire pour doter le barreau de jurisconsultes du premier
mérite el la magistrature d'hommes éminemment instruits.
Par
ces diverses considérations, votre commission a l'honneur de vous proposer le
renvoi de ces pétitions au département de l'intérieur.
M.
de Haerne. - Cet objet est très intéressant, car dans les diverses universités
l'opinion s'est accréditée que les examens pour le doctorat en droit étaient
réellement impossibles. Je crois cette opinion partagée par un grand nombre de
membres des chambres ; je pense donc qu'il faut prononcer dès à présent le
renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec demande
d'explications, afin de faire sortir les élèves d'une incertitude préjudiciable
aux bonnes éludes, car on ne sait à quoi s'en tenir; on ne sait si l’on doit se
préparer aux examens d'après la loi existante ou d'après la loi qui doit être
mise en vigueur en 1846, ce qui, je le répète, nuit beaucoup aux bonnes études.
Vous savez quel zèle met M. le ministre de
l'intérieur dans tout ce qui regarde l'instruction publique ; je crois donc
qu'il s'empressera de satisfaire à noire demande.
M.
Manilius. - Dans une matière aussi grave, une simple lecture ne suffit pas pour discuter;
je propose l'impression du rapport et la mise à l'ordre du jour pour une séance
déterminée.
M.
Fleussu. - C'esl l'observation que je voulais faire.
M. le
président. - Il vient d'être fait une proposition d'imprimer le rapport et les
pétitions qui s'y rattachent.
-
La chambre, consultée, ordonne cette impression.
(page 176) M. le président. - A quand veut-on en
fixer la discussion?
M. de Garcia. - A la discussion du
budget de l'intérieur.
M. le
président. - Le rapport sur le budget des voies et moyens ne pourra être déposé
que le 14; de sorte qu'après la loi sur les entrepôts, nous aurons une ou deux
séances blanches. Veut-on fixer la discussion du rapport qui vient d'être fait
après le vote de la loi sur les entrepôts de commerce ?
M.
Fleussu. - Il conviendrait, ce me semble, de consulter M. le ministre de
l'intérieur , sur le jour où il pourra être prêt pour cette discussion.
M.
Delehaye. - Si on ordonnait le renvoi avec demande d'explications, M. le
ministre de l'intérieur exposerait ses vues ; nous déciderions ensuite, s'il y
a lieu d'ouvrir une discussion. Je crois ne pas trop présumer en disant que M.
le ministre de l'intérieur est d'avis que la loi doit être modifiée ; si la
chambre est également de cet avis, la discussion aurait lieu naturellement
quand ces modifications seraient proposées à la chambre. Toute discussion,
avant ces propositions, serait sans utilité.
M.
Dumortier. - Il faudrait que M. le minisire de l'intérieur nous prévînt du jour
où il se propose de donner ses explications.
On me
dit : Ces explications seront données par écrit;elles peuvent être données
verbalement.
Cette
question est si grave, si importante, qu'il est nécessaire qu'un examen
approfondi puisse avoir lieu sans retard. Il faut que la jeunesse qui fréquente
les universités sache quelle sera la matière des examens, pour les examens
prochains. Je pense qu'il vaudrait mieux renvoyer la discussion à l'époque
indiquée par M. le président. Le ministre sera averti par ce qui se passe en ce
moment; s'il ne juge pas à propos de présenter des modifications à la loi sur
le haut enseignement, chacun de nous pourra en proposer.
M.
Delehaye. - On satisfait à toutes les exigences en faisant imprimer le rapport
et les pétitions avec demande d'explications. Le jour où ces explications
seront données, nous prendrons une décision sur la question de savoir s'il y a
lieu d'ouvrir une discussion. Si M. le ministre annonce que des modifications
seront proposées à la loi de 1835, il sera inutile d'ouvrir une discussion sur
cet objet avant la présentation de ces modifications. En un mot, quand M. le
ministre nous aura fait connaître sa pensée, mous verrons s'il faut discuter
immédiatement cette question ou en renvoyer la discussion à un autre jour.
M. de Theux. - Il vaut mieux, je
pense, fixer un jour pour la discussion du rapport; nous verrons sur les
explications que donnera M. le ministre de l'intérieur s'il y a lieu de donner
une autre suite à la pétition.
-
La chambre, consultée, renvoie la discussion du rapport de la commission des
pétitions dont il s'agit, après le vote de la loi sur les entrepôts de
commerce.
_________________
M.
Zoude, rapporteur. - « Plusieurs habitants de Houtain-l’Evêque et de Walsbetz présentent
des observations en faveur de la route de Hannut à Landen, décrétée par arrêté
royal du 25 mars 1840 et demandent qu'on mette au plus tôt en adjudication les
travaux de construction de cette route. »
«
Même demande de plusieurs habitants de Warnant, Racour, Opheylissem,
Neerheylissem et Linsmeau.»
«
Plusieurs habitants de Landen demandent la construction de la route de Hannut à
Landen, décrétée par arrêté royal du 25 mars 1840 ou modifiée par la direction
sur Lincent. »
Les
pétitionnaires demandent la prompte exécution d'une route décrétée par arrêté
royal du 25 mars 1840.
Ils
la demandent avec une instance d'autant plus pressante que la classe ouvrière
est menacée d'une plus grande misère. En effet, disent-ils, la récolte de
betterave a été médiocre cette année, ce qui rendra la fabrication de sucre
d'une courte durée et, par suite, réduira de beaucoup un travail ordinairement
long et lucratif.
Votre
commission croit devoir vous proposer le renvoi de ces pétitions au département
des travaux publics.
M. Eloy de Burdinne. - Tout en appuyant les
pétitions des habitants de Landen et autres communes qui demandent la
construction immédiate d'une route de Hannut à Landen, je ferai d'abord
remarquer qu'il ne s'agit pas ici de demander au gouvernement la construction
d'une route nouvellement conçue ; cette route est décrétée depuis plus de cinq
ans. Par différentes circonstances, l'exécution en a toujours été ajournée. Si
cependant le gouvernement avait été bien pénétré de l'utilité et des avantages
de cette route, je crois que depuis longtemps elle serait exécutée.
Remarquez-le, cette route donnera un affluent au chemin de fer par Landen ;
toute la haute Hesbaye qui correspond avec Gand, Anvers, Bruxelles, Bruges,
Ostende et Louvain, retire maintenant ses marchandises; tous les voyageurs qui
reviennent par le chemin de fer ou qui vont dans l'intérieur du pays
abandonnent ou prennent le chemin de fer à Tirlemont, parce qu'il y a une route
de Huy à Tirlemont. En descendant à Tirlemont, les voyageurs payent 1 franc de
moins que gagnera le chemin de fer, s'ils vont jusqu'à Landen. 11 en sera de
même pour les marchandises qui donneront une augmentation considérable aux
produits du chemin de fer.
Les
produits que le gouvernement retirera en plus du chemin de fer donneront un bel
intérêt de la dépense demandée.
N'est-il
pas bien urgent en ce moment de faire gagner du pain à la classe ouvrière?
Toutes nos localités n'ayant aucuns travaux, pendant la période f'hiver, c'est
un moyen pour elles de gagner leur subsistance, tout en plaçant de l'argent à
un intérêt très élevé. C'est principalement aux travaux à exécuter qu'on doit
donner la préférence, comme moyen de secours.
Nous
ne devons'pas nous le dissimuler, la classe ouvrière a besoin d'être employée
pendant l'hiver.
Je
prie la chambre de se joindre à moi pour engager M. le ministre des travaux
publics à faire mettre en adjudication, dans le plus bref délai possible, cette
route, qui est décrétée depuis plus de cinq ans.
Puisque
j'ai la parole, j'appellerai aussi l'attention de M. le ministre des travaux
publics et de M. le ministre de l'intérieur sur un autre fait.
Vous
savez qu'une route nommée la Chaussée des Romains, allant de Tongres vers la
France,lraverse presque partout des routes qui seraient un affluent pour le
chemin de fer, si cette route était dans un bon état de viabilité. La province
de Liège a fait de grands sacrifices pour remettre cette route en bon état ; mais
la charge est trop forte pour ses moyens ; il faut que l'Etat vienne à son
secours. La province a fait des dépenses pour environ 46,000 francs; mais si
l'on ne vient à son secours , elle ne pourra de longtemps rétablir cette belle
route aujourd'hui dégradée, qui doit être considérée comme un chemin vicinal de
première classe et d'une utilité générale pour cinq provinces.
L'exemple
donné par la province de Liège déterminera les autres provinces à en faire
autant. Vous aurez une bonne route traversant les chaussées de l'Etat dans cinq
provinces, et qui donneront une communication facile à toutes les populations
qui sont à portée de cette chaussée romaine et qui facilitera
l'approvisionnement de nos villes.
Vous savez que la Chaussée des Romains est un monument,
et que les monuments sont pris aujourd'hui en considération par le
gouvernement. La Chaussée des Romains est le plus ancien de nos monuments. Il
mérite l'attention du gouvernement et des chambres. Ce sera d'ailleurs un grand
avantage pour le pays. C'est pourquoi je demanderai que le gouvernement vienne
au secours de la province de Liège, afin de la mettre à même de pouvoir achever
la restauration de cette route. Ce n'est pas une route provinciale ; c'est une
route de grande communication; mais elle est considérée comme un chemin vicinal
d'un grand intérêt pour la majorité des provinces qu'elle traverse.
En
joignant le concours de l'Etat à ceux des communes et des provinces, on donnera
de l'ouvrage à la classe ouvrière qui en a besoin; ce que nous devons chercher
par tous les moyens possibles, et particulièrement en accordant aux provinces
des subsides comme on en accorde aux communes rurales pour la restauration des
chemins vicinaux de grande communication.
M. de Theux. - Je ne veux pas
contester l'utilité de la route vers Landen, ou vers Gingelom. Je dis vers
Gingelom, parce que cette direction a été spécialement réclamée par le conseil
provincial de Limbourg, et, je crois, appuyée par le conseil provincial deNamur.
Je sais qu'il est survenu un changement par suite de l'établissement d'un
chemin de fer de Landen à Hasselt. Toutefois comme la province de Limbourg et
les localités, notamment Saint-Trond, offrent des subsides considérables pour
la direction de Gingelom, je prie M. le ministre des travaux publics, avant de
prendre une décision, de porter son attention sur les réclamations relatives à
la direction de la route.
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). - Je ne viens pas non plus contester l'utilité de la route demandée
par l'honorable M. de Burdinne. Celle utilité est incontestable; mais
l'honorable membre sait qu'il y a eu des réclamations en faveur d'un autre
tracé, celui de Hannut à St-Trond. Par suite de ces réclamations, un nouvel
examen a eu lieu, et M. l'ingénieur en chef Groetars a présenté un projet qui
tend à concilier les divers intérêts. Ce projet est à l'étude, les ingénieurs
en chef des deux provinces sont chargés de la levée des plans dès que les
études seront terminées, et que les plans me seront remis, je prendrai une
décision sur cette question.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne couleste pas non
plus l'utilité du tracé qu'a indiqué l'honorable comte de Theux. J'ai pour
principe que toute communication est utile, qu'on ne peut trop en avoir.
Quant
à l'étude d'une nouvelle route dont MM. les ingénieurs s'occupent et dont a
parlé M. le ministre des travaux publics, il y a quatre ans qu'on nous fait la même
réponse. Si on continue ainsi, il n'y a pas de raison pour qu'à la fin de ce
siècle, cette route soit exécutée. Il est certain que depuis quatre ou cinq ans
on a eu tout le temps nécessaire pour se fixer sur le meilleur tracé et lui
donner la préférence.
Il
y a urgence. Il faut se presser de mettre les travaux en adjudication afin que,
pendant l'hiver, on puisse s'occuper de terrassements, puisque pendant l'hiver
il n'y a pas d'autres ouvrages possibles. N'arrêtons pas les travaux publics ;
cherchons, au contraire, à les mettre immédiatement en activité afin de
procurer de l'ouvrage à nos populations.
M. le ministre des travaux publics (M.
d’Hoffschmidt). - Je ferai remarquer seulement à l'honorable membre, en réponse à ce
qu'il vient de dire, que ce n'est pas depuis cinq ans que le projet a été
présenté, que c'est au mois de mars de cette année même que M. Groetars, cédant
au désir manifesté dans plusieurs conseils provinciaux, a proposé une direction
nouvelle.
J'ajouterai
que l'enquête qui avail ete faite précédemment était en faveur de la direction
proposée vers Samt-Trond; par conséquent la direction décrétée en 1840, devant
être modifiée, elle doit faire l'objet d'études nouvelles dont on s'occupe
maintenant.
J'ai
lieu de croire que les études me seront bientôt remises et que je pourrai ainsi
examiner quels sont les moyens de répondre au désir manifesté par l'honorable
membre, désir qui est aussi le mien, de donner, autant que possible et dans les
limites du budget de mon département et des ressources que je pourrai demander
à la législature, du travail à la classe ouvrière.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne fais aucun
reproche à M. le ministre (page 177)
des travaux publics; je le remercie même de ses bonnes intentions. Mais j'ai
cru devoir faire remarquer que tous les prédécesseurs de M. le ministre, et
entre autres l'honorable M. Dechamps, m'ont fait la même réponse, à savoir que
la question était à l'étude.
MOTION D’ORDRE
M. de Roo. - Je lis dans la feuille que
je tiens en main (l'Emancipation du 4
décembre),que M. le ministre de la guerre vient de faire une adjudication assez
importante de pièces de toile pour le besoin de l'armée en 1846 : elle monte à
environ 3,000 pièces. Ce qui m'étonne, messieurs, c'est que M. le ministre a
stipulé, dans le contrat relatif à celte adjudication, que toutes ces toiles
devraient provenir exclusivement des marchés d'Ath, Courtray, Audenarde et
Bruges; c'est donc un privilège établi en faveur de ces villes, à l'exclusion
de tous les autres marchés du pays parmi lesquels il y a des marchés bien plus
considérables;que ceux indiqués !
Ces communes ont d'autant plus le droit de se
plaindre d'une telle mesure, que les villes désignées se trouvent déjà
favorisées, par le gouvernement, chacune d'une garnison, et que, d'un autre
côté, le commerce de toiles, en:général, a compté beaucoup sur le débouché intérieur,
puisque celui à l'extérieur lui fait défaut et se.trouve encore journellement
menacé davantage; que, par le fait du ministère, leur espérance se trouve ainsi
déçue, ce qui légitime les plaintes de l'industrie et notamment des communes
dont le marché est exclu.
Je
demande donc que le ministère mette plus d'équité dans l'exécution de ses
adjudications, et n'exclue pas, entre autres, le plus important marché de
toiles du pays, le marché de Thielt, dont le district est le plus en
souffrance, par suite de la décadence de l'industrie linière et où on réclame
le travail, sans cesse, qui ne peut exister que par l'écoulement de leurs
produits.
M.
Rodenbach. - Messieurs, j'appuie fortement la motion d'ordre de l'honorable député
de Thielt. J'ajouterai que l'on ne doit pas avoir deux poids et deux mesures.
Je ne vois donc pas pourquoi M. le ministre de la guerre exclut, dans son
arrêté, la ville de Thielt et la ville de Roulers. Le marché de Roulers,
messieurs, est pour ainsi dire aussi important que celui de Courtray; il vient
hebdomadairement au marché de Roulers autant de toiles faites avec du fil filé
à la main qu'il en vient à Courtray.
L’arrêté
de M. le ministre de la guerre ne doit exclure aucun marché du pays. Je n'ai jamais
vu qu'en France, lorsqu'on annonçait une adjudication de toiles indigènes, on
déterminât les marchés où ces toiles devaient être achetées.
M.
de Haerne. - Messieurs, j'appuie .également la motion d'ordre de l'honorable M.
de Roo.
M.
Manilius. - Je demande la parole.
M.
Desmet. -
Je la demande aussi.
M.
Fleussu. - Je la demande pour une motion d'ordre.
M. de
Haerne. -
Je pense aussi qu'il faut de la justice distributive en matière d'adjudication,
surtout lorsqu'il s'agit de produits du pays.
Je
ferai cependant use observation; c'est,que tous les marchés du pays ne
présentent pas les mêmes qualités de toiles. Et il faudrait savoir si, dans
l’adjudication dont on parle , les qualités de toiles dont on a besoin sont
celles qui se vendent sur les marchés pour lesquels on reclame. Il serait
possible que, dans une adjudication ultérieure, on recourût exclusivement au
marché de Thielt. Et certes i il n'y aurait rien à redire ; c'est qu'on aurait
besoin des toiles de Thielt. Du reste , je pense que c'est l'affaire des
adjudicataires.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la discussion qui s’engage et qui
menace d'être longue, porte tout entière sur un article de journal qui n'a
aucun cachet officiel. La discussion porterait sur ce que j'appelle une
hypothèse; car il n'est, je pense, aucun de vous qui admette que tout ce qui se
trouve dans les journaux est parfaitement exact.
Dès
lors la discussion qui a eu lieu jusqu'ici suffit pour que mon collègue puisse
examiner ou rectifier même s'il y a lieu, l'erreur, qui aurait été commise par
le journal dont il s’agit.
Je
demande donc, dans l'intérêt des travaux de la chambre, que l'on borne là cette
discussion. Il est d'ailleurs impossible qu'elle ait un résultat en l'absence
de renseignements officiels sur les faits et sur les motifs, si tant est que
les faits soient exacts. (La clôture! la
clôture!)
-
La clôture de la discussion sur la motion d'ordre de M. de Roo est mise aux
voix et prononcée.
MOTION D’ORDRE
M.
Dumortier. - Messieurs, vous avez dû voir, dans le Moniteur d'hier, une longue série
d'arrêtés inattendus relatifs à ce qu'on appelle la réorganisation de
l'Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles, de la première
institution scientifique du pays. J’ai été, quant à moi, étrangement surpris en
voyant ces disposition prises à l'insu de l'Académie, et auxquelles j'étais
loin de m'attendre, alors surtout que la chambre est saisie d'un projet de loi
sur la matière, et sur lequel il a été fait rapport ; alors encore que la
chambre a décidé, par la prise en considération, qu'elle se réservait l'examen
de celte matière.
D'après
cette série d'arrêtés, l'Académie, messieurs, me parait traitée avec fort peu
de ménagements, et il me semble douteux que ses travaux s'amélioreront par
suite des mesures qui ont été prises.
Loin
de moi la pensée d'élever des plaintes contre la création d'une classe des
beaux-arts, que j'avais sollicitée depuis longtemps dans cette enceinte; nos
illustrations artistiques ont droit a être réunies en corps savant. Mais je
pense que les mesures qui viennent d'être prises, blessantes et inconvenantes
dans la forme, sont nuisibles à la bonne organisation de la société.
J'ajouterai que, déjà deux fois, l'Académie des sciences a eu à examiner cette
question soulevée par l'initiative d'un de ses membres, et que, chaque fois, a
une majorité de près de deux tiers de ses membres, elle a repoussé le système
qui se trouve aujourd'hui dominer dans les arrêtés auxquels j'ai fait allusion.
Jugez
par là comment ce coup d'Etat doit être accueilli par l'Académie. J'ajouterai
en outre, messieurs, que la commission royale d'histoire, dont les travaux sont
si dignes d'éloges, est également frappée et paraît aussi être absorbée.
Je désirerais avoir du gouvernement des
explications sur tous ces faits. Dernièrement en France, messieurs, pour
quelques mots retranchés dans un programme scientifique , loute la presse
française s'est émue. Ici, lorsqu'on frappe le premier corps savant du pays, un
corps dont les travaux lui ont acquis une célébrité que je puis dire
européenne, il est de notre devoir d'examiner jusqu'à quel point le
gouvernement a eu raison en portant la main sur une institution qui marchait
parfaitement bien, qui mérite tous les éloges, et surtout en faisant pareille
chose sans avoir consulté le corps scientifique dont il s'agit. Il me parait
qu'agir de la sorte, c'est montrer bien peu d'égards, bien peu de convenances
envers le premier corps savant du pays, envers un corps qui, par ses travaux et
les services qu'il a rendus à la science et aux lettres, n'avait pas mérité d'être
traité d'une manière aussi cavalière et dégagée. Je demande donc au
gouvernement des explications sur les arrêtés dont je viens de parler.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je regrette que l'honorable préopinant n'ait pas
attendu que M. le ministre de l'intérieur, fût présent. II y avait pour cela
plusieurs motifs. C'est à lui qu'appartient la mesure que l'on critique; c'est
lui seul qui peut répondre convenablement, et je ne doute pas qu'il ne soit en
mesure de le faire.
Je
prie donc l'honorable préopinant de bien vouloir ne pas donner suite à cet
incident, jusqu'à ce que mon honorable collègue puisse lui répondre.
On
peut d'ailleurs rattacher l'examen de cet acte à la discussion du budget de
l'intérieur. C'est lors de la discussion des budgets que l'on a l'habitude
d'examiner les actes du gouvernement.
Il est certain que si nous nous écartions des
précédents de la chambre; si, par des motions d'ordre, nous voyions sans cesse
le véritable ordre du jour fuir devant nous; si l'on soumettait à une
discussion immédiate tous les actes du gouvernement, même lorsque le ministre
qui les a posés ne se trouve pas présent, nos travaux deviendraient
impossibles.
J'ajouterai,
comme me le fait remarquer un honorable membre, que les observations de
l'honorable M. Dumortier ne sont pas même une motion d'ordre, puisqu'il ne
présente aucune conclusion.
M.
Dumortier. - Je ne puis consentir à la remise que demande M. le ministre des
finances; et le motif en est très simple, c'est que, d'après les arrêtés
publiés dans le Moniteur d'hier, l'Académie fractionnée doit se réunir
immédiatement pour l'exécution des arrêtés; par conséquent, on arriverait
tardivement, si l'on ajournait la question au budget de l'intérieur.
M. de Garcia. - C'est votre opinion ;
ce n'est pas celle de l'Académie.
M.
Dumortier. - Je crois que je suis aussi croyable que l'honorable membre qui
m'interrompt, et je ne souffrirai pas que l'on dise que ce n'est que mon
opinion que je présente, lorsque je déclare que c'est celle du corps auquel
j'ai l'honneur d'appartenir, et que ce corps a exprimé son opinion par un vote.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Il peut en changer.
M.
Dumortier. - C'est autre chose : bien des gens se soumettent à des faits qu'ils
déplorent, mais on ne peut pas dire que c'est une opinion privée que j'émets
lorsque je déclare que c'est celle de l'Académie.
Messieurs,
j'ai soulevé une question de légalité. J'ai demandé si lorsque la chambre est
saisie d'un projet de loi sur lequel un rapport a été fait (et le président de
la commission était M. de Theux et le rapporteur M. Ernst, deux hommes très
compétents en semblables matières), il était permis à un ministre de venir
ainsi, sans consulter le pouvoir législatif, régler, par des arrêtés royaux,
une matière dont il était saisi.
En second lieu, j'ai parlé de la question de
convenance. J'ai demandé s'il était convenable qu'un corps scientifique qui
fait l'honneur et la gloire du pays, fût ainsi frappé brutalement sans avoir
été consulté. Je ne le pense pas.
Je
regrette que M. le ministre de l'intérieur soit absent; mais comme l'Académie
doit être convoquée dans quelques jours, que même demain il y aura convocation,
j'ai dû présenter mes observations dès aujourd'hui. Ce sera au moins une
protestation de ma part contre un acte dont l'inconvenance ne saurait être
justifiée.
M.
Vanden Eynde. - Messieurs, quand j'ai vu les arrêtés qui ont paru hier, une question
a surgi dans mon esprit. Je me suis demandé si le gouvernement du roi avait le
pouvoir de porter ces arrêtés sans une loi préalable. Je ne vous dirai pas mon
opinion sur cette question; mais je la crois très grave, et, selon moi, il
existe beaucoup de doutes sur la légalité de ces arrêtés.
J'apprends
que l'Académie doit s'assembler sous peu, pour l'exécution de ces arrêtés. Je
demande, messieurs, qu'avant que ces arrêtés soient mis à exécution , ils
soient examiués par la chambre. Je ne m'oppose pas a ce que cet examen soit
renvoyé a la discussion du budget de l'intérieur; mais je voudrais que le
gouvernement nous déclarât que jusqu'à ce que cette discussion ait eu lieu, il
suspendra l'exécution des arrêtés.
(page 178)
Messieurs, je demande que le bureau veuille faire imprimer le projet de loi qui
avait été présenté . la réorganisalion de l'Académie, ainsi que le rapport de
l'honorable M. Ernst, et qu'il les fasse distribuer aux membres qui ne
faisaient pas partie de la chambre lorsqu'ils ont été présentés. L'examen de
ces pièces nous mettra à même d'examiner ultérieurement les arrêtés publiés
hier.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je dois exprimer de nouveau mon regret de ce
que les honorables préopinants veulent continuer cette discussion en l'absence
de M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.)
Ce n'est pas notre faute ! Je suis convaincu que ce n'est pas la sienne non
plus. Hier, mon honorable collègue est venu à la chambre ; il était indisposé;
je ne l'ai pas vu ce matin, mais je suppose que c'est la même cause qui l'a
empêché de se rendre à la séance d'aujourd'hui.
Je demande, messieurs,
qu'on ajourne toute discussion sur l'objet dont il s'agit jusqu'à ce que M. le
ministre de l'intérieur puisse être présent.
Je
fais un appel à la justice de la chambre; un acte de mon collègue est mis en cause
: j'ignore, et je dois naturellement ignorer, quels sont les motifs qui l'ont
porte à prendre les dispositions de cet acte , qu'il pourra sans doute aisément
justifier.
M.
Dumortier. - Je consens à attendre l'arrivée de M. le ministre de l'iniéneur.
M. de Theux. - M. le ministre de
l'intérieur se rendra à la séance lorsqu'on discutera le rapport sur les
pétitions des élèves des universités. A la suite de cette discussion, l'on aura
l'occasion de reproduire les observations qui ont été faites relativement à
l'Académie.
M.
Vanden Eynde. - Je demande toujours que le bureau soit autorisé à faire imprimer et
distribuer le projet de loi, sur lequel M. Ernst a fait rapport, ainsi que ce
rapport. De cette manière nous pourrons nous mettre au courant de la question,
je n'appartenais pas à l'assemblée lorsque le rapport a été présenté, et je
crois que beaucoup d'autres membres sont dans le même cas.
M.
Mercier. - Il me semble, messieurs, que les motifs qui vous ont portés à
ajourner la discussion militent aussi pour qu'on ne donne pas maintenant suite
à la proposition de l'honorable M. Van den Eynde, Si, à la suite des
explications qui seront données par M. le ministre de l'intérieur, la chambre
reconnaît que les mesures prises remplacent le projet de loi qui a été présenté
dans le temps, il deviendra inutile de faire imprimer ce projet et le rapport
auquel il a donné lieu.
-
La proposition de M. Vanden Eynde est mise aux voix et adoptée.
PROJET DE LOI REMPLACANT LES ARTICLES 330 A 335 DU CODE PENAL
Second vote des articles
M. le
président. - L'ordre du jour appelle le vote définitif du projet de loi tendant à
remplacer les articles 330 a 333 du Code pénal.
M.
Devaux. -
Je demande la parole, parce que je présume que l'intention de M. le président
est de constituer la chambre en comité secret.
M. le
président. - J'allais demander si l'intention de l'assemblée est de renouveler la
discussion et, dans l'affirmative, mon intention était, en effet, de déclarer
le comité secret.
M.
Devaux. -
Je demanderai, dans tous les cas, un instant la parole avant que la chambre ne
se forme en comité secret.
M. le
président. - Vous avez la parole.
M.
Devaux. -
Je désire, messieurs, être fixé sur le sens de ce qui s'est passé dans la
dernière séance à l'égard de mon amendement. Je ne prends pas légèrement
l'initiative d'une proposition dans cette chambre, mais quand je l'ai prise,
j'aime à conserver tous mes droits pour la soutenir. J'aimerais à connaître
quelle est au juste ma position au sujet de l'amendement que j'ai présenté et
sur lequel aucune décision expresse n'a été prise dans la séance d'hier. Une
cause indépendante de ma volonté m'avait retenu quelques instants à l'ouverture
de la séance d'hier; je suis entré dans la salle à midi et demi et quelques
minutes, c'est-à-dire une demi-heure avant l'heure à laquelle s'est ouverte la
séance d'aujourd'hui, c'est à dire encore, au moment où, lorsque la chambre
s'assemble à midi, MM. les secrétaires ont a peine achevé de lire le
procès-verbal et de donner communication de la correspondance.
Lorsque
je suis entré, M. le ministre de la justice avait la parole; il était à la fin
de son discours; il ne parlait nullement de son amendement, il annonçait à la
chambre qu'il avait combiné les articles adoptés de manière à remplacer
exactement le même nombre d'articles du code pénal. Je me rendis a ma place et
je fus fort surpris d'y apprendre que toute la discussion pour laquelle on
avait fixe une séance publique, était terminée et qu'il n'était plus question
ni de mon amendement ni des sous-amendements.
J'avais
besoin de prendre la parole, d'abord pour savoir au juste la situation des
choses, ensuite pour dégager ma responsabilité personnelle dans cette affaire.
Le silence qui a accueilli les paroles de M. le ministre a été interprète par
le bureau comme une adhésion ; cela est très naturel, je le reconnais; mais je
dois dire que si j'ai gardé le silence, c'est que je n'avais pas le moins du monde
l'idée qu'il s'agissait de supprimer l'objet même du débat. L'ajournement qui
paraît devoir être la suite de ce qui a eu lieu, n'a pas été mis en discussion
; il ne s'est rien passé qui pût me faire croire qu'il s'agirait d'ajourner mon
amendement, sans cela je m'y serais opposé.
Cet
amendement, messieurs, je le répèle, n'a pas élé présenté légèrement; la
rédaction en était, à la vérité, tout a fait provisoire, et vous savez
pourquoi. Dans la discussion générale, j'avais émis quelques observations tendant
à faire voir qu'il y avait, à cet égard, uue lacune dans la loi; j'ai annoncé
que si d'autres ne prenaient pas l'avance, je présenterais probablement un
amendement; alors plusieurs voix m'ont engagé à présenter l'amendement à
l'instant même, afin qu'on put y réfléchir. Je n'avais pas encore préparé de
rédaction définitive, mais je mettais empressé d'en présenter une toute
provisoire me réservant de la réviser pendant la discussion et de la modifier,
s'il y avait lieu. Mais, pour le fond de la mesure, j'attendais depuis
longtemps l'occasion d'en présenter une semblable. J'ai cru que, puisque nous
nous occupions cette fois de la punition des attentats aux mœurs commis sur des
enfants, des outrages à la pudeur, c'était bien le moment de réprimer des abus de
ce genre qui se commettent tous les jours au su de l'autorité, même sur des
adolescents. Je n'ai fait en quelque sorte que me rendre l'écho de l'Académie
de médecine qui, frappée des conséquences de ce qui se passe aujourd'hui, s'est
adressée au gouvernement pour en demander la suppression. Il m'a semblé qu'il
ne fallait pas laisser passer cette occasion, parce que des lois de ce genre
ont peine à être discutées dans cette enceinte.
Maintenant,
on a proposé un ajournement, parce que le gouvernement veut présenter un projet
de loi; il présentera, dit-il, ce projet dans la session actuelle; mais comme
il ne parait pas tout à fait préparé, cette présentation se fera probablement
encore attendre assez longtemps, et avant que le projet n'ait passé par les
sections, avant que le rapport ne soit fait, nous serons très vraisemblablement
arrivés à la session prochaine; et sera-t-il même discuté dans la session
prochaine? La chose est fort douteuse, car des projets de loi, qui n'ont trait
ni à un intérêt matériel, ni à un intérêt local, ni à un intérêt du fisc, ni à
un intérêt politique, obtiennent difficilement leur tour de discussion. La loi
dont nous nous occupons dans ce moment a déjà été plusieurs fois à l'ordre du
jour sans pouvoir être discutée.
L'ajournement
donc sera probablement long, et je tenais à dire que mon silence dans la séance
d'hier n'avait pas du être interprété comme une adhésion à ce retard. Je le
regrette au contraire beaucoup, et si MM. les ministres ont trouvé bon, pour
éviter une difficulté de leur position personnelle, de recourir à l'expédient
d'un ajournement, je n'avais pas, moi, cette raison de sacrifier l'intérêt
public.
Maintenant,
messieurs, je dois demander ce que devient cet amendement; j'ai écouté la
lecture du procès-verbal, et le procès-verbal ne m'apprend rien à cet égard; ce
qui est certain c'est que si l'ajournement a élé demandé, il n'y a pas eu de
décision de la chambre. « La chambre, dit le procès-verbal, décide qu'elle
passe au second objet de l'ordre du jour. » Je demande si l'ajournement dont il
s'agit est un ajournement indéfini. Cela n'est pas possible, car d'après le
règlement la délibération sur une proposition dont la chambre est régulièrement
saisie ne peut être ajournée que pour un temps déterminé. Je dis la
délibération, parce que, toujours aux termes du règlement, la chambre reste
saisie de la proposition dont la discussion a été ajournée.
Je dois donc savoir s'il est bien entendu que la
chambre est encore saisie de mon amendement. Je dois savoir, en outre, jusqu'à
quelle époque la discussion de cet amendement se trouve ajournée. Quand un
membre de la chambre prend l'initiative, soit par voie de proposition, soit par
voie d'amendement, il faut que sa position soit claire; j'ai droit de savoir
quand j'aurai le droit de demander la discussion de l'amendement. On ne peut
pas exiger d'un membre de cette chambre que, dans l'exercice d'un droit
constitutionnel de son mandat, il soit dans la dépendance du gouvernement et
doive en quelque sorte attendre la permission du ministère pour user de ses
droits parlementaires.
Je
demande donc s'il est entendu que la chambre est encore saisie de mon
amendement et à quelle époque cet amendement pourra être repris.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les motifs que j'ai | fait
valoir hier m'ont paru obtenir l'approbation de tous les membres de la chambre,
moins peut-être celle de l'honorable M. Devaux... (Interruption.) La chambre, à l’unanimité, du moins sans
réclamation, a adopté la proposition que je lui ai faite, d'ajourner la
discussion de l'amendement de l'honorable M. Devaux jusqu'à examen du projet de
loi dont j'ai annonce la prochaine présentation.
On
ne peut entendre autrement ce qui s'est passé hier. Je puis, du reste, donner à
l'honorable membre l'assurance que la loi que j'ai annoncée ne se fera pas
attendre. Alors l'amendement de l'honorable M. Devaux pourra être examiné et
mis en discussion ; mais il me parait évident qu'en présence de la décision
prise hier par la chambre, il est impossible de s'occuper maintenant de cet
amendement.
M.
Devaux. -
Je ne demande pas que la chambre s'occupe maintenant de la discussion de mon
amendement; je comprends fort bien que cet amendement ne peut pas être examiné
au moment du second vote de la loi, mair je demande quand on le discutera. Je
ne puis pas rester dans la dépendance de M. le ministre de la justice,
c'est-à-dire qu'il ne pas peut dépendre de M. le ministre de la justice de
faire discuter ou de ne pas faire discuter ma proposition. C'est là une
position que je n'accepterai à aucun prix. Je suis représenant du pays, et je
ne suis pas aux ordres du ministère; je ne puis pas consentir à ce que mon
amendement ne soit discuté que lorsque cela conviendra à M. le ministre de la
justice. Je demande donc que la chambre veuille bien prendre une décision sur
le terme pendant lequel la discussion reste suspendue. La présentation de cet
amendement m'a valu des remerciements de la part de plusieurs
pères de famille, de plusieurs membres de la chambre appartenant à des opinions
différentes, de plusieurs personnes qui s'intéressent à des établissements
d'enseignement public. Si la chambre l'avait mis en discussion, j'aurai proposé
une rédaction définitive, je l'aurais défendu, et quelqu'aurait été son sort,
je ne m'en serais pas plaint. Mais il y a là un intérêt trop grave pour que je
puisse consentir à ce que, contrairement au règlement et sans décision de la
chambre, la discussion en soit ajournée d'une manière indéfinie.
(page 179) Je prie donc la chambre de
décider dans quel délai la discussion en pourra être proposée par moi ou par
d'autres.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs , je n'ai pas la mission
d'expliquer quel est le sens et quelle est la portée de la décision de la
chambre. J'ai fait une proposition, j'en ai expliqué les motifs, et la chambre
a accueilli sans discussion la demande d'ajournement que je lui ai faite. ...
L'honorable
M.Devaux est-il, par suite de cette décision, à la disposition du ministre de
la justice? L'honorable membre n'a-t-il pas son droit d'initiative? Ne peut il
en user quand il lui plaira, pour reproduire son amendement?
Un membre. - L'amendement n est pas
retiré.
M.
le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est vrai, mais il y a décision de la
chambre pour en ajourner la discussion. Maintenant je demanderai à l'honorable
M. Devaux quel est le but de ses observations ; prétend-il qu'il n'y a pas eu
ajournement? eh bien, qu'il réclame alors la discussion de son amendement, et
la chambre décidera.
M. le
président. - Voici comment les choses se sont passées.
J'ai écouté attentivement le discours de M. le
ministre de la justice; en terminant M.le ministre a proposé l'ajournement de
son amendement et de celui de l'honorable M. Devaux jusqu'à la présentation
d'un projet de loi sur la matière. La proposition de M. le ministre ayant été
accueillie par des manifestations d'assentiment sur tous les bancs, sans
rencontrer la moindre opposition, je me suis borné à demander s'il était bien
entendu que le retrait de l'amendement de M. le ministre de la justice
impliquait l'ajournement de celui de l'honorable M. Devaux. J'avoue que je n'ai
pas consulté la chambre par assis et levé. Je n'ai pas provoqué une décision
formelle, je me suis borné à constater l'espèce d'assentiment universel qui se
montrait sur tous les bancs. Si l'honorable M. Devaux était arrivé hier à la
chambre un instant plus tôt, il est probable qu'il aurait fait comprendre au
bureau que cette manifestation était insuffisante, et qu'il fallait uue
décision par assis et levé.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Voici le passage du procès-verbal de la séance
d'hier, qui se rapporte à cet incident.
«
M. le ministre de la justice ayant annoncé pour le courant de la session un
projet de loi sur la prostitution, déclare retirer la disposition nouvelle de
l'article 330 du Code pénal qu'il a proposée dans la séance en comité secret du
2 décembre, et partant demande l'ajournement de la discussion de l'amendement
déposé la veille par M. Devaux.
« Par
suite de celte déclaration, l'assemblée décide de s'occuper du deuxième objet à
l'ordre du jour. »
M. de Theux. - Messieurs, il me semble
résulter implicitement de la proposition de M. le ministre de la justice,
proposition accueillie par la chambre, que l'amendement de l'honorable M.
Devaux subsiste, et est destiné à former le texte d'un projet de loi spécial
dont la discussion sera distincte du projet discuté à huis clos.
Il
est arrivé très souvent qu'une semblable marche a été adoptée par la chambre,
sans qu'on ait fixé une époque pour la discussion.
On
pourrait, par exemple, fixer la discussion de ce projet de loi spécial après le
vote des budgets ; libre alors à nous, si nous sommes saisis d'un projet de loi
de la part du gouvernement, de joindre à la discussion de ce projet celle du
projet de loi spécial.
M.
Devaux. -
Je n'ai aucune objection à faire contre cette marche. Il est donc entendu que
la discussion de l'amendement qui formera un projet de loi spécial, viendra
après le vote des budgets, (oui, oui.)
et qu'il n'y aura pas alors de fin de non-recevoir. (Non, non.)
-
La chambre, consultée, décide que le projet de loi spécial dont il s'agit
viendra à l'ordre du jour après le vote des divers budgets.
M. le
président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu le vote définitif du projet
de loi tendant à remplacer les articles 331 à 335 inclus du code pénal. Comme
quelques articles ont été amendés, et que, par conséquent, il est libre à
chaque membre de revenir sur ces articles, je crois de mon devoir de réclamer
le comité secret.
-
La chambre se forme en comité secret à 2 1/2 heures. La séance est rendue
publique à 3 heures.
Vote sur l’ensemble du projet
Il est
procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
Ce
projet de loi est ainsi conçu :
«
Art. 1er. Les articles 331, 332, 333, 334 et 335 du Code pénal de 1810 sont
abrogés et remplacés dans ledit Code par les dispositions suivantes :
« Art.
2 (331 du Code pénal). Quiconque aura commis le crime de viol ou sera coupable
de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence sur des
individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.
« Si
le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de 15 ans
accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps. »
«
Art. 3 (332 du Code pénal). Sera puni de la réclusion, quiconque se rendra
coupable d'un attentat à la pudeur, commis sans violence sur la personne ou à
l'aide de la personne d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe, âgé de moins de
quatorze ans.
«
Art. 4 (333 du Code pénal). Quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant
facilitant ou favorisant, pour satisfaire les passions d'autrui, la débauche,
ou la corruption des jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, âgés de moins de
quatorze ans, sera puni de la réclusion.
«
Celui qui aura attenté aux mœurs, en excitant, facilitant ou favorisant
habituellement, pour satisfaire les passions d'autrui, la débauche ou la
corruption des mineurs, âgés de plus de quatorze ans, sera puni d'un
emprisonnement de deux mois à trois ans, et d'une amende de 50 à 500 fr. »
«
Art. 5 (334 du Code pénal). Si les coupables des crimes et délits repris aux
trois articles qui précèdent sont les ascendants de la personne envers laquelle
a été commis l'attentat, s'ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur
elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages ou serviteurs à
gages des personnes ci-dessus désignées, s'ils sont fonctionnaires publics ou
ministres d'un culte, ou si dans le cas de l'article premier, le coupable, quel
qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, on
appliquera la peine immédiatement supérieure à celle fixée par les articles 2,
3 et 4 ci-dessus (art. 331, 332 et 333). »
«
Art. 6 (335 du Code pénal). Dans les cas prévus par la présente loi, les
coupables seront interdits de toute tutelle et curatelle, et de toute
participation aux conseils de famille.
«
Cette interdiction sera indéfinie, s'il s'agit d'un crime. Elle sera prononcée
pour 5 à 20 ans, s'il s'agit d'un délit. Si le fait a été commis par le père,
le coupable sera de plus privé des droits et avantages à lui accordés sur la
personne et les biens de l'enfant par le Code civil, livre 1er, titre IX, de la
puissance paternelle.
«
La loi du 31 décembre 1836 sera applicable aux faits prévus par la présente
loi. »
-
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 64 membres qui prennent part au vote,
deux membres (MM. Dumont et Jonet) s'étant abstenus.
Les
membres qui ont pris part au vote sont : MM. de Bonne, de Breyne, Dechamps, de
Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne. de La Coste, Delehaye,
Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Roo, de Saegher, de
Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez,
Donny, Dubus (Albéric), Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Huveners,
Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mercier,
Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont,
Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt,
Zoude, Anspach, Biebuyck, Cans, Clep, Coppieters, d'Anethan, David.
M. le
président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître
les motifs.
M.
Dumont. -
Je me suis abstenu parce que je n'ai pas pu assister à la discussion.
M.
Rogier. -
Bien que disposé à accepter tout qui tend à combler les lacunes de noire
législation, je n'ai pu me résoudre à donner mon assentiment à une loi qui
aggrave les peines déjà trop sévères du Code de 1810, en rendant obligatoire ce
que l’article 42 de ce Code déclare facultatif, et en rendant perpétuelle
l'interdiction que l'article 335 actuel ne prononce que pour un temps.
Je
déplore aussi que le paragraphe premier de l'article 28 ne soit point déclaré
applicable aux cas prévus par la loi que la chambre vient d'adopter.
PROJET DE LOI RELATIF AUX ENTREPOTS DE COMMERCE
Discussion des articles
Article 13
-
La discussion est ouverte sur l'article 13 et sur les amendements y relatifs.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Deux amendements vous ont été présentés à
l'article 13. Le premier, celui de la section centrale, qui exige que les
produits manufacturés similaires des produits belges soient placés dans un
local séparé des entrepôts francs et soumis à une déclaration en détail ; le
second, celui de l'honorable M. Delehaye, qui exclut les produits manufacturés
similaires des produits belges de l'admission dans les entrepôts francs. Je
viens combattre l'un et l'autre amendement.
Qu'il
me soit permis de rappeler d'abord le point de vue où l'on doit se placer. Il
n'est pas exclusivement commercial, mais il est principalement commercial. En
satisfaisant aux intérêts du commerce, nous devons chercher à ne pas léser
notre industrie nationale. Je dirai plus, nous devons agir de manière que des
craintes légitimes et fondées ne puissent naître au sein de notre industrie.
Une
autre pensée m'a frappé dans le système de notre législation actuelle : ce
n'est pas par des entraves apportées au commerce au moyen de formalités qui lui
seraient inutilement imposées, qu'on a cherché à protéger notre industrie
nationale, c'est directement par des dispositions de tarifs. Les formalités ou
les restrictions, dans toute législation bien ordonnée, ont pour objet de
réprimer la fraude , non de protéger directement l'industrie. L'industrie n'a à
réclamer que le bénéfice du tarif qui doit seul contenir les mesures
protectrices.
Je
me demande si la restriction qui vous est proposée est compatible avec
l'existence des entrepôts francs ?
La
différence essentielle (celle qui a été hier trop méconnue par les honorables
députés d'Anvers) qui existe entre le régime nouveau et le régime ancien, c'est
qu'on sera affranchi de la déclaration de détail a l'entrée.
On
entrera, si je puis m'exprimer ainsi, à pleines voiles dans l'entrepôt, et pour
le commerce extérieur, pour le grand commerce, on en sortira de la même
manière. C'est là la grande et utile innovation que nous proposons.
La
déclaration à l'entrée étant réclamée pour un seul article, le bénéfice de l'entrepôt
franc est immédiatement annulé pour le tout. Comment, en (page 180) effet, vous assurer que les marchandises qui entrent dans
l'entrepôt franc ne sont pas des objets manufacturés similaires des nôtres, si
la loi n'exige pas la déclaration en douane? Ce n'est qu'une disposition
illusoire, si la douane ne vérifie pas le tout.
Où
vous avez avec les entrepôts francs absence de déclarations et de visites de la
douane, ou si vous soumettez une seule catégorie de produits à ces formalités,
vous n'avez plus pour aucun produit le système des entrepôts francs. Vous avez
alors la déclaration en détail et la vérification par la douane et le régime de
pénalités en cas de déclarations inexactes. En d'autres termes, tout le
bénéfice des entrepôts francs est complétement détruit.
Est-il
nécessaire de détruire ainsi d'une main, ce qu'on veut élever de l'autre ?
J'espère démontrer que non ; j'espère démontrer qu'on peut, au moyen de
certaines précautions, rassurer complétement l'industrie, protéger efficacement
ses intérêts.
La
première objection qui préoccupe quelques honorables membres, c'est celle de la
fraude. Déjà dans la discussion générale il en a été question, mais je pense
que, pour détruire cette objection, quelques observations plus détaillées sont
nécessaires.
Les
relations de l'entrepôt franc se feront pour le dehors ou pour l'intérieur.
Pour le dehors vous avez la réexportation et le libre transit; pour
l'intérieur, vous avez le transfert sur d'autres entrepôts et la mise en
consommation directe.
La
fraude est-elle à craindre pour les relations avec le dehors ? Non, messieurs ;
d'une part, en effet, vous avez des précautions suffisantes pour la libre
entrée et pour la libre sortie des produits qui seront en entrepôt franc;
d'autre part, vous avez pour le libre transit la garantie de l'intervention
continue, de la surveillance incessante des agents de l'administration des
douanes sur le chemin de fer de l'Etat.
Voilà
donc deux espèces de relations qui ne peuvent pas donner lieu à une fraude
réelle.
Restent
les craintes pour les mises en consommation. Eh bien, messieurs, qu'il me soit
permis d'insister sur cette idée qu'en concentrant la surveillance, vous donnez
moins de marge à la fraude, vous la rendez plus difficile, plus onéreuse, et
vous avez des moyens bien plus efficaces de la réprimer lorsqu'elle se
présente.
Entrons
plus avant encore dans la question. II y a quatre moyens principaux de fraude :
c'est d'abord la fraude qui se fait à dos d'homme; c'est en second lieu la
fraude qui se fait par des cachettes dans les moyens de transport; c'est en
troisième lieu la fraude qui se fait au moyen de chiens et de chevaux ; c'est
en quatrième lieu celle qui se fait par abus de documents.
Tous
les hommes qui ont l'expérience de la stratégie douanière vous diront que la
fraude la plus dangereuse, la plus difficile à découvrir, est celle qui se fait
par cachettes. Déjà, messieurs, la loi de 1843 sur la répression de la fraude,
en élevant les peines corporelles et pécuniaires, a rendu bien plus pénibles
les conditions de la fraude quant à l'emploi du premier moyen que j'ai eu
l'honneur de vous indiquer. D'autres mesures que vous avez prises, telles que
l'augmentation du personnel, ont rendu plus difficile l'emploi du troisième
moyen, celui de la fraude au moyen des chiens et des chevaux, qui se fait en
quelque sorte à force ouverte.
Mais
la fraude la plus dangereuse, celle qui est le plus employée, ainsi que je
viens de le dire, c'est la fraude au moyen des cachettes, et c'est celle-là précisément
qui se trouvera considérablement restreinte par l'établissement des entrepôts
francs.
A
ce point de vue, l'institution nouvelle donne à l'industrie, pour la protection
réelle qui lui est due, une garantie nouvelle très importante.
On
s'effraye en second lieu, messieurs, de l'établissement des entrepôts francs,
quant à la consommation intérieure. Qu'y a-t-il de changé, par suite de
l'établissement de ces entrepôts, dans les mises en consommation, pour
l'intérieur du pays ? Je puis dire avec vérité que rien n'est changé à cet
égard, que vous avez au moins les mêmes garanties, les mêmes formalités, la
même sécurité pour l'industrie.
L'entrepôt
franc, dans la pensée de ceux qui l'ont conçu et dans la pensée de ceux qui le
défendent, n'est pas, ne doit pas être un bazar, comme on l'a dit, un moyen de
concurrence de l'industrie étrangère contre l'industrie belge. L'entrepôt franc
doit être un moyen de grand commerce, un moyen de commerce international. C'est
là la pensée véritable, pensée qui a présidé à tout le projet.
Aujourd'hui,
messieurs, les entrepôts de libre réexportation qui existent offrent à
l'industrie étrangère les facilités que l'on paraît tant redouter. C'est ainsi
que dans les entrepôts de libre réexportation, on peut trier, assortir, introduire
les marchandises qui conviennent à la consommation du pays; et cependant je ne
pense pas que la chambre veuille apporter des restrictions au régime sous
lequel le commerce vit aujourd'hui.
On
dit, messieurs, que les navires qui se présenteront dans nos ports ,
exporteront de préférence les marchandises étrangères qui seront déposées dans
les entrepôts francs et que les exportations belges diminueront. Mais
messieurs, ne nous arrêtons pas à des apparences ; remontons aux causes réelles
du faible chiffre des exportations belges.
Et
d'abord, messieurs, il est un fait fâcheux à rappeler, c'est que près de la
moitié des navires qui entrent chargés en Belgique, en sortent sur lest, et que
ceux qui ne parlent pas sur lest ne prennent très souvent dans le pays qu'une
faible partie de leur cargaison.
Quelle
est la cause de cet état de choses ? Je crois, messieurs, que l'une des causes
les plus générales, c'est que ces navires ne trouvent pas en Belgique de quoi
former cargaison, et qu'ils sortent de nos ports pour aller en prendre une dans
un port voisin, soit de la Hollande, soit de l'Angleterre. Mais je crois aussi
que, par le fait du régime nouveau, lorsque l'on trouvera en Belgique de quoi
former des cargaisons tant de produits belges que de produits étrangers, ces
cargaisons se formeront plus facilement, et que l'exportation des produits
belges, loin de diminuer, s'accroîtra.
Je
me demande, messieurs, quel est le moyen d'empêcher que les entrepôts francs ne
deviennent des espèces de bazars, j'allais presque dire de magasins de détail,
ce que personne, je pense, ne veut. Ce moyen a déjà été indiqué à la section
centrale; c'est la limitation des quantités de produits manufacturés qui
pourront sortir des entrepôts francs pour la consommation, mais pour la consommation
seulement. Mon honorable prédécesseur avait déjà donné connaissance à la
section centrale du projet de règlement par lequel on limitait la quantité pour
certains articles. La limite indiquée par lui, pour les tissus, et pour
d'autres articles pour lesquels on craint le plus cette espèce de concurrence,
était de 20 kil. poids net.
M.
Manilius. - Ou moins.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Je dis qu'en règle générale, c'était 20 kilog.
poids net, sauf pour le solde d'entrepôt, ce qui est une question distincte.
Je
crois, messieurs, que j'aurai répondu non seulement aux intérêts de
l'industrie, mais même, je dirai, à ses susceptibilités les plus délicates, en
lui donnant, par la loi même et non pour un règlement variable, une garantie
quant aux exportations d'un entrepôt franc pour ces articles. Je proposerai à
la chambre un amendement d'après lequel le gouvernement conserverait la faculté
de limiter les quantités de sortie d'entrepôt, franc pour tous les articles,
mais par lequel aussi l'on fixerait un minimum pour tous les articles portés au
tarif comme tissus, toiles et étoffes. Ce minimum, en deçà duquel le
gouvernement pourra rester, s'il existe des motifs de le faire, je proposerai
de le fixer à 50 kilog.
Il
est certain qu'en allant ainsi au-delà du double de ce que l'on s'était proposé
d'abord, je détruis toute crainte fondée, que l'on pourrait concevoir sur
l'existence des entrepôts francs, comme devant être un élément de concurrence
de l'industrie étrangère à l'égard de l'industrie belge.
Voici,
messieurs, la proposition que j'ai l'honneur de faire à la chambre, Bien que
l'article 19 ait été adopté dans la séance d'hier, je demanderai de modifier le
second paragraphe de cet article en ces termes :
«
Le gouvernement fixera pour les marchandises dédouanées un minimum pouvant
entrer dans les entrepôts ou en sortir pour la consommation.
« Ce minimum, quant aux entrepôts francs, ne pourra être inférieur
à 50 kilogrammes (poids net) peur les articles spécifiés au tarif sous la
dénomination de tissus, toiles et étoffes, à moins que ces marchandises ne
soient le solde du compte d'entrepôt. »
Pour
résumer ces observations, messieurs, je dirai que la restriction qui impose la
déclaration de détail, les visites, le système de pénalité, est incompatible
avec le régime des entrepôts francs et les bienfaits qu'on en attend; que cette
restriction n'est pas nécessaire pour donner protection réelle à l'industrie;
que le résultat peut être atteint, que toutes les craintes peuvent être
dissipées en limitant les quantités à un minimum assez élevé, et en laissant au
gouvernement la faculté de rester même en deçà de ce minimum.
M. Lys. - Messieurs, je crois
devoir développer les motifs qui m'engagent à voter en faveur de l'amendement
de la section centrale ; je crois d'autant plus devoir le faire, qu'il
semblerait que je suis en désaccord avec la chambre de commerce de Verviers, et
je crois pouvoir prouver de contraire.
Messieurs,
je ne m'oppose pas à ce que des entrepôts francs soient établis ; mais je veux
que ce soit dans les limites qu'a indiquées un honorable député d'Anvers.
Si
cet entrepôt franc, si même l'entrepôt public ne doit contenir que des
marchandises expédiées des pays d'outre-mer et destinées à être envoyées
ensuite en Allemagne, ou des marchandises expédiées de l'Allemagne et devant
plus tard être dirigées vers les pays d'outre-mer, alors je n'y vois aucun
inconvénient, et c'est ainsi que les honorables députés d'Anvers l'ont expliqué
dans une précédente séance; car il me suffit, messieurs, de vous citer les
paroles de l'honorable baron Osy, pour vous démontrer qu'à cet égard nous
sommes parfaitement d'accord :
«
L'établissement, dit-il, d'un entrepôt franc n'est pas seulement avantageux
pour Anvers, mais pour tout le pays, car il aura pour effet d'attirer un grand
transit qui alimentera le chemin de fer et de créer un grand marché au moyen
des retours des marchandises exportées.
«
L'honorable M. Delehaye a vu un grand danger dans les entrepôts francs, en ce
que les produits de l'industrie étrangère qui viendront dans ces entrepôts
feront concurrence aux produits similaires de l'industrie du pays. Mais ces
marchandises qui viennent d'Allemagne en entrepôt franc, sont destinées aux
colonies, et les produits anglais sont pour la consommation du Zollverein.
« Avant
les arrêtés pris en vertu de la loi de 1842, les produits en transit devaient
être déballés aux frontières d'Allemagne et aux ports de mer; ces marchandises
souffraient considérablement. Aujourd'hui, ces marchandises sont envoyées de
l'Escaut à la frontière d’Allemagne, et vice versa pour celles qui viennent
d'Allemagne et de France. C'est la conversion en loi de ces arrêtés qu'on vous
propose. »
Eh
bien, messieurs, s'il ne s'agit que de marchandises expédiées des pays
d'outre-mer vers le Zollverein ou du Zollverein vers les pays d'outre-mer, je
n'y vois aucune espèce d'inconvénient pour l'industrie nationale, je n'y vois
qu'un avantage pour le chemin de fer. C'est d'ailleurs ce qui existe
maintenant, car vous avez favorisé de toutes les manières le transit des (page 181) marchandises du Zollverein.
C'est aussi la seule chose que la chambre de commerce de Verviers ait eu en
vue, lorsqu'elle a déclaré qu'elle admettait les dispositions que le
gouvernement voulait prendre.
Remarquez
bien, messieurs, que la chambre de commerce de Verviers n'a admis que le
principe du projet, car elle a déclaré formellement qu'elle ne s'était pas
occupée des articles, parce que, disait-elle, c'était de la discussion que
devrait jaillir la lumière.
Je
passe, messieurs, à ce qu'a dit l'honorable, M. Mercier dans une autre séance :
«
Mais, messieurs, j'ai entendu souvent répéter dans cette enceinte sans contestation,
que ce qui manquait pour faciliter l'exportation des produits belges, c'étaient
des moyens de compléter les cargaisons ; nous avons donc de puissantes raisons
de chercher à attirer le commerce en Belgique dans l'intérêt même de notre
industrie, et c'est là précisément l'effet que l'on doit attendre de la loi
proposée.
«
Aujourd'hui, il faut l'avouer, nos exportations maritimes sont peu
considérables ; nous avons l'espoir fondé qu'au moyen du mouvement commercial
que le projet créera dans le pays, ces exportations prendront un notable
accroissement.
«
Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions des honorables membres de
renverser le système actuel qui admet dans nos entrepôts toute espèce de
marchandises étrangères ; sans doute ils ne voudraient pas d'une loi qui
repoussât de nos entrepôts les produits similaires des autres pays. Si nous
trouvons qu'il y a lieu de maintenir le principe de notre législation, pourquoi
ne pas en faciliter l'application ? Pourquoi ne pas accorder le plus de facilités
possible au commerce, dans le but d'établir dans notre pays un marché qui
n'existe pas aujourd'hui? Ou il faut combattre le principe comme nuisible, ou,
si on en reconnaît le mérite, il faut en accepter les conséquences. »
Je
serais d'accord, messieurs, avec l'honorable M. Mercier, sur ce point, que
souvent nous n'avons pas dans les entrepôts toutes les marchandises nécessaires
pour faire une pacotille complète; mais je ne suis nullement d'accord avec lui
s'il entend compléter les pacotilles, dans nos entrepôts, avec des marchandises
étrangères similaires à celles qui se fabriquent dans notre pays; j'entends
qu'on fasse l'appoint des pacotilles avec des marchandises indigènes, car on
agirait, sans doute, contrairement aux intérêts de l'industrie nationale si
l'on complétait les pacotilles avec des toiles de Silésie, avec des coatings
anglais, avec des étoffes de laines françaises. Ce n'est pas là ce que nous
devons désirer; nous devons chercher que le complément des pacotilles se fasse
avec des marchandises fabriquées dans le pays.
L'industrie
nationale doit trouver aussi une garantie contre les ventes en détail, contre
le déballage qu'elle redoute, et que le commerce n'a aucun intérêt à favoriser.
On nous dira peut-être que le déballage et même l'étalage des marchandises
étrangères existe dès aujourd'hui, car on en a formellement reconnu
l'existence; il est reconnu, messieurs, que dans nos entrepôts publics à Anvers
on a non seulement déballé les marchandises étrangères, mais qu'on y a loué à
des négociants étrangers des appartements qui sont devenus de véritables
boutiques ; là se trouvait tout ce qui était nécessaire à l'étalage; il y avait
jusqu'à des rayons, absolument comme dans un magasin particulier. Eh bien,
messieurs, c'est ce que je ne veux pas; c'est un abus qui a été introduit et
que je veux voir cesser au plus tôt.
Voilà,
messieurs, une circonstance que la chambre de commerce de Verviers a
complétement ignorée; si elle l'avait connue, si elle avait su qu'à l'entrepôt
d'Anvers, non seulement on déballait, mais qu'on y étalait même, elle aurait
été de mon avis, elle aurait dit que c'est un abus qui ne peut plus se
reproduire.
Il
n'y a donc, messieurs, rien d'exagéré dans les observations des honorables
membres qui ont exprimé la crainte de voir les entrepôts francs devenir de
véritables bazars. Et à quoi servira, je vous le demande, ce remède indiqué par
M. le ministre des finances? On, ne pourra pas enlever, dit-il, moins de 50
kilogrammes à la fois; mais, messieurs, trois pièces de drap pèsent 45
kilogrammes. Ne voilà-t-il pas une grande quantité de marchandises? Il y a à la
vérité des étoffes qui sont plus légères, mais enfin il n'en existe pas dont il
entre plus de 10 pièces dans un poids de 50 kilog. Eh bien, messieurs, 10
pièces c'est un véritable détail dans un magasin.
Et
vous appellerez cela favoriser l'industrie en même temps que le commerce ! Vous
appellerez cela soigner les intérêts du commerce et de l'industrie! Je dis,
moi, que c'est ruiner les établissements industriels que d'admettre de
semblables mesures. Mais qu'on me dise donc quel est le pays où les choses se
passent de cette manière. En Angleterre avez-vous des entrepôts où nous
puissions déballer des marchandises à de pareilles conditions ? Avez-vous de
semblables entrepôts en France? Mais en France on ne vous permet le simple
transit que dans des circonstances spéciales. A la vérité, messieurs, on nous a
cité des pays où les choses sont ainsi organisées, on nous a cité notamment
Livourne, Naples et Gênes ; mais appelez-vous cela des pays industriels?
Pourquoi ne voulez-vous pas imiter les pays qui s'intéressent à leur
fabrication; pourquoi n'imitez-vous pas l'Allemagne, pourquoi n'imitez-vous pas
la France ? Là vous ne trouvez certes pas d'entrepôts où vous puissiez étaler
des marchandises étrangères.
Savez-vous,
messieurs, ce qui arrivera ? C'est que notre pays sera inondé de produits
étrangers. J'introduis mes articles dans le pays sans payer les droits
d’entrée, je les dépose dans un entrepôt, j'en vends une partie plus ou moins
grande sans même payer de patente, je la livre à la consommation et le reste je
l’exporte sans avoir aucun droit à payer, sans avoir couru la moindre chance
défavorable.
Dans
le temps on s'est plaint de l'introduction dans le pays d'une quantité d'objets
non seulement fabriqués, mais façonnés à l'étranger. On s'en est plaint
vivement; eh bien, messieurs, rien n'empêchera plus d'importer de semblables
objets, de les étaler et de les vendre dans vos propres entrepôts; une fois que
vous permettez le déballage et l'étalage, tout est terminé ; il n'y a plus rien
à faire, votre industrie est anéantie.
On
parlera de l'Allemagne. Mais, messieurs, l'Allemagne, nous lui accordons une
liberté entière de transit, et jouissons-nous chez elle du même avantage?
Nullement : il y a une grande partie de l'Allemagne où vous ne pouvez transiter
qu'en payant des droits très élevés. C'est là le résultat du traité, me
dira-t-on, mais pourquoi donc vouloir donner tant de faveurs, à un pays qui
nous accorde si peu ; pourquoi vouloir donner à ce pays ce que lui nous refuse?
Dans
le système que l'on veut établir il y aura encore, messieurs, pour le commerce
étranger un grand avantage qui sera extrêmement nuisible, à nos fabricants dans
leurs relations à l'intérieur du pays. Je suppose un fabricant de Verviers qui
voyage pour la vente de ses draps en Belgique,: il ne porte avec lui qu'une
carte d'échantillons; c'est tout ce qu'il peut montrer à la pratique ; il
arrive à Gand, (car ce n'est pas seulement à Anvers qu'on veut établir les entrepôts
dont il s'agit, il y en aura aussi à Ostende, à Bruges, à Gand et dans d'autres
localités encore; on a même parlé, de Louvain, dans une séance précédente).
Le
fabricant arrive dans une de ces villes, il n'a que sa carte d'échantillons ;
il s'adresse au chaland ; le chaland lui dit : « Avant de traiter avec vous, je
m'en vais voir à l'entrepôt. Là je trouverai un choix de marchandises,
j'examinerai, non les échantillons, mais les pièces ; je veux réassurer si je
ne puis pas faire un choix plus avantageux. »
Ainsi, pour le commerce intérieur, le fabricant du
pays ne viendra qu'après l'étranger. Voilà la position dans laquelle le projet
de loi, s'il était voté, mettrait le fabricant belge. Le fabricant étranger
aura tous les avantages ; il viendra en Belgique avec une pacotille; il
l'introduira dans l'entrepôt franc, sans payer de droit ; il ouvrira son
magasin, sa boutique, pour ainsi dire ; il verra les marchandises dont il
pourra se défaire, en sortant trois pièces à la fois; il les vendra, et la quantité
qui lui restera, il l'exportera sans payer encore aucun droit ! Et c'est
là un système que l'on prétend être de nature à concilier les intérêts du
commerce et de l'industrie du pays ! Non, ce système ne peut avoir d'effet
que de ruiner l'industrie belge. Je voterai contre la loi.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si le système qui vous est proposé,
devait avoir pour effet de ruiner l'industrie belge, l'industrie belge serait
ruinée. En effet, je puis démontrer à la chambre que ce que nous proposons,
quant à la consommation, est plus restrictif pour le commerce que ce qui existe
aujourd'hui.
M. Lys. - C'est un abus.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - C'est un abus, dit l'honorable membre; et
l'honorable membre raisonne de ce qui existe depuis très longtemps, pour vous
effrayer par la perspective de ce qui va arriver.Mais,, messieurs, nous rendons
l'abus impossible.
D'abord
quel est l'objet de la discussion? Est-il probable, est-il possible même, que
les tissus soient en général entreposés? Je dis que cela n'est pas dans la
nature des choses.
J'ai
sous les yeux des documents qui constatent que, sous le régime actuel
d'entrepôts, on n'entrepose guère de tissus. L'on entrepose des marchandises
qui peuvent attendre à l'entrepôt ; mais supposez'qu'on importe aujourd'hui des
draps, des cotons, des étoffes de soie, et qu'on les entrepose pendant six ou
huit mois, ce seront des nouveautés de l'année dernière. Il est certain que le
commerce n'a pas intérêt à entreposer ces marchandises.
Comment
se font ces affaires? Elles se font sur échantillons ou par la commande directe
faite de la Belgique à l'étranger. Mais ne craignez pas, messieurs, et
l'expérience confirme entièrement ce que je dis; ne craignez pas que
l'existence des entrepôts francs développe considérablement l'entreposage des
produits manufacturés ; cela n'est ni dans les habitudes, ni dans l'intérêt du
commerce.
Je
veux prendre un fait entre plusieurs, et je me place sur le terrain de
l'honorable M. Lys.
Voici
la quantité de draps entreposés et sortis en 1844 de tous les entrer pots de la
Belgique. Il y a eu 10 permis d'expédition, et ces 10 permis comprenaient 565
kilog.
J'ai
sous les yeux l'état des existences en entrepôt au 31 décembre, pour quatre
années.
En
1841, il y avait pour les draps, 111 kilog. ; en 1842, 2,230 ; en
1843, - : en 1844, 103.
Or,
puisque trois pièces de drap font 45 kilog., vous pouvez vous rendre compte du
petit nombre de colis qui se trouvaient dans les entrepôts à ces diverses dates
; vous voyez, par les faits mêmes, que ni les habitudes, ni l'intérêt du
commerce ne consistent à entreposer les tissus et les autres étoffes dont la
vente doit être nécessairement immédiate.
Je
déposerai le document sur le bureau. Je dois avouer, pour être sincère, qu'il y
a des quantités un peu plus fortes, mais relativement minimes, quant aux autres
tissus et aux autres étoffes.
C'est
ainsi que les sorties d'entrepôt, en tissus de coton, se sont élevées, pour une
année, au chiffre de 12,754 kilog.; c'est le chiffre le plus considérable après
celui de la laine, qui a été de 17,051 kilog.
Ce
sont là des chiffres insignifiants; et ces faits se sont passés sous un régime
où il y avait plus de liberté pour la déclaration en consommation du détail,
qu'il n'y en aura sous l'empire de la loi qui est proposée.
L'honorable
M. Lys s'effraye beaucoup des choses qui se passent dans l'entrepôt d'Anvers.
Qu'est-il arrivé dans l'entrepôt d'Anvers? On a permis, (page 182) en vertu de la loi de 1828, de trier, d'assortir les
marchandises. Veut-on, par exemple, défendre qu'un colis de 100 kilog., qui
arrive à l'entrepôt d'Anvers, par mer, ou par libre transit, soit divisé en
quatre colis de 25 kil. et parle pour l'Amérique par l'Escaut? Si l'on veut
défendre cela, que devient le commerce ? Y a-t-il encore un commerce ?
Je
ne sais si, en poussant à l'extrême ces idées restrictives dans l'intérêt de
l'industrie, nous n'arriverions pas, de conséquence en conséquence, jusqu'au
point de vouloir entourer la Belgique de la grande muraille de la Chine.
Quel
est maintenant le danger pour l'industrie belge, que de pareilles opérations
puissent se faire? Je concevrais toutes les objections qu'on vous présente, si
nous avions aboli nos tarifs. Mais dans la même hypothèse que je viens déposer,
trois de ces colis sont expédiés au dehors. Le quatrième est expédié en
Belgique. Que vous importe maintenant que ce dernier colis vous vienne de
l'entrepôt franc, ou qu'il vous soit expédié directement de Cologne? Où est la
différence? Y a-t-il là un appel à une concurrence plus sérieuse, plus intense,
si je puis parler ainsi?
L'honorable
préopinant est revenu sur une objection qui a déjà été produite hier. « Vous
faites aux Allemands des avantages qu'ils ne vous font pas. »
Nullement,
messieurs, il s'agit ici d'une loi belge, faite dans l'intérêt belge. Si nous
n'avions pas intérêt à faire cette loi, je serais le premier à la combattre.
Quand
vous pouvez étendre vos relations commerciales avec les nations qui vous
avoisinent, lors même que ces rapports doivent devenir plus fructueux pour ces
nations, n'y a-t-il pas une réaction naturelle, inévitable sur le bien-être du
pays?
Je
crois qu'à moins de rendre notre régime intérieur exclusif du commerce, nous
devons persévérer dans la voie où nous sommes entrés depuis plusieurs années ;
nous devons continuer à développer tous les éléments de prospérité qui existent
dans le pays. Cette voie est protectrice, quant à l'industrie ; elle est
libérale à l'égard du commerce. Plus la chambre s'arrêtera sur cette idée ,
plus elle se convaincra que la protection pour l'industriel n'exclut pas, dans
la situation où se trouve la Belgique, un grand, un libre commerce. '
Je réduis toujours la question à deux points, en ce
qui concerne l'article 13. Pouvez-vous avoir l'entrepôt franc, avec ma
restriction, quant à des articles? Et cette restriction est-elle nécessaire,
pour que l'industrie belge trouve dans la législation la sécurité à laquelle
elle a droit ?
Je
demande que la discussion se porte surtout sur ces deux points. Car s'il
m'était démontré qu'il est impossible de donner à l'industrie belge, je ne dis
pas seulement des garanties, mais la sécurité à laquelle elle a droit, je
serais très-disposé à modifier le projet de loi. Je veux, autant que personne
dans cette chambre, que l'industrie ne soit pas lésée par l'effet de la mesure
que nous proposons; mais j'ai la conviction profonde que celte mesure est favorable
au commerce, sans que l'industrie doive en éprouver un contre-coup fâcheux.
M.
Donny. -
Messieurs, l'honorable M. Lys, se basant sur un discours prononcé dans une
séance précédente par l'honorable M. Osy, attribue aux honorables députés
d'Anvers la pensée que les mouvements des entrepôts francs devront se
restreindre aux simples opérations du transit entre l'Allemagne et les pays
d'outre-mer.
Je
n'ai pas compris le discours de l'honorable M. Osy dans ce sens; en tous cas,
l'opinion que lui prête l'honorable M. Lys n'est pas la mienne; elle n'est pas
non plus celle du gouvernement, comme vous venez de l'entendre par le discours
de M. le ministre des finances.
L'honorable
M. Lys a appuyé l'amendement proposé par la section centrale; et le principal
argument que l'honorable membre a fait valoir en faveur de son opinion, est
base sur la crainte de voir les quatre entrepôts francs de la Belgique devenir
chacun un vaste bazar de produits manufacturés similaires des produits belges.
Je
ferai d'abord remarquer que cet argument va beaucoup trop loin ; qu'au lieu
d'appuyer l'amendement de la section centrale, il tend à le faire repousser et
par conséquent à établir le contraire de ce que veut celte section.
En
effet, la section centrale ne veut pas exclure des entrepôts francs les
produits similaires aux nôtres; elle veut qu'ils y soient admis , moyennant
certaines formalités : tandis qu'une argumentation basée sur la crainte que les
entrepôts francs ne deviennent des bazars de ces produits similaires , tend
directement à les exclure complétement de ces entrepôts, ainsi que le veut
l'honorable M. Delehaye.
Il
est évident que si, par la nature des choses, les entrepôts francs doivent
devenir des bazars, ils ne seront ni plus ni moins bazars, parce qu'on aura
voté ou rejeté l'amendement de la section centrale , parce que certaines
marchandises devront être vérifiées ou ne pas l'être, parce qu'elles seront
déposées dans un local séparé ou dans un local commun.
Au
reste, je ne pense pas que l'honorable membre doive conserver des craintes
sérieuses à ce sujet. Si je ne me trompe sur l'étendue des dispositions
douanières en vigueur, les fabricants d'Angleterre, de France et d'Allemagne
pourraient aujourd'hui diriger sur nos entrepôts de libre réexportation, des
produits manufacturés similaires aux nôtres, comme ils pourront les diriger sur
nos entrepôts francs.
Ils
pourraient donc dès aujourd'hui établir, dans les entrepôts actuels, ces sortes
de bazars qui effrayent tant l'honorable membre; or, jusqu'ici, on ne l'a pas
fait. A la vérité, M. Lys nous a dit que déjà il s'était établi quelque chose
de semblable dans l'entrepôt d’Anvers; mais M. le ministre des finalités a
contesté le fait; et un honorable députe d'Anvers, à qui je viens de demander
des renseignements à ce sujet, m'a dit que, ce qui a été avancé à cet égard par
l'honorable M. Lys, n'est pas complétement exact.
Messieurs,
il est un autre argument auquel je désire répondre ; celui-là n'a pas été
produit par l'honorable M. Lys, il se trouve dans la note E annexée au rapport
de la section centrale.
D'après
cette note, si l'on adopte l'amendement proposé, et si, par suite de cette
adoption, certaines marchandises manufacturés sont visitées à l'entrée et à la
sortie, et classées séparément, ces opérations donneront à la douane une
connaissance complète et entière de ces marchandises au moment de leur
exportation, connaissance qui sera, dit-on, une arme puissante pour repousser
la réimportation frauduleuse de ces mêmes marchandises.
Pour
que cet argument pût être considéré comme concluant, il faudrait admettre comme
constant tout le contraire de ce qui existe et de ce qui peut exister ; il
faudrait admettre que la vérification à l'entrée et à la sortie d'un ballot de
marchandise procure une connaissance complète et détaillée de son contenu, non
seulement aux visiteurs et à quelques employés de l'entrepôt franc, mais encore
à tous les douaniers qui se trouvent sur nos frontières.
Or, vous savez que cela n'est pas possible, que
cela ne peut pas exister. Parce qu'un ballot sorti de l'entrepôt franc d'Anvers
aura été visité à l'entrée et à la sortie, éprouvera-t-on une difficulté plus
grande à nous importer en fraude, soit la totalité, soit une partie du contenu
de ce ballot par la frontière de terre, du côté de la Hollande, on par toute
autre? Sera-t-il plus difficile d'importer en fraude par la frontière de France
dans la Flandre occidentale les marchandises qui seront sorties de l'entrepôt
franc d'Ostende, parce que ces marchandises y auront été vérifiées à l'entrée
et à la sortie de l'entrepôt? Personne ne le croira.
Je
voterai contre l'amendement de la section centrale.
M.
Dumortier. - Je ne puis donner mon assentiment au projet de former des entrepôts francs
dans nos ports de mer; parce que, d'une part, c'est une véritable annulation
des tarifs au profil de l'étranger, et que, de l'autre, c'est une faveur
considérable accordée au commerce étranger alors que notre marine n'est pas
assez développée pour satisfaire aux besoins de notre industrie par les
exportations. Si, comme l'Angleterre, nous avions 25 mille vaisseaux, alors
vous pourriez avoir autant d'entrepôts libres que vous voudriez, parce que nos
vaisseaux suffiraient pour le transport de nos marchandises et pourraient
encore se charger d'exporter des marchandises étrangères ; mais nous avons une
marine extrêmement faible.
C'est
là toute la question; c'est le nœud de la véritable question. Si la Belgique
avait une marine très considérable, comme j'espère qu'elle aura un jour, je
concevrais l'utilité des entrepôts francs. Mais en présence d'une marine aussi
faible que la nôtre, il n'est pas prudent de donner à nos armateurs trop de
facilités pour exporter les produits de l'étranger, alors qu'il sera toujours
plus difficile de rassembler des produits belges. En un mot, il ne faut pas
mettre nos fabricats dans une condition plus désavantageuse que les fabricats
étrangers. Voilà, pour moi, toute la question. Je n'hésite pas à me prononcer
pour la négative.
On
me repondra qu'aujourd'hui déjà le commerçant peut venir chercher des
marchandises étrangères dans les entrepôts. Mais, du moins, il n'y a pas de
magasins de déballage ; il n'y en a pas, il ne peut pas y en avoir; s'il y en a,
comme je l'entends dire près de moi, c'est un abus. S'il y a des magasins, du
moins il n'y a pas de boutique. On me dit qu'il n'y en aura pas. Je dis que si;
il y en aura d'après les dispositions de la loi, comme il y en a dans les docks
anglais; vous aurez dans les ports des bazars de marchandises étrangères, alors
que vous n'aurez rien de semblable à offrir dans nos ports pour les produits de
vos propres manufactures. Le négociant qui fait le commerce avec l’étranger,
trouvera plus commode de prendre la marchandise dans les entrepôts francs, où
il aura sous la main des assortiments complets, que d'aller faire ses choix
dans l'intérieur du pays, dans les centres de production.
Aujourd’hui,
quand un armateur veut former une cargaison, il doit aller sur les marches de
la Flandre pour acheter des toiles, sur celui de Verviers pour les draps, à
Gand pour les coluns, à Namur pour la coutellerie, et ainsi du reste. Mais il
lui sera plus commode d'aller dans les magasins de l'entrepôt franc. C'est donc
une prime qu'on offre au commerce des produits étrangers, et cette prime est
antinationale, en présence de la faible marine que possède la Belgique, car, je
ne puis trop le répéter, toute la question est là.
Maintenant
veuillez remarquer une chose : il n'est pas d'arlicle fabriqué en Belgique qui
ne se fabrique à meilleur marché, en qualité moindre il est vrai, dans une
contrée quelconque de l'étranger. Aujourd'hui ce qu'on cherche c'est le bon
marche et non la solidité, surtout pour le commerce étranger. En Belgique, au
contraire, on recherche la solidité des produits. Nos fabricants qui
travaillent pour le commerce intérieur, font des marchandises de qualité
supérieure ; ils font de même, c'est peut-être un tort, les produits destinés
pour l'exportation. Il n'en résulte pas moins qu'il n'est pas de produit de nos
fabriques qu'on ne trouve à l'étranger à meilleur marché que chez nous.
Or,
que va-t-il arriver? Tous ces produits vont prendre place dans nos entrepôts
francs, et les exportateurs n'iront plus chez nos fabricants, mais dans les
magasins de produits étrangers établis dans les ports. L'industrie des toiles a
été obligée de demander une élévation de droits pour empêcher l'anéantissement
de notre marché par les toiles de Silésie ; ces toiles arriveront dans les
entrepôts, et lorsqu'un armateur aura des expéditions à faire à l'étranger, il
prendra des toiles de Silésie dans les entrepôts, au détriment des ouvriers des
Flandres.
(page 185) II en est de même pour
l'industrie métallurgique. Nous ne pouvons pas produire la fonte à aussi bon
marché que l'Angleterre. La fonte anglaise sera déposée dans nos entrepôts
francs et on l'exportera de préférence à la nôtre. Pour les draps, ce sera la
même chose. Les draps légers de l'étranger peuvent lutter avantageusement avec
les draps de Verviers , on prendra pour l'exportation des draps étrangers dans
les entrepôts.
La
coutellerie de Namur se trouvera également remplacée pour l'exportation par la
coutellerie anglaise; la bonneterie de Saxe écartera la bonneterie de Tournay; ainsi
de ville en ville, vous aurez sacrifié votre propre industrie à l'industrie
étrangère dans le commerce d'exportation et cela au moment où nous voulons
chercher à nous créer des débouchés à l'extérieur.
La
question placée sur ce terrain est excessivement claire. La création
d'entrepôts libres quand nous n'avons pas assez de navires pour exporter nos
propres produits, est donc une création antinationale.
J'aborde
une autre question, c'est la question de commodité. Nous commençons à exportera
l'étranger des produits de nos manufactures; mais aujourd'hui, quand un
armateur veut exporter de nos produits, il doit écrire de fabrique en fabrique
pour chercher ces produits, il doit aller à Verviers pour
les draps, dans les Flandres pour les toiles, à Tournay pour la bonneterie, à
Namur pour la coutellerie. Quand il trouvera tout cela à sa portée dans les
entrepôts libres, il n'ira plus chercher à Gand ses calicots, à Verviers ses
draps, à Namur sa coutellerie, à Liège ses fontes, à Tournay sa bonneterie, il
aura sous la main tout ce dont il aura besoin. En votant la création
d'entrepôts libres, vous votez la suppression de l'exportation des produits du
pays, car on n'a pas encore assez exporté de nos produits pour que leur
supériorité ait pu être appréciée à l'étranger de manière à les faire demander
positivement à l'exclusion de produits similaires d'autres pays.
Je
ne crois pas qu'il soit nécessaire de pousser plus loin ces observations qui
démontrent que la création d'entrepôts francs n'aurait d'autre résultat que de
placer, au point de vue des exportations, nos produits manufacturés dans une
condition moins favorisée que les autres. Par ces motifs, je rie puis y donner
mon assentiment.
M.
Manilius. - M. le ministre des finances a dit une grande vérité dans son premier
discours. Il a dit que si vous admettez l'amendement de la section centrale,
vous détruisez tout le bénéfice de la loi. Il a raison ; c'est pour cela que je
l'adopte. Il faut que le bénéfice de la loi soit détruit si l'amendement est
adopté. Cela est tellement vrai qu'il a ajouté : Si vous voulez la
déclaration, il ne faut pas l'entourer de formalités telles qu'elles augmentent
la protection des droits qui est assez élevée.
Il
ne doit y avoir que les formalités nécessaires pour réprimer la fraude; mais si
ces formalités ont été établies pour réprimer la fraude, conservez-les donc.
Elles peuvent être supprimées, dit M. le ministre des finances, parce que la
fraude n'est plus possible dans les entrepôts francs; ce sera un territoire
réservé d'où l'on ne pourra faire sortir les marchandises que par 50 kilog. La
surveillance sera donc beaucoup plus facile. On ne pourra faire sortir les
marchandises en quantités moindres que lorsque ce seront des soldes. Et l'on
commence par dire qu'on entrera sans demander des déclarations sur les contenus
des colis, sans examiner de quoi ils se composent. Si l'on fait toujours sortir
les marchandises comme soldes, comment vérifierez-vous que ce ne sont pas des
soldes, puisque le régime sera tel qu'il n'y aura aucun contrôle, qu'il y aura
liberté de faire entrer et sortir ce que l'on voudra sans intervention de la
douane ?
Je
ne m'arrête pas à cela. Il y a d'autres moyens de fraudes contre lesquels il
est évident que vous serez impuissants. Quoique vous disiez que vous
conserverez vos moyens de répression, quand il viendra des personnes soi-disant
pour examiner des marchandises, vous devrez savoir qui entre et qui sort ; mais
si des personnes du sexe mettent un châle sur les épaules et sortent avec ce
châle, comment les en empêcherez-vous? Si un cavalier veut s'acheter quelques
foulards, vous ne l'empêcherez pas d'en mettre quelques-uns dans sa poche et de
les introduire dans le pays.
Il
n'y a pas longtemps, le pays s’est ému de la tendance de l'Angleterre à envoyer
les tissus non plus en pièces, mais confectionnés. A la suite de pétitions
adressées, à cette chambre, le ministère précédent a pris un arrêté pour
imposer les vêtements d'un droit de 20 p. c. au lieu de 10 p. c. et pour
repousser les moyens de fraude par lesquels on les introduisait.
Avant
cette mesure, tous les équipages des steamers venant d'Angleterre, nous
arrivaient vêtus de paletots confortables qui entraient sur le dos des matelots
au nez des douaniers, sans payer aucun droit.
Quand
notre chemin de fer se rattachera à la capitale de la France, vous verrez les
waggons du chemin de fer transformés en boutiques parisiennes qui vendront à
l'entrepôt franc des objets de modes sans payer aucun droit. Vous serez
impuissants pour empêcher cette fraude.
Tout
à l'heure, l'honorable M. Lys vous a cité un fait qui s'est passé à Anvers. Il
ne fallait pas aller aussi loin; le cas identique s'est présenté à Bruxelles,
On était parvenu à obtenir du gouvernement de trier des marchandises à l'entrepôt
public de Bruxelles, qui n'avait pas alors le droit de jouir des dispositions
prises depuis l'extension de notre chemin de fer; car c'était en1836. On avait
toléré de laisser des négociants faire choix des marchandises , non pas pour
les déclarer en consommation, mais pour les exporter par Anvers, par les eaux
intérieures. Ces marchandises allaient en Hollande, à Berg-op-Zoom, par
exemple; on les emballait dans de petits colis dont on formait de grandes
balles qu'on transportait de là à Tilbourg ou aux environs, puis on les portait
à dos jusqu'à Turnhout. De là on arrivait enfin par messageries à Bruxelles.
Ces marchandises, achetées dans l'entrepôt de Bruxelles, arrivaient aux
négociants avec l'estampillage de leurs sceaux; ils savaient à qui ils avaient
acheté.
On
a reconnu l'abus. Dès les premiers temps que je suis entré dans cette chambre,
j'ai fait à ce sujet une réclamation à M. le ministre des finances qui s'est
empressé de mettre un terme à cette tolérance. Toutefois la suppression ne fut
pas complète. Ce ne furent que quelques modifications. Quand M. Desmaisières
vint aux finances, on supprima entièrement cette tolérance.
Les
honorables députés d'Anvers ont dit que le projet de loi ne leur donne pas la
plus petite liberté. Leur entrepôt est libre ; il n'y a à cela aucune
tolérance. Si fait, c'est par la tolérance, c'est par un petit caprice
ministériel. Il suffit d'examiner le projet pour s'en convaincre; puisque c'est
des articles 14, 15 et 16 nouveau que résultera la liberté des entrepôts à ce sujet.
Hier
l'honorable M. Rogier disait: Nous avons tout ce qu'il nous faut ; si vous ne
voulez pas accorder les entrepôts francs, restons comme nous sommes ; nous
sommes assez heureux. Mais non, messieurs, vous n'êtes point assez heureux, car
il manque à votre bonheur la stabilité, c'est-à-dire la garantie de la loi.
Vous jouissez d'avantages dont vous ne devriez pas jouir même avec les
entrepôts libres. Vous ne jouissez que de faveurs accordées par la volonté
ministérielle.
Messieurs, je pense que le gouvernement lui-même
n'est guère disposé à défendre le projet, qui d'ailleurs n'est pas son œuvre;
c'est l'œuvre de l'ancien ministère; nous pouvons aisément nous mettre
d'accord. Le projet n'a plus qu'un défenseur sérieux. C'est l'honorable M.
Mercier, auteur du projet. Il y a bien aussi l'honorable M. Donny; mais il a si
peu insisté que ce n'est pas la peine d'en parler. Laissons donc les choses
comme elles sont; notre marine n'a pas besoin de cela; M. Dumortier vous l'a
très bien expliqué, nous lui accordons des primes pour qu'elle construise; si
elle manque de fret, qu'elle transporte nos produits; elle n'a pas besoin de
ceux de l'étranger.
Je
finirai en répondant à M. le ministre des finances que loin de vouloir établir
une muraille de Chine entre l'étranger et nous, nous sommes disposés à
supprimer notre faible haie qui nous sépare de lui ; mais nous voulons au
contraire voir renverser la solide muraille française et allemande, en même
temps que notre faible et mourante petite haie. J'ai dit.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - Deux orateurs viennent de se prononcer, par des
motifs différents, contre le principe du projet. Je commencerai par la dernière
observation : que le gouvernement ne soutiendrait pas sérieusement le projet.
Mais que se passe-t-il donc? Peut-on défendre le projet d'une manière plus
sérieuse, j'allais dire plus vivement que je ne l'ai fait tout à l'heure? Je
crois ce projet très utile, je crois que la véritable discussion doit se porter
sur les moyens de donner toute sécurité a l'industrie, de la garantir contre
les appréhensions même les moins motivées. Cherchons ces moyens. Je les ai
cherchés dans la limitation des marchandises manufacturées à déclarer en
consommation. Je regrette que l'on n'ait pas démontré l'insuffisance de ce
remède. Je dis plus, si le minimum est trop bas, s'il faut faire une
distinction pour les tissus dont le poids de 50 kilogrammes représenterait une
valeur trop faible, nous examinerons la distinction qu'il faudrait faire.
(Erratum inséré à la page 198) Mais
voyons, si tout en laissant au commerce sa liberté d'action, on peut laisser à
l'industrie belge toute la sécurité à laquelle elle a droit et que j'ai en vue
de lui assurer.
C'est
toucher au tarif, a dit l'honorable M. Dumortier. Déjà maintes fois on a fait
remarquer qu'il ne s'agit pas de toucher au tarif où l'industrie étrangère
trouve la barrière que nous voulons élever contre elle, la seule que nous
puissions vouloir élever contre elle.
Si
l'on veut une protection plus forte, que ce soient des droits plus forts mais
que l'on ne cherche pas à empêcher la liberté, l'indépendance du commerce. A ce
point de vue, qu'importe que les relations se développent entre les pays de
l'Europe el les pays transatlantiques ?
M.
Dumortier. - Je demande la parole. On ne peut pas dire pareilles choses.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - J'insiste sur ce point puisque l'honorable
membre le conteste.
Je dis
que le commerce peut se développer, que nos ports de mer peuvent acquérir une
prospérité qu'ils n'ont pas, par des relations de grand commerce qui ne
touchent pas aux relations de l’industrie. N'est-il pas possible que nos
relations avec l'Allemagne et la France se développent el que les relations du
commerce étranger avec les contrées transatlantiques sur le territoire belge se
développent sans que l'industrie en souffre? Il y a plus, si ces relations
s'établissent, se fécondent, ce sera incontestablement au profil de l'industrie
belge. Sont-ce les occasions d'expédition qui manquent? Je viens déjà de le
faire remarquer; à peu près tous les navires qui quittent nos ports, vont
chercher au loin leur chargement, ils partent sur lest.
On
a été obligé récemment à Anvers de permettre l'ouverture des portes du bassin
pendant la nuit pour que le service du lestage pût se faire avec assez de
célérité. N'est-ce pas là un symptôme qu'il y a beaucoup à faire pour notre
commerce ?
L'honorable
nombre ajoute : Nous faisons un avantage au commerce étranger parce que nous
n'avons pas de marine. Mais, messieurs, je demande d'abord quelle sera la
réaction de cette loi sur la création d'une marine. Je demande s'il y a la
moindre connexité entre cette loi el les développements de la marine belge. (Interruption.) Je dis la moindre
connexité quant à la lésion qui pourrait en résulter, et je pense que la
chambre ne se méprend pas sur ma pensée.
(page 184) Si le commerce belge se
développe, si nos navires comme les navires étrangers trouvent le moyen de
compléter dans les ports belges, en produits étrangers et en produits belges,
les cargaisons qui leur sont nécessaires pour avoir un fret de retour, la
réaction naturelle, nécessaire est toute favorable à noire marine.
Je
conçois, messieurs, une idée abstraite qui séduit. Il faut, dit-on, que les
navires qui viendront dans nos ports, forment des pacotilles de produits
belges. Plût à Dieu qu'il en fût toujours ainsi ! Mais ce n'est pas parce
que nous l'aurons décrété que cela sera. Il faut que vous subissiez les
habitudes du commerce, et ces habitudes ne sont pas arbitraires. Ces habitudes
sont fondées sur les intérêts, et vous ne pouvez satisfaire ces intérêts qu'en
donnant aux navires qui fréquentent nos ports, qu'ils soient belges, qu'ils
soient étrangers, les moyens d'exporter simultanément et nos produits et les
produits étrangers. Et je le répète, l'expérience est là ; plus vous aurez
d'exportations, plus on entraînera de vos produits avec ces exportations.
L'honorable
membre est revenu sous une autre forme, sous une forme plus saisissante, à
l'objection que déjà j'avais rencontrée, que l'industrie étrangère allait se
substituer à l'industrie nationale. Mais ici encore j'invoque les faits. En
matière de législation, fondons-nous sur les faits et nous errerons rarement.
Je prie l'honorable membre qui a reproduit l'objection, de détruire
l'observation que j'ai faite tout à l'heure et sur laquelle j'insiste. La loi
nouvelle, quant aux déclarations en consommation, améliore par des dispositions
formelles la situation de l'industrie belge.
Ainsi,
messieurs, sous le régime actuel, sous le régime qui existe depuis la loi de
1828, on peut, en entrepôt de libre réexportation, dans les quatre villes ou
ces entrepôts existent, qui sont les mêmes que celles où l'on propose d'établir
des entrepôts francs, on peut trier, assortir la marchandise, la faire sortir
par mer ou par le libre transit, la déclarer en consommation, quelle qu'elle
soit, en quelque quantité que ce soit. C'est la législation telle qu'elle
existe aujourd'hui, telle qu'elle existe depuis dix-huit ans.
Que
faisons-nous, au contraire? Au lieu de changer cette législation de manière à
léser les intérêts de l'industrie quant aux articles qui sont déclarés en
consommation, nous limitons les quantités ; nous les limitons de manière que
personne ne puisse se plaindre, ne puisse avoir de crainte. Et c'est dans ce
moment qu'on vient dire que l'industrie étrangère se substituera, quant aux
articles de fabrication, à l'industrie belge.
Non,
messieurs, la loi nouvelle donne aux industries belges une garantie qu'elles
n'avaient pas, et je dirai plus, une garantie dont tous les faits passés ont
prouvé qu'elle n'avait pas même besoin.
Un
mot encore sur ce point. Quelle est la garantie que demande l'industrie belge
et dans quelle limite doit-elle la demander? Evidemment, messieurs, la garantie
que l'industrie belge doit demander, naturellement, c'est la garantie pour les
déclarations en consommation; ce n'est que là qu'il y a concurrence.
Il
n'y a pas concurrence si maintenant voire législation est telle, pour prendre
un exemple extrême, que les relations des Etats-Unis avec l'Allemagne ne
puissent pas se faire par la Belgique. Mais si votre législation est telle,
qu'arrivera-t-il? Arrivera-t-il, par la force de votre législation, que ces
relations n'auront pas lieu? Evidemment non, elles se feront par une autre
voie, elles se feront au profit d'autrui et non au vôtre.
Que
faisons-nous donc dans notre pays depuis dix ans? Ne cherchons-nous pas à attirer
sur notre pays tous les avantages commerciaux que sa position lui assure? S'il
faut que ces relations soient restreintes, il faut abroger toutes les lois que
l'on a faites depuis dix ans.
L'honorable
membre qui vient de se rasseoir, a fait quelques objections pratiques. Comment
reconnaîtrez-vous, a dit cet honorable membre , que les quantités de moins de
50 kilog. sont un solde de compte d'entrepôt? La réponse est très simple. Il
n'est pas tenu de compte dans l'entrepôt franc quant à la perception des droits,
parce qu'il n'y a pas de droits. Mais il est évidemment tenu compte des
admissions en entrepôt franc pour la perception des droits de magasinage, et
dès lors nous avons, dans les registres de perception de ces droits, la
garantie que l'on n'infiltrera pas dans le pays, par petites quantités en
dessous du minimum, les produits qui seraient soumis à ce minimum.
L'honorable
membre a fait d'autres objections qui sont fondées sur une erreur de fait. Il
suppose que l'enceinte de l'entrepôt franc sera une espèce de promenade
publique, où l'on ira se pourvoir d'un châle, de foulards, ou d'autres objets
qui peuvent être facilement fraudés par ceux qui entrent dans l'entrepôt.
Messieurs, il y a là une impossibilité absolue. Comment ! Voilà une
enceinte qui peut contenir une valeur de 50 à 60 millions , et ce serait un
lieu banal où l'on irait se promener, acheter un châle , un foulard? Mais,
d'abord, la nature même de l'entrepôt franc empêchera qu'il n'entre dans cet
entrepôt des personnes autres que celles qui auront intérêt à y entrer ; et les
règlements seront très sévères sur ce point.
Je
prends encore pour exemple ce qui existe alors que les motifs ne sont pas aussi
puissants. Croyez-vous que le premier venu entre aujourd'hui dans l'entrepôt,
que les dames viennent s'y pourvoir de châles? Cela n'est pas possible. Cela
n'est pas possible pour la responsabilité qui résulte de la garde de pareils
dépôts. Cela n'est pas possible, parce que les opérations qui se font dans
l'entrepôt ne permettent pas que ce soit une place publique. Il faut,
messieurs, pour entrer dans un entrepôt, un motif sérieux, un motif déterminé ;
il faut dire ce que l'on y va faire, et l'on est surveillé lorsqu'on y va. Cela
existe partout, et cela doit exister dans les entrepôts francs bien plus encore
que dans les entrepôts que nous avons aujourd'hui.
M. Lys. - Vous entrez pour aller
voir des marchandises.
M. le
ministre des finances (M. Malou). - On me dit : Vous entrez pour aller voir des marchandises!
Mais, messieurs, demandez-vous si l'on peut tirer, contre une institution comme
celle-là, une objection de ce qu'il serait possible qu'un foulard ou qu'un
châle mis dans la poche d'un individu qui va voir des marchandises, pût être
clandestinement introduit en Belgique. Demandez-vous si en supposant que cette
objection soit fondée, les entrepôts francs sont condamnés.
On
suppose d'ailleurs qu'en sortant de l'entrepôt franc, on est affranchi de toute
visite. Mais c'est précisément le contraire. La surveillance s'exercera dans
l'entrepôt, et il existera une commission chargée de l'organiser en vertu de la
loi même; en sortant de l'entrepôt, la douane qui est aux portes, peut faire ce
qu'elle fait aux bureaux-frontières, fouiller et faire fouiller soigneusement
pour découvrir les objets que l'on tenterait de frauder; et dès lors je ne sais
qui s'exposerait à cette chance.
Quand
vous passez la frontière de Hollande, quand, par exemple, les colis dont
l'honorable M. Manilius a décrit le voyage, revenaient à Bruxelles par
Turnhout, on avait la chance de passer entre la douane; mais ici vous devez
rencontrer la douane en sortant de l'entrepôt, et on irait frauder là où la
fraude a le plus de chances d'être surprise et punie ! Je n'hésite pas à le
dire, messieurs, si cette objection était fondée elle serait insuffisante
contre le principe de la loi; mais elle n'est pas fondée.
Je
n'ai qu'un mot à ajouter sur une dernière observation de l'honorable M.
Manilius. Cet honorable membre croit que le gouvernement pourrait refuser les
facilités qui ont été données jusqu'à présent dans les entrepôts de libre
réexportation; je prie l'honorable membre et ceux qui partageraient son avis,
de vouloir bien me citer la disposition législative qui contient la faculté
pour le gouvernement d'interdire ou même de restreindre en quelque point que ce
soit les facilités que j'ai indiquées tout à l'heure. J'ai étudié toute cette
législation et je n'y ai trouvé rien de semblable. Aujourd'hui le commerçant
qui demanderait à trier, à assortir ses marchandises dans un entrepôt de libre
réexportation, qui, par quantités quelconques, les déclarerait en consommation,
pourrait le faire, parce que le gouvernement n'aurait pas le droit de l'en
empêcher.
Eh
bien, au profil de l'industrie belge nous changeons cet état de choses, nous
empêchons que de l'entrepôt franc on ne puisse introduire dans la consommation
des quantités inférieures à ce que j'appellerai le commerce en gros. C'est là
la pensée qui m'a guidé en rédigeant mon amendement. Si des distinctions sont
nécessaires, je le répète, je m'y prêterai volontiers. Mais j'ai voulu,
messieurs, insister, surtout, sur la pensée que j'ai cru exprimer en quelques
mots : il ne faut pas que l'entrepôt franc devienne un bazar ni un magasin de
détail, ni de demi-gros; il faut que vous traitiez réellement dans l'entrepôt
franc les ventes en gros.
Permettez-moi,
messieurs, encore une réflexion à cet égard. Qu'arrive-t-il quelquefois
maintenant dans les relations commerciales de la Belgique avec l'étranger? Il
arrive que des produits étrangers similaires aux nôtres sont introduits dans le
pays; qu'alors, soit en raison d'un retard, soit en raison d'autres
circonstances, ils ne peuvent plus entièrement convenir. Cependant ces produits
sont introduits; ils doivent être consommés, ils ne peuvent plus sortir; ils
viennent, et pour la quantité qui est utile, qui est nécessaire dans le pays,
et pour la quantité qui depuis l'introduction a été reconnue surabondante, ils
viennent déprimer les prix, ils viennent faire une concurrence ruineuse à
l'industrie du pays. N'est-ce pas là encore un danger qui est conjuré par
l'établissement du régime nouveau ?
Il
ne faut pas se faire illusion, ce n'est pas par des restrictions du commerce
que vous limiterez la consommation des produits étrangers en Belgique; c'est,
d'une part, par l'activité et l'intelligence de nos industriels; c'est, d'autre
part, par la protection des tarifs. Je reviens toujours à ce point, c'est par
la protection directe, et quand l'occasion s'en présentera, nous discuterons
volontiers si la protection de nos tarifs est suffisante pour tous les
articles. Déjà je le répète, le gouvernement et les chambres ont beaucoup fait
sous ce rapport depuis quelques années. Mais c'est une idée contraire aux
intérêts du pays, que de chercher dans
les mesures hostiles au commerce des dispositions favorables à
l'industrie et c'est cette idée que vous sanctionneriez si vous établissiez des
entraves au commerce sans une évidente nécessité et alors qu'on peut donner à
l'industrie toutes les garanties et toute la sécurité dont elle a besoin.
-
La séance est levée à 4 heures 3/4.
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