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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 février 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 544) M. Huveners procède à l'appel nominal à deux heures.

M. A. Dubus donne lecture da procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les membres du conseil communal des Awirs réclament l'intervention de la chambre pour que le gouvernement fasse rétablir dans cette commune une rampe d'abordage à la Meuse, et qu'il la place à l'endroit où elle a toujours existé. »

M. Lesoinne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs propriétaires et habitants de Flémalle, Sclessin et autres communes dans la province de Liège, demandent l'abrogation de l'article 7 du titre XXVIII de l'ordonnance de 1669, sur la police du halage. »

- Sur la proposition de M. Lesoinne, cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.


« Plusieurs habitants d'Avelghem présentent des observations sur la (page 545) direction qu'on se propose de donner à l'embranchement du chemin de fer de Courtray à Bossuyt, dont on demande la concession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Tirlemont demandent l'établissement d’un fonds d'agriculture qui permette d'indemniser le cultivateur dont une bête à cornes aura été abattue pour cause de pleuropneumonie épizootique. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Cappellen prie la chambre de mettre à son ordre du jour le projet de loi qui rectifie les limites emtre les communes d'Eeckeren et de Cappellen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de la loi.


« Plusieurs cultivateurs de Cambron-Casteau, Lens et Brugelette demandent le maintien de la direction primitive du canal projeté de Mons à Alost. »

M. Lange. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Par dépêche en date du 30 janvier, M. le ministre de la guerre transmet à la chambre les explications demandées sur la pétition du sieur Martin Braive. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le président. - Dans une séance précédente, la chambre a chargé le bureau de compléter la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre. Le bureau a nommé M. Vanden Eynde en remplacement de M. Cogels.

Vous avez aussi chargé le bureau de compléter la commission chargée de l'examen des projets de loi sur la circonscription cantonale. Il a nommé M. Zoude en remplacement de M. d'Hoffschmidt, M. Orban en remplacement de M. Jadot, et M. Veydt en remplacement de M. Cogels.

Projet de loi modifiant la législation sur la milice

Motion d'ordre

M. de Muelenaere. - Messieurs, à la fin de la séance de samedi, l'honorable M. de Roo a fait une motion d'ordre, sur laquelle la chambre n'a pu statuer, parce qu'elle n'était plus en nombre compétent pour prendre une décision. Je vois que l'honorable M. de Roo n'est pas présent, et comme sa motion ne manquerait pas de surgir plus tard et probablement à une époque moins opportune, puisqu'elle arrêterait la discussion du projet de loi sur la milice, qui a figuré déjà plusieurs fois à l'ordre du jour, je demande à la chambre la permission de la reproduire.

Vous savez, messieurs, que ce projet de loi vous a été présenté dans votre session dernière et qu'un rapport vous a été fait vers la fin de cette session.

La section centrale, dans son rapport, n'examine pas le mérite ni la valeur intrinsèque des dispositions du projet ; elle se borne à conclure à l'ajournement. Elle en donne plusieurs motifs ; il y en avait qui étaient particuliers à la position dans laquelle se trouvait la chambre à cette époque. L'un de ces motifs, c'est que la session étant vers sa fin, il n'était pas probable, disait la section centrale, que la chambre pût encore utilement s'occuper de ce projel. Sous ce rapport, les prévisions de la section centrale se sont réalisées et le projet n'est pas venu en ordre utile pour la discussion.

Mais la section centrale donnait un autre motif, c'est qu'elle désirait, dit-elle, une fusion complète et générale de toutes les lois sur la milice, ainsi que des nombreuses décisions qui s'y rapportent, en un mot, elle demandait un code complet de milice.

Il serait sans doute, messieurs, très désirable, que les six lois qui régissent aujourd'hui la matière, et que les nombreuses décisions ministérielles qui ont acquis en quelque sorte force de loi par l'application qu'on en fait depuis longtemps, par la jurisprudence des conseils de milice et des députations permanentes, pussent se fondre dans une seule et même loi, dans laquelle chaque individu pût lire et ses droits et ses obligations relativement là la milice ; mais je suis persuadé, messieurs, que ce serait un travail fort long, et je ne pense pas que le gouvernement soit en mesure de vous présenter ce projet de loi.

Dès lors les améliorations qu'on a réclamées dans cette enceinte même aux lois sur la milice ne doivent pas, me semble-t-il, être retardées, à défaut de présentation de ce projet, et rien ne nous empêche de nous occuper du projet actuel qui fait droit à quelques-unes des réclamations qui ont été produites.

Cependant, messieurs, je dois en convenir, il me semble que le projet actuel, tel qu'il est, à défaut de rapport de la section centrale, n'est pas en état d'être utilement discuté. Je ne pense pas que dans une matière aussi importante, dans une matière qui touche à de si graves intérêts, la chambre veuille discuter le projet au fond sans connaître l'opinion des sections et sans avoir un rapport de la section centrale elle-même sur les dispositions du projet. Au surplus, ce projet, messieurs, semble avoir besoin d'être complété.

La loi de 1817 a posé le principe d'après lequel le contingent de la levée annuelle est fixé d'après la population de chaque commune. Le projet actuel substitue un principe nouveau à ce principe fondamental de la loi de 1817 ; le contingent serait maintenant fixé d'après le nombre des miliciens inscrits.

Je ne veux pas discuter le mérite relatif de ces deux dispositions ; c'est là la question du fond. Mais je ferai seulement remarquer que la loi de 1817, en posant le principe, a déterminé le mode de son application, c'est-à-dire que la loi de 1817 s'est occupée avec soin de dire ce que l'on ferait des nombres fractionnaires. Or, ces dispositions de la loi de 1817, ne sont plus applicables au principe nouveau déposé dans le projet actuel. Dès lors, messieurs, si la section centrale, d'accord avec le gouvernement sur ce point, propose de substituer au principe écrit dans la loi de 1817, le principe nouveau, c'est-à-dire la levée du contingent proportionnellement au nombre des miliciens inscrits, il faut nécessairement que ce principe soit développé dans la loi nouvelle ; il faut que dans la loi nouvelle on dise ce que l'on fera des nombres fractionnaires qui se présenteront chaque année, et qui seront d'autant plus importants que le chiffre sur lequel il faudra opérer sera plus restreint.

Il me semble, messieurs, qu'en cette matière il faut des dispositions claires et positives ; qu'il faut, autant que possible, des règles fixes. Vous ; savez qu'en général les miliciens qui sont désignés pour le service, ne sont que trop enclins à se plaindre des décisions des autorités supérieures. C’est dans l'intérêt des députations, dans l'intérêt de l'autorité supérieure que je crois devoir insister pour qu'on laisse le moins de place possible à l'arbitraire de l'homme.

Dès lors, tout en reproduisant la motion qui a été faite par l'honorable M. de Roo, je demande à mon tour que le projet de loi sur la milice soit renvoyé à la section centrale, avec invitation à cette section de s'occuper des dispositions du projet lui-même dans le plus bref délai possible, et de nous présenter un rapport sur ces dispositions, afin que la chambre puisse alors utilement passer à la discussion du projet de loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'inviterai la section centrale de vouloir bien s'occuper le plus promptement possible de l'examen des dispositions de ce projet, afin qu'il puisse être discuté dans le plus bref délai.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, je viens appuyer la demande faite par M. le ministre de l'intérieur. La loi qui vous est soumise est importante en ce qu'elle est nécessaire pour compléter l'organisation de l'armée.

Il suffit de jeter les yeux sur un seul article de cette loi pour se convaincre de son utilité. Cet article agite la question suivante : Si, dans les 80,000 hommes que vous avez admis en principe l'année dernière, il faudra continuer à compter 20,000 hommes qui n'ont jamais porté le fusil, qui sont incapables de le porter et de résister aux fatigues de la guerre ; ou s'il n'est pas préférable de ne compter dans ces 80,000 hommes que des miliciens en état de remplir tous les devoirs qui peuvent leur être imposés.

Je demande en conséquence que cette question ne soit pas retardée indéfiniment. Je le demande avec d'autant plus d'instance que, si la loi est votée dans le courant de février, elle pourra recevoir immédiatement un commencement d'exécution, en ce que les miliciens qui auront pris part au tirage au sort en 1846, pourront n'être incorporés que dans l'année 1847 et n'être passibles que d'un service de 8 années. Si, au contraire, la loi ne se discute pas immédiatement, je dois faire observer à la chambre que d'après la loi de 1817, la remise à l'autorité militaire se fera, conformément à la loi de 1817, successivement du 1er mars au 15 mai et que l'exécution de la nouvelle loi sera remise de fait d'un an.

Messieurs, je le répète, cette question est des plus importantes, et je demande, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, qu'elle soit résolue le plus tôt possible. Je ne m'oppose pas au renvoi du projet à la section centrale, mais je demande que celle-ci soit invitée à faire un prompt rapport.

M. de Muelenaere. - Je n'ai fait cette motion d'ordre, je n'ai demandé le renvoi du projet de loi à la section centrale que dans le but d’arriver plus tôt à la discussion du projet de loi. Car je suis persuadé que ce projet, dans son état actuel, avec le rapport de la section centrale, ne serait pas discuté par la chambre. Ainsi, sous ce rapport je suis parfaitement d'accord avec M. le ministre de la guerre. Je désire, comme lui, que la discussion ait lieu le plus tôt possible et qu'elle ait lieu d'une manière utile.

- La motion de M. de Muelenaere est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, le projet de loi sur la milice est renvoyé à la section centrale avec prière de faire un prompt rapport.

Motion d'ordre

Convention commerciale avec la France

M. Rodenbach. - Messieurs, peu de jours avant nos vacances, j'ai demandé au gouvernement de bien vouloir nous donner quelques détails sur le traité de commerce conclu avec la France le 13 décembre dernier. Il m'a été répondu alors que les ratifications n'étant pas échangées, on ne pouvait donner aucune explication. Aujourd'hui que le traité a été ratifié, je désirerais savoir si M. le ministre des affaires étrangères nous le soumettra dans un bref délai. Il s'agit d'une question qui excite vivement l'intérêt du pays, et particulièrement des deux Flandres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'échange des ratifications a eu lieu. Les instruments des ratifications sont parvenus depuis quelques jours au gouvernement. Mon intention est de présenter cette semaine le projet de loi à la chambre.

Projet de loi prorogeant la loi du 22 septembre 1835

Discussion de l'article unique

L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« La loi du 22 septembre 1835, telle qu'elle a été modifiée par celle du 25 décembre 1841, est prorogée jusqu'au 1er mars 1849. »

M. Jonet. - Dans sa séance du 16 décembre dernier, votre deuxième section, après avoir examiné le projet de loi tendant à proroger la loi du 22 septembre 1835 sur les étrangers, a admis à l'unanimité le principe de l'expulsion ; mais en même temps elle a manifesté le désir que la loi donnât plus de garantie à ceux que l'on voulait chasser du pays. La loi actuelle, a-t-elle dit, laisse trop d'arbitraire au pouvoir, ayant été faite dans des circonstances où l'arbitraire était pour ainsi dire une nécessité.

En conséquence, après discussion, elle chargea son rapporteur de s'expliquer à cet égard à la section centrale.

(page 546) Je ne suis point l'auteur de la proposition ; mais je dois le dire, je l'ai approuvée, et comme rapporteur, j'ai dû, à la section centrale, remplir la tâche que mes collègues m'avaient imposée.

Il résulte de ce premier fait, que la note que M. le rapporteur de la section centrale a transcrite à la page 2 de son rapport, est de moi, et partant, que je dois en assumer la responsabilité. Aussi, loin de la répudier cette responsabilité, je l'accepte.

Maintenant abordons les questions ; et pour être juste, ne confondons pas ce que demande la section, avec la proposition de son rapporteur.

La section désire, donc, que la loi sur les expulsions donne plus de garantie aux étrangers que l’on veut expulser du territoire belge.

Tel est le premier point à traiter ; après cela, viendra subsidiairement la question de savoir, si le rapporteur a bien traduit la pensée de la section et bien tracé la route qu'il faudrait suivre pour atteindre le but.

Première et principale question :

Faut-il proroger la loi du 22 septembre 1835, sans modification aucune, ou convient-il de prendre des mesures propres à prévenir des abus, non encore commis peut-être, mais possibles ?

Sur cette première question voici les bases de mon opinion personnelle.

La Belgique est jeune, et ses institutions ne datent que de 16 ans au plus.

En les étudiant ces institutions, on y remarque deux buts, que la législature a toujours cherché à atteindre ; savoir, 1° l'ordre et 2° garantie contre les abus. Pour l'ordre, rien de mieux que l'absolutisme ; pour la garantie, il faut autre chose.

C’est ainsi, qu'entre mille exemples que l'on pourrait citer, le congrès national, en créant un Roi pour nous gouverner, n'a pas voulu lui donner un pouvoir trop étendu ; mais en instituant la royauté, il a institué aussi des chambres législatives, des tribunaux, des conseils provinciaux et communaux, une cour de compte, etc., etc.

C'est ainsi encore, qu'en donnant au Roi le droit de concéder des mines, le législateur a voulu que chaque conccssion fût précédée de l'avis d'un conseil, qu'il a spécialement institué à cette fin.

C'est ainsi que, dans une autre matière, la loi de 1835 sur l'enseignement supérieur a permis au Roi d'accorder à un avocat ou à un médecin étranger, la faculté d'exercer son état en Belgique ; mais cette prérogative, le roi ne peut l'exercer, qu'après avoir pris l'avis conforme du jury d'examen (articles 64, 65 et 66 de la loi du 27 septembre 1835).

C'est ainsi enfin, que la loi du 1er octobre 1835, sur les extraditions, autorise le gouvernement à livrer, dans des cas donnés, aux gouvernements des pays étrangers, tout étranger qui a commis, dans son pays, l'un ou l'autre des crimes que la loi énumère et qu'elle désigne comme suit :

1° L'assassinat ; 2° l'empoisonnement ; 3° le parricide ; 4° l'infanticide ; 5° le meurtre ; 6° le viol ; 7° l'incendie ; 8° le faux en écriture ; 9° la fausse monnaie ; 10° le faux témoignage ; 11° le vol ; 12° l'escroquerie ; 13° la concussion ; 14° la soustraction des deniers publics ; et 15° la banqueroute frauduleuse ; mais après avoir donné ce droit au gouvernement, la loi ajoute immédiatement, que l'extradition ne pourra être accordée que sur la production de certaines pièces, et qu'après avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'étranger aura été arrêté (articles premier et 2 de la loi.)

Ces précédents connus, examinons froidement s'il ne conviendrait pas de prendre une mesure analogue pour les expulsions.

Je le déclare hautement, j'ai pleine et entière confiance dans les personnes qui, aujourd'hui en Belgique, sont chargées des expulsions. Mais ces personnes resteront -elles toujours au pouvoir, et leurs successeurs n'abuseront-ils jamais d'une prérogative qui leur aurait été conférée par un mandat trop vague ?

C'est ce qu'il faut prévenir ; car il est plus facile d'empêcher des abus qui ne sont pas encore commis, que de réparer ceux qui sont déjà perpétrés. Il est du devoir du législateur de prévoir ; c'est ce qu'a fait la deuxième section, en chargeant son rapporteur du mandat que nous avons transcrit plus haut.

Votre seconde section, en émettant un vœu, un désir, en formant, si l'on veut, une demande, a prouvé qu'elle connaissait l'esprit de nos lois, et c'est pour mettre la loi sur les expulsions en harmonie avec les autres qu'elle a cherché à appeler l'attention de la section centrale et de la chambre, sur une matière digne de leur examen.

Cela dit, passons à la seconde question :

S'il est utile, s'il est convenable, s'il est à désirer qu'un contrôle soit donné aux actes du gouvernement en matière d'expulsion, quelle mesure doit être prise ?

A cet égard la section ne s'est point expliquée d'une manière tranchante. On y avait parlé des chambres des mises en accusation, d'abord, et des tribunaux correctionnels, ensuite.

Son rapporteur, à qui on avait laissé une certaine latitude, a préféré les seconds aux premières ; mais je prie la chambre de l'observer, il ne s'est point arrêté à ce moyen unique, car ce n'est que par forme d'exemple qu'il a parlé des tribunaux correctionnels, sans entendre lier en rien ceux qui voudraient faire d'autres propositions.

« De même, a-t-il dit, que la loi du 1er octobre 1835 porte :

« Art. 2. L'extradition ne sera accordée que sur la production du jugement ou de l'arrêt de condamnation, ou de l'arrêt de la chambre des mises en accusation, et après avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'étranger aura été arrêté ; » de même on pourrait, par exemple, dire dans la loi sur les expulsions : « Aucune expulsion ne sera ordonnée que sur la production des pièces ou l'indication des faits, et qu'après avoir pris l'avis du tribunal correctionnel dans le ressort duquel l'étranger se trouve, etc. »

Vous le savez, messieurs, la majorité de la section centrale a repoussé la proposition de la seconde section, par des motifs que vous avez sous les yeux et dont je dois ici apprécier le mérite.

Cette majorité ne veut donner aucune garantie nouvelle aux étrangers menacés de l'expulsion, par deux motifs principaux :

1° Parce que depuis 1835 le gouvernement a usé avec la plus grande modération du droit d'expulser les étrangers.

Pour mon compte, je n'ai aucun fait contraire à citer. Si quelques-uns en ont, ils pourront les indiquer.

Mais, il semble que la majorité de la section centrale perd de vue que c'est pour l'avenir que la seconde section a demandé des garanties ; et cet avenir est grand. De ce que nos ministres passés et présents n'ont point fait de mal, s'ensuit-il que nos ministres futurs n'en feront point ?

En 1833, nos ministres n'avaient pas, que je sache, livré inconsidérément à des gouvernements étrangers, des hommes étrangers qui avaient commis des crimes dans leur pays ; et cependant l'article 2 de la loi du 1er octobre, sur les extraditions, fut adopté sans opposition de la part des ministres, qui se trouvaient ainsi légèrement liés dans leur action.

Je ne dirai pas qu'aucun ministre ait jamais provoqué une extradition non justifiée ; mais ce qui est à ma parfaite connaissance, c'est que les chambres des mises en accusation ont quelquefois refusé leur assentiment à des extraditions demandées. L'établissement d'une surveillance n'es donc pas une inutilité, une superfétation ; cette surveillance ne fût-elle utile qu'une seule fois par année, il y aurait des motifs suffisants pour l'établir en matière d'expulsion, comme elle existe déjà en matière d'extradition.

2° La majorité de la section centrale ne veut pas que les tribunaux interviennent dans cette matière ;

A. Parce qu'ils ne sont pas institués pour cela.

B. Parce que les lenteurs judiciaires pourraient compromettre dans certains cas la sûreté de l'Etat.

C. Parce que, pour les faire intervenir, il faudrait que tous les cas d'expulsion fussent indiqués et prévus par la loi, et

D. parce que les magistrats d'un arrondissement ne font pas la police de tout le royaume, et que le fait qui trouble l'ordre n'est pas toujours local, etc.

Voyons si tout cela est vrai, si tout cela est péremptoire.

A. Les tribunaux ne sont pas institués pour connaître des expulsions. Cela est vrai ; mais en 1833, l'étaient-ils pour donner un avis sur les extraditions ? Je ne le crois pas, et malgré cela, l'avis préalable des chambres des mises en accusation a été exigé.

Les raisons que l'on a fait valoir alors peuvent encore être invoquées aujourd'hui. Qu'on me permette donc de les résumer en peu de mots :

« 1° Exigera-t-on, se demandait la section centrale de l'époque, l'intervention d'un corps judiciaire avant d'autoriser l'extradition ?

« 2° Faudra-t-il une décision, ou se contentera-t-on d'un simple avis ?

« 3° Quel sera le corps judiciaire qui interviendra ?

« La première question a été résolue affirmativement à la majorité de quatre voix contre une ; un membre s'est abstenu. Il en résultera une garantie importante pour les réfugiés : une cour de justice examinera les pièces, entendra l'étranger, et le ministère public s'assurera que le crime n'a aucun rapport avec la politique.

« Sur la deuxième question, nous avons tous pensé qu'on ne pouvait exiger qu'un avis.

« Troisièmement, quelle autorité judiciaire sera consultée ? Nous avons pensé tous que ce ne devait pas être la cour de cassation, parce qu'elle est plutôt appelée à examiner des points de droit que des points de fait ; qu'il y aurait d'ailleurs plus de difficulté à faire comparaître l'étranger devant cette cour, et enfin à raison de sa haute juridiction sur les ministres.

« La chambre du conseil, que deux membres de la section auraient préférée, n'a pas offert à la majorité de la section une sûreté suffisante.

« Parmi les autres corps judiciaires, c'est à la chambre des mises en accusation de la cour d'appel, dans le ressort de laquelle l'étranger est arrêté, qu'il a paru le plus convenable de conférer cette attribution spéciale. Les lumières des conseillers, leur nombre, leur position, doivent inspirer toute confiance et donneront un grand poids à leur avis. » (Extrait du rapport de la section centrale chargée d'examiner la loi du 1er octobre 1833.)

B. Les lenteurs judiciaires peuvent compromettre la sûreté de l'Etat.

Mais ces lenteurs ne se feront pas plus sentir en matière d'expulsion qu'en matière d’extradition.

Qu'on ne se trompe pas, il ne s'agit point ici de rendre un jugement qui exige des délais et des formalités ; il ne s'agit que de donner un avis qui n'exige qu'un simple examen des pièces produites. Les lenteurs ne sont donc point a craindre.

Quant à la sûreté de l'Etat, si jamais il était compromis par une conspiration ou un complot, ce ne serait pas par l'expulsion qu'il faudrait procéder ; mais ce serait par des arrestations et des poursuites criminelles qu'il faudrait agir ; c'est ainsi que la loi permet d'agir contre des Belges criminels et, sous ce rapport, les étrangers ne jouissent d'aucun privilège.

C. Pour faire intervenir les tribunaux il faudrait que tous les cas d'expulsion fussent prévus et déterminés par la loi.

Eh bien ! ils le sont, qu'on lise l'article 1 de la loi du 22 septembre 1835, et l'article 1 de la loi du 1er octobre 1833, et l'on verra, d'abord, que l'étranger résidant en Belgique ne peut être expulsé, que quand par sa conduite il compromet la tranquillité publique en Belgique, ou alors que, dans son pays, il a déjà été poursuivi ou condamné, pour un des crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, dont, nous avons donné le texte ci-dessus.

(page 547) Que devraient faire les juges qui seraient chargé de la surveillance ?

Dans le premier cas, ils devraient voir si les faits indiqués comme propres à troubler la tranquillité publique, existent réellement et sont assez graves pour autoriser l'expulsion ; dans le second, ils devraient faire ce que les chambres des mises en accusation sont autorisées à faire quand il s'agit d'extradition, c'est-à-dire qu'ils devraient vérifier si l'homme que l'on veut expulser est étranger ; s'il a été poursuivi ou condamné dans son pays pour un des crimes prévus par la loi précitée ; si les pièces produites justifient la demande ; enfin s'il n'y a ni légèreté, ni passion, ni arbitraire dans la mesure proposée.

D. Les magistrats d'un arrondissement ne font pas la police de tout le royaume, et le fait qui trouble l'ordre n'est pas toujours local.

Cela est vrai, mais est-ce à dire qu'il ne faut ni surveillance ni contrôle en matière d'expulsion ; est-ce à dire qu'il faut laisser au gouvernement un pouvoir illimité et absolu ?

Le fait qui trouble l'ordre doit être indiqué et bien constaté sans doute ; or qui peut mieux le constater que le juge qui a la recherche des délits dans ses attributions. Si le juge de la résidence de l'étranger est trop éloigné du lieu du désordre, que l'on charge celui de cette localité.

C'est ce que veulent les articles 22 et 23 du code d'instruction criminelle, dont il serait facile d'admettre le principe dans la loi sur les expulsions.

Vous le voyez, messieurs, les motifs de la section centrale ne sont nullement concluants.

J'ai rempli ma tâche. Je ne sais si j'ai atteint mon but ; mais mon intention a été de prouver que les observations de la seconde section n'étaient point indignes de l'examen sérieux de la chambre et du pays.

En tous cas, j'ai rempli consciencieusement mon devoir. J'ai fait ce que je devais ; il en arrivera ce qu'il pourra.

M. Savart-Martel. - Je ne conteste point le principe de la loi de 1835.

Oui, il faut que le gouvernement ait le droit d'expulser les étrangers escrocs, voleurs, faussaires ou vagabonds ; et ceux même dont le seul tort serait de troubler l'ordre public et la paix des familles. Nos mœurs, la situation topographique du pays, et la grande liberté dont on jouit en Belgique, y attirent beaucoup d'étrangers ; ces circonstances suffiraient pour constater la nécessité du droit accordé au gouvernement.

Mais, messieurs, tout en conservant le principe, le moment est venu, me semble-t-il, d'y faire quelques exceptions dans l'application. Ces exceptions, je les ai indiquées dans la section centrale lors de la dernière prorogation, Ce serait en faveur des étrangers ayant déjà une longue résidence en Belgique ; en faveur des étrangers y ayant un établissement de commerce ; et en faveur du père de famille, ayant épousé une Belge avec laquelle il aurait une résidence de 4 ou 5 ans sur le territoire belge.

El pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions, je n'admettrais point l'exception en faveur de ceux qui pourraient être soumis à l'extradition, car notre pays ne doit pas être un lieu d'impunité pour les criminels.

Quant a l'intervention judiciaire, j'en suis aussi partisan, en ce sens que, sans aucune forme de procédure, le gouvernement devrait prendre l'avis du tribunal sauf à agir ensuite sous sa responsabilité. cette garantie est admise dans la loi d'extradition, et je ne vois pas pourquoi on s'obstine à la refuser ici, tandis que notre pays jouit de la plus grande tranquillité.

On nous dit qu'il n'y a jamais eu d'abus ; je l'ignore ; mais notre devoir est d'accorder toutes les garanties compatibles avec le maintien du principe ; et ici je me trouve d'accord avec mon honorable collègue M. Jonet.

D'ailleurs, la question de savoir si un homme est Belge ou non est parfois controversée. Il y a des positions que nos lois n'ont point prévues, et pour ne citer qu'un exemple, je demanderai si vous considérez comme Belges les enfants, petits-enfants, ou arrière-petits-enfants nés à l'étranger de parents qui seraient venus s'établir en Belgique sous Marie-Thérèse, Joseph II ou son successeur, et qui n'ont fait aucune déclaration ?

Je crains qu'une proposition formelle n'ait point, en ce moment, la chance du succès, car il y a urgence de statuer sur la prorogation demandée, puisque la loi de 1835 doit cesser à la fin de ce mois. J'abandonne mes réflexions au gouvernement pour qu'il y ait, par la suite, tel égard que de raison ; mais si la chambre se trouve en position d'amender la loi à ce jour, je voterai dans le sens des amendements qui seront favorables aux étrangers, c'est-à-dire que j'admettrai les exceptions et l'intervention judiciaire. Je trouve odieux qu'on puisse aussi légèrement enlever un mari à son épouse, une mère à ses enfants, et des enfants à leurs père et mère.

Je n'entrerai point ici dans d'autres détails, car l'honorable M. Jonet a développé les moyens que je voulais présenter.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, le principe de la loi n'a pas été contesté par les deux honorables membres que vous venez d'entendre. L'honorable M. Jonet comme l'honorable M. Savart ont reconnu que la loi était utile, ils ont reconnu qu'il fallait laisser au gouvernement, dans l'intérêt public, le droit d'expulser, dans certains cas, les étrangers. Ces deux honorables membres se sont uniquement préoccupés de la question des garanties. Ils ont pensé que la loi actuelle, qui existe depuis 1835, ne présente pas des garanties suffisantes pour prévenir les abus.

Messieurs, nous devons, avant tout, nous préoccuper de l'intérêt du pays ; nous devons voir si la loi ne contient pas des dispositions qu'il importe de maintenir dans l'intérêt du pays, et si les garanties que l'on voudrait donner aux étrangers ne seraient pas de nature à affaiblir les garanties que la loi actuelle a pour but de fournir à la société.

Il s'agit aussi de savoir si les principes que l'on veut introduire dans la loi ne sont pas contraires à la division des pouvoirs et à la responsabilité qui doit peser sur le gouvernement, du chef de l'exécution de cette loi.

L'honorable M. Jonet, en parlant des garanties plus efficaces qu'il désirerait en faveur des étrangers, vous a dit que lorsque la loi a été faite l'arbitraire était en quelque sorte une nécessité...

M. Jonet. - C'est la section centrale qui l'a dit.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C’est possible ; mais, messieurs, vous ne perdrez pas de vue que cette loi, votée primitivement en 1835, a été renouvelée deux fois, en 1838 et en 1841. Or, je pense qu'en 1841 la loi ne devait pas être plus arbitraire qu'elle ne doit l'être en 1846 ; je ne pense pas que ce qui a été trouvé bon et utile en 1841, puisse cesser de paraître tel en 1846, à cause d'un changement dans les circonstances, changement que je ne découvre pas. Il me semble que les circonstances de 1841 et celles de 1846 sont absolument les mêmes, et dès lors on ne peut tirer aucun argument de la différence des époques pour refuser la continuation d'une loi votée en 1841.

L'honorable M. Jonet a reconnu lui-même que la loi a été exécutée de manière à ne donner naissance à aucune plainte. J'irai plus loin ; la loi a été exécutée de telle manière, que si des plaintes se sont élevées relativement à cette exécution, elles ont été basées sur cette critique que le gouvernement a fait un usage trop limité, trop modéré du pouvoir que la loi lui accorde. Je pense donc, messieurs, que ce qui s'est passé jusqu'à présent, doit être une garantie pour l'avenir et qu'il n'y a aucun motif de modifier un état de choses qui existe depuis 1835, sans qu’il en soit résulté le moindre inconvénient, sans qu'aucune plainte ait été faite, sans qu'aucun grief quelque peu sérieux ait été articulé contre le gouvernement.

A quelle fin donc, messieurs, faudrait-il augmenter les garanties écrites dans la loi de 1835 ? A quelle fin faudrait-il appeler le contrôle d'une autre autorité pour examiner et autoriser, en quelque sorte, les actes du pouvoir exécutif ? Je vous avoue, messieurs, que je n'aperçois point le motif d'une semblable modification ; je l'aperçois d'autant moins que, malgré l'avis de la cour ou du tribunal qui serait consulté, le gouvernement demeurerait toujours maître d'expulser ou de ne pas expulser sous sa responsabilité et sauf le contrôle des chambres que l'avis d'une cour ou d'un tribunal ne pourrait sans doute pas remplacer. D'un autre côté, pourquoi faire intervenir les corps judiciaires dans l'exécution de mesures politiques ? Je dis : mesures politiques, non point qu'il puisse s'agir de crimes ou délits politiques, mais parce que ce sont des mesures prises dans l'intérêt du pays et de la sécurité publique.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On invoque, messieurs, la loi sur les extraditions et on dit : « La loi de 1833 a établi le contrôle que nous réclamons ; la loi de 1853 défend au gouvernement de consentir à l'extradition d'un étranger, sans avoir pris préalablement l'avis de la cour (chambre des mises en accusation), et c'est cette mesure que nous voulons introduire dans la loi sur les expulsions. »

Messieurs, ce système a déjà été présenté à la chambre. Il l'a été notamment lors de la discussion première de la loi, et, dans la séance du 27 août 1835, M. Ernst, alors ministre de la justice, répondait dans les termes suivants aux orateurs qui voulaient introduire cette intervention dans la loi :

« Un autre honorable député vous a proposé l'établissement d'une commission judiciaire, c'est-à-dire, qu'il voudrait que la chambre des mises en accusation fût consultée sur les expulsions. Une pareille proposition ne peut être prise en considération. Pour qu'un corps judiciaire intervienne dans les questions d'expulsion, il faudrait que les cas fussent prévus. Cela me semble évident ; or, tout le monde convient que l'on peut prévoir les cas d'expulsion.

« Voilà la différence qu'il y a entre les extraditions et les expulsions.

« Nous n'avons trouvé aucune difficulté à ce que l'on prît l'avis de la chambre du conseil ou de la chambre des mises en accusation, en cas d'extraditions.

« En effet, s'il s'agit de délits ou crimes détermines, il s'agit de vérifier si la demande d'extradition est fondée sur un des cas prévus par la loi. Mais comment la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation pourrait-elle examiner un cas d'expulsion ? Sa mission serait donc de se mêler de police ; ce serait ériger la chambre du conseil en tribunal de haute police ; ce serait enfin mêler le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif. Vous savez que la séparation de ces deux pouvoirs est nécessaire pour conserver l'ordre constitutionnel.

« Puisque j'ai parlé des extraditions, il importe de relever ce qui a été dit par un honorable préopinant. Il a dit que nous aurions mieux fait de laisser subsister la loi de vendémiaire an XII que de proposer une loi nouvelle.

« Je dirai d'abord, messieurs, que quand il s'est agi d'extraditions (je rappelle des faits qui se sont passés dans cette chambre), une extradition qui avait été attaquée dans cette enceinte a été maintenue. La chambre n'a pas cru que l'on dût jeter du blâme sur le ministre, auteur de cette extradition.

« Cependant personne n'a contesté la nécessite de faire une loi sur les extraditions. Moi-même, qui m'étais élevé contre cette extradition que je considérais comme illégale, j'étais le premier à défendre la loi d'extradition dont j'ai été nommé rapporteur. »

Voilà ce que disait, en 1835, à la séance du 27 août, l'honorable M. Ernst. Ce que disait à cette époque mon honorable prédécesseur, me paraît parfaitement vrai, et ce système obtiendra l'approbation de la chambre comme (page 548) les paroles de l'honorable M. Ernst ont mérité cette approbation lorsqu'il les a prononcées.

Je conçois qu'en matière d'extradition, la loi ordonne de consulter la chambre des mises en accusation, bien qu'à la rigueur cela ne me paraisse pas très nécessaire ; mais enfin je puis l'admettre, parce qu'il s'agit là d'apprécier un fait positif et bien spécifié, d'examiner si les pièces produites sont, d'après la législation du pays où le crime a été commis, l'équivalent d'un arrêt de renvoi, d'un arrêt de la chambre des mises en accusation ou d'une ordonnance de la chambre du conseil. Cet examen est purement judiciaire.

Je conçois donc qu'en matière d'extradition le gouvernement s'éclaire des lumières de la chambre des mises en accusation. Mais quand il s'agit d'expulsion, il en est autrement. Lorsqu'une extradition est demandée, la chambre des mises en accusation n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir s'il convient d'extrader tel ou tel individu, mais uniquement sur le point de savoir si le fait repris dans la pièce produite constitue tel ou tel crime ; mais lorsqu'une expulsion paraît nécessaire au gouvernement, il faudrait apprécier la moralité de l'individu, ses antécédents, la circonstance où le pays se trouve, en un mot se livrer à un examen qui sort évidemment de la compétence du pouvoir judiciaire.

Ces considérations établissent la différence essentielle qui existe entre la loi sur les extraditions et la loi sur les expulsions.

Cette différence devient bien plus saillante encore quand on réfléchit que, d'après la loi d'extradition, le gouvernement ne peut consentir à aucune extradition que dans les cas spéciaux déterminés par la loi, tandis qu'en matière d'expulsion, le gouvernement peut s'y déterminer lorsqu'un individu lui paraît compromettre, par sa conduite, la tranquillité publique ; or, on peut compromettre la tranquillité publique sans avoir jamais été condamné d'aucun chef ; si l'intervention de l'autorité judiciaire était admise, quel serait le rôle du gouvernement ? Il devrait aller exposer à la chambre des mises en accusation tous les motifs qui, d'après lui, militent pour l'expulsion, lui mettre sous les yeux les rapports de la police, faire même comparaître devant elle les fonctionnaires et les agents de l'administration, en un mot, le constituer juge de l'opportunité de la mesure. Messieurs, ce serait substituer le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif ; cette substitution, contraire aux principes, diminuerait la responsabilité du gouvernement sans offrir plus de garantie.

Maintenant, si l'on reconnaît qu'on ne peut pas conférer à la chambre des mises en accusation un contrôle semblable d'une manière générale, à quoi bon l'admettre dans certains cas, et surtout dans ceux où l'arbitraire est impossible ?

Mais il y a plus, à quoi servirait ce contrôle ou plutôt cet avis ? Supposons que la chambre des mises en accusation trouve que le crime, à raison duquel un individu a été condamné, ne rentre pas dans la catégorie des crimes prévus par la loi de 1835 ; cet avis empêcherait-il le gouvernement de l'expulser, s'il pense que l'individu dont il s'agit est dangereux, au point de vue de la tranquillité du pays ? Evidemment non ; le gouvernement manquerait à son devoir si l'avis de la cour l'arrêtait. Dès lors à quoi bon s'adresser à elle ?

Du reste, je le répète, cette garantie est même très faible dans la loi des extraditions, puisque ce n'est pas le consentement de la chambre des mises en accusation qu'il faut obtenir, comme le disait l'honorable M. Jonet, mais seulement son avis qu'il faut demander, et que, malgré cet avis, le gouvernement peut donner suite à l'expulsion.

Pour appuyer son argumentation, l'honorable M. Jonet a déclaré que plus d'une fois la chambre des mises en accusation avait émis l'avis qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner l'extradition. Cela est vrai ; je me rappelle très bien que la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles a émis un semblable avis sur des demandes d'extradition ; mais il est peu exact de supposer que le gouvernement avait l'idée préconçue de consentir à ces extractions, et qu'il a été uniquement arrêté par l'avis de la chambre des mises en accusation. S'il s'est adressé à cette chambre, c'est que la loi lui en faisait un devoir, et qu'il ne pouvait se dispenser de le faire, du moment qu'il était saisi d'une demande d'extradition faite par un gouvernement étranger.

Je pense donc devoir m'opposer aux amendements qui pourraient être présentés et qui tendraient à introduire dans la loi l'intervention du pouvoir judiciaire. Je crois qu'il est impossible d'admettre cette intervention, en présence de la liberté d'appréciation qu'il est indispensable de laisser au gouvernement, dans l'intérêt bien entendu du pays.

L'honorable M. Savart voudrait voir admettre dans la loi trois exceptions ; il voudrait que l'individu ayant quelques années de résidence en Belgique, ne put pas être expulsé ; il désirerait que le même privilège fût étendu à l'étranger qui aurait établi une maison de commerce en Belgique ; ou qui y aurait épousé une femme belge et en aurait eu des enfants.

Messieurs, je ne puis admettre aucune de ces exceptions. J'ai sous les yeux le tableau général des expulsions, et le tableau spécial de celles qui ont frappé des individus qui avaient plusieurs années de résidence dans le pays, ou qui y avaient épousé des femmes belges et en avaient eu des enfants. Le nombre de ces individus est de 26. Ces individus auraient donc été à l'abri de l'expulsion, dans le système de l'honorable M. Savart ; et pourtant, messieurs, l'application de la loi à cette catégorie d'individus a été utile ; elle n'a soulevé aucune réclamation. Maintenant, je me demande de quel intérêt il peut être pour le pays de mettre à l'abri de l'expulsion des individus flétris chez eux de condamnations infamantes ; pourquoi leur donner ce privilège à raison d'une résidence plus ou moins prolongée ? Je conçois cet intérêt pour l'étranger, mais je ne le conçois pas pour le pays qui lui donne l'hospitalité.

J'entends dire que l'honorable M. Savart ne veut pas appliquer l'exception aux individus condamnés dans leur pays à des peines criminelles ; il y aurait donc déjà une restriction à l'exception présentée par l'honorable membre.

Même avec cette restriction, je ne puis admettre l'amendement. Il peut arriver, effet, qu'un étranger résidant en Belgique y demeure parfaitement tranquille, pendant un certain nombre d'années. Mais que vienne un événement politique, que surgissent des circonstances imprévues, et cet étranger peut à l'instant devenir dangereux ; sans qu'il ait commis ni crime ni délit, il deviendra peut-être un drapeau autour duquel se rallieront des perturbateurs et le gouvernement serait désarmé ! L'intérêt du pays permet-il une semblable tolérance ?

Je ne vois donc pas pourquoi l'on mettrait dans une position exceptionnelle les étrangers qui auraient résidé pendant un certain nombre d'années en Belgique. Du reste, il est évident que le gouvernement mettra une plus grande réserve dans l'exercice du droit d'expulsion envers les étrangers de cette catégorie, qui, pendant un long séjour en Belgique, se seront toujours conduits d'une manière paisible ; il est évident qu'on ne les expulsera que lorsque des motifs bien puissants d'intérêt public commanderont cette mesure.

J'en dirai autant des deux autres exceptions demandées par l'honorable membre. Parmi les individus qui ont été expulsés, il s'en trouve qui avaient épousé des femmes belges et qui en avaient eu des enfants, et pourtant ces expulsions n'ont été l'objet d'aucune réclamation, ni à la tribune, ni dans la presse.

Je crois devoir insister, pour que la chambre adopte purement et simplement le projet de loi qui lui a été soumis, projet qui n'a pas été critiqué en principe, qui n'est que la reproduction d'une loi qui a reçu une application sage, prudente et modérée, depuis 11 ans, et qui me semble devoir être maintenue, telle qu'elle est, dans l'intérêt bien entendu du pays.

M. Castiau. - S'il s'agissait, en ce moment, d'un projet de loi tout nouveau ; si, pour la première fois, nous avions à traiter, dans cette enceinte, la grave, la redoutable question des lois exceptionnelles et du droit qu'on réclame en faveur du gouvernement d'expulser arbitrairement les étrangers de ce pays, je ne pourrais me dispenser de traiter cette question avec l'importance, les développements et l'insistance qu'elle exige et qu'elle mérite.

Je réunirais tous mes efforts pour vous faire partager mes convictions et pour vous prouver que le projet de loi qu'on vous soumet avec tout l'arbitraire qui le domine, viole toutes les garanties, tous les intérêts, tous les droits et toutes les libertés. Je vous démontrerais facilement, ce me semble, que ce projet renferme le plus violent de tous les attentats contre la liberté individuelle de l'étranger. Il livre à la police la liberté et la personne de l'étranger ; il l'autorise à le chasser honteusement du territoire au gré de ses caprices. Il lui confie le droit de prononcer arbitrairement le bannissement de l'étranger et de le frapper ainsi d'une peine odieuse, d'une peine rangée par notre législation criminelle parmi les peines infamantes.

Je vous démontrerais encore que l'expulsion, qui frappe aussi douloureusement la personne, viole d'une manière non moins odieuse le droit de propriété. En enlevant brutalement l'étranger à son domicile, à ses affaires, à ses travaux, à son industrie, elle peut le ruiner en un jour et le jeter sans ressources sur la terre étrangère. C'est la confiscation qui vient se joindre au bannissement.

J'ajouterais que cette double pénalité est d'autant plus odieuse et d'autant plus immorale qu'elle frappe un innocent. Elle tombe sur un innocent, car si l'étranger avait été frappé dans son pays d'une condamnation, nous admettons tous contre lui le droit d'expulsion. Il ne reste donc que l'étranger pur de toute condamnation. Si celui-là était coupable de quelque délit et si en réalité il avait troublé l'ordre public, on s'empresserait de le renvoyer devant les tribunaux. On ne l'expulse donc que parce qu'il est innocent et pour que rien ne manque à l'iniquité de cette mesure, on l'expulse, sans même qu'il ait été admis à se faire entendre et à se défendre.

Plaçant ensuite l'étranger sous l'égide de notre Constitution, je vous donnerais lecture de l'article 128 de cette Constitution qui lui avait solennellement promis protection pour sa personne et protection pour ses biens. Je vous demanderais ce qu'est devenue cette promesse et si l'article 128 n'est pas un véritable mensonge, une déloyale mystification quand la police peut d'un mot expulser et ruiner l'étranger !

Je vous dirais encore que le projet de loi viole l'honneur national et les intérêts matériels du pays. Le patriotisme ne consiste pas, comme le supposent certaines personnes, à repousser et à haïr l'étranger. C'était là, je le sais, le caractère du patriotisme antique ; pour lui, l'étranger était un barbare et un ennemi ; mais la civilisation moderne a introduit d'autres idées et créé d'autres sentiments. Pour nous, pour tous ceux qui ont au cœur le sentiment chrétien de la fraternité des hommes et des peuples, l'étranger doit être, sinon un ami, un frère, du moins un homme, et l'on doit respecter, en lui, tous les droits de l'homme et de la liberté. C'est cette tradition qui avait valu, à notre Belgique, son antique et glorieux renom de terre hospitalière entre toute. Ne devait-elle pas rester fidèle à cette longue suite d'honorables précédents et rester l'asile ouvert à toutes les infortunes ? Son honneur le méritait ; ses intérêts matériels le réclamaient également. L'intérêt d'un pays, n'est-ce pas d'appeler, de retenir les étrangers sur son sol, de profiter des avantages de leur fortune ou des ressources de leur talent et de développer, dans son sein, un foyer d'émulation qui tourne au profit de tous ? Et quel est l'étranger qui se respecte, qui (page 549) consente, pour habiter un pays, à s'y placer sous la surveillance de la police et la verge de l'arbitraire ?

Enfin, pour compléter ma démonstration, je vous aurais dit que si les lois d'exception sont admises pour les étrangers, elles ne sont pas moins menaçantes pour les citoyens. L'arbitraire a sa logique et ses entraînements. Si vous l'autorisez à fouler aux pieds tous les droits de l'étranger, il marchera hardiment dans cette voie d'iniquité et il ne tardera pas à violer également les droits des citoyens et à faire peser sur eux la même oppression et les mêmes attentats.

Consultant mes souvenirs et en appelant à l'autorité de l'histoire, je vous aurais montré que l'arbitraire est le présent le plus fatal qu'on puisse faire au pouvoir, qu'il sème partout l'irritation et le mécontentement, et que, dans tous les pays, il a creusé l'abîme dans lequel se sont engloutis tant de gouvernements et tant de pouvoirs.

Telles sont, messieurs, les considérations que j'aurais eu l'honneur de développer devant vous, si, pour la première fois, la question des lois exceptionnelles et du droit d'expulsion avait été posée dans cette enceinte. Mais cette question, vous l'avez résolue déjà ; vous l'avez résolue depuis dix ans et à plusieurs reprises.

Puis-je espérer aujourd'hui que la majorité rompra avec de tels précédents, qu'elle reconnaîtra son erreur et qu'elle avouera avoir violé pendant dix ans l'esprit de nos institutions, les promesses du pacte constitutionnel et des droits d'autant plus sacrés qu'ils sont le fondement de toute sociabilité ? Oh ! non ; je n'attends d'elle ni cette subite conversion ni cet effort de magnanimité. Ses tendances et ses précédents me sont trop connus pour en espérer quelque chose.

La loi de 1835 sur les expulsions était une loi de circonstance, et, à ce dire, elle devait disparaître avec les circonstances qui l'avaient fait naître. Loin de la faire rentrer au néant, maintenant que notre nationalité n'a plus à craindre les agitations politiques qui ont provoqué la loi de 1835, on n'a pas même tempéré les rigueurs exorbitantes de la loi. Bien plus, on n'y a touché que pour en aggraver encore les sévérités.

Ainsi, aux termes de la loi du 22 septembre 1835, l'expulsion ne pouvait être prononcée contre l'étranger qui avait épousé en Belgique une femme belge et qui avait des enfants issus de ce mariage. Cette exception était de toute justice. Dans cette position, l'étranger était attaché à notre pays par tant de liens, et par des liens si puissants qu'on pourrait compter sur lui comme sur un citoyen et l'arracher aux brutalités de la police. Cette exception, si juste et si légitime, a cependant suffi pour effaroucher encore je ne sais quelles susceptibilités ; elle a disparu de la loi, et l'on s'est bien gardé de la reproduire dans le projet qui vous est soumis.

D'où vient cette tolérance, cette espèce d'engouement pour un arbitraire dont on renforce chaque jour les privilèges ? Serait-ce qu'on n'aurait fait jusqu'ici qu'un usage irréprochable de la faculté d'expulsion ? Serait-ce que jusqu'ici les expulsions n'auraient jamais eu de caractère politique et qu'elles n'auraient frappé que de misérables vagabonds ou des malfaiteurs dangereux, ainsi que l'assure dans son rapport l'organe de la section centrale ? Messieurs, pour faire justice de ces insinuations injurieuses, j'en appelle à vos souvenirs, à votre loyauté, à vos consciences. Vous savez, tous, que des expulsions ont été prononcées pour des causes politiques ; vous savez, tous, que l'expulsion a frappé des écrivains et des journalistes pour des opinions politiques qu'on n'a pas eu le courage de déférer à l'appréciation d'un jury. On peut soutenir que le gouvernement avait le droit de les expulser, puisque la loi lui confiait un arbitraire sans limites. Mais nul n'a le droit de déshonorer dans cette enceinte ceux que le gouvernement a frappés.

Faut-il s'étonner maintenant qu'on en soit arrivé au point de ne plus même respecter les dispositions de la loi sur les expulsions ? Il n'existait dans cette loi qu'une pauvre et insignifiante garantie en faveur de l'étranger : c'était l'obligation de ne pouvoir prononcer l'expulsion que par arrêté royal. Eh bien, cette faible et dernière garantie, l'arbitraire l'a brisée, et la police n'a pas craint d'enlever à la royauté sa prérogative. Le dernière expulsion qui a été pratiquée dans ce pays (et c'était l'expulsion d'une femme) a eu lieu, non pas en vertu d'un arrêté royal, mais d'une simple décision de la police. C'était la violation la plus audacieuse de la loi. On s'est adressé aux tribunaux pour en obtenir justice. La magistrature, cette fois, s'est déclarée incompétente. La violation de la loi est restée impunie, et jusqu'ici il ne s'est pas élevé, dans cette enceinte, une seule voix pour en demander compte à la police et au pouvoir.

Dans de telles circonstances et en présence de telles dispositions, viendrai-je tenter un dernier effort ? Viendrai-je vous demander de consacrer dans la loi nouvelle l'intervention du pouvoir judiciaire, l’intervention qu'on a exigée pour l'extradition, quoique l'extradition s'appliquât à des hommes moins dignes de faveur, à des condamnés ? Viendrai-je vous demander une exception en faveur de l'étranger marié avec une Belge, et de l'étranger qui a résidé pendant cinq ans en Belgique ou qui y a formé un établissement de commerce et d'industrie ? Viendrai-je vous demander, pour désarmer l'arbitraire d'une manière plus complète encore, de limiter le droit d'expulsion à l'étranger frappe de condamnations judiciaires ? Je le voudrais, mais, je l'avoue, je ne m'en sens pas le courage. J'imiterai à cet égard la réserve des préopinants. Je craindrais d'obtenir un résultat contraire à mes espérances et à mes efforts. Oui, je crains sérieusement, en vous demandant d'adoucir la sévérité de la loi, de provoquer encore de nouvelles aggravations.

Je me vois donc, comme toujours, obligé de me résigner et de me taire après avoir fait entendre ma protestation contre toutes ces violations flagrantes de nos principes constitutionnels et des droits de la liberté. Cette fois seulement la résignation est plus difficile, elle est plus pénible que jamais, quand surtout ma pensée se reporte en arrière et évoque le souvenir de ce qui s'est passé sous le gouvernement hollandais à l'occasion de la question que nous agitons en ce moment. En 1826, si je ne me trompe, deux écrivains français furent expulsés de Belgique. Cet acte de brutalité souleva à l'instant même l'opinion publique ; il fut dénoncé, attaqué et flétri par des voix généreuses et patriotiques. On fit de cette question une question nationale et le pays tout entier finit par se passionner et se soulever contre les violences du pouvoir. Ce fut là le commencement de la lutte entre la nation et le gouvernement qu'on lui avait imposé et le dénouement de cette lutte, ce fut, vous ne l'avez pas oublié, ce fut une révolution. Et aujourd'hui, en 1846, 20 ans après, et à la suite de cette révolution nationale, on veut légaliser ces attentats qui soulevèrent le pays ; on frappe tous les étrangers d'une mise hors la loi ; on les livre, eux, leurs personnes, leur industrie, leurs ressources, leur liberté et leurs droits aux violences d'une police ombrageuse, et c'est à peine si, dans cette enceinte, quelques voix s'élèvent pour repousser la complicité des excès de l'arbitraire, et le vote d'une loi exceptionnelle n'est plus qu'une affaire de forme. Ea voyant ces revirements et ces contrastes, en se rappelant surtout les atteintes portées depuis quelques années à nos principales institutions, il est bien permis de céder à une pensée de découragement, et l'on est tenté de se demander à quoi servent les révolutions et si la liberté n'est qu'un vain mot.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je désire répondre quelques mots à ce que vient de dire l'honorable M. Castiau. Bien qu'il n'ait annoncé aucun amendement, et qu'il se soit borné à critiquer la loi dans son principe et à la qualifier d'arbitraire, je dois répondre à quelques-unes des observations qu'il a présentées, notamment à la dernière, par laquelle il a accusé le ministre de la justice d'avoir commis ou laissé commettre des actes illégaux d'expulsion.

Messieurs, l'honorable M. Castiau a fait le procès à la chambre, car l'honorable membre a dit que la loi votée en 1835 était une loi inconstitutionnelle, qu'elle violait tous les principes et qu'elle était contraire aux intérêts du pays. cette loi qui a été adoptée en 1835, après une longue et mémorable discussion, ne mérite, je ne crains pas de le dire, aucun des reproches que lui a adressés l'honorable membre.

S'il était entré dans une discussion approfondie relativement à la prétendue inconstitutionnalité de la loi, je me serais efforcé d'établir la thèse contraire, et, quant à l'utilité de la loi, elle me paraît tellement évidente, elle se révèle par tant de faits, que toute démonstration paraît superflue.

L'honorable M. Castiau vous dit qu'à l'aide de cette loi on frappe des innocents ; qu'on expulse des étrangers sans les entendre ; en un mot il suppose que le gouvernement exerce des rigueurs inutiles contre des individus qui n'ont rien fait pour les encourir. Je prierai l'honorable membre de vouloir bien citer quelques faits qui soient de nature à établir le fondement de ce reproche. Autrement, pour repousser une accusation aussi vague, je dois me borner à dire, pour mes prédécesseurs et pour moi, que je suis intimement convaincu que l'intérêt du pays a seul dirigé le gouvernement dans l'exécution de la loi.

Et, pour le dire en passant, je crois que l'honorable M. Castiau aurait beaucoup de peine à nous indiquer les individus qui auraient été expulsés uniquement pour opinion politique. La liste des individus expulsés est sous mes yeux ; on verra s'il y a des individus expulsés à tort ; on verra, d'après les motifs indiqué, si leur expulsion n'est pas suffisamment justifiée.

M. David. - Nous ne voyons sur la liste que des condamnés pour vol.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est la justification complète de l'exécution qu'a reçue la loi.

L'honorable M. Castiau nous dit : Mais si un étranger trouble la tranquillité publique, il n'est pas besoin d'avoir une loi exceptionnelle ; troubler la tranquillité publique, c'est un crime ou au moins un délit ; les lois sont là ; elles suffisent. Répondant à cet argument, j'ai déjà dit qu'il y a des faits qui, sans constituer de délits, sont de nature à justifier une expulsion. Dans telles circonstances, un étranger peut devenir dangereux ; il peut chercher à propager des doctrines nuisibles au bien et au repos public ; il peut avoir des antécédents de nature à faire craindre les moyens qu'il pourrait employer ; et pourtant aucune de ces manœuvres ne tomberait sous le coup de la loi pénale ! Faudra-t-il attendre, pour agir, que le mal soit consommé ?

L'honorable membre auquel je réponds a dit qu'il protestait contre le principe de la loi au nom de la dignité du pays, au nom des intérêts du pays ; et rappelant mes paroles, il a dit que l'intérêt du pays invoqué par moi s'opposait à l'adoption de la loi. Je n'ai à rétracter aucune de mes paroles ; mais j'attends encore la démonstration que l'intérêt du pays exige de ne pas expulser un individu qui trouble ou compromet la tranquillité publique.

L'intérêt du pays, dit l'honorable membre, est d'engager les étrangers à s'y rendre, à y apporter leur fortune, leur industrie. Cela est parfaitement vrai. Le gouvernement accueille et protège les étrangers paisibles, probes et industrieux ; mais il repousse les escrocs et les perturbateurs. Je persiste à croire que, s'il est avantageux de faire affluer, dans le pays, les étrangers amis de l'ordre et des lois, il serait très désavantageux et très nuisible d'y attirer et d'y conserver, avec l'assurance qu'ils seront à l'abri de l'expulsion, des étrangers qui viendraient chez nous abuser de l'hospitalité, en semant le trouble et en lésant les intérêts de nos compatriotes.

L'honorable membre ne doit pas craindre que cette loi éloigne les étrangers du sol de la Belgique. Celle loi est moins arbitraire (si toutefois elle mérite ce nom) que les lois à l'égard des étrangers en vigueur dans les autres pays, et pourtant les étrangers ne désertent pas ces pays ; ils ne (page 550) désertent pas davantage la Belgique, dont les lois protègent les étrangers paisibles, et sévissent seulement contre ceux qui troublent la tranquillité publique.

L'arbitraire a ses entraînements, dit l'honorable M. Castiau ; bientôt il n'y aura plus de garanties pour les Belges eux-mêmes. Ainsi une loi faite exclusivement dans l'intérêt des indigènes, dans l'intérêt de l'ordre intérieur, une loi toute de protection pour les Belges est considérée par l'honorable M. Castiau comme un premier jalon posé dans la voie de l'arbitraire, comme le présage de mesures contraires aux intérêts nationaux ! J'ai peine à comprendre comment il est possible de tirer de pareilles conséquences de la loi actuelle qui est exécutée depuis longtemps sans réclamation.

J'arrive à la critique faite par l'honorable M. Castiau d'un acte posé par le ministère de la justice, d'une expulsion faite sans arrêté royal. L'honorable membre, invoquant la loi de 1835, nous dit : D'après cette loi, un arrêté royal est nécessaire pour ordonner l'expulsion d'un étranger ; mais un arrêté royal a paru trop gênant au ministère ; aussi il s'en passe et il expulse des étrangers de son autorité privée.

L'honorable M. Castiau n'a pas fait attention, sans doute, que la loi de 1835 n'exige un arrêté royal que pour l'expulsion des étrangers résidant en Belgique.

M. Castiau. - Que M. le ministre veuille lire la loi.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable membre pense bien que je ne l'ai pas appliquée sans l'avoir lue. Voici, au reste, l'article premier :

« Art. 1er. L'étranger résidant en Belgique qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique, ou qui a été poursuivi ou condamné à l'étranger pour les crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter un lieu déterminé ou même de sortir du royaume. »

Ainsi la loi de 1835 n'est applicable qu'à l'étranger résidant en Belgique.

M. Castiau. - Qu'est-ce que la résidence ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'étranger qui arrive en Belgique, qui n'y a pas encore établi sa demeure, qui ne fait que traverser le pays, ou qui n'y séjourne que momentanément, n'est pas résidant dans le sens de la lui.

M. Castiau. - Combien de jours faut-il pour constituer la résidence ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La loi de 1835, au moment où elle a été votée, a été entendue ainsi que je viens de le dire, j'en appelle à la discussion qui a eu lieu. Il a été reconnu qu'un individu ne résidant pas en Belgique restait sous l'empire, non de la loi de 1835, mais des lois antérieures sur les passeports, et notamment sous l'empire de la loi de fructidor an II.

J'ajouterai que, depuis 1835, la loi n'a jamais été appliquée autrement. Ainsi, lorsqu'un individu arrive on Belgique, et n'offre pas les garanties désirables, l'administrateur de la sûreté publique, en vertu des pouvoirs qui lui sont confiés par l'arrêté de 1832, le fait ramener à la frontière. C'est ce qui a été fait très fréquemment, depuis comme avant mon entrée au ministère.

M. Castiau. - La personne dont j'ai parlé était en Belgique depuis deux mois.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Elle était arrivée à Anvers depuis deux mois, c'est possible ; mais la police en avait-elle connaissance ? Et cette personne avait-elle établi une véritable résidence ?

Un étranger peut être en Belgique depuis quelque temps sans que son séjour y soit connu de l'autorité, sans qu'il se soit mis en règle en faisant viser son passeport ; dans ce cas peut-on dire qu'une résidence soit véritablement acquise au bout de quelque temps ? La question de savoir si un individu doit être considéré comme résidant, dépend évidemment des circonstances.

La personne à laquelle l'honorable M. Castiau a fait allusion, a pensé que l'on avait violé la loi à son égard. Elle a attrait l'administrateur de la sûreté publique devant le président du tribunal d'Anvers jugeant en référé. Ce magistrat a ordonné de suspendre l'exécution. L'administrateur a appelé, et la cour d'appel de Bruxelles a déclaré le pouvoir judiciaire incompétent pour décider la question. Ce que la cour d'appel de Bruxelles a décidé alors, avait déjà été décidé une première fois en 1834, je pense, pour la cour de cassation elle-même.

M. Castiau. - Quels étaient les motifs de l'expulsion ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'ai pas en main le dossier de cette affaire, et il me serait impossible de dire exactement les motifs sur lesquels l'administrateur de la sûreté publique s'est fondé. Mais si l'on désire connaître les motifs de l'expulsion, je ne pense pas qu'il y aura d'inconvénient à les communiquer à la chambre.

Messieurs, il n'y a rien d'arbitraire dans l’acte qui a été posé, je crois l'avoir démontré. On peut le critiquer, quant au fond ; on peut penser que les motifs pour lesquels l'expulsion a été ordonnée n'étaient pas suffisants, c'est une question d'appréciation. J'ai répondu à ce sujet à l'honorable M. Castiau uniquement pour établir que la mesure prise ne peut pas être critiquée aux termes de la loi de 1835, puisque ce n'est pas en vertu de cette loi que l'administration a agi, mais en vertu d'une autre loi dont l'existence a été reconnue dans la discussion de 1835 et qui a été appliquée continuellement depuis cette époque, comme elle l'est encore maintenant.

M. le président. - La chambre n'est plus en nombre pour délibérer.

- La séance est levée à 4 heures et quart.