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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 mai 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1704) M. Huveners fait l'appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs raffineurs de sucre de Gand présentent des observations contre le projet de loi sur le régime de surveillance des fabriques de sucre de betterave. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Plusieurs habitants d’Helchin prient la chambre de résoudre affirmativement les trois questions posées dans le rapport sur les pétitions qui ont pour objet la distribution de la graine de lin de Riga et des droits de sortie sur les lins bruts.

« Même demande des sieurs Van Acker, Pallyn et autres membres des comités liniers de Cortemarcq, Keyem et Emelghem, et du conseil communal de Bossut. »

M. de Haerne. - Je demanderai, messieurs, que ces pétitions soient déposées sur le bureau pendant la discussion du rapport dont il s'agit.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Putman, secrétaire de la commune de Dickelvenne, demande une augmentation de traitement. »

- Renvoi au ministre de l'intérieur.


Par divers messages en date du 1er mai, le sénat informe la chambre qu'il a pris en considération 24 demandes en naturalisation ordinaire, et qu'il a rejeté celle du sieur Jean-Henri Reicke, capitaine en second de navire à Anvers.

- Renvoi à la commission des naturalisations, et pris pour notification.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Van Cutsem dépose des rapports sur différentes demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

M. Henot. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer plusieurs projets de loi tendant à accorder la naturalisation ordinaire à différents individus parmi lesquels il y a des capitaines de navire. Comme il est urgent de (page 1705) statuer sur ces demandes, je proposerai de mettre les projets à l'ordre du jour à la suite des crédits supplémentaires.

M. Osy. - On pourrait s'occuper de ces projets à l'ouverture de la séance de demain.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution des rapports et met les projets à l'ordre du jour à la suite des crédits supplémentaires.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Osy dépose le rapport de la section centrale du budget des travaux publics sur la demande d'un crédit supplémentaire de 651,000 fr. pour ce département et pour l'exercice 1846.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met le projet à l'ordre du jour à la suite des autres demandes de crédits supplémentaires.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Man d’Attenrode (pour une motion d’ordre). - Je désirerais, messieurs, qu'on mît aussi à l'ordre du jour, à la suite des crédits supplémentaires, le projet de loi qui a été présenté par M. le ministre des finances, et qui concerne les modifications au tarif des douanes. L'honorable M. Zoude a fait rapport sur ce projet et, d'après ce qu'il m'a dit, la discussion n'en sera pas longue. Ce projet renferme une disposition qui tend à mettre obstacle à que la monnaie de billon française ne continue à inonder le Hainaut et la Flandre occidentale.

Cette disposition touche à un intérêt important, car nos ouvriers sont dupes d'une spéculation onéreuse pour eux ; on paye leurs salaires avec ce billon, dont la valeur représentative est très inférieure à sa valeur réelle, et dont la valeur n'existe que pour autant qu'elle soit garantie par l’Etat. Or, le gouvernement belge ne peut garantir la valeur représentée du billon français ; aussi ne l'admet-il pas en payement des impôts.

J'insiste donc pour que ce projet soit mis à l'ordre du jour à la suite des demandes de crédits supplémentaires.

M. Delfosse. - L’honorable préopinant dit que le rapporteur lui a fait connaître que la discussion ne serait pas longue. Mais M. le rapporteur ne peut pas savoir si la discussion sera longue ou courte ; il ne peut pas savoir quelles observations seront présentées. Il y aura peut-être des questions très importantes à soulever. A moins que la chambre ne veuille siéger encore un mois, il n'est pas possible de mettre ce projet à l'ordre du jour pour la session actuelle.

M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plusieurs années il nous est arrivé une quantité de pétitions signalant des manœuvres qui ont lieu en France et même en Belgique ; on spécule sur les mauvais gros sous, les sous blancs, comme on les appelle, et sur toute la frontière on ne reçoit que cela. Il faut absolument empêcher ce trafic immoral, d'autant plus qu'il a lieu aux dépens des malheureux ouvriers dont les besoins sont aujourd'hui si grands. On spécule vraiment sur la misère publique.

Je demande donc avec l'honorable M. de Man d'Attenrode que le projet dont il s'agit soit mis à l'ordre du jour. Il ne faudra pas cinq minutes pour l'examiner, et je connais assez les sentiments de l'honorable députe de Liège pour être convaincu que, lorsqu'il l'aura étudié, il sera le premier à l'appuyer.

M. de Haerne. - Messieurs, le projet est certainement très urgent et il est indispensable qu'il soit discuté dans la session actuelle. J'appuie donc la proposition de l'honorable M. de Man d'Attenrode.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je veux faire une simple réflexion, c'est que la loi des douanes, dont parlent les honorables préopinants, se lie étroitement à la loi concernant la publication d'un tarif officiel. Le gouvernement ne pourra peut-être pas exécuter la loi qui a été votée relativement au tarif officiel, si la loi des douanes qui apporte certaines modifications au tarif n'est pas votée préalablement.

Je ne pense pas, quoi qu'en dise l'honorable préopinant, que la discussion de cette loi puisse être longue. Cette loi a principalement pour but de sanctionner un arrêté du 29 juillet 1845 qui est déjà depuis longtemps en exécution. Les autres parties du projet de loi se rapportent à des suppressions de droits de sortie, quelques réductions sur des matières premières. Je ne crois pas que cette loi puisse tenir longtemps la chambre, à moins que l'assemblée n'y introduise par amendement des questions nouvelles. S'il en était ainsi, je comprends que, vu le temps assez court qui doit s'écouler jusqu'au terme probable de la session, il serait assez difficile que la chambre s'occupât de cet objet, mais nous n'avons aucune raison de croire que de telles modifications soient présentées.

M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable M. Rodenbach a fait un appel à mes sentiments d'humanité. Je ne vois pas quel rapport il y a entre les sentiments d'humanité et la monnaie de billon française. Si cette monnaie de billon entre dans le pays, c'est qu'on veut bien l'y recevoir. Personne n'est forcé de prendre la monnaie de billon qui vient de France ; on n'a qu'à la refuser. Il ne faut pas de loi pour cela.

M. le ministre des affaires étrangères nous dit que la discussion de cette loi ne sera pas longue. Je conçois que tel soit le désir de M. le ministre ; le gouvernement aime assez à voir passer les lois sans discussion, c'est moins gênant pour lui, et c'est ce qui arrive presque toujours à la fin des sessions. Il y a un grand inconvénient, messieurs, à mettre des objets importants à l'ordre du jour à la fin d'une session ; la chambre, fatiguée, ne discute plus, elle vote de guerre lasse.

Si la chambre met la loi à l'ordre du jour, il est fort douteux qu'on puisse la discuter ; beaucoup de membres sont déjà partis. Je doute que la chambre soit en nombre dans quelques jours. Si le projet est mis à l’ordre du jour, je serai à mon poste ; mais les membres de la chambre qui demandent la mise à l'ordre du jour du projet, y seront-ils ?

- La chambre consultée décide que le projet de loi des douanes ne sera pas mis à l'ordre du jour de la présente session.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il y a un certain temps, j'ai présenté un projet de loi tendant à maintenir le personnel de | la cour d'appel de Bruxelles, et des tribunaux de Charleroy et de Tournay. Il est à désirer que la commission puisse déposer son rapport le plus tôt possible, car il importe que ce projet soit discuté avant la séparation de la chambre.

M. le président. - Je ferai part à la commission de l'observation de M. le ministre.

Projet de loi portant réduction des péages sur la Sambre canalisée

Discussion générale

M. Lesoinne. - Messieurs, il faudrait d'abord s'expliquer sur ce qu'on entend par équilibre. Si l'on entend par équilibre l'ordre de choses actuellement existant, on doit convenir qu'il sera nécessairement modifié par l'adoption du système proposé. M. le ministre des travaux publics vous a promis une compensation, dans l'achèvement des canaux de la Campine et du canal latéral ; il vous a dit qu'aussitôt que ces différents canaux seraient achevés, le bassin de Liège aurait une large compensation. D'après ce qui s'est passé cette année, nous n'avons pas lieu de croire que cette promesse s'accomplisse dans un temps très rapproché. Nous n'avons reçu à cet égard que des espérances, et le gouvernement ne nous a pas donné de grandes preuves de bonne volonté.

Mais nous pourrions rétorquer l'argument contre le bassin houiller de Charleroy et lui dire : Mais vous allez avoir le marché des Ardennes françaises aussitôt que le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse sera construit, car il est certain que, par la réduction des péages sur la Sambre canalisée, le bassin de Charleroy retirera des avantages immédiats ; mais le bassin de Liège aura à en souffrir en attendant que des voies de communication nouvelles lui aient été ouvertes.

M. Pirson. - Vous avez le canal latéral.

M. Lesoinne. - Le canal latéral est en construction comme le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse ; nous sommes donc tous deux, sous ce rapport, dans la même position.

Quand j'ai demandé une diminution sur le tarif du chemin de fer, bien que cette réduction fût de 50 p. c, la diminution du produit ne sera cependant pas aussi considérable qu'on pourrait le supposer, car les conditions de traction ne sont pas les mêmes sur cette ligne que sur la plupart des autres lignes de l'Etat. Je pense que le gouvernement pourrait facilement, avec une diminution de 50 p. c, transporter les charbons de Liège vers Anvers, et retirer encore un bénéfice de ce transport. M. le ministre des travaux publics nous a dit hier qu'un débouché nouveau nous avait été ouvert vers la Prusse, et que sur cette voie on accordait une remise de 30 p. c, ce qui réduisait le transport à 35 centimes par tonne et par lieue. Or, les frais de traction, dans cette direction, doivent être bien plus considérables que dans la direction d'Ans vers Louvain, car sur la ligne de l'Est, dans la vallée de la Vesdre, on rencontre des pentes de près de 1 p. cent, et la traction se fait avec des locomotives d'une puissance de 80 à 100 chevaux ; le transport d'Ans vers Louvain se fait en descente avec des locomotives bien moins puissantes.

El le gouvernement, qui ne veut pas faire jouir les consommateurs de Louvain ni les exploitants de Liège d'une réduction de prix sur le transport des charbons, réduction que le retour des waggons à vide vers Anvers lui permet d'accorder en retirant encore un bénéfice considérable, le gouvernement en profile lui-même ; car il expédie journellement d'Ans pour la station de Malines 4 waggons de charbon pour alimenter ses fours à coke. Il peut donc être à même de calculer combien lui coûtent les frais de traction.

Ceci répond à l'argument avancé par M. le ministre de l'intérieur et reproduit par l'honorable M. Brabant : que le gouvernement devait être remboursé, outre l'intérêt des capitaux employés à la construction du chemin de fer, de ses frais de traction, car si le gouvernement peut transporter les houilles sur la ligne de la Vesdre à 35 centimes par tonne et par lieue, il peut à plus forte raison les transporter au même prix sur les autres lignes de l'Etat.

Je modifierai donc ma proposition en ce sens ; et je demanderai que la remise de 50 p. c. pour le transport des houilles et des fontes soit étendue à toutes les voies ferrées de l'Etat.

Ainsi l'équilibre ne sera pas rompu, et j'espère alors avoir l'assentiment de mes honorables collègues du Hainaut.

Aux termes de la loi qui a décrété notre système des chemins de fer, on doit réduire les péages sur les canaux de telle sorte que le chemin de fer ne puisse déranger l'équilibre entre les différents bassins houillers du pays ; mais la réciprocité doit avoir lieu. S'il y a une diminution de péages sur les canaux, on doit accorder une réduction de péages analogue sur le chemin de fer.

Il doit en être ainsi, si l'on tient réellement à maintenir l'équilibre. Quant à moi, messieurs, je me suis hier expliqué relativement à cet équilibre, et je n'en suis nullement partisan, car il aurait pour résultat d'empêcher le pays de profiler de toutes ses ressources. Je considère cet équilibre comme étant en quelque sorte chimérique ; d'ailleurs, d'après les concessions nouvelles, cet équilibre va recevoir une rude atteinte, notamment (page 1706) par la construction du chemin de fer de Charleroy à Louvain.

M. Fleussu. - De Louvain à Jemeppe.

M. Lesoinne. - Le chemin de fer de Louvain à la Sambre se bifurque à Gembloux, un embranchement se dirige vers Charleroy et l'autre vers Namur.

Je vais donc formuler la proposition nouvelle que je soumets à la chambre.

M. Pirson. - Messieurs, le discours qui a été prononcé, à la séance d'hier, par l'honorable M. Brabant, me dispensera d'entrer dans une très longue discussion.

Cet honorable membre vous a exposé, avec sa lucidité accoutumée, combien la réduction des péages sur la Sambre canalisée est fondée, juste et équitable ; il vous l'a démontré d'une manière irrécusable. Je me bornerai à présenter quelques courtes observations tendant à appuyer ce qu'il vous a dit et à insister pour l'adoption du projet de loi tel qu'il a été amendé par la section centrale.

Ainsi que vous l'avez entendu, messieurs, dans la séance d'hier et aussi dans celle d'aujourd'hui, par le discours de l'honorable M. Lesoinne, il y a dans la question qui nous occupe deux grands intérêts en présence : celui de l'industrie du fer et de la houille du bassin de la Sambre, et celui des industries similaires du bassin de la Meuse dans la province de Liège.

L'honorable M. Delfosse a prétendu que si vous adoptiez le projet de lloi, ce serait sacrifier la province de Liège. Je pense, messieurs, qu'il y a exagération dans l'assertion de l'honorable M. Delfosse, et qu'emporté par une ardeur bien naturelle, par un zèle bien légitime à défendre avec chaleur, comme il le fait toujours, les intérêts qui lui sont confiés, il a perdu de vue l'objet du projet de loi qui n'est autre que de réparer en partie une injustice qui s'est perpétuée depuis trop longtemps. La province de Liège a mes plus vives sympathies, et elle les aura toujours, et pas plus que l'honorable M. Delfosse, je ne voudrais qu'on la sacrifiât à une autre province ; pas plus que l'honorable M. Delfosse, je ne voudrais qu'on enrichît le bassin de la Sambre au détriment du bassin de la Meuse. Mais il m'est impossible de ne pas le reconnaître, et l’honorable M. Brabant l'a démontré avec trop de talent et de vérité pour qu'on puisse en douter, la proposition de réduire les péages de la Sambre canalisée n'est qu'une réparation partielle d'une injustice qui a été consacrée trop longtemps au préjudice de la navigation de la Sambre et de toutes les industries qui s'y rattachent.

Cette dernière considération me déterminera à voter pour l'amendement de M. de Garcia.

Messieurs, les observations présentées par les honorables députés de Liège n'ont pas détruit ce fait, que le transport par la Sambre de Charleroy à Namur coûte 4 fr. par 1,000 kilog., tandis que de Liège à Namur, pour une distance qui est bien plus longue, et qui se fait en remonte, il ne coûte que 3 fr. les 1,000 kilog.

Cela s'explique d'une manière toute naturelle. Les droits de navigation sont payés de Charleroy à Namur a raison de 2 fr. 04 par tonneau, tandis que de Liège à Namur, on ne paye que 12 centimes et une légère fraction par tonneau. Le fret de Charleroy à Namur est à peu près quadruple de celui de Mons à Gand, à peu près triple de celui de Mons à Tournay, et nos honorables contradicteurs n'ont pu administrer aucune preuve constatant l'inexactitude de cette assertion.

Eh bien, je dis qu'une pareille anomalie constitue une injustice par trop évidente, une injustice par trop choquante, pour qu'elle puisse être sérieusement contestée et pour qu'on s'oppose avec raison à ce qu'elle soit réparées.

Messieurs, on ne doit pas perdre de vue que les communications régulières et économiques sont en général l'âme de l'industrie.

Le bas prix des transports est devenu en quelque sorte l'une des nécessités industrielles, il contribue au rapprochement de produits qui, sans cette condition, demeureraient toujours séparés, et en permettant l'érection d'établissements qui prennent souvent une grande extension, il facilite le développement de la consommation et de la production.

Je crois que rien n'est plus désastreux qu'un système de péages trop élevés dans un pays où l'industrie joue un aussi grand rôle qu'en Belgique, et qui est entouré de voisins pouvant lui faire et lui faisant une concurrence formidable. En présence du développement de l'industrie étrangère, si nous voulons soutenir la concurrence avec quelque chance de succès, l'un des moyens les plus assurés d'y parvenir est sans contredit de ne charger les transports que de faibles péages.

Aujourd'hui il faut absolument que le transport de nos houillères, de nos minières, de nos usines, de nos fabriques, se fasse avec économie ; il ne faut pas qu'il soit contrarié par des péages trop élevés. Maintenir des péages exorbitants comme ceux qui existent aujourd'hui sur la Sambre canalisée et qui sont les plus élevés de tout le pays, maintenir, dis-je, des péages aussi exorbitants sur les canaux et les rivières, c'est rendre inutiles les moyens de transport, c'est, en quelque sorte, annihiler l'usage des voies navigables.

On ne peut les rendre utiles et praticables, aussi bien pour le trésor que pour le commerce, que par une tarification modérée. Les tarifs trop élevés produisent un grand mal et nuisent nécessairement à la prospérité générale en entravant toutes les opérations et en arrêtant l'essor de l'industrie et du commerce. Je ne saurais donc, messieurs, trop appuyer la proposition de réduction qui nous est soumise. Cette proposition est aussi équitable que fondée en raison et en justice, et certainement on ne lui reprochera pas d'être irréfléchie, car le temps n'a pas manqué pour l'étudier, puisque, depuis 7 ans déjà, elle est réclamée avec instance.

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Delfosse me paraît avoir soutenu un principe dangereux, lorsqu'il a voulu faire des péages sur les canaux et rivières un impôt très profitable pour le trésor. C'est ailleurs qu'il faut puiser les ressources directes du trésor. Que l'honorable M. Delfosse m'excuse de le lui faire remarquer, en cette circonstance, sous l'empire d'une sollicitude un peu trop partiale pour les intérêts de sa province, sa manière d'évaluer l'utilité des voies navigables m'a paru mesquine et étroite.

Dans une question de l'espèce, ce n'est pas tant le revenu direct de l'Etat qu'il faut considérer, ce n'est pas tant ce qui doit être versé au trésor, sous forme de péage, qu'il faut apprécier, mais les avantages que la réduction procurera au commerce en général et à nos consommateurs. Et quand je dis nos consommateurs, j'entends dire aussi bien les consommateurs de Bruxelles, de Louvain, de Malines, d'Anvers, de Gand, que ceux de Namur, de Dinant et autres lieux ; car je suis attaché par les mêmes liens de sympathie et d'affection à tous mes compatriotes, et de même que l'honorable M. Delfosse, je ne veux de privilège pour personne, pas plus pour les Charlottains, les Namurois ou les Dinantais, que pour les Liégeois, les Malinois ou les Anversois.

D'ailleurs l'abaissement du péage incontestablement donnera une impulsion plus grande aux transports, et si j'en juge par les antécédents, par les effets de la réduction de 840 qui a accru les recettes du trésor, il n'en résultera pas, dans nos ressources, la diminution de 100,000 fr., indiquée avec beaucoup d'exagération, je pense, par l'honorable M. Delfosse. Je crois au contraire, messieurs, que l'abaissement du tarif sur la Sambre inférieure, outre qu'il produira de grands avantages en assurant l'écoulement plus considérable de divers produits, et en diminuant le coût de diverses matières premières, par un prix réduit des transports, provoquera un plus grand mouvement de navigation qui viendra atténuer, si pas annihiler, la diminution appréhendée par l'honorable député de Liège : Je ne crois pas, comme l'a prétendu l'honorable M. Delfosse, que l'abaissement du tarif occasionne une diminution proportionnelle des revenus de l'Etat, parce que les transports, coûtant moins, deviendront plus nombreux, et que leur quantité compensera la réduction du taux.

Dans mon opinion, le sacrifice du trésor n'est qu'apparent, et il sera compensé par des avantages réels, par un développement de relations commerciales qui, contribuant au progrès de la richesse publique, détermineront un accroissement d'impôts de tous genres ; car vous le savez tous, messieurs, c'est un axiome qui n'a pas besoin de démonstration, que le trésor prend toujours sa bonne part de la prospérité publique.

Je termine, messieurs, en indiquant le motif principal qui me fera voter pour l'amendement de la section centrale, c'est-à-dire, pour la suppression des mots : « en destination de l’intérieur du pays », qui se trouvent à la fin de l'article premier et unique du projet de loi. Cet amendement me paraît nécessaire pour prévenir des tracasseries que je veux éviter au commerce. Sans l'amendement, il faudrait que le gouvernement prît des mesures pour s'assurer que les fers, que les houilles transportés à l'intérieur et ayant joui du droit réduit à 10 centimes, ne passent pas à l'étranger.

Pour s'assurer que ceux de ces produits destinés à l'exportation ont payé le droit de 19 centimes, il devrait surveiller l'entrée et la sortie de chaque magasin ou entrepôt particuliers. C'est une vexation à laquelle je ne veux pas assujettir le commerce, et voilà principalement pourquoi je voterai l'amendement proposé par la section centrale.

M. Dumont. - Messieurs, je serai le plus bref qu'il me sera possible de l'être, dans les observations que j'ai à présenter.

Je pense que la discussion a jusqu’ici parfaitement établi le fondement des prétentions des exploitants du bassin houiller de Charleroy, tendant à obtenir une réduction du péage sur la Sambre.

A leur demande on a objecté la nécessité de maintenir l'équilibre établi entre les divers bassins houillers. C'est donc sur l'équilibre que j'ai à présenter quelques observations.

Je soutiens que ni Charleroy, ni le gouvernement par la présentation du projet de loi, n'ont eu pour but de troubler l'équilibre qui doit exister entre les divers bassins houillers ; mais que le but qu'on se propose est de rétablir l'équilibre troublé par le fait du gouvernement.

Messieurs, il est incontestable qu'avant 1830 Charleroy possédait presque à lui seul le marché du département des Ardennes ; c'est à dater de 1830 seulement, comme l'a rappelé hier l'honorable M. Delfosse, que les relations de Liège étant interrompues avec la Hollande, et Liège ayant vu le prix de ses charbons diminuer considérablement, a été obligé de chercher un débouché vers les Antennes ; jusque-là rien que de juste et de légitime ; Liège a été singulièrement secondé dans cette tentative par le gouvernement qui, au détriment du bassin de Charleroy, a établi sur les produits de ce bassin une surtaxe très considérable. C'est là le fait qui a dérangé l'équilibre naturel qui devait exister entre Liège et Charleroy. Si le gouvernement n'était pas intervenu pour rompre cet équilibre, Charleroy ne serait nullement fondé à se plaindre de ce que Liège lui a enlevé la moitié si pas les 3/4 du marché des Ardennes.

Que ce soit l'établissement de ce péage exorbitant qui a enlevé à Charleroy le marché des Ardennes, cela est hors de doute. D'abord Liège ne paye, pour arriver jusqu'à Namur, que 12 cent, par tonne et par lieue, tandis que Charleroy paye 2 francs 4 centimes ; voilà donc une (page 1707) surtaxe de près de 2 francs imposée à Charleroy, tandis que Liège ne paye presque rien. Une surtaxe semblable ne suffit-elle pas pour enlever à Charleroy le marché des Ardennes françaises et le donner à Liège ?

Il y a d'autant plus de raison pour rétablir cet équilibre, que le bassin de Charleroy est beaucoup plus souffrant que le bassin de Liège ; je ne crois pas même que le bassin de Liège puisse se prétendre souffrant en ce moment.

Un membre. - Il est très souffrant.

M. Dumont. - Eh bien, le bassin de Charleroy l'est davantage ; je vais le prouver par des chiffres extraits de pièces authentiques. Les chiffres que je vais indiquer sont extraits du rapport fait par la députation permanente des conseils provinciaux du Hainaut et de la province de Liège.

En 1843, les exploitants du bassin de ce troisième district, Charleroy, ont essuyé une perte de 275,675. La production de ce bassin a été de 887,676 tonneaux, la dépense de 6,714,864, la valeur de 6,459,189 ; d'où résulte une perte de 275,675 francs.

En 1842, le même document constate une perte de 220,019 fr.

Ainsi, si l'équilibre est rompu entre Liège et Charleroy, il est urgent de le rétablir au profit du bassin le plus souffrant.

Nous ne demandons pas le renversement d'un système qui tend à établir un équilibre parfait entre tous les bassins houillers ; nous demandons seulement que cet équilibre, aujourd'hui détruit, soit rétabli. Et nous n'allons pas jusqu'à vouloir récupérer notre ancienne position. Si nous allions jusque-là, nous demanderions un abaissement de 2 fr. au tonneau, sur le péage de Charleroy à Namur, et nous ne demanderons qu'une diminution de 87 c. Ce n'est pas qu'il ne serait pas juste de nous replacer dans notre ancienne position, car lorsqu'il y a concurrence entre des industriels et que le gouvernement intervient, il ne doit le faire que d'une manière impartiale. Eh bien, y a-t-il de l'impartialité de la part du gouvernement, lorsque les charbons provenant de Charleroy payent un péage supérieur de 2 fr. à celui que payent les charbons de Liège ? C'est agir avec partialité, c'est se coaliser avec Liège, pour écraser Charleroy.

Après ce qu'ont déjà dit les honorables MM. Brabant et Pirson, il me reste peu de chose à répondre à l'honorable M. Delfosse.

L'honorable M. Delfosse vous a dit que Charleroy étendait tellement ses débouchés qu'il envoyait ses charbons jusqu'à Huy et même jusque très près de Liège. Je ne nierai pas le fait, je l'ignore. Mais s'il est vrai, qu'est-ce qu'il prouve ? Que le bassin de Charleroy est obligé de vendre à perte, que les débouchés lui manquent, puisqu'il est obligé d'aller les porter à Huy. N'est-ce pas la preuve que les prix sont plus élevés à Liège, que sa position est infiniment meilleure que celle de Charleroy ?

L'honorable M. Delfosse a dit qu'il était heureux pour le bassin de Charleroy que la concession de la Sambre eût été rachetée par le gouvernement.

Nous ne regardons ce rachat ni comme une chose heureuse, ni comme une faveur, car je suis persuadé que si la Sambre était restée aux mains des concessionnaires, leur intérêt les aurait portés à diminuer les péages ; ils ne se seraient pas bornés à faire une réduction d'un franc, ils l'auraient portée au taux nécessaire pour rendre à Charleroy tout le marché des Ardennes, parce que leur intérêt eût été que Charleroy fournît les Ardennes françaises, car ce qui va de Charleroy dans les Ardennes leur eût payé un péage tandis que ce qui part de Liège pour les Ardennes ne leur eût rien payé.

L'intérêt du trésor, abstraction faite de l'intérêt liégeois, a la même raison qu'auraient eue les concessionnaires de faire cette réduction ; l'intérêt du trésor demande qu'on la fasse pour attirer les transports sur la Sambre.

L'honorable M. Delfosse a dit que ce n'était pas au gouvernement que Liége devait d'être arrivée dans les Ardennes françaises, mais aux circonstances. Si ce n'étaient que les circonstances, nous ne nous en plaindrions pas, mais l'honorable membre doit reconnaître que Liège a été aidée par la surtaxe que les charbons de Charleroy ont dû payer comparativement à ceux de Liège.

L'honorable membre a dit que le bassin de Charleroy était dans une situation prospère. Je vous ai déjà fait connaître ce que c'était que cette prospérité. L'honorable membre a parlé d'une carte indiquant l'importance des transports dans les différentes directions. Il y a deux cartes ; l'une de 1834, l'autre de 1844. Celle de 1834 n'indique pas de transports de Liège vers la Hollande. C'était bien près de l'époque où les péages de la Sambre ont été fixés ; alors on pouvait légitimer ou au moins excuser la hauteur des péages établis sur la Sambre. La position de Liège était une circonstance atténuante.

Mais cela ne justifie pas le gouvernement d'avoir voulu améliorer la position de Liège autrement qu'aux frais de la généralité de la Belgique, et de l'avoir fait aux frais d'une localité seulement, car c'est Charleroy qui a fait les frais de l'indemnité donnée à Liège.

La carte de 1844 nous prouve que Liège expédie par le canal de Maestricht et par la Meuse.

Un membre. - Les bandes sont très étroites.

M. Dumont. - Ce n'est pas seulement de ce côté-là que vous exportiez ; une preuve que les exportations des charbons de Liège se font plus facilement que les exportations de charbons de Charleroy, c'est que les prix sont plus élevés à Liège qu'à Charleroy. Je ne pense pas qu'on puisse produire une preuve plus concluante que celle-là. Le prix indique si l'écoulement se fait facilement ou non.

Liège se plaint encore de la concurrence que les charbons de Prusse font aux charbons de Liége sur le marché hollandais. On m'a assuré que les expéditions de charbons prussiens sur le marché hollandais étaient insignifiantes.

Je ne crois pas devoir m'expliquer en ce moment sur la proposition de l'honorable M. Lesoinne ; je pense qu'une proposition de cette importance ne peut pas être examinée incidemment à l'occasion d'une loi à laquelle cette proposition n'a pas rapport, qu'il me permette de le loi dire.

Les péages sur le chemin de fer, en vertu de la loi de 1834, doivent être maintenus en harmonie avec les canaux du Hainaut. Mais il ne s'agit pas là de la Sambre canalisée ; ce qu'on a eu en vue lors de cette loi de 1834, c'est la concurrence des bassins de Liège et du Hainaut sur les marchés d'Anvers et du Brabant. La question des Ardennes françaises n'a aucune liaison avec les péages du chemin de fer.

Je conçois que l'honorable M. Lesoinne veuille établir cette liaison. On dit que si on rend à Charleroy une partie des avantages qu'il avait autrefois, c'est au détriment de Liège et qu'il faut lui donner une indemnité. Mais cette indemnité ne leur a-t-elle pas été donnée dans les canaux de la Campine, le canal de Maestricht, le chemin de fer de l'Etat ? Quoi qu'ils en disent, ne leur a-t-elle pas procuré un écoulement considérable ? Nous avons aussi le chemin de fer de l'Etat ; mais les conditions sont-elles les mêmes sur le chemin de fer du Hainaut que sur celui de Liège ?

Le détour que fait le chemin de fer de Charleroy à Bruxelles rend les transports extrêmement coûteux et on préfère la voie du canal, quelque onéreuse qu'elle soit.

Je crois donc que la proposition de l'honorable M. Lesoinne est digne de toute l'attention de la chambre, mais que l'examen doit avoir lieu dans un autre moment que celui-ci.

Je bornerai là mes observations.

M. de Garcia. - Messieurs, depuis longtemps on a signalé à cette tribune la position fâcheuse, la position injuste dans laquelle se trouvent la ville et la province de Namur relativement aux péages qui existent maintenant sur la Sambre inférieure, c'est-à-dire entre Namur et Charleroy. Sur les plaintes réitérées, articulées dans cette enceinte, et traduites en proposition formelle en 1846, je crois, par l'honorable M. Brabant, il nous a été promis par les divers ministères qui se sont succédé, il nous a été promis, dis-je, que les réclamations que nous n'avons cessé de faire seraient prises en mûre considération.

L'on doit bien se le rappeler, ces justes réclamations n'ont jamais été attaquées au fond, mais toujours elles ont été repoussées par des fins de non-recevoir. Au point où les choses en sont arrivées, ces moyens ne peuvent plus avoir aucune valeur ni aucune portée.

Le gouvernement enfin s'est décidé à faire un acte de justice ; on ne peut qualifier autrement la présentation du projet de loi qui nous est soumis. Ce point sera, je crois, facile à démontrer. Mon intention n'est point d'imiter l'exemple de quelques-uns des orateurs qui m'ont précédé ni de toucher les questions d'équilibre entre les produits de l'industrie et du sol national. Cet équilibre entre les divers produits nationaux, qui ne reposerait que sur des tarifs différents, constitue une véritable utopie, constitue une atteinte au vrai progrès des diverses richesses du pays.

Je ne concevrai jamais que l'on puisse baser la tarification générale des droits de transportait sur les fleuves et canaux, soit sur les chemins de fer, suivant un système, suivant une utopie semblable.

Comment ! Quand il s'agit des produits étrangers, on parle sans cesse de progrès et de liberté commerciale, on développe en théorie des principes qui tendent à renverser toutes les lignes de douanes, et quand il s'agit de l'intérieur, on voudrait faire prévaloir des maximes tout opposées ! on veut des entraves, on veut multiplier à l'infini et, suivant le bon plaisir de quelques localités, faire naître des difficultés au développement de la prospérité publique ! Une prétention semblable est aussi peu rationnelle que contraire aux intérêts bien entendus du pays.

Vouloir, par la tarification des droits de péage et de transport, créer ou maintenir un système d'équilibre entre les diverses industries et les divers produits du royaume serait, selon moi, la chose la plus désastreuse. Ce serait, en outre, poser un problème insoluble, et amener une question inextricable dont il ne nous serait pas possible de sortir.

En pareille matière, messieurs, où il ne s'agit que d'intérêts nationaux, nous n'avons qu'un partie prendre, celui de laisser à chaque localité les avantages qui lui appartiennent et qui lui sont départis par la nature.

Pour régler la fixation des péages et des droits de transport, deux seules choses doivent être prises en considération : d'abord, l'intérêt général de l'industrie, du commerce et du consommateur ; ensuite les ressources et l'intérêt du trésor, qui doit nécessairement se couvrir des sacrifices qu'il fait pour développer la richesse de tous les intérêts généraux.

En se plaçant à côté de ces deux grands principes, jamais on ne créera un tarif juste, équitable, libéral et favorable au progrès et aux améliorations de toutes nos industries.

J'ai commencé par dire que le gouvernement, en présentant la loi que nous discutons, avait posé un acte de justice envers la province de Namur. Cette assertion, je crois, est incontestable. Mais, je le regrette, cet acte de justice n'est pas complet ; je pourrai facilement le démontrer.

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Brabant a prouvé à l'évidence que les péages sur la Sambre inférieure étaient exorbitants et dépassaient (page 1708) considérablement tous les péages établis sur les autres voies navigables. Cette preuve me paraît d'autant plus évidente que nul de nos adversaires n'a démontré la fausseté des chiffres qu'il a mis en avant. Or, j'en appelle à la bonne foi des membres de cette assemblée, un tel état de choses ne constitue-t-il pas une injustice flagrante ? C'est en vain que, pour justifier cette inégalité et cette injustice, on invoque un prétendu système d'équilibre entre les productions des diverses industries du pays. Un système semblable, comme je l'ai dit plus haut, ne repose et ne peut reposer que sur l'arbitraire et sur des idées contraires aux progrès de nos richesses nationales.

Partant, il doit rester constant que la loi qui nous est soumise n'est que la réparation d'une longue injustice. Mais j'ai dit que cette mesure ne constituait qu'un acte de justice incomplet. C'est ce qui reste à démontrer.

Souvent la province de Namur a été signalée comme peu avancée au point de vue industriel. Sans doute il peut y avoir du vrai dans ce reproche. Mais quelles sont les causes de cet état stationnaire ? N'existent-elles pas dans les entraves mêmes que l'on a maintenues contre l'admission des éléments qui font la base de toutes les industries ? N'existent-elles pas dans les difficultés apportées à l'exportation de ses produits ?

La houille et te charbon de terre sont incontestablement aujourd'hui le levier de toutes les industries. L'industrie agricole elle-même est soumise au bon marché de cette matière. Comment dès lors peut-on prétendre que cette province progresse lorsqu'on frappe de droits excessifs et disproportionnés la matière qui est la véhicule indispensable de toutes les industries.

Sous un autre rapport, que j'ai déjà indiqué, les droits exorbitants de péages existant sur la Sambre inférieure sont des plus nuisibles aux exportations des produits de cette province, et portent un grand préjudice au développement de ses intérêts. L'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, a pour objet de remédier en partie à ces graves inconvénients ; pour être complet, il eût dû être plus large ; je me suis abstenu de lui donner la portée dont il est susceptible, parce que j'ai craint de porter atteinte aux intérêts du trésor, que les circonstances actuelles ne permettent pas de perdre de vue ; c'est ainsi que j'ai omis de comprendre dans mon amendement les pierres de taille, les bois, les minerais, toutes industries et tous produits d'une importance très grande pour cette province, et qui devront trouver un débouché tout naturel vers Charleroy et vers le Hainaut. A ce propos, qu'il me soit permis de relever la dépréciation qu'on a voulu parfois jeter sur la qualité des carrières de la Meuse. Cette allégation est aussi fausse qu'injuste, et pour se convaincre de ce que j'avance, on n'a qu'à voir les travaux d'art du chemin de fer entre Namur et Charleroy qui ont été exécutés en pierre de la Meuse. L'inspection de ces travaux démontre à l'évidence que ces pierres résistent aux intempéries des saisons, et que, sous tous les rapports, elles peuvent lutter par leur bonne qualité avec tous les produits similaires du pays.

J'ai cru devoir surtout présenter cette observation, parce que parfois ces pierres ont été exclues des marchés de constructions faits par le gouvernement.

Une autre matière d'exportation très importante pour la province de Namur, c'est le bois, qui s'exporte surtout vers Charleroy et le Hainaut. Cette matière pourtant reste frappée du droit exorbitant de péage sur la Sambre. Le croiriez-vous, messieurs ? Des perches qui ne coûtent que 25 c. dans une grande partie de la province de Namur coûtent, de transport et rendues à Charleroy. de 60 à 70 c. On doit le reconnaître : consacrer un système qui entraîne des frais de transport aussi considérables, c'est évidemment vouloir anéantir une source de richesse nationale.

Nonobstant ces considérations, je n'ai pas cru, pour le moment, devoir donner à mon amendement une portée qui pouvait déranger les ressources du trésor.

Je passe à l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, et qui contient la demande la plus modeste et la plus modérée. Son but et sa portée est uniquement de faciliter le transport de matières premières qui, sur les lieux, n'ont aucune espèce de valeur.

Ces matières sont d'abord les terres plastiques et les briques réfractaires indispensables aux fabriques métallurgiques du Hainaut ; ensuite les sables dont la qualité rend l'usage nécessaire aux nombreux établissements de verreries existant dans la même province. Ces matières, qui appartiennent en quelque sorte exclusivement à la province de Namur, ne font concurrence à aucune industrie similaire, et dès lors j'ai lieu d'espérer que mon amendement ne rencontrera pas de contradicteurs.

Je conçois que de tels intérêts, des intérêts dont le cercle est peu étendu, soient perdus de vue par une assemblée telle que celle-ci. Mais c'est un motif de plus pour que j'insiste et que j'appelle sur eux toute votre attention. La mesure que je demande ne peut nuire à personne et sera utile à une localité importante de la province de Namur. Son adoption n'entraîne la nation à aucune dépense sensible, ne lèse aucun intérêt, et, je n'hésite pas à le déclarer, je ne l'eusse pas présenté s'il avait dû en être autrement.

C'est ainsi que, dans la discussion du budget des travaux publics, je me suis abstenu de demander l'exécution de nombreux travaux que réclament les besoins de ma province.

J'aurais pu demander pour la Meuse un chemin de halage continu, promis depuis si longtemps et qu'on n'exécute pas. J'aurais pu demander la construction d'un pont pour Andenne, localité importante au point de vue du commerce ; j'aurais pu demander pour la même localité qu'il soit construit un embarcadère utile et indispensable, puisque dans l'état actuel des choses, il faut que les chevaux des voituriers aillent dans l'eau jusqu'au ventre pour opérer leur déchargement sur les bateaux. Ces divers travaux d'une utilité incontestable devront s'exécuter tôt ou tard. Mais dans l'état actuel de nos finances je n'ai pas cru que ces grands travaux pouvaient s'exécuter, et il ne pouvait me convenir de faire de semblables réclames.

L'amendement que je propose n'a nullement ce caractère, et le gouvernement ne l'ayant pas combattu, je dois supposer qu'il y adhère. Je le suppose d'autant plus que sa portée excessivement restreinte ne peut avoir pour résultat de réduire les revenus du trésor. J'ose donc espérer que le gouvernement ne s'y opposera pas. J'espère aussi que la chambre, y voyant un moyen de donner du travail à la classe ouvrière, de procurer un bien-être certain à une localité importante, sans porter préjudice i aucune, accueillera facilement cette proposition.

M. de Tornaco. - L'honorable M. de Garcia n'est pas, vous a-t-il dit, partisan du système d'équilibre. Pour moi, je suis partisan de ce système, et c'est précisément partie que je regarde l'équilibre comme devant être rompu par le projet de loi qui vous est soumis, que je le combats.

La première objection, la plus forte, d'après moi, contre le projet de loi est celle qui peut être tirée de la rupture de l'équilibre en faveur d'une industrie, au préjudice d'une autre.

Le projet de loi considéré sous ce rapport est contraire aux principes d'une bonne, d'une sage administration.

La seconde objection que je trouve à opposer au projet de loi, c'est que la violation des principes d'administration a lieu en faveur d'une industrie qui prospère, d'une industrie ambitieusement envahissante, au préjudice d'une industrie qui a beaucoup souffert depuis 1830.

La troisième objection, messieurs, c'est que cette violation des principes au profit d'une industrie et au préjudice d'une autre industrie, a lieu dans des circonstances qui ne permettent même pas que l'on rompe l'équilibre, qui exigent au contraire que les chambres et le gouvernement apportent à l'égard de toutes les industries du pays les plus grands ménagements.

Tels sont les motifs principaux qui s'opposent à l'adoption de la loi que vous discutez.

Messieurs, chacun sait quelle est l'influence de l'économie des transports sur l'avenir d'une industrie, que souvent de cette influence dépend le sort d'une industrie. Chacun sait aussi, messieurs, que les péages sont pour beaucoup dans l'économie des transports. Ce sont, je pense, des faits que personne ne conteste dans cette enceinte.

De ces faits incontestables est née pour le gouvernement, est née pour la chambre, en un mot pour la loi, l'obligation, la nécessité, quand il s'agit de péages à établir, à autoriser ou à modifier, de prendre en considération les rapports mutuels des divers intérêts soumis à l'influence de ces péages.

En un mot, messieurs, dans des lois modificatives des tarifs, l'équilibre doit être maintenu avec une stricte justice. C'est là une nécessité qui résulte de l’importance même des péages, de leur action sur la situation des industries.

Messieurs, il résulte encore des faits que je viens de citer, que les modifications de péages ne devraient pas être faites isolément, mais simultanément, par une loi générale mûrement élaborée, dans laquelle on tient compte de tous les rapports établis, de tous les droits acquis, de telle sorte que si quelqu'un de ces droits recevait quelque atteinte d'une part, il pût recevoir d'autre part une compensation.

Messieurs, je crois que ces principes d'administration ne rencontrent pas de contradicteurs dans cette chambre ; tous les intérêts, d'ailleurs, toutes les industries doivent désirer la conservation et l'observation de ces principes qui sont leur sauvegarde.

Si, messieurs, l'on n'observait pas ces principes, si on se laissait aller au hasard, si le gouvernement ne s'efforçait pas de tenir la balance égale entre les divers intérêts qui peuvent être en rivalité, il arriverait qu’il y aurait des fluctuations continuelles dans les industries, qu'elles seraient compromises à chaque instant.

Messieurs, les principes d'administration sont-ils respectés dans la loi qui vous est soumise ? Voyons ! Jusqu'à présent, messieurs, nos honorables adversaires ont suivi un système extrêmement commode. La comparaison des péages entre la Sambre et la Meuse est évidemment le point culminant de la discussion. Eh bien ! qu'ont fait nos adversaires ? Ils ont commencé par avancer des faits, des faits qui ont été contredits, et puis se succédant les uns aux autres, ils ont répété les mêmes faits. C'est ainsi que l'honorable M. Pirson vous a dit : L'honorable M. Brabant a prouvé à l'évidence que l'équilibre est rompu au préjudice de Charleroy. Puis l'honorable M. Dumont a encore répété la même chose. C'est là, il faut l'avouer, un système extrêmement commode. Autre chose est cependant d'avancer les faits et de les prouver ; et les preuves, jusqu'à présent, je les attends.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé : L'honorable rapporteur de la section centrale avance que le fret étant réduit à 3 fr. jusqu'à Namur, l'industrie liégeoise et l'industrie de Charleroy seraient sur la même ligne, seraient dans des conditions égales au point central de Namur. Ce fait a été contredit par mon honorable ami M. Delfosse. L'honorable M. Delfosse tient ses renseignements d’industriels qui les lui ont communiqués, et il en résulte que le fret de Liège à Namur, au lieu de s’élever à 3 francs, comme l'a avancé l'honorable rapporteur de la section centrale, varie de 3 fr. 50 à 6 fr.

(page 1709) Remarquez, s'il vous plait, messieurs, que l'honorable rapporteur de la section centrale a déclaré lui-même qu'il avait payé parfois 5 fr. de fret de Liège à Namur. Il a dit que c'était exceptionnellement. Mais cette exception se renouvelle, j'en suis persuadé, très fréquemment.

Ainsi, messieurs, quant aux péages, nous n'avons rien de certain. Ce sont des assertions ; d'une part, des assertions d'autre part ; et je ferai remarquer qu'il est extrêmement fâcheux que le gouvernement, qui est chargé de veiller à tous les intérêts, de veiller au maintien de cet équilibre dont je suis partisan, n'ait pas apporté ici le moindre tribut de lumière, qu'il n'ait pas du tout éclairé cette question de péages. Car personne ici n'a rien de positif sous les yeux.

Messieurs, la question des péages, loin d'être résolue, est complètement dans les nuages.

Je veux croire aux assertions de l'honorable rapporteur de la section centrale, mais je dois croire aussi aux assertions de l'honorable M. Delfosse ; or, messieurs, ces assertions sont contradictoires, et le gouvernement jusqu'ici n'a point pris position entre ces assertions contradictoires.

Cependant, messieurs, il est d'autres preuves, plus éloquentes que des assertions, et qui démontrent qu'il doit y avoir rupture de balance en faveur des exploitations charbonnières de Charleroy ; les faits, messieurs, sont là pour prouver qu'il ne s'agit point ici, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dumont, qu'il ne s'agit point ici de rétablir l'équilibre entre le bassin houiller de Charleroy et le bassin houiller de Liège, mais bien d'empirer la situation de Liège, d'améliorer celle de Charleroy et de rompre encore plus l'équilibre déjà rompu précédemment ; les faits sont là pour prouver ce que j'avance. Comment ! messieurs, nous voyons le charbon de Charleroy envahir, non seulement la ville de Namur, non seulement la ville de Huy, mais venir s'entreposer aux portes de Huy. Je puis en parler sciemment, car je l'ai vu moi-même ; quand on sort de Huy pour aller vers Hannut, on voit des dépôts de charbons de Charleroy ; ces charbons sont pris par les cultivateurs de la partie de la province de Liège qu’on appelle la Hesbaye et transportés jusqu'à 5 et même 4 lieues de Liège.

M. Brabant. - Ce sont des charbons de Namur.

M. de Tornaco. - Ce sont des charbons de Charleroy.

Eh bien, messieurs, comment pourrait-il se faire que ces charbons vinssent de Charleroy jusqu'au centre de la province de Liège, si l'équilibre n'avait pas déjà été rompu en faveur du bassin de Charleroy ?

Tout a l'heure, messieurs, l'honorable M. Dumont vous disait, après avoir présenté quelques chiffres sur le prix de revient des houilles de Liège, comparé au prix de revient des houilles de Charleroy, il vous disait qu'il y a une perte annuelle sur l'extraction des houilles de Charleroy et que par conséquent on réalisait un bénéfice plus grand à Liége. Mais, comment à Liège, lorsqu'on réalise des bénéfices, lorsque l'extraction est à meilleur marché qu'à Charleroy, comment peut-on comprendre la concurrence que Charleroy vient faire jusqu'à quatre ou cinq lieues de Liège ? Je prierai l'honorable M. Dumont de vouloir bien concilier ces deux faits : l'avantage de l'extraction du charbon de Liège et la concurrence mortelle que Charleroy vient faire à Liège jusqu'au centre même de la province. (Interruption.) Je ne suis pas porté à croire que les exploitants de Charleroy éprouvent les pertes que suppose l'honorable M. Dumont ; ils n'aiment pas plus à perdre, ils aiment peut-être moins à perdre que d'autres.

Je crois, messieurs, que cette vente du charbon de Charleroy dans une grande partie de la province de Liége, prouve beaucoup plus évidemment que n'ont pu le faire toutes les allégations, que l'équilibre a été rompu au préjudice du bassin de Liège. Je ne produis pas des allégations ; je cite des faits et je tire des conséquences de ces faits.

Je dis donc, messieurs, que l'équilibre, loin d'avoir été rompu au préjudice de Charleroy, a été rompu déjà au préjudice de Liège. Aujourd'hui, les charbonniers de Charleroy demandent encore un abaissement du péage. Cet abaissement serait sans doute profitable à la province de Namur ; mais là, messieurs, n'est pas le but principal de la mesure qu'on propose : le but principal de cette mesure est d'enlever à la province de Liège le marché français, le marché du département des Ardennes et le marché du département de la Marne. Tel est le but principal du projet de loi sollicité avec tant d'instance par les charbonniers du bassin de Charleroy. A coup sûr, la spéculation de ces MM. les charbonniers de Charleroy ne serait pas mauvaise ; mais il s'agit de savoir s'il est juste, s'il est équitable qu'une spéculation comme celle-là soit consentie par le gouvernement, soit consentie par la chambre. Pour ma part, je crois qu'il n'y aurait ni équité ni justice à priver la province de Liège du débouché des Ardennes et du débouché du département de la Marne.

La province de Liège, messieurs, a éprouvé des pertes extrêmement considérables depuis i830. Je ne veux pas revenir sur les faits rappelés par l'honorable M. Delfosse, mais pourtant, souvenez-vous, messieurs, que nous avons perdu le débouché de Louvain et de Tirlemont, le débouché de la Hollande, débouché important pour les charbons de la province de Liège, débouché que nous n'avons pas récupéré, car en vain viendriez-vous dire que, depuis le traité avec les Pays-Bas, nous avons récupéré ce débouché, il n'en est rien, ce débouché n'est pas à récupérer, car les houilles de Liège, toutes les houilles de la Belgique jouissaient avant 1830 d'une protection dans les Pays-Bas, protection qu'elles n'auront jamais plus.

L'industrie houillère de la province de Liège a beaucoup souffert. Elle a perdus ses débouchés, elle les a perdus par le fait même du gouvernement ; celui de Louvain et celui de Tirlemont sont de ce nombre. Charleroy, au contraire, a gagné des débouchés très étendus, surtout vers la France. Si l'on avait jeté un coup d'œil sur la carte de l'ingénieur Belpaire, on n'aurait pas le moindre doute sur ce fait. L'industrie de Charleroy a toujours été se développant et envahissant les marchés voisins, tandis que l'industrie houillère de la province de Liège a suivi une marche diamétralement opposée.

Messieurs, l'honorable M. de Bavay vous a dit que le marché français devait être considéré comme perdu pour le bassin houiller de Liège ; il a dit que la question de ce débouché a été résolue lors de la discussion du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; mais, messieurs, l'honorable ministre n'a pas fait attention qu'il y a là une question de droit et une question de fait ou de temps. Il est bien vrai que la province de Liège est menacée de perdre le débouché français par suite de la construction du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse ; mais, messieurs, il n'est pas indifférent pour une industrie de perdre un débouché une année ou deux plus tôt ou plus tard. Pour me faire mieux comprendre de MM. les ministres, je ferai une comparaison. Je suis convaincu, moi, que le ministère ne survivra pas longtemps au mois de juin ; eh bien, serait-il indifférent au ministère de quitter aujourd'hui ou d'attendre que les journées de juin soient passées ? Je crois que le ministère me répondra que la chose ne lui serait pas indifférente du tout. Eh bien, il en est de même de l'industrie ; il ne lui est pas du tout indifférent de perdre plus tôt ou plus tard des débouchés, des avantages dont elle jouit actuellement.

Messieurs, un troisième motif que j'ai à alléguer contre le projet de loi, c'est que les circonstances difficiles que nous traversons ne permettent pas qu'on rompe avec légèreté l'équilibre qui doit exister entre les diverses industries. Faites bien attention qu'aujourd'hui toutes les industries ont besoin de toutes leurs ressources ; chaque industrie fait les plus grands efforts, les plus grands sacrifices pour ne pas réduire la production, pour ne pas réduire le salaire des ouvriers, pour ne pas être obligée de les congédier. Craignez qu'en déduisant les relations qui existent aujourd'hui pour l'industrie houillère de la province de Liège, vous ne mettiez les industriels de cette province dans la douloureuse nécessité de refuser aux ouvriers du travail et du pain.

Je pourrais tirer contre le projet de loi une autre objection des apparences fâcheuses sous lesquelles il se présente.

Ces apparences sont d'autant plus fâcheuses que le gouvernement n'a pas hésité à se rallier à l'amendement «de la section centrale. Cependant si mes renseignements sont exacts, on avait lieu de croire que le gouvernement ne se rallierait pas à cet amendement. Quels sont donc les motifs qui ont amené ce changement ? Quels sont les motifs qui ont occasionné en quelque sorte une surprise aux industriels de la province de Liège ?

Mais, messieurs, je n'aime pas à m'appesantir sur certaines choses ; j'éprouve même de la répugnance à m'en occuper.

Au surplus, il n'est pas nécessaire, pour qu'une loi soit rejetée, qu'elle porte l'empreinte ou l'apparence d'une injustice calculée, il suffit sans doute qu'elle soit réellement injuste ; or, il ne peut point exister de doute quant à cette injustice. Le projet de loi qui a pour but prétendu le rétablissement de l'équilibre entre le bassin houiller de Liège et celui de Charleroy aurait (s'il était adopté) pour résultat certain la rupture de cet équilibre ; je me trompe, il romprait de plus en plus un équilibre déjà perdu, il aggraverait la situation fâcheuse des charbonnages liégeois, il aurait, dans les circonstances difficiles que nous traversons, des conséquences déplorables pour les ouvriers. Ce sont là, je crois, des motifs plus que suffisants pour que le projet de loi soit rejeté.

M. Pirmez. - Messieurs, je pense que le seul équilibre qu'il soit possible à un gouvernement d'établir, le seul qu'il doive chercher, c'est la justice ; c'est de ne pas faire payer 10 à l'un et seulement 1 à l'autre.

Quant à l'équilibre dont vient de parler l'honorable M. de Tornaco, c'est une chose insaisissable, une chimère, qui doit occasionner des débats éternels.

La discussion est déjà très avancée ; et réellement si les adversaires du projet de loi n'ont pas à produire de nouvelles raisons contre la loi, les défenseurs de la loi n'ont plus rien à dire, du moins quant à présent.

Messieurs, j'ai entendu hier avec un grand étonnement invoquer les intérêts du trésor public par l'honorable M. Delfosse, et cela à propos de l'extension demandée par la section centrale. Mais c'est une espèce de dérision !

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. Pirmez. - Il est bien entendu que si Charleroy était substitué à Liège pour une certaine quantité dans l'exportation, le trésor public pour cette quantité recevrait un franc là où il ne recevrait que 12 centimes de Liège ; et l'on vient invoquer les intérêts du trésor public !

J'espère que Liège exportera encore beaucoup de produits : leur diversité en étendra certainement la consommation. Mais si Charleroy devait être substitué à Liége, il est certain que le trésor recevrait huit fois autant d'argent du bassin de Charleroy que du bassin de Liège, pour la même quantité de houille exportée.

Ainsi, vous voyez, messieurs, combien la différence des droits est favorable à Liège. Et remarquez que les droits doivent être avancés ; ceux qui veulent prendre de la houille à Liège ou à Charleroy, doivent faire d’abord une avance des droits de navigation.

Je suppose que maintenant, vous ayez à avancer à Charleroy 1,000 fr., pour les droits d'une certaine quantité de charbon ; eh bien, à Liège vous (page 1710) ne devrez avancer que 100 fr. Par le projet de la section centrale, vous devrez encore avancer 800 fr. à Charleroy, taudis qu'à Liège vous ne devrez avancer que 100 fr. Vous voyez donc que Liège est encore singulièrement favorisée sous ce rapport ; une avance considérable empêche une grande quantité d'acheteurs.

Il est une anomalie qui a échappé hier à l'honorable M. Brabant. Nous sommes en concurrence avec Liège pour la fourniture des fontes ; nous en envoyons en Allemagne ; Liège en envoie en France ; nous parcourons la Sambre avec un droit différentiel ; de façon que, lorsque Liège envoie des fontes en France, il ne paye que 10 centimes, et quand Charleroy en envoie en Allemagne, il en paye 19... Une semblable anomalie ne peut exister, et nous espérons que la chambre la fera aussi disparaître en adoptant le projet.

Je crois inutile d'en dire davantage pour le moment.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je désire présenter quelques observations à la chambre sur le nouvel amendement déposé aujourd'hui par l'honorable M. Lesoinne ; hier l'honorable membre avait proposé de réduire de 50 p. c. le tarif du chemin de fer sur la ligne de l'Est.

Aujourd'hui, l'honorable membre modifie cette proposition, il la généralise, il propose un tarif nouveau pour les matières encombrantes, tarif applicable à toutes les lignes du chemin de fer. L'honorable membre propose actuellement de réduire le tarif du chemin de fer de 30 p. c ; en d'autres termes, le tarif d'aujourd'hui, dont la base est 50 centimes par tonne et par lieue, serait réduit à 35 centimes. Cette mesure est fort grave en elle-même. Si la chambre posait un principe pareil, elle statuerait, à l'occasion du projet qui lui est soumis, sur une question qui a une importance bien autrement grande que celle du tarif de la Sambre ; elle modifierait dans sa base le tarif du chemin de fer.

Cette modification, messieurs, aurait inévitablement pour conséquence, dans les circonstances actuelles, de réduire les recettes du chemin de fer ; car une réduction de ce genre ne pourrait trouver de compensation que dans une extension considérable des transports, et cette extension considérable des transports n'est pas possible pour le moment à cause de l'insuffisance du matériel des transports. Si nous abaissions, dans les circonstances présentées, le tarif du chemin de fer, nous arriverions à avoir une insuffisance de matériel infiniment plus sensible que celle qui existe aujourd'hui ; la compensation qu'on attendrait d'une extension de circulation ne serait donc pas réalisable. Cette mesure serait infiniment grave, je n'hésite pas à le dire. Je n'entends pas cependant me prononcer pour les tarifs élevés, appliqués au chemin de fer ; cette question, la chambre aura l'occasion de la discuter spécialement après une instruction complète et un examen en sections. Je crois pouvoir dire que cette question n'est pas mûre aujourd'hui et qu'adopter l'amendement de l'honorable M. Lesoinne, ce serait la résoudre au hasard.

Cet amendement aurait une autre conséquence ; il conduirait inévitablement et immédiatement à une révision générale des tarifs des canaux. Je vous ai déjà cité hier l'article 7 de la loi du 1er mai 1834. Cet article veut que le péage des canaux du Hainaut ne soit pas supérieur à la fraction du prix de transport sur la ligne de l'Est du chemin de fer, qu'on peut considérer comme péage.

Eh bien, si vous admettiez un prix de transport de 35 centimes sur la ligne de l'Est, pourriez-vous conserver un péage de 30 centimes et une fraction sur le canal de Charleroy ? L'honorable M. Delfosse conteste que le péage du canal de Charleroy soit de 30 centimes. Il est dans une complète erreur. Le péage du canal de Charleroy est uniforme pour les deux bassins de Charleroy et du centre ; il est de 3 fr. 05 pour le centre comme pour Charleroy.

Le centre ne fait usage du canal que sur une longueur de dix lieues ; il s'ensuit qu'il est soumis, sur le canal de Charleroy, à un péage de trente centimes par lieue et par tonne. Pourrez-vous maintenir un péage de trente centimes sur le canal de Charleroy, quand vous n'aurez qu'un prix de transport de trente-cinq centimes sur la ligne de l'Est du chemin de fer ? Ce prix de transport sur la ligue de l'Est, en supposant qu'il représentât vingt centimes de péage, vous mettrait dans la nécessité de réduire le péage du canal de Charleroy d'au moins un tiers. Ce second fait, messieurs, aurait une portée réelle pour le trésor public ; car, de tous nos canaux, le canal de Charleroy est celui dont la recette est la plus élevée ; elle s'élève à un million et demi par an. Vous n'auriez d'ailleurs, ici, dans l'augmentation des transports, qu'une faible compensation de la réduction du tarif, par la simple raison que les transports sur le canal de Charleroy sont arrivés à la limite de ce qu'ils peuvent être ; en d'autres termes, il n'est guère possible de faire passer, en un an, par le canal de Charleroy, un nombre de bateaux plus considérable que celui qui y passe aujourd'hui. Si, faisant abstraction de l'article 7 de la loi du 1er mai 1834, vous admettiez le prix de trente-cinq centimes pour la ligne du Midi du chemin de fer, sans modifier le péage du canal de Charleroy, il s'ensuivrait que le gouvernement devrait faire, par le chemin de fer, la majeure partie des transports qui se font aujourd'hui par le canal. cette modification dans le mode des transports aurait lieu au grand préjudice du trésor, par la raison que le péage du canal n'impose, par lui-même, aucune dépense proportionnelle aux transports. C'est une dépense fixe qui est la même pour 500 ou 600 mille tonneaux, tandis que, sur le chemin de fer, il en est tout autrement.

La proposition de M. Lesoinne conduirait donc, messieurs, à un abaissement immédiat de recettes sur le chemin de fer et à un abaissement de recettes sur le cana de Charleroy et vraisemblablement sur le canal d'Antoing.

En d'autres termes l'amendement de M. Lesoinne consacre par lui-même la révision aussi bien des tarifs du chemin de fer que des tarifs des canaux en général.

Différents orateurs ont déjà eu l'occasion de faire connaître à la chambre que la Sambre se trouve dans une position spéciale ; que, sur la Sambre, les charges de la navigation ont été accrues par la canalisation qui n'a pas conduit à l'abaissement du fret, comme on l'avait espéré. Je pense que ce point n'est pas susceptible d'être contesté ; il place la Sambre dans une position tout à fait exceptionnelle.

Il est une circonstance sur laquelle je crois utile d'appeler l'attention de la chambre. C'est le chiffre extrêmement élevé des péages sur la navigation du Hainaut.

Pour s'en faire une idée, il suffit de voir le tableau récapitulatif du produit des péages. La Sambre donne un revenu de 600,000 fr. ; le canal de Charleroy, un revenu de 1,500,000 fr.

Voilà donc deux lignes de navigation, que le bassin de Charleroy alimente en très grande partie et qui donnent au trésor un produit annuel de plus de 2 millions.

Je sais fort bien que la navigation de la Meuse a ses difficultés. Mais nous sommes à cet égard sous l'impression des circonstances de l'année dernière, année exceptionnelle, qui a réduit le parti qu'on peut tirer de la Meuse au-dessous de ce qu'il avait été pendant un grand nombre d'années.

Ce fait exceptionnel probablement ne se reproduira pas de longtemps.

Je citerai par contre un fait qui a tourné au profit des charbonnages de Liège.

Par le traité de 1842, les péages sur le canal de Bois-le-Duc ont été réduits de moitié, de commun accord avec la Hollande. Ce fait a profité entièrement au bassin de Liège. Il s'est accompli, sans que les péages des canaux du Hainaut aient éprouvé aucune modification.

M. Fleussu. - La proposition qui vous a été faite par le gouvernement, et qui est amendée par la section centrale, porte une atteinte trop directe et trop profonde aux industries du district que j'ai l'honneur de représenter, pour que je ne joigne pas, pour la combattre, ma voix à celle de mes honorables collègues.

Vous comprenez, messieurs, qu'après les considérations auxquelles ils se sont livrés, ma tâche sera extrêmement facile, et que j'aurai à me renfermer dans quelques considérations.

Les provinces de Hainaut et de Liège sont rivales par plus d'un endroit ; c'est surtout par le produit des mines de houille et par les fontes qu'elles sont le plus en contact.

Le gouvernement doit faire tous ses efforts pour que ces industries puissent se développer sans se heurter, pour que l'industrie d'une localité ne s'élève pas sur les ruines de l'industrie d'une autre localité. Il doit chercher à maintenir l'équilibre qui existe maintenant. C'est là un principe général qui s'applique dans les temps ordinaires, mais dont l'application doit être d'autant plus rigoureuse dans des temps de misère et de malheur ; car si l'industrie, quand elle est prospère, répand l'aisance sur toute une population ouvrière, agglomérée autour d'elle ; lorsqu'elle est stagnante, cette même population est livrée à la misère ; le paupérisme le plus dangereux, le plus alarmant est celui qui est dû à la cessation du travail. Il faut donc en cette matière pondérer tous les intérêts.

Il existe maintenant un équilibre de fait, équilibre qui, je le reconnais, devra être soumis à une révision générale.

Lorsque vous aurez achevé tous les travaux concédés ou en construction, il y aura nécessairement des modifications à introduire pour maintenir l'équilibre entre les divers intérêts.

C'est ainsi que vous allez faire le canal de la Dendre qui, si mes souvenirs sont fidèles, doit ouvrir un débouché aux houilles du couchant de Mons. C'est ainsi que vous allez faire le canal de Mons à Erquelinnes. Je ne sais si la construction de ce canal est prochaine. M. le ministre des travaux publics, interpellé à ce sujet par un député du couchant de Mons, n'a pas fait une réponse positive.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Il y a un procès.

M. Fleussu. - Il y a aussi le canal latéral à la Meuse qui est en construction. Vous avez les canaux de la Campine et quelques tronçons de chemins de fer qui doivent se relier à d'autres branches du chemin de fer. Ce n'est que quand tous ces travaux seront achevés que vous pourrez, dans des vues d'ensemble, modifier le tarif du chemin de fer et les péages des canaux.

Jusque-là, je crois qu'il est très prudent de ne pas porter la main sur le tarif qui existe maintenant.

Ce principe a en quelque sorte été sanctionné par la loi de 1834. Lorsque nous discutions la loi du chemin de fer, les études qui avaient été faites, les calculs des ingénieurs portaient sur les transports des produits de la province de Liège. Ces calculs avaient effrayé l'industrie du Hainaut, et à juste titre ; car il semblait que Liège allait chauffer Louvain, Anvers, Malines et même les Flandres. Alors les représentants du Hainaut, alarmés de cet état de choses, se sont écriés que le Hainaut né le souffrirait pas. Ces mots ont été prononcés dans cette enceinte. Et, pour dissiper ces craintes, ils ont stipulé dans la loi de 1834 que les tarifs du chemin de fer ne seraient jamais moins élevés que les péages sur les canaux.

Qu'est-il arrivé ? C'est que les prévisions qui avaient frappé tous les esprits, lors de la discussion de la loi de 1834, ont été démenties par (page 1711) les faits. Il s'est trouvé que le chemin de fer a enlevé aux industries du bassin de Liège le marché qu'elles avaient avant l'établissement du chemin de fer.

C'est ainsi qu'il est incontestable que nous avions le marché de Louvain. Nous parvenions même jusqu'à Anvers, par la force des choses ; et voici comment :

Avant l'établissement du chemin de fer, les denrées coloniales se transportaient vers l'Allemagne, par suite vers la province de Liège, par roulage. Lorsque les voituriers s'étaient défaits de leurs marchandises à Liége ou plus loin, pour ne pas revenir à vide ils se chargeaient de houille et ils fournissaient ainsi le marché de Tirlemont, le marché de Louvain et même les marchés plus éloignés. C'était par la force des choses, que nous alimentions ainsi des marchés qui se trouvaient à une grande distance de nous. Qu'est-il arrivé, messieurs, depuis l'établissement du chemin de fer ? C'est que ces marchés nous échappent à raison de l'élévation du tarif du chemin de fer.

Messieurs, mon honorable collègue M. Lesoinne a déposé un amendement tendant à faire réduire le tarif du chemin de fer au taux de 35 centimes par tonne-lieue, prix auquel on transporte sur la voie de la Vesdre ; et il ne demande pas un privilège ; car il propose que la même faveur soit appliquée à toutes les lignes du chemin de fer ?

M. le ministre des travaux publics s'élève fortement contre cet amendement : Il est intempestif ; il détruirait la base du tarif du chemin de fer. Mais je dirai à M. le ministre que s'il craignait un amendement de cette nature, il n'avait qu'à ne pas présenter son projet sur la Sambre, car il y a une corrélation évidente entre le tarif du chemin de fer et les péages des canaux. C'est donc parce que vous avez pris l'initiative d'une diminution de péages sur la Sambre, que nous sommes en droit et que nous avons qualité pour prendre à notre tour une initiative sur le tarif du chemin de fer.

Vous dites encore qu'il faudrait augmenter considérablement le matériel du chemin de fer, si l'on transportait à prix aussi bas. Mais vous êtes déjà aujourd'hui en défaut à cet égard. Malgré le taux élevé du tarif, on se plaint dans toutes les directions d'un manque de matériel. Si j'en crois les négociants, leurs marchandises doivent attendre à Anvers plusieurs jours, doivent attendre des semaines, avant de pouvoir être expédiées. Il n'y a pas bien longtemps que je voyageais avec un marchand de grains et celui-là était obligé de se servir du canal pour faire transporter ses grains jusqu'à Louvain, et puis, pour les transporter plus loin, il employait le chemin de fer, ce qui lui occasionnait encore un surcroît de dépenses.

Ainsi cette observation qu'a présentée l'honorable ministre des travaux publics contre l'amendement de mon honorable ami M. Lesoinne, se réduit, selon moi, à bien peu de chose ; et dans tous les cas je dis que c'est la présentation du projet du gouvernement qui a amené l'honorable M. Lesoinne à proposer son amendement.

Messieurs, nous demandions que, si l'on ne voulait pas réduire d'une manière générale le tarif, au moins les waggons qui reviennent d'Allemagne à vide pussent se charger de houille et ne revinssent pas à vide. Nous y voyions un avantage pour le consommateur, un avantage pour l'industrie et un avantage même pour le trésor. Il m'arrive, messieurs, étant à la campagne, de voir des convois immenses de waggons retournant vers Bruxelles à vide. Eh bien ! je demande pourquoi on ne pourrait pas faire sur le chemin de fer ce que faisaient les voituriers, alors qu'ils avaient conduit des marchandises vers Liège et vers l'Allemagne.

Mais à l'instant même, messieurs, le Hainaut se plaint, et c'est une autre partie du Hainaut ; on dit que nous allons faire une concurrence d'autant plus dangereuse au centre et au couchant de Mons. Cela vous prouve une chose, et je suis très content que l'observation ait été faite : c'est qu'en matière de tarifs et de péages, il faut un ensemble, et que se placer à un seul point de vue, c'est s'exposer à des méprisera des injustices.

Bientôt, messieurs, vous allez voir Charleroy réclamer d'un autre chef. Il va demander une diminution de péages sur le canal de Charleroy. Eh bien ! vous verrez l'autre bassin protester contre cette réduction de péages, parce que toutes ces réductions partielles établissent des injustices, et que pour avoir un véritable état bien équilibré, il faut un ensemble dans les tarifs et dans les péages.

Cette pensée, messieurs, qui avait déjà été longuement développée dans la loi de 1834, qui y avait même été introduite, vient encore de vous être présentée par l'honorable M. de Tornaco. Mais j'ai une autre autorité que la sienne ; j'ai un des conseillers de la couronne qui a fait rejeter, il y a deux ans, une proposition de l'honorable M. Brabant dans le même but que celle que nous discutons.

Voici, messieurs, comment s'expliquait l'honorable M. Malou, après avoir, du reste, élevé d'autres fins de non-recevoir contre la proposition de l'honorable M. Brabant. Il disait que l'on avait décrété les voies et moyens, et que la proposition de l'honorable M. Brabant tendait à déranger les chiffres qui avaient été votés. J'aurai l'honneur cependant de faire observer qu'à cette époque nos finances étaient dans un état au moins aussi prospère que celui dans lequel elles sont maintenant, et que les considérations qui avaient été présentées alors, ont gagné beaucoup de force depuis 1845. Mais voici du reste la considération principale que présentait l'honorable M. Malou. Il venait d'entrer au ministère, et c'est à l'instance de son honorable ami, c'est ainsi qu'ils se sont qualifiés dans la discussion, que la demande d'une réduction de tarif avait été introduite.

« La question des péages, disait l'honorable M. Malou, ne peut pas être circonscrite à une seule communication ; il est évident, nos précédentes discussions en font pleinement foi, que le changement de tarifs à apporter sur une seule voie, peut réagir au-delà des intentions du gouvernement, et de la chambre sur son ensemble ; ce n'est pas partiellement, en ôtant une, pierre à l'édifice, qu'on peut améliorer la situation actuelle, au risque contraire de le compromettre, de le gâter. »

Voilà donc, messieurs, quelle était en 1845 la pensée de cet organe du gouvernement. Je serais curieux de savoir quels événements sont arrivés depuis cette époque qui ont pu modifier la pensée gouvernementale. Il y a là-dessous un secret. Je pense que M. le ministre des affaires étrangères pourrait seul nous donner le mot de l'énigme.

Ainsi, messieurs, je pense qu'il serait d'une administration sage, de ne pas procéder à une révision de tarifs sur une seule voie de navigation, que cette matière est assez grave, importe assez à tous les intérêts du pays pour qu'il y ait une loi d’ensemble.

Voyons cependant, messieurs, la proposition en elle-même.

Vous savez que les industriels du canal de Charleroy et aussi les consommateurs de la province de Namur n'ont pas manqué de réitérer, de renouveler à certaines périodes, des sollicitations en faveur d'une réduction de péages de la Sambre.

D'abord, et, c'est une chose assez remarquable, le péage était de 12 cents ou 25 centimes. On a accordé en 1832, si je ne me trompe, une réduction d'un quart ; le péage n'a plus été que de 18 centimes.

Après avoir obtenu cette réduction on en demande une autre, on veut réduire le péage à 10 cent. Il me semble que ces messieurs observent parfaitement ce précepte des Ecritures qui dit : Frappez et on vous ouvrira, demandez et vous obtiendrez ! car à force d'avoir frappé on vous a ouvert et à force d'avoir demandé, on vous a concédé ; mais, comme l'appétit vient en mangeant, il paraît que vous n'êtes pas encore satisfaits des concessions qu’on vous a faites.

Il a donc été question souvent, et ici et au sénat, de la réduction des péages sur la basse Sambre ; mais, messieurs, remarquez une chose, remarquez que toujours la réduction se bornait à des marchandises, à transporter sur les marchés de l'intérieur ; toutes les fois qu'il a été question de la réduction des péages ; on n'a jamais pensé à porter cette réduction sur les marchandises destinées à l'exportation. Aussi, fidèle à ces errements, fidèle aux antécédents parlementaires, qui n'avaient pas eu de suite jusque-là, le gouvernement a présenté un projet de loi qui renfermait tout à fait la même pensée ; il voulait bien admettre la réduction des péages, mais seulement sur les marchandises qui devaient être transportées sur les marchés intérieurs ; c’est la section centrale qui, sur un simple renseignement donné par les industriels de Charleroy, sans demander des renseignements contradictoires aux industriels de Liège, et ne prévoyant pas, du reste, que sa proposition fût de nature à nuire au bassin de Liège, c'est la section centrale qui propose, par amendement, d'étendre la réduction aux marchandises destinées à être exportées en France. Si l’on s'était tenu à la proposition ministérielle, eh bien, nos industriels en auraient peut-être pris leur parti ; mais ils ont été épouvantés, je dirai, de la proposition de la section centrale, car c'est cette proposition qui porte la véritable atteinte à leurs intérêts.

Les industriels de la province de Liège ont surtout été frappés de la conduite singulière du gouvernement' : d'abord il s'oppose à une nouvelle réduction du péage en 1845, en 1847 il en fait lui-même la proposition ; mais il l’a fait dans des bornes restreintes, puis il cède sans difficulté à la proposition de la section centrale.

Mais vous ne voyez pas, M. le ministre, à quels reproches vous vous exposez ; ou bien vous vous déclarez imprévoyant, ou bien vous vous déclarez complaisant ; si vous reconnaissez que les besoins du bassin de Charleroy exigent que la mesure soit appliquée à l'exportation alors il fallait faire la proposition aussi large qu'elle l'est maintenant ; si au contraire vous reconnaissez que la position de Charleroy n'exige pas la mesure en ce qui concerne l'exportation, alors vous avez fait un acte de complaisance, au préjudice de l'industrie de Liège.

Puis, messieurs, voyez comment on procède : Croyez-vous que le gouvernement ait donné le moindre renseignement ni sur l’importance du débouché français, ni sur les moyens de transport, ni sur le fret ? Eh bien, nous sommes dans le dénuement le plus complet, et qu'arrive-t-il ? Les deux bassins sont en contradiction et le gouvernement manque de renseignements pour faire pencher la balance.

C'est ainsi, par exemple, messieurs, que, d'après les mémoires qui nous ont été distribués par les intéressés, il semblerait que l'industrie de Charleroy ne place sur le marché français que le dixième de ce que la Belgique y envoie, et, d'après les renseignements fournis par les industriels de Liège, sur 112 bateaux français (car ce sont les bateaux français qui viennent prendre nos marchandises], sur 112 bateaux français qui approvisionnent les Ardennes, 67 sont dirigés sur Charleroy et 55 sur Liège. A entendre les industriels.de Charleroy, le marché français est perdu pour eux, et à entendre les renseignements fournis par les industriels de Liège, Charleroy fournit beaucoup plus que la province de Liège ; pourquoi le gouvernement ne nous fait-il pas connaître de quel côté est la vérité ? Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir nous le dire, car c'est un renseignement nécessaire pour tirer la chambre d'embarras.

Du reste, messieurs, je ferai observer que si le marché français nous appartient, il nous appartient sans que le gouvernement soit venu au (page 1712) secours des industriels de la province de liège, il nous appartient sans que le gouvernement ait rien fait pour nous le donner ; par conséquent le gouvernement n'a pas le droit de nous l'enlever. Si nous n'y avons qu'une part ; dans les circonstances actuelles, alors que la misère pèse sur la classe ouvrière, et alors que par les mesures proposées on la ferait peser encore davantage sur nos bassins houillers, je dis qu'il y aurait de l’iniquité, de l'inhumanité à nous enlever la part que nous avons dans le marché français.

Pour le fret, messieurs, nous sommes encore en dissidence. Si j'en crois l'honorable M. Brabant, le fret de Namur à Liège est de 3 francs ; si j'en crois l'honorable M. Delfosse, il est de 5 et 6 fr. ; eh bien croyez-vous que le gouvernement nous éclaire, qu'il fournisse des renseignements sur le fret ? Pas le moins du monde.

Et qu'allez-vous faire ? Comment jugerez-vous ? Comment sortirez-vous différend qui s'est élevé ? Il est évident que le gouvernement devait donner des renseignements sur tous ces faits-là.

Eh bien, messieurs, je crois, moi, que le fret de Liège à Namur est de 4 fr. 50 à 5 fr. Il n'y a pas bien longtemps, j'eus l'honneur d'accompagner chez M. le ministre des travaux publics une députation des industriels de Liège et là ces messieurs affirmaient à M. le ministre que le fret était de 4 fr. 50 à 5 fr. Cette assertion est consignée dans un mémoire dont une copie a été laissée à M. le ministre et dont j'ai également une copie. M. le ministre n'a pas contredit cette allégation, de manière que je dois croire que le fret véritable est de 4 fr. 50 à 5 fr.

Voici, messieurs, la partie de ce mémoire, qui concerne ce point de la discussion :

« Un projet de loi présenté en ce moment aux chambres législatives, propose l'abaissement des péages sur la Sambre inférieure, en faveur des charbonnages destinés à la consommation intérieure. La conséquence immédiate de l'adoption de ce projet serait d'enlever à nos charbons demi-gras et maigres, le débouché de Namur, Samson. Sclayen, Andennes et Huy. Il est incontestable que ces différentes localités seront, grâce à l'abaissement des péages, desservies dorénavant par les nombreux et riches charbonnages de la basse Sambre.

« Voici donc venir le bassin houiller de Liège cerné entre Huy et Maastricht d'une part, Verviers et Tirlemont de l'autre.

« Ajoutons cependant qu'une disposition de la loi réserve le marché des départements français ; et nous conserve la possibilité d'y conduire nos charbons, en concurrence avec les charbonnages de Charleroy.

« Aux yeux de la section centrale, c'est trop de justice pour nous ; qu'avons-nous donc besoin de sortir des étroites limites de la province de Liège ! D'où nous viennent ces étranges prétentions ?

« Et pour faire 'triompher ce système spoliateur, de quelle arme la section centrale a-t-elle cru pouvoir user ? Elle s'est servie des assertions les plus erronées, alors qu'il lui était si facile d'obtenir les renseignements les plus positifs. Que dit-elle, en effet, dans son rapport ? Qu'en ce moment le prix du fret de Charleroy à Namur est de quatre francs, nous supposons la tonne, quoique la section centrale dit négligé de le dire.

« Après la réduction des péage, le fret ne coûtera plus que trois francs.

« Or, en ce moment, le fret de Liège à Namur et aussi de trois francs, a-t-elle ajouté ; donc d'après la loi, égalité parfaite entre deux centres industriels.

« Mais c'est une erreur grave que l'assertion de ces messieurs de la section centrale.

« Le fret du tonneau entre Liège et Namur s'élève toujours de 4 1/2 p. c., 5 francs. Ainsi, dans l'état actuel des péages de la Sambre inférieure, nous nous nous trouvons déjà dans un état d'infériorité. Que serait-ce si les chambres législatives faisaient droit à cette nouvelle prétention ; si le gouvernement pensait ne pas devoir prendre énergiquement la défense de nos droits. »

Eh bien, messieurs, ce mémoire a été lu à M. le ministre des travaux publics en ma présence. Vous voyez qu'on n'y forme pas le moindre doute sur l'exactitude, de ce fait, que le fret de Liège à Namur est de 4 fr. 50 ou 5 fr. M. le ministre a gardé le silence, ce qui m'a fait croire qu'il n'y avait point d'erreur dans les indications de ces messieurs.

Messieurs, il peut y avoir une circonstance qui ait induit en erreur la section centrale ; c'est qu'en effet il y a deux frets entre Liège et Namur et entre Namur et Liège : le fret la remonte est de 4 fr. 50, et le fret à la descente n'est que de 3 fr. Les bateliers qui ont donné des renseignements à M. Brabant ont pu ne pas faire de distinction et indiquer comme fret général celui de 3 fr., qui ne s'applique qu'à la descente de la Meuse.

Messieurs, on vous a dit hier et aujourd'hui que le bassin houiller de Liège avait fait une complète sur le bassin houiller de Charleroy ; que les marchés français ont appartenu de tout temps au bassin de Charleroy ; que c'est par la confection du canal de la Sambre et par l'élévation des péages, que nous sommes parvenus à nous mettre en possession du marché français ; on nous a débité sur la construction du canal de la Sambre des choses qui me paraissent presque fabuleuses.

Ne nous a-t-on pas dit que la Sambre ne manquait jamais d'eau ? Ne vous-a-t-on pas dit que le fret, avant la canalisation, n'était que de 2 francs ? Comment ! la Sambre ne manquait jamais d'eau ; le fret n'était que de 2 francs ; et vous avez demandé qu'on canalisât la Sambre ! vous avez consenti à ce qu'on payât 4 francs pour le fret ! Mais vous entendiez bien mal vos intérêts ; mais si la Meuse ne manquait jamais d'eau, nous ne demanderions pas qu'on y dépensât un seul centime. Vous aviez cette rivière qui ne vous laissait jamais en défaut, et dont le fret était extrêmement bas, et vous avez consenti à ce qu'on fît un canal de la Sambre, à ce qu'on élevât le chiffre du fret jusqu'à 4 francs ! Pour moi, la chose est inexplicable.

Messieurs, on vous a dit encore que c'est pendant la construction de ce canal que les industriels de Liège s'étaient emparés du marché français. Eh bien, il y a quelque chose à répondre à cela : c'est que nous avions le marché français longtemps avant la construction du canal, et voici comment ; c'est la même histoire que pour les marchandises venant d'Anvers et de Louvain. Comment recevions-nous les vins et les autres marchandises de France ? C'était par des bateaux français, qui descendaient la Meuse et qui remportaient nos marchandises. A Liège et plus loin, on fait une grande consommation de bourgogne, de manière que tous les bateaux français qui descendaient la Meuse pour nous apporter des vins, qui complétaient leur charge par d'autres marchandises, la remontaient, chargés de nos produits et surtout de nos houilles. Voilà comment bien avant la canalisation de la Sambre, nous avions ce marché.

Et comment l'avons-nous perdu ? C'est que, par une mesure émanée de l'ancien gouvernement des Pays-Bas, les vins français ont dû arriver par mer ; alors les bateaux français ne nous ont plus apporté de vins et les rapports entre eux et nous par la Meuse en ont été sensiblement altérés.

Qu'est-il arrivé après la révolution ? Les vins français ont pu arriver comme autrefois par la Meuse ; le transport par mer n'a plus été obligatoire ; la mesure de l'ancien gouvernement des Pays-Bas a été révoquée, et alors nous avons repris possession du marché que nous avions primitivement.

Et puis, quand nous avons perdu le marché de la Hollande, par suite des événements politiques, je crois que nos industriels ont fait de grands efforts pour envoyer leurs marchandises sur un autre marché. Voilà comment les choses s'expliquent dans toute leur vérité.

Je crois qu'un jour le bassin de Liège et celui de Charleroy n'auront plus à lutter ensemble ; un jour chacun sans doute prendra ses allures ; nous, nous irons vers le nord, et vous, vers le midi ; mais je vous le demande, est-ce le moment de vous faciliter les voies, alors que l'on ne nous en ouvre aucune ?

Quand le canal latéral à la Meuse sera achevé, quand nous pourrons arriver à ce canal, quand nous pourrons communiquer avec les canaux de la Campine, quand on aura amélioré la navigation capricieuse et meurtrière de la Meuse, alors, je ne crains pas de le dire, nous ne nous ferons plus concurrence ; mais de grâce, ne demandez pas à nous exploiter, avant que nous puissions exploiter d'autres localités.

Et voyez, messieurs, dans quelle position se trouvent respectivement les deux bassins houillers de Charleroy et de Liége. Charleroy est beaucoup plus au centre, cette position lui facilite l'accès aux marchés intérieurs. Charleroy a plusieurs canaux à sa disposition, lesquels transportent les produits de ses mines et dans l'intérieur et à l'extérieur ; bientôt Charleroy aura encore le chemin de fer de la Sambre à Jemeppe. Dans quelle position se trouvera alors le bassin houiller de Liège ? S'il lutte encore faiblement sur le marché de Louvain, comment pourra-t-il soutenir la lutte, lorsque vous serez rapprochés de ce marché par un chemin de fer ? On nous donne l'espoir que nous aurons des compensations ; mais en attendant laissez-nous vivre. C'est tout ce que nous vous demandons.

Voyez dans quelle position nous sommes. L'industrie de Liège est tout à fait dans un bassin ; elle est encaissée dans le fond des montagnes, de manière qu'elle ne peut percer un canal ni à droite, ni à gauche ; il faut qu'elle suive une ligne : c'est la ligne de la Meuse ; il faut que nous nous servions de la seule voie navigable que la nature a mise à notre disposition Et quelle voie navigable ? On vous l'a dit, la Meuse est souvent défectueuse, elle est presque souvent meurtrière.

L'ancien gouvernement, qui favorisait singulièrement l'industrie et le commerce, avait conçu un très vaste projet, qui, à lui seul, eût fait la prospérité de la province de Liège ou du moins du bassin houiller de Liège.

C'était la jonction de la Moselle à la mer ;c'était la création du canal de Meuse et Moselle ; c'était la rectification de la Meuse, l'amélioration de la navigation de ce fleuve ; c'était finalement le canal latéral, car le projet de ce canal n'a pas été conçu par le gouvernement actuel ; c'est un projet ancien, dû, si je ne me trompe, à M. l'ingénieur Van Gondriaan ; c'est le projet que l'on fait exécuter actuellement. Le canal latéral devait correspondre avec le canal de Bois-le-Duc, et nous mettre en relation avec la Hollande. Je crains bien que les événements politiques n'aient fait évanouir les belles espérances que ce vaste plan nous avait permis de concevoir.

Cependant il y aurait moyen de compenser cette perte, du moins en partie. Ce serait, comme le disait M. le ministre des travaux publics, de mettre à la disposition du bassin boitiller de Liège les canaux de la Campine, et de faire arriver ainsi nos houilles jusqu'à Anvers, et de là dans le Noord-Brabant et toute la Hollande.

Mais quand serons-nous en possession de ces avantages ? Comment ? Nous vous adjurons de faire quelques travaux dans la traverse de Liège, comme garantie de vos dispositions, comme commencement d'exécution du projet que vous nous faites entrevoir en perspective, nous parvenons à vous faire obtenir 400,000 francs pour cet objet, et au deuxième vote, vous les (page 1713) aviez encore, car quoi qu'on en dise, ce sont les voix ministérielles, je me trompe, ce sont les voix des ministres qui ont fait pencher la majorité d'un autre côté. Maintenant le pays s'est prononcé, et vous ne voulez rien faire. Aussi, quand vous disiez hier que la prolongation du canal dans la traverse de Liège aurait lieu un jour, on vous a demandé : « En faites-vous la promesse ? » Vous n'avez rien répondu de satisfaisant. Que pouvons-nous espérer de vous ?

Vous ne voulez rien faire, et vous nous donnez en perspective les bonheurs d'une vie future ; je ne sais pas si nos arrière-neveux pourront jamais jouir des avantages qu'on nous promet.

D'après ces considérations, je pense qu'il n'y a pas lieu de décréter la réduction des péages sur la Sambre canalisée.

M. Dolez. - Je voterai contre le projet de la section centrale. Je ne veux pas le faire sans soumettre à la chambre les motifs de mon vote.

En ma qualité de représentant de Mons, j'aurais pu me considérer comme entièrement désintéressé dans ce débat. Ce n'est donc pas au nom d'un intérêt de localité que je crois devoir combattre le projet qui vous est soumis.

Je le combats pour une double cause : je le combats d'abord parce qu'il porte atteinte à un principe que j'ai toujours défendu dans cette enceinte ; je le combats ensuite à cause des circonstances qui l'entourent.

La principe auquel ce projet porte atteinte, c'est le principe de l'équilibre entre les différents grands centres de production minérale de notre pays ; ce principe d'équilibre, je l'ai toujours défendu, non pas comme l'entendait tout à l'heure mon honorable ami M. Pirmez, comme une chimère qui consisterait à vouloir maintenir toutes nos industries sur un pied d'égalité parfaite, sans tenir compte de l'inégalité de leurs progrès, mais en ce sens que toutes les fois que l'industrie devait emprunter ses éléments de progrès à l'action du gouvernement, cette nation ne pouvait jamais se produire de manière à rompre l'équilibre établi par la situation des choses en présence de laquelle il se trouve. Que les industriels luttent les uns contre les autres par la seule puissance du génie, de l'activité, du travail, j'applaudirai û leurs efforts, et je ne craindrai pas d'être injuste. Que le gouvernement intervienne pour aider nos industriels dans leurs luttes avec l'industrie étrangère, et je ne pourrai que l'en louer. Mais qu'il intervienne soit par la création de grands travaux, soit par un changement dans le régime de ceux qui existent, en vue de conférer à l'un de nos centres de production des avantages qu'il ne lui donne qu'en les enlevant à un autre, c'est ce que je n'admets pas, c'est ce que je n'admettrai jamais. Les principes que je définis ici ont motivé les inégalités qui se rencontrent dons les péages de nos diverses voies navigables et, comme on vous l'a dit, ils ont été rappelés dans la loi de 1834 sur le chemin de fer.

Ces considérations ne m'amènent pas à soutenir qu'il faille à tout jamais laisser les péages ce qu'ils sont, mais bien qu'il faut maintenir entre eux les proportions qui ont été la loi de leur création respective.

Je dis dès lors qu'il est impossible de toucher à cette grande question des péages autrement que par mesure d'ensemble. J'ai toujours pensé que chaque fois qu'on voudrait y toucher autrement que. par des mesures générales, on arriverait à une iniquité. Bien que la mesure qu'on propose ne puisse pas atteindre le district qui m'a envoyé parmi vous, je la combats parce que, comme mesure isolée, elle constitue un privilège pour l'un, une iniquité pour l'autre.

Je pense, d'ailleurs, qu'il est impossible d'examiner sérieusement la question des péages, avant que tous les grands travaux de communication que vous avez décrétés soient terminés et aient produit leur effet sur nos industries.

Ces travaux sont-ils terminés ou du moins marchent-ils d'un pas égal vers leur terme ? Non, aucun d'eux n'est terminé ; quelques-uns sont en voie d'exécution plus ou moins avancée, d'autres ne sont pas encore ouverts ; et c'est quand nous sommes dans cet état d'incertitude sur les résultats de ces nouvelles voies de communication que le gouvernement veut toucher à l'état de choses sous l'empire duquel sont nées et vivent nos industries. Je le répète, je ne puis voir dans une telle mesure qu'une faveur et une injustice.

Puisque je parle des travaux publics concédés à la dernière session, qu'il me soit permis d'appeler transitoirement l'attention de la chambre et la sollicitude du gouvernement sur ce qui se passe à l'égard de certains d'entre eux.

La chambre n'a pas oublié que quand les différents projets de canaux et de chemins de fer auxquels je viens de faire allusion lui furent soumis, il fut formellement entendu qu'ils étaient destinés à former un tout, un ensemble, en sorte que les uns étaient, pour nos industries rivales, la compensation des autres. Ainsi pour ce qui concerne le bassin houiller de Mons, on lui a présenté comme compensation des concurrences qu'allaient lui créer certains chemins de fer, le canal de Mons à Erquelinnes et le canal de la Dendre.

Eh bien, le chemin de fer de Mons à Manage, qui menace de la manière la plus grave l'industrie montoise, est sur le point d'être terminé, d'être ouvert, et les compensations garanties à Mons où sont-elles ?

Le canal de la Dendre n'est pas commencé et celui d'Erquelinnes est livré aux hasards d'un procès ; et d'un procès que l'on dirige, savez-vous avec quelle activité ? Il y a bientôt un an que le jugement de première instance a été rendu et on n'a pas encore plaidé devant la cour d'appel ; et cela dans une affaire dont l'urgence n’eût pas manqué d'être reconnue par la cour si on l'avait provoquée. Mais le gouvernement est resté inactif ! Qu'il me soit permis de le dire : Si le gouvernement avait apporté dans cette question le quart du zèle et de l'activité qu'il a mis à soigner les intérêts de Charleroy, il y a longtemps que l'arrêt de la cour d'appel serait rendu. Messieurs, connaissant le zèle, l’activité, le talent des avocats qui défendent le gouvernement devant la cour, je ne puis imputer qu'au gouvernement seul des retards qui attestent qu'il n'a point fait appel au zèle de ses conseils.

J'ai dit que je votais contre le projet de la section centrale, à cause des circonstances qui l'entourent. L'honorable M. Pirmez a pins d'une fois combattu, dans cette enceinte, l'intervention du pouvoir en matière d'industrie, et cette intervention il la combattait parce qu'elle avait pour résultat de substituer à l'activité individuelle, au travail qui agrandit, qui ennoblit l'homme, l'intrigue et la corruption.

Cette doctrine, je la crois vraie, je la crois essentiellement morale. Mais si cette doctrine est vraie, elle impose surtout au gouvernement le devoir de n'intervenir dans les luttes industrielles que quand le désintéressement de cette intervention ne peut être l'objet d'aucun doute. Ce devoir, il ne peut le méconnaître sans porter atteinte à sa dignité. Eh bien, messieurs, cette réserve, le projet que nous discutons ne la respecte pas.

Il est loin de ma pensée de vouloir me rendre ni l'écho, ni l’organe d'accusations imméritées ; mais je raisonne en présence d'un fait. La présentation d'un projet très favorable au district de Charleroy concordant avec la candidature de l'un des membres du cabinet aux élections de ce district, a donné naissance à dé regrettables suppositions, aussi regrettables pour la dignité du pouvoir que pour celle de ce district lui-même. Je crois donc pouvoir dire que les circonstances qui entourent ce projet sont de nature à me porter à le repousser. Je crois fermement qu'il est cent fois fâcheux, dans l'intérêt de la dignité du pouvoir, que cette mesure exceptionnelle en faveur de Charleroy ait été présentée à la veille des élections du mois de juin.

J'ai certes beaucoup de sympathie pour le district de Charleroy ; c'est à regret que je combats une mesure qui doit lui être utile ; niais il me semble qu'il est de sa dignité que l'on ne puisse pas même supposer que son vœu électoral pourrait cesser d'être ce qu'il a toujours été, aussi noble qu'indépendant, pour descendre, sous d'autres formes, au niveau de ces tristes élections qui ont abaissé quelques collèges électoraux de la France. En pareille matière, il est de la dignité et du gouvernement et du pays non seulement de rester pur, mais de ne pas autoriser, même injustement, de fâcheuses conjectures.

Hier, l'honorable M. Brabant a fait une comparaison des péages qui grèvent la Sambre avec ceux qui grèvent le canal de Mons à Condé, et le canal de Pommerœul à Antoing.

Qu'il me soit permis de répondre quelques mots à cette observation,, bien qu'elle soit, à mon sens, entièrement en dehors du débat puisqu'il s'y agit d'une question de concurrence entre Liège et Charleroy.

Notre honorable collègue ignore peut-être quelle a été l'origine du canal de Pommerœul à Antoing. Ce canal n'a pas été construit pour donner aux exploitants du couchant de Mons une voie de communication qui leur manquait.

Mons avait, avant ce canal, une voie de navigation qui, comme lui, aboutissait à l'Escaut ; mais cette voie de navigation était en pat lie sur le territoire français, c'était le canal de Mons à Condé. A partir de cette ville, l'Escaut nous conduisait d'une part en France, d'autre part en Flandre.

Le gouvernement du roi Guillaume, dans des vues tout au moins aussi politiques que commerciales, crut devoir rendre complètement nationale la navigation de Mons à l'Escaut belge.

Le gouvernement du roi Guillaume dont des vues tout au moins aussi politiques que commerciales crut devoir rendre complétement nationale la navigation de Mons à l'Escaut belge. C'est à cette fin qu'il créa le canal de Pommerœul à Antoing qui nous fait aboutir à l'Escaut dans cette dernière ville, au lieu de le prendre à Condé. La création de ce canal a donc bien plus eu lieu dans un intérêt national que dans l'intérêt spécial de notre industrie. Cette origine commandait donc de ne pas l'assujettir à des péages trop élevés, et cependant leurs produits ont été tels que la dépense de construction se trouve depuis longtemps remboursée. Ce canal ne nuisait, d'ailleurs, à aucune industrie similaire de notre pays, il ne devait donc pas être soumis à ces règles d'équilibre que je défendais tantôt.

Eh bien, les droits de ce canal sont pourtant encore tels, que dans l'état actuel des choses, nous aurions avantage à suivre la voie française, mais le gouvernement belge nous l'interdit. Il résulte de ces considérations que nous payons sur le canal de Pommerœul à Antoing des droits beaucoup plus élevés que nous ne payerions sur la voie française. Le-gouvernement intervient donc pour nous empêcher de suivre une voie moins chère, uniquement dans l'intérêt du trésor.

Cependant nous ne réclamons pas, bien que l'injustice soit flagrante, parce que nous reconnaissons que c'est une question dans laquelle le gouvernement ne devait intervenir que par des mesures d'ensemble.

Qu'on nous propose de telles mesures quand le moment sera venu, et nous les examinerons avec impartialité.

Permettez-moi de citer un autre fait qui atteste que loin d'être favorisé, Mons est en droit de se plaindre bien qu'il s'abstienne de le faire. Le canal de Mons à Condé (la chambre n'en a pas perdu le souvenir) a été repris à la province de Hainaut, par une décision que je ne puis que blâmer, (page 1714) (il doit m'être permis de m'exprimer ainsi au sujet d'une mesure que j’ai si vivement combattue), et dont le rejet n'a été écarté que par un partage de votes. Eh bien, ce canal était grevé de droits assez modérés ; mais dans l'intérêt des finances de la province, on y avait successivement imposé des centimes additionnels. Le canal devenant la propriété de l'Etat, ces centimes additionnels devaient, la raison et la justice le disent, immédiatement disparaître ; et pourtant, ces centimes additionnels, nous les payons, encore ! Certes si nous demandions à la chambre de les supprimer, l'équité de cette demande vous frapperait ; cependant nous ne le faisons. pas, parce que nous comprenons que quand on touchera à la question des péages il faudra qu'on y touche au profil de tous.

La chambre nous rendra donc cette justice de reconnaître que nous respectons fidèlement le principe que nous avons posé. Elle ne pourra donc qu'approuver un vote que nous émettrons en application de ce principe.

Toutefois quant au projet primitif du gouvernement que les organes des intérêts liégeois ne semblent pas repousser, il me semble qu'il pourrait être accueilli sans blesser aucun intérêt. S'il en est ainsi, je serai le premier, tout en demandant à la chambre de repousser le projet de la section, centrale, à lui proposer d'adopter le projet du gouvernement.

Un dernier mot, et je termine. Ce mot, je le consacrerai à l'amendement présenté par mon honorable ami M. Lesoinne. Je ne pense pas que cet amendement soit sérieux dans la pensée de son auteur. Je crois qu'il a eu uniquement en vue de faire comprendre à la chambre le danger de toucher à la question des péages.

S'il pouvait en être autrement, je dirais que cet amendement serait toute une révolution dans nos industries, dans nos voies navigables, dans notre système de chemin de fer, et qu'au lieu de décider cette question au moment de nous séparer, il faut, pour l'aborder, attendre la maturité des travaux d'une autre session.

Par les motifs que je viens de déduire, je voterai contre le projet de la section centrale, tout en étant disposé à voter pour le projet du gouvernement, si rien ne vient me montrer qu'il puisse en résulter quelque atteinte au principe d'équilibre que j'ai défendu.

(page 1733) M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J’ai été quelque peu étonné que l’honorable M. Dolez ait cru devoir accueillir des insinuations qui, quoique entourées de formes polies, n’en sont pas moins blessantes au fond, insinuations à l’abri desquelles je croyais être, surtout de la part de cet honorable membre qui a bien voulu, en plusieurs occasions, m’accorder le témoignage de son estime particulière.

Il a ajouté qu’il ne voulait pas se faire l’organe de ce qu’il a appelé d’injustes attaques.

Mais, messieurs, je me permettrai de lui dire que s’il a cru ses attaques injustes, injustes envers une partie du corps électoral qu’on injuriait, l’honorable membre n’aurait pas dû s’en faire l’écho aussi facilement. Si, au contraire, il les croyait justes, il aurait dû blâmer le gouvernement sans ménagement.

Un membre. - C’est ce qu’il a fait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Pardonnez-moi; il a déclaré qu’il ne voulait pas se faire l’organe d’injustes attaques.

Messieurs, il paraît que l’on tient beaucoup à faire intervenir ma candidature dans des questions d’intérêt public, d’utilité matérielle, que la chambre devrait examiner en elles-mêmes et exclusivement pour elles- mêmes.

Je m’en étonne peu cependant. Dans les pays constitutionnels, il est convenu qu’à la veille surtout d’une élection générale. on accuse le gouvernement de manœuvre électorale, Il paraît, messieurs, que je suis destiné faire, cette fois, les frais de cette accusation.

Cependant, messieurs, il y a quelques jours à peine, l’honorable M. Delfosse, qui vous a parlé d’entente cordiale entre le district de Charleroy et le ministère, prenait l’initiative, lui qui a été presque ministre des finances, et qui est destiné probablement à le devenir un jour, d’une proposition de dépense de 10 millions dont il voulait faire voter le principe par la chambre, en s’associant, pour mieux réussir, à plusieurs de ses collègues des Flandres, qui voulaient faire décréter une dépense de dix autres millions pour la création du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost.

M. de Tornaco. – Il n’y a pas eu de concert.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Il y a eu, si vous l’aimez mieux, entente cordiale, pour me servir de l’expression employé par l’honorable M. Delfosse.

Si, messieurs, on avait accusé les honorables députés de Liége de faire du haut de la tribune de la réclame électorale, de la corruption électorale, mais ils se seraient indignés. Je me souviens qu’un honorable député de Gand, l’honorable M. d’Elhoungne, s’est levé avec vivacité, et a repoussé avec énergie le mot d’intérêt électoral qui était parvenu jusqu’à lui par une interruption. Mais il est convenu, comme je le disais, que le gouvernement est nécessairement corrupteur à la veille d’une élection, et que l’opposition est toujours vertueuse.

Messieurs, pour le gouvernement, c’est autre chose ! Il vous a proposé un très modeste projet de loi qui consacre la réparation d’une injustice, et qui a été promis successivement par plusieurs ministères, et par moi- même, lorsque j’étais ministre des travaux publics. Le gouvernement se rallie à une modification apportée par la section centrale, et qu’il croit raisonnable et utile. Aux yeux de l’opposition, c’est là un acte de corruption électorale, parce que l’un des ministres se présente pour la députation aux futures élections de Charleroy.

Mais, messieurs, on a été plus loin car c’est la seconde fois que cette accusation se reproduit à cette tribune. Pour que le gouvernement ne pût pas être soupçonné, aux yeux de l’opposition, de faire de la partialité électorale en faveur du district de Charleroy, il faudrait vraiment que l’on jetât l’interdit sur cet arrondissement important, que non seulement on se refusât à satisfaire à ses justes et anciennes réclamations, mais que l’on fît adopter par la chambre des mesures d’hostilité contre les intérêts de ses industries.

Ainsi un honorable député de Bruxelles, qui le premier a jeté cette insinuation au milieu de nous, l’honorable M. Lebeau, dans une séance précédente, a été jusqu’à dire que le gouvernement s’était refusé jusqu’ici à réduire les droits sur la fonte étrangère dans l’intention de ne pas froisser l’industrie de Charleroy.

Ainsi, messieurs, pour éviter le soupçon dont on parle, on aurait dû non seulement se refuser à accorder des faveurs réclamées avec justice par ce district mais il aurait fallu porter la hache dans notre tarif commercial, et entrer, à la suite de M. Lebeau, dans la voie du libre échange, en passant sur le corps de l’industrie métallurgique ; il aurait fallu en un mot faire sur cette industrie une expérimentation « in anima vili », au profit des doctrines de liberté commerciale, que l’honorable M. Lebeau a écrites en tête de son futur programme d’affaires.

Messieurs, dans cette grave question du tarif des fontes, je me suis entouré de tous les renseignements pour former une opinion impartiale, et cette opinion a été formée bien avant que ma candidature à Charleroy ne fût née. J’ai convoqué chez moi, en enquête, les industriels les plus capables de Liège et de Charleroy, en nombres égaux, parmi ceux qui demandaient et ceux qui repoussaient la réduction du tarif de la fonte, et si l’honorable M. Lebeau avait pu assister à cette discussion, il aurait reconnu qu’il ne fallait pas recourir à des insinuations peu bienveillantes pour expliquer la conduite qu’a tenue le gouvernement. Si un (manque quelques mots) pour cette question est produite à la tribune, je promets de démontrer ceux qui veulent toucher fondamentalement au tarif sur la fonte, qu’ils n’ont pas suffisamment compris toutes les conséquences d’une mesure aussi imprudente, peu justifiable au point de vue du marché intérieur, mais qui surtout serait de nature à compromettre deux faits commerciaux et politiques en même temps : le renouvellement du traité de septembre avec l’Allemagne et le système des zones en France.

Messieurs, je demande pardon à la chambre de l’avoir entretenue d’une question qui m’est personnelle. Mais la chambre reconnaîtra que j’y ai été entraîné et que ces quelques mots de défense étaient pour moi un devoir.

Messieurs, l’honorable M. Delfosse, dans une séance précédente, a rappelé l’opinion que j’avais défendue comme ministre des travaux publics. Il a cité quelques phrases isolées d’un discours que j’avais prononcé en 1844 sur cette question. Mais il a eu soin de ne pas lire mon discours tout entier, car l’opinion qui y est exprimée est encore celle que je professe.

M. Delfosse. - Il était trop long.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Vous auriez pu du moins indiquer mon opinion, tout entière.

Messieurs, dans ce discours que j’ai prononcé alors en réponse à l’honorable M. Brabant, j’ai défendu l’opinion qu’il était utile de favoriser l’exportation par des réductions de péages. Cette opinion, messieurs n’est pas nouvelle chez moi. Je me souviens de l’avoir soutenue avec l’honorable M. Dolez, il y a bien des années, et c’est à la suite des réclamations que nous avons élevées ensemble à cette tribune que l’honorable M. Nothomb a adopté la mesure utile de la réduction de 75 p. c. pour la houille destinée à l’exportation vers la Hollande.

Messieurs, ce principe que j’ai tâché de faire prévaloir avec l’honorable M. Dolez, je l’ai défendu dans le même discours dont a parlé l’honorable M. Delfosse, et précisément à l’égard de l’exportation vers les Ardennes françaises.

J’ai établi, d’une part, que si le bassin de Charleroy avait des transports d’une certaine importance vers le bassin de la Meuse belge, ces transports étaient insignifiants vers les Ardennes françaises dont ce bassin était en possession, en majeure partie, avant 1830.

Voici ce que je soutenais en 1844 contre l’honorable M. Brabant. L’honorable M. Brabant prétendait que l’arrêté du 1er décembre 1840 autorisait le gouvernement, sans recourir à une loi, à abaisser le péage sur la Sambre inférieure, comme il l’avait été sur la Sambre supérieure. J’ai cru, contre l’opinion de M. Brabant, que je n’étais pas autorisé à opérer cette réduction de péage, en vertu de cet arrêté royal ; mais j’ai ajouté que je me proposais de présenter une loi à la chambre, si l’examen de la question me confirmait dans la conviction de l’utilité de cette mesure.

Messieurs, puisque j’ai la parole, j’ajouterai quelques mots en réponse aux observations de M. Dolez sur le fond même de la question.

Il est un point qui me paraissait devoir dominer le débat, c’était l’intérêt du trésor public. Eh bien, cette objection, messieurs, on y a presque renoncé. On-a dii reconnaitre que le trésor public n’était nullement en cause.

L’honorable M. Brabant a suffisamment établi que la réduction pour la houille destinée à l’intérieur ne pouvait causer de détriment réel au trésor ; mais M. Delfosse a semblé croire, que la réduction s’appliquant à l’exportation amènerait, de ce chef, une diminution de 100,000 fr. dans les recettes.

M. Pirmez vient de le faire remarquer avec raison; c’est là une évidente erreur. En effet, je suis loin de croire, avec l’honorable M. Delfosse, que Charleroy va déposséder Liége du marché des Ardennes françaises ; il y aura concurrence et non dépossession. Mais je suppose un moment que ce fait se réalise ; qu’en résulterait-il, au point de vue du trésor public? il en résulterait que les 60,000 tonnes que Liége exporte vers Sédan et Charleville, ait lieu de payer sur la Meuse un droit de 0,0l centime par tonne-lieue, payeraient un droit de 10 c. sur la Sambre, c’est-à-dire qu’au lieu d’une somme de 7,200 fr. que le péage de la Meuse fournirait le trésor percevrait une somme de 60,000 fr., d’après le péage qu’il s’agit d’établir sur la Sambre inférieure.

Ainsi, l’objection tirée de l’intérêt du trésor public est un mauvais argument.

Messieurs, lorsqu’un abaissement de péage doit amener un développement dans les transports, ce développement compense ce que la diminution du péage enlève aux recettes; et, dans ce cas, les exportations industrielles s’agrandissent, le batelage s’accroît et les revenus du trésor s’augmentent. Dans ces conditions, il ne faut pas hésiter à adopter une pareille mesure.

On a parlé d’équilibre à maintenir ou à rompre entre Liége et Charleroy; je crois, messieurs, que la réduction dont il s’agit ne fait que rétablir une parfaite égalité entre les deux bassins, égalité détruite par le fait du gouvernement, comme on l’a démontré. M. Brabant a cité un fait irrécusable : avant la canalisation de la Sambre, le fret de Charleroy à Namur était de 2 francs, et Liége soutenait la concurrence contre l’industrie de Charleroy. Comment se ferait-il que cette concurrence devint impossible lorsque ce fret sera de 3 francs ?

J’ai la conviction, messieurs, que Liége n’expédiera guère moins de houille et de fonte dans les Ardennes françaises après la loi qu’auparavant. Voici ce qui arrivera : la concurrence avec la houille de Charleroy augmentera le nombre des consommateurs, l’exportation totale des deux (page 1734) bassins sera plus considérable; Charleroy y prendra une part plus considérable qu’aujourd’hui sans que Liége en souffre réellement.

Ces réductions de péages créent des débouchés plus étendus, des consommateurs nouveaux, et les deux bassins y trouveront un avantage égal.

L’honorable M. Dolez, avant lui l’honorable M. Fleussu, ont renouvelé cette objection tirée de la concurrence entre les deux centres d’industrie ; ils ont appuyé sur cette autre considération, la seule sérieuse, c’est qu’il ne faut pas procéder à des réductions de péages par des mesures partielles, mais par des mesures d’ensemble.

Messieurs, je partage jusqu’à un certain point l’opinion de l’honorable M. Dolez, que, dans les questions de réductions de tarifs, le gouvernement doit, jusqu’à un certain degré, tenir compte des droits acquis aux divers centres industriels du pays, qu’il ne doit pas légèrement compromettre l’équilibre entre les divers bassins.

L’honorable M. Dolez vous disait tout à l’heure, messieurs, que le gouvernement ne devait pas, par des mesures d’intervention directe, détruire les positions acquises. Mais, messieurs, c’est précisément cette considération que Charleroy fait valoir au profit de ses prétentions.

Il est entouré de canaux sur lesquels le gouvernement perçoit des péages cinq ou six fois plus considérables que ceux établis sur les autres voies navigables du pays, péages qui créent un revenu qui couvre plus que l’intérêt et l’amortissement des capitaux d’achat. Si les ressources du trésor permettaient un jour d’abolir tous les péages sur nos voies navigables, eh bien, je le demande à M. Dolez, ne serait-ce pas alors que le gouvernement s’abstiendrait d’intervenir au profit de l’un ou de l’autre bassin qu’il laisserait en jouissance des bénéfices de leur position naturelle ?

L’honorable membre voudrait-il de cet équilibre ? Vous le voyez, messieurs, c’est parce que le gouvernement est intervenu, par une inégale répartition des péages, que Charleroy se plaint.

Messieurs, je vous citerai un seul fait, qui résume complétement cette question. Dans les produits généraux que les canaux et rivières donnent à l’Etat en Belgique, savez-vous pour combien figure le district de Charleroy et pour combien figurent le bassin de Mons et celui de Liége? Le bassin de Charleroy fournit plus de 2 millions de fr. par an, tandis que Mons ne figure que pour un million et Liége, pour 100,000 fr.

Un membre. - Nous n’avons pas de canaux.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Vous avez la Meuse qui vous ouvre des débouchés et vers la Hollande et vers la France.

Je comprends, messieurs, que s’il était possible d’espérer une révision prochaine des tarifs des transports, d’après un système d’ensemble, cela vaudrait infiniment mieux; mais, messieurs, y a-t-il lieu d’espérer une semblable révision? Cette question se rattache intimement à celle du trésor public. Il faut, avant que le gouvernement ne songe à porter la main, par une mesure d’ensemble, sur le système des péages en Belgique, il faut que la situation financière le permette.

Mais, messieurs, jusqu’à présent le gouvernement et la chambre n’ont jamais procédé ainsi : ou a touché à cet équilibre dont on parle et, plus d’une fois. Ainsi, quand on a abaissé les droits sur la Sambre supérieure, on a modifié le statu quo existant entre Mons et Charleroy ; lorsqu’on a abaissé, par le traité hollandais, les droits sur le canal de Bois-le-Duc, lorsqu’on a mis à exécution les canaux de la Campine qui doivent réunir la Meuse et l’Escaut ; lorsqu’on a ouvert le canal latéral à la Meuse qui doit donner à Liége, en Hollande, deux ou trois fois plus que Liége ne pourra jamais perdre dans les Ardennes françaises; lorsqu’on améliore tous les ans la navigation sur la haute Meuse; lorsqu’on a supprimé les droits sur les plans inclinés; lorsqu’en un mot on a creusé les canaux, construit les chemins de fer, touché aux péages, n’a-t-on pas constamment altéré cet équilibre dont le maintien, d’une manière absolue, est une chimère irréalisable ?

Messieurs, s’il fallait rappeler tous les actes intervenus depuis quelques années en faveur de l’industrie et du commerce de Liége, les honorables députés de cette province reconnaîtraient qu’ils sont nombreux et importants. Liége profite plus directement que toute autre province du traité du septembre conclu avec l’Allemagne ; les trois quarts des avantages que nous accorde le traité hollandais sont au profit de Liége; j’ai déjà rappelé que Liége forme la tête de ce double système de navigation qui lui ouvre la Hollande par le canal latéral, et qui doit la mettre en communication avec l’Escaut par les canaux de la Campine.

M. le ministre des travaux publics vient de vous faire connaître un fait récent sur lequel je me permets d’attirer de nouveau l’attention de la chambre.

Un ordre du cabinet prussien, de fraiche date, réduit de 75 p. c. les droits établis sur les charbons belges, à leur entrée en Allemagne, en destination des forges et des usines du Rhin et du chemin de fer rhénan. Le droit, qui était de 31 centimes par hectolitre, est abaissé à 8 centimes. Je dis que cette mesure est importante, qu’elle est destinée à donner aux houillères de Liége une compensation plus que suffisante de la perte éventuelle que ce bassin pourrait éprouver sur le marché des Ardennes, du chef de la réduction des péages sur la Sambre inférieure. L’on comprend que le marché rhénan, eu égard à ses nombreuses usines métallurgiques, doit être autrement important pour le bassin houiller de Liége que le marché des Ardennes.

Ainsi, par les faits que le gouvernement a posés, Liége retrouvera, grâce au canal latéral et aux canaux de la Campine, deux ou trois fois le tonnage qu’il pourrait éventuellement perdre sur le marché français ; et la disposition prise récemment par le gouvernement prussien doit augmenter dans une proportion qu’il est impossible de calculer l’importation en Allemagne des houilles du bassin de Liége.

Messieurs, si j’avais à exprimer mon opinion personnelle sur l’amendement de l’honorable M. Lesoinne, je me prononcerais en faveur du principe qu’il veut faire consacrer. Ainsi, au point de vue de l’équilibre de trois grands centres industriels dont on a tant parlé, je n’ai jamais été effrayé de la difficulté de conserver cet équilibre, en adoptant une diminution sus les houilles survenant de Liége en retour sur Anvers. En effet, les trois bassins se trouvent, à l’égard du chemin de fer, à une distance à peu près égale du marché central de Malines.

Je crois donc que, quand on s’occupera de la révision du tarif du chemin de fer, il sera possible de consacrer un système par lequel les péages du chemin de fer s’abaisseraient à mesure que les distances monteraient. L’on pourrait, par cette mesure qui s’appliquerait à l’exportation et qui ne nuirait nullement au trésor public, faire droit aux réclamations de Liége, tout en maintenant l’équilibre entre les trois bassins charbonniers.

Mais, comme l’a fait remarquer mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, cette question ne peut pas être traitée isolément ; elle se rattache à la réduction des péages sur les canaux et les rivières. Il est clair que si l’on réduisait, suivant la proposition de l’honorable M. Lesoinne, les péages du chemin de fer, pour Mons, pour Charleroy et pour Liége, il faudrait le lendemain toucher aux péages du canal de Charleroy, à moins de renoncer aux revenus que ce canal produit au trésor.

Eh bien, c’est là une question extrêmement grave; c’est alors surtout que la question de l’équilibre dont a parlé l’honorable M. Dolez surgirait. Cet équilibre est bien faiblement en cause dans la réduction de péages sur la Sambre inférieure, mais il le serait si l’on acceptait l’amendement de M. Lesoinne.

Je me bornerai à ces observations.

(page 1714) M. Dolez (pour un fait personnel). - Messieurs, la chambre ne trouvera pas mauvais que j'invoque ici le privilège du fait personnel, pour avoir immédiatement la parole. L'interprétation donnée à mes paroles par l'orateur, que vous venez d'entendre m'en fait une loi.

J'espère que la chambre me rend cette justice qu'il est entièrement en dehors de mes habitudes et de mon caractère de me livrer jamais à des insinuations personnelles contre mes collègues ou contre les membres du cabinet. Je ne puis donc pas laisser croire un instant que les paroles pue j'ai prononcées puissent être considérées comme renfermant de pareilles insinuations.

J'ajouterai que je voudrais moins que jamais qu'on pût le croire, alors que ces paroles s'adresseraient à un homme avec lequel me lient de très vieilles relations d'amitié, relations qui pour l'un et pour l'autre, remontent aux jours de notre enfance et qui, j'aime à le dire, n'ont point été altérées par nos dissentiments politiques.

Dans ce que j'ai dit tout à l'heure, je n'ai pas procédé par insinuation, je me suis borné à constater un fait ; j'ai dit que les circonstances dans lesquelles le projet avait vu le jour étaient de nature à porter atteinte à la dignité du gouvernement et à la dignité du district de Charleroy. Je m'explique, puisque ma pensée a été mal comprise.

La présentation du projet a concordé avec celle de la candidature de l'honorable ministre des affaires étrangères aux élections de Charleroy, élections auxquelles il ne s'était jamais présenté jusqu'ici ; cette concordance a donné naissance à de fâcheuses conjectures. C'est un fait que je n'ai point créé, mais que j'avais le droit de constater. Je n'ai point fait autre chose. Eh bien, messieurs, c'est une chose regrettable, à mon sens, que d'avoir prêté à de pareilles conjectures ; ce serait chose plus regrettable encore que de voir l'opinion établir un lien entre l'adoption du projet et l'élection de Charleroy.

Je m'étonne de l’interruption que je viens, d'entendre, car je ne fais pas autre chose que vous signaler des inconvénients que cette discussion a déjà réalisés.

Je répète d'ailleurs que mes paroles n'avaient rien de désobligeant pour l'honorable. M. Dechamps et je regretterais qu'il pût leur assigner ce caractère. J'ai voulu signaler à la chambre un des vices du projet, vice attesté par la discussion même, et je ne crois pas m'être trompé.

Projet de loi relatif à la nomination des greffiers des justices de paix

Dépôt

M. le président. - Avant d'accorder la parole à un autre orateur ; je dois informer la chambre que M. le président du sénat vient de m'adresser un projet de loi en un article, adopté par le sénat sur la proposition d'un de ses membres, qui a un caractère d'urgence. Ce projet est ainsi conçu :

« Les greffiers près des justices de paix qui, par suite de la loi sur la régularisation de la circonscription cantonale, auront perdu leur place, conserveront jusqu'à révocation ou mise à la retraite, le titre de greffier, et le droit, dans les limites de leur compétence actuelle, de faire des ventes mobilières. »

La chambre trouve-t-elle ce projet de matière à être renvoyé à une commission ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je propose le renvoi de ce projet à la commission des circonscriptions cantonales. Ce projet est la reproduction des paroles que j'ai prononcées ici dans la discussion de la loi sur les circonscriptions. J'avais indiqué l'idée d'un amendement, dont on a fait l'objet d'un projet spécial au sénat. Je demande dons le renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.

- Ce renvoi est ordonné.

Projet de loi portant réduction des péages sur la Sambre canalisée

Discussion générale

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je désire répondre un mot à ce qui a été dit par l'honorable M. Dolez au sujet du canal de Mons à Erquelinnes. Un procès est pendant relativement à ce canal. L'honorable membre a émis l'idée que le zèle des avocats chargés de suivre ce procès n'aurait pas été convenablement stimulé par le gouvernement, qu'il y aurait eu un zèle plus grand chez les avocats que de la part du gouvernement. C'est là une assertion que je suis dans la nécessité de contredire. Personnellement, j'ai fait beaucoup de recommandations pour activer la marche de ce procès, et si cette affaire n'a pas encore reçu de solution, la faute ne peut m'en être imputée ; autant que personne je désire que cette affaire reçoive une solution, je me suis toujours prononcé dans ce sens, je continue à donner tous mes soins pour que la solution soit conforme au vœu de l'honorable membre et du district de Mons.

M. Delfosse. - Je n'ai pas eu, comme l'honorable M. Dolez, des relations d'amitié avec M. le ministre des affaires étrangères ; je n'éprouve pas non plus le moindre sentiment d'animosité. L'honorable M. Dechamps doit se souvenir que je lui ai témoigné dans le temps ma reconnaissance pour le zèle et le talent qu'il a mis à défendre le projet de loi sur le canal de Liège à Maestricht. Si j'ai refusé à cette époque de prendre part à l'espèce d'ovation qu'il a obtenue à Liège, c'est que je n'approuve pas en principe ces sortes de démonstrations. J'ai toujours pensé que les médailles devaient, sauf des cas très rares, être réservées pour les hommes qui ne sont plus de ce monde, ou au moins pour ceux qui ont quitté le pouvoir.

C'est lorsqu'un homme n'est plus au pouvoir qu'on peut dignement lui donner une telle marque de reconnaissance pour les services qu'il a pu rendre au pays. A Dieu ne plaise que je blâme ceux qui ont pris part à cette démonstration ! Ils ont agi, je n'en doute pas, dans les meilleures intentions ; ils ont agi sous l'influence des services incontestables que M. le ministre des affaires étrangères a rendus alors à l'industrie liégeoise.

Mais c'est justement parce que je n'ai pour M. le ministre des affaires étrangères ni sentiment d'amitié, ni sentiment de haine, que je puis m'expliquer sur son compte avec une entière franchise ; c'est ce que j'ai fait à la séance d'hier, c'est ce que je ferai toujours.

M. le ministre des affaires étrangères a jugé à propos de récriminer contre les représentants de Liège ; il aurait mieux fait de donner des explications plus satisfaisantes sur les circonstances au milieu desquelles le projet de loi que nous discutons se produit. Ce n'est pas notre faute si ce projet a été présenté à la veille des élections, et dans un moment où l'honorable M. Dechamps se porte candidat dans le district de Charleroy. Ce n'est pas notre faute s'il y a une fâcheuse coïncidence entre la présentation de ce projet, et la candidature de M. le ministre de affaires étrangères ; ce n'est pas notre faute, si aucun motif plausible ne peut être invoqué à l'appui de ce projet ; ce n'est pas notre faute, si le public a été péniblement affecté de la coïncidence qui existe entre ce projet et la candidature de M. le ministre des affaires étrangères.

La conduite des représentants de Liège, contre lesquels M. le ministre des affaires étrangères s'est permis des insinuations assez peu bienveillantes, est beaucoup plus facile à expliquer que la sienne. Si nous avons réclamé des travaux d'amélioration à la Meuse, c'est qu'ils nous étaient promis depuis longtemps. C'est que la nécessité et l'urgence ne pouvaient en être contestées. Si l'on ne nous avait pas continuellement bercé de promesses, nous aurions pris plus tôt l'initiative d'une proposition.

Le gouvernement nous disait toujours. Attendez ; on est occupé à étudier la question, à préparer un travail qui sera bientôt achevé ; je ne tarderai pas à présenter un projet de loi aux chambres. Nous nous sommes fiés à ces promesses ; et nous avons dû croire qu'elles se réaliseraient dans cette session puisque M. le gouverneur de Liège avait annoncé dans une lettre écrite au mois de novembre sous l'inspiration du ministère la présentation prochaine d'un projet de loi. Quand nous avons vu que toutes ces promesses étaient vaines, et que le gouvernement se jouait de nous, nous avons bien dû nous décider à faire une proposition ; mais nous eussions certes préféré que le gouvernement eût l'honneur de l'initiative.

Il y a, messieurs, une grande différence entre les propositions du gouvernement et celles qui émanent de l'initiative parlementaire. Les membres de la chambre qui font une proposition ne peuvent peser que de l'influence de leur vote, de leur parole, tandis que le gouvernement pèse non seulement de cette double influence, mais encore de celle que la possession du pouvoir donne dans cette enceinte comme au-dehors.

Nous n'avons fait que remplir un devoir en présentant notre proposition. C'est l'inaction blâmable du gouvernement qui nous a forcés de recourir à notre droit d'initiative, au risque d'être encore accusé par l'honorable M. Dechamps de faire une réclame électorale, dont je ne pense pas, du reste, avoir besoin, je lui dirai que si je rentre dans cette enceinte, je ne laisserai pas passer une seule occasion sans réclamer de la (page 1715) chambre et du gouvernement le grand acte de justice qui nous avait été promis, et qui s’est trop longtemps fait attendre.

M. le ministre des affaires étrangères, qui blâme tant le système d'insinuations lorsqu'elles sont dirigées contre lui, en use très largement contre les autres. N'a-t-il pas tantôt insinué, dans un but facile à comprendre, que j'aurais voulu, moi partisan des économies, entraîner actuellement le pays dans une dépense de 10 millions pour la Meuse ? Il y a là, messieurs, une très forte dose d'exagération. Les représentants de Liège ont demandé à la chambre un crédit de 400 mille francs pour un commencement d'exécution, non pas de tout le projet de M. Kummer, j'ai fait sur ce point une déclaration formelle, mais seulement de la partie de ce projet qui est relative aux inondations.

Quelle dépense cela devait-il entraîner ? Une dépense de 3 millions.

Ajoutez-y, si vous voulez, le million quelle conseil des ponts et chaussées demande pour l'essai du système de barrages mobiles ; cela fera en tout 4 millions. Il y a loin, messieurs, de ce chiffre à celui de M. le ministre des affaires étrangères, et remarquez bien que la dépense de 4 millions n'aurait pas été supportée tout entière par l'Etat, la ville de Liège devait y contribuer et l'on aurait retiré de fortes sommes de la vente des terrains.

La dépense de l'Etat n'aurait en définitive été que de deux millions. Mais il fallait produire de l'effet. C'est pour cela que l'honorable M. Dechamps s'est permis d'insinuer que notre proposition aurait entraîné le pays dans une dépense de dix millions.

Lorsque nous avons discuté le budget des voies et moyens, j'ai soutenu qu'il serait convenable d'exécuter dans toutes les provinces de grands travaux d'utilité publique, non avec les ressources ordinaires, cela serait impossible, mais au moyen d'un emprunt. J'ai ajouté que ces travaux, en augmentant la prospérité du pays, compenseraient largement les charges qui résulteraient de l'emprunt.

On n'a pas voulu entrer dans cette voie, on a préféré émettre des bons du trésor à toute occasion. Il y en a eu pour les Flandres ; il y en a eu pour des crédits supplémentaires ; il y en a eu pour le défrichement de la Campine ; il y en a eu pour l'achat d'hôtels destinés à MM. les ministres ; il y en a eu pour toutes sortes de dépenses fort peu utiles, futiles même. Et lorsque nous demandons 400 mille francs pour un travail urgent, nécessaire, réclamé pas des motifs impérieux d'humanité, on vient nous accuser en quelque sorte de dilapider le trésor public. Et qui nous accuse ? Un membre de ce ministère qui nous a proposé toutes sortes de dépenses peu utiles, futiles même, qu'on n'a pu couvrir que par des bons du trésor ! Lorsqu'il s'agit d'une dépense qui lui convient, quelque inutile qu'elle puisse être, le gouvernement nous montre une bourse pleine, bien garnie. Vous pouvez, dit-il, dépenser ! Mais quand l'opposition réclame un travail nécessaire, urgent, c'est autre chose, le gouvernement nous montre une bourse vide ; il n'a plus d'argent.

J'arrive au projet de loi.

Je persiste à croire que la chambre ne peut l'adopter sans commettre une criante injustice.

Nous avons entendu dans cette séance plusieurs honorables collègues partisans du projet : MM. Pirson, Dumont, Pirmez et M. le ministre des travaux publics qui a cru devoir se joindre aux représentants du district de Charleroy. La plupart de ces honorables collègues nous ont dit que le projet a été très bien défendu par l'honorable M. Brabant et que le discours de l'honorable membre est resté sans réponse. Il y avait, messieurs, une très-bonne raison pour cela ; l'honorable M. Brabant est le dernier orateur qui ait parlé à la séance d'hier, personne n'a eu la parole pour lui répondre..

L'honorable M. Brabant a paru regarder comme un grand malheur qu'on ait canalisé la Sambre. D'après l'honorable membre, Namur aurait beaucoup souffert par la canalisation de la Sambre. La canalisation de la Sambre aurait été un malheur pour Namur, comme la candidature du district de Charleroy serait un malheur pour M. le ministre des affaires étrangères, si l'on s'en rapporte aux paroles de l'honorable M. Dechamps.

L'honorable M. Brabant a prétendu qu'avant la canalisation de la Sambre on transportait les charbons de Charleroy à Namur à très bon marché. On a donc gâté la Sambre en la canalisant.

M. Brabant. - Je n'ai pas dit cela.

M. Delfosse. - A peu près. Quelle est l'utilité d'une rivière ? C'est de transporter les produits du sol et de l'industrie à bon marché. Vous avez prétendu que le fret n'était que de 2 fr. avant la canalisation. Maintenant il est de quatre francs ; au point de vue industriel, on a donc gâté la Sambre. L'honorable M. Brabant nous a fait connaître son opinion personnelle sans l'appuyer d'aucune preuve. Quelque confiance que j'aie dans l'honorable membre, il voudra bien me permettre de m'en rapporter de préférence à M. l'inspecteur Vifquain, qui a dû avoir tous les documents sous les yeux, lorsqu'il a écrit son excellent travail sur les voies navigables en Belgique.

Voici quel était d'après M. Vifquain, l'état de la navigation avant la canalisation qui a eu lieu en 1826 : « Lors des eaux moyennes, les seules favorables à une navigation si imparfaite, c'est-à-dire, pendant six mois de l'année au plus, les houilles formaient la majeure partie des transports. La descente éprouvait mille difficultés, et la remonte exigeait, en outre, des efforts inouïs de traction et un temps considérable.

« Depuis quelques années la chambre de commerce de Charleroy, la régence de Namur, etc., faisaient des représentations, sur l'état défectueux de la Sambre. »

Vous voyez, messieurs, que cette Sambre, qu'on a gâtée, qui était si utile avant la canalisation, présentait cependant, si l'on en croît M. Vifquain, à la descente pour la navigation, mille difficultés. Je ne sache pas que le transport du charbon de Charleroy à Namur présente encore mille difficultés à l'heure qu'il est.

L'honorable M. Brabant, dont quelques honorables préopinants ont trouvé les arguments si admirables, faute probablement d'en avoir d'autres à produire, vous a dit que les péages du canal de la Sambre étaient plus élevés que ceux de tous les autres canaux.

Je prierai l'honorable M. Brabant de se mettre d'accord avec M. le ministre des travaux publics, qui nous disait tantôt que le péage du canal de Charleroy était de 30 centimes par lieue et par tonneau. Le péage de la Sambre canalisée est de 19 centimes. Il est très difficile de concilier cette allégation de M. le ministre des travaux publics avec celle de l'honorable M. Brabant.

On a répondu aux observations que j'ai présentées en les dénaturant. C'est un moyen facile de répondre.

Je n'ai pas invoqué le principe de l'équilibre ; je n'ai pas non plus invoqué l'intérêt du trésor. Mais j'ai dit à mes honorables contradicteurs : Soyez conséquents ; choisissez l'un ou l'autre système. Si vous voulez de l'équilibre, il faut le vouloir pour tous et non pour vous seuls.

Je suis, comme l'honorable M. Pirmez, partisan de la justice distributive ; mais je mets ce principe en pratique ; je ne me borne pas à l'énoncer dans mes discours.

Voulez-vous le maintien de l'équilibre existant entre les divers bassins houillers ? Je le veux bien aussi. Mais alors, ne touchez, pas, sans prendre des mesures de compensation pour les autres bassins, aux péages de la Sambre canalisée. Ne voulez-vous pas le maintien de l'équilibre ? Abaissez alors le tarif du chemin de fer.

Voulez-vous ne tenir aucun compte du produit direct des canaux ? Voulez-vous sacrifier l'intérêt du trésor, dans le but de favoriser l'industrie ? Prétendez-vous que l'industrie fait rentrer dans le trésor, par mille sources diverses, des sommes plus fortes que celles que l'on sacrifie dans le but de la favoriser ? Je le veux bien encore ; mais soyez conséquents. Appliquez ce principe à toutes les voies de communication ; n'imposez pas un sacrifice au trésor uniquement pour la Sambre canalisée.

Un membre. - On ne sacrifie pas le trésor.

M. Delfosse. – Vous ne le sacrifiez pas ! Lisez donc l'exposé des motifs de M. le ministre des finances et de M. le ministre des travaux publics, que vous n'accuserez sans doute pas de partialité contre vous. Ils ont donné, dans cette affaire, assez de preuve de sympathie pour le district de Charleroy. Que nous dit l'exposé des motifs ? Il nous dit qu'en admettant que le mouvement des transports reste le même, la réduction des recettes sera de 94,500 fr.

M. Pirmez. - Il ne parle que de l'intérieur.

M. Delfosse. - Renoncez-vous à cet avantage ? Voulez-vous renoncer à la consommation intérieure ? Le projet que vous demandez à la chambre ne s'applique-t-il pas à la consommation intérieure comme à la consommation extérieure ? L'avantage que l’on vous fait pour la consommation intérieure amènera, d'après MM. les ministres, une réduction de 94,500 fr., si le mouvement des transports reste le même, et une réduction de 67,000 fr. si ce mouvement s'accroît d'un tiers.

Je n'ai, messieurs, parlé des intérêts du trésor qu'accessoirement ; j'avais dit au gouvernement : Vous avez des waggons qui reviennent à vide d'Allemagne, utilisez-les pour le transport des charbons, il y aura à la fois avantage pour le trésor et pour les consommateurs de Bruxelles, de Louvain, de Malines et d'autres localités. Que m'avait-on répondu ? Qu'il fallait maintenir l'équilibre. N'étais-je pas en droit de trouver étrange que le gouvernement, qui refusait une augmentation de recette favorable aux consommateurs de Bruxelles, consentît à une diminution de recette pour favoriser les consommateurs de Namur et de Dinant ?

Supposez, messieurs, qu'il n'y ait pas ici de sacrifice pour le trésor. Mon argument n'en aurait pas moins de force. Si l'on réduisait le tarif du chemin de fer, si l'on utilisait les waggons qui reviennent à vide, il y aurait augmentation de recettes. Admettez que la mesure que le gouvernement propose ne diminue pas les recettes, admettez même qu'elle les augmente, pourquoi ne pas prendre pour le chemin de fer une mesure analogue qui augmenterait aussi les recettes en favorisant les consommateurs ?

L'honorable M. Brabant pense, et c'est un avis que l'on peut très bien soutenir, qu'une réduction de péages n'amène pas nécessairement une réduction de recettes, qu'il y a un mouvement plus considérable qui compense la réduction des péages et que les recettes peuvent même augmenter. Si cela est vrai, pourquoi ne réduit-on pas les péages sur le chemin de fer, pourquoi ne les réduit-on pas sur les autres canaux ?

M. le ministre des travaux publics nous dit : Si l'on réduit le tarif du chemin de fer, il faudra réduire les péages sur tous les canaux. Mais si c'est là une si bonne mesure,. si l'on favorise par là le commerce et l’industrie, si l'on ne diminue pas les recettes, si on les augmente au contraire, pourquoi la mesure n'est-elle pas générale, pourquoi une exception, une seule exception pour la Sambre ?

Allons, messieurs, au fond des choses et mettons de côté tous les petits détails ? Quelle est la situation de Liége. et quelle est la situation de Charleroy ?

Charleroy ne me paraît pas avoir à se plaindre, j'en trouve la preuve dans les chiffres mêmes posés par le gouvernement et indiqués par l'honorable rapporteur de la section centrale.

(page 1716) On voit par ces chiffres que la recette de la Sambre a toujours été croissant. Ainsi : En 1838, elle a produit 325,00 fr. En 1839, 366,000 fr. En 1840, 385,000 fr. En 1814, 422,000 fr. En 1842, 436,000 fr. En 1843, 507,000 fr. En 1844, 521,000 fr. En 1845, 626,000 fr.

Quelle conclusion faut-il tirer de ces chiffres ? C'est que le bassin de Charleroy a fait chaque année un plus grand nombre d'affaires ; c'est que sa prospérité a été croissante, c'est que ses plaintes ne sont pas fondées.

Je concevrais une demande de réduction, si les recettes de la Sambre allaient en décroissant, s'il n'y avait plus de recettes du tout ; alors vous seriez autorisés à dire que le péage est trop élevé ; alors vous seriez autorisés à demander une réduction. Mais demander une réduction, parce que vous êtes en voie de prospérité, parce que les recettes vont croissant, parce qu'il y a un plus grand mouvement d'affaires, c'est ce que je ne comprends pas !

Quelle que soit ma déférence pour l'honorable M. Brabant, il m'est impossible de trouver cette manière de raisonner admirable. S'il y avait diminution de transports, je concevrais la demande de réduction ; mais l'augmentation de recettes prouve justement que le péage n'est pas un obstacle à la prospérité du bassin de Charleroy.

M. le président, on n'écoute plus ; si vous remettiez la séance à demain.

M. le président. - Il y a encore d'autres orateurs inscrits ; il est donc impossible que la discussion se termine aujourd'hui. Nous remettrons la séance à demain.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.