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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 janvier 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen., vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 562) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Ista présente des observations sur les conclusions du rapport de la section centrale, auquel a donné lieu sa pétition du 8 décembre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des dispositions concernant les sucres.


« Le sieur Henry, géomètre pensionné à Saint-Hubert, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation d'une créance à charge de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les commissaires de police des villes d'Ostende et de Furnes demandent un supplément de traitement, du chef des fonctions de ministère public qu'ils remplissent près les tribunaux de simple police de leur canton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Plusieurs habitants de Gheel prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et toute augmentation d'impôts qui pourrait lui être proposer. »

« Même demande de plusieurs habitants de Péronne, Houffalize. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.


« Plusieurs habitants d'Ixelles demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »

« Même demande de plusieurs habitants de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Renvoi à la commission de pétitions, et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.


« L'administration communale de Bouillon demande qu'à titre d'indemnité de ses créances à charge de l'Etat, dont elle n'a pas cru pouvoir réclamer la liquidation de la commission spéciale, il lui soit accordé une pati dans l'excédant des 7 millions sur le montant des sommes qui ont été liquidées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La dame Adam, veuve du sieur Larbouillet, militaire pensionné pour infirmité contractée au service, prie la chambre de lui accorder un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Charles-Gérard Yan Groningen, musicien gagiste au 8ème régiment de ligne, né à La Haye, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les secrétaires communaux du canton de Saint-Trond demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi au ministre de l'intérieur.

Projet de loi qui transfère à Lennick-Saint-Quentin le chef-lieu de la justice de paix établi à Lennick-Saint-Martin

Rapport de la commission

M. Jonet. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission de circonscription cantonale relatif au projet de loi qui a pour but de transférer à Lennick-Saint Quentin le chef-lieu du canton actuel de Lennick-Saint-Martin.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Rapports sur des pétitions

M. Broquet-Goblet. - Messieurs, je viens, au nom de votre commission des finances, vous faire rapport sur une pétition que vous lui avez renvoyée.

La réclamation du sieur Bogaerts, entrepreneur des travaux publics, à Ostende, a pour objet une créance de 2,482 fr. 24 c, provenant de travaux et dépenses extraordinaires à la place de Termonde.

Déjà le 27 janvier dernier, sur le rapport de l'honorable M. Mast de Vries, vous avez eu à statuer sur cette créance : il s'agissait alors d'une somme de 7,000 fr., à laquelle le commandant du génie de Termonde et (page 563) le pétitionnaire avaient, de commun accord, estimé ce qui pouvait revenir à ce dernier.

Cependant, sur la proposition de votre commission des finances, vous avez alors réduit cette prétention à la somme de 4,517 fr. 70 c.

Cette décision a été exécutée par le département de la guerre, et le pétitionnaire a reçu cette dernière somme pour solde du montant de sa réclamation pour les dépenses et travaux extraordinaires de son entreprise. C'est dans ces termes que le pétitionnaire a donné quittance de la somme ci-dessus.

C'est la différence entre cette somme et la réclamation primitive, que le pétitionnaire réclame encore. Malgré votre décision, malgré cette exécution qui l'a suivie, le pétitionnaire croit néanmoins pouvoir encore aujourd'hui vous saisir de cette affaire, sous prétexte que M. le ministre de la guerre lui aurait permis de se réserver ce droit, tout en reconnaissant cependant que ce haut fonctionnaire a refusé positivement de laisser insérer cette réserve dans la quittance. Ce qui est exact. Or, votre commission a vu dans cette exécution pure et simple de votre décision, une fin de non-recevoir contre toute nouvelle réclamation d'une créance que vous avez déjà rejetée, et ce dans les circonstances surtout que les termes de la quittance doivent faire considérer la somme payée comme étant celle que le pétitionnaire a reconnu transactionnellement lui être due.

Par ces motifs, votre commission des finances a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour sur la pétition que vous lui avez soumise.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des affaires étrangères

Motion d'ordre

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je désirerais, M. le président, que la chambre voulût bien mettre à son ordre du jour les projets de loi relatif aux crédits supplémentaires pour le département des affaires étrangères et pour la marine. Les rapports ont été faits par l'honorable M. Osy déjà avant la séparation de la chambre. Je crois donc qu'il conviendrait de mettre ces projets à l'ordre du jour entre la discussion des deux budgets ; c'est-à-dire que la discussion pourrait commencer immédiatement après le vote du budget de la justice.

M. Osy. - Messieurs, j'appuie la proposition de l'honorable ministre des affaires étrangères ; mais je demande en même temps que la discussion de ces projets de crédits supplémentaires ne vienne pas à la fin d'une séance, parce que, comme un des rapports que j'ai faits soulève une question très grave, je crois qu'il ne convient pas d'étouffer cette discussion. Je demande donc que la discussion de ces deux projets de loi vienne au commencement d'une séance, après le vote du budget de la justice.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, je n'ai nullement eu l'intention de proposer de mettre les projets dont il s'agit en discussion à la fin d'une séance.

Si le vote du budget de la justice a lieu au commencement d'une séance, la chambre jugera si l’heure est trop avancée pour aborder l'examen des projets de crédits supplémentaires.

Je désire, comme l'honorable membre, que ces projets soient discutés et examinés d'une manière aussi complète que possible.

- La proposition de M. le ministre des affaires étrangères est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1848

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service, sans que le personnel de l'administration centrale puisse être rétribué sur d'autres tonds alloués au budget : fr. 184,550. »

M. Lange, rapporteur. - Messieurs, l'augmentation de 14,550 fr. proposée à cet article faisait déjà partie du budget présenté par l'honorable prédécesseur du ministre actuel ; elle a été maintenue par celui-ci ; mais comme elle a rencontré quelques objections dans diverses sections, je crois devoir soumettre à l'appréciation de la chambre quelques explications succinctes à l'appui de la résolution de la section centrale, qui, elle aussi, a accueilli l'augmentation proposée.

La chambre, on se le rappellera, a insisté à diverses reprises pour la mise à exécution d'un arrêté organique du personnel des départements ministériels. A cette fin une somme de 172,150 francs est nécessaire pour le ministère de la justice. Il y a donc une augmentation de 2,150 fr. sur le crédit antérieur, et cette augmentation est nécessaire pour satisfaire aux besoins du service organisé par l'arrêté du 21 novembre 1846, besoins énumérés dans une note remise à la section centrale par M. le ministre de la justice, insérée dans le rapport et que je crois superflu de relire ici.

D'après cette organisation, il sera nécessaire d'augmenter le personnel de l'administration de la justice de six employés inférieurs, à savoir : un commis de première classe, au traitement de 2,400 fr., quatre commis de troisième classe, au traitement chacun de 1,200 fr., et un expéditionnaire, au traitement de 600 fr. Eh bien, messieurs, malgré cette augmentation de personnel, qui exige un traitement global de 7,800 fr., il n'y a de demande de crédit, comparativement au budget antérieur, que jusqu'à concurrence de la somme de 2,150 fr. Je pense donc, messieurs, que l'économie a présidé à l'organisation établie par l'arrêté dont il s'agit.

On me dira peut-être : « Mais le crédit pétitionné par le gouvernement n'est pas, comme vous venez de l'alléguer, de 172,150 fr. ; il est de 184,550 fr. » Oui, messieurs, cela est exact ; mais remarquez bien que la somme en plus de 12,400 fr., à porter aux charges temporaires, représente l'excédant de différents traitements supérieurs au maximum.

C'est là le résultat de la disposition de l'article 25 de cet arrêté organique.

Cet article porte :

« Les fonctionnaires et employés en exercice conservent à titre personnel les grades et traitements dont ils jouissent actuellement. »

Cette disposition, messieurs, reconnaît et frappe de respect les positions acquises. A mon avis, elle était réclamée, je ne dirai pas par l'humanité, mais par la justice la plus stricte.

Cet excédant, d'ailleurs, de 12,400 francs diminuera successivement, au fur et à mesure des mutations, et finira un jour par disparaître complètement du budget.

Messieurs, telles sont les considérations qui ont déterminé la section centrale à approuver l'augmentation proposée par le gouvernement.

M. de T'Serclaes. - L'objet dont je me propose d'entretenir la chambre aurait peut-être mieux trouvé sa place dans la discussion générale, mais je n'ai pas voulu interrompre les débats importants auxquels la chambre s'est livrée. Du reste, les considérations que j'ai à présenter s'appliquent aussi au chapitre premier ; ce que j'ai à dire est relatif à la question des naturalisations.

Dans une des dernières séances de la session précédente, l'honorable M. Dumortier a proposé à la chambre diverses mesures, tendant à l'éclairer sur la matière des naturalisations ; il a fait remarquer que le nombre des naturalisations allait toujours en augmentant, que l'on peut évaluer à près de 4,500 le nombre des personnes qui ont obtenu l'indigénat depuis 1830.

Evidemment c'est un abus, un abus grave, et je crois pouvoir dire avec assurance que, dans l'opinion du pays, il constitue un grief réel dont l'origine remonte déjà à plusieurs années.

Lorsque l'on demande la naturalisation, c'est presque toujours dans le but d’obtenir une place en Belgique ou de conserver celle que l'on a obtenue, contrairement aux dispositions formelles de l'article 6 de la Constitution.

Je distingue entre la grande et la petite naturalisation. Je reconnais que la première a été ordinairement accordée par des motifs sérieux, que les demandes ont été examinées avec maturité dans les chambres et que presque toujours, et même toujours, les lois attribuant la grande naturalisation ont été la récompense de services éminents rendus au pays.

Mais en est-il de même quant à la petite naturalisation ? Evidemment non. Car ce qui se passe continuellement dans nos séances, on est fondé à dire qu'il suffit ordinairement de la demander pour l'obtenir. Je demande avec l'honorable M. Dumortier que l'on en finisse avec ce système de naturalisations, non seulement dans l'intérêt du pays, mais encore dans l’intérêt de la chambre elle-même : chaque mois, nous épuisons plusieurs bulletins de naturalisations qui comportent chacun 25 noms ; voilà donc une cinquantaine d'étrangers que nous admettons par mois dans la famille belge !

On a fait remarquer avec raison que s'il s'agit d'appeler dans le pays des hommes qui par leur talent et leurs lumières peuvent rendre des services réels à la nation, ce serait une espèce de sauvagerie de ne pas ouvrir les portes du pays à de pareils hommes ; la Belgique a toujours été hospitalière, et dans tous les siècles, elle s'est bien trouvée d'accueillir dans son sein des étrangers d'un mérite éminent.

Mais peut-on appliquer ces principes à cette foule d'employés subalternes, des fonctionnaires d’un ordre inférieur, dont nos administrations de tous les ordres ont été successivement encombrées ?

Plus les emplois sont petits, plus il se présente d'hommes capables : certainement on ne peut pas dire que dans aucune partie du pays il y ait défaut à cet égard ; depuis 17 ans nos universités, nos écoles, nos établissements d'instruction à tous les degrés ont formé des hommes propres à tous les emplois publics ; n’est-il pas inique de voir fréquemment les étrangers préférés aux Belges pour des places souvent secondaires, tandis qu'il suffit, par exemple, dans nos Flandres, qu'un membre d'une famille soit pourvu d'un emploi pour que toute la famille se soutienne. Du reste que l'on vérifie si chaque fois qu'une place est vacante, il ne se présente pas un nombre considérable de candidats belges propres à les remplir.

Je ne ferai pas ici la critique de la loi du 27 septembre 1835. Bien que la chambre des représentants soit ordinairement saisie directement des demandes en naturalisation, et que les propositions du gouvernement pour cet objet soient très rares, la responsabilité de ces actes n'est aucunement partagée suivant moi, c'est le gouvernement qui, à mes yeux, l'assume tout entière, puisqu'il fait sien nos projets de loi, lorsqu'il les soumet à la sanction de la Couronne.

Dans d'autres pays, c'est le pouvoir exécutif qui accorde la petite naturalisation ; l'expérience a déjà démontré que ce mode est à certains égards préférable à celui que nous suivons. Mais il est un moyen facile de remédier aux inconvénients que j'ai signalés, ce serait de laisser à l'avenir l'initiative des propositions au gouvernement lui-même.

(page 564) Pour le moment, messieurs, j'adresserai deux demandes : l’une au gouvernement, l'autre à la commission des naturalisations.

Je demande que M. le ministre de la justice communique à la chambre le tableau des naturalisations accordées depuis 1830 jusqu'à ce jour.

Dans ce tableau devraient être comprises et les naturalisations accordées par le gouvernement du Roi et celles accordées par le gouvernement provisoire ; ces dernières ont été pour la plupart motivées par des services rendus à la révolution.

On a demandé aussi l'état des naturalisations accordées par le roi Guillaume Ier ; je prie M. le ministre de les comprendre dans son travail, si c'est possible ; celles-ci sont moins importantes que les premières ; mais les premières sont plus faciles à fournir, tous les actes de naturalisations sont insérées au Bulletin officiels il existe au département de la justice un bureau spécial qui s'occupe de cette matière, et qui doit posséder des registres réguliers.

En regard des noms, il faudrait mentionner les fonctions publiques dont les impétrants étaient revêtus au moment où ils ont obtenu la naturalisation, afin que l'on puisse juger d'un seul coup d'œil ce qui s'est fait depuis 1830.

J'espère, messieurs, qu'après l'accueil fait par la chambre à la demande de M. Dumortier le 6 mai dernier, M. le ministre de la justice ne trouvera aucun inconvénient à nous fournir le tableau que je viens d'indiquer.

Ma seconde demande s'adresse à la commission des naturalisations. Dans la session dernière, la question dont je parle a été agitée au sénat, et le sénat a adopté une mesure que nous pourrions parfaitement admettre aussi.

La Commission des naturalisations du sénat a été invitée à mentionner, dans chacun de ses rapports, les fonctions du réclamant, la date de l'arrête qui les lui a conférées et le nom du ministre qui en est responsable. De cette façon, la chambre est toujours à même d'exercer son contrôle sur les actes du ministère, et, dans chaque cas particulier, de demander compte à qui de droit de la manière dont est appliqué l'article 6 de la Constitution, portant que les belges seuls sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions établies par la loi.

M. Delfosse. - Les dépenses du personnel des administrations centrales vont toujours en croissant. Cet accroissement de dépenses provient surtout de ce que l'on fait beaucoup d'écritures inutiles.

L'honorable préopinant demande à M. le ministre de la justice la production de pièces dont je ne comprends pas l'utilité. Les lois qui accordent la naturalisation sont insérées an Bulletin officiel, chacun de nous peut en prendre connaissance ; à quoi bon dès lors le tableau demandé par l'honorable préopinant ? Les employés du département de la justice ont autre chose à faire qu'à copier pour nous des extraits du Bulletin des Lois.

Je ne comprends pas non plus la portée des observations qui ont été présentées par l'honorable préopinant. Les chambres ont accordé, depuis 1830, un certain nombre de naturalisations, en trop grand nombre, si l'on en croit l'honorable préopinant : libre à lui de blâmer l'usage que les chambres ont fait de leur prérogative, mais il n'y a pas moyen de revenir sur le passé.

S'agit-il de l'avenir ? L'honorable préopinant aura, comme chacun de nous, le droit d'examiner les titres des personnes qui demanderont la naturalisation. Il aura, comme chacun de nous, le droit de combattre les demandes qui ne lui paraîtront pas justifiées. Ces demandes seront admises ou rejetées, selon que la majorité les trouvera fondées ou non. La majorité accordera la naturalisation à ceux qui en seront dignes, elle la refusera aux autres. La discussion soulevée par l'honorable préopinant est donc inopportune.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ajouterai fort peu de chose aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Delfosse. Les demandes de naturalisation ne sont plus maintenant aussi nombreuses qu'elles l'ont clé. Beaucoup de lois qui accordent la naturalisation restent sans exécution, parce que ceux qui l'ont obtenue ne veulent pas payer, ou sont dans l'impossibilité de payer le droit fort élevé qui a été établi par la loi. Je ne puis donner ici une statistique complète ; mais je crois que la plupart des lois votées par la chambre restent sans exécution.

Au surplus, pour diminuer le nombre des naturalisations, il faudrait changer le mode suivi aujourd'hui. Il faudrait surtout que les chambres, puisque ce sont elles qui accordent la naturalisation, accueillissent ces demandes avec plus de sévérité, et fussent plus sobres d'une faveur qu'elles seules peuvent accorder ; car le gouvernement n'est, en quelque sorte, pour rien dans cette concession ; il ne fait qu'y attacher sa sanction.

Quant à l'état demandé par l'honorable M. de T'Serclaes, je ne vois pas grand inconvénient à le produire. Je crois que c'est assez facile et que cela ne demanderait pas un très grand travail. Ce tableau pourra donc être déposé prochainement.

M. Lebeau. - Je crois qu'il y aurait un moyen fort simple de diminuer le nombre des demandes de naturalisation, et par suite d'épargner les moments, j'ajouterai même, jusqu'à certain point, la dignité de la chambre et du gouvernement. Ce serait d'exiger le dépôt préalable, à la caisse des consignations, du montant du droit d'enregistrement, au moment même où l'on fait la demande.

Beaucoup de personnes ignorent la loi, croient que la naturalisation est gratuite, et croient souvent qu'au bout de la naturalisation il y a un emploi salarié.

Voilà la double raison qui rend les demandes si nombreuses.

Je ne fais pas de proposition. Je ne sais pas jusqu'à quel point la mesure peut être prise administrativement. Mais je crois pouvoir l'indiquer à la chambre et à M. le ministre de la justice.

M. Mast de Vries. - Je voulais faire à la chambre une proposition dans le genre de celle que vient de faire l'honorable préopinant.

Mais une autre observation est à faire au gouvernement ; une partie des demandes sont de son fait ; il nomme des étrangers à des emplois qui devraient être donnés à des Belges.

Je dirai, entre autres, que depuis peu le gouvernement a nommé un étranger à des fonctions qui auraient pu être remplies par des Belges ; et il va de soi que et étranger nous soumettra prochainement une demande de naturalisation.

M. de Brouckere. - Je crois avec l'honorable M. Delfosse qu'il n'y a pas utilité à donner suite à la proposition de l'honorable M. de T'Serclaes. Mais je pense comme l'honorable M. Lebeau qu'il y a quelque chose à faire pour rendre les naturalisations moins fréquentes, et surtout pour ne plus exposer la dignité de la chambre, plus ou moins atteinte lorsqu'elle donne la naturalisation que n'acceptent pas ceux qui l'ont demandée.

Pour forcer les pétitionnaires à consigner le droit que l'on doit payer pour obtenir une naturalisation, il faudrait, messieurs, une disposition législative. Car administrativement on n'aurait pas le droit de forcer un pétitionnaire à déposer 500 fr. avant que sa pétition soit soumise à la chambre. Ce serait jusqu'à un certain point porter atteinte au droit de pétition.

Mais il y aurait une mesure à prendre qui serait, me semble-t-il, très facile : ce serait d'exiger des pétitionnaires une promesse ; ce serait de faire signer sur timbre une promesse de payer le droit exigé de la part de ceux qui sont naturalisés, pour autant que la naturalisation soit accordée, et de faire mention de cette promesse dans le rapport que fait la commission des naturalisations, chose qui n'a pas eu lieu jusqu'ici.

Cette promesse, messieurs, suffirait pour les personnes reconnues solvables. Quant à celles qui ne le seraient pas, on pourrait les inviter à indiquer une caution qui répondrait pour elles. La chambre, après cela, quand elle ne trouverait pas dans le dossier du pétitionnaire des pièces établissant de sa part l'intention de payer le droit de naturalisation et la possibilité de payer ce droit, repousserait la demande ; tandis qu'aujourd'hui les demandes de naturalisation sont portées devant la chambre sans qu'elle puisse jamais apprécier jusqu'à quel point le pétitionnaire est en état de payer le droit dont sont frappées les naturalisations.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Depuis que la loi sur l'enregistrement des naturalisations a été publiée, le département de la justice est dans l'usage d'écrire à tous les pétitionnaires pour leur faire connaître le droit d'enregistrement auquel ils seront soumis et leur demander s'ils sont disposés à en faire le payement.

Les demandes ne sont instruites qu'après avoir reçu l'adhésion des pétitionnaires et je crois qu'il est aussi d'usage que ces adhésions soient jointes au dossier qui est envoyé par le département de la justice à la chambre.

M. d’Anethan. - Je pense avec l'honorable M. Lebeau qu'il y aurait quelque chose à faire et qu'il y a des motifs pour modifier la législation sur les naturalisations. Mais je pense que par voie administrative il est absolument impossible de rien faire en présence de la loi actuelle.

Car, d'après l'article 11 de la loi sur les naturalisations, l'individu qui a obtenu la naturalisation a, après la sanction royale, un droit d'option pendant deux mois, avant d'accepter la naturalisation, et il n'y a aucune obligation pour lui, au moment où sa demande est adressée à la chambre, de faire la moindre consignation. Si on l'obligeait à faire la consignation des 500 francs au moment où il présenterait sa demande, on ajouterait donc à la loi, en le privant d'une faculté que lui accorde l'article 11 de la loi, sans restriction.

Quant à la consignation en elle-même, je ne sais si ce moyen serait bien convenable. Obliger quelqu'un à consigner, alors que l’on ignore si la chambre adoptera sa demande, cela me paraît pouvoir difficilement se faire. Car si la demande n'était pas admise, il faudrait qu'on restituât la somme consignée ; ne serait-il pas à craindre que ce dépôt préalable ne liât en quelque sorte la chambre ?

L'opinion émise par l'honorable M. de Brouckere ne me semblerait pas remédier non plus à grand-chose. Car la promesse que l'on ferait, comme l'honorable membre l'a lui-même reconnu, n'aurait aucune espèce de valeur, si la personne est insolvable ; et si la personne est solvable, la promesse est inutile.

M. Delehaye. - Comme membre de la commission des naturalisations, je puis donner à l'honorable M. de Brouckere la certitude que jamais on n'a fait un rapport sans s'être assuré au préalable de la volonté du pétitionnaire de payer la somme de 500 fr. La chambre peut être persuadée que toujours les pétitionnaires sont prévenus qu'ils auront à payer cette somme.

Je ne vois, du reste, aucun inconvénient à ce qu'il soit fait mention (page 565) de cette circonstance dans les rapports. Mais il y a irait un grand inconvénient à adopter la proposition de l'honorable M. Lebeau.

L'honorable M. Lebeau voudrait qu'on obligeât à consigner au préalable les 500 fr. D'abord il faut remarquer que la loi s'oppose à une semblable mesure. Indépendamment de cela, il y a des naturalisations qui le confèrent sans le payement de la somme de 500 fr.

Messieurs, comme membre de la chambre, j'ai déjà signalé d'assez graves abus en matière de naturalisations. Il est certain que la chambre, dans certains moments, confère la naturalisation un peu légèrement ; et cette légèreté se conçoit ; on ne peut y échapper en présence de notre manière de procéder.

Je crois que la commission des naturalisations devrait avoir le droit de conclure. Elle ne fait qu'exposer des faits, et ces faits elle les puise souvent dans les rapports des autorités locales, qui, entourées de personnes qui s'intéressent à la demande, donnent assez souvent avec beaucoup de facilité des renseignements favorables. Je suis persuadé que si la commission concluait positivement à l'adoption ou au rejet de la requête, beaucoup moins de demandes seraient admises.

M. Lebeau. - Je ne voudrais pas donner à cette discussion une trop grande portée. Je n'y aurais pas pris part, sans la révélation qui nous a été faite par M. le ministre de la justice de ce fait étrange qui compromet jusqu'à un certain point, tout le monde en est d'accord, la dignité de la chambre et du gouvernement ; c'est que de nombreuses naturalisations ont été refusées au moment où l'on a exigé de ceux qui les avaient demandées le dépôt du droit.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Elles n'ont pas positivement refusé, mais elles n'ont pas accepté, parce qu'elles étaient dans l'impossibilité de payer.

M. Lebeau. - C'est encore pis dans la forme ; car cela a un véritable caractère de dédain pour la chambre et pour le gouvernement.

J'avoue que je ne crois pas que l'on puisse, en vertu de la loi actuelle, ni que le gouvernement puisse en vertu de ses pouvoirs propres, exiger le dépôt préalable. Aussi je n'ai pas fait de proposition.

Quant à l'idée en elle-même, je crois que ce qu'on a dit pour la combattre est tout à fait insuffisant.

L'honorable M. d'Anethan ne verrait pas d'inconvénient à faire souscrire un engagement.

Cependant cet engagement serait aussi pris dans l'incertitude de la sanction de la demande. Quel inconvénient voyez-vous, messieurs, quel inconvénient y aurait-il de plus à exiger le dépôt préalable de la somme de 500 fr. dans la caisse des consignations, comme on le fait dans une foule de circonstances, alors qu'il y a incertitude de la part des déposants sur l'obtention des avantages qu'ils veulent obtenir ? Je citerai, par exemple, ce qui s’est passé pour les adjudications. Dans beaucoup de cas, pour être admis à participer à des adjudications, il faut faire un dépôt en numéraire, qui est ensuite éventuellement restitué.

Je ne vois pas le moindre inconvénient à la mesure que j'indique, tandis qu'il y en a beaucoup à voir la naturalisation repoussée par ceux qui l'ont demandée.

Je crois qu'on n'obvierait pas à cet inconvénient par la mesure qu'a indiquée l'honorable M. Delehaye.

D'abord je crois qu'il est peu de commissions des naturalisations qui accepteraient la tâche très désagréable, très pénible d'avoir à conclure contre des demandes en naturalisation. C'est précisément parce qu'on a senti combien il serait difficile de traiter publiquement de pareilles questions, que vous avez, messieurs, adopté, pour la prise en considération, des formes qui permettent à chaque membre d'émettre son vote au scrutin secret.

La commission a certainement, comme tout membre de cette chambre, le droit de s'abstenir de faire connaître publiquement son opinion sur des questions de personnes.

Je crois qu'on trouverait peu de membres qui fussent disposés à faire partie d'une commission si cette commission était obligée de conclure soit pour soit contre les demandes dont elle aurait à s'occuper.

M. de T'Serclaes. - J'espère avoir fait chose utile en appelant de nouveau l'attention de la chambre sur un abus qui, dans plusieurs parties du pays, est considéré véritablement comme un grief national. Presque jamais il n'arrive que nous refusions les naturalisations demandées. Eh bien, le tableau que M. le ministre de la justice a promis de déposer sur le bureau, tableau, je le répète, qui n'est qu'un simple relevé très facile à faire, ce tableau, dis-je, servira à éclairer la chambre, à éclairer l'opinion publique, et pour mon compte, je suis persuadé qu'il nous inspirera à tous, et ministres et députés, une plus grande circonspection.

J'ai demandé, en second lieu, et cette demande rentre dans l'observation faite par l'honorable M. Mast de Vries, j'ai demandé que l'on eût soin de faire connaître à l'avenir si celui qui sollicite l'indigénat occupe ou non un emploi public et, dans l'affirmative, quelle est la date de sa nomination et le nom du ministre qui en a assumé la responsabilité.

Je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure, messieurs, il serait éminemment désirable que l'initiative des projets de lois de naturalisation vînt uniquement et exclusivement du gouvernement ; ce que vient de dire l'honorable M. Lebeau sur les difficultés que rencontre souvent votre commission, me confirme encore dans cette idée ; mais en présence des dispositions formelles de la loi du 27 septembre 1835, du règlement de la chambre, de la pratique de la chambre, je ne puis faire autre chose pour le moment, que d'insister avec force pour que nous portions sur cette matière une plus grande attention à l'avenir, et à l'égard des actes du gouvernement, et à l'égard des demandes de naturalisation en elles-mêmes.

M. Mast de Vries. - Je crois, messieurs, qu'il y a un moyen de résoudre la difficulté.

Il ne faut pas faire déposer les 500 fr. au moment où la demande en naturalisation est faite, parce qu'il peut s'écouler un temps très long avant que la naturalisation ne soit accordée ; mais je pense que lorsque la demande est prise en considération par les deux chambres, il conviendrait de faire savoir au pétitionnaire qu'avant qu'on ne présente un projet de loi, il doit déposer les 500 fr. Alors il n'y aurait pas un long intervalle entre le dépôt des 500 fr. et le vote de la loi, et le demandeur aurait pour lui un premier vote des chambres.

- Le chiffre de 184,550 fr. est mis aux voix et adopté.

Articles 3 à 5

« Art. 3. Matériel : fr. 23,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Ordre judiciaire

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Cour de cassation. Personnel : fr. 238,500. »

- Adopté.


« Art. 2 Cour de cassation. Matériel : fr. 6,780. »

Article 3

« Art. 3. Cours d'appel. Personnel : fr. 621,800 »

M. Lebeau. - J'ai demandé la parole pour prier M. le ministre de la justice de nous dire où en est l'instruction de deux projets de lois qui ont été, si je ne me trompe, renvoyés à l'avis des cours et tribunaux du royaume. Je veux parler du projet de loi ayant pour but de modifier les cours d’assises et d'un projet de loi apportant des modifications très nombreuses au Code pénal actuel. Il y a à peu près 14 ans que ces projets ont été déposés sur le bureau de cette chambre. La chambre en a ordonné la réimpression ; plusieurs fois nous avons appelé l'attention du département de la justice sur le projet de réforme du Code pénal, et nous ne pouvons absolument faire faire un pas à l'instruction de ces deux projets.

Il y eu à un qui est très considérable, et je comprends que l'on recule devant son examen ; c'est celui qui a pour objet de modifier considérablement tout le système du Code pénal, conformément aux vœux qui ont été très souvent exprimés au sein de la chambre dans les premières années de la révolution. L'autre de ces projets est beaucoup plus simple, c'est celui qui tend à économiser le temps des membres des cours d'appel en modifiant les cours d'assises dans le sens de ce qui a été fait en France par une loi de 1831 ou 1832. Je crois que l'on pourrait très bien aborder dans un bref délai l'examen de ce projet.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois, messieurs, quant au projet de réforme du Code pénal, que la chambre en est saisie depuis très longtemps et que le département de la justice n'a plus rien à faire en ce moment, à l'égard de ce projet, c'est-à-dire que je ne sache pas que ce projet ait été renvoyé à mon département.

Cependant, messieurs, j’ai tout récemment convoqué une commission à l'effet de revoir le projet présenté, je crois, par l'honorable M. Lebeau, en 1834, et de l'examiner dans le but de parvenir à le scinder, si la chose est possible.

Vous savez, messieurs, combien il est difficile que la chambre, surchargée de travail comme elle l'est en ce moment, aborde l'examen d'un projet aussi considérable que celui de la réforme de notre système pénal tout entier. Le but de la réunion de cette commission est donc de rechercher si l'on ne pourrait pas s'occuper partiellement de cet examen et quelles seraient les parties du Code dont il conviendrait de s'occuper en premier lieu sans cependant abandonner la pensée générale, puisque ce système ne doit former qu'un ensemble dont toutes les parties doivent être parfaitement coordonnées.

Cette commission, messieurs, se réunira bientôt, et j'espère pouvoir présenter prochainement à la chambre le résultat de son travail.

Quant à l'autre projet, celui qui est relatif à la réforme des cours d'assises, je crois que la chambre en est également saisie. Il se peut qu'il ait été renvoyé à l'examen des tribunaux. Je verrai, messieurs, quel est l'étal actuel de son instruction, et s'il est possible de soumettre bientôt une proposition à la chambre, je ne négligerai pas de le faire, parce que je reconnais aussi l'extrême utilité d'apporter à la composition actuelle des cours d'assises quelques modifications qu'il me paraît important d'introduire, non seulement au point de vue de l'économie, mais aussi sous le rapport de la prompte administration delà justice ; car les cours d'appel pourraient ainsi disposer d'une partie du temps qu'elles doivent consacrer à l'examen des affaires criminelles, au grand détriment de la prompte expédition des affaires civiles.

M. d’Anethan. - Messieurs, l'honorable M. Lebeau a appelé l'attention de M. le ministre de la justice sur deux projets de loi. Un rapport de l'honorable M. Liedts a été déposé sur le premier de ces projet, celui relatif aux cours d'assises ; les conclusions de ce rapport ne sont pas favorables au projet ; le rapport conclut au maintien du statu quo.

(page 566) Du reste, il est probable que M. le ministre de la justice actuel ne se ralliera pas aux modifications qui ont été proposées par la section centrale, attendu qu'il y a une couple d'années, M. le ministre a déclaré au sénat qu'il était d'avis que les cours d'assises devaient être simplement composées de trois membres....

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai pris à cet égard aucun engagement. Je me réserve d'examiner les avis des cours et tribunaux ; je ne me considère nullement comme lié par l'opinion que j'ai pu exprimer dans une autre enceinte comme sénateur.

M. d’Anethan. - Quant au projet de révision du Code pénal, il n'a pas été présenté ; il a été renvoyé aux cours et tribunaux. Pendant que j'étais au ministère, j'ai appelé sur cet objet l'attention des cours d'appel. Mais il y a peu d'espoir que les cours s'occuperont de ce travail ; au moins, lorsque j'ai consulté la cour de Bruxelles sur un autre projet, elle m'a répondu que son personnel restreint et ses occupations ne lui permettaient pas de s'occuper de matières étrangères à ses attributions.

J'ai vu récemment par les journaux que la cour d'appel de Liège, au contraire, s'était occupée d'un projet de loi que je lui avais soumis sur les faillites et sursis ; je ne me rappelle pas si, avant ma sortie du ministère, cette cour avait déjà envoyé son travail sur le Code pénal.

Au reste, j'insiste vivement pour que M. le ministre de la justice mette à exécution les idées qu'il vient d'émettre, c'est-à-dire qu'au lieu de présenter à la chambre des projets d'ensemble, il soumette aux chambres des lois assez courtes ; par ce procédé, on atteindra mieux le but qu'a en vue l'honorable M. Lebeau ; on modifierait les parties du Code pénal reconnues défectueuses par tout le monde. Ainsi, nous arriverons à avoir une législation plus en harmonie avec nos institutions.

Quant au Code d'instruction criminelle, un projet modifiant certaines dispositions de ce code était préparé à ma sortie du ministère ; je pense que ce projet pourrait être présenté et ne donnerait pas lieu à de longues discussions ; car ce projet se borne à réformer les parties de la législation reconnues défectueuses par tout le monde.

Messieurs, à la fin de la dernière session, un projet de loi a été présenté pour maintenir temporairement l'augmentation de la cour d'appel de Bruxelles.

La chambre n'a pas jugé convenable de voter ce projet avant la fin de la session ; je crois qu'il est nécessaire de s'en occuper dans un bref délai.

M. de Garcia. - Messieurs, à l'occasion de la discussion actuelle, j'ai à présenter quelques observations à M. le ministre de la justice.

Les huissiers, employés au service des assises dans les chefs-lieux de province où se trouve une cour, reçoivent une indemnité. Je trouve cette indemnité juste ; car la régularité du service, la solennité des assises exigent qu'on choisisse les huissiers les plus intelligents pour ces services. Or, quand ils sont employés, ils perdent des bénéfices dont il doit leur être tenu compte sous tous les rapports, donc cette indemnité me paraît juste.

Pourtant je désire que cette indemnité soit étendue aux huissiers audienciers de toutes les cours d'assises ; jusqu'à ce jour, la mesure n'existe qu'au profit des huissiers employés au service des assises des chefs-lieux des cours d'appel ; je ne puis me rendre compte de la différence de position d'officiers ministériels appelés à faire la même besogne et à rendre les mêmes services. Partout et au même degré la solennité et la régularité doivent exister dans la tenue des cours d'assises, les mêmes formes doivent y être observées, et dès lors il faut que les fonctions d'huissier audiencier y soient confiées aux hommes les plus intelligents.

Je désire donc que les huissiers employés au service des assises dans les provinces, autres que celles où se trouvent les cours d'appel, reçoivent une juste indemnité.

Puisque j'ai la parole, j'attirerai encore l'attention de M. le ministre de la justice sur un autre objet.

M. le ministre connaît comme moi le changement de jurisprudence qui est survenu depuis quelque temps sur l'application de l'ordonnance forestière de 1669.

Des tribunaux et la cour suprême ont déclaré que les articles de cette ordonnance, qui n'ont pas été publiés textuellement en Belgique, ne peuvent être appliqués. Par suite de cette nouvelle jurisprudence, il est une quantité de délits qui ne sont plus punis. Il faut pourtant, et l'intérêt public le réclame impérieusement, il faut que la loi y pourvoie d'une manière quelconque ; il faut combler la lacune existant dans notre législation par l'état actuel de la jurisprudence.

J’invite donc M. le ministre de la justice de vouloir bien faire connaître sa manière de voir sur les deux objets que je viens de lui signaler.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je m'associe entièrement au vœu que vient d'émettre l'honorable M. d'Anethan, en ce qui concerne ce dernier projet de loi. Il est urgent de voter cette loi. Jusque-là on ne peut procéder à la nomination de certains membres de ces corps judiciaires. Dans ce moment, par exemple, il manque un juge suppléant au tribunal de Charleroy, et dont le tribunal réclame la nomination avec d'autant plus d'instance, que quelques-uns de ses membres font partie de la législature et que le service a à en souffrir ; car il n'est pas possible de nommer ce suppléant avant le vote de la loi.

Je prie donc M. le président de vouloir bien inviter les sections centrales à s'occuper de ce projet de loi le plus tôt possible.

L'honorable M. de Garcia a appelé mon attention sur les huissiers audienciers du tribunal de Namur, faisant le service près la cour d'assises (interruption), et en général, je suppose, sur les huissiers de toutes les cours d'assises du royaume.

Je regrette de ne pas pouvoir partager l'opinion de l'honorable M. de Garcia. Une indemnité de 500 fr. a été accordée par des arrêtés royaux, dont un sous le gouvernement précédent, aux huissiers audienciers faisant le service près des cours d'assises des chefs-lieux de cour d'appel, d'abord de Bruxelles et de Liège ; ensuite un arrêté royal du gouvernement actuel a accordé la même indemnité aux huissiers audienciers de la cour d'appel de Gand, lorsque cette cour a été érigée. L'honorable M. de Garcia voudrait que semblable indemnité fût allouée aux huissiers audienciers des cours d'assises de tous les autres chefs-lieux du royaume ; outre qu'il résulterait de cette mesure une augmentation de dépense assez notable, je ne pense pas que les motifs qui ont fait accorder l'indemnité dont il s'agit aux uns puissent être invoqués en faveur de ceux pour lesquels on la demande.

Les huissiers audienciers près de la cour d'assises de Bruxelles ; comme ceux de Liège et de Gand, ont beaucoup plus de travail que les huissiers audienciers des cours d'assises des autres chefs-lieux de province, car ils ont en outre le service auprès des chambres des appels correctionnels et des chambres des mises en accusation des cours d'appel. Ils ont donc un service très étendu, auquel celui des huissiers des cours d'assises des chefs-lieux en province ne peut être assimilé.

J'ajouterai que si vous accordiez aux huissiers de toutes les cours d'assises l'indemnité dont jouissent ceux des chefs-lieux de cours d'appel, bientôt vous verriez les huissiers audienciers des tribunaux correctionnels se présenter pour réclamer une indemnité analogue. Il en résulterait une augmentation de dépense considérable qui ne me paraît nullement nécessaire.

Je ne pourrais donc en ce moment m'engager à demander le crédit indiqué par l'honorable M. de Garcia. Ces huissiers font, il est vrai, un service qui ne leur rapporte rien directement, mais qui indirectement leur procure des avantages assez notables, puisqu'ils sont chargés de toutes les assignations des cours d'assises, et des citations de témoins dans les instructions criminelles, ce qui est pour eux une compensation du service gratuit qu'ils peuvent faire près des cours d'assises.

J'oubliais de répondre à l'observation de l'honorable M. de Garcia relativement à la lacune qu'il a signalée dans notre législation, par suite de la jurisprudence de la cour de cassation, relativement à l'application de l'ordonnance de 1669. L'observation de l'honorable membre est fondée ; déjà elle m'avait été faite par M. le procureur général près la cour de cassation, qui a appelé l'attention du gouvernement sur cette lacune résultant de la nouvelle jurisprudence admise par cette cour.

J'ai institué une commission chargée de la révision de la législation forestière et de préparer un projet complet pour lequel je l'ai engagée autant que possible à prendre pour type le code forestier français, sauf à y introduire les modifications que l’état actuel de notre législation, de nos mœurs, de nos habitudes pourra rendre nécessaires. Mais enfin nous avons dans le code forestier français un type qu'on peut suivre avec avantage. Cette commission se réunira incessamment, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour qu'elle accélère son travail ; mais quoi qu'on fasse, je pense, messieurs, qu'il sera impossible que la chambre s'en occupe dans le cours de la session actuelle.

M. le président. - Le projet de loi dont on fait mention n'a pas été renvoyé aux sections, mais à une commission.

M. Delfosse. - La commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation du personnel de certains tribunaux sera convoquée prochainement ; elle n'a pu l'être encore, parcs qu'elle n'est composée que de cinq membres, et qu'un membre est malade et un autre absent.

M. le ministre a raison de proposer l'augmentation du personnel des tribunaux là où il est insuffisant, mais il faudrait examiner s'il n'est pas trop nombreux dans d'autres points.

M. de Garcia. - Messieurs, je commencerai par déclarer à M. le ministre que ma réclamation a été générale, et qu'elle n'a pas eu davantage pour objet le tribunal de Namur que tous les tribunaux des chefs-lieux de province, où il n'existe pas de cour d'appel.

Maintenant j'aborde les objections qui me sont faites. M. le ministre s'oppose à l'indemnité que je demande, parce que ce serait une dépense considérable. Ceci n'est pas exact ; car je n'ai pas déterminé la quotité de l'indemnité, et selon moi elle devait être inférieure à celle allouée aux officiers ministériels des cours d'appel, afin de maintenir les principes hiérarchiques entre les corps judiciaires. Ainsi, l'indemnité de cinq cents francs accordée aux huissiers des cours d'appel pourrait être de trois cents francs pour les huissiers des cours d'assises de toutes les autres provinces, ce qui, pour sept provinces, occasionnerait une dépense d'environ 2,000 francs.

M. le ministre a présenté une autre objection contre ma proposition, c'est que, si elle était admise, les huissiers audienciers près les tribunaux d'appels correctionnels seraient fondés à réclamer aussi une indemnité.

Cette objection ne peut être sérieuse, et pour le prouver je ferai remarquer qu'il y a une différence énorme entre la régularité, la solennité de la taxe des cours d'assises et ce qui se pratique devant les tribunaux d'arrondissement jugeant en appel.

Enfin, messieurs, pour chercher à écarter mon observation, M. le ministre a dit que les huissiers audienciers des cours d'assises étaient largement indemnisés par les citations et significations des actes posés (page 567) avant la tenue des assises. Cette dernière considération ne me parait pas plus solide que les précédentes.

Tous les huissiers peuvent faire concurremment tous ces actes, et, au surplus, quand ils font ces actes de leur service ils ne peuvent en faire d'autres.

La justice et la raison, autant que la solennité et la régularité des services, qui réclament le ministère des huissiers les plus intelligents, militant donc en faveur de la demande que j'ai faite pour les huissiers audienciers des cours d'assises ; il y a neuf provinces, dont sept ne sont pas chefs-lieux de cour d'appel ; or, en accordant une indemnité de deux à trois cents francs pour ce service, il en résulterait une dépense d'environ 2.010 fr., ce qui est loin de conduire à une dépense considérable, comme l'a voulu prétendre M. le ministre.

Je ne pense pas que la chambre recule devant un aussi léger sacrifice qu'exige la nécessite d'assurer à la tenue des assises la solennité et la régularité convenables.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne refuse pas d'examiner s'il n'y a pas lieu d'accorder une indemnité quelconque aux huissiers audienciers près des cours d'assises ; mais en ce moment, cette affaire n'étant pas instruite, je ne pourrais pas faire de proposition.

A la vérité, je ne sache pas qu'il existe un privilège légal en faveur des huissiers des cours d'assises pour la signification des exploits dans les affaires criminelles ; mais il est d'usage que les procureurs du roi et les juges d'instruction les emploient de préférence pour faire ces significations, qu'ils considèrent comme une juste indemnité du temps consacré par ces huissiers aux audiences de la cour d'assises.

A l'occasion de l'article en ce moment en discussion, j'aurai l'honneur de présenter à la chambre un amendement que je considère comme étant de toute justice et qui m'a été indiqué par le rapport de la section centrale.

Je demanderai que l'article 3 du chapitre II soit augmenté de 1,050 fr. et porté à 622,850 fr. Cette majoration a pour but d'apporter une amélioration à la position des messagers de cour d'appel. Les messagers de cour d'appel ont adressé pendant plusieurs années des réclamations à cette chambre contre l'insuffisance du traitement qui leur est alloué et qui est de 600 fr. C'est à peine le salaire d'un ouvrier, il ne peut pas leur suffire pour exister avec leur famille. Le traitement des messagers de la cour de cassation est de 850 fr.

Ceux des cours d'appel ont demandé qu'on élevât leur traitement à ce taux.

Mais je crois que pour conserver une différence que j'appellerai hiérarchique entre les messagers de ces deux cours, il suffira d'augmenter de 150 fr. le traitement des messagers de la cour d'appel, et qu'ils auront lieu d'être satisfaits.

En conséquence, comme il y a 7 messagers dans les trois cours d'appel, je demande que le chiffre de cet article soit augmenté de 1,050 fr.

M. Rodenbach. - A propos du crédit pétitionné pour les cours d'appel, je me permettrai de renouveler l'observation faite par un honorable député de Bruxelles, M. Verhaegen, dans l'une des dernières séances. Il s'agissait de l'arrêté-loi de 1814 sur les sursis.

On est généralement d'accord dans le public qu'on en abuse, qu'on n'accorde pas seulement des sursis dans les cas de sinistres commerciaux, mais qu'on étend même aux matières civiles les dispositions relatives aux sursis. Je connais de petits rentiers qui, parce qu'un a accordé des sursis en matière civile, sont dans un état pitoyable, n'ont pas même de quoi vivre.

En matière de commerce, dans un moment de crise financière comme nous en avons une maintenant, il est nécessaire que le gouvernement vienne au secours des négociants malheureux.

Mais on va trop loin. Je sais parfaitement que ce ne sont pas les cours d'appel qui statuent, qu'elles donnent seulement leur avis et n'accordent que des sursis provisoires. Mais encore faut-il s'en occuper. Je prie M. le ministre d'examiner sérieusement cette question. J’appuie ce qu'a dit l'honorable M. Verhaegen sur cet objet. Je prie le gouvernement de s'en occuper. Le public s'en occupe infiniment. C'est une question tout à fait à l'ordre du jour. L'opinion générale est qu'il y a abus.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je reconnais avec l'honorable préopinant combien il est nécessaire de réviser notre législation sur les sursis. Déjà, comme j'ai eu l'honneur de le dire, mon honorable prédécesseur avait fixé son attention sur cette question, en même temps que sur la nécessité de réviser le titre du code de commerce, « les faillites et banqueroutes ». Une commission a été nommée l'année dernière pour s'occuper de ce projet ; elle a fait un travail extrêmement remarquable sur les trois objets très importants dont elle était saisie, et qui ont entre eux une connexité évidente, savoir les faillites et banqueroutes, les sursis et l'organisation des tribunaux de commerce.

Ce travail a été transmis aux cours et tribunaux et aux universités. Quelques-uns des corps judiciaires ont envoyé leurs observations, les autres se sont excusés de ne pouvoir le faire à cause de l'importance de leurs travaux.

Lorsqu'il a été question de cet objet dans cette enceinte, par suite de la motion qu'avait faite l'honorable M. Verhaegen, l'honorable M. d'Anethan avait appelé mon attention sur la convenance de saisir la chambre d'une proposition spéciale relative au sursis, en raison du temps considérable qu'exigerait l'examen du projet de loi dont je viens de parler. J'ai soumis immédiatement cette observation à la commission, auteur du projet ; je dois dire que le rapport qu'elle m'a fait est négatif. La commission a pensé que la question des sursis se rattachait si intimement à la révision complète de la législation sur les faillites et banqueroutes et sur l'organisation des tribunaux de commerce, qu'il était impossible de détacher le titre des sursis.

Sur de nouvelles observations qui m'ont été faites, j'ai prié la commission de se réunir une seconde fois et d'examiner s'il n'était pas possible dans son opinion de faire pour les sursis un projet provisoire, sauf à réviser définitivement cette partie de la législation lorsque la chambre s'occuperait de tout le projet, et à modifier ultérieurement, s'il était nécessaire, la loi votée, laquelle aurait toujours amélioré provisoirement ce qui existe. J'espère faire connaître prochainement à la chambre l'opinion de la commission. Je crois pouvoir dire qu'il serait possible de présenter un projet de loi partiel rédigé dans le sens que je viens d'indiquer.

(page 577) M. Lebeau. - Si la révision de la législation sur les sursis marche avec la rapidité de la révision du Code pénal, nous pouvons espérer la discuter en 1860 ou 1865. (Interruption.)

J'ai demandé la parole pour appeler encore quelques instants l'attention de la chambre sur les observations que j'ai présentées tout à l'heure. Je tiens beaucoup à dégager la responsabilité du cabinet auquel j'ai eu l'honneur d'appartenir, quant aux reproches qui sont journellement adressés à la législation pénale de la Belgique.

Dans cette enceinte et ailleurs, j'ai entendu dire que le Code pénal de 1810, le Code impérial, qui est le droit commun de la Belgique, est un véritable anachronisme en présence de nos institutions.

Je tiens à saisir toutes les occasions de dégager ma responsabilité comme ayant été membre du gouvernement à l'époque où le projet de révision a été soumis aux délibérations de la chambre ; il y a de cela 14 ans. Cela vous prouve combien sont illusoires les projets de réformes radicales. A cette époque, on demandait la révision non seulement du Code pénal, mais même du Code civil. Si le gouvernement avait cédé à ce besoin exagéré de réformes, je vous demande où nous en serions aujourd'hui !

Je n'attache pas au projet que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre en 1834 un amour-propre d'auteur ; il me suffit d'entendre dire à M. le ministre de la justice que ce projet ne sera pas perdu de vue, qu'il pourra y puiser les éléments de réformes partielles, pour que je n'insiste pas plus longtemps, pourvu qu'on s'en souvienne.

Je parlerai d'un autre projet : celui relatif à la composition des cours d'assises. Quoiqu'il ait été frappé de la même réprobation, on ne peut y opposer la même résistance : car il consiste en trois articles ; il ne pourrait donc occuper longtemps la chambre. Un rapport, à ce que j'apprends, a été déposé ; je demande qu'il soit mis à l'ordre du jour aussitôt que les objets les plus urgents dont la chambre a à s'occuper auront été examinés.

J'entendais parler tout à l'heure de la nécessité, non seulement d'augmenter le personnel des tribunaux de première instance, mais encore de maintenir dans une cour d'appel un surcroît de personnel qui n'avait été demandé par le gouvernement et accordé par les chambres que provisoirement.

Le projet dont je parle, et qui consiste en trois articles, aurait pour résultat de rendre possible la diminution du personnel de certaines cours d’assises sans nuire à l'expédition des affaires, car il détournerait beaucoup moins les conseillers des cours d'appel de leurs fonctions habituelles pour les transformer en juges de cours d'assises ; et de plus il ferait cesser une anomalie qui a été plusieurs fois signalée dans cette enceinte, à savoir que les justiciables des cours d'assises qui siègent aux chefs-lieux des cours d'appel sont jugés, en ce qui concerne l'application des peines et la direction de l'instruction, par des conseillers de cours d'appel, tandis que dans les chefs-lieux de province qui ne sont pas chefs-lieux de cours d'appel, ils sont jugés par des juges de première instance. Il me semble qu'il y a quelque chose d'anormal à ce que tous les citoyens ne soient pas, quant à la garantie d'une bonne justice, placés sur la même ligne. J'ai déjà signalé cette anomalie à la chambre, et le projet auquel je fais allusion a pour but de la faire disparaître.

Je pense donc qu'ultérieurement ce ne sera pas en vain que je demanderai à la chambre de fixer le projet à son ordre du jour, et j'apprends avec plaisir que je puis probablement compter sur l'appui de M. le ministre de la justice.

(page 567) M. d’Anethan. - Messieurs, comme je l'ai dit tout à l'heure, le projet de loi sur les cours d'assises a été l'objet d'un rapport fait par l'honorable M. Liedts. L'année dernière, un honorable membre de cette assemblée, l'honorable M. Castiau, je crois, en avait demandé la mise à l'ordre du jour, et étant alors au ministère, je ne me suis nullement opposé à cette proposition. La chambre, je ne sais plus par quel motif, n'a pas cru devoir l'adopter.

Si l'honorable préopinant renouvelle cette proposition, je serai le premier à l'appuyer. Je pense aussi qu'il faut en finir de cette question.

Mais je désirerais savoir si M. le ministre de la justice ne croît pas convenable de joindre à ce projet de loi quelques autres dispositions qui auraient pour objet d'apporter des modifications au Code d'instruction criminelle et qui ne pourraient réellement faire l'objet d'aucune difficulté. Il y a plusieurs articles du Code d'instruction criminelle qu'il est indispensable de modifier, et sur la modification desquels je pense que tous les jurisconsultes, que tous les magistrats sont parfaitement d'accord.

A l'aide des amendements que M. le ministre de la justice pourrait nous apporter lors de la discussion du projet préparé par l'honorable M. Lebeau, on atteindrait ce résultat très important d'arriver à une première modification du Code d'instruction criminelle.

Je pense que ces modifications sont infiniment plus urgentes que les modifications à apporter au Code pénal. Car le Code pénal, qu'on ne l'oublie pas, n'est pas resté stationnaire depuis 1830 ; il a été modifié par plusieurs lois successives. D'ailleurs l'honorable M. Lebeau n'ignore pas qu'il existe des arrêtés de 1814 et de 1815 qui permettent aux juges de modifier les pénalités, de comminer des peines même en dessous des peines correctionnelles. La grande rigueur du Code pénal n'est donc plus à craindre comme si ces arrêtés auxquels je fais allusion n'existaient pas.

Messieurs, j'ai appris avec plaisir de la bouche de M. le ministre de la justice qu'il insisterait auprès de la commission qui s'était occupée de la révision de la législation sur les faillites et les sursis, pour en obtenir un travail spécial relatif aux sursis. Je ne doute pas que cette commission, composée des jurisconsultes les plus distingués, ne puisse produire un projet au moins provisoire qui soit de nature à faire cesser l'état fâcheux dans lequel on se trouve aujourd'hui, et j'espère que M. le ministre de la justice fera tous ses efforts pour que ce travail marche avec activité.

Encore un mot, messieurs, relativement aux observations qu'a présentées l'honorable M. de Garcia. Je veux parler de l'ordonnance de 1669 relativement aux bois et forêts. La cour de cassation, après avoir reconnu pendant assez longtemps qu'en vertu du code de brumaire an IVv, l'ordonnance de 1669 avait été suffisamment publiée en Belgique, vient de changer sa jurisprudence. Il en résulte que les bois et forêts sont sans législation spéciale, et que la conservation des bois peut ainsi courir des dangers, en l'absence d'une législation suffisamment répressive.

M. le ministre de la justice vient de nous dire que la commission qui a été instituée ne pourra lui communiquer son travail pendant cette session. Je le regrette. Je demande s'il n'y a pas de grands inconvénients à laisser les bois dans la situation où ils sont aujourd'hui, en l'absence de toute législation spéciale, et si, de même que pour les sursis, on ne pourrait pas nous soumettre un projet provisoire, ne serait-il pas convenable de maintenir provisoirement l'ancienne législation qu'avait admise la jurisprudence ? Un article ne pourrait-il pas se borner à dire que provisoirement l'ordonnance de 1669 est applicable à la Belgique ?

Je pense qu'un pareil projet, qui ne préjugerait en rien toutes les questions que soulève la législation forestière, comblerait une lacune qui serait déplorable, si elle devait durer longtemps.

M. de Brouckere. - La plupart des orateurs qui ont parlé dans cette discussion ont insisté sur la nécessité de réviser noire Code pénal. Je partage entièrement leur opinion, et je reconnais avec eux que notre Code pénal n'est plus en harmonie ni avec nos mœurs ni avec nos institutions.

Mais il y a beaucoup plus d'urgence encore à réviser nos lois pénales (page 568) militaires. Ces lois sont une excitation perpétuelle au crime, une excitation perpétuelle à la désertion.

Je n'entrerai pas dans de grands développements pour démontrer la vérité de cette assertion, parce que ces développements pourraient prolonger outre mesure la discussion qui a déjà été assez longue. Mais je demanderai la permission à la chambre de lui indiquer quelques chiffres qui lui feront voir jusqu'à quel point ce que je viens de dire est exact.

La population moyenne des maisons centrales de détention civile a été en 1845 de 3,500 condamnés ; elle a été en 1846 de 3,700. Ajoutez a ces chiffres quelques individus qui se trouvent momentanément dans les autres prisons du pays et l'on peut estimer pour 1845 et 1846 le nombre des individus condamnés à 4,000. Cela fait un individu par 1,000 habitants en supposant que la population ne soit que de quatre millions.

Eh bien, en 1845 la maison de détention militaire d'Alost a renfermé terme moyen, 1,189 condamnés, et en 1846, 1,087. C'est-â-dire qu'en estimant l'armée à 25 ou 28,000 hommes, cela fait 4 condamnés sur 100. Ainsi il y a une condamnation civile sur 1,000 individus, et il y a une condamnation militaire sur 25.

Je crois que ces chiffres en disent plus que ne pourraient le faire tous les raisonnements.

Du reste, quand nous examinerons cette question plus à fond, et je crois que le moment en sera venu, quand nous discuterons le prochain budget de la guerre, je démontrerai à toute évidence que les chiffres que je viens de faire connaître à la chambre sont le résultat immédiat des vices que présente la législation militaire.

M. Tielemans. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une observation sur la législation forestière. Il existe, dans ce moment, une jurisprudence nouvellement introduite par la cour de cassation, qui établit que la loi de 1669, sur les eaux et forêts, n'est applicable aux délits forestiers qu'autant que les dispositions de celle loi auraient été publiées.

L'honorable M. de Garcia a appelé l'attention de M. le ministre de la justice sur cette nouvelle jurisprudence ; M. le ministre de la justice lui a répondu par la promesse d'une loi forestière ; mais, si cette loi forestiers vient après toutes celles dont on vient de parler, elle pourra bien arriver en 1870.

L'honorable M. d'Anethan a trouvé un moyen plus commode, ce serait d'introduire, par une loi nouvelle, une seule disposition pour faire rentrer la cour de cassation dans sa jurisprudence antérieure. Je crois, messieurs, qu'une pareille manière de procéder n'est pas tout à fait dans les usages de la chambre ; mais la question, pour moi, est encore bien plus simple que pour M. d'Anethan, et je vous demande la permission, messieurs, de vous dire deux mots à cet égard.

Le Code du 3 brumaire an IV contient une disposition portant qu'en matière forestière on appliquera aux crimes et délits les dispositions de la loi de 1669. Le Code du 3 brumaire ayant été publié dans notre pays, le gouvernement français fit publier quelques dispositions pénales de la loi de 1669 ; il a eu tort, selon moi, de ne pas faire publier toutes les dispositions pénales de cette loi ; il y était obligé par le Code du 3 brumaire an IV.

La question se réduit donc aujourd'hui à savoir si, par une simple disposition du gouvernement et sans l'intervention de la législature il ne serait pas possible de faire publier dans notre pays les dispositions de la loi de 1669 que l'on a négligé de publier après le Code du 3 brumaire an IV. Pour moi je n'ai aucun doute sur la légalité d'une semblable mesure.

Le Code du 3 brumaire an IV, dans son article 609, continue d'être obligatoire ; c'est en vertu de cet article que s'appliquent les dispositions déjà publiées de la loi de 1669. Or, si le gouvernement a laissé une lacune dans la publication de cette loi, il peut aujourd'hui remplir cette lacune, comme il le pouvait après la publication du Code du 3 brumaire an IV.

M. de Man d’Attenrode. - L'honorable M. de Brouckere vient d'entretenir la chambre de la nécessité de réviser le code pénal militaire. Il y a déjà 6 ou 7 ans que l'honorable président qui occupe en ce moment le fauteuil, et, après lui l’honorable M. de Mérode, ont insisté sur cette nécessité. A la suite de leurs interpellations, l'honorable M. Dupont, alors ministre de la guerre, a présenté un projet de révision du code dont il s'agit ; j'ai l'honneur de faire partie de la section centrale chargée de l'examen de ce projet, et c'est afin d'instruire la chambre de ce qui est avenu de son travail, que j'ai demandé la parole.

Pendant que la section centrale s'occupait de l'examen du projet présenté par le général Dupont, il survint une modification du cabinet ; l’honorable M. Malou, qui avait été chargé de faire le rapport, fut nommé ministre ; le nouveau ministre de la guerre demanda à revoir le projet. Cette révision prit beaucoup de temps, parce que le ministre de la guerre voulut s'entendre avec celui de la justice.

Enfin, voilà deux mois que le projet a été renvoyé à l'honorable général Chazal, qui compte encore le modifier. Je ferai, messieurs, tout ce que je pourrai pour presser l’examen de ce projet dont je sens toute l'urgence, aussi bien que l'honorable M. de Brouckere ; car c'est réellement une chose déplorable que de voir, sur une armée de 28 à 30,000 hommes, 1,200 à 1,400 hommes emprisonnés à Alost. Ces hommes s'y dégradent car on ne passe pas quelques mois en prison sans que la moralité n'en soit plus ou moins atteinte.

Ensuite cet état de choses impose au trésor public des dépenses considérables et d'autant plus regrettables qu'elles n'amènent aucun résultat utile.

M. de Garcia. - Je dois dire quelques mots, messieurs, relativement à l'idée qui vient d'être émise par l'honorable M. Tielemans. Je craindrais que l'autorité que doit avoir ce magistrat ne pût conduire le gouvernement à publier la loi dont il s'agit, l'ordonnance de 1669, sans loi et sans examen préalable des corps législatifs.

Messieurs, ce qui n'a pas été publié de cette loi, n'existe pas suivant la dernière jurisprudence de la cour de cassation, et dès lors ne peut pas exister sans notre concours. Si vous admettiez le système indiqué par mon honorable collègue, il dépendrait du gouvernement de rendre vie à une foule de lois anciennes qui n’existent plus. J'invite donc le gouvernement à porter une attention toute sérieuse sur ce qu'il est opportun de faire à cet égard.

Quant à moi, je crois que les articles de l'ordonnance de 1669, avant de pouvoir être publiés, et avant d'obtenu force de loi, doivent être soumis à la législature. Outre la régularité des principes, une autre considération me porte à insister sur ce point. Messieurs, tout le monde connaît cette loi et les peines exorbitantes, et je dirai atroces, qu'elle commine. Ces peines sont tout à fait en désaccord avec toutes celles établies par nos lois actuelles, et peuvent entraîner la ruine complète des malheureux qui peuvent y être soumis.

Je n'en dirai pas davantage à ce sujet ; mais je me réserve de présenter quelques autres observations lorsque nous serons arrivés aux articles qui concernent la justice militaire.

M. Tielemans. - Messieurs, l'honorable M. de Garcia a fait à l'idée que j'ai présentée tout à l'heure deux objections. Il a dit que, si l'on suivait ce système, on pourrait ressusciter toutes les anciennes lois, sans l'intervention de la législature. Mais l'honorable membre perd de vue qu'il existe ici une disposition préalable qui est toujours en vigueur et qui ordonne la publication des dispositions pénales de l'ordonnance de 1669), c'est l'article 609 du Code du 3 brumaire an IV. C'est en vertu de cette disposition que, jusqu'au changement de jurisprudence qui est survenu récemment, on a toujours appliqué les dispositions pénales de l'ordonnance de 1669 ; il s'agit uniquement de continuer ce système en faisant disparaître l'objection que la cour de cassation a tirée du défaut de publication des dispositions dont il s'agit.

La deuxième objection de l'honorable M. de Garcia, c'est que les peines de l'ordonnance de 1669 sont atroces, sont des peines de sang. Mais l'honorable M. de Garcia sait très bien que, dans la jurisprudence actuelle, ou n'applique pas les dispositions dont il parle, qu'on n'applique les peines de l'ordonnance de 1669 qu’autant qu’elles soient en harmonie avec le système du Code pénal de 181U.

Ainsi, par exemple, il est beaucoup de dispositions dans l'ordonnance de 1669, qui punissent de peines exemplaires. Eh bien, ces dispositions ne s'appliquent pas, parce que ces peines ne sont pas comprises dans le Code pénal de 1810. En deux mots, il ne s'agirait que de publier les dispositions de l'ordonnance que la cour de cassation a toujours appliquées, jusqu'au moment où elle a décidé, l'année dernière, que ces dispositions n'étaient plus applicables, faute de publication.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les observations que vient de faire l'honorable M. Tielemans méritent une attention sérieuse, et je promets d'en faire un prompt examen. Je ne puis me prononcer immédiatement sur la question fort grave de savoir si le gouvernement a le droit de publier certaines dépositions de l'ordonnance, en se basant sur le code des délits et des peines de l'an IV.

Messieurs, on a dit que dans ce moment les bois et forêts sont livrés à la dévastation. Cela est tout à fait exagéré. D'abord, la cour de cassation n'a pas fait table rase, plusieurs parties importantes de l'ordonnance de 1669 avaient été publiées par des décrets et arrêtés dont la légalité n'est pas contestée.

Il y a évidemment lacune ; et il faut qu'on y pourvoie le plus tôt possible ; mais il ne résulte pas de cette lacune les graves inconvénients qu'on a signalés, et je crois que tous les membres de cette chambre qui sont le plus en position de connaître ce qui se passe dans nos bois et forêts, n'ont pas entendu dire que, depuis la nouvelle jurisprudence de la cour de cassation, on ail eu à se plaindre de graves désordres.

M. le président. - M. le ministre de la justice propose une majoration de 1,050 fr. pour les messagers des cours d'appel ; ce qui porte le chiffre à 622,850 francs.

M. d’Anethan. - Je voudrais que dans le libellé on comprît les messagers du parquet.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il n'y a pas de libellé ; l'augmentation ne concerne pas les messagers du parquet ; ils ont déjà obtenu une augmentation de traitement.

- Le chiffre de 622,850 fr. et mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Cour d'appel. Matériel : fr. 18,000. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Tribunaux de première instance et de commerce. »

M. le président. -Il y a ici une augmentation de 7,060 fr., ce qui porterait le chiffre à fr. 1,076,125 »

M. de Liedekerke. - Je désire savoir si M. le ministre de la justice compte faire un accueil bienveillant à cette pétition qui lui a été (page 569) adressée, en date du 10 décembre 1847, par le tribunal de Dinant, afin d'être élevé de la quatrième classe à la troisième. Si la réponse de M. le ministre était favorable, je n'abuserais pas davantage des moments de la chambre, et je me dispenserais de lui soumettre quelques chiffres qui prouverait jusqu'à quel point la demande du tribunal de Dinant est fondée, et combien sont irrécusables les motifs sur lesquels il l'appuie.

M. de La Coste. - Messieurs, le tribunal de Louvain s'est plusieurs fois adressé soit au gouvernement, soit aux chambres, pour démontrer l'insuffisance de son personnel. D'autres tribunaux ont fait des réclamations analogues, et plusieurs ont obtenu de la chambre la justice qu'ils en attendaient. Le gouvernement avait fait une proposition dans le même sens en faveur du tribunal de Louvain ; elle a été examinée dans les sections, mais jusqu'à présent la section centrale n'a pas fait son rapport.

Il faut le dire, messieurs, ce rapport ne nous promettait aucun résultat, si nous n'avions l'espérance que M. le ministre de la justice partage l'opinion que des collègues et moi nous avons souvent développée dans cette enceinte, sur la nécessité de cette augmentation ; nous ne pouvons nous flatter qu'elle ait lieu qu'autant que M. le ministre de la justice veuille bien prêter à cette juste réclamation l'appui de son expérience, de son talent et de l'influence que lui donne sa haute position. C'est pourquoi, sans renouveler les observations qui ont été présentées plusieurs fois dans la chambre sur cet objet, je me bornerai à demander que M. le ministre de la justice veuille bien faire connaître ses intentions, ses vues à cet égard.

M. Pirson. - Je m'associe entièrement aux observations qui viennent d'être présentées par notre honorable collègue, M. le comte de Liedekerke. Déjà à plusieurs reprises, j'ai réclamé contre la classification actuelle des tribunaux de première instance, et j'ai fait ressortir plusieurs des anomalies qu'elle présente. Il est incontestable que le tribunal de Dînant n'occupe pas le rang auquel il a des droits réels, le rang qui lui est dû. La classification des tribunaux a été principalement déterminée d'après l'importance des localités et le nombre des affaires à juger. La question examinée sous ce double point de vue démontre à l'évidence que le tribunal de Dinant aurait dû être porté à la troisième classe, les statistiques administratives et judiciaires sont là pour le prouver. Je me joins donc à l’honorable comte de Liedekerke, pour prier M. le ministre de la justice d’examiner s'il n'y aurait pas lieu, pour certains tribunaux, de modifier la classification actuelle des tribunaux de première instance.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Les observations que viennent de faire les honorables députés de Dinant et l'honorable M. de La Coste sont semblables à celles qui avaient été présentées dans la discussion générale par l'honorable député de Turnhout, .M. Albéric Dubus. Je sais que depuis plusieurs années, à chaque discussion du budget de la justice, de semblables réclamations sont adressées à la chambre ; mais c'est lors de la discussion de la loi concernait les traitement de l'ordre judiciaire, qu'elles auraient dû se produire.

Un membre. - Elles l'ont été.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je sais qu'elles ont été produites et qu'elles ont été rejetées par la chambre.

Mon honorable prédécesseur a combattu le système de trois classes de tribunaux, il a été d'avis de maintenir quatre classes. Je ne partageais pas cette opinion. Rapporteur de la loi au sénat, j'ai fait quelques efforts pour tenter de réduire à trois le nombre des classes des tribunaux ; mais en présence du projet de loi adopté par la chambre, le sénat n'a pas cru devoir admettre d’amendement. Il avait été entendu que des demandes partielles pourraient être faites quand il y aurait des motifs convenables joue faire passer un tribunal d'une classe à une classe supérieure. Je crois que la convenance de cette élévation de classe existe pour quelques tribunaux.

J'examinerai cette question, surtout quant aux tribunaux dont on a parlé et auxquels on pourrait associer celui de Charleroy qui aurait aussi des droits à la même faveur.

Mais vous savez qu'il y a là une question d'argent, qu'un ne peut pas faire droit à ces réclamations, sans une augmentation de dépense assez considérable ; je ne pense pas que le moment soit favorable pour soumettre une semblable demande à la chambre.

J'engagerai donc les honorables membres à vouloir ajourner leurs réclamations.

Quant à Louvain, la chambre est saisie d'une proposition tendant à augmenter le personnel de son tribunal. Les rapports que je reçois sur l’administration de la justice dans l’arrondissement de Louvain sont de telle nature qu'il est urgent que la chambre veuille s'occuper de ce projet le plus tôt possible.

L'honorable M. de La Coste a désiré connaître mon opinion sur ce projet. J'ai sous les yeux un tableau de tous les projets de loi émanés de mon département, ils sont au nombre de 29, plus dix autres qui sont en ce moment élaborés par différentes commissions ; parmi ces projets se trouve celui concernant les tribunaux de Mons et de Louvain, et j'ai écrit en marge : Maintenir ces projets dont l’utilité m'est démontrée.

L'honorable membre peut voir par là que mon intention est. de le soutenir, d'en presser la mise à l'ordre du jour. Mais jusqu’à présent, il est encore en section centrale et je ne pense pas que le rapport ait été déposé.

- L'article 5 est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. Justices de paix et tribunaux de police : fr. 558,900. »

M. le président. - M. le ministre, en exécution de diverses lois, a proposé une augmentation admise par la section centrale, qui porte ce chiffre à 563,140 fr.

M. de La Coste. - Je me permettrai d'adresser encore une question à M. le ministre de la justice, en le priant d'y répondre, pour autant qu'il ait examiné la chose.

J'ai vu une polémique assez vive dans une partie de la presse, au sujet de savoir si on réunirait de nouveau à l'arrondissement de Louvain certaines communes qui en ont été détachées sous le gouvernement des Pays-Bas, disposition qui avait été prise par suite des mesures relatives à l'usage de la langue flamande. Il semblerait qu'on voulut faire de cette question une question de parti, une question électorale ; ce ne doit être à mes yeux qu'une question d'utilité pour les habitants.

Je n'ai pas l'intention d'entrer, pour le moment, dans le fond de la question ; je sais d'ailleurs qu'outre le point de vue d'utilité, qui est le véritable et le principal, il y a quelques difficultés d’exécution qui environnent la question et qu'on ne peut perdre entièrement de vue.

Je demanderai seulement à M. le ministre s'il s'est occupé de cet objet et si le gouvernement a médité quelque projet qu'il se propose de présenter à la chambre à cet égard.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai connaissance des réclamations faites à l'effet de rétablir les anciennes démarcations des arrondissements de Nivelles et de Louvain, dont quelques communes avaient été respectivement distraites à cause de la langue flamande. Je ne puis pas dire que le gouvernement se soit encore occupé de cette réclamation. Elle sera instruite et examinée, l'honorable membre sait que ces changements de démarcation d'arrondissement sont assez graves, qu'ils ont des conséquences très importantes pour les impôts, le régime hypothécaire et les élections : tout cela sera examiné avec soin, avec maturité ; et je puis assurer à l'honorable membre que l'examen aura lieu au point de vue de la bonne administration et non des intérêts de parti auxquels il a fait allusion.

- L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Article premier

« Art. 1er. Haute cour militaire. Personnel : fr. 65,800. »

M. de Garcia. - Depuis longtemps j'ai signalé la nécessité de réviser les lois de la justice militaire. Ce devoir ne nous est pas seulement imposé par la Constitution comme chose utile ; mais les principes de nos institutions politiques exigent encore impérieusement cette révision. Les lois militaires existantes ne sont nullement en harmonie avec les principes consacrés par la Constitution. A ce dernier point de vue, la révision que je n'ai cessé de réclamer depuis que je siège dans cette assemblée devrait avoir un sort plus heureux que les nombreuses révisions sollicitées depuis 1830.

Je crains qu'il n'en soit pas ainsi et que, comme beaucoup d'autres, mes réclamations ne restent stériles. Cependant je vois avec plaisir que les vœux que j'ai exprimés à toutes nos sessions depuis 1839 ont été manifestés cette année par plusieurs des sections de la chambre.

La révision que j'ai sollicitée serait-elle environnée de tant de difficultés qu'on n'osât l'aborder ? Je ne puis le croire.

Cette révision des lois militaires ne m'a jamais paru présenter les obstacles qu'on semble redouter. Qu'il me soit permis d'indiquer à ce sujet quelques idées générales.

Reconnaissons d'abord que tous ceux qui font partie de nos armées restent citoyens. Ce point admis, je considère comme étant un corollaire nécessaire de cette vérité, la nécessité de rendre à la justice commune la connaissance de tous les crimes et délits. Je pourrais, par divers exemples, prouver que cette matière ne peut présenter aucun inconvénient, et elle aurait l'avantage de diminuer singulièrement la besogne des juges militaires : ces derniers n'auraient plus à connaître que des délits et des crimes militaires.

Selon moi, cette première réforme nous est imposée par les principes posés dans notre Constitution, et nous conduirait en outre à des économies assez notables.

En effet, en limitant la juridiction militaire à la connaissance des seuls délits militaires, on pourrait se borner à avoir des conseils de guerre, qui décideraient en dernier ressort, sauf le recours en cassation.

Il n'y a rien là qui doive effrayer ; car les conseils du guerre constituent de véritables jurys ; or, les jurys des cours d'assises statuent en dernier ressort, sauf le recours en cassation. Ces militaires jugés par un véritable jury, le conseil de guerre survient donc dans la même position que tous les citoyens qui jouissent de cette juridiction. Sous ce rapport, ou doit le reconnaître, les intérêts de leur défense ne seront pas plus compromis que ceux des autres citoyens.

Cette dernière réforme amènerait une économie considérable, puisqu'elle entraîne la suppression de la haute cour militaire : mais je m'empresse d'ajouter que, dans ma pensée, l’on doit respecter les positions acquises, et que les membres qui composent ce corps de justice devraient conserver leurs traitements leur vie durant, ou au moins jusqu'au moment de leur mise à la pension.

Au surplus, si nous voulons des économies, il faut en créer le germe ; il ne faut surtout pas perpétuer indéfiniment un système qui rend dorénavant impossible tout espoir de réduction dans les dépenses de l'Etat.

(page 570) Nul ne peut le méconnaître, en entrant dans le système que j'indique on réaliserait de grandes économies, si pas dans le moment actuel, au moins dans l'avenir.

Je désire donc ardemment qu'on aborde franchement et avec un esprit d'ensemble la révision de toutes nos lois militaires, Code pénal et Code d'instruction. J'ai vu avec regret que M. le ministre de la justice ait à cet égard fait à la section centrale une réponse évasive, en parlant de projet, d'avant-projet même, qui n'ont pas encore été soumis à la chambre, et sur lesquels M. le ministre ne se prononce en aucune manière. J'aurais voulu que M. le ministre se prononçât sur les principes qui dirigeront le gouvernement en cette matière importante.

M. le ministre a bien dit que, dans sa pensée, la révision sollicitée devait avoir lieu en commençant par le Code pénal militaire.

D'après les observations que je viens de présenter, il est pourtant indispensable pie le Code pénal et le Code d'organisation de la justice militaire soient conçus dans un travail d'ensemble.

Je désire que le gouvernement prenne ces observations en considération.

Du reste, je ne puis avoir la prétention d'exiger que M. le ministre nous fusse connaître dès à présent ses vues sur l'importante matière dont nous nous occupons.

Je dois reconnaître qu'il est impossible que son opinion soit définitivement arrêtée sur cet objet important. Mais j'ai confiance dans sa science, dans son talent, et j'espère que l’an prochain il pourra nous déclarer d'une manière nette et positive les principes qui le dirigeront dans la révision de la justice militaire en nous présentant des projets de loi.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable préopinant vient de renouveler le vœu qui a été émis dans plusieurs sections de cette chambre, de voir présenter un projet de loi sur l'organisation de la justice militaire. Je m’empresse de reconnaître l'utilité et l'importance de cette organisation.

A diverses reprises et dans une autre enceinte, j'ai souvent appelé l'attention du gouvernement sur cet objet. Mais je pense qu'il conviendrait avant que la législation pénale militaire ne fut fixée, de voler la loi de réforme du Code pénal militaire dont elle est saisie, et dont l'honorable M. de Brouckere l'a entretenue tout à l'heure.

Il est possible et même fort probable que le nouveau Code pénal militaire sera de nature à exercer une grande influence sur les bases mêmes de l'institution de la haute cour militaire, si toutefois on juge convenable de la maintenir. Pour le moment, le gouvernement ne pense pas qu’il doive se préoccuper de cette question ; il se borne à prier la chambre de vouloir examiner le plus tôt qu'elle pourra le projet qui lui a été présenté concernant la révision du Code pénal militaire.

A cet égard, l'honorable M. de Brouckere a cité des faits et des chiffres qui ne laissent aucun doute sur l'urgence de s'occuper de ce projet, même avant la réforme du Code pénal ordinaire.

Au point de vue si important des économies, une révision est urgente ; car la prison d'Alost, encombrée de prisonniers militaires, est pour l'Etat une source de dépenses considérables qui seraient extrêmement réduites, si la réforme projetée pouvait être mise à exécution.

Aussitôt que cette réforme aura été établie, la chambre peut être certaine que le gouvernement se livrera immédiatement à l'étude du projet d'organisation.

Vous savez, messieurs, qu'il y a plusieurs systèmes. Les uns veulent maintenir la haute cour militaire en déférant seulement ses arrêts à la cour de cassation, dans le but de maintenir l'unité dans l'application de la loi. D'autres voudraient adopter le système français des conseils de guerre et de révision.

Il y a enfin un autre projet consistant à soumettre le jugement des crimes et délits aux cours d'appel, composées d'une manière différente par l'adjonction de quelques membres appartenant à l'armée. Tous ces systèmes feront l'objet de l'examen sérieux du gouvernement. Mais il croit que préalablement il serait nécessaire que le projet de loi dont la chambre est saisie fût discuté et voté.

- L'article premier est adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Haute Cour militaire. Matériel : fr. 5.,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Auditeurs militaires et prévôts : fr. 41,253. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de justice

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Frais d'instruction et d'exécution : fr. 779,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Indemnité pour le greffier de la cour de cassation, à charge de délivrer gratis toutes les expéditions et écritures réclamées par le procureur général et les administrations publiques : fr. 1,000. »

- Adopté.

Chapitre V. Palais de justice

Article unique

« Article unique. Constructions, réparations, loyer de locaux : fr. 75,000. »

M. d’Anethan. - Messieurs, à l'occasion de ce chiffre relatif aux palais de justice, je dois demander à M. le ministre s'il a adopté, ou du moins s'il s'est occupé d'un plan qui avait été, il y a quelques mois, soumis au gouvernement pour la reconstruction du palais de justice de Bruxelles.

Nous savons tous que le palais de justice de Bruxelles est dans l'état le plus déplorable, que véritablement il ne mérite plus le nom de palais.

En 1840, le local actuel a été examiné, à la demande de l'honorable M. Leclercq, alors ministre de la justice, par des architectes, pour s'assurer s'il pouvait encore subsister pendant quelque temps. Les architectes ont déclaré à M. Leclercq que ce palais pouvait encore subsister pendant une quarantaine d'années, je pense, sans aucune espèce de danger, et d'après cette assurance qui avait été donnée à l'honorable M. Leclercq, on abandonna bien malheureusement le projet de construire un bel édifice aux environs de la porte de Namur.

Par suite de nouvelles plaintes qui m'avaient été adressées, par suite de renseignements nouveaux qui m'étaient parvenus, j'avais fait une seconde fois visiter le palais de justice par des architectes, et leur déclaration était en tous points contraire à celle qui avait été précédemment faite.

D'après les derniers renseignements qui avaient été fournis au gouvernement, il semblait résulter qu'il y avait du danger notamment à conserver les archives dans le local actuel.

Un plan avait été soumis au gouvernement, et, d'après ce plan, on pouvait commencer les constructions sur l'emplacement actuel, tout en maintenant provisoirement les locaux existants. Une commission, composée non seulement de gens de l'art, mais de magistrats et de M. le bourgmestre de Bruxelles, a été réunie et avait reconnu qu'il y avait possibilité de mettre ce plan à exécution sans déplacer, au moins momentanément, la magistrature.

Ce plan a été communiqué à l'administration provinciale. Celle-ci, aux termes de la loi provinciale, est tenue de fournir un local pour le tribunal de commerce. Or le local existant aujourd'hui est mauvais, est insuffisant, et la province a senti la nécessite d'en construire un nouveau.

Mais avec beaucoup de raison, le conseil provincial de Brabant ne voulait faire construire ce bâtiment que d'après un plan d'ensemble, de manière que les constructions pour le tribunal de commerce pussent être coordonnées avec les constructions des autres bâtiments destinés aux autres tribunaux, à la cour d'appel et à la cour de cassation.

Ce plan, qui avait été soumis au gouvernement, a donc été envoyé à la province et le conseil provincial a adopté ce plan, je pense, en ce qui concerne au moins les constructions à faire par la province ; il a voté une somme de 60,000 fr. pour les premières constructions à faire pour le bâtiment destiné au tribunal de commerce. Ce bâtiment serait construit dans une des cours du palais actuel et se relierait au nouveau local de la cour d'assises.

Je désire savoir si M. le ministre de la justice a l'intention de donner suite à ce projet. Je l'engage fortement à ne pas abandonner l'idée de faire, sur l’emplacement du local actuel, de nouvelles constructions et de faire disparaître l'inconvénient grave de laisser la magistrature dans un local aussi peu convenable pour sa dignité.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai connaissance du plan dont vient de parler l'honorable M. d'Anethan. Il existe, en effet, un plan dressé par les soins de M. l'architecte Spaak et d'une commission nommée par mon honorable prédécesseur, pour la reconstruction du palais de justice de Bruxelles.

Plus que personne je désirerais que ce projet pût très-prochainement être mis à exécution Je connais l'étal déplorable de ce palais de justice» auquel on ne peut même plus donner ce nom. Car, dans plusieurs de ses parties, c'est un véritable bouge, qui n'est pas digne des magistrats qui l'occupent.

Messieurs, cette question, vous le savez, est encore une question d'argent. La dépense nécessaire pour la reconstruction du palais de justice de Bruxelles, est considérable. Je n'ai pas encore les devis des architectes ; mais on m'assure qu'elle s'élèvera à plus d'un million, indépendamment de la part pour laquelle la commune et la province pourraient contribuer, chacune dans le cercle de ses obligations légales.

Je vous avoue qu'outre que l'affaire n'est pas instruite, j'aurais hésité à faire dans ce moment à la chambre la demande d'un crédit aussi élevé. J'espère que prochainement d'autres circonstances nous permettront d'entreprendre cette construction dont je reconnais la nécessité.

- L'article est adopté.

Chapitre VI. Publications officielles

Article premier

« Art. 1er. Impression du Recueil des Lois, du Moniteur et des Annales parlementaires : fr. 93,500. »

Par suite d'un amendement présenté par M. le ministre à la section centrale, et auquel celle-ci se rallie, le chiffre serait porté à 130,000fr.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai l'honneur de proposer une modification au libellé de cet article. Je propose d'y ajouter ces mots : « pour laquelle il pourra être traité de gré à gré. »

Cet amendement est modifié sur une disposition de la nouvelle loi de comptabilité, qui est en vigueur depuis le 1er janvier, et suivant laquelle l'adjudication de l’impression du Moniteur devrait se faire publiquement.

(page 571) MM. les questeurs de cette chambre m'ont fait remarquer que le Moniteur était aujourd'hui en voie de progrès ; que le service était fait d'une manière satisfaisante ; que la correction était infiniment meilleure ; qu'en un mot, il n'y avait pas de motifs de changer d'éditeur pour une légère économie fort incertaine qu'on pourrait obtenir.

J'ai donc fait un traité provisoire avec l'éditeur du Moniteur, par suite duquel il continuera le service jusqu'après la discussion du budget de la justice ; et si la chambre adopte un amendement, la convention faite par mon honorable prédécesseur pourra être continuée pour la présente année.

M. Lebeau. - Messieurs, à l'occasion d'un crédit supplémentaire demandé par le département de la justice, il s'est élevé sur l'objet actuellement en discussion un débat assez intéressant au quel M. le ministre de la justice a naturellement pris part et dans lequel il s'était jusqu'à un certain point engagé de présenter aux chambres, lors de la discussion de son budget, un aperçu de la dépense que pourrait occasionner la distribution, moyennant un abonnement quelconque et qui serait nécessairement très modéré, la distribution, dans toutes les communes du royaume, des Annulas parlementaires.

Aujourd’hui messieurs, si je ne me trompe, la situation des communes, sous le rapport financier, a été empirée par le changement introduit dans le mode de publication des lois. (Interruption.) Je demanderai si l'abonnement au Moniteur n'est pas obligatoire pour les communes.

M. d’Anethan. - Non.

M. Lebeau. - Alors, je le reconnais avec plaisir, j'étais dans l'erreur, car la position des communes a été, au contraire, améliorée.

Dans tous les cas, messieurs, je crois qu'il serait extrêmement utile, et au point de vue de la connaissance de nos lois, et au point de vue du développement de l'esprit public, que les communes ou, au moins, les élus des communes eussent le moyen de participer eu quelque sorte à nos débats par la reproduction fidèle et impartiale de nos séances. Cette reproduction il est impossible de l'obtenir, il faut le reconnaître loyalement, quand on est abonné à un seul journal.

Je crois qu'il serait intéressant, et d'honorables sénateurs ont insisté à bon droit sur ce point dans des circonstances récentes, qu'il serait intéressant que nos discussions fussent complètement connues. Cela serait intéressant, je le répète, et pour la connaissance des lois et pour le développement de l'esprit public.

Eh bien, messieurs, les Annales parlementaires qui, si je ne me trompe, ne sont pas soumises au timbre, pourraient être livrées au prix de quelques francs à chaque commune du royaume, car il ne s'agit ni de la composition ni du travail des correcteurs ; il s'agit tout simplement d'augmenter le tirage et le papier.

Je crois, et c'était l'appréciation à laquelle étaient arrivés quelques honorables membres du sénat, je crois qu'au prix de 5 ou 6 francs, il serait possible de faire arriver dans chaque commune du royaume un exemplaire des annales parlementaires. Or, vous reconnaîtrez, messieurs, que cette dépense serait parfaitement justifiée.

Maintenant, messieurs, il m'a été dit qu'on refuse des abonnements aux Annales parlementaires à ceux qui ne consentent pas à s'abonner en même temps au Moniteur ; cela se refuse, dit-on, aux particuliers et probablement aussi aux communes. Si la chose est vraie, je ne pourrais assez m'élever contre l'état de choses qui amène un pareil refus ; il me semble que le gouvernement devrait être le premier à propager la lecture des Annales parlementaires. Or, si vous obligez les communes à faire en même temps la dépense d'un abonnement au Moniteur, outre que vous leur imposez une lecture qui n'est pas des plus récréative (je n'en fais pas l'objet d'un reproche, c'est là une nécessité du Moniteur qui, à beaucoup d'égards, est loin de manquer d’intérêt), vous les forcez encore à faire une dépense de 48 francs, tandis qu'elles pourraient avoir pour 8 ou 10 francs, au maximum, les Annales parlementaires.

Non seulement le gouvernement doit rechercher les moyens de faire arriver d'une manière obligatoire, s'il le faut, les Annules parlementaires dans chaque commune, mais il doit en outre faciliter les abonnements volontaires à ce recueil ; c'est-à-dire ne pas y ajouter la condition absurde de prendre en même temps le Moniteur qui coûte près de 60 francs.

Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il a perdu de vue ce qu'il a dit sur ce point au sénat. Je le comprendrais facilement par suite de la multiplicité des travaux dont il doit s'occuper ; mais alors je lui rappellerais l’engagement qu'il avait pris de faire connaître aux chambres ce qu'il en coûterait pour faire arriver dans chaque commune un exemplaire des Annales parlementaires.

Toutes les opinions sont intéressées à ce que nos débats puissent être soumis intégralement au plus grand nombre possible de lecteurs.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai pas perdu de vue, messieurs, l’engagement que j'ai pris, en quelque sorte, dans une autre enceinte, d’examiner la question qui avait été soulevée par un de mes honorables collègues du sénat, Il résulte des calculs qui ont été faits que la distribution du Moniteur au 2,500 communes, environ, qui existent en Belgique, occasionnerait, pour le papier, une dépense de 15,450 fr., il faudrait y ajouter, pour le tirage et quelques autres dépenses, une somme qui est évaluée à 6,250 francs, ce qui ferait, en tout, 19,700 francs. Mais messieurs, on ne pourrait guère se borner là, car si vous distribuez le Moniteur aux 2,500 ou 2.600 communes du royaume il faudrait également l'adresser à un grand nombre de fonctionnaires qui n'ont pu l'obtenir jusqu'ici, par exemple, aux membres des députations permanentes des conseils provinciaux et à plusieurs autres fonctionnaires, auxquels on a dû le refuser pour ne pas multiplier les frais. Ce serait donc une dépense que l'on pourrait estimer à une somme ronde de 25,000 fr., rien que pour être remboursé des frais, sans aucune espèce de bénéfice. C'est à la chambre à juger si elle croit que l'utilité de la mesure est assez grande pour compenser la dépense qu'elle exigerait.

L'honorable M. Lebeau demande si l'on refuse les Annales parlementaires à ceux qui ne veulent pas en même temps s'abonner au Moniteur. Il me serait impossible de répondre à cette question. Je prendrai des informations ; mais je pense, comme l'honorable M. Lebeau, qu'il n'y aurait aucun inconvénient à ce que l'on admît des abonnements séparés aux Annales parlementaires ; seulement, je ne sais pas s'il en serait demandé.

M. de Man d’Attenrode. - J'ai demandé la parole pour communiquer à la chambre une réflexion que j'ai faite au moment où M. le ministre de la justice cherchait à faire le calcul de ce que coûterait en plus l'envoi des Annales parlementaire à toutes les communes du pays. Je me rallie volontiers au désir exprimé à cet égard par l'honorable M. Lebeau : mais l'honorable membre a perdu de vue une chose, c'est que le Moniteur et les Annales parlementaires sont rédigés en français, et que la moitié des habitants de nos campagnes ne comprennent pas cette langue. Il faudrait donc, pour réaliser l'idée de cet honorable membre, que le Moniteur et les Annales parlementaires fussent traduits en flamand ; or, on n'a pas tenu compte des frais assez considérables qui résulteraient de cette, traduction.

Je profiterai de mon tour de parole pour recommander à M. le ministre de la justice de vouloir veiller à ce que les tables du Moniteur et des Annales parlementaires soient publiées avec plus de promptitude. Les membres de la chambre qui désirent faire des recherches dans cette multitude de feuillets ne peuvent le faire que quand le tout est relié ?

Or, il est impossible de faire relier les Annales, tant que les tables ne nous sont pas distribuées, et nous sommes obligés d'attendre. Je prie donc l'honorable ministre de la justice de vouloir bien prendre note de cette petite observation et de veiller à ce que l'employé, chargé de la rédaction des tables, y mette un peu plus d'activité.

M. Lebeau. - Messieurs, il me semble que M. le ministre de la justice, par dérogation à ses bonnes habitudes, s'efface trop complètement dans une question de cette nature ; le gouvernement devrait tenir à honneur de prendre l'initiative d'une mesure aussi libérale, et ne pas attendre la loi de la chambre ; j'aurais vu avec plaisir que M. le ministre de la justice, qui avait pris une autre attitude au sénat, qui s'était engagé à faire fructifier les idées qu'on avait émises dans la discussion à laquelle il avait pris part, je l'aurais vu avec plaisir soumettre à la chambre quelques calculs et nous saisir d'une proposition, car M. le ministre s'était rallié à la plupart des observations qui avaient été présentées par d'honorables membres du sénat de toutes les opinions, et spécialement par celui qui avait pris l'initiative, par l'honorable M. Pirmez. Je suis étonné que M. le minime ait perdu le souvenir de ce qui s'est passé dans cette circonstance.

M. le ministre de la justice, en me répondant, a présenté des calculs dont je n'ai pas pu saisir le détail ; mais je ne sais si M. le ministre a bien compris ma pensée. Je n'entends pas qu'on envoie gratuitement aux communes les Annales parlementaires ; je voudrais que les communes payassent une rétribution égale à la dépense.

Comme le nombre des communes est considérable, il n'en résulterait pour chacune d'elles qu'une dépense assez modique. Si, d'ailleurs, il faut une loi pour les obliger à faire cette dépense, le gouvernement pourrait nous soumettre un projet de loi, et, à défaut du gouvernement, je pourrais prendre l'initiative ; et je m'engagerais volontiers à le faire.

On dit maintenant qu'on ne sait pas si on a refusé les Annales parlementaires à des particuliers ; j'ai avancé le fait comme constant ; qu’il est impossible qu'il en son autrement, car comment pourrait-on accueillir une demande d'abonnement, puisque le prix de l'abonnement n'est pas fixé ?

Il peut s'élever ici une question fiscale assez délicate ; celle de savoir si les Annales parlementaires, prises en abonnement spécial, pourraient être exemptes du timbre ; elles sont exemples du timbre connue annexes du Moniteur. (Interruption.) Si elles sont exemples du timbre non pas seulement comme annexes, tant mieux ; la chose n'en marchera que mieux pour les communes et pour les particuliers.

Maintenant on a fait une objection ; ou a parlé de la nécessité de traduire les Annales parlementaires en langue flamande. Cette nécessité, je ne la reconnais pas ; remarquez que les Annales parlementaires seraient .envoyées aux élus des communes, aux administrations communales, que l'usage de ta langue fratica.se est tellement répandu, dans les provinces flamandes que presque tous les journaux politiques qui paraissent dans les grandes localités des Flandres, au moins ceux qui ont le plus d'abonnés, sont rédigés eu français...

M. Dedecker. - Il y a 60 à 70 journaux flamands.

M. Lebeau. - Dans tous les cas, ce ne serait pas là une objection ; je ne me refuserais pas à cette traduction ; ce serait une dépense de plus ; cela ferait élever l'abonnement d’un ou de deux francs par exemplaire ; mais, je le répète, je ne crois pas à la nécessité de cette traduction, (page 572) eu égard à la position spéciale de ceux à qui les Annales seraient envoyées.

M. de Corswarem. - Messieurs, ainsi que vient de le dire l'honorable M. Lebeau, le directeur du Moniteur ne refuse pas absolument des abonnements aux Annales parlementaires, mais il ne peut pas en accepter, parce qu'il ne sait à quel prix il doit accorder l’abonnement. Il faudrait donc fixer d'avance le prix de revient des Annales parlementaires. Je recommande cet objet à l'attention de M. le ministre.

M. le ministre de la justice a dit tout à l'heure que le papier seul, pour les 2,500 communes auxquelles on enverrait les Annales, coûterait fr. 13,450, et que les frais de tirage et autres monteraient à 6,250 fr. ; ce qui ferait ensemble 19,700 fr.

Eh bien, je suppose que ces évaluations sont encore un peu au-dessous de la réalité, et que les prix s'élèveraient à 20,000 fr., pour 2,500 exemplaires. Cela ferait 8 fr. par exemplaire. Ce serait, d'après les calculs de M. le ministre lui-même, le prix de revient auquel le gouvernement pourrait céder les Annales aux communes et établissements publics qui les demanderaient.

Je ne voudrais pas qu’on imposât aux communes l'obligation de s’abonner aux Annales, mais je voudrais qu'on les autorisât à porter, si elles le désirent, une somme de 8 francs à leur budget pour un abonnement aux Annales. Je voudrais que, pour elles, cet abonnement fût facultatif et non obligatoire. Je suis certain que dans beaucoup de communes où le bourgmestre, les échevins, des membres du conseil ou le secrétaire comprennent le français, on s'abonnerait aux Annales parce que ces membres auraient un abonnement aux frais de la commune : mais par contre ils s'instruiraient, et leur instruction profiterait à l'administration de la commune.

Pour ce qui est des particuliers, je voudrais aussi qu'ils pussent s'abonner aux Annales parlementaires sans devoir s’abonner au Moniteur ; mais pour eux, me semble-t-il, on pourrait un peu élever le prix de l'abonnement, et le fixer à 9 ou 10 fr. Ce serait une chose à examiner. Il ne faut pas cependant que le gouvernement fasse une spéculation de la publication des Annales parlementaires.

A mes yeux, ce serait un grand bien que cette publication fût répandue, parce qu'alors le public ne fausserait plus son opinion, en lisant des comptes rendus inexacts et infidèles dans les journaux. Chaque journal abrège le compte rendu à sa manière et le présente au point de vue où il veut le montrer au public. C'est là un inconvénient. Je trouve donc qu'il y aurait un grand avantage à ce que le plus grand nombre d'habitants du royaume lussent le compte rendu fidèle de nos séances ; des lors aussi, mon opinion est que les Annales parlementaires doivent être exemptes du droit de timbre.

L'honorable M. Lebeau pense qu'elles ne sont exemples que comme suppléments au Moniteur. Et cependant ce ne sont pas les suppléments au Moniteur. C'est une publication distincte, ayant sa pagination distincte ; c'est un ouvrage publié en livraisons ; ce n'est pas un journal. Il y a d'ailleurs une disposition positive, qui exemple du droit de timbre les Annales parlementaires ; c'est donc une question qu'il serait inutile de débattre davantage.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je n'accepte pas le reproche que m'a adressé l’honorable M. Lebeau, de m'effacer en cette circonstance. Il ne s'agit pas d'une discussion assez importante pour que le gouvernement tienne à son initiative. Si la chambre témoignait l'intention d’étendre la publication des Annales parlementaires, c’est là en quelque sorte une affaire de ménage, le ministère se prêterait volontiers à ce désir de la chambre.

Mais l'honorable M. Lebeau m'a rappelé une promesse qui a été faite au sénat quand la question y a été soulevée par l'honorable M. Pirmez. Je ne me rappelle pas exactement les termes dans lesquels je me suis exprimé, mais je crois avoir dit que j'examinerais la chose et que je verrais à quel chiffre pourrait s'élever la dépense. L’honorable M. Pirmez pensait que ce ne pouvait être qu'une dépense de quelques francs par numéro, en se bornant aux simples déboursés.

L’examen que j'ai fait m'a démontré qu'il faudrait faire une dépense de 20 mille francs pour la distribution des Annales parlementaires aux communes, plus la dépense qui résulterait de l'envoi aux fonctionnaires qui y auraient droit si on les distribuait à toutes les communes du royaume ; la somme m'a paru assez élevée, et dans un moment où on parle tant d'économies, je n'ai pas cru opportun de proposer cette nouvelle dépense a la chambre, alors surtout que le Moniteur, qui ordinairement coûtait 93 à 94 mille francs, a vu élever ses dépenses à 120 ou 130 mille francs.

Je suis obligé de demander maintenant un crédit de 130 mille francs, et j'espère qu'à l'avenir il sera suffisant. J'examinerai au surplus s'il est possible de distribuer au prix courant les Annales aux communes qui en feraient la demande et qui consentiraient à rembourser les frais de manière à ne pas devoir augmenter encore le crédit qui est déjà excessivement élevé.

M. Cans. - Je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Lebeau. Je désire étendre le plus possible la publication de nos débats parlementaires. Je désirerais qu'on pût obliger le directeur du Moniteur à imprimer un certain nombre d'exemplaires des Annales que les éditeurs des journaux pourraient faire distribuer avec leur feuille ; le journal contiendrait le résumé des débats et il donnerait en supplément un exemplaire de la totalité des débats.

M. de Garcia. - L’idée émise par l'honorable M. Lebeau est juste et fondée, mais je désire qu'elle soit modifiée dans le sens indiqué par l’honorable M. de Corswarem. Je crois que les Annales parlementaires doivent être distribuées au prix de revient à toutes les communes du royaume, qui le désireront. Je crois également qu'il sera de la plus haute utilité d’admettre tous les abonnements possibles pour ces documents avec le bénéfice le plus léger. En partant des calculs présentés par M. le ministre, cet abonnement pourrait être donné aux communes à raison de 8 francs, et à tous les citoyens à raison de 9 à 10 francs.

Si l’on entre dans cette voie, l'abonnement aux Annales prendra une extension considérable et le pays entier aura beaucoup à gagner. L’opinion publique, au lieu d’être égarée par des comptes rendus inexactement pourra se faire une idée juste de nos débats. Or, il est de la plus grande utilité que la nation entière connaisse à fond et avec exactitude la conduite de ses mandataires.

Je terminerai en disant que dès l'instant qu'on ne veut pas imposer aux communes l'obligation de l'abonnement, le gouvernement peut donner suite à cette idée de son propre mouvement, et sans aucune mesure législative.

M. Cans. - D'après ce que j'entends dire autour de moi, il paraît que je n’ai pas été bien compris. On donne, dit-on, aux divers éditeurs de journaux un exemplaire, d'après lequel ils font leur extrait ; ce que j’ai demandé, c’est qu’on leur donne le droit de faire tirer un nombre aussi considérable d’exemplaires qu'ils veulent pour les distribuer avec leurs feuilles, comme on distribue aujourd'hui les romans. On pourrait obliger le directeur du Moniteur à imprimer à façon, au prix de revient, le nombre d'exemplaires que lui demanderaient les éditeurs de journaux, qui pourraient prendre le papier du Moniteur ou fournir le leur s'ils y trouvaient avantage.

La chambre a intérêt à ce que tout le pays connaisse le compte rendu fidèle de ses débats.

M. de Foere. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur un autre objet relatif au Moniteur. Ce journal publie le bulletin de la bourse ; mais il ne le donne qu'inexactement cl incomplètement. J’y ai souvent remarqué de graves inexactitudes dans la cote des fonds publics. Elles pourraient être la cause de graves inconvénients et froisse les intérêts des familles qui sont abonnées au Moniteur. Il est aussi de l'intérêt de l’accroissement des abonnements à ce journal que la cote des fonds publies soit plus exactement soignée.

Je remarque aussi que dans le bulletin de la bourse, publié par le Moniteur, il est plusieurs fonds publics qui sont libellés, mais qui ne soin presque jamais cotés.

j'ai dit aussi que ce même bulletin présente des lacunes que je crois très graves. Il ne donne pas même le cours des 2 1/2 p. c. belges. Au surplus, il ne publie pas le cours des changes.

Je conviens que ceux qui, par la nature de leurs affaires, éprouvent chaque jour le besoin de consulter le cours des changes, s’adressent au bulletin officiel de la bourse ; mais il est des familles qui, abonnées au Moniteur, doivent connaître de temps en temps le cours des changes, et qui sont obligés de prendre ailleurs ces renseignements.

Je demande donc à l'honorable ministre de la justice de vouloir bien faire mieux soigner, dans le Moniteur, la cote des fonds publics et faire combler les lacunes que je viens de signaler.

- L'article est adopté avec le chiffre et le libellé proposés par le gouvernement.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Abonnement au Bulletin des arrêts de la cour de cassation : fr. 3,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Publication d'un recueil des anciennes lois des Pays-Bas Autrichiens, de la principauté de Liège et autres pays dont le territoire est compris dans le royaume de Belgique ; publication d'un recueil d'instructions-circulaires émanées du département de la justice, depuis la réunion de la Belgique à la France en 1795 jusqu’en 1830 ; impression d'avant-projets de lois à envoyer à l'avis des cours et tribunaux, et des facultés de droit des universités du royaume : fr. 9,000. »

- Adopté.

Chapitre VII. Pensions et secours

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Pensions civiles : fr. 165,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Secours à des magistrats ou à des veuves et enfants mineurs de magistrats qui, sans avoir droit à une pension, ont des titres à un secours, par suite d’une position malheureuse : fr. 12,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés dépendants du ministère de la justice, se trouvant dans le même cas que ci-dessus : fr. 3,000. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Cultes

Articles 1 à 6

« Art. 1er. Clergé supérieur du culte catholique et (page 573) professeurs des séminaires ; bourses et demi-bourses affectées aux séminaires : fr. 403,822 39. »

- Adopté.


« Art. 2. Clergé inférieur du culte catholique : fr. 3,319,104 61. »

- Adopté.


« Art. 3 Subsides aux provinces, aux communes et aux fabriques d'églises, pour les édifices servant aux cultes : fr. 444,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Culte protestant : fr. 59,100. »

- Adopté.


« Art. 5. Culte israélite : fr. 11,000. »

- Adopté.


« Art. 6. - Pensions et secours pour les ministres des cultes : fr. 139,000. »

- Adopté.

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Discussion générale

« Art. 1er. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés, dont le domicile de secours est inconnu : fr. 25,000. »

M. d’Anethan. - Je désire entretenir la chambre non pas de questions qui se rattachent à l'article premier relatif aux frais d’entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu, mais d'une question très grave que soulève un an été récemment pris sur la proposition de M. le ministre de la justice relativement à une disposition testamentaire faite par M. Lauwers, en son vivant curé de la paroisse de Finisterre à Bruxelles.

Les éloges que cet arrêté a valus hier à M. le ministre de la justice de la part de l'honorable M. Sigart, les motifs surtout qui lui ont fait donner ces éloges m'auraient seuls suffi pour prendre la parole, si déjà la disposition en elle-même ne m'avait convaincu qu'il était impossible de laisser passer inaperçu un principe semblable à celui que consacre l'arrêté contresigné par M. le ministre de la justice.

Je le répète, c'est une question très grave ; c'est une question de principe dont la solution offre le plus grand intérêt, à cause des conséquences qui peuvent en découler ; j'ajouterai que cette question doit être examinée non seulement au point de vue de l'intérêt général, mais encore au point de vue purement légal ; et sous aucun de ces rapports l'arrêté dont j'entretiens la chambre ne peut mériter l'approbation qu'il a obtenue de la part de l'honorable député de Mons.

M. le curé du Finisterre. à Bruxelles, a fait une disposition testamentaire, qui est de la teneur suivante ; je cite les termes de l'arrêté.

« Vu l’expédition délivrée par le sieur Morren (Prosper-François), notaire à Bruxelles, du testament mystique, en date du 21 février 1846, par lequel feu le sieur Lauwers (Philippe), curé de la paroisse de Notre-Dame de Finisteriae en cette ville, lègue : 1° A sa sœur la dame veuve Droesbeke (J.), née Lauwers (Anne-Marie), à Grammont, et à ses six neveux et petite-nièce, diverses sommes s'élevant ensemble à 7,500 fr. ; 2° une somme de 100 fr. à l'hospice de Sainte-Gertrude, à celui des Ursulines et aux hospices réunis en la même ville, et dispose :

« Art. 11. J'institue, comme mes héritiers universels, les pauvres de la paroisse de Finisterae pour une moitié, et les pauvres des autres paroisses primaires et succursales de Bruxelles pour l'autre moitié, et je veux que le tout soit mis à la disposition des curés respectifs. »

Voilà la disposition qui a été faite par M. le curé Lauwers, et cette disposition n'a été respectée, ni quant à la quotité de la somme léguée, ni quant au mode de distribution qui avait été fixé par le testateur.

Sans doute il est bien loin de ma pensée de méconnaître au gouvernement le droit d'autoriser l'acceptation de legs faits à des établissements publics. On sait combien est nécessaire ce contrôle du gouvernement, que des considérations d'ordre moral et d'intérêt général exigent impérieusement.

Aussi, messieurs, suis-je bien loin d'en nier la nécessité. Mais il faut que ce contrôle soit exercé dans de justes limites et il faut, afin d'atteindre le but pour lequel il a été créé, qu'il respecte, autant que cela est compatible avec l'intérêt général, les intentions manifestées par les fondateurs et les donateurs.

Si je ne me trompe, messieurs, lorsqu'il s'agit d'apprécier une disposition qui est faite à un établissement public, à un établissement de bienfaisance ou à tout autre établissement qualifié d'établissement de mainmorte, il y a quatre points principaux à examiner.

Il faut d'abord, me paraît-il, se préoccuper de l'état mental de la personne qui a fait la disposition.

En second lieu, il faut examiner quelle est l'origine de biens dont elle a disposé.

En troisième lieu, il faut examiner quelle est la position et quels ont été les rapports des héritiers avec le testateur.

En quatrième lieu, il faut examiner quelle est l'utilité, quelle est la position, quelles sont les ressources de l'établissement en faveur duquel la disposition est faite.

Je pense, messieurs, que le contrôle du gouvernement ne doit porter que sur ces quatre points ; au moins ce sont là les quatre points principaux ; les autres ne sont que secondaires.

Messieurs, je me demande si, dans la disposition qui vient d'être prise par le gouvernement, on a fait un examen bien complet de ces quatre points, et si la solution qui a été donnée à cette affaire prouve qu'on a apprécié d'une manière sérieuse et intelligente les différents points de fait que je viens de rappeler à la chambre.

Certes, messieurs, l'état mental de M. le curé Lauwers ne sera pas mis en question. Personne ne supposera qu'il y a eu la moindre captation de la part de qui que ce soit, pour engager M. le curé Lauwers à faire la disposition qu'il a faite. M. le curé Lauwers était reconnu pour sa bienfaisance inépuisable. Il est mort comme il avait vécu ; il est mort en faisant le bien. Ainsi le testament de M. le curé Lauwers n'est que la reproduction de la pensée de toute sa vie, la pensée de venir, autant que possible, au secours de la classe indigente.

Le second point auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, c'est l'origine des biens légués.

Or, M. le curé Lauwers n'avait aucun patrimoine propre ; il n'avait hérité aucune fortune. Il n'a en quelques fonds que par les économies qu'il a faites sur son casuel et sur son traitement fixe. N'a-t-il pas en outre reçu quelques dons de la part de personnes qui, connaissant sa bienfaisance et la manière intelligente dont il distribuait les secours, ont pu le charger de placer leurs aumônes qu'il s'était peut-être réservé de distribuer en temps opportun ?

L'origine des sommes trouvées chez M. le curé Lauwers ne sera, je pense, déniée par personne. Une circonstance toute particulière m'a même été récemment révélée : c'est que les sommes trouvées dans le domicile de M. le curé Lauwers se trouvaient toutes enveloppées dans des rouleaux de papier sur chacun desquels se trouvaient écrits des mots : « économies de telle année ». Cette circonstance vient confirmer ce que je disais tout à l'heure, que l'argent trouvé chez cet ecclésiastique ne pouvait provenir que des économies qu'il avait faites sur son casuel et sur son traitement, et des dons qu'il pouvait avoir reçus à des fins de bienfaisance. Il est d'ailleurs de notoriété publique que M. le curé Lauwers n'avait aucune fortune patrimoniale.

Maintenant dans quelle position se trouvent les parents de M. le curé Lauwers ?

D'après l'arrêté royal, et je me borne à prendre les termes de cet arrêté, ils se trouvent dans une position peu aisée. Pourtant, messieurs, d'après ce qui m'est affirmé, les parents de M. le curé Lauwers sont loin d'être dans la misère, sont loin de se trouver dans un état de pauvreté. Ses neveux exercent des professions assez lucratives ; l'un, je pense, exerce l'étal de tapissier, l'autre celui de cordonnier. L'arrêté du reste le constate lui-même, les parents de M. le curé Lauwers ne sont pas dans un état de misère, ils sont uniquement dans une position peu aisée, l'arrêté le proclame lui-même.

Passant au quatrième point, la nature, l'utilité et la situation de l’établissement en faveur duquel la disposition est faite, on ne soutiendra pas que les hospices de Bruxelles auxquels l'arrêté accorde seulement une partie des sommes trouvées en possession de M. le curé Lauwers, sont dans une situation prospère, alors que tous les ans, la caisse communale doit subvenir pour plusieurs centaines de mille francs et donner ainsi aux hospices la possibilité de remplir la mission qui leur est confiée par la loi.

Les hospices sont à Bruxelles dans une situation tellement peu prospère qu'il n'y a pas d'année où des réclamations nombreuses ne se soient élevées de leur part et où l'intervention du gouvernement soit même réclamée pour engager l'administration communale à venir plus largement en aide à ces établissements de bienfaisance.

On ne pourrait donc pas alléguer qu'il y avait inutilité dans la disposition faite par M. le curé Lauwers en faveur des pauvres de Bruxelles, puisque l'administration préposée à leurs besoins se trouve dans une situation telle qu'elle ne peut remplir, à l'aide de ses seules ressources, la mission dont elle est chargée à l'égard des pauvres de la capitale.

Ces courtes considérations me semblent déjà prouver qu'il n'y avait aucun motif pour modifier en quoi que ce soit la disposition qui avait été faite par M. le curé Lauwers et pour priver un établissement d'utilité publique des sommes que ce curé lui avait attribuées.

Les parents de M. le curé Lauwers n’étaient pas dans une position à exiger qu'il fût fait violence à la volonté du testateur. L'établissement auquel les sommes ont été enlevées est d'utilité publique, et cet établissement n'est pas dans une position favorable. Ces considérations se réunissaient pour que force restât tout entière à la volonté du testateur.

Mais ici, messieurs, il y a une considération d'une nature particulière qui devait engager le gouvernement à ne pas adopter la mesure qu'il a cru devoir prendre.

Je vous ai parlé de l'origine des biens de M. le curé Lauwers, et je vous en ai parlé avec intention, puisque la qualité de curé qu'avait M. Lauwers lui imposait certains devoirs que des personnes laïques n'ont pas à remplir.

En effet, messieurs, le curé Lauwers était soumis aux lois ecclésiastiques, aux lois canoniques.

Or, d'après ces lois, d'après le concile de Trente lui-même, dans sa section 25 du chapitre premier (et je puis invoquer le concile de Trente puisque l'honorable M. Verhaegen et d'autres membres l'ont si souvent invoqué hier), d'après le concile de Trente lui-même, il est strictement défendu aux ecclésiastiques, de rien donner sur leurs économies à leur famille, lorsque leur famille ne se trouve pas dans un état d'indigence. L’ecclésiastique est obligé en conscience de laisser les sommes qu'il a perçues comme tel et ensuite économisées, de les laisser aux pauvres ou à l'église. Voilà, messieurs, quels sont les devoirs de conscience auxquels il n'était pas permis au curé Lauwers de se soustraire.

(page 574) Les parents, messieurs, et les lois ecclésiastiques le disent d'une manière formelle, les parents, en tant que pauvres, ne sont certainement pas exclus des dispositions testamentaires de leur parent ; maïs ce n'est pas en leur qualité de parents que des sommes peuvent leur être léguées, c'est en leur qualité de pauvres, de malheureux. Or, le curé Lauwers a rempli évidemment les devoirs qui lui étaient imposés de ce chef, en laissant à sa famille une somme de 7,000 et quelques cents francs.

Il est à remarquer, messieurs, qu'il ne peut exister de motif pour faire violence à la volonté d'un testateur, que s'il enlevait à sa famille des biens patrimoniaux, s'il faisait passer dans d'autres mains des biens de famille, s'il dépouillait jusqu'à un certain point ses héritiers légitimes. Or, ici il s'agissait de collatéraux, qui n'avaient aucun droit sur le produit des économies du curé Lauwers, qui, alors même qu'il ne leur aurait rien laissé, n'avaient aucun motif pour élever la moindre plainte. Pendant sa vie, le curé Lauwers n'a-t-il rien donné à sa famille, ne s'est-il pas conduit envers elle comme tout bon parent le fait envers des patents qui sont dans une position peu aisée ; mais ce que le curé Lauwers pouvait faire de son vivant, le droit qu’il avait de dépenser en aumônes toute la partie de son revenu qui excellait ses dépenses, peut-on lui contester le pouvoir d'en user par testament ? Pourquoi enlever aux pauvres de Bruxelles ; pourquoi enlever aux hospices de Bruxelles les sommes très considérables que le curé Lauwers avait le droit de leur léguer, qu'il pouvait leur léguer sans nuire en rien aux droits de sa famille ? Pourquoi enlever à ces établissements des sommes dont ils avaient un si grand besoin ? Certes les parents du curé Lauwers n'avaient pas à se plaindre ; ils ne peuvent pas avoir la prétention de s'enrichir, je dois le dire, aux dépens des pauvres de Bruxelles. Quel droit ces parents avaient-ils, en effet, sur les économies que le curé Lauwers avait faites et qui ne provenaient pas d'une fortune qu'il aurait héritée de ses parents ? De quel droit viendront-ils hériter de ces économies malgré la volonté du testateur ? De quel droit le gouvernement vient-il s'opposer à l'exécution de cette volonté alors qu'un ne peut nullement la considérer comme ayant lésé les membres de la famille ? .Mais la famille du curé Lauwers ne se doutait même probablement pas le moins du monde qu'il eût fait des économies ; c'est lorsqu'on a levé les scellés qu'à la grande stupéfaction de tous ou a découvert qu'une somme de 125,000 franc» se trouvait chez M. Lauwers.

Or, je le répète, cette somme avait une destination spéciale à laquelle le curé Lauwers aurait pu l'appliquer pendant sa vie, et dès lors pourquoi lui enlever la faculté de le faire par testament ?

Messieurs, je pense donc que le curé Lauwers a fait ce qu'il a pu faire, en donnant aux pauvres de Bruxelles, qu'il avait toujours soignés pendant sa vie, d'une manière si libérale, en leur donnant le produit des économies qu'il avait réalisées pendant qu'il remplissait ses fonctions de curé. Je pense que le gouvernement a mal appliqué la disposition qui lui donnait le droit de n'autoriser l'acceptation que conditionnellement et avec certaines restrictions. C'est là l'appréciation consciencieuse que j'ai faite de cet acte, et cette appréciation j'ai cru devoir la soumettre à la chambre.

Je passe maintenait, messieurs, à une autre série d'idées et je dois dire que les observations que j'ai à présenter relativement à la deuxième disposition de l'arrêté, que ces observations sont d'une nature beaucoup plus grave, parce qu’il s'agit, selon moi, de la fausse application de lois positives qui sont invoquées par l'arrêté royal. Je demande d'abord à la chambre la permission de lui lire le dispositif du testament :

« Vu l’expédition délivrée par le sieur Morren (Prosper-François), notaire à Bruxelles, du testament mystique, en date du 21 février 1846, par lequel feu le sieur Lauwers (Philippe), curé de la paroisse de Notre-Dame de Finisteriae en cette ville, lègue : 1° A sa sœur la dame veuve Droesbeke (J.), née Lauwers (Anne-Marie), à Grammont, et à ses six neveux et petite-nièce, diverses sommes s'élevant ensemble à 7,500 fr. ; 2° une somme de 100 fr. à l'hospice de Sainte-Gertrude, à celui des Ursulines et aux hospices réunis en la même ville, et dispose :

« Art. 11. J'institue, comme mes héritiers universels, les pauvres de la paroisse de Finisterae pour une moitié, et les pauvres des autres paroisses primaires et succursales de Bruxelles pour l'autre moitié, et je veux que le tout soit mis à la disposition des curés respectifs. »

Cette déposition, messieurs, contient un tout qu'il me paraît impossible de scinder. Il ne s'agit pas ici d'une condition en quelque sorte extrinsèque qui ne tiendrait pas à la nature même de la disposition, mais il s'agit d'une clause qui complète la disposition elle-même et sans laquelle celle-ci ne peut pas exister.

Eh bien, messieurs, que fait l'arrêté royal ? L'arrêté royal, après avoir d'abord, comme je l'ai dit dans la première partie de mon discours, modifié la disposition quant à la quotité, modifie également la disposition quant au mode de la distribution des secours ; il accepte une partie de la disposition, il rejette l'autre, comme nous le verrons tout à l’heure, par le singulier motif que cette deuxième partie de la disposition serait contraire aux lois.

L'article 84 de la loi communale permet d'établir des administrateurs spéciaux pour gérer les dispositions que l’on peut faire, les fondations que l'on peut établir. L’article 84 de la loi communale reconnaît ce pouvoir d'une manière formelle. L'article 84 contient une disposition tout à fait générale. Eh bien, messieurs, d'après le système de M. le ministre de la justice, cette disposition a un sens étroit et restreint ; d'après M. le ministre de la justice, cette disposition ne doit s'entendre que des établissements complets, des établissements subsistant par eux-mêmes, des établissements ayant une administration totalement distincte des hospices, formant une institution entièrement séparée.

M. le ministre de la justice fait donc une distinction qui, d'après moi, ne se trouve pas dans l'article 84 de la loi communale. Je prouverai tout à l'heure que cette distinction est absolument contraire à l'esprit de cet article suffisamment expliqué par les discussions parlementaires qui en ont précédé l'adoption.

Messieurs, voici un des considérants de l'article que je combats :

« Attendu, d'autre part, que la clause du testament portant que le tout doit être mis à la disposition des curés, n'a pas pour but et ne peut avoir pour effet de donner auxdits curés la qualité d'administrateurs spéciaux dans le sens de l'article 84, n°2,paragrapphe ult. de la loi communale, qu'en effet il ne s'agit ici que d'un simple legs en faveur des pauvres ; et qu'il résulte des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de cette disposition qu'en ce qui concerne les fondations nouvelles, le législateur de 1830 n'a voulu autoriser les nominations d'administrateurs spéciaux que pour des établissements de charité complets et distincts, et seulement dans des limites tracées par le décret du 31 juillet 1806, sauf le droit qui, antérieurement à ce décret, avait été réservé par les arrêtes des 28 fructidor an X et 16 fructidor an XI, aux fondateurs de lits dans les hospices de présenter des indigents pour les occuper. »

Quelque téméraire que puisse paraître cette assertion, je dois la dire, il y a dans ce considérant autant d'erreurs que de mots.

On fait un appel aux discussions parlementaires ; eh bien, c'est également les discussions parlementaires que je viens invoquer, et ces discussions vont établir, d'une manière évidente, que M. le ministre de la justice s'est complètement trompé sur le sens de l'article 84 de la loi communale.

Cet article a donné matière à deux discussions différentes, l'une en novembre 1834, l'autre en février 1836.

Le gouvernement, en présentant le projet de loi communale, avait introduit une disposition qui permettait aux fondateurs et testateurs d’établir des administrateurs spéciaux.

Cette disposition, dont le principe n'était pas contesté, fut modifiée par la section centrale, et par l'organe de M. Dumortier, rapporteur de la section centrale, une disposition analogue à celle qui avait été présentée par le gouvernement, mais avec un changement de rédaction, fut soumise à la chambre. Cette rédaction était à peu près semblable à celle qui a été adoptée définitivement.

Voici comment la discussion s'engagea sur cette disposition : ce fut l'honorable M. Gendebien qui prit la parole, pour la combattre, non d'une manière complète, mais dans une partie, pour la restreindre, en un mot, dans le sens dans lequel M. le ministre de la justice veut la restreindre maintenant. L'honorable M. Gendebien s'exprimait ainsi :

« Il me semble qu'on devrait s'expliquer sur le sens qu'on attache à la disposition proposée. Si l'on veut parler de la fondation d'établissements complets, je conçois très bien qu'on ne puisse pas ôter au fondateur le droit d’établir des administrateurs spéciaux. Mais voulez-vous étendre ce droit à toutes les petites dispositions particulières ? Par exemple, un citoyen lègue à un établissement de bienfaisance une rente, un capital, et consentira-t-on à ce qu'il y ait autant d'administrateurs que de legs quand les legs auront été faits à ces conditions ? Laisserez-vous à l'administrateur nomme par le testateur qui aura légué 100,000 fr., lui laisserez-vous le droit d'administrer ce capital et le manger ? Si vous ne voulez appliquer la disposition qu'à des établissements complets, je l’admettrai ; mais vous ne pouvez l'admettre dans le sens que je lui trouve sans jeter la perturbation dans les établissements de bienfaisance, sans annuler les internions et sans faire courir le plus grand risque aux legs des testateurs.

L'honorable M. Dumortier, auteur de la proposition amendée, répondit à l'honorable M. Gendebien en ces termes :

« Je ne comprends pas comment on pourrait accepter un legs fait à un hospice sans remplir les conditions qu'il y met. La distinction qu'on a faite entre les établissements complets et ceux qui ne le sont pas me touche peu : car comment prendre la bourse que donne le testateur sans laisser à ses parents ou à la personne qui avait sa confiance, le soin d'en surveiller l'emploi, lorsqu'il en a exprimé la volonté ? Un pareil système est une violation de toute espèce de droit, un abus de la force. »

L'honorable M. Gendebien reprit ensuite la parole après différents autres orateurs, et il termina son deuxième discours par la phrase suivante :

« En un mot. comme en cent, je persiste à regarder la disposition eu discussion comme pernicieuse. »

Ainsi, l'honorable M. Gendebien condamnait d'une manière formelle la disposition dans le sens dans lequel l'entendaient et l'auteur de la proposition et les membres qui l'avaient appuyée.

L'honorable M. Desmanet de Biesme qui, après le premier discours de l'honorable M. Gendebien, avait adhéré aux observations de cet honorable membre, reprit ensuite la parole et s'exprima en ces termes :

« J'ai été frappé des inconvénients signalés par M. Gendebien ; cependant une considération me fera voter pour la proposition de M. Dumortier : cette considération, c'est la crainte de voir diminuer les legs en faveur des établissements de bienfaisance, si vous restreignez les pouvoirs du testateur. »

(page 575) Ainsi l'honorable M. Desmanet, tout en reconnaissant les inconvénients signalés par l'honorable M. Gendebien, adopte cependant la disposition malgré ces inconvénients qu'elle renferme d'après lui.

Maintenant l'honorable M. Gendebien lui-même a été convaincu que la disposition allait être votée dans son sens complet ; car il s'exprima ainsi :

« Je conviens que ce n'est pas tout à fait la place ici de cette distinction que je crois nécessaire d'établir dans la loi, mais j'en ferai l'objet d'une proposition particulière. »

L'honorable M. Gendebien a donc reconnu lui-même que la disposition allait être votée dans son ensemble et avec toutes les conséquences que l'honorable membre avait cru devoir énumérer ; et l'honorable M. Gendebien était tellement convaincu que la disposition allait être adoptée dans un sens général, qu'il a annoncé l'intention de proposer plus tard un amendement, pour faire passer dans la loi la distinction qu'il croyait nécessaire d'y introduire : l'honorable membre s'était réservé de faire cette proposition, lorsque la chambre serait arrivée à l'article 90 de la loi communale, relatif aux établissements de bienfaisance ; eh bien, lorsqu'on est arrivé à cet article 90, l'honorable M. Gendebien n'a pas pris la parole et n'a pas fait de proposition ; de sorte qu'après le premier vote de l'article 84 de la loi communale, il n'y a plus eu de proposition de nature à modifier en quoi que ce soit le sens dans lequel cette disposition avait été adoptée.

Maintenant, messieurs, pour épuiser ce qui a rapport aux discussions parlementaires, je dois dire un mot de la discussion de 1836 qui a précédé le vote définitif de l'article 84 de la loi communale. Deux orateurs seulement ont pris la parole, ce sont l'honorable M. Dubus aîné et l'honorable M. Jullien.

M. Jullien n'est pas revenu sur le système qui avait été mis en avant par l'honorable M. Gendebien, mais il s'est préoccupé d'une seule chose, de la pensée que la disposition pourrait avoir un effet rétroactif ; il s'est demandé : Si cette disposition passe avec un effet rétroactif, que va-t-il en résulter ? Les établissements de bienfaisance sont en possession de nombreuses fondations qui ont été supprimées par la république française ; si on va donner à la disposition dont il s'agit un effet rétroactif, la perturbation va être jetée dans l'administration de ces établissements, ils seront dépouillés d'une partie de leur administration, ils ne pourront plus remplir la mission dont ils sont investis par la loi ; chaque parent viendra réclamer une part d'administration d'une fondation, voudra désigner des pauvres auxquels les secours devront être donnés ; en un mot, la perturbation sera mise dans l'administration de la bienfaisance publique. Voilà quelle était la préoccupation de l'honorable M. Jullien.

L'honorable M. Dubus répondit que la loi adoptée au premier vote ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif. Je ne vous lirai pas les discours prononcés à cette époque, ils contiennent tout ce que je vous ai dit précédemment et rappellent la discussion de 1834.

Après que l'honorable M. Dubus eut répondu à M. Jullien que la loi ne devait pas avoir d'effet rétroactif, qu'elle se bornait à rappeler les règlements de 1817 et de 1824, M. Jullien se déclara satisfait et retira sa proposition.

Messieurs, en reprenant dans leur ensemble les discussions de 1834 et de 1836, on ne peut méconnaître que l’intention du législateur, exprimée en termes clairs et formels, était de laisser aux fondateurs le droit de faire administrer comme ils l'entendaient non seulement les établissements complets qu'ils pourraient créer, mais même des capitaux ou d'autres biens qu'ils auraient légués avec cette condition.

L'arrête royal dont je m'occupe en ce moment va plus loin encore, il semble même restreindre le droit de nommer des administrateurs spéciaux pour des établissements complets dans les termes des arrêtés de fructidor an X et an XI et du décret du 31 juillet 1806. C'est-à-dire que l'arrête va plus loin que l'honorable M. Gendebien ne le demandait, car M. Gendebien reconnaissait le droit absolu de nommer des administrateurs spéciaux pour un établissement complet. Ce droit absolu l'arrête le méconnaît, car il dit que ce droit doit être restreint dans les limites fixées des arrêtés de fructidor an X et an XI et du décret du 31 juillet 1806.

Il y a ici une remarque importante à faire, c'est que dans les discussions de 1834 et de 1836, il n'a pas été dit un mot des arrêtés de l'an X et de l'an XI et du décret de 1806. Et qui plus est, la législation française relative aux fondations a été virtuellement condamnée par les paroles prononcées par mon honorable ami M. Dubus aîné. Ce point est très important. Voici comment s'est exprimé l'honorable M. Dubus aîné dans la séance du 20 novembre 1854.

« En France toutes les administrations particulières des établissements de charité furent réunies à une administration commune que l’on créa à cet effet. On n'y respecta en aucune manière la volonté des fondateurs ; on la viola, on la foula aux pieds ; on détourna les revenus de leur destination spéciale. Le résultat a été de détourner les particuliers de leurs intentions bienfaisantes, dans la persuasion où ils étaient qu'elles ne seraient pas respectées, etc. Aussi pour donner aux fondateurs la garantie que désormais leur volonté serait respectée, dans les règlements qui ont été portes dans ce pays en 1817 et 1824, ou a ajouté à l'article relatif à la nomination des membres des administrations de charité ces mots : « pour autant qu'il n'aurait pas été décidé autrement par les actes de fondation. » C'était annoncer au pays que les intentions des fondateurs seraient respectées. Voulez-vous annoncer maintenant que vous allez rétrograder vers une époque contre laquelle il n'y a qu'une voix ? »

Ainsi l'honorable M. Dubus ainé, expliquant la portée et le sens de l'article, 84 de la loi communale, disait d'une manière positive : Les fondations avaient diminué sous le régime français, parce qu'on avait violé la volonté des fondateurs, parce qu'on n'avait pas respecté leurs intentions. Mais en 1817, on est revenu à un autre ordre d'idées, on a rendu pleine et entière liberté aux fondateurs. Ainsi, en 1817 et en 1824, le législateur avait fait table rase des arrêtés de fructidor an X et an XI, et le législateur l'avait fait justement pour éviter les inconvénients qui seraient attachés au système de M. le ministre de la justice s'il devait être désormais suivi.

Et c'est en présence d'une discussion pareille, c'est en présence des paroles que je viens de rapporter, qu'on viendra dire que l’article a été voté avec les restrictions résultant de la législation de l'an X, de l'an XI et de 1806. Il est impossible de soutenir une thèse semblable. Comme je le disais en commençant, ce considérant de l'arrêté contient autant d'erreurs que de mots.

Comment, c'est pour empêcher les inconvénients de la législation que vous invoquez que les règlements de 1817 et 1824 ont été faits, et vous foulez aux pieds ces règlements pour rétrograder vers une époque sur laquelle il n'y a qu'une voix, comme le disait M. Dubus ; vous faites appel à ces arrêtes de l'an X et de l'an XI et à ce décret de 1806 quand l’intention du législateur déjà en 1817 était d'en faire disparaître les traces et cesser les inconvénients !

Ainsi, messieurs, d'après ces observations, il me paraît bien évident qu'un administrateur spécial aurait pu être nommé pour administrer le capital légué par le curé Lauwers aux pauvres de Bruxelles, et que les considérations, à l'aide desquelles on a voulu rejeter cette partie un testament, ne résistent pas à un examen quelque peu sérieux.

Mais je vais plus loin : les cures de Bruxelles à la disposition desquels ces sommes devaient être mises ont-ils réclame ? Ont-ils seulement été consultés ? A-t-on seulement su quelles étaient leurs intentions, quelles étaient leurs prétentions ? S'est-on le moins du monde entendu avec eux ou avec l'exécuteur testamentaire de la succession ? Si mes renseignements sont exacts, les cures de Bruxelles, bien qu'ils eussent le droit d'exiger la remise intégrale du capital (car, d'après les intentions de M. Lauwers, il s'agissait non pas de placer le capital et d'en distribuer les intérêts aux pauvres, mais de remettre le capital même aux curés pour qu'ils en fissent la distribution d'après les besoins qu'ils auraient constatés) si mes renseignements sont exacts, les curés ne se seraient pas opposés à ce qu'un placement fût fait par l'administration des hospices, ils auraient admis qu'il aurait été en partie au moins satisfait aux intentions du testateur en recueillant tous les ans les intérêts du capital, pour en faire la distribution aux pauvres.

Loin de tenter cet essai de conciliation, on les a repousses, non seulement comme administrateurs du legs, mais encore comme distributeurs des intérêts ; et pour colorer tant soit peu cette espèce de réprobation dont on frappe les distributeurs choisis par M. Lauwers, l’arrêté contient un considérant où l'on fait remarquer que les intentions du testateur seront en quelque sorte remplies, attendu que les fonds seront mis à la dispositions des comités de charité présidés par les curés. Ce considérant était parfaitement inutile, dès qu'on était dans son droit en prenant l'arrêté ; mais ce considérant porte même à faux, puisque plusieurs comités n'existent plus dans l'état de l’organisation primitive et que les curés n'en font plus partie.

Cette clause par laquelle le curé Lauwers avait voulu que les sommes provenant de sa libéralité fussent remises aux curés pour être par eux distribuées aux pauvres est-elle illégale ? Est-elle contraire aux lois ? Je demanderai d'abord s'il est illégal, s'il est contraire aux lois de faire aumône. Est-il contraire aux lois de donner son bien aux pauvres, d'en faire la distribution aux malheureux ? S'il n'est pas contraire aux lois de distribuer son bien aux pauvres, quoiqu’il y ait des établissement de bienfaisance pour faire ces distributions, violerait-il la loi en chargeant un mandataire de faire cette distribution en son nom ? Ai j'ai plus de confiance, pour rechercher la véritable misère, en un mandataire qu'en moi-même ou qu'en une administration préposer au service de la bienfaisance publique, est-ce qu’on peut trouver illégales des aumônes que je ferai faire par cette voie ? Toute la question est là.

Avec le système de M. le ministre, il y a des illégalités flagrantes qui se commettent tous les jours. Combien n’y a-t-il pas en effet des sociétés de bienfaisance, en dehors des administrations publiques, des sociétés de bienfaisance qui font des distributions considérables d’aumônes, qui ont même des moyens d’obtenir des aumônes que n’ont pas les administrations publiques ? J’espère bien pourtant qu’on n’a pas l’intention de supprimer ces institutions si utiles, de paralyser la charité privée, qu’on n’a pas l’intention d’organiser uniquement la charité légale, d’empêcher tout acte de la charité individuelle, de détruire la charité privée, spontanée, pour n’avoir que la charité légale, en d’autres termes la taxe des pauvres.

Je ne conçois donc pas ce qu’il peut y avoir d’illégal dans les dispositions testamentaires du curé Lauwers. De son vivant, il pouvait remettre à ses collègues 10 ou 12 mille francs, en leur disant : Vous connaissez les pauvres de votre paroisse ; faites-leur la distribution de cette somme. Les hospices, les bureaux de bienfaisance auraient-ils eu le droit d’envoyer un huissier chez les curés, de faire pratiquer des saisies, en disant : « Nous revendiquons le droit exclusif de faire la distribution dont (page 576) vous êtes chargés ! » Une telle prétention ne serait accueillie par personne, serait repoussée partout comme insoutenable et ridicule.

Ce que le curé Lauwers pouvait faire de son vivant, pourquoi ne pouvait-il pas le faire, après sa mort ? Pourquoi, je le demande, le legs que M. Lauwers a fait aux pauvres ne peut-il pas leur être distribué par des personnes dans lesquelles il avait une confiance entière et auxquelles probablement de son vivant, il a fait connaître ses intentions ? Avec le système de M. le ministre de la justice, les intentions du testateur ne sont pas remplies.

Les membres du conseil général des hospices ont-ils eu des entretiens avec M. Lauwers ? Savent-ils quelles misères il voulait soulager, à quels pauvres il voulait spécialement adresser ses bienfaits, quelles comblions il entendait exiger des pauvres pour qu'ils reçussent ces aumônes ? Non ; il faudra que ces aumônes soient réparties d'une manière générale, au gré de l’administration des hospices, sans respect pour les intentions de ce fondateur libéral qui a légué 120,000 francs aux pauvres de Bruxelles.

Il y a quelque chose de plus (car ce qui doit surtout nous préoccuper c'est le respect que nous devons aux volontés d'un fondateur bienfaisant qui a fait par son testament une œuvre utile), M. Lauwers a-t-il pu se douter qu'un arrêté semblable aurait été pris ? Non ; il n'a pu s'en douter ; ce qu'on déclare maintenant illégal s'exécute à Bruxelles depuis longtemps.

Il existe entre autres une fondation administrée par les hospices, dont les revenus sont réunis aux curés pour être distribués par eux conformément à la volonté du testateur.

Ce sont les hospices mêmes qui ont écrit aux curés de Bruxelles une lettre où se trouve le passage suivant : « Les intérêts à provenir desdites sommes seront annuellement remis à la disposition de MM. les curés desservants, chacun pour un septième, avec la latitude d'en faire la distribution aux pauvres à leur gré.

Et M. Lauwers, comme curé de l'une des paroisses de Bruxelles, avait reçu une lettre semblable des hospices, et il touchait tous les ans une part de ce legs que lui remettait l’administration des hospices.

C'est en présence de cette application constante de l'article 84 de la loi communale, que le gouvernement n'avait jamais contestée, que le curé Lauwers a fait une disposition au sujet de laquelle sa volonté a été violée, j'allais dire d'une manière scandaleuse. Il me sera tout au moins permis de dire qu'on a singulièrement modifie et dénaturé les dispositions qu'il avait faites, alors qu'il devait être rassuré sur leur exécution, non seulement par la loi même, mais surtout par l'exécution qu'avait reçue la loi, exécution qui lui était particulièrement connue par la lettre qu'il avait reçue du conseil des hospices.

Messieurs, soutenir qu'il est contraire aux lois de faire distribuer des aumônes par les curés, c'est véritablement la première fois qu'un système semblable est produit. Mais en France même, messieurs, en 1809, le gouvernement d'alors n'hésitait pas à reconnaître aux consistoires protestants le droit de distribuer des aumônes, des sommes qui avaient été léguées aux pauvres de la localité dans laquelle se trouvait le consistoire protestant. Le 28 mai 1809, Napoléon prenait le décret suivant :

« Art. 1er. Le legs de 3,000 fr. fait aux pauvres de l'église réformée de Paris par le sieur J.-F. Perregaux, suivant son testament olographe du 4 vendémiaire an XIII, sera accepté par les membres du consistoire des protestants de Paris.

« Ait. 2. Ces 3,000 fr. seront reçus par le consistoire des protestants de Paris, pour être employés par lui au profil exclusif des protestants pauvres de la même ville, et placés, s'il y a lieu, avec l'autorisation du préfet. »

On allait même plus loin, et malgré le décret de 1806, auquel fait allusion M. le ministre de la justice, malgré les arrêtés de l'an X et de l'an XI, l'empereur décrétait formellement que ce serait le consistoire protestant qui, non seulement disposerait de la somme laissée aux pauvres, mais qui même la placerait et en percevrait les intérêts.

Dira-t-on que les fonctions de curé sont incompatibles avec la distribution de secours ? que les curés ne peuvent pas remplir les devoirs de la charité, que l'exercice leur en est interdit ? Mais outre les exemples si nombreux de charité exemplaire qu'ils donnent, outre l'exercice de la bienfaisance qu'ils pratiquent d'une manière si constante et si désintéressée dans tout le pays, nous avons même des dispositions légales qui établissent qu'il est de l’essence de ces fonctions de distribuer des aumônes ; et je n'en veux citer qu'un exemple : l’article premier du décret de 1809 sur les fabriques d’église dit positivement que les fabriques, et les curés en font partie, sont chargés non seulement de l'administration du temporel des paroisses, mais encore de la distribution des aumônes.

Mais n'y a-t-il pas des collectes nombreuses que font les curés au vu et au su de l'autorité et dont personne ne s'effraye ni ne s'offense ? N'y a-t-il pas de nombreux anniversaires auxquels sont attachées des distributions de vêtements, de combustible et de comestibles, distributions qui se font toujours par les soins des curés ? et personne a-t-il jamais trouvé qu'il y eût la quelque chose d'illégal ?

Mais une révélation subite est donc arrivée à M. le ministre de la justice qui lui a fait voir qu'on avait marché, depuis 1809, d'illégalité en illégalité ? Il est incroyable qu'on vienne pour la première fois en 1847 mettre en avant un pareil système !

En vain M. le ministre de la justice invoque-t-il la loi de frimaire an V et l'article 92 de la loi communale. Sans doute, la loi de frimaire, qui institue les bureaux de bienfaisance, leur impose certains devoirs, certaines obligations, et leur accorde certains droits. Sans doute, l'article 92 de la loi communale dit qu’il fait que, dans certaines communes, ayant une population de 2.000 âmes, il soit établi des comités de charité. Mais est-ce à dire qu'il ne peut exister, à côté de ces établissements, une charité privée ? Est-ce à dire que l’homme bienfaisant, qui voudra distribuer une partie de sa fortune aux pauvres, devra la faire passer par la voie de la charité publique, qu'il ne pourra avoir recours à des personnes qui jouissent de sa confiance ?

Un système semblable, messieurs, est de nature à paralyser la bienfaisance. Ce système est celui dont le législateur de 1836 n'a pas voulu, qu'il a repoussé par l'article 84 de la loi communale, et les discussions que je viens d'analyser en font foi. On a craint, si l'on était forcé en toutes circonstances d'avoir recours aux administrations publiques, dans lesquelles, à tort ou à raison, tout le monde n'a pas une confiance égale, on a craint que les donations ne diminuassent. C'est parce qu'on a voulu prévenir cette diminution des donations qu’on a maintenu dans l’article 84 les modifications introduites dès 1817. Eh bien, ces modifications seraient complètement anéanties par le système que veut faire prévaloir M. le ministre de la justice et que je ne puis m'empêcher de qualifier de déplorable.

En terminant, je demanderai comment il est possible d'accepter une partie de la disposition et d'en rejeter une autre ; comment, sous le prétexte bien futile, comme je viens de vous le démontrer, que cette clause qui confie la distribution aux curés est contraire à la loi, on adopte une partie de la disposition et on repousse l'autre, contrairement à la volonté du testateur, je dirai plus, contrairement à la volonté clairement exprimée par le législateur lorsqu'il a voté l’article 84 de la loi communale.

Je sais que l'on invoque l'article 900 du Code civil, qui dit que toute disposition contraire aux lois est réputée non écrite. Mais il faut d'abord examiner si l'on peut considérer comme une condition la clause qui fait partie de cette disposition, et qui n’a rien d’aléatoire. Une condition, comme je le disais en commençant, peut être une disposition extrinsèque, et je conçois que dans ce cas on maintienne la disposition principale en écartant la disposition extrinsèque. Mais lorsque la clause fait partie de la disposition même, lorsqu'elle fait un tout avec elle, lorsqu'il est évident que le testateur n'aurait pas fait la disposition principale s'il n'avait pu y ajouter la disposition accessoire, il me semble qu'on ne doit pas scinder la disposition, qu’on doit tout accepter ou tout refuser.

Je dis qu'il est impossible, même en présence de l'article 900 du Code civil, il est impossible d'avoir une opinion contraire, surtout lorsque la volonté de cette chambre a été si clairement exprimée dans la discussion que j'ai rappelée.

Messieurs, je vous demanderai la permission de vous lire encore quelques lignes des discussions qui oui eu lieu à cet égard. J'invoquerai des autorités qui des deux côtés de cette chambre seront acceptées : c'est, d'un côté, celle de l'honorable M. Dubus (aîné), et de l'autre, celle de M. Jullien.

L'honorable M. Dubus disait dans la séance du 26 novembre 1834 :

Que résulterait-il de l'adoption de la proposition de M. Jullien. Qu’on on conserverait les donations et qu'on effacerait les conditions ; il y aurait violation évidente de la volonté du testateur ; il est évident qu’elle a attaché à l'existence de la fondation la condition même qu’elle y a mise, etc.

« Il résulte de la législation existante à laquelle il n'est nullement dérogé, que sans aucun doute, le gouvernement aura à prononcer s'il autorise ou non la donation. Mais l'autorisation accordée, il faut que la condition soit exécutée. De l'article qu'on vous propose, il ne résulte pas autre chose. »

M. Jullien répondait :

« La chambre aura remarquer que je n'ai pas soutenu qu'on pouvait transgresser la volonté des donateurs quand ils avaient imposé pour l'administration de leur legs un autre administrateur que les hospices. J'ai dit, au contraire, que quand cette disposition se trouvait dans une donation, elle était sacrée, qu’on ne pouvait pas y déroger, qu'il fallait accepter ou refuser. Puisque je vois que la loi ne peut avoir d’effet rétroactif et qu'elle ne s'appliquera qu'aux donations actuellement gérées par des administrations spéciales, je retire ma proposition. »

Ainsi, messieurs, vous voyez que l'intention bien manifeste de la chambre a été de ne jamais scinder des dispositions de cette nature et de ne pas appliquer d'une manière véritablement erronée la disposition de l'article 900 du Code civil.

Je pense, après ces citations, n'avoir rien à ajouter et je demande pardon à la chambre d’avoir aussi longtemps occupé son attention.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.