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Congrès national de Belgique
Séance du lundi 13 décembre 1830

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)

(page 389) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)

Lecture du procès-verbal

La séance est ouverte à dix heures et demie (P. V.)

M. Henri de Brouckere, secrétaire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal. (C., 15 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, à propos de la pétition adressée au congrès par M. Leclercq, présentant un plan de finances concipié par lui, on a cru que c'était moi qui avais inventé ce mot, pour jeter du ridicule sur le pétitionnaire. Messieurs, si j'avais le malheur d'avoir l'esprit tourné vers la mauvaise plaisanterie, ce n'est pas devant vous que je voudrais m'en permettre ; je respecte trop d'ailleurs le droit de pétition pour vouloir ridiculiser les demandes des pétitionnaires, quelles qu'elles puissent être : lorsque je donne lecture des pièces déposées sur le bureau, je vous prie donc d'être bien convaincus que je les lis telles qu'elles sont, sans me permettre d'y rien changer. (U. B., 15 déc.)

M. le président – On n'a pas d'autres réclamations à faire ?... Le procès-verbal est adopté. (U. B., 15 déc.)

Pièces adressées au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, qui a repris sa place au bureau, présente l'analyse des pièces suivantes :

M. Levae demande qu'on établisse dans chaque province une commission pour rechercher les titres au moyen desquels les fonctionnaires ont obtenu leurs nominations, et que toutes les publications officielles se fassent en flamand aussi bien qu'en français.


M. Declercq, marchand de poisson à Ostende, expose que les Hollandais introduisent beaucoup de poisson en fraude, et demande que tout poisson qui arrivera sans acquit de la Hollande soit confisqué au profit des pauvres.


M. Cohin réclame contre les irrégularités commises dans les élections municipales de la commune de Watermael-Boisfort.


M. Raimond, de Bouillon, demande que, dans le cas où le duché de Luxembourg serait occupé par l'ennemi, on proteste du moins contre l'occupation du duché de Bouillon qui fait partie de la Belgique sans aucune contestation.


M. le comte de Rangraff envoie au congrès une copie de ses lettres au gouvernement provisoire et à M. Raikem, pour prouver qu'il n'est pas (page 390) un instigateur d'assassinat, un espion du gouvernement français, ni un fou. (Rire.) Il demande formellement au congrès de pouvoir passer pour un homme sensé et non pour un fou. Il demande aussi que M. l'avocat Dereux, son procureur général, soit obligé à lui rendre compte de ses affaires. (Longue hilarité.)


M. Jonnard, pharmacien à Marche, demande l'abrogation de la loi du 12 mars 1818, qui, anti-sociale, immorale de fait et dans ses résultats, permet aux médecins de vendre des drogues.


M. le chevalier de Bousies présente quelques observations, qui pourront peut-être être prises en considération lors de la rédaction des libertés belgiques. (P. V.)


Trois pétitions anonymes, une en flamand, datée de Saint-Nicolas, une autre datée de Gand et la troisième de Rheims, sont anéanties. (C., 15 déc.)


- Les autres pièces sont renvoyées à l'examen de la commission des pétitions. (U. B., 15 déc.)


M. Neuville fait hommage au congrès de : Esquisses d'un système d'institutions politiques.

- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)


M. Coquilhat présente un projet d'organisation militaire de la Belgique.

- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)


M. Clément Zunten fait hommage au congrès de sa Philippéide.

- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)


Rapports sur des pétitions

M. Constantin Rodenbach – M. le président, veut-il me permettre de faire un rapport sur deux pétitions ? (U. B., 15 déc.)

M. le président – M. Rodenbach a la parole. (U. B., 15 déc.)

Création d'une école vétérinaire

M. Constantin Rodenbach – Organe de la commission des pétitions, j'ai l'honneur de vous faire un rapport sur deux pétitions qui ont été adressées au congrès : la première par M. Brabant, artiste vétérinaire à Namur ; elle est accompagnée d'un projet d'établissement d'une école vétérinaire en Belgique. Considérant que cette pétition contient des vues excellentes, et que le projet qui l'accompagne présente des considérations importantes pour l'utilité publique, votre commission des pétitions a cru devoir vous proposer le renvoi au comité de l'intérieur. Ce renvoi me parait d'autant plus fondé, que déjà, d'après des renseignements qui m'ont été transmis par M. Lesbroussart, administrateur de l'instruction publique, le comité de l'intérieur s'occupe depuis plus de deux mois de l'organisation d'une école vétérinaire. (J. F., 15 déc.)

- Ce renvoi est ordonné. (P. V.)


M. Constantin Rodenbach – L'autre pétition est adressée au congrès par M. Chevron, de Liége, qui demande qu'une nouvelle monnaie nationale soit frappée, représentant le gouvernment provisoire. Votre commission, vu qu'il était de toute importance de modifier ou de changer la loi actuelle des monnaies, a l'honneur de vous proposer le renvoi au comité des finances. (J. F., 15 déc.)

- Ce renvoi est ordonné. (P. V.)

Renouvellement des sections

M. le président – Vu l'heure avancée dans la dernière séance, nous n'avons pas pu procéder au tirage des sections ; nous allons nous en occuper. (U. B., 15 déc.)

- On procède par la voie du sort au renouvellment des sections ; elles sont composées comme suit :

PREMIÈRE SECTION : M. le chevalier de Theux de Meylandt, Teuwens, Thonus, de Schiervel, Vandenhove, Collet, de Sebille, Thienpont, le comte de Baillet ,Van Snick, Annez de Zillebeecke, Zoude (de Saint-Hubert), Deleeuw, Nopener, Morel-Danheel , Charles Coppens, Van Meenen, Camille de Smet, Beaucarne, Mulle.

DEUXIÈME SECTION : MM. Le Bègue, Verwilghen, de Labeville, Théophile Fallon, Claes (d'Anvers), Speelman-Roornan, de Lehaye, Claus, le baron Osy, Domis, le baron d'Huart, le comte Cornet de Grez, Van de Weyer, Gelders, de Ryckere, le vicomte Desmanet de Biesme, Werbrouck-Pieters, Joos, Defacqz, Dams.

TROISIÈME SECTION : MM. Trentesaux, Devaux, Gustave de Jonghe, Barbanson, le baron de Viron, Vergauwen-Goethals, Maclagan, Bredart, Lesaffre, le baron de Sécus (père), Henri Cogels, le comte d'Arschot, Cauvin, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Masbourg, Huysman d'Annecroix, Destriveaux, le baron de Coppin, Serruys, d'Hanis van Cannart.

QUATRIEME SECTION : MM. le baron de Meer de Moorsel, Jacques, (page 391) Fransman, de Roo, le baron de Terbecq, de Man, Roeser, Gendebien (père), l' abbé Van Crombrugghe, le comte de Bergeyck, Constantin Rodenbach, Ooms, Peemans, Olislagers de Sipernau, Nothomb, le remplaçant de M. Orban à Liége (Note de bas de page : M. d’Omalius-Thierry), Dumont, le baron Beyts, Davignon, Le Grelle.

CINQUIÈME SECTION : MM. Helias d'Huddeghem, Janssens, Wannaar, Hippolyte Vilain XIIII, Vandorpe, l'abbé Dehaerne, le comte Werner de Mérode, l'abbé Vander Linden, le baron de Stockhem-Méan, Lardinois, Lbeau, Surmont de Volsberghe, Blomme, l'abbé Andries, de Langhe, Lecocq, l'abbé Verduyn, Buylaert, Watlet, d'Martigny.

SIXIÈME SECTION : MM. Charles Rogier, Liedts, le comte de Quarré, David, de Selys Longchamps, Alexandre Rodenbach, le baron de Liedel de Weil, de Tiecken de Terhove, Jean-Baptiste Gendebien, de Rouillé, Du Bus, le comte de Robiano, Fendius, de Gerlache, Charles Le Hon, le baron de Stassart, Lfebvre, de Robaulx, Thorn, Berger.

SEPTIÈME SECTION : MM. Geudens, le baron de Woelmont, Goethals-Bisschoff, Wyvekens, Hennequin, Henry, Charles de Brouckere, le baron de Pélichy van Huerne, Simons, Barthélemy, Nagelmackers, Kockaert, Le Bon, le marquis d'Yve de Bavay, Du Bois, Albert Cogels, Pettens, François, le comte de Rnesse, le baron Van Volden de Lombeke.

HUITIÈME SECTION : MM. Le comte d'Ansembourg, Blargnies, Coppiters, Alexandre Gendebien, le vicomte de Jonghe d'Ardoie, le comte Duval de Beaulieu, le baron Joseph d'Hooghvorst, Van Innis, d'Hanens-Peers, Eugène de Smet, l'abbé Verbeke, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Pirson, Frison, le comte de Celles, Goffint, Allard, Jean Goethals, Jottrand, l'abbé Boucqueau de Villeraie.

NEUVIÈME SECTION : MM. Fleussu, Delwarde, de Decker, l'abbé de Foere, Dehemptinne, Henri de Brouckere, le marquis de Rodes, l'abbé Wallaert, Pirmez, l'abbé Corten, Destouvelles, Forgeur, de Nef, le comte Félix de Mérode, Buyse-Verscheure, le baron de Leuze, Bosmans, Seron, Peeters, Van Hoobrouck de Mooreghem.

DIXIEME SECTION : MM. Le baron Surlet de Chokier, de Thier, Nalinne, le vicomte Charles Vilain XIIII, Raikem, de Muelenaere, François Lehon, Van der Belen , l'abbé Joseph de Smet, de Behr, Van der Looy, de Coninck, Roels, l'abbé Pollin, de Ville, Lclercq, le baron Frédéric de Sécus, Baugniet, Béthune, Marlet. (P. V.)

Situation politique et diplomatique du grand-duché de Luxembourg

M. le président donne lecture d'une lettre du président du comité diplomatique, qui, d'après les désirs manifestés par le congrès, envoie un mémoire sur la situation politique du grand-duché de Luxembourg. (U. B., 15 déc.)

M. le président – L'assemblée veut-elle en entendre la lecture ? (U. B., 15 déc.)

- Plusieurs voix – Non ! Non ! l'impression et la distribution ! (U. B., 15 déc.)

M. le président – Le mémoire sera imprimé et distribué. M. Nothomb a la parole. (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb – Comme député, je désire ajouter quelques observations au mémoire présenté par le gouvernement. (U. B., 15 déc.)

- Plusieurs voix – C'est inutile, nous ne le connaissons pas. (U. B., 15 déc.)

M. Lebeau – Vous parlerez quand le mémoire sera imprimé. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Messieurs, M. Nothomb désire fournir des éclaircissements au congrès sur les questions traitées dans le mémoire. Ces éclaircissements vous en faciliteront l'intelligence : je pense que vous devez les écouter. (U. B., 15 déc.)

M. de Langhe – Comment pouvons-nous apprécier ces éclaircissements ? Nous ne connaissons pas la pièce. (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb – Vous le pourrez sans connaître la pièce. (U. B., 15 déc.)

M. Forgeur – Ne serait-il pas possible d'imprimer les observations de M. Nothomb à la suite du mémoire ? (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb – Non. (U. B., 15 déc.)

M. Forgeur – Qu'on attende à demain, car (page 392) il faut de toute nécessité connaître le mémoire. (U. B., 15 déc.)

Un dialogue animé s'établit entre M. Nothomb et divers membres de la chambre, qui lui adressent à la fois des interpellations. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Au lieu de discuter ainsi, il vaut mieux que l'assemblée décide si elle entendra aujourd'hui M. Nothomb. Ceux qui sont d'avis d'entendre M. Nothomb sont priés de se lever.

- Vingt membres au plus se lèvent. (U. B., et E., 15O déc.)

. M. le président, à M. Nothomb : Vous le voyez, on ne veut pas vous entendre. (On rit.)

Exposé de la situation des services d'administration générale

Rapport sur la situation des services confiée au chef du comité de la sûreté publique

L'ordre du jour est le rapport de M. le directeur de la police ou de la sûreté publique. Est-il là ? (Un huissier va le chercher.) (U. B., 15 déc.)

M. Camille de Smet – Pour épargner du temps, je propose de faire imprimer et distribuer le rapport de M. Plaisant. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Je répondrai à M. de Smet que, dans la dernière séance, le congrès a décidé qu'il entendrait ce rapport aujourd'hui. (U. B., 15 déc.)

M. Camille de Smet – Je ne connaissais pas cette décision. (U. B., 15 déc.)

- L'huissier qui était allé cherché M. Plaisant annonce qu'il n'est pas encore arrivé. (U. B., 15 déc.)

Projet de Constitution

Question de principe relative au sénat

Discussion générale

M. le président – M. Plaisant ne se trouve pas là ; ce n'est pas au congrès à l'attendre. L'ordre du jour appelle la discussion sur les questions relatives au sénat ; il y a des orateurs pour, contre et sur le sénat ; j'appelle d'abord un de ces derniers. M. Zoude a la parole. (U. B., 15 déc.)

M. Zoude (de Saint-Hubert) – Messieurs, je ne vous dirai rien de nouveau sur la question soumise à votre délibération attentive, je chercherai seulement à justifier mon vote pour l'établissment de deux chambres ; et je fonde mon opinion à cet égard sur un principe général en fait de législation ; c'est qu'une loi ne saurait être trop profondément réfléchie, ni trop sérieusement méditée ; c'est que le législateur en doit considérer si attentivement les rapports, la liaison de ses dispositions avec l'ensemble et le but de la loi, qu'elle ne puisse jamais présenter de contradiction, et cette contradiction est quelquefois si imperceptible, qu'elle ne se laisse déceler que lorsque la loi reçoit son application, c'est-à-dire, lorsque son imperfection a produit ses fruits.

J'ai voulu dire, messieurs, qu'il importe d'éviter la précipitation dans la confection des lois, afin de les préserver des tristes conséquences que la légèreté pourrait entraîner.

Or, cette précipitation ne serait-elle pas à craindre, si on confiait à une seule chambre le soin ou plutôt la charge de porter une loi qui pourrait être l'effet de l'égarement populaire, de l'intérêt d'un parti, ou bien du talent et de l'adresse d'un orateur dont l'éloquence aurait subjugué l'assemblée.

Et si, par suite d'un semblable entraînement, une mauvaise loi venait à s'échapper, qu'en résulterait-il ?

Ou la loi serait rapportée et le remède pourrait être aussi dangereux que le mal, parce qu'il décèlerait la versatilité du législateur, qui dès lors tomberait dans la déconsidération, en même temps que la loi perdrait de son caractère auguste, celui de commander le respect.

Ou bien la loi sera maintenue et la nation gémira sous son influence, parce que l'amour-propre du législateur aura préféré de laisser subsister le mal que de le réparer, en avouant publiquement ses torts ; telle est, messieurs, une partie des inconvénients d'une chambre unique.

Avec une deuxième chambre, au contraire, les projets de loi sont d'autant mieux mûris que l'on sait qu'ils doivent passer au creuset d'une assemblée composée d'hommes qui, par leur âge, sont censés avoir acquis plus d'expérience ; et puis, pendant le renvoi d'une chambre à l'autre, les projets sont soumis à une troisième épreuve, qui est aussi décisive que les autres, celle de l'opinion publique.

Ainsi, messieurs, une loi, avant d'être portée, aurait obtenu la triple sanction des deux chambres et de la nation ; à la vérité, le circuit entraînera quelquefois des lenteurs, mais le retard sera-t-il plus préjudiciable que la précipitation ? je ne le crois pas.

En administration, on sait qu'il faut quelqufois marcher vite pour ne pas laisser échapper le moment d'une mesure dont l'ajournement pourrait compromettre la chose publique.

Mais en législation, il faut se hâter lentement, agir avec réflexion, et je répéterai ici ce qui souvent a été dit, qu'il vaut mieux une bonne loi de moins, qu'une mauvaise loi de plus.

Jusqu'ici, messieurs, je me suis borné à dévlopper mon opinion en l'appuyant sur des considérations que je crois fondées en raison.

(page 393) Je l'appuierai maintenant par des exemples.

J’ai examiné toutes les institutions qui régissent les gouvernements constitutionnels des deux mondes, et partout j'y ai trouvé l'établissement de deux chambres.

On dira que cela ne prouve pas qu'une seule chambre ne puisse suffire.

Je répondrai à l'objection par un exemple puisé dans l'une des provinces de l'Union américaine, la Pensylvanie, qui est habitée par le peuple le plus doux du nouvel hémisphère ; là, on avait fait l'essai d'une seule chambre, et bientôt le pays fut en proie au déchirement et il n'a été sauvé de l'anarchie que par l'établissement de la deuxième chambre, à l'instar des autres républiques de la confédération.

Eh bien ! messieurs, pourquoi n'imiterions-nous pas l'exemple imposant de tous les peuples régis constitutionnellement ? et puis, si l'assentiment universel des nations est une des preuves de l'existence de la Divinité, ne devons-nous pas aussi admettre, comme point capital de l'existence d'un bon gouvernement constitutionnel, l'exemple de tous les peuples qui ont admis ou reconnu la nécessité des deux chambres ?

Je ne vous en ai parlé que dans le rapport d'une bonne législation ; d'autres vous démontreront qu'elles sont également indispensables pour maintenir l'équilibre entre les pouvoirs, ainsi que pour assurer la stabilité de l'État.

Messieurs, des regards d'espérance sont dirigés vers vous ; la nation attend avec confiance le pacte fondamental qui doit la préserver à jamais des scousses révolutionnaires.

Sa reconnaissance nous accueillera, si nous lui présentons un ouvrage digne d'elle, digne du siècle et de la position dans laquelle nous nous trouvons ; mais aussi sa malédiction nous accablera, si, méprisant l'expérience, nous nous laissons entraîner par des théories qui feraient sombrer le vaisseau de l'État.

Ayant ainsi considéré le sénat comme devant exercer une influence salutaire sur la législation, je mettrai sa nomination et la durée de ses fonctions en harmonie avec son importance.

En conséquence, je voterai pour que le sénat soit nommé par le chef de l'État, qu'il soit à vie, que le nombre en soit de la moitié au moins de la chambre élective, et des deux tiers au plus, à moins que, d'accord avec le chef de l'État, la chambre élective n'en décide autrement. (J. F., 15 déc.)

Exposé de la situation des services d'administration générale

Rapport sur la situation des services confiés au chef du comité de la sûreté publique

Pendant ce discours, M. Plaisant, administrateur général de la sûreté publique, est entré dans la salle. (U. B, 15 déc.)

M. le président consulte l'assemblée pour savoir s'il sera entendu. (Oui.) (J. F., 15 déc.)

(M. de Gerlache, vice-président, remplace M. le baron Surlet de Chokier au fauteuil.)

M. Plaisant, administrateur général de la sûreté publique, fait un rapport sur la situation des diverses branches de son département.

Des voix – L'impression ! l'impression ! (U. B., 15 déc.)

M. le président – L'assemblée donne acte à M. Plaisant du rapport qu'il vient de faire. (U. B., 15 déc.)

M. Forgeur – Je demande l'impression du rapport et des tableaux. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Le rapport sera imprimé. (U. B., 15 déc.)

Projet de Constitution

Question de principe relative au sénat

Discussion générale

M. le comte de Celles – Je réclame l'indulgence de la chambre, pour un discours dont le but est de soutenir une cause en quelque sorte désespérée. Plusieurs députés d'un talent distingué, d'un savoir profond, et animés des intentions les plus pures, ont fait valoir, soit dans les sections, soit au comité général, toutes les raisons qui peuvent déterminer le congrès à la création d'un sénat, d'une première chambre, ou à vie, ou héréditaire. Un très grand nombre de membres de l'assemblée paraissent décidés à suivre cette opinion ; mais l'orateur croit devoir développer son avis contre l'existence de deux chambres, dans le nouvel Etat dont la constitution se prépare : il veut faire entendre la voix de sa conscience, pour mériter sa propre estime et celle de ses collègues.

L'opinion en faveur des deux chambres a été défendue par beaucoup de citations et d'exemples. Il n'est pas hors de propos de renouveler, à cette occasion, des souvenirs récents. Lors de la composition, assez extraordinaire, du royaume des Pays-Bas, par l'amalgame de la Hollande et de la Belgique, on voulut aussi créer deux chambres ; la Hollande n'en avait qu'une par sa constitution de 1814. On crut qu'il en fallait deux, pour se donner, disait-on, une garantie de plus contre l'esprit démocratique. Mais à peine les membres (page 394) de la chambre, nommés à vie, furent-ils institués, que l'expression la plus modérée dont on se servit, en parlant de ce corps, fut celle de superfétation. Les plaintes du pays sur les abus du gouvernement furent accueillies tant bien que mal à la chambre élective ; mais elles vinrent expirer sur le seuil de la première chambre.

Ce n'est pas, pourtant, sous l'empire de pareils souvenirs que j'examine la question. Je remontrai plus haut, en consultant l'histoire.

On a dit que le système des deux chambres est devenu surtout nécessaire depuis la découverte d'une nouvelle pondération des pouvoirs. Mais ce système existait de temps immémorial en Espagne ; dans ce pays si vieux, on avait les ricos hombres ; et nous savons ce que les cortès y sont dvenues : on connaît aussi les magnats de Hongrie.

Depuis des siècles, on a eu deux chambres dans un royaume qui jouit, nous dit-on, d'une longue prospérité. L'Angleterre est toujours citée quand on veut préconiser le système de la pairie : là, en effet, se trouve le type de toute cette doctrine. Mais pouvons-nous créer une pairie anglaise ? elle est contraire à toutes nos institutions sociales. Si nous l'avions, cette aristocratie, je n'en demanderais pas la suppression ; mais il nous faudrait faire des expériences pendant des siècles, sans être certains de parvenir au même résultat.

Importée en France, la pairie anglaise n'a pu jamais y devenir nationale.

Ici. l'orateur passe en revue les diverses assemblées législatives qui ont successivement existé en France depuis 1789. Arrivé à la convention nationale, dont il déplore les excès, qui ne pourraient plus se reproduire de nos jours, et que la Belgique surtout n'aurait jamais à redouter, il continue - Je prie mes honorables collègues, trop enclins à tirer de cet exemple des arguments contre une chambre unique, d'observer que jamais la convention nationale ne fut libre, et qu'elle délibéra toujours sous l'influence des passions les plus tumultueuses ; circonstance où l'on n'aurait été ni plus sage ni plus heureux dans le système de deux chambres.

Après le 9 thermidor, vint la constitution de l'an III : on établit le conseil des Cinq-Cents et le conseil des Anciens : cela ne dura pas longtemps, et on n'en eut pas plus de garanties pour les principes.

Sous le consulat, il y eut un sénat, une chambre législative et un tribunat : quoiqu'au lieu de deux chambres, on s'en fût donné trois, cela ne dura pas longtemps non plus.

En Italie, sous le consulat et sous l'empire, la constitution créa deux corps législatifs ; l'un dei dotti, et l'autre dei possidenti, c'est-à-dire l'assemblée des savants et l'assemblée des propriétaires : comme je connais un peu les Italiens, je soupçonnerais volontiers qu'il y avait dans cette combinaison une épigramme contre les propriétaires. (On rit.) Quoi qu'il en soit, on n'en eut pas une législation meilleure.

Pour nous, messieurs, ne consultons que les mœurs des Belges, leur bon sens, leurs traditions historiques, incontestées et incontestables.

Nos heureux adversaires ont un système tout fait ; chez eux, tout marche d'accord ; nous autres, on ne sait pas même notre pensée. Il faut donc la dire ici tout entière.

Quand je demande qu'il y ait une seule chambre législative, c'est que je conçois l'administration de mon pays, non avec tout le système de la joyeuse entrée, mais avec toutes les libertés de la joyeuse entrée, de cette charte qui a servi de modèle à toutes les autres, et qui nous donnait une administration provinciale et municipale véritable, forte, protectrice des citoyens. C'est en Belgique, peut-être, que l'esprit de cité est né. Sachons honorer les institutions de notre pays. Je suis Belge avant tout, et j'aime la Belgique. J'aime la France comme France ; j'aime les Français comme des Français ; mais je ne veux pas leur emprunter leurs institutions. J'espère surtout ne devenir jamais habitant d'un département de la France : point de réunion des deux pays : restons Belges et conservons la Belgique indépendante, heureuse, d'après ses anciens usages.

- De toutes parts. - Bravo ! bravo ! (Applaudissements des membres du congrès et de l'auditoire placé dans les tribunes.)

M. le comte de Celles – On nous reproche de vouloir donner trop de force à la démocratie. Mais, entendons-nous sur la signification du mot démocrate. Quand je parle des aristocrates, je ne désigne pas les hommes qui rêvent le rétablissement de la féodalité, ou qui rattacheraient les serfs à la glèbe : je prends les mots tels qu'ils sont dans le dictionnaire. Qu'on veuille donc bien ne pas supposer qu'en ne redoutant point le principe démocratique, je parle en faveur de la démagogie. D'ailleurs, cet élément démagogique est-il si fort ? Où sont les hommes qui cherchent à tout renverser ? Rappelez-vous, messieurs, que nous sommes tous nommés au congrès sous cette influence démocratique. Avons-nous renversé beaucoup de choses ? Agissons-nous avec trop de précipitation ? C'est pourtant le grand danger que l'on trouve dans une chambre unique. Bien loin de croire que nous allions trop vite, (page 395) beaucoup de personnes pensent que nous sommes un peu lents. (On rit.) Et, dans ce que nous avons fait jusqu'ici, nous avons été, ce me semble, assez généralement approuvés par la nation. Je ne vois pas qu'une autre chambre ait besoin d'être là, pour corriger les épreuves de nos travaux. (Rire général.)

Vous craignez qu'une seule chambre ne soit entraînée trop facilement à improviser des lois. Messieurs, un pareil danger n'est point à redouter sous l'empire de la presse périodique, dégagée de toutes entraves, et avec la responsabilité ministérielle la plus étendue.

On parle du caractère un peu remuant de notre nation. Mais sommes-nous réellement de si grands révolutionnaires ? Depuis Charles-Quint, nous n'avons eu que trois véritables révolutions : et, en conscience, quand on a été si longtemps mal gouverné, ce n'est pas trop. (Rire général.)

La révolution des Belges contre Philippe II a été sanctionnée par les applaudissements de toute l'Europe. Une des révolutions qu'on nous reproche est celle que nous avons faite sous Joseph II. Mais, tandis que Joseph II donnait la liberté aux esclaves de la Bohême, pourquoi imposait-il des chaînes aux Belges libres ? D'ailleurs, quelque chose que l'on veuille alléguer en faveur de ses innovations, elles étaient contraires à un contrat que le monarque devait respecter. Quant à la dernière révolution, consacrée par le sang de nos braves, nous saurons la faire honorer. (Applaudissements.)

On insiste sur l'inconvénient de laisser l'initiative à une chambre unique, et de s'exposer ainsi aux chances que présente la promptitude excessive dans les travaux de la législation. Eh ! qu'importe ? Si le peuple est mécontent à bon droit de la loi improvisée, on saura bien revenir sur le mal ; si elle est bonne, il ne se plaindra point de ce qu'elle est faite en un quart d'heure. Contre toutes les mauvaises lois, improvisées ou non, on a un excellent remède : la liberté de la presse. Grâce à elle, on ne tardera jamais à savoir s'il faut que la nation approuve les ministres ou la chambre : et quant au désagrément qui peut en résulter quelquefois pour les ministres, nous trouverons toujours des gens qui accepteront cette place. (On rit.)

Mais, a-t-on objecté, une seule chambre sera composée trop ordinairement d'éléments homogènes : elle sera toute populaire. Messieurs, par la force des choses, il y aura toujours beaucoup de propriétaires dans la chambre unique, et il y aura des hommes de quelques autres classes. Si l'on veut assurer la présence de quelques propriétaires dans cette chambre, n'a-t-on pas, au reste, la ressource de statuer qu'un certain nombre de députés devra payer un cens assez élevé ? En tout état de cause, la composition totale n'offrira jamais d'inconvénient, s'il y a un très grand nombre d'électeurs et une administration forte et populaire ; surtout, si l'on trouve constamment, dans l'ordre judiciaire, une garantie contre l'autorité usurpatrice, contre les abus du pouvoir ; une garantie comme celle que nous présentait autrefois le conseil de Brabant, qui consacrait par ses arrêts le droit de résistance, chaque fois que l'autorité avait tort.

Le sénat que vous demandez, vous ne l'aurez jamais avec le prestige de la pairie française, puisque l'on renonce aux majorats, au renversment de tout notre système de lois civiles ; et on a raison.

Dans quelle classe prendrez-vous donc les sénateurs ? Parmi les mêmes hommes qui composeront l'autre chambre : ainsi, vous n'aurez, de plus, qu'un nouvel élément d'aristocratie ou de démocratie.

Je crains fort que votre première chambre terrienne ne finisse bientôt par être tout aussi utile que la première chambre du royaume des Pays-Bas, et aussi respectée. Vous comprenez, messieurs, que cette dernière observation ne s'adresse pas aux personnes parmi lesquelles il s'en trouvait que j'honore et qui sont dignes de toute considération.

Pour en revenir aux mouvements révolutionnaires, dont on veut nous effrayer, ils ne sont pas dans les peuples ; toutes les révolutions sont dans les gouvernants qui se conduisent mal. Si on eût observé la constitution des Pays-Bas ; si les plaintes de la nation eussent été accueillies, nous ne siégrions pas ici en congrès. La chambre modératrice du royaume constitutionnel n'a point empêché le pays d'avoir raison.

De quelque manière qu'on s'y prenne, il n'y aura jamais de garantie, sans un pouvoir provincial et municipal bien constitué, sans la liberté de la presse, la responsabilité réelle des ministres, et sans de bonnes lois et de bons tribunaux, qui consacrent le droit de résistance. Telles étaient autrefois, chez les Belges, ces garanties véritables ; c'est du passé : j'espère, pour mon pays, que ce sera de l'avenir.

(La fin de ce discours est accueillie par les plus vives marques d'approbation.) (U. B., 15 déc.)

M. le comte de Baillet – Messieurs, vous avez adopté à une grande majorité la monarchie constitutionnelle, représentative, héréditaire. (page 396) L'origine de cette forme de gouvernement fut une transaction, intervenue après de longs débats, entre le pouvoir royal, le pouvoir aristocratique et le pouvoir populaire. Je ne fatiguerai pas votre attention, en retraçant ici tout ce que Montesquieu et d'autres publicistes célèbres ont écrit sur son excellence et ses avantages. Je me bornerai à vous rappeler que leur opinion unanime est que l'équilibre des trois pouvoirs est la base de ce mode de gouvernement, que cet équilibre peut seul en garantir la stabilité. Supprimer maintenant celui de ces pouvoirs qui doit servir d'intermédiaire entre le peuple et le chef de l'État, c'est en renverser toute l'économie, c'est ne plus vouloir en définitive qu'un peuple qui déclare sa volonté et un magistrat héréditaire qui l'exécute ; ce système tout à fait républicain doit plaire à des cœurs généreux, et paraît fort spécieux en théorie. Mais peut-on se flatter qu'il réussisse en pratique ? deux essais ont été tentés presque de nos jours : le succès ne les a point justifiés. L'assemblée constituante rejeta en France le système des deux chambres ; on était alors si novice, dit un historien contemporain, M. Thiers, on était si novice, que tout en conservant la royauté, on ne pouvait pas concevoir un corps aristocratique, médiateur entre le prince et la nation. Tout le monde connaît les conséquences de la décision de l'assemblée constituante. Une funeste expérience fit voir à quels désordres est exposée une assemblée unique ; elle entraîna d'abord la ruine de la monarchie constitutionnelle, et fit naître ensuite le désordre et l'anarchie au sein de la république. Lorsque après la chute de Robespierre et le règne de la terreur, la convention voulut, avant d'abdiquer sa longue dictature, commencer à réédifier, après avoir tout démoli, une commission de onze membres, choisie dans son sein, fut chargée de présenter un nouveau code constitutionnel. La leçon sévère du passé ne fut pas méconnue ; on évita de retomber dans la même faute. Le corps législatif fut partagé en deux assemblées : le conseil des Cinq-Cents et celui des Anciens. Les défenseurs les plus éclairés des droits des peuples, les Lanjuinais, les Boissy d'Anglas, les Daunou, étaient membres de cette commission, et demandèrent les deux chambres à l'unanimité moins une seule voix. L'un d'eux définit le caractère distinctif de chacune d'elles, en disant que le conseil des Cinq-Cents serait l'imagination, et le conseil des Anciens, la raison de la nation.

Quelque imparfaite que fût la composition de ce dernier conseil, et puisque les seules conditions requises pour en faire partie étaient d'être âgé de quarante ans et père de famille, toujours est-il vrai que sa création fut un premier retour vers les principes conservateurs de la société. Un fait digne de remarque, c'est que le parti modéré domina toujours dans le conseil des Anciens, jusqu’à la révolution du 18 brumaire, qui renversa la constitution de l'an III. Depuis cette époque, on fit encore en Espagne l'expérience d'une seule assemblée, celle des cortès en Espagne ; vous en connaissez les résultats. Des exemples récents doivent nous rendre circonspects, et nous empêcher, à ce qu'il me semble, de hasarder dans notre petit pays un troisième essai qui pourrait aussi nous être funeste ; nous avons maintenant le champ libre et les coudées franches, s'il m'est permis de me servir d'une expression aussi vulgaire. Nous sommes assemblés pour fonder, sur les bases les plus larges, toutes les libertés publiques. Une fois qu'elles seront garanties par une bonne constitution, il nous restera encore un dernier vœu à former, c'est d'avoir fait un ouvrage durable. Pour parvenir à ce résultat, il ne faut pas se dissimuler que le rôle d'une partie de la représentation nationale sera quelquefois d'empêcher ou de retarder plutôt que d'agir. Sans doute il faut comprendre la marche progressive du siècle et les besoins de l'époque. Mais n'oublions pas ces paroles mémorables d'un prince à qui la postérité reconnaîtra un esprit juste et éclairé, de Louis XVIII : « A côté du désir d'améliorer, se trouve toujours le danger d'innover. » Le temps, j'en conviens, peut rendre des innovations nécessaires, d'autres institutions seront encore réclamées après nous. Cpendant il ne faut jamais que l'innovation soit trop brusque et le mouvement trop impétueux, C'est pour cela qu'un pouvoir intermédiaire et conciliateur a toujours paru nécessaire. Mais, dit-on, cette nécessité est imaginaire, ce pouvoir n'est qu'un rouage inutile ; avant de trancher une question aussi grave, il faudrait nous montrer un gouvernement constitutionnel quelconque, qui a marché sans ce rouage. On ajoute que plus les pouvoirs sont divisés, plus la marche des affaires est entravée. Messieurs, la conséquence de ce principe serait de nous ramener à l'absolutisme et au pouvoir d'un seul. C'est précisément la division des pouvoirs qui garantit la liberté. Mais les prmières chambres n'ont jamais rendu aucun service, elles ont même fait beaucoup de mal.

Aurions-nous oublié, messieurs, que ce fût la chambre des pairs de France qui sauva la liberté de la presse, qui défendit les intérêts des créanciers de l'État en rejetant la réduction de la rente, qui s'opposa au rétablissement du droit d'aînesse ? et ne sont-ce pas là d'éminents services ? Nous (page 397) jugeons toutes les premières chambres avec les souvenirs que nous a laissés la nôtre. J'avoue qu'elle ne jouissait pas d'une grande popularité, mais telle qu'elle était, il me paraît incontestable que si elle n'avait été dominée par une majorité étrangère et dont les intérêts étaient entièrement opposés aux nôtres, elle serait quelquefois parvenue à empêcher le mal et à rendre des services. Qu'on se rappelle ce qui se passa il y a neuf ans, lorsqu’on nous imposa cet odieux système de contributions, si tracassier, si tyrannique, si profondément immoral, qui nous régit encore aujourd'hui ; ce système, qui nous soumet à l'injure d'une inquisition domiciliaire, qui établit l'exercice dans les salons, qui introduit les agents du fisc dans le sanctuaire de nos familles, pour évaluer nos meubles, compter nos foyers et mesurer ce que nous respirons d'air extérieur ; ce système, qui prélvait un impôt sur la bienfaisance de nos cultivateurs, sur les anciennes fondations dues à la charité de nos pères et sur la poignée d'épis que des infortunés glanent à la sueur de leur front ; eh bien, ce système déplorable ne fut adopté dans la prmière chambre qu'à une majorité de quatre voix. Il est évident que la presque unanimité l'aurait rejeté, si elle n'avait été composée que de Belges : le gouvernement n'en persista pas moins, et cette aveugle obstination fut peut-être une des causes de sa chute ; car remarquez bien, messieurs, que ce fut depuis lors qu'il crut pouvoir braver impunément l'opinion des provinces méridionales ; mais il faut être juste, même pour la première chambre, et convenir que nos compatriotes qui en faisaient partie, ont fait alors, de concert avec ceux de la chambre élective, tout ce qui dépendait d'eux pour arrêter les premiers pas du gouvernement dans cette route funeste qui l'a précipité dans l'abîme. Ce concert, objectera-t-on, ne subsistera pas toujours ; l’accord serait beaucoup plus facile, si le pouvoir n'était partagé qu'en deux branches ; l'expérience des hommes et des choses démontre précisément le contraire. Deux puissances toujours en présence l’une de l'autre finissent par se heurter, et la plus faible se brise ; c'est l'intervention d'un tiers qui prévient le choc et les difficultés, ou finit par les aplanir. En supposant que la lutte s'établisse entre les deux chambres, le chef de l'État la fera cesser dès qu'il le trouvera convenable, soit en prononçant la dissolution d'une chambre qui ne représenterait plus l'opinion du pays, soit en rompant la majorité d'un sénat assez aveugle pour demeurer rebelle aux vœux du pays.

L'usage de cette double prérogative qui inquiète, qui agite les esprits, deviendra bien moins dangereux, lorsque le chef de l'État aura nécessairement l'appui d'une des deux autres branches du pouvoir législatif. Celles-ci craindront toujours de la voir exercer, et cette crainte salutaire sera un puissant mobile pour les faire marcher vers un but commun.

Je crois avoir répondu, messieurs, à plusieurs motifs allégués contre la création du sénat et le projet présenté par votre section centrale. Il reste encore une dernière difficulté, la principale, peut-être, et je l'aborderai franchement. Le sénat, dit-on, serait un corps aristocratique, et on ne veut d'aristocratie à aucun prix. Soyons de bonne foi, messieurs, n'est-ce pas là se former des fantômes sans aucune réalité et combattre des chimères ? Nous sommes loin des temps où le nom d'aristocrate était devenu dans d'autres pays un titre de proscription, parce qu'il réveillait des souvenirs récents et le ressentiment d'une longue injustice, Lorsque toutes les carrières sont ouvertes à tous les citoyens, lorsque le mérite seul obtient des privilèges auxquels seul il a droit, où trouver encore des aristocrates qui soient à craindre ? Qu'est-ce en définitive que l'aristocratie ? sans doute tant que les intérêts de tous ne seront pas réglés par tous, tant que tous les citoyens n'exerceront pas sans aucune distinction le droit de suffrage, tant qu'il existera des inégalités de biens, d'âge, de force physique, de capacités intellectuelles, il y aura aristocratie ; nous-mêmes nous sommes envoyés ici par un corps aristocratique, puisque les électeurs payent un cens déterminé. Que si l'on entend par aristocratie les sommités sociales, les grandes notabilités de fortune, l'ancien ordre équestre, l'histoire dira si cette aristocratie fut chez nous l'ennemie des libertés publiques, La morgue, les exigences prétendues aristocratiques n'ont jamais fait fortune en Belgique ; un de nos collègues, l'honorable M. Seron, a fait une observation très judicieuse dans le discours remarquable qu'il a prononcé en faveur de la république, c'est qu'il n'existe pas de pays où la fusion des différentes classes soit plus générale et plus complète. Toutes sont assez éclairées pour comprendre qu'elles ne doivent pas être ennemies, qu'elles ont des intérêts communs et que leur union seule peut en être la sauvegarde, ainsi que le palladium de nos libertés. J'ose assurer d'avance, sans crainte d'être démenti par les événements, que l'aristocratie belge mettra toujours son ambition à s'appuyer sur les intérêts populaires.

Au surplus, messieurs, si nous voulons y réfléchir, nous serons forcés de reconnaître qu'un corps aristocratique est de tous les siècles, de tous les (page 398) pays, qu'il existe dans toute l'Europe, dans toutes les monarchies, dans toutes les républiques, et même dans cette Amérique qu'on nous dépeint comme un gouvernement modèle et la terre classique de la liberté. Je ne crois donc pas devoir hésiter à consacrer chez nous ce qui est établi partout ailleurs, à repousser une innovation politique contraire tant aux principes professés par les plus profonds publicistes, qu'à l'exemple de la France, de l'Angleterre, des Etats-Unis ; je pense qu'il est utile à l'intérêt général que le sol de la Belgique, seule base toujours invariable de sa richesse et de sa prospérité, soit spécialement représenté par le sénat ; je pense que ce sénat, inamovible de sa nature, indépendant par la position sociale de chaque sénateur, peut seul avoir assez de force pour opposer une barrière stable et puissante, d'une part à la précipitation, à l'entraînment, à l'effervescence populaire ; de l'autre, et ce danger sera plus fréquent sans doute, aux séductions ministérielles, à l'esprit d'envahissement, aux usurpations du pouvoir exécutif. Si les lumières nouvelles qui vont jaillir de cette discussion ne viennent pas ébranler ma conviction intime, je voterai pour les deux chambres. (U. B., suppl., 31 déc.)

M. Van Snick – Messieurs, la question qui nous occupe domine tout notre édifice social : la solidité, la durée des garanties que vous allez insérer dans la loi fondamentale, dépendent de la manière dont vous la déciderez. A sa solution, je ne crains pas de le dire, est attaché pour la Belgique le triomphe des lumières ou de l'obscurantisme, le règne du repos ou de l'agitation. Cette question, immense dans ses résultats, a fait l'objet des méditations des publicistes les plus distingués. De ce nombre est le beau génie, l'orateur éloquent, le citoyen vertueux qui vient d'être enlevé au monde : j'ai dit au monde, messieurs, parce qu'en consacrant toute sa vie à la défense de la cause de l'humanité, des lumières et de la justice, M. Benjamin Constant a servi le genre humain tout entier ; il s'est rendu citoyen de l'univers. Aussi, messieurs, cette mort inattendue et prématurée sera-t-elle regardée partout comme une calamité publique ; partout on donnera des larmes et des regrets à la perte de ce grand patron de l'espèce humaine.

Puisse, en France, le vaisseau de l'État ne pas se ressentir de la disparition inopinée de ce sage et savant pilote !

Messieurs, il y a trois mois, M. Benjamin Constant disait à la tribune française : Qu'il ne sentait son existence que depuis l'avènement de Louis-Philippe ; que depuis ce moment seulement, son cœur avait battu avec facilité ; et déjà il n'est plus, comme si le sort, selon le langage des anciens, avait toujours quelque chose d'envieux et de perfide. La profondeur des décrets de la Providence est impénétrable, mais, il faut le reconnaître, la mort anticipée d'un citoyen vertueux n'est que trop propre à ébranler la confiance de l'homme le plus religieux. Croyons pourtant, croyons fermement que, lorsque le ciel le rappelle à lui avant le temps, c'est pour lui faire partager les récompenses dues à ses vertus.

Vous voudrez bien, messieurs, me passer cette courte digression. J'ai satisfait au besoin de mon âme en exprimant brièvement et trop faiblement les pensées douloureuses dont la mort de Benjamin Constant l'a remplie.

Je reviens à l'ordre du jour. J'avais l'honneur de vous dire, messieurs, que la question d'un sénat ou d'une chambre haute, immense dans ses résultats, a fait l'objet des méditations des publicistes les plus distingués.

Mais en vérité, messieurs, la solution différente qu'ils y ont donnée, fondée sur des motifs différents, ne me semble point de nature à servir d'appui à l'une ni à l'autre des opinions qui se sont déjà manifestées dans cette enceinte.

En effet, chacun d'eux a parlé pour des temps, des circonstances et des pays qui ne sont ni les temps, ni les circonstances, ni le pays où nous nous trouvons : il ne peut donc y avoir lieu en bonne logique, de faire à la nation belge l'application de leurs doctrines.

Fermons, messieurs, pour un instant tous nos livres : faisons taire pendant nos débats la voix de ces auteurs, quelque imposante qu'elle soit d'ailleurs : ne voyons que nous ; nos mœurs, aussi douces que simples ; nos habitudes, tout empreintes de calme et de modération ; ce besoin d'ordre et de repos qui s'est fait unanimement sentir dans le temps même de la plus grande exaltation populaire ; et bientôt la question sera décidée, bientôt nous resterons convaincus qu'une première chambre ne serait qu'un rouage toujours inutile, souvent dangereux dans notre organisation politique : s'il est vrai, toutefois, que cette organisation puisse comporter cette division du pouvoir législatif.

La tâche que je me suis imposée consistera donc dans la preuve à donner au congrès :

1 ° Qu'une chambre haute est d'une inutilité absolue en Belgique ;

2° Qu'elle y serait dangereuse ;

3° Qu'une telle institution est repoussée par les (page 399) principes déjà connus et qui doivent servir de base à la constitution.

Une chambre haute est inutile en Belgique.

La vérité de cette première assertion est démontrée par cette seule, mais frappante circonstance, que le congrès suffit aujourd'hui comme pouvoir législateur à la Belgique. Quoi ! messieurs, la nation a chargé une assemblée unique de la plus immense des responsabilités, elle lui a confié la plus importante des missions, celle de lui donner une constitution, de lui choisir un chef, de fixer pour jamais ses destinées heureuses ou malheureuses ; et vous supposeriez que cette nation, quand il ne s'agira plus que de lois secondaires, veuille, pour assurer la bonté de leur confection, l'établissement d'une chambre haute ou d'un sénat ? Ne serait-ce pas là croire la nation capable de la plus inconcevable et de la plus absurde des contradictions ?

Pense-t-on qu'aux élections prochaines, les électeurs soient moins attentifs, moins soigneux, moins sages dans leurs choix ? pense-t-on qu'ils soient, pour l'avenir, disposés à faire abnégation de leur discernement ? pense-t-on enfin que la raison publique doive tout d'un coup se trouver éclipsée à la dissolution du congrès ?

Rassurez-vous, messieurs ! les représentants que la nation vous donnera pour successeurs sront, comme vous, amis de l'ordre, amis de la justice et des lois ; non plus que devant vous, il ne sera besoin de mettre devant eux des barrières. Que dis-je, messieurs ? plus heureux que nous, ils en trouveront dans les institutions fondamentales que nous leur aurons léguées : bien moins que nous ils seront sujets à s'égarer.

Rappelons-nous que nous sommes entrés dans cette enceinte investis d'une espèce de toute-puissance législative, que nous nous y sommes vus, pour ainsi dire, sans règles et sans lois ; que nous n'avions tous, pour guide et pour frein, que ces doctrines constitutionnelles et libérales qui sont aujourd'hui l'apanage de tous les hommes pensants. Eh bien, ce guide, ce frein, n'ont-ils pas suffit pour éclairer, pour diriger notre marche ? La modération, le calme, la circonspection, le respect pour les droits de tous, nous ont-ils manqué ?

Cessons donc, messieurs, si nous sommes sincères et de bonne foi, cessons de croire à l'utilité, et encore moins à la nécessité d'une chambre haute en Belgique.

Mais, dit-on, les lois en seront plus parfaites ; elles iront subir dans la chambre haute une seconde épreuve : je répondrai qu'il est extrêmement vraisemblable qu'elles en sortiront moins parfaites, par les modifications dont elles pourront y être l'objet.

Remarquons-le bien, messieurs, dans les gouvernements constitutionnels représentatifs, c'est dans la chambre élective que se trouvent réunis le plus de lumières, de savoir et de patriotisme. Il doit en être ainsi par la nature des choses : soumis à une réélection, les membres de la chambre populaire, comme ils sont tenus, pour mériter cet honneur, à avoir les yeux ouverts sur les besoins de leurs commettants, sont, dans le même but, obligés de se livrer tout entiers à l'étude des matières législatives, économiques et politiques.

Les membres d'une chambre héréditaire ou à vie ne sont point stimulés par ce puissant aiguillon ; par suite, tout étant d'ailleurs égal, la chambre héréditaire doit rester inférieure à la chambre élective, en mérite et en patriotisme. Si cette observation est vraie, qu'on nous dise où est la nécessité, l'utilité de faire réviser par la chambre haute des projets de loi approuvés par la chambre basse.

C'est, ajoute-t-on, une garantie contre la précipitation et la surprise.

Messieurs, que les législatures à venir soient aussi nombreuses que l'est en ce moment le congrès national ; et, pour quelques hommes trop prompts, toujours rares sous notre ciel froid et humide, vous compterez une multitude d'hommes calmes, réfléchis, modérés et ennemis de toute précipitation. Vous trouverez ainsi dans une seule chambre la garantie que vous attendez d'un sénat, moins ses dangers. D'un autre côté, une assemblée législative nombreuse assure mieux la représentation de tous les intérêts nationaux. Tous les bsoins, toutes les opinions ont alors la certitude d'y trouver leur interprète et leur appui : la législation elle-même gagne.

La réunion d'un grand nombre d'hommes est toujours utile quand il s'agit de faire une loi, parce que les lois doivent être le produit de la combinaison d'une foule d'idées, et qu'il est bon que grand nombre d'individus, différents par leurs habitudes, leurs rapports et leur position sociale, mettent en commun le tribut de leurs réflexions et de leur expérience ; en second lieu, la manière dont nous avons coutume de procéder, présente une autre garantie contre toute précipitation et toute surprise : ce que, pour mon compte, je déclare rgarder comme des êtres de raison dans notre pays.

En effet, messieurs, avant d'aborder un projet de loi en assemblée publique, de nombreuses sections le décomposent, le commentent de mille manières ; en pèsent tous les mots, toutes les (page 400) phrases ; le dissèquent enfin dans toutes ses parties pour y découvrir le mal qui pourrait s'y trouver caché : après cette investigation attentive, minutieuse, à laquelle chaque membre de la législature a pris part, et sur laquelle il a pu encore réfléchir dans la solitude et le silence du cabinet, vient le travail non moins consciencieux et de nouveau commentateur de la section centrale composée habituellement de l'élite de l'assemblée, et ce n'est, messieurs, qu'après cette double opération épuratrice que commence enfin la discussion par article, laquelle certes doit être au moins envisagée comme une seconde épreuve ; et si, après avoir passé par cette filière, un projet est transformé en loi, il faudra bien croire qu'il ne renferme rien qui puisse alarmer le pouvoir ni les libertés publiques désormais ses compagnes inséparables.

On continue :

Il faut un intermédiaire entre le chef de l'État et le peuple.

Opinion antique et surannée ! reste du préjugé qui retenait autrefois les rois dans le fond de leurs palais, et leur faisait éviter le regard des peuples !

Je nie la nécessité de cet intermédiaire dans le siècle où nous vivons.

La légalité est le besoin le plus profondément senti des nations modernes.

Les trônes de Charles X et de Guillaume Ier n'avaient jeté aucune racine dans le sol ; le moindre souffle eût suffi dans tous les temps pour les renverser : cependant ils restèrent debout aussi longtemps que ceux qui s'y trouvaient assis se tinrent dans les limites de la légalité : jusque-là, les Belges et les Français se résignaient à toutes les conséquences de l'ordre légal établi ; et, quelle que fût notre répugnance commune pour des chefs que la conquête seule nous avait imposés, l'un et l'autre régneraient encore s'ils n'avaient eux-mêmes déchiré le contrat qui leur garantissait notre soumission. ,

Messieurs, quand la raison publique est arrivée à ce point de perfection, quand les peuples ont atteint ce haut degré de civilisation, il n'y a plus lieu à l'intermédiaire dont on parle. Cet intermédiaire est dans les lois qui fixent d'une manière précise les devoirs et les droits de chacun : il est mieux là que dans les personnes.

Enfin, je répondrai aux partisans de la nécessité d'un corps intermédiaire entre le pouvoir royal et la représentation nationale : qu'ils auront ce corps intermédiaire ; qu'ils le trouveront dans le pouvoir ministériel armé, selon toutes les apparences, d'un veto suspensif et du droit de dissolution ; c'est là que doit être le véritable bouclier du roi, s'il est vrai qu'on ne veuille que cela.

Mais on objecte : Voyez l'Angleterre, voyez la France, voyez les Etats-Unis ; et moi je réplique : Ne voyez ni l'un ni l'autre de ces pays, mais voyez la Belgique.

Nous n'avons point à nous occuper de ce qu'on a fait dans ces diverses contrées, mais de ce que nous avons à faire pour cette paisible et généreuse nation belge, qui attend de nous les institutions les plus libérales, et à qui nous pouvons les donner sans péril ; d'un autre côté, je dis, que par la question soulevée aujourd'hui en France, il est permis de penser que si ces peuples avaient, comme nous, à se constituer à neuf, on ne verrait plus chez eux ni pairie, ni chambre haute, ni sénat. Toutefois, il peut être bon de faire observer à l'assemblée que l'idée de deux chambres ne doit point son origine à la nécessité d'un prétendu équilibre entre le pouvoir royal et la nation ; elle n'a point été imaginée pour suspendre la marche trop précipitée des représentants du peuple. Cette idée de l'équilibre de deux chambres est d'origine anglaise, et les Anglais, au dire même de leurs historiens, ne les formèrent pas pour parer aux efforts dangereux des communes contre le roi, ils n'y songèrent même pas du tout ; ce fut un accommodement, une transaction entre les intérêts des nobles avec ceux des communes. Je voudrais, ajoute Rabaut-Saint-Étienne à qui j'emprunte ces lignes, répéter cette observation en cent manières. Ainsi, messieurs, il est prouvé par le témoignage de l'histoire que si, lors de la grande charte, il n'avait existé en Angleterre deux ordres opposés, qui l'un et l'autre ont prétendu avoir une part distincte et séparée à la législation, jamais il ne s'y fût agi de deux chambres ; or, ces deux ordres n'existent pas chez nous ; il n'y a qu'une nation, un peuple, dont tous les intérêts sont confondus, sont identiques.

Enfin, messieurs, nous ne sommes plus au temps de l'émanation de la grande charte, ni en 1790. Un siècle de civilisation, j'oserai le dire, nous sépare même de 1815. Il y a plus que de l'absurdité à vouloir donner à la Belgique une chambre haute en 1830, parce que l'on a pu regretter de n'en avoir pas vu une en France.

Messieurs, en politique comme en législation, ce qui est inutile est presque toujours dangereux. Et c'est surtout chez nous que l'établissement inutile d'une première chambre aurait ses dangers.

Le souvenir de la première chambre des ci-devant états généraux agit encore aujourd'hui sur les esprits d'une manière tout à fait défavorable à (page 401) cette institution. On se rappelle encore avec douleur que la majorité de cette chambre s'est montrée constamment hostile à la nation, et favorable an pouvoir. On se ressouvient que c'est cette majorité qui a été le seul obstacle à la remise de nos pétitions dans les mains du roi, et à la rédaction de l'adresse votée dans la seconde chambre. Il ne paraîtra donc pas étonnant que je prenne sur moi d'affirmer que l'opinion publique est fortement prononcée contre une première chambre on un sénat. Et l'on sait ce que valent les gouvernements de nos jours, quand l'opinion publique ne sert d'appui à l'une comme à l'autre de ses parties.

Messieurs, vous devez à la Belgique un gouvernement ferme et stable dans tout son ensemble, c'est-à-dire un gouvernement auquel la nation s'attache, qu'elle chérisse, qu'elle défende comme sa propre création, comme étant dans toutes ses parties la sanction de ses volontés.

Atteindrez-vous ce but en posant pour première base du pacte social une institution à laquelle s'associent nécessairement, et malgré vous, des idées de privilèges, de distinctions aristocratiques et de penchants pour le retour d'anciens abus ? Héréditaire ou à vie, un sénat ne parviendra jamais à détruire cette prévention ; elle sera dans la société une cause indiscontinue de défiance, de mécontentement et de malaise. Enfin, elle sera pour la nation belge une cause toujours agissante de désaffection à son gouvernement. Craignez que son indépendance ne lui en devienne moins chère. Voulez-vous que jamais elle ne porte ses regards vers la France, retranchez de votre constitution les institutions peu libérales qui régissent encore aujourd'hui ce pays.

En repoussant la république, la majorité de cette assemblée a promis à la Belgique les garanties les plus larges et les plus libérales : remplirait-elle cette promesse, qui doit être sacrée, en commençant l'édifice social par l'élévation d' une barrière que cette nation regardera, non comme une sauvegarde contre ses excès, car, celle-ci, elle la trouve dans sa raison et dans la limite qu'aura tracée le pacte fondamental, mais comme un obstacle insurmontable au succès des exigences que peuvent commander les progrès toujours croissants de la civilisation ?

Héréditaire ou à vie, le propre d'une pairie ou d'un sénat est de contracter bientôt un esprit de corps qui l'isole de la nation. Mis pour jamais au-dessus des suffrages de leurs concitoyens, sans rapports désormais avec eux, n'ayant plus rien à en attendre, les vœux, les besoins du peuple leur deviennent indifférents. Il y a plus ; dominés par la pensée qu'ils n'ont été institués que pour servir de digue contre l'empiétement de l'élément démocratique, toutes les propositions qui partiront de la seconde chambre leur seront suspectes, et souvent la prévention toute seule repoussera les projets de loi les plus justes, comme le produit d'une tendance ennemie ; que si elle les accueille, et veut bien les discuter, ils en reviendront tout mutilés et méconnaissables. Bientôt la seconde chambre, fatiguée et dégoûtée de l'inutilité de ses efforts, résignera son mandat, et de là à une nouvelle révolution, le passage sera rapide... Dieu me garde du poids de cette responsabilité !

Enfin, messieurs, la preuve du danger d'un sénat est dans toutes les bouches. Ce sont ceux-là mêmes qui le veulent, qui nous la fournissent. En effet, ceux qui désirent un sénat héréditaire voient du danger dans un sénat à vie : à leur tour, ceux qui sont de l'avis d'un sénat à vie voient un grand danger dans un sénat héréditaire. D'autre part, ceux qui demandent un sénat à terme voient du danger dans un sénat héréditaire ou à vie.

D'un autre côté, ceux qui sont pour l'élection par le peuple voient du danger dans la nomination laissée au choix du roi, et les partisans de ce système, à leur tour, voient du danger dans la nomination faite par le peuple. De tout quoi, il résulte nécessairement que, de l'avis de tous, un sénat ou une pairie est une institution essentiellment dangereuse pour les libertés publiques, et que ni le mode de leur formation, ni le mode de leur existence ne sont capables de rassurer la Belgique contre leur tendance naturellement liberticide.

Je dirai donc aux partisans des mille et un systèmes qui vont ici se déployer : Abandonnez vos tristes et fatales préventions, jetez un regard attentif et consciencieux autour de vous, apprenez à connaître la nation et les électeurs, par qui et pour qui vous êtes réunis dans cette enceinte ; craignez de paraître douter de leur bon sens, de leur sagacité, de leur droiture à venir ; interrogez-les, vous les entendrez vous répondre : « Comme il nous a suffi d'une seule assemblée constituante, il nous suffira d'une seule chambre représentative ; reposez-vous sur nos choix, c'est parce que nous avons fait qu'il faut nous juger, et non par les folies auxquelles d'autres peuples ont eu le malheur de se laisser aller. Ce n'est point à vous, qui vous dites justes, à nous infliger la peine de leurs coupables excès. »

Messieurs, avant d'aborder ma troisième proposition, je me permettrai de répondre à quelques-unes des objections présentées par les (page 402) partisans d'un sénat dans la discussion préparatoire et qui sans doute seront reproduites aujourd'hui.

On dit : La richesse, la puissance doivent être représentées.

Qui le nie ? mais ne le sont-elles pas ici ? En Belgique, où va régner pour jamais l'égalité pour tous devant la loi, d'où sera pour jamais exclu le privilège, il ne peut y avoir une représentation ou une législature à part pour la richesse non plus que pour les fortunes moyennes. Les uns et les autres ne forment qu'un tout uni par le même intérêt, par le même besoin de conservation, d'ordre et de liberté.

Le propriétaire de dix arpents de terre, d'une usine ou d'un commerce quelconque, a un égal intérêt au maintien des lois ; une fortune médiocre présente même à la société une garantie que ne lui donne pas toujours la richesse : celle-ci, pour satisfaire ses caprices ou son ambition, peut se trouver portée à exposer une partie de son superflu ; ce qui est impossible à ceux qui n'en ont point. Répétons-le donc, puisque c'est là un des grands arguments de nos adversaires : tous les éléments du corps social seront représentés dans une chambre unique comme ils le sont dans le congrès : on y verra des propriétaires, des non-propriétaires, des négociants, des industriels, des prêtres et des légistes. Ab esse ad posse valet consequentia. C'est donc à ceux qui croient au délire futur des électeurs à nous dire sur quoi ils fondent leurs affligeantes prévisions.

Le même orateur a ajouté que ce n'était point pour protéger le pouvoir qu'il demandait une prmière chambre. C'est accorder beaucoup aux partisans d'une chambre unique : c'est nuire à l'opinion des partisans d'un corps intermédiaire ; mais en revanche, ceux-ci protestent contre l'intention de vouloir, par leur corps intermédiaire, donner à la richesse le privilège d'une législature à part : ainsi, de compte fait, les partisans de ces divers systèmes ne se doivent rien.

Un autre orateur, pour prouver l'utilité d'une chambre haute même dans l'intérêt des libertés publiques, a parlé de la résistance de la chambre des pairs de France au projet de loi de Peyronnet.

Je m'attendais à cet argument : mais apprécié à sa juste valeur, il est tout entier pour nous.

On a recueilli deux faits qui semblent plaider en faveur d'un sénat : mais dire qu'on n'a que ces deux faits à citer dans l'histoire des pairies et des sénats, c'est s'avouer vaincu ; car, que prouvent deux faits en présence de mille autres qui déposent contre eux ? Veut-on donner à la Belgique une chambre haute qui une fois sur cent ans aura son utilité, et qui pendant les quatre-vingt-dix-neuf autres années sera une institution toujours hostile, une arme toujours dirigée contre ses libertés ? C'est pourtant bien là, au vrai et au juste, ce que semblent vouloir les partisans d'un sénat, lorsque, pour en démontrer l'utilité, ils nous parlent de la résistance momentanée des pairs de France.

Regardons cet argument de plus près encore. La pairie française a rejeté les lois de Peyronnet ; mais peut-être la majorité de notre ci-devant chambre haute les eût aussi repoussées ; et à coup sûr, elle n'eût point accueilli la loi du sacrilège : donc notre première chambre valait mieux que la pairie française, et cependant, dites-vous, celle-là et toutes celles qui pourraient lui ressembler, vous les répudiez à jamais... Eh bien, toutes les chambres hautes ressembleront à celle-là : c'est une voix consciencieuse et sévère, et qui a fait preuve de sincérité dans une occasion solennelle, qui vous en donne l'assurance : les vices que vous lui reprochiez sont inhérents à l'institution ell-même : ne comptez point sur des miracles pour les en voir séparés : la Providence ne change plus rien à ses lois.

Cette utilité momentanée de la pairie française était accidentelle et d'ailleurs toute relative. Elle avait, non pas pour cause, mais pour occasion, la circonstance d'une chambre élective vendue au ministère et dévouée à toutes ses extravagances ; en d'autres termes, des élections faussées par l'or et les intrigues de la cour ont, pendant quelques années, produit en France une représentation dont les éléments et l'esprit étaient pires que les éléments et l'esprit de la chambre des pairs dans ce même temps ; et voilà tout. Or, dans notre Belgique, des chambres introuvables seront impossibles ; la liberté de la presse et les élections directes y seront pour toujours obstatives. Donc, chez nous, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, un sénat sera, dans notre machine politique, un rouage inutile et dangereux.

Un autre orateur a dit : Quand la seconde chambre sera libérale, les fournées seront libérales. (Je me sers de ce mot devenu parlementaire, étonné d'être sorti de la cave du boulanger pour figurer dans le vocabulaire des législateurs.) Puisse cet orateur avoir dit vrai ! Pour moi, je crois tout le contraire ; je pense que c'est la tendance trop libérale de la seconde chambre qui porte parfois le pouvoir à se créer dans la chambre haute une forte majorité d'une couleur opposée. Je pense, plus sûrement encore, que ce n'est point (page 403) la disposition d'esprit de la seconde chambre qui détermine le moment des fournées, et encore moins les éléments qui doivent y entrer. Je n'ai vu jusqu'ici dans les diverses fournées françaises que l'expression de l'opinion ministérielle. Aussi, il faut en convenir, un sénat, avec le système des fournées, et l'on ne peut guère vouloir l’un sans l'autre, assure-t-il aux ministres un brevet perpétuel d'impunité, à moins d'une révolution qui, comme celle de France, apporte des changements dans la composition du tribunal appelé à les juger. Ainsi, aux dangers que j'ai signalés comme essentiellement attachés aux sénats, il faut ajouter celui de rendre illusoire et de réduire à rien la responsabilité ministérielle, ce palladium de toutes nos libertés, cette garantie la plus vraie de notre existence constitutionnelle. Eh ! messieurs, quand cette institution serait de nature à ne produire qu'un pareil effet, ne serait-ce déjà pas un devoir pour tout homme ami de son pays, ami d'un gouvernement véritablement constitutionnel et libéral, d'en repousser à jamais jusqu'à l'idée ? N'oublions pas que c'est cette certitude de l'impunité qui a fait tout oser au ministre Van Maanen ! Que ce souvenir, pendant qu'il en est temps encore, soit pour nous un avertissement salutaire.

Un orateur, pour appuyer le système des deux chambres, a paru s'adresser plutôt à notre coeur qu'à notre esprit ; il a dit qu'il ne nous fallait pas facilement répudier les institutions de nos pères, que toujours chez eux les hautes classes de la société avaient eu leur représentation à part et qu'il devait en être encore ainsi.

Cet argument, me semble-t-il , prouve un peu trop pour être concluant, car, sur ce pied-là, il n'y aurait plus lieu à nous occuper d'une constitution.

J'ai pour nos aïeux toute la vénération possible, mais cette vénération, ce culte, je dirai, pour les personnes, je ne l'étends pas aux idées erronées, aux préjugés dont ils ont été les victimes. Comme tous les peuples, ils ont croupi longtemps dans la barbarie, dans l'ignorance des droits et des devoirs sociaux ; leurs lois ont été longtemps le produit du hasard et de diverses combinaisons aristocratiques. La raison n'est que d'hier. Si elle avait lui pour eux, croyez, messieurs, qu'ils se seraient hâtés de faire à leur association l'application de ses saintes doctrines. Les peuples qui repoussent les lumières que le ciel leur a départies se rendent coupables bien plus encore envers leur postérité qu'envers eux-mêmes ; il nous importe sur toutes choses de rester purs de ce reproche aux yeux de l'histoire.

Le même orateur demande si nous voulons faire des essais.

Je pourrais dire : Oui, comme nous allons faire l'essai d'une véritable liberté religieuse, d'une véritable liberté d'enseignement, d'une véritable liberté de la presse, d'une véritable élection directe. Mais je répondrai, je pense, plus victorieusement, en disant : L'essai est fait, le congrès a été l'essai. L'événement prouve, mieux que tout ce que je pourrais dire, combien il a été heureux ! Aux yeux de tout homme attentif et impartial, ce dvrait être assez pour le succès de la cause que je plaide.

Un autre membre a parlé d'une démocratie ultra-libérale contre laquelle il faut élever une digue : c'est une fièvre qui prend à tous les peuples de l'Europe, il faut se prémunir contre ses envoyés.

Encore une fois, messieurs, la Belgique n'est pas l'Europe, et c'est pour la Belgique que nous travaillons. Où est donc chez nous cette fièvre démocratique ? qui indique chez nous un seul cerveau qui en soit atteint ? D'ailleurs, c'est là le grand mot dont on s'est servi en France, et sous Bonaparte et sous les Bourbons, pour refuser aux Français l'exécution de toutes les promesses du pouvoir.

Mais quel sens attache-t-on à ce mot démocratie dont on fait une maladie européenne ? Veut-on dire que partout les peuples, comprnant enfin la dignité de leur espèce et l'existence de leurs droits, forment des vœux et demandent à jouir des bienfaits de la civilisation de l'époque.

Je dirai : Cela est vrai, et nous sommes, nous, dans ce sens, sans que nous nous en soyons jamais doutés, la nation la plus démocrate de l'univers, car je ne sache pas qu'il y en ait eu qui aient émis et couché par écrit autant de vœux que nous depuis quinze ans.

Mais le crime de démocratie ne consiste pas dans l'émission d'un vœu ; il serait peut-être dans l'émission d'un vœu coupable et attentatoire à un ordre légal quelconque, sanctionné par la volonté générale : qu'on nous montre en Belgique l'émission d'un pareil vœu ! jusque-là, qu'on cesse de nous effrayer par de vains sons, et de nous créer des fantômes pour apporter à nos libertés des entraves qui ne tarderaient pas à les frapper de stérilité et de mort.

Quant à l'épithète d'ultra-libérale, comme ce mot, à mon avis, est synonyme d'injuste, elle ne saurait non plus être appliquée à la nation belge : jamais elle n'a voulu et jamais elle ne voudra des (page 404) injustices ; c'est la légalité qu'elle sollicite, c'est de cette légalité qu'elle a soif ; c'est ce besoin qui fait qu'elle se presse à votre porte pour vous dmander avec instance et à grands cris une constitution : entendez, messieurs, cet accord unanime de nos villes et de nos campagnes, toutes implorant le retour du régime légal, et dites s'il n'y a pas quelque injustice à se défier d'avance des exigences d'un pareil peuple.

Le faux des raisonnements des partisans d'un sénat repose tout entier sur un anachronisme. Ils croient que les hommes en général sont, en 1830, ce qu'ils étaient en 1790 ; ils ne voient pas l'espace immense qui sépare ces deux époques, et qui d'un monde de ténèbres pour les classes moyennes de la société en a fait un monde de lumières ; ils s'imaginent faussement que, comme alors, la raison n'a encore éclairé que les sommités de l'édifice.

Ils croient que les Belges vont ressembler à ces Français de 1790 qu'un long esclavage, un long abrutissement, une ignorance absolue des notions du juste et de l'injuste, avaient rendus barbares, cruels, avides de vengeances, impatients enfin de meurtrir des bouts de leurs chaînes ceux qui avaient été si longtemps leurs geôliers. Le peuple belge n'a ni haine à satisfaire, ni représailles, ni vengeances à exercer, et, se fût-il trouvé dans une position propre à faire naître ces tristes sentiments dans son âme, la raison toute seule les lui ferait abjurer.

Enfin, messieurs, pour mieux rendre ma pensée, je dirai que là où, par la nature de l'atmosphère, les orages ni les tempêtes ne sont à craindre, il est peu raisonnable de s'obstiner à vouloir élver des paratonnerres, surtout lorsqu'ils peuvent, comme dans l'espèce, avoir le plus grand danger.

Messieurs, avant de quitter ces orateurs, qu'il me soit permis de vous faire observer qu'aucun d'eux ne paraît avoir fait attention aux deux puissantes sauvegardes dont le pouvoir restera muni : je veux parler du veto suspensif, qui sans doute sera consacré dans notre constitution, et du droit de dissolution ; ces prérogatives du pouvoir royal me semblent de nature à satisfaire les plus exigeants et à rassurer les esprits les plus prévenus contre ces turbulences et ces fougues populaires, inconnues à notre nation à qui on a reproché longtemps, et avec quelque raison, trop d'apathie et de tiédeur... Que si, après une dissolution, la chambre nouvelle sollicite la même mesure législative, il faudra bien croire que c'est la nation tout entière qui la veut ; et dans ce cas, force sera au chef de l'État ou plutôt aux ministres, car pour moi je ne vois qu'eux ici en cause, de se soumettre à la nécessité constitutionnelle, et de subir la loi de la majorité, cette loi du destin pour les nations modernes. Il me reste à examiner l'établissement d'un sénat sous un troisième rapport, et à voir si nous sommes autorisés à puiser une pareille institution dans la source d'où nous faisons découler tous les pouvoirs en Belgique.

Chez nous, depuis notre régénération politique, la souveraineté est reconnue émaner de la nation exclusivement ; la puissance législative est un des attributs essentiels, inaliénables de cette souveraineté ; partager cet attribut, qui doit être exclusif à cette souveraineté, entre les délégués de la nation et les délégués de celui aux mains duquel elle aurait confié le pouvoir exécutif, me semble un acte attentatoire à cette souveraineté : c'est la détruire au moment même où on la proclame.

Ainsi, la première, la plus inévitable, la plus palpable des conséquences du principe de la souveraineté du peuple, c'est l'exclusion d'un sénat et surtout d'un sénat tel que le propose la section centrale. .

Peut-être on me dira : Vous-même, pourtant, vous supposez au roi le veto dont vous lui faites partager la puissance législative ; donc vous-même reconnaissez la nécessité d'une exception. Je pourrais me borner à répondre que cette exception, comme toutes celles que la nécessité autorise, ne peut être étendue, à moins qu'une nécessité également évidente, également incontestée, ne nous impose l'impérieux devoir d'en créer une seconde. Or, je pense avoir démontré qu'il n'est, chez nous, ni nécessaire, ni même utile d'établir un sénat : donc, point de nécessité de former une seconde exception au principe de la souveraineté nationale, le plus beau, le plus précieux des trophées de notre révolution. Je le déclare dans toute la sincérité de mon âme, l'institution d'un sénat serait le démenti le plus exprès à la fois, et le plus dangereux, qu'on pût donner à la cause qui nous a mis les armes à la main.

Mais le veto, messieurs, n'est point une exception au principe que nous voulons tous consacrer.

Le chef de l'État est chargé de l'exécution des lois : comme tel vous lui abandonneriez le droit d'arrêter l'exécution. Cet acte du roi n'est point un acte de législateur qui concourt à la loi, c'est un acte de magistrat suprême qui en retarde la sanction. Envisagé sous ce point de vue, le veto laisse sauf le principe de la souveraineté nationale, lequel doit passer intact à notre postérité, (page 405) comme le plus glorieux, le plus utile, et le plus cher souvenir de notre sainte insurrection.

Messieurs, par toutes ces considérations, je voterai pour une seule chambre, laquelle conservera le nom de congrès national.

Si, contre mon attente, l'assemblée décide qu'il y aura un sénat, je me réserve de reprendre la parole pour démontrer que le mode d'organisation proposé par la section centrale est la plus fàcheuse de toutes les conceptions, et que notre sénat présentera moins de garanties, c'est beaucoup dire, et plus de dangers que notre ci-devant première chambre. (U. B., suppl., 31 déc.)

M. le président – – M. Destriveaux a la parole. (U. B., 13 déc.)

M. Destriveaux – Je ne suis pas prêt à parler, je prie M. le président d'appeler un autre orateur à la tribune ; je parlerai plus tard. (U. B., 13 déc.)

M. le président invite M. Van Meenen à prendre la parole ; l'honorable membre n'est pas prêt non plus. M. Goethals, inscrit après lui, n'est pas présent. La parole est à M. Blargnies. (U. B., 13 déc.)

M. Blargnies – Le corps législatif sera-t-il divisé en deux branches, en chambre des communes et en chambre haute ?

Tel est le problème à résoudre aujourd'hui.

J'ai voté pour la monarchie constitutionnelle représentative avec un chef héréditaire, sous la condition que tous les pouvoirs émanassent de la nation, que les impôts fussent modérés, et que toute tyrannie devînt impossible.

Mon opinion sur la grande question qui nous occupe ne peut être qu'une conséquence de celle-là.

Une majorité imposante du congrès veut accorder au pouvoir exécutif la prérogative de nommer à vie les membres de la seconde branche du corps législatif et d'en augmenter le nombre à volonté ; c'est faire du prince l'arbitre du sénat.

Je recule, messieurs, devant l'idée qu'un roi armé de l'inviolabilité, du droit de sanctionner les décrets de la législature, du pouvoir de disposer des forces de terre et de mer, de nommer aux emplois, de faire la guerre, de conclure des traités de paix, d'alliance et de commerce, et de dissoudre la chambre des communes, soit encore investi de la puissance de créer, manier et remanier, sous son bon plaisir, une des deux branches du corps législatif.

Ma raison se révolte surtout contre la faculté qu'on veut lui abandonner de faire ce qu'on appelle des fournées, c'est-à-dire, de forcer par le nombre une résolution qu'on ne peut obtenir du patriotisme et de la conviction ; pour moi ce mot dit tout : sénat et fournées sont deux idées que je ne puis associer.

Vous le voyez, messieurs, j'ai le malheur de ne pas me laisser convaincre par les raisonnements et les savantes combinaisons des publicistes qui pensent qu'un sénat doit être l'ouvrage du prince, une matière à laquelle il puisse imprimer l'impulsion qu'il lui plaît ; c'est, messieurs, que je ne vois dans un prince qu'un homme puissant, et dans les membres d'un sénat royal que des hommes moins puissants à la vérité, mais enfin des hommes puissants aussi, et dont il pourrait se servir, en telles circonstances données, au détriment de la patrie.

Je n'admets pas que le principal but de l'institution d'un sénat soit de permettre que certains intérêts aristocratiques non représentés dans la chambre des communes soient suffisamment écoutés ; j'admets encore moins que la chambre haute ne soit pas proprement une garantie populaire.

Je veux, moi, que dans notre constitution, tous les pouvoirs, toutes les institutions quelconques, même le roi, soient des garanties populaires ; je ne vois que la nation et son plus grand bien, et je n'aperçois dans la chambre haute, dans la chambre des communes, dans l'hérédité du chef de l'État, dans les corps judiciaires, communaux et provinciaux, que des moyens de salut public, que des hypothèques de la liberté des peuples ; c'est ainsi, je pense, qu'on procédera à l'avenir ; on se demandera : Telle institution est-elle essentielle au maintien ou au développement des libertés publiques ? Je prétends que tous les intérêts d'une nation peuvent être représentés dans la chambre des communes, quand la loi électorale est bonne ; mais la précipitation, les emportments, la mobilité d'une assemblée populaire, l'immensité de sa puissance en présence du pouvoir exécutif, et à côté de ce danger trop réel, la possibilité de son asservissement à la couronne, me démontrent la nécessité d'une chambre haute.

Ma raison se refuse à l'idée que le seul moyen de terminer à l'avantage de la nation les luttes sérieuses entre les deux chambres soit la nomination directe, à vie et en nombre illimité, des membres de la chambre haute par le chef de l'État.

Ce moyen me paraît uniquement propre à favoriser la tyrannie des chefs des nations ; un roi armé du pouvoir de dissoudre les élus du peuple, fort de l'appui que lui prêteraient des sénateurs ses créatures, se rendrait trop facilement le maître et bientôt régnerait en monarque absolu (page 406) sur des sujets ; il vaut mieux éviter ces luttes sérieuses, et surtout prévenir tout despotisme par la composition d'une chambre haute hors de l'influence du trône, et dont tous les membres soient essentiellement intéressés au maintien de l'ordre, du respect des propriétés et de la constitution.

Ceux qui regardent les fournées, la non-limitation du nombre des sénateurs, leur nomination à vie par le chef de l'État, comme des nécessités du gouvernement représentatif, sont trop dominés par les théories anglaise et française, théories nées de faits et de circonstances qui n'existent pas pour nous.

Le peuple doit comprendre les institutions qu'on lui donne ; s'il les comprend, il en apprécie l'utilité, et veut les conserver même au prix de quelques inconvénients ; je pense que jamais son intelligence ne pénétrera les profonds calculs à l'aide desquels on tâche de lui persuader que les sénateurs ne pourraient être utiles à la Belgique qu'à la condition d'être nommés à vie par le chef de l’Etat et d'être portés à tel nombre qu'il le jugerait convenable ; encore moins sentira-t-il que pareille institution soit indispensable au bien de la patrie.

Je suis convaincu que l'institution d'un sénat ou chambre haute est indispensable au maintien de la constitution belge ; dès lors je l'admets, mais je veux qu'elle ne puisse servir qu'à cette fin ; j'écarte toute faveur pour l'aristocratie ou pour le prince.

Il est vrai, messieurs, que les lumières ont fait de grands progrès ; elles ont signalé presque tous les abus ; mais elles n'ont point changé la nature des choses ; elles ont laissé aux hommes leurs passions et leurs faiblesses ; aux institutions humaines, l'imperfection à laquelle elles sont condamnées.

Placé sous l'empire de ces préoccupations, je ne vois dans les membres du corps législatif que des hommes armés d'une immense puissance, que les ministres du premier, du plus grand de tous les pouvoirs, du pouvoir électoral.

Si une constitution bien appropriée aux mœurs et aux intérêts d'une nation est le plus grand des biens, il faut qu'elle renferme les moyens de se conserver longtemps ; l'on est généralement d'accord que pour produire cet heureux résultat elle doit consacrer l'hérédité du chef de l'État ; il est donc indispensable d'accorder toutes les garanties de stabilité possibles au pouvoir exécutif.

Faisons abstraction, messieurs, des idées qui se groupent ordinairement dans nos esprits autour de celle de roi ou de souverain, et ne voyons dans le pouvoir exécutif, dans le chef de l'État, qu'un des rouages indispensables de la machine politique, qu'une institution jugée par nous aussi nécessaire que la représentation nationale.

Raisonnons dans l'hypothèse d'un corps législatif réuni en une seule chambre. Certes, il n'est pas impossible qu'elle se laisse corrompre ou dominer par le pouvoir exécutif au point de lui sacrifier les libertés publiques ; l’histoire contemporaine nous fournit l'exemple d'une assemblée populaire et d'un sénat subissant toutes les volontés d'un maître impérieux ; d'un autre côté, il peut se faire que le corps législatif attaque les prérogatives du trône ; le pouvoir exécutif se défendra, et alors de deux choses l'une, ou il succombera et la nation sera livrée à la tyrannie la plus épouvantable, à celle d'une assemblée délibérante ; ou bien il triomphera, et le résultat pour la nation ne serait qu'une tyrannie d'une autre espèce. Qu'on ne dise pas que je pousse les choses à l'extrême ; il est de l'essence du pouvoir de chercher à s'accroître par tous les moyens possibles, l'histoire en fait foi ; il en résulte nécessairement, et l'expérience l'atteste, que deux pouvoirs rivaux, sans cesse en présence et en contact, se livreront une guerre qui ne finira que par la destruction de l'un d'eux.

Une assemblée passionnée, les assemblées délibérantes le sont toutes, prendra quelquefois des mesures inconsidérées, désastreuses ; ne pouvant se lier elle-même, elle défera le lendemain ce qu'elle avait fait la veille ; elle déconsidérera aux yeux du peuple ce qu'il doit le plus respecter, la loi !

Elle peut adopter des résolutions à une très faible majorité ; investie des pouvoirs de la nation, elle peut ne pas exprimer sa volonté.

Quel sera le remède à tous ces inconvénients ?

Opposer le pouvoir exécutif armé du veto ou du droit de dissolution au corps législatif réuni en une assemblée unique, c'est, quoi qu'on dise, placer un seul homme en présence de la toute-puissance nationale, de la masse entière du peuple personnifié dans ses représentants, c'est engager une lutte dont l'issue ne peut qu'être fatale au pays, c'est exposer la constitution à des chances de désastre trop certaines.

Pour prévenir ces dangers, il faut empêcher toute lutte directe entre l'assemblée populaire et le chef de l'État, et soumettre les décisions des représentants du peuple à l'examen et à la sanction d'un pouvoir essentiellement modérateur destiné (page 407) à servir de barrière au peuple contre le trône et au trône contre le peuple ; la création de ce tiers pouvoir est donc une nécessité qu'il faut subir si l'on veut assurer quelque durée à nos institutions.

Ce pouvoir conservateur, je l'appellerais chambre haute.

La chambre haute ne serait pas héréditaire ; je craindrais qu'elle ne dégénérât en aristocratie tyrannique, et puis ma raison serait blessée de l'idée que le droit de la naissance seul imposât des représentants à mes concitoyens, fussent-ils dignes ou non de ce beau titre ; d'ailleurs l'esprit d'égalité a trop pénétré la société pour qu'elle admette pareille institution ; cet esprit est tel aujourd'hui qu'il ne souffre plus de distinction qui ne soit fondée sur le mérite ; on l'a dit, nous sommes dans le siècle du positif.

La chambre haute ne serait pas nommée à vie ou à terme par le pouvoir exécutif ; je ne voudrais pas qu'il fît faire par ses serviteurs ce qu'il n'oserait faire lui-même.

Elle ne serait pas non plus nommée à vie par un corps électoral quelconque ; les mots d'élection à vie impliquent contradiction.

La chambre haute, comme tous les autres pouvoirs, émanerait de la nation : je la ferais élire par les états des provinces ; elle serait composée de riches propriétaires et de grands industriels, c'est-à-dire, des citoyens les plus intéressés à la conservation de l'ordre, au règne des lois et au maintien de la constitution.

Je fixerais le nombre de ses membres à quarante-cinq.

Tout citoyen payant mille florins d'impôt foncier pourrait être appelé à la chambre haute ; dans les provinces où l'on ne trouverait pas à ce taux un éligible par 10,000 habitants, l'on choisirait les plus imposés à raison d'un sur 10,000.

Rien ne me démontre que les conseils provinciaux ne puissent être de bons corps électoraux, je leur confierais la mission d'élire les membres de la chambre haute ; ce mode d'élection et les conditions exigées des éligibles suffiraient pour donner à la chambre haute l'esprit de conservation et de modération que je veux dans cette institution. Un fait parle toujours très haut ; or il est constant que les états provinciaux ont toujours envoyé beaucoup de bons députés à la seconde chambre des états généraux du royaume des Pays-Bas ; nous améliorerons ces états par l'élection, et nous y trouverons de nouvelles garanties.

S'il arrivait que les membres des conseils provinciaux envoyassent de mauvais députés à la chambre haute, ils courraient eux-mêmes le danger de n'être plus réélus par leurs concitoyens ; cette crainte influerait très puissamment sur leurs choix.

L'élection par les états provinciaux offrirait encore le moyen de ne pas réunir trop souvent ni trop longtemps les grandes masses électorales. Songeons au jury, messieurs, aux élections communales, provinciales et générales ; ne donnons pas au peuple un trop lourd fardeau politique.

Les citoyens payant mille florins d'impôt étant les seuls éligibles, il se formerait dans chaque province des listes électorales ; le peuple ferait ses choix à l'avance ; l'opinion publique et la presse les porteraient à la connaissance des états provinciaux ; les mauvaises nominations seraient rares ; la majorité des élus serait toujours bonne.

Veuillez remarquer, messieurs, que je suppose les membres des états provinciaux nommés directement par le peuple, et renouvelés à des intervalles assez rapprochés, ce qui permettrait d'en changer la tendance et fournirait, par une conséquence naturelle, la possibilité de modifier le personnel et l'esprit de la chambre haute.

Si l'on demandait pourquoi je préfère les conseils provinciaux aux électeurs de la chambre des communes, je répondrais que j'espère par ce moyen donner à la chambre haute une couleur différente de celle de la chambre des communes, et que je trouve dans les membres de ces conseils des hommes d'élite choisis par le peuple comme dignes de sa confiance, des hommes qui comptront au nombre de leurs plus beaux droits la prérogative de nommer à la chambre haute, et qui tiendront à l'exercer dignement.

Je voudrais que l'on ne pût entrer à la chambre haute qu'à l'âge de trente-cinq ans.

La couronne n'aurait aucune influence sur ses membres ; je n'y admettrais aucun individu exerçant des fonctions à la cour ou salarié par le pouvoir exécutif.

Les membres de ce corps seraient élus pour dix ans et rééligibles à la cessation de leur mandat ; je les intéresserais encore par là à bien remplir leur mission.

Je ne voudrais pas qu'ils fussent une charge pour la nation ; leurs fonctions seraient gratuites ; ils n'en seraient que plus indépendants.

J'exigerais que toutes leurs délibérations fussent publiques ; les intérêts de la nation doivent se traiter au grand jour.

Cette chambre aurait l'initiative et le droit d'accepter ou de refuser les projets de loi adoptés par la chambre des communes ou proposés par le pouvoir exécutif.

(page 408) Si je ne me trompe, une assemblée formée de tels éléments serait toujours disposée à accueillir les mesures utiles adoptées par la seconde chambre, elle ne repousserait que les lois vraiment hostiles aux intérêts du pays ou à la constitution ; nous devons le croire ainsi, à moins qu'il ne soit plus permis d'avoir foi en aucune probabilité ; comptons pour quelque chose, messieurs, les progrès des lumières, la connaissance qui devient de plus en plus intime des intérêts et des devoirs des individus et des États, et les leçons que l'expérience nous a données à nos dépens ; croyons, si nous ne sommes pas réduits à désespérer de la perfectibilité, que rois et citoyens sont enfin convaincus que les pouvoirs sont institués comme des moyens de conservation et de salut public, qu'ils ne peuvent plus subsister qu'à la condition d'être justes et de concourir sans cesse au bien commun ; sachons reconnaître que ces vérités sont entrées dans les mœurs, et nous garantissent que l'action des mandataires du peuple sera désormais unanime dans la voie des intérêts nationaux ; s'il n'en était pas ainsi, messieurs, les systèmes les plus ingénieux, les plus parfaits ne nous serviraient à rien ; quel fruit recueilleraient des meilleures formes de gouvernement possible des hommes incapables de les apprécier, de les mettre en pratique, et surtout de les aimer ?

La chambre haute ne serait pas soumise à la dissolution de la part du chef de l'État ; je trouvrais excessivement dangereux de lui permettre de faire disparaître à la fois de la scène politique tous les organes de la nation ; une telle prérogative favoriserait trop des projets liberticides, et pourrait être la cause de violentes secousses dans l'État ; d'ailleurs cette chambre devrait se former au bsoin en cour de justice pour connaître des accusations contre les ministres, et il serait scandaleux que le chef de l'État pût les soustraire à la vindicte publique par la dissolution de l'autorité investie du droit de les juger.

L'on dira que la chambre haute, ayant la faculté de rejeter les projets de loi, peut devenir un obstacle insurmontable au bien ; à la rigueur, la chose est possible ; mais moralement, elle ne l'est pas ; car de deux choses l'une, ou la mesure repoussée aura été proposée par la deuxième chambre, ou elle l'aura été par le pouvoir exécutif ; dans le premier cas, si elle est réellement bonne et qu'elle soit enlevée au pays par la chambre haute, le pouvoir exécutif s'en emparera et la reproduira ; la chambre populaire agirait de même, si la résolutionrejetée émanait du pouvoir exécutif, et je ne concvrais pas que des hommes choisis par l'élite des provinces parmi les propriétaires les plus riches, parmi des citoyens intéressés au premier chef à la conservation des institutions de la patrie, de l'ordre et de la paix, naturellement désireux de l'honneur d'être réélus à l'expiration de leur mandat, agissant sous l'influence de la publicité et de la presse, consentissent jamais à se charger de tout le poids de la haine du peuple, en s'obstinant à repousser des projets de loi que le chef de l'État, la chambre populaire et l'opinion publique jugeraient utiles à la nation.

La rénovation des membres de la chambre haute pourrait aussi parer à cet inconvénient.

Voilà, messieurs, comment j'entends la grande institution sur laquelle nous délibérons, et je ne pense pas qu'il soit de son essence d'agir pour le peuple contre le pouvoir, ou pour le pouvoir contre le peuple, et d'être, dans tous les cas, une corporation très dangereuse aux libertés publiques ; les partisans de cette opinion sont trop effrayés des exemples dont ils ont été témoins, ou des leçons de l'histoire ; ils ne voient pas l'institution ell-même, ils n'en aperçoivent que les vices dont nous voulons la purger ; ils comparent une pairie héréditaire ou royale avec une chambre haute, produit d'une élection libre et périodique ; une pairie aristocratique ou servile avec une institution essentiellement nationale, dont l'intérêt, l'ambition et la gloire ne peuvent être que de maintenir la constitution.

Oui, sans doute, notre chambre haute servira quelquefois le pouvoir contre le peuple, et le peuple contre le pouvoir ; c'est précisément le rôle que je veux lui donner, et le danger n'est pas là ; le danger existerait si elle était constituée de manière qu'elle pût opprimer à son profit le peuple par le trône ou le trône par le peuple ; la pairie héréditaire et la pairie royale offrent seules cet inconvénient ; la chambre haute, telle que je le conçois, ne servira le pouvoir ou le peuple que dans l'intérêt de la chose publique et des libertés nationales.

Ne perdons jamais de vue, messieurs, que le peuple de la Belgique ne peut exercer le pouvoir législatif par lui-même ; il est forcé de le déléguer, et dès lors fortement intéressé à diviser ses représentants en deux corps chargés de se surveiller mutuellement ; prenons-y garde ; une assemblée unique finirait infailliblement par attirer à elle tous les pouvoirs et par asservir la nation ; c'est alors que le peuple aurait créé à son détriment l'aristocratie que l'on redoute tant pour lui ; c'est alors que la liberté de la presse, pour ne parler que de celle-là, serait forcée de se taire devant la tyrannie des mandataires infidèles du peuple, dont (page 409) les chefs ne voudraient bientôt plus livrer à l'examen leur conduite et leurs projets ; c'est alors que l'on verrait renaître les attentats à la propriété et aux personnes dont l'histoire de tous les despotismes, et particulièrement du despotisme des assemblées législatives, nous offre le triste tableau. (U. B., 15 déc.)

M. l’abbé de Smet – Messieurs, à la prmière proposition qui nous fut faite de doter la Belgique de deux assemblées législatives, je me sentis fortement opposé à concourir au rétablissment d'une première chambre ou d'un sénat ; mais je crus m'apercevoir que le spectacle pitoyable que nous a offert trop longtemps la première branche de nos états généraux avait trop d'influence sur mon opinion. Il me fallut en conclure que j'avais besoin de considérations plus impartiales, et surtout des lumières de votre assemblée, avant de pouvoir me décider. J'ai suivi, messieurs, une marche qui me paraît prudente, et, je dois l'avouer, elle n'a pu encore dissiper entièrement mes doutes.

Dans un gouvernement constitutionnel, il est prouvé par l'expérience que ce qui abonde vicie toujours, et qu'un rouage inutile doit entraver ; j'aimerais donc qu'on nous démontrât de quelle utilité sera pour notre pays l'érection d'une première chambre, et cette démonstration n'a pas été faite, à mon avis, dans les discours que nous avons entendus. Quel serait, en effet, le but d'une institution semblable ? L'ancien gouvernement avait fait de sa première chambre une sorte d'hôtel des invalides civils (on rit) ; il s'en servait pour éloigner les fonctionnaires qu'il ne trouvait plus assez souples ou pour récompenser les autres de l'abnégation parfaite avec laquelle ils avaient exécuté ses ordres ; si un tel gouvernement avait pu durer, il aurait bientôt trouvé dans la première chambre un moyen assuré de déshonorer la vertu et de souiller les réputations. Une telle pensée est loin de votre cœur, messieurs ; si vous jugiez convenable, et la chose serait digne d'une nation grande et généreuse, si vous jugiez convenable de décerner des récompenses à l'homme blanchi avec gloire dans les fonctions publiques, vous ne croiriez pas atteindre votre but en confiant à des mains affaiblies les travaux qui doivent occuper une assemblée où sont jugés, pour ainsi dire en appel, les intérêts les plus sacrés de la nation.

Ce n'est pas ainsi non plus que les défenseurs du sénat envisagent cette institution ; s'il en était ainsi, on aurait proposé de faire un traitement convenable aux sénateurs, et l'assemblée a été unanime pour le rejeter. Ils pensent avec un ancien que le plus parfait de tous les gouvernements est celui dont les pouvoirs se servent de contrpoids, où l'autorité du peuple réprime la trop grande puissance des rois et où un sénat choisi met un frein à la licence du peuple. Cette théorie est belle sans doute ; j'y ajouterai même que, comme le pouvoir a bien des moyens pour influencer les élections prétendues populaires, le sénat constitué fortement devrait aussi opposer un mur d'airain aux envahissements du pouvoir.

Mais cette belle théorie est-elle nécessaire à la paisible et industrieuse Belgique ? La chambre nommée directement par le peuple sera toujours très accessible chez nous à la naissance et à la grande propriété ; votre assemblée elle-même, messieurs, en est une preuve : l'action de l'élément démocratique, comme on l'appelle, me paraît peu à craindre dans les élections à venir. Le peuple belge, par sentiment et par intérêt, aime avant tout l'ordre et la tranquillité ; il ne craint rien tant qu'une révolution, et il n'y a recours qu'à la dernière extrémité. Pendant quinze années, il a été froissé violemment dans sa religion, dans ses mœurs et dans ses intérêts, par un gouvernement incapable d'apprécier ses vertus, et, pendant quinze années, il n'a eu recours qu'aux voies légales pour obtenir le redressement de ses griefs ; c'était là encore, messieurs, que ses vœux se bornaient, il y a quelques mois, et si l'on n'avait, par une opiniâtreté inconcevable, méprisé ses justes réclamations, il obéirait encore à un gouvernement oppresseur : est-ce au milieu d'une nation aussi sensée et aussi paisible qu'on doit prendre des précautions si fortes contre la puissance du peuple ? n'est-ce pas méconnaître entièrement son beau caractère ?

Et supposons, messieurs, que la chambre législative se montre démocratique à l'excès, n'est-il pas de meilleur remède qu'une première chambre pour y mettre ordre ? Ou cette chambre exprime fidèlement l'esprit de la nation, et le ministère n'a d'autre moyen que de s'en aller modestement et de céder la place à un autre en harmonie avec l'opinion publique ; ou la chambre est composée en sens contraire de l'esprit de la nation, et alors il ne saurait y avoir aucun danger à en appeler à la nation elle-même par la dissolution de la chambre. Une première chambre dévouée aux ministres ne serait-elle pas dangereuse par ces mêmes circonstances ? Ne serait-elle pas la cause de l'obstination imprudente du pouvoir, ou du moins un moyen de prolonger le malaise et le mécontentment de la nation ?

Les membres du congrès qui se déclarent pour (page 410) l'établissement d'un sénat, repoussent les théories et veulent surtout que l’on consulte l'expérience ; j'ai eu l'honneur de dire une autre fois à cette tribune que je n'aimais pas qu'on suivît les vues des idéologues dans la constitution des États. Je voudrais qu'on en agît à leur égard, comme Platon propose d'en user avec les poètes dans sa république. Consultons l'expérience, que nous a-t-elle appris ? L'Angleterre a vu traîner à l'échafaud l'un de ses rois, une chambre de lords existait cependant, et elle s'est trouvée incapable de lutter avec l'omnipotence des communes. Le second fils du même roi a été privé de sa couronne et déclaré inhabile, lui et ses descendants à perpétuité, à régner sur la Grande-Bretagne ; n'y avait-il pas alors aussi une chambre haute ? n'a-t-elle pas dû concourir avec la chambre basse à la révolution de 1688 et à la déchéance de Jacques II ? Cette année même, nous avons vu tomber deux dynasties de rois ; la première chambre, qui existait dans l'un et l'autre État, a-t-elle pu retarder leur chute d'un moment ? Après des exemples aussi frappants, nous sera-t-il encore facile de croire qu'un sénat ou une première chambre est une sauvegarde assurée pour le chef de l'État contre les insurrections populaires ? On nous a, il est vrai, cité les malheurs que le long parlement, la convention nationale et les cortès avaient causés aux royaumes qu'ils gouvernaient, mais ces malheurs n'auraient-ils pas affligé l'Europe, si une première chambre avait existé à côté de ces assemblées populaires ? Je ne puis adopter, messieurs, une semblable opinion. Le génie puissant de Cromwell et l'ardent fanatisme du peuple qu'il dirigeait à son gré auraient fait d'une première chambre un docile instrument de leurs fureurs ; l'exaltation des Français et des Espagnols, dans l'effervescence de leur révolution, n'aurait pas souffert une assemblée opposée à leurs projets niveleurs.

Un orateur distingué de cette chambre, M. le comte de Celles, nous a prouvé qu'il est impossible d'importer chez nous la pairie anglaise. En effet, où sont ces immenses possessions territoriales de la chambre des lords ? Où sont ces bourgs pourris qui donnent aux pairs une si grande influence dans les communes ? Et quand cela serait, croit-on que la nation anglaise est si heureuse ?

Je ne puis donc croire que dans les temps de convulsions populaires un sénat en arrête toujours les suites ; mais je pense qu'il en peut reculer les effets et donner ainsi au pouvoir le temps de se reconnaître et d'éviter le gouffre ouvert par l'impéritie et la malveillance des conseillers de la couronne. Par ce motif, et par celui de la nouvelle carrière qu'il présente aux sommités sociales, je pense qu'un sénat ne serait point sans utilité, si on le constitue de manière à l'environner de la considération qui est nécessaire au premier corps de l'État. Mais encore une fois, cette utilité me paraît trop faible pour balancer les inconvénients d'une institution qui n'est en harmonie ni avec nos souvenirs historiques, ni avec nos lumières actuelles.

Quelques personnes sont d'avis que l'article de notre constitution qui portera que tous les Belges sont égaux devant la loi et admissibles à tous les emplois, s'opposera invinciblement à l'établissment d'une première chambre ; je ne puis, messieurs, partager leur opinion. Il me semble qu'ils ont confondu la liberté que doit garantir notre loi fondamentale et l'égalité absolue, rêve dangereux des démagogues : il y a entre l'une et l'autre une distance considérable. La liberté est le sentiment des âmes élevées : elle produit les grandes actions, crée les grandes patries et fonde les institutions durables ; elle se plaît dans l'ordre et s'allie avec tous les gouvernements, hors avec le despotisme. L'égalité absolue, au contraire, est la passion des âmes ignobles, elle prend sa source dans l'amour-propre et l'envie, et s'unit aussi bien au despotisme qu'à la démocratie. Vous sentez, messieurs, que cette égalité absolue, véritable principe de mort, ne trouvera point place dans notre loi fondamentale, et que ceux qui l'invoquent n'ont pas réfléchi à quel abîme elle nous conduirait. Les principes auxquels ils en appellent contre le sénat se trouvent dans les lois de l'Angleterre et de la France ; jamais cependant on n'a cru dans ces deux royaumes qu'ils s'opposaient à l'érection d'une chambre des pairs. Les Français dans leur révolution flagrante encore ont changé plusieurs articles de la charte qu'on leur avait octroyée, mais ils ont laissé exister leur première chambre ; il est probable, à la vérité, qu'ils modifieront cette institution, mais rien ne porte à croire qu'ils songent à la détruire.

Les discours des orateurs qui défendront encore à cette tribune l'établissement d'une première chambre renverseront sans doute les graves objections qui ont été faites contre cette institution ; je réserve mon vote, jusqu'à ce qu'ils m'aient éclairé davantage. (J. F.. 15 déc.)

Projet de décret relatif à l'établissement d'une commission de comptabilité nationale

Dépôt du projet

M. le président – – Il va vous être donné lecture d'un projet de décret envoyé au congrès (page 411) par le chef du comité des finances. (U. B., 15 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture d'un projet de décret relatif à l'établissement d'une commission de comptabilité nationale.

M. le président – Le projet sera imprimé et distribué. (U. B., 15 déc.)

M. de Robaulx – Avant d'ordonner l'impression du projet, je voudrais savoir si le ministre a l'initiative de la présentation des lois, et s'il ne faut pas, pour qu'une loi soit discutée, qu'elle soit présentée par un membre du congrès. (U.B., 15 déc.)

M. Forgeur – Pour éviter une discussion dans laquelle nous entraînerait la question de M. de Robaulx, je déclare que je m'empare du projet, et que j'en fais la présentation en mon nom. (U. B., 15 déc.)

M. de Robaulx – Dans ce cas je n'ai rien à dire. (U.B., 15 déc.)

M. Lebeau – Il y a un précédent qui justifie la présentation du projet par le ministre des finances. Déjà, dans une autre circonstance, et cela n'a fait aucune difficulté, le gouvernement a pris l'initiative pour la loi relative à l'organisation des volontaires et à la garde civique, Cependant la déclaration de maître Forgeur lève toute difficulté... (on rit) de notre honorable collègue M. Forgeur : c'est le cas de passer outre. (U. B., 15 déc.)

M. Forgeur – Je demande que le congrès déclare qu'il y a urgence. (U. B., 15 déc.)

M. Devaux – Si le congrès déclare l'urgence, il y a deux moyens de procéder : celui de renvoyer aux sections, ou à une commission immédiate. Si vous renvoyez aux sections, il faudra qu'elles délibèrent ; après elles, viendra le tour de la section centrale, ce qui fera un double travail. En renvoyant à une commission, nous irons plus vite, et c'est ce qu'il faut désirer dans les circonstances pressantes où nous nous trouvons. (U. B., 15 déc.)

M. de Robaulx – Si le règlement permet le renvoi à une commission, j'appuie la proposition de M. Devaux. (U. B., 15 déc.)

M. Forgeur – Je demande d'abord que l'on déclare l'urgence. (U. B., 15 déc.)

M. le président – – Qui nommera la commission ? (U. B., 15 déc.)

- Une voix – Chaque section nommera un de ses membres. (U. B., 15 déc.)

M. Devaux – Il me semble que la nomination de la commission par le congrès serait préférable, Une section pourrait être composée de telle manière qu'il n'y eût pas dans son sein un membre assez familier avec les matières de finances (oh ! oh ! rumeurs), tandis que, dans une autre, il y en aura plusieurs dont le concours pourrait être désirable. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Renverra-t-on aux sections, ou à une commission ? (U. B., 15 déc.)

- Le congrès ordonne le renvoi à une commission. (P. V.)

M. le président consulte l'assemblée pour savoir si elle nommera la commission, ou si elle sera nommée par les sections ? (U. B., 15 déc.)

- Le congrès décide qu'elle sera nommée par les sections. (P. V.)

Droit d'initiative du gouvernement provisoire, en matière de présentation des projets de décret

M. Charles Rogier – Un projet vous a été présenté par le comité des finances : on lui a contesté le droit de faire cette présentation. M. Forgeur, en faisant le projet sien, a empêché toute discussion, et par là on a éludé une question qu'il aurait mieux valu décider : je demande que l'on examine si le gouvernement a, ou non, le droit de prendre l'initiative pour la présentation des lois. (U. B., 15 déc.)

M. le président – – Messieurs, cette question est grave ; si quelqu'un demande la parole, je la lui accorderai. (U. B., 15 déc.)

M. de Robaulx – Le gouvernement ne peut avoir l'initiative, il n'a que le pouvoir exécutif ; en Angleterre, les ministres n'ont l'initiative que comme députés ou comme pairs. (C.. 15 déc.)

M. Forgeur – On peut se dispenser d'agiter la question en ce moment, puisqu'en ma qualité de membre du congrès je présente le projet comme s'il émanait de moi ; d'un autre côté plusieurs membres du gouvernement provisoire appartiennent au congrès : presque tous siègent parmi nous ; lorsque le gouvernement voudra présenter un projet de loi, il le pourra donc facilement, sans s'embarrasser de la question de l'initiative. C'est au reste parce que cette question est aussi importante que délicate que je ne crois pas que nous devions nous en occuper dans ce moment. Si on peut nous éviter une perte de temps, on doit le faire. Le congrès et la nation auront grande obligation : ceux qui nous éviteront la peine d'examiner des questions qui peuvent être importantes, mais que l'on peut ajourner sans inconvénient. (U. B., 25 déc.)

M. Van de Weyer – La difficulté élevée par M. de Robaulx vient, à ce qu'il me semble, de ce (page 412) que le projet est présenté par M. l'administrateur des finances et non par le gouvernement provisoire. Si l'honorable membre y avait réfléchi, il aurait songé que M. l'administrateur des finances ne se serait pas aventuré à présenter un projet de loi au congrès sans l'avoir soumis au comité central, et que le fait seul du renvoi de ce projet dvant cette assemblée, suppose l'approbation du gouvernement. (U. B., 15 déc.)

M. le président – Ces explications vous satisfont-elles ? (Non ! non !) (C., 15 déc.)

M. le baron Beyts – L'article 12 du règlment accorde au gouvernement le droit de nous envoyer un message, il peut donc nous adresser un projet de loi. (C., 15 déc.)

M. de Robaulx – L'article 12 ne préjuge rien à cet égard. (C., 15 déc.)

M. le président – Je pense que nous pouvons reprendre la discussion générale. (C., 15 déc.)

M. l’abbé de Foere – Messieurs, le pouvoir exécutif est distinct du pouvoir législatif ; on ne peut pas attribuer au gouvernement ce dernier pouvoir, et pour moi, je ne lui accorderai jamais un droit que le roi d'Angleterre lui-même ne possède pas. Je m'opposerai donc… (U. B., 15 déc.)

M. le président – M. Nothomb a la parole pour un rappel au règlement. (C., 15 déc.)

- Plusieurs voix – N'interrompez pas l'orateur. (U. B., 15 déc.)

- D’autres voix - M. Nothomb ne peut pas avoir la parole. (U. B., 15 déc.)

- D’autres voix - A la question ! (Tumulte ; de vives interpellations sont adressées à M. Nothomb.) (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb – Je suis dans la question (Non ! non !) ; je suis dans la question : l'assemblée avait décidé... (On crie de toutes parts : Vous n'avez pas la parole ! laissez finir M. de Foere ! Le tumulte est à son comble.) (U. B., 15 déc.)

- Un membre – Voici l'article 21 du règlement : Nul ne peut être interrompu... (U. B.., 15 déc.) 1

M. Nothomb – On peut toujours parler pour le rappel au règlement et sur la position de la question. (Non ! non !) (U. B., 15 déc.)

M. Van Meenen, vivement – Il est permis de demander la parole, mais non pas d'interrompre. (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb regagne sa place, le calme se rétablit. (U. B., 15 déc.)

M. l’abbé de Foere continuant – Je m'oppose à ce que le gouvernement prenne l'initiative avant que le congrès la lui ait accordée, s'il a des communications à faire, il le peut par un message ; le règlement lui indique cette voie, qu'il la suive. (U. B., 15 déc.)

- Plusieurs voix, à M. Nothomb – Maintenant parlez. (C., 15 déc.)

M. Nothomb – Messieurs, une discussion était commencée sur le sénat. Cette question est des plus importantes. Tout à coup on vient l'interrompre, et l'on jette au milieu de nous une question encore plus grave peut-être : c'est contre cette manière de procéder que j'ai voulu m'élever. Occupons-nous du sénat d'abord ; si plus tard on veut appeler l'attention du congrès sur la question de l'initiative, on pourra en faire l'objet d'une proposition particulière. Maintenant je m'expliquerai sur un fait qui m'est personnel. Il est reçu que, pour un rappel au règlement, on peut interrompre l'orateur. (U. B., 15 déc.)

- Un grand nombre de voix – Non ! non ! (Interruption.) (U. B., 15 déc.)

M. Nothomb – Quoi qu'il en soit, je pense que le président doit consulter l'assemblée sur la question de savoir s'il faut reprendre la discussion relative au sénat ; c'est le seul moyen d'en finir. (C., 15 déc.)

M. le président consulte l'assemblée pour savoir s'il sera donné suite à cette question incidente. (U. B., 15 déc.)

- Le congrès décide que la discussion sur le sénat sera reprise. (C., 15 déc.)

Projet de Constitution

Question de principe relative au sénat

Discussion générale

- M. de Gerlache, vice-président, cède le fauteuil à M. le baron Surlet de Chokier.

M. le président – La parole est à M. Lebeau. (U. B., 15 déc.)

M. Lebeau – Messieurs, dans la série des questions que doit soulever l'organisation d'une première chambre, il y a une question préalable à examiner et à laquelle il faut d'abord s'attacher : y aura-t-il deux chambres ? Il n'y a pas eu encore de décision là-dessus ; il est donc logique de s'occuper d'abord de cette question et de réserver la discussion partielle sur les autres, à mesure que les autres articles se présenteront, y aura-t-il deux chambres ?

Le premier sentiment que fait naître cette question, est l'idée d'introduire dans la constitution l'élément aristocratique. C'est l'idée dominante destinée à influer sur l'accueil ou la défaveur réservée à la question entière.

Messieurs, l'argument le plus vrai, et par conséquent le plus banal, en faveur du nombre (page 413) multiple des chambres, dans un gouvernement, est le danger de la précipitation. Ce danger ne peut être prévenu que par l'existence d'une chambre haute. Sans l'adjonction de deux chambres au pouvoir exécutif et en l'absence des éléments constitutionnels de ces deux chambres, vous êtes sans sauvegarde et sans défense contre la précipitation des délibérations, et, vos décisions pouvant être en quelque sorte improvisées, il en résultera de graves inconvénients.

L'histoire des assemblées délibérantes est là pour le prouver ; il n'est pas nécessaire pour cela de remonter au delà de la révolution française. Dans l'assemblée constituante, qui comptait dans son sein l'élite du peuple français, nous avons vu des orateurs exercer une puissance telle, qu'il est des exemples d'une décision prise et rapportée dans la même séance. Mirabeau, sur sa proposition même, a fait dans la même séance décider le pour et le contre. Dans l'assemblée législative, on compte plusieurs exemples de ce phénomène, aussi nuisible aux intérêts nationaux qu'à la dignité des assemblées délibérantes.

Quant aux mesures d'urgence adoptées par la convention, les exemples déplorables que l'on pourrait citer vous sont trop présents pour qu'il soit besoin de vous les rappeler ; il n'y a point de palliatif contre un tel danger. Toutes les précautions que l'on pourrait prendre seraient illusoires. Tous les règlements que vous imaginriez, trois lectures, une déclaration d'urgence, et autres mesures semblables, tout cela serait facilement violé. En Angleterre même, il est des exemples de trois lectures faites dans une seule journée.

Je dis que toutes les précautions seraient illusoires ; mon opinion est fortifiée de celle de M. Benjamin Constant : ce publiciste distingué, dont M. Van Snick a jugé à propos de nous faire l'oraison funèbre avant de critiquer quelques opinions de l'illustre écrivain, qu'il n'a pas craint de qualifier d'absurdes et d'impopulaires, s'exprime ainsi :

« Tous les freins qu'une assemblée unique s'impose à elle-même, les précautions contre l'urgence, la nécessité des deux tiers des voix ou de l'unanimité ; tous ces freins, dis-je, sont illusoires. Une chambre unique met en présence une majorité et une minorité, avec cette circonstance de plus contre la minorité, que le règlement qu'elle invoque est l'ouvrage de la majorité, qui a toujours le sentiment de pouvoir défaire ce qu'elle a fait. La division de deux sections séparées crée au contraire deux corps qui ont intérêt à défendre leurs opinions respectives. Il y a majorité contre majorité. Celle du corps le plus nombreux n'étant elle-même qu'une majorité de convention, c'est-à-dire factice, en comparaison de la nation entière, n'ose révoquer en doute la légalité de la majorité moins nombreuse qui lui est opposée.» (Note de bas de page : Cours de politique constitutionnelle, tome Ier, chapitre IV.)

M. Van Snick a exprimé une opinion partagée par tous les membres du congrès ; il a prétendu que la nation belge était distinguée par son bon sens. Je le reconnais comme lui, mais je crois qu'il a singulièrement exagéré, lorsqu'il a dit que, grâce à ce bon sens, quelques articles du règlement suffiraient pour empêcher que ses représentants ne tombassent dans les excès reprochés aux assemblées de France.

Quand on veut donner des garanties politiques et qu'on prétend les fonder sur quelques articles de règlement, on risque fort de bâtir sur le sable, parce qu'une assemblée pourra refaire son règlment quand elle voudra. C'est donc un perfectionnement pour lequel je ne crois pas que le peuple belge soit encore mûr. Le premier écueil à redouter avec une seule chambre est donc la précipitation.

On trouve que deux chambres entravent les délibérations. Pour moi, messieurs, je ne vois rien de semblable ; chacune agissant dans le cercle de ses attributions a ses mouvements libres et indépendants, loin de se nuire entre elles ; l'expérience m'a appris que des entreprises funestes méditées par la chambre élective ont souvent échoué par le veto qu'elle a trouvé dans la chambre haute.

C'est sous ce double aspect, messieurs, que nous devons envisager les institutions.

L'avantage que je trouve à l'établissement de deux chambres, c'est, comme l'a prouvé avec un talent supérieur un de nos honorables collègues dans la discussion en sections, c'est que le veto royal, n'étant jamais motivé, a toujours l'air hostile, et compromet par là la popularité du chef de la nation. Tandis que le veto d'une chambre est précédé de discussions solennelles, on y déduit les raisons de décider autrement ; les questions y sont envisagées sous un autre jour, les arguments présentés sous une autre face : en un mot, par cette manière de procéder, le pays est constitué juge entre les deux chambres.

Il y a encore cet avantage, que si la couronne dissout la chambre élective, les raisons de cette dissolution sont jugées par la nation en connaissance de cause.

(page 414) Vous voyez donc, dans l'existence des deux chambres, un double avantage : 1 ° celui d'empêcher que le veto royal ne soit mal interprété ; 2°que si la dissolution de la chambre est prononcée, c'est le pays qui juge le débat.

Je ne crois pas, messieurs, que l'absence d'une chambre haute, dans la constitution de 1791, ait été cause de la chute du trône. Je crois que les malheurs de Louis XVI doivent être attribués aux circonstances, aux menaces et aux entreprises de l’étranger contre la France, et surtout à sa cour qui l'empêcha de s'associer franchement au nouvel ordre de choses. Cependant il a suffi que le roi essayât son veto pour qu'une guerre à mort ait été faite à la royauté. Dès que Louis XVI eut refusé sa sanction à la loi contre les émigrés, son trône fut tout à fait ébranlé et sa chute devint inévitable.

J'ai déjà cité l'opinion de M. Benjamin Constant. Je puis vous citer celle d'un orateur non moins recommandable, M. Lamminais :

« Deux chambres législatives, dit ce publiciste, ont des avantages, quel que soit le genre du gouvernement ; outre qu'elles assurent plus de maturité aux délibérations, plus de stabilité aux institutions, l'une des chambres peut avoir dans sa composition des caractères spéciaux d'une aristocratie désirable, surtout avec un monarque héréditaire.

« Deux chambres mieux qu'une résistent à l'enthousiasme et aux intrigues ; elles dispensent de créer un troisième corps pour l'accusation et le jugement des grands crimes politiques, et spécialement de ceux des ministres. » (Note de bas de page : La Constitution de tous les peuples. Royaume de France, tome Ier, livre Ier, chapitre III.)

Voici maintenant l’opinion de M. Thiers :

« Quant à l'établissement d'une seule chambre, son erreur (celle de l'assemblée constituante) a été plus réelle peut-être, mais tout aussi inévitable. S'il était dangereux de ne laisser que le souvenir du pouvoir à un roi qui l'avait eu tout entier, et en présence d'un peuple qui voulait en envahir jusqu'au dernier reste, il était bien plus faux en principe de ne pas reconnaître les inégalités et les gradations sociales, lorsque les républiques elles-mêmes les admettent, et que chez toutes on trouve un sénat, ou héréditaire, ou électif. » (Note de bas de page : Histoire de la révolution française, tome Ier, chapitre VII.)

Dans la constitution des cortès, on trouve également cette lacune, et bien qu'il faille faire une large part aux circonstances, je suis bien aise de vous faire connaître quelle était à l'avance l'opinion d'un des plus zélés défenseurs des droits populaires sur cette chambre :

« l,a formation du pouvoir législatif, dit M. de Pradt, est toujours la grande difficulté dans l'établissement des constitutions ; le pouvoir est tout... chacun veut en retenir la plus grande partie ; le bien ne peut résulter que d'une pondération exacte qui maintienne l'équilibre. C'est l'arrimage du vaisseau qui décide de la régularité de sa marche. Or, comment cette pondération a-t-elle été réglée dans la constitution espagnole ? Il faut le reconnaître et le dire : de la manière la plus propre à entraver la marche du gouvernement, ou plutôt à la rendre impossible.

« L'exemple de l'Angleterre a prouvé l'excellence du système des trois branches de la législature.

« L'exemple de la France a prouvé l'imminent danger de l'absence de ce système, ou plutôt la certitude qu'il ne peut y avoir ni repos ni stabilité sans lui… L'expérience était récente, éclatante et complète. Avec quelle douloureuse surprise retrouve-t-on dans la constitution espagnole un roi seul, en présence ou plutôt aux prises avec une assemblée unique ! Dans la diversité d'opinions qui, par la nature des choses, ne peuvent sur beaucoup de sujets manquer de s'élever entre eux, qui sera juge, qui les rapprochera, qui les conciliera ? Chacun agissant dans la plénitude de son droit, d'épouvantables collisions ne seront-elles pas la suite naturelle de cet isolement ? Les contradictions éclateront le prmier jour, elles s'aigriront, elles s'envenimeront, elles dégénéreront en querelles acharnées. Un des deux pouvoirs devra briser l'autre ; le combat passera d'eux à la nation ; leurs divisions deviendront celles de tout le peuple ; faits pour le diriger en commun et en paix, ce seront ces deux pouvoirs qui le maintiendront en division et en guerre. C'est ce qui arriva à Louis XVI, dès qu'il se trouva vis-à-vis d'une assemblée unique, dans un état continuel de contact avec elle ; les contradictions commencèrent le lendemain du jour où ils commencèrent à se trouver seuls en présence ; chaque heure y ajouta, et la plus déplorable catastrophe ne se fit pas attendre. Partout où les hommes ont des intérêts à discuter, il faut être trois ; entre deux, il peut ne pas yavoir d'action, mais il y aura toujours choc. Sans arbitres, lequel des deux a droit de (page 415) décider ? Une chambre des pairs est l'arbitre indiqué par la nature des gouvernements représentatifs ; tout ne doit pas être peuple et roi. Le trône, comme a dit M. Necker, ne doit pas s'élever à pic dans une plaine rase ; il n'y resterait pas longtemps. Il y a des règles d'architecture sociale, si l'on peut parler ainsi, qui commandent des gradations entre les objets et des pentes douces pour passer sans effort de l'un à l'autre. Une première chambre sagement constituée, forme cette gradation entre le trône et le peuple ; elle les sépare sans les diviser ; elle les unit sans les confondre ; elle les défend d'attaques mutuelles sans blesser aucun d'eux. L'Angleterre, par la longévité et le bonheur de son exemple, a mis au-dessus de toute contradiction la nécessité d'une chambre des pairs. Un autre pays n'a pas corroboré cet enseignement par les succès d'une institution correspondante ; mais il faut s'élever au-dessus des mauvais résultats qui peuvent provenir d'incidents étrangers à la nature même des choses, et ne pas accuser cell-ci parce qu'elle a été méconnue une fois ; parce qu'un vaisseau est mal construit ou mal manœuvré, il ne faut pas renoncer à l'architecture nautique ; c'est une raison de plus pour y revenir et pour s'y attacher. Disons-le hautement, et en négligeant de vaines clameurs, sans une chambre des pairs, siége et réservoir de toute l'illustration nationale, il n'y a pas de gouvernement représentatif... On pourra faire deux chambres ; mais on aura deux chambres populaires au lieu d'une, et cette une suffit. Alors on prend les éléments du gouvernement représentatif hors du système de ce gouvernement, et l'on voit tout de suite où l'on doit aboutir avec cette méprise.

« La constitution espagnole a donc enlevé toute garantie à la puissance royale ; dans la position où elle a mis ce pouvoir, il faut que ce soit la royauté ou les cortès qui succombent ; car ils ne peuvent aller ensemble... » (Note de bas de page : De la révolution actuelle de l’Espagne, et de ses suites, chapitre V.)

Est-il vrai, comme l'a dit un honorable orateur, que ce soient les baïonnettes seules qui aient imposé cette institution à la France ? Je ne le crois pas. Je conviens que la charte n'a pas été acceptée avec un sentiment unanime par la France. Mais déjà on connaissait en France les inconvénients d'une chambre unique, et l'on s'était empressé de revenir aux deux chambres. La constitution du directoire les avait déjà consacrées, et s'il est tombé, ce n'est pas à ce système qu'il a dû sa chute. Les germes de mort du directoire étaient dans le pouvoir exécutif.

La France, interrogée sur le point en discussion, a répondu. L'acte additionnel, œuvre en partie de M. Benjamin Constant et de cette femme célèbre (Note de bas de page : Mme de Staël) qui, par ses immortels écrits, a jeté un nouveau jour sur la littérature et sur les questions politiques, avait consacré les deux chambres : la France l'accepta, et en 1815, en présence des baïonnettes étrangères, l'assemblée des représentants, où siégeaient Lafayette et tant d'autres illustrations, consacra le système des deux chambres dans la constitution qu'elle se proposait de soumettre à l'acceptation de Louis XVIII. Voyez ce qui se passe encore aujourd'hui en France ; personne n'a songé à attaquer la nécessité des deux chambres. Les publicistes qui attachent le plus d'intérêt à la considération des principes que la révolution est destinée à faire triompher, ne l'ont pas mise en doute ; tous sont d'accord à cet égard, beaucoup ne contestent que l'hérédité de la pairie.

Si de la monarchie nous passons aux républiques modernes, toutes ont deux chambres, et vous avez entendu un honorable orateur vous dire ce qui était arrivé dans la Pensylvanie où l'on avait fait l'essai d'une chambre unique ; non seulement ce système est adopté dans tous les États de l'Amérique du Nord, mais il est encore consacré dans le mécanisme fédéral des États de l'Amérique méridionale.

Voulez-vous savoir ce qu'en pense un homme qui a su revêtir les vues les plus profondes des formes les plus populaires ? Voici en quelques mots l'opinion de Franklin : On peut, dit-il, comparer le gouvernement représentatif à un charretier qui a une côte rapide à descendre. Il a quatre bœufs, il en retire deux de devant, les attache derrière sa charrette en dirigeant leurs pas vers le haut de la montagne, tandis que ceux de devant, poussés par le poids, mais retenus par les autres, les attirent lentement et arrivent sans accident dans la plaine. (On rit.)

M. John Adams, l'un des fondateurs de la liberté américaine, qui a été président du sénat et président de l'Union, a cru que l'existence de deux chambres était une condition sine quâ non du gouvernement représentatif ; il a consacré deux volumes à prouver que s'il n'y a pas dans l'État trois ordres qui se balancent, les révolutions sont (page 416) inévitables ; elles peuvent tarder plus ou moins, mais elles éclateront avec le temps. Qu'il me soit permis de vous présenter le résumé de ces deux volumes (cette lecture a l'air d'épouvanter l'assemblée : l'orateur y renonce) ; ils sont au reste à la disposition du congrès.

Il n'y a pas jusqu'aux républiques suisses où l'on ne trouve des preuves de la nécessité de ce système. Savez-vous, messieurs, comment on s'y est pris pour y suppléer ? en ôtant l'initiative au pouvoir législatif. Le grand conseil ne propose jamais de lois, il ne discute que celles qui lui sont présentées par le pouvoir exécutif.

On a parlé de la pairie française ; on a prétendu qu'elle n'avait pas opéré beaucoup de bien. Nous voyons cependant qu'elle a préservé le pays d'une institution à l'adoption de laquelle elle était elle-même très intéressée. C'est elle qui a rejeté la loi du droit d'aînesse, parce qu'elle sentit que la première loi de sa conservation était la popularité que dédaignait la chambre élective, la plus antinationale qui ait jamais existé chez aucun peuple ; la loi du sacrilège ne passa à la chambre des pairs qu'à la majorité d'une seule voix.

L'honorable M. Van Snick, après avoir parlé de la pairie française. nous a parlé de la pairie d'Angleterre. Là, nous a-t-il dit, la pairie a été créée par la force des choses et par la promulgation de la grande charte. C'est une erreur : les deux chambres en Angleterre sont le produit d'une assez longue expérience, et la grande charte ne dit pas un mot de la pairie.

Est-il vrai, d'ailleurs, que la pairie anglaise n'ait rendu aucun service au pays ? Ignore-t-on que, sous Jacques Ier, la pairie fut décimée et envoyée à la Tour ? Souvenez-vous, messieurs, qu'un roi d'Angleterre disait à un pair : Vous partirez ou vous serez pendu, et que le pair lui répondit : Je ne partirai pas et je ne serai pas pendu.

M. de Smet, faisant aussi le procès à la pairie anglaise, nous a dit que ni Charles Ier, ni Jacques II n'avaient été préservés par la chambre haute. C'est pour moi un argument de plus en faveur de cette chambre. Quand la couronne a violé ses serments, quand elle a foulé aux pieds les droits de la nation, la chambre haute sent avant tout qu'elle est appelée à défendre les intérêts du pays : elle le fait. Il y a alors coalition entre les deux chambres. Cette coalition existait sous Charles Ier et sous Jacques II : et ne sait-on pas qu'avant la mort de Charles Ier il existait une longue conspiration contre les libertés anglaises ? Voyez aussi ce qui arriva lorsque Cromwell se fut emparé du pouvoir. Il y eut une chambre unique, connue sous le nom de long parlement. Que fit-il ce long parlment ? Instrument servile du pouvoir, il ne servit qu'à enregistrer, sans mot dire, les volontés souveraines du protecteur. Aussi a-t-il été stigmatisé par l'histoire, et on le désigne en Angleterre sous le nom de croupion. L'histoire anglaise vient donc aussi à l'appui de mon opinion.

Messieurs, je ne veux point de la pairie anglaise, point de fidéicommis, point de droit d'aînesse ; je ne veux point de la pairie française, point d'hérédité, point de majorats ; mais je ne veux pas non plus faire courir à mon pays les dangers d'une chambre unique : je veux un système mixte. Que l'on prenne ce qu'il y a de bon sur l'institution, en France, en Angleterre, en Amérique ; que l'on fasse de tout cela un éclectisme politique, en le conciliant avec les intérêts bien entendus de notre pays. Si mon vœu ne se réalise point, je dis, avec M. Adams, qu'une révolution nouvelle est inévitable, et qu'elle éclatera tôt ou tard. Je ne pense pas, messieurs, que vous vouliez des révolutions en perspective. (U. B., 15 déc.)

M. Constantin Rodenbach (pour une motion d’ordre) – Je demande qu'il soit défendu de faire lecture au congrès d'ouvrages imprimés. En Angleterre, on ne permet pas ces sortes de lectures, et un membre qui se les permettrait serait rappelé à l'ordre. S'il était permis de lire des passages d'ouvrages imprimés, rien ne m'empêcherait de venir demain avec toute ma bibliothèque. (On rit.) (U. B., 15 déc.)

M. Lebeau demande la parole pour un fait personnel. (C., 15 déc.)

- Plusieurs voix – C'est inutile. (C., 15 déc.)

- M. Lebeau se rassied ; la discussion est reprise. (C.. 15 déc.)

M. l’abbé de Foere – Le principe de l'égalité devant la loi est généralement adopté ; il est consacré dans un article de la constitution que nous discutons. Ce serait le méconnaître que d'établir de nouveau le privilège de la pairie, laquelle, simple fraction du peuple, aura le droit derejeter ce qui aura été l'expression de la volonté de la majorité de la nation. Anciennement les grands propriétaires supportaient seuls la guerre et ses dépenses ; mais aujourd'hui que tout le monde contribue également aux charges de l'État, la préférence qu'on lui accorderait serait révoltante et odieuse. Ce serait admettre les principes généraux et en repousser les conséquences nécessaires, donner à l'aristocratie le droit de prétendre aux avantages des institutions gothiques du moyen âge, sans qu'elle en supporte les inconvénients. (page 417) Outre les dangers que la pairie doit faire craindre pour nos libertés, elle centralise les fortunes ; les propriétaires ne manqueront pas de rchercher une influence pour leurs fils, paralysront ainsi l'action des petits propriétaires qui contribuent plus que les grands au bien-être de l'État. La circulation des capitaux ne développe-t-elle pas l'industrie, le commerce et la navigation, qui sont des moyens d'existence pour une grande majorité des citoyens ? La pairie nous donnera bientôt la taxe des pauvres, et l'Angleterre et la Hollande se réjouiront de voir une masse de capitaux s'engloutir dans les propriétés territoriales. (J. B., 16 déc.)

- Des voix – A demain ! à demain ! (J. F., 15 déc.)

M. l’abbé de Foere cède à l'impatience de la chambre, et consent à continuer demain son discours. (J. F., 15 déc.)

M. le président – Plusieurs personnes dmandent une séance du soir : que ceux qui sont pour se lèvent. (C., 15 déc.)

- La majorité des députés restent assis. (C., 15 déc.)

M. le président – Demain la discussion sera reprise à onze heures. A dix heures on se réunira en sections. (C., 15 déc.)

- Il est quatre heures et demie ; la séance est levée. (P. V.)