Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Congrès national de Belgique
Séance du samedi 2 juillet 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 382) (Présidence de M. Raikem, premier vice-président)

Même foule, même empressement ; les dames occupent toutes les tribunes supérieures ; il est impossible de se faire une idée de l'ardeur avec laquelle elles ont envahi les premières places dès l'ouverture des portes. (M. B., 4 juill.)

La séance est ouverte à midi.

Lecture du procès-verbal

Un des secrétaires, donne lecture du procès- verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

La veuve de Joseph de Moor demande une augmentation de pension.


M. Pierre de Moor, à Ixelles, prie le congrès de déclarer que les Belges habitant les territoires qui pourraient être distraits de la Belgique, conserveront leur qualité, en faisant leur déclaration dans l'année qui suivra la nouvelle délimitation.


La veuve Serruys, à Couckelaere, présente des observations concernant le projet de décret sur les distilleries.


Cinquante-six officiers de la garde civique de la ville de Gand déclarent protester contre les préliminaires présentés par la conférence de Londres. (M. B., 4 juill., et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


M. Louis Tauvin, prisonnier de guerre à Louvain, demande des lettres de naturalisation. (P. V.)

- Renvoi à la commission des naturalisations. (P. V.)


Décret adoptant le traité des XVIII articles portant les préliminaires de paix entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

M. le président – L'ordre du jour est la suite de la discussion de la question préalable élevée par M. de Robaulx, sur les propositions de MM. Van Snick et Jacques. (M. B., 4 juill.)

M. Henri de Brouckere – Je fais remarquer, messieurs, comme le fit hier le dernier orateur, que pour moi la question préalable est la question du fond. (M. B., 4 juill.)

M. Camille de Smet – Je demande à faire une motion d'ordre. Dans toutes les discussions semblables, nous avons entendu tantôt un orateur pour, tantôt un orateur contre. Je demande qu'il en soit de même en cette circonstance. (M. B., 4 juill.)

M. Henri de Brouckere – Si quelqu’un veut parler pour les protocoles, je lui cèderai volontiers la parole. (M. B., 4 juill.)

M. Cruts – Je ne veux pas parler contre les protocoles, mais je parlerai contre la question préalable. (M. B., 4 juill.)

- Il s'élève un débat sur la question de savoir si la discussion s'engagera sur la question préalable et sur le fond. (M. B,J

M. Henri de Brouckere propose que les orateurs soient entendus sur le fond de la question en même temps que sur la question préalable, et qu'on mette ensuite aux voix la question préalable la première. (M. B., 4 juill.)

M. le baron Beyts (page 383) dit que la question préalable ne peut avoir d'autre but que de décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer, et on nous propose de délibérer sur l'objet qu'on ne veut pas admettre. Il y a là contradiction : si la question préalable est adoptée, toute la question est tranchée. Il demande qu'on ne s'occupe que de la question préalable. (I., 3 juill.)

M. Delwarde – L'assemblée est libre de décider que la question préalable ne sera mise aux voix que lorsque tous les orateurs inscrits auront été entendus. La question préalable se confond entièrement avec la question principale. Je demande que ma proposition soit mise aux voix. (I., 3 juill,)

M. Cruts veut que la question préalable soit discutée seule. (I., 3 juill.)

M. Forgeur appuie la marche proposée par M. Henri de Brouckere, qu'il trouve très rationnelle. Il démontre la nécessité de traiter deux questions en même temps, et s'appuie sur ce que la question préalable n'a été qu'une suite des propositions de MM. Van Snick et Jacques. (I.,3 juill.)

M. d’Elhoungne parle dans le même sens que M. Cruts. (I., 3 juill.)

M. Deleeuw, M. Gendebien (père), M. le comte d’Arschot et M. Barthélemy parlent en faveur de la proposition de M. Henri de Brouckere. (M. B., 4 juill.)

M. Jottrand, M. Van Meenen et M. Destouvelles parlent contre cette proposition. (M. B. 4juill.)

M. le président met aux voix la proposition suivante :

Veut-on joindre la discussion de la question préalable à la question du fond ? (M. B. 4 juill.)

M. Cruts – Tout le monde n'est pas assis. (Hilarité générale.) (M. B., 4 juill.)

- L’assemblée se prononce affirmativement pour la question posée par M. le président ; en conséquence la discussion est ouverte simultanément sur la question préalable et sur le fond de la proposition principale. (P. V.)

M. Henri de Brouckere – Messieurs, je n’ai plus à faire ma profession de foi sur les questions qui touchent à l'honneur national, à l'intégrité du territoire. Ma manière de voir à cet égard n’a jamais varié ; plus d'une fois j'ai été dans l'occasion de vous la faire connaître. Disposé aux plus grands sacrifices, lorsque le bien de la patrie le requiert, j'ai toujours regardé comme le plus impérieux des devoirs pour les représentants de la nation de défendre l'intégrité d'un territoire dont eux-mêmes ont déterminé les limites, dont tous les habitants sont Belges et veulent le rester.

Pendant les premiers mois de notre réunion, nous paraissions tous d'accord, messieurs, sur l'obligation qui nous incombait de n'abandonner à aucun prix la plus minime partie du territoire belge ; si alors une voix s'était élevée parmi nous pour proposer l'abandon de quelque partie de ce territoire, j'en appelle à vos souvenirs, j'en appelle à votre bonne foi, cette proposition n'eût-elle pas été l'objet des reproches les plus durs, des attaques les plus violentes, en un mot d'une réprobation générale ? Inutile de citer ici des preuves à l'appui de ce que j'avance ; ce serait cependant, il faut en convenir, un rapprochement assez singulier que celui des opinions que soutenaient alors avec tant de chaleur quelques membres de cette assemblée, et de celles qu'ils semblent professer aujourd'hui. Ce rapprochement, ce ne sera pas moi qui le ferai ; il n'y aura rien de personnel dans les paroles qui sortiront de ma bouche et qui seront peut-être les dernières que j'aurai l'honneur de prononcer devant vous. Le désir de voir bientôt régner au milieu de nous un prince aux brillantes qualités duquel tout le monde, et moi le premier, se plaît à rendre hommage ; l'espoir de rendre le calme et la tranquillité à notre patrie, que la tourmente n'agite que depuis trop longtemps, ont pu les séduire. L'énergie n'est point le partage de tous. Quant à moi, je n'hésite pas à le dire, tous les biens, tous les avantages d'un côté ; de l'autre, de la gêne, des privations et des malheurs : une semblable alternative même ne me ferait point souscrire à un acte que je considère comme contraire à mon mandat, contraire à mon devoir, et que ma conscience me reprocherait à jamais.

De quoi s'agit-il ? On vous propose, comme conditions de l'acceptation de S. A. R. le prince de Saxe-Cobourg, certains articles qui, dit-on, formeront les préliminaires d'un traité de paix, et l'on ajoute que ces articles seront considérés comme non avenus si le congrès les rejette en tout ou en partie. Ainsi il ne nous appartient point d'y apporter le plus léger changement, d'y faire la moindre modification ; il nous faut ou les accepter ou les rejeter dans leur ensemble.

Eh bien, messieurs, en dépit des longues paraphrases que nous lisons dans le journal qui est l'organe du ministère (En note de bas de page de l’ouvrage d’E. HUYTTENS, on peut lire ce qui suit : « Il s'agit du Moniteur Belge. En effet, à cette époque, ce journal a publié un grand nombre d'articles politiques non signés, mais qui étaient de M. Nothomb ». Cette note se poursuit par un article publié le 2 juillet. Ce dernier n’est pas repris dans cette version numérisée.), nous ne pouvons nous (page 384) faire illusion : ces articles sont, à quelques variantes près dans les expressions, la répétition des dispositions du protocole du 20 janvier, protocole, du reste, qui n'est nullement anéanti, et pourrait encore être invoqué contre nous si on le trouvait bon. Comparez ces deux pièces et jugez.

Dans l'une comme dans l'autre on rétablit les limites de 1790. Dans l'une comme dans l'autre on méconnaît nos droits à conserver le Luxembourg ; seulement les grandes puissances nous promettent leurs bons offices, pour que le statu quo soit maintenu pendant le cours des négociations. Dans l'une comme dans l'autre on stipule qu'il sera fait des échanges : par suite de la première, à la vérité, ces échanges devaient s'effectuer par les soins des puissances, tandis que l'autre statue qu'ils pourront se faire à l'amiable ; mais l'article 17 ne nous laisse aucun doute sur leur intervention, dans le cas où, comme la chose est certaine, nous ne parviendrions pas à nous arranger ; et pour cela il suffira de l'appel d'une des deux parties. Enfin, en attendant les échanges, et indépendamment des arrangements, on exige encore que nous commencions par évacuer réciproquement les territoires, villes et places auxquels nous n'aurions plus droit : et comme il en résulterait que Maestricht devrait nous être cédé pour moitié par les Hollandais, on a soin de mettre en doute un fait avéré, un fait historique, un fait connu de tout le monde, savoir, que les Provinces-Unies n’exerçaient pas seules la souveraineté dans la ville de Maestricht en 1790.

J'abandonne l'examen des autres articles qui vous sont proposés. De ceux dont je viens de vous rappeler le contenu, je tire la conséquence (sans parler du grand-duché de Luxembourg, dont les députés de cette province auront sans doute soin de vous entretenir), que l'on voudrait nous conduire à céder définitivement Maestricht à la Hollande, à lui restituer les communes du pays de généralité et bien particulièrement la ville et la forteresse de Venloo. Et l'on pourrait penser que moi, qui dois l'honneur de siéger parmi vous, à un arrondissement qui renferme cette ville de Venloo et onze des villages qu'on veut nous faire abandonner, je souscrirai à une semblable proposition ! Non, messieurs, mille fois non : plutôt attirer sur ma tête tous les malheurs que quelques-uns de nous semblent redouter, que d'émettre un vote qui me dégraderait à mes propres yeux, et me rendrait méprisable vis-à-vis de mes commettants.

J'ai dit d'abord qu'on voulait nous conduire à renoncer à la ville de Maestricht. Pour vous en convaincre, messieurs, , veuillez lire le cinquième des articles qui vous sont présentés, et vous rappeler ce que j'ai eu l'honneur de vous dire à cet égard, il y a près d'un mois. La rédaction seule de cet article doit même suffire, ce me semble, pour ouvrir les yeux à ceux qui chercheraient à s'aveugler encore, pour leur faire voir ce qu’ils (page 385) à attendre. Je vous l'ai fait remarquer, on ne craint pas d'y énoncer comme fort douteux, comme devant être prouvé par nous, un fait, qui vous l’a dit M. le ministre des affaires étrangères lui-même, est absolument incontestable, est tellement connu de tout le monde, que, pour l'ignorer, il faut ne pas avoir la plus légère notion d’histoire. Vous savez ce que m'a répondu M. le ministre, quand, dans un comité qui n'a eu de secret que le nom, je lui ai objecté la bizarre contradiction qui existait entre ses paroles et le langage de la conférence. « Walter Scott, a-t-il dit, s’est bien trompé aussi dans un de ses romans, au sujet de notre pays, puisqu'il a fait parler le flamand aux Liégeois, du temps de Louis XI. » Vous ne vous attendiez pas plus que moi, messieurs, à voir comparer les membres de la conférence à un écrivain de romans : sortie de toute autre bouche, cette comparaison eût été prise pour une piquante et amère satire ; chez M. le ministre, c'était, je suppose, une distraction ; aliquando bonus dormitat Homerus : le fait est qu'il lui eût été impossible donner une bonne réponse, car n'oubliez pas qu'il y a si peu ignorance de la part de la conférence que, depuis plus de six mois, tous les envoyés qui se sont succédé à Londres ont répété à satiété tout ce qui est relatif à la souveraineté mixte de Maestricht qu'il en est parlé dans bien des traités, connus du plus mince diplomate, et que ces traités ont d'ailleurs été depuis peu répétés dans tous les journaux. S'il n'y a pas ignorance, qu'y a-t-il donc ? je vous l'ai dit avant-hier, je me dispenserai de le répéter.

Du reste, tous les actes qu'exerce journellement à Maestricht le gouvernement hollandais, prouvent à l'évidence son intention bien formelle de ne jamais y renoncer en tout ou en partie.

Je continue, et je dis qu'on veut nous faire restituer à la Hollande toutes les communes du pays de généralité, sauf à être échangées plus tard en partie contre un territoire équivalent. L'article 6, que nous devons adopter tel qu'il est, nous en impose l'obligation, et ce indépendamment des arrangements à conclure ultérieurement. Tout commentaire à cet égard est tellement superflu, qu’il pourrait être regardé comme ridicule. Je ne ferai qu'une observation, c'est que les habitants de ces communes se sont toujours conduits de la manière la plus noble et la plus honorable, et que, quand l'occasion s'en est présentée, ils ont fait preuve de dévouement et de patriotisme.

J’arrive à ce qui concerne la ville de Venloo, dont les habitants sont destinés à être les premières victimes de votre résolution, car, sans contredit, elle appartenait à la Hollande en 1790. Avant cependant que vous preniez votre décision, c'est pour moi un devoir de vous répéter quelle a été notre conduite vis-à-vis des Venlonais, quelle a été la leur à notre égard.

Occupée par une garnison hollandaise, qui s'était renforcée d'un certain nombre de douaniers organisés en compagnie, la ville de Venloo a dû rester inactive, pendant les premiers temps de notre révolution, tout en manifestant secrètement le désir de faire bientôt cause commune avec nous. Il était pour nous d'une extrême importance de la posséder, parce que c'était le seul point militaire que nous pussions occuper entre Maestricht et Nimègue, et que, sans cela, nous laissions les Hollandais, pour ainsi dire, maîtres chez nous d'un territoire de vingt-deux lieues de long.

Après la prise d'Anvers, le gouvernement, qui n'avait encore que bien peu de troupes à sa disposition, adressa une proclamation aux habitants, ainsi qu'à ceux de Maestricht, pour les engager à imiter les Anversois, à chasser leur garnison, à épouser la cause des Belges. Je remplissais alors provisoirement les fonctions de commissaire de district dans l'arrondissement de Ruremonde, fonctions que j'avais acceptées à la sollicitation du gouvernement, non sans quelque répugnance, puisqu'elles me détournaient du genre d'études et d'occupations auquel je me suis par goût dévoué depuis près de quatorze ans. Je fus chargé d'introduire cette proclamation, je le fis. Les Venlonais, Belges de cœur, ne furent pas sourds à la voix du gouvernement, qu'ils regardaient comme l'organe de la nation. Une simple démonstration fut faite par un petit corps d'armée, et, grâce à leur courage, grâce à leur patriotisme, les portes furent immédiatement ouvertes, et la garnison tout entière fut faite prisonnière, sans en excepter un seul homme.

Et c'est cette même ville, messieurs, que vous allez livrer à ceux dont vous l'avez engagée à secouer le joug ! Si vous ne vouliez pas protéger ses habitants, les traiter comme des frères, pourquoi donc les invitiez-vous si instamment à faire cause commune avec vous ? Pourquoi les poussiez-vous à exposer leur vie, à compromettre leur avenir ? Etait-ce donc un piège que vous leur tendiez pour les rendre, quand ils ne vous seraient plus aussi nécessaires, victimes de leur bonne foi et de leur confiance, pour les livrer, pour ainsi dire, en holocauste ? Ah ! si vous vouliez les abandonner un jour, que ne les laissiez-vous en repos ; sans vos instances, ils eussent peut-être supporté patiemment la domination hollandaise. Et quelle conduite pensez-vous que tiendront à leur égard les (page 386) maîtres auxquels vous les rendez ? oublieront-il l'affront sanglant, le tort incontestable qui leur a été fait dans votre intérêt ? Plusieurs fois le nom des habitants de Venloo a retenti avec éloge dans cette enceinte ; chaque parole prononcée à leur avantage aura empiré leur sort, ce sera un nouveau grief à leur charge. J'en appelle à tout ce qu'il y a ici de cœurs généreux ; qu'ils me répondent : Pensent-ils que nous puissions ainsi renier d'aussi dignes concitoyens ?

Mais, dit-on, il y aura des échanges,. et l'on fera en sorte que Venloo y soit compris. J'ignore si une assurance de cette nature fera fortune auprès de quelques-uns de vous, messieurs ; à coup sûr ce ne sera pas auprès de moi. J'ai une conviction tellement intime, qu'elle équivaut à une certitude, que Venloo une fois rendu aux Hollandais, ne nous sera par eux restitué à aucun prix. J'en ai leur intérêt pour garant ; je l'ai prouvé à une époque où quelques personnes m'ont même, assez mal à propos, reproché d'avoir éclairé les Hollandais sur leurs intérêts, comme s'ils m'avaient attendu pour les bien apprécier.

Il y aura des échanges, oui : mais ils ne serviront à nous rendre ni Maestricht ni Venloo ; ils se borneront à l'abandon de la part de la Hollande, de celles des communes du pays de généralité qui ne lui sont d'aucune utilité, celles, par exemple, situées dans l'arrondissement de Hasselt, ou de ce côté-ci de Maestricht, et ce contre des communes plus rapprochées de la Hollande, c'est-à-dire, entre autres, celles situées entre Venloo et Nimègue. Mais, pour ma part, je ne veux pas plus de cet arrangement que de celui qu'on nous présente aujourd'hui ; car si c'est une injustice d'abandonner des communes de la province de Limbourg, uniquement parce que, passé quarante ans, elles étaient à la Hollande, c'en est une bien plus révoltante encore que de livrer contre leur gré des communes qui, dans aucun temps et à aucune époque, n'ont eu de rapports avec le gouvernement hollandais, et c'est à cette dernière classe qu'appartiennent celles dont je viens de parler.

Vous vous êtes si souvent récriés contre ce fatal système en vertu duquel on vend et l’on échange des hommes comme on ferait d'un objet de commerce ; vous l'avez à tant de reprises différentes flétri d'une manière si énergique ; je ne veux pas faire en petit ce que vous avez reproché aux souverains de l'Europe d'avoir fait en grand.

Quant à ce qui regarde le marquisat de Berg-op-Zoom, la seigneurie de Ravenstein et les autres enclaves qu'on assure que nous possédons en Hollande, permettez-moi de ne pas exprimer mon opinion à cet égard ; vous pourriez regarder comme une imprudence ce que je serais forcé de vous dire. Toujours est-il que de ce chef mes espérances se réduisent à rien ou à bien peu de chose.

Je passe aux objections que l'on peut m’opposer ; je les examinerai brièvement.

Voici la première :

Mais les habitants du pays de généralité, ceux de Venloo nommément, ont-ils bien droit à être Belges ? N'est-il pas juste de les rendre à la Hollande ? car notre révolution ne peut nous donner droit à un accroissement de territoire au détriment des Hollandais ; il faut qu'ils récupèrent les droits qu'ils avaient avant la réunion des deux anciennes parties du royaume, de manière qu’ils n'aient ni perdu ni gagné.

Vous me demandez si les habitants de Venloo ont droit à être Belges ! Vous n'avez plus le droit, vous, de me faire cette question ; il fallait la leur adresser avant de les engager à s'unir à vous, à vous aider à chasser les Hollandais. Eh ! quand j'admettrais que la Hollande ne doit rien perdre de ce qu'elle possédait avant la réunion, eh bien, je dis que ses droits dans le Limbourg étaient si peu reconnus en 1814, époque à laquelle il faut nous reporter, que les généraux des puissances alliées et les commissaires qui gouvernaient la Belgique au nom de ces dernières, faisaient des proclamations et adressaient des circulaires aux anciennes communes hollandaises, pour les défendre de reconnaître l'autorité du prince souverain.

Mais quelques personnes révoquent encore en doute, malgré l'évidence, le désir bien prononcé des habitants de ces communes de rester Belges. Je vous ai déjà parlé, messieurs, de leur conduite dans ces derniers temps. Voulez-vous d'autres preuves ? parcourez les nombreuses pétitions que toutes vous ont adressées et qui sont couvertes d'une foule de signatures honorables. J'en prends une au hasard et j'y lis, entre autres :

« Nous déclarons en conséquence d'un manière explicite et formelle, que nous abhorrons le joug de la Hollande, que notre désir ardent, que notre volonté expresse et ferme est de continuer à faire partie intégrante de la Belgique ; que nous considérerions comme une source inaltérable de malheurs sans fin toute disposition qui tenterait à démembrer une partie quelconque de la province de Limbourg au profit de la Hollande. Oui, ce serait un véritable attentat contre notre existence, et il est de votre devoir, messieurs, d'en empêcher la perpétration. Pourriez-vous jamais consentir à abandonner à la (page 387) merci de nos ennemis mortels ceux qui, Belges comme vous et comme les habitants des autres provinces méridionales, ont avec eu les mêmes mœurs, la même religion, les mêmes intérêts commerciaux, politiques et moraux, qui sont, en un mot, Belges comme vous, dignes d'en porter le nom et d'en partager le bonheur.

« Séparés violemment de la Belgique, tous ces intérêts seraient sacrifiés sans retour, et la position des habitants de ces communes serait d'autant plus insupportable, qu'ayant applaudi dès l’origine aux principes salutaires de la révolution, en ayant secondé les mouvements et suivi l'élan avec le plus vif enthousiasme, s'étant soumis avec confiance et sans arrière-pensée aucune au gouvernement provisoire, ils se trouveraient d'un côté froissés dans leurs sentiments les plus chers, et de l'autre placés en butte et livrés pieds et poings liés aux cruelles vengeances et aux humiliations insultantes de ceux dont ils ont secoué le joug avec empressement, et dont ils abhorrent la présence et le contact

« Oh ! que serait terrible la première entrevue qu’ils auraient avec leurs anciens maîtres ! Oh ! que serait, etc., etc. »

Après cela, messieurs, le doute est-il encore permis ?

On continue et l'on me dit : C'est un principe incontestable, qu'il faut toujours sacrifier la partie pour sauver le tout. Voyez cet homme blessé à la jambe ou au bras ; si l'amputation est nécessaire pour la conservation de ses jours, hésite-t-il à y consentir ?

D’abord je nie que, parce que nous aurons refusé de sacrifier une partie du territoire, nous soyons destinés à être victimes de notre décision ; peut-être retarderons-nous un peu l'instant où nous pourrons nous constituer définitivement ; mais je suis loin de croire que nous nous mettions dans l’impossibilité de le faire jamais. Puis, celui qui sacrifie un de ses membres pour ne pas perdre la vie, use d'un droit incontestable, ne lèse personne, ne fait souffrir que lui ; mais je conteste que, pour nous procurer un bien quelconque, nous puissions, contre leur volonté, sacrifier une partie nos concitoyens, qui sont de la même famille que nous, mais ne nous appartiennent nullement.

Mais, ajoute-t-on, l'article 16 stipule : « Aucun habitant des villes, places et territoires réciproquement évacués, ne sera recherché, ni inquiété pour sa conduite politique passée. » Messieurs, c'est là une de ces stipulations banales qu’on rencontre dans tous les traités, et l'on sait comment elle s'observe ; cela veut dire que votre conduite politique passée ne peut donner lieu à aucune condamnation judiciaire ; que vous ne serez de ce chef ni fusillé, ni pendu. Mais cette clause ne vous préservera pas des vexations, des humiliations de tout genre auxquelles auront recours contre vous des maîtres irrités qui jamais n'oublieront que vous les avez ignominieusement chassés, et profiteront de toutes les occasions d'exercer leur vengeance.

On parle, messieurs, d'indemnités à accorder aux habitants des communes cédées, qui pourraient ainsi venir s'établir en Belgique. Deux mots suffiront pour répondre. En admettant même qu'on vote une indemnité telle, qu'elle puisse compenser les intérêts matériels auxquels il faudra renoncer, on ne se décide pas si facilement, messieurs, à abandonner à jamais le lieu où l'on est né, où repose la cendre de ceux. qui vous furent chers, où mille affections, mille souvenirs vous attachent. Ce sont là des biens qu'un peu d'or ne paye point.

Enfin, on m'objecte qu'en adoptant mon système, tout échange de territoire devient impossible. Messieurs, il arrive souvent que des échanges sont avantageux à toutes les parties, ou que du moins ils ne lèsent ouvertement les intérêts d'aucune : supposez, par exemple, un échange de quelques communes entre la France et la Belgique : dans ce cas je n'hésiterais pas à y consentir. Mais, je le répète, rendre des sujets à leurs anciens maîtres, contre lesquels ils se sont soulevés, en grande partie par suite de vos instigations, et autant dans votre intérêt que dans le leur, je n'y consentirai jamais.

J'en ai assez dit pour motiver mon vote ; il sera affirmatif sur la question préalable, négatif sur la proposition principale, si cette question était rejetée. Vous pourrez, messieurs, ne pas partager ma manière de voir ; aucun de vous, j'espère, ne me blâmera. Peut-être serais-je en droit de manifester quelques inquiétudes à cet égard, après l'article que j'ai lu aujourd'hui dans le journal qui, comme je l’ai dit, est l'organe avoué du ministère. Voici ce que contient cet article, extrait d'une autre feuille, mais inséré à dessein dans ce journal : « Nous prévoyons bien que le parti qui doit nous livrer à la France, et les ambitieux qui ne sont pas contents de la place que la révolution leur a assignée, vont faire un dernier effort pour faire manquer la combinaison qui doit nous sauver. » Je ne crois pas avoir jamais (page 388) exprimé un grand désir de nous voir réunis à la France. Quant à l'autre classe dont parle le journal ministériel, je ne puis certes y appartenir : je déclare formellement n'avoir rien à espérer, ni à attendre ; mon ambition est pleinement satisfaite, et si je faisais un retour sur moi-même, et si je consultais mes intérêts particuliers, je vous tiendrais un tout autre langage. Mais, chez moi, la conscience parle plus haut que l'intérêt ; c'est à sa voix seule que j'obéis : je n'ai point d'arrière-pensée.

Je n'ai plus qu'un mot à ajouter. Peut-être la majorité se prononcera-t-elle dans un sens contraire à mon opinion. Dans ce cas, je croirais mon mandat expiré, et force me serait de me retirer. Je ne le ferais point sans de vifs regrets ; mais, messieurs, si vous pouvez vous décider à répudier une partie de mes commettants, je ne puis plus, moi, continuer à siéger au milieu de vous. Puissiez-vous alors n'avoir jamais à vous repentir d'avoir exercé, vis-à-vis de quelques-uns de vos concitoyens, un acte d'injustice, que peut-être un jour on invoquera contre vous ! (Applaudissements dans l'enceinte et aux tribunes) (M. B., 4 juill.)

M. Lecocq – Voici une de ces circonstances graves dans lesquelles on aime à raisonner son vote.

J'ai médité dans le cabinet sur les questions soumises, sur tout ce qui a été dit dans le comité général hier, et j'ai cru pouvoir asseoir une opinion première, sauf à la modifier, s'il y a lieu, d'après la discussion : j'ai l'honneur de vous la communiquer.

Je disais le 31 mai à cette tribune : « L'honneur national nous permet-il d'abandonner Maestricht et Venloo ? Venloo, qui nous a ouvert ses portes, nous la livrerions à ses anciens maîtres ! non, nous ne nous entacherons pas d'une pareille infamie ! »

Je disais le 3 juin, en me résumant : « Le prince Léopold me paraît promettre tout ce que l'on peut humainement espérer.

« Je vois dans la réalisation probable d'un projet accessoire, les classes aisées de deux grandes nations se donner rendez-vous sur le sol heureux de la Belgique pour fraterniser et venir y déverser périodiquement le superflu de leurs richesses.

« Je vois liberté, patrie, avenir, nationalité, indépendance, honneur et prospérité publique.

« C'est dans ces douces illusions que je vote pour le prince Léopold ; mais je sens le besoin de le répéter aujourd'hui solennellement, ces illusions tiennent à l'idée fixe de l'intégralité du territoire ; que si l'avènement du roi ne nous garantissait pas cette intégralité, alors, homme toujours libre, je le répudierais. »

Tel était alors mon langage.

Eh bien, les dernières propositions de la conférence me présentent-elles garantie de l'intégralité du territoire belge ? Maestricht et Venloo nous sont-ils conservés ?

Telles sont les questions que nécessairement tout d'abord je dois me faire à moi-même.

En d'autres termes, ai-je la certitude morale de conserver le Luxembourg et le Limbourg, dans l'esprit des articles 3, 4 et 5 des préliminaires ?... Oui, si je ne me trompe, et je ne balance pas à dire oui ; car, restant entiers dans toutes nos prétentions, quant au Luxembourg, et obtenant pour aider à vider la question du Limbourg, la reconnaissance de droits sur certains enclavements, nous considérerons ces enclavements comme pouvant nous servir de moyens d'échange, bien décidés toujours à ne point laisser entamer l'intégralité du territoire : ainsi donc, que l’on négocie à ce sujet ou que l'on guerroie, à coup sûr notre cause ne peut que gagner par l'avènement de Léopold au trône de la Belgique. Je me plais à le reconnaître, rien ne me paraît heureux pour nous comme l'arrivée du roi : les moyens physiques et moraux qu'il pourra employer et qu'il emploiera généreusement serviront puissamment les intérêts nationaux.

Mais je lis l'article 6, qui prescrit l'évacuation réciproque des territoires, villes et places, indépendamment des arrangements relatifs aux échanges, et je me demande s'il peut s'appliquer à une ville, à un territoire, faisant partie d’une province belge tout entière, depuis au moins 1815, à un territoire qui a fait sa révolution avec les autres provinces, à une ville qui nous a ouvert ses portes, à une ville qui a sa représentation au congrès !

Venloo ne peut pas plus être considérée comme conquête que toute autre place qui, un peu plus tôt ou un peu plus tard, a arboré le drapeau national.

J'admettrais qu'en exécution du principe consacré en l'article premier, la possession définitive de Venloo pût rester en question pour, à la rigueur, devenir un objet d'échange, et entre-temps rester entre nos mains ; mais puis-je consentir a l’évacuation provisoire d'une ville que l'honneur me fait un devoir de conserver à tout prix ? Le mot peut-être, dont s'est servi avant-hier (page 389) l’honorable M. Nothomb en parlant de l'échange éventuel des enclavements respectifs ; ce mot appliqué, dans mon imagination, à la ville de Venloo, me fortifierait dans l'opinion de ne rien abandonner provisoirement. Il nous souvient de l'armistice ; il nous souvient de la levée du siège de Maestricht.

Voilà des scrupules, messieurs ; et combien ne doivent-ils pas me dominer, moi personnellement qui, le 3 juin, ai déclaré solennellement dans le sein de cette assemblée que, nonobstant mon vote, je répudierais celui qui en était l’objet si son avènement ne garantissait pas l'intégrité du territoire/ ? Puis-je reculer devant une pareille profession de foi, devant un tel précédent, tandis que les mêmes motifs déterminants existent ?

Ici, messieurs, n'allez pas soupçonner en moi ce que l'on appelle une fausse honte : l'amour-propre ne me ferait pas tenir irrévocablement à une résolution première, si je trouvais de graves raisons d'intérêt général pour l'abandonner ; mais je ne vois pas ici cette nécessité publique devant laquelle tout doit céder.

Certes, je sais tout ce que l'on peut dire en argumentant de la force des choses ; je sais même tout ce que l'on pourrait dire pour colorer l'abandon d’un accessoire à l'effet de sauver le principal ; je sais qu'en négociations diplomatiques, surtout, l’on ne peut pas toujours se renfermer rigoureusement dans le cercle des principes absolus ; je sais que l'on ne peut vouloir tout obtenir d'un trait.

Aussi me résignerais-je pour le moment, quoi qu’il m'en coutât, pour ajourner la question de la rive gauche de l'Escaut (question qui du reste ne tient pas à la constitution) à des temps où nos voisins eux-mêmes nous fourniront occasion d'y revenir.

Aussi adopterais-je encore, je le répète, le principe des préliminaires, si le statu quo, que je considère comme consacré pour le Luxembourg, pouvait s'appliquer à toutes les parties du Limbourg que nous occupons : je dis comme consacré, car l'on ne veut rien changer à mes yeux et l’on ne peut rien changer à l'état des choses dans le Luxembourg : je ne crois pas, moi, comme le croyait hier un honorable membre, qu'il s'agisse de détacher le Luxembourg de la Belgique ; il ne s’agit que de séparer la question du Luxembourg de la question des autres parties de la Belgique, et cela par la raison bien simple que cette province se trouve, par notre constitution même, avoir des rapports politiques tout particuliers.

Ah ! combien il m'en coûterait de devoir prononcer un vote négatif, alors que tant d'articles me paraissent d'une nature acceptable, alors que je vois certaines dispositions si heureuses pour ma patrie !

Impossible que la bonne foi ne se plaise pas à reconnaître un changement du tout au tout dans la question primitive de la dette : associés, nous payons ce que nous devions chacun réciproquement avant l'association, et nous divisons dans une juste proportion ce qui avait été contracté en commun, restant maîtres de contredire : quoi de plus naturel ?

Les dispositions de l'article 3 n'inspirent peut-être pas assez de confiance à plusieurs de nos honorables collègues, pour la conservation du Luxembourg ; et moi je demande si l'on peut raisonnablement supposer que le prince Léopold se prêterait à une vile mystification ? Ne sait-il pas déjà que sans le Luxembourg la Belgique est mutilée ; roi, il défendra le Luxembourg et le Limbourg, ce sont les degrés du nouveau trône.

Ou je comprends bien mal les articles 9 et 10, ou la neutralité, telle qu'elle y est caractérisée, ne blesse aucunement l'honneur national, puisque nous sommes toujours maîtres de venger nos propres intérêts ; tandis que cette neutralité réalise, tout au profit de nos belles provinces, des vœux exprimés depuis des siècles, chaque fois que la guerre éclatait entre les grandes puissances de l'Europe : quelle riche et séduisante perspective, en effet, que la Belgique neutre et respectée entre les armées belligérantes de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la France !... La Belgique, si productive, devenant, par les circonstances, un magasin général d'approvisionnement ; fournissant à tous, recevant de toutes parts, et jouissant, malgré l'orage qui gronde à ses frontières, du bonheur d'un temps serein et du calme de la paix.

Enfin notre place est marquée dans la grande famille européenne ; l'on nous y convie, et nous pouvons y figurer avec orgueil. Constitués, reconnus indépendants et libres, après neuf mois seulement de révolution, nous présentons à l'univers un grand miracle politique ; nous formons déjà, et à tout événement, une puissance d'un rang respectable. Et que sera-ce alors que les destins se trouveront tous accomplis pour notre heureuse patrie ? alors que nous verrons nos limites s'étendre jusqu'aux points marqués par la nécessité de nous rendre assez forts pour bien remplir la noble tâche que la diplomatie nous assigne : celle d'affermir l'équilibre politique ? oui, car un jour on voudra les moyens après avoir voulu la fin.

Mais aujourd'hui, pourquoi faut-il qu'une telle somme de bonheur doive être achetée par un acte (page 390) que je n'ose caractériser ici ? Pourquoi faut-il que l'on n'ait pas pu faire comprendre au prince qui vient s'asseoir sur le trône de Philippe le Bon et de Charles-Quint, que l'esprit national répugnerait invinciblement à une mesure de lâcheté ! Ce prince, que l'on dit si magnanime, eût employé toute son influence à l'effet d'obtenir au moins le statu quo pour une ville deux fois belge ! Nos cœurs se crispent à la pensée de Venloo ; nous nous sentons humiliés : eh ! n'entendez-vous pas déjà les cris accusateurs d'une population de frères livrés pieds et poings liés ? Ces cris nous poursuivraient ; ils empoisonneraient tout le bien-être matériel que peuvent d'ailleurs nous promettre les préliminaires de Londres.

J'ai entendu contester nos droits sur ce territoire, Eh ! messieurs, nous avons ici bien autre chose que des droits, nous avons des devoirs.

Il m'était venu aussi dans la pensée d'offrir à ces frères sacrifiés sur l'autel de la patrie, toutes les indemnités propres à consoler peut-être ; d'offrir même la construction, sur le territoire belge, d'une seconde Venloo ; mais cette combinaison serait-elle satisfactoire ? La nation l'agréerait-elle comme œuvre sienne ? L'éloquence de cœur de l'honorable M. Jaminé vous a répondu hier, et M. Henri de Brouckere aujourd'hui. Quant à moi, messieurs, je vois d'une part, je l'avoue, des avantages immenses, assurés, garantis, et la guerre évitée ; mais, d'autre part, des obligations de conscience ! des devoirs de famille ! des devoirs fraternels et d'honneur !... L'honneur ! ce mot sacré ne s'explique pas ; quand on croit devoir l'expliquer, c'est qu'il y a déjà atteinte. L'honneur ! Hier, un orateur a fait une allusion que j'accepte ; je l'en remercie : oui, c'est moi qui ai dit que la perte de l'honneur pour une nation, c'est la mort. Ce que j'ai dit alors, je le tiens pour bien dit ; je le répète aujourd'hui : ce que je pensais alors, je le pense encore maintenant, et cette vérité culminante sera toujours ma règle de conduite.

Je conclus en demandant quel inconvénient il y aurait à adopter les préliminaires, comme bases de négociations avec la Hollande, avec son roi et avec la confédération germanique, sous la modification de l'article 6, en ce sens qu'il ne serait pas applicable au Limbourg et qu'ainsi nous n'évacuerons pas Venloo.

De cette seule modification ne peuvent résulter rupture et guerre : la conférence est encore là, elle attend notre réponse, et, si elle n'a pas cru s'humilier en revenant, malgré les protocoles, à un tout autre langage, à d'autres propositions, certes elle ne se croira pas humiliée en accédant à une modification unique, dirigée qu’elle sera sans doute, cette conférence, par des considérations de salut européen.

Ainsi toutes les parties se trouveront avoir noblement composé et transigé ; et, fier d’un tel succès, je ne croirai pas, avec un honorable orateur, revenir contre tout ce qui a été fait depuis neuf mois.

Non : nous aurons satisfait au premier de nos besoins politiques, au plus urgent, en sortant du provisoire pour nous constituer définitivement ; le temps fera le reste : le roi arrivera ; il pourra prêter son serment, et nous lui confierons nos destinées sous les obligations de la charte.

Et vous, honorables collègues, qui, dans l’exaltation de sentiments tout patriotiques, croyez devoir immédiatement recourir aux armes ; écoutez, je vous en conjure, des juges que vous ne pouvez récuser, des hommes qui ne connaissent que l'honneur, qui sont tout honneur ; écoutez ces braves des braves, ces POLONAIS enfin, nom qui n'a plus besoin d'épithète, il est fait pour en servir aux autres ; écoutez-les donc ; ils vous disent, ils vous crient : « Belges, constituez-vous, constituez-vous vous sans délai ! Belges, vous avez assez fait pour le moment ; vous avez assez fait pour votre patrie : permettez que deux grandes et généreuses puissances accourent à notre secours ; accourez-y aussi, et vous fortifierez votre cause, en servant la nôtre : Belges, venez sur les rives de la Vistule unir votre noble lion à notre aigle blanc, venez maintenant vaincre avec nous et encore pour vous. » J’ai dit. (C., supp., 5 juill.)

M. Van Hoobrouck de Mooreghem – Messieurs, l'article premier de la constitution désigne les provinces dont, à l'avenir, doit se composer le territoire de la Belgique ; vous les connaissez.

L'article 3, après cela, s'exprime ainsi : « Les limites de l'État, des provinces et des communes ne peuvent être changées que par une loi. »

Vous avez donc prévu le cas, messieurs, où il pourrait convenir ou être nécessaire de changer les limites de l'État par une loi ; votre qualité de pouvoir constituant vous en donne incontestablement le droit, et surtout lorsque vous ne pouvez encore vous dire que vous êtes définitivement constitués.

C'est donc, selon moi, étrangement abuser des mots que d'attacher le vernis du déshonneur à un acte que vous proposerait un de vos membres, dans les limites de cette constitution qui, seule, doit être la règle de votre vie politique.

C'est aussi abuser des termes que de prétendre, comme l'a fait hier un honorable membre de l’assemblée, que l'application pratique de l'article 3 (page 391) précité, à la circonstance grave où se trouve la Belgique, entraînerait, de nécessité rigoureuse, l’abdication des fonctions éminentes que, dans votre sagesse, vous avez déférées à celui de vos collègues que vous en avez jugé le plus digne.

Je ne vois donc nullement qu'en prononçant les paroles sacramentelles qui suivent : Je jure d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ; ni le vénérable chef provisoire que vous vous êtes donné, ni le chef définitif que vous vous donnerez, ne se prêteraient, comme on l’a prétendu, à une violation de votre constitution en concourant à réaliser l'objet de son article 3. Ces observations si simples me semblent devoir mettre à l'aise aussi tout membre de cette assemblée, qui, tout en respectant, comme de droit et de raison, toute opinion opposée à la sienne, vous proposerait, dans un intérêt bien entendu, et je dirai indispensable, une dérogation, dût-elle concerner une province entière, à l'article premier de votre constitution.

Un acte que la loi autorise, et que justifierait l’impérieuse nécessité sagement prévue par elle, ne peut donc jamais devenir un titre à déshonneur pour celui qui, avec une intention droite, en soumettrait l'adoption à votre sanction. Je pense, moi, que le déshonneur appartient tout entier à celui, parmi nous, qui, lié par un vote prononcé à la presque unanimité, s'isolerait de ses collègues, pour faire prévaloir par tous moyens, à tous risques et périls, un système que je nommerai antinational, puisque vous l'auriez antérieurement solennellement rejeté, et qu'en vous seuls, réunis en congrès, réside le pouvoir constituant.

Ces observations me semblent acquérir une nouvelle force lorsque je considère que la portion du territoire objet de la négociation proposée, et des échanges qui pourront en résulter, ne vous appartiennent pas et ne vous a jamais appartenu : car vous n'avez sans doute pas l'intention, messieurs, d’exhumer la mémoire, ni d'adopter l' exemple de cette célèbre chambre ardente de Louis XIV : il est rapporté que ce prince avait une armée prête à envahir successivement, en son nom, les provinces et territoires limitrophes à son royaume, sur lesquels ce prétendu tribunal de sa création entendait et déclarait par des arrêtés solennels lui reconnaître des droits.

Le résultat de ces honteuses spoliations vous est connu ; l'histoire est là pour vous dire qu'une coalition générale de l'Europe s'est élevée contre l’imprudent monarque, et que la fin de son règne a été marquée, malgré ses innombrables armées et le courage français, par l'humiliation que lui ont imposée les alliés ses ennemis, de promettre de leur procurer de l'argent pour les aider à ôter la couronne d'Espagne à son petit-fils.

Pardon, messieurs, de cette petite digression historique, elle m'a semblé se rattacher à mon sujet.

Je rentre dans la question du rejet ou de l'acceptation des dix-huit articles du traité qui vous est proposé.

D'après les observations par lesquelles j'ai débuté dans cette tribune, je me crois autorisé, messieurs, à vous présenter cette question sous tout autre point de vue que celui de l'honneur national ; je l'envisagerai dans ses conséquences matérielles.

Les partisans du rejet ne peuvent disconvenir que ce rejet n'entraîne inévitablement la guerre, car eux-mêmes ils l'appuient du cri aux armes ! J'admets leur opinion que nous n'aurions à combattre que la Hollande seule : ce serait par trop fort d'adresser aussi le cartel à la Prusse et aux autres.

J'admets aussi que nous avons en troupes bien exercées, disciplinées et toutes dévouées, soixante mille hommes, guidés par des chefs sûrs et expérimentés ; que nous avons un bon matériel de campagne et nos magasins bien fournis. Voilà, je pense, une assez large concession. Examinons maintenant la carte du pays que nous voulons envahir : avez-vous compté les forteresses que vous avez à prendre ? le nombre et la largeur des rivières que vous avez à franchir, et celui des combats que vous aurez à livrer avant de pénétrer dans le cœur de ce pays ? Nos villes belges ont déployé un courage admirable pour se défendre, les barricades et le dévouement héroïque de leurs habitants ont seuls fait les frais de cette noble et utile résistance.

Mais les Hollandais ont aussi le foyer domestique à protéger ; ils ont leurs remparts, leurs fossés de circonvallation, une artillerie réputée la plus belle de l'Europe, qui en défendent les approches ; ils appellent les inondations à leur secours. Aujourd’hui encore et depuis huit mois, ils vous bravent derrière les bassins de la citadelle d'Anvers.

En cas de nouvelle agression, même sur tout autre point, ils menacent de réduire en cendre cette belle cité, et ce que déjà ils ont fait vous répond de ce qu'ils feront encore ! Et à propos d'Anvers, et puisqu'on nous parle de patriotisme et d'honneur, y en a-t-il, messieurs, à ne pas craindre de compromettre et de sacrifier même l'existence d'une population de soixante et dix à (page 392) quatre-vingt mille âmes dont se compose cette ville ; la conservation du port le plus beau, le plus commode, le plus sûr de l'Europe ; des bassins, des écluses, des chantiers, des magasins et maisons construites à neuf, dont la dépense en constructions dépasse les 150,000,000 de francs ; d'une ville dont les débouchés, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de nos provinces, assurent à vos produits territoriaux et manufacturiers un écoulement indispensable et toujours constant ?

Et à quel effet pareils sacrifices ? Pour conserver le nom de Belge à une fraction de province le sixième de sa circonscription, qui n'appartenait pas à la Belgique, mais qui néanmoins, ayant concouru à notre émancipation, a des titres à notre sollicitude, et que nous sauverons, j'espère, quoi qu'il nous en coûte, par des échanges ou à prix d'or et d'impôts les plus onéreux,

Ah ! messieurs, lorsqu'à pareilles conditions j'aurai ainsi sauvé Anvers et le Limbourg, et qu'en même temps j'aurai épargné à ma patrie les horreurs d'une guerre peut-être générale ; lorsqu’'en m'imposant des privations et des efforts qui atteignent l'essence de ma fortune, j'aurai assuré à la Belgique le maintien de cette constitution, la sauvegarde de toutes ses libertés, constitution et libertés qu'une guerre aveuglément entreprise non seulement mettrait en péril imminent, mais nous conduirait, avec les territoires et les hommes que nous voulons sauver, à une humiliante et désastreuse restauration ; loin de moi alors, messieurs, de craindre de voir réaliser cette étrange et emphatique prophétie et le balbutiement de ces mots : Il a été membre du congrès, il a trafiqué de l'existence de ses concitoyens, il les a remis à leur ancien bourreau ! Non, messieurs, à tout jamais non ! tel ne sera pas le prix d'un dévouement désintéressé, non interrompu pendant l'espace de dix grands mois. Pareille ingratitude n'est ni dans le cœur, ni dans le sens droit du vrai Belge ; celui-ci dira à ses enfants : Voilà le membre du congrès qui nous a préservé de l'anarchie qui en juin 1831 déjà nous montrait sa tête hideuse ; voilà celui qui par son vote courageux a concouru, à travers les sifflets, les vociférations, les huées d'une populace égarée ou payée, à éloigner de son pays les dévastations, les pillages, le viol, l'incendie et les assassinats, l'affreux cortège d'une guerre dont les téméraires provocateurs ne voyaient eux-mêmes ni l'issue ni le terme ; voilà enfin celui qui a arrêté à nos frontières les armées étrangères prêtes à nous envahir, à nous démembrer, à nous accabler, à nous ravir à jamais le nom de Belge. Rappellerai-je ici les contributions militaires imposées en juillet 1794 à la seule ville de Gand par l'armée française libératrice ; elle s'annonçait ainsi : Sept millions de francs à payer en trois fois vingt-quatre heures. Tel individu, taxé 50,000 francs, après avoir payé cette somme, n'en fut pas moins enlevé à sa femme et ses enfants, conduit et retenu dans la citadelle d'Amiens pendant les quatre grands mois de l'hiver 1794 et 1795, avec deux mille prisonniers anglais. Et cela pour répondre du payement du restant des 7,000,000. Voilà, messieurs, entre cent autres, les doux fruits d’une invasion : je sais qu'il y en a, et non loin de nous, qui ne la craignent pas ; je dois croire qu’une somme de 50,000 francs est minime pour eux : leurs bons et nombreux amis sont là pour les aider… Je voterai pour l'acceptation des préliminaires qui nous sont proposés ; ils nous assurent pour la guerre comme pour la paix, une bannière de ralliement, et les bénédictions des vrais amis de leur patrie. (M. B., supp., 5 juill.)

M. Helias d’Huddeghem – Messieurs, si le ministère, abordant franchement la question, mesurant d'un regard ferme et assuré toutes les conséquences et toutes les nécessités de la révolution de septembre, venait nous dire que nous ne finirons jamais notre révolution tant et aussi longtemps que nous laisserons la diplomatie de la Sainte-Alliance arranger nos affaires, je verrais dans cette conduite du dévouement, de l'énergie ; je verrais des hommes à la hauteur des circonstances, et dignes, par la fermeté et l'étendue de leurs vues politiques, de la confiance de la nation ; mais telle n'est ni la marche, ni l'attitude du ministère.

C'est après huit mois d'hésitations, de faiblesses, de tergiversations, que le ministère, se couvrant de la non-responsabilité de deux membres du congrès, vient soumettre à notre assemblée l'acceptation de dix-huit articles que la conférence de Londres lui propose. Et pourquoi ? Pour conserver à peu près la même attitude, je le dis à regret, et pour flotter encore d'incertitude en incertitude. Messieurs, mon devoir, comme député de la nation, est de m'expliquer sans aucune réserve. Dans les circonstances présentes, le refus à l'adoption des articles proposés est une chose grave, je le sais ; je demande au congrès la permission de lui expliquer les motifs que j’ai d'appuyer la question préalable. Je le ferais sans déguisement, et dans le simple langage de la franchise et de la conviction.

Messieurs, il est triste de devoir vous rappeler le passé ; lorsqu'il s'agissait, le 31 de mai, de (page 393) l’élection du prince de Saxe-Cobourg, je vous disais qu’en procédant de suite à l'élection, nous placions Son Altesse Royale et nous-mêmes dans une fausse position, puisque les commissaires envoyés à Londres nous assuraient que le prince voulait, non la Belgique des protocoles, mais la Belgique de la constitution belge ; qu'ainsi le prince, d'après son aveu, ne voulait jurer notre constitution aussi longtemps que nos limites ne fussent réglées ; le décret que nous avons porté le 4 juin dernier établit bien positivement que le prince ne prendra possession du trône qu'après avoir prêté le serment de maintenir la constitution et l'intégrité du territoire, c'est-à-dire d'après l'article premier de la constitution, l'intégrité des provinces de Flandre, du Limbourg et du Luxembourg.

Il est bon de rappeler que la grande majorité de cette assemblée a déjà juré le maintien de la constitution et ainsi de l'intégrité du territoire.

Maintenant pouvons-nous nous occuper des dix-huit articles que la conférence nous propose, là où par l'article 3, le Luxembourg nous est contesté, par l'article 4, une partie de la province de Limbourg et la rive gauche de l'Escaut ?

Non, messieurs ; je vous dirai avec M. le ministre des affaires étrangères, lors du rapport fait le 18 mai dernier, quand il se justifia de l'accusation d’avoir proposé le 11 avril, quelques jours avant le départ de nos commissaires pour Londres, de modifier la constitution, notamment dans les dispositions relatives au serment du roi et à l'étendue territoriale de la Belgique, « que ce serait là non seulement une mauvaise action, mais encore une absurdité ! »

Lors de la discussion sur l'article 3 du décret, proposé par trois de nos honorables collègues, qui stipulait que, sans préjudice à la souveraineté, il fût mis temporairement dans la forteresse de Maestricht une garnison étrangère, combien cet article n'a-t-il pas été vivement combattu ! et après une longue discussion dans laquelle l'honorable M. Van de Weyer rappela une note verbale du comité diplomatique du 3 janvier 1831, contenant une protestation contre le renouvellement du système de 1814 et 1815, M. Van de Weyer nous lut entre autres le passage suivant : « Les commissaires envoyés à Londres sont munis d’instructions suffisantes pour être entendus sur toutes les affaires de la Belgique, et ils ne pourront laisser ignorer à la conférence que, dans les circonstances imminentes où se trouve le peuple belge, il paraîtra sans doute impossible que la Belgique constitue un État indépendant, sans la garantie immédiate de la liberté de l'Escaut, de la possession de la rive gauche de ce fleuve, de la province de Limbourg en entier, et du grand-duché de Luxembourg. »

Vous n'avez pas oublié, messieurs, qu'après un appel nominal chaudement réclamé, tous les membres du congrès national, les ministres qui sont en même temps députés y compris, rejetèrent l'article 3 du décret relatif aux négociations. Serait-il possible que ce qui fut rejeté il y a trois semaines à l'unanimité, passât aujourd'hui à la majorité ? cette contradiction serait trop forte, je ne la crains pas.

Messieurs, l'on vous a dit à satiété que les dix-huit articles en question contiennent en substance le protocole du 22 janvier, sauf néanmoins que nous sommes renvoyés à terminer nos affaires avec le roi de Hollande ; ainsi, à quoi bon nous occuper de la question de l'acceptation des propositions de la conférence ; si nous déclarons accepter les propositions, nous reconnaissons les prétentions du roi de Hollande sur le Luxembourg, une partie du Limbourg et la rive gauche de l'Escaut ! N'est-ce pas une mystification de la part de la conférence de nous renvoyer en ces termes à traiter avec le roi de Hollande ?

Il me paraît que nous devons dès à présent donner un démenti formel au roi de Hollande qu'il aurait des droits quelconques à la province de Luxembourg, à Maestricht et à la rive gauche de l'Escaut.

Messieurs, ne perdez pas de vue votre décret du 1er février, contenant protestation contre le protocole des cinq grandes puissances, du 20 janvier 1831. Nous avions alors le courage de dire aux grandes puissances que le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut avaient appartenu à l'ancienne Belgique, et s'étaient spontanément associés à la révolution belge de 1830 ; qu'en 1795 et postérieurement, la Hollande avait fait cession de la rive gauche de l'Escaut et de ses droits dans le Limbourg, contre des possessions dont elle jouit actuellement et qui appartenaient à l'ancienne Belgique.

Et certes, il appartient aux seuls Luxembourgeois et Limbourgeois de prononcer sur leur sort, à moins que, par une inexplicable contradiction, on n'entende leur refuser un droit que la conférence ne refuse pas jusqu'à présent aux autres Belges, celui de secouer le joug ; car si les Belges sont rentrés dans le premier droit, et qu'ils aient pu reprendre la couronne et la donner à un autre qui en fera meilleur usage, pourquoi refuserait-on ce droit aux habitants du Limbourg et du Luxembourg ? Tout au plus le roi de Hollande pourrait-il (page 394) intervenir en dénonçant la fin de l'armistice. Mais au lieu de redouter de sa part une telle détermination, les Belges doivent la désirer : cet armistice est la cause première de leurs souffrances.

Si au jour où il leur fut proposé ils eussent dédaigneusement rejeté le juste milieu, le problème de leur indépendance serait aujourd'hui heureusement résolu.

La conférence, dit-on, a enfin reconnu que son rôle est celui de médiateur, ce ne sont plus des lois qu'elle dicte à la Belgique. Eh ! messieurs, les Belges, qu'ont-ils gagné à une autre époque par une pareille médiation ? Joués alors comme ils le sont aujourd'hui par la diplomatie, depuis 1790 jusqu'au mois de juillet, on insinua aux Belges qu'ils n'avaient d'autre planche de salut que le retour sous leurs anciens maîtres, en rétablissant toutefois la joyeuse entrée. Alors aussi le peuple cria à la trahison ; mais la restauration succéda à la révolution, sans que le peuple eût retiré aucun avantage de sa révolution et de son sang versé.

Que cette leçon serve aujourd'hui au peuple, et à notre diplomatie, qui se laisse mener et nous mène à son tour !

Des griefs nombreux existaient contre le gouvernement du roi Guillaume, on en demanda le redressement : quelques-uns même de nos honorables collègues se distinguèrent à cette occasion pour appuyer cette demande ; mais ils firent en vain retentir leur voix aux États-Généraux. A la cour comme en province, les serviles et les suppôts de Van Maanen leur prodiguèrent les plus vils sarcasmes : ils n'étaient que des jacobins. Oui messieurs, je l'ai entendu répéter maintes fois.

Les masses s'indignèrent du peu de succès des pétitions. Après quinze années de joug et d'oppression, la liberté s'est réveillée glorieuse et triomphante, appuyée sur la justice et le bon droit ; à son aspect, le despotisme a fui de notre beau sol, laissant après lui les traces honteuses de son injustice et de sa rapacité.

Alors toutes les classes de la société n'avaient qu'un sentiment : le noble comme le bourgeois endossant la terrible blouse, le fusil sur l'épaule, chassaient partout l'ennemi ; Berchem vit tomber le brave Frédéric de Mérode ; ni le pont de Walhem, ni la forteresse d'Anvers, ces formidables positions en temps de guerre, ne pouvaient arrêter des citoyens qui combattaient pour leur indépendance contre les soldats qui se battaient pour une solde.

Si on avait laissé faire les volontaires belges au mois d'octobre, c'en était fait de l'ennemi. Nous entrions dans le cœur de la Hollande même, dicter les conditions de notre indépendance, s'il l'avait fallu. Malheureusement l'adresse des cabinets a su arrêter un bras vigoureux. L'armistice est arrivé : nous l'avons assez pleuré, et on ne peut plus revenir là-dessus. Mais réparons an moins notre faute. Jetons un regard sur la Pologne. Le généreux désespoir des Polonais obtient des succès inespérés ; c'est folie disait-on il y a trois mois, que cette résistance d'un peuple sans agents de change et sans capitalistes ; cette résistance peut nous compromettre.

La Providence en avait autrement décidé. Le peuple héroïque que délaissaient les autres peuples a eu foi en elle, et elle s'en est souvenue. Ce peuple avait aussi à défendre la religion de ses pères dans sa nationalité. Voyez ces prêtres qui le mènent au combat, ces femmes qui se pressent autour des blessés, cette inébranlable résolution de vaincre ou de mourir, ces secours prodigués au malheur d'un ennemi désarmé ; cet abandon de toute espérance humaine, ce calme au milieu de tant de périls. Dans les temps anciens et modernes, on chercherait vainement quelque chose de plus beau que les trois derniers mois de l’histoire de la Pologne : quelle que soit l'issue de cette terrible guerre, l'honneur du moins n'en appartiendra pas au colosse du Nord. Il a tremblé sur ses pieds d'argile à la violence des coups qui lui ont été portés.

J'ai entendu répéter autour de moi que le maintien de la paix dépendait de l'acceptation des dix-huit articles : erreur, messieurs ; la guerre est inévitable, car ne vous imaginez pas que vous obtiendrez un pouce de terrain du roi Guillaume sans recourir aux armes. Je dirai même qu’après l'acceptation des propositions, si vous faites la guerre, l'on sera en droit de vous dire que vous voulez faire des conquêtes. Car, convenons-en de bonne foi, les dix-huit articles établissent que nous n'avons aucun droit à Maestricht, à la rive gauche de l'Escaut et à la province du Luxembourg.

Je termine, messieurs ; j'en ai dit assez, je l’espère, pour vous convaincre que j'agirais contre mon opinion et ma conscience, si je ne protestais contre la mise en délibération des dix-huit articles de la conférence. (Applaudissements.) (M. B., supp., juill.)

M. Delwarde – La politique du gouvernement français a arrêté l'établissement du régime républicain dans l'Europe entière. Placés au milieu de puissances qui nous sont supérieures en forces, il nous est impossible d'avoir une politique qui nous soit entièrement propre. C'est une (page 395) nécessité à laquelle nous devons nous soumettre. Ceux qui rejettent ces considérations ont-ils bien pesé les résultats d'une guerre avec la Hollande ? Supposons que les grandes puissances nous laissent vider seuls notre querelle avec la Hollande, et que nous n'ayons pas de guerre générale, après avoir sacrifié nos hommes et nos fonds pour quelques villages, après avoir ruiné le pays... (Sifflets et cris divers dans les tribunes.) Il est bien plus probable que nous aurons une guerre générale. Car ni la Prusse, ni l’Angleterre, ni l'Autriche, ne souffriront que nous fassions la guerre à la Hollande, et que nous devrons faire alors un appel à la nation française. Il en naîtra une lutte entre la France et les autres puissances, dont notre pays souffrira le plus. Mais quelle en sera l'issue ? Si la France est victorieuse, nous devenons département français, si la France succombe, nous aurons la restauration. (Huées dans les tribunes.) (J. B., 4 juill.)

- Plusieurs députés quittent leurs places et demandent l'évacuation des tribunes. (J, B., 4 juill.)

M. Van de Weyer – Messieurs, le congrès représente ici la nation. Chacun de ses membres a le droit de s'expliquer avec liberté , et je déclare qu’il y a de la part des tribunes violation du respect qu'elles doivent à l'assemblée nationale. (M. B., 4 juill.)

- Voix dans la tribune publique – Vive la minorité ! (M. B., 4 juill.)

M. Van de Weyer – Pour moi, quelle que fût ma résolution touchant le vote négatif à émettre la proposition de la conférence, je suis et dois être libre de l'exprimer, et je ne permettrai jamais que l'on vienne par des clameurs comprimer l'expression de mon opinion. Je demande donc que le président fasse respecter les membres du congrès, et qu'il fasse évacuer les tribunes si le scandale qu'elles viennent de donner se renouvelle. (M. B., 4 juill.)

M. le président (M. Raikem) envoie chercher le commandant du poste. Pendant ce temps les gardes civiques placés à la tribune réservée veulent faire sortir un individu qui avait sifflé. On crie de plusieurs côtés : A bas les baïonnettes ! A bas les baïonnettes ! L'agitation est comble.

- Un officier supérieur de la garde civique est introduit. (M. B., 4 juill.)

M. le président, debout – Ici le congrès représente la nation, chaque député est libre d'exprimer son opinion comme il l'entend. Malheur à une assemblée dont les discussions ne seraient pas libres ! malheur à une nation qui ne saurait pas respecter ses représentants ! Les bons citoyens qui sont dans les tribunes comprendront, je l'espère, qu'il est de leur devoir et de leur honneur, et de l'intérêt de la nation, que les députés du congrès soient libres lorsqu'ils discutent les plus graves intérêts du pays. A l'officier supérieur - Nous avons toute confiance dans la garde civique ; vous, monsieur, si le tumulte recommence, je vous invite, au nom du congrès national, à faire évacuer les tribunes. (M. B., 4 juill.)

L'officier, en saluant – La garde civique répondra aux vœux de la nation. ( Bravo ! bravo ! applaudissements.) (M. B., 4 juill.)

M. Delwarde, continuant son discours – Supposons que notre appel à la nation française ne produise aucun résultat, dans ce cas la Belgique sera occupée par les armées étrangères, et partagée. Le commerce est dans la stagnation la plus complète, la nation est accablée d'impôts ; pour faire la guerre, il faudra de nouvelles contributions ; il faudra ôter au malheureux laboureur sa dernière croûte de pain. Il est évident que l'Angleterre ne s'alliera jamais avec la France que pour autant qu'elle ait la garantie que la Belgique ne sera pas au pouvoir des Français. Cette alliance pacifierait et reconstituerait la Pologne. Si nous faisons la guerre à la Hollande, il ne faut plus songer à une union entre la France et l'Angleterre, et la Pologne succombera.

Je ne crois pas que nous devions déroger à la constitution pour accepter les préliminaires. D'abord, nous gardons le Luxembourg. On dit qu'ils ne contiennent autre chose que les protocoles : je répondrai qu'on ne nous fait ici que des propositions. Quant à Venloo, je pense que l'acceptation du prince de Saxe-Cobourg est un moyen de conserver cette ville. S'il n'avait pas cru que c'était possible, il ne se serait pas prêté à la combinaison. L'Angleterre a le plus grand intérêt à rendre la Belgique florissante ; c'est la seule barrière contre la France. (J. B., 4 juill.)

M. de Tiecken de Terhove – Moi aussi je désire de voir clore la révolution, de voir mon pays définitivement constitué, de voir les Belges prendre rang parmi les nations de l'Europe, de conserver la paix avec nos voisins et de recueillir ainsi les fruits des sacrifices que nous avons faits.

Le duc de Saxe-Cobourg, dont les qualités personnelles sont reconnues et appréciées, qui a vécu longtemps dans un pays libre et qui a pu se façonner aux allures constitutionnelles, en montant sur le trône de la Belgique, pouvait sans doute. de concert avec les représentants de la nation, (page 396) travailler efficacement à son bonheur ; mais, messieurs, ce prince n'accepte la couronne que nous lui offrons que sous la condition que nous acceptions les propositions de la conférence, c'est-à-dire que nous abandonnions une partie du Limbourg et la rive gauche de l'Escaut. Je dois le déclarer ici, messieurs : ces conditions, je ne puis les accepter. Député du Limbourg, je ne puis sans crime répudier mes compatriotes, cette population qui a eu les mêmes griefs, qui a pris part à l'insurrection, qui s'est armée pour défendre la patrie, dont les enfants sont dans les rangs de notre armée, qui a payé les contributions par anticipation, sur laquelle on a levé une part de l'emprunt forcé, qui a partagé toutes les charges, fait tous les sacrifices pour conquérir sa liberté ; cette population, au patriotisme de laquelle on a fait maints appels tant qu'on croyait en avoir besoin, aujourd'hui on veut la renier. Pour moi, je ne puis souscrire, je ne souscrirai jamais à les faire rentrer sous une domination à laquelle, comme nous, ils se sont violemment soustraits ; si je le pouvais, et à Dieu ne plaise ! je déchirerais mon propre mandat, je me déclarerais un intrus dans cette assemblée. Élu par mes concitoyens de l'arrondissement de Maestricht, dans lequel est compris en grande partie le pays nommé, il y a quarante ans, pays de la généralité, si nous reconnaissions que ce pays n'appartient point à la Belgique, nous déclarerions que ses habitants, non seulement n'avaient pas qualité d'électeurs, mais qu'ils étaient des étrangers qui ne pouvaient avoir rien de commun avec nos élections. Je dirai plus, messieurs : tout ce que nous avons fait, notre constitution, nos lois, tous les actes enfin du congrès auraient perdu leur caractère de légalité, puisque des hommes que vous déclarez n'avoir pas été Belges ont concouru aux élections ; je le répète, nous serions des intrus, notre mandat n'aurait plus aucune valeur. Jamais je ne donnerai mon assentiment à un tel acte : s'il pouvait obtenir celui de la majorité, je cesserais dès cet instant de siéger dans cette assemblée. (M. B., 4 juill.)

M. Gendebien (père) – Messieurs, réunis en congrès, chacun de nous, revêtu d'un mandat dénué d'instructions, puisera ses motifs dans sa raison éclairée par de nombreux précédents, et par la sagesse et le calme des débats.

Cinq grandes puissances proposent des préliminaires, nous devons en délibérer ; je me propose de les accepter.

Une de ces puissances nous a promis, avec serment, en 1794, de maintenir l'intégrité de chacune de nos provinces, et d'en consolider la confédération. Ses augustes aïeux, Marie-Thérèse, Charles VI et Charles-Quint, avaient donné les mêmes garanties à nos pères, nommèment ces deux derniers, par leurs pragmatiques sanctions de 1736 et 1512, jurées solennellement, dans le sein de nos États Généraux, convoqués expressément dans la résidence de Bruxelles.

Le royaume des Pays-Bas, constitué et délimité, le 20 septembre 1815, à la face du ciel, et en regard du palais où nous délibérons, a reçu une circonscription européenne ; le royaume de Hollande recouvrera ce qu'il possédait en 1790 ; le surplus dont le duché de Luxembourg fait partie, formera le royaume de la Belgique ; mais le tout avec les modifications consignées dans l'article 5.

La souveraineté de Maestricht était mi-partie. Les traités en font preuve, et les recueils de Louvrex et de Méan ne laissent à cet égard aucun doute.

Une prévoyance plus grave que les considérations que je viens d'exposer achèvera de fixer mon vote d'acceptation : l'insurrection est terminée ; des hostilités, désormais, constitueraient l’état de guerre. Notre nation, sans doute, fut et sera toujours belliqueuse et brave ; mais en faisant la guerre, j'estime que nous susciterions contre nous les armées de nos puissants médiateurs, et peut-être une conflagration générale.

Charles II, roi d'Espagne, avait juré solennellement aux provinces de Brabant, de Limbourg et de Luxembourg, à son inauguration, d'en maintenir l'intégrité inviolablement ; et cependant, au traité de Munster de 1648, il a fait des sacrifices de pays, détachés de chacune de ces provinces ; il avait fait le même serment aux provinces de Hainaut et de Namur, et par le traité d'Aix-la-Chapelle de 1668, il a cédé à Louis XIV des portions de ces deux provinces, sacrifices sans lesquels il n'aurait pas obtenu cette paix.

L'état de paix sans doute est préférable ; mais l'état de guerre est possible et doit être prévu. Toute guerre attend et appelle la paix ; d'où il suit que le droit public d'un pays ne doit pas être entendu dans un sens exclusif de paix durant l’état de guerre.

Faire la paix, c'est transiger ; or, il est de l’essence de toute transaction qu'il y ait des sacrifices et des compensations.

Je voterai pour admettre comme points d’armistice et de préliminaires de paix, dont la négociation sera ouverte incontinent, les dix-huit articles objet de notre présente délibération.

J'ai dit. (M. B., 4 juill.)

M. Gelders – Messieurs, je viens dire (page 397) aussi un mot sur le vote que je vais émettre.

Je pense que je commettrais une lâcheté en votant l'abandon d'une partie de ma province, dont les habitants sont Belges comme vous, et qui ont si noblement coopéré à faire notre révolution.

On vous a dit, messieurs, qu'après ce malheureux abandon, un échange pourra se faire du territoire abandonné contre Berg-op-Zoom, Ravenstein, etc. Non, messieurs, nous n'aurons jamais ces pays, et si effectivement un échange doit avoir lieu pour régler les limites de la Belgique avec la Hollande, ce que je ne pense pas, alors on devra le faire contre une autre partie de la province du Limbourg. Et qui doit consentir à cet échange ? ce sont à coup sûr les chambres à élire par le peuple belge. Vous voudriez donc, d'après ma manière de voir faire commettre une autre lâcheté par les représentants de la nation ! Non, messieurs, ses représentants, si cela dépend d'eux seuls, n'abandonneront jamais leurs compatriotes contre une population devenue hollandaise.

Messieurs, j'ai ma demeure et mon existence dans le pays que vous êtes sur le point d'abandonner. Vous savez que je suis Belge dans l'âme, et si je suis recherché pour mes opinions, je perdrai peut-être cette existence. Si donc ce malheur tombe sur moi et sur ma famille, alors, messieurs, je devrai venir vous demander une autre existence, me croyant toujours Belge, mais injustement abandonné par vous. Car dussé-je souffrir la plus profonde misère, je ne ferai jamais cette demande à une autre nation. Voilà la position dans laquelle vous placez vos frères et vos concitoyens ! Enfin, je n'ai pas besoin de vous dire, comme mes honorables collègues du Limbourg, que par l'abandon d'une partie de ma province, mon mandat tombe, vous le savez très bien, car alors vous le déchirez vous-mêmes lâchement, et cela pour récompenser mon patriotisme et celui de mes commettants. Je vote pour la question préalable et contre les dix-huit articles, humiliants pour les Belges. (M. B., 4 juill.)

M. Zoude (de Saint-Hubert) – Il suffit de mettre les préliminaires en regard des protocoles pour y voir que ce qui était décidé dans ceux-ci est remis en question. La question de la dette est résolue à notre avantage, nous aurons des enclaves situées en Hollande à échanger contre les territoires contestés. La Hollande a besoin d'être compacte, elle recevra nos offres. Je vote en faveur de la proposition. (J. B., 4 juill.)

M. Jean Goethals – Messieurs, comme au 4 juin, j'appellerais encore de tous mes vœux le prince auquel je donnais ma voix à cette époque. Mais aujourd'hui comme alors, toujours guidé par l'amour de mon pays, je protesterai de toutes mes forces contre ce système injuste et humiliant que la conférence de Londres a adopté comme principe, et qu'elle ne cesse de suivre contre nous.

Pour justifier ce double vote, messieurs, je n'ai qu'à recourir aux paroles du prince même, que nous avons si bien jugé digne de régner sur nous. « Les destinées humaines, nous dit-il, n'offrent pas de tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à maintenir l'indépendance d'une nation, et à consolider ses libertés. »

Si une mission d'aussi haute importance peut seule décider le prince à venir parmi nous, croirez-vous, messieurs, qu'il en sera de même lorsque vous n'aurez plus à lui offrir qu'un trône souillé au jour de sa naissance, et les tristes apanages de la Belgique des protocoles ?...

Que ceux qui prétendent avoir le désir de concilier les difficultés qui arrêtent la conclusion des affaires de la Belgique, cessent de nous traiter en rebelles, et ne sacrifient pas nos intérêts et nos droits à un pays qui trop longtemps emporta de nous les dépouilles opimes !... Alors seulement les représentants de la Belgique pourront croire que leur pays est libre et indépendant, et alors ils en offriront avec honneur la couronne, parce qu'elle. sera sans tache.

Je ne vois pas assez, messieurs, régner ces principes généraux de loyauté et de justice dans les préliminaires de paix qui nous sont offerts, pour oser m'y livrer avec une confiance aveugle : ma conscience de député et la gloire de mon pays me défendront donc de les adopter. (M. B., 4 juill.)

M. Defacqz – Messieurs, autant qu'un autre je désire voir la révolution arriver à son terme ; mais je ne veux la clore qu'à une condition : c'est que la fin soit digne du principe, c'est que l'indépendance de la patrie et la constitution nationale, qui en ont été le but, en demeurent aussi à jamais les fruits glorieux.

Je viens donc protester de toute la puissance de ma volonté, avec toute l'énergie d'un vrai patriote belge, contre l'acceptation des préliminaires de la conférence de Londres. Je repousse ces propositions qui remettent en question et ce que la révolution a décidé, et le principe même de la révolution ; qui transportent à la conférence la plus importante des attributions du congrès ; qui font détruire par le congrès même ce qu'il a accompli de plus grand, de plus généreux ; qui lui font renier ses actes les plus solennels ; qui impriment sur lui et sur la nation qu'il représente une tache que rien ne saurait effacer.

(page 398) Je les repousse, ces propositions où la conférence, dépouillant enfin ouvertement son caractère de conciliatrice officieuse, se constitue partie intéressée au traité et stipule directement contre la Belgique, qui n'a rien de commun avec elle.

Pour appuyer cette résistance, je ne dois rappeler que les antécédents du congrès, notre mandat, nos engagements, nos actes.

Lorsqu’à l'appel du gouvernement provisoire, toutes les provinces qui s'étaient associées à la révolution et l'avaient scellée de sang, envoyèrent leurs députés au congrès national, l'assemblée vérifia tous les pouvoirs, reconnut pour Belges ceux qui en étaient porteurs, et les admit dans son sein.

Toutes ces parties de territoire ainsi représentées formèrent un traité d'alliance intime, d'indissoluble union ; le premier des articles de la constitution le proclama à la face de l'Europe, et les applaudissements unanimes de la nation belge le sanctionnèrent.

Ce ne fut donc point arbitrairement, comme on a osé le dire, que nos limites furent tracées, mais avec le concours des véritables parties intéressées ; ces parties étaient, d'une part, les provinces qui s'étaient affranchies en vertu du droit naturel d'insurrection contre le despotisme ; de l'autre, les provinces avec lesquelles elles s'unissaient pour former un tout indivisible.

Eh bien, tout cela s'est fait en vain. D'un mot la conférence méconnaît tout, détruit tout. C'est elle qui se charge du soin de fixer votre territoire ; elle décide à l'article 2 de ses préliminaires comment la Belgique sera formée. Elle vous enlève, pour les livrer aux chances des négociations, une province entière, une partie importante d'une autre, et ne daigne pas même considérer comme dignes d'occuper la diplomatie nos prétentions sur un troisième point.

Ne croyez pas, cependant, que ce soit le fait en lui-même qui intéresse la conférence : c'est le droit qui en est le principe qu'elle veut anéantir.

Les vieilles monarchies, les gouvernements absolus, ne devaient pas permettre que l'on pût dire qu'un peuple en Europe s'était constitué lui-même. Non, vous n'aurez pas cet honneur ; il faut que vous alliez chercher au bureau de la conférence de Londres, que vous receviez d'elle aveuglément votre diplôme de peuple indépendant, afin que la magnanimité des puissances soit louée ; afin que l'histoire dise un jour : « Si la Belgique existe comme nation, c'est parce que le protocole du 26 juin 1831 a daigné la constituer. »

Il faut que la conférence compte bien sur notre faiblesse, sur notre lâcheté, pour nous adresser de pareilles propositions ! Et qui peut lui inspirer tant de confiance ? A-t-elle oublié notre protestation du 1er février, cette protestation énergique et fière où le congrès, s'élevant à la hauteur de son mandat, répondit à un langage menaçant ces paroles dignes du peuple libre qu'il représentait : « Le congrès n'abdiquera dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, l'exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confiée ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l'intégrité du territoire et mutilerait la représentation nationale. »

Ne sait-elle pas l'enthousiasme qui accueillit la proclamation adressée aux Luxembourgeois par notre vénérable régent, ce modèle des patriotes belges ? Ignore-t-elle que naguère encore, dans la séance du 2 juin, le congrès repoussa à l’unanimité la seule idée d'admettre une garnison mixte dans Maestricht, dans ce même Maestricht dont elle ose vous demander pour l'ennemi la possession provisoire, comme si nous ne savions pas ce que c'est que le provisoire en diplomatie ! Ne serions-nous plus ce congrès qui sut parler et agir ainsi ? serions-nous capables de trahir ces nobles antécédents ? Non, et pour moi le doute seul est déjà une injure.

Que si les sentiments d'honneur et de patriotisme qui nous dominaient alors étaient aujourd'hui moins puissants sur nos âmes, au moins nous ne serions pas sourds à la voix de la justice, à celle de l'humanité. Eh bien ! je demanderais de quel droit nous disposerions du sol, de la nationalité, de l'existence de nos frères du Luxembourg et du Limbourg ; à quel titre nous déchirerions le pacte d'alliance fait avec eux ; à quel titre nous les exclurions, contre leur volonté, d'une société qu'ils ont formée avec nous et qui ne peut être rompue que par le consentement unanime toutes les parties intéressées ; je demanderai si ces principes de justice qu'un particulier ne peut violer sans infamie, qui seraient notre loi si nous ne représentions que quelques individus, peuvent être librement foulés aux pieds parce que nous en représentons un grand nombre.

L'intérêt des autres provinces, cet intérêt que l'on nomme la loi suprême, ne justifie pas même en apparence la violation de ces principes sacrés ; car, loin de consolider l'édifice que nous venons (page 399) d’élever, elle l'ébranlerait jusque dans ses fondements. Acceptez en effet les propositions de la conférence, et que l'issue des négociations (ce qui n’est que trop facile à prévoir) vous enlève définitivement les territoires contestés, leurs députés, qui siègent aujourd'hui dans notre assemblée et que vous en aurez chassés, perdront et leur mandat et jusqu'au nom de Belges ; ils n'auront jamais été que des étrangers pour les Belges ; parmi nous, que des intrus ; et le vice de leur présence affectant les délibérations auxquelles ils auront participé, que deviendront les résolutions où le poids de leur vote aura peut-être emporté d'un côté la balance qui inclinait de l'autre ?

Quel sera le sort de l'élection du roi, à laquelle ils ont concouru ? Craignez, en laissant planer un nuage sur la validité de ce grand acte, craignez de fournir à de coupables espérances un éternel aliment ; si vous voulez affermir le trône que vous érigez, gardez-vous de l'asseoir sur un terrain mouvant ; prenez soin surtout d'en bien assurer la base et de la prémunir contre toute secousse.

Encouragée par la docilité que sans doute elle attend de nous, la conférence ne se borne plus au rôle de la soi-disant médiation philanthropique, elle ne se contente plus de faciliter la solution de nos différends avec la Hollande : elle devient partie au traité, et, en son nom propre, elle impose à la Belgique une neutralité perpétuelle ; elle assigne au port d'Anvers une destination spéciale et exclusive : et ce ne sont pas là des propositions accessoires, indépendantes du principal ; car si l’une d'elles seulement est rejetée, l'acte entier est comme non avenu ; tant est grand le désintéressement de nos conciliateurs, qu'ils font dépendre le sort de la négociation d'une condition qu'ils y ajoutent dans leur intérêt particulier.

Je n'examinerai point s'il est avantageux à la Belgique de former un État neutre comme on le propose ; s'il est utile pour elle que le port d’Anvers soit condamné à n'être jamais que port de commerce. Ces questions, que l'on vient de nous jeter brusquement à la tête pour les emporter à l’aide du reste, sont pour le pays d'un si haut intérêt, que je n'aurai pas la témérité de les décider sans en avoir fait l'objet d’une profonde méditation. Toutefois je dirai qu'à la première vue, je ne découvre pas l'avantage d'une position telle, que si l'on assassinait sous vos yeux votre voisin, votre meilleur ami, vous seriez obligé de le laisser égorger lorsque vous pourriez le secourir et peut-être le sauver !

Qu'est-ce d'ailleurs que cette neutralité ? un frein ; oui, mais pour vous seulement qui êtes faibles, et à qui on le fera sentir lorsque, fatigués de tentatives d'arrangements inutiles auprès de Guillaume, vous voudrez enfin trancher les difficultés par le sabre. Mais pour vos puissants voisins, c'est un vain mot, Une convention inutile dans la paix, dérisoire au jour des combats ; car, vienne la guerre, chacun violera votre territoire neutre aussi souvent que l'exigeront ses combinaisons militaires.

Voilà donc tout ce que nous avons à attendre de l'état bâtard où l'on veut nous réduire. Faiblesse et humiliation ! Je ne serai point coupable de cet autre assujettissement de mon pays, et comme le congrès l'a fait dans une circonstance solennelle, en réponse à des propositions de nature analogue, je m'en tiens au décret qui a proclamé l'indépendance du peuple belge.

Vous voulez donc la guerre ! s'écrie-t-on. Eh bien, quand je voudrais la guerre, quand je voudrais, les armes à la main, défendre notre ouvrage, qui pourrait m'en faire reproche ? Ne serais-je pas conséquent avec moi-même ? Lorsque nous avons voté, avec l'assentiment de la nation, l'indépendance de la Belgique et la constitution qui détermine son territoire, nous n'avons pas agi en aveugles, nous avons calculé toutes les conséquences de nos mesures ; nous avons prévu la guerre, car nous connaissions les prétentions de la Hollande et la résistance que promettait l'opiniâtreté de son chef. Si nous avons passé outre, si nous nous sommes offerts à la lutte quand, menacés au dehors, agités au dedans, nous avions pour tous moyens d'attaque comme de défense le courage inexpérimenté de nos belliqueuses populations, reculerons-nous aujourd'hui que nous avons sur pied de nombreux bataillons déjà formés aux combats, et dont l'ardeur peut à peine être contenue, et que notre vaillante garde civique, enfin organisée, brûle de partager les triomphes de l'armée ?..

D'ailleurs, vous que semble épouvanter l'idée d'une courte campagne contre la Hollande, êtes-vous bien sûrs que les propositions de la conférence donneront la paix au pays ? craignez plutôt qu'elles n'y apportent des fléaux plus cruels cent fois que la guerre avec l'étranger, l'anarchie et la guerre civile. Pensez-y bien encore, ne vous bercez pas d'une dangereuse illusion, et mesurez la terrible responsabilité d'un vote qui, contraire à tous vos antécédents, ne trouverait point d'excuse.

Moi-même, cependant, je ne veux pas la guerre, si on peut honorablement l'éviter ; et la conférence aurait pu nous en offrir le moyen, si elle avait (page 400) voulu s'expliquer sans détour et aller droit au but. Elle nous parle, dans l'article 5 de ses préliminaires, d'enclaves que les parties posséderaient sur leurs territoires respectifs. Elle semble considérer l'échange de ces enclaves comme une chose toute naturelle, qui se fera, pour ainsi dire, d'elle-même, et satisfera toutes les exigences. Puisqu'elle est si bien instruite des droits des parties, qu'elle a tant à cœur de les concilier, il fallait ne pas s'arrêter à cette simple indication, mais pousser l'obligeance un peu plus loin, préparer l'échange, et nous le proposer quand les éléments en auraient été bien connus et les conditions nettement posées.

Alors nous pourrions délibérer en connaissance de cause, sans courir le risque de lâcher niaisement la proie pour l'ombre, en perdant ce que nous aurons cédé, sans atteindre ce que nous aurons cru nous appartenir. Alors, si la négociation échoue, nous ne serons pas exposés au juste reproche de légèreté et aux imprécations des populations que notre imprudence aura sacrifiées.

Il y a d'ailleurs une raison décisive pour en agir ainsi : c'est que si un échange est possible, la conférence y déterminera le roi Guillaume bien plus facilement que nous ne le ferions nous-mêmes ; car non seulement il est douteux qu'il consente jamais à traiter avec ceux que son aveugle orgueil s'obstine à nommer des sujets rebelles, son caractère connu rend, en outre, trop probable l'impossibilité de tout arrangement amiable.

Je voudrais donc qu'en écartant les propositions de la conférence, ou, si l'on veut, qu'avant de prendre à leur égard un parti définitif, on éclaircît la question des enclaves, et que la possibilité qu'on nous fait entrevoir de conclure un échange fût convertie en une proposition formelle d'échanger telles et telles parties de territoire contre telles et telles autres parties. Jusque-là je repousserai comme un piège qui recèle à la fois ignominie et iniquité, le dernier acte du Foreign Office, je le repousserai pour accomplir le mandat que je tiens de la révolution. Ainsi, mon front n'aura jamais à rougir au nom de Luxembourg, de Venloo, de Maestricht ; ainsi ne tomberont jamais sur moi les paroles qui ont retenti hier dans cette enceinte, et qui deviendront populaires, ces sanglantes paroles : IL ÉTAIT DU CONGRÈS, IL A VENDU SES FRÈRES ! » (Applaudissements dans les tribunes.) (M. B., supp. 9 juill.)

M. Cruts – Messieurs, la question préalable n'est pas pour moi le fond ; tout en votant pour son rejet, je n'entends aucunement me lier dans la délibération ultérieure sur l'importante proposition que nous ont soumise les honorables MM. Vau Snick et Jacques, si cette proposition doit entraîner pour une partie de mes commettants la perte de la qualité de Belge.

Député du Limbourg, je porte autant intérêt à mes commettants que qui que ce soit. Je ne pense pas que mon mandat s'étende jusqu'à renoncer pour une partie d'entre eux à la qualité de Belge. Mais est-ce une raison pour s'exposer, sans une entière connaissance de cause, à provoquer une conflagration générale qui pourrait nous faire perdre à tous cette qualité ?

La guerre plutôt que le déshonneur, telle est aussi ma devise ; mais la guerre le plus tard possible et lorsque le pays ne nous permettra plus d'autre moyen de consolider l'État.

Deux de nos honorables collègues vous ont fait hier et aujourd'hui un tableau qui nécessairement a dû vous émouvoir sur le sort des malheureux habitants de Venloo, qu'on sacrifierait à la conservation commune ; mais avant de nous laisser aller au sentiment qu'ils ont voulu nous inspirer, examinons, messieurs, si réellement pareil malheur est inévitable.

En cherchant à parler à vos cœurs plutôt qu’à vos esprits, il ne me serait pas difficile de vous présenter, d'une part, le tableau effrayant des horreurs d'une guerre instantanée, et de l'autre les regrets tardifs de ceux qui y auraient entraîné le pays avant d'avoir fait tout ce qui était en eux pour l'empêcher ; mais ce n'est pas à votre sensibilité, c'est à votre raison que je veux en appeler ; je viens vous demander de faire, pour la proposition la plus importante peut-être qui vous est soumise en ce moment, ce que vous êtes dans l'usage de faire sans qu'on vous en prie pour le moindre des objets soumis à vos délibérations.

Eh quoi ! une disposition transitoire tendant à empêcher que des collèges qui ne pouvaient plus se compléter ne se réunissent encore au premier mardi de ce mois, a passé par toutes les épreuves voulues par votre règlement, et une proposition dont le rejet comme l'admission intéresse au suprême degré l'honneur et le bien du pays serait écartée par une fin de non-recevoir ! ! Je ne puis le croire, messieurs, et le calme de la réflexion vous empêchera de prendre pareille décision. Quant à moi, alors même que mon opinion serait entièrement formée, alors même que je croirais devoir voter pour le rejet de toutes les propositions que nous a faites la conférence de Londres, je voterais pour le rejet de la question préalable et je demanderais le renvoi des propositions qui nous ont été soumises hier en sections, par cela (page 401) seul, messieurs, que je ne voudrais pas qu'il fût dit que, dans un débat aussi grave et en présence d’intérêts aussi majeurs, j'aurais contribué à emporter un décret qui n'eût pas été pour tous le résultat de l'examen le plus approfondi.

Ce que j'ai à dire sur la question préalable justifiera amplement ce que je viens d'énoncer sur la nécessité du renvoi en sections, des propositions soumises.

Le fondement de la fin de non-recevoir proposée par l'honorable M. de Robaulx est, selon lui, l’inconstitutionnalité des propositions ; et cette inconstitutionnalité, il la fonde sur ce que, d'après lui, l'acceptation des propositions de Londres entraînerait nécessairement la perte de Venloo ; il s’agit donc ici d'une question de droit et d'une question de fait.

Je ne reproduirai pas ce qui a été dit hier sur la question de droit, votre omnipotence parlementaire me paraît sur ce point complètement démontrée ; j'ajouterai seulement que si, dans des débats de cette importance, on voulait empêcher toute délibération sur des cessions ou des échanges, en se prévalant de l'article premier de la constitution, on devrait commencer par en rayer le soixante-huitième article, qui les autorise.

Mais je vous demanderai s'il est bien vrai, en fait, que la perte de Venloo soit la suite nécessaire de l'acceptation des propositions de Londres ? L’honorable M. Nothomb nous a démontré que, par suite des articles 1er et 2 des dix-huit propositions, nous avions droit à toutes les parties de l’ancien royaume des Pays-Bas, qui, en 1790, ne faisaient pas partie de la Hollande, et celui des ministres qui n'a pas craint d'assumer la responsabilité des propositions faites par MM. Van Snick et Jacques, nous a dit que les portions de territoires qui devaient nous revenir, par suite de la combinaison de ces articles, étaient plus que suffisants pour balancer les prétendues restitutions que nous aurions à faire dans le Limbourg ; l'honorable M. Barthélemy a pu se faire illusion, cela est possible ; mais personne ne peut révoquer sa bonne foi en doute, et le moins que nous puissions faire, lorsqu'un ministre comme lui assume la responsabilité d'une proposition, est de ne pas la rejeter sans examen ; il a fait figurer sur des cartes particulières ces portions de territoire auxquelles nous aurions droit, il a fait des calculs sur leur importance ; mais l'examen de ces cartes, l’appréciation de ces calculs ne peuvent convenablement être faits qu'en sections, et la discussion publique, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de pareil examen, ne pourra guère jeter de jour sur des points aussi essentiels dans la présente discussion.

Dira-t-on que, dans l'hypothèse la plus favorable, il faudrait commencer par abandonner nos frères de Venloo, sauf à les reprendre après ? Mais pareil événement me paraît également loin d'être inévitable ; car, aux termes de l'article 6 des propositions de la conférence, l'évacuation des territoires, villes et places, doit être réciproque ; et si les calculs dont nous a entretenus M. le ministre de la justice étaient exacts ; si nous avions réellement à réclamer dans l'intérieur de la Hollande des enclaves telles, qu'elles balanceraient en valeur et en importance celles qu'elle aurait à réclamer en Belgique, pourrait-on supposer qu'elle voudrait prendre pied chez nous, lorsqu'elle ne le pourrait sans nous abandonner l'occupation de pareille étendue de territoire chez elle ? Pareille hypothèse n'a pas la moindre vraisemblance ; il est, au contraire, évident qu'elle préférerait le statu quo avec liberté de communication, à des évacuations réciproques de cette espèce.

La véritable difficulté, messieurs, celle qui domine la présente délibération, est donc subordonnée au point de savoir quelle est l'étendue et l'importance des enclaves que nous donnerait l'acceptation des propositions n°1 et 2, en Hollande, et ce point, vous ne pouvez l'examiner convenablement qu'en sections.

En me résumant, je dirai, en ce qui concerne la question préalable :

1° Qu'elle n'est pas fondée en fait, parce que la nécessité d'abandonner Venloo n'est jusqu'ici pas démontrée ;

2° Qu'elle ne l'est pas en droit, parce que l'article 68 de la constitution autorise des échanges.

J'ajouterai ensuite que nos devoirs et le plus grand bien du pays s'opposent à ce que des points de délibération aussi graves soient écartés par une fin de non-recevoir, et nous imposent l'obligation de ne les mettre aux voix qu'après le plus mûr examen ; si celui que je provoque, ou la suite de la discussion, ne me donne pas la conviction que l'intégrité du territoire de la province du Limbourg pourra être maintenue, je voterai contre les propositions qui nous sont soumises. (C. M., supp., 4 juill.)

M. Alexandre Gendebien – Je demande à faire une motion d'ordre. Si M. Cruts demande réellement le renvoi en sections, qu'il en fasse la proposition et qu'il la dépose sur le bureau. Mais je le préviens que ce serait vainement, puisque nous ne pouvons pas renvoyer aux sections une proposition que nous discutons depuis hier. (M. B., 4 juill.)

M. Charles de Brouckere(page 402) La question est décidée ; ce qui me surprend, c'est qu'elle n'ait pas été élevée plus tôt, le discours de l'honorable M. Cruts étant écrit. (M. B., 4 juill.)

M. Cruts – Il n'a pas dépendu de moi de prendre plus tôt la parole, sans cela j'aurais proposé plus tôt le renvoi aux sections ; mais vous vous rappellerez qu'au commencement de la séance j'ai demandé que l'on ne discutât que la question préalable ; mon projet ensuite était de demander le renvoi du fond en sections. (M. B., 4 juill.)

M. le président – Il n'y a pas de proposition écrite, le congrès ne peut délibérer. (E.,4 juill.)

M. Pirson – Messieurs, d'un côté union, force, loyauté, des hommes vigoureux et libres dans tous leurs mouvements légitimes et honorables ; de l'autre, égoïsme, lâcheté, perfidie, des eunuques politiques, fin honteuse.

Mon choix est tout fait : le royaume des Pays-Bas est dissous, c'est un fait accompli ; je n'ai pas besoin de remonter aux causes. Déjà elles sont du domaine de l'histoire contemporaine ; elles sont jugées par ceux-là mêmes qui avaient mis la main à l'œuvre.

Comment s'est opérée la dissolution ? Neuf provinces, désignées dès l'origine sous le nom de méridionales, ont manifesté l'intention de séparer leurs intérêts de ceux des neuf provinces dites septentrionales.

Celles-ci ne paraissaient point du tout contraires à la séparation ; mais la vanité, l'avarice et l'entêtement d'un seul homme ont dominé le consentement mutuel de ces deux grandes parties du royaume. La guerre civile a éclaté, le sang a coulé ; à la vue de grands désastres on s'est arrêté. On a cherché à s'entendre à la faveur d'une médiation qui, d'abord, s'est présentée officieusement, mais qui, depuis, n'a eu d'autre but que celui de nous punir de notre révolution, de la faire avorter et de nous remettre sous le joug de l'absolutisme.

Cependant, un congrès national, composé des députés desdites neuf provinces méridionales, s'est réuni à Bruxelles. Ce congrès a décrété une constitution dont le premier article est un véritable contrat d'union entre ces provinces, telles qu'elles se trouvaient circonscrites par la loi fondamentale de 1815, telles qu'elles étaient constituées au moment de l'union révolutionnaire en 1830. Si, par égoïsme, lâcheté, perfidie, une partie de l'union et ses habitants, qui ont coopéré énergiquement à la révolution, se trouvaient abandonnés, le contrat d'union serait rompu pour tous ; ceux qui, par intérêt particulier, ou par défaut de confiance dans une union démoralisée, voudraient se retirer, pourraient invoquer le principe qui aurait servi de prétexte au premier abandon.

C'est ainsi que, si le congrès aujourd'hui admettait pour base des droits territoriaux de la Hollande et de la Belgique le statu quo de 1790 avec des enclaves réciproques, une souveraineté mixte à Maestricht, droit de garnison dans cette ville en faveur de la Hollande, la perte de Venloo pour la Belgique ; si le congrès consentait à laisser en question nos droits sur le Luxembourg, la principauté de Liége avec ses enclaves, le duché de Bouillon, Philippeville et Marienbourg pourrait aussi demander leur séparation.

Je ne crains pas de vous le dire, dégagé de mes serments par ceux qui, en se parjurant, auraient rompu le contrat d'union qui me lie, j'oserais, peut-être le premier, arborer le drapeau de 1790 partout où j'en aurais le droit, soit par ma naissance, soit par mon habitation.

On dit que l'article 3 de la constitution permet de changer ou rectifier les limites de l'État et des provinces, en vertu d'une loi ; mais, messieurs, il n'est point question ici d'échange ni de ratification de limites ; c'est un autre point de départ, une autre base de limites, que celle voulue par l’article premier de notre constitution, que l'on vous propose ; le ministre des relations extérieures en est convenu formellement ; il vous l'a dit, messieurs : les propositions de Londres contiennent une dérogation à notre constitution, et c'est par ce motif, a-t-il ajouté, qu'il n'a pu et ne devait pas faire une proposition d'adoption ; et puis il faut distinguer entre un temps de paix et de tranquillité, et un temps de révolution. Des échanges, des rectifications en temps de paix ne nuisent point à la sûreté des personnes, mais en temps de révolution il n'en est pas de même.

Si des révolutionnaires sont livrés, par échange ou autrement, à des gouvernements despotiques, ils sont infailliblement victimes, malgré les amnisties et les promesses d'oubli ; il n'est pas besoin de longs raisonnements pour vous en convaincre. Les exemples de Naples, de Rome, de toute l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, en disent assez.

Je vous le répète, messieurs, si vous touchiez à l'acte de solidarité et d'union qui existe maintenant entre tous les habitants des neuf provinces de la Belgique, je ne vois plus qu'anarchie, guerre civile peut-être, et certainement la perte de notre indépendance. Oui, messieurs, l'anarchie et la guerre civile sont prêtes à nous désoler, et par (page 403) suite, l'indépendance nous échappera. Croyez-vous que les doctrinaires et les hommes de la curée finiront par l'emporter ? non, non, messieurs, mille fois non.

Si les hommes de la curée transigent avec le despotisme, les droits de juillet et de septembre restent aux hommes libres. Mais les hommes de la curée auront peut-être dévoré tous moyens de défense et d'attaque. Nous leur ferons bien rendre gorge, à tous ces hommes de la curée ; des armes et du pain, nous en trouverons.

Je l’espère, messieurs, nous resterons unis, nous n'abandonnerons pas un seul Belge : cette volonté ferme, irrévocable, nous rendra plus forts que ceux qui spéculent sur nos fautes. Nous en avons commis, et de graves. La plus grave, ç'a été de nous confier à des diplomates étrangers qui ont bien prouvé leurs intentions perfides à notre égard. Notre attitude les a déconcertés. Eh quoi ! c’est au moment où ils paraissent décidés à nous lâcher, où ils ne savent plus que faire de nous, n’osant toutefois nous attaquer, c'est à ce moment, dis-je, que vous vous dégraderiez au point de signer le bill d'indemnité qu'ils vous demandent, honteux qu'ils sont d'être accusés à la face du monde entier d'avoir violé à notre égard, dans leurs protocoles, tous les principes d'équité, d'honneur et de droit public !

Ici, j'avais préparé dans mon discours une discussion sur les droits de la conférence ; mais aujourd’hui j'ai trouvé un article du Courrier anglais qui les énonce en termes clairs, précis et parfaitement d’accord avec mon opinion. Je ne veux point paraître plagiaire, je retranche cette partie de mon discours, dont on retrouvera les idées dans l’article dudit Courrier anglais.

Messieurs, je vois deux choses dans les propositions qui nous sont venues de Londres :

1° Une inconstitutionnalité dans les articles 1 et 3 ;

2° Un bill d'indemnité en faveur de la conférence dans tout l'ensemble.

Sous le premier point de vue, je voterai pour la question préalable.

Comme il pourrait se faire que mon opinion ne fût pas celle de la majorité du congrès sous ce point de vue, et que sous le second j'espère que cette majorité n'est pas plus disposée à voter son déshonneur que moi, je resterai pour donner mon vote sur l'ensemble des soi-disant préliminaires. Après cette épreuve, je verrai le parti qui me reste à prendre, aussi bien que mon collègue M. Henri de Brouckere, qui, s'il n'a pas fait ici un effet décisif, c'est que nos cœurs et certains cœurs sont de marbre. (E., 4 juill.)

M. le baron Beyts – Messieurs, je ne m'étais préparé à parler que sur la question préalable ; mais vous avez décidé que l'incident et le fond seraient traités simultanément, et la discussion m'a assez éclairé pour que je puisse développer mon opinion, même sur le fond.

Après ce début, l'orateur soutient qu'il n'est pas possible d'adopter la question préalable ; car ç'aurait été dire aux puissances représentées à la conférence : Vous nous proposez des conditions, mais il ne nous plaît pas de les examiner : chose peu convenable en tout état de cause, et surtout quand la conférence paraît mieux disposée que jamais en faveur de la Belgique.

Abordant la question du fond, dit l'orateur, je répondrai d'abord à une objection, ou plutôt à une prédiction de M. de Robaulx, et répétée par l’honorable préopinant : Je vous prédis, ont dit ces deux orateurs, que vous n'aurez pas le Luxembourg. C'est très gratuitement qu'on tient un pareil langage. Nous n'aurions pas le Luxembourg ! Mais quelle preuve en avez-vous ? lorsque la possession nous reste et qu'on s'oblige à maintenir le statu quo, est-ce nous enlever le Luxembourg ? Non. Mais, dit-on, le roi de Hollande le revendique. D'accord ; eh bien, c'est un procès entre le roi de Hollande et nous ; il s'agit de savoir qui le gagnera. Certes, nous pouvons le perdre, mais est-ce une raison pour ne pas entrer en négociations ? La fin des négociations qu'on nous propose, c'est la paix ; et si la paix ne nous donne pas le Luxembourg, nous ferons la guerre.

Ici l'orateur examine la question du Luxembourg sous ses rapports avec la confédération germanique. Il soutient qu'il doit peu importer à la confédération que ce soit le prince Léopold ou le roi de Hollande qui règne sur le Grand-Duché, et il le prouve en citant l'exemple du duc de Brunswick chassé de ses États, et que son frère a remplacé sans opposition. Il le prouve encore par l'exemple du roi de Saxe, qui s'est donné un corégent aussi sans opposition de la part de la confédération.

L'honorable membre ajoute : Vous vous déshonorez, dit-on, vous courbez la tête sous le joug de la Sainte-Alliance, vous revenez à vos antécédents, vous révoquez votre énergique protestation contre le protocole du 20 janvier ; et là-dessus on vous compare aux peuples italiens, qui ont parlé beaucoup et peu agi, et autres comparaisons semblables. Messieurs, toutes ces phrases, car ce ne sont que des phrases, me touchent peu parce qu'elles n'ont (page 404) rien de vrai. Sur quoi porte, en effet, la protestation du 20 janvier ? Sur le ton que prenaient avec nous les cinq puissances. Elles s'étaient présentées d'abord comme médiatrices, et puis voilà que tout à coup elles veulent nous dicter des conditions, prononcer contre nous des condamnations lorsque nous n'avions pas été entendus, et sans même nous reconnaître le droit de nous plaindre. Alors nous avons tenu le langage que nous devions tenir. Nous avons dit à la conférence que nous n'abdiquerions jamais nos droits en faveur de qui que ce fût, et nous avons protesté énergiquement contre ses prétentions. Mais aujourd'hui que, pour la première fois, la conférence semble renoncer à son protégé le roi de Hollande, nous avons une tout autre conduite à tenir. En acceptant les préliminaires, nous ne nous engageons à rien, mais nous avons par ce seul fait l'avantage d'être constitués, celui de voir à notre tête le prince de Saxe-Cobourg, qu'en vérité je regarde comme le Messie pour nous. (Hilarité.) Nous lui ferons connaître nos dernières intentions, que nous ne pouvons ni ne voulons céder un pouce du territoire qui nous appartient ; et quand il sera pénétré de nos besoins à cet égard, il les exposera à ses alliés, et nos paroles, passant par sa bouche, auront un tout autre poids. Il représentera aux puissances que nous ne sommes pas aussi faciles à manier que leurs diplomates, et que nous ne céderons pas facilement. A sa voix, la conférence, qui jusqu'ici a eu des oreilles pour ne pas entendre et des yeux pour n'y point voir, ouvrira ses portes à nos envoyés, qu'elle a toujours refusé de reconnaître. Quand d'un côté il y aura le roi de Hollande et de l'autre le roi des Belges, elle écoutera de l'une et l'autre oreille, et elle rendra justice à chacun. Je regarde donc la question du Luxembourg comme sans difficulté pour nous.

Quant au Limbourg, la question est bien moins compliquée. Les États-Généraux étaient en possession de tenir garnison dans Maestricht, et le prince de Liége, que nous représentons, avait la moitié de l'administration civile, c'est-à-dire qu'il nommait la moitié des magistrats et des employés. Cela ne lui était pas contesté, mais lui, contestait aux États-Généraux le droit de tenir garnison à Maestricht, et les États-Généraux ont dans tous les traités, depuis 1647, reconnu qu'ils n'étaient là que provisoirement et sans préjudice des droits d'autrui. Cette formule a traversé des siècles, et je crains bien qu'elle ne soit pas de sitôt supprimée. (On rit.) Mais quand ma prévision serait vraie, négocier là-dessus, en quoi cela blesse-t-il notre honneur ? Nous maintenons notre constitution nonobstant toute négociation : je me tue pour trouver en quoi nous commettons une forfaiture à notre honneur (nouvelle hilarité), et je ne puis le découvrir. Je conçois très bien qu'il y ait des gens qui veuillent à tout prix faire la guerre. Ceux, par exemple, qui espèrent obtenir des grades, des épaulettes ; mais en supposant qu'il y ait cinquante mille hommes de cette opinion en Belgique, il est encore quatre millions plus cinquante mille Belges qui, ayant tout à perdre et peu à gagner à la guerre, auront grande obligation au congrès de la leur éviter.

L'orateur, après avoir réfuté quelques autres arguments de M. de Robaulx, examine la question relative à Venloo, et avoue que si ce pays appartenait réellement à la Hollande en 1790, il faut le lui laisser. Le sort de ces hommes, dit-il, est à plaindre, sans doute ; j'appuierai de toutes mes forces les propositions d'indemnité qui seront faites, mais c'est tout ce que nous pouvons ; c’est à regret que je dis cela, mais cette opinion est par malheur rigoureusement exacte (murmure dans la tribune publique) ; ces six mille hommes vous tiennent à cœur, avec raison certainement, mais oublierez-vous que la population d'Anvers est sous le canon de la citadelle, et que notre ennemi pourrait se venger sur soixante et dix mille âmes de notre obstination à en garder six mille qui ne nous appartiennent pas (nouveaux murmures) ; les tribunes ne sont pas pour moi le peuple belge. (Bravos !) On veut tuer la révolution en Belgique et en France, dit M. de Robaulx ; on veut tuer la révolution, nous y voilà : le grand mot est lâché ; mais, messieurs, en élisant le prince de Saxe-Cobourg, nous avons adopté un excellent moyen d'empêcher notre révolution d'être tuée, car nous nous sommes assuré le soutien de l'Angleterre, soutien dont la révolution de France n'a pas encore osé se passer ; à mon avis, l'élection du prince Léopold a été sage, j'y vois la dernière phase de notre révolution, et c'est par lui que nous en verrons la fin ; acceptons donc les préliminaires, car, même après la guerre, nous serions toujours obligés d'en accepter d'autres, et Dieu sait s'ils seraient aussi acceptables que ceux qu'on nous propose aujourd'hui. Je crois donc pouvoir, sans violer mes serments ni rien faire de préjudiciable à mon pays, pouvoir accepter ces préliminaires ; toutefois j'y mettrai une restriction, car timeo Danaos et dona ferentes ; c'est que le consentement du congrès sera considéré comme non avenu si une paix effective n'est pas la suite de ces préliminaires. J'ai rédigé et je dépose un amendement dans ce sens. J'ai dit. (Agitation prolongée. - A demain ! à demain !) (M. B., 4 juill.)

M. le président (page 405) donne lecture de l'amendement de M. le baron Beyts ; il est ainsi conçu :

« Le congrès national considérera comme non avenu son consentement aux propositions préliminaires, si un traité de paix définitif n'en est la suite et le résultat : il se réserve de déclarer, dans ce cas, que son acceptation est caduque et sans force obligatoire. » (M. B.. 4 juill., et A. C.)

- L’assemblée décide que cette proposition sera imprimée pour être discutée en même temps que la proposition principale. (P. V.)

M. le président donne lecture de la proposition suivante :

« Le congrès national, en adoptant les propositions de la conférence, entend bien charger le gouvernement de stipuler :

« 1° Que les enclaves en Hollande, reconnues appartenir à la Belgique par l'article 2 des propositions de la conférence, seront reçues comme l'équivalent de Venloo, de la partie des droits revendiqués par la Hollande sur Maestricht, et autres enclaves du Limbourg ; et que, pendant l’arrangement à prendre sur ce point, aucune de ces enclaves belges ne sera évacuée ;

« 2° Que le statu quo sera conservé, dans le Luxembourg, sous la garantie des puissances, jusqu’à la conclusion des négociations sur l'indemnité.

« SYLVAIN VAN DE WEYER. » (M. B., 4 juill., et A. C.)

M. Blargnies demande le développement immédiat de cette proposition. (E., 4 juill.)

M. Devaux – Il me semble que, quand une discussion est ouverte, il faut qu'elle continue, et si l’on peut, comme vient de le faire M. Beyts, présenter un amendement, on ne peut pas, sous prétexte d'une proposition, intervertir l'ordre de la discussion, et obtenir la parole avant son tour d’inscription. (M. B., 4 juill.)

M. Forgeur – Je demande le développement ; car enfin, messieurs, vous alliez lever la séance, et cette proposition, qu'on est venue vous présenter après deux jours de discussion, vous ne l'eussiez connue que demain. Eh bien, puisque nous avons l’avantage d'en être saisis dès à présent, il est important que nous sachions les motifs qui ont déterminé sa présentation. (E., 4 juill.)

M. Van de Weyer – On a mal interprété mes intentions. J'avais cette proposition dans ma poche depuis hier, et je ne me suis décidé à vous la présenter que précisément parce que la séance allait être levée, et que j'ai voulu que les membres du congrès fussent à même de réfléchir jusqu'à demain matin sur le mérite de cette proposition. (E., 4 juill.)

M. Charles de Brouckere demande que M. Van de Weyer développe sa proposition, parce qu'elle est intimement liée aux propositions principales. Il en demande au surplus l'impression. (M. B., 4 juill.)

M. Van de Weyer développe sa proposition en peu de mots ; elle n'a pour but, dit-il, que de lever les doutes qui paraissent exister sur la manière dont le congrès entend les articles de la conférence. (M. B., 4 juill.)

M. Devaux – Je demande que la proposition de M. Van de Weyer soit renvoyée en sections. (M. B., 4 juill.)

- Plus de dix membres se lèvent pour appuyer le renvoi. (Agitation.) (M. B., 4 juill.)

M. de Robaulx – Si vous considérez la proposition de M. Van de Weyer comme étrangère à la discussion actuelle, je ne m'oppose pas au renvoi en sections. Dans tous les cas, je demande que la discussion continue. Je voterai du reste contre cette nouvelle proposition, parce qu'elle ne change rien aux articles de la conférence. (M. B., 4 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Alors même que j'approuverais la proposition de M. Van de Weyer, contre laquelle M. de Robaulx votera dans un sens conforme à mon opinion, car je suis opposé à cette proposition (ah ! ah !), dans l'intérêt du règlement et par respect pour lui, dès que dix membres demandent le renvoi en sections, j'appuierai le renvoi. Je demande donc que ce renvoi soit ordonné. (M. B., 4 juill.)

M. Forgeur entre dans d'assez longs développements pour prouver que le congrès omnipotent peut d'autant plus facilement changer son règlement, que d'après le ministère lui-même, et quoi qu'en ait dit un orateur, l'assemblée pourrait modifier la constitution. Il démontre la connexité qui existe entre la question principale et la proposition de M. Van de Weyer, et la nécessité de joindre les deux discussions. Il s'élève avec force contre le renvoi en sections, renvoi qui n'a été ordonné ni pour la proposition de M. Van Snick, comme le demandait M. Cruts, ni pour la proposition déposée par M. Beyts, pendant le cours de la séance. L'honorable membre termine en votant pour que les amendements de MM. Beyts et Van de Weyer soient joints au fond et discutés demain avec les questions principales ; il ajoute encore qu'il comprend bien que M. Lebeau ait déclaré qu'il ne donnerait pas son vote à la proposition (page 406) en question, puisqu'elle pourrait, aux yeux du ministre, tendre à modifier les préliminaires à l'acceptation desquels l'existence du ministère est attachée. (E., et M. B., 4 juill.)

M. Charles de Brouckere, qui avait demandé la parole, déclare qu'il n'a rien à ajouter à ce qu'a dit M. Forgeur ; il remercie M. de Robaulx d'avoir fourni au ministère l'occasion de s'expliquer. (M. B., 4 juill.)

M. Devaux, ministre d’Etat – Messieurs, je répondrai à M. Charles de Brouckere que le ministère n'avait pas émis d'opinion, parce qu'il n'avait pas dans cette discussion d'opinion à émettre. (Oh ! oh !) Je suis fâché d'être en désaccord avec M. de Brouckere, mais le ministère est d'accord avec la majorité. (Violents murmures mêlés de sifflets.) Les murmures et les sifflets ne sont pas des raisons.

Ici l'orateur échange avec M. de Robaulx quelques mots, et continue en ces termes – Le ministère est d'accord avec la majorité, et la majorité du congrès a décidé hier, contre la proposition de M. Charles de Brouckere, qu'il n'avait pas d'opinion à émettre. (Oh ! oh !) Je répondrai maintenant à M. Forgeur : D'abord il paraît que beaucoup de choses sont permises ici contre le ministère. Aujourd'hui on nous dit que l'existence du ministère est attachée à la combinaison que nous discutons. Il y a quelques instants que le commissaire de district de Dinant nous a dit que nous étions des hommes de curée. (Violents murmures.) (M. B., 4 juill.)

- Plusieurs voix de l’extrême gauche – Il n'y a pas ici de commissaires de district, il n'y a que des députés.

M. Devaux, ministre d’Etat – Il m'est permis de répondre à de pareilles imputations. Je ne suis pas un homme de curée, je le prouverai sans peine ; on m'a offert cinq places à gros traitements, je les ai refusées ; j'ai accepté celle que j'occupe à la sollicitation de M. de Brouckere lui-même, et je l'ai acceptée à la condition de ne pas recevoir de traitement. Le gouvernement n'a pas tenu compte de cette condition ; un arrêté a été rendu pour m'accorder 10,000 fl. de traitement. Je les refusés et je n'ai pas reçu une obole. (Très bien ! très bien !) Je regrette d'être obligé de vous parler de moi, mais vous conviendrez qu'il serait fâcheux de ne pouvoir répondre aux attaques qu'on se permet, et de laisser croire, quand il n'en est rien, que je suis un homme de curée et de gros traitements.

L'orateur termine en posant en fait que l’article 29 du règlement veut que tout amendement ou proposition soit renvoyé aux sections quand dix membres le requièrent ; il dit qu'il faut ou changer cet article ou l'exécuter en renvoyant aux sections une proposition qui a besoin d'être examinée avec calme. (M. B., 4 juill.)

M. Charles de Brouckere – Je n’ai pas à expliquer aujourd'hui comment je suis entré au ministère, demain j'y serai forcé. Il est très vrai que j'ai engagé M. Devaux à accepter le poste qu’il occupe, demain je dirai pourquoi ; mais je dois rappeler à M. Devaux qu'en 1827, dans cette salle, le ministre Van Maanen fut rappelé à l'ordre pour avoir appelé M. Leclerc procureur général ; c’est pour qu'il sache à l'avenir qu'il n'y a ici que des députés. (M. B., 4 juill.)

M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Puisqu'on ne veut pas croire aux motifs de scrupules que le ministère pouvait avoir de ne pas s'expliquer sur les propositions de la conférence, je n'hésite pas à me prononcer. Je le déclare donc, je suis pour leur adoption ; je déclare de plus que j'y attache mon existence comme ministre, car c'est pour moi une question d'honneur. (M. B., 4 juill.)

- Après cette déclaration du ministre, une très longue discussion s'engage pour savoir si la proposition de M. Van de Weyer doit être renvoyée aux sections. Une foule d'orateurs parlent successivement ; enfin on met la question aux voix. (M. B., 4 juill.)

- L'assemblée décide que la proposition sera jointe à la question principale et discutée en même temps, sans renvoi préalable en sections. (P. V.)

La séance est levée à six heures. (P. V.)