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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 janvier 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 491) M. Huveners fait l’appel nominal à 1 heure et quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« « Le sieur Guille et Marcelis, brigadier et sous-brigadier des douanes, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir la Croix de Fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs propriétaires d'abeilles en ruches, demeurant à Sinay, demandent la suppression des droits d'entrée sur les ruches qu'ils transportent dans les polders hollandais, pour laisser les abeilles butiner sur les fleurs. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Plusieurs bourgmestres et des vétérinaires prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »

- Renvoi aux sections centrales qui seront chargées d'examiner les projets de loi.


M. Thyrion demande un congé de quelques jours, pour cause d'indisposition.

- Le congé est accordé.


Sur la proposition de M. le président, la chambre renvoie à l'examen des sections de janvier, les projets de loi relatifs :

1° A un crédit de 173,000 fr. pour la restauration de l'hôtel de la cour des comptes ;

2° A la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs ;

3° A la création d'une société d'exportation ;

4° A un crédit pour travaux relatifs au canal de Schipdonck, projets de loi renvoyés précédemment aux sections de décembre qui n'ont pu s'en occuper.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1847

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen est revenu hier sur la plupart des griefs qu'il avait articulés contre mon administration, à une séance précédente. Je pense que les réponses que j'ai faites aux différentes observations qu'a présentées l'honorable membre, sont tellement péremptoires qu'il est fort inutile de revenir sur la plupart des objets qui ont déjà été traités. J'en appelle avec confiance au souvenir de la Chambre relativement à l'attaque et à la défense.

Je ne fatiguerai donc pas la chambre de redites. Je me bornerai à répondre à quelques faits auxquels j'ai omis de donner une réponse dans a première séance, à rencontrer un fait nouveau allégué par l'honorable M. Verhaegen, A à répondre de nouveau aux faits sur lesquels il est revenu avec une nouvelle insistance.

Messieurs, un grief nouveau allégué contre moi par l'honorable M. Verhaegen consiste dans l'exposé des motif si complet, selon lui, que j'aurais fait à l'occasion du projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de Louvain.

J'avais mentionné dans l'exposé des motifs que la cour d'appel de Bruxelles, consultée aux termes de la loi de 1841 avait, par sa délibération, déclaré qu'il n'y avait pas lieu d'augmenter le nombre des audiences de ce tribunal. J'en avais conclu qu'il était indispensable, vu l'arriéré existant, d'augmenter le personnel dudit tribunal, et j'ai présenté un projet de loi en ce sens. La cour d'appel aurait, il est vrai, ajouté que s'il n'était pas nécessaire d'augmenter le nombre des audiences, il n'était néanmoins, malgré l'arriéré reconnu et prouvé par des chiffres, pas nécessaire non plus d'augmenter le personnel du tribunal. De manière que la cour d'appel semble me placer dans une véritable impasse.

Il m'a paru inutile de mentionner l'opinion de la cour d'appel, relative à l'augmentation du personnel, parce que l'exposé des motifs d'une loi est destiné à en prouver l'utilité et la convenance, et non à discuter les motifs sur lesquels on peut se baser pour la combattre.

J'ai voulu établir dans l'exposé des motifs que j'avais fait tout ce qui dépendait de moi pour amener l'évacuation des affaires du tribunal de Louvain, sans en augmenter le personnel. C'est-à-dire que j'avais demandé à la cour d'appel son opinion sur la possibilité d'augmenter le nombre et la durée des audiences ; je n'avais rien autre chose à signaler dans l'exposé des motifs pour justifier la présentation du projet de loi.

Quant à la délibération entière de la cour, il est ridicule de supposer que j'aie eu envie de la celer à la chambre. Pourrait-on croire que j'aie voulu cacher une pièce dont j'indiquais l'existence dans l'exposé des motifs lui-même ? Mais il y a plus, cette pièce qui aurait pu être ajoutée comme annexe au projet de loi, n'y a pas été jointe parce que j'ai voulu la distribuer en même temps que les tableaux que j'avais à compléter et à l'aide desquels l'opinion de la cour d'appel me semblait réfutée. Ces tableaux étaient en voie d'exécution lorsque l'interpellation de l'honorable M. Delehaye m'a été faite, et je n'aurais pas eu besoin de cette interpellation pour mettre sous les yeux de la chambre, avec les différents tableaux qui lui servent de réfutation, la délibération de la cour d'appel.

Voilà l'explication que j'ai à donner ; il me semble qu'elle ressortait du reste suffisamment déjà de l'exposé des motifs lui-même, dans lequel, je le répète, la délibération de la cour se trouve mentionnée.

Je n'en dirai pas davantage sur ce grief, dont j'ai quelque peine à comprendre la portée.

Le second point, messieurs, que je dois aborder, c'est le reproche adressé au gouvernement relativement à sa conduite à l'égard du consistoire israélite.

L'honorable. M. Verhaegen, qui d'habitude est assez peu favorable aux demandes faites pour le clergé catholique, s'est empressé de prendre fait et cause pour le consistoire israélite ; il a fait plus, il m'a accusé sur une simple allégation de ce consistoire, sans même qu'aucun fait ait été allégué.

L'honorable M. Verhaegen vous a lu une lettre adressée à mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, et dans laquelle le consistoire se plaint de mon administration, sans toutefois, je le répète, articuler un seul fait.

La chambre appréciera la convenance qu'il y a eu, de la part du consistoire israélite, à communiquer une lettre qu'il adressait à un ministre, et à mettre un député à même de la lire avant même que le ministre en ait eu connaissance. Je livre cette observation à la chambre, qui appréciera par là la convenance des procédés du consistoire israélite, qui croit pouvoir se permettre de se plaindre de mes procédés à son égard.

Mais au reste, messieurs, de quoi s'agit-il ? Quelles sont les prétentions du consistoire israélite ? Voyons si elles sont fondées ; voyons ensuite si ma réponse est injuste et peu convenable.

D'abord je vous dirai que sous mon administration rien, absolument rien n'a été changé à ce qui se pratiquait jadis. Le consistoire israélite a continué à jouir sous mon administration de l'allocation dont il jouissait sous les administrations précédentes, et la répartition s'en est faite de la même manière. Ainsi je ne vois pas comment le consistoire israélite pourrait m'adresser un reproche qu'il n'adresserait pas en même temps aux ministres qui m'ont précédé.

Mais enfin que voulait le consistoire israélite ?

D'abord il avait demandé une augmentation de traitement pour le grand rabbin. Or, messieurs, le rabbin jouit d'un appointement de 4,000 francs. Avant la révolution de 1830, il ne touchait pas une obole.

Il est aussi alloué au budget pour les ministres officiants du culte israélite à Bruxelles une somme de 2,500 fr. qui, répartis entre deux ministres officiants, si tant est que deux ministres sont nécessaires à Bruxelles pour une population israélite aussi peu considérable, donnent encore à ces ministres un traitement infiniment supérieur à celui des succursalistes.

Le consistoire israélite avait adressé une seconde réclamation pour des frais de bureau, et relativement à quelques autres objets ; eh bien, messieurs, de ces différents chefs le culte israélite avait relativement autant que le culte protestant, et relativement beaucoup plus que le culte catholique. Ce n'est pas tout ; la prétention la plus extraordinaire, je dois le dire, qui soit émanée du consistoire israélite, la prétention la plus extraordinaire était celle-ci : Le consistoire voulait qu'on mît purement et simplement à sa disposition toutes les sommes allouées au budget pour le culte israélite. Que la somme dût être ou non dépensée, qu'elle fût ou non nécessaire, le consistoire demandait qu'on la lui attribuât définitivement. (page 492) Si on agissait ainsi pour le culte catholique, ce culte bénéficierait, si je puis m'exprimer ainsi, bénéficierait tous les ans d'une somme de plus de 80,000 fr., qui demeure ordinairement sans emploi par suite des décès et vacances de place, et qui reste ainsi acquise au trésor.

Le consistoire israélite trouve préférable de voir mettre à sa disposition toute la somme de 11.000 fr. sans qu'il soit tenu de l'affecter spécialement aux objets auxquels elle est destinée. Et plus tard, messieurs, lorsqu'il y aurait des dépenses imprévues à faire, il aurait sans doute fallu demander de nouveaux crédits.

Voilà, messieurs, les prétentions que j'ai repoussées, voilà les prétentions que je repousserai toujours, et je pense avoir agi en cette circonstance comme je devais le faire ; si une prétention semblable, ce qui certainement n'aura pas lieu, si une prétention semblable émanait du clergé catholique, je la repousserais avec autant d'énergie que j'en ai mis à repousser celle du consistoire israélite.

Maintenant, messieurs, puisque l'on a trouvé bon de considérer ma conduite non seulement comme peu équitable, mais même comme inconvenante, je demanderai la permission à la chambre de lui lire la lettre du 9 juin 1846, par laquelle je répondais au consistoire israélite, et où je faisais connaître les motifs pour lesquels je ne croyais pas pouvoir accéder à sa demande.

« Le 9 juin 1846.

« Au consistoire israélite à Bruxelles.

« Messieurs,

« J'ai reçu votre lettre du 8 mai dernier, n°1060, et je ne puis que me référer à celles que j'ai eu l'honneur de vous adresser précédemment. Ce sont les comparaisons que vous avez cru vous-mêmes devoir faire avec les autres cultes, qui m'ont forcé d'entrer dans des détails pour vous faire voir que le résultat de cette comparaison n'est pas à votre désavantage. J'ai été amené à démontrer que votre culte est aussi bien traité que les autres cultes non catholiques, et relativement beaucoup mieux que le culte catholique.

« Je dois en outre vous faire remarquer, messieurs, que le culte protestant ne jouit pas comme le vôtre d'un traitement de chef suprême. L'on peut au reste assimiler le traitement du grand rabbin à celui du premier pasteur de Bruxelles, et les traitements des deux ministres officiants à celui du deuxième pasteur, et alors la différence bien minime semblera justifiée par le chiffre des religionnaires de chacun de ces deux cultes.

« J'ai déjà eu l'honneur de vous faire observer dans ma lettre du 17 janvier dernier, qu'il n'était pas possible d'affecter des traitements élevés à un nombre de ministres hors de proportion avec le nombre des religionnaires ; le grand rabbin, bien que chef suprême, n'en remplit pas moins ses fonctions à Bruxelles, et dès lors il est difficile de comprendre la nécessité de deux autres ministres, sous lui.

« Dans la même lettre, j'ai émis l'opinion que la somme de 300 fr. qui vous est allouée pour frais de secrétariat, et celle de 1,000 fr. accordée au synode protestant, sont proportionnées au nombre et à l'importance des communautés des deux cultes ; vous avez en outre 400 fr. pour le secrétaire.

« Le crédit ouvert au budget est destiné à pourvoir aux divers besoins connus et éventuels du culte ; il n'est donc pas possible d'affecter, comme vous le demandez, aux traitements seuls la totalité de la somme.

« J'ai rappelé le 1er mai dernier à la députation permanente, votre demande de subsides pour travaux 1° à exécuter à la synagogue, 2° pour ceux du cimetière.

« Recevez, etc.

« Le ministre de la justice,

« (Signé) J. d'Anethan. »

La demande dont il s'agit à la fin de cette lettre fut transmise à la députation permanente de la province de Brabant, qui n'a pas encore fait rapport sur cette demande.

Je pense, messieurs, que la lecture de cette lettre fait voir combien est peu fondée l'observation qui a été faite à mon honorable collègue le ministre de l'intérieur, par le consistoire israélite. Si ces messieurs reconnaissent avoir été bien traités par M. le ministre de l'intérieur, je pense que, pour ne pas manquer à l'impartialité, ils doivent me rendre la même justice. Mais ce qui est extraordinaire, messieurs, c'est de voir le consistoire israélite se plaindre de ce que je le traite avec moins d'égards que mon prédécesseur, précisément au moment où je lui allouais une somme pour rétribuer un ministre qui irait donner l'instruction et les soins religieux aux israélites détenus.

Voici cette lettre :

« Du 13 janvier 1847.

« Au président du consistoire israélite de Belgique, à Bruxelles.

« Satisfaisant à votre missive du 16 novembre dernier, n° 1095, j'ai l'honneur de vous faire savoir que rien ne doit s'opposer à ce que MM. les ministres officiants de la communion israélite ne puissent, à l'instar des ministres des autres cultes, visiter leurs coreligionnaires détenus dans les diverses prisons de l'Etat/

« La situation de mon budget ne me permet de disposer pour ce service et pour tenir lieu de frais de voyage et de toute indemnité, que d'une somme globale de cinq cents francs. Dans cette somme est même comprise celle de deux cents francs allouée jusqu'à ce jour à M. Delameuse, ministre officiant à Gand, pour soins donnés à ses coreligionnaires détenus à la maison de force.

« Je vous prie, M. le président, de me faire connaître de quelle manière il conviendrait, dans l'intérêt du service, de faire la répartition de cette somme de 500 fr.

« Le ministre de la justice.

« (Signé) J. d'Anethan. »

Et pourtant les israélites détenus ne sont qu'au nombre de 12 ; ce qui fait au-delà de 41 fr. par individu.

En présence de la manière dont je me suis conduit, pour faire respecter la liberté des cultes, pour assurer à chacun d'eux la protection qui lui est due, je ne conçois pas les attaques dont j'ai été l'objet de la part de l'honorable M. Verhaegen, lequel, je dois le répéter, a pris en main les intérêts du culte israélite sur une simple lettre adressée à M. le ministre de l'intérieur, par ledit consistoire, et dans laquelle on se bornait à se plaindre de procédés inconvenants, sans signaler les demandes exagérées, j'allais dire ridicules, que le consistoire m'avait faites.

J'arrive maintenant à l'affaire des béguinages. L'honorable M. Verhaegen m'a reproché, dans cette circonstance, d'avoir cherché à enlever le bien des pauvres, pour rétablir des corporations abolies par les lois de la république française.

L'honorable M. Verhaegen a avancé un fait sur lequel je dois donner une explication, explication que j'ai promise à l'honorable M. Verhaegen, puisqu'au moment où il articulait le fait, j'ai déclaré que je ne me le rappelais pas.

Je veux parler du prétendu mémoire qui aurait été imprimé par les soins de mon département, mémoire qui aurait été l'ouvrage des avocats de l'archevêché. Voici les paroles que l'honorable M. Verhaegen a prononcées dans la séance du 13 janvier :

« Dans un mémoire imprimé chez Bols-Wittouck, à Bruxelles, en septembre 1845, et rédigé par les avocats de l'archevêque, mémoire qui n'a été confié qu'aux adeptes, on soutient, etc.

« Et ce mémoire, vrai type d'exagération, quoique rédigé dans l'intérêt de l'épiscopat, a été imprimé par les soins d'un employé supérieur du ministère de la justice ; les épreuves ont été corrigées dans les bureaux du ministère et les frais d'impression ont été prélevés sur les dépenses imprévues du budget. »

Quand je suis arrivé au ministère, cette question avait déjà été soulevée. Un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Leclercq, avait, sous la date du 16 mars 1841, adressé aux gouverneurs une circulaire dans laquelle il leur demandait leur avis sur cette question. Les avis des gouverneurs furent examinés, non par la division des cultes, mais par la division de législation, au point de vue du droit.

Une note en fut faite par un employé de mon département ; cette note était destinée à appeler l'attention des gouverneurs sur les différents points qu'elle traitait : elle résumait toute la législation.

Cette note, quelque bien faite qu'elle fût, ne m'avait pas convaincu de l’exactitude de la conclusion qu'elle contenait ; je m'étais réservé mon opinion sur une question aussi importante ; je voulais attendre, pour me prononcer, que l'instruction fût complète.

Cette note n'était pas destinée à l'impression ; mais uniquement à être envoyée aux gouverneurs pour les consulter sur différentes questions de droit qu'elle développait, et qui me semblaient de nature à mériter un examen approfondi.

Après l'envoi décidé aux gouverneurs, on jugea utile de faire imprimer cette note qui n'émanait pas, je le répète, des avocats de l'archevêque, mais bien de mon département, et cette impression fut décidée pour éviter, au bureau d'expédition, l'obligation de copier plusieurs fois une note si volumineuse ; ces impressions ont lieu fréquemment dans les départements ministériels, quand il y a des circulaires un peu longues à copier ; c'est une chose dont le ministre s'occupe rarement ; c'est l'affaire du secrétaire général qui est chargé d'assurer la prompte expédition des affaires.

C'est ce qui est sans doute arrivé cette fois. Au moins, je me rappelais tellement peu que cette note eût été imprimée, qu'un honorable représentant qui en avait entendu parler, est venu m'en demander un exemplaire, et que je lui ai répondu que je ne savais pas qu'une note sur cet objet fût imprimée ; cette circonstance m'a été rappelée tantôt par non honorable ami, M. Van Cutsem.

M. Van Cutsem. - C'est comme cela ; vous m'avez même prié de vous en remettre un exemplaire.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voilà ce qui est arrivé relativement à cet imprimé. Cela n’aura plus lieu désormais, attendu qu'une presse autographique existe maintenant au ministère, au moyen de laquelle on autographie les circulaires un peu longues.

Toujours est-il que j'avais raison de dire à l'honorable M. Verhaegen que j étais intimement convaincu qu'aucun mémoire qui aurait été fait pour une autre autorité et à mon insu n'avait été payé sur les fonds de mon département.

J'ai même ajouté que j'étais convaincu qu'aucun fonctionnaire de mon département n'avait corrigé les épreuves d'un mémoire rédigé par les soins des avocats de l'archevêque. Ce que j'avais dit était donc parfaitement exact. L'honorable M. Verhaegen avait appris qu'une note qu'il a appelée un mémoire avait été imprimée chez Bols-Wiltouck. Mais il a eu tort de supposer que cette note avait été rédigée par les avocats de l'archevêque, attendu qu’elle avait été faite par un fonctionnaire très capable de mon département à qui le soin en avait été confié.

Ce fonctionnaire a résumé la législation ; il a fait un travail consciencieux et un travail dont je reconnais tout le mérite, sans partager toutes les opinions de l'auteur. Comment est-il possible qu'on fasse un grief à un ministre de vouloir (page 493) s'éclairer sur une question pareille, alors qu'il y avait des réclamations faites depuis 1839 ? Qu'on m'eût fait un grief, comme je l'ai dit hier, d'avoir pris une décision contraire à la loi ou à la justice, je l'aurais compris ; mais qu'on me fasse un grief de m'éclairer, d'élucider une question difficile, c'est ce que je ne conçois pas.

Je suis d'accord avec l'honorable M. Verhaegen que la question des béguinages, c'est-à-dire de la reprise des biens aux hospices pour les rendre aux béguinages, est une question que le gouvernement ne peut pas trancher.

Mon intention n'est pas de le faire ; c'est, je le reconnais, une affaire qui me paraît du ressort des tribunaux et qui ne pourrait pas utilement être décidée par l'autorité administrative.

Je pense en avoir dit assez sur ce point.

Je passe maintenant à un grief beaucoup plus sérieux, je dois le dire : il s'agit de la conduite que j'aurais tenue vis-à-vis de membres de la cour de cassation.

Je regrette vivement que l'honorable M. Verhaegen ne soit pas présent pour entendre la réponse que je compte lui donner. C'est une question personnelle et très grave ; j'aurais désiré que l'honorable membre pût m'entendre. Je suis, au reste, disposé à attendre, pour m'expliquer sur ce point, qu'il soit présent à la séance. (Non ! Non !)

M. Rodenbach. - C'est sans précédent.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voici ce disait l'honorable M. Verhaegen (je prie la chambre de faire bien attention aux paroles de l'honorable membre et aux reproches graves qu'elles contiennent) :

« Or, M. le ministre de la justice s'est permis de consulter ou de faire consulter sur la question de la mainmorte, décidée par la cour d'appel de Bruxelles, certains membres de la cour de cassation qui seront obligés de s'abstenir lorsque cette cour sera appelée à prononcer sur le pourvoi que nous annonce l'honorable M. de Theux. Inutile de dire que les membres consultés sont indépendants et par caractère et par position de toute influence cléricale et que leur réponse n'a pas été favorable à l'opinion du gouvernement. Mais il fallait les écarter et les empêcher de prendre part à la décision sur le pourvoi : c'est un abus que je ne puis assez flétrir et contre lequel je proteste de toute la force de mon finie. »

Eh bien, l'honorable M. Verhaegen a raison : si le ministre de la justice s'était rendu coupable des faits dont a parlé l'honorable membre, on ne pourrait assez flétrir sa conduite Mais, je dois le dire, il n'y a pas un mot de vrai dans toutes ces allégations. Remarquez que, d'après le dire de l'honorable M. Verhaegen, il y aurait eu de ma part intention coupable, que j'aurais consulté des conseillers à la cour de cassation, dans l'opinion desquels je n'avais pas confiance, non pour avoir leur avis, mais uniquement pour les empêcher de juger une affaire spéciale pendante devant les tribunaux. L'honorable membre faisait allusion à une affaire récente, à l'affaire des sœurs hospitalières de Braine-Lalleud, décidée récemment par la cour d'appel et maintenant déférée à la cour de cassation.

J'avais prié l'honorable M. Verhaegen de vouloir bien nommer les conseillers dont il avait entendu parler. Il a pensé qu'il n'était pas convenable de les nommer en public. Je l'ai prié de me les nommer en particulier. Il a déféré à cette demande : il m'a nommé non plusieurs conseillers mais un seul. Je ne prononcerai pas le nom de cet honorable magistrat ; mais je vais lire à la chambre la lettre qu'il m'a écrite ; et je mettrai la signature sous les yeux de l'honorable M. Verhaegen, s'il le désire.

Je liens d'abord à ce qu'il soit constaté que l'honorable M. Verhaegen ne m'a nommé qu'un seul conseiller et je demande à la chambre si, d'après ses paroles, on ne devait pas croire qu'il avait fait allusion à un grand nombre de membres de la cour de cassation.

Voici la lettre.

« Monsieur le ministre,

« On vous a rapporté que j'aurais dit que je devrais m'abstenir dans des affaires concernant des questions de mainmorte parce que vous m'auriez consulté sur des questions de cette nature, et vous me demandez si réellement j'ai tenu ce discours et, en cas d'affirmative, à quoi j'ai voulu faire allusion.

« Vous savez mieux que personne, M. le ministre, que depuis plus de deux ans je n'ai pas eu l'honneur de vous parler, et que vous ne m'avez point consulté personnellement sur aucune question de droit, pas même par l'entremise d'un tiers ; il est vrai néanmoins qu'il y a environ deux ans et demi vous avez consulté le comité consultatif pour les affaires des fondations en faveur de l'instruction sur une question qui vous était soumise et qui présentait quelque analogie avec les questions de mainmorte dont les tribunaux sont aujourd'hui saisis. Cette question devait sa naissance à une donation que voulait faire une parente de M. Malou à une association religieuse dont elle était la supérieure, donation qui n'a pas été approuvée.

« J'étais alors comme aujourd'hui membre du comité consultatif, et si j'avais cru que mon intervention dans l'avis du comité devait me faire abstenir de prendre part au jugement de questions semblables devant la cour, de plus mûres réflexions m'ont démontré que mon opinion était erronée.

« J'ai l'honneur d'être votre serviteur, etc.

« Le 14 janvier 1847. »

Je pense qu'en présence des explications contenues dans cette lettre j'avais bien le droit de dire à l'honorable M. Verhaegen qu'il avait été complétement induit en erreur sur les faits qu'il avait énoncés.

M. Delehaye. - Et l'affaire du greffier !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La réponse sur l'affaire du greffier ne se fera pas attendre.

J'espère pouvoir démontrer que les accusations dont j'ai été l'objet de ce chef ne sont pas plus fondées que celles relatives aux consultations que j'aurais demandées à des conseillers à la cour de cassation pour les empêcher de remplir les devoirs de leur charge.

Vient maintenant, dans la série des griefs, la nomination du greffier, dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Vous aurez sans doute remarqué, messieurs, le système qu'on semble vouloir faire prévaloir. Il suffit qu'un candidat soit appuyé par un membre de la majorité pour qu'à l'instant même il devienne indigne, incapable d'exercer aucune fonction publique. Dès qu'un membre de la majorité approuve une nomination faite, on crie au favoritisme ; doit-on par hasard considérer toutes les personnes qui ont des opinions conformes à celles des membres de la majorité, comme des parias dans le pays ?

Qu'avons-nous vu en effet ? Lorsque mes honorables amis, MM. Desmet et Clep, sont venus déclarer que les nominations qui avaient été faites dans les arrondissements dont ils connaissent un peu mieux les besoins que l'honorable M. Verhaegen, ont été accueillies avec une faveur marquée, cet honorable membre n'a-t-il pas dit que l'appui que trouvaient ces nominations sur les bancs de la droite justifiait toutes les accusations ?

Songez-y donc, messieurs, il suffit d'être appuyé par un seul d'entre vous, pour que ce soit un titre de réprobation aux yeux de l'opposition !

Elle reste fidèle à son système d'exclusion, elle voudrait qu'on ne nommât que des candidats suivant son cœur, et partageant toutes ses doctrines. Cela vous donne l'avant-goût de ce que ferait la minorité si elle avait le pouvoir. Simple minorité, elle veut déjà exclure des candidats qu'elle considère comme favorables à la majorité. Que ferait-elle donc, si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, elle devenait majorité !

Ce que le gouvernement doit faire, c'est de rechercher des personnes capables et honorables pour remplir des fonctions publiques. Mais ce qu'un gouvernement ne doit pas faire, ce que pour ma part je ne ferai jamais, c'est d'appeler aux fonctions publiques des personnes qui ont posé des actes ouvertement et ostensiblement hostiles au gouvernement. Quant à ces personnes, tant que je serai à ce banc, je ne proposerai jamais leur nomination. Aucun ministère passé n'a agi autrement, et je ne crains pas de le dire, aucun ministère futur n'agira d'après d'autres principes. Adopter une autre conduite, ce serait enlever au gouvernement toute force, ce serait lui enlever toute considération.

J'admets que la chambre exerce sur tous les actes de l'administration un certain contrôle. Je ne repousse pas même ce contrôle relativement aux nominations, en tant surtout qu’il s'agisse d'examiner si les titulaires ont les qualités voulues pour obtenir des fonctions publiques. Mais il faut ne pas pousser trop loin cet examen ; il faut éviter surtout les personnalités envers des absents ; il faut éviter de porter atteinte à la réfutation des personnes qui ne sont pas là pour se défendre.

La chambre remarquera aussi qu'il y a une discussion que le gouvernement ne peut accepter ; c'est celle qui consisterait à expliquer à la chambre les motifs pour lesquels tel candidat n'a pas été nommé. Pour aborder cette discussion, il faudrait souvent dévoiler des détails qui seraient bien pénibles pour les candidats qui ont échoué. Le gouvernement fait son devoir en ne les nommant pas, mais il ne doit pas les traduire à la barre de l'opinion en faisant connaître les motifs pour lesquels ils n'ont pas été nommés.

La position ne serait pas égale s'il était permis d'attaquer les nominations qui ont été faites, en soutenant qu'un autre candidat avait plus de titre ou de mérite ; car le ministre, sans manquer à son devoir, sans manquer aux fonctionnaires qui lui ont donné des avis confidentiels, ne pourrait faire connaître à la chambre les motifs pour lesquels il a été forcé d'écarter certains candidats.

Désiré Orman a été nommé greffier de la justice de paix de Lessines. Je tiens, messieurs, à rapporter également d'une manière complète les paroles qu'a prononcées dans la séance d'avant-hier l'honorable M. Verhaegen. Je tiens à rapporter ces paroles, bien qu'il me semble que dans la chambre l'honorable membre avait été un peu plus loin encore que ne le porte le Moniteur ; et ma réponse indique suffisamment que je n'ai pas répondu précisément aux paroles qui se trouvent imprimées.

Voici ce que le Moniteur dit : « En 1838 déjà, à la mort de son beau-père, M. Jouret-Orman avait sollicité la place de greffier de la justice de paix de Lessines, et quoiqu'il eût été porté d'abord comme candidat sur les tableaux de présentation, les rapports qui furent adressés ensuite a M. le procureur général de Fernelmont lui ayant été des plus défavorables, il échoua dans sa demande. »

Si mes souvenirs sont fidèles et si j'ai bien compris les paroles qui ont été prononcées par l'honorable M. Verhaegen, il avait dit d'une manière formelle qu'Orman avait été écarté par M. de Fernelmont, tandis que ' j'avais soutenu qu'il avait eté présenté par lui ; et sous ce rapport j'avais dit à l'honorable M. Verhaegen qu'il se trompait, qu'il avait été induit en erreur.

L'honorable membre, dans la version qui se trouve au Moniteur, reconnaît qu'Orman avait été porté comme candidat sur le tableau, mais il ajoute que les rapports qui furent adressés ensuite à M. le procureur général étant des plus défavorables, il échoua dans sa demande. Or, il n'existe aucune espèce de rapport défavorable à Orman à la suite de la (page 494) présentation qui avait été faite par le procureur général ; M. le procureur général n’a pas varié dans la présentation qui avait été faite, et aucune espèce de rapport postérieur au rapport officiel, n’existe relativement à cette nomination.

J'ai donc eu raison de dire qu'en 1838, Désiré Oman avait été présenté par les autorités judiciaires, et que les rapports, loin d'être défavorables à son égard, avaient été des plus favorables. L'honorable membre soutient néanmoins que les rapports ont été défavorables. Je déclare de la manière la plus positive que l'on a encore une fois induit l'honorable membre en erreur.

M. Delfosse. Cependant il n'a pas été nommé.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Delfosse me dit qu'il n'a pourtant pas été nommé. Je n'ai pas dit qu'il avait été nommé ; car s'il l'avait été, il n'aurait plus eu à demander la place maintenant. Mais il voudra bien reconnaître qu'il avait été présenté par un magistrat dans lequel, je pense, l'honorable membre aussi bien que moi a la plus grande confiance.

M. Delfosse. - Je n'en sais rien. Je n'ai pas vu les pièces.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - En 1846, le sieur Orman se présente de nouveau. En présence des pièces de 1838, en présence des nouveaux rapports que j'avais reçus, j'ai pensé, messieurs, que c'était à lui que revenait la place de Lessines. Je l'ai pensé, malgré les demandes, malgré les recommandations qui m'avaient été faites pour différents autres candidats.

J'ai pensé que celui qui avait été présenté en 1838, que celui qui à cette époque déjà avait été jugé digne, par des magistrats compétents, d'occuper cette place, que celui qui l'avait déjà remplie antérieurement, devait avoir la préférence sur un jeune homme, quoique celui-ci eût depuis occupé cette même place.

Mais, dit-on, Orman avait été condamné. Il avait été condamné à 3 mois d'emprisonnement, et vous saviez, ou du moins vous auriez dû savoir cette condamnation.

On a été plus loin, et à la séance d'avant-hier j'ai entendu dire pour la première fois qu'Orman avait été condamné non pas une fois, mais trois fois pour des faits plus ou moins graves et que j'ignore encore maintenant ; j'ai fait demander à Tournay, immédiatement après la séance, des extraits des jugements qui ont pu être rendus. J'ai écrit également à Lessines pour avoir un extrait du jugement dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Toujours est-il que c'est pour la première fois dans la chambre avant-hier que j'ai entendu parler des condamnations ultérieures qui auraient été prononcées contre Orman.

J'avais dit, messieurs, dans une séance précédente que si même j'avais connu la condamnation de 1826, la seule dont il ait été question jusqu'à la séance d'avant-hier, cette condamnation ne m'aurait pas paru un titre d'exclusion perpétuelle pour un homme qui avait été condamné à trois mois d'emprisonnement à l'âge de 20 ans.

Je pourrais donc ne pas répondre à tout ce qui a été dit relativement à la connaissance que j'aurais dû avoir de cette condamnation, parce que, je le répète, cette condamnation n'était pas à mes yeux un titre d'exclusion perpétuelle de toute fonction publique à l'égard du sieur Orman.

Je vais maintenant rappeler les faits :

Le 14 du mois de septembre, le juge de paix de Lessines se transporta au ministère de la justice et eut un entretien avec M. le secrétaire général de mon département. M. le juge de paix lui dit qu'il venait pour me faire connaître qu'Orman avait été jadis condamné. Le secrétaire général lui répondit :

« Vous auriez dû faire cette communication plus tôt ; maintenant il est trop tard, le sieur Orman est nommé. » Le juge de paix ajouta :

« Le juge suppléant se retirera probablement ; il ne consentira pas à siéger avec Orman. »

Le secrétaire général me fit part de ces circonstances, et je lui manifestai mon étonnement de ces faits que j'avais ignorés jusqu'alors. Pour combattre ce que j'ai dit à cet égard, on invoque une conversation que j'aurais eue avec un M. Janssens qui se serait rendu dans mon cabinet au mois d'août. Je crois d'abord qu'il y a erreur de date, parce que pendant le mois d'août j'étais absent de Bruxelles.

M. Delfosse. - Vous avez été absent tout un mois ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai été absent pendant trois semaines.

M. Delfosse. - Cela ne fait pas tout le mois d'août.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On a dit que c'était au commencement du mois d'août et je suis parti le 1er. Du reste peu importe, la visite a eu lieu. Mais avant de m'en occuper, je dois dire un mot de la démission du juge suppléant. Le juge suppléant a envoyé sa démission le 18 septembre et il mentionne dans cette démission, non pas ces nombreuses condamnations dont parlait l'honorable M. Verhaegen, mais une seule et unique condamnation, celle de 1826.

Ainsi, messieurs, ces condamnations ne devaient pas être tellement publiques puisque le juge suppléant lui-même, qui siégeait à Lessines depuis longtemps, n'en rapporté qu'une et la plus ancienne, dans la démission qu'il adressait au Roi. Le juge de paix suppléant, qui a donné sa démission d'une manière si inconvenante, aurait dû commencer par poser un autre acte : il aurait dû, pour être conséquent, donner aussi sa démission de membre du conseil communal, attendu que l’individu qu'il se permettait de flétrir dans sa lettre au Roi, était son collègue dans ce conseil communal. (Interruption.) Je maintiens ce que j'ai dit ; il est d'après moi inconvenant qu'un juge suppléant d'une justice de paix donne sa démission dans les termes dont s'est servi ce juge, contre un de ses collègues au conseil communal à côté duquel il siégeait depuis un an. Cette démission adressée au Roi en de semblables termes est non seulement une injure pour Orman, c'est encore une injure pour les électeurs nombreux qui ont appelé Orman à siéger au conseil communal.

J'arrive à la conversation que j'ai eue avec un certain M. Janssens. La chambre concevra, sans doute, que je n'ai pas conservé un souvenir aussi exact de ce qui a pu se passer entre nous, que M. Janssens lui-même. Je reçois au ministère, peut-être 30 ou 40 personnes par jour et je suis assez habitué à entendre des postulants ou des protecteurs de postulants dénigrer leurs concurrents, pour attacher peu d'importance aux paroles de cette nature. Le sieur Janssens, si je me le rappelle bien, est venu recommander un individu nommé Piovoyeur.

Cet individu avait donc pour concurrent non seulement Orman, mais encore Lepoivre et il est possible, il est même probable que le sieur Janssens n'aura pas dit grand bien de l'un ni de l'autre de ces concurrents.

Mais, messieurs, au moment où cette conversation eut lieu, les rapports ne m'étaient pas encore tous parvenus, et j'attendais que l'instruction fût complète pour m'occuper de cette affaire. Si donc M. Janssens m'a parlé des antécédents d'Orman, il est fort probable que ses indications n'ont pas fait une grande impression sur mon esprit, et lorsque les rapports me parvinrent, rapports qui tous étaient muets à l'égard des condamnations contre Orman, cette conversation n'a point pu me revenir à la mémoire. J'en appellerai à tous ceux qui ont occupé non seulement les fonctions ministérielles, mais même des fonctions administratives quelconques, et je leur demanderai si un gouverneur, un procureur général, peut conserver un souvenir exact de toutes les imputations dirigées contre les concurrents qui se présentent pour solliciter des places vacantes.

Je pense donc, messieurs, que c'est tout à fait à tort que l’on a voulu induire de cette conversation qu'au moment de la nomination, le 6 septembre, j'étais parfaitement renseigné sur tous les détails dont on est venu entretenir la chambre. Je déclare que ces détails m'étaient parfaitement inconnus lors de la présentation faite au Roi du sieur Orman pour la place dont il s'agit ; mais je dis de nouveau que si la seule condamnation dont le juge suppléant parlait dans sa démission, m'avait été connue, cela ne m'eût pas empêché de nommer le sieur Orman, qui, malgré cette condamnation, semblait avoir plus de titres que tous ses concurrents.

Messieurs, on vous signale le sieur Orman comme étant un homme incapable et peu considère. Dans une séance précédente l'honorable M. Verhaegen est venu lire de très beaux certificats qui ont été accordés au concurrent d'Orman ; l'honorable membre a ajouté que le sieur Orman n'aurait pas pu en produire de semblables. Eh bien, j'ai à la main un certificat qui a été délivré à Orman le 15 juin 1846 ; ce certificat est de la teneur suivante :

« Nous, soussignés, déclarons en faveur de la vérité que M. Désiré Orman, ancien commis-greffier, conseiller communal de Lessines, et membre du bureau de bienfaisance de cette ville, jouit de l'estime publique et qu'il est digne par sa conduite civile et religieuse de remplir les fonctions qu'il sollicite de greffier de la justice de paix du canton de Lessines.

« Nous attestons en outre, qu'à cause des services que M. Orman rend depuis longtemps à la chose publique, sa nomination serait vue avec plaisir dans le canton. »

Ce certificat est signé par les bourgmestre et échevins de presque toutes les communes du canton.

En principe, je suis fort peu partisan des certificats qu'on obtient de celle nature ; mais j'ai cru devoir en donner connaissance à la chambre, uniquement parce que l'honorable M. Verhaegen avait dit que le sieur Orman n'avait pas produit de certificats semblables à ceux qu'avait produits son concurrent.

Maintenant la nomination du sieur Orman ayant été faite, et la condamnation de cet individu m'ayant été annoncée, j'ai demandé des renseignements à mon honorable ami M. Dubus, qui était à même de me les fournir en sa qualité de président du tribunal de Tournay ; je m'en rapporte à l'honorable M. Dubus, et je le prierai de dire si la lettre que je lui ai écrite n'indiquait pas mon étonnement de la condamnation que j'avais apprise depuis la nomination.

M. Dubus (aîné). - Cela est vrai.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Dubus a répondu à cette communication ; °honorable membre m'a donné l'autorisation de lire les deux lettres qu'il m'a écrites à ce sujet. Voici la première de ces lettres :

« Monsieur le ministre et cher collègue,

« Désiré Orman a effectivement été condamné, le 18 mars 1826, par le tribunal correctionnel de Tournay, pour un délit perpétré le 13 novembre 1825.

« Le fait pour lequel il a été condamné n'inculpait en rien sa probité. Il avait résisté, le soir, dans un cabaret du village des Acren, au bourgmestre qui venait rétablir l'ordre, et il avait repoussé avec voies de fait le garde champêtre. Il était jeune, et des libations trop copieuses lui avaient ôté le libre usage de sa raison.

«Vous verrez, par la copie ci-jointe du jugement, que le ministère public lui-même le recommanda à l'indulgence du tribunal.

(page 495) « Il fut néanmoins condamné à trois mois d'emprisonnement ; Les tribunaux étaient alors en général plus sévères qu'aujourd'hui, et Orman étant étranger à la commune où le délit avait été commis, l'autorité communale a sans doute saisi cette occasion de demander que l'on fît un exemple.

« Quoi qu'il en soit, il s'est écoulé près de vingt et un ans depuis lors. Orman s'est corrigé ; il s'est marié, il a travaillé, il s'est conduit en bon père de famille, il a rempli tous ses devoirs d'honnête homme et de citoyen ; et il a conquis l'estime publique. Depuis 1833, il exerce à Lessines les fonctions honorables de membre du bureau de bienfaisance : et aux élections d'octobre 1845 il a été élu membre du conseil communal de sa ville natale ; il est même celui qui a réuni le plus grand nombre de voix.

« Je ne vois pas, dans ces circonstances, quel parti on pourrait aujourd'hui tirer contre sa nomination, d'une peccadille de sa jeunesse.

« Au reste, j'attends des renseignements plus précis, que je m'empresserai de vous transmettre.

« Agréez, monsieur le ministre et cher collègue, l'assurance de ma haute considération.

« Tournay, 17 octobre 1846.

« Dubus aîné. »

Voici la seconde lettre de l'honorable M. Dubus, laquelle contient les renseignements qu'il avait bien voulu m'annoncer :

« M. le ministre et cher collègue,

« Je viens ajouter quelques mots à ma lettre du 17 de ce mois, concernant le sieur Désiré Orman.

« Il n'était âgé que de 20 ans lors de la scène du cabaret du 13 novembre 1825. Il paraît qu'il voulait protéger un de ses ouvriers, que le garde champêtre avait expulsé. Cette affaire, oubliée et qui mériterait de l'être, n'a pas empêché que M. Orman ne se soit attiré, par sa conduite honorable depuis lors, la considération de tous.

« Lorsqu'il a été nommé, en 1833, membre du bureau de bienfaisance de la ville de Lessines, où il y a plus de deux mille indigents, il a obtenu les voix de tous les membres du conseil communal et il paraît avoir été constamment élu depuis à la même unanimité.

« Aux élections communales d'octobre 1845, une élection particulière devait être faite en remplacement d'un conseiller démissionnaire : M. Orman était sur les rangs ; son élection était contestée et il avait pour concurrent une personne honorable. Cependant il a été élu par 118 suffrages contre 33 obtenus par son compétiteur. Cette forte majorité me paraît prouver suffisamment l'estime qu'on lui porte et doit servir de réponse suffisante à l'emploi que l'on pourrait faire du jugement de 1826.

« Agréez, etc.

« Tournay, 20 octobre 1846.

« Dubus aîné. »

Voilà, messieurs, l'opinion d'un homme dont la parole fait autorité dans cette chambre ; vous voyez que la condamnation de 1826, la seule que, je connusse alors, l'honorable M. Dubus lui-même la considérait comme la répression d'une véritable peccadille de jeunesse ; vous voyez que, de l'avis de l'honorable membre, le sieur Orman était suffisamment réhabilité par les nombreux mandats électoraux dont il a été honoré.

J'ai cru devoir entrer dans ces détails un peu minutieux peut-être, parce que j'ai pensé que dans cette circonstance je ne devais laisser aucune allégation sans réponse.

Motion d'ordre

Etat d'avancement de certains travaux d'utilité publique

M. Delehaye. - Messieurs, il y a à peu près un an que la chambre a mis à la disposition du gouvernement, des fonds pour le creusement du canal de Schipdonck ; jusqu'aujourd'hui, le gouvernement n'a rien fait. Un des motifs principaux qui ont engagé la chambre à voter ces fonds, a été de donner du travail à la classe ouvrière. Lorsque le gouvernement a demandé l'allocation de ce crédit, il y avait une étude faite ; un tracé était arrêté ; ce n'est que depuis quelque temps que le gouvernement a cru devoir modifier ce tracé ; il est résulté de là un retard vraiment déplorable ; de sorte qu'il n'est pas permis d'espérer qu'on mettra la main à l'œuvre avant deux mois. C'est seulement demain que je suis appelé à Gand pour assister à l'enquête de commodo et incommoda ; je suis informé que la commune de Somergem s'oppose d'une manière sérieuse au nouveau tracé ; cette opposition, si elle était fondée, peut entraîner de nouveaux retards très considérables. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, dont les lenteurs ont provoqué cet état de choses ; je lui demanderai, dis-je, quelle sera sa conduite si l'opposition de la part de la commune de Somergem était fondée.

Je dois d'abord faire observer que le conseil communal de Somergem à l'unanimité a protesté contre le nouveau tracé, tracé autre que celui que le gouvernement était tenu de suivre, conformément au vote de la chambre. La chambre a voté textuellement le canal de Schipdonck ; par la modification qu'on a fait subir au tracé, ce ne sera plus le canal de Schipdonck, ce sera le canal de Deurne.

Je ne veux pas émettre mon opinion sur le nouveau tracé ; je ne suis pas assez compétent pour critiquer le travail nouveau ; mais je fais au gouvernement un grief de cette modification, parce qu'elle peut lui servir de prétexte pour de nouvelles lenteurs. Pour ne pas lui laisser ce pr »texte, j'indiquerai au gouvernement un moyen de ne pas suspendre l’exécution des travaux, malgré les réclamations qui peuvent surgir. Le nouveau tracé répond au tracé primitif sur une distance de 2 lieues et demie ; il ne diffère de celui-ci que de 5 à 600 mètres.

Si le gouvernement pense, comme je le crois, que la réclamation de la commune de Somergem soit fondée, rien ne l'empêche de faire commencer les travaux, à partir de Deynze jusqu'à l'endroit où le nouveau tracé dévie de la ligne première ; de cette manière, on pourrait donner du travail à la classe ouvrière, et la réclamation de Somergem n'amènerait pas la suspension du creusement de cette partie du canal. Je ne veux pas, pour le moment, examiner la réclamation de Somergem à fond. Demain, je le répète, je dois aller à Gand pour assister à l'enquête de commodo et incommodo, et ce ne sera qu'alors que je pourrai juger d'une protestation que je serais porté à croire non fondée, si je tiens compte de l'intelligence incontestable de celui qui est chargé des travaux dans la Flandre orientale.

Messieurs, j'ai une autre observation à faire. Je déclare à M. le ministre des travaux publics que les lenteurs apportées dans les travaux de construction décrétés par la chambre sont telles que je me verrai dans la nécessité de voter contre son budget, si, avant la discussion, les travaux du canal de Schipdonck ne sont pas commencés. Je me verrai forcé encore de voter contre son budget, s'il ne déclare pas catégoriquement, maintenant que toutes les enquêtes sont faites, quelle décision il compte prendre relativement au chemin de Gand à Bruxelles par Alost.

Il ne faut pas qu'on s'abrite toujours derrière des enquêtes pour ne rien faire. Le gouvernement a entre les mains une enquête bien faite, loyalement faite ; ce document, il faut que le gouvernement le respecte puis qu'il émane de lui. Au reste, lors de la discussion du budget des travaux publics, j'interpellerai formellement M. le ministre, et de sa réponse dépendra mon vote. Je désire qu'il fasse connaître son intention, qu'il ne s'enferme plus dans des réticences, qu'il nous dise s'il adopte le tracé par Denderleeuw ou par Merchtem. Que le gouvernement se prononce et toutes les discussions cesseront.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, l'honorable membre a appelé l'attention de la chambre sur ce qu’il appelle les lenteurs du ministre des travaux publics ; d'après lui, il semblerait que le ministre des travaux publics ne cherche que des prétextes pour ne rien faire. Je crois pouvoir dire que cette imputation est radicalement injuste ; tous ceux qui examineront les affaires de près reconnaîtront la vérité de ce que j'avance.

Pour le canal de Schipdonck, je n'ai pas cherché à temporiser, j'ai pressé les ingénieurs de tout mon pouvoir ; la question examinée de plus près a été trouvée moins simple qu'on ne l'avait pensé d'abord ; on a cru devoir faire de nouvelles études. J'aurais compromis gravement ma responsabilité et je n'aurais pas rempli les intentions de la chambre, en exécutant le tracé primitif quand on pouvait en faire un meilleur ; j'ai pensé qu'il fallait marcher bien et sûrement plutôt que sous l'impression d'une précipitation fébrile.

Je dis donc qu'il n'y a pas de lenteurs à m'imputer ; je ne cherche jamais des prétextes pour ajourner l'exécution des travaux.

Si l'honorable M. Delehaye juge convenable de voter contre mon budget, libre à lui, mais les motifs qu'il déclare devoir le guider dans son vote sont non fondés et son vote serait un vote injuste.

L'honorable membre a demandé si je ferais droit à la réclamation de la commune de Somerghem. Cette réclamation ne m'est pas connue ; je ne sais par conséquent à quel parti je m'arrêterai ; cependant je reconnais que le moyen qu'indique l'honorable membre est praticable ; si une partie du projet donne lieu à des réclamations, on pourra tenir cette partie du tracé en suspens et commencer les travaux sur les parties non contestées.

L'honorable membre doit savoir aussi bien que moi que le personnel chargé du service des ponts et chaussées dans la Flandre orientale est fort bien composé ; qu'il est composé de fonctionnaires capables et zélés et que, si ces fonctionnaires viennent seulement de me transmettre les pièces nécessaires à la mise en adjudication des travaux, c'est qu'il était impossible que les choses marchassent autrement.

Ce que je puis dire, c'est que le travail a été réclamé par moi à diverses reprises et de la manière la plus instante. Je pourrais communiquer les dossiers à l'honorable membre ; il reconnaîtrait, j'en ai la certitude, qu'aucun retard ne peut m'être imputé.

L'honorable député de Gand a également entretenu la chambre du chemin de fer direct de Bruxelles sur Gand par Alost, et il a encore accusé le ministre des travaux publics de temporisation.

Cette question a une certaine importance, tout le monde doit en être convaincu ; c'est l'ingénieur, auteur du premier travail, au talent duquel l'honorable membre rend hommage, qui m'a demandé de suspendre la convocation de la commission d'enquête, attendu qu'il avait reconnu la nécessité de faire un travail supplémentaire ; il s'en occupe, et ce travail doit être maintenant très-avancé.

M. de Baillet. - Dans la séance du 23 décembre dernier, malgré l'absence de M. le ministre des travaux publics, j'ai pris la parole pour demander quelques explications an sujet de l'adjudication de 68 mille billes en sapin. C'est avant-hier 13 que devait avoir lieu l'adjudication de la seconde partie de ces 68 mille billes. Je prie donc M. le ministre de vouloir bien faire connaître à la chambre quels sont les motifs qui l'ont déterminé à faire un essai sur une échelle aussi considérable, lorsqu'il est évident que l'emploi du chêne offre de grands avantages de durée, d'économie, et qu'en outre, en employant le chêne on favorise les grands propriétaires du pays, on favorise l'industrie nationale, et on procure du travail et du pain à la classe ouvrière dans un moment où il est indispensable de lui en donner.

M. le ministre peut-il nous signaler en faveur de l'emploi du sapin du Nord des avantages qui soient de nature à compenser les désavantages nombreux que j'ai énumérés dans la séance du 23, et qui sont en résumé cherté, peu de durée, danger pour les voyageurs ; privation pour l'industrie et le travail national d'une protection qui leur est dur, enfin contribution (page 495) forcée au profit de l'étranger auquel nous livrons notre numéraire dans un temps où la rareté s'en fait sentir ?

On ne peut pas objecter la cherté du chêne, car le prix moyen des billes en chêne adjugées en décembre dernier, a été de 5 fr.25 c ; et on a offert au département des travaux publics 36,000 billes sciées dans les anciennes dimensions à raison de 5 fr. 25 c. pièce.

Je saisirai la même occasion pour rappeler à M. le ministre la réclamation que je lui ai adressée au sujet de l'inexécution de la partie de route de Charleroy à Florenne par Châtelet. Un subside, a été alloué à l'entrepreneur de cette route, à la condition que la section de Morialmé à Florenne serait construite et livrée à la circulation dans les neuf mois de l'arrêté qui est en date du 25 septembre dernier. Bientôt cinq mois se sont écoulés et les travaux ne sont pas commencés ; les réclamations me parviennent de tous côtés, sous peu de jours je dois présenter encore à la chambre des pétitions dont l'envoi m'est annoncé. Il est urgent que M. le ministre prenne des mesures efficaces pour assurer la prompte exécution de cette route. L'industrie de la forgerie y est vivement intéressée, et il est encore ici cette grande question qui domine toutes les autres dans les circonstances présentes, celle du travail à fournir aux classes ouvrières. Il est peu convenable que l'on néglige comme on le fait les nombreuses occasions qui se présentent de faire exécuter des travaux utiles, et même urgents, alors que l’on devrait faire exécuter des travaux moins urgents et moins utiles dans le seul but de venir au secours des classes qui souffrent.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je dois faire remarquer qu'il y a erreur dans le nombre de billes de sapin du Nord que l'honorable membre a indiqué comme devant faire l'objet d'une adjudication publique. Ce nombre n'est pas de 68,000, mais de 50,000 pièces. L'honorable membre pense que les billes en chêne doivent avoir la préférence sur celles en sapin du Nord, dans l'intérêt des grands propriétaires du pays. C'est un point que je n'entends pas contester. Je n'ai nulle intention d'être hostile aux grands propriétaires ; je désire, au contraire, que leurs bois trouvent un bon placement et je crois que, dans les circonstances actuelles, ce placement se trouvera facilement.

L'honorable membre a invoqué le prix de 5 fr. 25 c. auquel des billes en chêne ont été adjugées en décembre dernier. Je sais que le prix des billes en chêne a notablement baissé aux dernières adjudications. Mais je crois pouvoir affirmer que cette baisse est due à la résolution prise par le gouvernement d'appeler une certaine quantité de bois étrangers en concurrence avec les bois du pays.

L'honorable membre doit savoir qu'il y a un an environ, les billes en chêne se payaient 7 fr. A ce prix, le renouvellement des billes aurait fini par entraîner pour le trésor une charge excessive. Mon premier devoir est envers le chemin de fer, et le deuxième tout au plus envers les propriétaires.

L'honorable membre prétend que les billes en sapin du Nord sont chères, ont peu de durée et présentent du danger pour les voyageurs.

Je pense que ces assertions peuvent être contestées.

L'adjudication seule pourra faire connaître si les billes en sapin du Nord sont avantageuses ou désavantageuses sous le rapport du prix. C'est une erreur que de croire qu'elles soient d'un mauvais emploi.

C'est une erreur encore que de croire que l'emploi du sapin soit dangereux pour les voyageurs. En Angleterre, où l'on marche sur les chemins de fer avec une vitesse bien supérieure à celle en usage chez nous, on fait exclusivement usage de bois de sapin. Tous les directeurs de chemins de fer anglais affirment que le sapin du Nord est le bois dont ils tirent le meilleur parti. L'important pour la sécurité des voyageurs n'est pas d'employer tel ou tel bois, de préférence à tout autre. C'est surtout de retirer des voies les billes qui sont devenues défectueuses.

Ce qui m'a été bien démontré, c'est que l'administration, pour les billes du chemin de fer, tournait dans un cercle vicieux. Si l'on avait continué à employer exclusivement des billes en chêne, les renouvellements se seraient élevés à un prix excessif, et seraient devenus une charge bien lourde pour le trésor de l'Etat.

Force donc m'a été de renoncer à l'emploi exclusif de cette essence de bois.

Je me suis fait une loi de faire l'essai de toutes les essences de bois, sans en excepter le sapin du Nord, dont l'emploi est considéré, en Angleterre, comme très avantageux.

Ici encore, j'ai fait en sorte de profiter de l'expérience acquise ailleurs.

Si le sapin du Nord revenait à un prix aussi élevé que celui du chêne, je pense qu'il y aurait lieu de ne pas approuver l'adjudication et d'en revenir au chêne.

L'honorable membre m'a également interpellé au sujet de la route de Morialmé à Florenne. C'est une route concédée sur laquelle le gouvernement n'a pas une action aussi directe que sur les travaux qu'il fait exécuter par lui-même. D'après les renseignements qui me sont parvenus, la difficulté tient à ce que les propriétaires sur les terrains desquels la route doit être assise, demandent des prix exagérés pour la cession de leurs terrains. C'est là ce qui empêche de mettre la main à l'œuvre.

Je crois savoir que le concessionnaire a donné pleins pouvoirs au bourgmestre de Florenne pour acquérir des terrains en son nom. Jusqu'ici l'acquisition n'a pu se faire nonobstant cette latitude.

S'il y avait mauvais vouloir de la part du concessionnaire, je n'hésiterais pas à employer à son égard les moyens que le cahier des charges met à la disposition du gouvernement.

M. de Tornaco. - Je profiterai aussi de la présence de M. le ministre des travaux publics pour lui adresser une interpellation. Je sais qu'elle trouverait plutôt sa place dans la discussion du budget des travaux publics ; mais cette discussion peut encore être ajournée pendant quelques semaines, et les inquiétudes concernant l'objet dont je vais m'occuper vont toujours croissant ; je veux parler de la dérivation de la Meuse !

Au commencement de la session, le gouvernement a introduit dans le discours de la couronne un paragraphe où il reconnaît l'urgence des travaux à faire aux voies navigables. Naturellement le gouvernement devait comprendre dans ces travaux et en première ligne la dérivation de la Meuse, attendu que c'est un des travaux qui ont fixé depuis le plus longtemps l'attention publique.

La chambre, en adoptant l'amendement que nous avons eu l'honneur de proposer, avait adopté aussi l'opinion du gouvernement, quant aux voies navigables.

Depuis, un membre du gouvernement s'est engagé par une promesse à présenter ou à faire présenter un projet de loi dans le cours de la session.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si tous les faits que j'ai cités ne sont que de vaines formalités, si le gouvernement compte donner satisfaction aux intérêts liégeois, avec des paroles et de simples promesses.

J'aime à croire que tous ces arguments, quelque étranges qu'ils paraissent, sont complétement étrangers à la politique. Il serait déplorable que la tactique politique envahît le domaine des intérêts matériels.

Quoi qu'il en soit, je déclare à M. le ministre des travaux publics que, quand la discussion de son budget arrivera, je saurai décliner toute responsabilité de l'ajournement des travaux de dérivation, et la faire retomber sur celui qui doit la supporter.

Je demande que M. le ministre des travaux publics veuille bien me répondre.

M. Rodenbach. - Si la chambre ne continue pas son ordre du jour, je demanderai également la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics.

M. Delehaye. - Je suis vraiment étonné que le gouvernement déclare qu'il n'a pas eu connaissance de la délibération du conseil communal de Somerghem. Je sais que cette délibération a été renvoyée au bourgmestre pour avoir son avis. Il faut donc bien que le gouvernement en ait eu connaissance. Il y a plusieurs semaines qu'elle a été prise. J'en tiens en main une copie.

Si M. le ministre ne sait pas ce qui se passe à son département, ce n'est pas à moi qu'il doit s'en prendre.

Je persiste à penser que si le gouvernement avait voulu déployer un peu plus d'activité, depuis longtemps on aurait mis la main à l'œuvre.

L'instruction de cette affaire est depuis longtemps terminée au département des travaux publics. Ainsi M. le ministre des travaux publics pouvait prendre une résolution qui l'aurait mis à même de faire mettre la main à l'œuvre aussitôt que le temps l'aurait permis. Pourquoi ne pas avoir mis les travaux en adjudication ? C’était le moyen de permettre à l'entrepreneur de prendre toutes ses dispositions préalables.

Quant au chemin de fer de Gand à Bruxelles, je dois dire à M. le ministre des travaux publics qu'il se trompe, car M. Desart a publié un mémoire en réponse à celui qu'un ingénieur, défenseur des intérêts de Termonde, a cru devoir publier, et à la faveur duquel le gouvernement se tient les bras croisés.

Au reste je le préviens dès à présent que, dans la discussion de son budget, je le mettrai en demeure de se prononcer. Il ne pourra plus se prévaloir de ce que le travail n'est pas achevé pour demander un nouvel ajournement.

M. le ministre nous disait dernièrement qu'il était trop ministre des travaux publics pour ne pas être un peu ministre des finances.

S'il était un peu ministre des finances il saurait qu'en commençant les travaux à certaines époques de l'année on les obtient à meilleur compte, parce qu'il y a plus de bras inoccupés.

Ainsi M. le ministre des travaux publics qui se targue de ses connaissances financières les perd complétement de vue, quand il s'agit de l'exécution des travaux dont il est chargé par un vote de la chambre.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je demande la parole.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Delfosse. - J'avais demandé la parole pour témoigner mon étonnement de ce que M. le ministre des travaux publics n'ait pas jugé à propos de répondre aux questions si pressantes et si naturelles de mon honorable collègue M. de Tornaco.

Je ne puis pas forcer M. le ministre des travaux publics à prendre la parole, pas plus que je ne puis empêcher la chambre de prononcer la clôture, mais chacun appréciera ce silence vraiment inconcevable.

M. de Garcia. - Je n'ai pas l'intention de parler en faveur du ministre, en cherchant à le dispenser de prendre la parole ou de répondre à des interpellations. Mon but n'a pas une portée aussi étroite, il tend à ne pas perdre un temps précieux pour la juste appréciation des matières qui nous sont soumises. Alors que nous sommes saisis du budget de la justice qui présente des questions très graves, nous anticipons sur la discussion du budget des travaux publics. Véritablement, messieurs, et chacun doit en convenir, il n'y a pas grand inconvénient à ajourner à quinze jours les interpellations sur les questions sur lesquelles on désire une explication de M. le ministre.

(page 497) Je partage l'opinion de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M. de Tornaco sur la nécessité de travailler à la Meuse, et d'avance je déclare que j'aurai des observations à présenter à cet égard. Mais je crois qu'en occupant aujourd'hui la chambre de cet objet, nous n'avancerons pas les choses ; au contraire, nous en retardons la discussion utile. Pour ce motif je demande la clôture sur les divers incidents se rattachant aux travaux publics.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. Delfosse. - Je ne crois pas violer la décision que la chambre vient de prendre en invitant M. le ministre des travaux publics à donner le plus tôt possible à la section centrale chargée de l'examen de son budget, les renseignements qu'elle a demandés, au sujet de la dérivation de la Meuse.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - De cette façon la question sera introduite d'une manière plus régulière, et j'aurai l'honneur de répondre aussi bien que possible à la question qui me sera posée par la section centrale

M. Delfosse. - Le plus tôt possible.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Aussitôt que la question de la section centrale me sera parvenue.

M. Delfosse. - D'après ce qu'ut» honorable collègue, membre de la section centrale, nous a dit, il y a quelques jours, cette demande doit vous être parvenue et c'est une indisposition qui vous aurait empêché de répondre.

M. Brabant. - Jusqu'ici aucune question n'a été adressée à M. le ministre des travaux publics relativement à la dérivation de la Meuse. Une ou deux sections ont exprimé le vœu de connaître les intentions du gouvernement à cet égard. Ce vœu a été soutenu à la section centrale par les rapporteurs des sections ; mais jusqu'à présent rien n'a été transmis à M. le ministre.

M. Lesoinne. - C'est moi qui ai dit que cette question avait été posée à la section centrale ; mais j'ai ajouté que l'honorable rapporteur avait été malade et que c'était là la cause pour laquelle cette question n'avait pas été transmise à M. le ministre des travaux publics.

Projet de loi qui modifie certaines dispositions sur le régime des postes

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui tend à apporter diverses modifications aux dispositions en vigueur sur le régime des postes.

- Il est donne acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera, ainsi que les pièces qui l'accompagnent, imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi augmentation le personnel du tribunal de première instance de Nivelles

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi tendant à augmenter le personnel du tribunal de Nivelles.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera, ainsi que l'exposé des motifs qui l'accompagne, imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l'examen des sections.

M. Delehaye. - Je demanderai à M. le ministre s'il y a un rapport de la cour d'appel joint à ce projet ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non.

M. Delehaye. - La cour d'appel n'a-t-elle pas été consultée ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non.

M. Delehaye. - C’est plus commode.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1847

Discussion générale

M. Veydt. - Messieurs, la théorie que l'honorable député de Thielt a soulevée hier dans cette chambre, et qui tendait à enlever à la législature l'examen ou le contrôle des nominations attribuées au pouvoir exécutif, a été complétement réfutée par l'honorable député de Bruxelles, qui a parlé à la fin de la séance d'hier. Je pense, messieurs, que nous sommes restés tous convaincus que nous avons ce droit de contrôle et d'examen, que nous sommes souvent dans l'obligation d'en faire usage, que c'est un devoir pour nous.

En effet, messieurs, le régime constitutionnel a pour objet d'imposer à la politique des principes et des règles, de faire prédominer les intérêts généraux sur les intérêts privés, le public sur les hommes et sur les partis.

Le pouvoir exécutif a t-il rempli cette destination en ce qui concerne les nominations qui sont une des principales parties de ses attributions, qui souvent caractérisent à elles seules tout son système ? Nous avons, messieurs, le droit d'examiner cette question.

Que deviendrait, sans cette investigation exercée au grand jour, l'article de la Constitution qui dit que tous les Belges sont admissibles aux emplois ? Il y aurait beaucoup d'appelés et peu d'élus ; bientôt les élus ne seraient plus que les protégés des ministres ou ceux qui auraient en leur faveur les recommandations les plus puissantes. Les droits acquis, les titres véritables n'auraient de chances de prévaloir sur elles que par hasard.

Il y a plus, messieurs, je crois que nous devons exercer ce droit de contrôle dans l'intérêt de MM. les ministres eux-mêmes. Un des plus pénibles devoirs du poste élevé qu'ils occupent est de lutter contre l'empire des préférences. Il leur faut résister à des affections et à des sentiments auxquels il est doux de céder dans la vie privée et qui finiraient par l'importer, si les nominations ne pouvaient pas devenir plus tard l'objet d'un débat public.

Messieurs, je reconnais ici, avec l'honorable député de Thielt, que par cela même que des noms propres sont mêlés à ces débats, il est de notre devoir d'y apporter la plus grande réserve. En notre qualité de membres de la chambre, nous sommes en quelque sorte investis d'un pouvoir invisible et presque d'une véritable dictature. Dès lors nos paroles ont une très haute portée et nous devons y apporter de grands ménagements ; c'est la règle que je m'efforcerai toujours de suivre.

Je suis heureux en ce moment de n'avoir pas à m'occuper de nominations déjà faites. L'interpellation que j'ai adressée, hier, à M. le ministre de la justice avait un autre but. Je lui ai demandé pourquoi une place n'était pas remplie. Je lui ai dit que s'il voulait attendre que celui qui la remplit à présent par intérim eût atteint sa majorité, il faudrait arriver jusqu'à la fin de 1848 : la place est vacante depuis le mois de mai 1845. Pour atteindre le but qu'on se propose, il faudrait la laisser inoccupée pendant trois ans et demi. Je demanderai si une place qui peut rester vacante pendant si longtemps est une place qui doit encore être remplie ? Ne serait-ce pas reconnaître qu'elle est complétement inutile ?

Messieurs, à cette occasion, et en présence de faits que M. le ministre ne démentira pas, cherchons les motifs de cette faveur extraordinaire. La famille du titulaire décédé, les égards qui peuvent lui être dus peuvent avoir exercé de l'influence sur M. le ministre de la justice ; je ne lui en ferai pas un reproche. Je conçois qu'une pareille influence exerce son empire pendant trois mois, pendant six mois même, et je serais peut-être le premier à la subir.

Mais quand il s'agit d'un délai de près de quatre ans, il doit y avoir des considérations qui sortent de la sphère ordinaire, des considérations politiques, en un mot. Le canton où cette place est restée vacante, à la demande des personnes auxquelles M. le ministre désire être agréable, a rendu des services électoraux très grands et qui remontent à plusieurs années. C'était en 1841, et si alors ce canton n'avait pas rendu de pareils services, je crois que l'opinion à laquelle j'appartiens aurait eu depuis celle époque une ou deux voix de plus dans cette enceinte.

Aux élections dernières les mêmes sentiments se sont manifestés dans ce canton. L'opposition n'est-elle pas fondée à trouver là toute l'explication de la conduite de M. le ministre de la justice ? Pour moi personnellement je ne puis me défendre de croire que c'est bien le véritable motif de cette faveur exorbitante. Je suis curieux de voir si elle sera continuée jusqu'en 1848. Alors, j'aurai l'occasion d'y revenir.

J'ai dit, messieurs, que je ne m'occuperais pas des nominations. Il en est une cependant dont je dirai deux mois. Il a été pourvu à la nomination de la justice de paix de Brecht. Savez-vous, messieurs, quel a été l'obstacle à la nomination de l'un des candidats plus recommandable, je ne crains pas de le dire, sous le rapport de la capacité que celui qui a été choisi ? C'est d'avoir eu pour appui l'un de mes honorables collègues d'Anvers. Je suis prêt à prouver à M. le baron d'Anethan ce que j'avance ici, car je comprends qu'il ne convient pas d'apporter de pareilles révélations à la tribune.

Ainsi donc, les candidats que l'opinion libérale appuie doivent s'attendre à être écartés ; ils deviennent des parias, l'expression dont s'est servi M. le ministre de la justice par dérision, et, qui cependant n'est que trop réelle.

J'arrive à un autre point, aux établissements de bienfaisance. L'honorable M. Verhaegen disait hier que ces institutions, lorsqu'elles sont dirigées par des congrégations religieuses, avaient constamment la préférence dans la distribution des subsides accordés par le département de la justice. J'ai des faits nouveaux à l'appui de cette assertion, qui a cependant été combattue par M. le ministre. Il s'agit, messieurs, d'une commune de la Campine, dont les ressources sont excessivement exiguës, de la commune de Lille.

Elle a a sa charge un aliéné qui dérange si complétement les finances du bureau de bienfaisance, que l'équilibre est rompu entre ses recettes et ses dépenses. L'administration communale s'est imposé des sacrifices. De plus, l'administration de la province, conformément à l'article 69 de la loi provinciale, a accordé un subside, et malgré cela l'équilibre n'a pu être rétabli.

La députation permanente a fait les plus vives instances pour obtenir de M. le ministre de la justice qu'il vint en aide à cette commune. Il s'y est constamment refusé.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est vrai.

M. Veydt. - Eh bien, je ne puis me défendre, en présence de tout ce qui se passe au ministère de la justice, de l'idée que ce refus n'a lieu que parce que M. le ministre de la justice a une tendance marquée à favoriser les établissements de bienfaisance dirigés par des corporations religieuses.

En ce qui me concerne, je préférerais infiniment donner des subsides aux bureaux de bienfaisance qui sont contrôlés, d'abord par la commune, ensuite par la députation. Alors nous savons ce que deviennent les subsides qui sont accordés, et certes c'est une précieuse garantie.

Un autre exemple, messieurs, pris aussi dans la province d'Anvers, c’est l'hospice de Boom, qui a été élevé l'année dernière et contre l'établissement duquel il y avait d'abord des objections sérieuses, parce que les fonds nécessaires pour en assurer le service, n'étaient pas assurés. Néanmoins, M. le ministre a cru pouvoir passer outre en autorisant la fondation de cet hospice. Mon intention n'est pas de désapprouver cette (page 498) résolution ; mais alors M. le ministre devrait, pendant la première année du moins, venir à son secours afin qu'il pût remplir sa destination.

Si l'on agissait avec impartialité, on eût fait ici ce qu'on a fait à Malines pour l'hospice d'Olivetten, qui a reçu des subsides. Pourquoi n'en a-t-il pas été de même de l'hospice dont je viens de parler ? Parce que, encore une fois, les ressources mises à la disposition du département de la justice s'en vont ailleurs.

Il me répugne de citer le nom du condamné Retsin, mais il en a été parlé hier, et M. le ministre a, en quelque sorte, fermé la discussion en disant que la mise à la pistole de Retsin avait été refusée par M. le gouverneur de la province. Cependant il est avéré, nonobstant ce refus, que ce condamné jouit encore d'une position privilégiée, et je ne sais véritablement pas pourquoi. Retsin se trouve malade, dit-on ; mais il y si une infirmerie à la maison d'arrêt, de Turnhout. Pourquoi y occupe-t-il une chambre particulière qu'il a fallu pourvoir de meubles ?

Les fenêtres de sa chambre ont aussi été changées afin de donner un jour plus convenable. C'est toujours, messieurs, le même système ; c'est toujours Retsin, objet d'une prédilection inconcevable et injustifiable.

La chambre me saura gré, je pense, de ne pas insister plus longtemps sur un pareil sujet.

Voilà, messieurs, quels sont mes griefs. M. le ministre voudra bien y répondre, et je désire qu'il en fasse disparaître le plus grand nombre. Sa réponse déterminera mon vote sur le budget de son département ; mais à moins que je n'obtienne satisfaction, je suivrai l'exemple de mon honorable ami M. le baron Osy, en votant contre le budget en discussion.

J'ai un mot à ajouter qui concerne une affaire d'administration sur laquelle je veux présenter une simple observation en passant.

Autrefois, messieurs, les arrêtés royaux étaient envoyés par expédition aux provinces. Revêtus pour copie conforme de la signature du secrétaire général et du sceau du département, ils étaient classés dans les dossiers des affaires auxquelles ils se rattachaient et en faisaient une des pièces les plus importantes. Cette marche a cessé d'être suivie au département de la justice, L'on se borne à renvoyer au Moniteur. J'ignore s'il en est de même pour tous les ministères. L'innovation n'est pas heureuse. Désormais les dossiers seront incomplets, il y aura des lacunes dans les archives provinciales, car il n'est pas possible de placer un exemplaire du Moniteur dans chaque dossier. Je me borne à signaler les inconvénients de ce système, sur lequel j'appelle, au besoin, l'attention de M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'ai quelques mots à répondre au discours que vous venez d'entendre, et je commencerai par donner l'explication demandée par l'honorable M. Veydt, relativement à la vacance de la place de Santhoven, que l'honorable membre attribue à des services électoraux rendus probablement par le titulaire actuel. (Interruption.) Peu importe, je ne concevrais pas que, pour récompenser des services électoraux, j'eusse laissé une place vacante. Si j'avais voulu, comme on le suppose, avoir dans le canton un fonctionnaire dévoué et influent, rien au monde ne m'eût été plus facile, car heureusement il ne manque pas d'hommes attachés aux principes du gouvernement. Mais, messieurs, pourquoi cette place est-elle restée vacante ? Je dirai d'abord que je ne connais ni Vansprangh, ni personne de sa famille. Je dirai de plus que personne ne m'a parlé de cette place, si ce n'est une fois l'honorable M. Osy, qui m'a exprimé le désir de voir nommer le sieur Vanhissenhoven, qui est maintenant nommé à Wilryck.

J'ajouterai que dès le mois de juin de l'année dernière, j'avais écrit, à la suite des observations de l'honorable M. Osy, qu'il fallait annoncer dans le canton que la place était vacante, pour donner l'éveil aux concurrents et pouvoir dès lors faire un bon choix. Voici la lettre que M. le juge de paix de Santhoven a écrite à M. le procureur du roi à Anvers :

« Santhoven, 18 juin 1846.

« Monsieur le procureur du roi,

-« En exécution des ordres que vous m'avez donnés, j'ai fait savoir dans tout le canton, malgré que cela y était parfaitement connu, que la place de greffier près de cette justice de paix était encore toujours vacante, sans que jusqu'ici il soit venu à ma connaissance que quelqu'un se serait mis sur le rang pour l'obtenir.

« J'attribue ce défaut de concurrence dans le canton, aux égards du public envers le sieur Auguste Vansprangh qui la remplit depuis bien longtemps avec distinction, et la sollicite à juste litre depuis la mort de son grand-père qui en fut le titulaire.

« Le juge de paix du canton de Santhoven,

« Fonteyn. »

Le juge de paix annonçait donc qu'aucun candidat ne se présentait, et en effet, à l'exception du seul candidat dont a parlé l'honorable M. Osy, et qui n'en est plus un, puisqu'il a été nommé à Wilryck, à l'heure qu'il est il n'existe pas de candidats pour la place de Santhoven autre que le commis-greffier Vansprangh.

Le 20 septembre, le même juge de paix écrivait au procureur du roi la lettre suivante :

« Santhoven, 20 septembre 1846.

« M. le procureur du roi.

« En exécution de votre dépêche d'hier, n° 4797, j'ai l'honneur de vous expédier un document qui constate la date exacte de la naissance d'Auguste Vansprangh, mon commis-greffier.

« J'espère bien qu'on ne viendra pas de nouveau à charge de ce jeune homme pour le faire échouer, et que le gouvernement appréciera ses titres et les devoirs dont il s'acquitte exemplairement envers sa malheureuse mère et une nombreuse famille.

« En conséquence, j'ose venir invoquer de nouveau tout votre appui près du ministère pour qu'on lui conserve sa position actuelle dont il se rend digne, ainsi que tout le monde peut l'attester, et vous prie d'agréer d'avance mes sincères hommages et reconnaissance.

« Le juge de paix du canton de Santhoven,

« J. Fonteyn. »

Voilà les lettres que le procureur général m'a transmises avec son avis et celui du procureur du roi ; l'avis du premier président est dans le même sens. Les motifs allégués justifient ce qui a été fait, et il est impossible de pourvoir maintenant à la place vacante vu l'absence de candidats.

Je le répète, le service ne souffre pas ; le sieur Vansprangh est commis-greffier en titre ; il peut l'être, parce qu'il est majeur, et que la majorité seule est exigée pour les fonctions de commis-greffier.

Maintenant libre à l'honorable M. Veydt de penser que j'ai eu uniquement en vue des services électoraux rendus par le sieur Vansprangh ou sa famille ; mais la chambre appréciera les considérations que j'ai présentées, et qui expliquent naturellement le fait.

L'honorable M. Veydt a entretenu la chambre des établissements de bienfaisance ; pour le moment, je ne répondrai qu'un mot, relativement à une objection de l'honorable membre, relative au secours qui aurait été refusé à une commune pour l'entretien d'un aliéné.

Messieurs, la charge des aliénés est imposée à la commune et subsidiairement à la province, mais nullement à l'Etat. La demande que m'a faite la commune de Lille m'a été adressée par d'autres communes encore, mais aucune de ces demandes n'a, je pense, été accueillie, et cela par un motif bien simple. D'après les intentions de la chambre, les sommes qui me sont accordées pour les aliénés sont destinées à la fondation ou à l'amélioration d'établissements d'aliénés, et non à venir en aide aux communes dans l'accomplissement des charges que la loi communale leur impose. Ainsi, ce dont se plaint l'honorable M. Veydt, n'est que l'exécution littérale de la loi.

Quant à l'hospice de Boom, je crois avoir rencontré l'approbation de l'honorable membre. J'ai fait en effet tout ce qui m'était possible pour écarter les obstacles qui s'opposaient à la création de cet hospice. Je ne sais si un subside a été demandé ; si la requête a été adressée, j'examinerai s'il y a lieu d'accorder un subside.

Quant au secours qui a été alloué à un hospice de Malines, l'hospice d'Olivetten, j'ai été principalement déterminé à provoquer cette mesure, par le motif que l'hospice a accepté la condition de recueillir un certain nombre de vieillards qui y seront placés par mon département, en considération de services rendus à l'Etat. Si l'hospice de Boom veut se soumettre à une semblable condition, et si ses ressources sont insuffisantes, je viendrai volontiers à son aide si la commune et la province me secondent.

J'ajouterai que la création de l'hospice d'Olivetten à Malines est dû uniquement à la charité privée de quelques personnes de cette ville ; mais que cet hospice n'a aucun caractère de corporation religieuse.

L'honorable M. Veydt vous a encore parlé du condamné Retsin qui se trouve incarcéré à Turnhout. A entendre l'honorable membre, on aurait fait une nouvelle faveur à ce condamné.

Il n'en est rien : loin de lui avoir fait une faveur, on l'a traité beaucoup plus sévèrement que d'autres, c'est-à-dire que Retsin, au lieu d'être avec les autres détenus, se trouve dans un complet isolement. Si l'on a travaillé aux fenêtres de sa cellule, on l'a fait par mesure de précaution et pour mieux s'assurer contre toute tentative d'évasion, qu'on aurait pu craindre, depuis que deux condamnés étaient parvenus à s'évader de la prison de Turnhout, J'ai prescrit l'emploi des précautions les plus sévères ; et j'ai appelé l'attention des autorités sur la responsabilité qui pesait sur la personne chargée de la garde du condamné.

Retsin était dans une chambre sans feu ; ce n'est qu'à la suite d'une déclaration du médecin, portant que Retsin ne pourrait pas résister à un pareil régime, qu'on l'a autorisé à acheter un poêle pour chauffer la cellule dans laquelle il se trouve.

Retsin est condamné, mais je ne pense pas qu'on veuille, quels que soient les sentiments qu'inspire sa conduite, le faire mourir à petit feu.

M. Loos. - Quelle que soit la répugnance que j'éprouve à refuser au gouvernement les crédits nécessaires aux services publics, je ne pourrai donner un vote favorable au budget en discussion, parce que je trouve que les crédits alloués au département de la justice ne reçoivent point, de la part du ministre, une application suffisamment intelligente et impartiale, conforme aux intentions de la chambre et aux intérêts du pays.

L'année dernière je signalais les dépenses considérables exécutées dans les maisons centrales de Gand, de Vilvorde et d'Alost, pour établir la séparation des détenus pendant la nuit, tandis que nous étions saisis d'un projet de loi qui établit la séparation complète de jour et de nuit.

Je vous disais que ces appropriations coûteuses seraient en pure perte si la loi proposée venait à être votée. Que répondit le ministre ? Qu'en tout état de cause, que la chambre adoptât, soit le système d'isolement (page 499) de nuit, soit celui de l'isolement continuel, les travaux exécutés répondraient aux conditions exigées par l'un et l'autre système.

Depuis lors, messieurs, j'ai visité les prisons, et je puis vous garantir l'exactitude de ce que j'avais avancé, que la plupart de ces travaux seront réellement en pure perte.

Les conditions exigées, sous le rapport des locaux, quant au système que le projet de loi présenté à la fin de 1844 tend à introduire, se trouvent déterminées dans le volume que le gouvernement nous a fait distribuer. Eh bien, je puis garantir que ces conditions n'ont pas été observées dans les constructions exécutées. Je n'exagère rien, en évaluant à près d'un million, les dépenses faites depuis peu d'années à nos anciennes maisons centrales. Au lieu de consentir à ces dépenses, le devoir du ministre, depuis la présentation de son projet de loi, était d'insister auprès de la chambre pour en obtenir la discussion et, en attendant, il ne devait ordonner que les travaux strictement nécessaires.

On aurait ainsi évité, d'une part, des dépenses inutiles, et d'autre part on serait resté dans la légalité. Je dis, messieurs, qu'on serait resté dans la légalité ; et en effet, je ne pense pas qu'il soit très légal d'exécuter une loi avant qu'elle soit votée. C'est cependant ce qui se passe, on nous propose d'introduire un nouveau moyen de répression non prévu par nos lois pénales, la détention isolée, et déjà des dépenses considérables sont faites dans plusieurs localités pour mettre ce moyen à exécution.

En France l'introduction du système d'emprisonnement individuel a donné lieu dans les chambres législatives à des discussions longues et approfondies. Si l'on n'a pas été unanime pour approuver le nouveau moyen de répression, tout le monde a été d'accord pour reconnaître que, ce système admis, il fallait nécessairement réduire le temps de l'emprisonnement attribué aux crimes et délits par le Code pénal en vigueur.

Cette nécessité, M. le ministre de la justice la reconnaît lui-même dans les développements à l'appui de son projet de loi, et cependant, messieurs, les nouvelles prisons s'élèvent ; y enfermera-t-on les condamnés ou les prévenus avant d'avoir fait subir à nos lois pénales les modifications reconnues équitables ?

Pourquoi, messieurs, le ministre de la justice, reconnaissant l'urgence de la réforme pénitentiaire, n'a-t-il pas insisté auprès de la chambre pour faire mettre à son ordre du jour le projet de loi présenté dans la séance du 3 décembre 1844 ?A-t-il craint que la discussion ne fût point favorable au projet ? Je ne puis le supposer, la discussion si lumineuse des chambres françaises a fini par convaincre chacun de la nécessité de la réforme proposée. Mais alors pourquoi ne pas rappeler le projet à l'attention de la chambre ?

M. le ministre croit-il que l'intervention de la chambre en cette matière n'est pas indispensable ? M. l'administrateur des prisons semble être de cet avis, puisque dans son rapport au ministre, en date du 16 mai 1846, il dit que les lois donnent au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour créer de nouvelles prisons. M. le ministre partage-t-il cet avis ? Alors pourquoi a-t-il présenté son projet de loi ?

Ce qui est évident pour moi, c'est que le ministre veut procéder par faits accomplis et de cette manière forcer la main à la législature. En effet, en présence d'énormes dépenses qui auront été faites pour élever des maisons pénitentiaires d'après le système présenté, pouvez-vous, messieurs, ne pas l'adopter et rendre ainsi toutes ces dépenses inutiles ? Evidemment non.

Car ne croyez pas, messieurs, ce qu'on vous dit, qu'une maison construite en vue de l'un des deux systèmes puisse utilement servir en exécution de l'autre.

Dans le système de l'emprisonnement en commun, il faut de vastes ateliers, réfectoires, préaux, etc. ; dans l'autre, il ne faut rien de semblable, et les dépenses de cette nature seraient faites en pure perte. M. le ministre de la justice l'a si bien compris lui-même, que l'année dernière, quand je lui fis le reproche de vouloir introduire le système nouveau avant de l'avoir fait admettre par la législature, il me répondit (séance du 19 février 1846) :

« Messieurs, on me suppose l'intention arrêtée de supprimer la maison de St-Bernard et de placer les individus qui y sont détenus dans une autre prison construite à grand frais. Mais je ne puis avoir de parti à cet égard ; une loi sur le nouveau régime pénitentiaire en Belgique est présentée, c'est seulement quand elle sera votée qu'il sera question de nouvelles prisons ou d'appliquer celles qui existent.

Voilà, messieurs, ce que disait M. le ministre le 19 février dernier, et le 23 du mois d'août il décrétait par arrêté royal la construction d'un nouveau pénitencier pour au moins 500 détenus à Louvain.

Savez-vous, messieurs, quel est le chiffre de la dépense qui doit résulter de l'exécution de cet arrêté royal ? Consultez les documents que le gouvernement vous a mis entre les mains et vous verrez que le minimum de la dépense doit être évalué pour 500 détenus à 1,350,000 fr. soit à raison de 2,700 par détenu ; et c'est par arrêté royal qu'une semblable dépense pourrait èlre établie ? Encore, messieurs, si quelque circonstance permettait de préjuger l'opinion de la chambre ! Mais rien de semblable n'existe, la chambre ne s'est pas jusqu'à présent occupée de la question.

Pourquoi donc, M. le ministre s'est-il tant pressé ? Au mois de février, il déclare qu'il ne peut être question de nouvelles prisons avant le vote de la loi, et au mois d'août suivant, il décrète une prison à Louvain.

J'examinerai tout à l'heure les motifs exposés par M. le ministre ; mais ayant de passer à cet examen, voyons la vraisemblance des bruits qui ont circulé sur les véritables motifs qui ont guidé M. le ministre, bruits qui ont eu du retentissement dans cette chambre. En effet, mon honorable ami, M. le baron Osy, reprocha naguère à M. le ministre de ne vouloir la suppression de la maison Saint-Bernard qu'afin de pouvoir établir une prison à Louvain ; le ministre protesta contre cette assertion, qu'il prétendit être fausse. La presse alla plus loin, elle prétendit que la prison de Louvain était une promesse électorale et qu'elle s'établirait malgré toutes les évolutions administratives qui pourraient faire croire à des intentions contraires. Les journaux du gouvernement repoussèrent ces allégations comme calomnieuses. Que pourront-ils répondre aujourd'hui, en présence de l'arrêté royal du 23 août et de la malheureuse coïncidence de cette date avec celle de la convocation du collège électoral de Louvain ? Je n'ajouterai rien à ce singulier rapprochement.

Passons maintenant au mérite de la mesure en elle-même. Le ministre se fonde principalement sur l'encombrement de la prison de St-Bernard, et l'augmentation toujours croissante des condamnés correctionnels. Je me hâte de reconnaître que la progression du nombre des condamnés est malheureusement bien réelle. Mais lorsqu'une maladie contagieuse se déclare dans le pays, se borne-t-on à agrandir les cimetières ? Evidemment non, on en recherche les causes, on applique les remèdes. C'est ce qu'on a fait dans beaucoup de pays pour arrêter la contagion sociale qui peuple les prisons. On a reconnu que les moyens de répression en vigueur étaient inefficaces, que la réunion des détenus, dans les mêmes locaux tant le jour que la nuit, était une cause de corruption. On a voulu y porter remède, et les philanthropes qui dans divers pays se sont occupés de la question, ont pensé, qu'en isolant les détenus on arrêterait la corruption, on diminuerait le nombre des condamnés récidifs. L'expérience est venue confirmer ces prévisions, et l'on a pu reconnaître qu'il ne serait pas nécessaire d'augmenter les prisons, mais de les changer. Ne devant pas augmenter le nombre des prisons, que restait-il à faire ? Il fallait approprier celles que l'on possède au nouveau régime que l'on veut introduire, et au lieu de créer une nouvelle maison à Louvain, il fallait tirer parti des locaux et des vastes terrains de St-Bernard. Mais, dira-t-on, St-Bernard est insalubre.

Pour moi, Saint-Bernard n'est pas un lieu insalubre ; il n'est pas plus envisagé comme insalubre par M. le ministre de la justice ; mais il s'agissait d'établir une prison à Louvain, et pour cela il fallait manœuvrer à l'avance ; on a même dû brusquer le dénouement ; car sans attendre le vote de la loi, on a décidé l'établissement de la prison à Louvain ; on a commencé une dépense qui sera considérable sans avoir consulté la chambre.

Cet acte n'est pas sage ; il fallait, comme je l'ai dit, utiliser les locaux de Saint-Bernard ; car, savez-vous pour combien entrent dans la construction de la nouvelle prison les bâtiments qui à Saint-Bernard sont dans le meilleur état ? Ils entrent pour la moitié. Cette évaluation, je la trouve encore dans le mémoire qui vous a été communiqué par M. le ministre de la justice lui-même.

Les locaux généraux tels que la boulangerie, la buanderie, les bureaux, les magasins, la caserne, toutes ces dépendances d'une maison cellulaire, entrent pour moitié dans les frais de construction. Je vous ai indiqué que la prison de Louvain, d'après l'évaluation minimum, coûterait 1,350 mille francs ; ainsi, avec 700 mille francs vous auriez obtenu le même résultat à Saint-Bernard.

Il n'est pas dit qu'avec le nouveau système pénitentiaire, il faille une deuxième prison. On aurait établi à Saint-Bernard une prison cellulaire pour 5 ou 6OO détenus, et le reste de la prison aurait été provisoirement maintenu dans le système actuel. Avec des cellules rayonnant comme dans quelques prisons nouvelles, le terrain était suffisant à Saint-Bernard pour faire le nombre de cellules nécessaire. Si ce qui se passe dans d'autres pays se réalise en Belgique, il n'existera plus d'autre prison que celle de Louvain.

Le système nouveau prévenant la contagion et les récidives, le nombre des détenus ne dépassera pas, avant peu d'années, je l'espère, la contenance de la prison de Louvain ; ainsi on arrivera au but qu'on s'était proposé, la suppression de Saint-Bernard. Comme j'ai l'espoir que nous obtiendrons du nouveau système le même résultat en Belgique qu'on a obtenu dans d'autres pays, je dis que la prison de Saint-Bernard sera superflue ; car nous serons tous d'accord pour ne pas maintenir deux prisons quand une seule pourrait suffire.

Ainsi, messieurs, à mes yeux le principe de dépense que vient déposer M. le ministre, se trouve établi illégalement, et les dépenses faites dans les autres prisons se trouvent avoir été faites inutilement. J'ai visité des prisons, et je puis dire que de toutes les constructions faites depuis deux ans, aucune n'est faite dans le système proposé par M. le ministre de la justice et qu'il a présenté à la législature.

J'ai visité le pénitencier d'Alost où se trouve un quartier cellulaire ; mais je n'ai pu y reconnaître aucune des conditions que M. le ministre a énumérées dans son projet à l'imitation de ce qui a été fait en Angleterre et en France.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce n'est pas sous mon administration que ces constructions ont été faites, mais sous celle de l'honorable M. Leclercq.

M. Loos. - L'infirmerie, du moins, a été faite par vous. A Gand on veut établir le système cellulaire ; on enferme les détenus dans une cellule qui leur sert de logement et d'atelier.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - On ne les y fait pas travailler.

M. Loos. - Il y a quelque temps, des cellules qui existaient à Gand depuis trente ans, ont été changées ; ces cellules avaient été primitivement faites pour un seul détenu ; puis changées, de deux on en a fait (page 500) une et on y a mis cinq détenus ; M. le ministre les a fait à grands frais rétablir pour un seul détenu.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et je crois avoir par là rendu un grand service à la morale.

M. Loos. - Je partage l'opinion de M. le ministre, je pense que les détenus ne devaient pas être réunis pendant la nuit ; mais était-ce le moment de faire des dépenses considérables, alors qu'un projet de loi changeant le régime pénitentiaire était soumis à la chambre ?

L'année dernière j'ai demandé le dépôt sur le bureau des dépenses qu'on se proposait de faire pour 1846 ; j'ai reconnu qu'on voulait dépenser 230,000 fr dans les anciennes maisons de détention. Ces dépenses n'ont servi qu'à corriger un peu le système actuel. Si M. le ministre avait compris les véritables intérêts du pays, après avoir présenté un projet de loi en 1844, il aurait dû en démontrer l'urgence à la chambre et demander un vote ; ce projet serait aujourd'hui voté.

Mous savons que M. le ministre ne peut pas ordonner à la chambre de l'occuper d'un projet de loi ; c'est ce que M. le ministre m'a déjà répondu. Cependant, quand le gouvernement veut que la chambre s'occupe d'un projet de loi, il a les moyens de l'obtenir ; il l'a prouvé en faisant voter naguère un projet de loi presque séance tenante par la chambre, et le lendemain par le sénat. S'il avait insisté sur l'urgence du projet d'organisation des prisons, il serait voté en ce moment. Mais je commence à croire qu'il n'avait pas grand intérêt à ce que cette discussion eût lieu, bien qu'il en eût fait ressortir l'urgence dans l'exposé des motifs ; c'est le désir d'établir une prison à Louvain qui a dominé toute cette question.

L'année dernière, je signalais à la chambre l'inconvénient qu'il y avait d'introduire dans le régime des prisons des religieux comme gardiens.

Je conviens que l'introduction des religieux dans les hôpitaux et dans les infirmeries des prisons est un bienfait. Je reconnais aussi qu'ils y ont rendu de grands services ; mais aussi je crois que ce sont les seuls services qu'ils soient capables de rendre. Vouloir les transformer en gardiens, c'est dénaturer leur caractère, c'est bouleverser la police et l'ordre qui doivent régner dans les prisons.

S'il n'y avait des religieux que dans les hôpitaux, si l'on ne voulait pas les transformer en gardiens, je crois que le nombre des religieux mis à la disposition du gouvernement serait suffisant, et que le gouvernement pourrait supprimer à ces établissements les subsides considérables qu'ils obtiennent aujourd'hui.

Quand il s'agit de secourir des malheureux, on ne marchande pas les moyens. Je ne critique donc pas le surcroît de dépenses résultant de l'introduction des religieux dans les hôpitaux, quoique les dépenses soient le quadruple de ce qu'elles étaient auparavant.

Mais quand des religieux on veut faire des gardiens, il s'agit là non plus de secourir des prisonniers, mais de les garder. On pourra me répondre que les religieux ont à rendre dans les prisons un autre service, | qu'ils réussiront dans la moralisation des détenus. M. le ministre de la justice me fait un signe affirmatif. Je crois donc que c'est son but. Eh bien, je dis que le but du ministre sera complétement manqué. Les religieux n'ont ni l'instruction, ni l'éducation nécessaires pour moraliser les détenus. (Interruption.) Sans doute l'instruction des détenus, en raison des classes de la société auxquelles ils appartiennent, n'exige pas des connaissances très étendues de la part de ceux qui en seraient chargés, Mais la population des prisons est une population corrompue ; et en lui tenant e langage qu'on tient avec succès auprès des habitants simples de la campagne, on n'obtient aucun résultat. Je dirai plus : on obtiendrait un résultat contraire.

J'en ai eu la preuve : j'ai entendu des religieux qui étaient dans une prison en qualité d'infirmiers, et qui faisaient aux prisonniers de la morale à leur manière.

Au lieu d'obtenir quelque résultat avantageux sous le rapport moral, ils ne provoquaient que des éclats de rire.

Ce fut à tel point que l'aumônier de la prison, homme instruit et capable, ayant l'expérience des prisons, a dû intervenir pour prier les frères de ne plus se mêler de faire aux détenus de la morale à leur manière. Quoi qu'il en soit, lorsque l'on aura introduit dans les prisons le nouveau système, on pourra y introduire des religieux, avec cette mission de moralisation, parce qu'alors on pourra parler de morale avec quelque espoir de succès à quelques hommes qui ne seront plus réunis aux plus mauvais.

Dans tous les cas je persiste à désirer qu'on ne transforme pas les religieux en gardiens. Qu'on leur donne, si l'on veut, une mission de moralisation ; mais pour cela les frères de Roulers et de Malines ne peuvent convenir. Il faut des hommes, instruits, ayant étudié le cœur humain, les passions des hommes, et pouvant y opposer des arguments à la portée des individus auxquels ils s'adressent.

Je vois dans les subsides accordés aux maisons où l'on forme les frères et les religieux destinés au service des prisons, un moyen indirect d'établir des corporations religieuses ; car savez-vous ce qu'a coûté à l'Etat chacun des religieux qui sont dans les prisons ? D'abord l'Etat a payé leur éducation ; chaque établissement reçoit un subside de 7,000 fr. ; et la population de chaque maison n'est, je crois, que de sept individus. Du moins, à Malines, leur nombre n'était pas plus considérable. Ainsi quand un religieux entre dans une prison, il a déjà coûté à l'Etat au-delà de 2,000 fr.

L'éducation qu'il a reçue lui permet d'être infirmier ; mais elle ne va pas au-delà.

Je dis donc que ce sont, en réalité, des subsides pour établir des maisons religieuses.

Je ne méconnais pas, je l'ai déjà dit, les services que peuvent rendre ; les religieux comme infirmiers. Mais vouloir les employer dans les prisons à tout autre service, à toute autre destination, c'est vouloir obtenir un résultat contraire au but qu'on se propose.

L'an dernier, dans la discussion des articles du budget de la justice, j'ai signalé à votre attention une irrégularité qui se commettait dans les dépenses. Certains employés recevaient, indépendamment de leur traitement, une indemnité de logement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'était très irrégulier.

M. Loos. - M. le ministre le reconnaît ; il s'est hâté de faire cesser cette irrégularité. et comment ?Il y avait quelques malheureux gardiens dont les appointements avaient été diminués, auxquels on avait accordé, sous la dénomination d'indemnité de logement, un véritable supplément de traitement qui en rétablissait le taux primitif, de manière à leur permettre d'exister. On leur a supprimé cette indemnité, ce qui équivaut à une véritable diminution d'appointements.

J'ai dit que M. le ministre de la justice avait reconnu cette irrégularité et l'avait fait cesser. Je dois ajouter que la cour des comptes avait rejeté la dépense. (Dénégations de la part de M. le ministre de la justice.)

Si elle n'a pas rejeté la dépense, elle aura fait des observations. (M. le ministre de la justice fait un signe affirmatif.)

Mais un employé qui avait une indemnité de logement de 400 francs, et qui n'y avait pas droit, puisqu'il logeait dans la prison, l'a perdue sans doute, mais l'a retrouvée sous la forme d'une augmentation de traitement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). – Il y a eu un arrêté général,

M. Loos. - Il y a eu, pour cet employé, une disposition spéciale du ministre.

Mais je dois ajouter qu'ici encore, M. le ministre a des préférences, C'est un employé, messieurs, qui a été constamment signalé à l'attention de M. le ministre comme ne remplissant que très imparfaitement ses fonctions. Mais cet employé est encore un de ces hommes, selon son cœur, qui a rendu des services à certaine opinion, et qui, à ce titre, a droit aux faveurs ministérielles. (Interruption.)

M. le ministre dit que c'est un excellent homme. J'ai dit et je crois que c'est un brave homme d'après vous...

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et un des bons fonctionnaires.

M. Loos. - Mais remplissant très imparfaitement ses fonctions. La prison dont il est le chef n'a jamais été plus mal tenue que depuis qu'il s'y trouve. La commission administrative des prisons qui surveille cette maison l'a constamment signalé à votre attention comme un mauvais employé.

Les faveurs, du reste, ne se sont pas arrêtées à des indemnités de logement.

Le prédécesseur de cet employé avait vainement réclamé auprès de M. le ministre de la justice, pour obtenir une augmentation de frais de bureau. La population de la maison ayant augmenté, les écritures de toute nature s'étant considérablement accrues par suite de diverses mesures qui avaient été prises par le département de la justice, le prédécesseur de l'employé actuel avait constamment réclamé une augmentation de personnel pour son bureau ; constamment cette demande a été rejetée.

Mais depuis que l'employé actuel se trouve en fonctions, déjà plus d'une augmentation a été accordée, et je vois encore au budget qui nous est présenté un crédit de 600 fr. pour frais de bureau. De sorte que cette demande qui ne pouvait être accordée avant l'arrivée de l'employé actuel, s'accorde aujourd'hui, non pas sur la demande du gouverneur de la province, non pas sur la demande de la commission administrative, mais s'accorde d'emblée et directement par M. le ministre de la justice.

Messieurs, j'ai à faire valoir encore quelques considérations à l'égard du budget de la justice. Mais je les réserverai pour la discussion des articles.

M. Delehaye. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans la discussion qui vient d'avoir lieu. Je comprends que chacun de vous, comme tout le pays, a dû être douloureusement affecté de voir que chaque fois qu'il s'agissait du budget du chef de la magistrature, son administration donne lieu à des attaques fondées, à des attaques qui doivent réellement faire peine à chacun de nous. Il est étonnant que élans un pays qui est connu par sa probité, par sa moralité, par la franchise de son caractère, ce soit précisément le chef de la magistrature qui donne lieu aux attaques les plus violentes et en même temps les plus fondées.

Messieurs, on vous a dit et plusieurs membres ont déjà appuyé sur cette considération, que le condamné Retsin n'était pas traité comme d'autres prisonniers. Je ne veux pas, messieurs, pousser la discussion plus loin. Mais je dirai que le gouvernement n'oserait pas traiter Retsin comme les autres prisonniers, parce que Retsin, d'un seul mot, pourrait le mettre à sa place. On vous a dit quels étaient les titres de Retsin à la bienveillance du gouvernement.

Quant à moi je connais ces titres, et un des membres de la droite les connaît comme moi. Retsin, pendant toute sa vie, n'a été qu'un des agents secrets du gouvernement, et lorsqu'un des membres les plus estimables de la droite s'est mis pour la première fois sur les rangs pour arriver à la chambre, c'était Retsin qui, au nom du gouverneur de la Flandre orientale, allait trouver les bourgmestres pour les engager à voter contre ce membre.

(page 501) Voilà, messieurs, les motifs pour lesquels Retsin est l'objet de la bienveillance du gouvernement, et pour lesquels on n'oserait pas le traiter comme les autres prisonniers.

Je sais très bien que M. le ministre de la justice peut nier le fait. Quel est donc le fait que M. le ministre de la justice n'ait pas nié jusqu'ici ? Mais si je voulais interpeller un membre de la chambre, dont le témoignage ne serait pas contesté par M. le ministre de la justice, il verrait que ce que je viens de dire est fondé.

Du reste, messieurs, je n'en dirai pas davantage à cet égard, parce qu'il m'en coûte de présenter au pays et à l'étranger des faits qui, quoique posés par le chef de la magistrature, sont de nature à faire rougir.

M. le ministre de la justice, en répondant à quelques interpellations de mon honorable ami, M. Verhaegen, vous a dit qu'en présentant son projet de loi relatif à l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain, il avait eu l'intention de nous communiquer le rapport de la cour d'appel de Bruxelles.

C'est encore une allégation que rien ne légitime. Car remarquez que je n'ai fait mon interpellation que quinze jours ou trois semaines après que le rapport vous était présenté, et si vous lisez le rapport du gouvernement, vous verrez qu'il était dans son intention de nous cacher la délibération de la cour d'appel de Bruxelles. Car si M. le ministre avait voulu nous communiquer cette délibération, il l'aurait fait dans des termes tout autres. Il nous a présenté des considérations qui prouvent à toute évidence qu'il voulait nous soustraire cette pièce.

En effet, messieurs, que dit-il ? Il dit, dans sa demande à l’appui de l’augmentation du personnel, que la cour d’appel est d’avis qu’il ne fait pas augmenter les heures d’audience. Mais la cour d’appel avait à statuer sur deux questions : la première, s'il fallait augmenter les heures d'audience, et la seconde, s'il fallait augmenter le personnel. Or la cour a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à augmenter ni les heures d'audience, ni le personnel.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il était entré dans les combinaisons du gouvernement, qu'il était entré dans les calculs de M. le ministre de ne pas nous soumettre le rapport de la cour d'appel ; que ce n'est que sur mon interpellation qu'il s'est décidé à nous le soumettre.

Messieurs, on vous a parlé d'un juge de paix qui avait obtenu sa nomination, parce que jusqu'à présent ses prédécesseurs avaient résidé à Gand, tandis que lui résidait dans le canton. Il s'agissait du juge de paix d'Herzeele.

Messieurs, ce juge de paix peut avoir promis de résider dans le canton ; mais ce que je puis affirmer, c'est que jusqu'à présent il n'y est pas domicilié.

Mais il est une autre considération qui devait s'opposer à cette nomination.

Le juge de paix actuel d'Herzeele, comme homme privé, est un homme digne de l'estime et de la sympathie générale, mais comme magistrat, comme homme appelé à rendre la justice, il est entièrement incapable. Le juge de paix d'Herzeele n'a pas la moindre idée du droit civil. Et remarquez que, si je tiens ce langage, c'est que j'ai appris le fait d'un homme qui a pu apprécier le mérite du juge de paix d'Herzeele, lorsqu'il remplissait les fonctions de juge suppléant.

Comme juge suppléant, il a fallu constamment que le juge de paix actuel s'abstînt. Et, messieurs, y a-t-il là rien d'étonnant ? C'est un homme très estimable, sous tous les rapports, c'était un négociant très recommandable, mais il n'a jamais fait la moindre étude du droit, il ne possède aucune connaissance en droit. Qu'est-ce qui lui a valu sa nomination ? Mais ne nous le dissimulons pas, c'est son dévouement électoral, son dévouement au ministère. On dit qu'il a été nommé parce qu'il avait rempli les fonctions de juge de paix comme suppléant. Mais il y a bien des juges suppléants qui avaient siégé en celle qualité depuis très longtemps et qui n'ont pas été nommés juges de paix lorsque cette place est devenue vacante. Je citerai, par exemple, le suppléant de la justice de paix de Waerschoot, qui était sous tous les rapports non moins recommandable que celui d'Herzeele. Eh bien, il n'a pas été nommé ; pourquoi ? Parce qu'il ne possédait pas les connaissances nécessaires pour remplir les fonctions de juge de paix.

Et, messieurs, j'ai pu un peu apprécier l'un et l'autre de ces fonctionnaires ; si je ne connais pas personnellement l'un d'eux, je le connais par les rapports d'une personne qui est parfaitement à même d'en juger, et je suis convaincu que le suppléant de Waerschool, que le gouvernement n'a pas voulu nommer, a beaucoup plus de connaissances que celui qui a été nommé à Herzeele, parce que le premier a rempli ses fonctions pendant un grand nombre d'années, tandis que l'autre ne les a jamais remplies.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, sur ce point ; mais j'ai la conviction intime que, dans presque tous ses actes, M. le ministre de la justice n'est guidé que par un seul ordre de considérations, par des considérations politiques. Je l'ai dit encore l'année dernière, je le répète aujourd'hui, et je crois l’avoir suffisamment démontré.

Ainsi, messieurs, en ce qui concerne Retsin, le gouvernement ne peut pas le traiter autrement qu'il le traite, et en ce qui concerne les nominations, M. le ministre de la justice ne se laisse guider que par des considérations politiques. Voilà ce que je crois avoir prouvé à la chambre.

L'objet principal pour lequel j'ai demandé la parole, c'est une interpellation que je dois adresser au gouvernement, et que je lui adresse d'autant plus volontiers que ceux qu'elle concerne ne sont pas, en général, des hommes très influents dans les élections. J'ai été chargé, messieurs, de vous faire rapport sur le projet de loi relatif à l'augmentation des traitements de la magistrature. J'ai proposé alors de ne rien statuer sur ce qui concernait les auditeurs militaires. Les auditeurs militaires s'étaient trouvés jusqu'alors dans la même position que les procureurs du roi dans les arrondissements où ils remplissaient leurs fonctions. Il a été entendu alors qu'il continuerait à en être de même.

Eh bien, messieurs, jusqu'à présent le gouvernement n'a rien fait pour mettre les auditeurs militaires dans la position où ils devraient se trouver, eux cependant qui joignent aux fonctions de procureur du roi les fonctions pénibles de juges d'instruction. Il est vrai que ce sont des hommes très peu à même de se livrer aux intrigues électorales et que la nature de leurs fonctions leur donne très peu d'influence sous ce rapport. Je conçois donc que le gouvernement, avec les dispositions que nous connaissons à M. le ministre de la justice, ne s'occupe pas beaucoup de ces fonctionnaires, qu'il n'ait pas pour eux une sympathie bien grande ; mais je lui demanderai cependant s'il compte nous présenter bientôt un projet de loi tendant à régulariser leur position et à mettre leur traitement en rapport avec l'importance des fonctions qu'ils exercent.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Delehaye, revenant encore sur l'affaire de Retsin, a dit que le gouvernement ne pouvait pas le traiter comme les autres prisonniers, attendu qu'il avait des révélations à craindre de la part de Retsin. Eh bien, messieurs, je déclare que le gouvernement n'a aucune espèce de révélation à craindre de la part de ce condamné. Jamais, à ma connaissance, Retsin n'a reçu du gouvernement aucune espèce de mission, aucun espèce de mandat ; et le gouvernement, je le répète, n'a rien à redouter de ce chef.

Du reste, messieurs, les faits parlent assez haut ; ils répondent ici suffisamment aux paroles de l'honorable M. Delehaye. J'ai dit que Retsin est traité à Turnhout avec plus de sévérité que ne le sont ordinairement les condamnes qui ont obtenu l'autorisation de subir une peine correctionnelle de plus de 6 mois dans une maison d'arrêt.

La décision relative à la pistole prise par M. le gouverneur d'Anvers est là pour confirmer ce que j'avance. La santé de Retsin a été compromise par le régime auquel il était assujetti. Des rapports ont été faits à cet égard, et c'est seulement lorsqu'il a été démontré que l'humanité réclamait certaines modifications à la sévérité du régime suivi à son égard, qu'un poêle a été placé dans la cellule qu'il occupe. Mais, je le répète, il est encore aujourd'hui traité plus sévèrement que ne le sont ordinairement les autres prisonniers de la même catégorie, auxquels la faveur de la pistole a été souvent accordée.

L'honorable M. Delehaye est revenu aussi sur les allégations de l'honorable M. Verhaegen en ce qui concerne l'exposé des motifs du projet de loi relatif à l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain.

Je me borne à rappeler que je ne conçois pas qu'on puisse me supposer l'intention de cacher le rapport de la cour d'appel, alors que j'indiquais moi-même ce rapport, qui devait nécessairement être produit dans la discussion. Je déclare de plus qu'au moment où l'honorable M. Delehaye a demandé l'impression du rapport dont il s'agit, les chiffres étaient préparés pour la publication des tableaux que je voulais faire imprimer avec ce rapport.

L'honorable membre a parlé de nouveau de la nomination du juge de paix d'Herzeele, et je suis heureux que dans cette circonstance l'honorable M. Delehaye ait reconnu que pour une autre justice de paix, au moins, j'avais bien fait de ne pas nommer un candidat qui avait antérieurement mal rempli ses fonctions.

M. Delehaye. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Qui n'aurait pas été à la hauteur de ses fonctions. Mais si j'ai bien fait à Waerschoot, j'ai également bien agi à Herzeele L'honorable membre pense que celui qui a été nommé est incapable, je ferai observer que le juge de paix qui a été nommé à Herzeele avait rempli pendant 11 ans ces fonctions comme juge suppléant, à Ninove et que j'avais reçu non seulement sur sa moralité mais aussi sur sa capacité les renseignements les plus flatteurs du juge de paix de Ninove, qui était plus à même que personne de l’apprécier. (Interruption.)

Je dis donc que les renseignements reçus sur le compte du juge de paix d'Herzeele lui étaient favorables, tant sous le rapport de la moralité que sous celui de la capacité ; je dis de plus que la circonstance que j'ai alléguée a été pour moi déterminante : c'est que le juge de paix qui serait nommé, habiterait d'une manière permanente la commune d'Herzeele.

Un mot, messieurs, sur les auditeurs militaires. L'honorable M. Delehaye m'a demandé si je songerais bientôt à faire améliorer la position des auditeurs militaires. Une proposition avait été faite en faveur de ces magistrats, lors de la discussion de la loi qui a augmenté les traitements des membres de l'ordre judiciaire ; je m'étais rallié à cette proposition qui a été rejetée par la chambre, et je ne pense pzs que ce soit après un intervalle d'un ou de deux ans qu'il soit possible de proposer à la chambre de revenir sur une semblable décision.

- La clôture est demandée.

M. Lys (contre la clôture). - Messieurs, si je suis forcé d'ajournés mes observations jusqu'à la discussion des articles, je serai nécessairement amené à provoquer une nouvelle discussion générale ; j'ai à parler des églises cathédrales, des séminaires, du déplacement des desservants ; des orateurs me répondront, et le débat pourra dès lors devenir plus ou moins long. C'est donc pour ménager le temps de la chambre, que je la prie de ne pas clore aujourd'hui la discussion générale.

- La clôture est mise aux voix par appel nominal. La chambre n'est plus en nombre.

La séance est levée à 5 heures.