Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Congrès national de Belgique
Séance du mardi 21 décembre 1830

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)

(page 564) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)

Lecture du procès-verbal

La séance est ouverte à onze heures (P. V.)

M. Nothomb, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Pettens informe l'assemblée que l'état de sa santé l'empêchera pendant quelques jours d'assister aux séances. (P. V.)


M. Henri de Brouckere, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes :

M. Bareel, ancien membre de la chambre des comptes du royaume des Pays-Bas, sollicite une place de membre de la cour des comptes

M. Ch. Mayor, employé au bureau du dépôt général des archives de l'État, sollicite la même faveur.

M. Vandievoet-Wittouck, secrétaire du parquet de la cour supérieure de Bruxelles, de même.


M. Wouters de Terweerden prie le congrès de prendre en considération la demande qu'il a adressée le 30 octobre dernier au gouvernement provisoire, à l'effet d'être nommé directeur de la poste aux lettres à Gand.


M. Van Pradt, pharmacien a Moll, envoie au congrès une copie de la requête que douze autres pharmaciens de la province d'Anvers et lui ont adressée au gouvernement provisoire, et tendant à ce qu'il soit interdit aux médecins du plat pays de vendre les médicaments.


M. F. Grenier, de Brugelette, se plaint de ce que le droit de pétition est plus restreint aujourd'hui qu'il ne l'était sous l'empire de la loi fondamentale des Pays-Bas, d'abord parce que le congrès, par les article 8 et 39 de son règlement, a décidé qu'il ne serait donné suite qu'aux pétitions signées et transmises par son président ou un de ses membres ; en second lieu, parce que le bureau a déclaré dans la séance du 8 de ce mois qu'il ne recevrait plus ni lettres, ni paquets, s'ils n'étaient affranchis.


Grand nombre d'ouvriers et d'habitants des communes d'Uccle et de Forêt, près de Bruxelles, exposent que les fabriques situées dans ces communes ont été incendiées ou saccagées le 26 août dernier, que par suite ils se trouvent sans ouvrage et réduits à la dernière misère ; ils prient le congrès de faire payer aux fabricants desdites communes, sinon la totalité, du moins une partie de l'indemnité qu'ils ont réclamée, afin que leurs établissements puissent ainsi être remis en activité.


M. Gilbert-Frère, de Bruxelles, présente des observations sur la constitution.


Huit habitants de Malines demandent que la constitution consacre, par une disposition formelle, l'inviolabilité des ventes de biens immeubles situés en Belgique, faites, soit par le domaine français, soit par les corporations religieuses et autres établissements, en acquit des contributions militaires imposées par les représentants du peuple français, lors de l'entrée des armées républicaines dans le pays.


M. Eloy de Burdinne, membre du comité d'agriculture de la province de Liége, adresse au congrès :

1° Un aperçu de l'état de l'agriculture dans la province de Liége et de la position des cultivateurs ;

2° Des réflexions sur la contribution personnelle ;

3° Des réflexions au sujet de l'impôt sur le sel ;

4° Des réflexions relativement à l'impôt sur les bières.


M. Marlin, professeur de physique et de mécanique à l'athénée de Namur, soumet au congrès le plan d'une association de propriétaires ruraux pour le défrichement des terres incultes des provinces d'Anvers, Liége, Limbourg, Namur et Luxembourg.


(page 565) M. Évrard-Claus communique au congrès des renseignements sur le système monétaire établi en Belgique par la loi du 28 septembre 1816, et sur le préjudice causé au trésor public par la loi du 27 décembre 1822, portant création du syndicat.


M. Ferdinand Digneffe, de Sprimont, engage les membres du congrès à choisir M. Charles Rogier pour chef du peuple belge. (U. B., 23 déc., et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)

Décès d'un membre du Congrès

Mlle Eugénie d'Huet informe le congrès de la mort de son oncle, M. Kockaert, député de Bruxelles et premier président de la cour. (P. V.)

M. le président – L'assemblée veut-elle qu'il soit écrit une lettre de condoléance à la famille de notre collègue ? (Oui ! oui !) (U. B., 23 déc., et P. V.)

M. de Rouillé – Je propose de nommer une députation pour assister aux funérailles. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Quand nous serons avertis du moment où ells auront lieu, je tirerai au sort la députation. (U. B., 23 déc.)

Projet de Constitution

Titre II – Des Belges et de leurs droits

M. le président – L'assemblée a adopté hier les deux articles suivants du titre II du projet de constitution : Des Belges et de leurs droits :

« Art. 1er. La qualité de Belge s'acquiert, se conserve et se perd d'après les règles déterminées par la loi civile.

« La présente constitution et les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles sont, outre cette qualité, les conditions nécessaires pour l'exercice de ces droits. »

« Art. 2. La naturalisation est accordée par le pouvoir législatif.

« La grande naturalisation seule assimile l'étranger au Belge, pour l'exercice des droits politiques. »

L'ordre du jour est la suite de la discussion du titre II. (C., 23 déc., et P. V.)

Article 3 (article 6 de la Constitution)

M. le président – La discussion est ouverte sur l'article 3, dont voici la teneur :

« Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions établies par la loi. »

M. Beyts a la parole pour proposer un amendement. (U. B., 23 déc., et A. C.)

M. le baron Beyts – Messieurs, la concision est une bonne chose dans la rédaction des lois, mais lorsqu'on veut être trop court on s'expose à omettre des idées essentielles. L'article 3 du projet de la section centrale a ce défaut à mes yeux ; il ne dit pas tout ce qu'il devrait dire, c'est pour cela que je viens vous proposer un amendement, dans lequel je demanderai l'abolition de toute distinction d'ordres. Ce n'est pas, messieurs, que nous puissions nous plaindre des membres de l'ordre équestre de Bruxelles ; assurément on ne peut pas être plus estimable et plus aimable que ces messieurs. (On rit.) Mais c'est afin d'abolir cette distinction depuis longtemps abolie en France, et que nous n'avons encore pu parvenir à tuer chez nous. J'ai été membre des états provinciaux ; la première chose que je vis en entrant dans la salle, quand j'y entrai pour la première fois, ce furent trois parquets où on voyait écrit : Parquet de l'ordre équestre, Parquet de l'ordre des villes, Parquet de l'ordre des campagnes. Pour signer la feuille de présence on avait aussi trois feuilles séparées, une pour chaque ordre. Ceux qui avaient pris de telles dispositions pour la distribution de la salle étaient imbus des préjugés gothiques de nos anciens temps ; il faut au plus tôt faire disparaître ces distinctions.

M. Beyts parcourt ainsi et justifie les diverses parties de son amendement, dont il donne lecture en ces termes :

« Il n'y a plus, dans l'Etat, de distinction d'ordres.

« Tous les Belges sont égaux devant la loi, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse.

« Seuls ils sont admissibles, sous la condition de l'âge et des capacités requises par les lois, aux emplois civils et militaires.

« Néanmoins la loi organique électorale détermine ceux de ces emplois et les grades que les étrangers peuvent obtenir, ainsi que les conditions sous lesquelles cela peut avoir lieu.

« Tous les Belges, d'ailleurs, sont également admissibles aux fonctions publiques sans distinction relative, soit à leur naissance ; soit au culte qu'ils professent. »

Voilà l'amendement que je propose de substituer à l'article 3. J'avoue qu'il est plus long (on rit) ; mais je n'ai pas l'art de dire beaucoup avec peu de mots. (U. B., 23 déc., et A.)

M. le président – L'amendement est-il appuyé ? (Oui ! oui !) M. Beyts a interverti l'ordre dans lequel il devait parler ; il n'aurait dû dévlopper son amendement qu'après qu'il aurait été appuyé ; il a commencé par là : c'est égal. (U. B., 23 déc.)

M. Devaux(page 566) Il me semble que dire : « Les Belges sont seuls admissibles aux emplois, » c'est en exclure les étrangers. D'un autre côté, je ne comprends pas pourquoi la loi électorale déterminerait les emplois à donner aux étrangers. (U. B. 23 déc.)

M. le baron Beyts fait une réponse au milieu du bruit des conversations particulières. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Silence, messieurs ; quand je mettrai l'amendement aux voix, vous ne saurez pas sur quoi vous votez. (U. B., 23 déc.)

M. Lebeau – Messieurs, il y a une faute de logique de vouloir que la loi électorale s'occupe de déterminer les fonctions et grades que pourront obtenir les étrangers, et j'avoue qu'il m'est impossible de voir quel rapport il peut y avoir entre cette loi et la nomination à des emplois publics. La loi électorale ne doit régir que ce qui est relatif aux électeurs et aux élections ; il est impossible qu'elle règle ce qui est relatif à la collation des fonctions militaires, administratives et même du professorat. J'appelle surtout votre attention sur ce point, messieurs ; car si la loi portait des entraves à l'introduction des étrangers dans le professorat, elle porterait un coup funeste à l'instruction publique. Il y a dans la science des noms qui appartiennent à tout le monde ; il y a des hommes cosmopolites appartnant à la civilisation tout entière, et non à telle ou telle nation. Les repousseriez-vous par votre loi, s'ils ne voulaient pas perdre leur qualité primitive ? Ce serait un mauvais calcul, car le pays y perdrait plus qu'eux. Sous ce rapport, je crois que l'amendement de M. Beyts est inadmissible. Sur tous les autres points je le trouve au moins superflu : j'en demande donc le rejet, déclarant que je voterai pour le projet de la section centrale. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je viens d'entendre professer des opinions sur lesquelles je crois devoir demander des explications. Et nous aussi, nous croyons que lorsqu'il y a une notabilité dans la science, il faut l'accueillir, quoique appartenant à une nation étrangère, surtout si elle se trouve sans concurrent dans le pays ; mais je veux que son admission soit prononcée par une loi. Je veux que le législateur examine les titres de l'étranger, et qu'il dise : Nous admettons monsieur un tel, par telle et telle raison. Mais je ne veux pas que par une loi générale, et sous prétexte des besoins de l'instruction publique, on vienne peupler nos écoles d'étrangers. Nous savons ce que nous devons penser de ces notabilités scientifiques, de ces professeurs allemands dont on a encombré nos universités. Il ne faut pas que de pareils abus se renouvellent ; pour les prévenir, je demande qu'aucun professeur ne puisse être admis qu'en vertu d'une loi particulière, et après que le besoin en aura été constaté. (U. B., 23 déc.)

M. Devaux – Il est facile de prouver qu'il est impossible de faire une loi pour chaque professeur. Il est, messieurs, des sciences qui auront toujours besoin d'être professées par des étrangers ; par exemple : pour professer la langue anglaise, y a-t-il personne de plus propre qu'un Anglais ? pour la langue française, qu'un Français ? ainsi des autres. demanderai maintenant s'il faudra une loi pour chaque professeur de langues ? (On rit.) Ne nous occupons pas de tout cela, messieurs ; laissons pleine liberté aux professeurs étrangers de venir dans notre pays apporter le tribut de leurs talents : proclamez la liberté entière de l'enseignement, c'est la meilleure des garanties. (U. B., 23 déc.)

M. le baron Beyts rappelle qu'il avait proposé dans sa section de mettre toutes les places de professeur au concours, les étrangers étant admis à concourir : du reste il persiste dans son amendement. (U. B., 23 déc.)

M. François croit que l'article de la section centrale ne renferme pas assez de garanties, il propose l'amendement suivant :

« Les Belges sont égaux devant la loi ; ils sont seuls, et sans autre distinction que celle des talents et des vertus, admissibles aux emplois civils et militaires. » (C., 23 déc., et A.)

M. Van Meenen demande la division de l'amendement de M. le baron Beyts. (C., 23 déc.)

M. Forgeur – Je propose de retrancher de l'article 3 du projet ces mots : sauf les exceptions établies par la loi ; je vais plus loin qu'aucun des préopinants, et je ne veux pas que dans aucun cas un étranger puisse être admis à un emploi. Hier, vous avez par l'article 2 créé une grande et une petite naturalisation ; exigeons-la de ceux qui voudront obtenir des fonctions publiques en Belgique : nous ne devons pas accueillir ceux qui ne veulent pas perdre leur nationalité. Prenons-y garde : si au lieu de choisir un roi parmi les Belges nous élisions un prince étranger, nous courrions le risque de voir presque toutes les places occupées par des étrangers ; dès le moment que vous auriez permis à la loi de faire des exceptions, il suffirait au prince de saisir un moment favorable pour avoir la loi, et par cela seul que vous auriez ouvert une fois la porte aux étrangers, vous les verriez monopoliser les emplois publics. C'est (page 567) ainsi que cela s'est vu en Angleterre, du temps de Guillaume le Conquérant, en Espagne sous Charles-Quint, et chez nous. Je suis frappé de ces exemples que me fournit l'histoire, et je vote pour qu'il ne soit fait d'exception en faveur de personne. Je propose donc de retrancher de l'article 3 les mots : sauf les exceptions établies par la loi. (U. B., 23 déc., et A.)

M. de Robaulx propose comme sous-amendement de remplacer les mots : sauf les exceptions établies par la loi, par ceux-ci : sauf ceux conférés par la législature. (Appuyé.)

Je ne veux pas, dit l'honorable membre, une loi pour chaque professeur ; l'enseignement est libre chez nous, et lorsqu'un Anglais se présentera dans une institution particulière pour y professer sa langue, il y sera admis sans difficulté ; ce n'est pas de ces emplois que je m'occupe, mais de ceux qui sont rétribués par le trésor public ; ceux-là sortent de la liberté de l'enseignement. Je ne veux plus que le pouvoir exécutif puisse implanter parmi nous des étrangers sans nom, sans talent, sans précédents. Je veux que pour ces emplois on présente des candidats comme pour la chambre des comptes : si l'étranger est jugé préférable, on fera une exception pour lui. (U. B., 23 déc., et A.)

M. de Langhe – L'État aura aussi ses collèges et ses écoles, il est impossible que la législature s'occupe de la nomination de tous les professeurs. (J. B., 23 déc.)

M. De Lehaye ne croit pas qu'il y ait une grande différence entre l'amendement de M. de Robaulx et le projet ; il appuie l'amendement de M. Forgeur. (E., 23 déc.)

M. Destouvelles – Je ne ferai qu'une seule observation sur l'amendement de M. Forgeur. Il veut que nul ne puisse obtenir un emploi, s'il n'est naturalisé. C'est fermer de gaieté de cœur la porte à tous les talents étrangers : il est probable en effet que quand un savant étranger ne tiendrait pas assez à son pays pour ne pas l'abdiquer, il ne voudrait cependant se faire naturaliser que tout autant qu'il connaîtrait les avantages attachés à cet acte ; il voudrait au moins faire un essai : grâce à votre exigence il ne le pourrait pas. (U. B., 23 déc.)

M. Fleussu avait demandé la parole pour faire la même observation que M. Destouvelles ; il y renonce. (U. B., 23 déc.)

M. Van Snick – Je propose l'ajournement de la proposition de M. Forgeur, jusqu'à la discussion de l'article 13 du projet qui est relatif à l'enseignement. (U. B., 23 déc.)

M. Devaux – D'après l'amendement de M. Forgeur, il s'agirait d'obliger les étrangers à abdiquer leur qualité s'ils voulaient obtenir un emploi public en Belgique. Mais il y en a qui ne voudront pas quitter leur qualité, et ils n'en seront que plus estimables pour cela : comme l'a dit M. Destouvelles, vous vous priverez de leurs lumières. Messieurs, il y a des étrangers qui ont rendu des services signalés au pays ; ne les traitons pas avec tant de défaveur. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je ne veux pas pour cela leur faire perdre leur nationalité ; je désire seulement que dans ce cas la législature soit chargée de conférer les emplois. (E., 23 déc.)

M. Forgeur – Messieurs, ou il s'agira d'emplois élevés, ou de fonctions ordinaires et faiblment rétribuées : dans ce dernier cas, la petite naturalisation suffira ; dans le premier........ (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 23 déc.)

M. le président – Silence, messieurs ! (U. B., 23 déc.)

- Quelques voix – Mettez aux voix l'amendement de M. Forgeur ! (U. B., 23 déc.)

M. le président – Il consiste à retrancher de l'article du projet ces mots : sauf les exceptions établies par la loi. Je vais le mettre aux voix. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur – Un mot encore. (Aux voix !) On n'a pas répondu à la principale de mes objections. J'ai dit que si un prince étranger venait régner sur nous, vous pourriez voir le pays inondé d'étrangers. J'ai cité l'Espagne sous Charles-Quint ; elle fut exploitée de la manière la plus révoltante par les étrangers ; il en fut de même de l'Angleterre sous Guillaume le Conquérant ; enfin, j'ai cité notre pays. Soyons sévères sur ce point. Nous aurons peut-être ainsi quelques talents de moins, mais cet inconvénient me touche peu à côté de celui qui résulterait d'une conduite contraire. (U. B., 23 déc.)

M. Lebeau – Je persiste à maintenir l'article 3 dans son intégrité. Les exemples cités par le préopinant me font peu d'impression ; ils pourraient être applicables, si nous mettions notre roi, par rapport à nous, dans la position de Guillaume le Conquérant par rapport aux Saxons. Mais alors, on ne connaissait que le droit du sabre, et ce temps ne ressemble en rien au nôtre. On a parlé d'abus plus récents. Mais sous l'ancien gouvernement, le pouvoir exécutif seul avait la nomination à tous les emplois, et sans responsabilité. Désormais il n'en sera pas ainsi. Nous aurons la responsabilité ministérielle pour tous les emplois, et le retour des abus signalés n'est plus à craindre. Gardons-nous donc de céder à de vaines craintes, (page 568) et surtout n'adoptons pas cet esprit de nationalité jalouse qu'affectait la Hollande, grâce auquel notre pays fut privé d'un des plus savants jurisconsultes dont s'honorât la science du droit. .J'ai nommé M. Daniels ; ce magistrat honorable, qui fut abreuvé de dégoûts par le ministre Van Maanen, et qui, ne voulant pas abdiquer sa qualité primitive, alla porter ailleurs le tribut de ses talents et de ses hautes lumières. Voilà un exemple de ce patriotisme étroit qu'on voudrait nous faire adopter, mais que nous saurons répudier. Nous avons besoin des étrangers : il faut les encourager à venir chez nous, au lieu de les repousser. Sans doute, si nous comptions une population de trente millions d'habitants, je concevrais le motif de cette nationalité étroite ; mais je ne conçois pas qu'on ose dire que dans les arts et les sciences les Belges peuvent se suffire à eux-mêmes. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !) (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur – Je demande la parole. (Tumulte. Aux voix ! la clôture !) (U. B., 23 déc.)

M. François Lehon – Ces messieurs ont parlé trois ou quatre fois chacun ; je demande la clôture. (Appuyé ! appuyé ! La clôture ! La clôture !) (U. B., 23 déc.)

- Plusieurs membres se lèvent pour la clôture. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur – Je demande la parole contre la clôture.

- Murmures et cris. - Non ! non ! aux voix, aux voix. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Sur quoi veut-on prononcer la clôture ? (U. B., 23 déc.)

- Il se fait un tel vacarme qu'il est impossible de rien entendre : un colloque animé s'établit entre M. le président et M. de Robaulx, dont on ne peut saisir les paroles. (U. B., 23 déc.)

M. le président, à M. de Robaulx – Je veux bien ce que vous voulez, mais si le congrès ne le veut pas... (La clôture ! la clôture !) (U. B. 23 déc.)

M. le président – Messieurs, le règlement dit que lorsque dix membres demandent la clôture, elle doit être mise aux voix ; mais il dit aussi qu'on peut parler contre la clôture. M. Forgeur demande à parler contre la clôture, je ne peux pas lui refuser la parole. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur prononce une ou deux phrases qui prouvent à l'assemblée qu'il n'a demandé la parole contre la clôture, que pour avoir occasion de revenir sur la question : Mon contradicteur, dit-il, a été peu touché des exemples historiques. (A la question !) J'y suis... mais quand il a parlé des exemples tirés de notre pays... (La clôture ! la clôture !) (U. B., 23 déc.)

M. le président – Vous n'êtes pas dans la question. Vous avez cherché à persuader que vous vouliez parler contre la clôture, mais vous rentrez dans la discussion générale. Je vais mettre aux voix la clôture. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je demande la parole. (La clôture !) (U. B., 13 déc.)

M. le président – Je ne peux vous l'accorder puisqu'on demande la clôture. (U. B., 13 déc.)

M. de Robaulx – C'est contre la clôture que je veux parler. (Non ! non ! Aux voix ! aux voix !) Je m'engage à ne parler que de la clôture : je demande sur quoi on la demande. Il y a trois systèmes en discussion : celui de M. Beyts, celui de M. Forgeur, et le mien. La clôture frappera-t-elle sur les trois systèmes ? (U. B., 23 déc.)

M. Raikem – La question ne me paraît pas suffisamment éclaircie. (U. B., 23 déc.) .

M. le président – Si l'assemblée est de votre avis, elle votera contre la clôture. Si elle se trouve assez bien fixée, elle le dira, et je mettrai successivement aux voix les divers amendements proposés. (U. B., 23 déc.)

- La clôture est mise aux voix et rejetée. (U. B., 23 déc.)

M. le président – M. Forgeur a la parole. (U. B., 23 déc.)

M. Fleussu – Il a parlé plus de deux fois ; je demande le rappel au règlement. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur répond à M. Lebeau ; il reproduit les exemples déjà cités, et ajoute que, dans le pays de Liége, l'obligation où l'on était d'aller chercher à l'étranger un prince évêque attirait une foule d'étrangers qui se partageaient les emplois. L'abus fut poussé si loin qu'il fallut une loi pour déterminer les emplois que pouvaient occuper les étrangers. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx ne va pas si loin : il ne veut pas une interdiction absolue ; son amendement est une transaction. (C., 23 déc.)

M. de Langhe – Si la législature est faible comme le craint M. Forgeur, elle accordera la naturalisation très facilement : dès lors M. Forgeur, pour être conséquent, doit même interdire toute naturalisation. L'amendement de M. de Robaulx consacre une usurpation ; la législature aurait la collation des emplois même administratifs. Comment les ministres seront-ils responsables d'agents qu'ils n'auront pas nommés ? (C., 23 déc.)

M. Jottrand regarde l'article du projet comme suffisant – Si une première législature se montre faible, la législature suivante corrigera ce (page 569) qu'elle a fait, refusera le budget. Notre révolution s'est faite contre le monopole des places accordées aux étrangers ; comment croire que cet abus puisse se renouveler, du consentement du pouvoir législatif ? (C.. 23 déc.)

M. Raikem – La naturalisation que M. Forgeur exige est une garantie, elle repousse ces médiocrités amphibies qui, sans renoncer à leur pays, voudraient exploiter le nôtre. (C., 23 déc.)

M. Fleussu défend l'article de la section centrale. (C., 23 déc.)

M. Van Meenen partage la même opinion. (C., 23 déc.)

M. Raikem – On établira dans la loi tant d'exceptions contre la règle que la règle deviendra sans effet ; nous en avons des exemples. (C., 23 déc.)

M. de Muelenaere combat M. Fleussu.

M. le comte de Celles prononce quelques mots relatifs à l'article 2 ; on lui fait observer que cet article est voté : il se rassied en riant. (E., 23 déc.)

M. le baron de Sécus (père) dit que comme le pays avait toujours appartenu aux étrangers, les étrangers ont envahi les emplois dpuis les Espagnols jusqu'aux Hollandais. (E., 23 déc.)

M. Charles de Brouckere, rapporteur - (Aux voix ! aux voix !) Comme rapporteur, je dois être entendu. L'amendement de M. de Robaulx consacre un excès de pouvoir. La loi électorale, comme le propose M. Beyts, ne peut s'occuper de fonctions administratives. L'amendement de M. Forgeur est trop restrictif. Les étrangers ont rendu les plus grands services à notre révolution. Ils ont aussi rendu des services à l'instruction ; c'est avec raison qu'on a conservé les professeurs Levi et Fohmann. Pour faire cesser toutes les craintes, on pourrait dire : sauf les exceptions établies par la loi pour chaque cas particulier. (C., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je me réunis à cette opinion. (C., 23 déc.)

M. Raikem propose un amendement qui consiste à substituer aux mots : sauf les exceptions établies par la loi, qui terminent l'article 3, ceux-ci : sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. (U. B., 23 déc.)

M. Devaux – Je combats cet amendement, parce qu'il en résultera que toutes les fois qu'on aura besoin d'un professeur il faudra une loi ; il en sera de même si on a besoin d'un traducteur, soit auprès d'un ministère, soit auprès d'un tribunal. Nous allons donner un spectacle ridicule, si nous insérons dans notre pacte fondamental de telles dispositions. Songez, messieurs, que nous aurons besoin d'étrangers à tout moment, non pas seulement des notabilités, mais encore de ceux qui ont des connaissances ordinaires, mais spéciales : dans l'administration des télégraphes, par exemple, dans la marine. En France on compte beaucoup d'étrangers dans la marine, et vous savez tous que de ce nombre est un Hollandais distingué. (U. B., 23 déc.)

M. le baron Beyts appuie cette observation. (C., 23 déc.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – Les inconvénients ne sont pas si graves ; une loi dira en général que les étrangers sont admissibles à tels ou tels emplois. (C., 23 déc.)

M. le président – L'assemblée est-elle fixée ? (Oui ! oui !) Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Raikem. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur demande la priorité pour son amendement. (U. B., 23 déc.)

- La priorité lui est accordée. On met l'amendement aux voix ; 10 ou 12 membres seulement se lèvent pour l'adoption : l'amendement est rejeté. (U. B., 23 déc.)

L'amendement de M. Raikem est mis aux voix et adopté. (P. V.)

M. le baron Beyts – Je demande que l'on vote sur une partie de mon amendement, qui n'a pas été rejetée par le fait de l'adoption de celui de M. Raikem. Cette partie est relative à la distinction des ordres ; elle est conçue en ces termes :

« Il n'y a plus dans l'État de distinction d'ordres. » (U. B., 23 déc.)

M. le président – C'est un paragraphe additionnel. (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Où le mettre ? (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Ce serait au commencement. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Comment le voulez-vous, monsieur, en tête ou en queue ? (U. B., 23 déc.)

M. le baron Beyts – Cela m'est indifférent. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je propose de mettre : Il n'y a aucune au lieu de : Il n'y a plus. (Appuyé !) (U. B., 23 déc., et P. V.)

M. le baron Beyts – J'y consens. (U. B., 23 déc.)

M. De Lehaye – Cette disposition additionnelle est inutile ; il n'y a plus de distinction d'ordres par le fait. (U. B., 23 déc.)

M. Raikem – La loi électorale de 1815 a établi (page 570) la distinction d'ordres. Cette loi et toutes les dispositions qu'elle contenait sont abolies. Faut-il abolir de nouveau la distinction d'ordres, qui l'est déjà ? Je ne le crois pas. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Nous n'abolissons rien, nous constituons ; il faut qu'une disposition spéciale détermine ce point. (E., 23 déc.)

- L'amendement de M. le baron Beyts est mis aux voix par assis et levé. (C., 23 déc.)

L'épreuve est douteuse. (U. B., 23 déc.)

Plusieurs voix – La contre-épreuve ! (U. B., 23 déc.)

M. le président, s'adressant aux membres qui sont placés dans le couloir de droite – Messieurs les extra muras (on rit), car je ne sais comment vous appeler, vous êtes toujours debout et on ne peut jamais savoir comment vous votez. (U. B., 23 déc.)

- On fait la contre-épreuve : elle est encore douteuse.

M. de Robaulx – L'appel nominal ! (U. B., 23 déc.)

M. Le comte Cornez de Grez – Non ! non ! pas d'appel nominal. (E., 23 déc.)

- Plusieurs voix – On n'a pas compris ; il faut recommencer ! (Le tumulte est à son comble.) (U. B., 23 déc.)

M. De Lehaye veut parler. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Vous parlerez lorsque je vous aurai accordé la parole. (U. B., 23 déc.)

M. De Lehaye – Nous avons déjà voté sur l'article 3, pourquoi voter encore ? (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – L'appel nominal ! (U. B., 23 déc.)

M. Van Snick – L'ancienne loi fondamentale consacrait l'admissibilité à tons les emplois, et cependant il y avait des distinctions d'ordres. (E., 23 déc.)

M. Raikem – L'article 3 est adopté dans son intégrité. Ce n'est pas le lieu de voter sur l'amendement de M. Beyts. Il y aura un article à la fin de la constitution qui dira que la loi fondamentale de 1815 est abrogée. On pourra, si l'on veut, placer cette disposition auprès de cet article. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je demande la parole pour une motion d'ordre et pour un rappel au règlment. On ne peut plus discuter sur la question. La proposition de M. Beyts a été appuyée ; elle a été discutée, mise aux voix ; l'épreuve et la contr-épreuve ont eu lieu. Il y a doute ; vous ne pouvez plus vous occuper que de l'appel nominal. (U. B., 23 déc.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – On a voté par assis et levé. Le vote est épuisé. Il n'y a pas lieu de faire l'appel nominal. (Le bruit recommence.) (U. B., 23 déc.)

M. Van Snick étend dix fois la main pour obtenir la parole ; il ne peut parvenir à se faire entendre. (U. B., 23 déc.)

M. le président – S'il n'y avait pas eu doute, M. de Theux aurait raison ; mais il y a eu doute et maintenant il s'agit de savoir si on fera une autre épreuve par assis et levé, ou si on procédera à l'appel nominal. (U. B.,23 déc.)

M. de Robaulx – Par appel nominal. (C., 23 déc.)

- Plusieurs députés se lèvent pour l'appel nominal. (C., 23 déc.)

M. le vicomte Desmanet de Biesme – Ce n'est pas ici le lieu de placer cet article. Je demande l'ajournement proposé par M. Raikem. (U. B., 23 déc.)

M. Forgeur – Je demande le rappel au règlement. Il ne s'agit plus de l'ajournement proposé par M. Raikem, mais de l'amendement de M. Beyts, qui a été mis aux voix et sur lequel il faut voter par l'appel nominal. (U. B., 23 déc.)

M. le comte de Baillet – Si la proposition de M. Beyts faisait un article séparé, l'assemblée tout entière voterait en sa faveur ; mais en la plaçant dans l'article 3, nous ne pouvons voter. (E., 23 déc.)

M. le président – Dans un appel nominal, si chacun expliquait son vote, nous en aurions jusqu'à quatre heures. (U. B., 23 déc.)

- Toutes ces interpellations ont été faites au milieu du bruit ; ici le bruit s'accroît encore. (U. B., 23 déc.)

M. Raikem veut parler, il ne peut se faire entendre ; il frappe violemment du pied (on rit), et criant de toutes ses forces, il dit – Si on me demande s'il faut voter pour la disposition additionnelle, je dirai oui ; mais non pas dans ce moment. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Je voudrais que tout le monde sût qu'en votant des lois, nous sommes tous animés d'un zèle très patriotique ; mais je voudrais aussi un peu plus de calme. (Le bruit recommence). (U. B., 23 déc.)

M. Raikem veut parler encore, il ne peut se faire entendre. (U. B., 23 déc.)

M. le président agite sa sonnette. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx l'interpelle vivement : le bruit empêche d'entendre ce qu'il dit. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Messieurs, je suis (page 571) honnête avec tout le monde, pourquoi ne le seriez-vous pas avec moi ? Vous avez l'air de vouloir emporter les décisions par la force. On va faire l'appel nominal : ceux qui seront pour, diront oui ; ceux qui diront non, seront censés ne pas vouloir que l'article soit placé là. (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je demande la parole. (U. B., 23 déc.)

M. Destouvelles – La question est de savoir si l'amendement de M. Beyts sera ou non adopté, et non pas de savoir ce que penseront ceux qui le rejetteront. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Voici les motifs pour lesquels je suis entré dans ces explications, c'est parce qu'on pourrait croire que ceux qui rejettront l'article additionnel ne veulent pas de cet article, tandis qu'il est probable qu'on ne le rejetterait que parce que ce ne serait pas ici sa place. (U. B., 23 déc.)

M. Van Meenen fait observer qu'il est indifférent que cet article soit à sa place, car lorsque la constitution sera terminée, on fera une nouvelle classification. Il s'agit de savoir s'il y aura, oui ou non, des distinctions d'ordres. (E., 23 déc.)

M. le comte Duval de Beaulieu – C'est une chose inutile ; on ne doit pas faire entrer cela dans la constitution. (Le bruit continue, on parle au milieu du tumulte.) (E., 23 déc.)

M. Van Meenen renouvelle sa motion. (E., 23 déc.)

M. le comte Duval de Beaulieu – Il n'est pas question de savoir s'il y a ou non distinction d'ordres. (E., 23 déc.)

M. Devaux – L'amendement a été mis aux voix, il y a doute : les uns peuvent le croire inutile ; d'autres, que ce n'est pas là qu'il doit être placé ; d'autres enfin peuvent n'en vouloir pas du tout. Maintenant, pourquoi parler des motifs qui dirigeront tel ou tel votant ? Personne ne doit compte des motifs de son vote ; l'essentiel est d'en finir est de voter par appel nominal. (U. B., 23 déc.)

M. Nothomb, secrétaire - Voici un autre amendement... (U. B, 23 déc.)

M. Charles de Brouckere – On ne peut pas parler entre deux épreuves, à plus forte raison proposer des amendements : (Le bruit continue.) (U. B., 23 déc.)

M. le président – Silence, messieurs ; on va commencer l'appel nominal : ceux qui seront pour, diront oui ; ceux qui pensent que l'article doit être ajourné... (U. B., 23 déc.)

M. Charles de Brouckere, s'élançant vivement à la tribune – M. le président doit se borner à poser la question. Plusieurs fois il ajoute que ceux qui voteraient contre seraient censés ne pas trouver convenable que l'on s'en occupât dans le moment. Messieurs, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ; il s'agit seulement de l'adoption ou durejet de l'amendement, et, je le répète, M. le président doit se borner à poser la question, et on, doit y répondre par oui ou par non. (U. B., 23 déc.)

M. le président – Vous voyez bien, monsieur, que ces messieurs veulent que la question soit posée différemment. (U. B., 23 déc.)

- Des voix – L'appel nominal ! Relisez l'amendement. (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, relit l'amendement :

« Il n'y a dans l'État aucune distinction d'ordres. » (U, B., 23 déc., et P. V.)

On procède à l'appel nominal.

112 députés votent pour.

30 députés votent contre.

15 députés s'abstiennent.

En conséquence l'amendement est adopté. (P. V.)

Ont voté pour : MM. Van Innis, Geudens, Le Bon, Baugniet, Thorn, de Labeville, Alexandre Rodenbach, Van der Belen, François, le baron Beyts, l'abbé Pollin, Beaucarne, Thienpont, le comte de Quarré, Devaux, Lebeau, Cauvin, Frison, Gendebien (père), Morel-Danheel, Lesaffre, Joos, de Coninck , Marlet, de Nef, Simons, Hennequin, Pirmez, Vandorpe, Delwarde, Buylaert, Buyse-Verscheure, Gelders, de Schiervel, Ooms, l'abbé Dehaerne, Fleussu, Werbrouck-Pieters, Dams, Masbourg, de Langhe, Fendius, Blargnies, Nopener, l'abbé Corten, Claes (d'Anvers), Fransman, Claus, Collet, le vicomte Charles Vilain XIIIII, Defacqz, le baron de Meer de Moorsel , de Rouillé, Du Bois, le baron Joseph d'Hooghvorst, Van der Looy, Van Meenen, l'abbé Verbeke, Lardinois, de Roo, Watlet, Janssens, Peeters , Van Snick, Henri de Brouckere, Goethals-Bisschoff, de Robaulx, Dumont, d'Martigny, Jottrand, Jean Goethals, Béthune, Bosmans , Seron, Leclercq, Charles Coppens, Domis, Mulle, David, Huysman d'Annecroix, Davignon, de Thier, Jacques, Henry, le chevalier de Theux de Meylandt, de Muelenaere, Du Bus, Zoude (de Saint-Hubert), Serruys, Constantin Rodenbach, Maclagan, de Man, l'abbé Andries, d'Hanis Van Cannart, Pirson, Camille de Smet, l'abbé de Foere, de Sebille, Goffint, Nalinne, Destriveaux, Barbanson, Nothomb, Forgeur, Trentesaux, le comte de Celles, Charles de Brouckere, Barthélemy, le comte d'Arschot, le baron Surlet de Chokier.

Ont voté contre : MM. Le Grelle, l'abbé Wallaert, de Tiecken de Terhove, (page 572) l'abbé Van Crombrugghe, le vicomte de Jonghe d'Ardoie, Verwilghen, Coppieters, d'Hanens-Peers, Gustave de Jonghe, François Lehon, Destouvelles, l'abbé Joseph de Smet, l'abbé Vander Linden, le baron de Terbecq, Vergauwen-Goethals, le baron de Woelmont, le baron de Viron, le comte de Baillet, le baron de Stockhem, Olislagers de Sipernau, Henri Cogels, le baron de Sécus (père), de Lehaye, le comte d'Ansembourg, l'abbé Verduyn, Lefebvre, de Gerlache, le baron de Liedel de Weil, le baron Van Volden de Lombeke, le vicomte de Bergeyck. (C., 24 déc.)

Se sont abstenus de voter : MM. Annez de Zillebeecke, le baron de Pélichy van Huerne, Eugène de Smet, de Selys Longchamps, le vicomte Desmanet de Biesme, le marquis de Rodes, le baron Frédéric de Sécus, Raikem, le marquis d'Yve de Bavay, le comte Duval de Beaulieu, Relias d'Huddeghem, le comte Cornet de Grez, de Ville, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Deleeuw. (C., 23 déc.)

MM. Charles Le Hon et le baron Osy, n'ayant pas pris part à la discussion, n'ont point voté. Ces honorables membres sont entrés dans la salle lorsque l'appel nominal était commencé. (C., 23 déc.)

M. Van Meenen – On a adopté le principe, mais non pas le placement. (Bruit.) (U. B., 23 déc.)

M. le comte de Baillet – Je demande que l'on insère au procès-verbal, que je n'ai voté contre l'amendement que parce que je ne le croyais pas à sa place. (Non ! non ! c'est inutile.) (U. B., 23 déc.)

M. Le Grelle – Je fais la même demande. (Non ! non !) (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Desmanet de Biesme – Je demande aussi l'insertion au procès-verbal. (Le tumulte recommence ; presque tous ceux qui se sont abstenus de voter, ou qui ont voté contre, demandent l'insertion au procès-verbal, tandis que tous les autres crient : Non ! non !) (U. B., 23 déc.)

M. Henri de Brouckere, parlant au milieu du bruit – Nous insérons au procès-verbal les votes négatifs, comme les votes affirmatifs ; mais on sent que nous ne pouvons insérer les motifs sur lesquels chacun a appuyé son vote : cela n'irait à rien moins qu'à faire rapporter par le procès-verbal des discours entiers. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 23 déc.)

M. le comte de Baillet, s'avançant au milieu du parquet – M. le président, mettez ma demande aux voix. (U. B., 23 déc.)

M. Raikem – Je demande la parole. Explosion de murmures et de cris :L'ordre du jour ! l'ordre du jour !) (U. B., 23 déc.)

M. Charles Le Hon Je demande la parole. (U. B., 23 déc.)

M. le président – M. Raikem l'a demandée avant vous. (U. B., 23 déc.)

M. Raikem du milieu du parquet – On ne peut pas se dispenser de mettre le nom de ceux qui n'ont pas voté, et le motif pour lequel ils se sont abstenus. (Non ! non ! L'ordre du jour !) (U. B., 23 déc.)

M. Charles Le Hon – Dans une des dernières séances, j'ai professé l'opinion qu'il est dans le devoir de tout membre d'une assemblée délibérante d'émettre un vote lorsqu'il est présent à l'appel nominal et qu'il a assisté à la délibération. Je tiens à être conséquent avec moi-même, et pour prévenir toute interprétation fausse du silence que je viens de garder, je déclare que retenu jusqu'à ce moment dans la commission d'industrie, de commerce et d'agriculture, je ne suis arrivé dans cette enceinte que lorsque l'appel nominal était commencé. N'ayant pas été présent à la longue discussion de l'article 3, j'ai dû m'abstnir d'émettre mon opinion sur ses résultats. (C., 23 déc.)

M. le baron Osy déclare aussi qu'il n'a pas voté parce qu'il n'a pas assisté à la discussion. (J. F., 23 déc.)

M. Raikem – Je demande qu'il soit déclaré qu'on s'est abstenu de voter, non pas parce qu'on n'approuvait pas le principe, mais parce que ce n'était pas le lieu où l'expression en devait être placée. (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Desmanet de Biesme, d'une voix forte – (page 573) Je déclare que je partage l'opinion de M. Beyts. Si je n'ai point voté, c'est que j'ai cru que ce n'était pas là la place de l'amendement (bruit) ; je ne vois pas l'importance que la majorité attache à ce que notre déclaration ne soit pas insérée au procès-verbal. (U. B., 23 déc.)

M. de Tiecken de Terhove fait la même réclamation au milieu d'un brouhaha qui va toujours croissant. (U. B., 23 déc.)

M. Charles de Brouckere s'élance à la tribune ; le calme se rétablit un peu – Messieurs, le procès-verbal de nos séances est un narré de faits, il n'est pas un narré d'opinions ; ainsi on peut y faire insérer son vote, parce que c'est un fait, mais non les motifs de son vote, parce que ces motifs sont une opinion. A cet égard, je vous rappellerai ce qui s'est passé il y a quelques jours. Un membre du congrès, député de la ville d'Anvers, voulait faire insérer au procès-verbal les motifs de son opinion contre l'exclusion des Nassau ; ils étaient fondés sur ce que, la ville d'Anvers étant encore au pouvoir des Hollandais, il y avait danger à prononcer l'exclusion de la famille des Nassau. Sa demande, vous le savez, ne fut pas accueillie, et cela ne devait pas être. Je demande qu'il en soit de même aujourd'hui et que l'assemblée passe à l'ordre du jour. (Appuyé ! appuyé ! L'ordre du jour !) (U. B., 23 déc.)

M. le comte de Baillet – Mais c'est ici un fait....... (Non ! non ! L'ordre du jour !) (U. B., 23 déc.)

M. le président parvient avec beaucoup de peine à obtenir le silence : enfin il peut consulter l'assemblée qui passe à l'ordre du jour. (U. B., 23 déc.)

Article 4 (article 7 de la Constitution)

M. le président – La discussion est ouverte sur l'article 4. (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, en donne lecture :

« Art. 4. La liberté individuelle est garantie.

« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.

« Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation,ou au plus tard dans les vingt-quatre heures » (C., 23 déc., et A. C.)

M. Van Snick propose un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Dans tous les cas, la personne saisie ou arrêtée sera interrogée au plus tard dans les trois fois vingt-quatre heures par le président du tribunal de première instance de l'arrondissement dans lquel elle aura été arrêtée, ou par tel autre juge que le président aura délégué. »

- L'honorable membre développe son amendement. (C. et E.. 23 déc.)

M. Henri de Brouckere – C'est le juge d'instruction qui interroge. (C., 23 déc.)

M. De Lehaye – Cet article se trouve dans le Code d'instruction criminelle, il est inutile de le reproduire. (C., 23 déc.)

M. le baron de Sécus (père) fait quelques observations en faveur de l'amendement. .(C., 23 déc.)

M. Raikem – Je proposai cette addition dans la section centrale ; mais sur l'observation de M. Charles de Brouckere que cette disposition se trouvait déjà dans le Code d'instruction criminelle, je retirai ma proposition. (U. B., 23 déc.)

M. Destouvelles appuie cette observation. (C., 23 déc.)

M. de Muelenaere regarde aussi l'article comme n'étant pas à sa place. (C., 23 déc.)

- La clôture de la discussion est prononcée. (C., 23 déc.)

L'art. 4 est adopté. (P. V.)

La disposition additionnelle de M. Van Snick est mise aux voix avec la substitution des mots juge compétent, à ceux de président, etc. (C., 23 déc.)

M. Forgeur – Je fais observer que le Code d'instruction criminelle ne donne pour l'interrogatoire qu'un délai de vingt-quatre heures. En adoptant l'amendement, nous nous montrerions moins généreux que le Code : je proposerai, par sous-amendement, de décréter que l'interrogatoire aura lieu dans les vingt-quatre heures. Je n'entends pas pour cela approuver l'amendement de M. Van Snick, ni mon sous-amendement ; je voterai le premier contre l'un et l'autre. (Rires.) Mais si on croyait devoir adopter le principe, je ne veux pas que la constitution se montre moins généreuse que le Code d'instruction criminelle. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 23 déc.)

M. Henri de Brouckere – Il est reconnu que cet article du Code d'instruction criminelle est inexécutable. (C., 23 déc.)

- On met aux voix le sous-amendement de M. Forgeur ; l'honorable membre vote contre. (On rit.) (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Ne riez pas !... (U. B., 23 déc.)

- Le sous-amendement de M. Forgeur est rejeté.

L'amendement de M. Van Snick est ensuite mis aux voix et rejeté. (U. B., 23 déc.)

Article 5 et 6 (articles 8 et 9 de la Constitution) : assignation légale du juge et établissement des peines en vertu de la loi seule

(page 576) « Art. 5. Personne ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne. » (A. C.)

M. Van Meenen propose de substituer le mot nul au mot personne. (A.)

- Cet amendement est adopté ainsi que l'article. (P. V.)

« Art. 6. Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi. » (A. C.)

M. Van Meenen propose la rédaction suivante :

« Nulle peine ne peut être établie que par la loi, ni appliquée qu'en vertu d'une loi antérieure au délit ou à la contravention. » (A.)

M. Delwarde – La dernière partie de cet amendement forme l'article 4 du Code pénal actuel. (C., 23 déc.)

M. Henri de Brouckere – Si vous admettez la première partie, vous anéantissez la loi du 6 mars 1818 qui permet aux autorités provinciales et communales d'établir des pénalités dans certains cas de police. (C.. 23 déc.)

M. Van Meenen retire la deuxième partie de son amendement et explique la première qui est rejetée. (C., 23 déc.)

- L'article 6 est adopté sans changement. (P. V.)

Article 7 (article 10 de la Constitution) : inviolabilité du domicile, visites domiciliaires

« Art. 7. Le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu qu'en vertu de la loi. » (A. C.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire - Voici un amendement de M. Van Meenen. (L'impatience de l'assemblée se manifeste par quelques murmures. (U. B., 23 déc.)

M. Van Meenen – Messieurs, je suis étonné de ces murmures et de ce défaut de bienveillance. Croyez-vous que je propose des amendements pour le seul plaisir de le faire ? Non, messieurs ; les amendements que je propose, je les ai mûrment réfléchis, je les ai travaillés avec soin, et si je les produis, c'est que je crois qu'ils sont utiles. Voici mon amendement ; je propose de dire, au lieu de : « Aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu qu'en vertu de la loi, » ces mots : «Aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit. » (U. B., 23 déc., et A.)

M. le baron de Sécus (père) appuie cet amendement. (U. B., 23 déc.)

- L'article ainsi amendé est adopté. (P. V.)

M. de Robaulx – Je propose d'ajouter que la résistance légale est de droit... (U. B., 23 déc.)

M. le président – Votre addition est-elle rédigée ? (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx – Elle le sera bientôt. (U. B., 13 déc.)

M. Forgeur – La question est délicate, elle demande mûre réflexion ; M. de Robaulx ferait mieux peut-être d'en faire l'objet d'une proposition spéciale... (U. B., 23 déc.)

M. de Robaulx se rend à cette observation. (U. B., 23 déc.)

Articles 8 et 9 (articles 11 et 12 de la Constitution)

« Art. 8. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. » (A. C.)

M. François – Il faut lire établis. (C., 23 déc.)

-L'article est adopté. (P. V.)

« Art. 9. La peine de la confiscation des biens ne peut être établie. » (A. C.)

Adopté. (P. V.)

Article 10 et 11 : liberté des cultes et de leur exercice, libre manifestation des opinions, non-obligation de concourir aux actes et cérémonies religieuses et d'en respecter les jours de repos

« Art. 10. La liberté des cultes et celle des opinions en toute matière sont garanties. »

« Art. 11. L'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans les cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. » (A. C.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire – M. Van Meenen propose de remplacer les articles 10 et 11 par l'amendement suivant :

« La liberté des cultes et celle de manifester ses opinions en toute matière sont garanties, sauf la répression des délits commis au moyen, à l'occasion, ou sous prétexte de l'usage de ces libertés. » (U. B., 23 déc., et A.)

M. Van Meenen développe son amendement – L'article 10, tel qu'il est conçu, me paraît tout à fait inutile, car je ne conçois pas ce que c'est que la liberté des opinions ; il aurait fallu dire : la liberté de manifester ses opinions. Ce n'est pas la liberté de penser, à laquelle on ne peut mettre d'entraves, qu'il est nécessaire de garantir, ce sont les signes extérieurs.

L'article 11 suppose que l'exercice public du culte peut être empêché ; on a voulu prévenir les actes extérieurs de ce culte, hors des temples qui lui sont consacrés. Or, le culte catholique étant le seul qui s'exerce hors de l'enceinte des temples, vous avez établi un privilège contre le culte catholique. (J. B., 23 déc.)

M. de Gerlache – La liberté des cultes, la liberté de l'enseignement et celle de la presse ont été justement rapprochées dans les articles du projet de constitution : elles sont en quelque sorte identiques. C'est toujours la manifestation de la pensée, sous des formes diverses. C'est précisément pour cela que ces libertés doivent être mises absolument sur la même ligne, et que vous ne pouvez faire ni plus ni moins pour l'une que pour (page 575) l'autre. Or, le grand principe qui prédomine ici tous les autres, puisque nous avons pour but de consacrer la véritable liberté, sans aucune restriction, c'est l'absence de toute mesure préventive. Or, il est évident que l'article 11 renferme une véritable mesure préventive, puisqu'il suppose que le culte peut être empêché et non simplement réprimé pour des actes qui auraient troublé l'ordre et la tranquillité publique ; il est évident que les auteurs de ces actes doivent être seuls punis, et que le culte ne peut être empêché, à moins que vous ne disiez que l'on a droit de conclure qu'un culte troublera toujours la tranquillité publique, par cela seul qu'à l'occasion de ce culte, tel ou tel individu malintentionné aura causé quelque désordre. Si vous voulez sentir toute l'absurdité d'un tel système, appliquez-le à la presse, et dites par exemple : Dans une commune où il y aura moitié catholiques, moitié protestants, on pourra empêcher, par une loi, d'imprimer et de distribuer des journaux, si à l'occasion de ces journaux l'ordre et la tranquillité publique ont été troublés.

Quant à ce que M. le rapporteur a dit du culte ou de l'être moral qui devait être responsable de ses actes, il a grand tort cette fois de quitter le style simple pour la figure : vous l'entendrez soutenir tout à l'heure, je n'en doute pas, que l'être moral appelé presse ne peut être poursuivi que pour ceux de ses actes jugés répréhensibles, et je crois qu'il aura pleinement raison ; je le prierais seulement, pour mon compte, d'étendre un peu le cercle de cette raison, afin que tout le monde soit également libre et content.

Il est d'autant plus important d'amender cet article, qu'il est évidemment dirigé contre la religion de la majorité des Belges, contre le catholicisme.

Messieurs, nous ne sommes qu'une nation de quatre millions d'hommes, mais nous avons sous la main un moyen facile et infaillible de nous agrandir aux yeux de l'Europe et de la postérité, c'est de devancer les autres nations en fait de liberté ; c'est de montrer que nous l'entendons mieux que celles qui se vantent de l'emporter sur toutes les autres ; que cette France, par exemple, si grande, si glorieuse, et cependant si retardée encore en fait de véritable tolérance, où il semble que la liberté ne soit qu'une arme offensive dans la main du plus fort.

J'appuierai donc l'amendement de M. Van Menen, sauf les modifications qui pourront être proposées. (C., 23 déc.)

M. le baron de Sécus (père) – Messieurs, c'est un grand bonheur dans un État quand entre les habitants il existe unité dans les opinions religieuses ; il y a dans ce cas paix et union entre les citoyens sur un point qui les intéresse si éminemment ; le gouvernement alors n'est point embarrassé par des discordes qui, quoique n'étant nullement de son ressort, l'entravent presque toujours par la réaction nécessaire qu'elles exercent sur l'ordre public.

On peut dire qu'on a ce bonheur en Belgique. Les communions dissidentes sont si peu nombreuses, qu'il n'y a point à craindre de trouble de leur part ; nous observons à leur égard, et même avec scrupule, tout ce que prescrit et la tolérance chrétienne et la justice ; loin du cœur d'aucun catholique l'idée de représailles ! Nous avons entendu exprimer que toute concession faite aux catholiques met les communions protestantes en péril ; ce mot n'est ridicule qu'en apparence ; en réalité, il peint l'incertitude qui tourmente le fond de leur âme. Quant à nous, messieurs, nous serons toujours tolérants, nous n'avons pas besoin, pour nous rassurer, de la servitude des protestants.

L'attachement profond à la religion catholique romaine a toujours été le caractère des Belges ; ils préférèrent rentrer sous la domination espagnole, que de jouir d'une liberté qui leur eût coûté le sacrifice de leur foi. Sujets fidèles et dévoués sous Marie-Thérèse, ils repoussèrent son fils qui voulait leur imposer son catholicisme germanique.

Et de tous les griefs dont les Belges se sont plaints sous le gouvernement hollandais, celui qui les a le plus profondément irrités et qui a été la cause la plus puissante de la rapidité extraordinaire avec laquelle la révolution s'est étendue, a été la persécution sourde, mais active, du gouvernement contre la religion et l'instruction catholiques.

Établir donc cette liberté sur des bases inattaquables, c'est pourvoir pour l'avenir à la sûreté de l'État que nous sommes appelés à constituer. C'est profiter des leçons du passé pour s'emparer de l'avenir et anéantir le germe de ce qui pourrait encore amener des troubles.

Cette liberté, au reste, est en parfaite harmonie avec toutes les autres ; elle en est même l'amie, et les catholiques, malgré toutes les intrigues, n'ont-ils pas toujours été fidèles à l'alliance contractée avec les libéraux pour les conquérir toutes, alliance qui a fait le désespoir de l'ennemi commun ?

Nous sommes dans la position la plus favorable (page 576) pour en établir les bases ; nous sommes les maîtres de notre liberté, et si, par la suite, des entraves y étaient encore apportées, nous ne pourrions les attribuer qu'à notre défaut de prévoyance.

Pour que cette liberté catholique soit établie, il faut donc :

1° Que l'exercice public de son culte ne puisse être empêché ; il ne peut certes troubler ni l'ordre ni la tranquillité publique, et si ce trouble arrivait, ce ne pourrait être que l'effet de la malveillance exercée à dessein pour l'insulter. Si donc pareil excès arrivait, ce serait contre leurs auteurs qu'il faudrait sévir.

Il se pourrait que des autorités, imbues de principes irréligieux, prétendraient que si l'exercice extérieur d'un culte a excité des troubles, le moyen de les prévenir est d'interdire cet acte extérieur d'exercice du culte. Pareille opinion pourrait trouver des partisans : on ferait ainsi retomber sur le culte lui-même les excès de ses ennemis, et en suscitant pareils excès, on parviendrait à anéantir le culte extérieur.

2° Pourvoir aux frais du culte et des ministres, et garantir ces frais.

Quant aux cultes et aux communions dissidentes, c'est une conséquence de la liberté accordée aux opinions religieuses, c'est à ce seul titre que l'État peut leur devoir un traitement : la justice exige qu'il soit alloué à ces communions les sommes nécessaires aux frais de leur culte ; passé cela, nous ne leur devons rien. Ces communions n'avaient aucuns biens qui soient devenus domaines de l'État et qui nous imposent des obligations spéciales.

Il n'en est pas de même du culte catholique ; sous le gouvernement français, les corps ecclésiastiques ont été dépouillés de biens immeubles d'une valeur immense ; la cour de Rome a ratifié l'aliénation de ces biens, sous la condition que l'État, qui en avait profité, se chargerait des frais du culte et de l'indemnité due aux ministres. Cette indemnité est donc une dette de l'État, dette dont il a reçu le capital.

Ce n'est pas à ce seul titre que l'État doit au culte catholique exclusivement le payement de tous les frais qui lui sont nécessaires ; il les lui doit encore à titre d'un revenu annuel qu'il perçoit du chef des dîmes supprimées.

Les dîmes, dans leur origine, ont été un impôt, un impôt établi sur la production foncière pour tout ce qui était nécessaire au culte, subsistance des ministres et entretien des édifices... (J. F., 23 déc.)

M. le baron de Pélichy van Huerne – Messieurs, liberté en tout et pour tous, voilà ce que nous avons proclamé à la face de l'Europe. Pourquoi donc, après ces sublimes paroles, posrions-nous des entraves à la liberté de ce qui fait la plus douce consolation de l'homme, et qui constate ses rapports avec l'être suprême, son culte ?

Pourquoi rendrions-nous l'être moral, le culte responsable du délit de l'individu ? Cela, sous le prétexte spécieux que, dans les communes dont les habitants professent différentes religions, la nécessité de l'intervention de la loi ne peut être mise en doute. Je ne nie pas, messieurs, l'intervention de la loi, mais je nie qu'elle doit agir sur l'être moral, lorsque l'individu qui, à raison de son culte, aura troublé l'ordre et la tranquillité publique, doit être seul responsable, rentrer dans la loi commune, et pour le délit être traduit devant les tribunaux. Je pense que le désordre ne peut être attribué au culte, et que, pour cette raison, l'exercice ne peut en être empêché.

Les cultes, comme la presse, doivent être entièrement libres : les uns sont l'expression des sentiments de l'âme, de l'humanité ; l'autre est celle des opinions, des lumières. Si vous accordez la liberté la plus large à l'une, vous ne pouvez, sans injustice et sans tomber dans une contradiction palpable, refuser la même faveur à l'autre. D'ailleurs, en garantissant la liberté des opinions, on garantit, sans aucun doute, la faculté de les professer. Or, l'intervention de la loi l'entraverait, la garantie deviendrait illusoire.

L'intervention de la loi, en matière de cultes, porterait le trouble, la méfiance dans les esprits ; on se croirait reporté au temps de l'ancien gouvernement où, sous les apparences bénévoles d'une tolérante protection, on les enchaînait, on les persécutait.

Loin de nous, messieurs, la pensée de professer une telle doctrine. Dans la régénération qui s'opère dans notre patrie, montrons-nous tout entiers dans les principes que nous avons proclamés. Que dans ce beau pays, devenu la terre classique de la vraie liberté, tout citoyen puisse suivre son culte sans crainte, ni arrière-pensée.

J'ai dit que l'être moral, le culte, ne peut, ni ne doit être attaqué, et que l'individu qui troublerait l'ordre public doit seul être passible de ses actions devant la loi. En effet, messieurs, si cela n'était ainsi, il en résulterait que chaque fois qu'un individu appartenant à quelque art ou métier viendrait à troubler l'ordre et la tranquillité publique, il faudrait en empêcher l'exercice. Une telle doctrine serait absurde.

(page 577) Je pense donc que, pour rester dans les conséquences, la liberté des cultes doit être pleine et entière, et qu'aucune entrave ne peut être mise à son exercice ; que si un de ses membres troublait, à raison de son culte, la société, il doit rester seul responsable, sans que l'on puisse s'en prendre au culte même.

L'amendement de M. Van Meenen établit le principe et assure aux cultes la liberté réclamée. (U. B., 1er janv.)

M. l'abbé Van Crombrugghe – Messieurs, parmi les bienfaits que nous devons aux événements extraordinaires dont nous sommes témoins, les Belges regarderont toujours comme le plus précieux de tous la liberté rendue au culte de leurs pères. Leur inébranlable attachement à la foi catholique n'est pas moins connu que leur amour de la liberté. Nous avons vu, durant la longue persécution qui a pesé sur leur culte et ses ministres, avec quel intérêt ils ont suivi la noble lutte dans laquelle la patience et la sagesse de ceux-ci ont triomphé de l'astuce et de l'obstination de leurs puissants ennemis. Nous savons avec quels vifs sentiments d'allégresse ils ont salué le jour où leur religion recouvra la liberté, et avec quelle reconnaissance ils ont béni le pouvoir qui fit cet acte de justice. Aussi, messieurs, vous avez tous compris qu'en consacrant la liberté la plus complète d'opinions, il fallait encore y joindre celle des cultes, afin de garantir aux Belges la jouissance d'un droit dont ils se sont, en tout temps, montrés si jaloux.

Comment se fait-il cependant que cette même liberté que nous croyons leur être due tout entière, comment se fait-il, dis-je, que cette liberté qu'ils ont acquise au prix de leur sang, se trouve déjà comme menacée, puisque votre section centrale l'assujettit à une condition dont le simple énoncé afflige et que nous redoutons d'approfondir ?

Une loi pourrait empêcher le culte antique des Belges ! ce ne serait, dit le rapport, que dans le cas où l'ordre et la tranquillité publique seraient troublés ; mais à qui réservez-vous le soin de déterminer les cas et d'appliquer la loi ? Si donc, dans l'hypothèse possible, un parti hostile au catholicisme vient à triompher de la majorité dans l'assemblée législative, il lui sera loisible d'empêcher l'exercice de notre culte ? Si, comme on en voit des preuves dans un pays voisin, des ennemis de l'ordre suscitent quelque trouble par l'une de ces scènes impies et scandaleuses qui arrivent ailleurs, et que l'on impute ensuite ces troubles à ceux dont on veut entraver les libertés, ne parviendrait-on pas à empêcher l'exercice de notre culte et à faire porter aux innocents la peine due aux coupables ? De cette manière, les libertés les plus précieuses dépendraient de la volonté et des passions des partis.

Quoique l'esprit de sagesse qui distingue notre nation nous soit un sûr garant que ces suppositions ne se réaliseront jamais parmi nous, la seule idée que leur culte pourrait être entravé inspirerait indubitablement des craintes aux Belges, et elle suffirait pour diminuer, pour dénaturer même le bienfait que semble vouloir leur assurer l'article du rapport ; or, pour cette raison-là seule, selon moi, la rédaction aurait besoin d'être modifiée.

Si l'on a uniquement en vue de prévenir les abus qui pourraient se commettre à l'occasion du culte, nous sommes loin de vouloir nous y opposer ; mais que, sous prétexte de précaution, on ne vienne point nous faire la menace de mettre la main sur l'une de nos libertés les plus vitales ! Que la crainte à peu près chimérique de l'abus ne nous prive point de cette liberté en tout et pour tous, sans laquelle, à notre avis, il n'y a plus ni harmonie, ni repos possible.

Ne serait-il pas plus naturel, messieurs, pour ces cas d'abus que semble avoir eus en vue la rédaction de votre section centrale, ne serait-il pas plus sage de s'en rapporter à la vigilance des chefs qui président à nos églises et qui ont un si vrai intérêt à prévenir les désordres qui pourraient résulter, dans certaines circonstances, de quelque acte imprudent de leur part ? D'ailleurs, les tribunaux sont toujours là ; qu'ils sévissent contre ceux qui, à l'occasion ou au moyen du culte, oseraient troubler l'ordre public ; la Belgique tout entière applaudira à la juste sentence portée contre des auteurs reconnus de désordre.

Non, messieurs, ne nous montrons pas défiants ni peu généreux dans une matière délicate. Ne nous exposons point à rouvrir des plaies non encore totalement cicatrisées peut-être. Rappelons-nous que nous n'avons pas besoin de nous prémunir contre certaines dispositions observées chez des voisins, parce que notre caractère plus modéré, plus réfléchi, plus sincèrement indépendant, nous en garantit complètement.

Il serait imprudent de jeter dans les fondements de notre nouvel ordre social des matières capables d'en empêcher la consolidation ; il serait injuste de menacer la nation presque tout entière pour des fautes possibles de quelques individus.

Nous avons tous les mêmes intérêts, nous avons tous la même patrie ; les mêmes temples reçoivent (page 578) nos vœux communs. Nous avons donné aux autres nations l'exemple d'une union qui nous a sauvés et qui les sauvera de même ; donnons-leur encore celui d'une nation qui sait profiter de sa victoire, en se reposant, dans une confiance mutuelle, dans une estime réciproque, dans cette affection patriotique qui fit le bonheur de nos pères. Nous n'avons pas tant dégénéré de nos ancêtres, pour que je n'ose dire encore aujourd'hui que nous sommes toujours dignes de nous estimer, de nous aimer les uns les autres, de confondre nos intérêts dans l'intérêt de la patrie, car nous sommes tous Belges. (J. F., 23 déc.)

M. Charles de Brouckere, rapporteur, fait remarquer que l'article 11 a été adopté, à l'unanimité, dans la section centrale ; et en mettant exercice public, on a entendu l'exercice extérieur ; il est certain que les tribunaux ont décidé que les cérémonies dans l'intérieur des temples étaient publiques, mais la section centrale n'a eu en vue que la liberté la plus illimitée et sans restriction. (J. F., 23 déc.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – Messieurs, l'importance de la liberté de l'exercice public du culte est assez appréciée pour justifier la nécessité de la garantir.

L'article 11 du projet est trop vague en ce qu'il permet à la loi d'empêcher l'exercice public d'un culte, dans le cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique.

Supposons en effet que des ministres du culte aient, par des processions ou autres actes publics, occasionné du trouble en certains lieux et en certaines circonstances, s'ensuit-il qu'on puisse raisonnablement défendre indéfiniment, et même en tout le royaume, les processions ou autres actes semblables ? Cependant l'article 11 le permet ; mais c'est, il faut le reconnaître, une faculté exorbitante et hors des attributions de la législature ordinaire : de telles mesures ne peuvent être prises que par la législature extraordinaire ; il faut pour cela le consentement certain de la très grande majorité de la nation, il faut donc suivre alors la forme tracée pour la révision de la constitution.

Observons d'ailleurs que la législature ordinaire aura des moyens suffisants pour réprimer les troubles dans tous les cas possibles.

Si l'acte du culte est bon en lui-même, et que ce trouble survenu soit imputable à l'imprudence ou à la témérité du ministre qui l'a exercé, en ce cas le ministre sera puni pour son imprudence, et il appartiendra au magistrat d'en apprécier les circonstances. C'est sur le principe que l'imprudence peut aller jusqu'au délit, que sont fondés les articles 319 et 320 du Code pénal, qui portent des peines contre celui qui, par son imprudence, aura été involontairement la cause de blessures ou d'homicide. Or, l'imprudence du ministre d'un culte serait évidemment répréhensible si, averti par l'expérience et par la connaissance de la disposition des esprits, il faisait un acte extérieur du culte, non nécessaire, qui serait suivi de désordres qu'il avait pu prévoir ; mais qu'on le remarque bien, il ne suffit pas en ce cas d'avoir posé un fait d'où il aurait pu résulter du trouble, il faut que le trouble s'en soit suivi, il faut encore que le fait ait été gravement imprudent.

Ce moyen de répression est suffisant pour réprimer toute témérité et pour conserver l'ordre, et dès lors il faut s'en contenter, de crainte qu'on n'en vienne à empêcher les grands biens qui peuvent résulter de l'exercice public du culte, sous prétexte de prévenir quelques désordres rares d'ailleurs. Si, au contraire, l'acte du culte est en lui-même immoral tellement que la seule publicité de cet acte soit une atteinte à l'ordre et à la tranquillité, alors il devient criminel en lui-même.

En ce cas, cet acte ne sera pas puni comme acte du culte, mais il sera puni comme outrage public aux bonnes mœurs ; il ne sera pas excusable pour avoir fait partie d'un culte quelconque, par la raison que les bonnes mœurs ne peuvent être blessées publiquement sous aucun prétexte (article 330 du Code pénal). Pour réprimer de tels actes il ne sera pas nécessaire qu'il s'en soit suivi du trouble, il suffira que l'acte commis soit un acte criminel en lui-même et justement réprouvé par les lois.

Ainsi, la législature ordinaire est évidemment investie de toute l'autorité nécessaire, et pour réprimer l'immoralité, et pour réprimer l'imprudence ou la témérité ; ces motifs sont décisifs pour me faire préférer l'amendement de M. Van Meenen à l'article du projet.

- L'honorable membre propose d'ajouter dans cet amendement, aux mots : la liberté des cultes, les mots : celle de leur exercice public. (J. F., suppl., 27 déc., et A.)

M. Van Meenen – Qu'est-ce que le culte ? c'est, sans nul doute, l'exercice public de cérémonies religieuses, et liberté des cultes embrasse tout ; le culte est donc toujours extérieur ; faisons-y attention : les restrictions viennent ordinairment de l’étendue des définitions ; si vous adoptez l'exercice public, vous pourrez laisser à l'interprétation de réprimer l'exercice privé. Avant de vous présenter le changement que je propose, (page 579) je l'ai mûri dans la plus profonde réflexion, et c'est dans l'amour le plus pur de la religion que je vous l'ai soumis. (J. F., 23 déc.)

M. Lebeau – Je repousse les articles 10 et 11 dans l'intérêt non d'une religion de majorité, mais de religions de minorités. Le culte, comme être moral, ne peut être poursuivi non plus que la presse et l'enseignement ; la loi ne peut atteindre que des individualités, des faits spéciaux. (Adhésion.) Voici comment je conçois la répression d'un fait relatif à un culte ; je suppose qu'on veuille établir un culte permettant la polygamie, cette partie du culte peut être réprimée d'après les lois pénales ordinaires. (C., 23 déc.).

M. l’abbé de Foere place, avec M. Lbeau, la liberté des cultes et celle de la presse sur la même ligne – Je ne conçois que deux cas de répression, celui où l'ordre public est troublé, et celui où des droits privés sont lésés. La rédaction de la proposition de M. Van Meenen pourrait être plus complète.

M. de Gerlache regarde les mots sous prétexte de l'usage comme trop vagues. Il ne veut pas non plus que la religion de majorité puisse être oppressive. Si une religion tout à fait immorale s'établissait, le législateur pourrait sans doute prendre des mesures dans l'intérêt de la morale. (C., 23 déc.)

M. Van Meenen consent à la suppression des mots sous prétexte. (C, 23 déc.)

M. de Muelenaere – Messieurs, l'attention en quelque sorte religieuse que vous prêtez aux débats qui se sont élevés sur l'article soumis à votre examen, prouve que vous êtes tous pénétrés de la haute importance des questions que nous discutons en ce moment. Et, en effet, aucun de nous ne peut se dissimuler qu'une des prérogatives les plus précieuses pour le peuple belge, celle peut-être à laquelle de tout temps il a été le plus vivement attaché, c'est la liberté de ses opinions religieuses, et par conséquent aussi la liberté d'exercer publiquement le culte qu'il professe. Nos souvenirs récents et l'histoire du pays nous apprennent que sa juste sollicitude pour la foi de ses pères s'est effrayée à la vue de tout acte qui paraissait y mettre des entraves ou y porter la moindre atteinte. Évitons donc soigneusement de lui donner, à cet égard, le moindre sujet d'ombrage.

Mais, me dit-on, quelle garantie nous donnez-vous contre les désordres que l'exercice d'un culte peut faire naître, si son exercice ne peut être ni empêché ni restreint par la loi ?... Je réponds d'abord à cette objection que le culte, sous ce rapport, est placé sur la même ligne que la presse. Je ne vois d'ailleurs pas la nécessité que la loi, dans aucun cas, puisse empêcher ou restreindre l'exercice d'un culte existant.

Quant à la religion catholique, treize siècles sont là pour dissiper toutes vos inquiétudes et pour vous convaincre que l'exercice public de ce culte ne saurait jamais, par lui-même, troubler le bon ordre. Si, à l'occasion de l'exercice du culte, des individus, quels qu'ils soient, portent atteinte à la tranquillité publique, les lois ordinaires sont suffisantes pour les atteindre et les punir. A Dieu ne plaise que je veuille soustraire les ministres de la religion à la juste vindicte des lois qu'ils pourraient enfreindre ! Non. Mais plus le culte sera libre et protégé, moins ses ministres auront droit à notre indulgence, s'ils s'écartent de la ligne de leurs devoirs. Je le répète, en réclamant pour le culte une entière liberté, je n'ai nullement l'intention de réclamer l'impunité pour ceux qui desservent ses autels. Tout ce que les ministres du culte exigent des dépositaires de l'autorité publique, c'est qu'ils soient justes envers eux. Mais je ne veux pas confondre le culte avec ses ministres ; je ne veux pas que, pour les erreurs ou les torts d'un individu, on puisse entraver le libre exercice d'un culte. Je ne veux pas enfin que pour le délit d'une ou de plusieurs personnes on puisse punir la société tout entière.

J'ai été fortement frappé d'ailleurs d'une observation faite par un honorable préopinant. Oui, messieurs, c'est surtout en faveur de cette minorité de nos concitoyens qui ne professe pas la rligion catholique, que nous devons repousser la disposition qui nous est présentée par la section centrale. A une époque où, dans un pays voisin, on nous accuse déjà d'être sous l'influence d'un parti, gardons-nous de donner des inquiétudes à cette minorité, et ne permettons pas qu'on puisse nous supposer des arrière-pensées. Hâtons-nous donc de tranquilliser toutes les consciences, et consacrons sans aucune restriction le principe éminemment conservateur de l'entière liberté des cultes.

L'amendement de M. Van Meenen tend vers ce but : toutefois, il me semble encore bien loin de satisfaire à toutes les exigences : en le combinant avec d'autres sous-amendements, nous parviendrons à concilier, j'espère, dans une matière aussi grave, les opinions les plus divergentes. (J. F., 23 déc.)

M. Devaux – La discussion est bien éclaircie. Dans l'intention de la section centrale, l'article 10 s'applique à l'exercice public, non pas au culte (page 580) dans l'intérieur du temple. La rédaction est sans doute fautive. On a dit que le catholicisme est la religion de la majorité, de l'unanimité. (Non, non.) On a voulu préserver la société contre certains abus, certains délits commis dans l'exercice public du culte : on parle beaucoup d'une nouvelle religion qui s'élève à Paris, le saint-simonisme. Cette religion doit sans doute être tolérée si elle est importée parmi nous, mais l'exercice public hors des temples ne peut entièrement échapper à la loi civile. (C., 23 déc.)

M. Helias d’Huddeghem – J'ai applaudi, messieurs, aux sages mesures prises par le gouvernement provisoire de la Belgique, le 12 et le 16 octobre 1830, qui ont fait disparaître les entraves mises au libre exercice des cultes, à la liberté de la presse, de l'enseignement et d'association.

La disposition de l'article 11 du projet de constitution statuant que l'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans les cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique, ne saurait obtenir mon assentiment. Mieux vaudrait, me paraît-il, adopter une disposition semblable à celle qui se trouve dans la charte anglaise du 7 août 1830, portant :

« Art. 5. Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.

« Art. 6. Les ministres de la religion catholique apostolique et romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres cultes chrétiens reçoivent des traitements du trésor public. »

L'article premier de la constitution du 14 septembre 1791 semble avoir quelque analogie avec l'article 11, qui est soumis à vos délibérations. Cet article statuait comme suit :

« La constitution garantit à tout homme la liberté d'exercer le culte religieux auquel il est attaché.

« Le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui porte atteinte et mette obstacle à l'exercice des droits consignés dans le présent titre et garantis par la constitution ; mais comme la liberté ne consiste qu'à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droits d'autrui ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre ces actes qui, attaquant ou la sûreté publique ou les droits d'autrui, seraient nuisibles à la société. »

Il est évident que cette disposition est préférable à celle de l'article en discussion ; car elle ne suppose pas que l'exercice d'aucun culte puisse troubler l'ordre et la tranquillité publique.

L'essence des cultes est d'établir et de faire respecter l'ordre et la tranquillité. Ce sont ceux qui faussement se prévaudraient de l'exercice du culte, qui, contre ses principes, troubleraient l'ordre et le repos, qui devraient encourir les peines établies par les lois pénales.

Pourquoi, au moment même où nous établissons le grand principe de la liberté des cultes, s'occuper des cas où, à l'occasion de l'exercice public d'aucun culte, des individus pourraient troubler l'ordre et la tranquillité publique ? Cette spécialité concerne la législation pénale.

La loi fondamentale qui fut imposée en 1815, avait énoncé le principe de la liberté religieuse, civile et politique. Mais, messieurs, rappelez-vous que l'article 193 de cette même loi supposait aussi que l'exercice public d'un culte pourrait troubler l'ordre et la tranquillité publique (Note de bas de page. Voici le texte de cet article : « L’exercice public d’aucun culte ne peut être empêché, si ce n'est dans le cas où il pourrait troubler l'ordre et la tranquillité publique. »)

Cette même loi fondamentale ne munissait point de garanties suffisantes les libertés civiles et religieuses ; le pouvoir exécutif, moyennant des arrêtés sans nombre, les envahit toutes les unes après les autres : il s'attaqua surtout, soit fanatisme, soit système, à la liberté religieuse des catholiques ; d'abord il y travailla sourdement sans s'arrêter aux belles promesses faites en 1815, et l'on pourrait fournir ici une longue liste de vexations de détail que le ministère hollandais se permit de prime abord contre le culte professé par la presque totalité des Belges. Se croyant assez fort en 1825, il voulut par un coup hardi consommer l'esclavage en assujettissant tout dogme et toute discipline dans l'éducation monopolisée du clergé. L'arrêté du 11 juillet 1825 empêcha les aspirants de l'état ecclésiastique de s'adonner à l'étude de la théologie, s'ils n'avaient été préalablement formés dans un collège philosophique à la doctrine, et imbus des principes des faiseurs d'outre-Wahal. En 1826, plusieurs églises ou annexes furent fermées.

Toutes ces entraves au libre exercice du culte avaient efficacement contribué à faire détester le régime hollandais.

Partisan de la liberté en tout et pour tous, et instruit par l'expérience du passé, je ne puis adopter la disposition de l'article 11 du projet. (J. F.. suppl., 27 déc.)

M. Henri de Brouckere (page 581) manifeste des craintes au sujet de la suppression des mots indiqués par M. de Gerlache. (C., 23 déc.)

M. de Robaulx – Je m'élève contre la rédaction proposée par la section centrale, parce que s'il était permis à la législature d'empêcher l'exercice public d'un culte, ce serait donner au législateur le droit de condamner les dogmes, les croyances, le for intérieur et la liberté du culte ; le législateur ne peut punir que les personnes coupables et non les croyances de ces personnes : c'est aux délits qu'il faut s'attacher et non aux religions ; vous citez des cas où des abus pourront résulter de l'exercice public des cultes, mais faut-il proscrire une chose sous prétexte qu'elle peut nuire ? punissez les coupables, mais ne faites pas de loi préventive contre une liberté que vous voulez entière.

Liberté, liberté en tout et pour tous, telle est notre devise ; voyez où l'article de la section centrale conduirait : on ne peut nier que le culte exercé dans une église ouverte est réellement un exercice public ; il faudrait donc admettre, suivant le projet, que la législature pourrait condamner une religion et fermer les églises : voilà un pouvoir que je ne puis sanctionner ; mais si je veux la liberté et l'indépendance des cultes, de toute autorité civile, je veux aussi que l'autorité civile soit indépendante des dogmes, croyances, vœux de toutes les religions : voilà comme j'entends la liberté des cultes, c'est leur affranchissement et surtout leur séparation entière de la puissance civile.

Je me propose à cet égard de présenter une nouvelle rédaction de l'article 12 ; en attendant, je votrai pour l'amendement. (E., 23 déc.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt fait quelques observations en réponse à ce qu'a dit un des préopinants, et demande la suppression des mots au moyen qui se trouvent dans l'amendement de M. Van Meenen. (C., 23 déc., et A.)

M. Destouvelles – Je signalerai des faits : il y a des communes où un seul temple sert à deux cultes ; il en est résulté des disputes, des excès, des rixes. L'autorité municipale a dû intervenir. Aura-t-elle encore le droit d'intervention, pour ces cas de lutte ? Les processions ont lieu en public, des protestants se trouvent sur leur passage ; il existe des exemples qu'on a voulu les forcer à fléchir le genou. Je vous livre ces observations. Quant à moi, elles m'engagent à voter pour les articles de la section centrale. (C., 23 déc.)

M. Jottrand s'enquiert de ce que les tribunaux ont fait dans les cas que vient de citer le préopinant. (C., 23 déc.)

M. Destouvelles – Les tribunaux ont rendu des jugements qui n'ont pas empêché ces excès de se renouveler. (C., 23 déc.)

M. Van Meenen – Le Code pénal est là, il réprimera les actes commis à l'occasion de l'exercice d'un culte comme il réprime ceux qui se sont commis dans toute autre circonstance. (C., 23 déc.)

M. Destouvelles fait quelques observations en réponse à M. Van Meenen. (E.. 23 déc.)

- La clôture de la discussion est prononcée. (C., 23 déc.)

M. Forgeur propose les dispositions suivantes en l'emplacement des articles 10 et 11 :

« Art. 10. La liberté des cultes et la libre manifestation des opinions en toute matière sont garanties. »

« Art. 11. L'exercice extérieur et public d'aucun culte ne peut être empêché ni restreint.

« La loi ne réprime que les faits particuliers qui blessent l'ordre public ou les bonnes mœurs. » (A.).

M. Le Grelle présente la rédaction ci-après :

« Art. 10. La liberté entière des cultes et celle de manifester ses opinions en toute matière sont garanties. »

« Art. 11. L'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché ni restreint. Si, à l'occasion ou au moyen de l'exercice public d'un culte, l'ordre ou la tranquillité publique est troublée, l'auteur du trouble sera poursuivi devant les tribunaux. » (A.)

M. Camille de Smet propose de rédiger les articles 11 et 12 en ces termes :

« Art. .11. L'exercice du culte dans les temples ne peut être empêché en aucun cas. »

« Art. 12. L'exercice extérieur d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans les cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. » (A.)

M. le baron de Sécus (père) présente l'amendement suivant à l'article 11 :

« L'exercice public des cultes ne peut être empêché.

« Chacun est responsable devant les tribunaux de tout acte qui, à l'occasion de l'exercice public d'un culte, troublerait l'ordre ou la tranquillité publique. » (A.)

- La priorité est accordée à la rédaction de M. Van Meenen. (E., 23 déc.)

Cette rédaction, amendée par M. le chevalier de Theux de Meylandt, est adoptée en ces termes :

« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression (page 582) des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. » (P. V.)

M. Devaux propose un paragraphe ainsi conçu :

« L'exercice public d'aucun culte, hors des temples, ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans le cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. » (C., 23 déc.)

- Les uns semblent croire que cet amendement est contraire à la disposition déjà adoptée, les autres que cet amendement est inutile. (C., 23 déc.}

- Un des secrétaires fait une nouvelle lecture de l'amendement et de la disposition. (C., 23 déc.)

M. Le Grelle – Je demande à l'honorable assemblée, si, en garantissant l'entière liberté de l'exercice public des cultes, elle n'a pas voulu désigner par exercice public, tant celui qui aura lieu hors des temples que celui qui se fera dans les temples (Oui, oui) ; ainsi le nouvel amendement tendrait à détruire une partie de la résolution qu'elle vient de prendre. (C., 23 déc.)

- L'amendement de M. Devaux est rejeté. (C., 23 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire – MM. Defacqz et Seron proposent comme paragraphe, le premier :

« Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte religieux. »

Le deuxième :

« Il ne peut être mis par des lois, arrêtés ou règlements, aucune espèce d'empêchement ou de restriction au droit qu'ont tous les hommes d'observer ou de ne pas observer certains jours de fête ou de repos. » (C., 23 déc.)

- L'amendement de M. Defacqz obtient la priorité. (C., 23 déc.)

M. le président – La parole est à M. Defacqz pour développer son amendement. (C., 23 déc.)

M. Defacqz – Partisan déclaré de la tolérance en toute matière, j'applaudis avec ferveur à la proclamation du principe consacré par l'article 10. Voilà du moins une disposition au niveau des bsoins de la civilisation, et la voilà exprimée grandement et sans restriction méticuleuse. Si tous les esprits étaient également à la hauteur de cette disposition, je n'aurais rien à y ajouter, je trouverais dans les esprits eux-mêmes toutes les garanties de son efficacité. Mais on ne peut se dissimuler que la tolérance a peut-être besoin encore d'un appui plus réel. Cet appui, je voudrais en placer la base dans la loi, et c'est là le but de l'amendement que je propose.

La liberté des cultes est garantie, c'est-à-dire, que chacun pourra professer librement son culte, quel qu'il soit ; il pourra s'élever vers la Divinité sans suivre d'autre voie que celle de sa raison, sans obéir à d'autre loi qu'à celle de sa conscience. Mais ce n'est pas assez, selon moi, de cette liberté active, je voudrais en outre cette liberté que l'honorable M. Van Meenen vient de qualifier de liberté négative ou passive ; en d'autres termes, je voudrais que nul ne pût être contraint, sous aucun prétexte quelconque, à s'associer même indirectment à l'exercice d'un autre culte, abus qui n'est que trop réel et trop fréquent.

Je pourrais vous rappeler d'abord l'obligation imposée même par le pouvoir temporel, par l'autorité civile, de chômer certains jours par la suspension de tous travaux : mais je viens d'entendre que M. Seron a fait de ce point l'objet d'un amendement spécial, et je laisse à cet honorable député le soin dont il s'acquittera beaucoup mieux que moi de vous en présenter les développements.

Indépendamment de cet exemple, il en est une foule d'autres que l'on pourrait citer. Je prendrai celui dont quelques orateurs ont parlé tout à l'heure, et je dis que si les ministres d'un culte, quel qu'il soit, procèdent, hors de l'enceinte qui lui est réservée, à une solennité de ce culte, il ne faut pas qu'un citoyen attaché à un culte différent, ou fût-il sectateur de ce même culte, puisse être requis de concourir à la pompe même purement matérielle de cette solennité ; ainsi, lorsqu'une procession circule dans une ville, il ne faut pas qu'un citoyen, dont l'habitation se trouve sur le chemin qu'elle voudra parcourir, puisse être forcé à décorer, à éclairer la façade de sa maison pour ajouter à la pompe d'une religion qui peut-être n'est pas la sienne.

Ainsi donc encore il ne faut pas qu'un chef d'administration puisse contraindre ses subalternes à assister à des Te Deum, à des offices, à porter ou escorter des croix de mission, comme on l'a vu ailleurs ; il faut que ces mesures ne puissent même pas être déguisées sous les formes d'un règlement de police. J'entends dire que la liberté des cultes contient le droit dont je sollicite la reconnaissance ; mais cette même liberté n'était-elle pas garantie dans les termes les plus formels par les articles 190 et suivants de la ci-devant loi fondamentale ? et cependant vous le savez, messieurs, les agents du (page 583) pouvoir n'en verbalisaient pas moins contre ceux qui vaquaient le dimanche à des travaux quelquefois urgents, et contre ceux qui se bornaient même à exposer intérieurement des marchandises aux fenêtres de leurs magasins. Aguerris par le passé, soyons en garde contre l'avenir.

L'amendement que je présente m'a paru le complément de l'article 10 ; il garantit et réalise cette liberté de culte, car la liberté ne consiste pas seulement à pouvoir faire ce qu'on veut, mais elle consiste surtout à pouvoir s'abstenir de ce qu'on ne veut pas faire. Pour que la liberté soit entière en matière de religion, il faut donc qu'on puisse, non seulement professer librement son culte, mais encore rester étranger au culte d'autrui. C'est à ce but que tend mon amendement. (C.. 23 déc.)

- L'amendement est adopté à l'unanimité. (P. V.)

M. le président – M. Seron a la parole pour développer son amendement (C., 23 déc.)

M. Seron – Messieurs, si je suis maçon, charpentier ou couvreur de mon métier, et que le dimanche, au lieu de fréquenter les cabarets, je me livre à l'exercice de ma profession, soit parce que je crois le travail agréable à Dieu, soit parce qu'il faut vivre le dimanche comme les autres jours de la semaine, et que, ne possédant ni biens, ni revenus, je n'aie que mes bras pour nourrir ma femme et mes enfants, c'est, me semble-t-il, une action très innocente en soi ; je ne dois être reprochable en rien aux yeux de la société.

Je ne le suis pas davantage si, possesseur ou fermier de terres, de prés, de vignobles, je les laboure, les fauche, les amende ou fais ma récolte et ma vendange un jour férié, profitant d'un temps qui me paraît favorable et précieux.

Enfin, je ne suis pas répréhensible si, ayant le malheur d'être né dans la religion de Moïse, je tiens beaucoup à demeurer oisif le saint jour du sabbat, et à pouvoir étaler, colporter et vendre librement ma marchandise tous les autres jours de la semaine, sans exception.

Je ne puis, dis-je, être répréhensible, car la société n'a le droit de défendre que les actions qui lui sont nuisibles, et, en me conduisant comme je viens de le dire, je ne blesse ni la morale publique, ni les intérêts de qui que ce soit ; je n'empêche personne d'adorer Dieu à sa manière ; je laisse tout le monde en paix.

Ainsi, loin de me punir, la loi doit au contraire me protéger.

Ces principes ont été reconnus par les différentes constitutions françaises, et notamment par celle de l'an III. Bonaparte, qu'on ne peut accuser de trop de libéralisme et de tolérance, les plaça sous l'égide de l'article 260 du Code pénal de 1810, qui est encore le nôtre, Code d'ailleurs barbare, où il serait difficile peut-être de trouver une autre disposition qu'avouassent la saine raison et la philosophie. .

Cependant, malgré la constitution de l'an III, nous avons vu sous le directoire, protecteur du culte théophilanthropique, les autorités exiger des citoyens qu'ils chômassent la décade, devenue jour de repos suivant le calendrier républicain. Et, malgré l'article 260 du Code pénal, qu'aucune autre loi n'a ni modifié ni abrogé, nous avons vu, à une autre époque, en France, une ordonnance de Sa Majesté Très Chrétienne, et, dans la Belgique, un arrêté de je ne sais quel gouvernement, défendre, à peine d'amende, de se livrer publiquement au travail et d'ouvrir les ateliers, boutiques et magasins les jours de dimanche et de fêtes conservées, à moins d'en avoir obtenu la permission expresse de l'administration locale, et d'avoir donné connaissance de cette permission au curé ou au desservant de la paroisse. Peut-être même aujourd'hui encore l'arrêté qui nous concerne est-il en pleine vigueur ici, malgré les grands principes proclamés solennellement par le gouvernement provisoire.

C'est afin qu'un tel abus cesse et que, plus tard, les gouvernants, de quelque couleur qu'ils soient, ne puissent le faire revivre, que j'ai l'honneur de vous proposer de leur lier dès à présent les mains au moyen d'une disposition claire, précise et qu'il leur soit impossible d'éluder.

Cette disposition, à la vérité, peut sembler n'être que la conséquence naturelle de l'article de (page 584) votre constitution par lequel vous garantirez et la liberté des cultes et celle des opinions ; mais vous sentirez qu'elle n'en est pas moins nécessaire.

Loin de moi, messieurs, l'idée de porter atteinte à aucun culte, ni d'en blâmer les cérémonies. Non, je les respecte tous ; je respecte toutes les opinions, surtout quand il y a conviction dans la personne qui les professe ; je veux qu'on les respecte indéfiniment, absolument et non par tolérance, car qui aurait le droit de tolérer aurait le droit d'empêcher. Mais par cela même il m'est permis, à mon tour, d'exiger qu'on respecte les miennes et qu'on ne me gêne en rien dans mes actions qui en sont la conséquence, quand ces actions ne nuisent aucunement à autrui.

J'ai entendu dire que les lois sont faites pour le plus grand nombre et non pour quelques individus. Mais si cette maxime est vraie en un sens et dans certains cas, elle ne l'est assurément pas en matière de culte, à moins d'admettre une religion dominante, ce qui n'est pas dans vos intentions, car une opinion n'a pas le droit de dominer quand même elle serait celle du grand nombre et du très grand nombre ; et, comme l'a dit Mirabeau, rien ne doit dominer que la justice.

Prouvons, messieurs, que nous ne sommes pas en arrière de notre siècle et que, comme on l'a dit, nous voulons la liberté en tout et pour tous. Prouvons-le, dis-je, en nous opposant à tout empiétement sur le droit des citoyens, de quelque part qu'il vienne, et en n'accordant pas plus de privilège à un culte qu'à l'autre.

Je propose d'ajouter à l'article 10 du projet présenté par la section centrale, la disposition suivante :

« Il ne peut être mis par des lois, arrêtés ou règlements, aucune espèce d'empêchement ou de restriction aux droits qu'ont tous les hommes d'observer ou de ne pas observer certains jours de fête ou de repos. » (U. B. 28 déc.)

M. Henri de Brouckere, secrétaire – Plusieurs députés proposent de lire : A la faculté qu'ont tous les individus, etc. (C., 23 déc.)

M. Seron – Je n'attache pas beaucoup d'importance à ce changement, et je l'adopterai si l'assemblée le juge nécessaire. (C., 23 déc.)

M. Raikem – Une loi autorise les fonctionnaires publics à se reposer les dimanches et jours de fête ; cette loi subsistera-t-elle encore ? (C., 23 déc.)

M. Jacques propose d'ajouter à la proposition de M. Defacqz les mots : ni d'observer ses jours de repos. (C., 23 déc.)

M. Seron renonce à son amendement et se rallie à celui de M. Jacques. (C., 23 déc.)

- Un membre croit reconnaître que la proposition tend à empêcher que le dimanche soit chômé. (J. F., 23 déc.)

-Un autre, que l'on veut obliger les négociants et les administrateurs à ouvrir leurs bureaux les dimanches. (J. F., 23 déc.)

- Un troisième y voit un avantage, c'est que, sous prétexte de dévotion ou tout autre, un chef d'administration ne pourra obliger ses subordonnés à figurer dans les cérémonies publiques. (Tumulte.) (J. F., 23 déc.)

M. Raikem parle au milieu des cris : La clôture ! aux voix ! à la question ! (J. F., 23 déc.)

L'amendement de M. Jacques est adopté à l'unanimité. (C., 23 déc., et P.V.)

Rapport sur une pétition

Officiers hollandais détenus à Mons

M. le président – Messieurs, j'ai reçu une lettre de l'administrateur en chef du comité de la guerre, M. Goblet, avec des explications sur la pétition des officiers d'artillerie hollandais, prisonniers à Tournay. (U. B., 23 déc.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture du rapport joint à cette lettre. Ce rapport est de M. Buzen. Il en résulte qu'avant la reddition de la place de Mons, les officiers aujourd'hui détenus à Tournay ont commis de nombreuses hostilités et se sont comportés en ennemis. (U. B., et C., 23 déc.)

- Cette pièce est renvoyée à la commission des pétitions. (P. V.)

M. le président, vu l'heure avancée, propose de suspendre la séance. (E., 23 déc.)

- Plusieurs voix – A ce soir.

- D'autres en plus grand nombre – Demain. (E., 23 déc.)

M. le président engage les députés à prendre leurs places, afin de voter s'il y aura séance ce soir. (E., 23 déc.)

- L'assemblée décide qu'il n'y aura pas de séance du soir ; la discussion sera reprise demain, à dix heures. (E., 23 déc.)

Il est cinq heures ; la séance est levée. (P. V.)