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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 19 février 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 868) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 1 heure.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Lejeune, secrétaire communal à Basse-Bodeux, prie la chambre d'améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.


« Le conseil communal de Genck demande le rétablissement des droits d'entrée sur le bétail. »

- Renvoi à la commission de l'industrie.


« Les administrations communales d'Havelange, Miecret et Maffe demandent le rétablissement de l'ancien canton d'Havelange. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Plusieurs habitants d'Havelange prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Louis-Pierre-Jean Dion, à Bruxelles, né à Kerren, Allemagne, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Plusieurs habitants de Maeseyck demandent des économies dans les dépenses de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verhaert, notaire à Tongerloo, présente des observations contre quelques amendements au projet de loi sur le notariat. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le sieur Depicker demande que les fonctions de notaire soient déclarées incompatibles avec celles de bourgmestre, échevin ou de secrétaire communal, dans les communes qui ont une population de 6,000 âmes. »

- Même dépôt.


« Le sieur Van Belleghem demande qu'il soit exercé des poursuites contre les fonctionnaires et les magistrats qui ont été appelés à s'occuper de son procès devant le tribunal de Bruges. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Motion d'ordre

Droit de chasse

M. Castiau. - Messieurs, j'ai obtenu de la complaisance de la chambre qu'elle voulût bien consacrer un jour de la semaine aux rapports présentés par la commission des pétitions. Il me reste maintenant à solliciter de sa bienveillance une autre grâce, c'est qu'elle veuille bien prêter une attention plus soutenue aux rapports qui lui sont faits, car il arrive, lorsque les rapports sont présentés au milieu de l'inattention générale, qu'on laisse passer, sans opposition, des observations et des expressions qui exciteraient, je crois, dans cette enceinte une réprobation générale si elles pouvaient avoir un caractère sérieux.

C'est ainsi qu'à la séance d'hier l'honorable M. Zoude nous a présenté un rapport dont les termes ont passé sans examen et sans opposition. Je demanderai à la chambre la permission de mettre aujourd'hui ce rapport sous ses yeux ; elle verra que si les paroles de l'honorable rapporteur avaient été entendues, il y aurait eu, je le pense, un soulèvement général contre l'expression d'opinions indiquées comme celles de la commission spéciale.

Il s'agissait d'une pétition datée de Beaumont :

« Par pétition datée de Beaumont, le 24 janvier 1848, plusieurs habitants de Beaumont demandent que le transport, l'exposition en vente, la vente et l'achat de toute espèce de gibier pris au lacet, à l'exception des grives et des alouettes, soient interdits en tout temps, et que la chasse au chien courant soit permise en temps de neige.

« Les pétitionnaires signalent une lacune dans la loi sur la chasse qu'il convient de combler si on veut en assurer l'exécution, et, à cet effet, ils proposent de défendre en tout temps le transport, la mise en vente et l'achat de tout gibier qui aurait été pris au lacet, sauf la grive et l'alouette.

« La difficulté que le projet présente serait de faire connaître d'une manière certaine et appréciable par tout le monde, si le gibier est mort par strangulation ou autrement ; faute de cette connaissance, la mesure proposée pourrait donner lieu à beaucoup d'arbitraire. »

Cet intéressant problème de constater si le gibier est mort de strangulation ou autrement, la commission, on le comprend, ne l'a pas résolu ; mais comme vous allez voir, elle a tranché bien d'autres questions, et exprimé des opinions autrement exorbitantes.

Voici, en effet, le passage sur lequel j'appelle l'attention de la chambre et de l'honorable rapporteur qui, sans doute, voudra bien monter à la tribune pour donner des explications réclamées par la publicité que rapport a reçue.

« Votre commission croit qu'il y a d'autres moyens plus efficaces pour satisfaire au vœu des pétitionnaires. Telle serait, par exempte, la remise en vigueur de l'ordonnance de 1669, qui porte que les tendeurs au lacet, bricole, etc., seront condamnés au fouet pour la première fois, fustigés et bannis pour 5 ans en cas de récidive.

« Ou bien de rétablir le règlement du pays de Liège de 1724, qui condamne à une peine de 25 florins pour la première fois, du double pour la seconde fois et d'une peine arbitraire pour la troisième fois. »

Ce sont là, il faut en convenir, des énormités, et j'ai peine à croire qu'elles aient pu être exprimées sérieusement.

Avant tout, je voulais demander à l'honorable rapporteur quelle est cette commission qui a pu exprimer de telles pensées. Je suis curieux d'en connaître les membres. Si des opinions aussi excentriques ont rencontré une commission pour les appuyer, il importe que la commission en subisse la responsabilité et qu'on puisse livrer à la publicité, avec le travail de l'honorable rapporteur, les noms de tous ceux qui y ont adhéré.

Mais, je le répète, je ne puis croire que la commission ait pu sérieusement exprimer les étranges opinions qu'on lui prête ; car, vraiment, s'il s'était trouvé dans cette chambre six hommes sérieux qui, gravement,, sérieusement, fussent venus proposer le rétablissement du fouet pour le fait parfaitement inoffensif d'avoir pris du gibier au lacet, sans mon respect pour le règlement et leur caractère, je dirais que ceux qui expriment de telles opinions aujourd'hui méritent eux-mêmes l'application de la pénalité nouvelle qu'ils voudraient faire revivre.

M. Zoude. - Messieurs, il n'est pas un membre de la chambre qui ait pu prendre le rapport que j'avais fait comme chose sérieuse. Ce que j'ai voulu, c'était de répondre par le ridicule à une pétition qui elle-même me paraissait ridicule ; c'était enfin pour avertir les pétitionnaires de l'esprit de la chambre si l'on venait lui proposer de rétablir le régime du bon plaisir.

La chambre aurait-elle pris au sérieux une citation que je pouvais lui faire d'un écrit de M. Plasschaert, dans lequel il rappelle un placard de la Flandre orientale, où il dit : « que si un vilain volait un épervier, il était condamné à une amende de huit écus d'or, ou à se laisser manger par cet oiseau cinq onces de chair sur une partie du corps que l'on ne nomme pas, mais qu'on devine ? »

Aurais-je parlé plus sérieusement si j'avais cité un autre article qui porte : « que le voleur d'un chien de chasse était condamné à faire trois tours sur la place publique, en lui baisant le derrière ? »

M. Tielemans. - Je demande à faire une observation. Je fais partie de la commission des pétitions et j'assiste régulièrement à ses séances. Cependant je ne connais ni la pétition, ni le rapport auquel l'honorable M. Castiau vient d'adresser de sérieux reproches. Je ne puis donc accepter ces reproches pour moi. Je ne les accepte pas non plus pour la commission, et voici pourquoi : La plupart des pétitions sont remises à l'un ou l'autre membre de la commission, et ce membre fait ensuite son rapport comme il l'entend. C'est ce qui est arrivé pour la pétition dont il est question en ce moment. Je demande que les choses se passent autrement à l'avenir, sinon nous resterons exposés aux inconvénients que l'honorable M. Castiau vient de signaler.

M. Castiau. - Messieurs, je suis heureux d'avoir fourni à l'honorable rapporteur l'occasion de vous donner les explications qu'il vient de présenter à l'assemblée ; car il faut reconnaître que l'honorable rapporteur est venu précisément exprimer dans son travail inséré au Moniteur l'opposé de ce qu’il assure aujourd'hui être sa pensée.

D'après le rapport, ce n'était pas le moins du monde une pensée de ridicule et de blâme dont on entendait frapper les tendances réactionnaires des pétitionnaires ; on trouvait qu'ils n'allaient pas assez loin et qu'il y avait lieu de rétablir les pénalités les plus odieuses et les plus ridicules de la législation ancienne.

Il était donc de toute nécessité de provoquer les explications que j'ai réclamées.

J'ai entendu, avec plaisir, les observations que nous a fournies l'honorable rapporteur ; il trouve, avec moi, que la loi sur la chasse est déjà exorbitante ; et c'est pour la flétrir qu'il a fait apparaître les rigueurs inouïes du droit ancien sur cette matière. Mais alors je demande pourquoi l'honorable rapporteur, animé de cette pensée toute libérale et démocratique, n'a pas traité la pétition de Beaumont avec la sévérité qu'elle méritait. Ce n'était pas par le ridicule seul qu'il devait la combattre, c'était par un moyen plus énergique ; il ne devait pas provoquer le dépôt de cette pièce au bureau des renseignements, mais conclure à l'ordre du jour.

Je sais que le dépôt au bureau des renseignements n'entraîne aucune (page 869) adhésion de la part de la chambre, que c'est là, ainsi que je l'ai fait observer déjà, une espèce d'enterrement. Mais, en pareil cas, j'aurais voulu un enterrement définitif et absolu.

Il me semble qu'une pétition qui a des tendances aussi réactionnaires et qui venait réclamer de nouvelles rigueurs, déjà exagérées de la loi sur la chasse, devait être frappée d'une réprobation énergique à ajouter aux rigueurs et que ce n'était certes pas trop que l'ordre du jour. Et s'il en était temps encore, si l'on pouvait remettre en discussion ce qui malheureusement a été décidé hier, je viendrais en faire la proposition. Mais si l'on ne peut revenir sur la décision prise dans la séance d'hier, je demande du moins qu'on y prenne garde à l'avenir, et que toutes les pétitions qui auraient la tendance de celle de Beaumont, ne paraissent dans cette enceinte que pour être frappées, non seulement de ridicule, mais d'une réprobation grave, énergique et unanime.

M. Zoude. - Je réponds à l'honorable M. Tielemans qui se plaint de ce que le rapporteur fasse des rapports sans les soumettre à la commission. L'année dernière lorsque l'honorable membre ne faisait pas encore partie de la chambre, j'ai fait connaître à l'assemblée que j'avais convoqua plusieurs fois la commission des pétitions et qu'il avait été impossible de la réunir. Il a été convenu alors que lorsqu'il s'agirait de pétitions ne présentant pas un intérêt majeur, le rapporteur pourrait faire son rapport et le soumettre à la chambre sans l'avoir soumis à la commission, que celle-ci ne devrait être convoquée que lorsqu'il y aurait des questions importantes à résoudre.

Quant aux observations de l'honorable M. Castiau, je répondrai que le dépôt au bureau des renseignements m'a paru la mesure la plus convenable parce que, bien que, dans ma manière de voir, la pétition fût complètement ridicule, d'autres membres pourraient être d'avis qu'elle serait susceptible d'être utilement consultée un jour.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à rembourser une partie du cautionnement déposé par la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg

Discussion générale

M. Jonet. - Messieurs, je ne viens pas m'occuper de la loi dont les principes ont été largement discutés dans votre séance d'hier.

Je ne m'attacherai qu'à une question accessoire, de la solution de laquelle dépendra mon vote.

Je veux parler du point de savoir si le chemin de fer de Bruxelles à Luxembourg passera par Wavre, et si dans cette ville il y aura une station ?

Le rapport de la section centrale m'apprend que cette question a été soulevée dans la section centrale, et que M. le ministre des travaux publics y a répondu : « L'article premier du cahier des charges, annexé à la loi du 18 juin 1846, stipule que le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles, d'une station située au quartier Léopold, se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre, atteindra Wavre, etc. »

D'après cette réponse, il paraîtrait qu'il n'y a aucun doute. Le chemin atteindra Wavre ; donc il passera par Wavre, donc il y aura une station à Wavre.

C'est ainsi, je pense, que le gouvernement comprend le chemin commencé ; c'est aussi de cette manière que les chambres l'ont entendu en votant la loi de concession du 18 juin 1846.

Cependant ne nous trompons pas ; car si mes renseignements sont exacts, il pourrait bien en être autrement. Dans le cours de l'année dernière, la compagnie du chemin de fer du Luxembourg a fait étudier par ses agents la direction à suivre, pour la première section du chemin de Luxembourg et pour son raccordement avec le chemin de Louvain à la Sambre, et étant sur les lieux, ces agents ont déclaré, à qui voulait les entendre, que le chemin projeté ne passerait pas par Wavre ; qu'il passerait au contraire à Ottignies, village situé à une demi-lieue ou trois quarts de lieue de Wavre, et que, de là, passant immédiatement la Dyle, il irait se relier au chemin de Louvain à la Sambre, à l'une ou l'autre des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux ; que tout ce que la compagnie pouvait faire pour Wavre, c'était de faire un court embranchement qui, partant d'Ottignies, irait desservir Wavre, laissée en réalité en dehors de la route de Bruxelles à Gembloux.

Je ne sais si la compagnie persiste dans ce projet ; mais il nous importe de lui ôter le moyen de le réaliser, si encore elle en a la volonté.

Voici, du reste, sur quoi la compagnie se fonde :

L'article premier du cahier des charges porte, comme nous l'avons vu : « Le chemin de fur du Luxembourg partira de Bruxelles, etc. ; il se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre » ; mais là ne s'arrête pas l'article premier Après les mois : « qu'il atteindra à Wavre », l'article ajouté : « et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissait à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

C'est cette dernière partie de l'article premier du cahier des charges, que les agents de la compagnie invoquaient, pour dire que la compagnie n'était pas obligée de passer par Wavre ; qu'elle pouvait, en passant par Ottignies, se relier au chemin de Louvain par un raccordement, aboutissant à une des stations situées entre Wavre et Gembloux, et qu'il lui suffisait, pour satisfaire à ces engagements, de faire un bout de chemin d'Ottignies à Wavre, etc.

Je ne crois pas, pour ma part, que la compagnie soit fondée à agir ainsi. Je pense que le texte, bien interprété, du cahier des charges, comme l'intention des parties contractantes, s'opposent à la réalisation de cette singulière prétention.

Mais, puisqu'une occasion se présente, saisissons-la, pour nous expliquer, et pour prévenir une contestation.

Le projet de loi nous apprend qu'une contention nouvelle sera faite avec la compagnie.

Eh bien, je demande que la loi dise : « Que cette convention contiendra, pour la compagnie, l'obligation de faire passer le chemin de fer par Wavre et d'y établir une station. »

En accordant une faveur à cette compagnie, il est bien juste que l'on stipule que cette compagnie fasse ce qu'elle doit faire.

M. de Theux. - Messieurs, quel est le but du cautionnement qu'on exige d'une compagnie concessionnaire ? C'est assurément de pourvoir à l'exécution des travaux autant qu'il est moralement possible de le faire et, dans le cas où, plus tard, il serait reconnu que les travaux commencés ne peuvent pas être achevés, que le gouvernement ait par devers-lui des fonds suffisants pour rétablir les lieux dans leur état primitif, c'est une indemnité pour l'exécution de l'entreprise. Or, messieurs, ce que l'on vous propose s'écarte évidemment de ce but. Si la compagnie peut employer les trois millions de son cautionnement à l'exécution de travaux pour une somme pareille, après qu'on aurait dépensé ces trois millions sur une grande étendue de territoire, il y aurait, ainsi que l'ont fait remarquer les trois orateurs qui, hier, ont combattu le projet, une situation de lieux extrêmement fâcheuse ; des déblais considérables, d'une part, des remblais d'autre part auront dérangé la configuration des terrains et nuiront à la circulation, si intéressante pour les propriétés voisines, et tout cela en pure perte.

Il ne peut pas entrer, messieurs, dans les intentions du gouvernement de placer le pays dans une semblable situation.

Il faut, messieurs, si la compagnie a besoin d'un délai moral pour se procurer des fonds, lui accorder ce délai. S'il est constaté que la compagnie ne veut ou ne peut point poursuivra les travaux, il faut, suivant le cahier des charges, procéder à une réadjudication et offrir à une autre compagnie les 3 millions de cautionnement, à titre de prime pour l'exécution, et dans le cas où le gouvernement ne trouve point de nouvelle compagnie, il y a lieu d'examiner s'il convient, au moyen des 3 millions que le gouvernement a en dépôt, de procéder à l'exécution aux frais de l'Etat, ou bien d'abandonner les travaux et de rétablir les lieux dans leur état primitif en tant qu'il sera nécessaire.

Messieurs, s'il était bien certain que, dans le cas d'inexécution des travaux par la compagnie, le gouvernement voulût se charger de l'exécution des travaux et que les chambres fussent disposées à accorder les fonds nécessaires à cet effet, alors assurément on pourrait être plus facile. Mais nous ne sommes pas à même de nous prononcer dès ce moment en faveur de la continuation des .travaux aux frais de l'Etat ; dès lors nous devons nous réserver, au moins provisoirement, la somme qui a été déposée par la compagnie.

Messieurs, on dit qu'admettre la convention qu'on vous propose, c'est rester dans la pensée primitive de la concession, c'est employer les trois millions à l'exécution de travaux publics, à l'exécution du projet qui est conçu.

Oui, tout cela serait bien, si en définitive nous étions assurés que les travaux entrepris seront, menés à bonne fin, et que nous aurons des travaux complets qui puissent être utiles pour le pays. Mais aussi longtemps que cela n'aura pas été démontré, aussi longtemps qu'il ne sera pas constant, que vous aurez une compagnie qui se chargera d'achever les travaux, ou que vous voulez les faire terminer aux frais de l'Etat, je dis que c'est compromettre évidemment les intérêts du trésor que de rembourser le cautionnement, au fur et à mesure de l'exécution des travaux pour une somme équivalente.

Si la compagnie avait exécuté des travaux jusqu'à concurrence de six millions, aux termes de la concession, et qu'elle eût obtenu le remboursement du cautionnement, il se pourrait encore que les travaux ne fussent pas complètement achevés ; mais on doit convenir que, dans une pareille situation, on aurait bien plus d'espoir d'obtenir une nouvelle compagnie qui voulût achever les travaux ; et dans tous les cas, il serait infiniment moins onéreux pour l'Etat d'achever lui-même les travaux, si une dépense de six millions avait été faite : ce qui est requis, aux termes de la concession primitive, pour que la compagnie puisse obtenir le remboursement complet du cautionnement ; la situation serait toute autre ; les deux situations ne peuvent en aucune manière être comparées.

On dit : Mais la compagnie a déjà fait de très grands déboursés ; elle ne renoncera pas ; elle a déboursé 6 millions et quelques 100,000 francs pour le canal du Luxembourg.

Je demanderai quelle garantie ce déboursé pour le canal du Luxembourg procure au gouvernement ; assurément aucune. C'est le prix de cession des actions de l'ancienne compagnie ; mais le canal du Luxembourg reste aujourd'hui dans l'état où il était antérieurement, et le gouvernement n'a acquis, par le payement de ces 6 millions et quelques centaines de mille francs, aucune nouvelle garantie.

Sans doute, si au lieu d'un cautionnement en numéraire, on vous offrait une autre garantie qui vous présentât la même certitude d'exécution, nous ne devrions pas balancer à donner cette facilité à la compagnie. S'il ne s'agit encore que de lui donner un délai moral pour faire un nouvel appel de fonds, nous pourrions consentir à ce délai. Mais ici (page 870) c'est l'exécution elle-même des travaux qui est remise en question, c'est l'intervention ultérieure de l'Etat qui est remise en question.

Et veuillez remarquer que ce que vous ferez à l'égard de cette compagnie vous serez appelés à le faire peut-être à l'égard de toutes les autres compagnies. C'est un précédent qui sera nécessairement invoqué.

L'on dit : Vous allez déterminer la compagnie à suspendre l'exécution des travaux.

Mais messieurs, cette menace pourrait être faite par toute autre compagnie et dès lors les conditions des concessions des travaux les plus importants deviennent véritablement illusoires. Ou a fait un appel, en quelque sorte, à un sentiment d'équité en disant que le cautionnement stipulé pour le chemin de fer du Luxembourg était plus considérable que celui stipulé pour l'exécution d'autres lignes. Messieurs, les cautionnements se stipulent suivant les circonstances et les difficultés d'exécution. Mais, y eût-il anomalie dans la fixation du cautionnement, ce n'est pas un motif pour que l'Etat abandonne la garantie qui avait été consentie par la compagnie au moment où elle a obtenu la concession. Nous ne devons pas plus abandonner les droits de l'Etat qu'un particulier ne doit renoncer à des conditions qu'il a obtenues dans diverses transactions de la part d'autres particuliers.

Notre devoir est de sauvegarder les intérêts de l'Etat. La convention n'a pas été imposée à la compagnie, mais elle a été librement consentie par elle et acceptée par le gouvernement. On nous dira : Que deviendra le chemin de fer, si aujourd'hui le projet est rejeté ? Messieurs, il m'est impossible de répondre à cette question. La compagnie abandonnera-t-elle les travaux ou fera-t-elle de nouveaux efforts et trouvera-t-elle de l'argent pour les continuer ? C'est ce qu'il m'est impossible de dire. Si la compagnie ne peut pas trouver de fonds dans un délai plus ou moins rapproché, alors que le projet serait rejeté, elle n'en trouvera pas davantage quand les 3 millions du cautionnement auraient été dépensés, car la situation des actionnaires ne sera améliorée en aucune manière quand on aura exécuté des travaux pour la valeur du cautionnement.

En effet, dans l'état actuel, si la compagnie renonçait à la concession et que le gouvernement dût procéder à la réadjudication et que cette réadjudication fût faite à des conditions favorables, c'est-à-dire moyennant une prime inférieure à 3 millions, la différence reviendrait aux actionnaires. Ainsi la compagnie n'a aucun intérêt à ce que le cautionnement soit dépensé par elle plutôt qu'offert en prime à une autre compagnie.

Je ne pense donc pas que l'abandon de la garantie stipulée dans la concession puisse déterminer l'exécution complète des travaux ; cela dépendra de l'appréciation que les actionnaires pourront faire des résultats futurs de l'entreprise. Ici faisons remarquer que dans ces sortes d'entreprises il y a des époques de faveur et des époques de défaveur. Aujourd'hui en général il y a une certaine dépréciation quant aux chemins de fer concédés dans divers-pays ; mais cette défaveur pourrait être la conséquence des embarras financiers qui ont existé pendant quelques années et de l'excès d'esprit de spéculations qui a effrayé le public. Mais d'ici à quelques années, il peut se présenter une situation beaucoup plus favorable. C’est ainsi qu'il y a eu défaveur pour des entreprises qui sont aujourd'hui en grande faveur ; c'est ainsi que nous avons vu tes sociétés anonymes frappées, en 1839, d'une réprobation pour ainsi dire universelle, cinq ou six ans plus tard reprendre de nouveau faveur et se former pour des objets de la plus haute importance. Ce n'est donc pas dans la situation du moment que nous devons apprécier des compagnies de chemins de fer.

Ma conclusion est celle-ci, que dans l'état actuel des choses nous ne pouvons affecter le cautionnement des travaux concédés sans nous exposer à laisser des travaux inachevés sur une grande étendue sans résultat aucun, si ce n'est la détérioration des propriétés voisines, et à nous trouver dans l'impossibilité de rétablir les lieux dans leur état primitif ; que dès à présent nous ne pouvons avoir aucune opinion sur l'utilité de continuer les travaux à la charge du trésor.

S'il nous était démontré que dans tout état de cause, lorsque les trois millions seraient dépensés, il y aurait utilité évidente de continuer les travaux à la charge de l'Etat, alors je crois que nous pourrions nous montrer plus faciles, mais à une condition encore, c'est que les travaux seraient exécutés suivant la désignation que ferait le gouvernement, et non suivant le bon plaisir ou l'arbitraire de la compagnie.

Ainsi, quant à présent du moins, je voterai contre le projet de loi,

M. Orban. - Le projet de loi qui vous est soumis, qui, d'après l'observation que vous a faite hier M. le ministre des travaux publics, a reçu l'adhésion presque unanime des sections, n'a obtenu, dans cette enceinte, d'autre appui que le sien. Tous les orateurs que vous avez entendus jusqu'à présent ont en effet combattu le projet. Je pourrais par conséquent m'abstenir de prendre de nouveau la parole. Mais je désire cependant relever quelques assertions qui ont été émises par M. le ministre des travaux publics.

Dans les observations que j'ai eu l'honneur de vous présenter hier, j'ai signalé la loi en discussion comme rendant illusoire la garantie d'exécution que le cautionnement offrait au gouvernement, et comme annulant complètement la garantie d'indemnité qu'il doit y trouver en cas d'inexécution.

M. le ministre des travaux publics, pour rencontrer cette double objection, nous a dit, en ce qui concerne la garantie d'exécution : Comment serait-elle annulée ? Car elle consiste en ce que le cautionnement soit employé à l'exécution de travaux ; et c'est précisément ce que nous faisons ; nous consacrons, en effet, le cautionnement à l'exécution des travaux du chemin de fer.

Messieurs, c'est répondre par un véritable jeu de mots. Evidemment ce n'est pas cette garantie que nous devons chercher dans le cautionnement. La garantie que nous devons y chercher, ce n'est pas que le fonds du cautionnement soit converti en travaux, c'est qu'il assure autant que possible l'achèvement de l'entreprise elle-même. C'est pour cela que dans une partie des entreprises de cette nature, le remboursement intégral du cautionnement n'est effectué qu'après que le travail entier est exécuté. Cette clause existe entre autres pour le chemin de fer de Jurbise.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est le seul ; 100,000 francs sont réservés.

M. Orban. - Ce qui existe pour le chemin de fer de Jurbise devrait exister pour toutes les autres entreprises. Car il est de la nature du cautionnement de garantir l'exécution des engagements pris et par conséquent de n'être restitué qu'après que ceux-ci ont été accomplis. Mais si l'on a trouvé qu'il serait trop rigoureux de rester nanti de sommes souvent considérables et ne produisant aucun intérêt pendant toute la durée d'une entreprise de longue haleine ; si l'on a consenti à y substituer le remboursement partiel en échange d'une valeur double en travaux exécutés par le motif que l'avancement des travaux dans une pareille proportion procure au gouvernement une garantie équivalente à celle dont il se dessaisit, il ne faut pas exagérer cette tolérance jusqu'à permettre le remboursement pur et simple jusqu'à concurrence de la valeur des travaux exécutés, car alors, il n'y a plus de cautionnement et le gouvernement est simplement constitué détenteur des fonds destinés à solder les dépenses.

Mais ce n'est pas sous ce rapport seulement que j'ai trouvé que le remboursement du cautionnement dépouillait entièrement le gouvernement de la garantie qu'il devait lui offrir. C'est particulièrement sous ce point de vue qu'en remboursant de cette manière, vous vous dépouillez du cautionnement sans avoir la certitude que la société possède une obole en caisse, qu'elle soit en mesure d'ajouter un centime aux sommes qu'elle a empruntées au cautionnement pour les convertir en travaux, sans avoir l'assurance qu'après l'épuisement du cautionnement, elle pourra laisser faire un pas de plus aux travaux. Voilà à quoi M. le ministre des travaux publics a négligé de répondre ; et jusqu’à ce qu'il n'y ait pas répondu, je considérerai mes observations comme debout.

J'en viens à la garantie d'indemnité. J'avais allégué que le cautionnement ne devait pas seulement servir pour la garantie d'exécution, qu'il devait aussi servir comme indemnité au gouvernement en cas de non-exécution des travaux.

M. le ministre des travaux publics a dit à ce sujet : il faut qu'on s'explique, qu'on déclare si l'on entend que le gouvernement a eu un but fiscal en concédant les entreprises de chemin de fer, si l'on entend que les cautionnements pouvaient devenir éventuellement la propriété de l'Etat, qu'ils pourraient lui être acquis de manière à ce qu'il pût les employer aux besoins ordinaires du trésor. Et à cet égard, a-t-il ajouté, j'ai pour moi la déclaration de l'honorable membre lui-même ; car il a dit que ces cautionnements devaient en tous cas être employés en travaux publics.

Voici la réponse que j'ai à faire à M. le ministre des travaux publics. Le cahier des charges est un contrat intervenu librement, spontanément entre la société et le gouvernement. Je n'ai rien autre chose à faite que de l'invoquer et de m'y conformer. Et M. le ministre chargé de garantir, de sauvegarder les intérêts de l'Etat, n'a rien autre chose à faire lui-même que de respecter les conditions qu'il renferme.. Vouloir s'affranchir de l'exécution du cahier des charges sous prétexte qu'il serait trop sévère, ce serait faire de la libéralité où l'on n'a pas le droit d'en faire.

Eh bien ! que dit te cahier des charges ? Il déclare que si la société s'abstient de remplir ses engagements, c'est-à-dire si au terme fixé pour l'exécution elle n'a pas achevé le chemin de fer, le gouvernement est libre de prononcer la déchéance de la société, de remettre en adjudication la route entreprise, et dans le cas où l'adjudication n'aurait pas de résultats, où il ne se présenterait pas de preneur, le gouvernement reste maître de disposer des travaux exécutés et de la partie non remboursée du cautionnement, comme de conseil.

Et il est tellement vrai que, dans cette hypothèse le gouvernement est maître de disposer du cautionnement, pour en faire tel usage qu'il veut, que dans le cas même où une nouvelle adjudication aurait eu pour résultat d'amener de nouveaux entrepreneurs, le restant du cautionnement non remboursé ne sert pas à l'exécution des travaux. Un nouveau cautionnement doit être déposé par les nouveaux entrepreneurs, et le restant du premier devient la propriété de l'Etat, qui en dispose comme il l'entend.

J'ai dit, à la vérité, que le cautionnement acquis éventuellement au gouvernement serait employé en travaux publics. J'ai dit cela, parce que c'est là l'emploi le plus probable et le plus convenable d'une somme acquise au gouvernement d'une telle manière. Mais il est évident que si le gouvernement emploie cette somme en travaux publics, c'est spontanément qu'il le fait et qu'il a la liberté d'en faire tout autre usage.

Il est évident, au surplus, que cette allégation ne fait que confirmer le principe que le gouvernement peut devenir éventuellement le maître absolu du cautionnement.

En effet, les travaux qu'il exécute au moyen de ce fonds et en cas d'inexécution de l'entreprise qu'il devait garantir, deviennent la propriété (page 871) du gouvernement, et n'ont rien de commun avec la compagnie.

Messieurs j'ai tenu à établir ce point de manière à ce qu'il ne puisse être discuté de nouveau. D'autres questions de la même nature peuvent se présenter. Nous avons d'autres cautionnements déposés et sur lesquels le gouvernement peut avoir éventuellement des droits à revendiquer. Il ne faudrait pas que les paroles prononcées dans cette enceinte par un membre du cabinet pussent faire naître des illusions, pussent autoriser des sociétés concessionnaires à venir plus tard contester des droits manifestes.

Si le cahier des charges était susceptible de deux interprétations, je concevrais que l'on dît que l'une de ces interprétations est trop sévère. Mais il n'y a qu'une seule interprétation possible, et, dès lors, on ne peut pas la qualifier de cette manière.

D'ailleurs, messieurs, une indemnité n'est-elle pas due au gouvernement dans le cas où l'entreprise ne se réalise pas ? N'a-t-il fait aucun sacrifice en faveur des sociétés concessionnaires ? Pour la société concessionnaire du chemin de fer de Luxembourg, par exemple, le gouvernement ne s'est-il pas engagé à n'accorder à aucune société rivale l'entreprise de chemins de fer tendant à relier une portion considérable du pays avec l'Allemagne ? Eh bien, par suite de cette clause, nous avons dû refuser les offres qui nous étaient faites par une société allemande, pour un chemin de fer de Pepinster à Trêves ? N'est-ce pas là un sacrifice réel, qui ne peut avoir été fait en pure perte ?

J'ai signalé à l'attention de la chambre les conséquences possibles, je dirai même les conséquences extrêmement probables de la mesure dont on vous propose aujourd'hui l'adoption.

J'ai dit à la chambre que si l'on permettait dès maintenant d'employer, d'après le mode proposé, le cautionnement de la ligne de Bruxelles à Wavre, on se trouverait amené nécessairement, fatalement, à parfaire le travail avec les fonds de l'Etat, et M. le ministre des travaux publics m'a demandé en quoi la loi nouvelle changeait, sous ce rapport, la position du gouvernement. Puisqu'une démonstration nouvelle paraît nécessaire à M. le ministre, je m'en vais la faire.

Aux termes de l'ancien cahier des charges, la société ne pouvait rentrer dans ses fonds qu'après avoir dépensé elle-même une somme de 3 millions, de manière que, de deux choses l'une, ou la société aurait dépensé ces trois millions et serait rentrée dans son cautionnement, et alors il y aurait des travaux exécutés pour 6 millions ; ou bien la société aurait renoncé à l'espoir de rentrer dans son cautionnement, de crainte de dépenser une partie de ses fonds, et alors il n'y aurait pas eu de travaux, et au moins on se serait arrêté à ceux qui existent.

Dans la première hypothèse, vous n'avez à dépenser que la différence entre les travaux faits pour une somme de six millions et le coût total des travaux qui, selon le devis de la société, doit être de 6 millions 8 cent mille francs, ou de 10 millions, d'après le devis du gouvernement ; et dans la deuxième hypothèse le gouvernement ne se trouverait pas dans l'obligation morale d'achever des travaux à peine commencés. Je crois, messieurs, que cela démontre clairement en quoi la position du gouvernement se trouverait changée par l'adoption du projet de loi.

M. le ministre des travaux publics a appuyé encore la convenance de revenir sur le contrat qui lie la société concessionnaire au gouvernement, par cette considération que la société du Luxembourg aurait déposé un cautionnement beaucoup plus considérable que les autres sociétés.

Je crois que M. le ministre des travaux publics a fait erreur à cet égard, ou qu'au moins son raisonnement n'a pris une apparence de fondement qu'en partant d'un fait mal établi. Il s'est appuyé sur cette considération que le cautionnement de 3 millions pour la ligne de Bruxelles à Wavre est beaucoup plus élevé que celui affecté à toutes les autres entreprises.

A cet égard il est bon de rappeler quelques faits pour démontrer comment on fait abus en cette circonstance de la clause qui a affecté un cautionnement spécial de trois millions à la section de Bruxelles à Wavre.

En obtenant la concession du chemin de fer de Namur à Arlon, la société s'est engagée à fournir un cautionnement de cinq millions. Plus tard elle a obtenu l'adjonction d'une nouvelle ligne, celle de Bruxelles à Wavre, infiniment plus avantageuse que la concession primitive ; et pour ce, on ne lui a imposé aucune augmentation de cautionnement. Celui de cinq millions a été appliqué à l'ensemble des deux concessions. La société, se trouvant dans une position fâcheuse, s'est adressée au gouvernement pour obtenir une prolongation de délai.

Une loi a été présentée dans ce but, et dans ce but seul. Mais dans la discussion, les députés du Luxembourg ont fait observer qu'aucune clause du contrat ne forçait la compagnie à commencer les travaux sur tel point plutôt que sur tel autre, et que, par conséquent, elle pourrait affecter les 5 millions à la ligne de Bruxelles à Namur, sans dépenser un centime entre Namur et Arlon. C'est pour éviter cet inconvénient que les députés du Luxembourg proposèrent de permettre seulement que 3 millions fussent dépensés sur la ligne de Bruxelles à Wavre et d'exiger que les deux autres millions fussent dépensés dans le Luxembourg.

En cela, messieurs, il est évident que l'on ne modifiait en rien l'affectation primitive des 5 millions à l'entreprise entière, que l’on modifiait, que l'on restreignait purement et simplement la faculté qui appartenait à la société d'employer les 5 millions sur la section de Bruxelles à Wavre.

Cela a été clairement entendu et exprimé et il a été dit, dans les termes les plus formels, ce qui du reste allait de soi, que la section de Bruxelles à Wavre répondrait de l'exécution de la route de Namur à Arlon ; en d'autres termes, que la compagnie ne sera propriétaire de la section qu'elle aurait exécutée d'abord que lorsque l'entreprise tout entière serait achevée. Il reste donc vrai que le cautionnement de 5 millions doit être envisagé comme applicable à la ligne entière de Bruxelles à Arlon, et ainsi envisagé, il n'est pas plus élevé que ceux qui ont été affectés à d'autres lignes.

M. le ministre a invoqué un autre fait que je ne trouve pas plus exact, c'est que la société du Luxembourg aurait dépensé aujourd'hui une somme considérable, une somme de 13 millions, si je ne me trompe, et que dès lors elle offrirait aujourd'hui infiniment plus de garanties qu'elle n'en offrait à l'époque où le cautionnement a été fixé. Je ferai observer à cet égard, messieurs, que quand nom avons voté la loi, quand le cautionnement a été fixé d'une manière définitive, la plupart de ces dépenses étaient faites.

La dépense de six millions pour le canal de Meuse et Moselle était faite. La plupart des autres dépenses énumérées par M. le ministre des travaux publics étaient faites également. (Interruption.) Je le répète, lorsque la loi a été votée, la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg avait racheté le canal de Meuse et Moselle, c'est là un fait positif. Au surplus, messieurs, vous concevez aisément qu'une pareille dépense ne donne aucune garantie nouvelle au gouvernement.

Le rachat des actions du canal de .Meuse et Moselle a parfaitement fait l'affaire des anciens actionnaires, mais il n'a nullement amélioré la position du gouvernement. Il en est de même à plus forte raison de la somme de 500,000 francs payée aux négociateurs de cette affaire. Il n'y a donc là aucune garantie nouvelle.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, si la compagnie du chemin de fer du Luxembourg méritait beaucoup d'égards, ces égards elle les a obtenus. Toujours on a agi envers elle avec la plus grande bienveillance ; quant à moi, je me suis toujours, comme c'était mon devoir, montré disposé à la seconder, et je le ferais encore, dans cette circonstance, si la nouvelle concession qu'elle réclame ne me paraissait aussi opposée aux droits, aux intérêts de l'Etat, qu'inutile et préjudiciable à l'entreprise elle-même.

M. Cogels. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, l'honorable ministre des travaux publics m'a reproché d'avoir jeté une espèce de défaveur sur l'entreprise et de m'être exposé ainsi à en compromettre le résultat. Je ne crois pas que les observations, d'ailleurs pleines de vérité, que j'ai présentées, puissent avoir cet effet de l'autre côté du détroit. Je connais assez l'Angleterre pour savoir combien généralement les spéculateurs y attachent peu d'importance à ce qui se passe dans les autres pays, et certes ce que j'ai dit hier n'arrivera pas jusqu'à la bourse de Londres.

Du reste, je mérite d'autant moins le reproche de M. le ministre des travaux publics, que le langage que j'ai tenu hier, je l'avais déjà tenu lorsqu'il s'agissait de la concession du chemin de fer de Louvain à la Sambre, et lorsque la crise dont la France et l'Angleterre ont été témoins ne se faisait pas pressentir.

Si M. le ministre des travaux publics veut lire le rapport que j'ai présenté alors au nom de la section centrale, sur le projet relatif au chemin de fer de Louvain à Jemeppe, il pourra se convaincre que déjà à cette époque la section centrale, par mon organe, appelait l'attention des capitalistes sur les dangers que présentaient pour eux ces sortes d'entreprises, et qu'elle ne voulait garantir en rien les appréciations des ingénieurs quant aux produits des chemins de fer dont la concession était demandée, qu'enfin elle disait aux capitalistes de bien peser eux-mêmes toutes les chances de l'entreprise dans laquelle ils s'engageaient, et que, sons ce rapport, la chambre et le gouvernement devaient décliner toute espèce de responsabilité.

Dès lors, messieurs, la section centrale avait fait pressentir cette crise qui s'est développée beaucoup plus tôt qu'on ne paraissait le croira. Elle avait annoncé cette crise, et elle avait dit qu'une seule chose était douteuse : l'époque où elle devait éclater. Cette époque, comme vous l'avez vu, ne s'est pas fait attendre.

J'arrive à quelques autres observations de M. le ministre des travaux publics. Si son intention est, en effet, d'assurer l'achèvement de la première section, de la section de Bruxelles à Wavre (car je pense que, pour le moment, nous ne devons pas nous occuper de la section de Namur à Arlon ; le terme a été prorogé à dix ans et nous devons attendre des temps meilleurs, si toutefois il s'en présente) ; si donc il s'agit d'assurer l'achèvement de la section de Bruxelles à Wavre, nous devons certainement éviter de rembourser le cautionnement aux conditions qui sont déterminées dans le projet de loi.

D'après une première estimation ou, pour mieux dire, d'après un premier tracé, la dépense devait s'élever à 10,800,000 fr. Il paraît que d’après une évaluation postérieure, d'après un tracé nouveau, la dépense ne s'élève guère au-delà de 6,600,00 francs. Eh bien, messieurs, déjà 1,250,000 francs sont dépensés réellement en travaux et achats de terrains.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Il y a pour 900,000 fr. de travaux exécutés.

M. Cogels. - Eh bien, messieurs, 900,000 fr. et 5 millions et demi font bien 6,400,000 fr. Ainsi, en ne changeant rien aux conditions du (page 872) cahier des charges et en exigeant de la compagnie un déboursé réel de 3 millions ajouté au remboursement de 2,500,000 fr., solde du cautionnement, vous assurez une somme de 6,400,000 fr., de sorte qu'il ne reste plus qu'un déficit de 200,000 fr. environ. C'est là le seul moyen d'assurer l'achèvement de la route ; car en remboursant le cautionnement à mesure de l'exécution des travaux, vous vous exposez à vous trouver, lorsque le cautionnement sera remboursé, exactement dans la même position où vous vous trouvez maintenant.

Un autre motif qui me semble devoir engager la chambre à refuser son assentiment au projet de loi ou à refuser au moins le remboursement intégral du cautionnement, c'est que la crise, en Angleterre, est entièrement passée, à tel point, qu'on n'y sait plus que faire de son argent.

Oui, dit M. le ministre, mais une grande défaveur continue à peser sur les chemins de fer.

Messieurs, cette défaveur n'est pas générale ; elle atteint quelques lignes, elle n'atteint pas les autres. Qu'est-il arrivé en Angleterre et en France ? Les lignes qui étaient bonnes se sont relevées, ont repris faveur ; d'autres ont été abandonnées ; ainsi, en France, les lignes de Cette à Bordeaux et de Lyon à Avignon ont liquidé ; elles ont fait l'abandon de leur cautionnement.

Je sais bien qu'elles sont en instance auprès du gouvernement pour obtenir le remboursement ; mais au moins ces compagnies ont liquidé.

En Angleterre, ce ne sont pas seulement quelques ligues belges qui se trouvent dans la situation de la ligne du Luxembourg, il y a encore d'autres lignes de l'intérieur de l'Angleterre dont on a demandé la liquidation.

Maintenant, si nous sommes prudents, nous devons examiner quelle est la véritable situation des esprits, nous devons chercher à découvrir quelles sont les véritables intentions des actionnaires.

Si les actionnaires ne renoncent pas à l'entreprise, alors certainement ce n'est pas sur une somme de 75 millions de francs qu'ils se refuseront à faire un modique versement de 3 millions de francs qui ne représente pas 5 p. c : pas 1 livre sterl. par action. Mais s'ils sont décidés à abandonner l'entreprise, nous ne devons pas nous dessaisir de la seule garantie véritable qui nous reste, de la belle et bonne valeur dont nous sommes nantis, pour la convertir en terrains qui n'auraient plus qu'une valeur négative, parce que peut-être pour leur rendre leur valeur primitive, nous devrions faire des travaux plus considérables que les valeurs elles-mêmes.

Voilà les considérations qui m'ont déterminé et qui me détermineront encore à refuser mon assentiment au projet de loi.

M. Osy. - Messieurs, j'ai dit hier que je subordonnerais mon vote favorable à l'assurance que j'obtiendrais, que le chemin de fer d'ici à Wavre ne deviendrait pas une charge pour l'Etat.

Je désire, autant que possible, que les travaux publics soient faits avec les fonds de l'étranger. Mais je ne veux pas lancer le pays dans des dépenses trop fortes, si les travaux venaient à être abandonnés.

Hier, M. le ministre des travaux publics nous a donné une assurance morale qu'en déduisant la dépense des stations et des bâtiments, le chemin de fer pourrait se faire, avec le montant du cautionnement, d'ici à Wavre. Nous ne sommes pas ingénieurs, nous ne pouvons que nous référer ici à ce qu'affirme le gouvernement ; si le gouvernement se trompe, j'en serai très fâché, et nous pourrons plus tard lui en faire un reproche. Mais aujourd'hui, le gouvernement nous affirme une chose ; il ne nous fait pas une semblable déclaration à la légère, et nous devons l'accepter.

Eh bien, en présence de la déclaration positive du gouvernement, je n'ai aucune, crainte au sujet de l'achèvement du projet. La voie étant faite jusqu'à Wavre, il n'y a pas de doute que les actionnaires qui ont déjà versé 6 ou 7 livres feront d'autres versements, pour ne pas perdre ce capital.

Par toutes ces considérations, je donnerai mon assentiment au projet de loi.

- L'amendement de M. Jonet est appuyé.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suivrai l'ordre des observations qui ont été présentées par les divers préopinants. Et d'abord, l'honorable M. Jonet, favorable au projet de loi, a demandé qu'on insérât dans la loi un amendement propre à faire disparaître l'équivoque qu'il croit remarquer dans le cahier des charges de la concession au profit de la compagnie du Luxembourg.

Messieurs, il est très vrai qu'on s'est ému à Wavre de la crainte que le chemin de fer projeté ne vienne pas aboutir dans cette localité, et qu'il n'y ait pas de station en cet endroit.

Plusieurs pétitions m'ont été remises dans ce sens. J'ai dès lors en occasion d'examiner la question qui a été soulevée par l'honorable M. Jonet ; et quant à moi, elle ne me paraît pas faire l'objet d'un doute sérieux.

Il faut d'abord, pour bien connaître l'esprit de la convention, se référer à une convention antérieure, faite avec la compagnie de Louvain à la Sambre ; ces deux conventions sont corrélatives ; elles ont un point commun. Dans la convention faite avec la compagnie de Louvain à la Sambre, on lit ce qui suit :

« Le chemin de fer de Louvain à la Sambre prendra son origine à Louvain, aux abords de la porte du Canal, vis-à-vis des bassins, entre l'embranchement ferré appartenant à l'Etat et l'ancien mur d'enceinte. Le tracé, après avoir traversé une partie de la ville, dont il coupera le rempart entre la vieille porte de Bruxelles et le Voer, se développera sur la rive gauche de la Dyle jusqu'à la hauteur du château d'Heverlé ; après quoi il franchira cette rivière dont il suivra la rive droite jusqu'au-delà de Wavre, en passant par les communes de Vieux-Heverlé, Weert-Saint-George et Archennes ; de Waore, le tracé s'élèvera à l'ouest de la route de Bruxelles à Namur, sur le versant de la vallée de la Dyle, et atteindra Gembloux, en laissant à sa droite les communes de Blammont, Chastre et Ernage. »

Ainsi, dans la convention faite avec la compagnie de Louvain à la Sambre, l'on a bien expressément déterminé le point de Wavre : c'est de Wavre que le tracé doit s'élever à l'ouest de la route de Bruxelles à Namur. Voilà un point fixe bien déterminé.

Dans la convention faite peu après avec la compagnie du Luxembourg sous la date du 13-20 février 1846, on s'est exprimé comme suit :

« Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles. D'une station située au quartier Léopold, il se dirigera vers !e chemin de fer de Louvain à la Sambre, qu'il atteindra à Wavre et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la station de Wavre à Gembloux. »

Il résulte manifestement de ces dispositions qui ne sont pas moins obligatoires pour les compagnies que pour le gouvernement, que la faculté de jonction réservée à la compagnie du Luxembourg, surabondamment, en outre, n'est pas exclusive de la stipulation principale qui exige d'une manière impérieuse, dans les deux cas que le chemin de fer de Louvain à la Sambre et le chemin de fer du Luxembourg atteignent le point déterminé de Wavre. Cela ne me paraît faire l'objet d'aucun doute.

C'est en ce sens que les agents du gouvernement s'en sont expliqué, et dès lors l'amendement déposé par l'honorable M. Jouet est tout à fait inutile. La compagnie du Luxembourg n'a pas déposé de projet de plans pour la section de Genval à Wavre, par la raison que la compagnie de Louvain à la Sambre n'a pas déposé ses projets de plan pour la section de Gastuche à Wavre. Il faut, pour que la compagnie du Luxembourg dépose ses projets, que le projet de la compagnie de Louvain à la Sambre soit arrêté.

Ces projets une fois soumis, il ne peut exister l'ombre d'un doute qu'on se maintiendra, sous tous les rapports, dans les termes exprès des conventions, et partant que c'est à Wavre, point indiqué, que passeront les deux chemins de fer que je viens d'indiquer. Sous ce rapport donc, je considère l'amendement comme étant entièrement inutile.

L'honorable M. de Theux a cru devoir prendre la parole sur la question qui est en ce moment soumise aux délibérations de la chambre. Il a reproduit la plupart des observations qui avaient été présentées hier par l'honorable M. Orban, ce qui n'a pas empêché l'honorable M. Orban de reprendre la parole à son tour pour reproduire les objections présentées par l'honorable M. de Theux.

Je répondrai en même temps à l'un et à l'autre. Si on se borne à rembourser le cautionnement au fur et à mesure des travaux exécutés, dit-on, on n'aura plus de cautionnement. Mais ce cautionnement aura été employé en travaux ; ce cautionnement, qui est en écus, se retrouvera en travaux, en acquisitions de terrains... (Interruption.) J'ai été hier interrompu fort souvent. Je désire ne pas l'être aussi souvent ; ce n'est pas que les interruptions puissent me faire perdre le cours de mes idées ; je persisterai à soutenir ce que je crois juste et bon, mais je désire pouvoir développer complètement ma pensée et sans troublée

Quel est l'emploi qu'on fera du cautionnement, dans la pensée de l'honorable M. .de Theux ? Pour bien apprécier la valeur de son objection c'est ce qu'il faut rechercher. Si l'honorable membre pense que le cautionnement doit être, d'une façon ou d'une autre, directement ou indirectement, employé à ces mêmes travaux, son objection est sans valeur. Or, que vous dit à cet égard l'honorable M. de Theux ? Il vous dit qu'en réservant le cautionnement on pourra ou l'offrir à une autre compagnie, à titre de subside pour l'exécution des travaux ; ou bien l'Etat, étant amené à opérer l'exécution par lui-même, pourra employer ce cautionnement à l'exécution des travaux. C'est ce qu'a dit l'honorable membre ; c'est pour cela qu'il vous conviait à garder le cautionnement. J'adopte l'opinion de l'honorable membre, et c'est ce qui doit vous convier à rembourser le cautionnement.

M. de Theux. – Il y avait une troisième hypothèse, c'est celle où l'Etat ni aucune compagnie ne jouirait continuer les travaux ; alors il serait bon que l'Etat eût dans ses mains les sommes nécessaires pour remettre les choses dans leur état primitif.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je n'avais pas saisi cette troisième hypothèse. Dans les deux premières hypothèses que je viens d'indiquer, il est clair qu'il faut employer le cautionnement en travaux ; car si vous offrez ultérieurement des travaux plus considérables à une compagnie nouvelle, c'est la même chose que si vous lui offriez des travaux moins considérables et une certaine fraction du cautionnement. Il en est de même pour l'Etat, s'il doit exécuter, qu'il trouve plus de travaux faits avec le cautionnement, ou qu'il trouve moins de travaux exécutés et une plus grande partie du cautionnement.

Il y a une troisième hypothèse, c'est celle où le gouvernement ne trouverait pas d'adjudicataire qui voulût, au moyen de subsides représentés par le cautionnement ou par les travaux exécutés, reprendre l'entreprise, et où le gouvernement lui-même ne voudrait pas continuer les travaux poussés à une certaine limite et jugerait à propos de remettre les terrains (page 873) dans leur premier état. En ce cas, l'honorable M. de Theux veut qu'on ait quelques fonds en caisse pour faire disparaître les déblais et reporter les terres enlevées.

Je ne pense pas que ceci soit sérieux. Je ne pense pas que jamais on puisse songer à employer deux millions à faire brouetter des terres qui auraient été déblayées. Ce n'est pas à un pareil emploi que jamais le gouvernement ou la législature consentirait à consacrer deux millions de francs. On les emploierait beaucoup plus utilement à améliorer les chemins vicinaux ; ce serait un emploi beaucoup meilleur que celui indiqué par l'honorable M. de Theux.

L'honorable M. de Theux a dit ensuite : On compromet les droits de l'Etat, on lui enlève une garantie de trois millions. D'abord il ne s'agit plus de trois millions, car on continue à rembourser conformément à l'ancienne stipulation ; cette somme de 3 millions est déjà suffisamment réduite. Elle se réduira plus notablement encore, car, à dater du 1er février, il y a 1,500 ouvriers qui font des travaux dans une proportion plus considérable que dans les mois précédents.

Si, dit l'honorable membre, on ne remboursait une partie du cautionnement que quand on aurait exécuté des travaux pour une somme double, on remplacerait le cautionnement par des travaux pour une somme de 4 à 6 millions. C'est aussi l'objection qui a été faite par l'honorable M. Orban. On n'aurait, a-t-il ajouté, qu'une somme moindre à dépenser pour parachever les travaux.

Messieurs, si les honorables membres se placent dans la supposition qu'en rejetant le projet de loi, les travaux seront exécutés, ils ont raison, cela est vrai. Mais si cette hypothèse était possible, le projet de loi serait inutile ; ii ne vous serait pas présenté. C'est précisément parce que cette hypothèse paraît inadmissible, c'est parce que, dans les circonstances actuelles, la compagnie ne peut continuer l'exécution de ses travaux sous l'empire de la stipulation première, que l'on vient aujourd'hui, par exception, proposer une mesure qui déroge aux stipulations primitives et permet de rembourser le cautionnement au fur et à mesure de l'exécution des travaux.

L'objection que l'on fait est donc absolument inadmissible, elle n'a pas de sens, qu'on me permette de le dire, elle ne peut avoir aucune espèce de portée dans le débat ; elle n'a une valeur que pour celui qui suppose que la compagnie est en état d'exécuter. Mais comme l'hypothèse contraire est seule vraie, comme il est évident que les travaux se trouveraient entièrement menacés, soit quant au chemin de fer de Bruxelles à Wavre,soit quant au canal de Meuse et Moselle, et c'est une grave responsabilité qu'on assume sous ce rapport ; comme il est évident, dis-je, que cette entreprise se trouverait manifestement compromise, il faut reconnaître qu'il est de l'intérêt de l'Etat de rembourser au fur et à mesure de l'exécution des travaux, le cautionnement déposé par la compagnie, parce que c'est la seule chance de salut possible, dans les circonstances où nous nous trouvons, parce que c'est la seule chance de réussite de l'entreprise. C'est pour relever l'espérance de la compagnie, c'est pour lui donner la conviction qu'elle trouve des sympathies dans le gouvernement, que la mesure vous est proposée, et le résultat sera d'engager les concessionnaires à fournir les fonds pour compléter les travaux qui auront été entrepris.

L'honorable M. de Theux n'a pas été satisfait de l'observation que j'ai présentée hier et qui consistait à dire que la compagnie offre aujourd'hui plus de garanties qu'elle n'en avait offert à aucune époque, qu'elle n'en avait offert à l'époque où le cautionnement a été versé, parce qu'alors 3 millions seulement formaient la garantie de l'Etat, tandis qu'aujourd'hui la compagnie a fait des dépenses de diverse nature pour un capital d'à peu près 14 millions ; et que la compagnie a plus d'intérêt à ne pas perdre 14 millions que 5 millions.

L'honorable M. Orban ne trouve pas non plus cet argument satisfaisant et il nous répond par cette considération : A quoi a-t-on employé ces 14 millions ? C'est en grande partie à l'achat du canal ; et en quoi, nous dit-il avec l'honorable M. de Theux, le rachat du canal vient-il donner plus de garanties aux droits de l'Etat ?

Messieurs, cela garantit les droits de l'Etat, en ce sens qu'il y a 14 millions dépensés dans cette entreprise, qu'il y a évidemment intérêt pour la compagnie à faire ce qu'elle peut, ce qui est humainement possible pour ne pas perdre ces 14 millions, et qu'en définitive la compagnie, à l'époque où elle n'avait dépensé que 5 millions, à l’époque de la convention., avait moins d'intérêt qu'aujourd'hui à poursuivre l'exécution de ses travaux.

L'honorable M. de Theux vous a dit encore que le projet de l'Etat était d'autant plus dangereux, que nous nous exposions à voir des demandes de même nature formées par toutes les autres compagnies ; que c'était un précédent déplorable ; que les compagnies allaient affluer auprès du gouvernement pour solliciter le remboursement de leurs cautionnements.

Mais l'honorable M. de Theux n'a pas pris garde que j'ai eu l'honneur de dire hier, à la chambre, que les cautionnements sont remboursés. Les cautionnements sont remboursés à l'heure qu'il est.

M. de Man d'Attenrode. - Et celui de la Dendre ?

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'ai déjà répondu à cette observation, j'ai dit que je ne parlais que des compagnies qui ont mis la main à l'œuvre, qui ont exécuté des travaux.

J'ai dit que ces compagnies avaient obtenu presque toutes la restitution de leur cautionnement, pour une ou deux, ii ne reste plus à restituer que de faibles sommes. Il reste, entre autres, une somme de 110,000 fr. due à la compagnie du chemin de fer de Jurbise, en vertu d'une stipulation exceptionnelle, et qui ne sera restituée qu'après l'achèvement complet des travaux. Ainsi la crainte qu'on manifeste à cet égard est sans fondement.

On a invoqué une sorte de raison d'équité, vous a dit l'honorable M. de Theux, en argumentant de la différence énorme qui existe entre les cautionnements imposés aux diverses compagnies. Et l’honorable M. Orban est venu en aide encore sous ce rapport à l'honorable M. de Theux, eu essayant de quelques nouvelles objections pour démontrer combien était futile ma raison d'équité.

Si j'en crois l'honorable M. de Theux, on stipule suivant les circonstances le taux des cautionnements, on les stipule suivant le plus ou le moins de chances d'exécution des travaux.

Suivant l'honorable M. Cogels, ces cautionnements auraient été stipulés déplus en plus forts, à mesure qu'on s'éloignait de l'époque où les concessions étaient bien recherchées, à mesure qu'on s'éloignait de l'époque où les entreprises de cette nature avaient moins de chances d'exécution. Je ne puis admettre une parodie idée.

M. Cogels. – Présentaient moins de chances de succès.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Permettez-moi de vous citer vos paroles :

« A mesure que de nouvelles concessions ont été demandées, les chances d'exécution ont diminué, et le gouvernement s'est dit : Moins l'entreprise offre de chances de succès, plus il faut demander pour garantir l'exécution des travaux. »

Messieurs, ni les raisons d'hier de l'honorable M. Cogels, ni les raisons d'aujourd'hui des honorables MM. de Theux et Orban, ne peuvent être écoutées.

C'est le 18 juin 1846 que l'on a concédé le chemin de fer du Luxembourg. Ou a demandé un cautionnement de 5 millions de francs. C'est le 18 juillet 1846 que l'on a concédé le chemin de fer de Manage à Wavre, et l'on a demandé un cautionnement de 750,000 fr. Le chemin de fer de Manage à Wavre est de 41 kilomètres ; l’évaluation est de 9,500,000 francs, le cautionnement est de 750,000 fr. ; et, par la loi modificative de la concession du chemin de fer du Luxembourg, pour l'exécution de 26 kilomètres, de Bruxelles à Wavre, on a détaché des cinq millions trois millions, en laissant seulement 2 millions pour l'exécution de la ligne la plus longue et la plus difficile, l'exécution de la ligne de Namur à Arlon.

M. Cogels. - Permettez-vous que je vous interrompe un instant ?

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Volontiers.

M. Cogels. - C'est que, indépendamment des 2 millions, la ligne de Bruxelles à Wavre elle-même devait servir de cautionnement.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est exactement et identiquement la même chose. Je vais le démontrer.

M. Cogels. - Ainsi 2,000,000 qui restaient affectés en espèces et 6,800,000 francs en travaux, portaient le cautionnement, non plus à 5,000,000, mais à 8,800,000 francs.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Erreur, car la ligne de Bruxelles à Wavre exécutée, le cautionnement de 3,00000 se trouvait restitué. Au reste, l'argument revient à dire qu'il ne faut pas diviser ; qu'il faut voir toute la ligne ; et nonobstant les explications que j'ai eu l'honneur de vous donner hier, l'honorable M. Orban nous a répété tantôt que c'était ainsi qu'il fallait l'entendre, et qu'il fallait considérer le cautionnement de 5.000,000 comme s'appliquant à toute la ligne de Bruxelles à Arlon. Cette observation, messieurs, n'a pas plus de fondement que les précédentes. La ligne de Bruxelles à Arlon serait de 190,200 mètres ; la dépense serait de 33,000,000 d'après les évaluations les plus hautes ; on a exigé 5,000,000 de cautionnement. Et voici que pour les 160 kilomètres de l'Entre-Sambre-et-Meuse, y compris l'embranchement, on n'exige que 1,500,000 francs.

Il n'y a là évidemment aucune espèce de proportion. Aucune règle fixe n'a été suivie ; je défie mes honorables contradicteurs de déterminer à la vue du chiffre estimatif de la dépense, ou bien par la comparaison des distances, ou en prenant garde aux difficultés d'exécution, je leur porte le défi de déterminer quelle est la règle qui a été suivie pour fixer les cautionnements. C'est purement et simplement de l'arbitraire.

Les motifs que je donnais hier subsistent donc tout entiers.

Si la compagnie du chemin de fer de Bruxelles à Wavre vous avait dit, à l'époque où vous avez divisé le cautionnement, si elle vous disait aujourd'hui : Réduisez à 5,000,000 de fr. le cautionnement pour le mettre en proportion avec les cautionnements précédents ; réduisez-le à 5,000,000 de fr. que vous garderez dans vos caisses, que vous me rembourserez comme vous le faites aux autres compagnies, mais donnez-moi l'excédant dont je puisse disposer dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons ; est-ce que, de bonne foi, on aurait pu refuser d'acquiescer au désir de la compagnie ?

Or, que vous demande-t-elle aujourd'hui ? Elle vous demande, de recevoir au fur et à mesure qu'elle exécutera des terrains qu'elle achètera des terrains pour une valeur de 100,000 francs, de recevoir une somme équivalente, Fait-elle là des conditions dures, des conditions onéreuses, à l'Etat ? Change-t-elle d'une manière essentielle les stipulations primitives de son contrat ? Evidemment non.

La situation, a dit encore l'honorable M. de Theux, ne sera pas (page 874) améliorée lorsqu'on aura dépensé trois millions. Nous nous trouverons, lorsque ces trois millions auront été dépensés, dans des conditions analogues à celles où nous sommes aujourd'hui.

C'est, messieurs, une évidente erreur, si, comme j'ai eu l'honneur de le dire hier, l'achèvement des travaux sur une voie est possible de Bruxelles à Wavre, à l'aide de la restitution du cautionnement ; et cela est bien vraisemblable. S'il en ainsi, vous aurez cette ligne exécutée sur une voie de Bruxelles à Wavre, ce sera déjà quelque chose, ce sera mieux apparemment que des travaux inachevés, que des terrains gâchés, comme le disait hier l'honorable M. Cogels. On fera toujours quelque chose d'utile pour le pays, quelque chose qui sera favorable aux localités intéressées ; tandis que si vous retenez par devers-vous le cautionnement, vous vous exposez à compromettre d'une manière absolue le sort de l'entreprise.

L'honorable M. Orban a fait valoir en outre quelques considérations que déjà il avait présentées hier sur la nature du cautionnement, sur les garanties qui devaient en résulter. Je ne pense pas devoir rencontrer de nouveau ces observations qui me forceraient à répéter ce que j'ai énoncé hier. Cependant l'honorable membre revenant sur le but qu'on s'était proposé par le cautionnement, craignant sans doute de s'être trop engagé en reconnaissant que des cautionnements de celle nature devraient être employés à des travaux d'utilité publique et plus particulièrement aux travaux pour lesquels les cautionnements ont été fournis, l'honorable membre a dit : Je ne veux voir que les stipulations du cahier des charges, je ne veux pas m'expliquer si c'est dans un but fiscal qu'on a stipulé un cautionnement ; mais je ne vois que les stipulations du cahier des charges et j'y renvoie le ministre chargé de veiller à la conservation des droits de l'Etat.

Nous n'avions pas besoin, messieurs, sous ce rapport, des conseils de l'honorable M. Orban. Nous avons parfaitement lu le cahier des charges ; nous connaissons les stipulations qu'il .renferme. Si la discussion avait roulé sur le point de savoir quelles étaient les stipulations du contrat, on se serait borné à les lire. Mais la question examinée avait une portée plus élevée. On recherchait quelle était la pensée qui vous a dirigés à l'époque de ces stipulations, de l'esprit qui vous dirigerait aujourd'hui, qui vous dirigerait demain dans l'application des cautionnements, et j'ai demandé, je répète cette question, s'il y aurait un seul membre de cette chambre qui se lèverait pour conclure à la confiscation du cautionnement des compagnies qui ont mis la main à l'œuvre, qui ont témoigné de leur bonne foi, qui ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour accomplir leurs engagements.

Et je fais une grande distinction entre ces compagnies et celles qui, après un premier mouvement d'agiotage, se sont abstenues et se sont entièrement retirées. Celles-là ont violé leur contrat ; celles-là ont manqué à leurs engagements. Celles-là ne peuvent venir se prévaloir devant vous ni de l'esprit des contrats, ni de l'esprit qui nous dirige à l'égard des compagnies qui ont poursuivi sérieusement l'exécution de leur entreprise.

Mais quant aux compagnies qui ont montré leur bonne foi, y aurait-il un seul membre dans cette chambre qui voudrait considérer le cautionnement comme une épave en qui en demanderait la confiscation au profit de l'Etat ? Non, c'est impossible.

Or, si cet esprit doit diriger le gouvernement, si cet esprit doit diriger les chambres, la question à examiner, c'est la bonne foi de la partie avec laquelle on a stipulé. Si vous avez la conviction que cette partie est de bonne foi, que c'est un débiteur malheureux et de bonne foi, vous ne pouvez la traiter comme un débiteur de mauvaise foi. Vous ne pouvez lui refuser toute espèce de concession, vous ne pouvez lui refuser d'employer utilement les fonds qui ont été versés dans vos caisses, de les employer à l'exécution des travaux.

Mais l'Etat, car on a dû chercher un prétexte, l'Etat a le droit, a dit l'honorable M. Orban, d'être indemnisé. De quoi ? De quel préjudice ? Quel tort a été fait à l'Etat ? La raison que donne l'honorable membre, c'est que la société du Luxembourg aurait obtenu une déclaration par laquelle l'Etat se serait interdit de lui faire concurrence. La belle raison ! De ce que la société a demandé pour plus de sûreté, qu'on ne vînt pas concéder ultérieurement des lignes qui fissent concurrence à la sienne, a-t-elle causé quelque préjudice à l'Etat ? L'Etat a été empêché de concéder d'autres lignes ! Rien, assurément de plus problématique que ce prétendu dommage ; rien, si ce n'est la chance ajournée de trouver des demandeurs en concession pour des lignes destinées à faire concurrence aux lignes du Luxembourg.

L'honorable M. Cogels a produit, de son côté, quelques observations qui sont tout à fait analogues à celles de l'honorable M. de Theux, et dès lors je puis me référer à la réponse que j'ai faite à cet honorable membre. Ainsi, messieurs, lorsqu'il nous a dit que par le remboursement nous finirions par nous trouver dans la même position qu'aujourd'hui, c'est une erreur que j'ai déjà rencontrée. Non, nous ne serons pas dans la même position, nous aurons des travaux exécutés en plus, et nous pourrons ainsi plus facilement soit trouver une autre compagnie pour l'exécution des travaux, soit exécuter nous-mêmes, si nous le jugions convenable.

Le seul motif nouveau que donne l'honorable membre pour faire repousser le projet de loi, c'est que les actionnaires ne refuseraient pas les versements nécessaires pour compléter les travaux ; eh bien, messieurs, je ne veux que cette objection pour être convaincu, de l'utilité du projet de loi ; car vous comprendrez sans peine que les actionnaires seront bien plus intéressés à faire ce léger sacrifice, lorsque la ligne sera presque achevée à l'aide du cautionnement.

Dans votre séance d'hier, l'honorable M. Orban a pensé qu'on exagérait les souffrances de la classe ouvrière et la nécessité de lui trouver du travail dans les circonstances actuelles. Il oublie quelque peu ce qu'il avait exprimé dans une séance précédente, à l'occasion du crédit pour les routes. Il faisait valoir alors comme argument que les travaux d'utilité publique avaient merveilleusement servi à alléger les souffrances de la classe ouvrière.

Ces souffrances, messieurs, ne sont pas moindres aujourd'hui qu'elles ne l'étaient alors et ces travaux sont aujourd'hui aussi utiles qu'ils ont été à toute autre époque. Certes, si ce motif unique ne suffit pas pour qu'on intervienne follement dans toutes les entreprises concédées, au moins lorsqu'une fois une entreprise est commencée, lorsque déjà un nombre considérable d'ouvriers y est employé et qu'il s'agit uniquement de faire sortir des caisses un cautionnement improductif qui sera utilement affecté aux travaux, il serait inique de repousser un arrangement qui garantit de l'ouvrage pendant un certain temps, à douze ou quinze cents ouvriers.

- La clôture est demandée.

M. Malou (contre la clôture). - Je m'étais fait inscrire, et sans vouloir prendre part à la discussion qui vient d'avoir lieu, je désirerais surtout poser à M. le ministre quelques questions de fait dont la solution doit influer sur mon vote.

M. de La Coste. - J'aurais également désiré demander quelques éclaircissements à M. le ministre sur ses intentions ultérieures quant au chemin de fer de Louvain à la Sambre qui se lie très intimement avec celui-ci, qui s'y lie à tel point que, sans son achèvement, tout ce que nous faisons ici serait complètement inutile.

M. Broquet-Goblet. - Comme rapporteur de la section centrale, j'aurais désiré que la discussion ne fût pas close en ce moment. Cependant, si la chambre veut passer au vote, je n'insisterai pas pour avoir la parole.

M. Delfosse. - Je conviens que la discussion a duré assez longtemps ; il serait cependant peu convenable de la clore immédiatement après le discours de M. le ministre des travaux publias. Ne perdons pas de vue, messieurs, que les ministres sont entendus quand ils le demandent, ils parlent quand ils veulent et au moment où ils veulent, il faut au moins qu'on puisse leur répondre.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. Zoude. - Messieurs, j'ai entendu aven peine la sévérité dont on voudrait user envers la société du Luxembourg, et surtout de la part d'un orateur qui, lors de la discussion de la loi de concession, nous a dit qu'en tête des actionnaires figurent les maisons les plus colossales et les plus respectables de l'Angleterre.

C'est lorsque ces maisons éprouvent peut-être quelque gêne, à la suite de la catastrophe la plus terrible qui ait jamais affligé ce royaume ; c'est alors que vous déploierez contre elles des mesures de rigueur !

C'est lorsque cette société a dépensé en Belgique près de 15 millions en achat du canal de Meuse et Moselle, dans le versement de son cautionnement au trésor, en frais d'études dans les deux provinces de Luxembourg et de Brabant, en achat des terrains et en travaux exécutés jusqu'à ce jour.

Et que vous demande cette compagnie, messieurs ? Pas que vous veniez à son secours avec votre argent, mais elle vous demande de lui permettre de dépenser le sien. On vous demande quelle garantie nous restera. Il nous restera les terrains qu'elle aura achetés, les travaux qu'elle aura exécutés, il vous restera le canal de Meuse et Moselle ; il vous restera les revenus des barrières qu'elle perçoit sur l'eau d'Ourthe, les propriétés qu'elle possède à Bruxelles et ailleurs ; il vous restera la partie du cautionnement non remboursable d'après la proposition de la section centrale à laquelle je me rallie, et enfin la moralité des maisons qu'on nous a dit être des plus colossales et des plus respectables de l'Angleterre. Pour ces divers motifs, je vote le remboursement du cautionnement, mais dans les limites adoptées par la section centrale.

M. Malou. - Messieurs, toutes les opinions dans la chambre se proposent sans doute d'obtenir le même résultat, de mieux assurer l'exécution d'un grand travail d'utilité publique qui a été concédé. La discussion aboutit donc à ceci : Avons-nous, en remboursant ou en ne remboursant pas le cautionnement, plus de garantie que le chemin de fer du Luxembourg sera achevé ?

Reportons-nous à l'origine même du cautionnement et au motif pour lequel on a exigé que le double d'acquisitions ou de travaux fût fait, pour obtenir le remboursement du cautionnement ; c'est évidemment qu'à l'égard de capitalistes étrangers qui sont bien solidairement engagés, mais qui ne s'engagent que dans certaines limites, qui peuvent se substituer une société anonyme, le gouvernement n'avait qu'une garantie réelle, matérielle, le cautionnement. Et l'on demandait le double des travaux, parce qu'on voulait, à mesure que la garantie matérielle stipulée par le gouvernement viendrait à diminuer, qu'il s'y substituât un gage nouveau plus considérable.

Supposez, par exemple, que la question qui s'agite aujourd'hui se soit présentée au moment où les concessions vous ont été proposées ; supposez qu'on vous eût proposé de mettre dans les cahiers de charges, que les compagnies pourraient employer leur cautionnement à des travaux, vous auriez dit d'une voix unanime ce que nous avons répondu à (page 875) la compagnie de la Dendre, lorsque la même demande a été faite, lorsqu'elle a été appuyée dans cette chambre ; que c’était nous dessaisir du gage d'exécution des travaux ; toutes les opinions eussent été unanimes sur ce point.

Ce qui était vrai à l'époque où les concessions ont été accordées, est encore vrai aujourd'hui, quoique dans une mesure moindre, à l'égard de la compagnie du Luxembourg.

Vous ne détruisez pas complètement le gage, parce que déjà des travaux sont faits ; mais vous diminuez les chances d'exécution ; vous déchargez la compagnie d'une condition onéreuse qui est de fournir pour chaque remboursement un capital double de ce remboursement. Si ce n'est pas là diminuer les garanties d'exécution du chemin de fer du Luxembourg, en vérité, je ne sais comment on peut les diminuer.

M. le ministre des travaux publics nous a parlé hier d'une convention conclue au mois de décembre ; c'est la première fois ; je pense, qu'on en parle ; il n'en est fait mention ni dans l'exposé des motifs, ni dans le rapport de la section centrale. D'après ce que nous a dit M. le ministre, la compagnie se serait engagée (et elle aurait tenu cet engagement) à maintenir continuellement en activité un certain nombre d'ouvriers pendant les mois d'hiver.

Ge n'est pas là apparemment toute la convention, et la chambre devrait connaître quelles en sont les autres clauses, ce que la compagnie a demandé en retour de cet engagement, dans quels termes le gouvernement a stipulé avec la compagnie. Pour tout dire en un mot, la pièce nécessaire au procès, c'est précisément celle qui manque à la convention de décembre.

Une autre observation doit être pesée par la chambre. Assurément, nous ne pouvons pas faire ici, d'une manière exacte, le bilan de la compagnie, mais nous pouvons lui demander que, lorsqu'elle fournit des renseignements au gouvernement, elle soit d'accord avec elle-même, et (ce qui n'est pas trop demander peut-être) qu'elle ne fournisse pas d'arguments contre elle-même. Or, c'est exactement ce qu'elle a fait.

D'une part, dans une note communiquée à la section centrale, on indique une somme de 159,000 fr. pour terrains acquis ; d'autre part, on nous déclare que la compagnie a fait des acquisitions réelles jusqu'à concurrencer de 400,000 fr. Et remarquez que la différence ne peut pas être comblée par les travaux qui ont été exécutés depuis lors, puisque ces travaux se montent en totalité, à 222,000 fr., acquisitions et terrassements compris.

J’admets cependant que le dernier état fourni par la compagnie soit exact, quelle ait dépensé pour le chemin de fer, en acquisitions et en travaux, une somme de 903,000 fr. ; je vais même plus loin : j'admets qu'elle ait dépensé les 1,250,000 fr. portés dans le devis de ses dépenses, et je dis qu’il résulte de l'exposé qu'a fait hier M. le ministre des travaux publics que la compagnie a, aujourd'hui, pour continuer les travaux, 1,125,000 fr. disponibles et que, quand le remboursement auquel elle a droit, aura été fait, ce remboursement s'élevant à 111,000 fr., la compagnie aura pour continuer les travaux, une somme de 1,236,000 fr.

Le calcul est facile à faire. En effet, les versements effectués par les actionnaires s'élèvent à 15 millions de francs ; les dépenses faites par la compagnie s'élèvent à 13,875,000 fr. ; donc la compagnie doit avoir disponible, pour continuer les travaux, une somme de 1,125,000 fr.

M. le ministre des travaux publics nous l'a du reste déclaré lui-même à la séance d’hier ; je ne lirai que trois lignes de son discours :

« La somme employée en travaux de toute espèce par la compagnie, est de 13,875,000 fr. Le capital versé est, comme je l'ai dit, de 15,000,000. Il reste, dans l'état actuel îles choses, une somme de 1,125,000 fr... »

Aujourd’hui l'on nous dit que les travaux vont être interrompus du jour au lendemain, si l'on ne modifie pas la clause du contrat primitif, en autorisant le remboursement du cautionnement, à mesure qu'on exécute les travaux..

Mais que du moins la compagnie emploie cette somme de 1,125,000 fr. et elle aura déjà droit à un remboursement de plus de 500,000 fr. d'après les clauses du cahier des charges, et alors on pourra voir s'il y a lieu de lui accorder des facilités nouvelles ; mais d'après les faits produits par la compagnie elle-même, l'inutilité et l'inopportunité du projet de loi sont démontrées à l'évidence.

Et s'il en est ainsi, que devient le motif que j'appellerai un argument à effet, l'intérêt de la classe ouvrière ? Cet intérêt est complètement satisfait, parce que la compagnie étant en possession de 400,000 fr. pour le prix de tous les terrains nécessaires à la section de Bruxelles à Genval, a encore une somme disponible de 11 à 1,200,000 fr. pour les travaux ; elle n'a dépensé jusqu'à ce jour que 6 à 700,000 fr. pour terrassements : il lui reste donc une somme suffisante pour travailler longtemps.

Il y a, comme l'a dit l'honorable M. Cogels, un motif de plus pour ne pas admettre en ce moment de dérogation au cahier des charges. Assurément, l'Angleterre, comme la France, a subi une crise financière profonde, mais qui touche à son terme dans ces deux pays ; assurément encore, cette crise a été, en grande partie, produite par la frénésie avec laquelle on s'était lancé vers les entreprises de chemin de fer ; mais aujourd'hui, dans ces deux pays, le classement des valeurs s'est fait, l'agiotage n'a plus de prise ; des preneurs sérieux se présentent pour les bonnes entreprises d'après leur valeur réelle, tandis que les mauvaises entreprises sont délaissées.

Dans de telles circonstances, lorsque la crise financière touche à son terme ; lorsque le classement des actions industrielles s'est fait par la force des choses, ce serait une imprudence de premier ordre, selon mot, que de modifier le cahier des charges. J'ai compris en ce sens l’observation de mon honorable ami, M. Cogels, et je me permets de la soumettre de nouveau à l'attention de la chambre ;

De deux choses l'une : ou l'appel qui a été fait aux actionnaires sera suivi du versement de la somme demandée ; ou tous les actionnaires resteront sourds à cet appel ; vous ne pouvez pas sortir de cette alternative.

Eh bien, si dans les circonstances actuelles les actionnaires font un versement, si les 80 mille actionnaires plus ou moins fidèles font un versement, la loi est inutile ; la compagnie aura les moyens de continuer les travaux dans les conditions du contrat primitif ; si au contraire tous les actionnaires ou la plus grande partie restent sourds à l'appel fait par la compagnie, inutilement faites-vous votre loi ; la compagnie ne pourra pas davantage continuer les travaux.

Ainsi dans l'une et l'autre hypothèse la loi est inopportune, elle est mauvaise en ce qui touche l'achèvement du chemin de fer de Bruxelles à Wavre, et surtout du chemin de fer du Luxembourg.

Il est inutile, je pense, de demander ce qu’on ferait des cautionnements si des compagnies encourent la déchéance. Si le projet de loi est adopté, la chambre n'aura pas à s'occuper de cette question, le cautionnement sera dépensé en terrassements tout à fait inutiles.

Si les compagnies n'exécutent pas, s'il reste des cautionnements dans les caisses de l'Etat, les chambres auront à statuer sur l'emploi des sommes attribuées au trésor. Personne, je pense, n'a dit qu'il faudrait les employer à remettre les lieux dans leur état primitif. Je n'ai pas compris dans ce sens l'observation de l'honorable M. de Theux, j'ai compris qu'on emploierait ces sommes à rétablir les communications interceptées, à rendre les terrains propres à une culture quelconque ; ce serait là un emploi utile.

Tout n'est pas dit quand on a déclaré que les sommes seraient employées en travaux publics. Si, par suite de l'inexécution des contrats par les compagnies, quelques millions restaient dans les caisses de l'Etat, les chambres devraient décider de leur emploi. Si vous adoptiez l'opinion du gouvernement, on dépenserait deux ou trois millions sur telle ou telle ligne, quelques centaines de mille francs sur telle autre, vous épuiseriez la garantie et vous n'auriez rien fait de complet.

Je désire obtenir, de l'obligeance de M. le ministre des travaux publics, un dernier renseignement.

Je voudrais savoir, sauf à M. le ministre le soin de juger quelle réserve il apportera dans sa réponse, quelle est la situation de la société concessionnaire du chemin de fer de Louvain à la Sambre, quelles sont les garanties morales que nous avons de l'achèvement de cette ligne. Il existe une grande connexité entre les deux projets. Si on n'a pas la certitude presque complète de l'achèvement de la ligne de Louvain à la Sambre, il faudra encore attendre avant de s'engager plus loin dans l'exécution de la ligne de Bruxelles à Wavre.

En résumé, je désire avoir connaissance de la convention conclue en décembre ; je désire ensuite savoir comment il se fait qu'une demande de remboursement du cautionnement ait lieu, quand la compagnie a une somme disponible assez considérable ; en troisième lieu, je demande quelques explications sur la situation de la compagnie de Louvain à la Sambre. Quant à l'appel fait aux actionnaires, il me paraît que l'existence seule de cet appel à un nouveau versement suffirait pour motiver le rejet, ou du moins l'ajournement de la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Autant d'erreurs que de mots dans les commentaires que l'honorable membre a cru devoir faire sur les questions qu'il a posées. Il faudrait, a-t-il dit, que la compagnie se mît d'accord avec ses propres déclarations. Un jour elle dit qu'elle a acheté des terrains pour 400,000 fr., un autre jour ce n'est que pour 150,000. Où l'honorable membre a-t-il vu cela ? Les contradictions supposées lui appartiennent en propre ; elles n'existent ni de la part de la compagnie ni de la part du gouvernement. Le gouvernement a dit une chose : Les terrains ont été estimés dans les projets primitifs à une somme de 1,900,000 fr., et les estimations de la société pour les 4/5 de la route ne s'élèvent qu'à 400,000 fr. La société a des contrais pour une très grande partie de ces terrains.

Après avoir fait remarquer hier que l'estimation des terrains était de 1,900 mille francs dans le premier projet pour la totalité de la ligne, j'ai dit, en réponse à une observation faite sur la valeur de ces terrains au quartier Léopold, que je devais en induire que l'estimation avait été faite à un prix supérieur à 2 francs le pied, tandis que la société avait acquis les terrains en cet endroit, à 50 centimes le pied. Cela faisait donc une énorme différence dans l'évaluation des terrains nécessaires pour l'exécution des travaux.

Maintenant l'honorable membre veut-il savoir au juste, à un centime près, suivant les états fournis par la compagnie, ce qui est indiqué comme payé en écus sur les terrains achetés ? Pour les première et deuxième sections il en a été payé pour 251,150 francs 81 centimes. Veut-il savoir pour combien on a fait de terrassements sur les deux mêmes sections ? Pour 468,848 francs ; 468,848 mètres de terrassements à 1 franc ; sur la troisième section on a fait pour 38,250 fr. de terrassemenls,45,000 mètres cubes non plus à un franc, mais à 85 centimes ; en travaux d'art, pavages pour opérer des détournements de route, etc., etc., 145,411 fr. 69 c, ce qui donne le chiffre total de la somme dépensée 903,660 francs 50 centimes en travaux dont la compagnie pouvait faire état pour réclamer le remboursement de son cautionnement, car il ne faut pas penser (page 876) que toutes les dépenses indistinctement soient admises en compte pour obtenir la restitution du cautionnement. Ainsi elle a acquis plus de terrains qu'il n'était nécessaire pour la station, parce qu'elle a trouvé qu'elle faisait un bon marché. On ne lui a pas tenu compte de tout le terrain, mais seulement de la quantité nécessaire pour la station. Il en a été de même des matériaux approvisionnés, et en général des objets non encore immobilisés.

Tout cela n'est pas compris dans la somme dépensée par la compagnie. Le chiffre de 903,660 fr. 50 c. que j'ai indiqué, n'est que le chiffre admis pour calculer la somme à rembourser.

Voilà la première explication que j'ai à donner à l'honorable membre.

Seconde erreur qui lui a échappé ; c'est de calculer sur la somme de 1,125,000 fr. excédant du capital versé sur la dépense, et qui pourrait, selon lui, être employé aujourd'hui au chemin de fer de Bruxelles à Wavre. Mais l'honorable membre n'a pas pensé que la compagnie du Luxembourg n'a pas seulement pour but d'exécuter le chemin de fer de Bruxelles à Wavre. La compagnie du Luxembourg a en outre à exécuter dans un délai rapproché le canal de Meuse et Moselle. Si vous voulez que l'on emploie toute la somme disponible au chemin de fer, il ne restera rien pour le canal. Or, je crois que l'intérêt de l'Etat est qu'on travaille des deux côtés.

Ainsi si voulez être équitable, vous devez répartir la somme de 1,125,000 fr. et il faudrait en attribuer la plus forte part au canal de Meuse et Moselle. Voici pourquoi : C'est que, pour le canal, la compagnie n'a pas un cautionnement qu'elle puisse redemander. C'est par ce motif qu'elle veut employer la plus forte partie de l'excédant au canal, qu'elle vient demander le remboursement de son cautionnement pour l'employer à l'exécution du chemin de fer.

Voilà donc deux points éclaircis, et, je le pense, à la satisfaction de l'honorable membre.

L'honorable M. Malou a été non pas aussi effrayé que l'honorable M. Orban des conséquences du projet de loi, mais il a supposé qu'il y avait quelque anguille sous roche, et il a fait remarquer que j'avais mentionné hier pour la première fois une convention à la date du 12 décembre 1847 ; il a voulu éclaircir une espèce de mystère que je n'aurais pas encore songé à révéler.

Il n'y a rien de mystérieux dans l'acte qui a été posé par le gouvernement. J'ai annoncé le premier, et rien ne m'y obligeait, que j'avais fait une convention avec la compagnie du Luxembourg. J'ai dit un des objets de cette convention. C'était d'assurer qu'il y aurait un grand nombre d'ouvriers employés à l'exécution des travaux, et notamment pendant les mois d'hiver, condition à laquelle je prenais l'engagement de soumettre à la chambre un projet de loi. Il y aurait encore peut-être d'autres conditions ? Eh bien, pour rassurer l'honorable membre, je vais lire les autres conditions ; elles sont toutes onéreuses pour la compagnie, toutes à l'avantage de l'Etat.

Voici la convention :

Art. 1er. Le gouvernement belge présentera immédiatement aux chambres un projet de loi dont le but sera de modifier l'article 18 du cahier des charges annexé à la loi du 18 juin 1846 qui a autorisé la concession du chemin de fer du Luxembourg, dans ce sens que la compagnie concessionnaire pourra disposer des trois cinquièmes du cautionnement qu'elle a déposé, au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

Art. 2. Le remboursement des trois cinquièmes du cautionnement déposé s'effectuera, à l'avenir, d'après les bases dont l'indication suit :

1° Aussitôt que la valeur des terrains acquis et des travaux exécutés jusqu'à la date du 1er décembre 1847, aura été dûment constatée, il sera remis à la compagnie concessionnaire une somme égale à la moitié de cette valeur, déduction faite des 148,090 fr., déjà remboursés.

2° A partir de ce remboursement, à mesure qu'il aura pu être constaté qu'il a été acquis des terrains et exécuté des travaux pour une valeur de 100,000 fr., il sera fait à la compagnie concessionnaire un remboursement également de 100,000 fr. sur son cautionnement.

Art. 3. La compagnie concessionnaire prend l'engagement formel de se conformer aux stipulations suivantes :

1° Les évaluations des terrains acquis et des travaux effectués seront faites par les agents de l'Etat.

2° Les travaux de terrassement seront continués, sans désemparer, pendant les mois d'hiver, avec un nombre d'ouvriers à déterminer de commun accord.

3° La compagnie concessionnaire fera disparaître immédiatement, à la satisfaction du gouvernement, les obstacles que la navigation rencontre sur l'Ourthe, et notamment ceux dont il est fait mention dans la dépêche du département des travaux publics, du 27 novembre dernier (6° division A, n°4646), dont une copie, paraphée ne varietur, est ci-annexée.

4° Pour la conclusion de l'arrangement à intervenir entre la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, d'une part, et la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Liège à Namur, d'autre part, dans le but de modifier le tracé du canal de Meuse et Moselle entre l'usine des Agnesses et la Meuse, à Liège, la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg admettra purement et simplement les bases qui lui ont été indiquées dans la lettre du département des travaux publics, du 3 septembre dernier, dont une copie paraphée ne varietur est ci-annexée.

Voilà toute la convention. Il ne s'y trouve rien, je pense, de mystérieux. Elle pouvait être parfaitement révélée. Elle ne contient aucune condition qui ne soit au profit de l'Etat.

M. Malou. - Elle devait être publiée.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Elle ne devait pas être publiée ; ou plutôt disons qu'il n'y avait aucune espèce de raison de la publier ou de ne la pas publier.

Pourquoi ai-je fait ces stipulations ? Je vais vous le dire.

Depuis longtemps on réclamait contre les obstacles qui existent sur l'Ourthe à l'endroit de Colonster. Une digue s'est rompue. Il y a contestation entre la compagnie et les usiniers pour savoir qui doit la réparer. J'ai donc imposé à la compagnie l'obligation de réparer, ses droits saufs contre les usiniers ou tous autres qui pourraient être responsables des dommages.

Un second point était fort important ; c'était de déterminer le passage du chemin de fer de Liège à Namur, sur le canal de Meuse et Moselle. Pour que le tracé du chemin de fer de Namur à Liège pût être arrêté, de la manière la plus utile toutefois à l'intérêt public, il fallait nécessairement modifier le tracé du canal de Meuse et Moselle. Or, la compagnie du Luxembourg refusait d'accéder aux conditions qui lui étaient faites par le département des travaux publics et aux propositions qui lui avaient été faites par la compagnie du chemin de fer de Liège à Namur.

J'ai saisi l'occasion qui se présentait d'imposer à la compagnie du Luxembourg l'obligation de modifier le tracé du canal ; la compagnie y a consenti.

La convention est donc toute dans l'intérêt de l'Etat.

Enfin, comme troisième point, l'honorable M. Malou me demande quelles sont les garanties de l'exécution du chemin de fer de Louvain à la Sambre.

Messieurs, je n'entends me porter caution pour aucune compagnie. Ce que l'on peut dire des compagnies, l'honorable membre peut le savoir tout aussi bien que moi. Je ne crois pas que j'aie à m'expliquer à cet égard. Je ne saurais dire consciencieusement ce qui adviendra des divers travaux en cours d'exécution. Je ne puis pas, je ne veux pas m'expliquer sur ce point, pas plus pour cette compagnie que pour toutes les autres compagnies. J'ai demandé à la séance d’hier, par forme d'observation générale et non par forme d'application spéciale à l'honorable M. Cogels, que l'on se montrât fort réservé dans les considérations que l'on voudrait présenter sur des questions qui touchent à des intérêts privés.

Beaucoup de capitaux ont été engagés dans ces opérations. Ce n'est pas aux membres de cette chambre que j'ai besoin de démontrer qu'il serait peu convenable, pour ne rien dire de plus, de compromettre par des paroles imprudentes le sort d'opérations auxquelles des intérêts privés sont attachés.

Ce que je puis dire, c'est que la compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre travaille ; c'est que des travaux considérables sont exécutés ; c'est que jusqu'à présent la compagnie a dépensé des sommes importantes et que le gouvernement fera tous ses efforts pour que les contrats soient scrupuleusement exécutés.

A part les trois questions suivies de commentaires que m'a faites l'honorable M. Malou, le seul argument qu'il ait présenté contre la restitution se trouve absolument sans valeur.

Il vous a dit que les cautionnements étaient des garanties d'exécution. J'ai déjà prouvé hier que c'était uniquement la garantie que l'on mettrai la main à l'œuvre, que l'on entreprendrait, et non que l'on exécuterait. Sans cela il fallait des stipulations entièrement différentes, par exemple des stipulations comme celles qui auraient exigé que l'on justifiât que l'on possédait en Belgique les sommes nécessaires pour l'exécution de tous les travaux.

On n'a exigé que des cautionnements d'une faible proportion, eu égard aux travaux à exécuter.

Et il est si vrai que ce n'est pas une garantie complète d'exécution que, notamment pour la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre et pour d'autres compagnies, les cautionnements sont remboursés presque intégralement. Et c'est aujourd'hui que naissent ces craintes relativement à l'exécution ! Il ne reste plus à rembourser à la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre que la faible somme de 300,000 fr. Les quatre cinquièmes de son cautionnement lui ont été remboursés. Pour toutes les autres compagnies, pour la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse, pour la compagnie de la Flandre occidentale, pour la compagnie du chemin de fer de Namur à Liège, pour la compagnie du chemin de fer de Mons à Manage, tous les cautionnements sont remboursés ! Ainsi, il est impossible d'admettre que les cautionnements étaient une garantie de l'exécution complète des travaux. C’était la garantie que l'on mettrait la main à l'œuvre, et la compagnie du chemin de fer du Luxembourg l'a fait.

M. Dedecker. - Ne pourrait-on stipuler que les 500 derniers mille francs du cautionnement de 5 millions ne seraient remboursés qu'après l'achèvement des travaux ?

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je n'en vois pas la nécessité. Employer les trois millions en travaux dans le sens que j'ai indiqué en donnant 100,000 fr. lorsqu'on a justifié que l'on a exécuté des travaux ou que l'on a acheté des terrains pour 100,000 fr., il me semble que c'est obtenir tout ce qu'on peut désirer dans les circonstances actuelles. C’est l'espoir fondé d'arriver à l'exécution du chemin de fer de Bruxelles à Wavre.

M. de Theux (pour un fait personnel). - Messieurs, le plus mauvais argument à employer dans une assemblée législative, c'est assurément celui qui consiste à prêter à un de ses contradicteurs une pensée absurde, lorsque cette pensée ne pourrait résulter que d'un développement incomplet.

(page 877) En effet, messieurs, quand on parle à une assemblée intelligente, on n'est pas obligé de s'expliquer dans tous les détails, avec tous les développements, comme si on parlait à des auditeurs inintelligents.

Lorsque j'ai dit que l'Etat avait un intérêt à réserver une partie du cautionnement pour rétablir les lieux dans leur état primitif, j'ai fait observer, messieurs, qu'il résultait souvent, des travaux commencés pour l'exécution des chemins de fer, de grandes difficultés de culture pour les propriétés voisines. Ainsi pour compléter ma pensée et relever l'espèce d'absurdité qu'on m'a prêtée, je dirai que l'observation que j'ai faite, quant au rétablissement des terrains dans leur état primitif, ne pouvait s'appliquer qu'à ces travaux qui viennent déranger les rapports de voisinage et qui arrêtent plus ou moins les travaux agricoles.

Mais, messieurs, ce qui serait encore fâcheux, ce serait de laisser faire des travaux pour 2 à 3 millions sans résultat, si la concession ne devait être poussée à terme.

- La discussion est close.

Discussion de l’article unique

M. le président. - Le premier amendement à mettre aux voix est celui de M. Jonet.

M. Jonet. - Je demande la parole.

M. le président. - La discussion est close. Je ne puis plus accorder la parole que sur la position de la question.

M. Jonet. - Je retire mon amendement. Je désire en dire les motifs.

M. le président. - Il fallait le faire avant la clôture de la discussion.

M. Jonet. - Je n'ai que quatre mots à dire.

M. le président. - Ce serait poser un précédent. Ce que je tolérerais pour vous, je devrais le tolérer pour d'autres.

Je dois donc consulter la chambre pour savoir si elle veut vous accorder la parole.

- La chambre décide qu'elle entendra M. Jonet.

M. Jonet. - J'ai vu avec plaisir que le gouvernement entendait la loi du 18 juin 1816 et le cahier des charges qui y est annexé, de la même manière que moi ; c'est-à-dire, dans ce sens, que l'obligation de la compagnie concessionnaire est de faire passer le chemin de fer par Wavre et d'établir dans cette ville une station.

M. le ministre des travaux publics a, en outre, déclaré qu'il maintiendrait l'exécution de la loi, entendue de cette manière.

Je remercie M. le ministre de cette double déclaration ; et, comme j'ai foi dans sa parole, je déclare retirer mon amendement.

M. le président. - La section centrale propose un amendement ainsi conçu :

« La présente loi n'est pas applicable aux dépenses qui auront été effectuées avant la convention à intervenir ; ces dépenses resteront soumises à l'article 18 du cahier des charges. »

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Il m'est assez indifférent que l'amendement soit adopté. Cependant dans ma pensée, la loi devait avoir un effet rétroactif. Cela ne se trouve pas en termes exprès dans la convention, mais j'entendais faire reporter à la date de la convention l'effet de la loi qui vous est actuellement soumise. La section centrale propose de ne restituer que pour les travaux qui seront exécutés à dater de la loi. La promulgation de la loi peut être retardée pendant quelque temps. Après cette discussion, viendra la discussion du sénat, et en attendant on ne donne pas à la compagnie le bénéfice qu'on veut lui procurer. Au surplus, je ne m'oppose pas à l'adoption de l'amendement.

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix et adopté.

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Par dérogation aux dispositions de l'article 18 du cahier des charges de la concession du chemin de fer du Luxembourg, annexé à la loi du 18 juin 1846, le gouvernement est autorisé, sous les garanties et réserves qui lui paraîtront nécessaires, à rembourser les trois cinquièmes du cautionnement de cinq millions de francs, déposé par la compagnie concessionnaire qui, aux termes de la loi du 23 mai 1847, sont affectés à la ligne de Bruxelles à Wavre, par portions égales aux sommes dépensées en exécution de travaux ou en acquisition de terrains.

« La convention nouvelle à intervenir avec la compagnie concessionnaire sera publiée avec la présente loi. »

- Entre le premier et le second paragraphe vient se placer l'amendement adopté.

L'article ainsi amendé est adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

La chambre décide qu'elle passera au vote définitif du projet.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

En voici le résultat :

64 membres répondent à l'appel nominal.

2 (MM. Dedecker et de La Coste) s'abstiennent.

44 votent l'adoption.

18 votent le rejet.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Zoude, Anspach, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Castiau, Clep, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, Delfosse, de Muelenaere, Destriveaux, de Terbecq, d'Hoffschmidt, Dolez, Fallon, Frère-Orban, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Moreau, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte et Van Cutsem.

Ont voté le rejet : MM. Wallaert, Biebuyck, Cogels, d'Anethan, de Chimay, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Roo, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, Eloy de Burdinne, Malou, Orban, Pirmez, Scheyven, Simons, Vanden Eynde et Vandensteen.

M. Dedecker. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter pour la loi, parce qu'il me semble que le gouvernement n'a pas conservé des garanties suffisantes pour l'exécution complète des travaux. Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce que j'ai reculé devant la pensée de voir les travaux suspendus à cette époque de l'année.

M. de La Coste. - Indépendamment des motifs donnés par M. Dedecker, je n'étais pas suffisamment éclairé sur les conséquences du vote pour le chemin de fer de Louvain à la Sambre.

- La séance est levée à 4 heures.