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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 avril 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1132) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique l'analyse d'une pétition adressée à la chambre.

« Plusieurs habitants du hameau de Senonchamps, commune de Sibret, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir une réduction sur la quote-part de ce hameau dans les frais de reconstruction de l'église de Mont-St-Etienne, section de la commune de Lonchamps. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Par dépêche en date du 24 avril, M. le ministre de l'intérieur transmet à la chambre un dossier relatif au projet de loi présenté le 25 novembre 1845, et relatif au démembrement de la commune de Grâce-Montegnée (province de Liège).

- Renvoi à la commission chargée d'examiner ce projet.

M. Lesoinne. - Je demanderai que la commission chargée d'examiner le projet de loi, soit invitée à nous faire un prompt rapport. C'est une affaire qui a été ajournée pour une formalité assez simple.

- La proposition de M. Lesoinne est adoptée.


M. le président. - Au mois de mars dernier, la chambre a renvoyé à l'examen des sections deux projets de loi, l'un relatif à la convention pour la construction du chemin de fer de Luxembourg, l'autre relatif à l'acquisition de propriétés avoisinant le domaine de Laeken. Les sections de mars n'ayant pas été réunies, je demanderai la permission de renvoyer ce projet aux sections d'avril.

M. le ministre des finances (M. Malou). - N'en est-il pas de même du projet de loi relatif à l'aliénation d'un million de biens domaniaux ?

M. le président. - Ce projet a été renvoyé aune section centrale qui se trouve constituée.

- La proposition de M. le président est adoptée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Hasselt

M. Maertens. - Messieurs, par suite d'un arrêté royal du 31 mars dernier, qui nomme l'honorable comte de Theux aux fonctions de ministre de l'intérieur, le collège électoral du district de Hasselt a été convoqué à l'effet de procéder à l'élection d'un membre de cette chambre. La réunion a eu lieu le 21 de ce mois.

Le nombre des électeurs inscrits s'élève pour le district de Hasselt à 609. 2915 ont répondu à l'appel. Sur ces 295 voix, l'honorable comte de Theux en a obtenu 287. Les huit voix qui lui ont manqué, ont été réparties, savoir : sept entre cinq autres personnes et un bulletin blanc.

L'honorable comte de Theux a donc réuni la presque unanimité des suffrages des électeurs qui ont concouru au vote. Toutes les opérations ont été régulièrement faites et n'ont donné lieu à aucune observation. L'honorable comte de Theux ayant antérieurement justifié des conditions d'éligibilité, la commission, par mon organe et à l'unanimité des membres présents, a l'honneur de vous proposer l'admission de M. le comte de Theux comme membre de la chambre des représentants.

- Personne ne demandant la parole, ces conclusions sont mises aux voix et adoptées, et M. de Theux est proclamé membre de la chambre des représentants.

M. de Theux prête serment.

Motion d'ordre

Formation du nouveau gouvernement

M. Osy. - Je ne comptais pas prendre la parole dans la discussion qui s'est ouverte depuis plusieurs jours pour examiner le programme du nouveau ministère et celui du ministère qui avait été sur le point de se former, mais qui a échoué par les conseils donnés par quelques anciens ministres qui sont restes au pouvoir et par le chef du cabinet actuel. Mais je prends la parole pour vous dire franchement de quel côté je me trouverai dans les discussions qui auront lieu et pourquoi je compte rester dans l'opposition.

(page 1133) Ayant fait partie du congrès dès le premier jour, j'ai aidé à faire notre Constitution ; j'ai plusieurs fois juré de la maintenir ; jamais vous ne me verrez manquer à l'engagement pris. Mais je ne la veux pas seulement à la lettre, mais aussi dans l'esprit qui nous a déterminés à accorder toutes les libertés.

Je maintiendrai de toutes mes forces tous les avantages accordés au clergé, et il me trouvera toujours un grand défenseur pour toutes ses prérogatives ; mais je veux aussi l'indépendance civile, et je crois que si le clergé se contente du beau lot obtenu par la révolution de 1830, et qui n'existera jamais dans aucun pays catholique, et nous laisse agir sans se mêler des affaires civiles, je suis persuadé que nous aurons une grande tranquillité, et que les partis, aujourd'hui si divisés, pourront facilement s'entendre et se rapprocher, tandis que si la lutte, si violente, continue, vous verrez le pays se fractionner de plus en plus, les haines deviendront plus grandes, la résistance augmentera, et alors, au lieu de trouver dans le parti libéral du parlement des hommes modérés, vous verrez que nous serons tous débordés, et nous serons remplacés ici, comme l’a si bien dit l'honorable M. Dolez, par une jeunesse impatiente et qui y viendra avant son temps. Et je n'hésite pas à dire que vous, majorité, vous serez emportés comme nous, et c'est alors que je tremblerai pour nos institutions, et peut-être même toute l'existence de notre jeune nationalité y périra.

Mais soyons sages, donnons satisfaction à ce que l’on demande avec impatience, et l’on aura confiance en nous, si l’on est persuadé que nous ferons respecter les droits du civil comme celui du clergé.

Je compte parmi les membres du nouveau cabinet plusieurs amis, mais je regrette de ne pas pouvoir ajouter des amis politiques, et quoique nous ne soyons pas dans les mêmes rangs, nous devons nous estimer, quoique, notre manière de voir pour calmer le pays et pour avoir un pouvoir national qui soit capable d'inspirer la confiance pour le maintien de nos libertés, et toutes nos libertés, ne soit pas la même.

Après ma retraite de cette chambre, lors de la dissolution de 1833, j'avais fait vœu de ne plus jamais entrer dans la carrière politique ; mais en 1841, mes amis des deux fractions m'ont fait tant d'instances de venir soigner leurs intérêts, que je me suis, quoiqu'à regret, décide à sortir de ma retraite, et la paix faite, reconnu par notre ancien souverain, j'ai pu renoncer à mon ancien drapeau, que j'ai tenu fermement au congrès et décidé à donner tous mes soins au bien-être du pays, tel qu'il a été constitué par notre Constitution et par le traité de paix. J'espérais, qu'une fois débarrassé de la question extérieure, nous pourrions nous occuper de procurer à la jeune Belgique toute la prospérité et le bonheur que son heureuse situation lui promettait. Je vins donc à la chambre après la retraite du ministère de 1840 ; je trouvai le nouveau cabinet de l'honorable M. Nothomb, et j'étais très décidé à soutenir et à être de la majorité, espérant que, principalement, on ne s'occuperait plus que des intérêts matériels du pays, et de donner le développement à nos institutions dans le sens et la lettre de la Constitution, et pour faire de bonnes lois financières, commerciales et industrielles.

Malheureusement, la direction donnée aux affaires par le nouveau ministère de 1841 m'a bien vite ouvert les yeux, m'a prouvé que l’on ne voulait gouverner et diriger les affaires de l'Etat que dans une seule opinion ; quoique ce premier ministère mixte eût encore une teinte du parti libéral, j'ai de suite vu que qu'il n'était plus libre, que tous les jours de plus en plus il était partial ; et que s'il n'était pas tout à fait, comme aujourd'hui, un ministère d'un seul parti, il était son très humble serviteur et seulement, comme on le disait un jour, le commis de la majorité et le très humble serviteur du parti Catholique, de l'aristocratie.

Plus nous avancions, plus M. Nothomb et ses collègues ont eu les bras liés ; il n'avaient plus en aucune occasion la permission d'agir par eux-mêmes et d'avoir une opinion à eux, et je conçois que les membres les plus influents du parlement devaient être contents, sans avoir les tracasseries du pouvoir et la grande responsabilité, de voir tout marcher à leurs souhaits et de trouver si peu de résistance, et souvent des auxiliaires si faciles et si dévoués. Les ministères de 1841 et 1843, qu'on a appelés mixtes, étaient rivés dans des fers qu'ils ne pouvaient plus rompre d'eux-mêmes ; mais, heureusement pour le pays, les élections de 1843 ont donné les premiers coups de marteau, et celles de 1845 ont fait tomber ces fers et les masques, et aujourd'hui tout le monde voit clairement où on voulait mener le pays, par ce système bâtard et trompeur.

Ainsi j'ai toujours désiré un ministère homogène et que nous puissions savoir qui nous avions à combattre ou à soutenir ; aussi avons-nous fait un progrès ; mais il me reste à examiner, si l’on a mieux fait de se tourner à droite qu'à gauche.

Après les élections de 1843 et 1845, je crois que l’on aurait bien fait de donner franchement une satisfaction a la gauche, mais on a hésité, et après sept mois, nous sommes entrés dans une nouvelle crise ; et certainement au mois de juillet 1845, on aurait pu plus facilement former un cabinet libéral. Après cette nouvelle épreuve, les exigences ont dû augmenter à cause de la résistance, et peut être, en 1847, sera-t-on obligé de demander encore bien plus qu'en juillet 1845 et mars 1846. Voilà ce qu'on ne veut pas voir et c'est cependant un avertissement que nous avons souvent donné et que l'histoire de tous les temps nous enseigne.

Je crois donc que la Couronne a été mal conseillée, que la discussion actuelle fera ouvrir bien des yeux et qu'on finira par sonder l’abîme qui s'ouvre sous nos pas.

On a cru donner une satisfaction à la gauche en appelant au pouvoir M. Van de Weyer ; mais soyez sûrs que si on avait trouvé en lui un homme, comme tant d'autres qui ont traversé le pouvoir, qui aurait renié ses antécédents et qu'on aurait pu façonner aux volontés de la majorité, s'il avait voulu se prêter à devenir apostat, vous l'auriez conservé ; mais il a résisté. Tout en voulant comme nous toute la Constitution et rien que la Constitution, il a défendu l'indépendance du pouvoir civil, et dès ce moment sa perte était jurée. Ainsi lors de la discussion de l'adresse, sans être hostile au ministère, j'ai fait toutes mes réserves, parce que j'étais persuadé, connaissant la fermeté de caractère de M. Van de Weyer, qu'il ne pouvait pas marcher avec M. Malou, aux convictions sincères que je lui reconnais, et avec MM. Dechamps et d'Anethan, qui avaient été si bien façonnés au système de déception et de dépendance de leur ancien collègue M. Nothomb. Je me rappelle avoir dit un jour ici publiquement qu’il se gâterait par le contact journalier de son collègue de l'intérieur, au talent duquel je rendrai hommage, mais qui n'a montré d'autre caractère que celui de la dépendance et de la soumission absolue à un seul parti.

Un homme aussi distingué que lui doit souvent, dans sa paisible retraite, à Berlin, regretter de ne pas avoir montré le caractère de son ancien ami de 1830, et je demande à tout le monde s'il n'est pas plus honorable de tomber glorieusement après un règne de moins d'un an, que d'avoir des faveurs après être tombé à la satisfaction de tout un pays. J'aime les convictions dans quelques rangs qu'elles se trouvent, mais je combattrai toujours les personnes qui ne savent pas résister et qui savent prendre tous les masques. Aussi il me peine de devoir combattre les honorables MM. de Theux et Malou, mais je crois que leur dévouement sera funeste au pouvoir et au pays, et je regrette les conseils qu'ils ont donnés à la Couronne. Je suis sûr que chez eux ce n'est par aucune ambition ; mais ils ont mal calculé leur dévouement, et malheureusement ils auront bien des reproches à se faire sous ce rapport, car, comme je le disais, ce qui était possible en 1845 ne l'état plus en mars 1846, et que sera-ce en 1847 ? Plus on résiste, plus les exigences devront grandir.

Je dirai peu de mots du programme de l’honorable M. Rogier et de ses amis. Je les aurais blâmés s'ils avaient accepté le pouvoir sans prendre toutes les garanties d'existence, après ce qui s'était passé en 1841, quand, ayant la majorité, on les a renversés par une adresse qui n'était qu'un procès de tendance ; on ne connaît encore qu'imparfaitement l'histoire de cet acte, mais on sait que le ministère ne plaisait pas au parti catholique politique et à la haute aristocratie. Je dirai avec un honorable sénateur : Pendant vingt ans le pays se ressentira de cet acte ; et l'honorable M. Dechamps est convenu lui-même que c'était une très grande faute.

Le ministère devait donc, sans être taxé d'étourderie, prendre toutes ses précautions et être assuré de la dissolution dans des cas donnés et pour un terme à fixer. Je ne puis pas voir là une abdication. Je crois même ne pas me tromper en disant que ces principes sont partagés par d'anciens ministres, dont les noms se trouvent dans toutes les bouches, chaque fois qu'il s'agit de changement de ministère. Croyez-vous donc que sir Robert Peel a repris le pouvoir après que lord Russell a fait connaître son impuissance,, pour mener à bien son système de réforme commerciale, sans avoir dans sa poche, non seulement une dissolution, mais encore une promesse d'une fournée de pairs ? Et, nonobstant cela, les membres du parlement et de la chambre des lords votent et agissent sans s'émouvoir de ces mesures, que vous appelez injustement des menaces à la majorité.

Non, ce ne sont pas des menaces, mais un devoir à remplir, celui de consulter la nation, qui compte pour beaucoup dans le jeu de nos institutions ; et si vous êtes si rigoureux pour les prérogatives, je veux aussi maintenir le droit de consulter, dans des questions graves, nos commettants, car sans eux nous ne sommes rien ici.

Il ne s'agit donc pas comme l’a dit hier M. de Mérode, de la question de sauter par les fenêtres, ou de descendre tranquillement l'escalier ; pour tous les deux notre mandat expire en 1849, et si tous les deux nous croyons avoir fait notre devoir, nous pouvons s'il est nécessaire, demander avant ce temps à nos électeurs la ratification de notre conduite parlementaire, et si on trouve que je n'ai pas travaillé dans leur opinion et suivant leurs désirs, je céderai avec plaisir et sans regret une place ici, qu'ils ne croiraient pas devoir être occupée plus longtemps par moi. Nous ne sommes que des mandataires, et la place de députe n'est pas un patrimoine.

Pour ce qui est d’être garanti contre l'obéissance des fonctionnaires, cela est devenu, après une administration par trop longtemps relâchée, une rentable nécessité.

Je ne voudrais pas sévir contre les votes des fonctionnaires dans la chambre ; mais je voudrais que, comme en Angleterre, les fonctionnaires députes et amovibles donnassent d’eux-mêmes leur démission, s'ils ne sont pas d'accord avec la politique de leur chef. Malheureusement, nous voyons si souvent des députés être hostiles aux cabinets, que je voudrais, pour la moralité du pays, que cet usage fût introduit chez nous et que cela devînt une règle de conduite pour tous les fonctionnaires, aussi bien pour les députés que pour ceux qui ne le sont pas. Mon honorable ami, M. de Brouckere, vient de donner une grande leçon de moralité ; je n'attendais pas moins de lui, j'espère qu'il sera plus tard imité et que le gouvernement ne sera ainsi jamais obligé de prendre l'initiative. J'aurais voulu aussi pouvoir faire à cette occasion l’éloge de l'honorable M. Malou, mais malheureusement il a gâté sa position en acceptant peu après, du ministère qu'il combattait, une place beaucoup plus élevée que celle qu'il avait abandonnée. Cette faute était une imprudence que ses amis politiques de la majorité ont dû lui reprocher.

Je veux une obéissance sans réserve des fonctionnaires, sauf à eux à juger si leur conscience leur permet d'agir d'après les ordres qu'ils reçoivent. A cette occasion je me rappelle qu'un haut fonctionnaire, même mon parent et mon ami, avait reçu l’année dernière les ordres les plus formels d'agir et de travailler contre ma réélection et il s'en trouvait très peiné. A cette (page 1134) occasion, je lui ai dit : Mon ami, il faut faire franchement votre devoir ; agissez d'après vos convictions, et ne pensez ni à moi, ni à notre amitié. Il a obéi franchement ; le fonctionnaire a suivi mes conseils comme il le devait, et le gouvernement l'a récompensé quoiqu'il n'ait pas réussi.

Aujourd'hui nous avons perdu cet ami, mais je lui rends la justice de reconnaître qu'il a su faire violence à son amitié pour faire son devoir. C'est un bel exemple de moralité à imiter.

Notre ancien gouverneur me rendra aussi cette justice que mon opinion sur le devoir des fonctionnaires est telle, que, le lendemain des élections, j'ai été le voir, que je lui ai dit qu'il n'avait fait que son devoir ; si même il avait été le vainqueur, je serais resté son ami, mais non son ami politique, comme malheureusement je ne puis pas encore l'être aujourd'hui.

Je veux donc voir le pouvoir fort dans toutes ses artères, et ainsi non seulement j'approuve, mais on aurait agi avec légèreté, si on n'avait pas demandé des garanties contre le relâchement qui n'existe que trop.

Je crois donc, messieurs, que nous pouvons sans réserve approuver le programme du ministère libéral, et comme je suis persuadé que dans un temps plus ou moins long, ce ministère deviendra une nécessité, il m'est impossible de soutenir les hommes d'un cabinet qui ont donné le conseil de ne pas le faire monter au pouvoir.

Un ministère libéral qui, je crois, est devenu un besoin pour le pays, pourrait devenir très fort, avec les intentions bien arrêtées de maintenir les libertés pour tous les partis, travailler directement avec la Couronne et éloigner les influences d'un pouvoir occulte et en dehors de nos institutions, et qui malheureusement depuis quelques années a eu par trop d'influence sur les divers membres des cabinets qui se sont succédé depuis la chute du ministère de 1840. Je veux dire la camarilla et la haute société.

Je crois que les honorables membres désignés pour le cabinet qu'on n'a pas voulu, auraient eu dans les nominations et pour règle de conduite la plus grande justice, qu'on n'aurait employé que des hommes de mérite et de moralité, sans voir si on était de tel ou tel parti politique, que les avancements auraient eu lieu avec justice et que le favoritisme et l'intrigue auraient été bannis pour toujours.

A cette occasion, je me rappelle avoir montré aux deux ministres des finances qui ont précédé M. Malou, et à l'honorable M. Malou lui-même, les états de service d'un de mes élèves. En 1814 lorsque je fus nommé adjoint trésorier général de la Belgique à l'entrée des alliés (vous voyez, messieurs, que mes fonctions remontent assez loin), ce jeune employé que j'ai fait nommer en 1816 après la reddition de mes comptes, obtint une place ; et, en 1817, il avait un traitement de 2,200 fr. ; quelques années après, ayant obtenu un avancement, il avait 2,500 fr. il a encore aujourd'hui le même traitement et un petit emploi dans une commune dans le petit Brabant. J'ai pensé qu'après 30 ans de service, mon élève étant la probité même, mais trop bon et trop doux pour se mêler d'affaires politiques, il était de mon devoir de m'occuper de sa position, mais je n'ai jamais pu obtenir un avancement. En 1842 j'en parlai au ministère des finances d'alors, on ne fit rien pour mon protégé, mais on accorda une place de 5 a 6,000 francs à l'hypocrite Retsin, qui avait été chassé par ses supérieurs.

Il est vrai que mon élève n'était pas protégé par un membre de la majorité et que Retsin avait pour protecteurs des membres de la majorité des deux chambres et de la haute société.

Voilà un fait de moralité que tout le monde pourra apprécier.

En 1843, je m'adressai de nouveau au successeur du ministre des finances de 1842. Toujours même dédain pour un ancien serviteur de l'Etat ; on le laissa toujours dans son petit village ; mais M. le ministre de la justice eut plus de bonheur que moi, et on obtint pour un parent une place de receveur de 7 à 8,000 fr. dans la capitale, quoique ce parent n'appartînt pas au département des finances.

Depuis, je me suis souvent adressé, toujours avec mes états de service de 30 ans à la main, mais le même principe continue, et les bonnes places sont pour les protèges de la majorité !

Je suis mauvais solliciteur, mais des actes d'injustice, de favoritisme et de passe-droit me révoltent. Je veux dans le civil, comme dans l'armée, des grades d'avancement donnés à l'ancienneté et à la bonne conduite, et les membres du ministère libéral partagent avec moi ces mêmes principes.

En continuant donc à me tenir éloigné de mes amis, j'avais rendu un service au pays pour ramener un pouvoir nécessaire et qui pourra calmer et apaiser le pays, tandis que je vois tous les ans le dissentiment augmenter et les divisions des partis prendre une telle proportion, que, dans un cas donné, cette situation deviendra dangereuse pour notre nationalité ; et je ne voudrais pas croire M. le ministre des finances, que des événements extérieurs soient seuls à même de rapprocher les partis. Pour moi, je désire que ces événements soient encore éloignés pour longtemps, et je voudrais un autre remède pour nous rapprocher. Le parti qui est représenté par la droite peut être content et satisfait du lot que lui a fait la constitution et que nous voulons tous maintenir, tandis que nous n'avons pas de garantie pour le pouvoir civil, dont nous voulons conserver les droits et être les premiers défenseurs.

Je sais que, dans une certaine classe de la société, on continuera à me faire des reproches de vouloir un ministère libéral ; mais ma conscience et mes convictions me disent que, dans le cercle de nos institutions, je suis dans le vrai, et que je pourrai, tout étant du parti libéral et de l'opposition, rester avec toutes mes convictions religieuses et professer la même foi que vous. Je veux et j'ai prouvé qu'on peut être très bon catholique et soutenir un ministère libéral et éclairé.

Je sais qu'avec cette profession de foi, je m'éloigne de bien des amis, mais je n'ai pas plus attendu d'un parti que de l'autre, car je resterai toujours indépendant et je n'accepterai jamais la moindre faveur de personne. J'étais bien attaché à l'ancien gouvernement, et quoique depuis 30 ans, j'aie passé par toutes les fonctions gratuites, cependant, j'ai repoussé une faveur ou distinction qu'on voulait m'accorder avant 1830 pour toutes les fonctions que j'avais remplies. Mais on me fit comprendre que les décorations ne seraient distribuées qu'après qu'on aurait pu apprécier notre conduite à l'assemblée des états provinciaux de juillet 1830. Je considérai cela comme une menace ; aussi je montrai encore plus que jamais de l'indépendance à cette dernière réunion des Etats, et mon nom fut biffé de la liste des décorés. Je préfère cette conduite à la gloriole d'avoir un ruban. Depuis 1830, j'ai rendu à la Belgique tous les services auxquels j'ai été appelé, et je suis toujours resté le même, et faveurs et rubans ne m'ont jamais tenté ; mais ce à quoi je me suis toujours efforcé, c'est à rester toujours un homme droit et à conviction. Je suis donc bien désintéressé dans le système que je voudrais voir au pouvoir, pour le bien-être de notre jeune nationalité, et je finirai comme j'ai commencé : Je déplore les conseils donnés à la Couronne.

M. Lebeau. - J'ai trop souvent appelé de mes vœux le système des cabinets homogènes, pour ne pas me féliciter du triomphe de ce système, alors même que ce n'est pas l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir qui est chargée d'en recueillir les fruits. J'aurais eu, messieurs, une conviction bien molle, bien superficielle dans la bonté de ce système, si sa pierre de touche avait été pour moi le triomphe de mes opinions.

Je l'avoue, il me semblerait plus naturel que le parti qui en avait fait en quelque sorte le premier article de son symbole politique, fût appelé à l'inaugurer. Mais puisqu'il n'en est pas ainsi, je ne m'en félicite pas moins, je ne félicite pas moins le pays de voir assis au banc ministériel des hommes qui n'ont pas cru avoir besoin de se créer mutuellement des surveillants et des espions.

J'en félicite surtout mon pays, car l'inauguration des cabinets homogènes est la fin, et la fin irrévocable, d'une trop longue déception, d'une trop longue hypocrisie politique ; hypocrisie qui, non seulement altérait tous les principes du gouvernement représentatif, mais qui portait à la moralité du pays, à la moralité de l'administration des atteintes funestes, et propageait partout l'influence délétère du poison le plus corrupteur.

Je me félicite donc, et c'est très sérieusement, de l'avènement des ministères homogènes, quoique mon opinion ne soit pas appelée à en recueillir les premiers fruits.

Du reste, messieurs, qu'on ne s'y trompe pas ; ce ne sont pas les cabinets mixtes qui viennent d'être à jamais écartés. Par opposition à l'opinion de mes adversaires et peut-être de plusieurs de mes amis, au moins au-dehors de cette chambre, je crois que la Belgique, depuis cinq ans, n'a pas eu de ministère mixte.

Les ministères mixtes ne sont pas, en eux-mêmes (et je l'ai dit dans une autre occasion), une combinaison qui doive rencontrer nécessairement les anathèmes de l'opinion. Les ministères mixtes peuvent être des ministères très honorables ; mais pour cela, il faut qu'ils doivent le jour à des circonstances graves, exceptionnelles. Les ministères mixtes, savez-vous ce que c'est ? (Et sous ce rapport un monde nous sépare de l'opinion professée naguère (je dis naguère à dessein) par nos adversaires politiques.) Les ministères mixtes sont l'état exceptionnel du pouvoir ; ils n'en sont jamais l'état normal. On a vu dans ce grand et noble pays, dont il faut sans cesse consulter les institutions et l'histoire si l'on veut comprendre le gouvernement représentatif, on a vu en Angleterre des ministères mixtes ; mais quand, messieurs, les a-t-on vus ? A l'époque de la grande guerre d'Amérique, à l'époque des grandes guerres européennes de la fin du XVIIIème et du commencement du XIXème siècle ; dans un état de crise où tous les partis, confondus dans un commun sentiment de patriotisme et de nationalité, consentent à ajourner, mais non pas à abdiquer, la diversité d'opinions qui les sépare. C'est donc la révélation d'un état anormal, la révélation d'une crise, que l'apparition et la justification d'un ministère mixte, et si la Belgique est en droit de réclamer des ministères homogènes, c'est parce que la Belgique n'est pas dans un état de crise.

Ne vous y trompez pas, messieurs, ne prenez pas la vie pour la fièvre. La vie politique nous l'avons ; la fièvre nous ne l'avons pas, nous ne l'avons pas encore ; plaise à Dieu que par l'imprudence du pouvoir on ne l'ait pas inoculée au pays !

Sans doute, l'esprit public grandit chez nous ; sans doute, on y voit se développer de plus en plus la vie politique ; mais sans elle, comme me le disait dernièrement un homme d'Etat illustre, qui m'honorait de son entretien, sans mœurs politiques, sans esprit public, les chartes écrites ne sont que des lettres mortes et sans valeur.

Ah ! messieurs, si la nationalité belge était menacée par l'étranger, si une démagogie effrénée menaçait de perturbation l'ordre public et nos instituions, alors peut-être, probablement même, nous verrions un spectacle analogue à celui que nous ont offert les dernières années du gouvernement des Pays-Bas et les premiers temps de notre révolution ; nous verrions de nouvelles coalitions, des ministères mixtes ; et, je n'hésite pas à le dire, si le malheur des circonstances le commandait, si la menace d'un cataclysme politique planait sur le pays, et s'il y avait nécessité de constituer un ministère mixte, je ne connais pas en Belgique un homme plus digne d'y représenter son parti, un homme auquel il fût plus honorable de s'associer que le chef actuel du cabinet. Comme je le disais tout à l'heure, jamais depuis la retraite du cabinet (page 1135) de 1840, il n'y a pas eu en Belgique de ministère mixte. Le ministère de M. Nothomb était un ministère purement catholique. J'en fournirais cent preuves, si ce n'était essayer de prouver qu'il fait clair en plein midi. De ces preuves, je n'en donnerai qu'une pour chaque phase de l'administration de M. Nothomb. Pensez-vous, pour parler de la première phase, que le cabinet qui a subi et non présenté la loi sur le fractionnement fût un ministère mixte ?

Pensez-vous, pour parler de la deuxième phase, que la cabinet qui a présenté la loi sur les jurys d'examen et qui a été condamné à engager ses propres amis à voter contre sa proposition, fût un ministère mixte ? Je ferais injure à vos consciences autant qu'au sens commun, si je ne disais qu'aux yeux de nous tous, il n'y eut jamais là de ministère mixte que le nom et le simulacre.

Une tentative sincère a été faite pour constituer un ministère mixte. L'honorable M. Van de Weyer, étranger à nos débats depuis près de quinze ans, étranger à la marche et au développement des partis politiques en Belgique, l'honorable M. Van de Weyer, croyant retrouver en 1846 la Belgique de 1830, est arrivé avec le dessein loyal et sincère de constituer un ministère mixte. C'était une erreur ; c'était l'erreur d'un homme honorable, d'un homme animé des intentions les plus patriotiques. Eh bien, si cette dislocation qui a presque suivi la formation du cabinet, si cette dislocation ne fût pas arrivée, et que l'honorable M. Van de Weyer fût resté au banc ministériel, avec les principes qu'il avait la ferme volonté de faire triompher, vous n'auriez plus un ministère mixte, mais un ministère libéral, d'où MM. Malou et Dechamps auraient été obligés de sortir immédiatement, sous peine d'être accusés de trahison par leurs amis politiques.

Ainsi vous voyez que la première fois qu'on a voulu sincèrement et loyalement former un ministère mixte, c'est-à-dire, dans un état normal, organiser le chaos, amalgamer les éléments les plus hétérogènes, l'impossibilité d'une telle combinaison était telle que ce ministère à peine né portait sur son front les signes de la mort et de la décomposition.

Laissons donc là les ministères mixtes ou soi-disant mixtes, ils sont de l'histoire ; laissons là le passé.

Nous avons devant nous un ministère homogène, un ministère catholique. J'ai entendu un honorable membre, dans la séance d'hier, réclamer contre celle qualification de ministère catholique. Probablement aussi cet honorable membre proteste contre la division en catholiques et en libéraux. Malheureusement, depuis la capitale jusqu'au village le plus infime, il ne se fait pas une élection sans qu'on se fractionne en catholiques et libéraux. Je veux bien fermer les yeux et dire qu'il n'y a pas de soleil, si cela peut vous être agréable. Je veux bien le dire : cela n'empêchera pas le soleil de luire.

Soyons francs. Voulez-vous une autre dénomination ? voulez-vous vous appeler le torysme belge ? Nous avons déjà fait, outre Quiévrain, un assez bon nombre d'emprunts ; nous avons, comme à Paris, la gauche, la droite, le centre gauche, et même peut-être le centre droit. Pour être un peu plus cosmopolites, allons faire aussi quelque emprunt outre-Manche, et prenons la qualification de whigs et de torys. Soyez les torys belges. Le torysme est une grande et noble opinion ; c'est un grand parti ; mais celui-là ne renie pas son drapeau. Si vous voulez être les torys belges, arborez le vôtre hautement, fièrement et surtout ne permettez jamais qu'un apostat embauché dans les rangs de vos adversaires aille souiller ce drapeau de son contact. (Vive sensation.)

Vous n'êtes pas un ministère catholique ! Qu'êtes-vous donc ? Un ministère libéral ? On n'est pas encore arrivé à le dire quoiqu’on paraisse l'insinuer. C'est un ministère de conciliation, un ministère de modération, par opposition sans doute à certaine combinaison non acceptée, à un cabinet précèdent, qui eussent été ou qui furent des ministères de discorde et d'exaspération.

Vous êtes, quoique homogène, dites-vous, un ministère de conciliation, de modération ; mais il me souvient que vous avez énergiquement combattu, comme manquant de ces caractères, un cabinet où siégeait l'honorable membre de cette chambre que vous avez à bon droit honoré de vos suffrages pour la présider et à qui, depuis, la Couronne a souvent offert un portefeuille ; un cabinet qui complaît dans ses rangs l'honorable M. Leclercq, aux pieds duquel plusieurs de vos amis se sont mis à diverses reprises pour le supplier de reprendre le pouvoir. Et quand, en 1841, de tels hommes siégeaient à côte de ceux anciens membres du congrès, unionistes d'avant le congrès et restés toujours fidèles aux principes de l'union, il y avait, selon vous, un cabinet d'exaspération !

Ah ! que les temps sont changés et que les ministères homogènes autrefois si redoutables sont devenus tout à coup rassurants ! Le ministère est homogène, tout au moins aussi homogène que celui de 1840-1841 ; mais savez-vous la différence, l'énorme différence entre le ministère actuel et le ministère de 1841 ? C'est l'honorable ministre de la justice qui vous l'a dit. « Oui, il est vrai, dit-il, que le ministère est homogène ; mais il n'est pas exclusif. » Fiat lux ! (On rit.) J'attends encore le commentaire de l'explication de M. le ministre de la justice. Le ministère est homogène ; mais il n'est pas exclusif. Qu'y avait-il donc d'exclusif, d'intolérant dans le ministère homogène que vous avez combattu ?

Un autre ministre, M. d'Huart, nous répond : « Nous agirons comme si le ministère était mixte. » Cela veut dire probablement qu'on ne sera pas un ministère de réaction, qu'on est arrivé avec l'intention de respecter les droits de toutes les opinions. Mais on vous a dit tout cela en 1841 : le ministère d'alors et ses amis vous ont dit tout cela ; vous n'avez rien voulu écouter. Le ministère était repoussé parce qu'il était homogène. Aujourd'hui, le ministère vient vous dire qu'il est homogène, et tout est pour le mieux ! Oh !palinodie !

Qui blâmait la division en catholiques et on libéraux signalée alors comme un fait incontestable ? C'était l'honorable M. Leclercq, en termes que l'honorable M. Dechamps a reproduits hier, qu'il invoque et s'approprie aujourd'hui pour se défendre. Mais l'honorable M. Dechamps se souvient-il à qui s'adressait l'honorable M. Leclercq ? C'était à lui-même. Mais comment veut-il que ses paroles aient quelque autorité dans sa bouche, quand elles n'ont pas suffi pour le désarmer en 1841 ?

Comment ! C'est lorsque les honorables MM. Leclercq et Liedts protestaient, ainsi que tous leurs collègues, que le ministère, s'il était homogène dans sa composition, n'avait rien d'exclusif, rien d'intolérant, c'est alors que s'organisait contre lui cette croisade dont l'honorable M. Dechamps était tout à la fois le Pierre l'Ermite et le Godefroid de Bouillon ! (On rit.) Oh ! palinodie !

Je veux bien faire la part de l'inexpérience ; mais il y a des esprits si mal faits, qu'ils vont jusqu'à penser que si, en 1841, les cabinets homogènes paraissaient si désastreux à l'honorable M. Dechamps, et s'ils lui paraissent si rassurants aujourd'hui, c'est qu'en 1841 le système le laissait à la porte, et qu'en 1846 il l'a mis dans la maison. (Rires nombreux.)

Nous avons donc à nous attendre, suivant l'honorable M. d'Huart, à une politique mixte. M. Dechamps va bien au-delà. Il ne s'en tient pas à la politique mixte ; c'est de la politique libérale qu'il veut faire ; mais j'ai même grand-peur qu'il ne fasse de la politique extra-libérale. On regrette le cabinet qui n'a pas vu le jour. Je suis tenté de croire que ces regrets sont une méprise grave. Je m'attends à voir le programme de l'honorable M. Rogier, non seulement adopté, mais largement dépassé, si l'influence de M. Dechamps est un peu large, si elle pèse d'un poids un peu plus grand sur son parti qu'elle n'a pesé lorsqu'il était dans les conseils où siégèrent successivement MM. Nothomb et Van de Weyer.

« S'il y avait entre nous (disait avant-hier l'honorable M. Dechamps) des obstacles insurmontables, je comprendrais l'opposition ; mais je viens de le dire, ce programme écrit du libéralisme parlementaire, sur les articles duquel je n'ai pas personnellement à me prononcer ici, pourquoi l'opinion catholique (j'en demande pardon à l'honorable M. Dubus, c'est l'honorable M. Dechamps qui s'exprime ainsi) ne pourrait-elle pas le signer ? »

C'est l'honorable M. Dechamps qui a dit cela avant hier. Il s'agit bien là du programme de M. Rogier et de ses amis. Il l'adopte avec la seule réserve que voici : « Je n'ai pas besoin de faire remarquer que lorsque j'accepte le programme de l'honorable M. Rogier, j'en distrais les questions relatives à la dissolution et aux fonctionnaires. »

Ainsi, messieurs, malgré quelques précautions oratoires, M. Dechamps adopte, moins les moyens, ce qui est, à la vérité, quelque chose, M. Dechamps adopte complétement le but, c'est à-dire, le programme libéral.

Non seulement, le programme de M. Rogier est adopté par M. Dechamps, mais ce ministre se propose d'engager ses collègues à le dépasser.

Voyons donc ce qu'il y avait dans ce programme.

La nomination du bourgmestre hors du conseil est une faculté qui serait maintenue au pouvoir exécutif, avec cette précaution que jamais on ne pourrait en faire un moyen d'influence politique, c'est-à-dire, avec l'intervention des députations permanentes.

Je pense que le ministère, au moins l'honorable M. Dechamps, serait assez disposé à faire cette concession.

La loi du fractionnement, je dois dire que l'honorable M. Dechamps en a déjà parlé en termes tels que je crois qu'il en a fait son deuil ; de sa part, le mérite de la concession ne. serait donc pas très grand. Mais je me permettrai de demander à l'honorable comte de Theux s'il poussera, lui, l'humilité assez loin pour venir mutiler l'enfant auquel il a donné la vie avec des efforts assez laborieux. Je demande sur ce point une réponse à l'honorable comte de Theux. (Rires.)

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.

M. Lebeau. - C'est un point du programme sur lequel j’interrogerai, non pas l'honorable M. Dechamps (il adopte lui le programme de l'honorable M. Rogier), mais ses honorables collègues.

Il s'agit de changer la forme de la composition du jury d'examen universitaire.

Je pense que, sous ce rapport, l'honorable M. Dechamps se serait encore entendu très facilement, non seulement avec M. Van de Weyer, mais même avec M. Rogier. Mais je demanderai ce qu'en pense M. Malou qui, investi de hautes fonctions administratives, s'en est honorablement dépouillé, pour venir plus librement combattre le projet que MM. Dechamps, d'Anethan et Nothomb avaient présente sur cette matière. Je demanderai ce qu'en pense l'honorable comte de Theux qui a si vivement combattu ce projet. Je demanderai, ou plutôt je ne le demanderai pas, car je le sais parfaitement, (on rit) ce qu'en pense l'honorable baron d'Huart ?

Voici sur cette partie du programme qu'adopte, dans son ardeur libérale, l'honorable M. Dechamps, ce que pense son collègue M. le baron d'Huart.

« Ceux qui veulent enlever aux chambres législatives, aux représentants directs de la nation toute participation dans la composition du jury d'examen universitaire, ne sont-ils pas des réactionnaires et des réactionnaires bien imprudents, puisqu'ils exposeraient ainsi l'une des plus précieuses libertés constitutionnelles ? »

La thèse est étrange de la part d'un ministre animé d'un si ardent royalisme.

Vous l’entendez, MM. Dechamps et d'Anethan ! Il ne s'agit pas seulement du présent, il s'agit quelque peu du passé. Vous n'avez plus à délibérer sur cette partie du programme de l'honorable M. Rogier, vous l'avez déjà adoptée sous le ministère de M. Nothomb, vous l'avez apportée avec lui dans cette (page 1136) chambre ; vous avez donc été, de par votre collègue actuel, d'imprudents réactionnaires avec M. Nothomb ! Il est vrai que vous avez expié votre faute avec une humilité, une résignation toute chrétienne. Mais vous avez, M. Deschamps du moins, subi encore une transformation. Il adopte, lui, le programme de M. Rogier, il pourrait le signer. Qu'arrivera-t-il maintenant, si on ne nous apporte pas sur le jury d'examen un projet conforme au programme de l’honorable M. Rogier qu'adopte aujourd'hui si complétement l'honorable M. Dechamps ? Ce qui doit arriver, le voici :

Si le cabinet se refuse à déposer un projet sur le jury d'examen, on s'il en produit un qui soit contraire à l'opinion de M. Rogier, redevenue celle de M. Dechamps, ce ministre va de nouveau se voir dans la triste nécessité de retourner sur le banc de député où il s'est enfui, quand M. Nothomb eut présenté son projet de loi. Mais dans son intérêt, je dois le prévenir d'une chose : s'il renouvelle l'espèce de bouderie qui a surgi entre M. Nothomb et lui à cette occasion, de l'humeur et du caractère que je connais au chef actuel du cabinet, M. Dechamps court grand risque de bouder longtemps, et beaucoup trop longtemps à son gré. (Hilarité générale.)

Messieurs, nous avons dans le programme de M. Rogier et de ses amis d'autres points encore qui n'ont réellement aucune couleur politique et auxquels cependant nous attachons une grande importance.

Il s'agit de l'augmentation du nombre des membres des deux chambres, il s'agit de mettre ce nombre en harmonie avec la population, selon le vœu formel de la constitution, telle qu'elle a été interprétée et appliquée par le congrès national lui-même ; il s'agit d'augmenter peut être d'un sixième ou d'un septième les deux chambres.

Je me permettrai de demander, non pas à l'honorable M. Dechamps seul, mais au cabinet tout entier, et notamment à son honorable chef, si on adopte aussi cette partie du programme de M. Rogier. Puisque vous n'êtes divisés que sur la question des moyens, et que sur le but vous trouvez que le programme est la chose la plus inoffensive du monde, que ferez-vous de la loi qui doit nécessairement intervenir, si vous voulez rester fidèles au vœu de la constitution ; que ferez-vous de la question relative à l'augmentation du nombre des membres des deux chambres ? Je demande au cabinet des explications précises sur ces différents points.

Messieurs, un des avantages des ministères homogènes, c'est qu'ils s'appartiennent, c'est qu'on est sûr qu'il n'émanera rien d'eux qui ne soit dû à l'inspiration la plus indépendante ; c'est qu'ils n'ont pas de gages à donner, c'est qu'ils ne sont pas tenus en suspicion permanente par ceux mêmes qui les appuient. Sous ce rapport donc, j'aime mieux le ministère actuel qu'un ministère soi-disant mixte.

Mais il y a bien assez dans les inspirations les plus libres, les plus spontanées du ministère qui est devant nous, pour que je m'inquiète des conséquences de son arrivée au pouvoir. L'honorable M. de Theux, on l'a dit tout à l'heure, est l'auteur de la loi sur le fractionnement ; l'honorable M. de Theux trouve sans doute que loin de développer le système électif, qui est celui de nos institutions, il faut tendre à le restreindre. C'est ainsi qu'il a reporté de 6 à 8 ans la durée du mandat municipal. L'honorable M. de Theux est évidemment l'adversaire de la délégation au pouvoir royal du droit de composer le jury d'examen. L'honorable M. de Theux, en un mot, est l'apologiste des conventions dont celle qui est connue sous le nom de convention de Tournay est le type et le modèle. Je puis donc accorder mon estime aux convictions sincères de l'honorable chef du cabinet ; mais je puis m’inquiéter, m'effrayer même, avec une grande partie du pays, de ces convictions, et je puis d'autant plus m'en effrayer qu'elles sont plus sincères, qu'elles sont plus enracinées dans son esprit.

Longue serait la liste des catastrophes qu'ont appelées sur un pays des hommes à convictions ardentes et sincères ; MM. Corbière, de Peyronnet, de Chantelauze, étaient des hommes honorables, à convictions sincères, des hommes de talent. Je ne pense pas que M. le ministre des affaires étrangères, dont on connaît la plume élégante et facile, puisse écrire, contre l'intervention du pouvoir civil en matière d'enseignement, des pages plus éloquentes que celles de l'ancien garde des sceaux de Charles X à l'appui des ordonnances de juillet. M. le prince de Polignac lui-même était un honnête homme ; resté fidèle à ses convictions, il croit encore aujourd'hui que c'est pour n'avoir pas compris ses intentions et tout le bien qu'il lui voulait, que la Fronce est livrée à ce qu'il appelle l'anarchie. Voilà où peuvent conduire parfois les convictions les plus sincères, les plus loyales, précisément parce qu'elles sont sincères et loyales.

Ces hommes avaient prêté serment à la charte de 1814, comme vous avez prêté serment à la constitution ; et dans les ordonnances de juillet, savez-vous ce qu'ils voyaient, ce que ceux d'entre eux qui vivent encore persistent à voir, ce qu'ils écrivent encore aujourd'hui ? Ils disent, ils écrivent qu'ils ne faisaient que ramener l'application de la charte à ses véritables principes et à son esprit ; qu'ils sauvaient cette même charte au lieu de la violer. Voilà avec quelle persévérance les hommes à convictions loyales et sincères, mais qui comprennent peu l'esprit de leur époque, ou à qui cet esprit est profondément antipathique, cherchent à réaliser leurs opinions.

Vous ne ferez pas, j'en suis convaincu, de coups d'Etat ; vous ne vous livrerez pas à des violations directes de notre charte, j'en ai la conviction ; j'en ai d'ailleurs pour garants non seulement vos intentions, mais encore les intentions, la prudence, la sagesse de la Couronne ; mais surtout l'attitude, les sentiments du pays tout entier. (Bravo, bravo !)

Non, vous ne ferez pas de coups d'Etat ; mais que sera votre administration ? Elle sera essentiellement négative et effacée, une administration, et en me servant de ces mots, loin de moi l'idée de vouloir blesser des hommes renfermés dans le cercle de leurs honorables et modestes attributions, une administration de chefs de division.

Mais si vous faites du positif, si vous sortez de ce rôle purement négatif ; oh ! alors je crains vos tendances bien connues.

Nous, nous voulons par tous les moyens légaux l'extension, le développement de nos libertés constitutionnelles ; vous, vous inclinez vers les moyens de les restreindre. Nous voulons nous, messieurs, l'élection plus ou moins rapprochée ; vous voulez la retarder, comme vous l'avez fait dans la loi communale. Vous tendez à fractionner ; nous tendons à unir.

La dissolution, qui est écrite dans la constitution, vous voulez en faire une lettre morte ; la dissolution, qui met le pays en communication avec ses représentants, vous la laisserez subsister nominalement dans la constitution ; mais vos doctrines, vos actes tendront à en faire une lettre morte. Ah ! si le renouvellement biennal de cette chambre n'avait pas été écrit dans la constitution, ce renouvellement, qui est devenu votre cauchemar, nous ne tarderions pas à voir apporter une loi qui traiterait la constitution de la chambre comme vous avez naguère traité la constitution de la commune. (C'est cela !)

En un mot, ce que nous aimons, ce que nous chérissons, vous vous y résignez, vous le subissez comme un fait de force majeure.

Et la presse, cette gardienne énergique de nos libertés, la presser, la plus puissante de nos institutions, la sauvegarde, le complément de toutes les autres, la presse, on le sait, vous la subissez avec douleur. C'est une voix appelée à vous commander le respect qui vous le crie : « La presse est une liberté funeste dont on ne peut avoir assez d'horreur. »

Voilà ce qu'une voix qui parle directement à vos consciences, vous dit de la liberté de la presse. Aussi ceux d'entre vous qui sont habitués à exprimer leur pensée avec une entière naïveté nous l'ont dit : La liberté de la presse est un fait malheureux, déplorable, mais qu'il faut subir. Nous n'aurons pas une censure légale, mais une censure qui, non seulement attaque comme c'est son droit, comme c'est son devoir, les livres immoraux et obscènes, mais qui va jusqu'à s'acharner à des journaux écrits avec une modération exemplaire et dans lesquels le feuilleton n'a pas même été introduit. Voilà comment on traite la liberté de la presse.

Dans les emplois, quel est l'esprit qui présidera aux choix ? Quel est l'esprit qui présidera aux avancements, aux promotions ? Nous en avons déjà eu quelques échantillons. Je sais que l’honorable chef du cabinet n'est pas disposé à voir se renouveler les scandales dont on nous a entretenus naguère, j'en suis parfaitement convaincu. Mais sa surveillance peut être mise en défaut, la nôtre l'a bien été.

Croyez-vous que dans l'administration, on connaisse ces détails infimes, d'un ministère à l'autre ? Cela est impossible.

C'est surtout là que l'esprit qui anime le ministère s'infiltrera de plus en plus, au point même de tout dominer.

Je m'attends donc, non à une lutte ouverte, mais à une lutte sourde et obstinée contre l'esprit de nos instituions ; je m'attends à voir revivre, un peu modifié peut être par l’esprit de l'époque, l'esprit de Vandernoot, et recommencer sa bille contre l'esprit de Vonck, enrichi de toutes les lumières des cinquante dernières années.

Cette discussion nous a offert le spectacle d'une recrudescence de royalisme, dont véritablement je suis édifié. Je me souviens de ce à quoi l'on s'exposait, il y a quelques années, quand on venait dans cette chambre demander des prérogatives pour le pouvoir royal.

Je vois encore de quel côté sont une grande partie des adversaires du droit de dissolution des conseils provinciaux, du droit de dissolution des conseils communaux, du droit de nomination des jurys d'examen, que mes amis et moi réclamions au péril de notre popularité. Aujourd'hui, nous y voyons une phalange de royalistes ardents. Vraiment c'est pour moi un phénomène nouveau et tout à fait inattendu.

Déjà, messieurs, pour la troisième lois depuis 1840, c'est à vous que le Roi devra de n'avoir pas signé son abdication. C'est pour la troisième fois que le ministère arrive ici avec la prétention de sauver la royauté d'une menace d'abdication.

Messieurs, qu'il me soit permis de le dire, après que M. Nothomb, de gaieté de cœur, après que M. Van de Weyer, induit en erreur peut-être, ont présenté un tel argument, quand nous entendons encore un pareil langage, à si peu d'intervalle, tenu par les conseillers de la couronne, nous trouvons, ainsi que l'a dit mon honorable collègue M. Dolez, que c'est jouer là un jeu bien dangereux. C'est en effet, messieurs, une bien coupable légèreté, une bien grave imprudence que d'appeler ainsi l'attention publique sur de délicates et redoutables questions de prérogatives ; car si vous les exagérez d'un côté, vous pouvez pousser à des exagérations contraire.

Jamais on n'a autant discuté sur les prérogatives de la Couronne que sous les derniers Stuarts, sous les derniers Bourbons, que dans les dernières années du règne de Guillaume d'Orange-Nassau en Belgique. Je ne saurais trop sur ce point m'associer aux avertissements patriotiques de mon honorable collègue de Mons.

Si je m'arrête un instant sur vos étranges doctrines du jour, ce n'est pas, croyez-le bien, que je suis assez candide pour penser que vous prenez bien au sérieux les dangers que vous énoncez ici. Je crois que vos intelligences dominées par votre position sont complétement faussées et qu'au fond, revenus à vous-mêmes, vous ne croiriez a aucun des périls que vous signalez.

L'honorable M. Nothomb, en 1841, disait, en propres termes, qu'il était, lui aussi, venu au pouvoir pour sauver le Roi d'une « abdication ». Lui aussi s'est servi de ce mot. La dissolution immédiate des chambres, ou plutôt la dissolution des chambres après un refus de concours fait à un ministère (page 1137) qui n'était pas sorti un instant de son programme de modération et d'impartialité, était alors regardée comme une abdication. Aujourd'hui, le thème est usé ; personne ne veut plus l'employer, personne n'y veut plus croire ; mais ou en a imaginé un autre pour la circonstance.

En 18415, on a reconnu formellement, au banc ministériel, les droits du ministère de 1841 à demander la dissolution des chambres, présentée par M. Nothomb comme une abdication ; on a de plus formellement reconnu alors le droit de demander la dissolution pour des cas déterminés ; on a reconnu que c'était le droit légitime d'un ministère en arrivant aux affaires. Aujourd'hui, en 1846, on reconnaît encore sans hésitation que la dissolution immédiate ne porte aucune atteinte aux droits de la Couronne. Mais on rejette de nouveau la dissolution éventuelle, sauf à l'admettre un peu plus tard. Oui, cette rétractation des opinions exprimées en 1841 nous présage de nouvelles rétractations.

Ne voyez-vous pas qu'en jetant ainsi sans cesse, avec cette coupable légèreté, dans nos débats, les questions de prérogatives, non seulement vous éveillerez les défiances, mais que vous habituez, par vos rétractations, ceux qui veulent le plus sincèrement le maintien de ces prérogatives à ne plus croire un mot de ce que vous dites pour leur défense ?

Voici un autre danger. S'il arrivait que vous ne pussiez garder longtemps le pouvoir, et que des membres de l'opposition fussent appelés de nouveau à composer un cabinet, dans des circonstances où l'opinion libérale serait assez forte pour que l'on fût obligé de traiter avec elle, sur les bases du programme que vous combattez, ne voyez-vous pas que vous auriez préparé, dans les esprits ainsi égarés par vos sophismes, l'humiliation même de cette Couronne que vous voulez défendre ?

Voilà à quoi vous vous exposez avec ces doctrines professées depuis quelques années, dont quelques-unes sont répudiées aujourd'hui par vous-mêmes, et dont les autres seront peut-être répudiées demain.

Parlerai-je de cet autre danger qui consiste à représenter la dissolution, l'appel au pays comme un coup d'Etat, comme une sorte de révolution ? Ne savez-vous pas que vous énoncez une théorie révolutionnaire ? Ne savez-vous pas que la dissolution a été constituée principalement comme un puissant moyen défensif pour la Couronne ?

Ne savez-vous pas que lorsqu'on a voulu porter atteinte à l'indépendance de la Couronne, on a commencé par nier, par effacer le droit de dissolution ? Lorsque le Long Parlement préludait, sous Charles Stuart, à la première révolution de la Grande-Bretagne, savez-vous quel a été son premier soin, messieurs ? De rendre un bill par lequel il déclarait que la chambre des communes ne pouvait être dissoute sans son consentement.

Quand les états généraux en 1789 se sont en quelque sorte organisés en assemblée révolutionnaire, savez-vous quel a été leur premier soin, non seulement au serment du Jeu de paume, mais dans d'autres circonstances ? De déclarer qu'ils étaient indissolubles.

Et quand on a voulu, avec des intentions pures, mais par un défaut d'expérience pratique, constituer une monarchie sous l'empire des idées de défiance et de réaction contre la royauté, on a refusé d'inscrire dans la constitution d'alors le droit de dissolution.

Ceux donc qui viennent parler ici de la dissolution en termes qui la font apparaître comme une crise, comme un coup d'Etat, prêchent une théorie pleine de dangers, une théorie purement révolutionnaire.

Messieurs, en Angleterre, la dissolution est le droit commun ; c'est l'acte le plus naturel, le plus inoffensif qu'il y ait sous le point de vue constitutionnel. En France c'est exactement la même chose. Nous voyons aujourd'hui sir Robert Peel, qui a obtenu, dans la chambre des communes, pour la réforme commerciale qu'il est en train de réaliser, une majorité de près de 100 voix, disposé à dissoudre les communes, et vous le voyez d'accord sur ce point avec l'honorable chef de l'opposition, ainsi qu'il résulte d'une conversation qui a eu lieu récemment dans le parlement anglais.

M. Guizot, qui a eu constamment la majorité depuis plus de quatre ans, depuis qu'il est au ministère, ne va pas attendre le renouvellement légal de la chambre. La chambre des députés doit être dissoute dans le courant de l'année actuelle.

Mais, dit-on, le renouvellement de la chambre législative, celle qui a l'initiative en matière d'impôt, ce renouvellement est beaucoup plus fréquent en Belgique qu'en France, qu'en Angleterre. Là le renouvellement est intégral ; ici le renouvellement partiel l'a emporté.

Messieurs, dans l'état normal je conçois parfaitement qu'il en soit ainsi. Si un ministère et une majorité incontestée, non seulement dans le parlement, mais dans le pays, conduisent les affaires, je comprends parfaitement que l'on attende le renouvellement partiel. Mais, on vous l'a déjà dit, quand il s'agit d'inaugurer une politique nouvelle, il est évident qu’alors le ministère qui va se trouver en face d'une chambre composée sous l'influence de ses adversaires, doit nécessairement, si la Couronne fait un appel à son dévouement, ou consulter le pays ou prévoir le cas où il aura besoin de le consulter. Sans cela, messieurs, ce ministère se ferait à bon droit accuser de la plus inconcevable étourderie, de la plus inconcevable légèreté. Le poids du pouvoir sur les élections, on peut bien le contester en théorie ; on peut faire de très belles phrases là-dessus ; mais la part du pouvoir sur les élections n'est pas niable. Personne de vous ne la niera. Personne de vous, par exemple, ne niera que la combinaison de 1841 n'a vu le jour que pour empêcher le ministère qui était alors au timon des affaires d'exercer quelque influence sur les élections. Personne ne le niera ; ou du moins personne ne le croira.

Ce droit de dissolution, messieurs, comme le droit de révocation, sont des points sous-entendus dans tous les gouvernements réguliers. C'est tellement sous-entendu que c'est pour cela que le ministère de 1841 n'avait songé à stipuler aucune garantie à cet égard. Il a fallu, pour que le ministère qui a été sur le point de se former songeât à obtenir des garanties expresses sur ces points, l'expérience de 1841. Il a fallu des garanties, messieurs, ne fût-ce que pour faire cesser cette funeste présomption qui a plané sur tous les débats de 1841, que le ministère n'était pas armé des moyens légitimes de gouvernement.

Messieurs, on est d'accord que la dissolution immédiate n'était pas contestable. On est d'accord au banc ministériel que la demande de dissolution immédiate était dans les droits du ministère. Eh bien, messieurs, le ministère, je le répète, a abandonné cette prétention ; mais il l'a abandonnée par voie de concession. Si l’on croyait que ce que le ministère a demandé était un droit plus exorbitant que la dissolution immédiate, on pouvait lui offrir la dissolution immédiate. Si l'on croyait qu'il portait trop loin ses prétentions en demandant la dissolution pour différents points, on pouvait réduire ces points à quelques-uns. On pouvait même offrir au ministère les concessions dont l'honorable M. d'Hoffschmidt s'était contenté. On prétend, messieurs, qu'un ministère ne doit jamais exiger que la Couronne engage sa liberté d'action. Savez-vous où conduit cette théorie ? A ceci : qu'un ministère, c'est-à-dire le pouvoir responsable, et seul responsable, doit toujours entrer aux affaires sans conditions. Si la Couronne ne peut s'engager, si la Couronne doit toujours conserver son entière liberté d'action, je dis qu'aucune condition n'est possible, parce que l'acceptation d'une seule condition emporte nécessairement un engagement moral de la part de la Couronne.

Ainsi supposez que le programme, si réduit, si modéré, de l'honorable M. d'Hoffschmidt, eût été accepté. Eh bien, n'est-il pas vrai qu'il y avait engagement, non seulement de promulguer la loi sur l'enseignement moyen, si elle avait été acceptée par la chambre telle que le ministère l'eût présentée, mais qu'il y avait engagement de dissoudre la chambre, si la chambre refusait cette loi ?

M. de Haerne. - Je demande la parole.

M. Lebeau. - Ainsi, messieurs, il se serait écoulé plusieurs mois depuis la promesse de dissolution restreinte au projet d'enseignement moyen : la réflexion aurait porté la Couronne à changer d'opinion sur l'opportunité, sur la bonté de ce projet de loi, accueilli, approuvé par elle à l'entrée du cabinet aux affaires ; les débats des deux chambres l'auraient éclairée, que la Couronne, pour rester fidèle à l'engagement, tout moral du reste, qu'elle aurait pris à l'égard du programme de l'honorable M. d'Hoffschmidt, était évidemment liée. Elle ne pouvait pas, eût-elle changé d'opinion, refuser sa sanction à la loi, votée comme les ministres la voulaient, ou renvoyer le cabinet, dans le cas où, après le rejet de la loi, il eût voulu dissoudre ; non, elle ne le pouvait sans manquer à un engagement moral.

Mais, messieurs, s'il en pouvait être autrement, il n'y aurait que des insensés ou des vaniteux de bas étage qui consentissent a accepter la responsabilité du pouvoir. Aucun homme de sens et de dignité ne consentirait à devenir ministre. Or, il y a deux choses que tout le monde sait pourtant ; c'est que la Couronne ne peut se passer de ministres et que nul citoyen n'est tenu de le devenir. Messieurs, si la question réduite à ces termes, vous l'acceptez encore, et on l'accepte même au banc ministériel, je n'hésite pas à dire qu'il ne reste rien de votre théorie, qu'il ne reste plus de question de principe, qu'il ne reste plus qu'une question de plus ou de moins.

Or, quand je vois des hommes d'une modération, d'une réserve portées aussi loin que celles de l'honorable M. Dolez ; quand je vois l'honorable M. de Brouckere, chargé, après la non adoption de ce programme si attentatoire à la prérogative royale et auquel il avait donné son adhésion, chargé deux fois par la Couronne de composer un cabinet, je vous demande où sont les Olozaga qui auraient opprimé la Royauté ? Mais ce sont des rêves ; mais personne n'y croit hors d'ici ; mais vous n'y croyez pas vous-mêmes, et je n'ai qu'un tort, c'est d'être assez ingénu pour revenir encore sur une thèse qui est décidément épuisée.

Messieurs, et nous aussi, nous voulons la royauté, et nous aussi, nous sommes les amis de la monarchie. Nous la voulions, messieurs, en 1830, et alors que nous avions tant à nous plaindre d'un gouvernement monarchique. Avant la révolution de 1830, j'écrivais que j'étais partisan sincère de la monarchie, mais déclarant qu'à mes yeux la monarchie anglaise seule réalisait les théories du véritable gouvernement représentatif. Au congrès, messieurs, et lorsque la royauté était absente, lorsqu'un instinct de courtisanerie ne pouvait inspirer personne, au congrès, mes honorables amis et moi nous nous sommes prononcés ouvertement pour la monarchie constitutionnelle.

Et si nous l'avons fait, messieurs, savez-vous pourquoi ? C'est qu'à nos yeux il y a dans une monarchie vraiment constitutionnelle autant de liberté que dans une république, et qu'il s'y trouve un principe de stabilité de plus. Ce n'est pas, messieurs, que nous ayons cru, avec ceux qui parlaient de la république comme d'un gouvernement plus parfait que la monarchie, que la Belgique n'était pas mûre pour un pareil gouvernement. Nous croyons, nous, que la Belgique est mûre pour toute espèce de gouvernement qui sait unir l'ordre à une grande liberté. Mais nous ne croyons pas que la république soit un gouvernement plus parfait que la monarchie sincèrement constitutionnelle représentative. Nous avons soutenu et nous pensons encore le contraire. Mais nous croyons qu'avec ses antiques et libérales traditions, sa profonde moralité, ses sentiments religieux, son bon sens, la Belgique aurait pu supporter le régime républicain tout aussi bien que les Etats-Unis d’Amérique. Mais nous n'avions pas oublié au congrès la position géographique de notre pays. Nous avons vu qu'à la différence des Etats-Unis, bornés par l’Océan et par une mer de forêts, la Belgique (page 1138) était au centre des grandes puissances monarchiques. Nous avions lu l'histoire de la malheureuse Pologne ; nous savions comment elle a péri ; nous avions la conviction que si, au lieu d'appeler par l'élection de son roi l'or et l'intrigue de l'étranger, elle avait mis une couronne héréditaire sur la tête de l'illustre Jean Sobieski, la Pologne vivrait encore glorieuse et forte ; nous n'avons pas voulu exposer la Belgique à ces périls, à ces déchirements qui accompagnent toujours, dans un pays entouré de monarchies, le renouvellement du pouvoir exécutif. Mais si nous avions cru que nous ne trouverions pas dans la monarchie les libertés que l'on trouve dans la république, avec une stabilité plus grande, jamais, croyez-le bien, jamais la monarchie ne nous aurait compté dans ses rangs. (Vive adhésion.)

Je ne terminerai pas, messieurs, sans dire un mot de ces accusations qui ont encore été renouvelées hier contre l'opinion à laquelle nous avons l'honneur d'appartenir, et que je vois avec douleur reproduites chaque matin dans certains organes de l’opinion ministérielle. Je ne terminerai pas sans dire ce que je disais ici, il y a douze ans, me séparant alors de la majorité même qui nous appuyait comme ministre, de ce même libéralisme qui était accusé avec tant d'injustice et de violence sur quelques-uns de vos bancs.

Non, vous disais-je, le libéralisme n'est ni réactionnaire ni antireligieux ; C'est la politique de l'avenir, la politique de la tolérance, la politique de la justice pour tous. Le libéralisme ! mais c'est la religion politique de presque tous les bienfaiteurs de l'humanité. Le libéralisme ! c'est la religion politique des Wilberforce, des Howard, du grand Canning, s'écriant de cette voix éloquente qui faisait tressaillir les opprimés et troublait les oppresseurs : « Liberté civile et religieuse dans l’univers ! » Le libéralisme ! messieurs, mais n'est-ce pas lui qui a émancipe la catholique Irlande ? N'est-ce pas lui qui naguère, par le concours des Russell et des Peel, a doté le séminaire de Maynooth, malgré les clameurs de l'intolérance anglicane ; car, malheureusement l'intolérance est de toutes les sectes et de tous les pays ? N'est-ce pas le libéralisme qui, chez les protestants les plus éclaires de l’Irlande, s'associe aux efforts patriotiques d'O'Connell pour arriver à la régénération de ce malheureux pays ?

Oui, un de nos honorables collègues vous l'a dit en termes magnifiques, le libéralisme n'est pas la théorie du vae victis ! du malheur aux vaincus ! C'est le progrès ! messieurs. C'est la religion du progrès ! C'est le soleil du monde moral, qui inonde, qui vivifie tout de ses rayons bienfaisants. et quand je vois quelques pamphlétaires, plus stupides encore qu'ingrats, se servir pour l'insulter de la libre plume que le libéralisme leur a mise dans la main, je suis tenté aussi de faire, comme quelques-uns de mes honorables collègues, appel à mes souvenirs littéraires, et de décerner au libéralisme l'hommage de ces beaux vers du poète français :

« Le Nil a vu sur ses rivages

« Les noirs habitants du désert,

« Insulter par leurs cris sauvages

« L'astre éclatant de l'univers.

« Cris impuissants, fureurs bizarres !

« Tandis que ces monstres barbares

« Poussaient d'insolentes clameurs,

« Le dieu, poursuivant la carrière,

« Versait des torrents de lumière

« Sur ses obscurs blasphémateurs ! »

(Marques nombreuses d'approbation. - Applaudissements dans les tribunes, vivement réprimées par M. le président.)

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, dans les séances précédentes nous vous avons exposé notre programme ; nous avons combattu de programme du 22 mars, et nous croyons avoir ainsi justifié notre avènement au pouvoir. Il nous reste aujourd'hui à répondre aux griefs que l'on a articulés contre nous ; il nous reste à vous donner les explications qui nous ont été demandées ; il nous reste à combattre la théorie d'exclusion qui a été proclamée dans cette enceinte.

Le principal grief, messieurs, que l’on ait articulé contre nous, c'est notre fidélité à la majorité, la confiance dont elle nous a honoré dans le congrès et dans cette chambre.

Oui, messieurs, nous avons été fidèle à la majorité et quand je dis : la majorité, je n'entends pas parler exclusivement de l'opinion catholique, j'entends parler également de cette majorité gouvernementale qui nous a constamment trouvé dans ses rangs, depuis le congrès jusques aujourd'hui. Ce passé, messieurs, nous ne le renions pas, c'est notre principal titre d'honneur.

Et depuis quand, messieurs, l'homme issu de la majorité, qui a joui de sa confiance sans interruption, devrait-il être exclu de la participation aux affaires publiques ? N'est-ce point là renverser toutes les théories parlementaires ?

Passant aux autres griefs, nous les rapporterons les uns à la politique extérieure, les autres à la politique intérieure.

Dans la politique extérieure nous avons fait souvent preuve de déférence envers les cabinets étrangers. En 1838, nous avons demandé aux chambres le retrait des lois exceptionnelles de douane portées par le gouvernement des Pays-Bas contre la France. Je remercie l'honorable orateur qui a articulé ce grief. Le congrès national, messieurs, a cru devoir donner une première satisfaction à la France, en retirant quelques-unes de ces mesures exceptionnelles ; le gouvernement belge, à son tour, a réclamé de la France des modifications à son tarif des douanes dans l'intérêt de la Belgique. Eh bien ! messieurs, jusqu'en 1836, la France fut inflexible ; jamais elle ne voulut faire la moindre concession à la Belgique, à moins que toutes les mesures exceptionnelles, prises par le gouvernement des Pays-Bas, ne fussent retirées. C'était, disait-on, pour la France une question d'honneur. Eh bien, messieurs, nous avons soutenu constamment que la Belgique ayant fait le premier pas, lorsque le congrès national avait retiré quelques-unes de ces mesures, la France devait faire le deuxième pas, et, messieurs, notre opinion a triomphé en 1836. C'est alors qu'ont paru les premières ordonnances favorables à la Belgique.

Et, messieurs, c'est un député des Flandres qui a osé, hier, combattre notre politique commerciale vis-à-vis de la France. A-t-il donc oublié que les ordonnances de 1836 étaient pour les Flandres un titre de prospérité ? Oui, messieurs, demandez à toute l'industrie linière, qui a mérité, à juste titre, nos sympathies, demandez-lui si le retour aux ordonnances de 1836 ne serait pas pour elle un extrême bonheur. Eh bien, messieurs, ce n'est qu'après avoir obtenu ces ordonnances que nous avons saisi la chambre du projet de loi qui retirait les mesures exceptionnelles prises par le gouvernement des Pays-Bas contre la France.

Le même orateur a parlé de notes diplomatiques communiquées à la chambre. Il m'a été impossible de saisir son allusion, je pense cependant qu'il a voulu parler des indemnités. Eh bien, messieurs, dans cette question encore nous avons résisté aux réclamations unanimes des cabinets étrangers qui intervenaient en faveur de leurs nationaux. Nous avons soutenu en droit, et d'après les exemples de l'histoire, que la Belgique n'était point tenue de la réparation de ces dommages et si, sous un autre ministère, nous avons accepté la loi des indemnités, ce n'a pas été à titre de dette.

Le traité de 1839, eh bien, messieurs, j'ose dire que si l'on avait suivi les conseils que nous avions donnés au sein du congrès lorsque le ministre de la guerre vint faire connaître à l'assemblée quelle était la situation du pays, quel était le danger de l'irruption d'une armée hollandaise entre les deux corps de notre armée, celle irruption du mois d'août n'eût pas eu lieu. La Belgique a été trop confiante ; elle s'est reposée sur l'appui que toutes les cours avaient donné à notre jeune royauté ; elle n'avait point cru qu'en présence de tous ces appuis, une violation de notre territoire fût encore possible. L'événement a malheureusement prouvé le contraire.

Le traité de 1831, messieurs, nous ne l'avons pas proposé ; nous ne faisions point alors partie du gouvernement, mais nous l'avons accepté comme membre de la chambre. Et ce traité peut-on nous faire un grief de n'avoir pas pu en obtenir la modification en 1839, en ce qui concernait le territoire ? Comment, messieurs, lorsque non seulement le gouvernement français, mais les deux chambres françaises n'ont pas cru pouvoir accorder cet appui à notre demande de protection, comment aurait-il été au pouvoir du gouvernement belge d'empêcher l'exécution de cet acte ?

Plusieurs d'entre nous, messieurs, avaient fondé les plus grandes espérances sur la politique de certains hommes éminents en France, qui paraissaient destinés à occuper immédiatement le pouvoir ; eh bien, qu'a-t-on vu ? Le zèle de ces amis politiques se refroidissait à mesure qu'ils approchaient du pouvoir. Voilà, messieurs, la vérité ; et quand la Belgique a-t-elle finalement cédé ? C'est lorsque, après une discussion solennelle dans les deux chambres, en France, le gouvernement de ce pays s'est associé aux autres cabinets pour nous signifier de commun accord l'arrêt final ! Se refuser alors à l'exécution du traité, c'était appeler tous les maux sur les deux demi-provinces qu'on était obligé de céder ; c'était renoncer à tous les avantages financiers que consacrait le traité de 1839, mis en parallèle avec celui de 1831, c'était, messieurs, placer dans la situation la plus désastreuse nos établissements financiers et industriels dont la crise funeste préoccupait déjà le pays.

Vous avez, dit-on, réhabilité la trahison ! encore à l'instigation de l'étranger. Non, messieurs, nous n'avons point réhabilité la trahison. La trahison est toujours restée pour nous la trahison. Mais des clauses d'amnistie se stipulent dans tous les traités de ce genre. Nous avons cru, messieurs, faire une saine application du traité de 1839, nous avons cru devoir en faire l'application la plus large, parce que nous avions intérêt, le plus grand intérêt à prévenir toute espèce de réaction, soit dans le Limbourg, soit dans le Luxembourg.

Nous passons, messieurs, aux griefs qui concernent la politique intérieure.

Comment, dit-on, vous avez pendant plusieurs années prêté votre appui à un ministère mixte et vous avez consenti à la formation d'un ministère homogène ! Eh bien, messieurs, nous devons le déclarer, en aucune circonstance nous n'avons professé de théorie absolue sur la formation d'un ministère, parce que nous savons par expérience, par une longue observation, que les ministères ne se forment point d'après les données de certaines théories, mais d'après les circonstances. Pour former un ministère, il faut le consentement, le concours des hommes politiques et, messieurs, ce concours est, la plupart du temps, subordonné aux circonstances. Si tant de tentatives infructueuses n'eussent pas été faites dans les circonstances présentes, eh bien, messieurs, nous n'eussions pas voulu prendre sur nous de donner le signal de l'avènement d'un ministère homogène. Cependant, je dois le déclarer, je n'ai, en théorie, aucune objection à faire contre un ministère homogène. J'admets un ministère homogène aussi bien qu'un ministère mixte ; je ne veux pas plus l'exclusion d'un ministère mixte que l'exclusion d'un ministère homogène. La bonté intrinsèque d'un ministère est dans les hommes qui le composent, dans les principes qu'il professe.

Le premier acte de notre administration a été, dit-on, de rétablir au ministère un cabinet particulier que l'on a qualifié de cabinet noir. Cette qualification était de nature à faire une certaine sensation ; mais, messieurs, cette qualification ne nous effraye point, nous vous ferons connaître ce que c'est que l'organisation du cabinet qualifié de noir. Ce cabinet, messieurs, nous le justifierons en théorie, mais auparavant nous vous ferons connaître certain acte qui vous prouvera que notre opinion est partagée par les hommes (page 1139) politiques qui occupent le premier rang dans l'opposition. Nous nous sommes procuré le règlement général d'organisation du ministère des travaux publics sous l'honorable M. Rogier et nous y lisons ce qui suit, sous la ru-torique Cabinet :

« Art. 3. Indépendamment des affaires que le ministre se réserve d'y faire traiter, les attributions du cabinet sont réglées de la manière suivante :

« Lettres, dépêches, missions d'une nature officieuse ou toute confidentielle, correspondance officieuse ou confidentielle du ministre avec le cabinet du Roi et la liste civile ; avec les ministres, les membres du corps diplomatique, les sénateurs et les représentants ; revue de la presse et renvoi au secrétariat général et aux chefs de service de tout article qui concerne l'un des objets rentrant dans leurs attributions.

« Pendant les sessions législatives, le cabinet est chargé de suivre les débats, tant pendant les séances que dans le Moniteur, et de tenir le département attentif à toutes les observations ou circonstances parlementaires qui peuvent le concerner. »

Quant à moi, j'approuve ce règlement formulé par l'honorable M. Rogier et c'est dans ce sens que j'ai constamment compris l'existence d'un cabinet particulier au ministère de l'intérieur. J'ajouterai qu'en 1831, au moment même de la révolution, nous avons trouvé un secrétaire de cabinet au ministère de l'intérieur. En 1840 notre honorable président devenu ministre de l'intérieur a conservé mon secrétaire et ses attributions, et moi je viens de reprendre le secrétaire de l'honorable M. Nothomb, persuadé qu'il s'était assuré de son savoir et de sa discrétion.

1° Mais, n'est-il pas anormal que le ministre de l'intérieur reçoive de MM. les gouverneurs, leurs rapports confidentiels, ainsi que les rapports confidentiels des commissaires d'arrondissement, que ces rapports soient intitulés : « Cabinet », et que le ministre de l'intérieur y réponde par des lettres de division ? N'est-ce pas leur dire que c'est à tort qu'ils considèrent ces sortes d'affaires cornue ayant un caractère confidentiel ? Mais, je vous le demande, si vous étiez appelés à donner au gouvernement une opinion franche sur tel ou tel candidat, vous exposeriez-vous à signaler les défauts, tout ce que peuvent avoir de reprochable certains individus ? Mais ne serait-ce pas nous exposer à toutes les vengeances ? Remarquez, messieurs, que les personnes les moins recommandables sont aussi ordinairement les plus audacieuses.

Je dis donc, que j'ai toujours considéré comme un devoir d'avoir un secrétaire particulier. Mais, ne croyez pas que ce cabinet particulier soit le réceptacle des dénonciations ou des mauvaises recommandations. En aucune manière. Si des informations particulières nous sont données nous les transmettons par la voie du cabinet à MM. les gouverneurs pour qu'ils prennent les informations convenables.

Voilà, messieurs, comment se passe une administration régulière. Mais ce fait se passait également, je dois le dire, sous le chef de la première direction, qui sous mon honorable prédécesseur, M. Van de Weyer, était chargé de cette partie du service. On envoyait à la direction les notes favorables ou défavorables à certains candidats. Et ici je dois le dire en passant, ce n'est aucunement par défiance envers le fonctionnaire placé à la tête de la direction, que j'ai rétabli les attributions du cabinet ; nous l'avons fait non seulement parce qu'il faut qu'il y ait de la discrétion dans l'administration supérieure mais parce qu'il faut que tous les fonctionnaires en rapport avec l'administration supérieure aient la certitude, ne fût-ce que par l'intitulé seul de la correspondance, que leurs dépêches ne sont point livrées à l'indiscrétion qui peut naître de la circulation dans la longue filière des bureaux.

Le deuxième grief, messieurs, c'est la composition du jury d'examen. A notre entrée au ministère, le projet était préparé par l'honorable M. Van de Weyer. Il n'était point revêtu de la signature royale. Nous avons cru que nous pourrions accepter la responsabilité de ce travail sans en faire un examen trop détaillé. D'abord pour répondre aux critiques de l'honorable député de Bruxelles qui n'est point présent ici, nous lui dirons qu'aucun nom appartenant à l'université libre n'a été rayé de la liste. Nous ajoutons que chacun de ces titulaires est resté dans le jury pour lequel il avait été proposé par mon honorable prédécesseur. Je pense donc que vis-à-vis de l'opinion qui protège l'université libre nous sommes, comme le disait hier un honorable membre, blancs comme neige. Il est vrai que nous avons fait un changement en ce qui concernait l'université de Liège, et voici ce changement. Pour le jury de médecine un membre qui n'appartenait point aux universités était porté sur la liste : nous l'avons rayé en le remplaçant par un membre de l'université de Liège et nous avons rayé, du jury pour le doctorat en droit, le nom d'un membre de l'université de Liège, que nous avons remplacé par un membre de l'université de Louvain.

Un membre. - Un de vos amis.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Un de mes amis, c'est très vrai, mais un homme très capable de remplir cette mission et dont je croyais la présence nécessaire à la bonne composition du jury.

Passant, messieurs, aux griefs anciens, je commence par ceux qui ont été articulés par l'honorable M. Fleussu. Nous avons mal exécuté la loi sur l'enseignement supérieur ; nous avons laissé se désorganiser les universités de l'Etat, et en particulier l'université de Liège. Déjà, messieurs, plusieurs fois il a été tenu des discours qui tendent à jeter la déconsidération sur les universités de l'Etat, et ces discours sont sortis de la bouche de personnes qui auraient dû surtout prendre à tâche de maintenir la considération et la confiance dans ces universités. Messieurs, c'est nous qui avons toujours pris à tâche de défendre les universités de l'Etat et de leur conserver la confiance des pères de famille.

Comment ! messieurs, on critique les mesures administratives que nous avons prises. Nous faisons appel à MM. les administrateurs des deux universités, à MM. les recteurs que nous avons chargés du soin de diriger ces deux établissements, et nous sommes assurés de recevoir de leur part les témoignages les plus honorables. Déjà, messieurs, depuis notre rentrée au ministère, ces témoignages ne nous ont pas fait défaut, et j'ose dire qu'au point de vue administratif des universités, notre. retour a été accueilli avec plaisir.

Comment ! nous n'avons pris aucune mesure pour faire fréquenter les cours ! Mais l'honorable membre n'ignore pas qu'aux termes de la loi, les élèves peuvent se borner à prendre inscription à certains cours, qu'ils ne sont pas obligés de prendre inscription à tous les cours sur lesquels les examens doivent porter.

Nous avons fait tout ce qu'il était en notre pouvoir de faire. Aux termes d'un arrêté royal en date du 3 décembre 1835, porté pour assurer l'exécution de la loi, les élèves sont tenus de fréquenter assidûment les cours auxquels ils sont inscrits. Les professeurs peuvent s'assurer de leur présence» par un appel nominal ou de toute autre manière ; et par une instruction ministérielle, nous avons confié aux recteurs et aux administrateurs-inspecteurs le soin de faire connaître aux parents toutes les absences de leurs enfants ; de cette manière, nous avons appelé sur la fréquentation des cours par la jeunesse universitaire l'attention des autorités académiques et celle des parents mêmes des élèves.

Après ces explications, j'aime à croire que ce grief aura disparu, au moins dans vos esprits.

J'oubliais cependant d'ajouter qu'en 1838 nous avons présenté à la chambre un projet de loi tendant à obliger les élèves à s'inscrire à tous les cours, sur lesquels les examens devaient porter, et à les obliger de fréquenter ces mêmes cours.

Si, depuis que nous avons quitté le ministère, il y a eu quelque relâchement, c'est une chose que j'ignore, mais dans tous les cas, on voudra bien ne pas nous imputer les faits qui peuvent s'être passés depuis 1840.

Je passe à deux autres griefs relatifs à loi communale, le fractionnement, le mandat de huit ans.

Messieurs, nous sommes auteurs de la proposition du fractionnement ; mais en faisant cette proposition, nous étions forts de l'autorité de deux pays que nous pouvons considérer jusqu'à présent comme nos maîtres en institutions politiques. La Grande-Bretagne a introduit le fractionnement, tel que nous l'avons proposé ; la France, depuis la révolution de juillet, a adopté la même mesure ; nous avons cru sincèrement que cette mesure était bonne en pratique, comme nous la croyons bonne en théorie. Maintenant, nous n'hésitons pas à convenir que, dans la pratique, il s'est révélé quelques inconvénients ; mais à côté de ces inconvénients, il reste toujours l'avantage d'une représentation plus égale de chacune des fractions du territoire d'une grande ville, et la facilité des opérations électorales.

Au surplus, nous ne voulons pas insister sur cette question ; nous voulons seulement dire que si l'expérience venait à démontrer que nous avons été induits en erreur, et que la loi sur le fractionnement ne porte par les fruits que nous devons en attendre, nous avons pu procéder ainsi, nous fondant, d'une part, sur les principes, et d'autre part, sur l'autorité des exemples que nous avaient donnés la Grande-Bretagne et la France.

Le mandat de huit années !... C'est dans cette discussion que ce grief a été articulé pour la première fois.

Si c'était une faute, messieurs, vous auriez tous à vous la reprocher, au moins vous tous anciens membres de la chambre, car ce projet de loi a été voté dans cette enceinte, comme au sénat, sans qu'une seule parole ait été prononcée pour le combattre ; il n'y a pas eu un seul opposant dans les deux chambres.

M. Delfosse. - J'ai voté contre.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J'étais donc dans l'erreur sur le compte de l'honorable M. Delfosse, et j'accueille volontiers sa rectification.

M. Delfosse. - Je ne suis pas le seul.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je croyais, d'après mes souvenirs, que la loi avait été adoptée à l'unanimité dans les deux chambres ; en tout cas, il n'y a pas eu d'opposition dans les discours.

M. Delfosse.- On était fatigué, on avait discuté pendant une semaine.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Peu importe, au reste, que nous trouvions aujourd’hui quelques contradicteurs sur ce point ; nous croyons avoir procuré aux communes un véritable bienfait, en éloignant un peu les époques d'agitation, et nous sommes assurés, nous ne craignons pas de le dire, que si nous devions consulter les électeurs sur une pareille question, ils nous répondraient : « Nous sommes satisfaits de la prolongation du mandat »

Nous ajouterons que cette disposition est encore utile à la bonne administration des communes, attendu que les mutations trop fréquentes dans le personnel des administrations communales entraînent nécessairement à leur suite de graves inconvénients.

L'honorable député de Liège nous a parlé de la loi de l'enseignement moyen. Nous avons, messieurs, agi, en vous communiquant notre programme, comme l’avait fait le ministère de 1840-1841 qui a obtenu toutes les sympathies de l'opposition, et je dirai même, dont une partie aurait aussi obtenu les sympathies de l'ancienne majorité.

Ce ministère n'avait pas annoncé l'intention de retirer la loi de 1834. En effet, l'honorable M. Rogier, qui avait alors l'instruction publique dans ses attributions, se serait bien gardé d'une semblable mesure, alors que le (page 1140) projet de 1834 avait reçu de la part de l'honorable membre, au moment de sa présentation, les éloges les plus complets, des éloges sans réserve, alors que l'honorable membre avait rendu justice à l'esprit de conciliation de chacun des membres de la commission qui avait été nommée sur sa proposition, et dont nous avons eu l'honneur de faire partie.

L'honorable M. Rogier a dit, à cette époque : « Un rapprochement se fait entre deux opinions qui se croyaient à une grande distance ; nous sommes heureux de ce rapprochement. » Ce que disait l'honorable membre était vrai : un grand rapprochement s'était opéré, dans le sein de cette commission, entre des hommes politiques qui croyaient avoir des opinions plus divergentes qu'elles ne l'étaient en réalité. C'est ainsi que nous nous sommes trouvé parfaitement d'accord avec l'honorable M. Ernst, alors membre de l'opposition, élu par la ville de Liège, ancien professeur de l'université de cette ville, et avec l'honorable M. Devaux qui a toujours pris un intérêt particulier à l'instruction publique.

Cet accord a été tel qu'il fut, je dois l'avouer, l'origine du ministère de 1834, car c'est à la suite de la rédaction du projet de loi sur l'enseignement public, que l'honorable M. Ernst et moi nous avons pu nous entendre sur la formation d'un cabinet.

Toutefois, nous voulons bien ne point nous renfermer dans cette déclaration à laquelle cependant nous aurions le droit de nous tenir, que le gouvernement fera tous ses efforts pour que le projet de loi sur l'enseignement moyen soit discuté et adopté avec un esprit de patriotique conciliation. (Interruption.) C'était aussi la déclaration qui était contenue dans le discours du Trône, à l'ouverture de la session de 1840-41 ; ces expressions peuvent donc être accueillies avec faveur.

Deux systèmes sont en présence, en ce qui concerne l'enseignement moyen ; le système communal et un système plus central. Le projet de 1834 était le système particulièrement communal ; le gouvernement ne se réservait que la faculté d'établir trois athénées ; tous les autres établissements d'enseignement moyen étaient abandonnés à la libre administration des communes.

Messieurs, si le maintien du système communal doit être un acte de conciliation, nous nous associons encore à cette mesure ; si, au contraire, on considère comme moyen de conciliation une plus grande centralisation, en ce sens que le gouvernement ait l'administration de quelques athénées en plus, eh bien encore, par esprit de conciliation, nous sommes prêts à adopter ce système.

Quant aux détails de la loi, nous croyons devoir nous abstenir, pour le moment de toutes explications ultérieures ; en voici le motif : c'est que notre pensée ne pourrait être sainement appréciée qu'autant qu'elle fût formulée dans un ensemble de dispositions, et qu'en vous manifestant seulement quelques parties de notre pensée, nous attirerions la discussion sur quelque chose d'incomplet ; nous amènerions encore cet autre inconvénient, de provoquer des discussions anticipatives et conséquemment inutiles.

La marche que nous comptons suivre est celle qui a été indiquée dans le programme, c'est celle qui a été suivie pour l'examen de tous les autres projets de loi. Le gouvernement a rempli son devoir, en saisissant la chambre d'un projet de loi, la chambre a rempli en partie le sien, en examinant ce projet dans les sections. Maintenant nous invitons la section centrale à formuler son travail ; quand le rapport de la section centrale sera déposé, nous viendrons vous soumettre les amendements que nous jugerons utiles, de manière que la chambre puisse les apprécier dans toutes leurs conséquences, avant d'aborder la discussion du projet...

M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Et nous espérons que cette marche aura de bons résultats. Dans tous les cas, c'est la marche la plus simple : la chambre étant saisie d'un projet de loi, le gouvernement a rempli son devoir, et personne ne peut exiger que le gouvernement interrompe l'examen de son projet et dépose des propositions nouvelles.

Telles sont, messieurs, nos explications sur les demandes de l’honorable M. Fleussu.

Messieurs, l'on a combattu ce que nous avons dit du programme du 22 mars. On a soutenu que ce programme était normal, qu'il n'y avait aucune atteinte, même indirecte, à la prérogative royale. Déjà, nous dit-on, un ministère libéral avait été abandonné par la Couronne ; force était à un nouveau ministère libéral de s'assurer des conditions d'existence, force était au ministère libéral de s'assurer la faculté de dissoudre les chambres jusqu'aux élections de 1847. Ces propositions sont claires, sans doute, elles ne forment pas un contrat, il ne se passe pas de contrat entre la Couronne et le ministère ; mais ce n'en étaient pas moins des conditions à accepter par la Couronne, imposées par le ministère, des conditions connues de la nation ; c'étaient des conditions qui devaient avoir pour objet de découvrir la Couronne....

M. Rogier. - Qui vous dit qu'elles dussent être connues de la nation ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est bien certain que si vous fussiez arrivé au pouvoir, vous nous eussiez donné connaissance de votre programme.

M. Rogier. - Qui vous a dit cela ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Parce qu'on vous l'eût demandé En effet, je ne conçois pas qu'on fasse un programme mystérieux. Ce serait là une politique à laquelle la franchise de l'honorable député d'Anvers ne nous avait pas habitués. Je crois que ces observations se produisent sous l'influence des attaques que je dirige contre son programme ; j'ai la conviction qu'il nous aurait communiqué le programme qu'il avait présenté à Sa Majesté.

C'était, dit-on, une politique nouvelle ; force donc était à la Couronne d'acquiescer à la dissolution des chambres si la politique nouvelle ne convenait pas à la majorité. Nous avons d'abord émis des doutes sur les intentions de la Couronne, d'inaugurer une politique nouvelle ; nous avons pensé que la Couronne devait avoir été induite en erreur sur les assurances souvent émises dans cette enceinte qu'un ministère de gauche pouvait avoir la majorité dans les chambres telles qu'elles étaient composées. Il l'aurait eue, dit un honorable membre. Mais alors pourquoi ce luxe de précautions vis-à-vis de la Couronne. Alors tombe l'excuse de l'inauguration d'une politique nouvelle. Mais je suppose qu’il en fût ainsi, qu'il s'agit d'inaugurer une politique nouvelle ; mais alors, il y avait un moyen franc, irréprochable, c'était de dire à la Couronne : Nous ne pouvons pas accepter le pouvoir sans qu'il y ait une dissolution immédiate des chambres. Nous n'avons jamais contesté le droit de dissoudre les chambres, nous avons toujours reconnu que la dissolution était une garantie nécessaire donnée à la Couronne contre les empiétements parlementaires.

Aujourd'hui, nous répétons encore cette doctrine. Mais nous disons qu'entre le droit de dissolution et l'opportunité de l'exercice de ce droit, il y a un examen à faire et que cet examen doit être fait librement par la Couronne, qu'elle ne peut pas se dépouiller de ce libre examen. Messieurs, aucun de mes collègues n'a contredit cette doctrine ; j'ai suivi attentivement leurs discours ; ce qu'ils ont dit s'adressait à d'autres hypothèses ; mais quant aux principes qui ont été défendus, nous avons été unanimes, et nous sommes encore unanimes au sein du cabinet.

Nous avons soutenu surabondamment que ce programme portait atteinte à la dignité, à l'indépendance parlementaire, nous ne développerons plus cette pensée. Nous ajouterons que dans cette discussion, pour combattre avec plus de succès un ministère pris pour la plus grande partie dans l’opinion parlementaire qu'on est convenu d'appeler catholique, on a cru devoir proclamer l'ostracisme contre cette opinion.

En effet, on ne nous a pas dit : Vous n'avez pas la confiance de la majorité de cette chambre, mais on nous a dit : Par cela seul que vous avez siégé, dans cette fraction que nous appelons catholique, vous êtes inhabile à gérer les affaires du pays. Eh bien, c'est là encore une violation de l'esprit de la Constitution. Si le congrès national eût voulu exclure une fraction considérable, je crois même la plus considérable du pays, de toute participation au gouvernement, il eût, à l'imitation d'une constitution d'un pays voisin, heureusement modifiée aujourd'hui, exigé de cette fraction un serment politique qui l'eût empêchée d'exercer des fonctions publiques parlementaires ou gouvernementales. Là il y eût eu franchise.

Mais en l'absence de cette disposition, quand on se dit partisan de toutes les libertés, venir proclamer dans le parlement que certaine opinion est inhabile à gouverner le pays, qu'elle ne peut le gouverner sans amener sur lui de grandes calamités, je dis que c'esl là un système d'ostracisme.

Comment, nous nous proclamons les amis sincères de la Constitution, de la liberté de toutes les opinions, de la liberté religieuse, et vous venez prononcer cet ostracisme ! Veuillez réfléchir à cette contradiction. N'oubliez pas que nous avons avec vous pris part à la confection de la Constitution, et que si elle renferme des garanties pour nos opinions, elle en renferme aussi pour les vôtres.

Un cabinet de notre opinion ne peut, dit-on, être modéré ni progressif. Veuillez en entendre les raisons. Pourquoi donc ? Quoique la liberté de la presse soit proclamée par la Constitution, l'autorité ecclésiastique a prohibé la lecture de certains livres, de certains ouvrages périodiques, de certains journaux. Mais s'agit-il là d'une mesure gouvernementale, d'une mesure parlementaire ? Certainement non ; quand vous vous êtes réservé le droit de publier vos opinions par la presse, vous avez laissé aux opinions religieuses de quelque nature qu'elles soient, le droit de publier les leurs ; ce droit est consacré par la Constitution ; libre à qui que ce soit de ne pas suivre ces opinions de l'autorité religieuse, jamais le gouvernement ne vous fera une loi, une obligation de vous y conformer. En proclamant la liberté de la presse et des opinions, vous avez dû vous attendre à ce que des opinions diamétralement opposées aux vôtres seraient professées et proclamées par d'autres.

La modération, dit-on encore, n'est pas dans notre bouche une parole grave. Nous avons fait partie du ministère qui a eu la plus longue durée, qui a obtenu l'honorable appui des membres les plus éminents de la gauche actuelle, d'un ministère qui a reçu de l'honorable M. Dolez un témoignage dont je me fais honneur ; ce ministère était modéré dans sa composition, comme il l'a été dans ses actes. En effet, ce ministère était essentiellement, éminemment mixte, il renfermait les hommes les plus influents des trois fractions de cette chambre.

Ce ministère n'a-t-il pas fait passer dans les chambres une allocation au budget du département de l'intérieur pour le culte anglican ? Voilà un fait de modération et de modération religieuse, un fait qui n'a d'exemple dans aucun autre pays, car je défie de citer un pays où le culte de l'étranger différent du culte de la majorité du pays où il s'exerce, soit rétribué sur les fonds du trésor. Cet acte, c'est moi qui en ai personnellement pris l'initiative.

La ville de Bruxelles avait érigé une université libre ; on supposera que nos opinions ne lui sont pas favorables.

Avons-nous refusé d'approuver le budget de la province qui renfermait une allocation considérable pour cet établissement ? N'avons-nous pas pris l'initiative de la négociation avec la ville de Bruxelles, pour obtenir en sa faveur un subside considérable sur les fonds de l'Etat, subside qui a rétabli ses finances et l'a mise à même de soutenir dans le présent et dans l'avenir, cet établissement auquel on nous suppose antipathique ? Plus tard, quand (page 1141) la convention est venue en discussion dans cette chambre, ne lui avons-nous pas prêté l'appui de notre parole et de notre vote ? Ne pouvons-nous pas nous vanter d'avoir fait passer cette loi au profil de la ville de Bruxelles ?

Messieurs, comme titre, comme preuve de notre modération, nous dirons encore que nous avons démontré qu'un système d'intimidation est antipathique à nos mœurs comme il l'est à nos institutions, et en parlant ainsi, nous avons pris l'obligation vis-à -vis de la chambre et du pays, de persister dans cette opinion non pas seulement dans les circonstances actuelles, mais à jamais dans l'application des principes que nous avons défendus.

Notre ministère ne peut être progressif ?

D'abord entendons-nous sur le mot de progrès. Sans doute, messieurs, que pour être progressif il n'est pas nécessaire d'être antipathique au clergé, à la religion que professe la majorité de la nation. J'aime à croire que presque tous les membres de la gauche sont d'accord avec moi sur ce point. J'aime à croire encore que par le mot progrès on n'entend pas une hostilité ni au culte ni au clergé. Eh bien, du moment que l'on accepte cette définition, je dis. messieurs, que nous pouvons accepter dans toute la latitude de sa signification, le mot de progrès. Car nos honorables contradicteurs n'entendaient pas jeter la nation dans une grande et longue expérience de nouveautés. Ils ont compris, comme nous, que la nation a besoin d'ordre aussi bien que de liberté.

Mais quand donc avons-nous refusé à tenir compte des faits nouveaux qui se sont produits dans le pays, soit quant aux intérêts moraux, soit quant aux intérêts matériels ? N'avons-nous pas en toute occasion prêté notre concours à l'appui que le gouvernement, que le parlement voulait donner à ces divers intérêts ?

Messieurs, c'est ainsi que je pense que le progrès sérieux, parlementaire, gouvernemental, doit être compris. C'est l'étude des besoins nouveaux qui se produisent dans le pays, c'est l'étude des améliorations que nous indiquent les nations voisines également avancées dans la civilisation.

Les élections des grandes villes, a-t-on dit, ne sont pas favorables à votre gouvernement.

Messieurs, cet argument n'a rien de sérieux. Dans quels pays les grandes villes ont-elles l'habitude de se ranger du côté du gouvernement ? Presque nulle part. D'ordinaire les élections des grandes villes sont en faveur de l'opposition, si ce n'est dans les temps rares de crise politique.

Messieurs, arrivez aux affaires ; gouvernez pendant quelques années, gouvernez pendant sept ou huit ans, et alors nous verrons si vous aurez encore l'assentiment du corps électoral des grandes villes. Déjà, nous avons vu par expérience qu'un ministère libéral n'obtenait pas toujours l'approbation des grandes villes aux élections, nous avons vu des ministres libéraux éliminés par les grandes villes.

Mais, dit-on, les grandes villes doivent gouverner, parce qu'elles ont l'intelligence des hautes questions politiques.

Assurément, messieurs, si les hommes qui sont appelés à gouverner, qui sont élus par d'autres districts, étaient de bons et simples cultivateurs, de bons et simples négociants qui jamais n'ont fait l'étude des questions politiques, oh ! alors sans doute vous aurez raison ; les élus des grandes villes devraient avoir la préférence. Mais, messieurs, il n'en est pas ainsi. Veuillez savoir que les députés élus par d'autres districts, par les districts les moins populeux, ont tout aussi bien l'intelligence, l'éducation des grandes villes que les élus des grandes villes elles-mêmes.

M. Dolez. - Je n'ai pas parlé des élus, mais j'ai parlé des électeurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Mais si les éleveurs des grandes villes ou des districts ruraux élisent des hommes qui ont l'intelligence des affaires politiques, vous devrez au moins convenir que les électeurs de ces petits districts ne sont pas des imbéciles ?

Je prends pour exemple la province de Luxembourg, où il existe le plus grand fractionnement des élections. Eh bien, messieurs, cette province s'est constamment honorée par les hommes politiques qu'elle a députés dans cette enceinte. La province de Luxembourg n'a-t-elle pas député l'honorable M. Nothomb ? l'honorable M. d'Huart ? l'honorable M. d'Hoffschmidt qui devait faire partie du cabinet du 20 mars ? l'honorable M. Willmar.

Un membre. - L'honorable M. Orban.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Soit, messieurs, j'accepte cette addition ; vous voyez que la province de Luxembourg a eu soin de se partager largement d'hommes distingués par leurs qualités politiques.

On a été jusqu'à prononcer le nom du district de Hasselt, messieurs. Pour moi je me fais un honneur tout particulier d'avoir reçu constamment les suffrages de cet arrondissement. Cet arrondissement a député dans cette enceinte le président du congrès, l'honorable baron Surlet de Chokier. Le Limbourg l'a constamment envoyé aux états généraux où il occupait une position très distinguée.

Ce même arrondissement de Hasselt a encore envoyé au congrès l'honorable M. Charles de Brouckere successivement ministre des finances et de la guerre.

Messieurs, veuillons faire abstraction de cet esprit de localité et disons que tout homme qui, par ses études, par son éducation, est habile à gérer les affaires du gouvernement, peut le faire, quel que soit le district qui l’a député dans cette enceinte.

Notre ministère, dit-on, ne peut pas être conservateur. Il doit être le signal d'une grande agitation, peut-être même de grands malheurs.

Messieurs, nous avons toujours eu la plus grande confiance dans l'avenir du pays. Nous osons le dire, parce que souvent cette confiance a reçu de grands éloges. Oui, depuis 1830 jusqu'aujourd’hui, et aujourd'hui comme en 1830, nous avons la plus grande confiance dans l'avenir du pays. Nous ne craignons pas, messieurs, cette agitation, ces désordres dont on nous menace, soit que nous soyons au pouvoir, soit que nos adversaires politiques y entrent à leur tour.

Comment, messieurs, nous serions un signal de malheurs !

El pourquoi ? Parce que nous appartenons, comme on l'a dit, à l'opinion catholique. Mais, messieurs, a-t-on donc oublié que c'est précisément aux sentiments religieux de la nation que l'on doit les institutions libres dont nous jouissons ? Sans cet esprit, messieurs, je ne crains pas de le dire, car j'en ai souvent fait la remarque, nos institutions seraient impossibles dans leur application. Je défie quelque pays que ce soit, où le sentiment religieux ne réside pas, de pouvoir subsister avec un pouvoir central aussi faible, avec des institutions politiques aussi libérales. (C'est vrai !)

Messieurs, la liberté est née, lorsque l'idolâtrie, lorsque le paganisme a disparu, lorsque la religion catholique, lorsque les religions chrétiennes qui se sont séparées d'elle, ont régi l'Europe. C'est alors que l'Europe, soit dans les Etats catholiques, soit dans les Etats protestants, a pu jouir d'une grande liberté.

Et comment la profession de la religion pourrait-elle donc être une menace pour la liberté ? Mais la Belgique, depuis 1830, a été gouvernée dans le système de la majorité que nous voulons maintenir.

Pendant ces seize années, la Belgique n'a-t-elle pas donné le plus bel exemple d'attachement à ses institutions, d'amour de l'ordre, des progrès en tout genre ? Que l'on me cite une seule nation qui ait fait une révolution politique comme la nôtre, qui ait eu à repousser une dynastie étrangère, qui ait eu à se séparer d'une nation voisine avec laquelle elle avait été associée malgré elle, qui a eu, messieurs, à briser un traité sanctionné par toutes les grandes puissances de l'Europe, qui a été aussi longtemps sans gouvernement régulier, qui a été exposée à toutes les agitations auxquelles peut être exposée une nation, jusqu'à l'époque où le traité de paix a été conclu ?

Eh bien, dans toute cette longue période, quelle a été la portée des désordres ? Une seule victime. Et quand, messieurs ? Au moment où cette malheureuse victime était dénoncée à la vindicte du peuple comme voulant renverser la révolution. Voilà le seul fait qui ait porté sur un homme.

Un membre. - Et les pillages.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est vrai, quelques pillages ont eu lieu dans des circonstances bien difficiles ; et d'honorables contradicteurs ont été accusés à celle occasion. Nous avons été plus heureux, messieurs ; sous notre longue administration, nous n'avons jamais eu ces désordres. Je ne veux en aucune manière adresser une critique à mes honorables contradicteurs. Au contraire, lorsqu'ils ont été accusés d'avoir laissé se produire ces désordres, ils m'ont trouvé pour défenseur dans cette chambre, parce que j'ai la conviction que ces désordres n'étaient pas dans leur cœur, dans leur volonté. Voilà pourquoi j'ai toujours pris hautement et en particulier la défense du ministère de l'époque.

De ces faits, messieurs, j'ose dire que la Belgique, bien qu'elle ait été souvent calomniée par la presse étrangère, a le droit de marcher la tête haute et découverte, a le droit de lire l'histoire des autres nations anciennement constituées et qu'elle n'a aucun parallèle à redouter. Oui, messieurs, je suis heureux de pouvoir rendre ce témoignage à la Belgique indépendante.

Après avoir déclaré l'impossibilité de notre administration, on a conclu à la nécessité d'un ministère libéral. Et quelle raison en a-t-on donnée ? L'opinion libérale aurait moins d'intérêt que nous à la nationalité ; que dominés par nos intérêts moraux et religieux, nous accepterions plus facilement le joug d'un ministère libéral, que le parti libéral ne pourrait supporter notre présence aux affaires. Eh bien, messieurs, cette assertion, quelque honorable qu'elle soit pour nous, nous ne l'admettons pas dans toute l’étendue qu'elle a reçue. Oui, messieurs, l'opinion libérale a, comme nous, intérêt à la nationalité belge. La Belgique fondue dans un grand Etat n'aurait plus de rôle politique à jouer, et nos hommes politiques n'aspireraient plus alors au gouvernement d'une grande nation. Mais messieurs, quelque intérêt qu'on puisse porter au gouvernement d'un pays lorsque l'on croit avoir des maximes de gouvernement utiles à faire prévaloir, ceci n'est qu'un intérêt secondaire comparativement à d'autres intérêts. Que deviendrait par exemple l'intérêt de nos grandes villes, dont on nous a signalé l'importance ? Que deviendrait l'intérêt de la capitale de la Belgique si nous perdions notre indépendance ? Que deviendraient les autres grandes villes ? N'est-ce pas depuis l'érection du royaume des Pays-Bas et du royaume de Belgique que toutes nos grandes villes ont reçu ce développement qui fait l'admiration des étrangers et des indigènes ? Et l'on croit que l'opinion libérale qui a son siège dans ces grandes cités, soit désintéressée à notre nationalité ! Non, messieurs, nous devons détromper l'étranger qui pourrait prendre au sérieux nos discours ; la nationalité est profondément enracinée dans le pays, et au jour du danger, j'aime à croire que les deux fractions de cette chambre seraient intimement unies, comme les deux grandes fractions qui semblent diviser le pays.

Comment, messieurs, notre opinion qui, dit-on, a le plus grand intérêt à la nationalité belge, qui doit faire tous les sacrifices pour sa conservation, cette opinion devrait être exclue du pouvoir ! Mais depuis quand donc les personnes les plus intéressées à la gestion des affaires, doivent-elles être exclues de cette gestion ?

A côté, dit-on, de l'opinion libérale gouvernementale, à laquelle le pouvoir aurait dû être dévolu, il se trouve une opinion libérale extra-parlementaire, une opinion libérale exaltée qui pourra un jour dominer l'opinion libérale parlementaire et nous serons cause de l'entrée de cette opinion dans le parlement.

(page 1142) Mais messieurs, s'il en était ainsi, je dirais que le système de dissolution des chambres qui a été tant prôné, était le meilleur moyen pour arriver plus tôt à ce fâcheux état de choses. Les élections, messieurs, qui se font sous l'impression de la dissolution des chambres sont ordinairement bien plus passionnées que les élections qui se font pour le renouvellement normal et régulier de la représentation nationale, et, messieurs, c'est une considération politique d'un très grand poids sur laquelle j'appelle vos sérieuses méditations, pour le cas où vous seriez appelés à nous gouverner, la dissolution des chambres, pratiquée en temps inopportun à l'occasion d'une lutte politique très vive, doit amener le triomphe des opinions extrêmes, des deux côtés. C'est dans des luttes pareilles, messieurs, que les modérés de chaque opinion restent sur le terrain. Chacun pense que jamais il n'a assez de garantie pour le triomphe de son opinion ; chaque électeur veut avoir l'homme le plus énergique, le plus dévoué à son opinion, pour la soutenir. Ainsi, messieurs, le système de modération que vous auriez désiré faire prévaloir, vous n'eussiez pas réussi à le mettre en pratique, vous eussiez été débordés dans vos bonnes intentions.

Mais, messieurs, même dans de pareilles circonstances, même dans la prévision éventuelle, de quelque manière qu'il ait lieu, du triomphe de l'opinion libérale, pensez-vous que vous n'ayez plus à compter avec nous ? Songez, messieurs, et veuillez-vous souvenir de mes paroles, que du jour où vous serez devenus grande majorité dans cette chambre, votre opinion se fractionnera et alors, messieurs, vous n'irez point réclamer le soutien de cette partie exaltée de votre opinion, dont vous craignez l'avènement ; c'est parmi nous, messieurs, que vous viendrez réclamer appui, et, alors j'espère être assez modéré pour oublier les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte.

Ce que je dis, je puis le justifier par l'histoire. Oui, messieurs, sous le gouvernement des Pays-Bas, l'opinion catholique a été mise longtemps en suspicion, mais le gouvernement, appuyé par une fraction de l'opinion libérale et par un pays protestant, a fini, par comprendre que la suspicion de l'opinion catholique était une méchante œuvre ; il a compris que tout gouvernement régulier, tout en conservant son indépendance politique, doit s'abstenir de toute hostilité envers le culte d'une partie de la nation. Les mêmes faits se sont produits dans un pays voisin. Il y a quelques années, on a vu une lutte bien inégale sans doute, si nous considérons d'un côté les forces et l'ascendant du gouvernement, et de l'autre la faible position de l'opinion religieuse qui se trouvait en lutte avec ce gouvernement. Eh bien, nous nous rappelons tous qu'une réconciliation sincère s'est opérée dans ce pays, que le gouvernement da de majorité a compris que le culte de la minorité même doit être respecté, que le culte de la minorité même ne peut être l'objet d'aucune espèce d'apparence d'hostilité.

Pour nous, messieurs, si nous demandons qu'il n'y ait ni dans le gouvernement ni dans la chambre aucune espèce d'hostilité contre le culte de la majorité du pays, nous pensons aussi que la chambre et le gouvernement doivent prendre encore plus d'attention à ne pas froisser le culte de la minorité et nous en avons donné de nombreux exemples. Dans la discussion du budget des cultes, nous avons fait voir que par les soins du gouvernement, par l'intervention des chambres, les cultes des fractions dissidentes étaient traités plus généreusement que le culte de la majorité. Eh bien, cette manière d'agir, quoique injuste en apparence, se justifie cependant très bien ; pourquoi ? Parce qu'il faut non seulement s'abstenir de toute hostilité envers un culte dissident, mais qu'il faut encore ôter tout prétexte de croire que ce culte puisse être opprimé par la majorité.

Sans doute, de grandes catastrophes seraient à craindre si l'on pouvait croire un seul instant que la majorité des chambres, que le gouvernement pussent se laisser aller à des mesures réactionnaires soit contre les intérêts moraux de la minorité, soit contre ses intérêts matériels ; mais il n'en sera point ainsi. Vous avez pour garants de cette promesse tous nos antécédents, vous avez pour garant de cette promesse notre intérêt, vous avez encore pour garant de cette promesse notre impuissance.

Je le demande, comment le gouvernement pourrait-il opprimer les intérêts moraux et intellectuels de la minorité ? Où sont ses moyens, ses ressources, si même il en avait l'intention ?

Après cela, messieurs, qu'on cesse de parler de certaines mesures réactionnaires auxquelles la Belgique serait exposée, mesures semblables à celles qui ont été prises dans un pays voisin de 1815 à 1830 et qui ont puissamment contribué à amener la révolution de juillet ; qu'on cesse de comparer la situation de la Belgique à la situation de la France avant 1830. Dans ce pays il existait un article de la charte qui se présentait d'une manière douteuse à un grand nombre d'esprits et dont on a voulu faire l'application ; mais notre Constitution n'offre rien de pareil. Je défie de trouver dans notre Constitution le moindre prétexte plausible d'une hostilité quelque minime qu'elle fût, envers votre opinion, envers vos intérêts.

Seriez-vous par hasard exclus de la participation à l'administration des affaires publiques ? En aucune manière ; nous ne proclamons point d'exclusion, vous remplissez largement les différents degrés de la hiérarchie judiciaire, militaire, administrative, financière ; vous occupez une grande place dans le parlement ; vous occupez la place principale dans l'administration des grandes villes, je ne dirai pas dans l'administration de toutes les villes, comme on a voulu l'insinuer, car il en est un grand nombre encore qui n'ont point produit les mêmes résultats électoraux Mais dans une pareille position vous aurez l'air de vous plaindre d’ostracisme, alors que la Couronne fait souvent appel à vos lumières et à votre concours !

Devenez majorité et gouvernez, mais ne prétendez pas prendre le pouvoir aussi longtemps que vous êtes minorité. et pourquoi, messieurs ? Parce que, si vous prenez le pouvoir étant minorité, vous ne pouvez pas être modéré et ici, je suis d'une opinion diamétralement opposée à celle de quelques orateurs auxquels je réponds en ce moment.

Nos adversaires ont dit : Notre opinion devenue majorité deviendra exigeante, deviendra turbulente. Non, messieurs, votre opinion devenue majorité, j'aime à le croire, n'aura pas ce fâcheux caractère, à moins, messieurs, que dans des élections passionnées, mal dirigées, vous n'entraîniez à votre suite un parti exalté et dangereux. Mais aussi longtemps, messieurs, que vous resterez tels que vous êtes aujourd'hui, que vous resterez séparés de cette fraction exaltée de votre opinion, si vous devenez majorité, j'aime à croire que vous gouvernerez avec modération, et avec beaucoup plus de modération que si vous essayiez du gouvernement dans les circonstances actuelles.

Déjà, nous l'avons vu, messieurs, votre opinion, pour s'assurer la possession du pouvoir, a dû demander en quelque sorte la délégation de l'autorité royale. Ce n'est pas là de la modération.

Si vous étiez majorité, vous n'auriez pas recours à ces moyens. Vous accepteriez le pouvoir, parce que vous êtes majorité, et vous vous opposeriez de toutes vos forces à ce que nous, devenus minorité, nous voulussions reprendre le pouvoir avec la faculté illimitée de dissoudre les chambres. Si vous ne le faisiez pas, je dirais que vous ne connaissez pas la doctrine parlementaire.

Il y a toujours du danger à appeler au pouvoir une minorité dans un gouvernement représentatif. Il faut attendre l'avènement normal de la minorité. Nous n'ignorons pas que les majorités se modifient dans tous les Etats ; il faudrait n'avoir lu l'histoire parlementaire d'aucun pays. Mais nous savons aussi que partout où la minorité est devenue par le jeu des élections majorité, cette minorité a cessé de défendre des doctrines oppressives. Car, messieurs, les pouvoirs oppresseurs, ce sont des pouvoirs faibles. Pourquoi la Belgique a-t-elle conservé intactes la Constitution et toutes les lois ? C'est parce que toujours il y a eu en Belgique dans la représentation nationale, une majorité prépondérante. Mais lisez l'histoire d'autres constitutions ; et vous y verrez, que lorsque le pays s'est fractionné à l'infini, lorsque le gouvernement n'a pu trouver d'appui dans une majorité homogène, le gouvernement a dû avoir recours à des mesures exorbitantes et les constitutions ont été successivement foulées aux pieds.

Lisez, par exemple, l'histoire de la révolution française. Vous voyez là des constitutions se succéder avec une rapidité effrayante. Que l'on lise, notre histoire de 1830. Ce que le congrès a une fois décidé, est resté irrévocable ; quelles que soient les tentatives de troubles que l'on ait essayées sous son empire, jamais, messieurs, jamais on n'a pris une seule mesure exceptionnelle.

Voilà, pourquoi votre Constitution est restée forte. Voilà pourquoi elle est respectée. Voilà pourquoi le pays a confiance en elle. Je termine, messieurs.

Vous nous avez appelé au pouvoir par vos vœux ; vous vous êtes souvent exprimé contrairement à la composition d'un ministère mixte. Vous demandiez que les hommes de la majorité soient sur ces bancs. Nous y sommes, et à peine arrivés, que voyons-nous ? Une opposition très sérieuse, très grave.

J'entends la réponse : « En 1840, vous avez fait aussi de l'opposition. » Mais, messieurs, qu'on veuille comparer les situations. De quelle opposition le ministère de 1840 a-t-il été l'objet à son origine ? Et plus tard, lorsque l'opposition s'est révélée, s'est-elle révélée par des discours de l'importance de ceux que nous venons d'entendre ? En aucune manière. On s'est borné à un simple vote sur une question du budget qui renfermait la question ministérielle.

M. Dolez. - Et à une adresse.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Une adresse a été faite au Roi par le sénat. Cette assemblée a souvent expliqué sa démarche. Le sénat a cru remarquer qu'il y avait chez une partie des ministres un système d'exclusion, un système d'ostracisme politique auquel cette assemblée n'a pas voulu s'associer. Elle a, au contraire, convié les membres qui avaient déclaré ne pas partager cette opinion, à conserver le pouvoir.

Messieurs, nous le répétons, nous ne formulons pas d'opposition systématique à l'avènement d'un ministère libéral. Nous n'en avons ni le droit ni la volonté. Mais nous ne prétendons pas que l'opinion libérale, par cela seul qu'elle est libérale, et quoique minorité, ait seule le droit de gouverner le pays. Nous ne souscrivons pas à l'ostracisme dont elle a voulu nous frapper ainsi que l'ancienne majorité parlementaire.

Non, messieurs, le pays ne ratifie pas des opinions aussi exclusives. Le peuple belge a infiniment de bon sens, et c'est le caractère qui l'a toujours distingué entre toutes les nations.

Tout ce qui est immodéré, tout ce qui n'est pas justifiable à la lumière de la saine raison, lui déplaît. Et c'est pour cela que je suis persuadé que la nation ne perdra pas son calme, sa tranquillité, qu'elle ne se croira menacée ni dans ses intérêts moraux, ni dans ses intérêts matériels, si nous avons, messieurs, assez d'intelligence des besoins du pays pour le servir utilement, si nous ne négligeons pas ses grands intérêts matériels, si, dans les lois d'intérêt moral, nous savons tenir compte de tous ses besoins. Or, messieurs, tel est notre devoir. Nous en appellerons à l'expérience pour savoir si nos intentions peuvent être remplies par nos efforts.

- La séance est levée à 3 heures 3/4.