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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 4 mars 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 987) M. A. Dubus fait l'appel nominal à midi et un quart.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Plusieurs habitants de Marienbourg et des environs demandent que les classes nécessiteuses soient employées à l'exécution des travaux publics. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par message du 3 mars, le sénat informe que, dans sa séance du même jour, il a adopté le budget du département des travaux publics, exercice de 1848. »

- Pris pour notification.

Prjet de loi sur les irrigations

Rapport de la commission

M. Lejeune. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi concernant les irrigations.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

Projet de loi qui donne un cours légal à des monnaies étrangères (souverains anglais et florins des Pays-Bas)

Discussion générale

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, l'honorable M. Malou a présenté hier le rapport de la commission spéciale sur le projet de loi relatif aux monnaies étrangères. Je demande que ce projet ait la priorité sur celui de la réforme électorale ; de cette manière, la loi pourra encore être envoyée aujourd'hui au sénat. (Appuyé !)

- La proposition de M. Osy est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi, a amendé le projet de loi ; le gouvernement se rallie-t-il à ces modifications ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui, M. le président.

M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Osy.

M. Osy. - Messieurs, vous avez tous entendu, il y a peu de jours, les paroles chaleureuses mais vraies du gouvernement et de l'honorable M. Delfosse à l'occasion des interpellations faites par l'honorable M. Castiau.

Nous y avons tous applaudi, et certainement au sein du parlement et dans tout le pays il n'y a qu'une voix pour le maintien de notre indépendance et de ce que nous avons créé en 1830. Je suis persuadé que nous tous nous marchons d'accord pour seconder les bonnes institutions du gouvernement qui a toutes nos sympathies et notre confiance.

Avec ce parfait accord nous pouvons être sûrs de surmonter toutes les difficultés de la situation faite par les événements politiques.

Je profite de la loi en discussion pour dire qu'il ne suffît pas de nous entendre sous le rapport politique ; il faut encore que le crédit momentanément ébranlé par ces mêmes événements politiques, soit raffermi par une grande confiance dans les mesures proposées, et que le gouvernement pourra encore nous soumettre. Cette confiance entre la législature et le gouvernement réagit favorablement sur le crédit public et particulier, et on peut être persuadé que notre attitude politique a déjà réagi favorablement sur les esprits ; et si nous continuons à voter avec confiance les mesures proposées par le gouvernement, je suis persuadé qu'avant peu de jours, les craintes qui se sont momentanément manifestées disparaîtront entièrement.

Il y a 8 jours qu'à la presque unanimité nous avons voté un emprunt de douze millions. Je ne doute pas que dans le recouvrement de cette somme, le gouvernement aura la preuve que tous les Belges n'ont pas seulement de la sympathie pour notre indépendance, mais que nous sommes tous prêts à ouvrir nos bourses pour soulager les embarras momentanés du gouvernement, et pour pouvoir continuer à tenir en activité nos établissements industriels et assurer par là de l'ouvrage à la population, qui mérite toutes nos sympathies pour l'attitude de confiance qu'elle a prise depuis que nous avons connu les événements d'un pays voisin.

(page 988) Je me joins donc aux nobles paroles de l'honorable M. Delfosse pour notre système politique, et je fais également avec vous tous, messieurs, un appel pour venir franchement, par tous nos moyens, au secours de toutes les souffrances. Tâchons de rétablir le crédit momentanément ébranlé, et alors je suis persuadé que la Belgique se tirera honorablement de cette nouvelle épreuve.

Je remercie M. le ministre des finances d'avoir, avec tant d'empressement, présenté un projet pour nous mettre à même d'augmenter le numéraire dans la circulation du pays, ce qui était réclamé par le commerce. J'espère que cela facilitera la circulation du numéraire, et je viens appuyer le projet de loi.

Les dispositions sont toutes à l'avantage du trésor et de ceux qui auront accepté les monnaies étrangères, et le sacrifice qu'on aura à faire pour les importations sera compensé par les facilités que nous aurons de nous libérer avec honneur de tous nos engagements.

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Auront cours légal en Belgique :

« 1° Les souverains anglais (7 grammes 985 milligrammes au titre de 916 millièmes) au taux de vingt-cinq francs quarante centimes (fr. 25-40) ;

« 2° Les pièces de monnaie d'argent d'un florin (10 grammes au titre de 945 millièmes) et de deux florins et demi des Pays-Bas (25 grammes au titre de 945 millièmes), frappées conformément à la loi de ce pays du 26 novembre 1847, au taux de deux francs dix centimes pour la pièce d'un florin et de cinq francs vingt-cinq centimes pour celle de deux florins et demi. »

M. Tielemans. - Je désire présenter à la chambre quelques observations sur l'article premier du projet de loi qui nous est soumis, non que je veuille combattre ce projet, mais parce que je crois nécessaire de l'améliorer un peu. La première observation est purement de rédaction ; au lieu des mots : « auront cours légal, etc., » je voudrais qu'on dît : « ont provisoirement cours légal en Belgique. » Cette rédaction déterminerait mieux le caractère de la loi.

La deuxième observation est relative au poids et au titre des monnaies auxquelles le projet de loi veut donner cours légal en Belgique. Vous savez, messieurs, que dans la plupart des systèmes monétaires, et particulièrement dans le nôtre, il y a ce qu'on appelle la tolérance du poids et la tolérance du titre.

Je dois demander d'abord à M. le ministre des finances s'il existe une tolérance légale pour les souverains anglais et pour les monnaies des Pays-Bas. S'il en existe une, il faudra la fixer dans l'article en discussion, tout comme on y a fixé le poids et le titre.

Je n'ai pas eu le temps de vérifier s'il y a une tolérance dans le système hollandais ; quant au système anglais, je n'ai pas pu m'en assurer faute de documents. Peut-être M. le ministre des finances pourra-t-il nous éclairer sur ces deux points ; s'il ne le pouvait pas, je pense qu'il serait prudent d'ajouter à l'article ces mots : « sans préjudice de la tolérance, s'il y a lieu. »

La troisième observation que je voulais présenter est relative aux pénalités que la loi commine contre la contrefaçon et l'altération des monnaies. Vous savez qu'il est de principe dans le droit des gens que quand une nation donne cours légal sur son territoire aux monnaies d'une autre nation, elle doit accorder à celle-ci la même garantie pénale qu'à ses propres monnaies, pour prévenir ou réprimer la contrefaçon. Le projet de loi qui nous occupe ne parle pas de cette garantie. Je proposerai donc d'ajouter à l'article en discussion un paragraphe ainsi conçu :

« Les articles 132, 135, 136, 137 et 138, modifiés par l'article 12 de la Constitution et par la loi du 11 juin 1832, sont applicables aux crimes et délits qui pourraient se commettre à l'égard des monnaies ci-dessus mentionnées. »

On dira probablement que cette application est de droit.

Et, en effet, en lisant les dispositions du Code pénal relatives à la contrefaçon et à l'altération des monnaies, on est porté de premier abord à croire que, lorsque des monnaies étrangères ont cours légal en Belgique, toutes les dispositions du Code pénal relatives aux monnaies belges leur deviennent applicables. Cependant il s'en faut que cette question soit à l'abri de toute controverse. Le doute vient de ce que dans la législation française, antérieure au Code pénal, on faisait une distinction entre les monnaies nationales et les monnaies étrangères ; depuis on a substitué dans le Code pénal, à l'expression de monnaies nationales celle de monnaies ayant cours légal en France.

Mais on a laissé subsister, dans l'article 134, l'expression de monnaies étrangères, sans dire si c'étaient des monnaies qui avaient ou non cours légal dans le pays. Le doute qui provient de cette rédaction a paru tellement grave qu'en 1816, après que le gouvernement des Pays-Bas eut fait une loi nouvelle sur les monnaies nationales, loi qui a maintenu le cours légal, dans le pays, des anciennes monnaies provinciales et françaises, plusieurs jugements ont été rendus qui appliquèrent à la contrefaçon de ces monnaies, l'article 134, et non pas les articles 132. 133, 136 et suivants du Code pénal.

Le gouvernement d'alors s'émut, et reconnaissant que la difficulté devait être résolue par la législature, il proposa aux chambres la loi du 26 novembre 1816 qui est ainsi conçue :

« Ayant pris en considération qu'il pourrait s'élever quelques doutes sur la question de savoir si les articles 132, 133,135, 136,137 et 158 du Code pénal sont applicables aux délits qui pourraient se commettre à l’égard des monnaies mentionnées aux articles 12 et 14 de la loi du 28 septembre 1816 ;

« Et voulant, dans l'intérêt du trésor public et des particuliers, prévenir toute incertitude à ce sujet, etc… Nous avons statué et statuons que les peines et autres dispositions prescrites par les articles 132, 133, 135, 136, 137 et 138 du Code pénal, sont et demeurent applicables, sous tous les rapports et sans aucune exemption, aux délits qui pourraient se commettre à l'égard des monnaies mentionnées aux articles 12 et 14 de la loi du 28 septembre 1816, etc. »

Au surplus, si la question ne présentait aucune espèce de doute pour notre pays, il serait encore de la convenance et de la dignité de la chambre de la résoudre vis-à-vis de l'Angleterre et de la Hollande. Car, ainsi que je le disais tantôt, le droit des gens veut que l'Angleterre et la Hollande aient, contre la contrefaçon de leurs monnaies ayant cours légal en Belgique, des garanties égales à celles que la Belgique s'est données contre la contrefaçon et l'altération de ses propres monnaies. Il serait donc sage, en donnant cours légal aux souverains anglais et aux pièces hollandaises d'un florin et de deux florins et demi, de dire expressément dans la loi que ces garanties seront accordées à la Hollande et à l'Angleterre.

M. Malou. - J'ai à faire une première observation sur cet article.

Il existe dans les Pays-Bas deux lois monétaires, dont la seconde n'est que la confirmation en quelque sorte de la première. Il ne suffit pas de citer la loi de 1847, puisque c'est en vertu de la loi de 1839, que nous avons omis de citer dans le projet de loi, que les plus grandes quantités ont été fabriquées. Je me suis d'ailleurs assuré que le système des deux lois est identiquement le même. Je propose donc d'ajouter la mention de la loi du 22 mars 1839.

Le premier amendement proposé par l'honorable M. Tielemans me paraît inutile sous un rapport, dangereux sous un autre. Il est inutile, en ce que le caractère temporaire, ou, si l'on veut, provisoire de la loi, résulte suffisamment, selon moi, de l'article 2 nouveau proposé par la commission spéciale. Il est dangereux, parce que, si le mot provisoirement se trouve dans la loi, il est à craindre qu'au lieu de faciliter la circulation, on n'éveille des susceptibilités mal fondées dans l'opinion, quant à ces monnaies étrangères.

L'honorable membre a demandé, en second lieu, s'il existera une tolérance pour les monnaies d'Angleterre et des Pays-Bas. Je crois que pour la monnaie anglaise il n'existe pas de tolérance. En Angleterre, on donne des souverains fabriqués à quiconque apporte des lingots à la Monnaie de Londres, titre pour titre, or pour or, sans frais de fabrication, mais aussi, je pense, sans aucune tolérance.

La loi hollandaise de 1847 porte la tolérance pour le florin à 3 milligrammes au-dessus comme au-dessous de son poids. Il y a donc une marge de 6 milligrammes. La tolérance du titre est de 1 1/2 millième au-dessus comme au-dessous ; c'est-à-dire que la tolérance du titre est réellement de 3 millièmes. Nous avons reconnu qu'il fallait insérer dans notre loi le titre et le poids des monnaies étrangères qui étaient temporairement adoptées en Belgique, pour que la commission des monnaies, si ces pièces étaient contrefaites ou altérées dans le pays, pût asseoir un jugement certain. Mais il serait difficile, sinon impossible, de transcrire dans notre loi les dispositions diverses relatives non seulement à la tolérance du poids, mais à la tolérance du titre. Cela est d'ailleurs inutile, parce que les pièces, lorsqu'elles sortent de la monnaie peuvent bien atteindre seulement les limites de la tolérance du poids. Mais quand une pièce a circulé quelque temps, cette base elle-même vient à manquer. Le frai ne lui laisse souvent qu'un poids inférieur à la tolérance. Il est donc nécessaire, lorsqu'on fait une loi monétaire belge, relative à la fabrication, de définir quelle sera la tolérance, c'est-à-dire à quel titre et à quel poids la monnaie peut être admise, lorsque le poids mathématique n'est pas atteint. Mais cette même nécessité ne me paraît pas exister, lorsque nous adoptons temporairement dans le pays des monnaies étrangères qui peuvent avoir circulé et qui par conséquent peuvent n'avoir plus complètent nt le poids légal.

J'en viens à la troisième observation de l'honorable député de Bruxelles.

Il m'a paru, d'après la loi de 1846 que l'honorable membre a citée, que la mention des articles 132 et suivants du Code pénal est désormais inutile en Belgique. En effet, cette loi de 1816 fait cesser la controverse qui avait existé sur le point de savoir s'il fallait comprendre parmi les monnaies ayant cours légal en Belgique, même les monnaies étrangères adoptées. La controverse est finie, et il suffit de s'en référer à la législation existante.

En aucun cas, il ne faudrait mentionner d'autres articles que l'article 132. L'article 133, par exemple, est relatif aux monnaies de billon et de cuivre. Or, la loi en discussion se rapporte exclusivement aux monnaies d'or et d'argent.

Je ne fais cette observation que subsidiairement ; car je pense qu'il suffit d'avoir le texte de la loi de 1816 ; surabondamment encore qu'il suffit des explications positives qui ont été données dans le rapport de la commission spéciale, pour que cette controverse ne puisse plus s'élever en Belgique.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, les explications qui viennent d'être données par l'honorable rapporteur de la commission répondent, suivant moi, d'une manière satisfaisante aux observations de l'honorable M. Tielemans.

Quoique le projet ne mentionnât pas en termes exprès que la loi n'aurait qu'un effet temporaire, il était dans l'intention du gouvernement de lui donner ce caractère ; ce sont les circonstances qui l'ont provoquée ; elle n'est pas destinée à durer lorsque les circonstances n'existeront plus.

(page 989) Cependant la commission, pour plus de certitude, a cru utile d’ajouter un article 2, auquel le gouvernement s'est rallié, de manière que le premier amendement de l'honorable M. Tielemans ne me paraît pas nécessaire.

Quant à l'indication de la tolérance, je ne connais pas celle des pièces d'or anglaises, j'ignore même s'il en existe une dans la loi monétaire de ce pays. Mais nous pouvons sans inconvénient nous dispenser d'en faire mention. L'honorable M. Malou vient de citer les limites de la tolérance accordée pour les florins des Pays-Bas d'après la loi de 1847. Quoiqu'elle puisse être précisée, je suis de son avis qu'il n'est pas nécessaire d’en parler pour une monnaie qu'il ne s'agit pas de battre, mais d'admettre provisoirement en Belgique.

En ce qui concerne le troisième amendement, je crois qu'on pourrait y faire droit d'une manière générale en disant que les dispositions de nos lois pénales sur la contrefaçon et l'altération des monnaies sont applicables aux pièces de monnaie étrangères mentionnées à l'article premier du projet. Je pense qu'une pareille disposition pourrait être adoptée et elle me semble suffire pour remplir les intentions que l'honorable député de Bruxelles a eues en proposant son amendement.

Quant au dernier point, la mention de la loi monétaire des Pays-Bas de 1839, il importe qu'elle ait lieu en même temps que celle de la loi du 26 novembre 1847, la seule que j'ai eu l'occasion de consulter, hier. Je me rallie à l'observation qui vient d'être faite à ce sujet.

M. Tielemans. - Messieurs, je n'insiste pas sur la dernière observation que j'ai faite. Cependant, nous sommet dans l'usage de rédiger nos lois au présent et non au futur, de sorte que ces mots : « auront cours légal » devraient au moins être changés.

La réponse que l'honorable M. Malou a faite à mon observation sur la tolérance du titre et du poids me porte à croire qu'il n'a pas compris le but dans lequel cette observation avait été présentée : Elle l'a été en vue de la contrefaçon et de l'altération des monnaies. En effet, s'il existe une tolérance, la commission des monnaies en doit tenir compte dans les cas d'altération, dans les cas de rognure. Il est vrai que les pièces de monnaie, en circulant, perdent de leur poids, et qu'on ne peut avoir égard à cette altération naturelle ; mais les pièces neuves peuvent être rognées impunément dans les limites de la tolérance.

Tout le monde a droit, en Belgique comme ailleurs, de rogner les pièces neuves à concurrence de la tolérance légale ; c'est donc au-dessous de cette tolérance que le délit commence, et c'est pour cette raison qu'il faut déterminer la tolérance dans la loi.

Quant à la troisième observation, je persiste à la croire utile, parce qu'en matière pénale, quand on peut lever un doute, il faut le faire ; or rien de plus simple que de le lever ici.

Du reste, l'amendement que j'ai proposé est tiré textuellement de la loi de 1816, quant à la rédaction.

M. Cogels. - Messieurs, je crois que l'inconvénient que l'honorable préopinant redoute n'est pas à craindre. En effet, la tolérance est si faible que, pour rogner les pièces jusqu'à concurrence de cette tolérance, ce serait une opération tout à fait improductive pour ceux qui s'y livreraient ; ils n'en retireraient pas même la valeur de la main-d'œuvre.

Messieurs, j'ai demandé la parole principalement pour faire une observation sur le premier paragraphe de l'article premier, quant aux souverains. Il y a dans ce paragraphe une erreur, quant au titre des souverains ; le titre des souverains n'est pas de 916 millièmes, il est beaucoup plus près de 917 millièmes ; je ne sais pas pourquoi l'on ne mettrait pas le titre effectif fixé par la loi anglaise, et qui est de onze douzièmes.

Tout ce qui concerne le cours de 25 fr. 40, je le trouve trop bas, si vous voulez que votre loi ait quelque efficacité. En effet, la loi est faite pour parer à la crise ; elle ne doit être maintenue probablement que tant que la crise durera. Or, il est un fait constant, c'est que toujours dans les temps de crise, le prix de l'or est très élevé ; cela étant, le change sur Londres est également fort élevé.

Ainsi, à l'époque actuelle, le change de Londres sur Paris est de 28 fr. 60 à 25 fr. 70 ; donc la valeur du souverain anglais représentant à Paris fr. 28-60 à 25-70, nous ne devons pas espérer de le voir arriver ici pour circuler au cours de fr. 25-40. Je regarde donc cette disposition de la loi comme inefficace.

Quant à ce qui concerne les monnaies hollandaises, j'approuve fortement la mesure ; je ne l'approuve pas seulement comme mesure temporaire, je l'approuverais encore comme mesure permanente.

En effet, depuis que la Hollande a modifié son système monétaire, depuis qu'elle a adopté le poids français, il n'y a aucun inconvénient pour nous à recevoir les monnaies hollandaises frappées en vertu de la loi de 1839.

Il y a plus : c'est que l'adoption de ces monnaies en Belgique faciliterait nos relations internationales sur la frontière hollandaise, tout comme l'adoption des monnaies françaises donne une grande facilité à nos relations internationales sur la frontière française. C'est ce que les députés des Flandres pourront le mieux nous confirmer, car de tout temps les monnaies françaises ont eu cours en Flandres beaucoup plus que les monnaies brabançonnes.

Ce sont là les seules observations que j'avais à faire.

M. Osy. - Messieurs, je crois qu'il est inutile de changer le paragraphe premier, pour ce qui est du titre du souverain. La loi anglaise n'étant pas basée sur le système décimal, ce sont des fractions millièmes à faire. Comme les pièces qui doivent nous arriver ne seront pas essayées à la Monnaie, il est inutile de changer le titre de la pièce.

Le principal, c'est d'avoir la garantie du poids. Sous ce rapport l'honorable M. Malou présentera un amendement.

Pour ce qui est du taux de 25 francs 40 centimes, j'avais proposé à la section centrale de fixer un chiffre un peu plus élevé. Maintenant que l'or vaut 15 p. c, ce qui fait 25 fr. 58 c, je crois que nous pouvons très bien admettre la pièce à 25 fr. 50 c, et j'en ferai la proposition. Je crois que, sous ce rapport, il n'y a absolument rien à craindre ; si plus tard on devait faire sortir les pièces, on y gagnerait encore et les particuliers ne pourront jamais rien y perdre.

Je propose donc de remplacer le chiffre de 25 fr. 40 par celui de 25 fr. 50. Quant au poids, l'honorable M. Malou proposera un léger changement.

Si vous admettez les monnaies étrangères à un taux trop bas, vous pourriez peut-être en recevoir, mais vous n'atteindriez pas le but de les conserver dans le pays et nous les verrions réexportées de suite.

M. Malou. - Messieurs, le titre du souverain anglais indiqué dans le Dictionnaire du commerce publié en Angleterre, correspond à 916 et une fraction ; dans l'annuaire de l'observatoire le titre légal est indiqué comme devant être de 917 ; mais j'ai appris que dans les essais faits à la monnaie de Bruxelles, on n'a trouvé que le titre de 915. Selon la manière dont les essais se font, ou peut souvent trouver dans une partie de la pièce, un titre différent de celui qu'on trouve dans une autre partie. Au moment du refroidissement des métaux, il s'opère un phénomène qu'on appelle « liquation » ; l'alliage se porte un peu plus dans une partie de la barre, le métal fin se réunit un peu plus dans une autre partie. Il en résulte que le titre exact du souverain, même lorsqu'il n'y a pas de tolérance, ne peut jamais se réaliser et que, si vous faisiez deux essais sur la même pièce en prenant deux points différents vous pourriez trouver deux titres différents.

Messieurs, préoccupons-nous du but sérieux que nous devons avoir en vue en inscrivant dans notre loi le titre et le poids des monnaies étrangères ; c'est que l'on puisse punir ceux qui contrefont ou altèrent les monnaies. Personne assurément ne contrefera la monnaie pour la simple tolérance du poids ou du titre ; quand on s'expose aux rigueurs des lois pénales, on va beaucoup plus loin, on dépasse, et pour le poids et pour le titre, la tolérance établie par la loi.

Il me paraît donc inutile de nous occuper longtemps à définir le titre, car si le crime de contrefaçon est commis en Belgique, ce serait dans des circonstances telles, qu'on descendît à un poids beaucoup moindre ou qu'on dépassât de beaucoup la tolérance du titre.

Quant au poids du souverain anglais, vous vous trouvez également en présence de données qui diffèrent entre elles de 4 millièmes. L'annuaire de M. Quelelet indique le souverain comme pesant seulement 7 grammes 981 milligrammes, et d'après l'ouvrage anglais que j'ai mentionné tout à l'heure, le poids de cette pièce serait de 7 grammes 985.

Il n'y a pas d'inconvénients, ce me semble, à admettre le chiffre indiqué par l’Annuaire de l'Observatoire, et qui est seulement de 4 millièmes au-dessous du chiffre indiqué par le dictionnaire anglais.

Il n'y a aucun danger, dans les circonstances actuelles, à admettre la proposition de l'honorable M. Osy, quant à la valeur légale du souverain anglais.

Nous devons désirer que, sans subir une trop grande perte, on puisse introduire en Belgique des pièces d'or frappées en Angleterre ; nous devons aussi nous rapprocher de la valeur réelle de ces pièces, si nous voulons qu'elles demeurent un agent de circulation ; si nous nous en écartions, tel individu, pour satisfaire à des engagements, pourrait sans doute faire venir des souverains qu'il donnerait au prix de 25 fr. 20 c, ou 25 fr. 50 c, mais ces souverains ayant, d'après le cours, une valeur supérieure seraient aussitôt réexportés pour profiter de la différence.

Plus nous nous rapprochons de la valeur du souverain d'après le cours, plus nous avons la garantie que ces pièces resteront dans la circulation aussi longtemps que les circonstances le rendront nécessaire. D'après la loi sur les monnaies d'or que nous avons faite à la dernière session, les souverains pourraient être reçus à 25-50 à la monnaie et être convertis en pièces de 25 francs.

Il n'y a donc aucun danger à admettre la proposition de l'honorable M. Osy ; elle présente même certains avantages.

Ce n'est pas le moment de discuter l'opinion émise par l'honorable M. Cogels, quant à la monnaie d'argent des Pays-Bas. Je ne pense pas, du reste, qu'on puisse admettre d'une manière permanente, avec notre monnaie d'argent, la nouvelle monnaie frappée en Hollande. Pour ne citer qu'un seul fait, la pièce de 2 fl. 50 a le même diamètre, la même forme que la pièce de 5 fr. Je conviens que, dans les circonstances actuelles, on peut s'exposer à l'inconvénient qui résulterait éventuellement de la confusion de ces pièces. Mais je ne pense pas qu'on doive le faire d'une manière permanente, alors que nous avons le même système que la France qui est le plus grand marché d'argent de l'Europe. Le système hollandais n'est, d'ailleurs, que très imparfaitement décimal. Il ne l'est pas quant au titre.

Il me reste un mot à dire sur la mention de certains articles du Code pénal. Si le doute pouvait exister, j'admettrais volontiers l'amendement de l'honorable M. Tielemans ; mais je renouvelle cette observation que la loi de 1816 a interprété le Code pénal, que cette loi est applicable en Belgique ; et aussi longtemps qu'elle y sera en vigueur ce doute ne peut plus se reproduire.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Des modifications successives ont été apportées à la fixation du taux du souverain anglais ; je l'avais établi d'abord à 25-30 ; la commission l'a porté à 25-40, et l'honorable baron Osy vient de l'élever à 23-50. Si ce dernier chiffre est reconnu nécessaire pour que la loi ait le plus d'efficacité possible, je ne vois aucune difficulté pour l'admettre. Il importe, en effet, qu'il y ait quelque (page 990) avantage ou du moins absence de perte pour envoyer des monnaies d'or en Belgique et accroître ainsi notre circulation. Mais, en pareille matière, il ne peut rien y avoir de stable ; ce qui était trop élevé, il y a un mois, est devenu insuffisant par suite des circonstances. Je ferai cependant remarquer à la chambre que l'intention du gouvernement a été de ne pas attacher un avantage marqué à l'introduction des monnaies étrangères, parce que tant que les circonstances qui nous engagent à y recourir exerceront leur influence, le commerce ne reculera pas devant un léger sacrifice, afin de procurer plus de facilités à ses transactions.

Mais, je le répète, si d'après les calculs qui ont été faits avec soin, la valeur du souverain peut être portée à 25-50, je suis disposé à adopter ce chiffre.

Quant à l'admission future ou permanente de la monnaie d'argent des Pays-Bas avec un cours légal, je pense qu'il serait prématuré d'émettre, dès à présent, une opinion. Lorsque les circonstances ne seront plus les mêmes, nous reviendrons probablement à ce qui existe et a été reconnu suffisant en temps ordinaire.

Toutefois ne préjugeons rien. Une expérience va se faire ; elle constatera s'il y a utilité, avantage réel pour la Belgique à donner cours chez elle aux monnaies étrangères de presque tous les pays qui l'environnent. Quand nous aurons constaté les effets de cette mesure que nous allons provisoirement prendre, nous pourrons décider si nous la maintiendrons ou si nous ferons bien de l'abroger.

L'honorable M. Malou persiste à croire que la disposition pénale proposée par l'honorable M. Tielemans est superflue. Je ne suis pas d'accord avec cet honorable membre, et je ne combats pas l'amendement en lui-même ; il m'avait seulement paru qu'il suffirait d'une disposition en termes généraux pour rendre les lois applicables à la contrefaçon et à l'altération des monnaies dont il s'agit.

M. Tielemans. - Le n° 1er de l'article fixe les souverains anglais au poids de 7 grammes 985 milligrammes et au titre de 916 millièmes. J'avais cru jusqu'ici qu'on avait pris ces données dans la loi anglaise, mais je m'aperçois, d'après les explications de l'honorable M. Malou, que c'est dans le Dictionnaire du commerce et dans l'annuaire des longitudes qu'on a puisé le poids et le titre mentionnés dans la loi ; or, il me semble impossible que le législateur consacre un poids et un titre qui n'est pas officiel. Je propose donc de substituer aux mots 7 grammes 985 milligrammes au titre de 916 millièmes ceux-ci : « Au poids et au titre fixé par la loi anglaise. » Cela résout toutes les difficultés et peut prévenir de graves inconvénients quand il s'agira d'échanger, à l'expiration de la loi, les souverains qui se trouveront encore dans la circulation à cette époque.

M. d’Elhoungne. - Je ne puis admettre l'amendement que vient de proposer l'honorable préopinant. Il est impossible que la loi que nous faisons se borne à renvoyer à la législation anglaise pour constater le titre et le poids des monnaies que nous admettons à la circulation légale eu Belgique. Si le poids et le titre de ces monnaies ne sont pas, en effet, indiqués dans la loi, quels moyens aurez-vous pour que l'altération et la contrefaçon puissent être constatées ? La contrefaçon et l’altération des monnaies sont des crimes punis par le Code des peines les plus sévères. Comment, en Belgique, un tribunal pourrait-il prononcer une pénalité en vertu d'une loi belge qui, pour définir le délit, en constater les éléments constitutifs, se bornerait à renvoyer à une loi anglaise, loi qui n'y est pas connue, qui n'est pas obligatoire en Belgique, où elle n'a jamais été promulguée, où elle n'est revêtue d'aucune des formalités qui rendent une loi obligatoire ? Il valait donc mieux faire ce que la commission propose, adopter le titre et le poids vrais des monnaies étrangères et les inscrire dans la loi pour leur donner le caractère légal, qui permette de s'y rapporter pour les crimes de contrefaçon et d'altération des monnaies que nous adoptons.

L'amendement de M. Tielemans est inadmissible, je le répète. Il est impossible de renvoyer, pour l'application d'une loi belge, à une loi étrangère, que personne de nous ne connaît.

Maintenant, je passe à un autre point. J'ai vu avec beaucoup de plaisir que M. le ministre des finances est disposé à se rallier à l’amendement de l'honorable M. Osy, qui propose de fixer à 25 fr. 50 c. le taux légal auquel seront reçus les souverains anglais. Je pense que cet amendement est absolument nécessaire pour assurer l'efficacité de la loi. La loi a pour cause la rareté du numéraire en Belgique. Ce que nous voulons obtenir, ce sont des moyens de circulation suffisants pour faire face aux besoins du commerce et de l'industrie.

Il est parvenu à la connaissance du gouvernement, et il est reconnu par les personnes versées dans les affaires commerciales, que nos établissements financiers et beaucoup de négociants ont leur portefeuille plein de papier sur Amsterdam et sur Londres, qu'il leur est impossible d'escompter dans notre pays. En donnant cours légal aux monnaies anglaises et hollandaises, vous permettrez d'escompter ce papier à Amsterdam, à Londres et d'en rapporter en espèces la valeur en Belgique.

Mais pour que la loi soit efficace, il faut que le cours légal soit en rapport avec la valeur réelle. Il faut donc porter la valeur du souverain anglais au taux qu'on peut raisonnablement lui assigner ; il faut éviter aux négociants des pertes trop considérables. Si l'on attribuait, comme la commission, au souverain anglais une valeur de 25 fr. 40 c., cette valeur serait trop inférieure à la moyenne pendant les dix dernières années qui a été à Bruxelles de 25 fr. 54 c. et à la moyenne de toute l'année 1846 qui a été de 25 fr. 73 c.

Dès lors, il est évident que vous auriez très peu d'or importé dans le pays à ce taux.

Messieurs, vous faites une loi parce que vous manquez de numéraire, parce qu'il est urgent d'augmenter la circulation monétaire. Votre but serait donc manqué si vous en portiez la valeur à un taux tel qu'il soit impossible d'importer d'Angleterre une quantité d'or un peu considérable.

Ce taux de 25 fr. 50, proposé par l'honorable M. Osy est évidemment le seul qu'on puisse adopter.

Ce n'est pas tout : il y a encore un motif d'un autre ordre pour porter le taux du souverain à 25 fr. 50 c ; c'est que, si vous en fixez le taux à 25 fr. 40 c. cette valeur ne sera pas en rapport avec celle que vous donnez aux monnaies d'argent hollandaises. En effet, par le projet de loi, vous fixez le taux des monnaies d'argent hollandaises non seulement à leur valeur intrinsèque, mais en y ajoutant même les frais de fabrication. Vous prendriez donc les monnaies hollandaises à un taux infiniment plus favorable que l'or anglais.

Qu'en résulterait-il ? Que vous recevriez beaucoup de monnaie d'argent de Hollande et très peu d'or d'Angleterre. Cependant le pays a plus d'intérêt à recevoir de l'or que de la monnaie d'argent. En premier lieu, l'or anglais offre, comparativement, moins de chance de baisse, de perte que la monnaie d'argent. D'un autre côté, lorsque les circonstances extraordinaires viendront à cesser, que la mesure actuelle sera retirée, et que le gouvernement, voyant le change favorable à la Belgique, démonétisera les monnaies anglaises et hollandaises, il est évident que l'or s'écoulera plus facilement ; il est évident que le transport sera infiniment moins coûteux que pour l'argent néerlandais.

Il y a donc, messieurs, des motifs graves, irrécusables pour adopter le taux de 25 fr. 50 c. proposé par l'honorable M. Osy pour le souverain d'or.

- La discussion est close.

L'article premier est adopté dans les termes suivants, avec les amendements proposés par MM. Tielemans, Malou et Osy :

« Art. 1er. Ont cours légal en Belgique :

« 1° Les souverains anglais (7 grammes 985 milligrammes au titre de 916 millièmes) au taux de vingt-cinq francs cinquante centimes (fr. 25-50) ;

« 2° Les pièces de monnaie d'argent d'un florin (10 grammes au titre de 945 millièmes) et de deux florins et demi des Pays-Bas (25 grammes au titre de 945 millièmes), frappées conformément aux lois du 22 mars 1839 de ce pays et du 26 novembre 1847, au taux de deux francs dix centimes pour la pièce d'un florin et de cinq francs vingt-cinq centimes pour celle de deux florins et demi. »

Article 2 (nouveau)

M. le président. - La chambre passe à la discussion sur l'article 2 nouveau proposé par M. Tielemans (voir plus haut) et sur l'amendement de M. le ministre des finances, tendant à en généraliser la disposition.

M. Malou. - L'article 132 du Code pénal porte :

« Quiconque aura contrefait ou altéré les monnaies d'or ou d'argent ayant cours légal en Belgique, ou participé à l'émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire belge, sera puni, etc. »

L'article 134 porte :

« Tout individu qui aura, en Belgique, contrefait ou altéré des monnaies étrangères, ou participé à l'émission, exposition ou introduction en Belgique de monnaies étrangères contrefaites ou altérées, sera puni, etc. »

Quelle est donc la difficulté qui existait, je le répète, avant la loi de 1816 ? Celle de savoir si une monnaie étrangère ayant cours légal, la contrefaçon ou l'altération de cette monnaie doit être punie en vertu de l'article 132, comme ayant cours légal, ou en vertu de l'article 134, comme monnaie étrangère. Cette controverse, la seule qui ait existé, d'après l'honorable M. Tielemans lui-même, est décidée en termes exprès par la loi de 1816, qui n'est pas abrogée en Belgique. Je me demande donc pourquoi nous ferions une disposition pénale, inutile, dangereuse, car voici déjà deux rédactions qui surgissent ; tandis qu'en se référant simplement à la législation existante, comme on le fait lorsqu'on n'y déroge pas, on ne donne lieu à aucune controverse, à aucune difficulté pour l'application de la loi.

Dans la loi monétaire du 11 juin 1832, on a, sans proposer de disposition analogue à celle qu'indiquent soit l'honorable M. Tielemans, soit M. le ministre des finances, admis, comme ayant cours légal en Belgique, toutes les monnaies décimales françaises. On n'a pas cru alors qu'il fût nécessaire de dire que la contrefaçon des monnaies décimales françaises donnerait lieu à l'application de tel ou de tel article du Code pénal.

Il est donc plus prudent, il y a plus de sécurité en quelque sorte pour la répression des crimes, s'il venait à s'en commettre, si on laisse purement et simplement en vigueur la législation existante, sans prétendre ni innover, m même confirmer.

M. Tielemans. - L'honorable M. Malou pense que la loi de 1816 est une loi générale, et c'est en cela que consiste son erreur. La loi de 1816 a été faite pour des monnaies déterminées, et elle ne s'applique qu'à ces monnaies.

Aujourd'hui nous donnons un cours légal à une autre espèce de monnaies étrangères. Nous devons donc faire aujourd'hui ce qu'on a fait en 1816. On ne pourrait nullement argumenter de cette dernière loi pour dire que le doute existant dans le Code pénal est désormais résolu. Au contraire, la loi de 1816 démontre la nécessité de voter, toutes les fois qu'on donne cours légal à une monnaie nouvelle, une disposition semblable à celle que contient cette loi.

Quant à la rédaction proposée par M. le ministre des finances, elle ne (page 991) résout pas la difficulté. Elle renvoie à la législation générale, et c'est précisément dans cette législation générale que le doute existe.

M. Dolez. - Comme complément aux observations que vient de faire l'honorable M. Tielemans, je ferai remarquer que non seulement la loi du 30 novembre 1816 ne parle que de monnaies déterminées, mais qu'elle ne parle pas même de monnaies étrangères. Elle s'en réfère aux monnaies dont il est parlé dans les articles 12 et 14 de la loi du 26 septembre de la même année.

Si nous recourons à ces articles 12 et 14 de la loi du 26 septembre, nous voyons qu'il s'agit des anciennes monnaies provinciales soit des provinces septentrionales, soit des provinces méridionales ; en sorte que la loi du 30 novembre 1816 ne traite pas même des monnaies étrangères, mais seulement d'une catégorie de monnaie qui avait un caractère tout spécial, qui n'avait pas le caractère de monnaie nationale, ni complètement le caractère de monnaie étrangère.

La loi de 1816 a été faite parce qu'on a reconnu qu'il y avait nécessité, même pour ces monnaies qui n'étaient pas complètement étrangères, de faire disparaître tout doute.

Tout démontre que vous feriez chose imprudente et peu sage, si vous n'adoptiez pas l'amendement de l'honorable M. Tielemans. Car en matière pénale, dans le doute, les tribunaux refuseraient toujours de frapper les personnes qui pourraient prétendre ne pas avoir commis un crime déterminé par une loi.

J'appuie donc la proposition de l'honorable M. Tielemans.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je retire la rédaction que j'avais proposée.

- L'amendement de M. Tielemans est rais aux voix et adopté. Il formera l'article 2.

Article 2 (devenu article 3)

« Art. 2 (devenu art. 3). Les pièces mentionnées à l'article premier cesseront d'avoir cours en Belgique à une époque que le gouvernement indiquera.

« Le gouvernement fixera en même temps un délai postérieur à cette époque, dans lequel ces monnaies pourront être échangées au trésor au taux déterminé par la présente loi. »

- Adopté.

Article 3 (devenu article 4)

« Art. 3 (devenu art. 4). La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

- La chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif.

Les amendements admis au premier vote sont définitivement adoptés.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet. Il est adopté à l'unanimité des 84 membres qui prennent part au vote.

Un membre (M. Vanden Eynde) s'est abstenu.

Ont voté l'adoption : MM. Zoude, Biebuyck, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Castiau, Clep, Cogels, d'Anethan, David, de Bonne, de Breyne, de Brouckere. Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Roo, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Gilson, Henot, Jonet, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Simons, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vandensteen, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt et Vilain XIIII.

M. Vanden Eynde. - Je me suis abstenu, messieurs, parce que je n'ai pu apprécier l'utilité de l'amendement de M. Tielemans, surtout parce que je n'ai pas eu le temps d'examiner la disposition de la loi qui donne cours légal à la monnaie française en Belgique.

Projet de loi qui fixe le cens électoral au minimum établi par la Constitution

Discussion générale

M. Rodenbach. — Messieurs, je donnerai mon assentiment au projet de loi qui nous est soumis et qui tend à réduire à 20 florins le cens électoral pour la nomination des membres du sénat et de la chambre des représentants ; mais je me permettrai, en même temps, de renouveler un vœu que j'ai émis il y a plus de 5 ans et que j'ai reproduit encore au mois de novembre dernier. Je veux parler de la suppression du timbre des journaux. Les journaux supportent une charge de 50 p.c. tandis que les autres industries du pays ne sont frappées que de 10 à 15 p. c. (Interruption.)

M. le président. - Cette question est étrangère au projet de loi.

M. Rodenbach. - Je renoncerai pour le moment à insister sur la suppression du timbre des journaux, me réservant d'y revenir dans une autre occasion. Je me borne maintenant à dire que je considère cette suppression comme indispensable, et si la situation du trésor ne permet pas de l'opérer d'une manière complète en ce moment, il faut tout au moins réduire considérablement le droit dès à présent.

M. Moreau. - Messieurs, la Belgique, en conquérant au prix de bien grands sacrifices sa nationalité, s'est donné les institutions les plus libérales. Notre loi fondamentale établit en effet sur les bases les plus larges les grands principes d'égalité et de liberté civile, politique et religieuse ; elle consacre d'une manière claire et précise la division des pouvoirs et leur indépendance respective dans leur sphère d'activité, et tout en déterminant les devoirs de chaque citoyen, elle donne à tous des garanties solides pour la conservation de leurs droits.

Cette Constitution émanée librement de la volonté nationale et que tout Belge doit chérir comme sa plus belle œuvre, loin de fermer la voie à tout progrès, contient au contraire des dispositions qui présupposent que nos institutions sont susceptibles de se développer librement de manière à en assurer plus complètement, et à en étendre davantage l'exercice ; elle renferme en un mot des germes précieux qu'il faut sagement féconder afin qu'ils puissent croître, se développer et se multiplier d'une manière convenable.

Le congrès, messieurs, a senti que ces institutions dont il a doté le pays ne pouvaient pas rester constamment stationnaires ; il a compris qu'elles devaient nécessairement suivre la marche du temps, des lumières et des progrès. Aussi en proclamant dans l'article 25 de la Constitution cette grande vérité, que tous les pouvoirs émanent de la nation, a-t-il dans l'article 47 laissé au législateur la faculté d'abaisser le cens électoral à la somme de 20 florins. Il est donc heureux, messieurs, que nous puissions adopter cette réforme sans violer en aucune manière les principes de notre gouvernement représentatif.

Le projet de loi qui est soumis à vos délibérations ne peut soulever aucune question de constitutionnalité ; il s'agit seulement de voir si les prévisions du pouvoir constituant de 1830 doivent se réaliser, et d'examiner si la réforme électorale qui vous est proposée est utile, si elle est nécessaire.

Qu'il me soit permis, messieurs, de vous présenter en peu de mots quelques considérations à l'appui de l'opportunité et de l'utilité de cette grande mesure.

Et d'abord, messieurs, une réforme électorale, large et libérale, est devenue un besoin puissant pour le pays qui la réclame depuis longtemps, elle n'est que la conséquence rationnelle et inévitable d'événements, de faits accomplis.

Ce sont d'ailleurs des hommes sages, prudents et réfléchis, des hommes dans lesquels le pays a placé sa confiance, qui vous la proposent et en prennent hautement et ouvertement la défense.

Tous nous devons comprendre, messieurs, que la situation de la Belgique demande actuellement cette réforme pacifique que l'on peut faire sans secousses dans un gouvernement représentatif bien organisé tel qu'est le nôtre ; tous nous devons être convaincus que la participation légale d'un plus grand nombre de Belges à la chose publique, peut, en les intéressant davantage à la formation de la loi, être pour l'avenir du pays une garantie de paix, de sécurité, le préserver de ces agitations violentes qui ébranlent l'édifice social, en énervent quelquefois les forces vives et tarissent le plus souvent les sources de la richesse nationale.

Tous enfin nous devons croire qu'en accordant l'électorat, cette belle prérogative civique à plus de citoyens, nous les attacherons de plus en plus fortement, par des liens politiques nouveaux, à notre indépendance, à notre nationalité, pour laquelle la Belgique entière montre à bon droit un attachement sans bornes, une affection si vive et tant de dévouement.

En effet, messieurs, c'est parce que les peuples désespèrent de sauvegarder leurs intérêts méconnus, si ce n'est par des efforts violents, c'est parce que les droits du plus grand nombre sont froissés et violés au profit de quelques-uns que les révolutions bouleversent le corps social.

Apporter à cet état de choses des remèdes légaux au lieu de laisser empirer le mal, c'est le meilleur moyen d'empêcher que l'irritation et la misère ne poussent les masses à recourir à l'emploi de la force.

Car, qu'on ne s'y trompe pas, messieurs, comme on l'a déjà dit souvent, il ne faut pas séparer entièrement les intérêts matériels des intérêts moraux de l'humanité ; les uns réagissent nécessairement sur les autres ; il existe entre eux une corrélation intime, spéciale, qu'il ne faut pas méconnaître. Si un plus grand nombre de nos concitoyens peuvent prendre part à l'établissement des pouvoirs politiques et législatifs, s'ils peuvent choisir ceux qu'ils jugent les plus dignes et être les organes de leurs vœux, de leurs besoins, d'un côté, une part plus égale sera faite à tous les intérêts, d'un autre, aucun d'eux ne sera assez puissant pour froisser les intérêts de la famille nationale, pour les exploiter au profit de quelques-uns et se saisir exclusivement du gouvernement de la chose publique.

Si, messieurs, la réforme électorale ne guérit pas tous les maux, si elle ne cicatrise pas immédiatement toutes les plaies, elle aura cependant une influence salutaire et efficace sur la situation matérielle du peuple.

Depuis 18 ans, messieurs, les Belges ont donné trop de gages de leur amour de l'ordre, ils ont montré trop de patriotisme dans l'accomplissement de tous leurs devoirs civiques pour qu'il soit à craindre de les intéresser plus profondément et d'une manière plus active à l'élection des représentants du pays.

N'ont-ils pas tous d'ailleurs un intérêt égal à partager, à maintenir la Constitution, et à voir la patrie heureuse et indépendante ?

Oui, messieurs, j'en ai l'intime conviction, la loi que vous allez voter sera un gage de paix, de conciliation et d'union pour le pays.

M. Castiau. - Messieurs, voici d'abord une disposition que je voudrais voir introduire dans la loi, soit sous la forme d'amendement, soit sous la forme d'article additionnel :

« Les contributions et les patentes ne seront comptées à l'électeur que (page 992) pour autant qu'il aura été imposé ou patenté pour l'année antérieure à celle dans laquelle l'élection a lieu.

« Le possesseur à titre successif est seul excepté de cette condition.

« Les déclarations relatives aux bases du cens électoral, qui seraient reconnues fausses, seront punies d'une amende de 500 à 1,000 fr. »

Messieurs, il y a à peine une année, j'eus l'honneur de déposer dans cette enceinte une toute modeste proposition de réforme électorale. Il s'agissait de l'adjonction des capacités aux listes électorales, ce qui devait augmenter le nombre des électeurs de 12 à 1,300 personnes. Vous savez, messieurs, quel accueil a été fait à cette proposition. Elle a rencontré, sur les divers bancs, des adversaires ; et en définitive 17 voix seulement se sont trouvées pour s'unir à la mienne et pour en voter l'adoption.

Quelques mois, messieurs, se sont à peine écoulés et voici maintenant qu'une proposition bien autrement large, une proposition de réforme radicale est présentée. Il s'agit maintenant d'abaisser subitement le cens électoral, pour certaines villes, de 80 florins à 20 florins. Eh bien, cette proposition qui, il y a un mois, eût soulevé des orages dans cette assemblée, est accueillie maintenant avec une extrême faveur. Ainsi que l'a dit l'honorable rapporteur, elle n'a pas rencontré un seul adversaire au sein des sections et probablement elle doit, tout à l'heure, à la suite de cette discussion, être votée par l'assemblée, avec la plus touchante unanimité.

Que s'est-il donc passé, messieurs, et pourquoi ce changement subit d'opinion ? A Dieu ne plaise que je vienne contester la sincérité des conversions qui se sont opérées dans cette circonstance ! Mais cependant il me sera bien permis de supposer que les événements qui se sont passés à nos portes sont pour quelque chose dans cet assentiment unanime donné au projet de loi qui, il y a un mois, n'aurait pas trouvé ici cinq voix pour l'appuyer.

Il m'est permis de penser et de dire que, sans ces immortels événements de Paris, sans cette miraculeuse révolution, nous n'eussions pas eu la réforme que nous allons proclamer, et qu'il nous eût fallu un demi-siècle pour conquérir ce que nous allons obtenir en quelques heures.

Je sais qu'on n'est pas populaire dans cette chambre, quand on vous parle des idées françaises, de la popularité et de la propagande de ces idées ; quand il m'est arrivé d'en parler dernièrement, on m'a dit avec une sorte de dédain, et rappelant une expression dont je m'étais servi, que les idées françaises pouvaient faire le tour du monde, sans devoir passer par la Belgique. « N'avons-nous pas, a-t-on ajouté, ces grands principes d'égalité et de liberté dont la France vient de relever le drapeau ? »

Mais, en vérité, messieurs, d'où viennent ces principes de liberté et d'égalité dont vous êtes si fiers ? De la France. Qui donc les a proclamés la première ? La France. (Interruption.)

Comment ! Il ne me sera plus permis de développer ces pensées-là, et de parler de la France et de la liberté dans cette enceinte ! Mais, en vérité, je trouve vos murmures et vos marques de désapprobation aussi inconvenants qu'inexplicables.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous ne faites que répéter ce que M. le ministre des travaux publics a dit dans une circonstance précédente.

M. Castiau. - Oui, je ne fais que répéter les paroles de M. le ministre des travaux publics, car il a eu le courage, lui, de vanter hautement la révolution française et ses bienfaits. Alors vous avez applaudi à ces paroles, et maintenant qu'elles passent par ma bouche, on les couvrirait par des murmures ! Je les brave, vos murmures, et je répète que la révolution de 89 vous a faits ce que vous êtes ; que c'est elle qui a proclamé les droits des peuples et des individus, et que c'est d'elle et de la France que vous avez hérité ces grands principes qui sont, dites-vous, écrits dans notre Constitution et gravés dans nos cœurs.

J'irai plus loin, et je vous le demande : Votre révolution de 1830 elle-même, qu'a-t-elle donc été ? La conséquence, la fille en quelque sorte de la révolution française de juillet. Et qu'aurait été votre nationalité en 1831, sans l'intervention de la France et si vous n'aviez été couverts de son épée ? Soyons donc justes envers la France pour les services qu'elle nous a rendus et envers les idées françaises qui nous ont faits ce que nous sommes. Reconnaissons que le mouvement électrique, qui agite en ce moment la France, n'est que la continuation du mouvement de 1789 et du mouvement avorté de 1830. Ne nous effrayons donc pas de ces idées, de leur progrès, de leur inévitable triomphe.

C'est l'œuvre de la réalisation qui commence. Il ne suffisait pas d'avoir proclamé ces idées d'égalité et de liberté et de fraternité, il faut encore les appliquer et les organiser ; et c'est là précisément la mission de la révolution de 1848 ; de cette révolution qui fera oublier toutes les autres.

Oh ! je sais que ces principes de liberté et d'égalité, vous les avez inscrits aussi, à la suite de la France, dans votre Constitution ; ils sont, dites-vous, gravés dans vos cœurs ; à merveille ; mais sont-ils également descendus dans le domaine des faits ? Et croyez-vous en avoir assuré l'organisation ?

Vous avez pour base de votre édifice politique le principe de la souveraineté nationale et le principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Eh bien, que devient ce principe de la souveraineté nationale, ce principe de l'égalité des citoyens devant la loi, en présence de votre système électoral actuel qui consacre l'admission de 45,000 électeurs seulement ? Un seul électeur sur 95 habitants, voilà où en est l'application du principe de l'égalité des citoyens devant la loi dans ce pays !

Qu'est-il résulté de ce mensonge légal ? C'est que jusqu'à présent vous n'avez eu qu'un simulacre de gouvernement représentatif, d'une représentation nationale faussée, c'est que vous avez eu un gouvernement d'abus, de privilège et d'injustice ; c'est que jamais les intérêts du pays n'ont été convenablement défendus dans cette enceinte et que notre histoire parlementaire est celle de la lutte permanente de la réaction contre nos conquêtes révolutionnaires. Si la chambre avait eu le temps de m'entendre, j'aurais déroulé devant elle la série de toutes ces mesures illibérales et réactionnaires qui en 1832 se sont continuées jusqu'en 1847 sans interruption.

Mais je respecte en ce moment l'impatience qui la domine. Elle a hâte de donner sa démission, et de laisser à des hommes nouveaux le soin de constituer une représentation nationale plus complète, plus sincère et plus fidèle. Je ne puis qu'applaudir à son impatience et à son désintéressement.

Il s'agit donc aujourd'hui d'organiser le nombre des électeurs, de le porter de 45,000 à un nombre dont nul encore ne peut mesurer l'importance. Quoi qu'il en soit, cette mesure doit avoir pour effet d'élargir le cercle électoral, de donner plus de garanties à vos institutions, d'intéresser un plus grand nombre de citoyens à la chose publique, d'empêcher le retour des abus dans l'ordre moral, politique, d'assurer au pays le bienfait d'une administration plus populaire. Je désire sincèrement que la mesure puisse réaliser toutes les espérances que l'on en conçoit ; rattacher à vos institutions un plus grand nombre de citoyens, assurer la défense de tous les droits et prévenir le retour de ces abus toujours attaqués. Mais il ne faut pas dire ni croire que cette loi sera le dernier terme des améliorations à apporter dans nos institutions politiques. Quand vous aurez adopté la réforme qu'on vous propose, vous ne serez certes pas arrivés à la dernière limite du perfectionnement social ; vous n'aurez pas encore, dans toute sa sincérité, la réalité complète de votre gouvernement représentatif, puisque le droit électoral sera toujours le privilège de la minorité et non le droit de la majorité.

Aussi, quoi qu'on en ait dit, je crois que, quand l'éducation politique des citoyens aura fait de nouveaux progrès, la mesure que l'on va proclamer aujourd'hui pourra être étendue à d'autres classes de la société, de manière à ce que vous entriez enfin dans la vérité du gouvernement représentatif, c'est-à-dire du gouvernement qui est l'expression de la souveraineté et de la volonté de la majorité des citoyens.

En attendant, je proposerai, par mon amendement, de compléter le bienfait de cette première réforme et d'en revenir purement et simplement à la loi électorale du 3 mars 1831, quant à ce qui regarde la possession des bases du cens électoral. Suivant cette loi, il suffisait que les contributions eussent été payées pendant l'année qui a précédé l’élection, pour constituer le droit de l'électeur à participer à l'élection. Cette disposition a été abrogée en 1843 ; pourquoi l'a-t-elle été ? Parce que des fraudes électorales avaient été dénoncées et qu'on a voulu les prévenir. Que fallait-il faire en pareil cas ? Frapper les coupables et établir des pénalités contre les faux électeurs, pour empêcher le retour de ces déclarations mensongères. Au lieu de cela, qu'a-t-on fait ? On est venu prescrire des conditions plus rigoureuses pour l'exercice des droits politiques ; on a exigé que, pour les contributions directes, les bases du cens électoral fussent payées pendant deux années antérieures à l'élection, pour constituer le droit de l'électeur. C'était suspendre pendant près de trois ans l'exercice d'un droit incontestable.

Eh bien, je trouve qu'on a fait fausse route en 1842 ; je trouve qu'on aurait dû se contenter d'établir des pénalités contre les fausses déclarations et laisser les citoyens, qui avaient payé le cens électoral pendant l'année précédant l'élection, jouir loyalement des droits politiques dont ils sont mis en possession par la loi du 3 mars 1831.

C'est donc le retour à cette loi libérale que je viens proposer seulement. Cependant comme on craint encore le retour de la fraude et comme une garantie peut paraître nécessaire en pareil cas, j'ai ajouté que les déclarations relatives aux bases du cens électoral, qui seraient reconnues fausses, seraient punies d’une amende de 500 à 1,000 fr. Sous le coup d'une telle menace, c'en est fait, ce me semble, de la fraude.

Un mot encore, messieurs, et je termine. Quelque important que soit le projet de loi qu'on va voter, quelque sympathie que cette mesure doive rencontrer dans le pays, il ne faut pas croire que tout soit fait encore dans l'intérêt des améliorations sociales. Il est d'autres mesures tout aussi urgentes et non moins justes que cette extension de droits politiques ; car le but de votre loi aura pour effet d'appeler à la jouissance des droits politiques une population de 100, de 150,000 électeurs peut-être ; mais ces 150,000 Belges ne sont pas toute la nation et ne représentent pas encore la nation tout entière ; il y aura toujours en dehors de ce cercle un million peut-être de citoyens majeurs, frappés d'incapacité politique.

Eh bien ! n'y a-t-il pas quelque chose à faire pour ces classes qui ne jouiront pas du bénéfice de la loi que vous faites en ce moment ? Si vous ne voulez pas en faire des électeurs, il faut, du moins, il faut améliorer leur position.

Les premières mesures à prendre dans l'intérêt de ces classes déshéritées de l'exercice des droits politiques sont précisément des mesures relatives aux subsistances ; c'est l'abolition définitive des lois sur les céréales et sur le bétail étranger ; c'est la suppression de l'impôt impopulaire sur le sel et des autres taxes qui frappent les classes populaires. Ce sont enfin les révisions et transformations des octrois. Voilà de grandes mesures, des mesures populaires qui sont aussi vivement réclamées par l'opinion et l'intérêt du pays que l'extension des droits politiques.

(page 993) Je pense également que la mesure dont voulait vous entretenir l'honorable M. Rodenbach se rattache à la question de réforme électorale qui vous est soumise. J'ai été étonné de voir la chambre refuser d'entendre les explications qu'il voulait donner de sa proposition, car la suppression du timbre des journaux est la conséquence nécessaire et irrésistible de la loi que vous allez voter. Il ne suffit pas, en effet, d'émanciper les populations en leur conférant des droits politiques, il faut les mettre à même de les exercer avec intelligence et indépendance ; il faut les éclairer ; il faut faciliter par tous les moyens possibles leur éducation politique. Cette éducation ne peut descendre sur eux qu'à l'aide des mille enseignements du journalisme. La modification proposée par M. Rodenbach et tant d'autres que réclame l'intérêt des classes populaires doivent donc être la conséquence de la mesure eu ce moment soumise à la chambre. Ce n'est qu'à cette condition qu'on peut justifier l'incapacité publique qu'on continue à faire peser sur la majorité de la nation.

M. Dechamps. - Messieurs, comme c'est une adhésion patriotique que nous voulons donner au projet de loi, je m'abstiendrai de relever certaines expressions échappées à l'honorable préopinant, afin de laisser à ce débat tout le calme que nous devons lui conserver ; seulement il me permettra de dire que si quelques murmures ont accueilli ses paroles, il n'en a pas compris le sens. Qui voudrait nier l'influence qu'a exercée sur l'Europe moderne, et dès lors sur nous, la grande révolution de 1789, qui a servi à propager les idées de liberté de conscience et d'égalité devant la loi qui étaient nées du christianisme même ? Mais si des murmures ont accueilli les paroles de l'honorable membre, c'est qu'un sentiment belge faisait désirer qu'à côté de cette vérité en l'honneur de la France, il eût placé une autre vérité en l'honneur de la Belgique et qu'il oublie de rappeler, c’est qu'à toutes les époques de l'histoire, la Belgique a devancé la nation française et les autres peuples dans la voie des institutions démocratiques.

Avant la révolution française de 1789, la Belgique ne jouissait-elle pas de franchises relativement étendues et, à un certain degré, d'un régime représentatif, alors que la France était dominée par la monarchie absolue ? La Belgique de 1830 n'a-t-elle pas laissé la France de juillet bien loin derrière elle en fait d'institutions libérales ? Aujourd'hui encore, en présence du régime électoral que nous allons adopter, quelle est la nation, en Europe, qui pourrait nous donner des leçons de liberté vraie ? Ce sont là des faits que nous devons aimer à proclamer, et j'avoue que je me sens plus de propension à rappeler ces souvenirs que ceux de la révolution française dont je ne méconnais ni la grandeur, ni l'influence.

J'aurais désiré pouvoir m'abstenir de prendre la parole, pour contribuer à faire adopter cette loi, en quelque sorte, par acclamation, comme il convient de le faire dans une chambre comme la nôtre, qui se presse autour du gouvernement du pays dans les moments difficiles ; mais ce silence pourrait être mal compris. Nous manquerions peut-être à un devoir de dignité et de conscience, et nous affaiblirions le résultat politique de ce vote, dont on pourrait suspecter la sincérité, si nous ne disions pas bien haut pourquoi nous nous rallions à un système électoral contre lequel le pays sait que nous avons élevé naguère des objections sérieuses.

Si nous étions dans des circonstances ordinaires, ces objections, je croirais devoir les reproduire, et nous ne serions pas seuls à les faire ; vous savez qu'elles seraient appuyées par des membres éminents de cette chambre, que je ne veux plus appeler nos adversaires politiques, puisque ces mots de nos anciennes luttes ont disparu devant la magnifique manifestation d'esprit national qui ne nous a plus laissé qu'un seul nom pour nous appeler tous, le nom de Belges, celui de notre commune patrie.

Beaucoup de membres. - Très bien ! Très bien !

M. Dechamps. - Je crois toujours que l'uniformité du cens n'est pas en harmonie avec la volonté que le congrès constituant a voulu exprimer en écrivant l'article 47 de la Constitution. Je suis convaincu que cette uniformité consacre l'inégalité entre les divers centres de population du royaume. Je pense que ce principe porte atteinte à la base la plus juste d'une bonne loi électorale : l'impôt combiné avec la population.

Ces motifs, dans des circonstances normales, seraient assez graves pour m'imposer le devoir de combattre le projet.

Mais des considérations d'un ordre supérieur puisées dans des événements qui nous ont fait traverser en un jour un siècle entier, ces considérations nous commandent à tous de donner à la mesure proposée notre assentiment. Je demande de nouveau à la chambre la permission d'indiquer en peu de mots les motifs de notre adhésion, derrière laquelle il n'y a aucune réticence.

D'abord, le danger que nous avions pu voir dans cette réforme électorale provenait de ce qu'elle donnait des moyens et des armes à l'un des partis parlementaires pour écraser l'autre ; ce danger provenait de la prépondérance trop exclusive des villes sur les campagnes, que ce projet tendait à établir. Mais il faut le reconnaître, au moment où je parle, cette opposition d'intérêt politique entre les villes et les campagnes n'existe plus, et les partis, morts pour longtemps, ne sont destinés à renaître que totalement transformés.

En présence de ce fait évident, il me paraît que l'intérêt politique qui se rattachait à cette réforme a perdu sa principale de signification.

En second lieu, et il faut le dire à l'honneur de notre pays, l'élan patriotique qui s'est manifesté dans toutes les classes de la population ôte tout danger actuel à l'abaissement trop brusque du cens électoral ; vous ne trouverez dans les couches de la population que vous allez atteindre par le cens de 20 florins, que des idées d'ordre et de moralité, que des sentiments de patriotique dévouaient aux institutions nationales. Nos mœurs démocratiques, l'histoire de ces 18 années le dit assez, peuvent sans danger subir des épreuves qui seraient fatales à d'autres.

Mais il est une considération qui pour moi domine toutes les autres. Dans les moments suprêmes comme celui auquel nous assistons, où notre nationalité, soumise à une épreuve difficile et peut-être à des sacrifices, recevra, par cela même, le baptême définitif qui lui manquait, dans de tels moments, toute l'action du pays, toute l'intelligence et l'énergie du pays doivent se concentrer dans les mains du gouvernement que les chambres entourent de leur confiance.

Par mon vote, c'est, avant tout, ce concours que je veux donner, c'est cette confiance complète, sans réserve, que je viens offrir au gouvernement du pays, qui ne pourra, croyez-le bien, nous sauver qu'à la condition d'être fort de la confiance et de l'appui de tous.

Messieurs, le gouvernement, par cette réforme hardie, a voulu devancer toutes les exigences, a voulu désarmer toutes les oppositions sincères et constitutionnelles, et ne pas permettre à d'autres nations d'offrir à l'envie de la Belgique des institutions plus libérales que les siennes. C'est là une belle, une noble pensée. Le gouvernement, messieurs, a atteint la dernière limite au-delà de laquelle il n'y a plus de réforme possible que le renversement de la Constitution. Par cela même le gouvernement a su réunir autour de lui l'immense majorité de la nation qui ne veut rien au-delà de notre Constitution qui fait notre orgueil, et qui saura la défendre en même temps que notre nationalité qui ont une destinée commune, l'une ne pouvant tomber sans que l'autre périsse en même temps. (Très bien ! très bien !)

M. Verhaegen. - Messieurs, la section centrale, dans le rapport qu'elle nous a présenté, a rattaché avec raison, le projet de loi aux grands principes écrits dans notre Constitution ; cette Constitution, nous pouvons le dire avec orgueil, est la constitution la plus libérale de l'Europe.

Messieurs, nous n'avons pas à nous occuper de la Belgique avant 1830, ni de ses gloires passées ; nous ne rappellerons pas non plus les vicissitudes dont elle a été le jouet. Notre point de départ est la révolution de 1830, qui la définitivement affranchie de toute domination étrangère et qui a proclamé son indépendance.

La Constitution de 1831 a fait droit aux griefs que la Belgique avait contre le gouvernement précédent ; elle a été aussi l'avènement de notre nationalité.

Oublions, messieurs, dans les graves questions qui l'agitent aujourd’hui, nos querelles intérieures d'autrefois. Soyons Belges avant tout et fidèles à notre devise ; soyons unis et nous serons forts.

J'ai foi dans notre nationalité ; j'ai foi dans notre indépendance. Cette indépendance, cette nationalité ont été proclamées par les grandes puissances, et quoi qu'on puisse dire, la nation française, telle qu'elle vient de se reconstituer, veut et doit vouloir la paix. Assez de gloires comma assez de malheurs l'ont tour à tour illustrée et désolée, et s'il faut en croire ses représentants provisoires, elle abjure hautement tout esprit de conquête. Elle ne revendique en ce moment que l'honneur de marcher à la tête de la phalange du progrès pacifique, et pour arriver à ce résultat, elle commence par proclamer les grands principes que nous avons écrits dans notre Constitution, il y a dix-sept ans, et qui servent de base à toutes nos institutions.

La différence, messieurs, qui existait entre nos principes constitutionnels et ceux de nos voisins a amené le grand événement auquel on faisait allusion tantôt, et il ne faut, pour rendre cette vérité palpable, que comparer nos dispositions fondamentales avec les exigences qui se révèlent aujourd'hui à Paris En effet, que demande-t-on au gouvernement provisoire, et celui-ci que promet-il ? « L'abolition du cens d'éligibilité, l'établissement d'un cens électoral peu élevé ; l'allocation d'une indemnité convenable aux représentants du pays ; la décentralisation administrative de la commune et de la province ; la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; le droit de réunion et d'association ; la liberté de la presse ; la liberté des cultes. »

Eh bien, la Constitution belge renferme tous ces droits, toutes ces garanties dans les termes les plus explicites, et de plus, nous avons la liberté d'enseignement. (Très bien ! très bien !)

Nous sommes heureux de voir que nos voisins viennent aujourd'hui puiser à nos sources, et copient littéralement les grands principes écrits dans notre pacte fondamental.

Messieurs, la proposition qui vous est soumise va jusqu'aux dernières limites de la Constitution de 1831, et nous dirons avec les précédents orateurs que le gouvernement a bien fait en ne laissant rien à désirer a cet égard.

On nous demande quel sera le nombre des électeurs ? Ce nombre, messieurs, sera considérable ; et mon honorable ami, qui m'adresse cette question, le sait d'autant mieux qu'il doit s'être livré à des calculs lorsque, naguère encore, il se contentait de l'adjonction des capacités, lui qui, aujourd'hui, paraît ne plus se contenter de la réduction du cens à 20 florins.

Messieurs, pour prouver à mon honorable ami M. Castiau que nos libertés en Belgique ne sont pas éphémères, comme il le prétend ; que la Constitution de 1831 répond à toutes les exigences, je n'ai qu'à lui rappeler qu'en 1846, le libéralisme belge formula son programme et que ce programme, qui tout d'abord fut le programme du cabinet actuel, se trouve déjà dépassé aujourd'hui.

(page 994) Le programme du congrès libéral consistait dans les dispositions suivantes :

« Art. 1er. Comme principe général :

« La réforme électorale par l'abaissement successif du cens jusqu'aux limites fixées par la Constitution. Et comme mesures d'application immédiate :

« 1° L'adjonction, dans les limites de la Constitution, comme électeurs des citoyens exerçant une profession libérale pour laquelle un brevet de capacité est exigé par la loi, et de ceux portés en la liste du jury ;

« 2° Un certain abaissement dans le cens actuel des villes. »

Le gouvernement, dès son avènement, s'est montré franchement partisan d'une réforme électorale ; son programme est là pour en fournir la preuve ; l'abaissement du cens jusqu'aux dernières limites de la Constitution n'était pour lui qu'une question de temps, et aujourd'hui que les temps ont marché avec la rapidité de l'éclair, il a devancé toutes les espérances en présentant le projet de loi que nous discutons en ce moment. Certes il était impossible d'aller plus loin, car il fallait s'arrêter aux limites de la Constitution ; aussi, je l'espère bien, il n'y aura dans cette chambre aucune tendance pour aller au-delà.

« Art. 2. L'indépendance réelle du pouvoir civil. »

Le gouvernement a placé ce principe en tête de son programme, et ce principe reçoit tous les jours une franche et loyale exécution.

« Art. 3. L'organisation d'un enseignement public à tous les degrés. »

L'enseignement fait l'objet de la sollicitude du gouvernement, et je pense que les mesures qu'il a prises et qu'il est disposé à prendre encore, sont loin d'être éphémères.

« Art. 4. Le retrait des lois réactionnaires. »

Le gouvernement, messieurs, s'est empressé de formuler des projets de loi à cet égard, et ces projets ont déjà reçu la sanction de la législature D'autres projets nous sont annoncés et le gouvernement tiendra ses promesses.

« Art. 5. L'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs à raison d'un représentant par 40,000 habitants et d'un sénateur par 80,000 habitants. »

Cette augmentation a eu lieu. Elle constitue aujourd'hui un fait accompli.

« Enfin, art. 6, les améliorations que réclament impérieusement les classes ouvrières et indigentes. »

L'attention du ministère se trouve également éveillée sur ce point, et les différents projets que, déjà, il nous a soumis, en sont la preuve. Tous les éléments d'amélioration matérielle se trouvent également en germe dans l'esprit de nos institutions. La Constitution de 1831 admet l'application raisonnable de toutes les idées pratiques qui sont de nature à pouvoir se concilier avec le respect du au droit de tous, et le gouvernement est entré sans hésitation dans la voie indiquée par la Constitution.

J'aime mieux la mise en pratique immédiate de quelques mesures avantageuses aux classes nécessiteuses, à la classe si intéressante des travailleurs que toutes ces belles théories qui le plus souvent restent sans application, parce que l'application, après examen, en est reconnue impossible.

Aux mesures déjà proposées par le gouvernement, il pourra en ajouter d'autres ; et, pour mon compte, je lui conseille de songer bientôt à une révision de notre système d'impôts, de manière à soulager les classes nécessiteuses, en frappant plus particulièrement le luxe et la propriété.

Que veut-on, que peut-on vouloir de plus que ce que la Constitution de 1831 proclame, en tenant compte d'ailleurs des intentions manifestées par le gouvernement sur toutes les questions sociales à l'ordre du jour ?

Messieurs, nous l'avons vu avec bonheur, les intentions du gouvernement, qui se sont déjà traduites en faits ont satisfait, je dirai même ont électrisé nos populations ; et, dès ce jour, il n'y a plus dans le pays comme dans cette chambre qu'une seule opinion, celle de l'indépendance et de la nationalité. (Très bien ! très bien !) Tous, franchement, sincèrement, nous nous grouperons autour du cabinet pour conserver cette nationalité, cette indépendance.

Mais, messieurs, ces mots qui sont dans toutes les bouches : indépendance et nationalité, comportent avec eux, ne l'oublions pas : Constitution, monarchie constitutionnelle. Nous avons, à notre entrée dans cette enceinte, fait le serment d'observer la Constitution ; ce serment ne sera pas une vaine formule. (Très bien ! très bien ! Applaudissements dans les tribunes.)

M. Delfosse. - L'honorable M. Castiau m'a bien mal compris, s'il a cru qu'il entrait dans ma pensée de nier ce que nous devons à la France. Nous devons beaucoup à la nation française, beaucoup à la révolution de 1789. M. le ministre des travaux publics le disait l'autre jour avec raison, nous serions des ingrats, si nous pouvions jamais l'oublier ; nous ne l'oublierons pas et nous formons, en souvenir de ce grand bienfait, les vœux les plus sincères pour que la France se trouve, au sortir de la tourmente révolutionnaire, aussi heureuse que puissante.

M. de Haerne. - Je n'ai pas attendu, messieurs, jusqu'à ce jour, je n'ai pas attendu les circonstances graves qui viennent de se passer dans un pays voisin, pour demander une réduction très grande, un abaissement considérable du cens électoral.

J'éprouve le besoin de vous présenter à cet égard quelques considérations. Je ne comptais pas prendre la parole ; mais les observations que je viens d'entendre me forcent à rompre le silence.

On nous a fait le reproche de virer de bord, de ne pas procéder d'après de véritables convictions. Telle, messieurs, n'est pas ma position. J'en appelle à plusieurs membres de cette chambre : lorsque la loi proposée d'abord par le gouvernement en faveur de l'adjonction des capacités aux listes électorales, a été examinée en sections, je n'ai pas approuvé la proposition en elle-même parce qu'elle me paraissait trop restreinte ; mais j'ai approuvé le but qu'on se proposait et que je voulais atteindre d'une manière beaucoup plus générale et plus large. Je n'ai pas approuvé la proposition, parce qu'elle n'allait pas assez loin, parce qu'elle semblait, à mes yeux, consacrer un privilège, en admettant certaines capacités et en excluant les autres telles, que les capacités industrielles. Mais c'étaient toujours les capacités que je voulais introduire dans les listes électorales ; et comment voulais-je les introduire ? De la manière la plus large et la plus générale.

La proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre le 17 février dernier à la 5ème section, dont je faisais partie, consistait à diviser le corps électoral en trois catégories : la première payant de 80 florins à 60 ; la seconde de 60 à 40 florins ; la troisième de 40 à 20 florins. Je demandais une réduction de 20 florins sur la première, une réduction de 15 florins sur la seconde, une réduction de 10 florins seulement sur la troisième, sans toutefois descendre au-dessous du minimum fixé par la Constitution. C'était un système conçu tout à fait en faveur des grandes villes, en faveur des grands centres de population et je faisais par là un appel direct et un appel très sérieux à l'introduction des capacités, puisque c'est dans les grands centres de population qu'on rencontre surtout des personnes qui s'occupent des affaires publiques, c'est là qu'on trouve le plus de capacités électorales, le plus d'hommes capables d'apprécier la portée d'un vote politique.

Certes, messieurs, je ne pouvais prévoir alors les circonstances qui viennent de bouleverser la France et d'électriser l'Europe. J'avais cru que cette proposition, qui était réclamée depuis longtemps, était juste. Il m'avait paru que certaines différences qui existent entre le cens des grandes villes et le cens des campagnes étaient trop grandes et que d'ailleurs les exigences du moment nous demandaient de faire ces concessions dont je ne redoutais aucunement les conséquences pour les grands intérêts sociaux. Je crois que l'intérêt moral et surtout l'intérêt religieux doivent accepter la lutte sur le terrain qu'on leur présente, et que rien ne leur serait plus nuisible que de ne pas vouloir subir l'épreuve de l'intelligence, de la capacité.

On me demandera peut-être, et c'est une objection qui m'a été faite, pourquoi je n'allais pas plus loin ; pourquoi je n'admettais pas l'uniformité du cens en le portant, par exemple, au minimum fixé par la Constitution. Messieurs, je serai franc ; car je crois que dans ces circonstances surtout on doit être franc, on doit parler sans réserve sur cette matière.

La raison pour laquelle je ne l'ai pas fait, la voici : Je me suis rappelé qu'en 1830, lorsqu'il s'agissait de fixer les bases de la loi électorale, je demandai aussi une mesure plus large, je demandai aussi un cens plus bas que celui qui était proposé ; et savez-vous, messieurs, ce qui me fut répondu ? On me répondit qu'un cens électoral trop bas était calculé en faveur de l'aristocratie, en faveur du clergé, parce que, disait-on, avec un cens très bas les grandes influences, se font trop sentir sur les masses électorales et les conduisent à leur gré.

Voilà, messieurs, ce qui m'a retenu. J'ai craint qu'on ne me reprochât une telle intention, et j'ai préféré faire de larges concessions aux villes, plutôt que de m'attirer un reproche qu'on m'avait déjà fait précédemment. Mais le principe qui me guidait tendait au but du projet qui vous est soumis, et c'est ce qui m'engage à adhérer à la proposition faite par le gouvernement, auquel certes on ne fera pas l'objection qu'on m'aurait faite. Seulement je dirai qu'on n'aurait peut-être pas dû tout d'un coup arriver jusqu'au minimum ; non pas que je considère le cens de 20 florins comme trop bas, mais parce que peut-être on prendra des masses d'électeurs à l'improviste, sans qu'elles soient suffisamment instruites, suffisamment préparées à la lutte électorale. C'est le seul scrupule que j'éprouve à cet égard.

J'aurais voulu, si les circonstances eussent été différentes, qu'on fût arrivé successivement jusqu'au minimum, et par la voie que j'avais indiquée dans la cinquième section le 17 de ce mois. (Aux voix ! aux voix !)

J'aurais encore quelques observations à présenter, mais si la chambre désire clore......

M. Lebeau. - J'étais inscrit, mais je suis prêt à renoncer à la parole.

M. de Haerne. - Alors j'y renoncerai également. (Aux voix ! aux voix !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne viens pas justifier ni défendre le projet de loi, qui ne rencontre aucune espèce d'opposition dans cette enceinte. Je viens seulement répondre au premier orateur, qui a paru reprocher au gouvernement de ne pas avoir fait assez, ou qui a tout au moins exprimé un regret dans ce sens.

L'honorable M. Castiau trouve que ce que nous apportons en ce moment, ce n'est pas le dernier terme du perfectionnement social. Nous n'avons pas dit cela, messieurs ; nous n'apportons pas ce projet de loi comme le dernier terme du perfectionnement social, mais nous l'apportons comme la réforme la plus complète, la plus profonde qu’ait pu subir notre système électoral. Cette réforme est tellement complète, (page 995) tellement profonde que l'honorable préopinant, dans les jours même où son imagination l'entraînait le plus loin, n'a jamais été jusqu'à pouvoir l'imaginer, loin de la proposer dans cette enceinte.

M. Castiau. - Vous vous trompez, car il y a dix ans que je la réclame.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ainsi qu'il l'a rappelé, l'honorable préopinant, l'année dernière, a proposé un commencement de réforme électorale, réforme à laquelle je me suis associé avec plusieurs de mes honorables amis mais à cette occasion, l'honorable M. Castiau ne pensa pas à proclamer la nécessité de l'abaissement du cens électoral jusqu'aux dernières limites fixées par la Constitution.

L'honorable préopinant pense qu'il y a encore beaucoup de choses à faire, et que, en dehors la réforme électorale, il restera encore un million de citoyens dont le sort restera à améliorer.

Eh bien, messieurs, sous ce rapport encore nous pouvons dire que le gouvernement n'a pas été devancé par les vœux même de l'honorable préopinant. Dès son avènement au pouvoir, le cabinet nouveau a proclamé que « l'attention et l'action du gouvernement doivent particulièrement se porter sur le bien-être matériel et moral des classes nécessiteuses et laborieuses. » Voilà un des principes que le cabinet nouveau a proclamés dans son programme, et ce principe il en a commencé l'exécution, il en poursuivra l'exécution avec la même fidélité qu'il a apporté à exécuter les promesses politiques de son programme.

On nous indique, messieurs, les améliorations qui restent à introduire dans l'intérêt des classes pauvres. Eh bien, ici je dirai à l'honorable M. Castiau, qui aime à se poser dans cette enceinte comme le représentant exclusif, en quelque sorte, des classes laborieuses, je lui dirai qu'il ne va pas assez loin, que nous allons, que nous irons plus loin que lui. L'honorable M. Castiau demande pour les classes laborieuses un système libéral en matière de subsistances. Eh bien, les classes laborieuses jouissent actuellement et jouiront jusqu'à ce qu'un changement ait été introduit dans la législation, d'une liberté entière quant à l'importation des céréales.

La libre entrée des céréales est assurée aux classes pauvres jusqu'à la fin de l'année. La libre entrée du bétail est assurée aux classes pauvres jusqu'au 1er août prochain. Nous sommes aujourd'hui en pleine liberté. Et, messieurs, je dirai aussi que le programme du cabinet a été très explicite au point de vue des subsistances, car nous avons annoncé que nous ne ferions point consister le salut de l'agriculture dans l'échelle mobile ou dans l'élévation des droits.

L'honorable préopinant s'est préoccupé de la question des octrois : nous nous en étions préoccupés aussi. Nous avons déclaré dans cette enceinte que nous pensions que les octrois devaient subir une réforme profonde.

Nous l'avons dit dans cette enceinte ; nous l'avons répété au sénat et nous avons, depuis assez longtemps, chargé une commission de réviser cette partie si importante de notre économie sociale. La réforme des octrois touche de très près les classes laborieuses et nécessiteuses, nous ne l'ignorons pas, messieurs, et sous ce rapport nous persistons à dire que les octrois doivent et peuvent utilement subir une réforme profonde. Mais de pareilles questions ne peuvent point être introduites dans cette enceinte d'une manière légère ou prématurée.

L'honorable M. Castiau nous a indiqué en troisième lieu l'impôt du sel. Eh bien, messieurs, je dis que ce n'est pas là la réforme la plus urgente que demande le peuple en Belgique. L'impôt du sel est beaucoup moins élevé en Belgique que dans d'autres pays ; on ne peut pas dire que l'impôt du sel soit porté chez nous à un taux exagéré. Si nous voulons introduire du bien-être pour les classes inférieures, ne l'oublions pas, nous ne pouvons arriver à ce résultat que par un bon système financier ; si nous voulons faire du bien à ceux qui n'ont rien, il ne faut pas que le pays se dessaisisse des moyens d'introduire ces perfectionnements qui, en définitive, doivent toujours se résoudre en dépenses.

Si vous appauvrissez le budget par des réductions irréfléchies, alors ne songez pas à apporter des améliorations efficaces au sort des classes malheureuses ; ce n'est que par des dépenses bien faites, sagement faites, mais enfin ce n'est que par des dépenses réelles que vous arriverez à ces améliorations.

Appauvrir le budget par des réductions irréfléchies, exagérées, c'est appauvrir, je ne crains pas de le dire, les ressources qui doivent être ménagées pour l'amélioration du peuple.

Enfin, la quatrième réforme indiquée par l'honorable membre, c'est la suppression du timbre des journaux du pays.

Sous ce rapport encore (et nous ne voulons pas ici établir une lutte d'amour-propre ; nous sommes les premiers à rendre hommage aux sentiments qui dirigent l'honorable député), sous ce rapport encore, l'honorable membre voudra bien se rappeler que, dans la dernière discussion, lorsque nous avons pris l'initiative de la réduction du timbre pour le transport des journaux, le cabinet, par l'organe de mon honorable ami M. le ministre des travaux publics, a fait connaître à la chambre le désir qu'il avait d'introduire une réduction dans l'impôt du timbre.

L'honorable préopinant s'est arrêté là, et a fini, en nous disant : « Ces améliorations que je vous indique et tant d'autres encore...» Eh bien, messieurs, ces autres améliorations, je les indiquerai à l'honorable M. Castiau. L'honorable membre nous a dit que, dans un pays voisin, pour lequel d'ailleurs nos sympathies ne peuvent être douteuses, on venait de passer des doctrines aux actes, des théories aux faits.

Messieurs, je désire pour ce noble pays que les théories généreuses, proclamées dans ces derniers temps, puissent recevoir leur application. Nous serions heureux, éclairés par une telle expérience, de pouvoir transporter chez nous des améliorations efficaces, dont nous trouverions l'exemple dans un pays voisin. Mais qu'on me permette de le dire : jusqu'ici, ces théories sont restées à l'état de pures théories, elles existent dans les programmes ; avant de les juger, il faut les voir traduites en lois ; il faut voir ces lois mises en œuvre...

Des membres. - Très bien !

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, si nous avons proclamé des sympathies en faveur des classes populaires, nous avons eu soin aussi de les faire passer dans la législation. En dernier lieu, nous avons apporté dans cette enceinte une grande loi, dont le but principal était précisément d'améliorer, d'une manière étendue et profonde, le sort des classes populaires et malheureuses.

La veille même où ce grand mouvement si étonnant, si inattendu, éclatait dans un pays voisin, comme par une espèce de pressentiment qui ne permettait pas en quelque sorte à la Belgique de se laisser devancer par ce grand événement, le ministère a déposé sur le bureau cette loi que nous recommandons de nouveau à votre attention patriotique, cette loi qui, nous l'espérons, restera comme un gage des sympathies efficaces et sincères du gouvernement en faveur des classes laborieuses.

Si, comme je n'en doute pas, l'honorable préopinant est pressé de voir passer dans les actes les idées généreuses en faveur des classes populaires, qu'il s'applique à soutenir les différentes propositions qui sont contenues dans le projet de loi.

Je voudrais que dès à présent la chambre pût détacher de ce grand projet de loi les divers articles qui pourraient être appliqués immédiatement d'une manière utile. Ces articles, suffisamment justifiés, pourraient être compris dans un projet de loi spécial. Ce n'est pas à dire que nous renoncions à aucune des autres propositions ; suivant nous, tous ces articles se tiennent et sont en quelque sorte solidaires ; ce n'est qu'à raison des circonstances où nous nous trouvons, que nous pourrions consentir à voir scinder un projet qui dans notre pensée reste toujours complet.

Voici ce qu'on pourrait détacher du projet de loi général :

Nous demandons pour l'amélioration de la voirie vicinale, 1,000,000 fr. ;

Pour la formation de nouveaux centres de population (soit dans les parties isolées des Flandres, soit dans la Campine), 500,000 fr.

Pour essais d'émigration et de colonisation d'indigents des Flandres, 500,000 fr.

Pour l'introduction, dans les Flandres, d'industries nouvelles et pour le développement d'industries déjà existantes, 500,000 fr.

Pour la construction et l'ameublement d'écoles, 100,000 fr.

Pour travaux d'hygiène (et j'appelle l'attention de la chambre sur cet article qui, d'ailleurs, n'est pas nouveau ; car il me sera permis de rappeler que dès 1835, ayant l'honneur d'occuper la place que j'occupe aujourd'hui, j'avais déposé le germe de cette amélioration dans le projet de budget que je ne fus pas appelé à discuter comme ministre), pour travaux d'hygiène publique, ayant spécialement pour objet l'assainissement des villes et communes, dans les quartiers occupés par les classes ouvrières, 1,000,000 fr.

Voilà quelques-uns des articles qui pourraient devenir l'objet d'une loi spéciale.

Chacun des articles du projet de loi général est justifié par un exposé de motifs assez développé ; ces exposés, pour les articles que je viens d'énumérer, sont imprimés ; j'engagerai la chambre à vouloir bien commencer l'examen de la loi par ces articles ; elle continuerait, d'ailleurs, l'examen des autres articles, à mesure que les exposés des motifs lui seraient fournis. Quand la chambre aura voté les mesures qui lui sont proposées en ce moment, est-ce à dire que son œuvre sera finie, qu'il ne restera plus rien à faire ? Non, messieurs. Le gouvernement, fort de l'appui sympathique qu'il reçoit sur tous les bancs de la chambre, méconnaîtrait sa mission, manquerait à ses devoirs s'il ne continuait à marcher dans la voie dans laquelle il est entré aujourd'hui, à y marcher non avec une aveugle précipitation, mais avec une sage mesure, sachant suivant les circonstances faire un pas en avant, mais sachant encore résister à de fâcheux entraînements.

Nous devons, messieurs, nous devons donner de grands exemples au pays, de grands exemples aux nations voisines. Continuons à discuter les améliorations politiques et les améliorations matérielles du pays, avec calme, avec ensemble, avec cet esprit patriotique qui distingue nos discussions. Donnons à nos populations la preuve que leur représentation nationale est profondément pénétrée de leurs besoins ; marchons avec calme, marchons pleins de confiance en nous-mêmes, et cet exemple que nous donnerons produira les effets les plus salutaires sur tous nos concitoyens.

(page 996) Ce dont la Belgique a le plus besoin en ce moment, c'est de calme, de confiance, d'espoir dans l'avenir, de foi dans la solidité de ses institutions, dans son inviolabilité territoriale et son inviolabilité politique. Peu d'époques peut-être auront marqué pour la Belgique d'une manière plus grande que celle à laquelle nous assistons.

Tâchons, messieurs, de nous maintenir toujours à la hauteur de cette position, à la hauteur de notre mandat ; pénétrons-nous de la gravité des circonstances, pénétrons-nous de la gravité de nos devoirs, sachons tous les remplir en hommes d'honneur, en hommes de cœur, en patriotes ! (Très bien ! très bien ! Applaudissements !)

M. Castiau. - Que de choses j'aurais à répondre à tout ce qui vient de se dire dans cette séance, et combien je regrette de ne pouvoir donner à ma réplique tous les développements qu'elle comporte. Les questions se pressent et se heurtent, et le temps me manque pour les traiter. L'impatience de l'assemblée est extrême, et elle veut en finir immédiatement. Sans cette impatience passionnée, avec quelle facilité et avec quel plaisir j'aurais d'abord fait justice de l'audacieux paradoxe historique que M. Dechamps vient de produire dans cette enceinte ! La Belgique, vous a-t-il dit, jouissait de toutes les libertés avant 1789. Elle était, avant la France, en possession d'un gouvernement représentatif. Un gouvernement représentatif ! le gouvernement des abbés et de l'aristocratie ! S'il m'avait été permis, dans un tel moment, de traiter une question historique, je vous aurais démontré ce qu'étaient ces libertés si vantées et le prétendu gouvernement représentatif. Vous auriez été obligés de reconnaître qu'il n'existait pas alors des libertés, mais des privilèges. Le peuple n'était rien, et le pays tout entier était insolemment exploite par la triple ligue du clergé, de l'aristocratie et des privilégiés.

Mats comment traiter de telles questions en présence de l'impatience de la chambre et quand je me trouve moi-même sous le poids d’une inexprimable émotion ?

Laissons donc les questions historiques pour la question si palpitante de notre nationalité.

Oh ! sur ce terrain, c'est merveille de voir tous les dévouements et tout le patriotisme qui éclatent dans cette enceinte ! C'est à qui déploiera le plus d'exaltation et de courage. Chacun se décerne modestement la palme du patriotisme. Il semble vraiment que la patrie est en danger et que l'ennemi soit à nos portes. On se passionne jusqu'à l'enthousiasme. On promet de verser jusqu'à la dernière goutte de son sang pour sauver l'indépendance du pays. Déclamations que tout cela !

Est-ce que, par hasard, vous vous croyez le droit de vous attribuer le monopole exclusif du courage et du patriotisme ? Est-ce que vous vous croyez, plus que moi, sensibles à l'honneur du nom belge, à notre indépendance, à nos libertés, à nos droits ? Mais qui donc, de vous ou de moi, les a le plus courageusement défendues ces libertés, quand chaque jour elles étaient violées par les mutilations de l'esprit réactionnaire.

Rassurez-vous donc, grands citoyens. Je suis Belge comme vous. Le sang belge coule aussi dans mes veines, et autant que personne dans cette enceinte, je tiens à l'honneur du nom belge et à l'indépendance de mon pays.

Savez-vous quelle différence existe entre vous et moi ? C'est que je crois ; moi, à notre neutralité et à notre indépendance. C'est que, vous, vous ne croyez ni à notre neutralité, ni à notre indépendance. (Violente interruption.)

Non, vous ne croyez pas à notre nationalité ; non, vous ne croyez pas à notre indépendance. Je n'en veux d'autre preuve que l'exagération de vos démonstrations. C'est la peur qui les provoque et qui vous transporte. Et elle vous domine tellement qu'elle vous entraine à des démonstrations qui, par leur exagération, finiraient par devenir un danger pour le pays, parce qu'elles ressembleraient à un défi jeté à la France. Heureusement pour vous, vous serez, dans cette circonstance, comme toujours, protégés par la générosité et la grandeur de la France.

Je n'ai pas peur, moi, et j'ai foi dans notre nationalité et notre indépendance. Voilà pourquoi je refuse de m'associer à vos protestations et à vos démonstrations. J'ai foi dans notre droit et j'ai foi dans la loyauté et la justice de la France. Aussi, je reste calme, confiant et plein d'espoir dans l'avenir.

Si vous partagiez ma confiance, si vous aviez, comme moi, le sentiment de notre droit et de notre indépendance, vous auriez aussi le calme et la modération que donne le sentiment du droit. Mais, je le répète, vous ne croyez pas vous-mêmes à notre nationalité, à notre indépendance. Vous vous agitez, vous vous passionnez, vous protestez sur tous les tons et de toutes les manières. 1829 est là pour rappeler la valeur de vos démonstrations et de vos protestations.

J'en ai fini avec cette question brûlante, et je vous ai dit tout ce que j'avais sur le cœur.

Il ne me reste plus qu'à adresser un seul mot de réponse à M. le ministre de l'intérieur.

S'il faut l'en croire, personne n'aurait osé aller aussi loin que lui. Mon imagination même, dans ses plus grands entraînements, n'aurait jamais osé rêver l'abaissement du cens électoral à 20 florins. M. le ministre s'est trompé. Il y a douze ans que j'ai réclamé, dans une publication, l'uniformité et l'abaissement du cens électoral à 20 florins. Il y a quelques semaines encore, j'ai développé de nouveau cette opinion dans la section à laquelle j'appartenais. Ne pouvant la faire triompher, j'avais proposé, du moins, l'abaissement du cens politique au niveau du cens municipal ; mais j'ai encore échoué, et M. le ministre, qui était membre de cette section, s'est bien gardé alors d'appuyer aucune de mes propositions.

Quant aux améliorations dans l'intérêt des classes pauvres, ce n'est pas d'une manière épisodique que nous pouvons aujourd'hui traiter cette question. J'ai cru devoir appeler l'attention de la chambre et du gouvernement sur la question principale, sur celle des subsistances. Sur ce point je ne puis être satisfait, je dois le dire, de la réponse de M. le ministre.

D'abord, quant à l'introduction du bétail, que dit-on ? Elle est libre maintenant ; oui, mais c’est une loi exceptionnelle qui l'établit ; elle va expirer dans quelques mois. Quelle est l'intention du gouvernement ? Est-elle de continuer ce régime de liberté ou de nous faire retomber sous le régime de protection qui existait auparavant et qui avait pour but de renchérir le prix du bétail ?

Des doutes existent également sur les intentions du gouvernement, quant à l'abolition de la loi sur les céréales. Que veut-il et quelles sont ses intentions ? J'aurais voulu que la déclaration du gouvernement fût plus explicite sur ce point, que dès à présent il prît l'engagement et reconnût la nécessité de faire disparaître toutes ces entraves et ces charges qui pèsent sur les subsistances et le pain du peuple.

Mais la principale réforme, c'est la réforme de notre système financier et la refonte des impôts. Je sais qu'on a souvent parlé de réformes et d'améliorations à introduire dans notre législation en faveur des classes pauvres ; je sais que le vœu en a été cent fois manifesté dans cette enceinte. Mais il faut enfin en finir avec ces sympathies stériles et ces promesses dérisoires. Il faut enfin aborder ces réformes si souvent promises et dont la Constitution impose la réalisation. Que de fois déjà n'ai-je pas eu l'occasion de rappeler au gouvernement l'obligation qui lui était imposée non seulement par ses engagements, mais par la Constitution elle-même, de s'occuper de la révision de notre système financier ? Et l'on nous répond aujourd'hui en nous refusant même la suppression de l'odieux impôt sur le sel ! Cette réforme cependant serait bien autrement juste et populaire que cette série de mesures annoncées par M. le ministre, et dont l'exécution imprévoyante serait de nature à ruiner le pays.

La première, la plus urgente de toutes les réformes, je le répète, c'est la révision de l'ensemble de notre système financier. Il faut enfin que ce système soit en harmonie avec les principes d'équité et d'égalité dont on a si souvent parlé et qu'on est si peu pressé d'appliquer. Il faut que votre nouveau système d'impôts vienne dégrever les classes pauvres ; il faut surtout qu'il cesse de faire peser sur ces classes un impôt aussi immoral que l'impôt du sel, que M. le ministre a pris sous son patronage. Il faut que votre système d'impôts prenne l'argent où il se trouve, qu'au lieu de peser sur le nécessaire du pauvre, comme il le fait trop souvent, il soit reporté sur le superflu du riche.

Voilà la grande, l'immense réforme dont MM. les ministres devraient s'occuper à l'instant ; cette réforme serait de nature à réaliser les améliorations les plus populaires ; elles valent un peu mieux, ce me semble, que le malencontreux projet d'un emprunt de 78 millions.

Après toutes les questions passionnées que nous avons agitées, après ces mouvements oratoires de toute espèce dont nous avons été témoins, j'ai peine à en revenir à mon modeste amendement, qui paraît avoir été emporté dans la bourrasque et dont il n'a pas été question. Personne n'en a parlé ; personne ne s'en est occupé. Qu'est-ce à dire ? Que mon amendement réunit la sympathie générale ? Oui, me dit-on. Alors j'accepte cette déclaration, et j'espère que l'adhésion qui m'est donnée par un de mes honorables voisins, sera ratifiée par l'assemblée tout entière. Car je ne demande que le retour pur et simple à la législation de 1831. Je demande qu'à l'avenir on se contente de la possession du cens électoral pendant l'année qui précède celle de l'élection. Quant aux alarmes de ceux qui craignent que l'on n'abuse de cette faculté, que l'on ne vienne produire encore de faux électeurs, j'ai répondu à ces craintes qui me paraissent chimériques, mais que cependant je veux dissiper, en présentant une garantie, celle d'une pénalité pécuniaire assez grave pour effrayer ceux qui seraient, de nouveau, tentés de recourir à des fraudes déjà stigmatisées par l'opinion publique.

M. le président. - Je crois que l'amendement a été présenté comme devant former l'article 3, et dès lors il doit faire l'objet d'une discussion spéciale. Pour le moment, nous sommes dans la discussion générale.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je veux faire remarquer à l'honorable M. Castiau que si je n'ai pas parlé de son amendement, c'est qu'il m'a paru que ce n'était pas le moment. Nous sommes dans la discussion générale. Je me réserve de prendre la parole lorsque nous nous occuperons des articles et que l'amendement de l'honorable M. Castiau sera mis en discussion.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le cens électoral pour la nomination des membres de la chambre des représentants est fixé, pour tout le royaume, au minimum établi par la Constitution (20 fl., soit fr. 42-32). »

- Adopté.


« Art. 2 Les électeurs continueront à se réunir au chef-lieu du district administratif, dans lequel ils ont leur domicile réel.

- Adopté.

Article 3

M. le président. - L'amendement présenté par M. Castiau formerait l'article 3. La discussion est ouverte sur cet amendement.

(page 997) M. Verhaegen. - Messieurs, je le déclare franchement et sans arrière-pensée, je ne pourrais voter pour cet amendement. La raison s'en trouve dans nos discours de 1843. C'est de nos bancs qu’est partie la proposition dont l'honorable M. Castiau demande le retrait. Nous avons signalé alors tous les dangers de la situation précédente, et c'est en pleine connaissance de cause et après y avoir bien réfléchi, que la mesure a été adoptée.

Pour ne pas prendre inutilement les moments de la chambre, je m'en réfère à ce que j'ai dit à cette époque.

M. Malou. - L'honorable M. Castiau vient de dire qu'il propose une garantie suffisante. Cette garantie avait aussi été proposée en 1843 et elle a été reconnue insuffisante.

M. Castiau. - Pourquoi ?

M. Malou. - Je vais vous le dire.

Je n'ai qu'à lire quelques lignes du rapport que j'ai eu l'honneur de faire au nom de la section centrale. Elles démontreront, je pense, à la chambre et à l'honorable M. Castiau lui-même, qu'il faudrait entrer dans plusieurs distinctions, qu'il faudrait résoudre plusieurs questions avant de pouvoir adopter ce principe.

Le délit nouveau pourrait-il être caractérisé ? Je m'arrête à cette première question.

L'honorable M. Castiau dit : Les déclarations relatives aux bases du cens électoral qui seraient reconnues fausses, seront punies d'une amende de 500 à 1,000 fr. Mais punirez-vous celui qui, possédant les bases du cens, en exagère la valeur de manière à se procurer la qualité d'électeur ?

Voilà déjà un fait qui ne tombe pas sous l'application de l’amendement de l'honorable M. Castiau, et ce sera le plus fréquent. La proposition ne caractérise donc pas réellement le délit.

« L'action appartiendrait-elle au ministère public seul, et, dans ce cas, aurait-on fait quelque chose de sérieux pour réprimer les fraudes ? Appartiendrait-elle, au contraire, à tout individu jouissant des droits civils et politiques, et, dans ce cas, à combien de vexations, à quels inconvénients ne s'exposerait-on pas, sans même obtenir de résultats complets ? L'individu porté sur la liste et contre lequel une condamnation pour déclaration exagérée ou fausse serait ensuite prononcée, pourrait-il voter ou bien serait-il rayé, et comment le serait-il ? Pourrait-on placer, par la loi, tous les contribuables entre la crainte de deux pénalités, l'une de la part du fisc, s'ils déclarent trop peu, l'autre fondée sur des motifs politiques, s'ils déclarent trop ? »

Je pense, messieurs, que cette citation suffit pour démontrer à la chambre qu'il est impossible d'adopter aujourd'hui incidemment et sans examen un changement complet de système, et qu'il ne suffirait pas d'un simple article, qu'il faudrait organiser les moyens d'exécution de ce système.

M. de Brouckere. - Messieurs, je comprends parfaitement, et la chambre comprendra sans doute comme moi, les intentions qui animent l'honorable M. Castiau. Il veut que les citoyens qui payent le cens qui donne le droit d'élire, puissent jouir de ce droit le plus tôt possible.

Mais, messieurs, je crains que les inconvénients qui pourront résulter de la proposition de l'honorable M. Castiau ne soient pas contrebalancés par les avantages qui en seront la suite. En effet, en 1843, on a signalé les fraudes nombreuses qui avaient eu lieu sous l'empire de la législation de 1831, et c'est pour prévenir ces fraudes que la législation a été changée.

L'honorable M. Castiau vous présente un remède contre ces fraudes, en établissant une peine contre tout citoyen qui aurait fait une fausse déclaration. Mais, comme l'a dit l'honorable M. Malou, c'est un système entièrement nouveau que l'honorable M. Castiau nous présente, système dont il nous est impossible d'apprécier les conséquences sans qu'il ait été soumis à un examen approfondi. Déjà l'honorable M. Malou a indiqué quelques difficultés qu'on rencontrerait dans l'application de ce système ; je pourrais en signaler d'autres et de très graves. Mais pour ne pas abuser des moments de la chambre, je crois bien faire en lui proposant de renvoyer l'amendement de l'honorable M. Castiau à l'examen des sections. On en ferait un projet de loi spécial, et lorsqu'il aura été soumis à l'examen attentif des sections et d'une section centrale, nous pourrons juger alors si ce système, avec les modifications qu'on y introduira, sera de nature à prévenir les inconvénients que nous avons signalés.

M. Castiau. - Pour abréger la discussion, je consens au renvoi de ma proposition aux sections.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le principe que la chambre va faire passer dans notre législation exigera nécessairement une nouvelle loi d'application, d'organisation. Le gouvernement s'occupe en ce moment de réunir les éléments nécessaires pour mettre la loi électorale en harmonie avec le nouveau principe que nous venons de décréter. La proposition de l'honorable M. Castiau trouvera nécessairement sa place dans la discussion de cette loi d'organisation, de cette loi d'application.

C'est une observation qui déjà avait été faite à l'honorable M. Castiau lorsqu'il a présenté son amendement au sein de la section centrale.

M. Castiau. - J'attendais l'annonce de la présentation de ce projet, pour déclarer que je consentais à y rattacher mon amendement.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 85 membres présents.

Ce sont : MM. Zoude, Anspach, Biebuyck, Brabant, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Castiau, Clep, Cogels, d'Anethan, David, de Baillet-Latour. de Bonne, dé Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Roo, Desaive. de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (aîné), A. Dubus, Dumont, du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Henot, Jonet, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Simons, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII.

La chambre décide qu'elle se réunira lundi à 3 heures.

- La séance est levée à 3 heures et demie.