Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Congrès national de Belgique
Séance du samedi 25 juin 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 330) (Présidence de M. Raikem, premier vice-président)

La séance est ouverte à deux heures. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

Le conseil de régence de Bruges prie le congrès de déclarer nationale la dette des réparations à accorder aux propriétaires des maisons dévastées dans cette ville.


M. Menoul demande l'interprétation de l'article 24 de la loi sur la garde civique..


Le capitaine Van de Sype présente des réflexions sur la loi de la garde civique. (M. B., 27 juin, et P. V.)

Projet de décret portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1831

Discussion générale

L'ordre du jour appelle la discussion sur le budget des voies et moyens, pour le second semestre de 1831. (M. B., 27 juin.)

M. Frison – Il conviendrait que M. le ministre des finances fût présent. (M. B., 27 juin.)

- Une voix – Il était là tout à l'heure. (M. B., 27 juin.)

- Un huissier va chercher M. Duvivier, ministre des finances, qui arrive au bout de quelques minutes. (M. B., 27 juin.)

M. Seron – Messieurs, quoique la révolution paraisse à peine commencée, on a dit, avec quelque raison peut-être, que le peuple en est déjà las. En effet, s'il a chassé les Hollandais, ce n'est pour des affronts reçus à la cour, ni pour des refus de places de chambellan, ni même pour obtenir la liberté de l'instruction ; c'est uniquement afin de se décharger d'impôts excessifs dont le fardeau devenait de jour en jour plus insupportable. En voyant nos budgets, il lui est permis de croire qu'il a manqué son but et répandu son sang en pure perte.

Cependant, ce n'est pas que la masse des charges actuelles, y compris même l'emprunt de douze millions, excède les forces du pays, bien qu'elle soit évaluée à près de quarante-cinq millions de florins ; mais, faute d'un système raisonnable d’impositions, elle est très inégalement répartie ; souvent elle pèse sur les citoyens en raison inverse de leurs facultés : le riche ne paye pas assez, le pauvre paye trop. En un mot, imitateurs en ce point du gouvernement hollandais, nous ne prenons pas l'argent où il est, nous continuons à le chercher où il n'est point.

Par exemple, vous avez décrété un emprunt forcé de douze millions, mais en l'asseyant en raison de la contribution foncière et de la contribution personnelle, vous en avez fait un véritable impôt dont les plus nécessiteux ne sont pas exempts. En effet, pour devoir y participer, il suffit de posséder quelques pouces de terre, ou, sans rien posséder, d'être locataire d'une petite maison. Cependant, s'il est vrai que la société doive la subsistance à tous ses membres, et que, conséquemment, elle n'ait pas le droit de toucher à leur strict nécessaire, comment a-t-on pu chercher des prêteurs, des bailleurs de fonds parmi les gens qui sont loin d'en avoir assez pour eux-mêmes, et à qui, au lieu de leur en demander, il serait raisonnable qu'on en donnât ? L'emprunt n'aurait dû atteindre que le superflu et ne présenter aucune cote au-dessous de cent florins. Sans (page 331) doute, il ne faut être injuste envers personne, mais ne vous semble-t-il pas, messieurs, que nous avons un peu trop de penchant à ménager les riches ?

L’impôt sur le sel est aussi déraisonnable que la mouture, puisqu'il porte également sur un objet de première nécessité et de plus grande consommation pour la classe indigente que pour la classe aisée. Eh bien ! on le laisse subsister, en alléguant que le recouvrement en est facile, insensible ; comme si l'on contribuait moins, par cela que l'on contribue peu à peu, et que l'impôt cessât d'être impôt pour n'être pas versé directement dans les caisses publiques ! En revanche, le sucre n'est que légèrement imposé ; le café et le charbon de terre ne le sont pas du tout. Ces différents objets pourraient cependant supporter des droits considérables, sans accabler personne, sans faire crier la classe nécessiteuse, maintenant habituée à substituer la chicorée au café, à le prendre sans sucre, et, malheureusement, condamnée à ne se chauffer qu’au soleil.

La contribution foncière est visiblement trop faible pour les réductions successives qu'elle a subies. Pourquoi ne l'augmentez-vous pas, afin que, du moins, elle redevienne ce qu'elle était avant que les anciennes chambres, dans l'intérêt particulier de ceux mêmes qui les composaient, se fussent permis d'y toucher. Elle est principalement supportée par les riches ; en la diminuant, on n’a pas favorisé l'agriculture, comme ils l'ont prétendu ; on les a favorisés eux-mêmes, on a augmenté leur revenu, on a fait gagner notamment 2,000 francs par année à un pair de France, propriétaire de bois et de fermes dans la contrée que j’habite. Qu'importe aux véritables cultivateurs, aux fermiers, qu'on élève davantage cette contribution, puisqu'ils ne l'acquittent jamais qu'en déduction du prix de leur bail, et qu'ainsi elle n’est réellement pas une charge pour eux.

On ne change rien à la contribution personnelle, conception bizarre des faiseurs néerlandais, dont les bases, si compliquées, donnent si mal la mesure des facultés du contribuable. On répondrait au vœu public en y substituant un impôt de répartition sous le nom de contribution personnelle et mobilière, et un impôt de quotité sur les portes et fenêtres, proportionnés à ceux qui existaient autrefois sous les mêmes dénominations. Cette opération est d'autant plus facile qu'on trouverait dans les mémoriaux administratifs des provinces, les sommes que supportait chaque commune avant l’année 1823. Par quelle fatalité n'en avons-nous pas encore décrété le principe, nous qui, depuis huit mois, nous livrons ici à des discussions bien moins importantes, et, j'ose le dire, quelquefois puériles ? Devons-nous laisser à la législature, qui ne viendra peut-être jamais, non plus que le prince que vous avez nommé roi, le soin d'un travail si nécessaire, si urgent ? Les deux impositions dont je parle produisaient vraisemblablement au delà de ce qu'on tire aujourd'hui de la contribution personnelle, en s'étendant à un plus grand nombre de contribuables, sans donner lieu, comme cette contribution, à d'éternelles réclamations, à de nombreux procès, à des surtaxes, et enfin à des non-valeurs énormes ; elles ne ruineraient pas les villes ; elles auraient l'avantage de ne pas vexer toutes les classes de citoyens par des expertises coûteuses, une inquisition ridicule et des déclarations inutiles, immorales, où, placés entre leur conscience et leurs intérêts, ils sont forcés de s'imposer eux-mêmes. Enfin on aurait un revenu fixe que tout le monde connaîtrait, et sur lequel, lors du règlement des recettes publiques, on pourrait compter ; au lieu qu'aujourd'hui, avec des cotes variables et des rôles supplémentaires sans fin, à peine au dernier jour de l'année, peut-on dire ce que l'impôt de l'exercice donnera.

L'abus des déclarations existe aussi relativement aux patentes, dont le montant est réglé sur des bases non moins vicieuses, par l'arbitraire des directeurs, des contrôleurs et des répartiteurs. Notez que les fonctions de ces derniers, gratuites quand il s'agit de la contribution foncière, sont salariées lorsqu'elles ont les patentes pour objet, et qu'alors elles coûtent à la nation 25,000 florins par année. Ce n'est pas que les patentes donnent aux répartiteurs plus de travail que les mutations ; mais, quant aux mutations, l'ancien gouvernement n'avait aucun intérêt à stimuler leur zèle, au lieu que, par des gratifications proportionnées au produit des patentes, il croyait les engager à multiplier les patentables et à élever les classes et les droits. N'est-il pas temps de supprimer cette dépense immorale et d'établir les patentes sur des bases fixes et qui ne laissent plus de prise à l'arbitraire ?

Les droits de succession sont exorbitants et faciles à éluder dans une foule de cas. Il faut qu'on les modifie ; il faut surtout qu'ils cessent de s'étendre à des biens situés en pays étranger. Il est injuste et absurde de frapper d'impôts ce qui se trouve hors de notre souveraineté, de notre juridiction, et, par conséquent, de la protection de nos lois.

Enfin, il est indispensable de faire disparaître, des lois sur l'enregistrement, une inégalité monstrueuse que j'ai signalée dans une autre occasion, (page 332) et sur laquelle, tant qu'elle existera, je ne cesserai de revenir. Je veux parler de cette disposition qui réduit à un demi pour cent les droits sur les ventes de récoltes ou de coupes de taillis et de futaie faites à la requête et au profit des riches propriétaires, tandis que la vaisselle de terre et les haillons du pauvre continuent à subir le droit de deux pour cent. Remettez à cet égard en vigueur la loi du 22 frimaire an VII, en rétablissant le droit de deux pour cent sur toutes les ventes mobilières sans exception. Ce sera une augmentation de revenu. S'il est vrai qu'il vous faille tant d'argent, négligerez-vous un moyen si facile et si légitime de vous en procurer ?

Au moyen de ces changements, l'État, à moindres frais, obtiendrait des revenus plus considérables ; le peuple verrait qu'on s'occupe de lui, sa confiance dans la révolution renaîtrait, peut-être même cesserait-il de maudire les employés du fisc ?

Mais, messieurs, et toujours dans l'intérêt du pays, il ne suffit pas d'un bon système d'impôts, il faut encore un bon système de perception et de comptabilité, et c'est ce qui mous manque, ce qu'on n'est pas près de nous donner, à en juger par les budgets où l'on conserve religieusement l'ancien régime de la finance. A la bonne heure, que notre ci-devant roi, qui aimait tant la complication et la confusion, ait réuni dans une administration unique les contributions directes, les accises et les douanes, Mais notre révolution, faite pour détruire les abus, ne devait-elle pas nous ramener à des idées plus simples et plus saines ? Comment, après avoir ôté aux gouverneurs des provinces des attributions étrangères à leurs véritables fonctions, n'a-t-on pas également saisi la nécessité de simplifier l'administration des contributions dont je parle, en la divisant comme autrefois en plusieurs branches, en séparant des choses hétérogènes de leur nature ? Après avoir secoué le joug sous lequel les Hollandais voulaient nous courber, continuerons-nous à en porter les marques ? Sommes-nous condamnés à nous traîner éternellement dans l'ornière creusée par leur génie étroit ? Messieurs, charger le même homme de plusieurs emplois dont chacun exige des connaissances différentes, c'est vouloir qu'il les remplisse tous fort mal. Le perfectionnement des sciences et des arts est dû à leur grande division, et comme on ne saurait parvenir à être à la fois bon charpentier, bon orfèvre et bon tailleur d'habits ; il est également impossible qu'on soit, en même temps, bon percepteur, bon douanier et bon accisien. L'expérience le prouve. Interrogez sur ce point les employés eux-mêmes, depuis l'inspecteur jusqu'au receveur de village ; puisque c'est à l'œuvre qu'on connaît l’ouvrier, voyez leur travail : leurs registres, leurs états multipliés, compliqués, ne ressemblent pas mal à nos budgets. Faites mieux, consultez des gens de bon sens que leur profession met en perpétuel rapport avec eux, notamment les négociants et les colporteurs. Ils vous diront qu'à chaque instant leurs marchandises sont arrêtées, saisies, que des procès-verbaux contre eux sont dressés, parce qu'ici tel receveur n'a pas jugé nécessaire de plomber ou de cacheter leurs marchandises ou leurs échantillons, et que là, des employés qu'ils ont rencontrés sur leur route ont regardé, au contraire, l'omission de cette importante formalité comme une grave contravention. Qu'une autre fois ils éprouvent le même désagrément parce que le receveur a cru ou qu'ils n'avaient pas besoin d’expédition ou qu'il leur suffisait d'un simple passavant, tandis que les commis jugent que l'acquis-à-caution était indispensable. Ces pauvres marchands ne savent, en vérité, comment s'y prendre ni à qui s'adresser pour se mettre en règle et avoir la paix. Ils n'éprouveraient pas de semblables embarras si les employés du fisc étaient moins incapables, et, nécessairement ils le seraient moins, si l'on n'exigeait pas qu'ils connaissent tout. Je vois bien qu'afin de les rendre savants on continue à les soumettre à un long apprentissage. Mais ce moyen n'aura pas le résultat qu'on en attend. Ce sera toujours une tâche suffisamment difficile même pour celui qui montre des heureuses dispositions et de l'aptitude, de lire, d'étudier, de digérer, de parvenir à comprendre à peu près, de mettre en pratique, ne fût-ce que les seules lois sur les accises, et d'apprécier les volumineuses instructions en style tant soit peu baroque, qui les commentent, les expliquent, et quelquefois les embrouillent. Mais n'est-ce pas une véritable perte dans la société que cette bureaucratie qui s'y propage chaque jour, qui l'envahit de toutes parts, qui multiplie à l'infini les barbouilleurs de papier ? Peut-on voir sans un sentiment pénible ces jeunes gens robustes, très propres à faire de bons laboureurs, d'excellents cordonniers, des hommes véritablement utiles, conduits par la paresse et l'espoir de vivre un jour les bras croisés, dans les bureaux d'un directeur de contributions ou d'un inspecteur d'arrondissement, s'armer d'une plume, et dans ces séminaires de nouvelle espèce, augmenter sous le nom de surnuméraires, le nombre des êtres improductifs qui pullulent pour le malheur de la société.

De la confusion établie dans les finances il est (page 333) résulté, m'a-t-on dit, cet autre inconvénient que depuis 1823 aucune comptabilité n'a pu être tirée au clair ; en sorte que déjà, sous le gouvernement néerlandais, l'État ne connaissait ni son passif ni son actif. En demeurant dans le bourbier on s'y enfonce davantage, et, si je suis bien informé, les livres des administrateurs du trésor offrent aujourd’hui l'image d'un véritable chaos.

Le moyen d'en sortir c'est de tâcher de remettre les choses dans l'état où elles étaient avant que la fiscalité néerlandaise eût conçu le dessein de les embrouiller au point que la nation ne pût jamais connaître ni ce qu'elle payait, ni ce qu'on dépensait. Il faudrait donc séparer ce qui est confondu, établir une administration des douanes, une administration des contributions indirectes ou des accises, n'importe le nom, et une administration des contributions directes. Celle-ci serait, comme autrefois, chargée du cadastre, partie nécessaire de ses attributions, puisque c'est le cadastre qui doit servir de base à la répartition de la contribution foncière. L'expérience ayant prouvé que l'adjudication au rabais de la perception donne lieu aux plus grands abus, on rétablirait les percepteurs à vie ; chargés de fonctions extrêmement faciles à remplir, il ne serait pas nécessaire de les faire venir du chef-lieu de la province, on les prendrait dans l'arrondissement de leur perception. Comme autrefois, il serait pourvu à leur salaire par des remises dont le trésor cesserait d'être chargé. Et, pour leur assurer des moyens d’existence suffisants, et faute desquels ils ne peuvent jouir de la confiance publique qui leur est si nécessaire, on joindrait à leur recette celle des deniers communaux, particulièrement dans les villages. Ils fourniraient, pour le tout, des cautionnements en numéraire dont l'État payerait les intérêts. Alors disparaîtraient ces petits receveurs des petites communes qui échangent ainsi, par paresse et contre le plus modique traitement, une profession utile et qui les faisait vivre. Pauvres hommes de plume, incapables de chiffrer et de dresser leurs comptes, insectes nés de la révolution ! Plût à Dieu cependant qu'elle n'en eût pas fait éclore tant d’autres bien plus nuisibles et qui s'attachent à la république comme les chenilles aux arbres, pour la dévorer !

Je pourrais prouver que le retour à des institutions qu'un gouvernement sage n'aurait jamais détruites entraînerait moins de dépenses que le système actuel ; mais ce n'en est pas ici le lieu, messieurs, je n'ai voulu que justifier mon vote, et je crois y être parvenu. Telles sont, messieurs, les améliorations que je souhaite avec l'espoir de les obtenir un jour, mais faute desquelles je rejetterai le budget des voies et moyens, quand même on me dirait, comme on l'a déjà fait, que c'est laisser les ministres sans le sou et compromettre le service ; car je ne les vois pas de sitôt au dépourvu quand je considère que la contribution foncière de toute l'année est déjà perçue ou sur le point de l'être, et que la seconde moitié de l'emprunt va être exigible au 1er juillet prochain. D'ailleurs, envoyé ici par le peuple, j'excéderais mon mandat si j'approuvais, en adoptant les voies et moyens, tant de lois fiscales, qu'en conscience je crois contraires à ses intérêts et à ses vœux. (M. B., 27 juin.)

M. Jottrand – Messieurs, comme député et comme membre de la commission qui a été chargée de l'examen du budget des voies et moyens, je crois indispensable de vous faire connaître les raisons qui me feront donner au projet un vote approbatif. Je ne pourrais voter pour le projet, en conscience, sans dire pourquoi, parce que je pars, comme le préopinant, de ce principe, que nos anciennes lois sont mauvaises en matière d'impôts. Mais l'impossibilité où nous sommes de les coordonner ou de les modifier pour le moment, me les fait préférer à toutes autres quoiqu'elles soient injustes en principe et dans leur application. On me pardonnera, je l'espère, la critique à laquelle je vais me livrer contre ces lois, parce qu'elle pourra être utile, lorsque, dans des temps meilleurs, nous pourrons faire subir à notre système d'impôts les modifications nécessaires.

Après ce début, l'orateur se livre à la critique des impôts d'accise ; il démontre que l'impôt sur le sel, en voulant frapper le consommateur, paralyse une foule d'industries qui se servent du sel comme matière première, entre autres l'agriculture, qui est obligée de s'en priver ou de s'en servir très peu, tandis que cette matière serait si utile à l'éducation des bestiaux. Les fabricants de soude souffrent pareillement, ainsi que beaucoup de nos industries dont la nomenclature serait trop longue. L'orateur blâme l'impôt du genièvre, à cause de la difficulté de la perception, et les impôts exorbitants sur les eaux-de-vie et les vins étrangers. Les impôts sur les denrées coloniales, faits pour atteindre la consommation, exigent une foule de précautions, qui paralysent. le commerce de transit et le minent dans sa base. De ces observations l'honorable membre conclut que les impôts d'accise sont mauvais ; et pour en démontrer le danger, il établit que tandis que les droits d'enregistrement, de timbre, de mutation, etc., n'exigent de frais de perception que 5, 6, 7, 8 et 9 pour cent, les (page 334) impôts d'accise exigent 30 et 40 pour cent. L'orateur cite encore un impôt qui n'est pas impôt d'accise et qui occasionne des frais de perception énormes, l’impôt des postes, pour la perception duquel il ne faut pas moins de 37 pour cent. Je ne voterais jamais pour de pareilles lois, si ce n'était, dit l'orateur en terminant, la difficulté des circonstances où nous nous trouvons. Je sais bien qu'on pourrait en peu de temps trouver et proposer un nouveau système d'impôts ; mais quelque bien mûri que soit un nouveau système d'impôts, quelques précautions que vous ayez prises pour le percevoir, quelque sage, quelque mûri que soit le projet, il doit être sanctionné par l'expérience, avant de pouvoir compter sur son produit ; nous sommes dans une période ù nous avons besoin d'argent, et ce n'est pas dans un pareil moment que je conseillerais de faire de nouveaux essais. Dans des temps ordinaires, si dans un trimestre on éprouvait un déficit, on pourrait aviser à le combler dans le trimestre suivant ; aujourd'hui il en est autrement. J'en ai dit assez, je crois, pour motiver mon vote en faveur du projet, me réservant, si le congrès prolongeait sa mission au delà de l'année, de voter contre toutes les lois que j'ai critiquées, et de ne plus voter d'impôt perçu en vertu de ces lois. (M. B., 27 juin.)

M. Duvivier, ministre des finances par interim – Messieurs, je ne m'attendais pas à être obligé de répondre aujourd'hui aux objections qui me sont adressées sur l'assiette, la répartition et la base des impôts ; avec mes notes il m'eût été plus facile de donner demain des explications que sans doute vous eussiez trouvées plus satisfaisantes, mais enfin, puisqu'on paraît désirer une réponse immédiate, je présenterai quelques observations, tout en me recommandant à l'avance à votre indulgence.

MM. Seron et Jottrand ont attaqué les impôts existants ; je suis loin de vouloir défendre les vices que présentent les lois sur cette matière : ces vices, je les reconnais d'autant mieux que depuis vingt-huit ans, et sous les divers gouvernements, j'ai été chargé de la perception d'une partie de ces impôts. Peut-on et doit-on toucher à ces lois ? vous ne le penserez pas, puisqu'il faut maintenant assurer le service des six derniers mois de l'année ; les graves circonstances dans lesquelles nous nous trouvons ne vous permettraient pas de vous livrer à des révisions qui pourront avoir lieu plus tard. Alors les judicieuses réflexions des préopinants pourront être utilisées, et on trouvera près de moi et près de beaucoup d'autres personnes, tout le concours désirable pour hâter le perfectionnement de la loi sur les impôts.

On a dit d'abord : « L'impôt foncier est mal réparti ; « mais, après les travaux du cadastre, la répartition de cet impôt sera plus équitable et mieux raisonnée. Quant aux contributions directes et ensuite aux accises, on a blâmé ou leur assiette ou le taux de ces impôts ; ensuite on a paru désirer que les denrées coloniales ne fussent pas soumises aux douanes. Cette théorie me paraît une erreur. Où trouverez-vous une matière imposable ? où trouverez-vous l'argent nécessaire pour fournir aux ressources que réclame le service des administrations, sans conserver les impôts qui existent ?

Il faut imposer le charbon, a dit un des préopinants ; mais déjà on s'élève contre le droit que l'on prélève sur l'importation du charbon, et une discussion doit avoir bientôt lieu pour savoir si ce droit sera maintenu ; et quand il s'est agi, il y a plusieurs années, d'imposer les consommateurs de houille, les réclamations ont été tellement nombreuses qu'il a fallu renoncer à ce projet. Maintenant si on ne veut pas que le tabac, le sucre et le café soient imposés, que restera-t-il, encore une fois, de matières imposables ?

M. Jottrand voudrait qu'il y eût une division claire et précise entre les administrations chargées de la perception des impôts ; que les accises formassent une administration séparée ; qu’il en fût de même pour les douanes et pour les contributions directes. Mais avec ces administrations séparées et les dépenses qu'elles entraîneraient, comment concilierez-vous les économies qui sont et doivent être les bases de nos systèmes d'administration ?

Tout ce que vous avez prescrit, en fait d’économie, s'accomplit avec exactitude. Les employés sont moins nombreux, et les rétributions sont moins fortes, double avantage pour les contribuables et pour le trésor. Les employés actuels sont tous moins payés que ne l'étaient leurs prédécesseurs. Depuis que la mouture et l’abattage ont été supprimés, les recettes qui ne présentaient pas assez de bénéfices pour exister séparément ont été réunies à d'autres. La même économie préside au service actif. Les percepteurs et contrôleurs qui avaient 3000 florins n'en reçoivent plus que 2000 ; ceux qui touchaient 1800 florins n’en touchent que 1400 ; une foule de contrôleurs, qui ont à parcourir un espace de territoire assez grand, et qui ont sous eux vingt ou trente comptables, dont ils doivent examiner et suivre la gestion, ne touchent que 1000, 1200 ou 1400 florins. Les remises des comptables ont été restreintes au taux le plus raisonnable. Eh bien ! ces économies (page 335) seraient absorbées, et au delà, dès le moment où il y aurait plusieurs directions spéciales.

(Ici M. le ministre défend le trésor du reproche adressé à ses registres et à ses écritures de ressembler à un chaos, et il en appelle, pour justifier l’administration de cette accusation, aux membres du congrès qui ont eu sous les yeux les pièces émanées du trésor, et qui ont exprimé leur satisfaction sur la beauté et la régularité de ces travaux.)

M. Duvivier continue en ces termes – On a attaqué, entre autres impôts, celui sur le sel ; mais aussi n'êtes-vous pas déjà nantis d'un projet qui doit remédier à cet inconvénient, projet dont la discussion me donnera l'occasion d'entrer dans de nouveaux détails à ce sujet. Maintenant je répondrai seulement qu'il n'est pas très juste de dire que cet impôt est gênant pour les industriels, puisque chaque fois que les gouverneurs des provinces déclarent qu'il y a lieu d'accorder l'exemption de l'impôt sur le sel à tel ou tel industriel, il est toujours fait droit à ces réclamations, quand toutes les formalités ont été remplies, et que la nécessité de l'exemption est bien reconnue. Il me reste à répondre à l'objection qui a été faite au sujet de l'impôt qui frappe les eaux-de-vie indigènes. Cet impôt est un de ceux qui excitent le plus de plaintes et de réclamations ; aussi, messieurs, vous discuterez incessamment un projet qui change la base de cet impôt ; ce projet est, en vérité, tout en faveur des contribuables ; il est dicté par eux, et il eût été impossible de prendre des mesures plus sages et mieux étudiées pour mettre tout le monde d'accord. Quant à l'impôt des postes, en supposant que je ne veuille pas le défendre, et en avouant même qu'il peut être remplacé par un autre système, je pense qu'il serait dangereux de l'essayer en ce moment où nous devons avoir seulement en vue d'assurer les services des six derniers mois. (J. F., 27 juin.)

M. Alexandre Rodenbach – Je demanderai à M. le ministre pourquoi des entrepreneurs de fraude ne demandent qu'une prime de 4 ou 5 pour cent pour introduire des objets de contrebande de France en Belgique, tandis qu'ils demandent 20 et 25 pour cent pour la fraude à faire de la Belgique en France. Je lui demanderai aussi pourquoi on a cent employés en France pour le prix de cinquante en Belgique. (M. B., 27 juin.)

M. Duvivier, ministre des finances par interim – Si vous me faisiez vos questions par des chiffres, je pourrais vous répondre. Vous sentez la difficulté qu'il y a pour un ministre de répondre à des questions vagues, qui ne reposent sur rien, et faites sur un ton au moins brusque, j'ose le dire. (Rumeur.) (M. B., 27 juin.)

M. Alexandre Rodenbach – Je précise les faits : les fraudeurs introduisent des marchandises de France en Belgique, moyennant une prime de 4 ou 5 pour cent ; pour introduire des marchandises de Belgique en France, on demande 20 et 25 pour cent ; votre système des douanes n'est pas bon, tout le monde s'en plaint. (M. B., 27 juin.)

M. Duvivier, ministre des finances par interim – Je vais vous répondre. La France, par son étendue et par sa richesse, a les moyens de faire les dépenses nécessaires pour entretenir un personnel considérable, qui est répandu et qui pullule pour ainsi dire sur toute la frontière, tandis que notre personnel est entretenu avec beaucoup d'économie ; de là plus de facilité d'introduire des marchandises de France en Belgique que de Belgique en France. Du reste, le préopinant a souvent signalé des fraudes à mon prédécesseur, notamment pour des liquides introduits de la France ; le dernier ministre a écrit sur tous les points pour activer la surveillance, nous avons reçu les plus grandes garanties que les faits dénoncés étaient inexacts ; la correspondance est là, je pourrai la communiquer au préopinant s'il le désire. (M. B., 27 juin.)

M. Alexandre Rodenbach – Votre système de douane est faux : pour le prix qu'on donne à un employé belge on en a deux en France. (M. B., 27 juin.)

M. Duvivier, ministre des finances par interim, établit qu'il est impossible d'apporter plus d'économie que celle qui existe. Les employés de troisième classe n'ont que 300 florins d'appointements, et les employés de première classe florins. (M. B., 27 juin.)

M. Charles de Brouckere – L'honorable membre a dit que la fraude était tellement active chez nous qu'on faisait des assurances pour la fraude de France en Belgique à 4 et 5 pour cent, tandis qu'on demandait 25 pour cent pour la fraude de Belgique en France. C'est une erreur : je ne dis pas qu'il n'y ait certaines marchandises pour lesquelles on demande 25 pour cent, mais il y a deux objets notamment pour lesquels on fait la fraude sans prime, ou pour une prime de 4 ou 5 pour cent. Je n'ai pas besoin de dire ici quels sont ces objets qu'on introduit en France ; il suffit de lire les lois de l'accise pour les deviner. Quant aux fraudes, ce n'est pas à un mauvais système de douanes qu'il faut les attribuer, mais (page 336) à la nécessité où nous avons été par la révolution d'établir une nouvelle ligne de douanes, et de former des sujets capables de faire le service. On n'improvise pas des hommes, il faut du temps pour les former. La fraude existe, nous le savons, on le sait au ministère, on y connaît même par quels moyens elle se fait ; aussi puis-je assurer que mon successeur sera dans peu de temps à même de la faire cesser tout à fait. (M. B., 27 juin.)

- La clôture de la discussion générale est prononcée. (M. B., 27 juin.)

Discussion des articles

Article unique

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Ceux des impôts mentionnés dans le décret du 28 décembre 1830, n° 39 (Bulletin officiel, » n° 53), qui n'ont été maintenus que pour le premier semestre du présent exercice, continueront à être perçus pendant les six derniers mois de 1831, d'après les lois qui en règlent l'assiette ou le recouvrement, sauf les modifications qui résultent de l'art. 2 du décret du 26 janvier dernier, n° 23 (Bulletin officiel, » n° 9). » (A. C.)

M. le président donne lecture d'une proposition de M. Dams ainsi conçue :

« L'impôt sur le vin indigène est aboli. » (E., 27 juin.)

M. Dams développe son amendement ; il commence par rappeler au congrès que dans le premier projet il avait été question de l'impôt sur le vin indigène, et, passant à la législation française qui ne fait peser aucun impôt sur le vin à sa fabrication, il démontre que tout impôt sur les productions de la terre entre les mains du cultivateur est injuste et ruineux ; que les vignerons de son pays en sont un frappant exemple ; qu'il n'en est pas de même de l'accise sur les bières et les eaux-de-vie de grains dont les matières premières sont dans le commerce, et qui par conséquent ont un prix avant qu'ils ne soient convertis en liquides ; qu'il n'en est pas ainsi du vin ; que le vigneron supporte seul un impôt qui ne lui est pas, ou lui est très faiblement remboursé par le consommateur. Les céréales et aucun autre produit de la nature ne sont imposés.

L'orateur fait un exposé des travaux continuels et pénibles que cette culture exige dans les coteaux de son pays, qui ne sont propres à aucun autre genre de culture. La situation du vigneron est bien au-dessous de celle du cultivateur ; le premier est dans un état voisin de la pauvreté par suite d'un impôt exorbitant.

Les vins du Luxembourg sont consommés exclusivement dans la province, et dans les mauvaises années ils ne sortent pas hors des cantons qui les ont produits.

L'expérience d'une longue suite de mauvaises années, et la misère dont les vignerons ont fait un si dur apprentissage, ont été la cause qu’on a abandonné la récolte prodigieuse de 1829, afin de se soustraire à un impôt qui aurait englouti biens, meubles et immeubles, des vignerons ; celle de 1830 aurait subi le même sort, si la révolution n'était venue ranimer l'espoir des vignerons ; que la moitié de l'impôt était encore dû pour les deux années précédentes, lorsque le gouvernement provisoire en avait accordé la remise.

Le roi et la majorité hollandaise, dans les Etats Généraux, étaient toujours restés sourds à leurs nombreuses pétitions, qui ne servaient à autre chose qu'à augmenter le débit du timbre.

L'orateur compare l'état du vigneron de la Prusse, où la culture du vin, payant un faible droit, est protégée par des droits d'entrée sur les vins étrangers presque prohibitifs, que le roi de Prusse, nonobstant ce droit, qui ne s'élève pas au tiers du nôtre, en a fait différentes fois la remise eu égard aux mauvaises années ; qu'en Prusse le vigneron, qui vit sous un gouvernement absolu, est à son aise, tandis que chez nous il mène une vie misérable et languissante.

L'accise sur le vin et l'anéantissement de nos nombreuses distilleries de fruits n'ont pas peu contribué à cet élan patriotique qui se manifeste partout dans le Luxembourg.

L'orateur termine en disant qu'il a l'espoir que le congrès fera disparaître du Code de nos lois ces entraves portées à l'industrie et à la prospérité matérielle de son pays. (C. 27 juin.)

M. le baron d’Huart – On ne voit rien dans le budget des voies et moyens, sur le revenu des prisons, et cependant on demande 500,00 florins pour cet objet. Je demanderai au ministre quelques renseignements à cet égard. (M. B., 27 juin.)

M. Charles de Brouckere – Si nous délibérions véritablement sur un budget de voies et moyens, outre la question faite par le préopinant, il y en aurait bien d'autres à faire, entre autres sur les redevances des mines, et en un mot comment on établit l'excédant de 2 millions. Mais pour le moment il ne s'agit que de voter l'impôt pour les six derniers mois. Lorsque nous voterons les dépenses, il faudra que le ministère présente un tableau de tous les revenus, et alors nous examinerons avec toutes les autres la question du préopinant, qui pour le moment ne saurait être d’aucune influence. (M. B., 27 juin.)

M. de Robaulx(page 337) Je m'opposerai au projet de M. Dams ; il ne s'agit maintenant que de voter la continuation des impôts tels qu'ils existent, parce qu'on n'a pas le temps de changer le système actuel. Quand des denrées nécessaires au peuple sont imposées, on peut laisser l'impôt sur le vin du Luxembourg, qui ne vaut pas grand-chose. Du reste, nous pourrons prendre plus tard la proposition en considération. (J. B., 27 juin.)

M. Alexandre Rodenbach – L'honorable M. Dams a dit que le lin, le colza, les pommes de terre, ne payaient pas d'impôts ; il en conclut que le vin ne devrait pas en payer. Je lui demanderai à mon tour pourquoi la bière et le genièvre payent l'impôt. N'est-il pas aussi juste que le vin le paye, que ces deux boissons du pauvre ? (M. B., 27 juin.)

M. Dams – Si l'assemblée ne se trouve pas assez éclairée pour délibérer sur ma proposition, je la retirerai, sauf à la reproduire plus tard. (Assentiment général.) (M. B., 27 juin.)

- L’article unique du projet est mis aux voix et adopté. (P. V.)

Article additionnel

M. le chevalier de Theux de Meylandt, rapporteur, propose un article additionnel ainsi conçu :

« Le présent décret sera obligatoire le 1er juillet prochain. » (M. B.. 27 juin.)

M. Jottrand combat cet article additionnel comme inutile, l'article unique du projet disant que l'impôt continuera d'être perçu, ce qui implique qu'il n'y aura pas interruption. (M. B., 27 juin.)

M. Charles de Brouckere trouve la disposition additionnelle indispensable, parce que les décrets du congrès n'étant exécutoires que le onzième jour, il y aurait plusieurs jours d'interruption dans la perception de l'impôt. (M. B.. 27 juin.)

M. le baron Beyts appuie ces observations ; il dit que sans cela le décret aurait un effet rétroactif. (M. B., 27 juin.)

- L'article additionnel de M. le chevalier de Theux de Meylandt est adopté. (P. V.)

Vote sur l'ensemble du projet

On procède ensuite au vote par appel nominal sur l'ensemble du décret ; il est adopté par 108 voix contre 3. (P. V.)

Ont voté contre : MM. Seron, de Robaulx, Masbourg. (M. B., 27 juin.)

Projet de décret relatif à l'impôt sur le sel

Rapport de la section centrale

M. d’Elhoungne fait le rapport de la section centrale sur le projet de décret relatif à l'accise sur le sel.

- L'assemblée en ordonne l’impression et la distribution.

La séance est levée à cinq heures. (P. V.)