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Congrès national de Belgique
Séance du mardi 24 mai 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 128) (Présidence de M. de Gerlache)

La séance est ouverte à une heure. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

L'administration communale de Geulle demande un délai de quatre mois pour le payement de la quote-part de cette commune dans l'emprunt des 12 millions.


M. Gérard-Henri Veltkamp, employé au gouvernement provincial du Limbourg, demande des lettres de naturalisation.


Deux cent cinquante officiers, sous-officiers et soldats du 6ème bataillon de la garde civique de Bruxelles supplient le congrès d'élire le prince Léopold de Saxe-Cobourg roi des Belges.


M. Claude Denambruide, entrepreneur de travaux publics à Bruxelles, demande une place d'ingénieur au corps des ponts et chaussées.


M. Philibert, à Lauton (France), ancien officier des armées de France, demande à entrer dans les armées belges.


M. Welter, à Bruxelles, se plaint de l'administration de la justice.


M. François Drion, à Lodelinsart, présente au congrès un projet de loi sur les mines.


M. Vandepoele, commandant du corps des pompiers à Gand, se plaint de ce que le ministère lui refuse le supplément de solde que deux membres du gouvernement provisoire lui ont promis. (P. V.)

M. Charles Coppens – Je demande qu'il soit donné lecture de cette dernière pétition. (I., 26 mai.)

M. Henri de Brouckere, secrétaire, en donne lecture :

Le pétitionnaire rappelle les preuves de dévouement qu'il a données pour sauver sa patrie de l'anarchie, en octobre et février derniers, et entre dans des détails à cet égard. Il rappelle également que lorsque MM. Vanderlinden et Van de Weyer furent appelés à Gand, il fut promu au grade de colonel honoraire d'infanterie en présence de la garnison, du corps d'officiers et des généraux Goblet et Nypels. Il se plaint de ce que le gouvernement actuel n'admette pas qu'il ait droit à la solde par la raison qu'il n'est que colonel honoraire. (J. B., 26 mai.)

- Cette pétition est, ainsi que les autres, renvoyée à l'examen de la commission. (P. V.)

M. Pirson veut parler sur cette pétition. (J. B., 26 mai.)

M. Destouvelles – Il faut attendre le rapport de la commission. (J. B., 26 mai.)

Proposition sur les moyens de terminer le différend entre la Belgique et la Hollande

Lecture

L'ordre du jour est la proposition de M. Pirson. (I., 26 mai.)

M. Pirson – Messieurs, ma proposition contient beaucoup de choses : je n'ai pas la prétention de croire... (I., 26 mai.)

M. le président – Lisez d'abord votre proposition : si elle est appuyée, vous la développerez après. (I., 26 mai.)

M. Pirson lit sa proposition : elle est ainsi conçue :

« Le congrès national arrête qu'une commission de neuf membres sera nommée et chargée de lui (page 129) proposer dans le plus bref délai possible les moyens de faire évacuer les troupes hollandaises du territoire de la Belgique, y compris la rive gauche de l'Escaut, soit par l'influence des plénipotentiaires de Londres, soit par la guerre contre le roi de Hollande, guerre qui ne pourra être retardée plus de vingt-cinq jours ; déclarant le congrès qu’aussitôt cette évacuation opérée, la plus grande déférence qu'il puisse marquer aux plénipotentiaires qui auront procuré ce résultat, c'est de s'en rapporter à eux pour le choix d'un roi de la Belgique, qui sera reçu et bien accueilli des Belges : à condition, bien entendu, d'accepter la constitution et de promettre de la faire observer. La famille de Nassau reste seule exclue.

« Aussitôt l'évacuation, des commissaires belges et hollandais se réuniront à Aix-la-Chapelle et décideront ce que chaque partie devra supporter dans toutes les dettes considérées communes, en prenant pour base soit l'état de population de 1830, soit le prorata des contributions directes de ladite année. Les domaines vendus de part et d'autre seront également pris en considération, et si le prince Frédéric est en possession de domaines représentant ses droits éventuels sur le Luxembourg, la valeur de ces domaines sera à charge de la Belgique.

« Les plénipotentiaires de Londres seront invités à prononcer sur la question de la libre navigation de l'Escaut et du Rhin, question qui intéresse gravement l'Allemagne, la Prusse, la Belgique et l'Angleterre.

« Si, pour obtenir l'évacuation désirée, la Belgique doit encore recourir aux armes, toutes questions de territoire et d'intérêt seront subordonnées aux chances de la guerre et de la victoire, le congrès, en cas de guerre, n'entendant nullement se lier ou s'engager par la présente déclaration envers qui que ce soit. Le pouvoir exécutif est chargé de presser avec la plus grande activité les préparatifs de guerre.

« Une commission d'enquête prise dans le sein du congrès sera chargée de prendre des renseignements positifs sur la quantité et la qualité des armes, et de proposer des poursuites contre tous ceux qui auraient abusé de la confiance du régent.

« Les motifs de la reprise des hostilités avec les Hollandais, si reprise il y a, et les conditions qui pourront les faire cesser à tout instant, seront déterminés par le congrès, adressés aux gouvernements et publiés par la presse, et des exemplaires seront répandus dans tout le voisinage. » (I., 26 mai.)

- Cette proposition est appuyée. (I., 26 mai.)

Développements

M. Pirson – Ma proposition contient beaucoup de choses, je n'ai pas la prétention de croire qu'elles puissent être toutes adoptées. Il pourrait se faire même que quelques-unes ne méritassent point d'être appuyées. Lorsque je vous en aurai fait connaître les motifs, je vous demanderai la permission de vous dire quelques mots pour vous faire remarquer les choses qui peuvent être scindées.

Vous entendez le langage d'un homme tout à fait indépendant. Je ne connais ni lord Ponsonby (on rit), ni le général Belliard, je n'ai jamais vu M. Bresson (on rit plus fort) ; je n'ai jamais mis le pied dans le cabinet, ni dans les bureaux d'aucun de nos ministres. Je ne suis d'aucune coterie, ni d'aucune association, tout en applaudissant au patriotisme dont plusieurs sociétés font preuve.

Messieurs, pardonnez-moi ce petit préliminaire, il n'amènera pas, j'espère, deux heures et demie de discussion. Ce n'est ici qu'une petite vanité d'indépendance de ma part ; il n'en serait pas de même d'une petite coquetterie de parole qu'aurait, par exemple, un diplomate qui, brûlant de faire des confidences connues de tout le monde (nouveau rire), tournerait et retournerait sous toutes les formes le manteau du secret, comme on voit une jolie chanteuse de société (hilarité générale, interruption) , s'excuser de toutes manières pour chanter un air qu'elle serait bien fâchée qu'on ne lui demandât pas. (Nouvelle hilarité.)

La diplomatie nous a si bien enlacés dans ses filets, qu'un grand effort est nécessaire pour nous dégager. Je n'ai pas besoin de vous dire par quelle fatalité notre essor patriotique a été arrêté.

Après les excès des journées de septembre, commis à Bruxelles par une soldatesque effrénée, la barbarie de Guillaume exercée sur Anvers, et dont les effets avaient été calculés d'avance, a fait horreur et a produit des impressions favorables à l'acceptation d'un armistice dont la proposition nous est venue de la part des cinq grandes puissances.

Toute l'Europe saura (ici quand je parle de l'Europe, c'est aux peuples que je m'adresse et non aux rois ; ceux-ci se rient de l'embarras dans lequel leurs protocoles nous ont mis) ; je dis donc : Toute l'Europe saura que si nous avons été dupes, c'est parce que nous avons montré trop de modération, trop de bonne foi, trop d'humanité.

Que les peuples soient avertis qu'en révolution il ne faut point de diplomates, mais bien des guerriers dévoués pour arriver au but.

Nous nous sommes arrêtés, messieurs ; mais si nous avons perdu les avantages du premier moment, nous en avons acquis d'autres. Notre cause (page 130) s'est éclaircie, elle a été discutée dans tous les sens et en tout pays, Nous avons organisé une armée régulière, une garde civique nombreuse, des légions de volontaires et de tirailleurs, des batteries de canons, enfin nous sommes en mesure, non seulement pour la défense, mais même pour l'attaque. Quand je dis pour l'attaque, ce n'est pas que nous ayons des projets de conquête, car si nous sortons des limites que nous nous sommes tracées par notre loi fondamentale, c'est que peut-être en bloquant les garnisons qui occupent encore une partie de notre territoire, nous croirons nécessaire de faire une guerre d'invasion en Hollande pour obtenir, plutôt que par des sièges réguliers, la restitution des deux forteresses qui nous manquent. Si nous sommes obligés de prendre ce parti, n'avons-nous pas la moitié de notre population sans ouvrage et bientôt sans ressource, qui s'élancera avec ardeur sur un pays où elle trouvera des indemnités (rumeurs) ; mais que dis-je, messieurs ? je me laisse presque emporter par la passion, je parle de lancer une population entière contre une autre, et j'oublie que ces deux populations sont victimes de l'avarice et de l'entêtement d'un seul homme ; que les Hollandais comme les Belges ne veulent plus d'une union qui avait été formée sans leur consentement mutuel et sans consulter leurs intérêts réciproques ; ils étaient trop divergents, ces intérêts, pour qu'ils pussent s'accorder. Nous ne pouvions rester en société plus longtemps, mais nous pouvons redevenir leurs voisins et rétablir des relations volontaires de commerce. Belges et Hollandais, entendons-nous.

J'en reviens aux premiers débuts de notre jeune diplomatie, qui trouve son excuse dans ce que je viens de dire. Les démarches qu'elle a faites vers un côté unique, pour trouver un moyen de nous constituer définitivement, n'ont point réussi : elle a été trompée par des promesses perfides d'intérêt et d'affection ; ceux avec qui l'on croyait sympathiser ont tout fait pour nous créer des embarras, et pour nous diviser ; ils ont soldé, même dans leurs journaux, les calomnies les plus infâmes et les plus absurdes contre nous ; ils nous ont représentés comme des fanatiques, des anarchistes et presque des brigands.

Souvenez-vous, messieurs, de ce que je vous disais dans la discussion sur la forme de notre gouvernement : « Aussi longtemps que la grande conspiration des rois contre la liberté des peuples existera, je ne consentirai point à lui donner un seul homme de renfort. » Messieurs, vous avez assez de confiance en ma loyauté, j'espère, pour croire que je n'entreprendrai jamais rien contre la forme du gouvernement déterminée par la majorité du congrès et de la nation ; mais je ne peux me dispenser de vous faire remarquer que le gouvernement de Louis-Philippe, de ce roi de fraîche date, créé par la volonté du peuple français, a, lui tout seul, fait plus que tous les rois de l'Europe pour la conservation de la Sainte-Alliance, en trompant, dispersant et désarmant les constitutionnels espagnols et italiens, en se maintenant dans une force d'inertie purement expectante, en laissant partout comprimer la liberté ; il ne manquerait plus, pour achever son rôle et compléter à la fois deux parodies à jamais déshonorantes pour la France, la guerre et la restauration en Espagne, et le partage de la Pologne ; il ne manquerait plus, dis-je, pour compléter son rôle, que de venir, avec des copartageants, morceler notre malheureux pays ; mais alors nos soldats sympathiseraient avec les siens, et Dieu seul sait ce qu'il en adviendrait !

Messieurs, les machinations du gouvernement français absolvent encore notre jeune diplomatie : à celle-ci en a succédé une autre, elle a dirigé ses démarches d'un autre côté ; je ne crois pas que la combinaison qu'elle a entamée réussisse, si nous ne prenons pas des mesures énergiques. Quoi qu’il en soit, je suis bien aise qu'elle l'ait tentée. Cette démarche prouvera notre impartialité ; et puis, s’il n'arrive pas de catastrophes en Angleterre, on peut bien espérer de ce côté autant d'appui pour la liberté que du côté de la France. Le roi d'Angleterre s'élève au-dessus de l'aristocratie de son pays, le roi de France joue sa couronne, sa fortune, sa famille, et peut-être sa tête pour la reconstituer… (A l'ordre ! à l'ordre ! L'agitation de l'assemblée est bientôt à son comble. Un grand nombre de membres demandent avec vivacité le rappel à l’ordre.) (C., 26 mai.)

M. le président – M. Pirson, il y a au moins inconvenance à parler ainsi d'un souverain avec lequel nous ne sommes pas en guerre. (I., 26 mai.)

M. Pirson se dispose à continuer, mais de nouveaux cris A l'ordre ! à l'ordre ! se font entendre. (I., 26 mai.)

M. Barthélemy, ministre de la justice, au milieu du bruit – On ne peut laisser passer un pareil langage en présence du représentant du roi de France, le seul qui nous ait reconnus.

(Les cris A l'ordre ! à l'ordre ! se font entendre de nouveau.) (I., 26 mai.).

M. Destouvelles, M. Van de Weyer, M. Jottrand, M. Claes et plusieurs autres demandent (page 131) la parole ; les cris A l'ordre ! redoublent. (I., 26 mai.)

M. le président – Je dois consulter l'assemblée pour savoir si elle décide le l'appel à l'ordre. (Oui ! oui !) J'ai fait, vous l'avez entendu, une observation à l'orateur. (A l'ordre ! à l'ordre !) (I., 26 mai.)

M. de Robaulx – Je demande la parole. Avant de prononcer le rappel à l'ordre, l'orateur a le droit de donner des explications, et il doit être entendu. (I., 26 mai.)

M. Pirson – J'ai dit et je répète que j'ai parlé du gouvernement de Louis-Philippe que j'ai le droit de censurer… (A l’ordre ! Agitation croissante) (I., 26 mai.)

M. Trentesaux – Quoique j'entende assez difficilement, il me semble avoir entendu que l'orateur a dit que Louis-Philippe jouait sa tête... (I., 26 mai.)

M. Pirson – Je ne changerai pas un mot de ce que j'ai dit, parce que c'est écrit. Je vais répéter ma phrase. (Non ! non ! Tumulte nouveau et plus fort.). (I., 26 mai.)

M. le président – M. Pirson a la parole pour répéter sa phrase. (I., 26 mai.)

M. Pirson – J'ai dit : Le roi d'Angleterre s'élève au-dessus de l'aristocratie de son pays, le roi de France joue sa couronne, sa fortune, sa famille, et peut-être sa tête pour la reconstituer… (I., 26 mai.)

- Voix nombreuses – A l'ordre ! à l'ordre ! ( Le tumulte va croissant.) (I., 26 mai.)

M. Pirson continue de parler au milieu du bruit ; il déclare que son intention n'a pas été d'insulter Louis-Philippe, mais qu'il a le droit de faire connaître ses prévisions, d'après la marche du gouvernement français. (I., 26 mai)

M. Destouvelles – Messieurs, que le roi d'Angleterre prenne une noble attitude en s'élevant au-dessus de l'aristocratie anglaise, que tous ses efforts tendent à amener une réforme parlementaire, après laquelle soupirent tous les vrais amis de la liberté, c'est à quoi nous applaudissons tous ; mais à côté des éloges prodigués à ce propos au roi d'Angleterre, pourquoi des injures contre le roi de France, le seul précisément qui ait reconnu la Belgique, et défendu son indépendance ? Pourquoi ces sorties injustes contre un gouvernement qui tous les jours nous donne des preuves signalées de sa sollicitude ? (Oh ! oh ! Murmures et réclamations générales, interruption prolongée). Messieurs, permis à ceux qui ne partagent pas mon opinion de la combattre quand j'aurai fini, et je les écouterai avec plaisir et sans les interrompre par des murmures ; car, selon moi, les murmures sont de mauvais arguments, et je ne veux en employer que de convenables. Je demande pourquoi ces injures, et ici c'est dans l'intérêt du congrès que je parle, et dans l'intérêt sacré du peuple. Quoi ! on ne craint pas de dire que Louis-Philippe joue sa famille et sa tête ! Sa tête, messieurs ! ah ! le temps est passé où il était donné aux hommes de voir une tête de roi tomber sur l'échafaud (sensation), et sans doute de semblables catastrophes ne se reproduiront jamais. S'il est permis de censurer un gouvernement, du moins respectons cette tête royale (nouveau mouvement) ; je ne penche, messieurs, ni pour la France, ni pour l'Angleterre, je ne veux que le bonheur de mon pays ; pour rassurer, nous avons besoin des puissances étrangères, et nous devons respecter les têtes couronnées, plutôt que de les aigrir contre nous. (I., 26 mai.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, les paroles de l'honorable M. Pirson sont sans doute le résultat d'un écart de zèle malentendu. L'accueil qu'elles ont reçu me prouvent qu'elles n'ont point trouvé d'écho dans cette assemblée. Comme député, comme ministre, je proteste hautement contre de semblables paroles. (I., 26 mai.)

M. le président – Vous avez entendu les explications de M. Pirson. Il déclare qu'il n'a pas voulu insulter Louis-Philippe. Nous connaissons tous le caractère franc et loyal de l'orateur ; nous pouvons croire par conséquent à la sincérité de ses explications. Il me semble que nous pouvons laisser là cet incident et entendre la suite de son discours. (Assentiment.) (I., 26 mai.)

M. Pirson poursuivant son discours. - Placés au milieu de tous les conflits politiques, des débats entre l'aristocratie et la démocratie, entre un libéralisme rétréci et la vraie liberté religieuse, débats que la Belgique ne partage pas, mais qui cependant influent sur le plus ou moins de sympathie que des voisins ont pour elle, placés entre toutes les jalousies de territoire et de limites, il n'est pas étonnant que les Belges éprouvent mille difficultés pour se constituer définitivement.

Quand je dis se constituer définitivement, ce serait quant à présent sortir d'un provisoire particulier et local pour rentrer dans le provisoire général de l'Europe ; car si les rois cèdent aux exigences de l'aristocratie, s'ils persistent à vouloir comprimer la liberté et l'égalité, il y aura bientôt de nouvelles révolutions : alors elles seront terribles ; les masses comprimées rompront les digues, et le torrent furieux brisera tout sur son passage.

Gardez-vous, messieurs, de considérer mes (page 132) prévisions comme des désirs : je frémis d'horreur quand je pense à tous les maux que des imprudents semblent amonceler à plaisir sur leurs têtes et sur les nôtres. Quoi qu'il arrive, puisque nous ne pouvons rien sur les affaires générales, tâchons au moins de sortir honorablement du provisoire qui nous est particulier, et ne nous rendons pas pieds et poings liés.

Pour satisfaire l'orgueil et la vanité de la conférence de Londres, il faudrait, dit-on, accepter pour la forme le protocole du 20 janvier. Ensuite on pourrait obtenir des adoucissements ou changements favorables, payer par exemple 200,000 fl. de rente au prince Frédéric en récompense du sac des villes de Bruxelles et d'Anvers, au moyen de quoi le Luxembourg nous serait adjugé, bien entendu avec garnison prussienne à Luxembourg ; la province du Limbourg pourrait aussi nous être accordée encore moyennant garnison prussienne à Maestricht. On ne parle point du territoire hollandais sur la rive gauche de l'Escaut, parce que, dit-on, il est clair que ce territoire appartient de droit à la Hollande. La France se contenterait soi-disant de Bouillon. J'ai peine à croire que le gouvernement de Louis-Philippe voulût se donner aux yeux de la nation française le ridicule d'une part aussi minime.

S'il nous fallait absolument, très absolument subir garnison prussienne à Luxembourg et à Maestricht, ayant perdu de cette manière tout moyen de résistance contre une invasion du côté de l'Allemagne, n'ayant plus d'existence neutre et indépendante assurée, ne pouvant plus nous soutenir que par la jalousie et la rivalité des puissances voisines, je voudrais que, par opposition à la Prusse, notre frontière du midi fût sous la sauvegarde de la France. Dans ce système elle aurait aussi garnison dans deux de nos forteresses, les autres seraient rasées. (On rit.) Dans cette hypothèse, nous pourrions nous passer d'armée ; une bonne garde civique suffirait, nous donnerions l'exemple du désarmement général, nouveau mensonge politique.

Messieurs, ne serait-ce point là ce que j'ai appelé à mon début, nous livrer pieds et poings liés ? J'en jure par nos volontaires, par notre armée régulière, par notre garde civique, par tous les Belges, cela ne sera point, et le jour que vous aurez fixé pour le signal du combat, si ce signal doit être donné, il nous arrivera de nombreux auxiliaires : partout il y a des amis de la liberté et de l'égalité, qui arriveront avec des armées, et bientôt ils partageront avec nous les tonnes d'or du roi Guillaume. (Rumeurs.)

Enfin, notre cause n'est-elle pas celle de Dieu même, qui veut être adoré librement et dans l’intimité de notre foi ? Et ne sait-on pas que celui qui voulait nous dépouiller voulait aussi torturer nos consciences ? Le Dieu des Polonais est le Dieu des Belges ; il nous aidera !

Il y a dans la Belgique quelques partisans de la paix à tout prix ; car quelqu'un m'a engagé à consentir au protocole du 20 janvier, avec promesse qu'il y serait fait des modifications importantes, aussitôt que nous aurions montré cette déférence envers la conférence de Londres. Ces modifications, messieurs, vous venez de les entendre, garnison prussienne à Luxembourg et à Maestricht, rente annuelle et perpétuelle de 200,000 florins pour le prince Frédéric. Je crois même qu'il préférerait le remboursement du capital. La Flandre zélandaise resterait à la Hollande. A ces conditions nous pourrions de suite avoir un roi : on pense que le prince de Saxe-Cobourg accepterait.

Je ne sais si notre ministère abonde dans ce sens, je ne sais s'il veut nous conduire pieds et poings liés, comme je le disais tout à l'heure, pour faire amende honorable à la Sainte-Alliance ; si tel n'est pas son projet, pourquoi ce peu d'activité pour organiser la garde civique ? Il y a des lacunes et des imperfections nombreuses dans la loi sur cette institution, pourquoi ne pas nous mettre à même de la compléter ? pourquoi cette vacature prolongée du ministère de la guerre dans un moment que j'appellerai suprême, puisque notre indépendance nationale est dans le plus danger ?

Vous avez lu et entendu comme moi, messieurs, ces menaces d'invasion qui nous arrivent de toutes parts, si nous n'acceptons pas de suite les protocoles de Londres ; jusqu'au mince rejeton de Casimir Périer qui nous menace de l'abandon de la France ; il a donc déjà obtenu pour lui et son père une sauvegarde de la Prusse, ou peut-être déjà évacue-t-il sa caisse à Londres ; car si la Sainte-Alliance arrive chez nous, elle tentera d'aller jusqu'à Paris ; mais soyons tranquilles, messieurs, ceux qui voudraient nous faire peur ont plus peur que nous ; ils tiennent à leurs écus, et nous à notre honneur.

Ne croyez pas à l'invasion, messieurs, s'il est vrai que les gouvernements voisins ne veuillent pas la guerre entre eux. Mais si cette guerre est résolue, nous ne l'empêcherons pas non plus. Ainsi, restons fermes à notre poste avancé, la grande garde n'est pas loin de nous, et ce n'est point le propriétaire d'Anzin qui la commandera. (page 133) Nous avons été dupes de la conférence une première fois ; un grand acte de barbarie lui a fourni l'occasion de se présenter sous les auspices de l’humanité, et tout n'était que déception. Aujourd’hui, d'une part, elle fait insérer des menaces dans les journaux, des affidés les répètent, et, d’autre part, elle nous enjôle afin que nous l'aidions à comprimer l'impatience de nos soldats. Elle nous demande ce que nous pensons des indemnités ou rachats au moyen desquels la question du Luxembourg pourrait s'arranger. Elle nous demande de bien désigner les couleurs de notre pavillon, pour nous faire croire à une prompte reconnaissance tactique, ruse de diplomates, messieurs ! (Rire.) Si la conférence était aussi pressée que nous d'en finir, ne nous parlerait-elle pas du Limbourg, de la rive gauche de l'Escaut, de l’évacuation d'Anvers et de Maestricht, toutes questions qu'elle connaît aussi bien que nous ? Eh bien, qu'elle nous donne des apaisements sur tous ces points, et puis nous serons justes et loyaux sur la question d'indemnité du Luxembourg et de la dette, et raisonnables sur les convenances réciproques des limites du côté de Venloo.

Expliquons-nous donc nettement sur tous les points. Que la conférence s'explique à son tour, et si nous parvenons à nous accorder, qu'elle nous donne un roi de suite. Voilà je crois l'acte de la plus grande déférence que nous puissions faire ; si elle n'en est point satisfaite, faisons la guerre à la Hollande ; advienne que pourra, le sort des armes décidera sur le tout.

Il nous conviendrait beaucoup de fixer un terme. Cette fixation pourrait contribuer à empêcher quelques excès d'impatience de nos soldats ; mais d'un autre côté elle pourrait être considérée comme une impertinence : vous jugerez quel est à cet égard le parti le plus convenable à prendre. Mais ne craignez point de paraître trop grands et trop fiers lorsque vous parlez au nom de la liberté. (C.. 26 mai.)

- Quelques voix – L'impression et le renvoi aux sections. (I., 26 mai.)

Discussion générale

M. le comte Duval de Beaulieu – Je demande l'ordre du jour sur la proposition ou plutôt la question préalable. La nomination d'une commission et le renvoi en sections seraient une adhésion à des principes que sans doute vous désavouerez tous et pour l'honneur de notre tribune et pour le respect que nous nous devons à nous-mêmes. (Appuyé ! appuyé !) (I., 26 mai.)

M. de Robaulx – Il ne s'agit pas ici des développements. dont M. Pirson a fait suivre la lecture de sa proposition ; il s'agit du fond qui ne peut être confondu avec les motifs que l'auteur de la proposition a cru devoir invoquer pour l'appuyer. Ce n'est pas ainsi, messieurs, qu'on doit escamoter une discussion qui doit être si grave, si importante. Eh quoi ! les questions relatives à la paix et à la guerre, à l'intégrité du territoire, les questions les plus vitales pour l'existence et l'honneur du pays vous sont soumises, et vous les écarteriez par un dédaigneux ordre du jour ! Ce n'est pas avec cette légèreté que nous devons traiter les intérêts qui touchent le plus près aux affaires de notre pays. (Bravos et acclamations dans l'assemblée et dans les tribunes.) Je ne demande pas que la proposition soit discutée instantanément, mais je demande aussi qu'on ne la détruise pas par l'adoption de l'ordre du jour, d'autant plus que cette décision pourra toujours être prise, lorsque les sections auront examiné le projet de décret qui vous est soumis. J'appuie donc le renvoi aux sections. (E., 26 mai.)

M. le comte Duval de Beaulieu – J'abonde tout à fait dans le sens du préopinant pour ce qui est de l'importance de la question ; aussi c'est moins sur le fond que sur la forme que je demande la question préalable. Pour preuve de ce que je dis, si le préopinant veut s'emparer de la proposition et la présenter sous des termes convenables, je suis prêt à l'appuyer ; mais non seulement les développements ont été présentés dans des formes que je ne saurais approuver ; mais le texte lui-même de la proposition contient des termes inconvenants. C'est pour que la proposition soit dégagée de tout outrage inconvenant et pour que la discussion puisse avoir lieu librement et à l'abri de toute influence semblable à celle qui vient de se manifester pendant le discours du préopinant, que je demande la question préalable sur celle qui vient de nous être présentée. (I., 26 mai.)

M. Henri de Brouckere – Je pense que dans la proposition il n'y a rien d'inconvenant. Si inconvenance il y a, ce n'est que dans l'exposé des motifs, et il me semble qu'il suffit de séparer les motifs de la proposition elle-même, et de ne renvoyer que celle-ci aux sections, pour satisfaire à toutes les exigences. (I., 26 mai.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, sur la demande de quelques membres, donne lecture de la proposition. (I., 26 mai.)

M. Jaminé – Si la proposition se bornait à fixer un délai pour terminer les négociations, je l'appuierais de toutes mes forces ; mais telle qu'elle est, je ne peux que demander la question préalable. Je ferai à cet égard une observation qui n'a (page 134) pas encore été faite : c'est que la proposition, telle qu'elle est, attaque directement la constitution, en conférant aux plénipotentiaires de Londres le droit de donner un roi à la Belgique, tandis que ce droit n'appartient qu'au congrès national. (I., 26 mai.)

M. Van de Weyer – J'avais demandé la parole pour prouver l'inconstitutionnalité de la proposition par les motifs que vient de faire valoir le préopinant. D'une autre part, nous qui avons protesté contre toute intervention des puissances dans nos affaires, nous irions consacrer par le renvoi aux sections une intervention précisément lorsqu'il s'agit du plus pur et du plus sacré de nos droits, celui de nous choisir un roi. (I., 26 mai,)

M. de Robaulx à M. Pirson – Retranchez cette partie de votre proposition. (I., 26 mai.)

M. Pirson – Je retire la proposition de laisser aux plénipotentiaires le droit de nous choisir un roi. (I., 26 mai.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII fait observer que la proposition n'est pas rédigée en forme de décret, ainsi que le prescrit une précédente décision du congrès. (I., 26 mai.)

M. Pirson s'empresse de la rédiger en forme de décret. (E., 26 mai.)

M. Destouvelles veut qu'on mette la question préalable aux voix. (I., 26 mai.)

M. de Robaulx et M. Van Meenen s'y opposent. (I., 26 mai.)

Renvoi aux sections

- Plus de dix membres se lèvent pour le renvoi aux sections ; ce renvoi est ordonné, ainsi que l'impression. (P. V.)

Projet de décret organisant la cour de cassation

Présentation

M. Barthélemy, ministre de la justice présente un projet de décret sur l'organisation de la cour de cassation.

- L'assemblée en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoi aux sections. (P. V.)

Projet de décret portant le budget du département de la justice de l'exercice 1831

Présentation

M. Barthélemy, ministre de la justice, présente le budget de son département, pour l'exercice de 1831.

- L'assemblée en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi à l'examen des sections. (P. V.)

Projet de décret relatif aux récompenses nationales

Rapport de la section centrale

M. Raikem fait, au nom de la section centrale, un rapport sur le projet de décret relatif aux récompenses nationales ; il donne lecture du projet adopté par la section centrale, qui diffère en beaucoup de points de celui présenté par le ministre. (I., 26 mai.)

- L'assemblée en ordonne l'impression et la distribution. (P. V.)

La séance est levée à trois heures. (P. V.)