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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 janvier 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétition relative à l’établissement de cours
obligatoires de flamand dans l’enseignement moyen, au défrichement des
bruyères (Rodenbach), à une pension militaire (de Garcia), au traitement des secrétaires communaux (Pirmez), au projet de société d’exportation linière (Rodenbach) et à une concession de chemin de fer (Rodenbach)
2) Projet de loi modifiant
le mode de nomination des juges de paix (Dubus (aîné))
3) Rapport sur une pétition
d’un ancien combattant de septembre demandant une pension militaire (Boine) (Biebuyck, Dumortier, Mercier, Rodenbach, Biebuyck)
4) Motion d’ordre relative
à l’établissement d’enseignement de Messines, pour les enfants pauvres de
militaires morts ou blessés (de Breyne, d’Anethan)
5) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour l’exercice 1847. Code pénal et
application de la peine de mort (Castiau, d’Anethan, Verhaegen), sûreté
de l’Etat, droit des étrangers, atteinte à la liberté de la presse, situation
sociale dans les Flandres (Verhaegen, d’Anethan), code pénal et application de la peine de mort
(de Mérode), gendarmerie, garde champêtres et maintien
de l’ordre dans les compagnes (de Tornaco, d’Anethan), clôture de la discussion (Van Cutsem, Verhaegen, Delfosse, de Garcia)
6) Fixation de l’ordre des
travaux de la chambre. Défrichement des bruyères TM (de
Theux, Delfosse, de Tornaco,
de Garcia, de Theux, de La Coste)
7) Motion d’ordre relative
au traitement des commissaires de police communaux (Dumortier)
8) Projet de loi portant le
budget du département de la justice pour 1847
9) Projet de loi relatif à
l’inaliénabilité des pensions des veuves et orphelins des officiers. Pensions
militaires
10) Projet de loi portant
création d’une nouvelle commune (Petithier)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 567) M. Huveners fait l'appel nominal à midi et un quart.
- La séance est ouverte.
M.
de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est
approuvée.
M. Huveners présente l'analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
«Plusieurs habitants
d'Ostende demandent que la loi sur l'enseignement moyen contienne une
disposition qui rende obligatoire pour toutes les classes l'enseignement dans
la langue parlée par la majorité des habitants de la province. »
- Renvoi à la section
centrale chargée de l'examen du projet de loi sur l'enseignement moyen.
« Plusieurs
administrateurs de Vry-Geweyd demandent qu'une disposition de la loi sur le
défrichement des terrains incultes les autorise à vendre cette bruyère au
profit des usagers. »
M.
Rodenbach. - Messieurs, j'ai déjà eu occasion d'entretenir la chambre d'un mémoire
sur le Vry-Geweyd. Le Vry-Geweyd, ou franche pâture, est situé dans la Flandre
occidentale. Ce Vry-Geweyd contient 338 hectares. Les usagers demandent
l'aliénation de ces 338 hectares, afin qu'on puisse donner de l'ouvrage aux
nombreux ouvriers qui sont sans travail dans les Flandres. Comme déjà un
rapport a été fait sur la loi de défrichement des terres dans la Campine, je
pense que la section centrale, comme commission spéciale, pourrait nous faire
un rapport sur cette pétition, avant la discussion du projet.
- Cette proposition est
adoptée.
« Le sieur E. Duvivier, ancien officier,
demande une augmentation de pension, n
M. de Garcia. - Messieurs, le
pétitionnaire est un ancien et brave militaire ; sa pension a été liquidée ;
mais il prétend qu'elle ne l'a pas été à son véritable taux. Je demande que la
commission soit invitée à faire un prompt rapport, afin que, s'il y a lieu,
justice soit rendue au pétitionnaire le plus tôt possible.
- La proposition de M. de
Garcia est adoptée. En conséquence la pétition est renvoyée à la commission des
pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs secrétaires communaux, dans le
canton de Seneffe, demandent une loi qui fixe le minimum du traitement de ces
fonctionnaires. »
M. Pirmez. - Messieurs, la chambre a déjà
invité la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur d'autres
pétitions de ce genre ; je demande que celle dont on vient de faire l'analyse
soit traitée de la même manière.
- La proposition de M.
Pirmez est adoptée.
________________
« La chambre de commerce et des fabriques de
Tournay demande que la Société d'exportation étende ses opérations à la
généralité des produits de la Belgique. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la formation d'une Société
d'exportation.
« L'administration communale de Ruddervoorde
demande que, dans la loi sur le défrichement des bruyères, on introduise une
disposition qui exige un certain temps d'habitation dans la commune, pour
participer au partage des biens communaux. »
M.
Rodenbach. - Messieurs, je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant
la discussion du projet de loi.
- Cette proposition est
adoptée.
« Plusieurs fabricants et négociants en
toiles, à Iseghem, demandent que la Société d'exportation ne puisse opérer sur
les marchés d'Europe, ni se livrer à la fabrication
« Même demande de
plusieurs habitants d'Ouckene, Ruymbeke, Lendelede, Lauwe, Aelbeke, Waereghem
et Moorseele. »
M.
Rodenbach. - Messieurs, plusieurs fabricants de toiles et des négociants d'Iseghem,
Ardoye, Ouckene et autres communes, demandent qu'on veuille examiner
attentivement leur opinion sur le projet de loi concernant l'exportation des
toiles.
Je crois que la section
centrale pourrait également faire un rapport sur les diverses pétitions ; car
il y en a 7 ou 8. Je demande, pour touts ces pétitions, un rapport avant la
discussion du projet de loi relatif à la création d'une société d'exportation.
- Cette proposition est
adoptée.
________________
« Le sieur Taylor prie la chambre d'autoriser
la remise au ministre de Belgique à Londres des pièces qui lui ont été soumises
par les sieurs Richards et Hayter, à l'occasion de sa demande de concession
d'une ligne de chemins de fer.
M.
Rodenbach. - Un honorable gentleman a été attaqué dans cette chambre. Il croit
avoir été lésé dans son honneur ; il demande à pouvoir se défendre devant les
tribunaux anglais, parce que, dit-il, il a été calomnié ; il demande
communication des pièces adressées contre lui à cette chambre et leur insertion
au Moniteur. Si ses allégations sont vraies, je crois qu'un homme d'honneur,
ancien membre du parlement, a droit à ce que sa demande soit accueillie. Je
l'approuve donc ; je demande en outre l'insertion de sa lettre dans le
Moniteur.
M. Delfosse. - Comme cette question est assez
grave, je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un
prompt rapport.
M.
Rodenbach. - Comme ce dont il s'agit est sans précédents, j'adhère à la proposition
de l'honorable M. Delfosse.
- Cette proposition est
adoptée.
________________
« Le sieur Ledocle fait hommage à la chambre
de 100 exemplaires d'un projet de défrichement et d'établissement de ferme
modèle dans le Luxembourg. »
- Distribution aux
membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
PROJET DE LOI MODIFIANT LE MODE DE NOMINATION DES JUGES DE PAIX
M. Dubus (aîné) dépose le rapport de la section
centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour but d'abroger la loi du 3
juillet 1834, relative à la nomination des juges de paix.
- La chambre ordonne
l'impression et la distribution de ce rapport.
RAPPORT SUR UNE PETITION
M. Biebuyck, rapporteur. - Par pétition du 10 octobre dernier,
plusieurs anciens membres du gouvernement provisoire, des sénateurs, des
généraux, des magistrats, des membres du conseil provincial du Brabant, des
membres du conseil communal de Jodoigne et un très grand nombre de
propriétaires prient la chambre de faire obtenir au major honoraire Boine, de
Jodoigne, le grade effectif de major et sa mise en disponibilité, avec le
traitement de ce grade.
A la séance du 18
décembre dernier, cette requête a été renvoyée à votre commission, avec demande
d'un prompt rapport.
Les nombreux et
honorables pétitionnaires fondent leur demande sur les services éminents rendus
par le major Boine à notre indépendance nationale, dès les premiers jours de
septembre 1830, avec courage, dévouement et aux dépens de sa fortune et de sa
santé.
Il conste, en effet,
messieurs, par les nombreux certificats, joints à la requête, que le major
Boine s'est conduit, dans les moments les plus dangereux et dès le commencement
de septembre 1830, avec un courage et une intrépidité tout extraordinaires, ne
reculant, dans aucune circonstance, ni devant les fatigues, ni devant les plus
graves dangers ;
Qu'il a fait
personnellement les plus grands sacrifices, pour subvenir aux besoins des
nombreux et vaillants volontaires de Jodoigne, qu'il commandait ;
Que ce n'est qu'après
tous les dangers et lorsque notre nationalité était assurée, qu'il s'est retiré
à ses occupations habituelles, sans rien réclamer soil pour ses avances, soil
pour ses services rendus au pays.
Mais
aujourd'hui, messieurs, par suite de ses infirmités, occasionnées presque
exclusivement par les fatigues dans l'intérêt du pays, le major Boine se trouve
dans l'impossibilité de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Par toutes ces raisons,
votre commission, messieurs, est convaincue qu'une juste et prompte récompense
est due au major Boine, que l'honneur national la réclame même en sa faveur ;
et à cette fin, elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M.
le ministre de la guerre.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens appuyer les
conclusions de la commission des pétitions. Il est connu que parmi les hommes
qui se sont signalés à l'époque des grandes journées de 1830, il en est peu qui
aient mieux mérité de la patrie que le pétitionnaire, M. le major Boine, Comme
vient de le dire M. le rapporteur, il était à la tête de ces braves volontaires
de Jodoigne dont le nom se trouvait dans toutes les bouches pour leurs actions
éclatantes de bravoure. Il était à leur tête et entretint à ses frais la
compagnie qu'il commandait ; jamais il n'a réclamé d'indemnité.
Depuis lors, messieurs,
le brave major Boine s'est trouvé dans une position très fâcheuse de santé,
précisément à cause des services qu'il avait rendus à la patrie.
Messieurs,
c'est une véritable récompense nationale que nous devons à cet honorable
citoyen ; et j'ajouterai une particularité à celles qu'on vous a citées, c'est
que non seulement le major Boine s'est distingué en 1830 à l'époque de la
révolution, mais en 1831 lorsque nos frontières furent envahies par un ennemi
perfide qui était entré chez nous sans même dénoncer l'armistice, le major,
oubliant son titre et son grade, est parti (page 568) comme
simple volontaire pour servir dans les journées de Bautersem et dans les autres
journées qui ont signalé cette campagne.
Vous le voyez donc,
messieurs, le major Boine est un homme pur et sans tache ; c'est un des hommes
les plus honorables de la révolution ; et il est de la dignité nationale de ne
pas laisser un pareil homme dans une position malheureuse.
J'appuie donc, messieurs,
de tous mes moyens, le rapport de la commission des pétitions.
M. Mercier. - Messieurs, les faits qui viennent d'être signales par
l'honorable rapporteur de la commission des pétitions m'étant connus, je ne
puis qu'appuyer la proposition qu'il vient de soumettre à la chambre.
Le major Boine a fait
preuve de patriotisme, de courage et surtout de désintéressement au moment de
la révolution.
J'appuie donc le renvoi
de la pétition à M. le ministre de la guerre avec la recommandation de bien
vouloir accorder au major Boine la position dont il est fait mention dans le
rapport.
M.
Rodenbach. - Je partage entièrement les sentiments que viennent d'exprimer
l'honorable M. Dumortier et l'honorable M. Mercier. Le major Boine est un ami
de la révolution. Nous le connaissons tous et nous ne pouvons assez le
recommander à M. le ministre de la même guerre.
M. Biebuyck, rapporteur. - Une autre pétition a été adressée
à la chambre par un ex-capitaine, nommé Reuss, et cette pétition a été renvoyée
également à la commission des pétitions pour être l'objet d'un prompt rapport.
Il avait même été décidé qu'il serait fait rapport en temps sur les deux
pétitions.
Messieurs, cette dernière
requête ne m'a été remise que lorsque celle du major Boine avait déjà été
examinée ; il m'a donc été impossible de la comprendre dans le rapport que je
viens d'avoir l'honneur de vous soumettre, mais la commission s'en occupera le
plus tôt possible et aussitôt qu'elle se sera réunie, je m'empresserai de vous
présenter le rapport.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR
L’EXERCICE 1847
M. de Breyne. - Messieurs,
clans la Flandre occidentale se trouve un établissement, érigé à la fin du
dernier siècle, sous le gouvernement autrichien. Cet établissement est destiné
à procurer l'éducation aux filles pauvres de militaires morts ou grièvement
blessés au service de l'Etat. Je n'ai rien à dire sur l'administration de cet
établissement, qui est sous la haute surveillance de M. le ministre de la
justice ; mais je sais pertinemment qu'un grand nombre de demandes d'admission
ont été faites depuis dix à onze mois et que jusqu'à présent aucune suite n'a
été donnée à ces demandes. Je prierai M. le ministre de la justice de nous
faire connaître les motifs pour lesquels il n'a pas été donné suite à ces
demandes, et je le prierai en même temps de bien vouloir faire droit à celles
d'entre elles qui sont fondées.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les renseignements de l'honorable M. de Breyne
sont complétement inexacts : les places qui ont été vacantes à l'établissement
de Messines, toutes ont été remplies dès que l'admission des personnes qui les
sollicitaient a pu régulièrement avoir lieu, c'est-à-dire après que les
renseignements m'ont été donnés par les différentes autorités et notamment par
le conseil administratif de l'établissement.
Il règne, messieurs, une
grande régularité dans l'administration de cet établissement, et les places
sont accordées aussitôt que possible.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR
L’EXERCICE 1847
Discussion des articles
Chapitre XI. - Frais
de police
Article
premier
M. le président. - La discussion est ouverte sur le
chapitre XI, Frais de police.
M. Castiau. - Nous voici arrivés, messieurs, à
l'un des derniers chapitres du budget de la justice, au chapitre de la police,
et, quoiqu'il arrive en dernier lieu, il n'en est ni le moins intéressant, ni
le moins utile. Quoique jusqu'ici cette matière ait passé sans discussion et
sans examen, je vous demanderai, messieurs, la permission de vous en signaler
toute l'importance et de vous montrer par quels liens elle se rattache aux
intérêts les plus graves de l'ordre public.
La police, messieurs,
n'est pas instituée seulement, comme on pourrait le croire en parcourant le
budget, pour signer et délivrer des ports d'armes et des passeports ; elle a
une mission bien autre, bien autrement utile, bien autrement importante.
Cette mission, c'est de
veiller à la sûreté publique, c'est de protéger les personnes et les
propriétés, c'est enfin de prévenir les crimes et surtout les crimes odieux
dont on vous parlait hier.
Me voici donc amené à
présenter à la chambre les observations qu'elle n'a pas voulu entendre dans la
séance d'hier. J'attends aujourd'hui de la justice, de la loyauté de la
chambre, qu'elle veuille m'entendre et me permettre d'examiner les étranges
théories pénales qui lui ont été présentées. Je prends l'engagement d'y
répondre, non par des phrases et des théories, mais par des faits et par des
chiffres.
Je suis de ceux qui
pensent, messieurs, que le meilleur système pénal n'est pas celui qui s'annonce
par l'appareil effrayant des supplices et qui procède par l'intimidation, mais
celui qui s'attache et qui parvient à prévenir les crimes. C'est donc à la
prévention des crimes que les efforts de la législation et du gouvernement
doivent tendre : là est la mission principale de tous les pouvoirs sociaux et
de la police.
La question pénale est
donc ici bien à sa place, et la chambre, qui a permis qu'on la traitât à
l'occasion d'un article auquel elle ne se rattachait pas, ne pourrait, sans
injustice, me refuser le droit de la traiter aujourd'hui qu'elle se rattache à
notre ordre du jour.
il doit être évident pour
tous, à l'exception toutefois du représentant de Nivelles auquel je veux
répondre, que si l'action de la justice était plus zélée, plus intelligente,
plus prévoyante, si on avait la certitude qu'aucun délit, qu'aucun crime ne
peut échapper à la répression, si toujours les coupables avaient devant les
yeux la main de la police prête à les saisir, ah ! croyez-le bien, le luxe et
la fréquence des supplices deviendraient de plus en plus inutiles, et les
délits et les crimes seraient tout à la fois et moins nombreux et moins graves.
Ce n'est pas là, je le
sais et je l'ai dit, l'opinion du représentant de Nivelles ; il pense, lui, au
contraire, que pour prévenir les crimes dont il a déroulé hier devant vous la
lamentable liste, il pense qu'il faut recourir à une sorte de terreur
judiciaire, à la violence et à la multiplicité des supplices. Vous l'avez
entendu, en effet, accuser l'indulgence du gouvernement ; il a vivement
critiqué l'usage de la seule prérogative royale qui puisse échapper à la
censure ; c'est à l'usage trop fréquent de cette prérogative qu'il faudrait
attribuer les attentats contre les personnes qu'il vous a dénoncés.
Les conséquences de ces
paroles contre lesquelles j'ai déjà protesté hier avec toute la chaleur de
l'indignation la plus légitime, c'est qu'il faudrait rayer le droit de grâce de
notre Constitution, le droit de grâce, ce beau, ce noble, qu'on me permette
l'expression, ce saint privilège du pouvoir exécutif.
Il faut donc, pour plaire
à M. de Mérode, qu'à l'avenir toutes les condamnations capitales, toutes sans
exception, soient exécutées. Avais-je tort de déclarer, dans la séance d'hier,
que, pour inaugurer la paternel système de M. de Mérode, il faudrait établir
l'échafaud en permanence dans le pays ?
Ces doctrines étranges,
incroyables, inouïes au dix-neuvième siècle, ces doctrines sont trop
effrayantes, trop dangereuses pour n'être pas frappées de nombreuses, d
unanimes protestations.
Elles ne sont pas
nouvelles, messieurs, ces désolantes doctrines ; elles datent de loin ; car
celle fois encore nous voici rejetés au milieu des institutions et des idées de
l'ancien régime. M. de Mérode n'a pas le mérite de l'invention, en venant vous
parler de rigueurs implacables et en vous présentant l'apologie des supplices.
Son manifeste, tout violent qu'il soit, n'est que la pâle reproduction des
opinions d'un écrivain qui jouit de quelque célébrité sur les bancs où est
assis mon adversaire, M. de Maistre.
M. de Maistre, lui aussi,
a présenté la plus éclatante apologie du supplice ; lui aussi, a réclamé
l'application fréquente de la peine de mort et il a été jusqu'à écrire cette
ligne effrayante : La hache du bourreau est la clef de voûte de l'édifice
social.
Ces doctrines peuvent
être des doctrines catholiques, mais je doute que ce soient des doctrines
chrétiennes, car les doctrines chrétiennes sont avant tout des doctrines
d'oubli, de pardon, de pitié, de miséricorde ; elles ont en horreur le sang de
quelque manière, dans quelque circonstance, par quelque main que le sang soit versé.
Sous l'impression que
m'avaient fait éprouver les paroles du député de Nivelles, je me suis servi
d'une expression énergique pour les caractériser ; j'ai dit que ses doctrines
étaient des doctrines meurtrières, que ses paroles « suaient le sang. »
II s'est révolté contre cette expression, et il s'est abrité derrière la loi
pour s'y soustraire. C'est la loi, dit-il, qui prononce ces condamnations
capitales, c'est donc à la loi que vous devez faire remonter vos reproches et
vos accusations.
Eh bien, messieurs, je ne
reculerai pas devant cette provocation, et j'irai où m'entraîne la logique de
mon adversaire.
Puisqu'il le veut,
j'appliquerai au code pénal de 1810 l'expression que j'appliquais aux paroles
du député de Nivelles. Je dirai du code pénal de 1810 ce que j'ai dit du
discours de M. de Mérode qu'il « sue le sang » ; et en vérité, quand
on jette les yeux sur le code pénal de 1810, quand on voit que la peine de mort
y est prononcée dans plus de 60 articles ; qu'elle y est prononcée presque à
chaque ligne, non seulement pour les crimes contre les personnes, mais encore
pour les crimes contre les propriétés, l'expression dont je me suis servi ne
semblera ni exagérée ni injuste.
Et certes, je ne suis ni
le premier, ni le seul qui se soit permis de présenter en termes aussi
énergiques la censure des dispositions implacables du code pénal de l'empire,
mais tous les criminalistes sans exception se sont élevés contre l'impitoyable
rigueur de ce code draconien. Il y a plus, messieurs, une autorité bien plus puissante
que la vôtre, l'autorité de la Constitution justifie mes paroles. Cette
autorité, je puis l'invoquer en ce moment pour flétrir le code draconien de
1810, car c'est la Constitution qui publiquement, solennellement, est venue
flétrir les rigueurs de cette loi de sang, en déclarant qu'une réforme pénale,
qui aurait dû être réalisée depuis 15 ans, débarrasserait la Belgique des lois
qui semblent un dernier legs de la barbarie des temps anciens.
L'expression justifiée,
je ne pousserai pas plus loin l'examen critique du code pénal de 1810 ; je ne
viendrai pas non plus examiner devant vous le grand et redoutable problème de
la peine de mort, car il faudrait des séances entières pour le traiter
convenablement, et je vous l'ai dit, messieurs, je ne veux enlever à votre
impatience que quelques minutes ; tout a été dit, du reste, sur cette question.
Que de pages ont été écrites, que de paroles éloquentes ont été employées pour
signaler les inconvénients (page 569)
et les dangers de cette peine et de sa trop fréquente application ! A quoi bon
y revenir ?
D'ailleurs, je veux
rester fidèle à ma promesse ; ainsi, ce ne sont pas des questions de théorie
que je veux agiter devant vous ; j'ai dit en commençant que je répondrais par
des faits et des chiffres aux assertions du député de Nivelles, et c'est cet
engagement que je viens tenir.
Selon M. de Mérode, si
les attentats contre les personnes se renouvellent aujourd'hui avec une
rapidité alarmante, c'est parce que la peine de mort serait tombée dans une
sorte de désuétude et qu'elle ne viendrait plus chaque jour épouvanter le
coupable. Eh bien, je viens donner un démenti, et le démenti le plus formel, à
cette assertion du député de Nivelles ; et si je parle de démenti, c'est que je
puis m'appuyer sur des documents officiels, sur des pièces émanant du ministère
de la justice. C'est dans l'analyse des comptes-rendus du département de la
justice que je trouve le démenti que j'ai cru avoir le droit d'opposer aux
allégations de M. de Mérode. Tout ce qu'il a supposé, tout ce qu'il a dit est
le contraire de la vérité.
L'essai de la suspension
de la peine de mort a été fait, vous le savez, dans le pays, à la suite de la
révolution de 1830. Pendant quatre ans il n'y a pas eu d'exécution capitale en
Belgique, et, à aucune époque, les attentats contre les personnes n'ont été
aussi rares dans ce pays.
Pour convaincre les plus
incrédules, permettez-moi de mettre sous vos yeux deux pages seulement de cette
analyse des comptes de la justice criminelle de 1836 à 1839).
« Pendant la période de 5
ans, de 1830 à 1834, il n'y a pas eu d'exécution capitale en Belgique. Un
condamné pour assassinat a été guillotiné à Courtray, le 9 février 1835 ;
quelque temps après, une seconde exécution a eu lieu à Audenarde. Pendant la
période de 1830 à 1839, sur 38 condamnations capitales prononcées, deux
seulement ont été exécutées.
« On se rappelle
que, lorsqu'il fut question de relever l'échafaud, on allégua, pour justifier
cette mesure extrême, le nombre croissant des grands crimes, de l'impérieuse
nécessité de faire ce qu'on appelait un exemple. Nous avons voulu vérifier si
effectivement le nombre des crimes capitaux s'était accru pendant la période de
suspension de la peine de mort, et si, depuis son rétablissement de fait, il y
avait eu réduction dans le nombre des grands coupables. A cet effet, nous avons
dressé le tableau suivant, qui indique le nombre des condamnations capitales
prononcées contradictoirement et par contumace, en Belgique, depuis l'an IV
(1796) jusqu'en 1839 inclusivement. (Voir l’analyse des comptes de la justice
criminelle de 1826 à 1839, page 24)
«Si nous partageons la
période de 40 ans, de 1800 à 1839, en huit périodes successives de 5 années
chacune, nous aurons pour la
« Première période
(1800 à 1804), 353 condamnations ; moyenne annuelle 70.6 ;
« Deuxième période
(1805 à 1809), 152 condamnations ;
moyenne annuelle 30.4 ;
« Troisième période
(1810 à 1814), 115 condamnations ;
moyenne annuelle 22.6 ;
« Quatrième période
(1815 à 1819), 71 condamnations ;
moyenne annuelle 14.2 ;
« Cinquième période
(1820 à 1824), 61 condamnations ; moyenne annuelle 12.2 ;
« Sixième période
(1825 à 1829), 74 condamnations ; moyenne annuelle 14.8 ;
« Septième période
(1830 à 1834), 64 condamnations ; moyenne annuelle 12.8 ;
« Huitième période
(1835 à 1839), 80 condamnations ; moyenne annuelle 16.
« Dans 7 provinces
seulement, celles d'Anvers, de Brabant, des deux Flandres, de Hainaut, de Liège
et de Namur, pendant la période de 19 ans, de 1790 à 1814, il y a eu 531
exécutions capitales. C'est aussi la période qui a fourni le plus grand nombre
de grands crimes.
« Pendant la période
subséquente, de 1815 à 1829 (15 ans), le nombre des exécutions a été réduit à
71. Le nombre des grands crimes a subi une diminution correspondante.
« Pendant la période de
1830 à 1834,1e supplice capital a été suspendu, et le nombre des grands crimes,
loin d'augmenter, a, au contraire, subi une certaine réduction lorsqu'on le
compare au chiffre des cinq années précédentes.
« Enfin, pendant la
dernière période, de 1835 à 1859, on a cru devoir recourir de nouveau aux
exécutions, et le nombre des offenses capitales a repris sa marche ascendante.
« Dans la
comparaison qui précède, nous avons réuni toutes les condamnations capitales ;
mais si l'on borne cette comparaison aux crimes les plus graves, l’assassinat,
le parricide, l’empoisonnement, les seuls contre lesquels on invoque encore le
maintien de la peine de mort, la conséquence à tirer de l'abolition du fait du
supplice capital en Belgique sera bien plus remarquable : à mesure que les
exécutions ont été moins fréquentes, les assassinats, les empoisonnements, les
parricides sont devenus moins fréquents, et ils ont diminué dans une proportion
de cinquante pour cent sous l'empire de la suspension de la peine de mort. Ce
fait décisif ressort à l'évidence du tableau suivant, dans lequel nous avons
classé par périodes successives de 5 ans, les exécutions qui ont eu lieu et les
condamnations pour les crimes les plus graves, qui ont été prononcées en
Belgique depuis 1800 jusqu'en 1839 inclusivement.
« Première période
(1800 à 1804), exécutions, 235 ;
condamnés pour assassinat, empoisonnement et parricide, 150 ;
« Deuxième période
(1805 à 1809), exécutions,
88 ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 82 ;
« Troisième période
(1810 à 1814), exécutions,
71 ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 64 ;
« Quatrième
période (1815 à 1819), exécutions,
26 ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 42 ;
« Cinquième
période (1820 à 1824), exécutions, 23 ;
condamnés pour assassinat, empoisonnement et parricide, 38 ;
« Sixième période
(1825 à 1829), exécutions,
22 ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 34 ;
« Septième période
(1830 à 1834), exécutions,
aucune ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 22 ;
« Huitième
période (1835 à 1839), exécutions,
4 ; condamnés pour assassinat,
empoisonnement et parricide, 31 ;
« Certes, nous
n'entendons pas attribuer ce résultat remarquable à la suspension du supplice
capital pendant la période de 1830 à 1834. La diminution des crimes capitaux,
et particulièrement des attentats prémédités contre la vie des personnes, qui
se fait remarquer depuis le commencement du siècle, doit être surtout attribuée
à l'action plus régulière des lois, à la difficulté chaque année plus grande
d'échapper aux recherches de la justice, et aux progrès de la civilisation. La
rareté des exécutions, leur suspension momentanée, n'ont pu agir à cet égard
qu'indirectement, en enseignant au peuple le respect de la vie humaine, et en
le sevrant de ces spectacles sanglants bien plus propres à l'endurcir et à lui
inspirer des idées de vengeance qu'à adoucir ses mœurs et à lui enseigner le
pardon des injures.
« Quoi qu'il en soit,
l'expérience faite pendant les premières années de la révolution, malgré le
désordre et l'effervescence inséparables de tout bouleversement politique,
prouve, nous semble-t-il, à l'évidence que le temps est vertu de mitiger la
rigueur excessive de nos lois pénales et de substituer aux châtiments, legs des
anciens temps, des peines mieux appropriées à nos mœurs et à notre
civilisation. Aujourd'hui l'omnipotence du jury, la modération des juges,
l'exercice de la prérogative royale viennent en aide au principe de justice et
d'humanité ; pourquoi ne ferait-on pas passser ce principe dans le Code ? Il y
a plus d'un inconvénient à perpétuer ce conflit entre la loi et la conscience
publique : l'action de la justice s'énerve, l'arbitraire se substitue à la
règle, l'égalité disparaît dans l'application des peines, les épreuves
judiciaires deviennent des espèces de loteries où le coupable se prévaut des
chances plus ou moins favorables que lui offre l'antagonisme entre la
législation et ceux qui ont mission de l'appliquer. »
Ce sont bien là,
messieurs, il faut en convenir, des faits et des chiffres ; et qu'opposer à
l'éloquence des faits, à la puissance des chiffres ?
Depuis l'avènement de M.
le ministre de la justice actuel, on est entré dans une autre ère, ère de
sévérité et de rigueur ; en vérité, je ne puis comprendre les reproches que lui
adresse M. de Mérode. Il semble, au contraire, que M. le ministre ait pressenti
les sympathies de M. de Mérode pour les supplices et que d'avance il ait voulu
les satisfaire.
L'échafaud a été
réhabilité et les exécutions ont recommencé avec une nouvelle activité. Elles
ont été plus nombreuses sous le ministère de M. d'Anethan que sous tous ses
prédécesseurs. Je regrette de ne pouvoir vous en donner le chiffre bien exact,
et si j'osais, je prierais M. le ministre de venir en aide à ma mémoire.
Voudrait-il bien m'indiquer le chiffre des exécutions capitales qui ont eu lieu
depuis son entrée au ministère... ?
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'ai plus le tableau sous les yeux ; je l'avais hier ;
je pense qu'il y a eu sept ou huit exécutions.
M. Castiau. - Je crois pouvoir affirmer de
nouveau que les exécutions ont été plus nombreuses pendant les quatre années du
ministère de M. d'Anethan qu'elles ne l'avaient été pendant les douze années
précédentes.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est vrai.
M. Castiau. - C'est tout ce que j'avais intérêt
à constater. Désormais donc il ne peut exister de doute sur ce point.
Les exécutions, depuis
quatre ans, ont été trois ou quatre fois plus nombreuses qu'elles ne l'étaient
avant l'avénement de M. d'Anethan, et même elles ont eu lieu pour des crimes
contre les propriétés. Eh bien, quel a été le résultat de cette application
plus fréquente et, on peut le dire, exagérée de la pene de mort ? Ecoutez M. de
Mérode, jamais les crimes n'auraient été plus nombreux et plus odieux, et, s'il
fallait l'en croire, il n'y aurait plus de peine pour les assassinats dans ce
pays.
Que devrait-il conclure
de ce redoublement des crimes, que devrait-il (page 570) en conclure dans son système et avec ses idées ? Que la
peine de mort a perdu son efficacité, que l'échafaud a perdu son prestige, que
le supplice capital n'a plus rien d'effrayant et qu'il est bien temps d'en
revenir au luxe des pénalités anciennes. Alors, vous le savez, on ne se
contentait pas de la simple privation de la vie ; il fallait des supplices qui,
suivant l'expression d'un écrivain catholique, fissent sentir la mort. C'est
alors qu'on vit apparaître successivement les tortures, les bûchers, la roue,
le plomb fondu, l'écartèlement et toutes ces horribles inventions qu'on
croirait vomies par l'enfer pour le malheur et la honte de l'humanité.
Et croyez-vous,
messieurs, qu'en ressuscitant toutes ces horreurs on atteindrait le but que se
propose M. de Mérode ? Croyez-vous que le crime disparaîtrait de la terre et
que nous verrions renaître les mœurs pures de l'âge d'or en faisant reparaître
les tueries de l'ancien régime ?
Mais ces supplices
atroces, on en a fait l’expérience. On l'a faite pendant des siècles.
Qu'ont-ils produit ? Des attentats plus nombreux et des crimes plus atroces.
Oui, messieurs, il est un fait attesté par l'expérience de tous les temps et de
tous les lieux, c'est que toujours les crimes ont suivi la progression des
peines, et que plus les peines étaient cruelles et plus les forfaits révélaient
de férocité !
Que ferait donc le député
de Nivelles, après s'être convaincu, par l'essai qu'on en ferait, de
l'efficacité de ce nouveau système de rigueurs salutaires ?
Il ne lui resterait plus
alors qu'à attaquer nos institutions judiciaires, celle du jury, par exemple ;
et, en consultant mes souvenirs, je ne sais trop s'il en serait au début de ses
attaques contre cette institution. Il viendrait donc, poussé par le zèle
malencontreux qui a dicté le manifeste qu'il est venu nous dire, déblatérer
contre cette institution, accuser l'indulgence des jurys, les rendre responsables
de tous les désordres et de tous les crimes, et demander la suppression d'une
institution qui est la plus puissante garantie de nos droits.
Heureusement, messieurs,
que de telles attaques viendront toujours se briser contre la puissance de nos
institutions et que cette voix sépulcrale, qui semble sortir du milieu des
ruines du passé, pour maudire la civilisation moderne et ses plus nobles
conquêtes, se perdra dans le vide si elle n'est pas étouffée par le cri d'une
désapprobation universelle.
Non, messieurs, non, la
cause des crimes, ce n'est ni l'indulgence du jury ni le peu de fréquence des
exécutions capitales.
La cause des crimes les
plus odieux, on l'a répété cent fois, c'est d'abord la corruption qui règne
dans nos prisons transformées en écoles d'enseignement mutuel pour le crime.
C'est ensuite la misère ; c'est la faim, cette mauvaise conseillère, dont les
excitations sont souvent irrésistibles ; c'est la profonde démoralisation ;
c'est l'ignorance dans lesquelles la société, mère imprévoyante, laisse croupir
tant de ses malheureux enfants. Et ce n'est pas en versant le sang que vous
parviendrez à faire disparaître toutes ces misères et à effacer toutes ces
souillures !
Quand nous protestons
donc contre les doctrines de M. de Mérode, quand nous nous élevons contre la
rigueur et la fréquence des supplices, croyez-le bien, messieurs, ce n'est pas
pour venir faire ici de la sensiblerie, pour me servir d'une expression qui a
dû m'étonner dans la bouche de l'orateur qui l'a employée. Car, si je ne me
trompe, c'est précisément sous son ministère qu'a été tentée l'application de
la suppression de la peine de mort. Non ; comme lui, comme tous les membres de
cette assemblée, nous réservons notre indignation et notre horreur pour les
crimes et pour les criminels ; nous croyons que le lâche assassin est indigne
de pitié. Mais, si nous nous élevons contre la fréquence du supplice capital,
c'est parce que nous n'avons pas foi dans l'efficacité de la peine de mort ;
c'est parce que cette peine ne prévient rien et ne répare rien ; c'est qu'elle
démoralise les populations en les accoutumant à la vue du sang humain ; c'est
qu'elle apprend à tuer ; c'est surtout parce qu'elle est irréparable, qu'elle
tue sans distinction, et qu'il ne lui est arrivé que trop souvent de tuer des
innocents.
Pour vous en convaincre,
je ne viendrai pas dérouler devant vous les annales de la justice criminelle et
les innombrables erreurs judiciaires qui s'y trouvent inscrites en lettres de
sang. Je me contenterai d'invoquer vos souvenirs et de vous rappeler ce qui
s'est passé dans ce pays il y a trois ans à peine.
Trois malheureux avaient
été condamnés à mort pour crime d'assassinat. Leur culpabilité semblait
évidente, et la justice n'avait pas hésité. Eh bien, ils étaient innocents ! Leur
innocence a depuis été solennellement reconnue et, en expiation de cette fatale
erreur, vous avez porté à votre budget des recours pour les arracher à la
misère.
Que serait-ce, messieurs,
si après leur condamnation et pendant que ces malheureux innocents avaient la
tête sur le billot, en quelque sorte, que serait-ce si un discours provocateur
comme celui de M. de Mérode avait été prononcé dans cette enceinte et avait
fait tomber la hache ? Vous eussiez eu à constater trois nouveaux assassinats
juridiques et M. de Mérode aurait eu à pleurer, à pleurer en larmes de sang, si
je puis m'exprimer ainsi, le grand, l'irréparable, l'immense malheur dont ses
imprudentes excitations auraient été la cause.
Je m'arrête, messieurs,
devant de telles éventualités. J'en ai dit assez pour étouffer, j'espère, le
retentissement du discours de M. de Mérode et arrêter les sanglantes
conséquences qui auraient pu en sortir. Peut-être même eussé-je mieux fait de
n'en pas parler et de laisser à la conscience publique le soin d'en faire
justice.
Oui,
en terminant, j'ai quelque regret de n'avoir pas suivi un exemple qui m'était
donné et que je ne puis m'empêcher de révéler en ce moment puisqu'il touche à
l'objet en discussion. Une pétition vient d'être adressée à la chambre par des
hommes dont on ne sait trop comment désigner les redoutables fonctions, par les
exécuteurs des hautes œuvres enfin. Savez-vous ce que demandait cette pétition
? Une augmentation de traitement. C'est la demande à l'ordre du jour, on le
sait. Cette pétition, on n'a pas cru devoir vous la soumettre jusqu'ici. Un
sentiment de pudeur l'a fait écarter. J'aurais pu, j'aurais dû en faire autant
du discours de M. de Mérode ; j'aurais dû me contenter de jeter un voile sur ce
malheureux discours. En effet, en consultant les dates, en voyant la
coïncidence entre le discours du représentant de Nivelles et l'envoi de la
pétition des exécuteurs des hautes œuvres en augmentation de traitement, il
s'en trouvera qui supposeront que le discours n'est que l'apostille de la pétition.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable comte de Mérode, dans la séance
d'hier, a cru devoir faire un reproche au gouvernement, à cause des grâces trop
nombreuses, selon lui, qu'il accordait aux condamnés à mort. Je crois ce
reproche peu fondé, tout en appréciant les motifs qui ont engagé l'honorable
membre à me l'adresser. L'honorable comte de Mérode a pensé que les crimes se
multiplieraient moins, si les exécutions étaient plus fréquentes.
L'honorable membre s'est
préoccupé des intérêts de la sécurité publique. Il les a crus menacés par une
trop grande indulgence, mais ce n'est point le désir de voir dresser des
échafauds ou de voir des exécutions sanglantes qui lui a fait élever la voix. L'honorable
membre pense que l'indulgence fait de nouvelles victimes ; voilà ce qu'il a
voulu empêcher, voilà la portée de ses paroles ; elles ont été bien mal
interprétées dans les discours que vous avez entendus hier, et dans celui que
vous venez d'entendre aujourd'hui. Si mon honorable ami, M. de Mérode, était
ici, il protesterait contre l'interprétation donnée à son discours. La pensée
qui l'a guidé, peut-elle d'ailleurs être douteuse, quand on connaît les
sentiments de charité et d'humanité qui distinguent si éminemment l'honorable
comte de Mérode ?
L'honorable M. Castiau a
semblé croire que les fonds du chapitre en discussion étaient principalement
destinés à donner au gouvernement les moyens de prévenir les crimes et délits.
L'honorable membre vous a dit en effet que ces fonds n'étaient pas seulement
alloués pour délivrer des passeports et des feuilles de route, etc. Voyons
quelle est la destination de ces fonds.
Ils doivent être avant
tout employés à la police politique, c'est leur destination spéciale.
Quant aux crimes et
délits ordinaires, les prévenir ou les réprimer, c'est la mission de la police
administrative et de la police judiciaire attribuée aux corps administratifs et
aux corps judiciaires ; l'administration de la sûreté publique a principalement
à s'occuper des mesures qui concernent l'intérêt de la sûreté de l'Etat. Eh !
serait-il possible, avec 48,000 francs (car les fonds secrets ne s'élèvent pas
à une somme plus considérable) d'arriver au résultat heureux que désire, mais
que ne peut guère espérer l'honorable M. Castiau ?
L'honorable membre a
signalé diverses causes des crimes nombreux, des crimes graves qui ont affligé
le pays depuis quelque temps. Il les a attribués à la misère. On ne peut se
dissimuler que la misère provenant du manque de récolte et du manque de
travail, a augmenté non pas le nombre de crimes, mais le nombre de délits, de
délits au moins d'une certaine espèce,
des vols de récoltes, des maraudages, des délits de mendicité plus
nombreux ont élé commis ; mais il n'y a pas de grands crimes qu'on puisse
attribuer à la misère. Les rapports que j'ai reçus à cet égard me permettent de
dire que ce n'est point par les populations les plus pauvres et les plus
malheureuses qu'ont été commis les grands crimes dont on vous a parlé.
Ces crimes qui ont
répandu la consternation dans les localités qui en ont été le théâtre ont été
en grande partie commis par des repris de justice dont plusieurs avaient médité
dans les prisons les forfaits dont ils se sont souillés plus tard.
Ce n'est point la misère,
mais la cupidité jointe aux sentiments les plus pervers qui a dirigé la main
des nombreux assassins.
L'honorable M. Castiau a
donc raison de dire que l'augmentation ou plutôt l'atrocité des crimes, car je
doute qu'il y ait augmentation, doit être attribuée à la démoralisation. Aussi,
tous les efforts du gouvernement tendent à faire cesser les causes de cette
démoralisation. A cette fin le gouvernement s'efforce de répandre partout, non
seulement l'instruction intellectuelle, morale et religieuse, mais encore
l'instruction professionnelle. Partout il offre son concours pour créer des
ateliers modèles, des écoles d'apprentissage, des écoles de réforme, où
puissent s’instruire et se former des ouvriers probes et intelligents. C'est le
moyen le plus efficace pour parvenir a faire cesser, ou tout au moins à
diminuer une des causes des crimes et délits qu'a justement signalée
l'honorable M. Castiau.
L'honorable membre a
sévèrement qualifié le Code pénal de 1810 ; il a dit que c'était un Code
draconien, que depuis longtemps ce Code aurait dû disparaître, que c'était une
des promesses de la Constitution. En effet, aux termes de l'article 139 de la
Constitution, les Codes doivent être revisés ; aussi en exécution de cette
promesse, un projet de loi modifiant le Code pénal, a-t-il été présenté, en
1834.
Je suis le premier à
reconnaître, avec l'honorable M. Castiau, que le code de 1810 commine beaucoup
trop souvent la peine de mort. Je suis persuadé que, dans le Code révisé, la
peine de mort disparaîtra dans un grand nombre d'articles. Je contribuerai,
autant qu'il est en moi, à ce résultat.
Mais je ne suis plus
d'accord avec l'honorable M. Castiau, lorsqu’il pense que la peine de mort doit
être supprimée totalement. Ce n'est pas, (page
571) au reste, le moment, comme l'a dit l'honorable M. Castiau lui-même, de
discuter cette grave question.
Je crois pourtant devoir
faire quelques observations sur l'opinion émise par l'honorable membre que les
crimes sont moins fréquents, quand la peine de mort n'est pas appliquée. Pour
arriver à cette conclusion avec quelque certitude, avec la certitude au moins
qu'on peut obtenir par la statistique, il faudrait pouvoir opérer sur une très
longue série d'années.
L’honorable membre s'est
borné aux années 1831 à 1834, époque pendant laquelle la peine de mort n'a pas
été exécutée ; pendant ce temps il y a eu peut-être moins de crimes qu'il n'y
en a eu depuis qu'on a de nouveau exécuté la peine de mort. Mais il y aurait
d'abord à rechercher s'il n'y a pas eu de causes spéciales de diminution
pendant ces années ; ensuite n'est-il pas probable que les crimes plus nombreux
qui ont été commis plus tard ont été la conséquence de l'indulgence qui a régné
pendant ces 4 années ? N'est-il pas vrai, comme l'a dit l'honorable M. de
Mérode, qui en a cité un exemple que je connaissais, n'est-il pas vrai que
beaucoup d'individus ont cru que la peine de mort n'était plus appliquée en
Belgique, et ont déclaré à leur dernier moment que s'ils avaient cru qu'elle
fut encore appliquée, ils se seraient abstenus de commettre le crime qu'ils
allaient expier ?
L'examen de ces questions
exige de nombreuses recherches et des observations approfondies.
La peine de mort, d'après
moi (comme je l'ai dit tout à l'heure), doit être maintenue, mais appliquée
rarement. Il faut l'appliquer seulement lorsque le crime est tel qu'aucune
circonstance atténuante quelconque ne se révèle. Il faut seulement l'appliquer
lorsqu'il y a toute certitude, autant du moins qu'on peut l'obtenir, de la
culpabilité du condamné. Jamais je ne proposerai le rejet d'une demande en
grâce, alors qu'il ne me sera pas démontré, en quelque sorte physiquement, que
l'individu est coupable.
L'honorable M. Castiau a
cru pourtant devoir me faire un reproche d'avoir permis plus d'exécutions
pendant mon ministère qu'il n'y en a eu sous les ministères précédents.
Messieurs,
c'est sans doute un devoir pénible à remplir que de concourir à l'application
de la peine de mort ; mais, quand il s'agit de devoir, il faut, quelque pénible
qu'il soit, avoir le courage et la force de le remplir.
Les crimes en raison
desquels la peine de mort a été appliquée étaient tellement atroces, les
individus qui les avaient commis avaient des antécédents tels que, de l'avis de
toutes les personnes consultés, il y avait lieu de laisser à la justice son
libre cours.
J'ai rempli un devoir
pénible ; mais je crois au moins avoir rendu un véritable service à la société.
M. Verhaegen. - Messieurs, cette fois je suis
d'accord avec M. le ministre de la justice, sur certains points de la
discussion. Je dirai, avec lui, que le reproche de trop grande indulgence que
lui adressait, dans la séance d'hier, l'honorable comte de Mérode, était un
reproche immérité, imprudent même ; et c'était pour protester contre les
paroles de l'honorable membre que je m'étais fait inscrire.
Jamais je ne demanderai
au ministère compte de l'exercice du droit de grâce, que je considère, moi
aussi, comme une des véritables, comme une des plus belles prérogatives de la
couronne. Mais je lui demanderai compte des moyens qu'il emploie pour prévenir
les crimes et délits.
Si, comme on vous l'a
dit, le code pénal de 1810 sur le sang, s'il est nécessaire (et M. le ministre
de la justice est à cet égard d'accord avec l'honorable M. Castiau) de reformer
le système pénal au point de vue de la peine capitale surtout, je dois dire
cependant sur cette question mon opinion tout entière : j'ai toujours pensé et
je pense encore aujourd'hui que, dans certaines circonstances et pour certains
cas, la peine de mort doit rester inscrite dans les lois. Mais je pense aussi
qu'il faut appliquer cette peine avec grande modération, avec grande sagesse.
Quant à moi, messieurs, je ne me permettrai jamais, je le répète, de venir
critiquer l'exercice du droit de grâce, jamais je n'adresserai au gouvernement
le reproche d'avoir agi avec trop d'indulgence.
Messieurs, les paroles de
l'honorable comte de Mérode, dont je ne veux pas d'ailleurs incriminer les
intentions...
M. de
Mérode. - Vous avez
bien de la bonté.
M. Verhaegen. - Je crois n'avoir rien dit jusqu'à
présent qui pût vous être désagréable.
Les paroles de
l'honorable comte de Mérode étaient graves ; elles étaient graves surtout dans un
moment où les cachots des condamnés à mort dans la prison de Bruxelles sont
encombrés. Elles étaient graves, parce qu'elles étaient de nature, a raison du
banc dont elles parlaient, à faire impression sur l'esprit du ministre et, par
cela même, elles attiraient sur celui qui les avait prononcées une énorme
responsabilité ; car le premier qui à la suite de cette provocation à la
sévérité sortirait du cachot des condamnés à mort pour porter sa tête sur
l'échafaud pourrait être un innocent, une victime de l'erreur judiciaire, comme
l'ont été les malheureux Bonne père et fils ; et à quels remords l'honorable M.
de Mérode ne serait-il pas en butte, alors que cette erreur viendrait à être
constatée ?
M. de
Brouckere. - Pas le moins du monde, la responsabilité est pour ceux qui assassinent
!
M. Verhaegen. - Pour nier cette responsabilité toute morale, il est vrai,
il faut se faire illusion ; si à la suite des paroles imprudentes de M. de
Mérode, une exécution à mort avait lieu, il n'aurait plus une minute de repos,
j'en suis convaincu.
M. de
Mérode.- Je demande la
parole.
M. Verhaegen. - Loin d'adresser au gouvernement
des reproches, quant à l'exercice du droit de grâce, pour mon compte, je
l'engage à en faire usage le plus souvent que possible.
Mais, messieurs, ce dont
j'ai le droit de demander compte au gouvernement, c'est des moyens qu'il met en
œuvre pour prévenir les crimes.
Parmi les moyens qu'il a
à sa disposition il en est deux principaux.
La police, on vous l'a
dit, et c'est le moment de nous en occuper, a pour mission toute spéciale de
prévenir par son zèle, sa prudence et son activité les crimes, les délits, les
contraventions. Et bien ! je dois le dire, dans plusieurs villes, la police est
insuffisante et dans presque toutes les communes elle est nulle. C'est
notamment au défaut de police dans les communes que l'honorable comte de Mérode
peut assigner les crimes qu'il a signalés et qui, à nous comme à lui, font
horreur.
Dans certaines villes la
police s'occupe de choses qui sortent de sa mission, et quant aux choses
essentielles à la sûreté des citoyens, elle ne s'en occupe pas.
La police, dans certaines
villes, s'occupe de choses dont elle ne doit pas s'occuper. En effet,
messieurs, dans plus d'une circonstance, nous avons vu, de la part de la
police, des atteintes à la liberté individuelle, des atteintes à la liberté de
la presse.
Ce n'est pas, messieurs,
à la légère que je me suis décidé à formuler cette accusation. Pendant
plusieurs années j'ai laissé passer inaperçu le chapitre de la police ; ce
n'est que lorsque j'ai acquis, sur les faits dont je vais vous entretenir, une
conviction profonde, que je me suis décidé à en parler enfin cette année.
Si je pouvais, messieurs,
faire ici un appel à tous les parquets du royaume, je demanderais aux chefs de
ces parquets, combien de fois ils ont reçu des ordres d'expulsion de la part de
l'administrateur de la sûreté publique, qui n'étaient pas même appuyés
d'arrêtés royaux ?
Savez-vous, messieurs,
comment on agit ? On invoque les lois surannées sur les passeports, et en vertu
d'un simple ordre de la police, on expulse des individus qui se trouvent sur le
territoire belge depuis plusieurs années.
Entre plusieurs faits, je
vais en citer un, appuyé de pièces authentiques.
Il y avait à Anvers, en
1845, une jeune Anglaise qui habitait la ville depuis six ans ; elle y avait
une maison, y payait ses contributions et de plus, elle était inscrite suivie
tableau des habitants. Au mois de mai 1845 arrive un ordre de M.
l'administrateur de la sûreté publique qui enjoint à M. Keulemans, commandant
de la gendarmerie, de l'expulser.
La demoiselle anglaise se
pourvoit en référé devant M. le président du tribunal d'Anvers, et M. le
président défend d'exécuter l'ordre, attendu que la personne dont il s'agit a
son domicile à Anvers et que d'ailleurs il n'y pas d'arrêté royal d'expulsion.
Contre cette ordonnance en référé on ne s'est pas pourvu ; elle a acquis
l'autorité de la chose jugée ; mais voici ce que fait le chef de la police : il
envoie un second ordre au commandant de la gendarmerie, et ce nonobstant
l'ordonnance en référé, d'arrêter l'Anglaise et de la faire conduire sur le
premier bateau à vapeur qui partirait pour l'Angleterre. Cet ordre est
exécuté : l'Anglaise se trouvait chez elle ; elle était encore au lit ; on
l'en retire et on la conduit dans la caserne de la gendarmerie où elle reste
pendant six heures : dans l'intervalle, le commandant est de nouveau cité en
référé et le président, par une nouvelle ordonnance de référé, dit
itérativement qu'il n'y a pas lieu d'expulser et ordonne la mise en liberté
immédiate, qui est exécutée.
Alors le commandant de la
gendarmerie se pourvoit en appel, et la cour décide que le président en référé
était incompétent, et je crois que la cour a bien fait ; ceci démontre, soil
dit en passant, que l'ordre judiciaire, que l'on a si souvent attaqué dans
cette enceinte, ne veut pas plus que ceux qui l'attaquent, la moindre confusion
des pouvoirs et qu'elle sait respecter l'indépendance du pouvoir exécutif comme
d'autres devraient respecter l'indépendance du pouvoir judiciaire. L'arrêt
vraiment remarquable à ce point de vue mérite, messieurs, de vous être lu.
« La cour,
« Attendu que, dans
l'état actuel de la législation et des arrêtés royaux pris pour son exécution,
l'expulsion des étrangers est dans le domaine du pouvoir exécutif, et au nom de
ce pouvoir confiée à l'administration de la sûreté publique, sous l'autorité
immédiate du ministre de la justice ;
« Attendu que l'action de
l'intimée, étrangère, telle que cette action est libellée, notamment dans ses
conclusions reprises en l'ordonnance dont est appel, a pour véritable but ou
objet d'obtenir du pouvoir judiciaire une défense directe à l'autorité qui,
comme administration de la sûreté publique, c'est-à-dire donc au nom du
ministre ou du pouvoir exécutif, a décerné l'ordre d'expulsion dont il s'agit
au procès, au moyen de contrainte ou de force employée en termes
d'accomplissement de cette expulsion à laquelle l'intimée se refusait ; que
c'est aussi le sens et la portée de ce qui a été octroyé au dispositif de
l'ordonnancée quo d'après les motifs qui s'y trouvent développés.
« Or attendu que c'était
là, de la part de la demanderesse en référé réclamer de la justice, non
simplement la solution ou déclaration d'un droit civil, mais une disposition
qui caractériserait, de la part de l'autorité judiciaire, un acte de suprématie
d'un des pouvoirs sur l'autre, une invasion par voie de commandement de l'un
dans le domaine ou le cercle des attribuions de l'autre ;
(page 572)
« Attendu qu'il en naîtrait une perturbation d'autorité essentiellement
subversive du principe constitutionnel ou fondamental de l'égalité et de
l'indépendance respective des pouvoirs qui tous, et sans distinction, émanent
de la même source ; qu'il suit de là que l'action dont il s'agit, d'après sa
tendance positive et son objet direct, devait être écartée comme sortant de la
compétence du juge civil et partant il y a lieu d'annuler l'ordonnance déférée
par l'appel ;
« Attendu au surplus que
cette appréciation nette et nécessaire de la position respective des pouvoirs
dans l'ordre constitutionnel ne laisse pour aucune hypothèse, les citoyens ou
les individus qui se trouvent sur le sol belge à la merci des abus des agents
responsables du pouvoir, puisque la Constitution a donné la liberté du droit de
plainte et a établi dans la chambre législative même une garantie puissante par
le droit discrétionnaire d'accuser à raison des actes abusifs qui émaneraient
des ministres responsables.
« Par ces motifs dit que
le juge a quo était incompétent. »
« 14 août 1845. Cour
d'appel de Bruxelles 2ème chambre. »
Voilà, messieurs, comment
la cour entend la séparation des pouvoirs !
La deuxième ordonnance en
référé a donc été anéantie comme rendue incompétemment envers la victime d'un
véritable abus de pouvoir. La demoiselle ne s'est pas arrêtée là : elle a
intenté une action en dommages-intérêts au commandant de la gendarmerie
d'Anvers et à M. Hody, administrateur de la sûreté publique. Le tribunal
d'Anvers s'était encore déclaré incompétent, mais cette fois la cour a admis la
compétence avec raison. M. l'administrateur de la sûreté publique a été
condamné à des dommages-intérêts ; il ne s'agissait plus d'entraver l'exécution
d'un acte du pouvoir exécutif ; mais d'apprécier les conséquences d'un acte
posé par un fonctionnaire.
Maintenant, messieurs, ce
fait grave, je viens, moi, le dénoncer à la chambre.
La justice ordinaire a
fini de cette affaire, mais la responsabilité qui pèse sur les agents du
pouvoir doit être débattue dans cette enceinte. S'il n'y avait aucun motif de
procéder à l'expulsion, s'il n'y avait surtout aucun motif de procéder à
l'arrestation, la loi a été violée, et le ministre doit répondre de cette
violation.
M. le ministre de la
justice nous disait tout à l'heure, que dans le chapitre que nous discutons, il
ne s'agit que de la police qui est relative à la sûreté de l'Etat. Eh oui,
messieurs, il ne s'agit dans ce chapitre que de la police qui est relative à la
sûreté de l'Etat et, en effet, on expulse les étrangers qui compromettent la
sûreté de l'Etat ; on invoque la loi surannée sur les passeports, contre les
étrangers qui se trouvent sur le sol de la Belgique par suite de la violation
de la loi ; mais une jeune Anglaise qui certes ne peut pas compromettre la
sûreté de l'Etat, qui se trouve sur le sol de la Belgique depuis 6 ans, qui
avait son domicile à Anvers, qui payait des contributions, et qui par suite
était placée sous la protection de la loi, cette jeune Anglaise faisait-elle
donc ombrage au gouvernement ? Eh non, mon Dieu ! ! on ne lui faisait qu'un
reproche, c'était de faire ombrage à certaines personnes parce que la nature
avait fait pour elle plus que pour les autres !!
Cette tentative
d'expulsion et cette arrestation étaient injustifiables, et je voudrais bien
que M. le ministre de la justice nous fît connaître les motifs qui ont guidé la
police.
Maintenant, messieurs,
j'ai dit aussi que la police, qui ne fait pas ce qu'elle doit faire, pose des
actes qu'elle ne peut pas poser, au point de vue de la liberté de la presse :
en effet, nous avons lu tout récemment dans un journal de province, que les
agents de la police ont saisi deux cents numéros d'un journal à la porte des
abonnés et dans les cafés ; que le domicile d'un distributeur a été violé, et
cela sous le prétexte que ce journal ne portait pas de nom d'imprimeur, alors
qu'il portait le nom de l'éditeur, les noms des auteurs et qu'il se trouvait
dans la même position qu'un autre journal de la même localité, mais d'une
couleur différente. Le fait dont il s'agit s'est passé à Courtray et le journal
qui a été saisi est le Scrutateur.
J'avais donc raison de dire,
messieurs, que si je ne demandais pas compte au ministre de l'exercice du droit
de grâce, et pour cause, je devais lui demander compte des actes de la police
en ce qui concerne les moyens de prévenir les crimes.
On vous a parlé de la
misère comme une des causes des crimes et délits ; s'il pouvait y avoir quelque
doute sur le point de savoir si jusqu'à présent les grands crimes ont été
provoqués par la misère, par la faim, cette mauvaise conseillère, comme on vous
l'a dit, au moins, messieurs, il est à craindre que si l'état de choses que
nous avons à déplorer devait continuer, nous n'ayons à en déplorer aussi les
conséquences. C'est le cas, messieurs, de demander compte au gouvernement de ce
qu'il a fait pour ces malheureuses populations des Flandres ?
Je lisais, il y a
quelques jours, les journaux de ces localités, et je dois vous avouer que ces
détails m'ont fait mal, tellement ils étaient horribles. Peut-être même ne
savons-nous pas tout, car si les renseignements qu'on m'a donnés sont exacts,
il aurait été fait défense aux secrétaires des communes rurales surtout, de
rien communiquer à la presse sur les progrès effrayants de la misère dans les
Flandres !!
Il est essentiel que le
gouvernement vienne nous rassurer sur ce point ; comme législateurs nous avons
rempli notre devoir, nous avons voté les sommes qu'on nous a demandées.
M. Rodenbach. - C'était trop peu.
M. Verhaegen. - Nous aurions voté davantage ; et
je le déclare, pour mon compte, nous eût-on demandé le double, le triple, je
n'aurais pas voulu encourir la responsabilité d'un vote négatif.
Eh bien, puisque
l'occasion s'en présente aujourd'hui, je demande M. le ministre de la justice
quel est l'état des populations des Flandres, et quels sont les moyens que le
gouvernement met en œuvre à l'effet de les secourir. La responsabilité,
messieurs, à ce point de vue pèse tout entière sur le ministère.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen, en revenant sur
l'opinion qu'il convient de prévenir les crimes, a trouvé l'occasion
d'articuler de nouveaux griefs. Il en articule un contre mon administration,
consistant dans des atteintes portées à la liberté individuelle par des fonctionnaires
administratifs, et à la liberté de la presse par des fonctionnaires
judiciaires.
L'honorable M. Verhaegen
a débuté en disant que dans la plupart des villes la police était insuffisante,
et qu'elle est nulle dans la plupart des communes.
Si dansla plupart des
villes la police est insuffisante, si les agents de la police y laissent à
désirer, l'honorable membre connaît trop bien et la loi communale et les
devoirs qu'elle impose aux autorités locales, pour pouvoir de ce chef adresser
le moindre reproche an gouvernement. Et notamment en ce qui concerne la police
de la capitale, est-ce la faute du gouvernement si récemment le conseil
communal a rejeté, si ma mémoire est fidèle, la proposition faite par le
collège échevinal d'augmenter le personnel de la police ?
M. de
Brouckere. - Elle a été ajournée.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Soit ! il n'en est pas moins vrai que tant que durera
l'ajournement, la police de la capitale restera dans l'état d'insuffisance
constaté par le collège échevinal.
Quant à la police dans
les communes, elle est confiée aux bourgmestres. Si les bourgmestres ne
remplissent pss convenablement leurs devoirs, ce n'est pas la faute du
gouvernement. (Interruption.)
J'entends prononcer le
nom de gendarmerie, eh bien, je ne crains pas de le dire, il n'y a pas de
service qui soit mieux fait que celui de lu gendarmerie. Les gendarmes rendent
à la police les plus grands services par le zèle intelligent qu'ils déploient
dans l'exercice de leurs fonctions ; ces fonctionnaires se multiplient en
quelque sorte par leur zèle pour assurer la sécurité des personnes et des
propriétés. Le gouvernement n'a pas failli à son devoir ; de nouvelles brigades
de gendarmes ont été établies dans différents cantons.
La police, dit
l'honorable M. Verhaegen, fait ce qu'elle ne peut pas faire, et il a cité, pour
établir sa thèse, deux faits, l'un d'expulsion, l'autre de saisie d'un journal.
Messieurs, si dans une
administration aussi compliquée que l'est l'administration de la sûreté
publique, on ne peut reprocher qu'un seul acte pendant de longues années, il
faut avouer que cela n'est pas bien grave, surtout lorsque la chambre saura
quel est cet acte et de quelle manière il a été posé.
L'honorable M. Verhaegen
a dit que l'administration de la sûreté publique s'arrogeait un droit qu'il
n'avait pas, qu'il faisait expulser du pays des personnes, sans arrêté royal,
alors que la loi de 1835 obligeait le gouvernement d'avoir recours à un
semblable arrêté.
Messieurs, je dois
rappeler ici la discussion qui a eu lieu dans cette chambre, lors du vote de la
loi de 1835. A cette époque, M. le ministre de la justice a déclaré, sans
rencontrer de contradiction, que les lois sur les passeports restaient en
vigueur, et que le gouvernement avait le droit, abstraction faite de la loi de
1835, de recevoir ou de ne pas recevoir les étrangers. La loi de 1835 porte
textuellement qu'elle n'est applicable qu'aux étrangers résidants.
Mais si on a voulu donner
des garanties plus grandes à ces individus, si on a voulu que pour eux il y eût
des motifs graves appréciés dans un arrêté royal pour justifier l'expulsion,
l'on n'a sans doute pas voulu être désarmé à l'égard des autres.
L'honorable M. Verhaegen
a perdu de vue la distinction qu'il y a à faire entre les résidants et les
non-résidants. A la frontière on a le droit de repousser les étrangers qui se
présentent, comme on a le droit d'expulsés du pays ceux qui y sont entrés
furtivement. Aussi les lois de messidor an III et de vendémiaire an VI
n'ont-elles pas cessé d'être exécutées depuis l'émanation de la loi de 1835.
J'ai sous les yeux le tableau des expulsions qui ont eu lieu depuis 1839 ;
voici les chiffres :
En 1839, 1,080 ; en 1840, 1,208 ; en 1841, 1,504 ; en
1842, 1,415; en 1843, 1,113; en 1844, 1,228 ; en 1845, 1,304; en 1846,
1,377.
Dans ces chiffres, se
trouvent comprises les expulsions qui ont eu lieu pendant ces années par arrêté
royal et qui sont au nombre de :
Pour 1839, 48 ; pour
1840, 41 ; pour 1841, 12 ; pour 1842, 26 ; pour 1843, 31 ;
pour 1844, 29 ; pour 1845, 30 ; pour 1846, 26.
(page 573) La plus grande partie des expulsions a donc eu lieu sur
l'ordre de l'administration de la sûreté publique qui puise cette faculté dans
l'arrêté, de 1852, créant son administration, et dans les deux lois que j'ai
rappelées plus haut.
Messieurs, voilà les
principes sur lesquels on a toujours été d'accord et qu'on a exécutés sans
observations jusqu'à présent ; ou du moins jusqu'en 1845.
Cette année, une Anglaise
était arrivée dans le pays avec une famille étrangère (elle n'y était donc pas
depuis six ans, comme l'a dit l'honorable M. Verhaegen) ; elle a été annoncée à
la police avec les personnes qu'elle servait ; ces personnes ont quitté Anvers
après quatre mois de séjour ; et l'on n'a plus, pendant plusieurs mois, entendu
parler de la jeune Anglaise ; après avoir voyagé en Allemagne et en Angleterre,
elle est revenue seule dans le pays, elle n'est pas allée se fixer à Anvers,
mais à Borgerhout ou à Deurne. Elle s'est rendue plus tard à Anvers ; elle a
fait, il est vrai, sa déclaration au bourgmestre, mais ce fonctionnaire, peu de
temps après cette déclaration reçue, a fait connaître à M. l'administrateur de
la sûreté publique que cette personne, dépourvue de moyens d'existence, menait
une vie peu régulière, et a demandé son expulsion.
Ainsi loin d'avoir habité
six ans Anvers, elle venait à peine d'y arriver de quelque temps, et son
expulsion a été demandée du chef de défaut de moyens honorables d'existence.
Ce qui a eu lieu à
Anvers, a eu lieu également dans beaucoup d'autres villes, sans réclamation.
Les bourgmestres
n'hésitent jamais à demander de semblables expulsions à l'égard des personnes
de la catégorie de celle dont a parlé l'honorable M. Verhaegen, et quoique
plusieurs d'entre elles fussent probablement très jolies, elles n'en ont pas
moins été expulsées.
Un mot encore sur la
procédure qui a été suivie. Le président du tribunal de première instance
d'Anvers avait déclaré que l'ordonnance d'expulsion ne pouvait pas être
exécutée ; la cour, comme l'a dit l'honorable M. Verhaegen, a refusé de
sanctionner cette décision ; cependant la demoiselle dont il s'agit n'avait pas
été expulsée ; elle avait élé arrêtée, mais sur l'ordre du président, elle
avait été relâchée ; elle avait été retenue quelques heures, je pense, dans la
caserne de la gendarmerie ; quoique l'arrêté n'ait pas été exécuté, cette
demoiselle a réclamé des dommages-intérêts près le tribunal d'Anvers : les
dommages-intérêts ayant été refusés par ce tribunal, la cour saisie de
l'affaire a réformé le jugement et a condamné M. l'administrateur de la sûreté
publique à 300 fr. de dommages-intérêts.
M. Verhaegen a dit que
l'affaire judiciaire était terminée, il se trompe, car on s'est pourvu en
cassation ; M. l’administrateur, auquel le jugement n'avait pas été notifié, a
fait les diligences nécessaires pour se pourvoir en cassation. La question est
assez grave ; il s'agit de savoir si l'arrêté du gouvernement provisoire de
1830 autorisant l'expulsion des personnes dépourvues de moyens d'existence
n'est plus obligatoire, ainsi que la cour d'appel l'a déclaré.
Il faudra examiner
ensuite ce qu'on entend par résidence ; si on peut être réputé résident dès
qu'on est arrivé dans le pays et qu'on y a séjourné quelque temps. Si la
doctrine de la cour d'appel est confirmée, il faudrait, pour tous ces cas, des
arrêtés royaux pris en exécution de la loi de 1835 ; d'où résultera une
augmentation considérable de besogne.
Quoi qu'il en soit, la
question soumise à la cour de cassation n'est pas encore tranchée, on ne peut
donc dès à présent condamner le système suivi depuis 1830. Voilà ce que j'avais
à dire de la première affaire dont a parlé M. Verhaegen.
Quant aux considérants de
l'arrêt, je crois pouvoir dire, sans manquer au respect que je dois à la chose
jugée, qu'ils s'appuient sur quelques faits erronés.
M. Verhaegen. - Les faits sont inattaquables.
D'ailleurs la demoiselle Jones payait des contributions à Anvers, elle était
donc bien résidente.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voyons maintenant ce qui concerne la liberté de la presse.
En quoi cette liberté est-elle compromise ? Parce qu'on a opéré la saisie d'un
journal qui avait paru sans nom d'auteur et d'imprimeur ? Si la liberté de la
presse pouvait être compromise par l'exécution fidèle de la loi, elle le serait
depuis longtemps en Belgique, car je crois pouvoir dire que bien des fois, des
saisies de cette nature ont eu lieu. Je me rappelle avoir porté la parole comme
avocat général dans une affaire de cette nature, où une saisie avait été
opérée, et personne n'a songé à la critiquer. Peut-on, en effet, sérieusement
critiquer l'exécution de la loi ?
On s'est borné à dire
qu'on avait opéré une saisie, qu'on avait violé le domicile d'un citoyen. Mais,
c'est un abus de mots ; on ne viole pas le domicile d'un citoyen, quand on s'y
introduit pour constater un délit ; le magistrat qui a fait cet acte, a rempli
son devoir comme il le remplit du reste dans toutes les circonstances.
L'honorable membre a
terminé en m'adressant des questions quant aux mesures prises dans l'intérêt
des Flandres ; il est un peu tard pour venir me faire ces questions à propos
des frais de police, quand on a laissé passer, sans mot dire, le chapitre de la
bienfaisance publique ; c'est alors qu'on devait m'interpeller.,
Je
ne pense pas que l'intention de la chambre puisse être d'ouvrir un débat
maintenant sur cette grave et importante question ; je me borne à en appeler au
rapport fait par mes collègues de l'intérieur, des affaires étrangères, des
travaux publics et moi, relativement à l'emploi des 2 millions votés pour venir
en aide aux populations malheureuses.
Qu'on lise ce travail,
auquel j'en appelle, et l’on verra, j'en ai la conviction, que nous n'avons
négligé aucune mesure, aucun conseil utile, l'on verra que le gouvernement
belge, en agissant avec une grande prudence, a fait plus qu'aucun autre
gouvernement. Je regarde les mesures énumérées dans ce rapport, comme un titre
d'honneur pour le gouvernement, parce qu'elles prouvent que sa sollicitude n'a
fait défaut à aucun intérêt.
M. de Mérode. - Tous les auteurs des codes,
destinés à réprimer les crimes, ont établi la peine de mort pour les assassins.
Cependant, ces jurisconsultes criminalistes n'ignoraient point que des erreurs
judiciaires étaient possibles. Justifier sur cette objection les grâces
prodiguées aux meurtriers qui sont convaincus devant la justice, c'est
attribuer au législateur lui-même la responsabilité de ces erreurs, comme un
préopinant voulait me l'attribuer tout à l'heure par les suppositions qu'il lui
a plu de faire à mon égard.
Rien en ce monde n'est à
l'abri d'inconvénients, même de conséquent ces déplorables en certains cas. Des
erreurs judiciaires n'ont-elles pas privé des familles du patrimoine qui leur
appartenaient légitimement, et néanmoins peut-on se passer du jugement des
procès par les tribunaux ? Un innocent condamné à une prison perpétuelle, par
erreur, est exposé à y finir sa vie, si l'on ne découvre pas d'autre coupable.
Les seules questions à
poser sont donc celles-ci : Le législateur a-t-il tort de réprimer l'assassinat
par la peine de mort ?
Et tous les peuples
répondent : Non !
Les dépositaires du
pouvoir doivent-ils rendre cette peine presque illusoire ?
Tous les peuples
répondent : Non !
En
Belgique, la généralité des magistrats, le peuple sent-il que la peine de mort
n'est pas appliquée comme elle devrait l'être ? Je fais appel à la conscience
de la plupart des membres de cette chambre, à la conscience publique, elle me
répond ; Oui ! J'ai même reçu hier l'approbation d'un magistrat, membre de
cette chambre, qui ne siège pas sur les mêmes bancs que moi, et qui m'a déclaré
que l'abus des grâces était flagrant, que c'était l'opinion générale dans le
pays. Est-il vrai, en effet, que certains malfaiteurs sans pitié ue craignent
que la peine de mort, et qu'en Belgique on la redoute fort peu ? Il est évident
qu'il en est ainsi : les faits sont patents par l'expérience.
C'est donc en vain que
l'on cherche à détruire les raisons, à dénaturer les motifs que j'ai fait
valoir hier, dans l'intérêt de l'humanité, avec toute les réserves et la
prudence nécessaires dans mes expressions.
M. de Tornaco. - J'ai demandé
la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Verhaegen attribuer à
l'insuffisance de la police une partie des crimes et délits qui se commettent
aujourd'hui ; je tenais à exprimer mon adhésion à l'opinion émise par cet
honorable membre. Comme lui je pense qu'on peut attribuer un grand nombre des
crimes et délits commis contre les personnes et les propriétés à la négligence
et à l'insuffisance de la police dans les villes et dans les campagnes, surtout
dans les campagnes ; car dans les campagnes la police, loin de prévenir les
délits, est d'une nudité complète ; les habitants des campagnes ont pour
garantir leurs propriétés et leurs personnes un garde champêtre à peu près sur
mille habitants et un gendarme sur trois ou quatre mille habitants. Voilà tout
ce qui doit garantir la suivie des campagnes ; aussi je ne suis pas le moins du
monde étonné de voir les crimes se multiplier comme aujourd'hui eu égard à
l'augmentation extrême de la population. J'ai été frappé depuis longtemps de
l'augmentation des crimes dans des localités qui jusque-là n'avaient été
souillées par aucun crime. Une localité dans le voisinage de la commune que
j'habite a été souillée de quatre crimes en moins d'une année.
L'insuffisance de la
police m'a paru évidente dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres.
Je ne sais, messieurs, si
le gouvernement ignore ce qui se passe dans les campagnes ; mais bien certainement
il se conduit comme s'il était dans la plus parfaite ignorance à cet égard. Je
ne vois pas qu'il prenne la moindre mesure pour prévenir les crimes et les
délits, pour donner à la police des campagnes la force dont elle manque.
Il y a quelques années,
messieurs, le gouvernement s'était occupé de l'embrigadement des gardes
champêtres. cette mesure a été repoussée par les conseils provinciaux. Depuis
lors on n'a plus entendu parler d'aucune mesure dont s'occuperait le
gouvernement.
J'accuse donc, messieurs,
le gouvernement de n'avoir pas rempli le premier de ses devoirs ; car, le
premier devoir du gouvernement, c'est de garantir aux contribuables la sûreté
de leur vie, la sûreté de leurs propriétés, en échange des contributions
énormes qui pèsent sur eux.
Messieurs, outre
l'insuffisance de la police rurale, il est encore une autre cause, à mon avis,
de la multiplicité des crimes et des délits dans notre pays.
Je crois que les parquets
n'ont pas toute l'activité qu'on paraît en attendre. Je ne veux accuser
personne. Je ne veux signaler aucun parquet à l'attention du gouvernement. Mais
ma conviction profonde est que certains chefs de parquets ne sont pas à la
hauteur de leurs fonctions, qu'ils ne font pas ce qu'ils devraient faire,
qu'ils sont négligents ou qu'ils s'absentent trop souvent de leurs sièges. Je
n'hésite pas à dire que dans les circonstances actuelles un chef de parquet
devrait toujours être à son poste ; il est nommé et salarié pour cela.
Ceci soit dit sans aucune
allusion.
(page 574) Messieurs, voici ce qui arrive quelquefois, surtout pour
les localites qui sont éloignées du siège du tribunal ou du parquet. Un crime
se commet. Le chef du parquet, au lieu d'ordonner immédiatement une descente
sur les lieux, se contente d'une information. Entre-temps les coupables
prennent leurs mesures ; des menaces sont proférées çà et là ; lorsque la
descente sur les lieux est ordonnée, il est trop tard. On ne trouve plus à qui
parler. Les témoins disparaissent ; ceux qui dans la première émotion eussent
fait connaître ce qu'il savaient, se taisent. La lenteur de la justice leur
fera craindre que leurs dépositions n'aboutissent plus qu'à les compromettre ;
le crime est consommé, et demeure impuni, et cette impunité encourage la
perpétration d'autres crimes.
Voilà, je crois, ce qui
se passe, ce qui s’est passé plusieurs fois et ce qui se passera encore.
Je
crois, messieurs, que lorsqu'un crime est commis, le procureur du roi ne se
presse pas assez de se rendre ou d'ordonner le transport d'un membre du parquet
sur les lieux. Je connais plus d'une circonstance où les faits se sont passés
de cette manière et où les inconvénients de cette manière d'agir ont paru
évidents.
J'engage donc le
gouvernement à fixer son attention sur ce point. Je le répète, je ne veux
incriminer aucun parquet ; mais je parle ici par suite d'une conviction
profonde. Je désire que le gouvernement ouvre les yeux sur l'une et l'autre
cause de multiplication des attentats contre les personnes et les propriétés
que je viens d'indiquer ; c'est-à-dire sur la conduite des officiers du
parquet, et sur la police rurale, qui, à ce qu'il me paraît, est complétement
perdue de vue.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. de Tornaco a répété ce qu'avaient
dit deux honorables préopinants sur l'insuffisance de la police. Mais
l'honorable membre n'a, sans doute, pas fait attention à ce que j'ai répondu.
J'ai dit qu'il ne dépend aucunement du gouvernement d'augmenter la police
locale ; qu'il a fait tout ce qu'il pouvait en augmentant la gendarmerie. Le
reste dépend uniquement des communes. Le gouvernement, pour augmenter l'action
de la police, avait proposé une innovation qui pourrait avoir de bons
résultats. Il avait demandé la création de commissariats de police cantonaux ;
je ne vois guère que ce moyen pour le gouvernement d'organiser d'une manière
plus forte la police. Le projet a été présenté à la chambre, mais le rapport de
la section centrale y est contraire. Cette création, il faut qu'on le sache, devrait
entraîner, pour le gouvernement une augmentation de dépense de près de 400,000
fr. (Interruption.)
Messieurs, il est très
facile de dire : Augmentez la police ; mais qu'on nous donne les moyens de le
faire. Le gouvernement avait demandé ces moyens ; mais, sans me prononcer sur
ce moyen, je crois, qu'en présence du rapport de la section centrale il aurait
peu de chance d'être adopté et, dès lors, le gouvernement a pensé que la
meilleure mesure à prendre pour arriver à avoir une police plus vigilante,
c'était d'augmenter la gendarmerie.
J'ai consulté tous les
procureurs généraux, et tous m'ont dit qu'il fallait augmenter le personnel de
la gendarmerie ; tous ont considéré cette augmentation comme infiniment
préférable à l'augmentation du personnel des gardes champêtres. Les gardes
champêtres s'identifient trop avec les habitants de la localité même ; ils
finissent souvent par ne plus constater bien soigneusement les délits.
Outre l'augmentation du
personnel de la gendarmerie, j'ai tâché, messieurs, de faire organiser partout,
autant que cela était possible, des patrouilles de nuit ; et j'y suis parvenu
dans un grand nombre de localités. Messieurs, ce sont les seuls moyens actuels
que le gouvernement ait à sa disposition, les seuls qu'il puisse employer pour
parvenir à diminuer autant que possible les crimes et les délits.
Du reste, messieurs, que
l’on ne croie pas que les crimes et les délits se multiplient en Belgique plus
que dans les autres pays. C'est une grave erreur sur laquelle je dois détromper
la chambre. Les crimes sont moins nombreux en Belgique qu'en France et dans
d'autres pays.
M. de
Mérode. - Pas les assassinats.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Les crimes sont en général moins nombreux en Belgique. Je
possède un tableau à cet égard, et je pourrai le mettre sous les yeux de
l'honorable comte de Mérode. Du reste, je ne conçois pas, je dois le dire,
pourquoi on cherche, contrairement aux chiffres des statistiques, à établir
qu'il y a en Belgique moins de moralité et plus de crimes que chez nos voisins.
J'ai demandé
principalement la parole, lorsque l'honorable membre a accusé, en quelque
sorte, les parquets de ne pas bien faire leur devoir.
Je dois protester,
messieurs, contre les paroles de l'honorable M. de Tornaco, et j'aime à
déclarer que la manière dont les procureurs du roi remplissent, en général,
leurs fonctions, mérite les plus grands éloges et l'entière approbation du
gouvernement.
L'honorable membre a
néanmoins signalé une circonstance. Il a dit que les procureurs du roi ne se
rendaient pas assez fréquemment sur les lieux. Il m'est impossible, messieurs,
de répondre à l'allégation de l'honorable M. de Tornaco qui probablement avait
un fait spécial en vue, en articulant ce reproche. Toutefois, je dois dire que
d'après les étais des frais de justice qui me passent sous les yeux, j'ai
l'assurance, qu'il y a fréquemment descente sur les lieux et que les magistrats
ne négligent pas de s'y rendre dès que leur présence est nécessaire.
Mais
il y a une observation à faire. Les procureurs du roi, les substituts et les
juges d'instruction ne se rendent et ne doivent se rendre sur les lieux que
quand le crime est excessivement grave, ou qu'ils peuvent craindre que le juge
de paix n'accomplira pas convenablement les premiers devoirs de l'instruction ;
mais quand les juges de paix sont eux-mêmes sur les lieux, quand ils sont dans
la force et l'activité de l'âge, les procureurs du roi ont raison de s'adresser
à ces magistrats et de les charger de recueillir les premiers éléments de
l'instruction.
Je crois donc, messieurs,
que sous ce rapport les reproches de l'honorable M. de Tornaco ne sont pas
fondés.
- La clôture est
demandée.
M. Van Cutsem (contre la clôture). - Messieurs, je crois devoir m'opposer
à la clôture, parce que je désire répondre à ce qu'a dit l'honorable M.
Verhaegen sur la saisie d'un journal qui a été faite à Courtray il y a une
quinzaine de jours. Comme le procureur du roi de Courtray a été spécialement
désigné, je crois avoir le droit de répondre quelques mots pour exposer les
faits tels qu'ils se sont passés. Je tiens d'autant plus à faire cet exposé,
que j'ai la conviction intime, que si l'honorable M. Verhaegen connaissait les
faits qui ont donné lieu à la saisie, au lieu de la critiquer, il lui donnerait
sa pleine et entière approbation.
M. Verhaegen (contre la clôture). - Messieurs,
c'est réellement une très mauvaise habitude, permettez-moi de le dire, que
chaque fois qu'une question grave se présente, et que des orateurs de la droite
ont combattu notre opinion, on demande la clôture lorsque nous voulons leur
répliquer. Ainsi, je ne puis répondre à l'honorable M. de Mérode, à M. le
ministre de la justice, et ces messieurs seront censés avoir raison. (Interruption.) Messieurs, je le déclare,
c'est là une singulière manière de combattre ses adversaires.
M. de Garcia (sur la
clôture). - Messieurs, j'ai appuyé la clôture dans différentes circonstances à
l'occasion du budget de la justice, et je crois avoir rempli mon devoir. Il est
inouï dans les fastes parlementaires de la Belgique qu'on ait mis quinze jours,
deux semaines, à discuter ce budget ; et la gauche, dont les discours ont rempli
ce vaste intervalle de temps, sans que la droite ait jugé utile de prendre part
à la discussion, fait à la droite le reproche de procéder par des clôtures
inconvenantes.
Messieurs,
il faut rendre justice à chacun. Si nous demandons la clôture, c'est dans le
désir de faire les travaux que le pays réclame ; et quant à moi, je n'hésite
pas non plus à en appeler au pays, et je décline le blâme qui peut tomber sur
le pouvoir législatif pour le temps perdu en discussions qui n'ont réellement
pas un but aussi utile que celui de plusieurs lois qui nous sont soumises.
Toutes mes craintes, messieurs, c'est que ces discussions ne soient une cause
de stérilité pour la session actuelle, et qu'elle ne se passe sans aucun
travail utile à la nation. C'est par cette considération, dont je me félicite,
et dont je me fais honneur, que j'ai voté pour la clôture des diverses et des
longues discussions dont nous avons été les témoins depuis quinze jours.
M. Delfosse. - L'honorable M. de Garcia vient de
vous dire qu'il est inouï que l'on ait mis quinze jours à discuter un budget de
la justice.
Je répondrai d'abord à
l'honorable membre que la discussion du budget de la justice a commencé le 12,
nous sommes le 23, cela fait 11 jours et non 15.
Je
lui répondrai ensuite qu'en 1840, lorsque la droite faisait de l'opposition au
ministère, la discussion du budget des travaux publics, commencée le 17
février, n'a été terminée que le 2 mars ; elle a donc duré quatorze jours.
La
discussion du budget de la justice, commencée le 14 décembre 1840, n'a été
terminée que le 22, elle a donc duré neuf jours, et vous aviez alors,
messieurs, pour ministre de la justice un homme qui n'avait encore eu occasion
de poser qu'un petit nombre d'actes et dont l'impartialité n'était mise en
doute par personne.
Les observations que je
viens de présenter n'ont d'autre but, messieurs, que de rétablir les faits
dénaturés par l'honorable M. de Garcia. Je ne m'oppose nullement à la clôture,
mais je crois qu'on aurait perdu moins de temps en consentant à entendre encore
l'honorable M. Verhaegen qui n'avait que quelques mots à dire, qu'en demandant
la clôture.
M. de Garcia. - Pour répondre
aux observations que j'ai présentées sur la longueur de la discussion actuelle
et les taxer d'inexactitude, on a été réduit à confondre les choses et les
matières. Je n'ai parlé que de la discussion des budgets de la justice, et de
l'aveu même de M. Delfosse, je maintiens ce que j'ai dit.
Suivant cet aveu, la discussion
la plus longue qui ait eu lieu sur cette matière a eu deux séances de moins que
la discussion actuelle, et c'est énorme, c'est à peu près 20 p. c. de plus que
la discussion la plus longue.
- La clôture est mise aux
voix et prononcée.
« Art. 1er. Service
des passe-ports : fr. 29,000. »
- Adopté.
Article
2
« Art. 2. Autres
mesures de sûreté publique : fr. 48,000. »
- Adopté.
Chapitre XII. –
Dépenses imprévues
Article
unique
« Article unique.
Dépenses imprévues : fr. 5,000. »
- La section centrale
propose la rédaction suivante :
« Dépenses imprévues non
libellées au budget : fr. 5,000. »
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je me rallie à cette rédaction.
- L'article ainsi rédigé
est adopté.
Chapitre XIII. –
Dépenses arriérées
Article
unique
« Article unique.
Solde de dépenses arriérées, concernant les exercices dont les budgets sont
clos : fr. 41,500. »
- Adopté.
(page 575) La chambre décide qu'elle passera immédiatement ou vote
définitif au budget.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) (pour une motion d’ordre). – Ms,
avant que la chambre ne passe au vote définitif du budget, je désirerais
qu'elle décidât la mise à l’ordre du jour de la loi sur les défrichements
immédiatement après la discussion du budget de la guerre et des autres lois
portées sur le bulletin de convocation.
Je fais maintenant cette proposition,
pour que chacun ait le temps de se préparer et qu'on ne puisse pas dire qu'il y
a surprise.
M. Delfosse. - Je crois cependant que si le rapport sur le budget des
travaux publics nous était fait prochainement, il devrait avoir la priorité.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). Messieurs, je
n'entends en aucune manière arrêter la discussion «les budgets. J'ai fait ma
proposition, dans la supposition, que le rapport sur le budget des travaux
publics ne serait pas déposé et distribué assez tôt pour venir immédiatement
après le budget de la guerre.
M. de Tornaco. - Messieurs, on
ne peut prévoir jusqu'à présent combien de temps durera la discussion des
projets qui sont à l'ordre du jour.
Je pense qu'il serait
assez imprudent de fixer la discussion du projet de loi sur les défrichements
après celle du budget de la guerre. Ce projet, messieurs, est un de plus
importants qui puissent se présenter à la chambre.
Si la discussion du
budget de la guerre ne durait qu'un ou deux jours, et cette discussion n'a
jamais été bien longue, nous n'aurions évidemment pas assez de temps pour
examiner le rapport sur le projet relatif aux défrichements.
Je demande, messieurs,
que nous soyons au moins assurés de huit jours pour faire cet examen. Ce n'est
pas trop pour une question de cette importance.
M. de Garcia. - Messieurs,
j'appuie la proposition de l'honorable M. de Tornaco.
Le rapport sur la loi des
défrichements nous a seulement été présenté hier. Je crois que ce n'est pas
trop de huit jours pour examiner une question aussi grave.
Au surplus, messieurs, je
pense que les deux objets qui précèdent la loi sur les défrichements nous
tiendront pendant toute la semaine prochaine.
Je pense qu'il faudra
bien huit jours pour discuter la loi sur l'avancement des officiers de santé et
le budget de la guerre.
L'importance de ces deux
projets de loi m'est un garant que je ne me trompe pas.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Dans tous les cas il est certain
que plusieurs orateurs prendront part à la discussion du projet de loi sur les
défrichements et que la discussion d'ensemble durera plusieurs jours. Dès lors
tout le monde aura temps de se former une opinion avant que l'on aborde
l'examen des articles. Je crois donc qu'il est convenable de mettre dès aujourd'hui
cet objet à l'ordre du jour, ce sera un motif pour que chacun fixe son
attention sur le projet.
M. de La Coste. - Si j'ai bien compris M. le
ministre de l'intérieur, le projet dont il s'agit ne viendrait qu'après les
objets qui sont maintenant à l'ordre du jour ? (Oui ! oui !)
- La proposition de M. le
ministre de l'intérieur est mise aux voix et adoptée.
MOTION D’ORDRE
M. Dumortier. - Messieurs, avant qu'on ne passe au
vote du budget, je désire vous soumettre une observation qui se rapporte
précisément à l'administration de la justice. Vous avez ordonné le dépôt sur le
bureau de diverses pétitions qui nous ont été adressées par des commissaires de
police faisant fonctions de ministère public. Ces commissaires de police
demandent que leur sort soit enfin fixé et que la chambre leur accorde une
juste indemnité pour les fonctions de ministère public qu'ils remplissent près
les tribunaux de simple police. Cette demande me paraît très fondée, et
beaucoup de membres de la chambre partagent mon opinion à cet égard. Je vous
proposerai donc, messieurs, d'ordonner le renvoi de ces pétitions à M. le
ministre de la justice.
M. Dubus (aîné). - Ce renvoi a été ordonné.
M. Dumortier. - Alors, je suis satisfait.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA JUSTICE POUR
L’EXERCICE 1847
Vote des amendements, des dispositions légales et vote sur l’ensemble du
projet
La chambre adopte
définitivement l'article 3 nouveau qui a été introduit par amendement dans le
tableau du budget.
Elle adopte ensuite
successivement les articles qui forment le texte de la loi de budget et qui
sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Le budget du ministère
de la justice est fixé, pour 1847, à la somme de 11,980,395 fr., conformément
au tableau ci-annexé. »
« Art. 2. La présente loi
sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
Il est procédé au vote
par appel nominal sur l'ensemble du projet,
58 membres prennent part
au vote.
Un membre (M. Jonet)
s'est abstenu.
48 adoptent.
10 rejettent.
En conséquence, le budget
est adopté.
Ont voté l'adoption : M.
Biebuyck, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de
Haerne, de La Coste, de Lannoy, de Man. D’Attenrode, de Meester, de Mérode, de
Naeyer, de Renesse, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de
Theux, de T’Serclaes, d’Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric),
Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn.
Lejeune, Liedts, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Pirmez, Rodenbach,
Scheyven, Simons, Troye, Van Cutsem, Vandensteen, Vilain XIIII, Wallaert.
Ont voté le rejet : MM.
Castiau, de Bonne, Delfosse, de Tornaco, Fleussu, Le Hon, Lys, Pirson, Sigart,
Verhaegen.
M. Jonet. - Je n'ai pas voulu, cette fois
encore, voter contre le budget, parce que cette loi est nécessaire pour
l'expédition des affaires.
Mais je n'ai pas voté
pour, à cause que j'éprouvais le besoin de dire à M. le ministre de la justice
que parmi les actes de son administration, il y en avait que je ne pouvais
approuver ni expressément, ni tacitement.
Dans ce nombre se trouve
nommément la doctrine que M. le ministre a émise relativement à l'autorité de
la chose jugée ; autorité qui, d'après moi, a d'autant plus de droits à nos
respects, qu'elle est une des bases principales de nos institutions sociales ;
elle est la garantie de la propriété, comme la sauvegarde de nos libertés légales
et constitutionnelles.
PROJET DE LOI RELATIF A L’INALIENABILITE DES PENSIONS DES VEUVES ET
ORPHELINS DES OFFICIERS DE L’ARMEE
M. le président. - Hier, messieurs, vous avez décidé
que vous vous occuperez immédiatement après le budget de la justice du projet
de loi relatif à l'inaliénabilité des pensions des veuves et orphelins des officiers. Je demanderai à la chambre si
elle maintient cette décision.
- La chambre décide
qu'elle s'occupera immédiatement de ce projet.
M. le ministre
des finances (M. Malou) déclare que le gouvernement se rallie aux propositions de la section
centrale.
- Personne ne demandant
la parole sur l'ensemble du projet, la chambre passe à l'examen des articles.
Les trois articles
composant le projet du gouvernement sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Les
pensions des veuves d'officiers, dues par la caisse instituée en faveur des
veuves et orphelins des officiers de l'année, sont, de même que les pensions
dues par l'Etat, inaliénables et insaisissables, si ce n'est dans les
circonstances et de la manière déterminées par l'article 25 de la loi du 24 mai
1838. »
« Art. 2. Les
appointements des officiers sont inaliénables et insaisissables au-delà d’un
cinquième, excepté dans les circonstances prévues par l'article 25 de la loi
précitée, auquel cas les retenues ne pourront excéder les limites fixées par
cette disposition, outre le cinquième saisissable.
« Art. 5. La solde et les
masses des sous-officiers, caporaux et soldats, sont inaliénables et
insaisissables. Il en est de même du versement de cent cinquante francs que
doivent faire à la caisse du corps les miliciens remplacés, conformément à la
loi du 28 mars 1835. »
La section centrale propose
de rédiger les trois articles ainsi qu'il suit :
« Art. 1er. Les
pensions, gratifications et secours, dus par la caisse des veuves et orphelins
des officiers de l'armée, sont insaisissables et incessables, excepté au cas de
débet envers l'Etat, ou dans les circonstances prévues par les articles 203,
205 et 214 du Code civil.
« Dans les deux cas, les
pensions, gratifications et secours précités sont passibles de retenues qui ne
peuvent excéder le cinquième de leur montant, pour cause de débet, et le tiers
pour aliments.
« Art. 2. Les
appointements des officiers sont incessibles et insaisissables, excepté :
« 1° Jusqu'à concurrence
d'un cinquième, pour toute créance indistinctement ;
« 2° Pour un cinquième,
en cas de débet envers l'Etat ;
« 3° Pour un tiers, dans
les circonstances prévues par les articles 203, 205 et 214 du Code civil.
« Ces trois espèces de
saisies peuvent s'opérer cumulativement. »
« Art. 3. (comme celui du
gouvernement) sauf à remplacer le mot : « inaliénables » par le mot :
« incessibles » et ajouter à la fin : (Bulletin officiel, n°20.)3
« Art. 4. La présente loi
sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Le gouvernement se rallie au projet de la section centrale.
- Les trois articles du
projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion.
On passe à l'appel
nominal. Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 48 membres présents. Il
sera transmis au sénat.
PROJET DE LOI RELATIF A LA CREATION DE LA COMMUNE DE PETITHIER DANS LA
PROVINCE DE LUXEMBOURG
Personne ne demandant la
parole dans la discussion générale, on passe aux articles.
« Art. 1er. Les
hameaux de Petithier, de Poteau, de Blanche-Fontaine (page 576) et les maisons isolées qui en dépendent, sont séparés de
la commune de Vielsalm pour être érigés en une commune distincte, sous le nom
de Petithier.
« Les limites séparatives
sont fixées conformément à la ligne de démarcation ABCDEFG figurée an plan
annexé à la présente loi. »
________________
« Art. 2. Le cens
électoral et le nombre des conseillers à élire dans la commune de Petithier,
seront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de sa population.
« Les états de
classification des communes, faits en exécution des articles 3, 4 et 7 de la
loi communale du 30 mars 1863 et annexés à l'arrêté royal du 12 avril suivant,
seront aussi modifiés, s'il y a lieu, en ce qui concerne la commune de
Vielsalm. »
- Ces deux articles sont
successivement adoptés sans discussion.
_______________
On passe à l'appel
nominal. Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 48 membres présents. Il
sera transmis au sénat.
- La séance est levée.