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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 février 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 765) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Quanonne-Goudeman demande des modifications aux droi ts de douane sur le suif, le poisson, le bétail, les acides stéarique et oléique. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant le tarif des douanes.


« L'administration communale de Neeroeteren demande que les droits d'entrée sur le bétail soient rétablis. »

- Renvoi à la commission d'industrie.


« Plusieurs propriétaires, industrit et cultivateurs à Bray, prient la chambre de rejeter le projet de loi sur le droit de succession. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Thy, notaire à Taviers, demande que, dans certains cas, il soit interdit aux notaires de résidence aux chefs-lieux d'arrondissement judiciaire d'instrumenter dans d'autres communes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


M. Herry-Vispoel, étant indisposé, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi modifiant le tarif des droits de douanes

Discussion générale

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau les renseignements que l'honorable M. Osy m'a demandés à la fin de la séance d'hier. Ce sont les importations et les exportations en soie pour 1846.

Pour 1847, les renseignements ne sont pas complets ; on donne seulement le chiffre des importations des fils de soie, et les renseignements manquent encore pour les bureaux d'Anvers et de Bruxelles.

M. de Haerne. - Messieurs, dans la séance d'hier, M. le ministre des affaires étrangères, en répondant aux observations que j'avais eu l'honneur de présenter à la chambre, s'est placé à un point de vue différent du mien, et je dois reconnaître que la manière dont il a présenté son argumentation et ses chiffres, était de nature à produire de l'effet sur vos esprits. Je dois avouer qu'il a traité la question avec habileté. Mais cela ne m'empêche pas de dire qu'il n'est pas fondé dans son raisonnement et qu'il n'a pas pu ébranler mes convictions. Je tiens donc à répondre aux principaux arguments que M. le ministre des affaires étrangères à fait valoir dans la séance d'hier.

Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères vous a dit d'abord que l'industrie des soies à coudre est en progrès en Belgique, et pour le prouver, il a cité l'augmentation successive des exportations de ce produit à partir de 1842 ou 1843.

Je dirai d'abord, messieurs, que ces exportations n'ont pas toujours été en augmentant, si l'on part de l'année 1846. Il y a eu en 1846 une décroissance très notable. Le chiffre de cette année est tombé au-dessous de celui de 1844, et je crois qu'il en a été à peu près de même pour le chiffre d'exportation de 1847, que je n'ai pas sous les yeux, mais que je crois pouvoir dire inférieur également.

Mais, messieurs, il y a d'autres chiffres à produire et des chiffres très significatifs. Ainsi, d'après les statistiques de la douane, il est certain que les importations ont toujours été en augmentant, depuis 1843. Le rapport que vous avez sous les yeux en fait foi. D'un autre côté, d'après les mêmes documents les mises en consommation des soies gréges, des soies écrues ont toujours été, en diminuant, à partir de 1843 à 1846, et sont tombées de 22,876 kilog. à 18,900 kilog. Je suppose que l'accroissement des exportations dont nous a parlé M. le ministre des affaires étrangères, se soit soutenu jusqu'en 1847, ce qui n'est pas.

Eh bien, il y aurait, dans ce cas contradiction apparente entre l'accroissement des exportations, d'un côté, et la diminution des mises en consommation et l'augmentation des importations de l'autre.

Je ne devrais pas, à la rigueur, recourir à cet argument, puisqu'il est positif que les exportations ont diminué depuis 1846, et que par conséquent l'argument que M. le ministre des affaires étrangères a tiré de l'augmentation des exportations jusqu'en 1845, tombe par cela même qu'elle ne s'est pas soutenue au-delà de 1845. Pour ce qui regarde les importations, je ferai remarquer en passant qu'on ne peut pas en établir le chiffre dans toute sa vérité, dans toute son exactitude, en suivant simplement les indications des statistiques officielles, parce qu'il est reconnu qu'à côté des importations de soie à coudre déclarée comme telle, il en est d'autres qui se font sous le nom de merceries, et cela tient au droit si minime, au droit de balance que l'on paye sur les soies à coudre. Ainsi, outre les importations officielles, qui sont toujours allées en augmentant, il a encore été importé des soies à coudre sous le nom de merceries. Cette marchandise paye à la valeur et non au poids, ce qui permet de fausser les déclarations.

Hier, messieurs, j'ai eu l'honneur de vous citer un fait incontestable, c'est que le nombre des ouvriers employés à cette fabrication a diminué depuis plusieurs années. Eh bien, s'il était vrai que les exportations fussent toujours allées en augmentant, je dirais encore que la fabrication n'a pas augmenté dans le pays, et voici pourquoi ; c'est un fait très important et sur lequel je dois appeler toute l'attention de la chambre. A cause de la concurrence qui s'est fait sentir depuis plusieurs années, les fabricants se sont trouvés dans la nécessité de fabriquer une espèce de soie à coudre d'une qualité inférieure, à bon marché et qui n'est pas voulue dans le pays, mais qui est recherchée sur quelques marchés étrangers ; ils ont fait cela dans l'intention de se soutenir et de ne pas devoir congédier leurs ouvriers. Ils ont donc fait un article spécial, un article à bon marché, rebuté dans le pays, mais propre à l'exportation.

Voilà, messieurs, ce qui explique pourquoi le chiffre de l'exportation a été en augmentant jusqu'en 1848 ; c'est par cette nouvelle fabrication à laquelle se sont livrés les fabricants de fil de soie à coudre, qu'ils ont pu, pendant quelque temps, tromper la vigilance de leurs rivaux sur certains marchés. Mais à partir de 1846, ils ont même perdu, en partie, cet avantage ; les fabricants étrangers les ont suivis sur ce terrain, en y portant le même fabricat de qualité inférieure, fait à l'imitation de l'article belge. L'augmentation des exportations jusqu'en 1846 ne prouve donc pas l'accroissement de la fabrication en général. On fabriquait moins pour le marché intérieur, à mesure que l'article voulu en Belgique s'importait de l'étranger en plus grande quantité. Si la fabrication a diminué avant 1846, à plus forte raison elle a diminué depuis cette époque, puisque depuis lors les exportations décroissent, tandis que les importations conservent leur mouvement ascendant.

Il est donc vrai, comme le prouve d'ailleurs la diminution du chiffre des mises en consommation des soies grèges, que la fabrication est allée en décroissant dans le pays : c'est là le point essentiel. Les fabricants ont été débordés par les importations étrangères, et sont menacés de plus en plus de voir s'anéantir progressivement leur industrie. Voilà la réalité des choses. Dès lors l'assertion de l'honorable ministre des affaires étrangères ne peut plus rester debout. Et ici je reprends la thèse que je défendais hier ; il s'agit de développer le travail national, et M. le ministre des affaires étrangères a perdu de vue ce côté de la question ; il ne s'agit pas seulement de maintenir la fabrication dans son état actuel, mais il faut augmenter cette fabrication, afin de venir par ce moyen au secours des pauvres des Flandres.

M. le ministre des affaires étrangères nous a cité hier un passage du rapport de la commission d'enquête ; il a dit qu'un industriel étant interrogé sur l'importance qu'avait en 1840 l'industrie des soies à coudre, a répondu que cette industrie n'était pas importante. Je crois que cet industriel ne voulait pas, à cette époque, représenter toute l'industrie des soies à coudre, parce qu'il n'y avait que peu de temps qu'il l'avait introduite à Courtray ; toutefois ]e pense que l'assertion de l'industriel était vraie à cette époque ; mais M. le ministre des affaires étrangères en a conclu que cette fabrication ayant grandi sans protection, pouvait grandir encore dans les mêmes conditions d'existence.

Messieurs, voici comment cette industrie s'est développée : on a fabriqué en Belgique un produit spécial qui ne se faisait ni aussi avantageusement, ni de la même manière en pays étranger ; c'est grâce à ce produit qu'on a pu pendant quelques années augmenter assez considérablement la fabrication. Mais l'étranger, comme il arrive toujours, n'a pas tardé à s'apercevoir de cette innovation ; il a imité ce fabricat, et comme il a des avantages incalculables sur les industriels belges, il est parvenu à produire et à vendre cette marchandise à meilleur compte que nous ne pouvons le faire.

Ces avantages pour la France, par exemple, sont le climat, les antécédents, la réputation, enfin, toutes les circonstances réunies qui donnent à la France pour ainsi dire le marché de l'univers pour cet article.

Je répondrais de la même manière pour ce qui regarde l'espèce de contradiction que M. le ministre des affaires étrangères a cru devoir nous reprocher ; en disant qu'en ce qui concerne l'exception stipulée en faveur de la France, des Pays-Bas et du Zollverein, on s'était contenté d'abord de cette exception et que maintenant on ne s'en contente plus.

Je dirai que les premières pétitions qui sont venues à la chambre ne parlaient pas de cette exception. Les industriels qui faisaient la demande (page 766) d'une augmentation de protection pour leur industrie n'avaient pas stipulé ces exceptions, seulement elles ont été mises en avant par l'ancien ministre des affaires étrangères ; on s'y est forcément rallié, je ne sais trop comment ni par quelle raison ; mais pour ma part j'ai été constamment dans l’ignorance sur le chiffre si minime des importations venant de la Suisse. Ce n'est que depuis quelques jours, sachant que cette question allait être mise à votre ordre du jour, que je l'ai étudiée, que j'ai recherché d'où venaient les importations qui se faisaient de cet article dans le pays et que j'ai vu que les importations de la Suisse sont presque nulles.

J'en ai conclu qu'il fallait renoncer aux exceptions, si on voulait faire quelque chose de sérieux. C'est ainsi que les choses se sont passées. Les industriels étaient-ils dans la même ignorance ? C'est probable. Vous comprenez que les industriels ne sont pas en position de connaître exactement les quantités des importations des diverses provenances ; ils savent que des importations se font, mais ils ne s'enquièrent pas, ils ne savent pas toujours de quel pays arrivent ces importations.

Il n'y a pas là de contradiction ; d'ailleurs, y eût-il contradiction, il n'en serait pas moins vrai que le chiffre du droit actuel est insignifiant, que c'est un simple droit de balance. Cependant l'industrie dont il s'agit est une industrie intéressante qui nourrit un grand nombre de pauvres et qui est appeler à en nourrir davantage ; elle mérite toute la sympathie de la chambre et elle a droit à la protection qu'on accorde à toutes les autres industries en Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères a fait valoir un autre argument ; il vous a dit que le marché intérieur est exploité par la fabrication belge pour les trois quarts. M. le ministre a appuyé sur cet argument.

Mais, je le répète, comme j'ai déjà en l'honneur de le dire, alors même que celle partie du marché intérieur ne nous serait pas disputée, je dirai encore que cela ne suffit pas dans l'état actuel des choses ; il ne s'agit pas seulement de maintenir ce qui existe, mais de le développer, et le développement est possible, c'est une chose d'une impérieuse nécessité ; je prie la chambre d'y faire attention ; le meilleur moyen de résoudre la question du paupérisme, de venir au secours des Flandres, c'est la révision du tarif dans le sens du système protecteur ; tous les autres moyens sont lents ou onéreux ; lents, parce que l'introduction d'industries nouvelles demande de la part du gouvernement et des particuliers une organisation difficile à établir ; ces moyens sont onéreux, parce que cette introduction ne peut le plus souvent se pratiquer que par les subsides du gouvernement ; tandis que la révision sage et modérée du tarif donnant une juste protection aux diverses industries, au lieu d'être coûteuse, ne peut qu'être avantageuse au pays, d'abord en favorisant le développement de ces industries, et en second lieu en apportant de nouveaux revenus au trésor, revenus qui pourraient être consacrés à favoriser par des subsides directs le développement du travail national, soit en encourageant les fabrications nouvelles, soit en perfectionnant celles qui existent déjà dans le pays.

L'honorable ministre des affaires étrangères a parlé encore de la fraude ; il a dit qu'avec le chiffre proposé, savoir 5 fr. pour une certaine catégorie de soie à coudre et 6 fr. pour une autre, la fraude se ferait facilement.

L'honorable ministre vous a dit : Je fais un paquet de 10 kilog. Ce paquet représente, pour le droit, une valeur de 60 fr.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Non compris les additionnels.

M. de Haerne. - Si l'on paye 30 fr. aux fraudeurs, il reste un bénéfice de 30 fr.

Messieurs, je ferai remarquer à M. le ministre que ce paquet avec lequel il passe si facilement la frontière est très visible, et j'ai lieu de m'étonner que M. le ministre des finances n'ait pas protesté contre cette allégation. Car je crois que la douane devrait bien mal remplir son devoir, si elle laissait passer aussi librement les fraudeurs. Ce paquet, ne fût-il que de 5 kil., ne se met pas facilement en poche.

Messieurs, je procède encore par analogie. Je sais bien qu'on peut frauder. On fraude tout, même les produits les plus pondéreux, les plus volumineux. Mais là n'est pas la question. Il s'agit d'établir une comparaison comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire hier ; d'abord en ce qui concerne les droits existants dans la plupart des pays et les droits existants en Belgique. J'ai ensuite fait une comparaison entre le droit que nous demandons pour la soie à coudre et celui qui existe même en Belgique pour d'autres objets évidemment aussi faciles ou plus faciles à frauder que les soies à coudre.

Je vous ai cité l'article dentelle, et je vous ai fait voir qu'il existait sur cet article un droit de 12 p. c. Cependant, tout le monde conviendra que la dentelle est facile à frauder.

L'or est encore un article facile à frauder ; car quelques kilog. d'or constituent une valeur très grande, et se cachent plus facilement que le paquet de soie à coudre, dont parlait hier M. le ministre des affaires étrangères. Cependant l'or est imposé en Belgique à raison de 2, 5 et 6 fr., d'après le degré de main-d'œuvre qu'il a subi.

Nous avons précisément sur cet article des droits équivalents à ceux qui sont demandés pour les soies à coudre, ou même un peu plus élevés ; ainsi on paye 2 fr. sur l'or en feuilles, et nous ne demandons qu'un droit de 1 fr. 50 pour les soies trames et organsins teintes ou décreusées. D'autres catégories d'or payent 5 et 6 fr. lorsque cette matière est plus travaillée. Nous ne demandons que 5 fr. pour les soies à coudre écrues et non décreusées, et 6 fr. pour les soies à coudre teintes et décreusées.

Vous voyez que nos chiffres ne sont pas exagérés, qu'ils se maintiennent dans le système établi en Belgique. Plus j'y réfléchis, plus je vois que nous sommes restés dans les limites d'une extrême modération.

M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que les soies pour lesquelles nous demandons une augmentation de protection, peuvent être considérées comme matière première par rapport à la passementerie.

En ce qui concerne les soies trames et organsins, c'est une vérité ; j'ai reconnu que c'était une matière première très importante pour le tissage surtout, et cette matière première entre aussi dans la passementerie. Mais quant aux soies à coudre, les considérer comme matière première pour la passementerie, cela est-il bien rationnel ?

Je dirai à M. le ministre des affaires étrangères que la passementerie elle-même est une matière première entre les mains du tailleur, entre les mains du fabricant de meubles ; et cependant la passementerie est imposée en Belgique à raison de 10 p. c. Ainsi, si vous imposez la passementerie qui est elle-même matière première, pourquoi ne pas imposer la soie à coudre qui est peut-être aussi une matière première par rapport à la passementerie ?

Mais, messieurs, je n'admets pas le raisonnement de M. le ministre des affaires étrangères, parce qu'il va trop loin. Si l'on voulait prendre la matière première dans le sens qu'il indique, mais presque tout deviendrait matière première dans les transformations auxquelles se livre l'industrie, transformations qui ressemblent à peu près aux métamorphoses que subissent dans la nature tous les objets que nous avons sous les yeux ; presque toutes les choses par rapport à d'autres deviennent des matières premières dans le vaste laboratoire de l'activité humaine.

Mais ce n'est pas là, selon moi, une observation puisée dans la saine science d'économie politique, et si l'on veut recourir aux auteurs les plus célèbres qui ont écrit sur la matière, à Adam Smith, à Jean-Baptiste Say, la définition de la matière première se présente d'une autre manière au point de vue de l'imposition des droits.

J'entends par matière première ce qui entre en très grande quantité ou pour la presque totalité dans le fabrication d'un produit. Ainsi les trames et organsins sont matière première par rapport au tissage, parce que les trames et organsins entrent pour la totalité dans le tissage ; et de ce chef évidemment cette matière première doit être considérablement ménagée, parce qu'elle fournit presque exclusivement le travail à l'ouvrier.

Mais en est-il de même des fils de soie à coudre quant à la passementerie ? Aucunement.

Le fil de soie entre comme matière première dans la passementerie, mais pas exclusivement, seulement pour une petite quantité. A côté de cette matière première, il en est d'autres plus importantes qui entrent dans ce travail, et par conséquent les soies à coudre ne peuvent pas être considérées comme matière première proprement dite par rapport à la passementerie.

La grande question, messieurs, qui a été agitée hier, c'est celle de l'exception stipulée en faveur de la France, des Pays-Bas et du Zollverein.

En ce qui concerne les Pays-Bas, je crois que ce pays est désintéressé dans la question. La quantité de soies à coudre qu'il nous envoie est fort peu importante et ne mérite pas qu'on s'en occupe.

Quant au Zollverein, il ne nous en vient pas non plus de grandes quantités.

Mais il n'en est pas de même de la France. Les importations françaises sont très importantes, et constituent la presque totalité des importations qui nous viennent des pays étrangers.

J'ai déjà eu l'honneur de vous expliquer comment il est arrivé que ces exceptions se sont introduites dans le projet qui est soumis à vos délibérations. Mais on vous a dit, en invoquant une espèce de sympathie des peuples en matière de douanes, on vous a dit qu'on ne peut pas s'exposer à encourir la disgrâce, le mécontentement d'une puissance alliée, que cela pourrait nous nuire dans d'autres circonstances.

Messieurs, je vous disais hier que la France et le Zollverein n'avaient pas procédé de cette manière à notre égard, et que lorsque leur intérêt l'exigeait, ces puissances n'ont pas manqué de nous frapper ! Je me demande s'il faut continuer un système d'après lequel nous nous mettons pour ainsi dire à genoux devant les puissances à mesure qu'elles nous frappent. Je ne le crois pas. Mais faut-il, d'un autre côté, se jeter dans des mesures extrêmes de représailles ?

Voici mes conclusions ; voici l'idée à laquelle je m'arrête : je pense qu'il faut de temps en temps faire acte d'indépendance vis-à-vis des puissances étrangères en matière de douane, qu'il faut de temps en temps poser contre l'intérêt de l'étranger des actes favorables à l'industrie nationale ; et dans les relations diplomatiques que l'on entretient avec les puissances étrangères, il faut leur faire sentir qu'on ose les frapper, lorsqu'il le faut. Pour obtenir des concessions de leur part, il faut non pas les prier en grâce de vous en accorder, mais leur faire entendre que si elles ne vous accordent pas ce qui vous est dû, vous êtes à même de les frapper, et que vous ne reculerez pas devant l'emploi de ce moyen si les circonstances l'exigent.

Mais si vous ne faites jamais rien, si vous n'osez poser un seul fait, évidemment vous serez le jouet de toutes les puissances. C'est là, je dois le dire, un système qui vous efface aux yeux de l'Europe et aux yeux de votre propre pays ; c'est un système qui tend à la ruine de notre industrie. Il faut avoir le courage de soutenir l'intérêt national et il faut le faire, (page 767) je le répète, avec sagesse, mais aussi avec fermeté. Il faut poser de temps en temps des actes, si vous ne voulez pas qu'on se joue de vous. En ce qui concerne, par exemple, les concessions qu'on pourrait obtenir de la France, mais il y en a une quantité, j'en ai cité hier quelques-unes et je ne veux pas abuser des moments de la chambre en revenant sur ce point, mais j'en citerai encore un exemple. Une industrie nouvelle a été introduite dans la Flandre occidentale, il y a deux ans, c'est l'industrie des batistes. J'avoue qu'elle est en progrès et que si je demandais une protection vous pourriez me dire : Puisque l'industrie est en progrès elle n'a pas besoin de droits protecteurs, elle peut voler de ses propres ailes ; c'est là un mauvais système. Mais, messieurs, savez-vous quelle différence il y a entre la Belgique et la France quant à cette industrie ? Chez nous cette industrie vient de naître ; en France elle existe depuis des siècles, elle y est forte ; eh bien, quels sont les droits respectifs ? Je ferai d'abord observer que, par une anomalie singulière le droit est perçu en France, non d'après le compte-fil et le poids, mais d'après le poids seul. Savez-vous quel est le droit ? 25 fr. par kilog. tandis qu'en Belgique il n'est que de 5 fr. Voilà la faveur dont jouit en France une industrie forte, ancienne et dont la réputation est établie dans tout l'univers. Cette même industrie à peine introduite en Belgique n'y a qu'une protection du cinquième de celle dont jouit l'industrie similaire française.

Je sais, messieurs, que pour cet objet nous sommes liés par le traité, aussi je m'empresse de dire que je ne demande pas une protection immédiate vis-à-vis de la France ; mais je présente ces observations pour qu'on y ait égard lorsqu'il s'agira de négocier avec le gouvernement français. C'est un objet qu'on pourra faire entrer dans les considérations à invoquer pour appuyer nos droits.

Messieurs, j'ai la conviction qu'il n'y a pas le moindre motif de reculer devant l'adoption du droit qui vous est proposé, droit qui n'est pas exagéré, mais qui peut être envisagé comme suffisamment protecteur, et qui ne peut léser raisonnablement aucune susceptibilité, à moins qu'on ne veuille tout accorder à l'étranger et qu'on n'ait pas le courage de protéger sa propre industrie.

M. Lesoinne. - Messieurs, je viens appuyer les réductions proposées. Je regarde la voie dans laquelle le gouvernement est entré à cet égard comme une voie rationnelle, comme une voie avantageuse au pays. Le droit que propose l'honorable M. Osy pour les fils de soie, comme l'a fort bien fait observer l'honorable ministre des affaires étrangères, serait un droit qui exciterait à la fraude, et le droit ne serait pas perçu. On conçoit en effet que, lorsqu'il ne s'agit que de passer la frontière avec un kilog. de soie, pour avoir 6 francs, le droit sera beaucoup plus souvent fraudé que perçu ; après cela si l'industrie de la soie ne peut pas prospérer avec le système actuel, ce n'est pas un droit de 4 ou de 6 p. c. qui la fera prospérer. Nous avons une pratique assez longue, une expérience assez concluante du système protecteur. Toutes les industries se plaignent, et cependant la plupart jouissent d'une protection même exagérée ; les faits pratiques devraient nous convaincre que ce système n'a été que d'une utilité extrêmement contestable pour le pays. L'honorable M. Eloy de Burdinne, que je regrette de ne pas voir à son banc, s'est toujours montré le champion de ce système, et pour le soutenir il se sert de singuliers, arguments. Voici, par exemple, ce qu'il dit :

« Mais, messieurs, remarquez que les droits de douanes,, qui sont un puissant moyen d'alimenter le trésor, ne sont pas payés par le consommateur, mais c'est le producteur étranger qui en paye les sept huitièmes. Vous en avez eu la preuve lorsque vous avez levé les droits sur le bétail : avez-vous vu, à la suite de cette mesure, diminuer le prix de la viande ? Mais non, au contraire, il a augmenté. Lorsque vous réduisez des droits sur des produits étrangers, nos voisins se disent d'abord : « Ce pays manque d'approvisionnements, » et par conséquent ils élèvent leurs prétentions pour la vente des objets dont nous avons besoin. Voilà l'effet moral de semblables dispositions ; le consommateur n'en est nullement soulagé, mais elles favorisent le producteur étranger.»

Je ne sais pas en quoi l'honorable membre fait consister la protection. Je croyais que la protection, pour l'industriel, consistait dans le prix élevé mais il paraît, d'après le système de l'honorable M. Eloy de Burdinne, qu'il m'en est pas ainsi ; car s'il en était ainsi, les industriels devraient souhaiter l'abolition des droits sur les produits étrangers puisque cela fait monter les prix des objets qu'ils fabriquent eux-mêmes.

L'honorable M. Eloy de Burdinne a aussi voulu nous effrayer avec l'Angleterre, c'est toujours le fantôme qu’il évoque, en vous disant : Vous ne produirez plus rien, l'Angleterre produit tout pour tous les pays du monde. Pour mon compte, je suis intéressé dans l'industrie charbonnière, une des industries qui ont été menacées par l'honorable M. Eloy de Burdinne. Eh bien, je consens non seulement à un abaissement du droit sur les houilles, mais à l'abolition complète de ce droit. L'industrie houillère peut marcher seule, au moins quant au bassin de Liège, et je suis convaincu que les exploitants du bassin de Charleroy peuvent extraire le charbon à aussi bon compte qu'on peut le faire dans le pays de Galles ou en Ecosse, car ils peuvent le fournir à 39 centimes par hectolitre, et je ne pense pas qu'on le fournisse à meilleur compte, ni dans le pays de Galles, ni en Ecosse.

La seule protection que l’industrie du pays paisse demander, protection qui est efficace et profitable pour tous, pour le producteur comme pour le consommateur, consiste dans des voies de communication économiques, et dont on puisse se servir en tout temps ; avec ces conditions-là, toutes nos industries se tireront d'affaire.

Voilà les quelques considérations que je voulais soumettre à la chambre ; je n'abuserai pas de ses moments ; mais je félicite le gouvernement d'être entré dans la voie de réduction des droits du tarif. J'espère qu'il n'en restera pas là.

M. Osy. - Messieurs, je me suis rallié hier au principe de l'amendement de l'honorable M. de Haerne ; je ne veux d'exception pour aucune puissance, parce que les traités faits avec le Zollverein et la France n'exceptent pas l'article dont il s'agit. J'ai dit que je voulais une protection très modérée pour toutes les industries ; l'honorable M. de Haerne propose 6 francs par kilog. ; c'est trop ; je propose un droit de 4 francs, par kilog.

On a parlé des modifications libérales qui ont été introduites dans le. tarif anglais ; eh bien, je vois, entre autres, dans ce tarif que les tulles payent encore 10 p. c. à la valeur, que les tissus de soie payent 5 francs par kilog., les rubaneries également 5 francs, et toutes espèces non désignées au tarif, jusqu'à 15 p. c. à la valeur.

Voilà certes des droits protecteurs ; eh bien, messieurs, pour arriver plutôt à un système de réduction, je ne veux qu'un droit de 4 p. c. L'objet dont nous nous occupons a une valeur de près de 100 fr. ; le volume étant très petit, on dira peut-être qu'on pourrait facilement frauder ; mais certainement personne ne voudra frauder pour une prime de 4 p.c. En outre, c'est un objet qui a une grande valeur et qui se gâterait par la fraude.

Messieurs, il s'agit d'une industrie qui a pris depuis quelques années une grande extension et qui en prendra encore ; d'autant plus que la soie dont on a besoin pour faire ces fils de soie se vend sur les marchés de Londres et de Marseille seulement pour 25 francs.

Je voudrais que l'on adoptât un système protecteur très modéré, et je crois qu'en cela je ne suis nullement rétrograde ; je ne veux pas aller, (il s'en faut de beaucoup) aussi loin que l'honorable M. Eloy de Burdinne. dans le système protecteur ; je ne suis pas non plus très loin du système de l'honorable M.. Lesoinne.

M. Bruneau. - Messieurs, je ne me propose pas de suivre les honorables préopinants dans l'examen du système douanier qui nous régit aujourd'hui ; je suis trop nouveau venu parmi vous pour avoir la prétention de peser dans vos délibérations autrement que par mon vote. Je demande seulement la permission de vous soumettre quelques renseignements que je crois utiles dans la discussion qui nous occupe en ce moment ; ces renseignements sont relatifs à l'article soies decreusées, trames et organsins et à l'article tourteaux.

Messieurs, depuis plusieurs années, le gouvernement s'est appliqué à introduire dans les Flandres une industrie nouvelle. Il a cru avec raison qu'aucune industrie ne pouvait mieux se substituer à l'industrie linière que le tissage des soieries. Il y a dix ans déjà, un premier essai a été tenté dans la prison militaire d'Alost ; mais cette tentative, comme il arrive souvent à toutes les premières tentatives, a échoué.

Depuis lors, le gouvernement a abandonné ce premier projet ; mais des jeunes gens actifs et intelligents, qui y avaient été associés, ont eu le courage de persévérer ; ils ont introduit cette industrie dans les campagnes des environs d'Alost, mais ils ont dû nécessairement se restreindre à la fabrication des tissus de soie parce que les velours et peluches n'ayant pas une consommation assez considérable dans le pays, ne pouvaient compenser les frais qu'ils avaient à faire. Successivement ils sont parvenus à augmenter cette fabrication. Aujourd'hui ils ont introduit dans les campagnes 80 métiers. Tous les ouvriers qui y sont employés sont d'anciens tisserands de toiles. Cette industrie est d'autant plus heureusement introduite chez nous qu'elle fournit du travail, non seulement aux tisserands, mais encore aux familles des tisserands, comme le faisait l'ancienne industrie linière. Aujourd'hui cette industrie occupe 80 tisserands et 80 familles.

La statistique qui vous a été donnée, vous annonce qu'on a introduit en Belgique dans les années 1842, 1843, 1844 et 1845, en soies ouvrée» de manufactures, 600, 1,000 et 1,800 kilogrammes de trames et organsins.

Cette introduction a été exclusivement employée par la fabrication d'Alost ; en 1847 on a encore introduit une quantité d'environ l,8000 k. ; cette industrie est donc seule intéressée dans le tarif qui est proposé à cet égard.

Le projet de l'ancien ministère annonçait l'intention de favoriser l'introduction des matières premières, et cependant on y voit avec surprise une aggravation de droit assez considérable pour les trames et les organsins.

Aujourd'hui la fabrication des tissus de soie reçoit les trames et les organsins de France et d'Allemagne ; les organsins viennent exclusivement de Lyon, parce que ce n'est que là que la teinturerie est parvenue au point de perfection nécessaire pour donner à cet article l'apprêt et le luisant qu'on exige aujourd'hui. On reçoit les trames d'Italie par la Suisse, et elles doivent être envoyées à Crefeld pour la teinturerie ; il s'ensuit que le droit, quel qu'il soit, est payé deux fois par ces fabricants.

Mais il est une autre considération très puissante et qui fait voir combien cette industrie est entourée ici de difficultés à sa naissance. C'est qu'en France la sortie des organsins est frappée de 10 p. c. à la valeur ; je sais que la hauteur de ce droit n'est pas un empêchement, je reconnais que la majeure partie, sinon la totalité, entre en fraude. Il n'en est pas moins vrai que le fabricant doit payer une prime pour la fraude ; que cette prime soit de 2, de 3, de 4 p. c, il s'ensuit qu'il y a un droit de 5 à 6 p. c. à payer. Et vous comprenez que les fabricants qui subissent cette aggravation l'éviteraient, s'ils trouvaient dans le pays des teintureries (page 768) qui satisfissent à leurs besoins. Anvers a des teintureries qui teignent pour sa fabrication, mais ces teintureries ne sont pas encore parvenues à la perfection des teintureries de Lyon et de Crefeld ; lorsque nous aurons des fabriques en nombre suffisant pour alimenter des teintureries, il s'en établira de semblables à celles de Crefeld et de Lyon ; le même fait s'est produit à Crefeld. Il y a environ trente ans, il y avait à Crefeld cinq fabriques et une teinturerie ; maintenant il y a cinquante fabriques, et trois teintureries y ont été montées.

Je vous communique ces renseignements pour vous démontrer que l'industrie d'Anvers est désintéressée dans la question des droits sur les trames organsins. Je ne vois pas pourquoi on considérerait cette partie des soieries non comme matière première, mais comme fabricat ayant subi un certain degré de préparation. Les trames et organsins forment exclusivement la matière première des tissus de soie. J'ai commencé par vous dire que cette industrie, pour se développer, avait besoin de l'encouragement du gouvernement ; elle a besoin aussi de l'encouragement de l'opinion publique, de la faveur de la mode.

C'est un travers malheureusement trop répandu en Belgique de tenir trop aux produits étrangers et de mépriser les fabricats indigènes ; il semble que ce que le voisin fabrique ne puisse pas satisfaire aux exigences de la mode.

Les tissus d'Alost ne peuvent pas se vendre comme tissus belges ; il n'y a pas de magasin qui oserait présenter ce fabricat comme un produit du pays, certain qu'il serait de ne pouvoir le vendre. Il en est ainsi, non seulement de ce fabricat, mais de nos linges de table qu'on ne peut vendre que comme venant de Saxe ; des fils de lin à coudre qu'on est obligé de présenter comme fils anglais ; des fils de coton qu'on doit donner aussi comme étant d'origine anglaise. C'est là un fait fâcheux ; et je dis que l'opinion publique aurait une grande et heureuse influence à exercer sur la fabrication du pays, si on pouvait se défaire de ce préjugé qui attache un cachet d'infériorité sur les fabricats du pays.

J'ai l'intention de proposer un amendement sur cet article. Non seulement je n'admets pas la majoration proposée par l'ancien cabinet, mais je demande un dégrèvement sur la proposition du ministère actuel ; je proposerai de fixer le droit, au lieu de 42 francs, à 8 francs, c'est-à-dire un droit de balance double de celui qui est établi à l'article qui précède pour les soies moulinées.

Vous avez vu qu'on peut mettre les soies teintes et les organsins sur la même ligne que les soies moulinées, car c'est une matière première ; il n'y a pas de raison pour les frapper d'un droit plus fort, je donne satisfaction à ceux qui voient un degré de préparation plus complet que dans les soies moulinées.

Le deuxième article sur lequel je voudrais faire quelques observations, c'est celui relatif aux tourteaux. On propose de mettre un droit de 1-10 à l'entrée et de 2-10 à la sortie. Il semble étrange de voir l'industrie indigène entourée de difficultés, de droits plus élevés que l'industrie étrangère. Il s'ensuit que les fabricants d'huile de Lille peuvent introduire leurs tourteaux en Belgique, en payant un droit de 1-10, et quand le fabricant belge voudra introduire les siens en France, non seulement il se trouvera repoussé par le droit français, mais il aura de plus à payer en Belgique, un droit de sortie de 2-10, c'est-à-dire double droit d'entrée.

Je sais qu'on dit que c'est dans l'intérêt de l'agriculture que ce droit de sortie est établi. Je pense qu'on se trompe étrangement. Il est à remarquer que le pays emploie à la fabrication de ces tourteaux des matières premières produites par notre agriculture, les graines de lin et de colza.

L'agriculture est donc intéressée au développement de la fabrication de l'huile et par conséquent des tourteaux. Maintenant on ne peut méconnaître que les tourteaux entrent dans une certaine proportion dans le produit de la fabrication des huiles ; quand ils se vendent à un prix élevé, les fabricants peuvent augmenter la production, parce que le prix de revient de l'huile s'en trouve d'autant réduit. Si vous empêchez la sortie des tourteaux, c'est pour en faire diminuer le prix ; si vous diminuez le prix, vous diminuerez la production. Vous ne pouvez pas vous dissimuler que c'est là une conséquence de force majeure.

Vous ne pouvez pas diminuer le prix d'une chose sans en diminuer la production, et vous ne pouvez pas diminuer la fabrication des huiles ou la fabrication des tourteaux sans atteindre l'agriculture dans ses produits principaux.

Je pourrais citer plusieurs exemples de l'effet fâcheux de droits prohibitifs à la sortie, mais j'ai eu l'honneur de dire que je ne voulais pas entrer dans la discussion générale du système douanier qui nous régit. Cependant je dois dire que c'est un fait reconnu aujourd'hui que les prohibitions à la sortie ont toujours été à rencontre du but qu'on voulait atteindre, parce qu'elles ont toujours pour résultat de diminuer les prix et en même temps la production ; la balance naturelle ne peut pas tarder à se rétablir ; c'est là un fait qu'aucune disposition humaine ne peut changer.

Il n'est pas jusqu'à cette mortalité effrayante qui désole nos Flandres et qui, mettant en action la froide théorie de Malthus, ne vienne révéler cette loi fatale de l'équilibre entre la production et la consommation, entre la production et la population.

Je proposerai un amendement à cet article. Je voudrais que le droit fût le même à la sortie qu'à l'entrée, c'est-à-dire de 1 fr. 10 c.

M. Castiau. - Pour ne pas prolonger davantage une discussion déjà trop longue, je déclare d'abord que mon intention n'est pas de traiter en ce moment les questions de liberté commerciale, d'union douanière, de système protecteur ou prohibitif, ni de développer aucune des questions qui se rattachent à l'examen de nos tarifs. Quelque intéressantes que ces questions puissent être, il se présentera, pour les traiter, un moment plus opportun et elles doivent aujourd'hui s'effacer devant la question de la légalité des mesures qui vous sont présentées.

J'ai prétendu hier que la loi de 1822 qui autorisait le pouvoir exécutif à modifier le tarif des douanes est abrogée par la Constitution, et conséquemment que les arrêtés royaux qui ont été pris en vertu de cette loi avaient un caractère d'illégalité que n'effaçait pas la ratification qui vous est demandée.

Cette proposition a trouvé des contradicteurs. Parmi eux, j'ai trouvé au premier rang l'honorable M. Malou ; ce qui ne m'a pas surpris ; car je l'avais provoqué à répondre à mes critiques.

Il a prétendu que mes observations n'étaient sérieuses ni quant à la. forme, ni quant au fond. Permis à lui de trouver que ces observations avaient ce caractère. Elles ne sont pas sérieuses dans la forme ; soit. Je vous avoue que je me suis trouvé en présence de dispositions tellement futiles, ridicules et absurdes que je n'ai trouvé pour les combattre d'autre arme que le ridicule. C'est donc à l'ironie que j'ai eu recours pour faire justice des aberrations de la fiscalité. Mais que l'honorable M. Malou ne s'y trompe pas, mes observations étaient sérieuses, très sérieuses quand il m'est arrivé d'examiner, la Constitution à la main, la question de légalité des arrêtés royaux qui ont augmenté les droits de douane.

Sur ce terrain, si je devais m'attendre à trouver pour adversaire M. Malou, il n'en était pas de même d'un autre de nos collègues que nous sommes habitué à trouver dans nos rangs, quand il s'agit de combattre l'arbitraire. Je veux parler de l'honorable M. Osy. J'ai été étonné, affligé, je dois le dire, d'entendre cet honorable membre prendre fait et cause contre mes observations qui n'avaient d'autre but que de faire triompher les prérogatives de la chambre contre les prétentions de l'arbitraire ministériel.

Mon étonnement a dû augmenter encore, quand j'ai vu l'honorable membre qui défend d'habitude avec tant de chaleur la cause de la liberté commerciale, quand il s'agit du commerce des grains, tourner brusquement le dos à ses doctrines habituelles, plaider pour les accroissements de droits, prouver ainsi qu'il y avait une sorte de sympathie et de confraternité entre ses opinions d'aujourd'hui et celles de son adversaire ordinaire, l'honorable M. Eloy de Burdinne.

Permettez-moi. messieurs, de revenir sur cette question de légalité ; car, depuis quelque temps, il faut le dire, on traite ces questions avec un laisser-aller qui ne peut qu'encourager de nouvelles atteintes à la loi. Bientôt nous en serons réduits à nous demander où en est le gouvernement représentatif dans ce pays et ce qu'en sont devenues les principales garanties.

En effet, qu'avons-nous vu tant de fois ? Qu'avons-nous vu surtout dans les dernières années de l'administration qui est tombée ? La violation et la violation toujours impunie des règles et des garanties établies par nos institutions constitutionnelles.

Aucune dépense, suivant la Constitution, ne peut être faite sans l'assentiment des chambres ; c'est là notre principale prérogative. Chaque année, l'on vous convoque gravement pour examiner les budgets et régler les dépenses de l'Etat. Mais à peine les budgets sont-ils votés, que l'arbitraire reprend toute l'indépendance de ses allures, et considère comme non avenues toutes les décisions de la chambre. On décrète des dépenses de toute espèce, que nous n'avons ni votées, ni prévues ; on les fait sans nécessité ; on les fait pendant la réunion des chambres.

Quand on vient demander la ratification de ces dépenses irrégulières et violatrices de la loi et de nos prérogatives, si l'on s'élève contre les crédits supplémentaires demandés pour les couvrir, si l'on en demande le rejet, on vient vous dire, comme l'a fait récemment l'honorable M. Dechamps, que le rejet n'aurait aucun effet, que votre décision serait sans sanction et que la responsabilité n'est ainsi qu'un vain mot. Voilà, messieurs, tout le respect de l'ancienne politique pour la loi et pour l'autorité des chambres.

Après s'être attribué le droit d'élever ainsi arbitrairement les dépenses de l'Etat, on s'est également arrogé le droit d'établir, sans votre consentement, de nouvelles charges et de nouveaux impôts, en décrétant par ordonnance des modifications à vos tarifs, en se fondant sur la disposition abrogée de la loi de 1822.

Je crois vous avoir démontré à satiété l'abrogation de cette loi en présence des dispositions de notre Constitution.

Il est tellement vrai que la loi de 1822 a été considérée comme formellement abrogée par la Constitution que, pendant 14 ans, on n'a pas pensé à en faire usage, que pendant 14 ans, les questions de douanes ont été soumises à l'assentiment préalable des chambres. Ce n'est qu'en 1843 que le ministère a pris arbitrairement sur lui de décider ces questions et de les soumettre à la chambre, alors qu'elles avaient été exécutées et qu'il devenait impossible de les modifier sans de graves perturbations. L'honorable M. Malou, qui a traité avec tant de légèreté la question de légalité et qui a traité mes observations comme il a l'habitude de traiter les questions de légalité, s'est prévalu de la sanction donnée par la chambre, à deux reprises, aux arrêtés royaux de 1843 et de 1844. Belle autorité, vraiment ! A deux reprises, la majorité de 1843 et de 1844 a sanctionné les usurpations du ministère. Mais quelle était donc cette majorité qui se (page 769) montrait si facile et qui sacrifiait avec tant de laisser-aller les droits de l’Etat et ses prérogatives ? C'était une majorité inféodée au ministère de 1843 et qui était toujours disposée à s'associer à lui quand il s'agissait de légaliser l'arbitraire. Les précédents de cette majorité, nous ne les acceptons pas ; entre elle et nous il n'y a rien de commun. Elle a pu abdiquer ses prérogatives et laisser impunément violer la loi et nos institutions. Noire devoir, à nous, est de relever le pouvoir de la chambre et l'autorité de la loi. C'est cette mission que j'engage la nouvelle majorité à remplir aujourd'hui avec indépendance.

Et voyez, messieurs, dans quels inextricables embarras va vous placer l'illégalité qu'a commise l'ancien ministère, en décrétant, par arrêté royal, des aggravations de tarifs qui ne pouvaient être valables qu'avec l'assentiment préalable des chambres.

L'arrêté, dont on nous demande aujourd'hui la ratification, remonte à l'année 1845. Il est exécuté depuis cette époque. Voici donc trois ans que les nouveaux tarifs sont appliqués et les droits aggravés, perçus. Or, il se trouve que la politique nouvelle est moins passionnée pour les exagérations douanières que la politique ancienne. Des amendements nous sont proposés par le gouvernement, et ces amendement tendent à modifier certaines aggravations de droits.

J'ai l'espoir cette fois que ces propositions prudentes et libérales seront adoptées par la chambre. Mais qu'en résultera-t-il ? Qu'une illégalité flagrante aura été commise pendant 3 ans, que pendant 3 ans on aura perçu un impôt illégal ; si l'impôt a été illégalement perçu il devra évidemment être restitué. Et qui sera, en droit, chargé de cette restitution ? Ceux-là, ce me semble, qui ont ordonné une perception que votre refus de sanction va frapper d'illégalité ; il y aura donc ici encore, me paraît-il, un cas de responsabilité ministérielle.

L'ancien ministère, je le sais, s'est mis à l'aise pour toutes ces questions de responsabilité ; il vous fera sans doute encore la réponse qu'il vous a adressée quand il s'agissait du rejet de certain crédit supplémentaire. Il vous dira qu'il n'a rien à craindre, que votre décision ne peut pas l'atteindre, et que la responsabilité ministérielle est sans sanction dans ce pays.

S'il en est ainsi, ce serait un nouveau motif pour que la chambre reconnût enfin la nécessité de s'occuper de l'organisation de la responsabilité ministérielle ; la Constitution, après avoir proclamé ce principe, avait laissé à la législature le soin de l'organiser et de l'appliquer ; elle avait décrété en 1831 qu'on devait s'occuper immédiatement d'une loi sur la responsabilité ministérielle.

L'ancienne politique y a réfléchi pendant 17 ans et elle n'a rien fait ; elle a quitté le pouvoir sans même nous présenter un projet de loi sur la responsabilité, mais en laissant après elle des cas nombreux de responsabilité. Et quand j'invoque la responsabilité ministérielle, croyez bien, messieurs, que je ne veux pas parler de la responsabilité pénale et de la mise en accusation des ministres. Non ! Je ne suis pas de ceux qui voudraient, pour me servir d'une expression qui a déjà été produite dans cette enceinte, que la Constitution et le Code de la responsabilité fussent écrits sur peau de ministre. La seule responsabilité que je demande, que j'appelle, que je réclame, c'est la responsabilité pécuniaire. Que le ministre qui a ordonné une dépense illégale ou décrété une taxe arbitraire soit condamné au payement ou à la restitution, voilà tout. Nul doute que le jour où ce genre de responsabilité aurait été appliqué une seule fois, l'on verrait disparaître comme par enchantement tous les abus dont nous nous plaignons. Les dispositions de la loi seraient religieusement respectées. Ce jour-là seulement nous aurons dans toute leur vérité et la responsabilité des ministres et le gouvernement représentatif.

Je prie donc le nouveau cabinet de faire ce que ses prédécesseurs eussent dû faire, en nous présentant immédiatement un projet de loi sur la responsabilité des ministres. Ce projet est de la plus extrême urgence. Puisqu'on a nié la responsabilité ministérielle dans cette enceinte, il faut savoir enfin si ce principe, dont on parle tant, n'est aussi qu'une nouvelle déception. Je réclame donc de nouveau et instamment la présentation du projet de loi promis par la Constitution. Nous verrons alors s'il n'y a pas lieu de l'appliquer à quelques-unes des illégalités de la vieille politique, pour lesquelles elle n'a pas encore obtenu de bills d'indemnité.

M. Malou. - Je dirai un mot de la question de légalité. Plusieurs fois, depuis 1830, il a été fait usage de la loi de 1822.

M. Castiau. - Quand ?

M. Malou. - A partir de 1843.

M. Castiau. - En 1844.

M. Malou. - Je pense que c'est en 1843. Du reste je n'insiste pas sur la date.

Ce n'est pas l'ancienne majorité qui a sanctionné ce système ; c'est l'ancienne chambre, majorité et minorité. Je regrette que, quand une première fois, application a été faite de cette mesure, l'honorable M. Castiau n'ait pas fait alors, comme aujourd'hui, une éloquente protestation.

M. Castiau. - J'en ai fait, à plusieurs reprises, un grief à M. Nothomb.

M. Malou. - Lorsque l'on a ratifié à l'unanimité les arrêtés de 1843 et de 1844, je regrette que la même protestation n'ait pas été faite. Si j'ai bon souvenir, l'honorable M. Nothomb, avant d'appliquer la loi de 1822, en avait donné connaissance à la chambre. Alors encore aucune voix ne s'est élevée sur l'usage de la prérogative conférée au gouvernement par la loi.

L'honorable membre croit qu'il peut y avoir ici un cas de responsabilité ministérielle, parce qu'il y aurait lieu à restitution d'un droit indûment perçu pendant plusieurs années. Cette hypothèse ne peut se présenter. Lorsque le gouvernement fait usage de la loi de 1822 (cette lof existe tant qu'elle n'est pas expressément abrogée), l'application du tarif nouveau est légale. Lors même que la chambre, usant de son initiative, ou sur la proposition du gouvernement, modifie le tarif, ces modifications n'ont d'effet qu'à partir de la mise en vigueur de la loi ; les perceptions sont légales et ne peuvent donner lieu à restitution.

M. Osy. - J'ai besoin de répondre à l'honorable M. Castiau. Je le prie d'être persuadé que je suis très loin de m'éloigner de lui. Mais comme j'ai eu l'honneur de le dire, je désire que nous nous rapprochions du système anglais. Mais jusqu'à présent nos débouchés sont très restreints ; nos produits sont frappés de droits à l'entrée des pays voisins. Dans de telles circonstances, ce serait une grande folie d'entrer dans le système anglais du free-trade.

Si maintenant je propose un léger droit de 4 francs, on ne peut dire que je me rapproche du système de l'honorable M. Eloy de Burdinne. Pour le régime des céréales, je n'ai pas changé. Je demande le changement de la loi de 1834 et un droit fixe peu élevé. Je reste donc conséquent avec ce que je demande depuis plusieurs années.

M. Eloy de Burdinne. - L'honorable M. Osy m'attaque depuis le commencement de la séance. Voilà quatre fois qu'il répète la même chose. Ma réponse sera courte. Quand je suis hostile à ses intérêts, je ne suis qu'un prohibitionniste ; mais quand je soutiens ses intérêts, je suis l'homme le plus libéral du monde.

M. Tielemans. - Je demande la parole pour une observation qui me paraît assez importante, sur la question de légalité.

Je ne pense pas, avec l'honorable M. Castiau, que la loi de 1822 soit abrogée. Je désire qu'elle soit exécutée. J'en réclame l'exécution sous le rapport que je vais indiquer.

Cette loi accorde au gouvernement le droit de changer le tarif, mais seulement à la condition expresse de soumettre le changement à la législature, dans la session la plus prochaine. Or, l'arrêté dont on demande la ratification, porte la date du 29 juillet 1845, et c'est seulement le 5 mars 1847 qu'on est venu nous en proposer la ratification.

Je ne sais si je me trompe en fait, mais si le fait est exact, il est évident que la question de savoir si l'ancien ministère devrait être tenu à restitution, devrait être résolue contre lui.

M. Malou. - Le projet de loi a été soumis aux chambres dans la session qui a suivi l'arrêté. Mais l'honorable membre a sous les yeux un projet modifié, une deuxième proposition qui n'a pas été faite dans ce délai.

M. Tielemans. - Dans ce cas, mon observation tombe.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau du tarif

Bois et navires

« Bois. Ouvrages de bois, navires et autres embarcations nationalisés par le gouvernement, par 100 fr., à l'entrée 5 fr. ; à la sortie 5 c.

« Id. Autres ; à l'entrée tarif actuel, à la sortie 5 c. »

M. Loos. - Les bois de noyer en grume sont considérés comme bois de construction ; ils supporteront un droit de 5 fr. par tonneau de mer, tandis que les bois de noyer sciés et rabotés pour bois de fusil, sont libres à l'entrée. Ainsi la matière première est imposée, tandis que la matière ouvragée est libre à l'entrée. Il y a là contradiction, anomalie. Le droit doit avoir pour but de protéger la main-d'œuvre nationale. J'avais trouvé cela si évident, que je pensais que le gouvernement aurait, sur l'observation que je lui en avais faite au mois d'avril dernier, modifié la loi. Mais comme il ne l’a pas fait, je proposerai une modification ainsi conçue :

« Bois de noyer de grume ou scié et raboté, pour bois de fusil, libre à l'entrée. »

J'espère que la chambre sera unanime pour reconnaître que si le bois travaillé est libre à l'entrée, à plus forte raison le bois de noyer en grume doit-il l'être. Ce bois de noyer sert à la confection des bois de fusil tant pour l'usage des fabriques d'armes de notre pays, que pour celles de l'Angleterre.

Je demande si le gouvernement se rallie à mon amendement qui a pour objet de laisser libre à l'entrée le bois de noyer en grume comme le bois de noyer travaillé.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Le tarif actuel (c'est encore celui du 26 août 1822) porte la disposition suivante : « Bois de noyer raboté, pour bois de fusils, libre à l'entrée.» Mais, comme l'a dit l'honorable M. Loos, le bois de noyer en général est frappé de 5 fr. par tonneau, à l'entrée.

Messieurs, si l'intention de l'honorable auteur de l'amendement est de ne l'appliquer au bois de noyer en grume, que pour autant qu'il est destiné à être façonné en bois de fusils, le gouvernement ne combattrait pas l'amendement. En effet, le tarif admet le bois de noyer raboté, c'est-à-dire ayant subi une première préparation ; à plus forte raison pourrait-on admettre le bois de noyer en grume pourvu qu'il soit destiné à en faire des bois de fusils.

En termes généraux, l'amendement ne serait admissible. Il y a des parties du pays où la culture du bois de noyer est importante, notamment dans les Flandres. Cette culture peut fournir à d'autres usages (page 770) auxquels le bois de noyer est employé, et pour ces usages-là, une liberté entière en grume n'est pas nécessaire. Jamais elle n'a été demandée.

M. Osy. - Messieurs, j'approuve la proposition de l'honorable ministre des affaires étrangères d'imposer les navires et les embarcations par tonneaux et non à la valeur, parce qu'il est presque toujours impossible d'évaluer un ancien navire, qu'on demande à nationaliser. Mais je crois qu'il faudrait faire deux articles de cet objet, le premier s'appliquant aux ouvrages de bois, le second aux navires et autres embarcations.

L'amendement de M. le ministre des affaires étrangères ne se rapporte, je crois, qu'aux navires et embarcations. On pourrait fixer un droit de 8 fr. pour les ouvrages en bois et un droit de 15 fr. pour les navires et autres embarcations.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je me rallie volontiers à la proposition de l'honorable M. Osy. Il est évident que le droit de 15 fr. ne s'applique qu'aux navires et autres embarcations qui étaient jusqu'à présent confondus avec les ouvrages en bois, et qui, à cause de cette confusion, payaient 20 p. c. Il suffirait de supprimer dans l’article les mots « ouvrages de bois ». De cette manière le droit ne s'appliquerait plus qu'aux navires et autres embarcations, et quant aux ouvrages de bois, ils resteraient sous le tarif actuel.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Voici la disposition de la loi actuellement en vigueur ; elle a été porté par la loi du 31juillet 1844 :

« Meubles de toute espèce et ouvrages de bois, 20 p. c. »

Je crois que cet article doit être maintenu. Il n'y aura dérogation que pour ce qui concerne les navires et autres embarcations nationalisés par le gouvernement : « Droit, fr. 15 par tonneau de mer à l'entrée. » Il ne sera pas parlé dans le projet actuel des autres ouvrages de bois.

M. le président. - D'après ces explications, M. Osy retire-t-il la première partie de son amendement ?

M. Osy. - Oui, M. le président.

M. Lesoinne. - J'engagerai M. le ministre des finances d'exempter du droit d'entrée le bois de noyer en tronc comme celui qui est scié en madriers. Le bois de noyer scié en madriers pour bois de fusil est libre à l'entrée. Ce bois scié a ordinairement une épaisseur de 2 à 2 1/2 pouces, et on pourrait s'en servir pour meuble, comme de celui qui arrive en tronc. Il n'y a donc pas de motif pour faire une distinction, il ne nous arrive d'ailleurs pas assez de bois de noyer pour qu'il résulte, de ma proposition, une différence notable dans les recettes du gouvernement.

J'ai sous les yeux une réclamation que nous avions signée l'année dernière à cet égard et où se trouve même la signature de M. le ministre actuel, qui demandait avec nous l'assimilation entre les deux bois.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je crois, messieurs, qu'il' ne faut exempter de tout droit que le bois de noyer importé pour la fabrication de bois de fusils. C'est là l'objet de la proposition de l'honorable M. Loos ; et si vous la votez, je crois que l'honorable M. Lesoinne doit être satisfait ; car il ne demande pas qu'on permette la libre introduction du bois de noyer pour en faire des meubles.

Si vous ne faisiez pas une distinction, je ne sais comment on justifierait la faveur accordée à l'entrée au bois de noyer sur les autres bois. Il y aurait là anomalie.

M. Lesoinne. - Le bois de noyer, qui nous vient de l'étranger, est, en général, destiné à la fabrication des armes. Je pense que la quantité de bois de noyer qu'on emploie pour meubles est très minime, et je ne crois pas que l'on en fasse venir de l'étranger pour cet objet ; il n'y aurait donc aucun inconvénient à ce que le bois en grume fût admis à l'entrée libre de droit.

M. Loos. - Messieurs, je crois que mon. amendement satisfait à ce que demande l'honorable M. Lesoinne. Je propose de laisser libre à l'entrée le bois de noyer en grume, ou scié et raboté pour bois de fusil. Que nous dit l'honorable M. Lesoinne ? Il nous dit qu'il n'entre pas de bois de noyer pour une autre destination que pour les bois de fusil ; car le bois de noyer qu'on obtient dans le pays suffit aux autres besoins.

Je crois donc que la rédaction de mon amendement satisfait entièrement à ce que demande l'honorable M. Lesoinne.

M. le président. - Le premier amendement est celui de M. Osy, qui consiste à supprimer les mots : « Bois, ouvrages de bois. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Il faut maintenir le mot « bois » et supprimer seulement « ouvrages de bois ».

- L'amendement ainsi modifié est adopté.

M. le président. - L'article est donc ainsi conçu :

« Bois, navires et autres embarcations, nationalisés par le gouvernement ; par tonneau de mer : à l'entrée 15 francs, à la sortie 5 centimes.»

- Cet article est adopté,


M. le président. - Nous arrivons à l'amendement de M. Loos qui tend à autoriser la libre entrée du bois de noyer en grume ou destiné à la fabrication des fusils.

M. Lesoinne. (sur la position de la question). - Je demande comment M. le ministre s'assurera que le bois est destiné à la fabrication des fusils.

M. de Garcia. - Il est bien entendu que le bois destiné à la fabrication des pistolets, par exemple, sera compris dans la disposition.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - On pourrait ajouter : « ou autres armes ».

M. le président. - Ainsi on dirait : « Bois de noyer en grume on préparés pour bois de fusils ou d'autres armes, libres à l'entrée.

M. Eloy de Burdinne. - Il doit être entendu que la disposition s'appliquera seulement aux bois préparés de manière à ne pouvoir pas servir à d'autres usages, par exemple à la confection de meubles.

M. le président. - Le tarif actuel est maintenu pour les articles à l'égard desquels il n'y est pas dérogé expressément.

- L'amendement est adopté.

Café

« Café torréfié, les 100 kil., à l'entrée 30 p. c. en sus des droits fixés pour le café, à la sortie 5 c. »

- Adopté.

Caoutchouc

« Caoutchouc brut, concret ou liquide (cet article comprend les chaussons, les bouteilles et autres objets bruts, à l'état naturel, et non dénommés, en caoutchouc, sans addition d'autres matières et tels qu'on les obtient des moules sur lesquels le suc végétal a été reçu et s'est concrété), les 100 kil., à l'entrée 5 fr., à la sortie 5 c.)

M. Castiau. - Messieurs, les quelques mots que j'ai prononcés dans la séance d'hier, en faveur du caoutchouc, m'ont valu ce matin une réclamation de la part de la gutta percha, et j'ai promis de vous soumettre cette réclamation. Je vous avoue franchement que jusqu'ici je ne connaissais pas cette substance, et plusieurs membres de cette assemblée partagent sans doute mon ignorance à cet égard. Il y a cependant l'un de nos collègues qui la connaissait, paraît-il d'une manière toute particulière, c'est celui qui entre en ce moment même dans la salle, c'est l'ex-ministre des finances : c'est l'honorable M. Malou. C'est précisément contre lui que la gutta percha élève des réclamations dont j'ai consenti à être l'organe. Elle se plaint que l'honorable M. Malou l'ait assimilée au caoutchouc ; elle proteste contre cette assimilation ; elle prêtent enfin qu'on l'a calomniée en lui imposant cette assimilation. Ces réclamations sont-elles justes et les plaintes fondées ? Je l'ignore aussi. Je voudrais, que l'ex-ministre des finances nous fît connaître par quelles considérations il a été amené à établie cette similitude, cette espèce de parenté, contre laquelle la gutta percha proteste de toutes ses forces.

Dans le cas où l'on persisterait à la confondre avec le caoutchouc, la gutta percha demande qu'on abaisse du moins quelque peu la sévérité du tarif sur le caoutchouc, sévérité dont elle est victime. Cette partie de sa réclamation vous ne pouvez la rejeter. En effet, messieurs, le droit sur le caoutchouc ouvré, et par conséquent sur la gutta percha est de 250 francs par 100 kilog. et savez-vous ce que représente ce droit effrayant de 250 francs ? A peu près la valeur du produit sur lequel il est établi. On m'assurait, en effet, ce matin que les 100 kil.de gutta percha ne dépassaient guère cette somme. S'il en est ainsi, ce serait un droit de près de 100 p. c, un véritable droit prohibitif. La chambre ne peut pas l'adopter ; elle le peut d'autant moins qu'il ne s'agit pas ici d'un produit qui fasse concurrence à des produits indigènes. La gutta percha est d'origine complètement étrangère, et mérite, à ce titre, qu'on lui fasse bon accueil. Elle est en outre de la plus, grande utilité, et son admission est réclamée, m'assure-t-on, par plusieurs de nos industries.

Je propose, donc à la chambre, par amendement, de réduire le chiffre, aussi bien pour le caoutchouc que pour la gutta percha, de 250 à 50 fr. Ce sera, je pense, encore un droit de près de 20 p. c, et il me semble que ce droit est suffisant pour protéger ceux qui, dans ce pays, voudraient exploiter ce nouveau produit.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, l'honorable M. Castiau substitue un droit de 50 francs à un droit de 250 francs. Il y a une si énorme différence entre ces deux chiffres que je crois devoir demander à la chambre de ne pas statuer d'une manière définitive. C'est un amendement sur lequel il sera possible de revenir. Le droit élevé de 50 francs a sans doute un motif sérieux :. j'ignore lequel ; il n'a donné lieu à aucune observation de la part de la commission. Mais j’aurai le temps de m'en enquérir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, la proposition qui est soumise à la chambre résulte aussi de l'arrêté royal du 29 juillet 1845. Le but qu'on a voulu atteindre par cette disposition, c'est d'abord de faire une distinction entre le caoutchouc brut, considéré comme matière première, et le caoutchouc ouvré. D'après l'ancien tarif, l'un et l'autre étaient en quelque sorte confondus ; ainsi, le caoutchouc brut payait le droit exagéré de 20 p. c. Cela provenait d'une confusion qui existait dans le tarif : c'est que le caoutchouc à l'état brut arrive façonné en Belgique sous la forme même de chaussons. Or, comme ce droit sur les chaussons était de 20 p. c, il en résultait que la matière première était trop frappée à son entrée en Belgique.

Ainsi, la disposition qui vous est soumise par suite de l'arrêté royal du 29 juillet 1845, atteint un but très utile : c'est de réduire le droit à 5 fr. par 100 kil. ce qui équivaudrait à 1 p. c à sa valeur.

Ensuite, l'arrêté royal a été plus loin, est même allé peut-être trop loin, car on a élevé considérablement le droit sur le caoutchouc ouvré. Mais ici on peut encore faire une distinction : Il y a le caoutchouc ouvré pur et le caoutchouc mélangé ; quand le caoutchouc est mélangé avec d'autres matières, le droit ne l'atteint pas aussi considérablement ; mais quand il est ouvré pur, if est frappé d'un droit de 40 p. c, c'est-à-dire d'un droit prohibitif.

Je crois qu'on pourrait sans nuire à cette industrie opérer une réduction sur le droit actuel. Mais il serait utile de distinguer entre le caoutchouc ouvré pur et le caoutchouc qui est mélangé avec d'autres matières.

Il est assez difficile de saisir an premier aperçu la portée de l'amendement (page 771) de l'honorable M. Castiau. Il comprendra lui-même qu'improviser en quelque sorte un tarif de douanes, cela peut offrir certains dangers ; mon observation ne s'applique pas seulement à cet amendement, mais à tous les amendements qu'on pourra présenter sur d'autres articles.

Il est certain qu'à l’égard de produits dont on ne peut pas toujours avoir une connaissance approfondie, à moins d'être soi-même fabricant, il serait impossible d'apprécier la portée d'un amendement présenté séance tenante.

Je suis donc en principe favorablement disposé pour une réduction sur l'article dont il s'agit ; je trouve que là, la majoration est trop forte ; mais quel chiffre doit-on adopter ?'Quelle forme doit-on donner à la disposition ? C'est sur quoi je ne pourrais me prononcer immédiatement.

Toutefois, comme il y a un second vote, je crois qu'on pourrait adopter provisoirement un droit de 150 francs, sauf à y revenir au second vote pour former définitivement la disposition.

M. Malou. - Messieurs, je remarque, dans les explications données sur cet article que le caoutchouc, sans distinction, était tarifé jusqu'à présent à 20 p. c, comme vêtement.

Le projet crée une distinction ; il établit un droit minime pour le caoutchouc brut, et maintient à peu près, d'après les explications du gouvernement, le droit actuel de 20 p. c. Je lis en effet à la page 19 de l'exposé des motifs : « Ouvré,le caoutchouc sera assujetti à un droit protecteur des intérêts de notre industrie (15 à 18 p. c. de la valeur). »

Si l'on admettait l'amendement de l'honorable M. Castiau ou celui de M. le ministre des affaires étrangères, nous ferions notre tarif à rebours des intérêts de notre industrie, parce que le caoutchouc dans cet état de préparation, serait tarifé différemment du vêtement de caoutchouc. Pour maintenir l'harmonie dans le tarif, le droit de 250 francs sur le caoutchouc ouvré, doit être maintenu. Du reste, je ne m'oppose pas à ce que cette disposition soit examinée ou demain ou au second vote ; on pourra d'ici là éclaircir la question qui a été soulevée par l'honorable M. Castiau et qui m'est tout à fait inconnue. Je regrette que la gutta percha se soit plutôt adressée à l'honorable membre qu'au gouvernement qui doit posséder à cet égard des renseignements complets.

M. Castiau. - Vous avez été impitoyable pour elle.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - L'honorable M. Malou s'est appuyé sur l'exposé des motifs du projet de loi. D'après cet exposé, le droit de 250 IV. n'équivaudrait qu'à 18 p. c. à la valeur. C’est là une erreur évidente, car le caoutchouc ouvré a une valeur de 6 fr. le kilog. ; par conséquent, le droit de 250 fr. équivaut à 40 p. c. de la valeur.

Je ne pense donc pas, au point de vue même de l'industrie assez intéressante qui s'occupe de cette matière, qu'on puisse s'opposer à ce que le droit actuel soit réduit. Mais quelle sera la limite de cette réduction ? C'est ce que nous pouvons décider aujourd'hui.

Quant à la gutta percha, je dois confesser que je connais fort peu ses intérêts ; je n'ai pas non plus eu connaissance d'aucune réclamation faite en sa faveur ; je voudrais donc avoir d'autres renseignements, pour me prononcer sur ce produit, dont il n'est pas fait mention au projet de loi.

- La discussion est close.

« Caoutchouc ouvré, pur ou mélangé à d'autres matières dont il forme la partie principale, les 100 kil., à l'entrée 250 fr., à la sortie 5 c. »

M. le président. - M. Castiau propose de réduire ce droit à 50 fr.

M. le ministre des affaires étrangères propose provisoirement 150 fr.

M. Castiau. - Je me rallie à ce chiffre.

- Le chiffre de 150 fr. est adopté.


« Caoutchouc ouvré en passementerie et rubanerie. Tarif actuel. »

- Adopté.


« Caoutchouc ouvré filé, les 100 kil., à l'entrée tarif, actuel, à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Essence ou extrait de caoutchouc, les 100 kil., à l'entrée 25 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté,

Cuirs et peaux

« Cuirs et peaux (les peaux, grandes et petites, sans poils, importées dans la chaux et dites peaux en tripe, seront admises comme peaux brutes ). Grandes peaux tannées, préparées ou apprêtées, par 100 kil., à l'entrée 32 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Cuirs et peaux, autres que les grandes peaux de chevreau brutes, par 100 kil., à l'entrée 1 fr., à la sortie 50 fr. »

- Adopté.


« Id. préparées ou apprêtées, par 100 kil., à l'entrée 32 fr., à la sortie 150 fr. »

- Adopté.


A l'article peaux de chevreau, le gouvernement propose la disposition particulière qui suit :

« Le gouvernement pourra, par arrêté royal, réduire les droits de sortie sur les peaux de chevreau jusqu'au niveau de ceux sur les peaux de lapin et de lièvre. »

- Adopté.


« Cuirs et peaux autres que les grandes peaux de lapin et de lièvre, brutes, par 100 kil., à l'entrée 50 c, à la sortie 15 fr. »

- Adopté.


« Id., teintes ou autrement préparées ou apprêtées, par 100 kil., à l'entrée 32 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Cuirs et peaux autres que les grandes peaux de castor, de ragondin ou castorin et de rat musqué, brutes, par 100 kil., à l'entrée 50 c, à la sortie 5 c.»

- Adopté.


« Id., préparées ou apprêtées, par 100 kil., à l'entrée 32 fr., à la sortie 5 c.»

- Adopté.


« Cuirs et peaux autres que les grandes peaux d'agneau, de bouc, de cerf, de blaireau, de chèvre, de chevreuil, de chien, d'élan, de mouton, de veau et toute autre espèce de peaux non spécialement tarifées et qui ne sont pas comprises parmi les grandes peaux, brutes, par 100 kil., à l'entrée : 1 fr., à la sortie 12 fr. »

- Adopté.


« Id., préparées ou apprêtées, y compris le cuir de veau odorant, dit cuir de Russie (les rognures de parchemin suivront le régime des rognures de cuir sèches ), par 100 kil., à l'entrée 32 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Cuirs et peaux autres que les grandes peaux. Pelleteries brutes ou non apprêtées (fraîches ou sèches et dans l'état où elles ont été arrachées du dos de l'animal), par 100 fr., à l'entrée 1 fr., à la sortie, 1 fr. »

- Adopté.


« Id. apprêtées, par 100 fr., à l'entrée 6 fr., à la sortie 50 c. »

- Adopté.

Cuivre

« Cuivre de première fusion en masses, gâteaux, rosettes, blocs ou lingots de forme quelconque, pur (rouge), par 100 kil., à l'entrée 5 c, à la sortie 5 c.»

- Adopté.


« Id. allié, de zinc (laiton), par 100 kil., à l'entrée 10 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Id. d'étain (bronze), par 100 kil., à l'entrée 10 fr., à la sortie 5 c.»

- Adopté.


« Vieux cuivre, pur ou allié, ne pouvant servir qu'à la refonte, tel que mitraille, rognures, limailles, vieilles monnaies et objets détruits, par 100 kil., à l'entrée 5c, à la sortie 10 fr. »

- Adopté.


« Cuivre pur ou allié, battu, étiré ou laminé, même doré et argenté, par 100 kil., à l'entrée 13 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Id. clous, par 100 kil., à l'entrée 9 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Id. fil, par 100 kil., à l'entrée 9 fr., à la sortie 5 c. »

- Adopté.


« Id. flans pour monnaies, par 100 kil., à l'entrée 30 fr., à la sortie 5 c.»

- Adopté.


« Id. monnaie étrangère (toute quantité inférieure à un demi-kilogramme ne sera pas assujettie au droit), par 100 kil., à l'entrée 50 fr., à la sortie libre. »

M. Rodenbach. - J'ai quelques mots à dire sur la monnaie étrangère de cuivre. Vous savez, messieurs, que déjà depuis plusieurs années il nous est arrivé des réclamations, notamment des frontières de France. On introduit une grande quantité de ces gros sous de cuivre blanc. Cette monnaie nous arrive par tonneau ; il y a des spéculateurs qui se rendent en France et qui achètent ces gros sous avec un bénéfice de 2 à 2 et demi p. c, ils introduisent ces mauvaises monnaies sur la frontière et les fabricants payent leurs ouvriers avec ces gros sous de France, Il y a pour eux un bénéfice considérable au détriment de l'ouvrier. L'ouvrier qui va acheter ses aliments et ses vêtements dans les boutiques paye avec ces gros sous ; il en résulte que sur nos frontières ceux qui se livrent au commerce de détail ont jusqu'à des deux mille francs de ces gros sous de France dans leur caisse et quand ils doivent faire des payements, ils sont obligés de subir une perte de deux et demi p. c. pour se procurer des pièces de 5 francs afin de payer leurs créanciers.

La classe ouvrière éprouve un tort réel, mais ce n'est pas seulement elle qui pâtit de cette manœuvre, c'est encore le gouvernement, car nous ne voyons presque pas de cuivre frappé en Belgique sur la frontière ; comme elle n'offre rien à gagner aux spéculateurs, ils ont soin qu'il n'y en ait pas beaucoup pour pouvoir introduire de la monnaie de cuivre de France ; il en résulte un préjudice pour le gouvernement, puisque l'Etat fait un bénéfice de 35 p. c. sur la monnaie de cuivre que nous frappons. C'est dans l'intérêt de la classe ouvrière que le droit vous est proposé ; cette proposition est très populaire. Je ne vois pas pourquoi cette monnaie dont on ne veut pas en France, notre pays devrait la recevoir. Je crois cependant qu'en France il y a une nouvelle loi pour les faire disparaître. En attendant, elles envahissent la Belgique. Depuis 7 ou 8 ans, on nous a adressé des pétitions pour nous demander de mettre fin à cet état de choses. Il nous en arrive encore maintenant. Nous devons faire droit à ces réclamations qui ne sont que trop fondées.

J'appuie le droit de 50 fr. par kilogramme qui est proposé.

M. Clep. - Messieurs, j'habite une commune frontière de la France, et je viens confirmer ce que vient de vous dire mon honorable collègue et ami M. Rodenbach, relativement à l'introduction en Belgique de la monnaie de cuivre « non-décimale » de France.

(page 772) Ce billon n'est même plus reçu en France par le commerce que moyennant une taxe de deux au moins pour cent. Des spéculateurs l'accaparent, l'introduisent en Belgique et le font entrer au pair dans les payements du salaire aux ouvriers et artisans, lesquels ne peuvent s'en défaire qu'avec embarras et perte.

L'introduction en Belgique de ce billon français cause une véritable perturbation dans les petits payements journaliers sur la frontière ; aussi le commerce des villes de Furnes, Dixmude, Ypres et Courtray s'en est ému ; il a réclamé au gouvernement, et la mesure qui nous est proposée, si elle est adoptée, sera un véritable bienfait principalement pour nos villes et communes frontières de la France.

Veuillez remarquer, messieurs, que le gouvernement ne propose pas de mesure contre l'infiltration très minime par les voyageurs, puisque toute quantité inférieure à un demi-kilogramme ne sera pas assujettie au droit, mais tout simplement contre l'introduction en grand et par spéculation.

M. Castiau. - Comme les préopinants, j'habite une commune limitrophe de la France, mais mes renseignements, je dois le dire, ne sont pas entièrement conformes aux leurs et je ne puis conséquemment partager la vivacité de leurs appréhensions et de leurs réclamations.

Messieurs, on a vu parfois des pays s'opposer à l'exportation du numéraire, mais jusqu'ici il n'est pas d'exemple d'un pays qui ait repoussé de son sein le numéraire étranger, en en frappant l'introduction d'un droit exorbitant. C'est la Belgique, paraît-il, qui est appelée à donner la première cet exemple, et je ne suis pas tenté de l'en féliciter. C'est là, ce me semble, le nec plus ultra du régime prohibitif. Le droit de 50 fr. est exorbitant ; c'est un droit de prohibition. Je sais qu'il ne s'agit que de la monnaie de cuivre ; mais c'est précisément la monnaie du peuple, et c'est celle-là qui, par exception, on nous propose de frapper de prohibition.

Les honorables membres qui réclament cette prohibition ont prétendu que la spéculation est organisée pour inonder la Belgique de cette monnaie de cuivre, qu'on en fait un abus scandaleux dans les payements, et que les classes ouvrières sont victimes de ces odieuses machinations. Ces considérations sont graves, je le reconnais. Si cette spéculation existe, je conçois qu'on s'élève contre elle pour la flétrir ; mais craignez, en voulant atteindre la spéculation, de frapper ces classes ouvrières qu'on annonce vouloir protéger. Ce ne sont pas seulement les spéculateurs qui rapportent de France de la monnaie de cuivre, ce sont encore les ouvriers qui vont y travailler et exercer sur la frontière de France leur modeste industrie. On les paye presque toujours en monnaie de cuivre, il faut bien qu'ils l'introduisent à leur retour en Belgique pour n'avoir pas, en la changeant, à subir une perte trop considérable. Irez-vous leur faire payer le droit exorbitant dont vous voulez frapper la spéculation ? Mais ce serait là la plus criante des injustices.

Je sais qu'une modification a été apportée au droit rigoureux dont on veut frapper l'introduction de la monnaie de cuivre de France en Belgique. Je vois dans une note, que toute quantité inférieure à un demi-kilog. ne sera pas assujettie au droit. Cette exception n'est pas suffisante. Un demi-kilogramme en cuivre ne représente pas une somme de deux francs, je pense. Allez-vous vous opposer à ce que l'ouvrier rapporte en Belgique, en monnaie de cuivre, une somme de 5 ou 6 fr. qu'il aura été forcé de prendre ? Ce serait de la dureté et de l'injustice, je le répète ; je vous proposerai donc d'étendre l'exception d'un demi à 2 kilog. On ne dira pas sans doute qu'il y a spéculation de la part du prolétaire qui rentre chez lui chargé de 2 kilog. de monnaie de cuivre, produit de son travail.

Les honorables membres qui viennent de se donner comme les organes des intérêts des classes ouvrières, en cette circonstance, ne refuseront pas sans doute d'appuyer une exception qui est tout entière en leur faveur.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Cet amendement permettrait d'introduire dans le pays de la monnaie de cuivre jusqu'à concurrence de 10 fr. ; car, d'après une note d'un tarif français, un kilog. de monnaie de cuivre représente une somme de cinq francs. Je crois que ce serait aller trop loin. Si l'honorable M. Castiau se bornait à demander que la quantité fût doublée, le gouvernement pourrait s'y rallier.

Cette prohibition est dans l'intérêt de la classe ouvrière. C'est cette classe qui se plaint de l'importation considérable de billon dans les communes limitrophes de la France. Il nous est arrivé des plaintes nombreuses à ce sujet. Le moyen mis en œuvre n'est pas suffisant ; seul, il ne serait pas efficace ; mais il viendra en aide à ceux auxquels on a déjà eu recours. Les personnes qui se sont adressées à la chambre avaient joint à leur pétition des lettres de commerce constatant qu'on envoyait en Belgique des sacs de 1,000 fr. en monnaie de cuivre. C'est un commerce considérable qui se fait entre Furnes et Dunkerque.

Je crois qu'il faudrait tout au plus admettre l'amendement de l'honorable M. Castiau, pour un kilogramme.

M. Castiau. - Je modifie ma proposition en ce sens.

M. Rodenbach. - J'admets aussi l'amendement de l'honorable député de Tournay. Mais je dois faire observer que les sous blancs sont démonétisés en France. C'est donc une véritable duperie d'admettre ce cuivre français dont on ne veut plus en France. Chacun sait que la monnaie de cuivre donne un bénéfice de 40 p. c. Nous devrions réaliser ce bénéfice nous-mêmes plutôt que de le laisser réaliser par la France.

Il est positif que les spéculateurs exploitent la classe ouvrière. C'est ce que nous devons empêcher.

Toutefois j'admets l'amendement de l'honorable député de Tournay, en faveur des ouvriers des communes limitrophes qui vont travailler en France.

M. Cogels. - L'honorable M. Rodenbach se trompe, lorsqu'il dit que les sous blancs sont démonétisés en France. Il n'y a de démonétisées que les petites pièces de dix centimes et les pièces de six liards. La démonétisation des sous blancs est proposée par un projet de loi, dont l'adoption a été ajournée, et qui sera, je crois, discutée dans cette session.

Pour mettre fin à la circulation de la monnaie de cuivre étrangère, il n'y a qu'un moyen, c'est d'éclairer les populations sur la véritable valeur de ces monnaies, de leur faire comprendre qu'elles n'ont, en Belgique, aucune valeur légale, qu'elles ne sont pas reçues dans les caisses de l'Etat. On les reçoit sur la frontière. Mais dans notre province, on les refuse, et je crois que l'on a raison.

M. Rodenbach. - Lorsque l'honorable M. d'Huart était ministre des finances, il a envoyé une circulaire dans les communes voisines de la frontière.

On a éclairé le public, on a employé pour cela tous les moyens ; on a même publié, je pense, dans tous les villages, que cette monnaie ne devait pas être reçue. Ces moyens n'ont pas réussi. Il faut donc, si vous voulez atteindre votre but, recourir à celui qui nous est proposé par le projet de loi. En effet, lors même qu'un boutiquier voudrait refuser cette monnaie, la concurrence engagerait un autre à la recevoir. Dès lors tout le monde doit agir de même, cela devient une recette forcée.

Nous avons l'expérience que ce que vient de dire l'honorable préopinant n'est pas praticable. Il n'y a, je le répète, qu'un seul moyen, c'est d'établir un droit de 50 fr. par 100 kilog.

M. de Garcia.- Messieurs, il est une autre considération qui doit, je crois, engager la chambre à ne pas permettre facilement l'entrée de la monnaie de cuivre française, c'est que la France peut, d'un jour à l'autre, la démonétiser, et, comme on vient de vous le faire observer, cette question est à l'ordre du jour dans ce dernier pays. Ce fait se réalisant, il en résulterait une perte réelle pour les habitants du royaume, qui ne resteraient plus en possession que de la valeur intrinsèque du cuivre.

Dans cet état de choses, il est donc à désirer qu'on prenne toutes les mesures propres à empêcher une introduction trop large des monnaies de cuivre étrangères.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je désire faire remarquer, en réponse à ce qu'a dit l'honorable M. Cogels, que la mesure que l'honorable M. d'Huart, alors ministre, avait prise, a été tout récemment renouvelée. Il a été adressé à toutes les villes et communes frontières une circulaire pour prémunir leurs habitants contre les conséquences auxquelles ils s'exposent en recevant la monnaie de cuivre étrangère.

Mais ce moyen ne suffisant pas, d'autres ont été employés. C'est ainsi que la Société Générale a été invitée à faire arriver chez ses agents, dans ces localités, le plus possible de monnaie de cuivre du pays ; ainsi encore des mesures ont été concertées pour faire les petits payements à l'armée en monnaie de cuivre.

Ces moyens accessoires ont produit un certain résultat : mais je crois qu'ils seront utilement complétés par la mesure qui est proposée à la chambre dans le projet de loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il y a encore une considération à joindre à celles qu'a fait valoir l'honorable M. Castiau.

Il s'établit entre les communes limitrophes de France et de Belgique, comme entre les communes limitrophes de tous les pays, des relations d'affaires de tous les jours, qui font que la monnaie française circule nécessairement dans les villages de la frontière.

Il faut, dit-on, empêcher la monnaie de cuivre française d'entrer dans le pays. Mais prenez garde, messieurs, d'empêcher aussi les consommateurs français d'entrer dans le pays. Ne perdez pas de vue qu'une quantité de Français viennent chaque semaine s'approvisionner dans les villages frontières et qu'ils payent avec de la monnaie française. Si vous empêchez l'introduction de la monnaie, vous allez repousser les acheteurs.

Il faut donc ici une certaine tolérance. D'ailleurs, la monnaie française reste en quelque sorte une monnaie de frontière. Il n'y en a presque pas dans l'intérieur du pays. Je pense donc que ce n'est pas aller trop loin, beaucoup s'en faut, que d'admettre la libre entrée des quantités inférieures à 1 kilog.

- La proposition tendant à limiter à 1 kilog. la quantité qui ne sera pas assujettie au droit, est adoptée. La disposition du projet, ainsi modifiée, est adoptée.

Fils

« Fils de coton, simples ou retors, écrus, blanchis ou teints, du n°146 métrique, et au-dessus (pour l'application du droit d'entrée sur les fils retors, on multipliera le nombre de mètres que mesure un kilog. de fil déclaré par le nombre de bouts de fil simple qui le composent ; le produit déterminera le numéro auquel le fil appartient), par 100 kil. à l'entrée 5 fr. ; à la sortie, 5 c. »

M. Manilius. - Messieurs, la modification que l'on propose relativement à l'introduction de certains fils est une extension de celle qui a déjà été votée par la chambre en 1838. Alors, sur la réclamation des fabricants de tulle, on a permis l'introduction des numéros 140 métrique (page 773) et au-dessus comme ne pouvant en aucune façon nuire à la fabrication du fil à l'intérieur.

Messieurs, l'extension que l’on propose ne peut pas non plus faire ombrage à la fabrique de l'intérieur. Mais il convient, pour éviter toute erreur, de s'entendre sur le véritable numérotage métrique, c'est-à-dire, sur le numérotage qui est reconnu dans le commerce et qui doit être également reconnu dans la loi.

Pour obvier à toute erreur, en 1838, l'honorable M. Desmet, notre ancien collègue, avait demandé que l'on ajoutât à la loi : « Fil de coton à faire le tulle. » De cette manière, on faisait taire tous les scrupules relativement au numérotage.

Je vois que dans les modifications qui nous sont proposées, il n'y a aucune remarque pour expliquer ce qu'on entend par le numérotage métrique, le seul qui puisse réellement figurer dans une loi, attendu que nous ne pouvons y faire figurer le poids anglais ou le poids de marc français. Or, il importe que le numérotage métrique soit bien connu par l'administration, afin qu'on ne tombe pas dans des erreurs et qu'on n'applique pas à des numéros plus bas les dispositions du tarif applicables aux numéros 140 et au-dessus.

Je demanderai donc à M. le ministre des finances ou à M. le ministre des affaires étrangères s'il est bien entendu que c'est le numérotage métrique français que l'on entend appliquer par la note qui se trouve à côté de l'article Fil de coton.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, le mode de vérification qui est indiqué à la page 21 de l'exposé des motifs est, pour les fils de coton, simples ou retors, écrus, blanchis, teints, du n°140 métrique et au-dessus, est absolument le même qui est employé en France et en Belgique pour la tarification des fils de lin ; il ne s'agit pas d'établir à cet égard le moindre changement.

La disposition qui a donné lieu à l'interpellation de l'honorable membre n'est pas une disposition nouvelle. Le mode dont il s'agit est employé en France et en Belgique, et je crois qu'il est employé précisément pour donner toute garantie quant au numérotage, et faire en sorte qu'il n'y ait pas d'erreur dans l'application de la loi.

M. Verhaegen remplace M. Liedts au fauteuil.

M. Manilius. - Je veux prévoir les erreurs dans l'application du numérotage. Il est évident que le législateur qui a voté en 1838 la loi sur les fils de coton, a entendu ne pas descendre au-dessous du n°140, tel qu'il est établi en France. C'est pour cela que l'honorable M. Desmet, pour obvier à toute erreur, a demandé que l'on dît : « fil de coton pour faire le tulle ». On n'insère plus ces mots dans la loi, parce qu'on emploie de ces fils pour d'autres objets que les tulles. Nous nous rallions à cette proposition ; mais ce que je désire, c'est qu'on conserve réellement le numérotage métrique tel qu'il existe en France, c'est-à-dire les 1,000 mètres simples pour le demi-kilogramme, ou les 1,000 mètres doubles pour le kilogramme.

Je dois faire observer, messieurs, qu'il ne s'agit pas de se conformer au numérotage du lin, car il n'est pas exact ; on ne part pas de la même unité. Je vais dire comment le numérotage métrique est établi pour le fil de coton. Après l'époque du système continental, le numérotage anglais avait pris un grand ascendant, et ensuite les Français ont pris, comme point le plus rapproché de la livre, le demi-kilogramme. Nous appelons donc n°140 le fil dont mille mètres pèsent un demi-kilogramme, et si c'est ainsi que la chambre l’entend, je n'ai plus rien à ajouter. Mais il paraît que l'administration ne sait pas trop bien ce qu'elle doit entendre par le n°140, parce que le numérotage n'a jamais été bien défini. Le gouvernement n'a jamais pris une décision formelle à cet égard, parce qu'il y avait des exigences en sens contraire et qu'il craignait de se prononcer. Il faut donc que nous soyons fixés à cet égard.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je crois, messieurs, que je suis parfaitement d'accord avec l'honorable préopinant, et je vais donner des explications qui feront comprendre, j'espère, la portée de la disposition dont il s'agit.

La loi du 7 avril 1838 a établi une tarification spéciale, applicable aux fils de coton retors à faire tulle du n°140 métrique et au-dessus ; mais les fils tors ou retors d'un numéro inférieur restent assujettis aux droits fixés par le tarif du 26 août 1822. Pour l'application du droit d'entrée aux fils de coton retors, on multiplie le nombre de mètres que mesure un kilog. de fil déclaré par le nombre des bouts de fil simple qui le composent, et le produit détermine si le fil appartient ou non à la classe du n°140 métrique et au-dessus.

On agit de même lorsqu'il s'agit de fils retors, ourdis en chaînes.

Le numérotage métrique légal en Belgique est celui qui est établi par le décret du 14 décembre 1810, n. 6209, Bulletin des lois, n.335. Dans ce système, le n°140 représente un fil dont les 1,000 mètres ne pèsent que la 140ème partie d'un kilog. (ou 7 1/7 grammes), c'est-à-dire dont le poids d'un kilog. contient 140,000 mètres. C'est seulement des fils retors de ce numéro et des numéros supérieurs dont il est question dans la loi du 7 avril 1838, laquelle s'applique indistinctement aux fils écrus, teints ou blanchis.

Le même système existe en France et en Belgique pour les fils de lin. Ce système a été établi comme un moyen pratique pour la douane de constater le numérotage du fil, et il est considéré comme une garantie contre les abus.

M. Manilius. - Il me paraît, messieurs, que le gouvernement n'est pas du tout d'accord avec moi. Je consens volontiers à ce que le vote de cet article soit ajourné jusqu’à ce que le gouvernement ait pris des renseignements ; mais je puis donner à la chambre l’assurance que le système français est établi sur la base de mille mètres par 1/2 kil., et qu’il doit en être de même chez nous. Voici, en effet, ce que porte la loi de 1838 :

« Fils de colon du n°143 et au-dessus. - Les fils de coton écrus du n°143 (système métrique) et au-dessus sont les seuls dont l'entrée soit autorisée, ainsi que cela a été dit dans la note précédente et que l'indique d'ailleurs le tableau des droits. Ces fils ne peuvent être importés qu'en paquets pesant au moins deux livres anglaises, et par les seuls ports du Havre, de Boulogne, de Calais et de Dunkerque (lois des 2 juillet 1836 et 6 mai 1841).

« La livre anglaise est égale à 453 grammes 5 décigrammes. Deux livres anglaises correspondent à 907 grammes.

« Le numéro 143 (système métrique) est représenté par le numéro 170 0du système anglais.

« Dans les deux systèmes, le numéro exprime le nombre d’écheveaux nécessaire pour former un poids donné. Ce poids, dans le système métrique, est le demi-kilogramme ; dans le système anglais, la livre anglaise. »

(Essai sur l'industrie des matières textiles, par Michel Alcan, Paris, 1847.)

Vous voyez, messieurs, qu'il ne peut pas y avoir de doute. Il ne faut pas qu'on aille introduire quelque chose de neuf, quelque chose qui ne soit pas connu du commerce.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Nous désirons autant que l'honorable préopinant ne rien introduire qui ne soit parfaitement connu. J'ai donné des explications sur le mode qui paraît être suivi actuellement et qui est même suivi en France, au moins pour les fils de lin. Dans tous les cas ce doit être l'objet d'une vérification. Nous sommes en contestation sur un fait ; d'ici au second vote nous pourrons le vérifier.

M. d'Elhoungne. - Je pense que la chambre devrait ajourner le vote de l'article, car il n'y a pas d'amendement et par conséquent il n'y aura pas de second vote.

Un membre. - Présentez un amendement.

M. d'Elhoungne. - Je n'ai pas d'amendement à présenter ; la loi si elle n'apporte pas d'altération au statu quo, comme le dit M. le ministre, est ce qu'elle doit être ; mais il paraît que l'administration a inventé une théorie nouvelle pour expliquer la loi, et qu'elle a substitué le kilog. au 1|2 kilog. comme base du système métrique.

Si M. le ministre veut laisser voter l'article en déclarant définitivement qu'il ne sera rien innové, que la loi de 1838 reste seule applicable, je n'y vois pas d'inconvénient ; mais si l'on veut faire autre chose, si l'on veut réduire de 50 p. c. le tarif sur les fils de colon, alors la question prend une importance facile à comprendre, et je demande que le vote de l'article soit ajourné.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je ferai remarquer que ce n'est pas la rédaction même de la loi qui soulève des objections ; c'est l'application du système. Eh bien, je crois pouvoir déclarer qu'il n'est nullement dans les intentions du gouvernement de rien innover dans le mode d'application ; mais s'il y a des erreurs dans cette application, et si elles sont reconnues, elles devront être rectifiées.

M. le président. - M. Manilius propose d'ajouter à la note qui se trouve en regard de l'article, ces mots : « Le système métrique est celui qui est usité en France. »

M. Manilius. - On vient de faire observer qu'il faut un amendement pour qu'on puisse revenir sur l'article au second vote. C'est dans ce but que j'ai fait la proposition dont M. le président vient de donner lecture. Dans la loi de 1838, il était dit formellement : « Fil de coton à faire tulle, n° 140 et au-dessus ». Cette expression seule donnait des apaisements suffisants. Mais remarquez, messieurs, que si la loi est appliquée, il en résultera une différence de la moitié, de 140 à 70. La question est d'autant plus importante, qu'il s'est formé récemment deux grandes fabriques qui ont coûté ensemble au-delà d'un million et qui sont destinées à faire des n°200, réclamés si souvent par les fabricants de tissus. Ces établissements pourront soutenir la concurrence, si le gouvernement exécute réellement la loi telle qu'elle a été entendue en 1838. C'est sous sa garantie que ces établissements si coûteux se sont érigés. S'ils ne luttent pas, c'est que le gouvernement se relâcherait sur la loi ; en maintenant la loi telle qu'elle est, ils luttent avantageusement. Il faut donc soutenir des efforts aussi coûteux ; c'est la protection qui a été maintenue depuis 1858.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, la disposition dont il s'agit n'a en vue que d'atteindre le n°140, et, par conséquent, il ne peut entrer dans les intentions du gouvernement, que cette disposition s'applique au n°70 ; si un mode de vérification amenait de semblables résultats, il serait évidemment contraire à l'esprit même de la disposition.

M. Malou. - Les explications de M. le ministre des affaires étrangères me paraissent pleinement satisfaisantes ; mais il faut cependant que le contraire ne se trouve pas dans le texte de la loi. Or la question de fait, qui a été soulevée par l'honorable M. Manilius, est de savoir si le système métrique français s'applique au kilogramme ou au demi-kilogramme. Je propose d'amender l'article et de mettre le mot demi-kilogramme ; d'ici au second vote, nous vérifierons si la base est réellement le demi-kilogramme.

(page 774) M. le président. - M. Manilius modifie comme suit son amendement. .

« Le système métrique est établi sur le demi-kilogramme par unité de poids et mille mètres de mesure. »

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - La chambre comprendra que je ne suis pas à même de traiter cette question autrement que par les renseignements qui me sont donnés. Comme il s'agit, messieurs, de vous mettre à même de l'apprécier, d'ici au second vote, il peut être utile de dire comment elle est envisagée au département des finances. Voici ce que contient une note qui m'est remise à l'instant.

« Le tarif actuel porte :

« Fils de coton retors, à faire tulle, du n°140 métrique et au-dessus, 5 fr. les 100 kilog. »

« Cette disposition a été prise, en 1838, en faveur des fabriques qui emploient ce numéro, lequel n'est pas produit en Belgique.

« Le numérotage métrique est celui qui est établi par le décret du 14 décembre 1810. Dans ce système le n° 140 représente un fil dont les 1,000 mètres ne pèsent que la 140ème partie d'un kilog., c'est-à-dire dont le poids d’un kilog. contient 440,000 mètres. Quand le fil est double, c'est-à-dire qu'il se compose de deux ou de plusieurs bouts, on multiplie le nombre de mètres que mesure un kilog. du fil par le nombre de bouts de fil simple, dont il est composé. Le produit détermine le numéro. Ainsi, du fil retors, à deux bouts, mesurant 70,000 mètres au kil. est du fil du numéro 140 métrique, parce que 70,000 mètres multipliés par 2, nombre de bouts, donnent 140,000.

« En France, le même système est suivi.

« Cependant d'après l'honorable M. Manilius, la loi de 1838 aurait entendu qu'un kil. de fil retors devrait mesurer 140,000 mètres à deux bouts ou 280,000 mètres à un bout. C'est une erreur. On ne fabrique pas en Belgique du fil du n° 140 simple. Il ne s'en fabriquait pas en 1838, et s'il s'en fabrique aujourd'hui, cela se réduit à fort peu de chose. La législature de 1838 a donc bien réellement entendu appliquer le moindre droit au fil retors dont un seul bout donne 140,000 mètres au kilog. ; s'il en était autrement, ce ne serait plus le numérotage métrique, et le demi-kilog. devrait donner 70,000 mètres de fil double et 140,000 mètres de fil simple. »

M. Manilius. - Messieurs, le rédacteur de la note dont M. le ministre des finances vient de donner lecture, dit dans sa conclusion finale que le législateur de 1838 n'a entendu appliquer la diminution des droits qu'au n°140 ; oui, le législateur a eu cela en vue, mais il s'est défié alors, comme on se défie aujourd'hui, de l'application du numérotage. A cette époque, un membre de la commission d'industrie, l'honorable M. Desmet, a proposé d'ajouter aux mots : « fils de coton » ceux-ci : « à faire du tulle » ; en a joutant ces mots, il obviait à toute application erronée, en ce qui concerne le numérotage, parce que l'honorable membre était en présence d'une loi qui avait été récemment votée en France. Les ministres n'ignorent pas que les fils de coton sont prohibés en France ; la France avait fait une seule exception pour les fabricats de tulle, et cette exception, elle l'a établie au n°143. Or, comme la Belgique singe toujours ce que la France fait, elle a cherché à appliquer le même numéro ; en appliquant le n°140, elle a voulu rester dans le voisinage du n° 143 et non pas dans la moitié ; car si vous arriviez au système qui est préconisé, vous arriveriez, non au n°140 qui est généralement connu, mais au n°70. Or, une aussi grossière erreur, nous ne la laisserions pas passer aujourd'hui, pas plus que nous ne l'avons laissé passer en 1838.

Or si nous avons voulu suivre ce système métrique en 1838 avec le n°140 nous devons le suivre encore aujourd'hui et nous ne devons pas jeter la perturbation dans le commerce, en diminuant le numérotage de moitié. C'est trop sensible, et le gouvernement le reconnaîtra, j'en ai la confiance.

M. Delfosse. - Nous manquons des éléments nécessaires pour apprécier soit la proposition du gouvernement, soit l'amendement de l'honorable M. Manilius. On pourrait adopter provisoirement l'amendement, sauf à le rejeter au second vote si le gouvernement nous donne des raisons de nature à motiver le rejet. Il serait imprudent d'adopter, aujourd'hui une résolution définitive.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Tout en faisant nos réserves sur ce qui pourra être adopté au deuxième vote, nous ne ferons pas d'opposition à l'adoption de l'amendement de M. Manilius, ou de celui de M. Malou ; nous ne voulons nullement introduire de disposition nouvelle sur le mode de vérification ; nous ne voulons aucune surprise. On n'a voulu atteindre que le n°140 qui ne se fabrique pas dans nos établissements. Il suffit de s'entendre sur le mode d'application de la disposition.

Ainsi nous pouvons adopter provisoirement la proposition de M. Manilius. D'ici au second vote, tous les éclaircissements désirables seront donnés à la chambre.

M. Eloy de Burdinne. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Delfosse. D'après la manière dont je comprends les propositions, une nouvelle industrie s'est établie dans le pays qui demande une protection efficace. Je n'aime pas les prohibitions, mais si cette mesure est nécessaire à l'industrie dont il s'agit, je la voterai.

Je puis au reste pour la voter m'appuyer sur l'exemple de la France ; car on dit que le droit au moyen duquel elle protège cette industrie peut être considéré comme prohibitif.

M. Rousselle. - J'ai demandé la parole pour faire une simple observation. Il me semble qu'il ne faut pas s'écarter de la disposition présentée par le gouvernement. Je désirerais comme l'honorable M. Malou qu'on conservât la rédaction du gouvernement en substituant un demi-kilogramme à un kilogramme. De cette manière on reste dans les termes de la disposition avec la possibilité de vérifier d'ici au second vote ce qui a fait l'objet de la contestation. L'amendement de M. Manilius s'écarte trop de la rédaction primitive, et il m'a été impossible d'en bien apprécier les motifs.

M. Malou. - J'ai proposé de substituer à la note F : « un demi-kilogramme » à « un kilogramme ». (Aux voix ! aux voix !)

M. de T'Serclaes. - Si l'amendement de M. Manilius est voté, on pourra, au second vote, le discuter de nouveau, le mettre en regard du système du gouvernement, parce qu'il y a là-dessous une question très importante.

Plusieurs voix. - C'est de droit !

- M. Manilius se rallie à l'amendement de M. Malou.

La note F est mise aux voix et adoptée, avec l'amendement proposé par M. Malou (l/2 kilog. au lieu de 1 kil.).

« Fils de coton, simples ou retors, écrus, blanchis ou teints, du n°140 métrique et au-dessus (pour l'application du droit d'entrée sur les fils retors, on multipliera le nombre de mètres que mesure un kilogramme de fil déclaré, par le nombre des bouts de fil simple qui le composent ; le produit déterminera le numéro auquel le fil appartient), par 100 kil., à l'entrée 5 fr., à la sortie 5 centimes. »

- Adopté.


« Fils de poils de chèvres de toute espèce écrus, par 100 kil., à l'entrée 4 fr. 20 c, à la sortie 5 centimes. «

- Adopté.


« Id. teints, par 100 kil., à l'entrée 25 fr. 50 c, à la sortie, 5 cent. »

- Adopté.


« Fils de poils de vaches et d'autres animaux, non spécialement tarifés, par 100 kil., à l'entrée 50 centimes, à la sortie 25 cent. »

- Adopté.


« Fils de poils, déchets ou bouts de fils de poils, par 100 kil., à l'entrée 5 cent., à la sortie 5 cent. »

- Adopté.


« Déchets ou bouts de fils de laine, par 100 kil., à l'entrée 5 cent., à la sortie 5 cent. »

- Adopté.

Laine

« Laine, déchets et bourre de laine, laine provenant de vieilles étoffes et de vieux matelas n'ayant subi aucune préparation ou lavage, à l'entrée libre, à la sortie libre. »

- Adopté.


« Id. préparés ou lavés, mêmes droits que la laine peignée ou teinte. »

- Adopté.

Livres

« Livres en feuilles, brochés, cartonnés ou reliés, imprimés 50 ans avant l'époque de l'importation, et pour autant qu’il ne soit présenté qu'un exemplaire de chaque ouvrage, par volume, à l'entrée, 10 cent., à la sortie, 5 cent. »

- Adopté.

Machines et mécaniques

« Machines et mécaniques (l'importation n'en est permise que par les bureaux désignés, à cet effet, par le gouvernement). Appareil complet (l'inventaire et le plan requis par la disposition particulière (d) de l'arrêté royal du 13 octobre 1844, approuvé par la loi du 21 juillet 1846, ne seront exigés, pour les machines et mécaniques expédiées sur entrepôt, qu'au moment où elles en sortiront pour la consommation. - Ces justifications ne seront pas exigées lorsque l'importateur consentira à payer le droit d'entrée au taux de 40 francs par 100 kilog.). Désignation et tarif actuel. »

« Machines et mécaniques. Pièces détachées en fonte, par 100 kil., à l'entrée 20 fr., à la sortie 5 c. »

« Id. en fer (payeront les mêmes droits que les pièces détachées en fer : les vis, le fer en cercles et en bandes, dit feuillard, ainsi que les objets compris au tarif sous la rubrique : Ouvrages en fer battu, en tôle, etc. - Pendant la durée du traité du 1er septembre 1844, et conformément à son article 24, la disposition qui précède ne s'appliquera pas aux outils de fer originaires du Zollverein), par 100 kil., à l'entrée 25 fr., à la sortie 5 c. »

« Id. en cuivre ou en tout autre métal ou matière, par 100 kil., à l'entrée tarif actuel, à la sortie 5 c. »

« Id. Plaques, rubans et garnitures de cardes de toute espèce (les plaques, rubans, etc., de cardes, sont passibles de ces droits, qu'elles soient ou non importées avec la machine à carder. - Les tissus préparés pour plaques et rubans de cardes ne sont admis à ce régime que pour autant qu'ils soient découpés en plaques ou rubans), par 100 kilog., à l'entrée. 75 fr., à la sortie 5 c.»

M. Delfosse. - Je propose la suppression du paragraphe 2 de la note ainsi conçu : « Les tissus préparés pour plaques et rubans de cardes ne sont admis à ce régime que pour autant qu'ils soient découpés en plaques ou rubans. » Je demande que les tissus préparés pour plaques et rubans de cardes soient admis au régime de cette disposition du tarif alors même qu'ils seraient importés en pièces.

Les cardes en fil de métal constituent une industrie qui n'est pas sans importance. Nos fabricants en exportent de fortes quantités dans les pays (page 775) étrangers, bien qu'ils rencontrent la concurrence des cardes fabriquées en Angleterre. Ils en exporteraient bien plus encore si ntire gouvernement ne les soumettait à des formalités gênantes qui ne sont d'aucune utilité ni pour le trésor public, ni pour d'autres branches de l’industrie nationale.

Autrefois on se servait pour fabriquer les cardes de plaques en cuir et de fil de métal ; on en fabrique encore de cette manière.

Mais on a imaginé, depuis quelque temps, de substituer au cuir un tissu dit cuir artificiel, qui se compose de diverses bandes de coton collées ensemble au moyen du caoutchouc. Ce tissu, beaucoup moins coûteux que le cuir, se confectionne en Angleterre et les Anglais s’en sont servis les premiers pour la fabrication des cardes. Nos fabricants se trouveraient dans l'impossibilité de soutenir la concurrence contre les Anglais s'ils n'avaient pas recours au même procédé ; ils doivent donc faire venir ce cuir artificiel d'Angleterre. Malheureusement, ils ont eu à lutter contre toutes sortes de difficultés suscitées par le fisc ; on a d'abord voulu appliquer au cuir artificiel le droit de 180 fr. par 100 kil., qui frappe les tissus de coton étrangers. C'était là une prétention inadmissible ; il est bien évident que le cuir artificiel ne peut faire concurrence aux produits de nos fabriques de coton ; le caoutchouc dont ce tissu est enduit le rend impropre à l'usage que l'on fait des étoffes de coton.

Nos fabriques de coton n'ont par conséquent aucun intérêt à ce que l'on entrave l'importation du cuir artificiel ; il était d'ailleurs absurde d'appliquer au cuir artificiel qui sert à fabriquer les cardes, un droit d'entrée plus fort que celui qui frappe les cardes ; la partie aurait payé plus que le tout.

Le gouvernement, après avoir résisté longtemps aux réclamations des industriels (le fisc cède rarement sans opposer une forte résistance), le gouvernement a fini par reconnaître que le droit de 180 francs était exagéré ; le droit a été réduit à 75 fr. ; mais on a mis à cette réduction une condition gênante pour les fabricants. On y a mis la condition que le cuir artificiel n'entrerait que découpé en bandes. Si les fabricants reçoivent le cuir artificiel en pièces, ils payent le droit qui a été établi pour les tissus de coton. S'ils reçoivent le cuir artificiel découpé en bandes, ils ne payent que 75 fr. Quelle raison a-t-on donnée pour exiger cette condition ? On a dit : Si le cuir artificiel est importé en pièces, on pourra le vendre comme tissus de coton, on n'aura pour cela qu'à séparer les diverses pièces collées ensemble à l'aide du caoutchouc, on fera ainsi une concurrencé fâcheuse aux tissus de coton fabriqués à Gand.

Il est inconcevable, messieurs, que des hommes sérieux s'arrêtent à de telles raisons ! La fraude qu'on paraît redouter est certes imaginaire. Remarquez bien que le cuir, artificiel coûte plus cher que les tissus de coton dont il se compose. Cinq pièces de coton, réunies au moyen du caoutchouc coûtent évidemment plus cher que cinq pièces de coton de même qualité qui n'ont pas subi cette opération.

Indépendamment de la, dépense du caoutchouc, il y a la main-d'œuvre. Comment peut-on supposer que quelqu'un s'avisera, dans l'unique but de payer 75 fr. par 100 kilog. au lieu de 180 fr., de convertir les tissus de coton en cuir artificiel, de faire d'abord la double dépense du caoutchouc et de la main-d'œuvre et ensuite de faire une troisième dépense pour, que le cuir artificiel entre dans le pays, puisse se vendre comme tissu de coton ?

Ne voit-on pas que ces diverses transformations, outre qu'elles seraient trop coûteuses, feraient perdre aux tissus de coton une partie de leur valeur ? Personne ne pensera à une aussi folle spéculation. Il ne faut pas, pour éviter une fraude imaginaire impossible, imposer à une industrie digne d'intérêt des formalités gênantes,, vexatoires, encore moins des droits exagérés.

Messieurs, je ne veux pas que la chambre, prenne une résolution sans pouvoir en apprécier la portée. Je demande qu'on fasse pour ma proposition ce qui a été fait tantôt pour l'amendement d'un honorable collègue. MM. les ministres pourront, se procurer, d'ici au second vote, tous les renseignements désirables, et la chambre prendra alors une résolution définitive en connaissance de cause.

M. Malou. - Messieurs, je me rappelle avoir reçu, étant au ministère des finances, une réclamation dans le sens indiqué par l'honorable M. Delfosse. Je pense même m'en être entretenu un jour avec lui.

Messieurs, il y avait pour le gouvernement, avant la proposition qui vous est faite, en premier lieu une question de légalité. Cinq pièces de coton jointes ensemble au moyeu du caoutchouc ou d'une autre gomme, de manière à former un cuir, sont-elles, oui ou non, une pièce détachée de mécanique ? Voilà quelle était la question de légalité. Il est évident que pour l'application du tarif à des objets qui n'y sont pas dénommés, le gouvernement doit se laisser diriger par la nature même de l'objet présenté en douane et par les analogies qui existent dans le tarif.

Comme question de légalité, après mûr examen, je me suis trouvé dans la nécessité de décider que cet objet devait être considéré comme tissu de coton, puisque le coton était la matière dominante.

Quant à l'avenir, je me demande si, d'après la rubrique même du tarif, il y a lieu de donner à la loi une autre application. Je n'ai pas l'intention d'émettre une opinion formelle, bien arrêtée contre l'amendement de l'honorable M. Delfosse. Je lui soumets, comme à la chambre, quelques objections.

Deux intérêts sont en présence : l'intérêt de l'industrie drapière qui use de ces cardes, et l'intérêt de deux autres industries : l'une qui fabrique les cardes au moyen de cuir artificiel venant d'Angleterre, l'autre qui prépare ce cuir artificiel dans le pays.

Est-il possible de concilier ces trois intérêts en supprimant la disposition et en admettant comme pièce détachée de mécanique les tissus dont l'honorable M. Delfosse a parlé, alors que ce sont réellement des pièces d'étoffe réunies ensemble ? J'éprouve à cet égard quelques doutes, parce qu'il ne s'agit ici que de pièces détachées de mécanique et que réellement vous ne pouvez donner ce nom à des pièces de tissu.

J'éprouve un doute sous d'autres rapports, parce que, si je suis bien informé, cette étoffe se fabrique aujourd'hui dans le pays. Du reste, messieurs, moi aussi j'en appelle au second vote. L'honorable ministre des finances pourra vérifier les faits (je les cite de mémoire) et nous pouvons examiner s'il y a réellement lieu de faire droit à l'amendement de l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - L'honorable M. Malou a raison. Il a d'abord opposé aux pétitionnaires une question de légalité. Il leur a dit : il ne dépend pas de moi d'accueillir vos réclamations ; il y a une loi ou un arrêté royal qui s'y oppose. L'honorable membre invoquait contre les pétitionnaires les termes du tarif.

Cette fin de non-recevoir peut disparaître par un vote de la chambre, et c'est justement pour la faire disparaître que j'ai présenté mon amendement.

Mais, outre la question de légalité, l'honorable M. Malou insistait aussi sur le danger d'une importation frauduleuse de tissus de coton, danger imaginaire, comme je l'ai prouvé tantôt.

L'honorable M. Malou nous dit que le cuir artificiel se fabrique dans le pays. J'ai eu sous les yeux toutes les pièces du dossier, et il n'y en a qu'une seule où il soit parlé d'une fabrique de cuir artificiel qui existerait dans le pays, et cette pièce n'indique ni le nom du fabricant, ni l'importance de l'établissement ; ce qu'il y a de certain, c'est que les fabricants de cardes déclarent qu'ils ont besoin du cuir artificiel fabriqué en Angleterre, et que s'ils ne peuvent se procurer cette matière à des conditions avantageuses, il leur sera impossible de soutenir la concurrence contre les fabricants de cardes anglaises.

Tout ce que je demande, messieurs, c'est que la question soit examinée avec soin. Je prie M. le ministre des affaires étrangères et M. le ministre des finances de prendre, d'ici au second vote, tous les renseignements désirables sur la question que j'ai soulevée. Personne, je pense, ne s'oppose à l'adoption provisoire de mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je ne m'oppose en aucune manière à l'adoption de l'amendement de l'honorable M. ; Delfosse, car il est entendu que nous y reviendrons. Toutefois il me semble qu'il sera assez difficile de ne pas maintenir la condition dont il est parlé au projet.

Toute la question gît dans le danger qu'il peut y avoir de laisser importer au droit de 75 fr. les 100 kilog. des tissus de coton, qui sont imposés au tarif à 180 fr. Or, ce danger, peut-on être certain de l'éviter ? Je tiens en main un morceau de cuir artificiel pour les cardes. Ce sont, comme vous l'a dit l'honorable M. Delfosse, cinq tissus de coton qui sont superposés et joints par de la gomme ou du caoutchouc. Il suffirait, je crois, de détremper cette toile pour détacher les cinq couches de tissu de coton et pour en faire cinq pièces, si on était dispensé de les introduire par bandes ou rubans.

Je déposerai sur le bureau l'échantillon de ces toiles superposées afin que l'on puisse juger du danger que je signale.

M. David. - J'ajouterai encore une observation à celles très lucides de l'honorable M. Delfosse, et je dirai, messieurs, qu'il est impossible de forcer les fabricants de cardes à ne recevoir leurs plaques et rubans en coton et caoutchouc que déjà tout découpés ; car, messieurs, les machines à filer auxquelles ils sont destinées ne sont pas toutes de même dimension, la circonférence des cylindres diffère ; à telle machine, donc, il faut des plaques plus larges ; à d'autres des plaques plus étroites. Ce n'est qu'en faisant les commandes que les consommateurs indiquent aux fabricants les dimensions dont ils ont besoin.

- L'amendement de M. Delfosse est mis aux voix et adopté.

L'article Machines et Mécaniques, ainsi amendé, est adopté.

Manuscrits

« Manuscrits de toute sorte, par 100 kilog., à l'entrée 10 fr., à la sortie 5 c.»

« Objets d'art nu de collection, non spécialement tarifés et qui, par leur nature, offrent un intérêt de science ou de curiosité (cette disposition s'applique exclusivement aux objets hors de de commerce, tels que momies et autres antiquités égyptiennes, grecques ou romaines ; vieilles armures, armes anciennes ou en usage ailleurs qu'en Europe ; meubles de « Boule », meubles vieux, en laque chinois et autres meubles antiques ; objets d'art en bronze, marbre, pierre, bois, etc., comme bas-reliefs, chapiteaux et autres sculptures, lorsque ces objets sont antiques, c'est-à-dire antérieurs au XVIème siècle, époque de la renaissance des arts ; meubles en mosaïque de pierres, vases et autres poteries étrusques, à l'exclusion des imitations de l'espèce ; vieux vitraux, épreuves de daguerréotype, mannequins et automates-mécaniques ; tout ce qui appartient à la numismatique, comme médailles, camées et pierres gravées antiques ; vielles monnaies hors de cours, de modules et types différents, quand elles ne sont qu'en échantillons ; médailles, jetons ou pièces de plaisir, même modernes, pourvu, dans ce dernier cas, qu'il n'y ait qu'un petit nombre d'objets de chaque espèce et qu'ils soient notoirement destinés à former collection), par 100 kilog., à l'entrée 2 fr., à la sortie 5 c. «

- Ces articles sont adoptés sans discussion.

Produits chimiques

(page 776) M. le président. - Le gouvernement a proposé par amendement de comprendre dans cet article, comme première disposition, l'objet suivant :

« Acide borique, importé directement de Toscane, par mer, les 100 kilogrammes, à l'entrée 10 c., à la sortie 5 c.

« D'ailleurs ou autrement, par 100 kil., à l'entrée 4 fr., à la sortie 5 c. »

- Cet amendement est adopté.


« Chlorure de chaux, par 100 kil., à l'entrée 4 fr., à la sortie 5 c. »

« Sulfate de magnésie (sel d'Epsom ou de Sedlitz), par 100 kil., à l'entrée 6 fr., à la sortie 5 c.

« Sulfate de potasse (sel de Duobus), les 100 kil., à l'entrée 6 fr., à la sortie 5 c. »

«Résidu de la fabrication de l'acide nitrique, les 100 kil., à l'entrée 6 fr., à la sortie 5 c. »

« Id. sulfurique, par 100 kil., à l'entrée 6 fr., à la sortie 5 c. »

- Ces articles sont adoptés.

Soies

« Soies (pendant la durée du traité du 1er septembre 1844 avec le Zollverein, de la convention du 13 décembre 1845 avec la France, et du traité du 29 juillet 1846 avec les Pays-Bas, l'augmentation des droits d'entrée résultant pour quelques articles du tarif ci-contre, ne sera pas applicable à ceux de ces articles qui seront originaires de l'un ou l'autre de ces pays, et dont l'origine sera justifiée de la manière prescrite par le gouvernement), en cocons, par 100 kil., à l'entrée 10 c, à la sortie 5 c.»

M. Loos. - Messieurs, vous avez fait la loi des droits différentiels dans le but d'accorder une protection aux importations directes des pays de provenance. Eh bien, messieurs, voici comment dans l'application le fisc interprète vos intentions. Une maison de commerce d'Anvers expédie sa Chine un navire d'un fort tonnage exclusivement chargé de produits de l'industrie belge. Au retour de cette expédition, le navire apporte différents produits de l'industrie chinoise, entre autres des tissus de soie, des châles en crêpe de Chine., etc., chargés à Canton.

Je tiens en mains le tarif, qui porte :

« Tissus de soie : Par 100 fr. de valeur, 3 fr. »

Ainsi, messieurs, d'après le tarif, il y avait à appliquer le droit de 3 p. c. Eh bien, quel droit pensez-vous que le fisc ait jugé à propos Rappliquer ? Un droit de 20 p. c. Il a considéré les châles comme vêtements de femmes qui sont tarifés comme objets de mode à raison de 10 p. c. pour la France et les Etats du Zollverein. Il a donc traité ces châles, importés directement de la Chine, plus défavorablement que s'ils étaient venus de France ou d'Allemagne.

La personne intéressée dans cette affaire a adressé des réclamations au gouvernement, et il lui a été répondu que, d'après la note A annexée au tarif du 14 juillet 1843, ces objets devaient réellement payer 20 p. c. Eh bien, messieurs, je tiens en mains la note envoyée par M. le ministre, et j'y lis en effet : Les habillements de femme en soie, colon, dentelle, tulles, etc., ainsi que tous les ouvrages de mode, comme habillements neufs. »

Mais dans le même arrêté, il se trouve une autre note sous le litt. C, où je vois, paragraphe 2, que les châles seront considérés comme tissus. Ainsi, d'après l'arrêté même invoqué par le ministre des finances d'alors, les châles sont considérés comme tissus...

M. Malou. - Ce sont les châles de laine.

M. Loos. - C'est vrai, mais quand je cherche au tarif l'article châles, je trouve : « Les châles doivent être imposés selon la matière dont ils sont composés, à l'exception de ceux de Cachemire, dont la matière principale consiste en poil de chèvre d'Angora et qui doivent être considérés comme tissus non spécialement dénommés, 6 p. c. à l'entrée. »

Ainsi, il n'est fait d'exception au tarif que pour les châles de Cachemire, mais tous les autres doivent être imposés d'après la matière dominante dans le tissu.

Je trouve un autre renseignement au tarif à l'article Mouchoirs, ainsi libellé : « Mouchoirs et châles de soie et coton, comme tissus, d'après la matière principale qui compose l'étoffe. »

Je ne puis donc trouver nulle part qu'il y eût lieu de percevoir un droit de 20 p. c, qu'il y eût lieu d'assimiler les châles en crêpe de Chine aux vêtements de femme.

Si cela pouvait former doute, je devrais proposer un amendement pour faire cesser cette anomalie, j'allais presque dire cette monstruosité.

La loi du 21 juillet 1844, dont je n'ai jamais été partisan, a été faite dans le but avoué de protéger le commerce direct avec les pays d'outremer ; eh bien ! des produits qu'un navire belge nous importe directement d'un pays lointain, payent une surtaxe, comparativement aux produits similaires importés par terre et des pays d'Europe.

J'attendrai les explications que M. le ministre des finances pourra me donner ; s'il pense que la loi a été bien appliquée sous les ministères précédents, je proposerai mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je n'ai pas été informé par l'honorable M. Loos que je serais interpellé sur une question qui a été traitée avant mon entrée et dont je n'ai pas eu l'occasion de m'occuper. Je me trouve ainsi dans l'impossibilité de répondre. Je demande à pouvoir m'en expliquer au second vote, lorsque j'aurai eu le temps d'examiner les pièces.

M. Loos. - En effet, j'ai été un instant au banc de M. le ministre des finances dans l'intention de le consulter, mais je n'ai pas eu occasion de lui parler ; il était occupé de l'examen de la question relative aux fils de colon ; je le regrette ; si la chambre veut réserver cet article jusqu'au second vote ou jusqu'à demain...

M. Osy. - Proposez votre amendement.

M. Loos. - Je propose un amendement ainsi conçu :

« Tissus de soie de toute espèce, y compris les châles et écharpes, de l'Inde et de la Chine, importés directement des lieux de provenance par pavillon belge, 2 p. c, par pavillon étranger, 5 p. c. »

D'ici au second vote, M. le ministre des finances pourra examiner le cas que j'ai signalé à son attention, et si les explications qu'il donnera alors à la chambre, quant à l'application du tarif actuel, sont satisfaisantes, je retirerai mon amendement. Dans le cas contraire, je le maintiendrai, tout en laissant, pour le cas dont j'ai fait mention, à l'intéressé son recours à qui de droit.

- L'amendement est appuyé.

M. Liedts remonte au fauteuil.

M. Malou. - Messieurs, un navire belge a importé directement de la Chine divers objets, parmi lesquels se trouvent des châles en crêpe de soie. La question soulevée était celle de savoir si ces châles en crêpe de soie devaient être considérés comme vêtements de soie ou s'ils avaient une rubrique spéciale dans le tarif, La conséquence d'une décision dans le premier sens était que ces châles auraient dû être imposés au droit de 20 p. c, tandis que les objets d'une nature analogue venant de France ou du Zollverein, n'auraient payé que dix francs.

J'ai cherché à deux reprises différentes à tourner en quelque sorte cette difficulté, à éviter cette anomalie de voir un produit qui nous est importé par navire belge directement et d'un pays lointain surtaxé comparativement à des produits similaires de l'Europe.

Mais pour autant que Je puisse me fier à ma mémoire, il a été reconnu impossible, après une correspondance entre le département des finances et celui des affaires étrangères, de ne pas appliquer à ces tissus le droit de 20 p. c.

El veuillez remarquer, messieurs, que si cette anomalie existe en fait, elle s'explique cependant jusqu'à un certain point, parce que le droit de 10 p. c., pour certains produits d'Europe, est le résultat de stipulations expresses des traités conclus avec la France et avec le Zollverein ; de sorte que l'anomalie, si elle existe encore, est singulièrement atténuée ; c'est une concession faite moyennant compensation. Cette disposition d'ailleurs ne s'appliquerait pas aux Pays-Bas, comme l'honorable M. Loos paraissait le croire.

Je veux aussi, comme l'honorable membre, qu'on examine la question d'ici au second vote, bien que le second vote puisse, si nous persistons dans ce système, devenir aussi difficile, aussi long et peut-être plus long que le premier vote.

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

Motion d'ordre

Etablissement de Santo-Thomas

M. de Mérode. - Je viens rappeler la promesse qui a été faite par M. le ministre des affaires étrangères, relativement à l'impression de documents qui ont été recueillis par M. Blondeel, envoyé belge dans l'Amérique centrale. Je prie M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien faire imprimer ces documents, avant que nous nous occupions des projets qui nous ont été annoncés pour remédier à la situation des Flandres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je déposerai ces documents sur le bureau de la chambre dans l'une des prochaines séances.

On est arrivé ici

Projet de loi concernant le dépôt d'étalons prototypes des poids et mesures

Rapport de la commission

M. Eenens, au nom d'une commission spéciale, dépose le rapport sur le projet de loi concernant le dépôt des étalons prototypes des poids et mesures.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

La séance est levée à quatre heures et demie.