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Congrès
national de Belgique
Séance du
lundi 4 juillet 1831
Sommaire
1) Communications des pièces
adressées au congrès (notamment règlement relatif à la réception des pétitions
(de Robaulx, de Theux, A. Gendebien, P. Claes, d’Elhoungne)
2) Préliminaires de paix
(les dix-huit articles) (de Robiano, Rogier, Rogier, de Robiano, d’Arschot, de Bocarmé, A. Rodenbach, Nothomb, Seron, d’Arschot, I. Fallon, de Gerlache, d’Huart, de Pélichy van Huerne, Fransman, Duval de Beaulieu, Van Meenen)
(E. HUYTTENS, Discussions du
Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe
Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 425) (Présidence
de M. Raikem, premier vice-président)
La
foule est toujours la même. (M. B., 6 juill.)
La
séance est ouverte à une heure. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il
est adopté. (P. V.)
COMMUNICATION DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M.
le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions
suivantes :
Plusieurs
habitants de Binche demandent que le congrès rejette les propositions de la
conférence.
M.
Verlinden réclame son exemption du premier ban de la garde civique.
Vingt-trois
officiers et soldats de la garde civique font la même demande. (M. B., 6
juill., et P. V.)
- Ces
pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
- M.
Tresson demande des lettres de naturalisation. (P. V.)
-
Renvoi à la commission des naturalisations. (P. V.)
M. De Nef – Je demande que M. le président fasse
donner lecture de la pétition des habitants de Louvain, que je viens de lui
remettre. (M. B., 6 juill.)
M. le président – Je dois consulter l'assemblée pour
savoir si elle veut que la pétition soit lue. (M. B., 6 juill.)
M.
de Robaulx – M. le président, tous les antécédents sont en faveur de la proposition de
M. de Nef. Toutes les fois qu'une pétition a été déposée pendant une discussion
à laquelle elle était relative, la lecture en a été faite. J'appuie donc la
lecture. (M. B., 6 juill.)
M.
le chevalier de Theux de Meylandt – Il est très inexact de dire que
chaque fois qu'une pétition a été déposée pendant la discussion à laquelle elle
se rapportait, la lecture en a été ordonnée. Je conteste le principe et les
antécédents. Il y aurait danger à ce qu'il en fût ainsi. La commission des
pétitions a été instituée pour faire un examen préalable des pétitions, afin de
nous soumettre celles qui sont présentées en termes convenables. Je demande
donc que la pétition soit renvoyée à la commission, et que le rapport en soit
fait demain. (M. B., 6 juill.)
M.
Alexandre Gendebien – Je pense que si on avait lu la pétition, ce serait déjà fini.
Je demanderai au bureau si les développements en sont trop longs ; dans ce cas
on la renverrait à un autre jour ; mais si la lecture de la pétition peut être
faite en une ou deux minutes, je demande qu'elle soit faite immédiatement. (M.
B., 6 juill.)
M. Claes (de Louvain) – Je m'oppose à
la lecture de la pétition, quoique émanée de mes commettants. Hier, on a
adressé au congrès une pétition semblable, et elle n'a pas été lue : ce serait,
selon moi, un précédent dangereux, surtout dans un moment comme celui-ci, parce
que les pétitions ne sont pas toujours convenablement rédigées. Que la pétition
soit examinée par la commission, et que le rapport en soit fait très
prochainement : c'est ce qu'il convient de faire, et ce à quoi je ne m'oppose
pas. (M. B., 6 juill.)
M. d’Elhoungne – Je crois, messieurs, comme mon
honorable collègue, que ce serait un précédent dangereux que de venir
l'entretenir ex abrupto d'une pétition déposée instantanément, et je
pense qu'on doit en ordonner le renvoi pur et simple à la commission. Je dirai
en passant, puisque j'en ai l'occasion, que le droit de pétition est ici
illusoire. Depuis trois mois que j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée,
il n'a été fait qu'un seul rapport, de sorte que c'est la même chose de nous
présenter des pétitions ou de n'en pas présenter. Je pense que le congrès
prendra des mesures pour qu'on fasse une exception en faveur de la pétition (page 426) qui vient d'être présentée,
afin qu'elle soit examinée sans délai, et que l'analyse nous en soit faite
demain. (M. B., 6 juill.)
M. le président consulte l'assemblée, qui décide que
la pétition ne sera pas lue. (M. B., 6 juill.)
- Elle
est renvoyée à la commission des pétitions. (P. V.)
L'ordre
du jour est la suite de la discussion sur les propositions de la conférence de
Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx et sur les
propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)
M. le président – Avant d'entamer la discussion à
l'ordre du jour, et après ce qui, s'est passé hier, je crois devoir rappeler
aux tribunes les dispositions de l'article 40 du règlement :
« Pendant
tout le cours de la séance les personnes placées dans les tribunes se tiennent
découvertes et en silence.
»
Toute personne qui donne des marques d'approbation ou d'improbation est
sur-le-champ exclue des tribunes par ordre du président.
« Tout
individu qui trouble les délibérations est traduit sans délai, s'il y a lieu,
devant l'autorité compétente. »
Je
préviens les tribunes que les dispositions de cet article seront
scrupuleusement observées. (M. B., 6 juill.)
M. le comte de Robiano – Messieurs, l'orateur qui parla hier le dernier à cette tribune est
l'Atlas, ou l'Hercule destiné à soutenir tout le poids du ministère ; on vante
le caractère et lé talent de M. Devaux, et je souscris volontiers à ces éloges,
mais que peuvent l'influence de la réputation la plus justement acquise et le
talent le plus remarquable quand par malheur on s'est trompé dans leur emploi
et qu'ils ne sont consacrés qu'à soutenir des sophismes ! Quoi, messieurs, le
Luxembourg et le Limbourg diminués et morcelés seront encore le Luxembourg et
le Limbourg de la constitution, et l'intégrité de territoire n'en sera pas
moins respectée ? Je prie M. Devaux de me dire si les deux manches étant
soustraites à son habit, il se croirait encore complètement vêtu ? Pourquoi M.
le ministre abandonne-t-il la rive gauche de l'Escaut ? Il répond que nous n'y avons
aucun droit. Pourquoi donc nous assure-t-il que jusqu’au dernier instant nos
prétentions sur cette même rive gauche furent soutenues à Londres ; accusera-t-il
nos délégués de mauvaise foi, d'ignorance ? Quelle si soudaine illumination en
ce moment précis est venue changer l'état de notre cause à ses yeux. Je le prie
de nous l'expliquer. M. Devaux s'est joint à M. Lebeau pour nous déclarer que
le ministère n'appuierait pas la proposition de M. Van de Weyer, il a très bien
fait. Cette proposition-amendement avait trop évidemment pour but unique de
diminuer le dégoût qu'inspirait l'adoption pure et simple des dix-huit
articles. Les personnes qui cherchaient à céder ont dû s'applaudir beaucoup de
trouver ce moyen d'atténuer ce qu'avait d'odieux l'abandon de leurs frères. En
effet, si, des échanges complets avaient été possibles, leur réputation de
générosité, de commisération restait entière. M. Charles de Brouckere nous a
démontré à l'évidence, messieurs, combien nos prétendues enclaves étaient loin
d'atteindre ce but. Mais qu'aurait-ce donc été si M. Van de Weyer dans son
amendement avait compris entre les territoires à échanger cette rive gauche de
l'Escaut ! C'est lui-même qui invoque ici contre cette omission.
La
note verbale du 27 novembre 183 sur
La
note verbale du 3 décembre 1830, en réponse à la note du 1er décembre, a
répondu à toutes les objections qu'on avait faites à la note du 27 novembre
1830, établissant nos droits sur la rive gauche de l'Escaut.
Dans
la note verbale du 3 janvier 1831 en réponse au protocole du 20 décembre 1830,
le président et les membres du comité diplomatique disent que la rive gauche
appartient à
Par la
note sur les limites du 6 janvier 1831 nos commissaires à Londres établissent
derechef nos droits sur la rive gauche de l'Escaut.
Le
décret contenant protestation contre le protocole des cinq grandes puissances
du 20 janvier 1831 contient expressément qu'en 1793, et postérieurement,
M.
Devaux nous a menacés d'un partage ! Il oublie que ce sont des hommes, et non
une masse inerte qu'il s'agirait de partager.
Le
long plaidoyer de M. Devaux contre nos droits a été écouté dans un profond
silence. J'en fais la remarque parce que l'on s'est plu à répandre le bruit que
les applaudissements et les sifflets des tribunes étaient payés par
l'opposition. Messieurs, l'autorité par tout pays a plus de moyens que
l’opposition de payer des applaudissements ; dans nos loyales tribunes
belgiques, je pense que personne n'est payé. Le ministre devrait prouver une
allégation odieuse. Ma pensée, messieurs, c’est que M. Lebeau fait seul
applaudir ici. Homme d'un talent reconnu, il déclama souvent contre le
ministère, contre les protocoles ; il en disséqua tout le venin, il mit ses
raisonnements à la portée de toutes les intelligences ; il y vit, il y démontra
la perte de la patrie ; il nommait encore récemment traîtres et parjures ceux
qui les adopteraient, et puis il voudrait que les tribunes, oubliant leur
éducation faite en partie par lui, vissent avec indifférence la coupe funeste
circuler de main en main, et ne remerciassent point à grands cris ceux qui
écartent le poison des lèvres de la patrie. Oui, messieurs, la blouse, hier
injuriée… (I.,6 juill.)
M.
Charles Rogier, vivement – Je demande la parole. (Agitation.) (I., 6 juill.)
M. le président – Le règlement veut que les orateurs
s'adressent au président ou à l'assemblée et jamais aux tribunes. Quelle que
soit l'opinion que l'on professe sur les articles en discussion, tous les bons
députés ont été indignés du scandale donné par les tribunes. (Assentiment
général) (I., 6 juill.)
M. Charles Rogier
– Je prie M. de Robiano
de dire en quoi j'ai injurié la blouse. (I., 6 juill.)
M. Alexandre Gendebien
– Laissez parler
l’orateur. (I., 6 juill.)
M. le comte de Robiano, reprenant – La blouse, hier
injuriée, couvre des cœurs droits, des intelligences droites.
La conférence
a changé de ton dans les préliminaires, dit M. Devaux ; le peuple, dans son
gros bon sens, reconnaît fort bien les paroles de la même chanson, chantée en
ton mineur aujourd’hui, en ton majeur il y a peu de jours.
N’allez
pas, messieurs, conclure de ce que je viens de dire, que j'approuve ni même que
je ne le blâme pas les applaudissements et les huées ; je les explique
seulement. Dans un gouvernement populaire, et quand il s'agit des plus grands
intérêts populaires, je conçois que, comme dans une arène publique, l'on
encourage ou l'on blâme à haute voix. Je le conçois sans recourir à
l'explication accusatrice de corruption à prix d'argent. (Approbation. )
Vous
avez accusé l'ancien comité diplomatique de trop de bonhomie, de trop peu de
finesse ; il fut trompé, je veux le croire, précisément par ses honorables
défauts ; mais vous, MM. les ministres, qui aviez leur exemple devant vous, et
bien plus de talent, qu'avez-vous produit ? Un ministre attache, nous dit-il,
son nom, son honneur, son existence à la réussite de sa combinaison. C'est
heureux d'être prévenu combien il en fait une affaire personnelle et combien il
faut se tenir en garde contre ses arguments.
Messieurs,
si le lendemain de la mémorable séance de l'exclusion des Nassau, si le
lendemain de l'adoption de notre loi constitutionnelle, on était venu nous
proposer de souscrire au pacte honteux qui vous est soumis, avec quelle
indignation patriotique n'eût point été accueilli le téméraire auteur d'un
semblable conseil ! Et nous sommes les hommes de septembre ! les fils de la
révolution ! En quelles mains est-il donc tombé, le dépôt de notre honneur et
de nos droits ! et que s'est-il donc passé de si funeste pour qu'on ose nous
solliciter à l'abandon de nos frères, à la démolition de notre édifice
constitutionnel ! Messieurs, un de nos collègues, plein d'esprit et de
patriotisme, disait avant-hier que le congrès, auteur légal de la constitution,
pouvait aussi la modifier. C'est une erreur ; nous n'avons point fait la
constitution ; nous n'avons fait la constitution ni quant au territoire ni
quant aux institutions ; seulement nous l'avons rédigée et promulguée : la
constitution était FAITE quant au territoire, par la volonté, par l'assentiment
des habitants et par l'évidence et la nécessité des choses.
Ainsi
la citadelle d'Anvers nous appartient, quoiqu'elle soit occupée encore ; ainsi
doivent nous appartenir, Maestricht, la rive gauche de l'Escaut, et ce Venloo
héroïque, invité par proclamations expresses et que l'honneur nous défend
d'abandonner jamais.
Quant
aux institutions, nous n'avons fait qu'organiser ce que la nation avait conquis
; l'indépendance, les moyens intérieurs de la conserver et avec elle les
garanties de notre liberté. Oui, messieurs, il est vrai, notre constitution est
devenue l'arche sainte, dont nous ne sommes plus que les gardiens. L'œil
scrutateur et inquiet du peuple (page
428) surveille les dépositaires d'un trésor acheté avec son sang. La noble
victime qui, à Berchem, sommeille sous les palmes patriotiques s'indignerait
dans sa tombe ; ses vaillants compagnons, qui remplissent encore nos armées,
qui pour une sainte cause ont encore du sang à verser, s'indigneraient qu'un
vil trafic, remplaçant un élan généreux, vînt enlever à la nation le prix de
leurs travaux ; qu'un marché d'honneur, de frères à céder s'établît, où ? au
congrès ! sous les yeux et de l'aveu des pères de la patrie !
Nous
dégrader ainsi ! non, messieurs, je n'y consentirai jamais.
Je
désire autant que personne que le calme succède à la tempête, mais ce n'est
point en périssant que je veux éviter de périr. Les protocoles renvoyés avec
l'assentiment de tous, nous indiquent quel chemin les préliminaires, ces
protocoles réchauffés, doivent suivre. Nous n'avons demandé que ce qui nous était
indispensable, il le faut exiger. La conférence nous dénie toutes nos demandes,
elle déclare que prendre, ou même vouloir garder ce qu'elle n'a point voulu
reconnaître nous appartenir, sera considéré par elle comme une guerre de
conquête à laquelle il serait déshonorant pour les puissances de consentir. Que
nous propose donc la conférence ? Abandon de tous nos droits,
reconnaissance par conséquent que nos prétentions étaient illégitimes ; mais
par compensation, permission d'acheter à un prix non déterminé certains
territoires que le vendeur (vendeur à solliciter, vendeur non déterminé à
vendre) prétend être d'une valeur inappréciable.
Et
voilà, messieurs, ce que sérieusement on nous propose d'accueillir !
Les
amis de la paix à tout prix nous disent : Commencez par accepter le prince avec
les préliminaires, et puis le prince, arrivé chez nous, négociera si bien, ou
se battra si fort, que nous obtiendrons tout ce que nous désirons ; alors vous
attaquerez
Quoi !
le prince qui n'accepte qu'après notre adhésion aux préliminaires, arrive avec
l'intention avouée de s'opposer aux préliminaires, de conquérir ce que nous
viendrions d'avoir cédé ? Son acceptation, aux yeux de la conférence et aux
nôtres, est nécessairement subordonnée à une clause qu'il vient enfreindre
ostensiblement. Il nous engage à Londres à souscrire aux conditions ; à
Bruxelles il nous engagera à ne les point tenir ? Une telle explication
est-elle supportable ?
Il est
convenable à la dignité du congrès de ne point s'aventurer sur des peut-être,
de ne point admettre des antécédents qui le lient sans avoir la moindre
certitude du résultat. En ce moment, messieurs, notre patrie est encore
glorieuse ; peut-être si l'opinion opposée à la mienne triomphe, si le roi nous
est imposé avec de telles conditions, bientôt le bruit du canon, signal
de réjouissance, annoncera la pompe mortuaire de notre révolution. Les enfants
admis dans son sein en retombent orphelins et abandonnés, nos rangs s'éclaircissent,
d'honorables députés, nos collègues et nos amis, nous quittent pour annoncer à
leurs provinces qu'elles ont eu tort de compter sur notre appui. Quand une
fois, messieurs, nous aurons accepté ce royaume de 1790, c'est fini pour jamais
; ce n'est plus 1790 ni 1815 qu'on nous objectera si nous voulions un jour
revenir sur un traité si désavantageux ; on nous montrera victorieusement notre
acceptation de 1831.
Si le
prince a autant de puissance qu'on le dit et que je le désire, qu'il nous
obtienne avant son acceptation ces conditions, gage préliminaire et
indispensable de son joyeux avènement. Quand il serait ici, il y serait dans ce
cercle de Popilius tracépar la conférence ; et dans notre pays neutre, ou
plutôt neutralisé, il ne pourrait pas mettre le bout du pied par-dessus ces
limites arbitraires sans se mettre en hostilité avec les cinq puissances. Notre
position est difficile, ne l'empirons point ;. Nous pouvons encore tout ce que
nous voudrons ; nous ne voulons que ce qui est raisonnable, juste et nécessaire
; nous l'obtiendrons, mais à une condition : il faut le vouloir. Heureusement
nous comptons encore des hommes ; écoutez le ton de conviction, de dévouement
de ces voix qui à votre tribune ont publié les traditions généreuses de
loyauté, de droiture, de liberté, de confraternité caractéristiques chez les
Belges ; confrontez-les aux voix, convaincues, je veux le croire, mais
embarrassées et pour ainsi dire honteuses de venir appuyer de leur timidité une
acceptation si antipathique au sentiment intime de nos cœurs. Eh ! messieurs de
la concession, un peu de courage, vous ne risquez pas grand' chose à en avoir.
N'est-il pas évident à tous les yeux que la crainte première des cinq
puissances est la guerre ? Elles nous la laisseront faire contre
Les
rois également forts, également défiants, mais par un danger commun, mais
prêts, toujours prêts à se jeter les uns sur les autres à l'aspect de la
première proie offerte, nous laissent à présent une occasion unique de conclure
nos affaires par nous-mêmes comme nous l'entendons.
Je
voterai donc pour la question préalable, parce que je ne crois point qu'il nous
soit permis de modifier ainsi la constitution, parce que, la chose fût-elle
permise, je trouve trop dangereux de saper l’édifice dans sa base. En enlevant
la pierre principale, je craindrais de le voir crouler tout entier sur
eux-mêmes qui ont juré de le soutenir. Je voterai contre les dix-huit articles
par les motifs qui ont déterminé toute cette assemblée à rejeter les protocoles
; par les motifs qui ont déterminé toute cette assemblée à ne consentir à
l'élection du prince de Saxe-Cobourg qu'avec la clause que son acceptation soit
sans condition aucune ; si cette décision a trouvé des déserteurs, je ne
grossirai pas le parti de la défection, je reste de l'avis dont étaient ces
messieurs ; je n'adopterai JAMAIS les propositions qui nous sont faites.
Avant
de descendre de la tribune, je dois protester que je n'ai point entendu
attaquer M. Rogier, je l'ai vu toujours animé du patriotisme le plus pur, et, dans les occasions les plus périlleuses,
je l’ai toujours vu dévoué à la patrie et prêt à tout sacrifier pour elle ; je
n'ai parlé de l'attaque faite à la blouse que sur ouï-dire, et sans savoir
qu'elle vînt de M. Rogier. (M. B.. supp., 10 juill., et I., 6 juill.)
M.
Charles Rogier – Je me permettrai de dire à l'honorable préopinant qu'il y a
plus que de la légèreté à avancer un fait qui ne vous a été que rapporté, car
il peut porter atteinte à l'honneur d’un homme qu'on est ensuite obligé de
défendre. Je n'ai jamais flatté personne, ni dans les antichambres de quelque
roi que ce soit, pour obtenir des faveurs, ni ailleurs pour acquérir une
popularité dont on ne peut s'enorgueillir que quand l’obtient par des moyens
honorables. J'ai dit hier que je m'honorais d'avoir porté le premier la
blouse ; mais j'ai ajouté que ceux qui venaient ici vociférer des cris de
mort déshonoraient ce noble vêtement. La révolution a été courageuse et
généreuse ; mais. où est le courage à venir aux tribunes lancer sur les députés
de la nation ces outrages et ces injures sans cesse retentissants ? Voilà ce
que j'ai flétri, voilà comment j'ai injurié la blouse, et je persiste dans ce
langage, dussé-je perdre le peu de popularité que je puis avoir acquise. (M.
B., 6 juill.)
M. le comte de Robiano déclare de nouveau qu'il n'a pas eu
l'intention d'imputer un fait personnel à M. Rogier. (M. B., 6 juill.)
M.
le comte d’Arschot – Je demande la parole pour un fait personnel. M. le
comte de Robiano, je crois vous avoir entendu parler de la mauvaise foi de nos
délégués à Londres. Je vous prie de répéter votre phrase et de dire de qui vous
avez entendu parler. (M. B., 6 juill.)
M. le président – M. d'Arschot se plaint d'une chose
dont il n'a pas été dit un seul mot. (M. B., 6 juill.)
M.
le comte d’Arschot – Je croyais l'avoir entendu. (M. B., 6 juill.)
M. le comte de Bocarmé – Messieurs, une grande partie des
observations que j'avais à faire vous ayant été faites par d'honorables
orateurs qui m'ont précédé, j'aurai peu de chose à y ajouter.
D'après
les interprétations diverses données par vous aux dix-huit articles qui vous
sont proposés comme base à la démarcation de nos limites, j'ai eu lieu de me
convaincre que l'adoption de ces préliminaires de paix ne pouvait lier définitivement
ni
Personne
de vous, je pense, n'a contesté le titre d'homme d'honneur à celui qui est
appelé à régner sur les Belges : eh bien, messieurs, je place ma confiance en
cet homme d'honneur, qui, dès qu'il aura mis le pied sur le sol belge, ne se
regardera plus que comme le premier citoyen d'un pays libre ; je place ma
confiance en celui qui vous a dit : « Les destinées humaines n'offrent pas de
tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à maintenir
l'indépendance d'une nation, et à consolider ses libertés. »
Quant
à ceux qui ne veulent reconnaître pour arbitres que les canons, armes si
souvent employées par les oppresseurs des peuples, je leur demanderai ce que
sont devenus les vastes empires fondés sur le soi-disant droit de conquête ;
l'histoire ancienne et la moderne en fournissent assez d'exemples sans devoir
en citer. Je ne pense pas que ce soit aux représentants d'un peuple libre d'invoquer
sans cesse la loi du plus fort ; je ne veux pas, poussé (page 430) par un faux
point d'honneur, faire couler à grands flots le sang de mes frères ; et quand
je puis placer mon pays au rang des États européens, je ne l'exposerai pas à retomber
sous le joug du despotisme étranger. J'ajouterai, messieurs, que les
représentants d'un peuple libre doivent savoir respecter les opinions, ou la
liberté n'est plus qu'un vain mot dont chacun use au gré de ses passions. En
votant le rejet de la question préalable et de tous les amendements faits ou à
faire, et en acceptant les préliminaires de paix qui vous sont proposés, je
croirai avoir été le fidèle interprète des vœux de mes mandataires, et quels
que soient les événements qui nous attendent, ma conscience restera sans
reproche. J'ai dit. (M. B., 6 juill.)
M.
Alexandre Rodenbach – Je me proposais,
messieurs, de faire lire mon discours par l'un de mes honorables collègues ;
mais comme il ne contient rien qui n'ait été exprimé à cette tribune avec
beaucoup d'éloquence, je me dispenserai d'en faire faire la lecture ; néanmoins
je dirai quelques mots pour motiver mon vote.
Il m'est arrivé parfois de persifler et de ridiculiser les
protocoles, je n'en ferai rien aujourd'hui. Je dirai seulement que les dix-huit
articles diplomatiques appelés préliminaires de paix sont les protocoles
masqués, retournés et fardés. J'en excepte toutefois la dette. Je crois de mon
devoir de député de dire ici que si nous adhérons à l'ultimatum de Londres,
nous reconnaissons tacitement que le Luxembourg, Venloo et les cinquante-trois
villages du, Limbourg appartiennent à
Je suis étonné, messieurs, que jusqu'à présent huit membres
de notre députation à Londres ne nous aient encore dit mot de l'entretien qu'ils
ont eu avec le prince Léopold, dont l'acceptation et la lettre nous paraissent
bien diplomatiques. On nous assure, cependant, que ces messieurs ont élaboré
à fond la matière avec toute la supériorité d'hommes qui ont traité de bouche
avec des princes, des ministres et des diplomates.
Dans la séance d'hier, le ministre Devaux nous a demandé ce
qui nous restait à faire si la combinaison de Saxe-Cobourg venait à échouer :
je répondrai à ce ministre que tout ce qui nous reste à faire c'est d'emporter
une victoire ; elle n'est point incertaine ; le Belge est brave, et
son ennemi est le soldat le plus lâche de l'Europe. Je le répète, messieurs,
une seule bataille de gagnée, et nous verrons alors l'opiniâtre larron
couronné, qui nous a spoliés de plus de cent millions à l'aide de son syndicat
d'engloutissement, disposé à faire des concessions. Les cinq puissances en
feront également, car en ce moment-ci, elles craignent plus la guerre que le
choléra-morbus.
Je voterai pour la question préalable. (Bravo ! bravo
! Applaudissements.) (C., 6 juill.)
M.
Nothomb – Messieurs, si j'aborde cette grave
discussion qui, selon moi, doit décider de l'indépendance de
Plusieurs orateurs se sont particulièrement attachés à
démontrer que les préliminaires du traité de paix sont en opposition avec les
faits qui constituent la révolution et avec les actes qui ont été portés par
cette assemblée ; ce n'est pas là que je vois la question. Il s'agit de savoir
si ces propositions sont conformes, non pas à vos précédents, mais aux
principes généraux qui régissent entre nations la propriété territoriale,
principes qui dominent nos délibérations, et que nous ne pouvons nier sans nier
la société. C'est une question de l'ordre le plus élevé, c'est une haute
question de justice sociale qui nous est
soumise.
Quel est donc le principe d'après lequel doivent se
déterminer les limites de
Permettez-moi, pour parvenir à un résultat complet, de vous
rappeler d'abord quelques faits historiques.
Après une guerre de quatre-vingts ans, la république des
Provinces-Unies fut reconnue par le traité de Munster de 1648 ; c'est le titre qui
l'introduisit dans la grande famille des nations, et qui forma (page 431) son territoire. Elle avait
occupé la rive gauche de l’Escaut, une partie du Brabant et du pays d'
outre-Meuse, et la ville de Maestricht pour moitié.
Ce territoire fut reconnu à la république ; et les traités
subséquents, depuis celui de 1664 jusqu’à celui de 1785, n'ont fait que
rectitier ou préciser les limites sur certains points. La ville de Venloo avait signé
l'union d'Utrecht dès le 11 avril 1579 ; plusieurs fois prise et
reprise, elle est restée à
La république des Provinces-Unies a existé avec sa
nationalité et son territoire propre jusqu'en 1795, où elle périt par la
conquête française. Sur les ruines de l'ancienne république, les vainqueurs
érigèrent la république batave, qui plus tard se métamorphosa en royaume
de Hollande, et enfin en départements français ;
Jusque-là il n'avait pas encore été question d'adjoindre à
Voilà les faits : il n'est pas en mon pouvoir de les
détruire.
Quel était donc l'état de
Qu'est-ce que le traité de Vienne a joint à
Tout ce qui est en Belgique ne lui appartenait pas de droit,
en vertu de son ancienne existence nationale qu'elle avait recouvrée et qu'elle
avait le droit de recouvrer.
On a souvent demandé dans cette enceinte qu'elles étaient les
limites de
L'état de choses qui a précédé l'union étant ainsi connu,
quels doivent être les effets de la séparation opérée en 1830 ?
Et ici se présente une remarque bien importante, sur laquelle
je dois insister.
Les dettes et les territoires sont partagés d'après le même
principe, qui nous force à remonter à l'époque de la réunion. « Le partage
des dettes, dit l'article 12 des préliminaires, aura lieu de manière à faire
retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui originairement
pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent.»
Nous avons réputé inique tout autre mode de partage, nous renvoyons à
Je sais, messieurs, que ce langage diffère de celui que j'ai
tenu il y a un mois dans cette enceinte (Note de bas de page : Voir la séance du 28 mai), et j'en
fais moi-même la remarque, imitant la franchise dont M. Charles de Brouckere
nous a donné hier l'exemple. Dans la rapide succession des événements au milieu
desquels nous nous agitons depuis huit mois, il en est peu d'entre nous qui
n'aient parfois modifié leurs opinions ; je n'en fais de reproche à personne,
et je réclame la même indulgence pour moi-même : non qu'aujourd'hui je veuille
renier le principe de l'insurrection, qu'alors j'eus le tort de poser d'une
manière trop absolue ; je lui assigne des bornes, au delà desquelles il me
semble que commence la conquête. Nous avons pu légitimement, par l'insurrection,
reprendre les Pays-Bas autrichiens, y compris le Luxembourg ; nous l'avons fait
en invoquant notre ancienne possession ; mais c'est précisément sur l'ancienne
possession, reconnue pendant deux siècles, que
Sans doute, je veux que la volonté des hommes soit prise en
considération dans l'organisation politique ; j'admets que chaque peuple, comme
peuple, a le droit de disposer de lui-même, c'est à ce titre que
Ce système n'est pas celui des rédacteurs seulement des
préliminaires de paix, il est celui des hommes les plus éclairés qui siègent
au parlement de
Un orateur (M. Jottrand) a comparé hier notre situation à
celle de
Après avoir établi quel est le principe sur lequel le
traité s'appuie en ce qui concerne particulièrement
Je ne répéterai pas tout ce qui vous a été
dit ici et ailleurs sur les ressources qu'offre l'échange facultatif
des enclaves ; je me bornerai à répondre à quelques objections faites
dans la séance d'hier. Rappelant l'ancienne politique de
J’ai déjà fait remarquer que l'ancienne politique commerciale
de
Je suis loin de croire que l'adoption des préliminaires fasse
disparaître toutes les chances de guerre ; je redoute les hostilités aussi
longtemps que
Si vous me demandez : Avez-vous la certitude (page 434) que l'échange des enclaves
vous assure l'intégrité du territoire ? je vous demanderai à mon tour : Avez-vous
la même certitude en déclarant la guerre, seul parti que je regarde comme
admissible dans le système du rejet ? Vous ne me présentez que des chances, des
probabilités de succès ; permettez donc que je ne vous présenté que des
chances, des probabilités. Votre système est au moins aussi conjectural que le
mien. Et en dernière analyse, songez-y bien, la guerre n'est pas une solution ;
quelque horreur que vous ayez de la diplomatie, après la guerre il vous faudra
toujours négocier, à moins que vous ne parveniez à exterminer
Messieurs , je ne me suis pas caché les conséquences du
parti que j'ai embrassé ; je sais que l'opinion adverse a un côté plus
généreux, et c'est le côté généreux qui frappe le public. Mais vous, mes
honorables collègues, vous ne méconnaîtrez pas mes intentions ; comme hommes
d'État, vous prononcerez avec votre raison, et non avec votre imagination ;
vous consulterez la logique inflexible des faits et des intérêts. (M. B.,
supp., 6 juill.)
M. Seron – Je ne
prends la parole que pour motiver, en peu de mots, le vote que j'émettrai ; car
la question soumise à votre examen a été si bien et si complètement traitée par
les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, qu'elle ne me paraît plus
susceptible de nouveaux développements. Je parle des orateurs de l'opposition,
et d'eux seuls, car ayant pour eux leur conscience et la raison, ils n'ont pas
été obligés, comme leurs adversaires, de recourir à des sophismes dont gémit le
bon sens.
Avant d'entrer en matière, je cède au besoin de vous
communiquer une réflexion que fait naître en. moi la situation actuelle des
choses. Quand on vous proposait pour roi le duc de Leuchtenberg, quand le duc
de Nemours obtenait la majorité de vos suffrages, quand des gens sans mission
se transportaient au château de Belœil pour y déterrer un monarque indigène,
l'idée d'offrir le trône au prince de Saxe-Cobourg était repoussée par tout le
monde avec indignation ; il n'y a pas un mois, vous condamniez à l'unanimité
des voix, moins une, le projet de loi tendant à faire admettre dans Maestricht
une garnison prussienne. Chose singulière ! vous avez nommé Saxe-Cobourg ; vous
écoutez aujourd'hui de sang-froid la demande d'abandonner Maestricht à vos
ennemis. Sans doute l'honorable député dont la
proposition produisit ici, en janvier dernier, un si grand scandale, et
le fit rappeler à l'ordre, est en droit d’espérer que bientôt il pourra la
reproduire avec succès.
Un pareil changement, messieurs, est, je n’en
doute
pas, le résultat des intrigues de certains hommes avides de places, qui
espèrent en obtenir incessamment de plus lucratives encore que celles
qu'ils occupent, et qui, quoi qu'il arrive, n'en sortiront pas les
poches vides :hypocrites qui protestent sans cesse de leur patriotisme pur,
de leur désintéressement, et qui n'ont dans l’âme que l'égoïsme et l'amour
de l'or ; hommes doubles qui nous vantent leur franchise ; caméléons politiques
qui osent nous accuser d'orangisme, de
réunionisme et d'ambition ! Nous leur ferons
voir que nous portons dans nos cœurs ce qu'eux ne connaissent pas, l'amour de
la patrie.
Je viens à la question. Vous connaissez tous, messieurs,
les dix-huit articles que vos commissaires ont été chercher à Londres ; il est
inutile de vous en rappeler le contenu. Il en résulte : 1° qu’il doit être
retranché du territoire de
Voilà, messieurs, les conditions que vous envoie le Foreign
Office et à l'acceptation desquelles le prince que vous avez
élu subordonne son arrivée à Bruxelles pour y prendre possession du
trône et donner ses soins les plus assidus et les plus constants ,aux
habitants de cette ville, ainsi qu'il le dit lui-même dans sa
lettre du 6 juin dernier, imprimée et affichée à tous les coins de
rues pour l’information du public. Avais-je tort quand, avant qu’il fût élu roi,
je l'appelais le candidat de
Ces conditions, quoi qu'aient pu dire ceux qui substituent
des arguties au raisonnement, portent atteinte à notre constitution en
exigeant, d'une part, le démembrement du territoire de
Des gens d'un caractère très accommodant ont prétendu que le
congrès, investi du pouvoir de constituer, a le droit de changer la
constitution qu’il a faite. C'est, comme l'a dit mon honorable ami M. de
Robaulx, une grave erreur. Par cela même que la constitution a reçu
l'assentiment général, la sanction publique, elle est devenue le pacte social et la
propriété du peuple ; il ne nous est plus permis d'y toucher. Et croyez-vous,
messieurs, que nous pourrions le faire impunément ? Ne voyez-vous pas de
danger à commencer ainsi une contre-révolution ?
Revenons, messieurs, à des idées plus saines ; envisageons les choses
sous leur véritable point de vue, et nous ne songerons plus à modifier
la constitution, et nous ne verrons plus dans les déclarations du prince de
Saxe-Cobourg, lues à cette tribune par M. de Gerlache, qu'un
véritable refus de la couronne. En effet, vous avez nommé ce prince roi des
Belges, à la condition d'accepter la constitution telle qu'elle a
été décrétée par le congrès national ; et cette
constitution il ne la veut, d'accord avec les protocoles, que modifiée et
changée ; vous avez dit qu'il ne prendra possession du trône qu'après avoir
solennellement prêté dans le sein du congrès le serment d'observer là
constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale
et l'intégrité du territoire ; et voici qu'il déclare ne vouloir régner
qu'autant que vous-mêmes vous adhérerez aux décisions de la conférence, qui ne
respectent pas l'intégrité de votre territoire. Vous voyez qu'il rejette
vos conditions, il ne peut donc y avoir de contrat entre vous et lui ; son
élection devient nulle : il n'est plus à mes yeux qu'un étranger, un Anglais,
un Allemand.
Mais, disent ceux dont l'imagination effrayée voit déjà leurs
châteaux en feu ou du moins occupés par une soldatesque insolente et pillarde,
si nous ne nous hâtons de nous soumettre, de tout accepter, notre pays va être
occupé par les troupes françaises, nous occasionnerons une guerre générale.
Messieurs, croyez que l'acceptation des préliminaires n'empêchera pas les
Français de venir ici si l'envie leur en prend ; croyez que l'Europe ne prendra
pas les armes pour vos limites. Et quant aux hommes timides qui appréhendent
même une guerre avec
On nous a parlé des Polonais ; on nous a dit que si nous nous
refusions à l'arrangement qu'on nous propose, la diplomatie allait les
abandonner et que nous serions cause de leur perte ; les deux ambassadeurs de
cette nation l'ont affirmé. Messieurs, personne plus que moi ne prend intérêt
au peuple dont la cause est la nôtre, et qui se montre si généreux, si grand,
si digne de la (page 436) liberté.
Mais la servirons-nous, cette cause sacrée, en nous soumettant lâchement à des
sacrifices imposés par les rois ? Et que fera pour elle la diplomatie à leurs
gages ? J'avoue, au reste, messieurs, que je n'ai vu ni les prétendus
ambassadeurs ni leurs diplômes, et que j'ignore absolument leur mission ; mais
n'est-il pas permis de la croire suspecte, s'il est vrai, comme on l'assure,
qu'ils viennent, non de Varsovie, mais de Londres, pour insinuer que
l'avilissement d'une nation libre peut être favorable à une nation qui combat
pour la liberté ?
On nous a aussi parlé des Espagnols ; on a dit : S'ils ne
sont pas libres, c'est parce qu'ils n'ont pas voulu modifier leur constitution.
Mais, messieurs, n'est-il pas évident au contraire, par des faits connus de
toute l'Europe, que si la liberté n'a pas triomphé en Espagne, c'est uniquement
parce que l'Espagne n'est pas mûre pour la liberté ? Croyez-vous qu'on puisse
dire la même chose de
Enfin, un député ministre d'État nous a menacés d'un partage,
il en a exposé le plan ; mais jusqu'à ce que le député ministre en ait exhibé
les preuves, il me permettra de ne pas croire sur sa parole à un projet dont
l'absurdité est palpable.
Je me résume en deux mots : Le prince de Saxe-Cobourg a
refusé nos conditions, il a donc refusé le trône de
Je vote donc pour la question préalable sur les préliminaires
en dix-huit articles et les protocoles qui les ont précédés, et, par une
conséquence nécessaire, je vote également pour la question préalable sur
l'amendement présenté par M. Van de Weyer ; car, en adoptant cet amendement,
nous nous replacerions imprudemment sous l'influence de la conférence de
Londres, dont nous devons nous affranchir si nous ne voulons pas qu'elle tue
notre révolution.
En me conduisant ainsi, je ne craindrai ni les reproches de
ma conscience, ni les reproches de mes concitoyens ; je pourrai encore lever la
tête et ne pas rougir en présence des honnêtes gens. (Applaudissements.) (M. B.,
supp., 6 juill.)
M.
le comte d’Arschot déclare qu'il votera pour les
préliminaires, qui lui paraissent le seul moyen d'éviter la guerre,
guerre qui, selon lui, amènerait ou la réunion à
M. Isidore Fallon – Messieurs,
les dernières propositions de la conférence de Londres, destinées à
clore notre révolution et à fixer définitivement le sort de
Faut-il rejeter ces propositions par la question préalable
d'inconstitutionnalité, sans même prendre soin d'indiquer à la nation et à la conférence elle-même ce
qui y répugne à l'honneur national ?
Faut-il les accepter purement et simplement ?
La proposition d'indemnité éventuelle, faite par plusieurs de
nos honorables collègues, est-elle de nature à faciliter l'adoption de ces
préliminaires de paix ?
Enfin, les amendements proposés par MM Beyts et Van de Weyer
offrent-ils des garanties suffisantes en cas d'acceptation ?
Ce sont là les questions graves que nous sommes appelés à
résoudre.
Pour asseoir mon jugement sur des difficultés aussi
sérieuses, telles sont les considérations auxquelles je me suis attaché ; voici
la marche que j'ai suivie.
J'ai comparé d'abord la situation du pays
alors qu'il s'est agi de la candidature du prince Léopold de
Saxe-Cobourg avec l'état actuel de nos affaires politiques. J'ai reporté mon
attention sur les motifs qui m'avaient déterminé à appuyer l'élection immédiate,
et je suis arrivé à cette conséquence que les propositions de la conférence ne
peuvent obtenir mon assentiment, pas même au moyen des amendements de mes
honorables collègues MM. Beyts et Van de Weyer, et pas même au moyen du
système impraticable d'indemnité éventuelle.
Telle était notre position à l'époque du décret
préalable à l'élection.
Nous étions alors en présence du protocole du 20 janvier.
(page 437) Dans la séance
du 1er février, cet acte de despotisme avait été
presque unanimement repoussé.
Les motifs principaux de cette protestation solennelle ont
énergiquement retenti dans cette enceinte.
Cet acte de la conférence, formulé sans l'intervention de la
nation belge et sans qu'on eût même daigné entendre son gouvernement, a été
considéré comme une violation du principe de non-intervention,
comme un attentat humiliant à la souveraineté de la nation, et une censure
amère de la révolution.
Il fut déclaré à la conférence que si le peuple belge avait
compris dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la
rive gauche de l'Escaut, ce n'était nullement par système de conquête, ni
d'agrandissement, mais bien parce que telle était et devait être la conséquence
de l’état des choses au moment où les provinces méridionales avaient été
imprudemment et arbitrairement associées aux provinces septentrionales.
C’est sur ces considérations que le congrès proclama alors,
par une impulsion presque unanime, qu’il ne se soumettrait jamais, et ce mot
fut prononcé par 163 voix contre 9 ; qu'il ne se soumettrait jamais, dis-je,
à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et mutilerait la
représentation nationale.
C'est dans ce sens que l'action fut dès lors imprimée à notre
diplomatie.
Depuis quatre mois, tous nos efforts s'étaient réunis pour
nous soustraire aux exigences d'un protocole ; mais depuis quatre mois les
négociations traînaient péniblement en longueur, lorsqu’il devint évident pour
tout le monde que la diplomatie ne faisait autre chose que de reculer le but au fur et
à mesure des efforts que nous faisions pour l'atteindre, et que le système
secret de la conférence était, sinon de nous amener à un acquiescement
par la peur de la violence, de nous réduire au moins à la
soumission par la fatigue et l’épuisement.
C’est alors qu'on sentit le besoin de faire cesser cet état de choses et
de sortir enfin d'un provisoire qui, plus longtemps prolongé, faisait
pressentir de funestes résultats.
Le congrès fut réuni.
La question qui fut agitée ne fut pas de savoir s’il fallait se soumettre
au protocole du 20 janvier et élire le prince de Saxe-Cobourg.
Si alors semblable proposition eût été faite, elle eût été
repoussée avec indignation, non seulement par les motifs de la protestation du
1er février, mais encore parce que depuis lors on avait acquis la preuve
que ce protocole était un véritable contre-sens dont l'exécution forcée n'était
pas à craindre.
Si les puissances se fussent réunies pour forcer
Mais dès lors qu'elle était forcée de reconnaître qu'à
l'égard de
La guerre donc, ou une combinaison de nature à soustraire
promptement
Le choix pour moi ne fut pas douteux.
Je crus apercevoir cette combinaison dans la personne du
prince Léopold, et j'appuyai son élection.
Les renseignements qui furent donnés au congrès sur les
éminentes qualités de ce prince, qualités qui ne furent pas contestées par
ceux-là mêmes qui étaient opposants à son élection, me firent concevoir l'espoir
d'obtenir, par cette puissante intervention, la possession paisible des limites
constitutionnelles, sans effusion de sang et sans livrer ma patrie aux
calamités et aux chances d'une guerre.
Dans la position élevée où ce prince se trouvait placé, étant
tout à la fois l'élu de la nation et des puissances médiatrices, il me semblait
que les portes de la conférence allaient lui être ouvertes ; qu'il y ferait
entendre un langage que l'on avait jusqu'alors dédaigné, et qu'il ne tarderait
pas à apporter en dot à sa nouvelle patrie adoptive, sinon la révocation pleine
et entière du protocole, tout au moins des tempéraments de nature à le
concilier avec l'honneur national et notre régime constitutionnel.
Mes prévisions ne se sont pas réalisées, et je me retrouve en
présence du protocole du 20 janvier, avec cette seule différence entre le
présent et le passé, qu'alors nous protestions contre ce protocole, et
qu'aujourd'hui nous délibérons sur la question de savoir si nous convierons le
prince de notre choix à venir nous aider à l'exécuter.
(page 438) Cette
similitude entre l'époque de l'élection et l'état actuel des choses n'est pas
rigoureusement exacte, je le sais.
Mais qu'importent quelques points de détail, si je retrouve,
dans l'ensemble des dernières propositions de la conférence, les principaux
motifs de ma répugnance !
La proposition quant à la dette est, à la vérité, une grande
amélioration ; mais d'abord cela est tout à fait en dehors du protocole ; il
n'en avait été parlé que postérieurement et sous la forme de proposition, et la
proposition était par trop absurde pour croire un instant qu'elle fût sérieuse.
La proposition, quant au Luxembourg, est aussi à mes yeux une
amélioration, puisqu'elle nous offre tous les avantages du possessoire, et
qu'elle nous place sur un terrain beaucoup plus favorable pour nous défendre au
pétitoire, ou pour transiger au moyen d'indemnités pécuniaires.
Quant à la question de la rive gauche de l'Escaut, beaucoup
de considérations eussent pu me déterminer à me contenter des garanties
offertes par le septième article des propositions, si, par ce sacrifice encore,
j'eusse pu assurer l'indépendance et la paix de mon pays.
Mais c'est dans la question du Limbourg que je retrouve tous
les principaux motifs de ma répugnance au protocole du 20 janvier. C'est là où,
comme vous le disiez le 1er février, il s'agit de l'honneur belge et de mutiler
la représentation nationale.
L'idée d'abandonner des frères qui ont fait cause commune
avec nous, qui se sont jetés dans nos bras lorsque nous les leur tendions, qui,
partageant nos périls, ont acquis le droit incontestable de partager les fruits
d'un même patriotisme, et qui cependant, malgré les garanties offertes par la
seizième proposition, ne seraient pas moins frappés d'interdiction et exposés
longtemps à tous les funestes effets de sourdes vexations ; cette idée, dis-je,
déchire trop péniblement mon cœur, pour que je puisse jamais donner les mains à
une si cruelle combinaison.
On nous dit : Mais le marquisat de Berg-op-Zoom, la
seigneurie de Ravenstein et plusieurs autres enclaves sont là, on pourra faire
des échanges et conserver le Limbourg en entier.
Je cherche avec empressement la démonstration d'une aussi
consolante assertion au-devant de laquelle je m'étais déjà placé dans le comité
général, mais je ne trouve qu'une illusion trompeuse.
Et d'abord, où sont les titres qui nous assurent des droits
incontestables sur ces enclaves ?
Où est-il démontré que ces enclaves sont de nature à pouvoir
absorber par compensation les portions du Limbourg dont nous serions
évincés ?
Où est-il prouvé que le gouvernement hollandais
consentirait à l'échange ? tandis qu'un refus de sa part nous
tiendrait dans la position la plus fausse, puisque sur ce point nous ne
pourrions
lui faire la guerre.
Et d'ailleurs ne faudrait-il pas, dans tous
les cas et aux termes bien précis de la sixième proposition, commencer par
évacuer toutes ces portions de territoire ?
Je rencontre ici les amendements de MM. Beyts et Van de
Weyer, mais je ne les trouve pas conçus dans des termes propres à calmer mes
inquiétudes.
Dire, avec M. Beyts, que l'on considérera comme non
avenu le consentement aux propositions préliminaires si un traité de paix
définitif n’en est le résultat, ce n'est pas résoudre la question du Limbourg,
et ce n'est pas indiquer surtout que, sur ce point, toute transaction qui
tendrait à mutiler cette province rencontrerait des obstacles invincibles.
Adopter, avec M. Van de Weyer,les propositions de la
conférence, en se bornant à charger le gouvernement de stipuler que les
enclaves en Hollande, reconnues appartenir à
Je préférerais trancher plus vite et plus
franchement la question, et, pour cela faire, un simple changement de rédaction
me suffirait.
Je me servirais de ces expressions :
« Le congrès, en adoptant les propositions de la
conférence, les comprend dans ce sens et pas autrement : 1°, etc. »
Quant à la proposition d'indemnité éventuelle faite par
plusieurs de nos honorables collègues, je ne crois pas devoir m'y arrêter,
puisqu'il a déjà été démontré suffisamment que ce système était d’une exécution
impossible.
Enfin, que l'on me fournisse le moyen d'arranger les
choses de manière à ce qu'en acceptant les propositions la province du Limbourg
reste dans les limites de la constitution, et alors être je pourrai, dans
l'intérêt du repos et de l’indépendance (page
439) de mon pays, accepter les préliminaires de paix.
Jusque-là ces préliminaires ne pourront obtenir mon acquiescement
; je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement taxer d'exagération mes exigences.
Les limites des États n'ont été tracées que par la conquête
ou par des traités, et ces limites ont
varié successivement suivant que la conquête ou les traités y ont apporté des
changements.
Or, aujourd'hui que la séparation de
Lorsque les départements réunis furent annexés à
Pourquoi donc rétrograder à 1790 en faveur des provinces
septentrionales, au préjudice des provinces méridionales, alors que c'est
précisément à
Sans récapituler ici les fautes nombreuses qui sont venues détruire
l'œuvre de 1815, sans parler des moyens violents qui avaient été employés pour
étouffer jusqu'à l'expression des simples vœux des états
provinciaux, le fameux message du 11 décembre ne suffit-il pas pour
attester que c’est le gouvernement hollandais qui a déchiré le pacte social ?
Or, si pour régler maintenant, d'une manière convenable aux deux
divisions, une séparation que le gouvernement hollandais a violemment
provoquée, l'une de ces divisions doit supporter quelque morcellement, la
justice s'oppose à ce que ce soit précisément
Une dernière considération que, par prudence, je ne
développerai pas, mais qui me paraît également pressante et qui me détermine
encore à refuser mon assentiment aux propositions, sans des garanties
préalables quant au Limbourg, c'est le besoin d'écarter, dans l'état de
crise où se trouve le pays, tout ce qui peut être de nature à troubler la
concorde et à produire la désunion.
J'aperçois dans l'acceptation pure et simple des propositions
une irritation qui produira des frottements de nature à rendre bien difficile,
sinon, peut-être, impossible, l'action du gouvernement alors que le prince
Léopold viendrait en prendre la direction sous d'aussi malheureux auspices.
Quant à la question préalable, je ne doute pas que la
constitution ne comprenne dans ses limites les provinces méridionales telles
qu'elles se trouvaient formées sons le gouvernement précédent ; mais je ne
pense pas qu'il y ait inconstitutionnalité à apprécier le mérite d'échanges de
territoires ou de limites, alors que la constitution en prévoit le cas et
abandonne cette appréciation à la législature ordinaire.
Je voterai donc contre l'acceptation pure et simple des
propositions, tout en votant contre la question préalable, réservant toutefois
mon suffrage, quant à l'amendement de M. Van de Weyer, si la rédaction en est
modifiée dans le sens que je l'ai proposé ou de toute autre manière propre à
atteindre le même but. (C., 6 juill.)
M. de Gerlache – Messieurs, je
ne me dissimule pas dans quelle position désavantageuse on se trouve placé en
défendant l'opinion contraire à celle qui paraît prévaloir dans cette assemblée
; cela ne m'empêchera pas de faire mon devoir, et de dire ce que je pense au
pays, comme jadis je l'ai dit à ce même souverain que le pays a repoussé :
l'histoire, à son tour, dira si nous nous sommes montrés plus sages que lui.
Il n'a pas dépendu de nous de faire adopter à Londres notre
territoire tel que la révolution l'a voulu faire, c'est-à-dire, le midi, les
Belges et les catholiques d'un côté ; le nord, les Hollandais et les
protestants de l'autre. Dans une conversation que nous eûmes chez un célèbre
ministre d'Angleterre, en présence d'un de ses collègues, nous avons traité la
question comme on l'entendait au congrès ; nous nous sommes récriés contre
cette manière arbitraire de joindre et de disjoindre les nations sans consulter
leurs inclinations ni leurs besoins. Mais à Londres, ceux-là mêmes qui nous
sont le plus favorables ne voient pas précisément les choses comme on les voit
à Bruxelles.
« Vous voulez vous séparer de
Il est évident, en effet, messieurs, que pendant le temps qui
s'est écoulé entre la première invasion des Français en Belgique jusqu'à leur
expulsion, il n'y a plus eu de Belgique proprement dite ; il est, bien évident
que lorsqu'en 1815 les alliés donnèrent la majeure partie de nos provinces
comme accroissement de territoire à
Si on vous eût dit, au mois de septembre dernier, quand
furent faites les premières demandes de séparation à
Or, messieurs, parmi les dix-huit articles, il en est qui
certainement vous sont très favorables : il y a là, quoi qu'on en dise, de
grandes dérogations aux protocoles.
Les puissances n'interviennent plus dans nos affaires, à
moins qu'elles n'en soient requises par les deux parties ; vous ne subirez
plus, comme on disait, le joug de
Enfin, les questions du Luxembourg et du Limbourg étant séparées,
il ne s'agit plus d'échanges de territoires ; il ne s'agit plus de perdre l'un
pour conserver l'autre, comme on vous en menaçait.
Que si toutes ces difficultés ne peuvent se terminer à
l'amiable, eh bien, vous aurez recours à la dernière raison des rois et des
peuples
! Vous ferez la guerre ; mais vous la ferez avec votre
roi ; le peuple et l'armée sauront à qui obéir ; le pouvoir
exécutif, réuni dans une seule main, sera fort ; votre
triomphe est certain, et si même les chances de la guerre vous étaient
défavorables, une nation reconnue par toutes les autres a toujours des
gages assurés d'existence et d'indépendance, que la guerre ni
les traités ne peuvent lui enlever.
Messieurs, je pense que notre futur souverain, appuyé sur
l'Angleterre et sur
Le point sensible, le point irritable de la question, que je
n'ai point encore abordé, c'est Venloo ! Nous ne pouvons, dit-on, l'abandonner
: c'est une question d'honneur national ; cette ville a pris notre parti. Si
vous abandonnez ses habitants à la réaction hollandaise,
on vous adressera, ce sarcasme cruel que vous aurez bien mérité : Il était du congrès, il a vendu
ses frères ! J'applaudis autant qu'aucun autre au
noble sentiment qui a dicté un si beau mouvement oratoire à l'un de
nos collègues du Limbourg, et j'ai ressenti ma part de la prodigieuse impression
qu'il a produite dans cette enceinte. Mais, messieurs, dans un conseil
d’Etat (et permettez-moi de vous le dire, c'est en conseil
d'État que vous délibérez maintenant), si on se laissait aller à de magnanimes
émotions au lieu de consulter la raison froide et l'intérêt du pays, on
compromettrait souvent le pays lui-même. Toute la question, pour moi qui siège
ici comme Belge, et non comme député d'une province, c'est de savoir si vous
pouvez espérer de conserver à la fois votre ancienne patrie belge et
Venloo ? Eh ! messieurs, si le rejet des propositions qu'on vous fait doit
amener la guerre avec tous les désastres qu'elle
entraîne, la destruction de votre jeunesse, des propriétés,
la perte totale du commerce et de l’industrie, avant même que vous
retrouviez une occasion de traiter (ou que quelqu'un traite de
vous et sans vous) , n'entendrez-vous pas souvent dire : Ils étaient du
congrès ; ils ont pu sauver le pays, ils en avaient une belle occasion,
et ils ne l’ont pas voulu ! Qu'auriez-vous
à répondre alors aux pères de famille, aux veuves, aux orphelins qui vous adresseraient
ces foudroyantes paroles ?
Vous parlez d'honneur national ! c'est un mot dont l'effet est magique
sur le cœur des Belges ! J’ai dit aussi que, pour une nation comme pour un homme, la
perte de l'honneur c'était la mort ! mais il faut bien s'entendre sur
l'acception de ce mot, qui a tant de significations diverses, et dont quelques-unes sont fort
arbitraires, comme chacun sait. La justice a aussi ses principes qu'il faut consulter, et qui
ne peuvent être contraires à ceux de l'honneur. Ou vous voulez
traiter, ou vous ne le voulez pas : croyez-vous que les puissances puissent
changer les bases qu'elles vous présentent, et d'après lesquelles elles vous
accordent rigoureusement tout ce que vous pouvez réclamer comme Belges ? Trois
des grandes puissances sont évidemment favorables au roi de Hollande, qui est
désespéré d'avoir perdu la plus belle partie de son royaume, désespéré que
l'avènement du prince de Saxe-Cobourg le déshérite à jamais. Si vous vous
montrez intraitables, pensez-vous qu'elles ne saisissent pas cette dernière
occasion d'écraser à la fois la révolte en France, en Pologne et en Belgique ?
Le moment est peut-être bien près de nous où va s'engager une lutte à mort
entre le pouvoir absolu et la liberté ; et qui vous dit que l'Angleterre,
occupée chez elle de sa réforme, et
Que l'on fasse pour les habitants de Venloo tous les
sacrifices imaginables, afin d'adoucir leurs pertes, j'y applaudis avec
empressement. Je suis du nombre de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de
dédommagement possible pour une patrie perdue. Mais la perdent-ils, cette
patrie, qui consiste, non pas dans le sol et dans les murailles, mais dans les
lois protectrices des citoyens et dans les institutions ? Ils la retrouveront
chez nous d'autant plus généreuse, d'autant plus tendre, qu'ils auront excité
plus de compassion.
N'oubliez pas, je vous prie, que vous êtes ici pour délibérer
sur le sort de
Quant à l'amendement de M. Van de Weyer, je ne puis l'appuyer
en aucune manière : il n'ouvre qu'une voie sans issue, et nous sommes pressés
d'aboutir à une fin. L'article 6 des propositions est formel ; et la lettre
d'envoi porte que tous les articles seront considérés comme non avenus si le
congrès les rejette en tout ou en partie. II faut interroger sa conscience,
prendre sa résolution, et avoir le courage d'accepter ou de rejeter les
propositions en entier. Comment recommencer à négocier, aujourd'hui que tout le
monde est fatigué de diplomatie ? Comment conserver plus longtemps à l'égard de
Venloo le status quo qui laisse la citadelle d'Anvers au pouvoir des
Hollandais, qui vous prive de tous les avantages attachés à cette grande ville
commerciale, bien autrement importante que Venloo ?
(page 442) Le
prince, dans sa lettre au régent, a promit d'arriver immédiatement en Belgique
si vous acceptez les articles : si vous ne les acceptez que sous condition, il
se trouve dégagé de sa parole : et vous compromettez tout ce qu'il y a
d'avantageux dans les propositions qu'on vous soumet. Que si les circonstances
changent autour de vous ; si les affaires se brouillent à l'extérieur, soit en
France, soit en Pologne, si l'on ne cherche enfin qu'un prétexte pour la
guerre, le voilà tout trouvé ; elle pourra commencer immédiatement chez nous.
Comment voulez-vous, je le répète, que la conférence abandonne son principe,
qu'elle intervienne pour vous garantir une portion de l'ancien territoire
hollandais, lorsque sa médiation même n'est fondée que sur un principe
contraire à l'intervention extérieure ? lorsqu'elle reconnaît bien votre
indépendance nationale, parce qu'elle admet le droit d'insurrection, mais non
le droit de conquête ? Comment pouvez-vous aller vous-mêmes au delà de vos
limites belges, tandis que le droit d'insurrection, suite du droit de
non-intervention, est votre seul palladium ; et qu'au contraire, le droit de
conquête menace votre existence, en vous mettant à la merci des grandes
puissances, plus fortes que vous ?
Je conclus de ceci qu'il faut être juste envers tout le monde
: si Venloo appartient au roi de Hollande, je m'oppose à ce qu'on fasse la
guerre pour avoir Venloo.
Si la guerre générale avait lieu immédiatement, comme je le
crains, en cas de refus des propositions,
Messieurs, je résume en peu de mots mes idées sur cette
grande question. Il s'agit pour nous, non pas de conserver telle ou telle
portion de territoire, mais de savoir s'il y aura encore une Belgique ou s'il
n'y en aura plus. Voulez-vous éviter l'anarchie, ou la réunion à
Je n'ai rien dit des qualités personnelles du prince, et cela
était fort inutile, puisque tout le monde les a louées. J'ai été quelque peu
étonné d'entendre un orateur, qui jusqu'ici ne s'est pas montré trop partisan
du catholicisme, lui reprocher d'être protestant. Je déclare, pour mon compte,
que je redoute moins un protestant qu’un gallican ; et, aujourd'hui, tous les
princes catholiques sont plus ou moins gallicans.
Quelques-uns de nos honorables collègues ont fait les plus
nobles professions de foi ; pour vous prémunir d'autant mieux contre tout
parti
faible, ils ont rappelé les outrages dont on avait honoré les anciens
défenseurs de vos libertés. Je n’étais pas du nombre de ceux qui
sollicitent des places et qu'on vous a signalés tout à l'heure avec tant de virulence
: j'en ai donné plus d'une preuve. Je ne pense pas, messieurs, qu'un Belge, un
seul Belge ait été plus cordialement haï que moi par Van Maanen et le roi de
Hollande, pour sa conduite parlementaire. J'étais tour à tour jacobin,
gallomane ou jésuite. J'ai eu tour à tour pour ennemis tous les ennemis de vos
libertés. Je me souviens qu'appelé à délibérer au milieu d'une population qui
nous était hostile, qui cherchait à nous déconcerter par ses insolentes
clameurs, et qui m'avait donné, à moi, des preuves particulières et non
équivoques de ses dispositions malveillantes, j’osai parler de vos droits avec
la même énergie que je pourrais le faire ici au milieu de mes concitoyens
et de mes amis ; j'en appelle à la mémoire des assistants et des lecteurs.
Je prédis à Guillaume sa chute prochaine s'il ne changeait de
conduite. Je vous ai parlé aujourd'hui avec la même conviction. Aurai-je été
plus heureux ? L'avenir nous en informera. Mais les contrariétés, les
dangers que j'affrontai sans crainte, lorsqu'ils m'étaient personnels, ne
m'ont point rendu hardi pour compromettre le sort de mon pays. Je ne sème point
révolution sur révolution. Je ne conseille point la guerre à moins d'une
nécessité absolue ; la guerre, ce fléau qui renferme à lui seul tous les
fléaux, tous les malheurs, tous les crimes ; la guerre, horrible et insensée, à
moins que le salut du pays n'en dépende, car alors elle est sanctifiée par le
but, et le dévouement devient sublime, puisque la patrie doit renaître des
cendres de ses citoyens ! C'est la main sur la conscience, messieurs, quoique
ce soit aussi pour moi un sacrifice, et que je le fasse avec
répugnance, que je voterai pour l'acceptation des
propositions qui vous sont soumises. Messieurs, vous avez dans vos mains
les destinées de votre pays et celles de l'Europe peut-être pour un quart de
siècle. Le pays et l'Europe diront quelque jour si vous étiez à la hauteur de
votre mission ! (M. B., supp., 9 juill.)
(page 443) M. le baron d’Huart
– Messieurs, après les nombreux et éloquents orateurs qui m'ont
précédé, je ne prends la parole qu'avec hésitation, parce que je
crains de fatiguer votre patience ; mais en réclamant pour un court instant
votre attention, je cède au vœu de ma conscience, qui me prescrit de motiver
mon vote dans cette circonstance solennelle où nous sommes appelés à
décider du sort de la patrie.
Par votre décret du 4 juin dernier, vous avez proclamé roi
des Belges le prince de Saxe-Cobourg, à la condition d'accepter la
constitution telle qu'elle a été décrétée par le congrès
national, et sous l'obligation de jurer le maintien de l'indépendance et de
l'intégrité du territoire, désigné par l'article 1er de la constitution.
Répondant à l'offre du trône de
Il ne vous reste donc plus actuellement qu'à voir si les
intérêts et l'honneur de
Si je consulte les intérêts de
Si je consulte l'honneur, national, je rencontre la plus
irrésistible opposition, puisqu'il s'agit de sacrifier froidement aux caprices
de la conférence, des concitoyens qui ont acquis la qualité de Belges au prix de leur
sang, et en usant du droit sacré que les peuples ont de disposer
d'eux-mêmes. (Vous voyez que, moi, je ne m'en rapporte qu'au principe
révolutionnaire, qui seul nous fait siéger ici ; dans une de nos précédentes
séances, l'honorable M. Nothomb avait aussi émis cet avis, mais aujourd'hui il
a jugé à propos d'invoquer exclusivement les traités.)
Si je consulte enfin votre propre dignité, je la trouve
compromise, puisque par un acte solennel, l’un des plus beaux du congrès, vous avez
protesté énergiquement contre le protocole du 20 janvier, qui ne diffère que
dans la forme des propositions qu'on vous présente aujourd'hui.
Ce que je viens de dire a été clairement démontré.
Vous ne pouvez donc, messieurs, admettre les conditions
auxquelles le prince de Saxe-Cobourg subordonne l'acceptation de la couronne.
On a allégué que l'ultimatum dont il s'agit diffère
essentiellement des protocoles, en ce sens qu'il élargit le champ des
négociations ; mais, messieurs, est-ce lorsqu'on a inutilement négocié depuis
huit mois ; est-ce dans le moment où les commissaires de notre ministre des
relations extérieures ont essuyé, de la part de la conférence, l'humiliation de
n'être .point reçus près d'elle, est-ce alors, dis-je, que vous compterez
aveuglément sur un résultat avantageux de négociations traitées avec le roi
Guillaume, sous les auspices du Foreign Office ? Je ne puis le croire.
Messieurs, en vous exposant les motifs de la détermination
que je prendrai en cette circonstance, je vous prie de croire que j'en ai
mûrement pesé les conséquences. Je ne me suis pas dissimulé la guerre immédiate
qu'il faudra faire au roi Guillaume, pour nous mettre en possession des parties
de notre territoire qu'il occupe encore ; mais quelles que puissent être les
suites de cette nécessité, je les préfère au déshonneur.
Je voterai donc pour le rejet des propositions, en adoptant,
toutefois, quant à la question préalable, l'opinion de l'honorable M. Fallon.
(M. B., 6 juill.)
M. le baron de Pélichy van Huerne
– Messieurs, je ne pensais pas prendre la parole dans cette grave et
importante discussion, qui avait déjà été traitée par d'éloquents orateurs,
mais les diverses opinions qui ont été émises me font un devoir de motiver mon
vote.
Je m'oppose à la question préalable, parce que ce serait un
moyen de non-recevoir, qui empêcherait la discussion d'une question vitale pour
notre avenir.
Je considère les préliminaires qui nous sont proposés par la
conférence de Londres comme des voies pour parvenir à un traité de paix
définitif, et comme uniques pour nous constituer nation libre, nation
indépendante.
Si on laisse échapper l'occasion, la seule qui nous reste, au
delà il n'y a que guerre, qui, en faisant couler le sang le plus pur de nos
concitoyens, viendrait verser sur notre sol la dévastation et la misère.
Guerre ! oui, guerre, lorsqu'elle est de toute nécessité,
lorsqu'il n'existe aucune probabilité de l'éviter ; et alors encore on ne doit
s'y engager qu'à la dernière des extrémités.
Quand on connaît les horreurs de la guerre, quand, comme moi,
on a été acteur dans les plus (page 444)
pénibles campagnes, on n'ignore pas que vainqueurs et vaincus ne laissent sur
leur passage, n'entraînent à leur suite que ravages, que malheurs ; on n'ignore
pas non plus que le sort des armes est journalier, que tel qui a été vainqueur
dans le cours de plusieurs campagnes heureuses, se trouve souvent dans la
triste situation de se voir enlever en une seule bataille le fruit de toutes ses
victoires.
Faut-il exposer à cette incertitude le sort de la patrie,
risquer cette indépendance, cette nationalité que nous avons conquises par
notre fermeté et par les circonstances ? Quant à moi, messieurs, je ne le pense
pas.
D'ailleurs, dans les préliminaires, je ne vois aucune
infraction à la constitution, puisqu'ils ne sont que des propositions sur
lesquelles on est appelé à négocier ; j'y vois, au contraire, une marche à
suivre pour conserver notre territoire par le moyen des échanges. En effet, en
parcourant les articles 2 et 5 des susdits préliminaires, on se persuade de la
réalité.
Par ces articles,
Ce point posé, qu'on se porte à l'article 5 des mêmes
préliminaires, et on trouvera toute la facilité, d'après moi, par les échanges,
à obtenir l'intégralité du Limbourg et de la ville de Maestricht, facilité
d'autant plus grande que nous possédons davantage que
Ce droit établi, je crois que c'est rendre un service éminent
à la patrie en accédant aux préliminaires en question, parce que leur solution
amènera au milieu de nous un chef dont la nation et surtout l'armée a un si
grand besoin. Alors tous les partis se confondent, et la nation entière, se
serrant comme un faisceau autour de son chef, qui aura le plus grand intérêt de
lui procurer les limites qui lui sont nécessaires pour sa dignité comme nation
; et auxquelles le bon droit lui donne des prétentions, marchera avec ce
courage inné aux Belges pour conquérir ce qu'on lui refuserait injustement.
Avec le prince de Saxe-Cobourg, nous pouvons
agir unanimement ; il sera par son influence d’un grand poids dans la balance pour terminer
favorablement nos affaires. Car, remarquez-le, messieurs, si nous ne sommes
constitués, on ne voudra point traiter avec nous, puisque l'on nous considérera toujours
comme rebelles. Il nous faut donc un chef, sans quoi impossible de nous
faire reconnaître comme nation, et d'entrer dans la famille
européenne.
Si au contraire nous sommes constitués et qu’il faille faire la guerre, nous la
ferons comme nation, et advienne ce qu'il voudra, nous jouirons, dans tous les
cas, des droits des nations.
Si j'entrevoyais une infraction à la
constitution, je pourrais parler autrement ; mais je ne l'aperçois
pas, puisque vous-mêmes avez prévu le cas où quelques modifications aux
limites deviendraient nécessaires, en insérant dans cet acte solennel les
articles 3-68, qui disent que si quelques modifications devaient
s'effectuer, dans l’intérêt de l'État, elles pourraient se faire par une loi
; donc si vous opérez en vertu de la loi, vous tenant à la lettre des
articles, vous ne touchez pas à la constitution, puisque vous n'agissez que par
elle.
Répondant à un honorable membre qui a dit
qu'aucun changement aux limites ne peut avoir lieu pendant une régence, je
dirai que l'article 84 ne s'applique qu'aux deux chambres, mais non au
corps constituant légalement assemblé.
Envisageant la situation de l'Europe, je me suis convaincu de
la nécessité de nous constituer au plus tôt par l'acceptation des préliminaires
qui, selon moi, sera un moyen de nous arracher au péril de nous voir sous le
joug de l'étranger, d'être incorporés à une autre nation, ou peut-être
pis encore, si une conflagration générale, qui paraît inévitable si nous
adoptons une autre décision, venait à éclater. Ne perdons pas de vue,
messieurs, que c'est ce sort fatal qui a été mis en question, et j'en
appelle à nos députés qui ont été à Londres.
Quant à moi, messieurs, je déclare hautement que je ne donnerai
jamais mon assentiment à toutes propositions qui pourraient nous
conduire à cet état. Je ne veux être ni Français, ni Anglais, ni
Allemand, mais Belge, et uniquement Belge ; Pour ces motifs, je ne recule pas
devant les préliminaires de paix proposés ; je voterai pour leur acceptation,
persuadé que je suis que c'est le seul moyen de parvenir à nous consolider
comme nation, et je le fais avec d'autant plus d'assurance que c'est le vœu de
mes commettants. (M. B., 9 juill.)
(page 445) M. Fransman – Messieurs,
décidé que je suis à voter pour la question préalable et contre
toute proposition qui tendrait à ouvrir de nouvelles négociations avec la
conférence de Londres, je dois à mes commettants d'exposer franchement
les motifs qui me déterminent dans cette circonstance difficile et
périlleuse.
Je ne ferai point
l'analyse des dix-huit articles que l’on se plaît à considérer bénignement
comme des préliminaires de paix avec
D’après le contenu de l'article 3, la province du Luxembourg
appartient à
Mais, répondez-vous, si le roi Guillaume ne propose point de
conditions acceptables, nous reprendrons la province de Luxembourg par la force
des armes. Renoncez à cette vaine espérance. Les armes vous deviennent
inutiles.
Je n'ajouterai rien à ce qui a été dit relativement aux
enclaves qui se trouvent dans le Brabant septentrional et qui appartiendront à
Le temps est venu de sortir du labyrinthe de la diplomatie et
d'en appeler à notre épée, comme le disait naguère M. le régent, dans sa lettre
au prince Léopold. La sympathie des nations voisines pour notre sainte cause,
la tendance de tous les peuples vers la liberté, nous donnent les plus grandes
espérances de succès. Si, au contraire, le destin en est arrêté, si les
despotes du Nord ont résolu l'extinction du nom belge, tombons au moins
avec honneur. Quant à moi, ma détermination est inébranlable : fidèle à la
constitution, je ne puis me résoudre à souscrire à la ruine de ma patrie, et à
léguer à la postérité un monument (page
446) éternel de notre lâcheté et de notre opprobre (J. F., 15 juill.)
M.
le comte Duval de Beaulieu – Il est bien fâcheux,
messieurs, mais il est malheureusement devenu nécessaire, puisque l'expression
des opinions est troublée par les clameurs des tribunes, puisque dans cette
assemblée qui devrait être le sanctuaire de toutes les libertés, celle de la
pensée n'est point respectée, il est fâcheux mais il est devenu nécessaire que
l'orateur doive chercher à obtenir d'être écouté sans haine, sans prévention,
sans rumeur ; qu'il doive rappeler la confiance qui lui a été témoignée ; qu'il
rappelle ses précédents... Vous savez, messieurs, si dans les moments imminents
je suis resté indifférent au bien de mon pays. Vous savez si, dans la longue
carrière politique que j'ai parcourue, un autre motif m'a jamais dirigé. Ai-je
sollicité, accepté des fonctions, des places, des honneurs ? et, si appelé par
la confiance de mes concitoyens à les représenter en diverses assemblées, j'y
suis venu, je ne l'avais point demandé, je ne l'avais point brigué.
L'accomplissement d'un devoir que je crois sacré a seul pu me
déterminer, malgré mes convenances et mes goûts. Je savais à l'avance que, par
la conduit que je voulais tenir, il n'y avait qu'à perdre pour moi. Je n'ai
point recherché les faveurs du pouvoir, je n'ai point recherché les faveurs
populaires, bien que parfois elles me soient advenues. A mes yeux, messieurs,
il y a autant de bassesse, de lâcheté à sacrifier à l'une qu'à l'autre. Je
crois en ce moment devoir, dans l'intérêt de mon pays, manifester une opinion
tout à fait contraire à celle qui obtient l'applaudissement des tribunes ; des
vociférations ont interrompu des orateurs !... Pour obtenir quelque
résultat de mes paroles, il faut pourtant qu'elles soient écoutées : c'est la
seule raison qui ait pu me porter à appeler pour la première fois l'attention
sur ce que je puis avoir fait d'utile à mon pays, et c'est pour essayer de
faire quelque chose encore.
Je lui dois ici l'expression de mon opinion ; je puis me
tromper, mais je crois devoir déclarer que l'adoption des articles
préliminaires de paix tels qu'ils nous sont présentés me semble la seule
solution possible, si vous voulez maintenir votre indépendance nationale, vos
institutions, et cette même loi fondamentale, cette constitution dont on ne
craint point de risquer l'existence par une interprétation forcée, tout en ne
la désignant que comme l'œuvre la moins imparfaite du congrès. C'est
l'expression d'un des préopinants.
Sans doute, messieurs, elle est belle à défendre, cette cause
d'hommes appelés à concourir avec nous à la conquête de l'indépendance, et
dont le pays, redevenant ce qu'il avait été, ne serait point admis à en
jouir avec nous ; que de phrases, que de mots magiques s'amoncellent dans
une bouche tant soit peu éloquente ! S'il s'agissait de monter à la
brèche, messieurs, ces mots patrie, honneur national y porteraient
les Belges ; mais il s'agit ici de délibérer mûrement sur des propositions qui vous sont faites. Faut-il donc
exciter les passions, et des raisonnements bien fondés ont-ils besoin de pareils
auxiliaires ?
Je ne redoute nullement, messieurs, et tout membre du congrès
à la hauteur de ses devoirs et de sa situation ne redoutera point,
quelque effet qu'en veuillent tirer plusieurs orateurs, l'application de
cette phrase : Il était du congrès, il a vendu ses frères.
Je ne veux point, que de moi l'on puisse dire :
« Il était du congrès, il a méconnu ou il a trahi ses
devoirs. Il a mal entendu ou il a trahi la cause de notre
indépendance, de nos institutions, de notre constitution ; il a
méconnu, ou il a trahi la cause des peuples ; de notre sang nous avons fait la
révolution, il était chargé de la clore, de nous constituer définitivement, il
n'a voulu ou il n’a pas osé le faire. Tous les intérêts matériels, les
souffrances du pays le sollicitaient. Il n'a point voulu entendre...
Des idées particulières, des intérêts de quelques particuliers lui ont
fait oublier ceux de 4,000,000 d'âmes.
« Il n'a point compris le véritable honneur national,
celui de rester nation. Il nous a livrés aux chances
d'une guerre dont il avait été démontré que, quels qu'en soient les résultats,
là devait finir notre existence comme nation il n’a point examiné la question d'être
ou ne pas être, et lorsqu'il avait en main la reconnaissance des
cinq puissances, sanctionnant ainsi le droit des peuples, il a fermé l'oreille
; il a rejeté le vœu des Polonais, aussi sages que braves, qui nous criaient de
nous constituer, de prendre ainsi acte du droit sacré des peuples, de les sauver
d'un envahissement général (premier effet de la guerre). »
Et quels sont les motifs, messieurs, de sacrifice dont peu d'entre vous se
dissimulent l'importance ?
Nos frères de Venloo... Eh !
messieurs, ils ne seraient point dignes d'être les frères des Belges libres
s'ils acceptaient ces sacrifices ; voudraient-ils que pour eux
seulement on mît en danger l'existence de la patrie, et cette patrie, ne la
trouvent-ils que dans la poussière qu'ils foulent sous leurs pieds,
que dans les briques amoncelées qui forment leurs maisons ?
(page 447) La patrie, messieurs, c'est, pour l'homme véritablement
homme, le faisceau des institutions qui lui donne une patrie,
une patrie dans laquelle il peut être homme et rester homme. Aux frais de
l’Etat, s'il y a lieu, créez une nouvelle Venloo où puissent accourir ceux qui
veulent être Belges ; ils seront fiers d'avoir abandonné leur sol primitif.
Ceux-là dénient, je n'en doute point, la compassion qu'ils semblaient inspirer
et qui doit faire d’eux les sujets de
Eh, messieurs, la politique des gouvernants ne réserve-t-elle
pas
souvent les faveurs à ceux qui ont été ou qui peuvent être à craindre ?
Je dois hommage, messieurs, à celui de nous qui, par les fonctions
qu'il remplissait alors, a appelé les habitants de Venloo à seconder les
Belges. Dans sa situation ici je me ferais honneur d'éprouver les
sentiments qu'il a exprimés avec tant d’éloquence et de mesure ; mais, je suis
frappé d’étonnement lorsque j'entends des députés dont les prévisions ne
semblent pouvoir se porter au-delà de ce qui concerne leur province, qui
croiraient y devoir sacrifier l'intérêt général et dans cette enceinte s'isoler
avec elle.
J'ai souvent entendu reprocher avec raison, ce me semble, cet
intérêt provincial, comme on eût reproché l'intérêt
individuel, l'intérêt personnel.
D'ailleurs, la crainte éventuelle et peu fondée de remettre
votre province dans les limites ou naguère elle se trouvait, vous
autorise-t-elle à la risquer en entier ?
Sauvons notre existence politique, messieurs, amenons la
barque au port, il en est temps, et nous calculerons ensuite les efforts que
nous aurons faits.
Je vous ai toujours dit, en toute occasion, messieurs, que,
dans mon opinion,
Que ceux qui ont déclaré vouloir la réunion à
Je ne vous rappellerai point ici, je ne chercherai pas même à
ajouter à ce qui vous a déjà été dit de cette tribune par MM. de Mérode et
d'Arschot, de Gerlache et Nothomb, et notamment par l'honorable M. Devaux, dont
l'exposé simple et positif des faits et des conséquences ne peut échapper à
notre souvenir. Néanmoins d'après quelques orateurs qui lui ont succédé,
l'indécision sur le sort futur de quelques enclaves doit arrêter et faire
rejeter tout, même par la question préalable.
Eh ! messieurs, faisons pour le moment abstraction de tout
protocole, de toute puissance, de toute volonté, de toute influence étrangère ;
supposons que nous soyons seuls avec
Ne nous le dissimulons pas, messieurs, il faut mettre en
ligne de compte, contre ces enclaves qu'à mon avis nous aurons alors moins que
jamais, (page 448) la destruction
d'Anvers, la destruction de Maestricht, et tous les sacrifices
-atériels et en hommes que nous aura coûtés la victoire. Rappelons-nous que
de l'évacuation de Venloo doit dépendre l'évacuation de la citadelle d'Anvers.
Choisissez, nous dira-t-on.
Mais une clause particulière, un amendement, celui présenté
par l'un des membres de la députation du congrès à Londres, pouvait parer à
tout. J'ai fait partie de cette députation, messieurs, et j'ai déclaré à
l'auteur de cette proposition que je ne pouvais y voir d'autre résultat que la
défection de ceux qui eussent voté pour l'adoption pure et simple, en leur
présentant ce moyen terme attrayant et plus favorable à la popularité dans ce
moment.
J'ai autant qu'on peut l'avoir, et je ne pense pas qu'aucun
de mes collègues puisse en motiver d'autre, la conviction personnelle que la
non-adoption pure et simple, comme il est indiqué, est l'abandon de la
combinaison. Dans mon opinion, le prince et la conférence se trouveront envers
nous libres de tout engagement et n'en prendront plus.
On a dit que l'élection pourrait être rétractée par le fait ;
l'acceptation pourrait l'être aussi.
A la bonne intelligence de
Entendons-nous bien l'honneur, messieurs ? Je sais,
messieurs, qu'avec le mot honneur on peut mener loin les Belges ; on
n'ignore pas quelle est son influence ; je ne m'étonne pas qu'on se soit emparé
de ce mot magique ; je pense, en effet, que, pour toute nation comme pour tout
homme, la question d'honneur domine toutes les autres. Mais pour l'homme
d'État, le point d'honneur peut-il être ce qu'il est pour l'individu qui paye
de sa personne et de sa vie l'application qu'il en fait ? C'est une assez bonne
excuse à un faux raisonnement que d'exposer immédiatement son existence pour le
soutenir ; mais l'existence, la vie, la fortune des autres, de ceux qui se sont
confiés à vous, à votre prudence, l'honneur est de ne les point exposer
inutilement.
Si l'honneur national était compromis, nous nous lèverions en
masse en cette enceinte. Rappelez-vous l'effet produit par la première menace
d'intervention étrangère alors que je fis plier les principes
que toujours j'ai suivis, pour me joindre à une majorité que je croyais
menacée.
Alors une détermination fortement exprimée pouvait seule
sauver notre indépendance. On ne nous offrait rien, on voulait nous soumettre
: alors il fallait faire... maintenant il faut terminer, il faut clore.
Vous avez voulu le divorce, messieurs, on vous laisse tout ce
que vous avez apporté, on vous laisse tout ce qui appartient à la
communauté ; et vous voulez encore ce qui était la possession de celle que
vous avez répudiée !
Que veut l'honneur, messieurs ? où est l’honneur ? ce qui est
juste est juste et doit être respecté. On vous l'a déjà dit, on vous offre un
traité basé sur l'équité, et des arrangements amiables, que vous
êtes en position d'obtenir, pourront encore satisfaire à vos désirs.
Quant à moi, messieurs, je ne puis voir en ce qui vous est
proposé qu'un traité honorable sans tache, qui fixe notre position, qui
couronne selon ses vœux l'œuvre de la nation belge ;
qu’un moyen de stabilité, qui ramènera autant que possible, en ce moment, la
prospérité nationale dans toutes les branches qui la composent.
Nous devenons réellement nation, un chef reconnu
soutiendra nos intérêts, nos institutions.
Le prince qui prêtera le serment que lui défère la
constitution a peut-être préparé à l’avance les moyens de l'accomplir
amplement.
Je vois d'un côté : espoir de stabilité, de bonne
intelligence à l'extérieur, de prospérité à l'intérieur, clôture de la
révolution ; de l'autre : guerre, anarchie, réunion ou restauration.
L'honneur me dicte mon devoir ; il me commande d'assurer
autant qu'il est en moi le bonheur de mon pays.
C'est ainsi, messieurs, que j'entends l'honneur
d'un mandataire de la nation ; c'est ainsi, j'espère, que vous
l'entendrez. J'attends avec confiance le résultat de vos votes. Le mien sera pour l'adoption qui
doit sauver mon pays. (M. B., supp., 9 juill.)
M. Van Meenen examine sous plusieurs faces les propositions de la conférence pour
démontrer que le congrès ne peut les adopter.
Répondant à M. Devaux, qui se plaignait hier de n'avoir
entendu proposer par l'opposition aucun système pour remplacer celui du
ministère qu'il combattait, l'honorable membre affirme que pour lui son
système est tout trouvé. La guerre est imminente sans
doute, et s'il est probable qu'on doive la faire, il est indispensable de s'y préparer sans
relâche. Mais si la guerre peut être évitée, (page 449) la meilleure marche à adopter dans l'intérêt des
affaires belges n'est pas encore d'adopter les propositions de la conférence.
Le statu quo pour
Ainsi, continue l'orateur, au lieu de voir nos journaux
prêcher la guerre à tout prix, et au travers de tout, je voudrais les voir
exhorter la nation à une attente patiente, en lui démontrant quels résultats
certains elle obtiendra dans l'avenir des sacrifices prolongés auxquels elle se
résigne. Je voudrais qu'on démontrât aux Belges que chaque jour d’union et de
calme intérieur, dans l'état de chose actuel, est un coup plus funeste porté à
leurs ennemis que ne le serait la perte d'une bataille. Mais pour que ce
système d’hostilité paisible atteignît complètement son but, je voudrais aussi
que le gouvernement ne négligeât rien dans ses préparatifs militaires, et tînt
l'armée sur un de pied plus en plus respectable, tandis que les organes de la
presse périodique rempliraient leur mission comme je viens de
dire que je le conçois.
Passant à la réfutation de quelques parties du discours de M.
Nothomb, M. Van Meenen démontre que cet orateur s'est surtout trompé quand il a
avancé que la justice voulait qu'on rendît à
Lorsque la séparation s'est effectuée, elle devait porter
nécessairement sur cette division convenue autrefois de commun accord, et c'est
ce qui est arrivé. Mais le fardeau de la dette hollandaise nous a été imposé
par le traité de Londres avant la loi fondamentale, et de ce côté, il n'y a pas
même raison de dire que la division de la dette doit suivre la division du
territoire. Et si l'on insiste et qu'on dise qu'il faut rendre à
L'orateur conclut à la non-acceptation des propositions
telles qu'elles ont été présentées. Il adopterait, dit-il, tout décret qui
n'attacherait pas au rejet des propositions un caractère de brutalité
impolitique, mais qui ferait assez entendre à la conférence que le peuple belge
est dans l'impossibilité de traiter sur les bases de ces propositions, sans
leur faire éprouver d'importantes modifications. (M. B., 6 juill.)
Après ce discours, qui a paru faire une grande impression sur
l'assemblée, M. Lebeau demande la parole
; mais l'heure étant très avancée, M. le président, à la demande d'un grand
nombre de députés, déclare la séance levée. (M. B., 6 juill.)
- Il est cinq heures. (P. V.)