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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 8 mars 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1057) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure.

M. de Man d'Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur P.-H. Delhaes, préposé des douanes à Anvers, né à Gueldres (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal d'Opbrakel demande un subside pour faire paver la route d'Opbrakel à Flobecq. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les notaires cantonaux de l'arrondissement de Charleroy demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »

« Même demande du sieur Herman, notaire du canton d'Oosterzeele, des notaires cantonaux d'Assenede et de Caprycke, et du sieur Pagna, candidat-notaire à Seraing-sur-Meuse, qui présente des observations sur le projet de loi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion.


« Plusieurs habitants de Brecht demandent la distribution gratuite du maïs pour le commencement du mois d'avril. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lefevère, de Maneghem, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation d'une engagère donnée pour l'office de la recette générale héréditaire du pays de Waes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Gattellier fait hommage à la chambre d'un mémoire sur l'enseignement agricole. °

- Dépôt à la bibliothèque.


Par dépêche du 5 mars, M. le ministre des travaux publics adresse à la chambre 100 exemplaires de deux cartes et d'une notice indiquant le mouvement des transports en Belgique, tant par terre que par eau, pendant les années 1834 à 1844, par M. Alph. Bulpaire, ingénieur des ponts et chaussées. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


M. de Villegas. - Je demande que la pétition du conseil communal d'Opbrakel, qui demande un subside pour faire paver la route d'Opbrakel à Flobecq, soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, par trois pétitions sur lesquelles vous avez demandé un prompt rapport, de grands propriétaires des provinces de Liège et de Namur demandent à la chambre de vouloir être leur interprète près de M. le ministre de l'intérieur, pour qu'il autorise la chasse à la bécasse dans les bois jusqu'au 15 avril. Cette autorisation, disent les pétitionnaires, n'a rien qui soit contraire à l'esprit de la loi sur la chasse, dont l'objet principal est d'empêcher la dévastation des récoltes et en second lieu de pourvoir à la conservation et au repeuplement du gibier.

Le chasseur à la bécasse respecte ces deux conditions ; il ne foule pas les campagnes, car c'est dans les bois, au bord des fontaines que cet oiseau vient s'abattre.

Il ne détruit pas le gibier indigène, que la loi veut protéger, parce que la bécasse est un oiseau voyageur qu'on ne tire qu'au passage, et sous ce rapport, il devrait être assimilé aux oiseaux aquatiques dont la chasse est permise jusqu'au 1er mai.

Cette assimilation semble même reconnue par la loi qui en autorise la vente en toute saison, tandis qu'elle est sévèrement défendue pour tout gibier indigène.

Les pétitionnaires estiment que leur demande est d'autant mieux fondée que le gouvernement autorise la chasse au courre jusqu'au 1er avril. Il est cependant bien évident que ces meutes doivent occasionner des dégâts aux terrains emblavés qu'elles parcourent, comme aussi la destruction des levrauts qu'elles rencontrent, tandis que les mères plus ou moins forcées avortent et périssent avec leur fruit.

Convaincue de la légitimité des motifs sur lesquels les pétitionnaires appuient leur demande, votre commission les soumet avec confiance à l'appréciation de M. le ministre de l'intérieur auquel elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions.

M. de Garcia. - J'appuie la proposition faite par la commission des pétitions ; mais je désirerais que M. le ministre fût invité à donner des explications. L'objet de la pétition est insignifiant ; il s'agit de la chasse à la bécasse, plaisir qui fait le délassement de bien des personnes, et qui ne peut porter aucune atteinte à rien de ce qu'on a voulu protéger par la loi. Selon moi, l'on est sorti de l'esprit de cette loi en prononçant la clôture de la chasse à la bécasse pendant la saison du passage de cet oiseau. Cette loi est assez sévère ; et le gouvernement doit éviter d'ajouter à ces sévérités par des mesures qui ne peuvent être justifiées suivant une saine interprétation de ses dispositions.

Je demande donc qu'outre le renvoi de la pétition, M. le ministre soit invité à donner des explications.

- Cette proposition est adoptée.


M. Zoude, rapporteur. - Deux négociants exposent à la chambre qu’à la sollicitation de l'administration communale de Mons, ils ont fourni le riz nécessaire aux distributions à faire à l'armée française alors qu'elle est venue en Belgique pour repousser l'agression hollandaise ;

Que le contrat de cette fourniture fut fait en livres et onces des Pays-Bas, seul poids légal alors ;

Que les états des livraisons furent arrêtés en poids des Pays-Bas par le bourgmestre de Mons, ainsi que par l'autorité militaire chargée de la réception.

Mais lors de la liquidation de ces fournitures, l'once des Pays-Bas fut comptée pour once de marc, ce qui établit une différence de 1,667 fr. 79c. au préjudice des pétitionnaires.

Et c'est après avoir réclamé vivement et à plusieurs reprises de M. le ministre de la guerre la rectification de cette erreur, que ces fournisseurs adressent leurs doléances à la chambre.

Voire commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de la guerre.

M. Lange. - J'appuie le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre, mais je demanderai de plus que M. le ministre soit invité à donner des explications. Si nous devons en croire les pétitionnaires, le gouvernement aurait à se reprocher de vouloir profiter d'une erreur légale, oserai-je dire, au préjudice d'honnêtes négociants pères de famille. Si le gouvernement a des raisons pour repousser la réclamation des pétitionnaires, je ne conçois pas le silence dans lequel il se retranche depuis dix ans. Je demande donc que M. le ministre de la guerre soit invité à donner des explications.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant remise du droit de tonnage pour l'importation de denrées alimentaires et interdisant la distillation des pommes de terre et de leurs fécules

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à la chambre le projet de loi dont la teneur suit : (Voir à la fin de la séance.)

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture. Ce projet et les motifs qui raccompagnent seront imprimés et distribués aux membres.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande que ce projet, qui présente un caractère d'urgence incontestable, soit renvoyé à la commission qui a examiné le projet de loi concernant les denrées alimentaires.

- Cette proposition est adoptée.

M. Mast de Vries. - Je demanderai, si des membres de la commission ne se trouvaient pas présents aujourd'hui, que le bureau soit autorisé à en nommer d'autres, afin que le rapport puisse être fait demain.

Plusieurs membres. - Appuyé ! appuyé !

M. le président. - Le bureau se chargera de ces nominations.

Projet de loi établissant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs

Discussion générale

M. Delfosse. - Messieurs, mon honorable ami, M. Castiau, a parlé, dans la séance de vendredi, de la nécessité d'une réforme électorale et parlementaire.

Il y a, dans cette enceinte, trop de fonctionnaires amovibles ; il n'y a pas assez d'électeurs dans le pays.

Mon honorable ami voit dans ces deux faits un grand danger, un germe de décrépitude et de corruption.

D'accord avec lui, sur la nécessité d'une réforme, je ne puis cependant m'associer à toutes les idées qu'il a émises.

La composition actuelle du corps électoral est, sans doute, vicieuse ; je l'ai dit souvent, et je ne cesserai de le répéter. Il y a, en dehors de ce qu'on est convenu d'appeler le pays légal, un autre pays, plein d'hommes actifs, intelligents, amis de l'ordre, qui pourraient concourir utilement, qu'il serait juste d'admettre aux actes de la vie politique.

Mais le corps électoral, quel que soit le vice de sa composition, ne manque ni de lumières ni de patriotisme. On l'a vu souvent, on le verra mieux encore au mois de juin prochain, se soustraire à toutes les influences, à toutes les intrigues du pouvoir, pour préférer les hommes que le sentiment du pays désigne à son choix.

La cause du mal signalé par mon honorable ami en termes si éloquents, me paraît résider plus souvent dans le manque de candidats, je veux parler de candidats capables, honnêtes, indépendants, que dans la composition vicieuse du corps électoral.

Mon honorable ami doit connaître comme moi beaucoup d'estimables citoyens qui pourraient siéger avec honneur dans cette enceinte, qui pourraient y briller par le talent, par le savoir, par les qualités du cœur, plus précieuses que celles de l'esprit, mais qui préfèrent les gloires du barreau ou les labeurs productifs de l'industrie aux orages, aux dégoûts de la vie parlementaire.

Si Gendebien, ce modèle de patriotisme et de désintéressement, ne vient plus s'asseoir sur nos bancs, est-ce la faute du corps électoral ?

Est-ce la faute du corps électoral, si l'industriel éminent dont Liège pleure la perte récente, s'est retiré en 1830 volontairement de cette enceinte pour ne plus y rentrer ?

Est-ce la faute du corps électoral, si mon honorable ami lui-même n'est pas venu plutôt siéger parmi nous ? Nous nous souvenons trop, M. le ministre des affaires étrangères doit se souvenir surtout de certaines répugnances hautement, publiquement exprimées.

Je crois pouvoir ajouter que si mon honorable ami ne revient plus ici, ce ne sera pas la faute du corps électoral.

Mais il y reviendra ! Libre des devoirs qu'une profession et que la famille imposent, sa retraite n'aurait pas d'excuse, et Dieu ne l’a pas doué du talent de la parole, pour qu'il se condamne au silence !

Si j'ai foi dans le corps électoral, si je pense que les Gendebien lui font plutôt défaut qu'il ne fait défaut aux Gendebien, je n'en suis pas (page 1059) moins tout disposé à appuyer une proposition de réforme qui serait formulée en termes convenables par mon honorable ami.

Mais je mets une condition à cet appui, c'est que la proposition ne sera pas introduite sous la forme d'un amendement ; c'est qu'elle ne viendra pas à la suite du projet de loi présenté par M. de Theux, c'est qu'elle ne se mêlera pas à ce projet.

La question de réforme électorale est une question trop importante, trop grave, c'est une question qui doit exercer trop d'influence sur les destinées du pays, pour qu'elle n’ait pas les honneurs d'une proposition spéciale, d'une discussion approfondie.

Le moment actuel serait-il bien choisi pour une telle proposition ? Nous sommes à la fin d'une session, en présence d'une chambre qui, d'après mon honorable ami, touche à la décrépitude, à laquelle il reste à peine un souffle de vie suffisant pour terminer quelques travaux urgents. Les circonstances sont, d'un autre côté, d'une extrême gravité. Présenter la question de réforme électorale dans un tel moment, ne serait-ce pas la compromettre ?

Je soumets ces réflexions à la sagesse de mon honorable ami et je désire, je ne le cache pas, qu'il se décide à remettre sa proposition à la session prochaine. Cet ajournement volontaire me causerait une satisfaction d'autant plus grande que j'y verrais la preuve que mon honorable ami ne se prépare pas à nous faire ses adieux et que sa proposition n'est pas le reste d'une ardeur qui s'éteint.

Quoi qu'il en soit, mon honorable ami reconnaîtra sans doute avec nous qu'il serait imprudent de compliquer, de retarder le vote d'une loi urgente, d’une loi impatiemment attendue, par un amendement dont le rejet serait certain, et dont la discussion, quoique longue peut-être, serait nécessairement incomplète.

J'aurais, messieurs, quelques observations à présenter sur le système de compensation que le projet de loi établit pour Liège et Verviers, pour Alost et Termonde, et qu'il laisse soigneusement à l'écart pour Malines et Turnhout ; mais j'attendrai pour cela la discussion des articles. Je ne puis, cependant, m'empêcher d'exprimer, dès à présent, le regret que mon honorable ami, M. Lys, soit venu combattre ce qu'il a appelé les prétentions de Liège, alors que Liège n'avait pas encore ouvert la bouche, sans trouver un mot de blâme pour la partialité révoltante qui perce, comme toujours, dans le projet de loi de M. Theux.

La reconnaissance me paraît avoir entraîné mon honorable ami un peu trop loin. Qu'il trouva excellent ce que le projet de loi fait pour Verviers contre Liège ; rien de mieux ! Mais mon honorable ami aurait dû en même temps trouver étrange qu'on ne fît pas la même chose pour Turnhout contre Malines.

Je crois même que mon honorable and aurait mieux fait en ne se mêlant pas au débat ; en laissant ce soin à ceux de nos collègues qui sont désintéressés dans la question. Verviers et Liège ne devraient jamais se combattre dans cette enceinte ; ils devraient toujours se donner la main.

M. de Naeyer. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons n'a soulevé aucune objection en ce qui concerne la fixation du nombre des représentants et des sénateurs, et en effet il faut reconnaître que, sous ce rapport, il satisfait pleinement aux dispositions de la Constitution, entendues dans le sens le plus large.

Le seul point qui puisse donner lieu à des discussions, c'est le système que le gouvernement a suivi pour faire la répartition des représentants et des sénateurs entre les différents arrondissements électoraux. C'est aussi sur ce point que je prendrai la liberté de soumettre quelques observations à la chambre.

Messieurs, comme vous le savez, l'unité de population, requise pour avoir droit à la nomination d'un représentant, est de 40,000 habitants, de même que l'unité de population, requise pour avoir droit à un sénateur, est de 80,000 habitants. Si tous les arrondissements électoraux renfermaient exactement une ou plusieurs fois ces unités de population, la répartition serait extrêmement facile ; il s'agirait d'une simple opération arithmétique.

Mais il n'en est pas ainsi : il y a cinq arrondissements électoraux qui ont une population inférieure à 40,000 habitants, et tous les autres arrondissements électoraux renferment une ou plusieurs fois l'unité de population de 40,000 habitants et en outre une fraction.

La même observation est applicable en ce qui concerne la nomination des sénateurs. Il y a 16 arrondissements électoraux dont la population est inférieure à 80,000 habitants, et tous les autres arrondissements électoraux renferment une ou plusieurs fois cette unité de population de 80,000 âmes, plus encore une fraction ; de manière que dans tous les arrondissements électoraux nous trouvons des fractions de population.

Maintenant que faire ? Comment procéder à l'égard de ces fractions de population ? Qu'arriverait-il, si toutes ces fractions de population étaient négligées ? Il arriverait qu'on ne parviendrait qu'à placer 85 représentants, résultat évidemment impossible, parce que nous devons faire notre répartition de manière à arriver au nombre de 108 représentants qui nous est imposé par la Constitution.

Des résultats analogues auraient lieu pour la nomination des sénateurs, si on négligeait toutes les fractions de population.

Maintenant, pourrait-on forcer indistinctement toutes les fractions de population ? C'est encore une chose impossible, parce qu'on arriverait de cette manière à un total de 120 représentants ; résultat encore une fois inadmissible, parce qu'il ne peut y avoir qu'un représentant par 40,000 habitants, et que notre population ne s'élève qu'à 4,335,000 habitants.

Comment faut-il donc procéder à l'égard des fractions de population ? C'est là toute la difficulté de la loi que nous discutons.

J'ai recherché les différents systèmes qui pourraient être appliqués, pour résoudre cette difficulté ; il m'a semblé que ces systèmes sont au nombre de 3 ou de 4.

Il y a d'abord le système que j'appellerai fractionnel, et qui aurait pour objet d'attribuer à une fraction de population, une fraction de représentant ou de sénateur. Evidemment ce système n'est pas susceptible d'une exécution rigoureuse, parce qu'il est impossible de diviser les personnes comme on divise les chiffres. Pour pouvoir appliquer jusqu'à un certain point ce système, on a recours soit à l'alternat, soit au concours.

Un autre système, c'est celui de la prépondérance numérique, qui consiste à attribuer la nomination aux fractions les plus fortes.

Vous avez, enfin, le système de compensation qui, si je le comprends bien, aurait pour résultat d'empêcher qu'un même arrondissement électoral ne puisse être privilégié à la fois et pour la nomination des sénateurs et pour celle des représentants.

Messieurs, sans vouloir combattre directement aucun de ces systèmes, je crois que nous devons exiger que l'application ne puisse avoir lieu qu'à des conditions certaines, précises et fixées d'avance, qu'elle ne soit jamais abandonnée à l'arbitraire, au régime du bon plaisir.

Je me suis demandé si le gouvernement avait suivi cette règle de conduite dans la confection du tableau de répartition qui nous est présenté. Messieurs, quant au système de concours, il a été admis dans trois arrondissements pour la nomination de sénateurs. Il est vrai que le gouvernement a suivi ici une règle fixe ; il n'a admis le concours que quand cela était nécessaire pour que tous les arrondissements sans distinction pussent être représentés au sénat. C'est là une considération de justice, d'équité qui peut être considérée comme une règle fixe, certaine, soustraite à tout arbitraire.

En est-il de même pour le système de compensation ? Il est évident que non. Le gouvernement, dans son exposé de motifs, a cherché à nous indiquer la règle qu'il avait suivie pour l'application de sou système de compensation. Voici en quels termes il s'exprime sous ce rapport :

« Lorsque, dans une province ou dans un arrondissement, il y a excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui est attribué, la compensation est établie en lui attribuant un représentant en plus, bien que la population n'atteigne point le chiffre strictement voulu ; et réciproquement, lorsqu'il y a excédant de population pour le nombre de représentants attribué à une province ou à un arrondissement, la compensation est établie en lui attribuant un sénateur en plus. »

Eh bien, messieurs, il est de fait que dans ce peu de lignes il y a autant d'erreurs que de mots. Il n'y a là rien qui ne soit en contradiction formelle, flagrante avec ce qui a eu lieu dans la confection du tableau. Ainsi le gouvernement vous dit : Lorsque dans une province ou dans un arrondissement il y a un excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui est attribué, la compensation est établie en lui attribuant un représentant en plus. C'est là une erreur évidente, les choses ne se sont pas faites de cette manière. La compensation n'a pas été admise pour la répartition entre les provinces. La preuve, c'est que plusieurs provinces sont doublement privilégiées pour la nomination des représentants et pour la nomination des sénateurs, et qu'il y a une province, celle de Namur, ayant un excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui est attribué et ayant tout à la fois un excédant de population pour le nombre de représentants qui lui est attribué, de manière qu'il n'est ici question d'aucune compensation ; il y a double privilège d'un côté, privilège fondé exclusivement sur la prépondérance numérique et double excédant de population de l'autre côté, sans qu'on ait cherché à rétablir l'équilibre par aucune compensation quelconque ; c'est donc l'inverse de ce qui est dit dans l'exposé des motifs.

La règle de la compensation est-elle suivie dans la répartition entre les arrondissements ? Elle l'est dans certains cas, mais elle ne l'est pas dans d'autres.

Ainsi l'arrondissement de Malines obtient le droit de nommer tout à la fois et un sénateur et un représentant, pour une fraction de population, tandis que, dans la même province d'Anvers, un autre arrondissement, celui de Turnhout présente un excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui a été attribué, et en même temps un excédant de population pour le nombre de représentants qui lui a été attribué ;ainsi encore une fois il n'est pas question ici de la compensation dont il est parlé dans l'exposé des motifs.

Il en est de même dans la province de Brabant. Nivelles est privilégie pour les sénateurs et pour les représentants ; tandis que Louvain a une fraction de population négligée et pour la nomination des représentants et pour la nomination des sénateurs.

C'est donc encore l'inverse de ce qu'on énonce dans l'expose des motifs qui est la vérité. La même chose se retrouve dans la province de Hainaut. Tournay a aussi une fraction doublement privilégiée, et encore une fois dans la même province un autre arrondissement, celui d'Ath, a un excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui est attribué et, contrairement à l'exposé de motifs, cet arrondissement n'obtient aucune compensation par le droit de nommer un représentant en plus.

Si le gouvernement avait voulu dire vrai dans son exposé de motifs,, il aurait dû s'exprimer en ce sens : Quant à la répartition entre les provinces, on a toujours donné la préférence à la fraction la plus forte ; on (page 1060) a agi de la même manière pour la répartition entre les arrondissements, sauf deux cas spéciaux. Dans ces deux cas spéciaux pourquoi s'est-on écarté de la règle ? On ne pourrait faire d'autre réponse que celle-ci : Parce qu'on l’a voulu, sit pro ratione voluntas.

Je défie le gouvernement de définir„ de préciser le principe qui pourrait l'avoir déterminé à s'écarter, dans ces deux cas spéciaux, de la règle généralement suivie pour les autres.

Je ne puis donc admettre le système de compensation qui nous est proposé, parce qu'il est basé sur l'arbitraire, parce qu'il ne repose pas dans son application sur une règle, sur un principe certain. Un autre motif qui me porte à repousser ce système, c'est qu'il n'est pas appliqué d'une manière rationnelle, d'une manière juste et équitable.

En effet, la compensation a pour objet d'empêcher le cumul des avantages elle a pour objet de faire en sorte que les faveurs soient partagées dans la proportion des titres que les arrondissements peuvent invoquer pour les obtenir.

Il en résulte qu'il faudrait accorder le privilège le plus considérable à l'arrondissement qui approche le plus près du droit rigoureux.

En faisant l'application de ces considérations aux deux cas qui font l'objet de cette discussion, voici le résultat auquel ou arrive : Liège, par exemple, a une fraction de 79/100 pour la nomination d'un sénateur, et en outre une fraction de 58/100 pour la nomination d'un représentant. En additionnant ces deux fractions, on trouve que leur valeur totale représente 1 37/100, tandis que Verviers n'a qu'une fraction de 25/100 pour la nomination d'un sénateur, et une fraction de 50/100 pour la nomination d'un représentant ; réunissant ces deux chiffres, j'arrive à une fraction totale de 75/100. Liège peut donc invoquer en sa faveur le chiffre de 1 37/100, tandis que Verviers ne peut invoquer qu'une fraction de 75/100.

La même chose se remarque à l'égard d'Alost et de Termonde. Alost a une fraction de 75/100 pour la nomination d'un sénateur, et une fraction de 45/100 pour la nomination d'un représentant.

Termonde a une fraction de 21/100 pour la nomination d'un sénateur et une fraction de 42/100 pour ia nomination d'un représentant ; réunissant ces chiffres, vous arriverez à un chiffre total de 1 18/100 pour Alost, et seulement à une fraction totale de 63/100 pour Termonde. De manière qu'encore ici, le titre pour l'obtention des avantages qu'il s'agit de répartir, milite plus fortement en faveur d'Alost qu'en faveur de Termonde. Maintenant, puisque nous avons à répartir deux nominations (une nomination de sénateur et une nomination de représentant ) entre Verviers et Liège, à qui devons-nous accorder l'avantage le plus considérable ? Mais évidemment à l'arrondissement de Liège, qui peut invoquer en sa faveur le titre le plus fort, c'est-à-dire, le chiffre le plus élevé, puisque Liège l'emporte à cet égard sur Verviers, dans la proportion de 1 37/100 sur 75/100. La même question, posée à l'égard d'Alost et de Termonde, doit être résolue de la même manière en faveur d'Alost, et cela par des motifs absolument identiques.

Ceci nous amène nécessairement à examiner quelle est l'importance relative de la nomination des représentants et des sénateurs. J'admets volontiers que le sénat est la première chambre législative de la Belgique ; j'admets que le sénat doit avoir le pas sur la chambre des représentants, dans toutes les cérémonies publiques. Je conviens que MM. les sénateurs ont droit à cette distinction, à raison de leur âge, et peut-être aussi à raison du contingent de contributions qu'ils doivent verser dans les caisses de l'Etat pour faire partie du sénat. Mais enfin, on doit le reconnaître, parce que la Constitution est là qui le dit, en termes clairs et formels ; les attributions des représentants sont plus importantes que celles des sénateurs. Et, en effet, messieurs, d'abord, nous pouvons mettre les ministres en accusation ; c'est déjà quelque chose. (Interruption.) Ce droit n'existe pas pour les sénateurs. Ensuite, nous avons le droit de nommer les membres de la cour des comptes ; et ce droit n'est pas accordé au sénat.

En troisième lieu, nous avons le droit d'initiative dans toutes les lois de finances, pour toutes les lois de recettes et de dépenses, et cette attribution est de la plus haute importance, non seulement quand on la considère en elle-même, mais aussi relativement à sou influence sur la défense des intérêts de localité.

Une considération qui s'applique spécialement à l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, le démontre à la dernière évidence. Tous les hommes impartiaux reconnaissent que cet arrondissement a toujours été traité avec une injustice révoltante en ce qui concerne la répartition des travaux d'utilité publique. Eh bien ! comme représentant, j'aurais le droit de soumettre à la justice de la chambre des mesures de nature à réparer les iniquités que le gouvernement se plaît en quelque sorte à faire peser sur notre arrondissement. Un sénateur, élu par le même arrondissement que moi, n'aurait pas le droit d'initiative dans une telle circonstance : il devrait tout attendre de la bonne volonté du gouvernement ; et, on le sait, cette bonne volonté ne nous a jamais été connue que par des sympathies stériles, par des promesses trompeuses.

Vous voyez donc, messieurs, que l'importance de la nomination des sénateurs n'est pas aussi grande que celle de la nomination des représentants !

Il est une autre considération qui mérite également de fixer toute votre attention, c'est que les électeurs exercent leur contrôle sur les représentants tous les quatre ans ; tandis qu'ils ne l'exercent que tous les huit ans sur les sénateurs. C'est donc pour les électeurs une garantie très forte pour la défense active, pour la défense réelle de leurs intérêts, et ceci tend évidemment à rendre l'exercice du droit électoral plus important dans un cas que dans l'autre.

De manière donc que, pour établir une juste compensation, il faut commencer par répartir les représentants ; et la compensation, s'il y a lieu de l'accorder, ne peut venir que dans la répartition des sénateurs, qui doit se faire en second lieu. D'ailleurs cette marche est pleinement conforme au vœu et à l'esprit de la Constitution. La Constitution a considéré la chambre comme le premier élément de la représentation nationale, la base de notre système représentatif. Elle a fixé, avant tout, le nombre des représentants d'après le chiffre de la population, et ce n'est que d'après ce nombre qu'elle a déterminé celui des sénateurs. Eh bien, nous devons procéder de la même manière pour être conséquents avec l'esprit de la Constitution.

Or, messieurs, qu'arrivera-t-il, si nous agissons ainsi ? Evidemment, dans la première répartition, Liège devra l'emporter sur Verviers pour la nomination d'un représentant en plus, et de même Alost devra l'emporter sur Termonde, puisque Liège et Alost peuvent invoquer en leur faveur un titre plus fort, une fraction de population plus élevée que les deux arrondissements concurrents, et que pour le moment il ne peut être question de compensation puisqu'il ne s'agit jusqu'ici que d'accorder un premier avantage. La compensation ne peut être sérieusement invoquée que dans la seconde répartition, c'est-à-dire dans celle de sénateurs. Alors on pourrait dire avec quelque fondement : Puisque les arrondissements de Liège et d'Alost sont déjà privilégiés, quant à la nomination des représentants, et qu'ainsi, à raison d'une fraction de population plus forte, ils ont obtenu l'avantage le plus considérable, il ne faut pas leur accorder une seconde faveur en ce qui concerne la nomination des sénateurs quoique, rigoureusement parlant, ils aient plus de titres à cette faveur que les arrondissements concurrents. Il y a lieu à adopter ici un système de compensation afin d'établir une espèce d'équilibre entre les avantages.

Ce mode de procéder serait au moins spécieux, mais ce que je dois repousser, c'est un système de compensation qui a pour résultat de renverser ce que la justice exige ; c'est-à-dire d'accorder le plus à celui qui a le moins de titres à faire valoir en sa faveur, et réciproquement d'accorder le moins à celui qui a le plus de titres à invoquer. Je dois repousser un tel système parce qu'il est en opposition formelle avec ce qu'exigent les principes les plus élémentaires de la justice et de l'équité, et parce qu'il n'est basé que sur un véritable arbitraire.

On pourra objecter qu'en appliquant le système de compensation de la manière que je viens d'indiquer on pourrait arriver à ce résultat qu'un arrondissement serait représenté par un nombre de sénateurs égal à celui des représentants. Ce serait une espèce d'anomalie, puisque la Constitution veut que le nombre des sénateurs ne soit que la moitié de celui des représentants. Mais, messieurs, je ferai remarquer que cette disposition de la Constitution ne s'applique qu'au nombre relatif des sénateurs et des représentants en général et non pas au nombre relatif des représentants et des sénateurs à nommer par tel ou tel arrondissement. D'ailleurs le même anomalie restera également d'après le projet de loi que nous discutons, puisque trois arrondissements électoraux, savoir, si je ne me trompe, Dixmude, Eecloo et Waremme seront appelés à élire un seul représentant et un seul sénateur.

Mais si vous ne voulez pas de cette anomalie, vous devez nécessairement rejeter le système lui-même, puisque nous sommes placés dans l'alternative ou bien de repousser le système de compensation afin d'éviter l'anomalie que je viens de signaler, ou bien de faire de ce système une application en opposition formelle avec les notions les plus vulgaires de justice. Or, dans cette alternative il n'y a pas à hésiter. Ainsi, pour résumer les considérations que je viens de soumettre, je ne pourrai adopter le système de compensation qu'en ce sens qu'après avoir accordé la nomination d'un représentant à l'arrondissement qui présente la fraction la plus forte, on accorderait ensuite le droit de nommer un sénateur à l'arrondissement qui ne pourrait invoquer en sa faveur qu'une fraction de population plus faible et cela par une espèce de compensation.

Que si l'on croit devoir reculer devant les inconvénients que ce mode de procéder pourrait entraîner ce sera pour moi une raison de rejeter le système de la compensation et non pas de faire de ce système une application injuste.

Je voterai donc pour l'amendement de l'honorable M. Lebeau ou pour tout autre qui pourrait être conçu dans le même sens.

M. Dedecker. - Il importe, messieurs, de ne pas rapetisser le débat actuel. Je serais, pour ma part, désolé que l'on pût croire un instant que je ne viens défendre ici que l'intérêt du district nominalement en cause dans cette discussion.

Pour moi, comme pour l'honorable comte Le Hon, il s'agit ici d'un intérêt plus élevé : il s'agit d'une question qui, comme l'a dit cet honorable membre, touche à la base même de nos institutions.

La question que nous avons à examiner est double : elle comporte une question de principe et une question d'application.

Lorsque M. le ministre de l'intérieur nous a présenté le projet de loi que nous discutons en ce moment, il a dit, dans son exposé des motifs, que la répartition qu'il propose est basée sur le principe sanctionné par la loi du 3 mars 1851.

L'honorable M. Lebeau, dans les considérations qu'il vous a présentées au début de cette discussion, ainsi que dans les tableaux qu'il nous a soumis, s'est inscrit en faux contre cette assertion, et prétend que la répartition proposée n'est pas opérée conformément aux principes qui ont présidé à la répartition de 1831.

(page 1061) Il s'agit donc, messieurs, d'examiner avant tout quelles sont les bases admises pour le système de 1831 ?

L'honorable M. Lebeau n'y voit qu'une base essentielle, constitutive : la préférence accordée d'une manière rigoureuse et absolue aux excédants de population les plus élevés.

Messieurs, que l'honorable membre me permette de le lui dire, c'est là l’erreur fondamentale dans laquelle il est tombé. Il est évident, lorsqu'on examine l'ensemble de l'économie de la loi de 1831, qu'à côté de ce principe général et normal, qui a présidé à la rédaction de la loi de 1831, principe qui consiste dans la préférence accordée aux excédants les plus élevés, il y a aussi un autre principe, un principe d'équité qui est venu tempérer, qui est venu modérer ce premier principe, trop rigoureux, trop absolu. Le législateur de 1831 avait parfaitement compris qu'en ne tenant compte que des excédants les plus élevés, on arriverait à des injustices ; et, comme le but de la loi de répartition est d'arriver de la manière la plus exacte possible à la rigoureuse représentation de toutes nos populations, il a senti que, pour arriver à ce résultat, il fallait adopter un principe d'équité, faisant partie intégrante du système.

Ce principe d'équité et de tempérament a été formulé de trois différentes manières dans la loi de 1831. Il a pris la forme de l'alternat dans certains cas, la forme du concours dans certains autres cas, et enfin, dans d'autres encore, la forme de la compensation. Mais au fond, ce sont là trois formules d'un même principe d'équité qui est venu tempérer ce qu'il y avait de trop rigoureux dans l'application du seul principe de la préférence accordée aux excédants les plus élevés.

En d'autres termes, pour m'exprimer d'une façon plus mathématique, le projet de 1831 admettait indirectement des demi-représentants.

Messieurs, est-on resté fidèle à ce système de 1831, dans le projet qui nous est soumis ?

Je n'hésite pas à dire oui.

D'abord le premier élément de ce système, le grand principe de la préférence à accorder aux excédants les plus élevés, est aussi le principe qui domine d'une manière normale et générale le projet nouveau. Pour les provinces, par exemple, c'est le seul qui ait été admis. Pour les districts, c'est encore le principe qui est admis dans le plus grand nombre de cas.

Mais si l'on voulait respecter le système de 1831, il fallait tenir compte, sous peine de fausser ce système, de le modifier profondément, du principe d'équité qui est venu tempérer ce système en 1831. En d'autres termes, il fallait conserver ou l'alternat, ou le concours, ou la compensation.

Ces éléments ont-ils été conservés ?

Vous le savez, messieurs, l'alternat soulève beaucoup de difficultés, beaucoup d'inconvénients pratiques, et sur tous les bancs aujourd'hui cette formule semble condamnée. Il n'a été conservé, dans le projet de loi actuel, que pour le seul district de Namur et de Philippeville.

Le principe du concours a été aussi conservé pour quelques cas spéciaux relativement au sénat.

Reste le principe de la compensation.

Ce principe est conservé dans le projet, et il est même étendu précisément à raison de la suppression du principe de l'alternat, car je n'admets pas du tout l'assertion de l'honorable M. Lebeau, lorsqu'il dit :

« Le système des alternats étant condamné par le projet de loi nouveau, le principe de la préférence attribuée par le décret du congrès aux excédants les plus élevés doit s'appliquer désormais avec plus de rigueur qu'en 1831. »

D'après moi, c'est tout le contraire qu'il fallait dire. C'est précisément parce que vous avez supprimé le principe de l'alternat qui modifie profondément le principe de la préférence absolue accordée aux excédants les plus élevés, qu'il faut un autre principe modérateur. Ce principe, c'est celui de la compensation que le gouvernement, pour cette raison, a appliqué à un plus grand nombre de cas qu'en 1831.

Ainsi, ce n'est pas le gouvernement qu'il faut accuser de modifier Je système de 1831 ; il faudrait accuser de ce chef ceux qui, n'admettant plus l'alternat (et personne n'en veut), se refusent à admettre le principe de la compensation. Il faut nécessairement l'un ou l'autre ; et le principe de la compensation, qui n'est pas nouveau, comme nous le voyons et comme cela a été prouvé surabondamment dans la séance de samedi par M. le ministre de l'intérieur et par M. Dubus, est devenu d'autant plus nécessaire, qu'il est appelé à remplacer le principe modérateur de l'alternat.

L'adoption de ce principe de la compensation a soulevé quelques objections que je réfuterai succinctement.

On a dit : Vous avez dans votre loi deux principes : vous appliquez aux provinces, d'une manière absolue et sans aucune espèce d'exception, le principe de la préférence accordée aux excédants de population les plus élevés, et pour les districts vous introduisez le principe de la compensation.

Oui, messieurs ; mais remarquez que sous l'empire de la législation actuelle, sous l'empire delà loi du 3 mars 1831, la même anomalie existe. L'alternat n'a jamais été appliqué de province à province : toujours on a admis, pour les provinces, le principe absolu de la préférence accordée aux excédants les plus forts ; mais l'alternat était appliqué de district à district. Je ne veux entrer dans aucun détail ; on comprend facilement que de province à province on n'ait pu organiser les choses comme de district à district. Dans le projet qui vous est présenté, vous avez également un système absolu pour les provinces, comme en 1831 ; mais pour les districts vous avez un principe modérateur, correctif, le principe de la compensation substitué à celui de l'alternat.

Mais, dit-on encore, il serait convenable qu'il y eût, dans tous les districts, un nombre de représentants double de celui des sénateurs. Cela serait plus rationnel, et surtout plus symétrique.

Je l'avoue, messieurs, ce serait plus symétrique ; mais serait-ce plus juste ? Voilà la question qu'il faut examiner. Car, n'oublions pas que le but principal de la loi que nous examinons est d'arriver à la représentation la plus exacte possible des populations et des fractions de populations. D'ailleurs, cette objection qu'on soulève contre le projet que nous discutons, aurait pu être soulevée aussi contre le principe de la loi de 1831. L'honorable M. Lys et l'honorable M. Dubus vous ont prouvé à l'évidence, il ne faut d'ailleurs qu'examiner les tableaux pour le voir, que, dans le système de la loi de 1831, il n'y a ni pour les districts, ni pour les provinces, un nombre de représentants toujours et régulièrement double de celui des sénateurs.

Une autre objection, messieurs, que l'on a faite à l'adoption du système de la compensation (et d'après moi cette objection est la plus sérieuse, parce que je ne veux pas non plus d'arbitraire dans la loi), c'est que ce système prête à l'arbitraire. Messieurs, il y a là quelque chose de vrai, je n'en disconviens pas, en ce sens, que l'application de tout ce qui est simplement d'équité, de tout ce qui n'est pas un droit positif, prête nécessairement à l'arbitraire. Mais, qu'on me permette de le demander à la chambre, faut-il, dans la crainte d'un arbitraire éventuel, sanctionner aujourd'hui une injustice réelle ? Ensuite, pourquoi le projet de loi est-il soumis à la législature ? C'est précisément pour examiner si telle proposition qui nous est soumise est conforme aux règles de la justice et de l'équité, conforme aux traditions constitutionnelles.

J'arrive ainsi naturellement, messieurs, après avoir discuté la question de principe, à la question de l'application de ce principe au cas spécial qui concerne les districts de Termonde et d'Alost.

Messieurs, pour apprécier le côté juste et équitable de la répartition qui vous est proposée pour les deux districts de Termonde et d'Alost, je commencerai par examiner s'il est conforme à l'esprit du système de 1831. Je trouve, dans le tableau accompagnant la loi de 1831, un cas absolument analogue à celui que nous discutons en ce moment. Le district de Bruges avait en 1831, 100,000 habitants ; le district de Termonde a aujourd'hui 96,000 habitants, la différence n'est que de 4,000. Le district de Courtray avait en 1831, 140,000 habitants ; le district d'Alost a aujourd'hui 138,000 habitants, différence, 2,000. Vous voyez, messieurs, que les deux cas sont identiques.

Eh bien, messieurs, comment a-t-on opéré la répartition en 1831 ? On a donné trois représentants à Bruges, comme on propose aujourd'hui, trois représentants pour Termonde ; Courtray n'eut que trois représentants, comme Alost n'en aura également que trois ; mais en revanche, Courtray eut deux sénateurs, comme on en reconnaît deux à Alost, et Bruges n'eut qu'un sénateur, comme Termonde n'en aura qu'un, d'après le nouveau projet de loi. Ainsi, messieurs, les cas sont identiques et le mode de répartition est également identique.

Pouvait-on, messieurs, arriver à une combinaison plus équitable que celle proposée par le gouvernement, en ce qui concerne la répartition des représentants et des sénateurs entre les deux arrondissements de la Flandre orientale, dont il s'agit ? L'honorable M. Lebeau, dans l'amendement qu'il a présenté, croit avoir trouvé une solution plus équitable du problème à résoudre, en attribuant un quatrième représentant à l'arrondissement d'Alost. Mais, messieurs, pour faire ressortir à tous les yeux l'injustice d'une telle répartition, voyons comment les deux districts d'Alost et de Termonde sont actuellement représentés, tant au sénat qu'à la chambre.

Le district d'Alost est représenté au sénat, par 2 sénateurs, c'est-à-dire, qu'il y est représenté pour une population plus élevée aujourd'hui que sa population réelle, de 22,000 habitants ; le district de Termonde, au contraire, n'a qu'un seul représentant au sénat ; sa population est de 96,000 habitants ; il y a donc 15,000 habitants de ce district qui ne sont pas représentés au sénat.

Maintenant, messieurs, quelle est la position des deux districts relativement à la chambre des représentants ? J'en appelle à votre bonne foi : ne peut-on pas dire que les deux districts ont le même droit à obtenir un représentant de plus ? Il n'y a qu'une différence de 2,000 habitants : en effet, il manque à Alost 21,000 habitants et à Termonde 23,000 pour avoir droit à un représentant de plus.

Eh bien, je le demande ; en présence du privilège dont Alost jouit, quant au sénat, et en considération de la parité des titres invoqués par les deux districts pour avoir un représentant de plus à la chambre, ne faut-il pas accorder ce représentant au district de Termonde ? C'est une simple question que j'adresse à votre bon sens et à votre bonne foi.

Un autre système de répartition a été proposé tout à l'heure par l’honorable M. de Naeyer. Si vous voulez une compensation, dit cet honorable préopinant, donnez du moins l'avantage le plus considérable au district qui a l'excédant de population le plus élevé ; en d'autres termes : accordez à Alost un représentant de plus et donnez à Termonde un deuxième sénateur.

Messieurs, je ne veux pas suivre l'honorable membre dans les développements qu'il a donnés à la comparaison qu'il a établie entre l’importance relative des sénateurs et celle des représentants. D'après nous, comme l'a fort bien fait observer l'honorable M. Dubus, dans la séance de samedi dernier, les deux chambres représentent également la nation, le sénat tout aussi bien que la chambre des représentants.

(page 1062) Je conviens que la chambre des représentants jouit de certains avantages que ne possède pas le sénat ; mais il me semble que c'est une hérésie constitutionnelle de se poser en victime parce qu'on obtient un sénateur de plus au lieu d'un représentant. Du reste, messieurs, j'ai à faire valoir à cet égard une considération qui n'a pas encore été présentée. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on propose d'attribuer un deuxième sénateur au district d'Alost ; depuis 16 ans, sans y avoir un droit réel et positif, l'arrondissement d'Alost jouit du privilège d'être représenté au sénat au-delà de sa population, tandis que l'arrondissement de Termonde, depuis 16 ans, est sacrifié sous ce rapport.

Et d'ailleurs l'honorable membre a senti la double anomalie où cela nous conduirait : non seulement, le district de Termonde aurait autant de sénateurs que de représentants ; mais il y aurait là une anomalie tout aussi criante pour le district d'Alost, qui aurait quatre représentants et un sénateur. Or, le projet de loi proposé par le gouvernement nous permet d'éviter cette double anomalie, tout en appliquant un système équitable et rationnel.

Voilà donc la conclusion à laquelle on arrive par la seule inspection des chiffres : puisque le district d'Alost a eu depuis seize ans le privilège d'être représenté au-delà de son droit au sénat ; puisqu'il y a, à 2,000 habitants près, le même excédant de population dans les deux districts et que, sous ce rapport, il y a parité de titres entre Termonde et Alost, le nouveau représentant doit être accordé au district de Termonde.

L'équité de cette répartition ressort encore bien plus de l'importance relative des deux districts. Je ne citerai que quelques faits qui résultent des documents qui nous ont été communiqués.

Les communes qui composent le district d'Alost sont en général fort peu importantes : pour arriver au chiffre de 138,000 habitants, ce district compte 81 communes, c'est-à-dire une moyenne de 1,700 habitants par commune. Le district de Termonde n'a que 26 communes, soit une moyenne de 3,700 habitants par commune.

On comprend aisément que de telles communes présentent un bien autre intérêt social.

Le district d'Alost, sur une population de 138,000 habitants, n'a gagné, depuis 15 ans, que 7,000 habitants. Le district de Termonde, sur 88,000 habitants, en a gagné 9,000. Ainsi, sous ce deuxième rapport, sous le rapport de l'accroissement de la population, le district de Termonde l'emporte sur celui d'Alost.

Il est encore un autre moyen de juger l'importance respective des deux districts : c'est la proportion du nombre des électeurs avec le nombre des habitants.

Le district de Termonde ne devrait, proportion gardée du nombre des électeurs du district d'Alost par rapport à sa population, avoir que 1,000 électeurs ; il y en a 1,056, c'est-à-dire qu'il y a sur 1,000 électeurs un excédant proportionnel de 5 p. c.

Examiner le dernier tableau annexé au rapport de la section centrale. La ville d'Alost ne compte un électeur que sur 66 habitants ; la ville de Termonde en a un sur 38 habitants ; les campagnes du district d'Alost n'ont un électeur que sur 113 habitants ; les campagnes du district de Termonde ont un électeur sur 97 habitants. Donc, en mettant le nombre des électeurs en rapport avec la population respective, tant pour les villes que pour les campagnes, le district de Termonde offre encore un avantage marqué sur celui d'Alost.

Je crois inutile d'entrer dans de plus longs détails, et de prouver, par l'exposé de l'importance relative des deux districts d'Alost et de Termonde, qu'il y aurait une criante injustice à accorder au district d'Alost tous les bénéfices de la nouvelle répartition des sénateurs et des représentants.

Messieurs, je crois avoir prouvé d'abord, que les bases du projet de loi en délibération sont conformes à celles de la loi du 3 mars 1831 ; ensuite, que le principe de la compensation n'est pas un principe nouveau, qu'en tous cas c'est un principe essentiellement équitable, d'autant plus nécessaire qu'on a supprimé l'alternat ; enfin, que le principe de la compensation est appliqué d'une manière rationnelle et juste aux deux districts de Termonde et d'Alost.

Cependant, messieurs, je tiens à ce qu'il y ait harmonie dans tout le système ; et, pour ma part, je déclare que je ne suis pas complètement satisfait de la répartition proposée pour les districts de Malines et de Turnhout. Je pense, avec d'honorables collègues, que là il y aurait une modification à faire au projet du gouvernement.

Il faudrait, ou bien proposer, comme le faisait avant-hier l'honorable M. Dubus, le concours de Turnhout avec Anvers pour l'élection d'un nouveau représentant ; ou bien admettre le concours de Turnhout avec Malines pour l'élection d'un sénateur. C'est là, en supposant qu'on admette le principe du concours, le système le plus rationnel. Si l'on présentait un amendement dans ce sens, je croirais devoir m'y rallier. Une telle combinaison, en effet, me paraît la plus conforme à l'esprit qui a présidé à la rédaction du projet que nous discutons.

M. Castiau. - Messieurs, je n'imiterai pas les préopinants ; je ne viens pas prendre part à la discussion qui s'est engagée entre les honorables députés de Liège, de Verviers, d'Alost et de Termonde pour la conquête des représentants et des sénateurs que ces localités se disputent.

C'est là, messieurs, si je puis m'exprimer ainsi, une sorte de course aux sénateurs et aux représentants, à laquelle je n'ai pas à me mêler en ce moment.

Je risquerai seulement une simple observation sur ces discussions animées : il semble que plus on avance et plus la question se complique ; peut-être pour la décider sera-t-on obligé de recourir à un nouveau jugement de Salomon, en partageant l'objet de ces réclamations contradictoires.

Si je prends de nouveau la parole, c'est, messieurs, que je ne puis laisser sans réponse les observations par trop personnelles, qui viennent de m'être adressées par mon honorable ami, M. Delfosse.

Tout en déclarant qu'il était d'accord avec moi sur la légitimité et la nécessité d'une réforme électorale, l'honorable membre m'a cependant adressé un blâme indirect pour d'être venu, à l'occasion de la loi qui nous occupe, soulever cette question.

Comment, messieurs, ai-je été amené à examiner tout à la fois et la question de la réforme électorale et la question de la réforme parlementaire ? Mais évidemment par le projet de loi qui vous est soumis, et auquel ces questions se rattachent par les liens les plus intimes, ainsi que j'avais eu l'honneur de vous l'expliquer déjà dans mon premier discours.

Quel est, en effet, le but de ce projet de loi ? C'est l'amélioration de notre système représentatif. Les moyens mis en avant par le ministère atteignaient-ils le but vers lequel on marchait ? Là était la difficulté, et évidemment nous avions le droit, à cette occasion, de signaler les lacunes, les contradictions et les inconséquences que le projet pouvait offrir. C'est ce que j'ai fait.

Je vous ai dit que l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs devait entraîner l'augmentation des électeurs dont le nombre reste stationnaire et serait même frappé de décroissance, s'il faut en croire les statistiques que je vous ai citées.

J'ai également prétendu que l'amélioration de notre régime parlementaire exigeait l'incompatibilité entre les fonctions législatives et les fonctions publiques amovibles.

J'ai blâmé et accusé le ministère de n'avoir pas rattaché ces deux questions à celle qui nous occupe.

En présentant ces observations, je crois être resté, non pas dans les limites étroites du projet de loi, mais dans l'examen des conséquences qui devaient découler de ce projet. Plus que jamais je reste convaincu que vous n'aurez rien fait dans l'intérêt de l'amélioration de nos institutions représentatives, si vous n'y rattachez pas en même temps la question de la réforme électorale et la question de la réforme parlementaire.

Que M. le ministre de l'intérieur n'ait rien dit de l'examen de ces questions, je le comprends parfaitement. Il paraît que le ministère, en ce moment, est aussi pauvre d'idées que faible de constitution. Il vit au jour le jour, et se traîne terre à terre. Triste spectacle ! II veut mourir comme il a vécu, dans un état de nullité et d'impuissance ; il s'admire dans le projet de loi, qui semble fait à son image, et qui, par l'insignifiance de ses résultats, semble porter le cachet de stérilité dont ont été empreintes jusqu'ici toutes les œuvres ministérielles.

Il paraît, du reste, messieurs, que le ministère est encore beaucoup plus mal que je ne le pensais. J'avais dit dans mon premier discours que le ministère en était à l'agonie. Je serais tenté de croire aujourd'hui qu'il a perdu complètement et le sentiment et la parole. Ne l'oubliez pas, je l'ai attaqué vivement, trop vivement, peut-être, je l'ai agité, remué, secoué de mille manières. J'ai même eu recours aux commotions d'une sorte de galvanisme ; je n'ai rien pu obtenir, ni une parole, ni une plainte, ni un geste, ni un soupir. Que conclure de cette incurable immobilité ? Que l'agonie est plus que complète, que la crise fatale est arrivée et que le ministère est en quelque sorte à l'état de cadavre. S'il en est ainsi, qu'il repose en paix dans les catacombes politiques ; n'agitons pas sa cendre et cessons d'accuser sa mémoire.

Messieurs, je ne me suis pas étonné du silence, de l'impassible silence gardé en celle circonstance par le ministère ; mais je me suis étonné que personne, sur les bancs que j'occupe, n'ait uni sa voix à la mienne pour réclamer le complètement de la loi, la réforme électorale et la réforme parlementaire. Ce silence a dû m'affecter, et je ne puis m'empêcher de vous le dire. N'était-ce pas une occasion pour l'opposition de prouver qu'elle savait s'élever au-dessus des débats de personnes, se préoccuper des questions de principes et préluder aux améliorations dont elle se propose de doter le pays ?

Pendant deux séances, l'opposition s'était tue sur les questions que j'avais soulevées ; mais aujourd'hui, elle vient enfin de parler par l'organe de mon honorable ami M. Delfosse ; enfin une voix amie s'est fait entendre dans cette enceinte, elle s'est unie à la mienne pour proclamer l'irrésistible nécessité d'une réforme électorale ; mais, en même temps qu'on me donnait cette adhésion publique, on m'en retirait le bienfait en contestant l'opportunité de la présentation d'une proposition de réforme.

Oubliant même qu'il ne pouvait s'agir ici que de questions de principes, on est venu mêler des considérations toutes personnelles au débat ; et les principes se sont trouvés presque complètement effacés par les questions de personnes qui ont fait presque exclusivement les frais du discours de l'honorable membre.

Que vous a-t-on dit ? Que si la représentation nationale n'était pas composée suivant mes sympathies il ne fallait pas tant accuser en définitive notre système électoral que l'absence de candidats ou le refus d’acceptation des candidatures parlementaires. A cette occasion, l'honorable membre a cité l'exemple d'un généreux et grand citoyen, qui a déposé son mandat dans cette enceinte et qui a refusé depuis de rentrer dans la vie parlementaire.

(page 1063) Ce n'est pas une pensée de découragement vulgaire qui a dicté cette détermination qu'on a paru poursuivre de je ne sais quel blâme. Le courage de Gendebien était à la hauteur de son patriotisme et de son talent. Il l'avait assez prouvé en jouant sa tête au jeu terrible des révolutions, et en restant pendant dix ans sur la brèche pour défendre nos droits et nos libertés.

Dans quelles circonstances a-t-il répudié son mandat ? C'est en 1839, dans cette année de sinistre souvenir. Il s'agissait, pour la Belgique, d'une question d'honneur, d'existence nationale en quelque sorte ; il s'agissait de mutiler le territoire et de livrer à l'étranger 300,000 Belges et la moitié de deux de nos provinces. En présence de cet immense désastre national, n’était-il pas permis, non pas de céder au découragement, mais de désespérer de l’honneur, de la dignité, de l’existence de la Belgique ? Pour n’être pas obligé de voir s’accomplir sous ses yeux ce terrible sacrifice, Gendebien a préféré déchirer son mandat et en appeler à la justice des peuples. Sa retraite fut sans doute une calamité publique ; mais elle fut aussi la plus énergique des protestations contre un traité odieux. Aussi les regrets et les sympathies du pays tout entier l'ont-ils suivi dans sa retraite, et jamais popularité ne fut plus grande et mieux méritée.

Maintenant, vous le comprenez, après avoir évoqué cette grande réputation devant nous, j'aurais mauvaise grâce à parler de moi, à me faire apparaître, moi chétif et sans précédents, à la suite de cet homme qui est resté pur et grand pour tous les partis. Je regrette donc, je regrette vivement que mon honorable ami ait mêlé mon nom, à diverses reprises, à ce débat et m'ail ainsi infligé le ridicule de devoir vous parler de moi après Gendebien. Aussi, croyez-le bien, je ne pousserai pas l'extravagance de la vanité, jusqu'à m’arrêter à ces débats tout personnels. S'il m'avait été permis de vous parler de moi et de ma position politique, je vous aurais dit que je n'ai pas la ridicule prétention de lutter presque toujours seul contre tous.

Si donc une pensée de découragement était permise, elle ne serait que trop justifiée par l'isolement de ma position dans cette enceinte. Quand votre nom est sans autorité et votre parole sans influence ; quand les mesures que vous proposez sont repoussées d'avance ; quand le plus avancé de vos amis politiques se contente de vous adresser une adhésion conditionnelle, comme celle de M. Delfosse ; quand il vous est bien démontré que vos efforts sont impuissants, que vos intentions même sont souvent odieusement calomniées ; quand on est enfin convaincu qu'on ne peut rendre aucun service et que même on est un obstacle pour le parti qui consent à vous adopter, n'a-t-on pas terminé sa mission ? N’est-il pas permis de désespérer du présent et de douter de l'avenir ? Le découragement enfin n'est-il pas d'autant plus excusable alors que, je vous l'ai dit à satiété déjà, si vous n'introduisez rapidement de larges améliorations dans votre régime électoral et parlementaire, vous n'aurez bientôt plus, dans le pays, que l'hypocrite simulacre du gouvernement représentatif.

Je respire enfin, car je puis abandonner tous ces détails personnels, qui n'auraient pas dû se faire jour dans cette assemblée, pour en revenir à la question de réforme électorale que mon honorable ami n'a que trop longtemps oubliée dans son discours.

Que vous a-t-il dit, messieurs, de cette réforme électorale ? Qu'il la voudrait, avec moi ; mais qu'elle serait rejetée par la majorité, par cette vieille et incorrigible majorité qui s'effraye de la réforme la plus inoffensive.

Je le crois aussi, messieurs ; mais je pense également que les questions de réforme larges, profondes, décisives, ne sont pas des questions qui s'improvisent et se tranchent en un jour. Je crois que de telles questions doivent être d'abord agitées par l'opinion et reproduites cent fois dans la presse et à la tribune avant de passer dans le domaine des faits.

C'est ainsi que pour la réforme parlementaire, en Angleterre, il n'a pas fallu moins d'un siècle entier pour arriver à transformer en loi les motions de réforme parlementaire qui se faisaient régulièrement chaque année à l'ouverture du parlement. Les grandes et radicales réformes sont donc, avant tout, des questions de temps.

Ce sont des conquêtes qu'on ne peut conquérir qu'avec la puissance du travail, de l'intelligence, de la volonté et à la sueur du front en quelque sorte ; je ne le sais que trop. Mais ce que je sais aussi, c'est que les majorités finissent par s'user, c'est qu'elles s'usent surtout quand il leur arrive de vouloir représenter l'immobilité politique absolue ; de refuser systématiquement toute espèce de réforme. Oui, c'est alors que les majorités se discréditent et se perdent, parce qu'elles soulèvent contre elles toutes les intelligences, toutes les volontés, tous les intérêts.

Mais mon intention n'était pas d'aborder, ici, en ce moment, à la fin d'une session, un projet de réforme électorale qui dût effrayer les timides par sa hardiesse ; non je ne comptais pas venir vous demander en ce moment, que, réalisant dans toute sa vérité le gouvernement représentatif, on appelât la majorité des citoyens à l'exercice des droits politiques ; mes intentions étaient plus modestes, et mes vœux moins ambitieux. Mon Dieu, j'avais réduit la proposition de réforme que je complais soumettre à l'assemblée, aux proportions les plus humbles. Cette proposition, je l'avais faite aussi inoffensive que possible, tellement inoffensive que, comptant sur une sorte de retour de jeunesse de cette vieille majorité qui m'écoute (interruption), j'avais l'espoir de la lui voir adopter.

Il s'agissait simplement d'adjoindre aux listes électorales les listes du jury.

Pour vous en convaincre permettez-moi de mettre sous vos yeux cette proposition que j'ai communiquée à la plupart de mes amis politiques et qui n'a pu réunir jusqu'ici que l'appui de trois signatures :

« Les listes électorales, dont la loi du 3 mars 1831 ordonne la révision du 1er au 15 avril de chaque année, comprendront à l'avenir les noms des citoyens qui aux termes de l'article premier, n° 2 de la loi du 15 mai 1838, sont appelés à exercer les fonctions de jurés, pourvu qu'ils remplissent les autres conditions imposées par la loi et qu'ils payent, en outre, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 20 fr. dans la province de Luxembourg et celle de 30 fl. dans les autres provinces. »

Plusieurs membres. - C'est très bien : nous sommes prêts à appuyer cette proposition.

M. Castiau. - Merci, messieurs ; votre adhésion m'encourage ; je n'hésite plus cette fois et je vais à l'instant déposer cette proposition sur le bureau pour être soumise au vote de la chambre. On pourrait s'en occuper à l'instant, car cette proposition n'est, après tout, qu'un amendement qui complète la loi qui vous est présentée. Je crois même inutile de la développer, tant l'adjonction des jurés aux listes électorales a pour elle la raison, la justice et la vérité.

Veut-on maintenant donner à cette proposition une importance qu'elle ne peut avoir ? Les partisans des formes réclameront-ils pour elle un examen et un rapport spécial ? Pense-t-on qu'il y aurait eu quelque inconvénient à la joindre au projet que nous discutons ? Est-il vrai qu'en persistant à la rattacher au projet de loi, je compromettrais le succès de ce projet ? Eh bien, dans ce cas, je proposerais tout le premier la disjonction.

Vous feriez sans doute beaucoup trop d'honneur à cette pauvre petite réforme, à cette réforme infinitésimale, si je puis m'exprimer ainsi, en déployant pour elle toute la pompe des formes parlementaires ; mais si vous tenez absolument à lui rendre des honneurs qu'elle ne mérite pas, eh bien ! j'aurai la faiblesse de les accepter pour elle.

Seulement je crains bien que le rapport ne puisse vous en être présenté dans le courant de la session et qu'elle n'aille s'ensevelir dans les cartons de nos sections.

Dans ce cas, je compte qu'il se trouvera dans cette enceinte une voix au moins, celle de mon ami Delfosse, pour l'en faire sortir. Et si jamais il entrait dans les conseils du gouvernement, j'espère bien que le premier usage qu'il ferait de son influence, serait d'assurer l'adoption delà proposition que je lui aurais léguée.

Dans cet espoir, je dépose maintenant cette proposition sur le bureau, la chambre en fera ce qu'elle voudra ; elle pourra l'adjoindre comme article additionnel au projet qui lui est soumis ; ou bien le distraire et le renvoyer à l'examen des sections. Je suis sans crainte sur le résultat de cet examen ; car j'aurai pour moi, j'espère, non seulement l'adhésion de mes amis politiques, mais encore l'impartialité de la majorité de cette chambre. Dans tous les cas j'espère que, si la majorité de cette assemblée n'acceptait pas cette proposition de réforme d'entraînement et de sympathie, elle voudrait bien la subir à titre de pénitence et comme expiation des erreurs, des fautes des méfaits politiques qu'elle a pu commettre dans sa trop longue carrière.

M. Delfosse (pour un fait personnel). – Je n'ai pas besoin, je pense, de déclarer qu'il n'est pas entré dans mes intentions de déverser le moindre blâme sur l'honorable M. Gendebien. Je n'ai exprimé qu'un regret : personne plus que moi ne rend justice à cet honorable citoyen ; personne plus que moi n'est reconnaissant des services qu'il a rendus au pays, et je me félicite d'avoir amené l'honorable M. Castiau à lui donner dans cette enceinte un témoignage éloquent, plus éloquent que je n'aurais pu le faire, d'estime et d'admiration. Si, après avoir parlé de l'honorable M. Gendebien, j'ai parlé de l'honorable M. Castiau, c'est que ces deux noms, les noms de Gendebien et de Castiau, sont unis dans mon esprit comme ils sont unis dans mon cœur.

M. de Mérode. - Messieurs, parmi les observations qui vous ont été présentées dans la discussion générale et qui manquent de fondement, je trouve d'abord celle-ci, que puisque le projet de loi a pour objet de mettre la représentation nationale en rapport avec la population du pays, s'il est juste d'augmenter le nombre des représentants parce que la population s'est accrue, il serait bien plus juste encore d'augmenter le nombre des électeurs suivant la progression de cet accroissement.

Contre cette critique du projet je dirai premièrement que la seule chose équitable en cas de modification dans les rapports des diverses populations du pays entre elles serait non point d'augmenter le nombre des représentants, mais d'en régler, si la justice distributive l'exige, une répartition nouvelle, car je ne crois pas un pays mieux représenté lorsqu'il envoie aux chambres des députés plus nombreux.

La Convention nationale de France, en 1793, formait plus qu'un véritable régiment. A peine constituons-nous une compagnie dans cette enceinte, et cependant au lieu d’exercer, à son exemple, une affreuse tyrannie, nous avons tout fait pour la liberté, infiniment plus même que l’assemblée constituante si nombreuse aussi.

En second lieu, l'expérience prouve que la multitude des électeurs, loin de donner de la considération aux fonctions électorales, éloigne de leur exercice ; à tel point que nous voyons souvent à Bruxelles les deux tiers, les trois quarts des électeurs s'abstenir de prendre part au choix des conseillers communaux. D'où résulte que l'intelligence politique, l'éducation politique est loin d'avoir fait les immenses progrès qu’on lui attribue.

Une seconde assertion contre laquelle je m'élève, c'est que la chambre des représentants, telle qu'elle est composée, représente la vieillesse. Messieurs, l'on est sur les bancs où nous siégeons admissible à 25 ans. Or, à cet âge à peine a-t-on terminé ses études ; lorsqu'elles sont complètes, (page 1064) à peine a-t-on pu acquérir la moindre expérience de la vie pour diriger sa propre conduite. Comment donc serait-on apte à guider la société ? Mais si l'on est éligible à vingt-cinq ans, faudrait-il qu'on ne fût plus éligible à quarante, de peur de livrer le gouvernement à la caducité ? Et suffirait-il pour prouver l'avantage d'une semblable prohibition, de multiplier cent par quarante et de montrer le produit d'une si concluante opération arithmétique qui s'élèverait à quatre mille ans ?

Il est un pays, messieurs, où l'on a pris l'habitude de renverser les gouvernements par des émeutes, où l'on organise des bandes armées qui se ruent sur les cantons voisins dans l'espoir d'y faire régner la violence. Eh bien, que fut-il imaginé pour valider ce régime subversif ? La juvénocratie ! c'est-à-dire la participation aux affaires publiques d'une adolescence inconsidérée qui, n'ayant rien vu, n'a rien appris, ne ménage rien.

En effet, n'a-t-on pas vu récemment, à Genève les membres du gouvernement légal qui, défendant son existence légale, s'était acquitté d'une obligation impérieuse ; n'a-t-on pas vu ces membres, vaincus par un coup de main audacieux, condamnés à payer les dégâts causés par la subversion triomphante et forcés de payer ensemble une amende de 40 mille francs pour s'être permis l'accomplissement de leur devoir constitutionnel ? Non messieurs, ce n'est pas en vain que la Bible nous montre le juvénile successeur de Salomon, Roboam poussant dix tribus sur douze à se séparer de lui parce qu'il écoutait les conseils de jeunes gens inexpérimentés et entreprenants, au lieu de suivre les avis de la prudence que lui donnait l'âge mûr.

Et c'est pour établir la domination de cette juvénocratie malencontreuse que l'on vous conseille de multiplier sans relâche les réélections, afin de fatiguer les hommes qu'un nombre d'années plus grand rend moins propres au remue-ménage continuel.

Messieurs, j'appartiens à un district où les électeurs de plusieurs cantons sont forcés de passer deux nuits hors de leurs domiciles pour participer à l'élection, où les fermiers de ces cantons et d'autres moins éloignés sont obligés d'épuiser, pour le service électoral, leurs chevaux destinés au labour par de longs voyages vers le chef-lieu, et d'abandonner ainsi leurs travaux utiles, souvent même indispensables. Sans doute, il faut accepter ces luttes, ces gênes, quand la Constitution l'exige ; mais il serait absurde, de la part du gouvernement, de les réitérer sans motif, tandis que les exigences de la loi et celles de la mort, car nous ne sommes pas à l'abri de ses coups, les multiplient déjà trop souvent.

En outre, beaucoup de cultivateurs, de fournisseurs engagés dans le commerce de détail ont à ménager des personnes d'opinions diverses avec lesquelles ils sont liés par leurs affaires ou par leurs baux, et les exposer sans nécessité aux tiraillements renouvelés sans cesse de l'antagonisme politique, c'est tourmenter à plaisir cette classe nombreuse de citoyens paisibles et laborieux qui n'aiment pas à se mesurer constamment avec des adversaires dans le champ clos des partis. Ajoutez à cette considération les frais de transport et accessoires que coûte aujourd'hui le combat électoral pour beaucoup de candidats à élire ou à réélire. Or, ces frais sont souvent si considérables que des hommes parfaitement dignes de la confiance publique, et qui ont prouvé leur capacité par d'incontestables services, n'osent plus se mettre sur les rangs, leur fortune ne leur permettant pas d'y figurer avec chance de succès.

Messieurs, comme mon parti, comme l'opinion vraiment libérale, vraiment belge, c'est-à-dire amie de la liberté sincère et sans masque, que je représente et qui n'a rien de commun avec le faux libéralisme qui doit déguiser son drapeau, se compose généralement de ces hommes d'âge mur et tranquilles auxquels répugne un perpétuel pugilat politique, je ne mettrai jamais mon honneur à perdre le rôle que je supporte ici dans l'intérêt social depuis 17 ans, en favorisant de mon approbation l'abus des élections multipliées sans fin.

j'ajoute que la Constitution belge, en divisant par moitié, tous les deux ans, les élections dans le royaume, indique clairement l'intention de ne pas brusquer les revirements mobiles de l'opinion réelle ou factice, et renoncer sans raison pressante à ce mode prudent de renouveler les chambres législatives serait mépriser l'une des plus sages précautions du congrès.

Qu'il me soit permis de m'expliquer encore sur une définition des partis que vous présentait l'orateur, dont la parole se fit entendre la première dans la séance de samedi.

« L'une des deux grandes opinions qui divisent la Belgique, vous disait-il, s'appelle libérale ; l'autre, j'éprouve quelque embarras à la nommer, puisqu'elle est à la recherche d'un nouveau nom ; mais jusqu'à ce que le nom soit fixé, je me servirai de celui de catholique.

« Le parti libéral ne veut, lui, que la Constitution, toute la Constitution, avec la juste et saine application de son principe à tous les droits, à tous les intérêts, et plus heureux que dans d'autres pays, il n'a rien à conquérir et tout à conserver, il s'appellerait mieux le parti constitutionnel.

« Le second parti, le parti catholique, est attaché aussi à nos institutions et à leurs principes ; mais il diffère essentiellement du premier parti quant au mode et aux mesures à prendre pour leur application ; il admet l'intervention indirecte du clergé dans le domaine civil, soit comme agent modérateur de l'esprit de la liberté, soit comme un soutien qu'il croit nécessaire à la faiblesse du pouvoir. »

Messieurs, cette définition des partis que vous donnait avant-hier l'orateur précité, vous prouve de nouveau combien sont défectueuses, combien sont fausses dans leur application présente les qualifications de libéral et de catholique. Voici longtemps que j'ai indiqué tout le péril de cette logomachie, toute la confusion d'idées qui en résulte. En fait d'idées religieuses ou philosophiques, il y a en Belgique, comme ailleurs, deux partis séparés par des degrés divers, à savoir celui des esprits qui croient à la mission divine du christianisme, et celui des esprits qui pensent que la raison humaine suffit à l'homme sans la révélation surnaturelle préconisée par les évangélistes et leurs successeurs. Il y a donc avec de intermédiaires insouciants c'est-à-dire les gens qui sont absorbés pas les affaires temporelles des catholiques et des rationalistes.

Dans l'ordre politique, il y a des hommes qui aiment la liberté pour tous, d'autres qui l'aiment pour eux seuls, soit par la protection exclusive d'un prince, soit à l'aide d'institutions constitutionnelles faussées et trompeuses ; j'appelle les premiers libéraux, les autres sont absolutistes ou libérâtres. Or, il y a en grand nombre en Belgique des catholiques-libéraux comme des rationalistes-libéraux, et ces catholiques ne veulent pas plus que d'autres l'intervention indirecte du clergé dans le domaine civil. On pourrait plutôt dire que certains rationalistes souhaitent ardemment l'intervention du pouvoir civil dans le domaine religieux, et c'est là le motif principal pour lequel les amis et les membres du clergé, eu tant que citoyens, cherchent à obtenir dans les chambres un nombre suffisant de défenseurs de la liberté chrétienne. Quant à moi, messieurs, je ne suis pas le moins du monde embarrassé du nom que je veux me donner. Politiquement, je suis libéral ; sous le point de vue religieux et philosophique, je crois à la vérité du christianisme universel, dont le centre est à Rome, jadis capitale fameuse du vieux monde païen converti, changé, transformé par la foi en Jésus-Christ ; si un prêtre concourt à mon élection, selon son influence légitime, il use de son droit comme un pasteur protestant ou un rabbin peut user du sien. Si le clergé est agent modérateur de l'esprit de liberté par ses prédications morales, il rend service à la société, en empêchant la licence, et je crois cette action si nécessaire, que sans elle nous tomberions dans le chaos ; mais je ne confonds pas pour cela la mission ecclésiastique avec la mission politique, il existe entre elles des liens plus forts que toutes les combinaisons idéales par lesquelles on veut quelquefois les séparer d'une manière trop absolue ; néanmoins, elles sont, elles doivent être distinctes.

Si l'on s'était borné, messieurs, à examiner exclusivement dans son essence le projet de loi en discussion, je me serais abstenu de combattre de nouveau des idées contraires au vrai principe d'ordre libéral et constitutionnel que nous avons su maintenir depuis 1830, avec une telle perfection relative qu'elle nous distingue à un haut degré, jusqu'à ce jour, au milieu des autres nations.

M. Lebeau. - La discussion a pris un caractère avec lequel contrasteraient singulièrement les observations un peu arides que j'aurais à présenter à la chambre. Je me réserve donc, comme elles se rattachent purement et simplement au tableau de répartition, de les reproduire après la discussion générale, et lorsqu'on mettra en discussion l'article premier, auquel se rattache mon amendement.

M. Desmet. - J'ai demandé la parole pour répondre deux mots à l'honorable M. Dedecker. Cet honorable membre a dit, avec raison, que le but de la loi est de donner au pays la représentation la plus complète et la plus rigoureuse.

Messieurs, pour arriver à ce but, pour avoir une représentation complète, juste et équitable, nous avons fait nos réclamations. Car nous disions que pour le district d'Alost une pareille représentation n'existait pas.

Mais, dit l'honorable M. Dedecker, l'alternat est supprimé. Or, l'alternat étant supprimé, il ne reste plus que la compensation.

Il est vrai, messieurs, que l'alternat est supprimé dans le projet. Il en a été de même en 1831. Dans le projet de cette époque, on repoussait aussi l'alternat, mais le congrès l'y a introduit. Pourquoi ? Parce qu'il a trouvé que c'était le moyen d'arriver à une juste répartition. J'ai cité trois exemples où j'ai prouvé que la chambre avait senti la nécessité d'en venir à l'alternat, celui de Maestricht, celui de Liège et celui du Hainaut.

Messieurs, qu'est-ce que la compensation ? Je crois réellement que le sens de ce mot n'est pas parfaitement compris dans cette circonstance.

Compenser, messieurs, c'est donner une chose de même prix, de la même valeur que celle que vous prenez.

Eh bien ! je le demande encore une fois, peut-on réellement dire que la représentation au sénat peut compenser la représentation à la chambre ? L'honorable M. de Naeyer vous a prouvé que cela était complètement impossible.

Mais, messieurs, j'ajouterai une considération à celles qu'il vous a données.

Les populations sont représentées à la chambre ; les populations sont représentées au sénat. Mais la liberté des choix est-elle la même pour les deux chambres ? Lorsqu'on voit, messieurs, le petit nombre d'éligibles au sénat, à cause du cens élevé, peut-on dire qu'il y a compensation entre la représentation au sénat et la représentation à la chambre ? Combien, messieurs, le Luxembourg a-t-il d'éligibles au sénat ? Un seul. Il n'y a qu'un seul citoyen dans le Luxembourg qui paye 1,000 florins de contribution. Il est vrai que la Constitution dit que lorsque le nombre d'éligibles n'est pas suffisant, on complète ce nombre par les plus imposés jusqu'à concurrence d'un sur 6,000 âmes. Mais, malgré cette imposition, peut-on dire qu'il y a analogie entre les choix pour la chambre et les choix pour le sénat ? Evidemment non, messieurs ; on peut dire que l sénat est un corps tout à fait aristocratique.

Dans mon district il n'y a qu'un seul habitant qui paye le cens. Sans (page 1065) doute on pourra en augmenter le nombre par suite de la latitude que laisse la Constitution. Mais je le demande encore, le choix est-il aussi libre que pour la chambre, pour laquelle toute la population masculine peut être élue.

Je laisse, messieurs, cette appréciation à votre jugement. Mais il me paraît clair, il me paraît palpable qu'on ne peut pas dire qu'il y a, pour l'élection d'un représentant, compensation dans l'élection d'un sénateur.

Dès lors, messieurs, la compensation étant prouvée impossible, vous ne pouvez adopter une mesure injuste. Car, comme vous l'a dit l'honorable M. Dedecker, il faut que la représentation soit complète, qu'elle soit juste, qu'elle soit aussi égale que possible pour toutes les parties du pays.

Mais, nous dit l'honorable M. Dedecker, vous ne pouvez pas vous plaindre, puisque vous avez depuis longtemps, injustement, iniquement, illégalement un sénateur que vous ne deviez pas avoir, puisque vous n'aviez pas un chiffre de population suffisant pour l'obtenir. Messieurs, je ne crois pas que le district d'Alost ait eu injustement un sénateur de plus. D'abord on n'a jamais fait de réclamation à cet égard ; et si l'on avait réclamé, je ne sais si Alost aurait tant tenu à son sénateur.

Mais, messieurs, que manque-t-il de population à ce district pour que son droit à l'élection d'un sénateur ne puisse lui être contesté ? Il lui manque à la vérité 23,000 âmes ; mais il a pour ses représentants 19,000 âmes de trop. Certes, messieurs, ces deux chiffres sont bien près de se compenser, puisque la différence n'est que de 4 à 5,000 âmes. Je pense que la population en trop peut compenser la population en trop peu. Ainsi le reproche d'injustice vient à tomber.

Mais, messieurs, qu'est-ce que cet argument prouve ? C'est qu'il est injuste d'ôter à une population de 138,000 à mes comme celle d'Alost, pour donner à une population de 90,000 âmes comme celle de Termonde. C'est, messieurs, ce qu'on a tenté, et c'est pour cela qu'on a cru devoir recourir à ce reproche de possession mal acquise.

Ainsi, messieurs, il me paraît évident qu'en 1831, pour ne pas commettre des injustices patentes, on a eu recours à l'alternat, et je crois que c'est encore le moyen le plus juste, le plus équitable.

Que répond-on ? L'alternat, dit-on, présente des inconvénients pratiques. J'avoue, messieurs, que je ne connais pas ces inconvénients.

On dit encore qu'après quatre années on doit élire quelqu'un qui n'appartient pas au district qui a été représenté. Mais je ne vois pas d'inconvénients à ce résultat. Au contraire, je vois là un grand bien ; car on est ainsi forcé de changer un peu la représentation.

Mais les inconvénients sont dans le système contraire. Ces inconvénients, ce sont les plaintes que feront entendre avec juste raison les habitants du district d'Alost, lorsqu'ils verront que vous donnez à Termonde, qui n'a que 96,000 habitants, la même représentation à la chambre qu'à leur district, qui a 138,000 habitants.

L'honorable M. Dedecker, voyant bien l'injustice qu'on commettait à l'égard d'Alost, vous a dit que si Termonde avait moins de population, il avait plus d'importance. Il vous a cité comme une preuve que le district de Termonde, qui n'a que 26 communes, a une population de 96,000 habitants ; tandis que le district d'Alost, qui a 81 communes, n'a que 138,000 habitants.

J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas cet argument. Qu'est-ce que le district d'Alost ? D'abord, il comprend trois villes. Alost est la seconde ville de la province, et ou sait qu'il y a beaucoup de différence entre elle et Termonde. Les deux autres villes sont Grammont et Ninove.

Mais, messieurs, qu'est-ce qui prouve surtout l'importance d'un district ? C'est le montant des produits qu'il apporte au trésor. Or, qu'on voie ce que le district d'Alost paye en contribution foncière, en contribution personnelle et surtout en patentes, et l'on verra l'importance du district d'Alost ; je crois qu'on sera étonné de cette importance. Bien que ce district ait perdu beaucoup, par suite des injustices dont il a à se plaindre, son importance est encore très considérable ; ce qu'il paye le prouve.

Quand on paye, on doit être indemnisé. Il est impossible que je paye ma part, et ma grande part, dans les impôts, et que je n'aie pas ma part égale dans les avantages que l'Etat donne.

J'espère, messieurs, qu'une fois au moins vous voudrez que justice soit rendue à l'arrondissement d'Alost et que vous adopterez la proposition de l'honorable M. Lebeau. Si cette proposition n'était pas adoptée, je proposerais l'alternat pour un sénateur et un représentant, et personne n'aurait le droit de se plaindre.

M. Rogier. - Messieurs j'ai demandé la parole au moment où un honorable membre qui siège sur nos bancs, se plaignait de l'espèce de froideur avec laquelle aurait été accueillie, par ses amis politiques, une proposition qu’il avait l’intention de déposer sur le bureau. Cet honorable membre s’est plaint de l’isolement dans lequel il se trouvait souvent lorsqu’il lui arrivait de faire des propositions. Je pense que notre honorable ami a été oublieux, pour ne pas dire un peu injuste ; chaque fois qu’il est arrivé à l’honorable M. . Castiau de prendre la parole dans cette enceinte, et dès le jour même de son entrée, il a recueilli sur ces bancs de vives en nombreuses marques de sympathie. Cette sympathie l’a toujours suivi dans toutes les phases de sa carrière parlementaire, carrière bien courte encore pour entraîner chez lui le découragement. Avant de se décourager, il faudrait avoir vieilli un peu dans la vie active parlementaire ; il faudrait avoir passé par de longues épreuves ; il faudrait avoir été souvent vaincu ; il faudrait avoir éprouvé souvent l’injustice des partis.

Toutes ces circonstances, d'après moi, ne se sont pas rencontrées jusqu'ici dans la vie parlementaire, bien courte encore, je le répète de l'honorable M. Castiau. L'avenir peut lui réserver d'autres motifs de découragement, mais l'avenir peut aussi récompenser les premiers et généreux efforts qu'il a faits de concert avec nous pour le triomphe de la cause qu'il défend avec tant d'éclat et une conviction si chaleureuse.

Je dis que notre honorable ami a été un peu oublieux, alors qu'il s'est plaint d'avoir été isolé quand il a fait à la chambre quelque proposition. J'ai suivi très attentivement et très sympathiquement la conduite parlementaire de l'honorable M. Castiau, et je ne me souviens pas de proposition qui ait été faite par lui et qui l'ait laissé dans l'isolement.

Il nous parlait, dans son avant-dernier discours, de ces théories vagues, de ces paroles brillantes qui n'étaient suivies d'aucun résultat. En ce moment même, de mon banc, je lui dis : Mais vous-même, précisez et formulez une proposition. La proposition qu'il a déposée depuis était à peine annoncée par l'honorable préopinant ; aucun de nous, je pense, sur ces bancs, n'était dans le secret ; comment dès lors aurions-nous pu appuyer une proposition que nul de nous ne connaissait, qui n'était pas même clairement définie dans le discours de l'honorable membre ? Il y a donc ici injustice de sa part à se plaindre de la réserve avec laquelle une partie de l'opposition aurait accueilli une proposition qu'elle ne connaissait pas. Quand on veut rencontrer de la part de ses amis politiques, de l'appui pour une proposition, il est convenable, il est de bonne règle, il est dans les usages parlementaires, ce me semble, qu'une pareille proposition ne soit pas présentée à l'improviste...

M. Castiau. - Je vous l'ai communiquée.

M. Rogier. - L'honorable M. Castiau m'a communiqué sa proposition à la suite de son discours et pas avant. Maintenant, messieurs, je dis que je n'ai pas souvenir d'aucune proposition de l'honorable membre qui eût été accueillie avec froideur, avec dédain par ses amis politiques. Une seule proposition faite par l'honorable membre qui revient en ce moment à la mémoire, c'est celle qui était relative à une enquête sur la question des céréales ; eh bien, messieurs, cette proposition fut appuyée avec chaleur par la plupart des amis politiques de l'honorable M. Castiau, et je fus de ce nombre. Est-il d'autres propositions faites par l'honorable membre qui aient été accueillies moins avantageusement sur nos bancs ? Je ne m'en souviens pas, et je prie l'honorable M. Castiau de venir en aide à ma mémoire si elle m'était infidèle. Ainsi, pour la question des céréales, l'honorable M. Castiau a rencontré chez la plupart de ses amis politiques la plus grande sympathie. S'agit-il de la question du bétail ? Si l'honorable membre avait fait une proposition ayant pour but de supprimer tout droit d'entrée sur le bétail, qui lui dit que cette proposition n'eût pas été accueillie avec sympathie sur nos bancs ? Et si l'honorable M. Castiau avait pris l'initiative d'une pareille proposition, nous n'aurions pas eu, pour le dire en passant, le spectacle que nous venons d'avoir sous les yeux. Il y a un mois, il y a huit jours à peine, le gouvernement rejetait de toutes ses forces la simple idée de supprimer le droit d'entrée sur le bétail. Il y voyait un grand malheur pour les campagnes ; il disait que les campagnards avaient beaucoup souffert dans leurs récoltes et qu'il fallait qu'ils trouvassent dans le prix de leur bétail une compensation à leurs pertes. Il repoussait donc avec énergie l'invitation qui lui était faite par quelques-uns de nos honorables amis d'user de la faculté que lui donnait la loi de novembre 1846, de supprimer le droit d'entrée sur le bétail. Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé ? Le pays s'est ému ; dans quelques villes cette émotion s'est traduite en actes de violence, et alors, comme sous le coup d'une émeute, comme cédant à ces violences, le gouvernement est venu accorder ce qu'il y a quelques jours encore il refusait aux vœux légitimes et pressants émanés de la représentation nationale.

Je dis que, sous ce rapport, le gouvernement a complétement manqué à ses devoirs ; je dis qu'il fallait moins tarder à accorder cette faveur au peuple ; qu'il ne fallait pas attendre, pour la lui accorder, qu'il eût manifesté ses besoins par des violences. (Interruption.)

J'ai assisté à l'une des dernières séances du sénat, et là encore les raisons mises en avant par M. le ministre de l'intérieur, pour refuser la libre entrée du bétail, ont été reproduites dans les mêmes termes par son collègue, M. le ministre de la justice.

Du reste, je n'en rends pas moins hommage à la mesure en elle-même ; je me plains seulement de l'époque tardive à laquelle elle a été prise.

Maintenant, messieurs, la proposition, telle qu'elle vient d'être déposée par l'honorable M. Castiau, est-elle de nature à rencontrer une forte opposition sur nos bancs ? Je ne le pense pas. Comme il vous l'a dit lui-même, cette proposition est conçue dans des termes extrêmement modérés, dans des termes d’une grande réserve, dans des termes tels que le plus timide d’entre nous, je pense, peut, sans crainte aucune, s’associer à une pareille proposition. Quant à moi, dès maintenant, et je répète la même déclaration que j’ai faite à l’honorable M. Castiau : je m’associe à sa proposition.

M. Castiau. – Je vous en remercie.

M. Rogier. – Je prie seulement l’honorable membre de remarquer que l’espèce de sommation qui nous a été adressée de sa part n’entre absolument pour rien dans la déclaration que je viens de faire.

Messieurs, puisque j’ai la parole, je demanderai à répondre quelques mots à un discours qui vient d’être prononcé par un honorable député de Nivelles. Si ma réponse ne renferme rien de très nouveau, c’est qu’elle s’adresse à un discours qui ne l’est pas davantage.

(page 1066) Il y a longtemps que l'honorable M. de Mérode, très heureux et très fier, sans doute, d'avoir inventé un mot qu'il croit être poli, jette à la tête de notre parti la qualification de libérâtre...

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. Rogier. - D'écho en écho, partie de la chambre des pairs de France, l'expression a retenti dans la chambre des députés de Belgique...

M. de Mérode. - C'est d'ici qu'elle est partie.

M. Rogier. - Si nous voulions plaisanter en pareille matière, nous trouverions facilement, dans le parti de l'honorable M. de Mérode, une rime à libérâtre ; nous lui laisserons le soin de la chercher.

Il y a des libéraux de différentes nuances ; cela est vrai ; il y a aussi des catholiques de différentes nuances, et cela est encore plus vrai.

Puisqu'on a cherché avec soin les distinctions qu'on peut établir entre les différentes nuances du parti libéral, me sera-t-il permis aussi de vous indiquer quelques distinctions que je crois apercevoir dans le parti adverse ?

Il y a des catholiques fougueux ; ceux-là, messieurs, je n'ai pas besoin de les désigner par leurs noms propres ; ils sont sincères, profondément religieux ; je les estime sincèrement, profondément.

Il y a des catholiques, amis des jésuites ; vous savez, et je rends hommage à sa franchise, que l'honorable ministre des finances a eu le courage de se proclamer un de ces catholiques-là.

Il y a des catholiques ennemis des jésuites ; j'en connais, ils sont de mes amis ; ce sont, si l'on veut, les jansénistes du parti. Au point de vue religieux, je les estime tous également ; mais descendons un peu plus avant dans cette catégorisation, si je puis parler ainsi, du parti catholique.

On vient toujours nous répéter que nous, libéraux, nous sommes divisés en beaucoup de nuances ; on nous adresse à chaque instant des reproches sur cette division ; il faut bien que je vous montre que lorsque vous voyez le feu au toit de notre maison, la vôtre brûle tout entière.

Il y a, et ici j'aborde plus particulièrement le terrain de la politique ; il y a les catholiques amateurs. Ceux-là ne sont pas doués d'une foi très profonde ; ceux-là feraient très facilement abdication des principes religieux. Ils ont un certain vernis littéraire ; ils trouvent dans les belles et sublimes traditions du christianisme matière à belles phrases et à beaux sentiments ; mais la foi intime, la possèdent-ils ? Ils sont catholiques littéraires, amateurs ; ils sont donc catholiques, parce que leur intérêt politique les force à se proclamer catholiques.

De cette nuance de catholiques amateurs, se rapprochent d'une manière intime les catholiques spéculateurs. Ceux-là, je les mets sur la même ligne que les premiers.

Il y a enfin, messieurs, les catholiques incrédules, c'est-à-dire il y a des gens qui, n'ayant dans le cœur aucune espèce de sentiment religieux, qui, appartenant à l'école philosophique la plus vieillie, se proclament cependant d'excellents catholiques, parce qu'ils y trouvent leur profit.

Veuillez-vous livrer, messieurs, à un examen, même superficiel, de tous les hommes qui composent le parti catholique, et dites-moi si vous n'y trouvez pas, sans pousser vos recherches trop loin, si vous n'y trouvez pas les types de quelques-uns des caractères que je viens d'esquisser devant vous.

Eh bien, messieurs, je n'attribue pas au parti catholique tout entier les vices ou les faiblesses des individualités. Le parti catholique comme parti, je le respecte ; si j'ai un reproche à lui adresser, ce serait souvent, trop souvent de se cacher en quelque sorte, de fuir devant lui-même, de ne pas s'avouer ce qu'il est.

Une fois pour toutes, qu'on ne vienne donc plus, par d'injustes récriminations, parce que le parti, le grand parti libéral renfermera dans son sein des individualités d'un caractère blâmable ou d'une opinion répréhensible, qu'on ne vienne pas, comme on le fait sans cesse, jeter à pleine main le dédain sur ce parti.

L'honorable comte de Mérode vient de dire qu'il combat le parti libéral, parce que en grande partie, au fond de l'âme, il est intolérant. Cela n'est pas vrai.

M. de Mérode. - Je n'ai pas dit cela.

M. Rogier. - Vous venez de le dire positivement.

M. de Mérode. - Nullement.

M. Rogier. - Je demande si l'honorable membre ne vient pas d'accuser l'opinion libérale d'en vouloir à la liberté religieuse ? N'est-ce pas là le fond de votre discours ? Vous dites que le parti libéral veut l'empiétement de l'autorité civile sur la liberté religieuse.

M. de Mérode. - Je m'explique d'une manière plus précise.

M. Rogier. - Si l'honorable membre oppose à ses affirmations des dénégations, je n'ai plus rien à dire. Toujours est-il qu'il a reproché à une partie de l'opinion libérale d'avoir des arrière-pensées d'intolérance.

Eh bien, s'il y a des libéraux intolérants, c'est une catégorie à part. J'ai fait voir en combien de catégories pouvait se partager le parti catholique, et je n'ai pas attribué au parti catholique tout entier les fautes, les faiblesses qui peuvent être reprochées à ces catégories.

Maintenant, messieurs, qu'il y ait dans le parti libéral des hommes qui trouvent que le clergé va trop loin ; oui, il y en a, et beaucoup ; et je suis de ceux-là avec d'excellents catholiques, avec l'honorable M. Osy notamment, qui l'un des premiers a eu le courage de dire dans cette enceinte aux hommes de son opinion : Vous allez trop loin !

Si M. le comte de Mérode agissait en homme sérieux et sage, comme il conviendrait à sa vieille expérience, au lieu d'encourager le clergé à intervenir dans nos luttes politiques, il lui donnerait le conseil salutaire de s'abstenir de paraître dans ces luttes où il perd son autorité morale ; ces conseils auraient une influence plus salutaire venant de lui que de quelques libéraux ; nous le savons, voilà pourquoi nous vous convions à les donner au clergé. Loin d'encourager le clergé à se mêler aux luttes politiques, tout homme sincèrement religieux doit voir avec douleur combien le clergé belge perd de son autorité religieuse sur les populations, par suite de sa participation trop directe et trop vive à nos luttes politiques.

Et, par exemple, pouvez-vous au fond de l'âme approuver qu'un évêque use de son autorité pour transmettre à ses subordonnés une circulaire dans laquelle il prescrit à chacun de ses curés et vicaires de réviser les listes électorales, de faire retrancher le nom de celui-ci, rajoute le nom de celui-là, de transformer la mission religieuse si belle, si pure, en une mission administrative, en un contrôle et presque en un espionnage ?

Je vous le demande, un pareil acte ne devrait-il pas être blâmé avec plus de violence par tous ceux qui mettraient les intérêts religieux au-dessus des intérêts politiques ? Mais voilà l'inconséquence ! On se proclame volontiers homme religieux ; mais quand l'intérêt politique parle, adieu ! le sentiment religieux, adieu l'intérêt de la religion ! Que le clergé perde toute popularité, que les populations s'en détachent chaque jour davantage, peu importe, se dit-on, pourvu que le clergé vous appuie dans les élections !

J'espère que mes paroles ne seront pas entièrement perdues pour le clergé belge. Dans les entretiens particuliers n'est-il pas vrai que chaque catholique sévère déplore la décadence marquée de l'influence du clergé sur les populations ?

Faut-il s'en étonner ? Quand un candidat succombe, et qu'il succombe parce que le clergé l'a voulu, qu'il a mis tout en œuvre pour combattre son élection, comment voulez-vous que ce candidat, que ses amis, ses parents, ses partisans ne gardent pas une rancune profonde aux auteurs de son échec ? Et chez les populations peu éclairées, de l'hostilité politique à l'hostilité religieuse, il n'y a pas loin ; de la désobéissance politique à la désobéissance religieuse il n'y a qu'un pas. Tel électeur n'a pas cru le curé, alors qu'il lui faisait cas de conscience de voter pour ou contre un tel candidat ; le croira-t-il toujours, alors que, se renfermant dans sa sainte mission, le même ministre viendra lui enseigner les vérités auxquelles le bonheur de l'homme est attaché ?

Prenez-y garde, il y a là de grands dangers pour la religion ; je voudrais qu'on eût les mêmes convictions et qu'on tînt un pareil langage sur vos bancs ; vous seriez alors un parti véritablement religieux ; vous seriez un parti que je serais heureux de pouvoir appeler le parti catholique libéral. Voilà comment vous rempliriez une mission utile ; voilà comment vous pourriez vous poser dans le pays comme un parti vraiment conservateur.

Aujourd'hui, mêlant, comme vous le faites, la religion et la politique, vous détruisez l'une par l'autre ; vous rendez l'une victime des échecs que reçoit l'autre. Je vous le dis, messieurs, et je vous le répéterai encore, soyez un parti politique, je le veux bien : cela est nécessaire ; vous avec beaucoup de ressource en vous-mêmes ; vous avez des hommes de talent ; vous auriez, au besoin, je l'espère, des hommes d'énergie ; soyez un parti politique indépendant, mais soyez les premiers à répudier le concours de l'autorité religieuse dans les élections et son intervention dans les affaires du gouvernement.

Oh ! je le sais, ce sont des conseils intéressés que je vous donne ; c'est en vue des prochaines élections que je crains le concours du clergé ! Eh mon Dieu ! le concours du clergé, en l'état où sont arrivés les esprits, ce concours, dans beaucoup d'arrondissements, ne peut être que fatal aux candidats qui s'appuieraient sur lui.

L'honorable préopinant ne se borne pas à attaquer le parti libéral ; il va plus loin : il me semble (peut-être va-t-il encore m'interrompre) qu'il en veut un peu au régime constitutionnel tout entier. Il en veut notamment à ce qui est l'âme du régime représentatif : il en veut aux élections.

L'idée d'une élection le fait frémir. (Interruption.) Il voit constamment les malheureux fermiers obligés de courir à droite et à gauche pour leurs patrons, et les candidats eux-mêmes forcés d'aller de porte en porte recueillir des suffrages. Tout ce remue-ménage, comme il appelle énergiquement notre système électoral en action, l'inquiète, ennuie, et chaque fois qu'il le peut, il ne manque pas de lancer, dans cette enceinte, l'une ou l'autre attaque contre un pareil régime.

Messieurs, je ne trouve pas que la Constitution ait été trop loin en fait d'élection. Déjà, messieurs, on n'est que trop porté pour une jeune nation, à vivre un peu chacun chez soi, un peu chacun pour soi. Il me plaît, quant à moi, de voir, de temps à autre, la Constitution et les lois mettre en mouvement tous les citoyens pour d'autres affaires que les leurs propres ; et je ne concevrais pas qu'après quinze ans d'existence, alors que cette Constitution, dont tout à l'heure encore vous faisiez un si pompeux éloge, alors qu'elle commence à peine de fonctionner, vous alliez la battre incessamment en brèche, que vous reculiez devant les obligations qu'elle impose, et que vous n'acceptiez, en un mot, qu'avec dédain, ce qui fait la principale force, le véritable caractère du pays.

Messieurs, n'ayons pas peur de ces réunions constitutionnelles des populations lorsqu'elles restent calmes et régulières. Ne craignons pas même que de temps à autre elles se montrent un peu animées. Et ici, qu'il me soit permis de dire un mot aussi des associations politiques.

Il y a, messieurs, dans le pays, des réunions de citoyens, qui ont (page 1067) cherché à se mettre d'accord sur les meilleurs moyens à employer pour faire triompher l'opinion qu'ils représentent. Cette opinion, qui n'a apparu qu'à de bien rares intervalles et pour bien peu de temps au pouvoir, cette opinion sait qu'elle aura contre elle toutes les forces du gouvernement et toutes les forces du clergé, aussi longtemps que le gouvernement et le clergé se donneront la main dans les élections.

A cette opinion, l'on reproche son peu de cohésion, ses divisions intestines. Qu'a fait dès lors cette opinion ? Elle a cherché à opposer l'organisation à l'organisation ; de là les associations politiques. Aussi longtemps que ces associations politiques poursuivent un but électoral ; aussi longtemps qu'elles s'occupent des moyens à employer pour faire triompher leurs candidats dans les élections, elles ne font qu'user d'un droit constitutionnel ; elles le font légitimement, et elles pourraient aller plus loin encore sans que la Constitution fût blessée. Chose remarquable ! M. le ministre de l'intérieur qui, hier, n'avait que des paroles de blâme pour ces associations, trouve cependant très régulier que d'autres associations, sous un nom différent, il est vrai, couvrent le pays tout entier depuis de longues années.

Vous savez tous comment la Belgique est partagée en une multitude d'associations religieuses ou congrégations connues sous différents noms. La Constitution permet l'extension la plus grande possible à toute espèce d'associations et de congrégations. M. le ministre ne voit aucun danger dans l'existence de ces congrégations et de ces associations si nombreuses ; et cependant elles peuvent se transformer, en moins d'une heure, en de vastes associations politiques. Lorsqu'elles le font, elles n'ouvrent certes pas leurs portes au public ; elles ne publient pas le bulletin de leurs séances dans les journaux ; mais enfin leur action politique n'en peut pas moins exercer beaucoup de prépondérance dans la direction des affaires du pays. Il y a plus, M. le ministre de l'intérieur en veut aujourd'hui aux associations libérales ; mais il oublie donc que la première association politique qui a servi en quelque sorte de modèle et de motif aux autres associations, a été formée par des hommes pris précisément dans la couleur politique à laquelle il appartient ?

Quant à moi, messieurs, ces associations, je ne les redoute pas. Je suis bien convaincu que du jour où il en sortirait quelque projet excentrique ou violent, le bon sens du pays, le bon sens du parti libéral lui-même aurait bientôt fait raison de ces excentricités ou de ces projets violents.

Ces associations se divisent dans certains cas ; sur certaines personnes, elles ne sont pas d'accord ; et chose étonnante, le ministère ne croit pas compromettre sa responsabilité ni sa dignité, en se mêlant adroitement à leurs luttes, et en tâchant par ses organes, par les journaux qui parlent ordinairement en son nom, d'alimenter ces luttes intestines, et au besoin en appuyant les candidats d'une société contre les candidats d'une autre. Mais si de pareilles associations sont un danger pour le pays, ayez donc grand soin d'éviter toute espèce de contact avec elles.

Quoi qu'il en soit, messieurs, ces divisions, ces divergences que l'on reproche à notre parti, je dois vous en prévenir, il ne faut pas en attendre le succès que quelques-uns paraissent s'en promettre. Il est un point fondamental sur lequel toutes les nuances du libéralisme sont d'accord, c'est celui-ci : affranchir le domaine politique de l'influence politique du clergé, combattre les hommes qui, dans le gouvernement, ne sont pas, aux yeux du pays, des garants suffisants de l'indépendance du pouvoir civil de la société laïque vis-à-vis des prétentions temporelles du clergé ! Sur ce point, toutes les nuances du libéralisme sont d'accord.

Quand il s'agira, messieurs, de livrer le combat sur ce terrain, en dépit des espérances que peuvent faire naître certaines divisions passagères, toutes les nuances, je l'espèce, j'ose même le prédire, se retrouveront sous le même drapeau.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la Belgique ne compte encore que seize années d'existence, et déjà le gouvernement vous propose une mesure de la plus haute importance, une mesure qui touche directement à la représentation nationale. Il vous propose d'augmenter le nombre des représentants et des sénateurs et de faire une nouvelle répartition d'après l'étal actuel de la population.

Semblable mesure, messieurs, non seulement n'est pas proposée dans un autre Etat constitutionnel ; elle n'y est pas même provoquée.

Et c'est en présence de cette mesure que l'honorable M. Castiau vient qualifier les actes du gouvernement de nuls !

Mais, messieurs, que vous propose l'honorable membre ? Il a en quelque sorte la hardiesse de vous proposer une réforme électorale. C'est timidement, c'est à l'insu de ses amis politiques que l'honorable membre produit cet amendement que l'honorable M. Rogier vient de qualifier de tellement insignifiant, qu'il doute, en quelque sorte, s'il est destiné à rencontrer de l'opposition.

Voilà, messieurs, la grandeur des vues du membre le plus avancé de l'opposition !

Mais, messieurs, ne nous y trompons pas. Si les vues sont petites en apparence, elles sont grandes en réalité. C'est un premier pas que l'on vous propose, et l'honorable membre ne vous a pas caché son but ; il demande la réforme électorale pour amener la réforme parlementaire ; c'est une nouvelle majorité qu'il veut substituer à l'ancienne.

El quels sont les moyens qu'il tient en réserve ? L'incapacité résultant de l'âge. De quarante à cinquante ans, l'homme est usé ; il devient indigne de siéger dans un parlement. Sans doute qu'il vous proposera, pour rétablir l'équilibre, d'y appeler les jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans. C'est alors, messieurs, que la sagesse régnera sans conteste ; c'est alors que les intérêts du pays seront admirablement servis.

Une seconde réforme, messieurs, c'est l'institution d'un collège électoral unique pour tout le pays. C'est sans doute dans la capitale que tous les habitants de la Belgique seront convoqués !

M. Castiau. - Vous dénaturez ma pensée.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Vous avez dit que ce serait la vraie représentation nationale, et qu'alors aucune corruption ne pourrait plus exister. C'était là le fond de votre pensée ; c'est l'idée que vous auriez cru réellement bonne et utile pour vous opposer à la corruption électorale.

Sans doute qu'à côté de ce collège unique, il faudrait encore le suffrage universel et le vote à haute et intelligible voix.

Mais l'honorable membre reconnaît que cette dernière réforme ne peut être obtenue en présence de la Constitution. Tout au moins se réserve-t-il cette réforme qu'il n'y aura qu'un seul collège par province.

Admirable représentation nationale que celle qui serait le résultat d'un scrutin ! C'est alors, messieurs, que nous verrions le despotisme dominer sans contradiction un seul collège, une seule assemblée ; plus d'opposition, plus de contrôle pour le pouvoir, plus de contrôle pour la majorité parlementaire.

Messieurs, nous avons fait de grands progrès en peu de temps. Il n'y a pas deux mois qu'interrogé par l'honorable M. Verhaegen, sur les intentions du gouvernement quant à la réforme électorale, nous lui demandions quels étaient les projets de l'opposition. L'honorable membre a cru prudent de se renfermer dans le silence : « Je vous réponds que je ne répondrai pas ; » tel fut le résultat de vingt-quatre heures de délibération.

Homme pratique, l'honorable M. Rogier, précisant davantage les questions posées par l'honorable M. Verhaegen, nous disait : La réforme électorale, ce serait une révolution dans le pays.

M. Rogier. - Je n'ai pas dit un mot de cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Veuillez consultez le Moniteur.

M. Rogier. - Je n'ai pas dit un mot de la réforme électorale.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le Moniteur est là. Si mes souvenirs sont inexacts, je réparerai volontiers mon erreur ; mais si ce ne sont pas exactement les paroles de l'honorable membre, c'en est bien certainement le sens.

Un membre. - Le Moniteur décidera.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est l'honorable M. Rogier qui, croyant que je n'avais pas répondu assez catégoriquement à l'interpellation de M. Verhaegen, précisa davantage cette interpellation et déclara qu'il ne voulait point de réforme électorale. C'est en présence de cette déclaration formelle que je n'hésitai pas à déclarer que l'intention du gouvernement n'était pas non plus de proposer une réforme électorale. Voilà, messieurs, la réalité des faits.

M. Rogier. - Non, non ! Je vous défie de citer la phrase où j'aurais fait cette déclaration.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, quel étonnant revirement depuis si peu de temps ! Faut-il attribuer ce revirement à l'existence de certaines associations, à des mandats impératifs dont la nécessité a été proclamée il n'y a pas encore un an ?

Il y a à peine un an, messieurs, que l'honorable M. Rogier, chargé par le Roi de former un ministère, disait, dans le programme soumis à S. M. : « Le pays a assez de liberté ; le pays n'a besoin que d'ordre, que de calme. » A cette époque quelles étaient les prétentions du cabinet proposé par l'honorable M. Rogier ? Uniquement l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs. De réforme électorale, vous n'en trouvez point de trace dans ce programme.

Il y a, messieurs des progrès dans l'opposition. Il y a, à peine un an, le triomphe de l'opposition n'était point susceptible du moindre doute. Le pays avait depuis longtemps jugé l'ancienne majorité, l'ancien système du gouvernement. La seule augmentation du nombre des représentants et des sénateurs allait changer la face de cette chambre, la face du sénat. Sans doute, messieurs, le moyen est aujourd'hui au-dessous du but ; c'est une réforme électorale qu'il faut adjoindre à la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.

Messieurs, la réforme présentée par l'honorable M. Castiau nous paraît, comme elle nous a toujours paru, opposée à l'esprit de notre Constitution. Notre Constitution ne reconnaît qu'une seule capacité électorale c'est celle qui résulte du cens. Et, messieurs, pour mieux comprendre un texte déjà suffisamment clair par lui-même, veuillez-vous rappeler les circonstances dans lesquelles cette disposition de la Constitution a été votée. Le gouvernement provisoire avait appelé à l'élection non seulement les censitaires, mais aussi les professions libérales, parmi lesquelles le clergé occupait un rang honorable ; mais, messieurs, les électeurs de 1830 avaient commis une faute, ils avaient envoyé au congrès plusieurs membres du clergé ; on sentit alors le danger de l'adjonction des capacités, et que fit-on ? Un des membres les plus avancés de l'opinion libérale de cette époque proposa d'insérer textuellement dans la Constitution que la capacité ne pourrait plus servir de titre à obtenir le droit électoral, que le droit électoral serait basé sur le payement du cens.

Voilà, messieurs, l'origine et la portée de cette disposition constitutionnelle. Je le demande, en présence du texte, en présence de cette circonstance qui en explique encore plus complètement le sens que les paroles mêmes, est-il possible d'admettre la proposition de l'honorable M. Castiau ? Oh ! messieurs, si à l'amendement de l'honorable M. Castiau (page 1068) on ajoutait encore le clergé, je ne sais pas si l’amendement ne serait pas bientôt retiré.

Du reste, messieurs, ne perdons point de vue que si une réforme électorale a été demandée pour amoindrir la majorité de cette chambre, une réforme électorale a été souvent réclamée aussi pour amoindrir l'opposition. Ne perdez point de vue, messieurs, que vous vous trouvez en présence de demandes contraires ; et, messieurs, le congrès a voulu que le pays fût représenté, non en raison de l'intelligence, non en raison de la richesse des différentes localités, de leur importance industrielle, agricole ou commerciale ; la seule base que le congrès ait admise pour la répartition des représentants et des sénateurs, c'est la population.

Si le congrès, messieurs, avait poussé ce principe à ses dernières conséquences, il aurait ajouté que le collège électoral serait également composé en raison de la population des diverses communes ; mais les choses se passent-elles ainsi ? Assurément non. Pour la composition des chambres, la population sert uniquement de base. Pour la composition du corps électoral qui élit les deux chambres, ce sont d'autres bases qui ont été admises.

L'honorable membre croit avoir infligé une pénitence à la majorité de cette chambre en lui faisant subir la discussion de son amendement ; c'est en quelque sorte une réparation de ses méfaits politiques ! Eh bien, messieurs, la majorité de cette chambre, qui a si puissamment contribué à constituer le pays, n'a point d'amende honorable à faire. Elle reçoit sans cesse des leçons ; ses intentions, ses actes sont sans cesse incriminés par une fraction de l'opposition ; qu'y oppose-t-elle ? Le calme, la dignité. Elle est forte de son droit, elle est forte de ses actes ; elle ne demande d'excuse à personne ; elle n'a pas besoin de se justifier, ses actes parlent pour elle.

Messieurs, l'honorable membre qui a été appelé naguère à former un ministère, a-t-il déjà oublié le programme de ce ministère ? a-t-il oublié l'interpellation qu'il adressait au gouvernement, il y a à peine trois mois, et l'espèce d'engagement qu'il prenait avec moi de renoncer, au moins quant à présent, à la réforme électorale ?

Il nous reproche d'avoir posé un acte auquel nous attachons une utilité morale, sinon matérielle. Selon lui, c'est en présence de l'émeute que le gouvernement s'est finalement décidé à lever les droits d'entrée sur le bétail. Mais non, messieurs, lorsque nous nous sommes opposés à la levée des droits d'entrée sur le bétail, nous n'avons pas déclaré que jamais dans le cours du terme pendant lequel la loi donne cette faculté au gouvernement, nous n'aurions recours à cette mesure. Mais nous n'avons pas voulu l'annoncer à l'avance, parce que des changements au tarif des douanes ne s'annoncent pas à l'avance. Nous avouerons même qu'à cette époque nous n'avions pas pris la résolution de le faire ; nous avons voulu nous réserver l'opportunité.

Les circonstances sont-elles demeurées les mêmes ? Assurément non ; et d'abord, messieurs, l'hiver est terminé ; et la grande considération qui nous arrêtait à l'égard de cette mesure, c'était que le cultivateur avait trop de sacrifices à s'imposer pour la nourriture de son bétail ; que c'eût été le décourager, l'engager en quelque sorte, au détriment de l'agriculture, à vendre prématurément son bétail qui lui aurait coûté trop à nourrir. D'autre part, la cherté des vivres n'avait pas atteint l'élévation à laquelle elle est parvenue.

Aujourd'hui donc, il y a deux motifs nouveaux qui n'existaient pas alors ; il y a des inconvénients qui ont disparu, et tout cela nous a autorisés à prendre la mesure.

Mais l'honorable membre ne sent-il pas que le reproche qu'il nous adresse tombe d'aplomb sur la régence d'une ville qui trouvera sans doute des défenseurs dans cette enceinte ? A-t-il oublié que la régence de Liège a levé tout droit d'octroi sur la viande ?...

M. Delfosse. - Elle a très bien fait !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Certainement ; mais pourquoi ne l'a-t-elle pas fait plus tôt ? Elle a jugé, sans doute, que le moment opportun était venu, et le gouvernement, de son côté, a jugé que le moment opportun était venu de lever les droits d'entrée sur le bétail.

Mais, messieurs, je m'étonne qu'un ancien ministre, qu'un homme qui aspire encore à le devenir, n'ait pas reculé devant ces paroles, que c'est en présence de l'émeute, à cause de l'émeute que nous avons pris la mesure. Eh bien, non, messieurs, si la mesure avait pu recevoir cette interprétation, elle n'eût pas été prise.

Comment ! c'est lorsqu'il est manifeste que des agitateurs profitent des circonstances pour mettre en mouvement les populations de nos principales cités, qu'un homme d'une position aussi élevée que l'honorable M. Rogier vient en quelque sorte provoquer à de semblables démonstrations, pour obtenir, sous l'autorité de ces démonstrations, des mesures que le peuple ne pouvait obtenir de la sagesse du gouvernement, de la sagesse des administrations communales !

Messieurs, je l'ai pensé souvent ; des paroles bien imprudentes ont été dites ; des déclamations bien imprudentes ont été faites par la voie de la presse ; si le pays était condamné à subir des scènes de désordre, nous en renverrions toute la responsabilité à leurs véritables auteurs.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Mais à Dieu ne plaise que le peuple se laisse aller à de semblables considérations.

Un membre. - Votre responsabilité est assez grande !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ma responsabilité est assez grande !... Oui, j'en mesure toute l'étendue ; mais il est de mon devoir d'éclairer le pays sur sa véritable situation, sur ses véritables intérêts. (Interruption.)

Nous n'accusons certainement pas les intentions de l'honorable membre ; la pensée d'inculper ses intentions ne nous est pas même venue à l'esprit ; mais nous signalons le danger de ses paroles.

Ce que nous accusons, c'est l'existence de certaines manœuvres pour faire sortir le peuple belge de son calme, pour le pousser au désordre. (Interruption.)

Il est loin de ma pensée de dire que ces manœuvres sont le fait soit d'un membre de cette chambre, soit d'un parti politique ; mais je dis qu'il existe des manœuvres individuelles, les traces en sont patentes...

Un membre. - Suivez-les alors !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On fait toutes les investigations pour découvrir les auteurs, et partout où des tentatives de désordre ont eu lieu, des arrestations ont eu lieu.

Messieurs, je dis en terminant, qu'au lieu de nous livrer à de vaines récriminations qui, en définitive, ne peuvent avoir aucune portée politique, qui ne sont pas destinées à faire triompher |une opinion plutôt qu'une autre, nous devrions enfin unir tous nos efforts pour faire face à la gravité de la situation.

M. de Mérode (pour un fait personnel). -Comme on se sert trop souvent d'une manière abusive de l'expression libéral, qu'on en fait un monopole injuste à l'exclusion de ceux qui soutiennent généreusement les principes les plus libéraux et les mettent en pratique, j'ai rappelé sa véritable définition, et je me suis servi d'un mot qui caractérise le faux libéralisme sans périphrase.

Le système que j'appelle libérâtre, est celui qui attaque constamment l'usage que l'on fait de la liberté légale, lorsqu'il appuie d'autre part l'extension la plus grande de cette même liberté. Avant-hier M. le ministre de l'intérieur a parlé du danger que pouvaient présenter les associations hostiles au gouvernement ; mais il a évité de déverser un blâme quelconque sur elles. M. Rogier attaque, au contraire, violemment l'usage libre des influences dans les élections qui, comme chacun sait après tout, sont le résultat des influences diverses.

Cependant lorsque les catholiques campinois, prêtres et autres, exerçaient cette influence pour l'honorable membre à Turnhout, elle était par lui considérée comme parfaitement loyale et constitutionnelle. Comment donc ce qui n'était pas blâmable alors le devient-il aujourd'hui ? Messieurs, je n'ai encouragé dans mes discours ni les évêques, ni aucun ecclésiastique à se compromettre dans les élections : j'ai simplement expliqué les motifs qui pouvaient les engager à y prendre part dans les limites convenables. Et je ne me suis permis de défendre aucun abus.

Mon discours a été transformé dans les commentaires de M. Rogier, et je ne crains pas qu'on l'examine, qu'on le lise et relise à volonté.

M. Rogier (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne sais s'il y a eu dans mon discours quelques traits qui aient trop vivement atteint M. le ministre de l'intérieur ; mais sous des formes réservées, froides même, il vient de lancer à mon adresse des paroles violentes, et que je suis obligé de qualifier de perfides.

Un mot, d'abord, sur la proposition de M. Castiau.

J'avais dit à cet honorable membre que s'il déposait une proposition dans des termes réservés, dans les limites qu'il m'annonçait, je l'appuierais ; M. le ministre trouve que je faisais en ceci violence à mes antécédents, que j'étais en contradiction avec le programme que j'avais présenté ; il a même été jusqu'à m'attribuer une déclaration que je sais positivement n'avoir jamais faite, à savoir : qu'une réforme électorale serait une révolution. Je défie M. le ministre de trouver dans le Moniteur ou ailleurs une telle déclaration émanée de moi. Au reste, j'aurais pu dire qu'une réforme électorale serait une révolution ; il n'y aurait rien eu d'exorbitant dans un pareil langage, comme il n'y a rien d'inconséquent dans ma conduite. Il y a réforme et réforme. La réforme électorale en Angleterre a presque équivalu à une révolution.

Mais la réforme proposée par M. Castiau ne ressemble pas à celle-là, je puis donc l'appuyer en toute sûreté de conscience. M. le ministre veut me renfermer dans le programme que j'ai présenté il y a un an ; d'après lui, je ne pourrais pas en sortir, sans me mettre en contradiction avec moi-même. S'il a lu avec attention ce programment son exposé de motifs, il a dû voir que je ne m'y suis pas posé comme un homme immobile, comme un ministre-borne ; j'ai déclaré avec mes collègues que nous étions amis d'un progrès sage et réglé. Eh bien je trouve la proposition de M. Castiau dans les limites d'un progrès sage et réglé ; et je n'hésite pas à l'appuyer. Maintenant, je suppose que l'opposition se trouve amenée à appuyer aujourd'hui telle proposition qu'elle n'aurait pas acceptée il y a une année. Un tel résultat ne devrait pas surprendre, il ne ferait que réaliser les avertissements que j'ai cru devoir donner et qui ont été donnés en vain. ! A ceux qui trouveraient l'opinion libérale trop exigeante alors, j'ai dit que si, par un système regrettable on repoussait constamment cette opinion, que si elle pouvait se croire victime d'une injustice, d'une répulsion systématique, ses prétentions iraient toujours croissant, et qu'un jour même pourrait venir où l'opinion modérée étant jugée insuffisante, le gouvernement pourrait se trouver devant des exigences qui lui susciteraient de grands embarras.

Si donc l'opinion libérale voulait aujourd'hui plus qu’il y a un an et voulait dans un an plus qu'aujourd'hui, il ne faudrait pas s'en étonner ; ce serait la réalisation des prévisions que des hommes sages et prévoyants ont émises plus d'une fois dans cette enceinte.

Je viens au fait qui m'a le plus touché dans le discours de l'honorable préopinant.

(page 1069) J’ai été amené incidemment à faire ressortir l'inconséquence de la conduite du gouvernement dans les questions de denrées alimentaires. Je lui avais dit : Il y a deux mois, il y a un mois, il y a huit jours même, vous repoussiez avec énergie l'idée d'ouvrir les frontières du pays au bétail étranger ; vous la repoussiez vous-même dans cette enceinte ; et dans le sénat, vous la repoussiez par l'organe du ministre de la justice. Arrivent des démonstrations violentes dans plusieurs villes, et vite vous ouvrez les frontières au bétail étranger, Je n'ai pas blâmé la mesure en elle-même ; je l'ai louée, au contraire ; mais je blâme sa tardivité, son opportunité.

Vous voyez dans mon langage une provocation à l'émeute ; moi je la vois dans nos actes. Mon langage a été celui d'un ami du gouvernement, mon langage a été plus conservateur que votre conduite ; votre conduite est pleine d'imprudence, le gouvernement a eu l'air de céder non pas au besoin des populations, mais à la peur ; s'il eût eu plus de confiance dans l'opinion publique, s'il n'avait pas senti que le terrain populaire lui échappe de toutes parts, il aurait agi différemment.

Ce qu'on refusait opiniâtrement il y a huit jours, il fallait attendre huit jours de plus pour l'accorder. Le gouvernement aurait alors conservé le prestige de sa force vis-à-vis du pays. Voilà le langage que j'ai tenu, Je défie l'Escobar le plus subtil de trouver là quelque chose qui provoque ou justifie des violences populaires. Je repousse de toutes mes forces des insinuations odieuses et, pour tout dire, indignes d'un homme d'Etat.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il n'y a rien de perfide dans ce que j'ai dit. L'honorable préopinant ayant appuyé une proposition de réforme électorale, j'ai cité son programme du mois de mars 1846. J'ai rappelé une discussion politique qui n'est pas éloignée de nous, dont je n'ai pas perdu le souvenir.

Maintenant que l'honorable membre cherche à justifier son changement d'opinion, je ne lui en fais pas un crime, je constate seulement le progrès qu'il a fait.

Il cherche à blâmer l'opportunité de la mesure prise quant au bétail. Mais en matière de denrées alimentaires, le gouvernement, que vous trouvez immobile, n'a-t-il pas pris diverses mesures quand les circonstances l'ont exigé ? Les péages pour les transports des céréales importées dans le pays, n'ont-ils pas été abaissés, puis supprimés en totalité ? Aujourd'hui M. le ministre des finances n'est-il pas venu vous présenter un projet de loi tendant à défendre la distillation des pommes de terre et à exempter de tout droit de tonnage les navires important des céréales ?

La mesure que nous avons prise quant au bétail est de la même nature que celle relative aux transports des denrées alimentaires par les chemins de fer, qui est antérieure à toute démonstration.

Puisque je suis personnellement en cause, je dirai que c'est moi qui ai réclamé cette double mesure. Mais n'y a-t-il pas eu de changement dans les circonstances depuis que nous nous sommes occupés de l'entrée du bétail ? N'y a-t-il pas eu de grands changements dans le prix des denrées alimentaires ? L'hiver n'est-il pas passé ? Le cultivateur n'est-il pas sur le point d'acquérir de nouvelles facilités pour nourrir son bétail ? Les circonstances viennent donc justifier la mesure que nous avons prise.

Et ne craignons pas de prendre une mesure utile parce qu'elle pourrait être mal interprétée.

Oh ! si dans les attroupements qui ont eu lieu, ou avait crié : A bas la taxe sur le bétail ! (Taxe légère, d'ailleurs, qui existait à l'entrée du bétail.) Si ce cri eût été le signe de ralliement, alors l'honorable membre pourrait avoir raison ; mais ce grief n'a été articulé nulle part.

Je persiste donc à déclarer que c’est à tort que l'honorable membre attribue aux attroupements qui ont eu lieu les mesures que le gouvernement a cru devoir prendre.

Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

M. le président. - Je crois devoir annoncer à l'assemblée que le bureau a nommé MM. de Villegas et Dedecker pour remplacer les deux membres absents qui faisaient partie de la commission des denrées alimentaires. La commission se réunira demain pour examiner les deux projets de loi présentés par le gouvernement.

M. Fleussu. - Que fera-t-on de la proposition de M. Castiau ?

M. le président. - Elle sera imprimée.

M. Fleussu. —Ce n'est pas cela. Je voudrais savoir si l'on en fera un projet de loi spécial ou un amendement à la loi que nous discutons.

M. le président. - Rien n'est décidé à cet égard ; l'assemblée décidera cela ultérieurement.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Si la commission peut faire son rapport demain, je désirerais que la discussion du projet de loi dont j'ai eu l'honneur de donner lecture au commencement de la séance, pût avoir lieu immédiatement après.

M. le président. - La commission se réunira demain matin vers 10 heures et demie.

- La séance est levée à 5 heures.