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Congrès national de Belgique
Séance du lundi 4 juillet 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 425) (Présidence de M. Raikem, premier vice-président)

La foule est toujours la même. (M. B., 6 juill.)

La séance est ouverte à une heure. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

Plusieurs habitants de Binche demandent que le congrès rejette les propositions de la conférence.


M. Verlinden réclame son exemption du premier ban de la garde civique.


Vingt-trois officiers et soldats de la garde civique font la même demande. (M. B., 6 juill., et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


- M. Tresson demande des lettres de naturalisation. (P. V.)

- Renvoi à la commission des naturalisations. (P. V.)

Règlement de la chambre

Lecture des pétitions

M. De Nef – Je demande que M. le président fasse donner lecture de la pétition des habitants de Louvain, que je viens de lui remettre. (M. B., 6 juill.)

M. le président – Je dois consulter l'assemblée pour savoir si elle veut que la pétition soit lue. (M. B., 6 juill.)

M. de Robaulx – M. le président, tous les antécédents sont en faveur de la proposition de M. de Nef. Toutes les fois qu'une pétition a été déposée pendant une discussion à laquelle elle était relative, la lecture en a été faite. J'appuie donc la lecture. (M. B., 6 juill.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – Il est très inexact de dire que chaque fois qu'une pétition a été déposée pendant la discussion à laquelle elle se rapportait, la lecture en a été ordonnée. Je conteste le principe et les antécédents. Il y aurait danger à ce qu'il en fût ainsi. La commission des pétitions a été instituée pour faire un examen préalable des pétitions, afin de nous soumettre celles qui sont présentées en termes convenables. Je demande donc que la pétition soit renvoyée à la commission, et que le rapport en soit fait demain. (M. B., 6 juill.)

M. Alexandre Gendebien – Je pense que si on avait lu la pétition, ce serait déjà fini. Je demanderai au bureau si les développements en sont trop longs ; dans ce cas on la renverrait à un autre jour ; mais si la lecture de la pétition peut être faite en une ou deux minutes, je demande qu'elle soit faite immédiatement. (M. B., 6 juill.)

M. Claes (de Louvain) – Je m'oppose à la lecture de la pétition, quoique émanée de mes commettants. Hier, on a adressé au congrès une pétition semblable, et elle n'a pas été lue : ce serait, selon moi, un précédent dangereux, surtout dans un moment comme celui-ci, parce que les pétitions ne sont pas toujours convenablement rédigées. Que la pétition soit examinée par la commission, et que le rapport en soit fait très prochainement : c'est ce qu'il convient de faire, et ce à quoi je ne m'oppose pas. (M. B., 6 juill.)

M. d’Elhoungne – Je crois, messieurs, comme mon honorable collègue, que ce serait un précédent dangereux que de venir l'entretenir ex abrupto d'une pétition déposée instantanément, et je pense qu'on doit en ordonner le renvoi pur et simple à la commission. Je dirai en passant, puisque j'en ai l'occasion, que le droit de pétition est ici illusoire. Depuis trois mois que j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée, il n'a été fait qu'un seul rapport, de sorte que c'est la même chose de nous présenter des pétitions ou de n'en pas présenter. Je pense que le congrès prendra des mesures pour qu'on fasse une exception en faveur de la pétition (page 426) qui vient d'être présentée, afin qu'elle soit examinée sans délai, et que l'analyse nous en soit faite demain. (M. B., 6 juill.)

M. le président consulte l'assemblée, qui décide que la pétition ne sera pas lue. (M. B., 6 juill.)

- Elle est renvoyée à la commission des pétitions. (P. V.)

Décret adoptant le traité des XVIII articles portant les préliminaires de paix entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

M. le président – L'ordre du jour est la suite de la discussion sur les propositions de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx et sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)

Avant d'entamer la discussion à l'ordre du jour, et après ce qui, s'est passé hier, je crois devoir rappeler aux tribunes les dispositions de l'article 40 du règlement :

« Pendant tout le cours de la séance les personnes placées dans les tribunes se tiennent découvertes et en silence.

» Toute personne qui donne des marques d'approbation ou d'improbation est sur-le-champ exclue des tribunes par ordre du président.

« Tout individu qui trouble les délibérations est traduit sans délai, s'il y a lieu, devant l'autorité compétente. »

Je préviens les tribunes que les dispositions de cet article seront scrupuleusement observées. (M. B., 6 juill.)

M. le comte de Robiano – Messieurs, l'orateur qui parla hier le dernier à cette tribune est l'Atlas, ou l'Hercule destiné à soutenir tout le poids du ministère ; on vante le caractère et le talent de M. Devaux, et je souscris volontiers à ces éloges, mais que peuvent l'influence de la réputation la plus justement acquise et le talent le plus remarquable quand par malheur on s'est trompé dans leur emploi et qu'ils ne sont consacrés qu'à soutenir des sophismes ! Quoi, messieurs, le Luxembourg et le Limbourg diminués et morcelés seront encore le Luxembourg et le Limbourg de la constitution, et l'intégrité de territoire n'en sera pas moins respectée ? Je prie M. Devaux de me dire si les deux manches étant soustraites à son habit, il se croirait encore complètement vêtu ? Pourquoi M. le ministre abandonne-t-il la rive gauche de l'Escaut ? Il répond que nous n'y avons aucun droit. Pourquoi donc nous assure-t-il que jusqu’au dernier instant nos prétentions sur cette même rive gauche furent soutenues à Londres ; accusera-t-il nos délégués de mauvaise foi, d'ignorance ? Quelle si soudaine illumination en ce moment précis est venue changer l'état de notre cause à ses yeux. Je le prie de nous l'expliquer. M. Devaux s'est joint à M. Lebeau pour nous déclarer que le ministère n'appuierait pas la proposition de M. Van de Weyer, il a très bien fait. Cette proposition-amendement avait trop évidemment pour but unique de diminuer le dégoût qu'inspirait l'adoption pure et simple des dix-huit articles. Les personnes qui cherchaient à céder ont dû s'applaudir beaucoup de trouver ce moyen d'atténuer ce qu'avait d'odieux l'abandon de leurs frères. En effet, si, des échanges complets avaient été possibles, leur réputation de générosité, de commisération restait entière. M. Charles de Brouckere nous a démontré à l'évidence, messieurs, combien nos prétendues enclaves étaient loin d'atteindre ce but. Mais qu'aurait-ce donc été si M. Van de Weyer dans son amendement avait compris entre les territoires à échanger cette rive gauche de l'Escaut ! C'est lui-même qui invoque ici contre cette omission.

La note verbale du 27 novembre 1830 sur la Flandre hollandaise établit à l'évidence, en réponse au protocole du 4 novembre 1830, que la Flandre dite zélandaise, ou la rive gauche de l'Escaut, fait partie de la Belgique.

La note verbale du 3 décembre 1830, en réponse à la note du 1er décembre, a répondu à toutes les objections qu'on avait faites à la note du 27 novembre 1830, établissant nos droits sur la rive gauche de l'Escaut.

Dans la note verbale du 3 janvier 1831 en réponse au protocole du 20 décembre 1830, le président et les membres du comité diplomatique disent que la rive gauche appartient à la Belgique.

Par la note sur les limites du 6 janvier 1831 nos commissaires à Londres établissent derechef nos droits sur la rive gauche de l'Escaut.

Le décret contenant protestation contre le protocole des cinq grandes puissances du 20 janvier 1831 contient expressément qu'en 1793, et postérieurement, la Hollande a fait cession de la rive gauche de l'Escaut et de ses droits dans le Limbourg, contre des possessions dont elle jouit (page 427) actuellement et qui appartenaient à l'ancienne Belgique.

M. Devaux nous a menacés d'un partage ! Il oublie que ce sont des hommes, et non une masse inerte qu'il s'agirait de partager.

Le long plaidoyer de M. Devaux contre nos droits a été écouté dans un profond silence. J'en fais la remarque parce que l'on s'est plu à répandre le bruit que les applaudissements et les sifflets des tribunes étaient payés par l'opposition. Messieurs, l'autorité par tout pays a plus de moyens que l’opposition de payer des applaudissements ; dans nos loyales tribunes belgiques, je pense que personne n'est payé. Le ministre devrait prouver une allégation odieuse. Ma pensée, messieurs, c’est que M. Lebeau fait seul applaudir ici. Homme d'un talent reconnu, il déclama souvent contre le ministère, contre les protocoles ; il en disséqua tout le venin, il mit ses raisonnements à la portée de toutes les intelligences ; il y vit, il y démontra la perte de la patrie ; il nommait encore récemment traîtres et parjures ceux qui les adopteraient, et puis il voudrait que les tribunes, oubliant leur éducation faite en partie par lui, vissent avec indifférence la coupe funeste circuler de main en main, et ne remerciassent point à grands cris ceux qui écartent le poison des lèvres de la patrie. Oui, messieurs, la blouse, hier injuriée… (I.,6 juill.)

M. Charles Rogier, vivement – Je demande la parole. (Agitation.) (I., 6 juill.)

M. le président – Le règlement veut que les orateurs s'adressent au président ou à l'assemblée et jamais aux tribunes. Quelle que soit l'opinion que l'on professe sur les articles en discussion, tous les bons députés ont été indignés du scandale donné par les tribunes. (Assentiment général) (I., 6 juill.)

M. Charles Rogier – Je prie M. de Robiano de dire en quoi j'ai injurié la blouse. (I., 6 juill.)

M. Alexandre Gendebien – Laissez parler l’orateur. (I., 6 juill.)

M. le comte de Robiano, reprenant – La blouse, hier injuriée, couvre des cœurs droits, des intelligences droites.

La conférence a changé de ton dans les préliminaires, dit M. Devaux ; le peuple, dans son gros bon sens, reconnaît fort bien les paroles de la même chanson, chantée en ton mineur aujourd’hui, en ton majeur il y a peu de jours.

N’allez pas, messieurs, conclure de ce que je viens de dire, que j'approuve ni même que je ne le blâme pas les applaudissements et les huées ; je les explique seulement. Dans un gouvernement populaire, et quand il s'agit des plus grands intérêts populaires, je conçois que, comme dans une arène publique, l'on encourage ou l'on blâme à haute voix. Je le conçois sans recourir à l'explication accusatrice de corruption à prix d'argent. (Approbation. )

Vous avez accusé l'ancien comité diplomatique de trop de bonhomie, de trop peu de finesse ; il fut trompé, je veux le croire, précisément par ses honorables défauts ; mais vous, MM. les ministres, qui aviez leur exemple devant vous, et bien plus de talent, qu'avez-vous produit ? Un ministre attache, nous dit-il, son nom, son honneur, son existence à la réussite de sa combinaison. C'est heureux d'être prévenu combien il en fait une affaire personnelle et combien il faut se tenir en garde contre ses arguments.

Messieurs, si le lendemain de la mémorable séance de l'exclusion des Nassau, si le lendemain de l'adoption de notre loi constitutionnelle, on était venu nous proposer de souscrire au pacte honteux qui vous est soumis, avec quelle indignation patriotique n'eût point été accueilli le téméraire auteur d'un semblable conseil ! Et nous sommes les hommes de septembre ! les fils de la révolution ! En quelles mains est-il donc tombé, le dépôt de notre honneur et de nos droits ! et que s'est-il donc passé de si funeste pour qu'on ose nous solliciter à l'abandon de nos frères, à la démolition de notre édifice constitutionnel ! Messieurs, un de nos collègues, plein d'esprit et de patriotisme, disait avant-hier que le congrès, auteur légal de la constitution, pouvait aussi la modifier. C'est une erreur ; nous n'avons point fait la constitution ; nous n'avons fait la constitution ni quant au territoire ni quant aux institutions ; seulement nous l'avons rédigée et promulguée : la constitution était FAITE quant au territoire, par la volonté, par l'assentiment des habitants et par l'évidence et la nécessité des choses.

Ainsi la citadelle d'Anvers nous appartient, quoiqu'elle soit occupée encore ; ainsi doivent nous appartenir, Maestricht, la rive gauche de l'Escaut, et ce Venloo héroïque, invité par proclamations expresses et que l'honneur nous défend d'abandonner jamais.

Quant aux institutions, nous n'avons fait qu'organiser ce que la nation avait conquis ; l'indépendance, les moyens intérieurs de la conserver et avec elle les garanties de notre liberté. Oui, messieurs, il est vrai, notre constitution est devenue l'arche sainte, dont nous ne sommes plus que les gardiens. L'œil scrutateur et inquiet du peuple (page 428) surveille les dépositaires d'un trésor acheté avec son sang. La noble victime qui, à Berchem, sommeille sous les palmes patriotiques s'indignerait dans sa tombe ; ses vaillants compagnons, qui remplissent encore nos armées, qui pour une sainte cause ont encore du sang à verser, s'indigneraient qu'un vil trafic, remplaçant un élan généreux, vînt enlever à la nation le prix de leurs travaux ; qu'un marché d'honneur, de frères à céder s'établît, où ? au congrès ! sous les yeux et de l'aveu des pères de la patrie !

Nous dégrader ainsi ! non, messieurs, je n'y consentirai jamais.

Je désire autant que personne que le calme succède à la tempête, mais ce n'est point en périssant que je veux éviter de périr. Les protocoles renvoyés avec l'assentiment de tous, nous indiquent quel chemin les préliminaires, ces protocoles réchauffés, doivent suivre. Nous n'avons demandé que ce qui nous était indispensable, il le faut exiger. La conférence nous dénie toutes nos demandes, elle déclare que prendre, ou même vouloir garder ce qu'elle n'a point voulu reconnaître nous appartenir, sera considéré par elle comme une guerre de conquête à laquelle il serait déshonorant pour les puissances de consentir. Que nous propose donc la conférence ? Abandon de tous nos droits, reconnaissance par conséquent que nos prétentions étaient illégitimes ; mais par compensation, permission d'acheter à un prix non déterminé certains territoires que le vendeur (vendeur à solliciter, vendeur non déterminé à vendre) prétend être d'une valeur inappréciable.

Et voilà, messieurs, ce que sérieusement on nous propose d'accueillir !

Les amis de la paix à tout prix nous disent : Commencez par accepter le prince avec les préliminaires, et puis le prince, arrivé chez nous, négociera si bien, ou se battra si fort, que nous obtiendrons tout ce que nous désirons ; alors vous attaquerez la Hollande, alors vous pourrez conquérir tout ce qui vous conviendra. C'est de loin, messieurs, que la frayeur est devenue si guerroyante. Ceux qui nous tiennent ce langage ne disent que de faire une halte, de se reposer pendant un entr'acte de la révolution. J'y consentirais si la suite pouvait en être heureuse.

Quoi ! le prince qui n'accepte qu'après notre adhésion aux préliminaires, arrive avec l'intention avouée de s'opposer aux préliminaires, de conquérir ce que nous viendrions d'avoir cédé ? Son acceptation, aux yeux de la conférence et aux nôtres, est nécessairement subordonnée à une clause qu'il vient enfreindre ostensiblement. Il nous engage à Londres à souscrire aux conditions ; à Bruxelles il nous engagera à ne les point tenir ? Une telle explication est-elle supportable ?

Il est convenable à la dignité du congrès de ne point s'aventurer sur des peut-être, de ne point admettre des antécédents qui le lient sans avoir la moindre certitude du résultat. En ce moment, messieurs, notre patrie est encore glorieuse ; peut-être si l'opinion opposée à la mienne triomphe, si le roi nous est imposé avec de telles conditions, bientôt le bruit du canon, signal de réjouissance, annoncera la pompe mortuaire de notre révolution. Les enfants admis dans son sein en retombent orphelins et abandonnés, nos rangs s'éclaircissent, d'honorables députés, nos collègues et nos amis, nous quittent pour annoncer à leurs provinces qu'elles ont eu tort de compter sur notre appui. Quand une fois, messieurs, nous aurons accepté ce royaume de 1790, c'est fini pour jamais ; ce n'est plus 1790 ni 1815 qu'on nous objectera si nous voulions un jour revenir sur un traité si désavantageux ; on nous montrera victorieusement notre acceptation de 1831.

Si le prince a autant de puissance qu'on le dit et que je le désire, qu'il nous obtienne avant son acceptation ces conditions, gage préliminaire et indispensable de son joyeux avènement. Quand il serait ici, il y serait dans ce cercle de Popilius tracé par la conférence ; et dans notre pays neutre, ou plutôt neutralisé, il ne pourrait pas mettre le bout du pied par-dessus ces limites arbitraires sans se mettre en hostilité avec les cinq puissances. Notre position est difficile, ne l'empirons point. Nous pouvons encore tout ce que nous voudrons ; nous ne voulons que ce qui est raisonnable, juste et nécessaire ; nous l'obtiendrons, mais à une condition : il faut le vouloir. Heureusement nous comptons encore des hommes ; écoutez le ton de conviction, de dévouement de ces voix qui à votre tribune ont publié les traditions généreuses de loyauté, de droiture, de liberté, de confraternité caractéristiques chez les Belges ; confrontez-les aux voix, convaincues, je veux le croire, mais embarrassées et pour ainsi dire honteuses de venir appuyer de leur timidité une acceptation si antipathique au sentiment intime de nos cœurs. Eh ! messieurs de la concession, un peu de courage, vous ne risquez pas grand-chose à en avoir. N'est-il pas évident à tous les yeux que la crainte première des cinq puissances est la guerre ? Elles nous la laisseront faire contre la Hollande sans s'en mêler ; si elles y prenaient part ce serait le moment pour chacune d'elles de trembler pour son existence : il n'en est aucune qui ne porte dans son sein les (page 429) sympathies d'un incendie plus ou moins immédiat. Une guerre en est l'occasion imminente. A l'instant, divisés d'intérêt entre elles, forcées de combattre avec des armées qui sont devenues des populations raisonnantes, elles balanceront longtemps avant de jouer leur vie politique contre le petit avantage de soutenir contre nous telle ou telle combinaison.

Les rois également forts, également défiants, mais par un danger commun, mais prêts, toujours prêts à se jeter les uns sur les autres à l'aspect de la première proie offerte, nous laissent à présent une occasion unique de conclure nos affaires par nous-mêmes comme nous l'entendons.

Je voterai donc pour la question préalable, parce que je ne crois point qu'il nous soit permis de modifier ainsi la constitution, parce que, la chose fût-elle permise, je trouve trop dangereux de saper l’édifice dans sa base. En enlevant la pierre principale, je craindrais de le voir crouler tout entier sur eux-mêmes qui ont juré de le soutenir. Je voterai contre les dix-huit articles par les motifs qui ont déterminé toute cette assemblée à rejeter les protocoles ; par les motifs qui ont déterminé toute cette assemblée à ne consentir à l'élection du prince de Saxe-Cobourg qu'avec la clause que son acceptation soit sans condition aucune ; si cette décision a trouvé des déserteurs, je ne grossirai pas le parti de la défection, je reste de l'avis dont étaient ces messieurs ; je n'adopterai JAMAIS les propositions qui nous sont faites.

Avant de descendre de la tribune, je dois protester que je n'ai point entendu attaquer M. Rogier, je l'ai vu toujours animé du patriotisme le plus pur, et, dans les occasions les plus périlleuses, je l’ai toujours vu dévoué à la patrie et prêt à tout sacrifier pour elle ; je n'ai parlé de l'attaque faite à la blouse que sur ouï-dire, et sans savoir qu'elle vînt de M. Rogier. (M. B.. supp., 10 juill., et I., 6 juill.)

M. Charles Rogier – Je me permettrai de dire à l'honorable préopinant qu'il y a plus que de la légèreté à avancer un fait qui ne vous a été que rapporté, car il peut porter atteinte à l'honneur d’un homme qu'on est ensuite obligé de défendre. Je n'ai jamais flatté personne, ni dans les antichambres de quelque roi que ce soit, pour obtenir des faveurs, ni ailleurs pour acquérir une popularité dont on ne peut s'enorgueillir que quand l’obtient par des moyens honorables. J'ai dit hier que je m'honorais d'avoir porté le premier la blouse ; mais j'ai ajouté que ceux qui venaient ici vociférer des cris de mort déshonoraient ce noble vêtement. La révolution a été courageuse et généreuse ; mais où est le courage à venir aux tribunes lancer sur les députés de la nation ces outrages et ces injures sans cesse retentissants ? Voilà ce que j'ai flétri, voilà comment j'ai injurié la blouse, et je persiste dans ce langage, dussé-je perdre le peu de popularité que je puis avoir acquise. (M. B., 6 juill.)

M. le comte de Robiano déclare de nouveau qu'il n'a pas eu l'intention d'imputer un fait personnel à M. Rogier. (M. B., 6 juill.)

M. le comte d’Arschot – Je demande la parole pour un fait personnel. M. le comte de Robiano, je crois vous avoir entendu parler de la mauvaise foi de nos délégués à Londres. Je vous prie de répéter votre phrase et de dire de qui vous avez entendu parler. (M. B., 6 juill.)

M. le président – M. d'Arschot se plaint d'une chose dont il n'a pas été dit un seul mot. (M. B., 6 juill.)

M. le comte d’Arschot – Je croyais l'avoir entendu. (M. B., 6 juill.)

M. le comte de Bocarmé – Messieurs, une grande partie des observations que j'avais à faire vous ayant été faites par d'honorables orateurs qui m'ont précédé, j'aurai peu de chose à y ajouter.

D'après les interprétations diverses données par vous aux dix-huit articles qui vous sont proposés comme base à la démarcation de nos limites, j'ai eu lieu de me convaincre que l'adoption de ces préliminaires de paix ne pouvait lier définitivement ni la Belgique ni la Hollande, et quant au déshonneur, je ne puis en trouver à traiter d'égal à égal avec les représentants des cinq plus grands États de l'Europe.

Personne de vous, je pense, n'a contesté le titre d'homme d'honneur à celui qui est appelé à régner sur les Belges : eh bien, messieurs, je place ma confiance en cet homme d'honneur, qui, dès qu'il aura mis le pied sur le sol belge, ne se regardera plus que comme le premier citoyen d'un pays libre ; je place ma confiance en celui qui vous a dit : « Les destinées humaines n'offrent pas de tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à maintenir l'indépendance d'une nation, et à consolider ses libertés. »

Quant à ceux qui ne veulent reconnaître pour arbitres que les canons, armes si souvent employées par les oppresseurs des peuples, je leur demanderai ce que sont devenus les vastes empires fondés sur le soi-disant droit de conquête ; l'histoire ancienne et la moderne en fournissent assez d'exemples sans devoir en citer. Je ne pense pas que ce soit aux représentants d'un peuple libre d'invoquer sans cesse la loi du plus fort ; je ne veux pas, poussé (page 430) par un faux point d'honneur, faire couler à grands flots le sang de mes frères ; et quand je puis placer mon pays au rang des États européens, je ne l'exposerai pas à retomber sous le joug du despotisme étranger. J'ajouterai, messieurs, que les représentants d'un peuple libre doivent savoir respecter les opinions, ou la liberté n'est plus qu'un vain mot dont chacun use au gré de ses passions. En votant le rejet de la question préalable et de tous les amendements faits ou à faire, et en acceptant les préliminaires de paix qui vous sont proposés, je croirai avoir été le fidèle interprète des vœux de mes mandataires, et quels que soient les événements qui nous attendent, ma conscience restera sans reproche. J'ai dit. (M. B., 6 juill.)

M. Alexandre Rodenbach – Je me proposais, messieurs, de faire lire mon discours par l'un de mes honorables collègues ; mais comme il ne contient rien qui n'ait été exprimé à cette tribune avec beaucoup d'éloquence, je me dispenserai d'en faire faire la lecture ; néanmoins je dirai quelques mots pour motiver mon vote.

Il m'est arrivé parfois de persifler et de ridiculiser les protocoles, je n'en ferai rien aujourd'hui. Je dirai seulement que les dix-huit articles diplomatiques appelés préliminaires de paix sont les protocoles masqués, retournés et fardés. J'en excepte toutefois la dette. Je crois de mon devoir de député de dire ici que si nous adhérons à l'ultimatum de Londres, nous reconnaissons tacitement que le Luxembourg, Venloo et les cinquante-trois villages du Limbourg appartiennent à la Hollande. Quant à moi, messieurs, je ne violerai jamais la constitution, non, jamais ! Il est parvenu à ma connaissance que si le congrès acceptait la proposition, c'est-à-dire si nous lacérions notre pacte fondamental, en morcelant la Belgique de la constitution, nous attirerions sur notre patrie le fléau de la guerre civile, et le parti français s'empresserait d'arborer son drapeau parce que nous aurions déshonoré le drapeau belge.

Je suis étonné, messieurs, que jusqu'à présent huit membres de notre députation à Londres ne nous aient encore dit mot de l'entretien qu'ils ont eu avec le prince Léopold, dont l'acceptation et la lettre nous paraissent bien diplomatiques. On nous assure, cependant, que ces messieurs ont élaboré à fond la matière avec toute la supériorité d'hommes qui ont traité de bouche avec des princes, des ministres et des diplomates.

Dans la séance d'hier, le ministre Devaux nous a demandé ce qui nous restait à faire si la combinaison de Saxe-Cobourg venait à échouer : je répondrai à ce ministre que tout ce qui nous reste à faire c'est d'emporter une victoire ; elle n'est point incertaine ; le Belge est brave, et son ennemi est le soldat le plus lâche de l'Europe. Je le répète, messieurs, une seule bataille de gagnée, et nous verrons alors l'opiniâtre larron couronné, qui nous a spoliés de plus de cent millions à l'aide de son syndicat d'engloutissement, disposé à faire des concessions. Les cinq puissances en feront également, car en ce moment-ci, elles craignent plus la guerre que le choléra-morbus.

Je voterai pour la question préalable. (Bravo ! bravo ! Applaudissements.) (C., 6 juill.)

M. Nothomb – Messieurs, si j'aborde cette grave discussion qui, selon moi, doit décider de l'indépendance de la Belgique, c'est avec la ferme résolution de dire ma pensée tout entière. Comme fonctionnaire public, comme commissaire à Londres, je n'ai connu et n'ai pu connaître que vos actes, et je les ai scrupuleusement défendus ; je me dépouille sur le banc de député de la qualité d'agent du gouvernement, je recouvre ici toute mon indépendance d'homme ; mais je prends d’avance un engagement irrévocable : si l'avis que je vais émettre comme député ne prévaut pas, je n'hésiterai pas sur le choix du parti que me commandent l'honneur et la délicatesse (Note de bas de page : L'orateur entendait donner sa démission de secrétaire général du ministère des affaires étrangères à la suite de la retraite du cabinet, retraite qui aurait été la conséquence du rejet des dix-huit articles).

Plusieurs orateurs se sont particulièrement attachés à démontrer que les préliminaires du traité de paix sont en opposition avec les faits qui constituent la révolution et avec les actes qui ont été portés par cette assemblée ; ce n'est pas là que je vois la question. Il s'agit de savoir si ces propositions sont conformes, non pas à vos précédents, mais aux principes généraux qui régissent entre nations la propriété territoriale, principes qui dominent nos délibérations, et que nous ne pouvons nier sans nier la société. C'est une question de l'ordre le plus élevé, c'est une haute question de justice sociale qui nous est soumise.

Quel est donc le principe d'après lequel doivent se déterminer les limites de la Hollande ?

Permettez-moi, pour parvenir à un résultat complet, de vous rappeler d'abord quelques faits historiques.

Après une guerre de quatre-vingts ans, la république des Provinces-Unies fut reconnue par le traité de Munster de 1648 ; c'est le titre qui l'introduisit dans la grande famille des nations, et qui forma (page 431) son territoire. Elle avait occupé la rive gauche de l’Escaut, une partie du Brabant et du pays d' outre-Meuse, et la ville de Maestricht pour moitié.

Ce territoire fut reconnu à la république ; et les traités subséquents, depuis celui de 1664 jusqu’à celui de 1785, n'ont fait que rectitier ou préciser les limites sur certains points. La ville de Venloo avait signé l'union d'Utrecht dès le 11 avril 1579 ; plusieurs fois prise et reprise, elle est restée à la Hollande comme conquête.

La république des Provinces-Unies a existé avec sa nationalité et son territoire propre jusqu'en 1795, où elle périt par la conquête française. Sur les ruines de l'ancienne république, les vainqueurs érigèrent la république batave, qui plus tard se métamorphosa en royaume de Hollande, et enfin en départements français ; la Hollande a subi ces transformations que lui imposait la conquête ; en décembre 1813 elle fit sa révolution ou plutôt sa restauration nationale ; elle renous cette chaîne des temps brisée par la main étrangère en 1795, se reconstitua sur ses antiques bases territoriales, et en vertu de la nationalité qui lui était acquise, elle reprit sa place parmi les peuples , non à titre de peuple nouveau, mais à titre de peuple ancien. Elle comprit dans son territoire toutes les provinces qui, avec les pays de généralité, formaient l’ancienne république ; il est même à remarquer que des notables de la rive gauche de l'Escaut siégèrent dans l'assemblée générale à Amsterdam. Les Français ayant évacué Maestricht, le 5 mai 1813, le gouvernement hollandais revendiqua la moitié de la souveraineté sur cette ville, et cette part lui fut reconnue.

Jusque-là il n'avait pas encore été question d'adjoindre à la Hollande ainsi reconstituée d'autres territoires. Ce fut le traité de Paris du 31 mai 1814 qui établit que la Hollande obtiendrait un accroissement de territoire, principe qui reçut son exécution en 1815 ; l'article 65 de l'acte général du congrès de Vienne porte que les anciennes provinces-Unies des Pays-Bas et, les ci-devant provinces belgiques formeront le royaume des Pays-Bas. Remarquez-le bien, il n'est pas question de la république batave ou du royaume de Hollande, ni des départements qui avaient passagèrement remplacé ce royaume, il est question des anciennes Provinces-Unies des Pays-Bas, de la Hollande de 1790.

Voilà les faits : il n'est pas en mon pouvoir de les détruire.

Quel était donc l'état de la Hollande avant son union à la Belgique ?

La Hollande, avant l'union, se composait des territoires, villes et places qui avaient appartenu à l'ancienne république.

Qu'est-ce que le traité de Vienne a joint à la Hollande par l'union ?

Tout ce qui est en Belgique ne lui appartenait pas de droit, en vertu de son ancienne existence nationale qu'elle avait recouvrée et qu'elle avait le droit de recouvrer.

On a souvent demandé dans cette enceinte qu'elles étaient les limites de la Hollande en 1814 ; ces limites n'étaient autres que celles des anciennes Provinces-Unies, la Hollande s'étant reconstituée avant cette époque comme État indépendant. Conséquente avec elle-même, elle se dessaisit de territoires que la volonté étrangère lui avait adjoints dans les différentes métamorphoses qu'elle avait subies, par exemple de l'Oost-Frise, qui avait été comprise dans le royaume de Hollande en 1806.

L'état de choses qui a précédé l'union étant ainsi connu, quels doivent être les effets de la séparation opérée en 1830 ?

La Hollande doit retourner au point où elle était lorsqu'elle reçut ce qu'on a qualifié d'accroissement de territoire.

Et ici se présente une remarque bien importante, sur laquelle je dois insister.

Les dettes et les territoires sont partagés d'après le même principe, qui nous force à remonter à l'époque de la réunion. « Le partage des dettes, dit l'article 12 des préliminaires, aura lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui originairement pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent.» Nous avons réputé inique tout autre mode de partage, nous renvoyons à la Hollande les anciennes dettes de la république des Provinces-Unies, et nous lui contestons les anciens territoires de la république. Nous ne voulons pas qu'on forme une masse des dettes sans égard à leur origine, nous tenons compte du passé quant aux dettes, nous admettons des antécédents historiques, nous nous reportons à l'ancienne république ; et lorsqu'il s’agit des territoires dont les ressources sont naturellement destinées à payer ces dettes, nous ne remontons pas au delà de l'année 1830. Vous me répondez que vous ne pouvez rétrograder jusque dans le siècle dernier, que vous ne connaissez que des provinces méridionales et des provinces septentrionales, que les unes se sont séparées des autres, que votre point de départ est cette séparation, que vous n'avez pas à rechercher d'état antérieur. Soit ; mais si la Hollande doit se constituer comme provinces (page 432) septentrionales, il ne faut la grever que de la part des dettes qui était supportée par ces provinces à l'époque de la séparation ; car vous ne pouvez faire revivre l'ancienne dette, en refusant de reconnaître l'ancien débiteur. S'agit-il des dettes, vous invoquez l'autorité du passé ; s'agit-il des limites, vous déclinez cette autorité. Dans le premier cas, vous vous faites un auxiliaire de l'histoire, dans le second vous la répudiez.

Je sais, messieurs, que ce langage diffère de celui que j'ai tenu il y a un mois dans cette enceinte (Note de bas de page : Voir la séance du 28 mai), et j'en fais moi-même la remarque, imitant la franchise dont M. Charles de Brouckere nous a donné hier l'exemple. Dans la rapide succession des événements au milieu desquels nous nous agitons depuis huit mois, il en est peu d'entre nous qui n'aient parfois modifié leurs opinions ; je n'en fais de reproche à personne, et je réclame la même indulgence pour moi-même : non qu'aujourd'hui je veuille renier le principe de l'insurrection, qu'alors j'eus le tort de poser d'une manière trop absolue ; je lui assigne des bornes, au delà desquelles il me semble que commence la conquête. Nous avons pu légitimement, par l'insurrection, reprendre les Pays-Bas autrichiens, y compris le Luxembourg ; nous l'avons fait en invoquant notre ancienne possession ; mais c'est précisément sur l'ancienne possession, reconnue pendant deux siècles, que la Hollande se fonde pour revendiquer les territoires contestés. Les deux parties invoquent donc le même principe.

Sans doute, je veux que la volonté des hommes soit prise en considération dans l'organisation politique ; j'admets que chaque peuple, comme peuple, a le droit de disposer de lui-même, c'est à ce titre que la Belgique s'est légitimement séparée de la Hollande ; mais, est-ce à dire que chaque localité puisse à son gré se détacher du pays auquel il est incorporé sans consulter la communauté ? Je doute que l'on puisse pousser jusque-là les conséquences du principe. Une société, constituée aujourd'hui, pourrait demain se fractionner en autant d'États qu'il y a de communes, ou se fondre d'après des vœux partiels dans un autre peuple ; l'humanité ne présenterait qu'un vaste mouvement d'hommes, et pas un état permanent. Si la longue possession ne doit être comptée pour rien en fait de territoire, tout devient transitoire et précaire. Que dirait-on en effet si telle ville, comprise dans la Belgique s'insurgeait individuellement en arborant le drapeau français, et si la France, acceptant ce vœu, prétendait que cette ville est devenue sienne par l'insurrection partielle, sans qu'il fût même nécessaire de consulter le congrès de la Belgique ?

Ce système n'est pas celui des rédacteurs seulement des préliminaires de paix, il est celui des hommes les plus éclairés qui siègent au parlement de la Grande-Bretagne, et dans des débats publics sur notre pays, O'Connell, aussi bien que sir Robert Peel, a dénié à la Belgique le droit d'enlever à la Hollande des portions de son ancien territoire de même qu'il a dénié à la Hollande le droit de retenir des portions en dehors de cet ancien territoire. Le système contraire, qui est celui de la conquête déguisée sous les formes de l'insurrection partielle, trouverait probablement peu de défenseurs en France et en Angleterre, et en cas de rejet vous seriez sans appui à la tribune de ces deux pays.

Un orateur (M. Jottrand) a comparé hier notre situation à celle de la Pologne, qui serait sommée d'abandonner la Lithuanie et la Wolhynie. Comparaison inexacte : ces deux provinces appartenaient à l'ancienne Pologne, comme le Luxembourg à l'ancienne Belgique. Pour trouver un cas identique, il faut supposer qu'une ville de l’ancienne Russie s'est associée à l'insurrection polonaise. Que si la diplomatie offrait à la Pologne les limites antérieures au partage, antérieures à la réunion, moins cette ville, pensez-vous que la diète de Varsovie dût rejeter ces conditions d'indépendance ? Et si vous interpelliez un de ces réfugiés italiens qui ont trouvé un asile sur notre terre hospitalière, si vous lui annonciez que l'Italie, constituée en un seul État, est reconnue sous un roi de son choix, moins une ville qui s'est associée à la dernière révolution et qui n'appartenait pas à l'ancienne Italie, croiriez-vous qu'il vous répondrait : A ce prix je ne veux pas de l'indépendance de l'Italie ? Je vous ai cité l'Italie qui a succombé pour la deuxième fois, et la Pologne qui lutte encore ; je vous ai montré ces deux nobles et malheureux pays dans le lointain, loin des passions qui s'agitent autour de nous ; placez dans votre esprit la Belgique à la même distance, et prononcez.

Après avoir établi quel est le principe sur lequel le traité s'appuie en ce qui concerne particulièrement la Hollande, je dirai quelques mots des résultats avantageux que je prévois dans l'exécution.

Je ne répéterai pas tout ce qui vous a été dit ici et ailleurs sur les ressources qu'offre l'échange facultatif des enclaves ; je me bornerai à répondre à quelques objections faites dans la séance d'hier. Rappelant l'ancienne politique de la Hollande, (page 433) un orateur (M. Jottrand) nous a prédit que nos ennemis se refuseraient à tout échange, qu'ils maintiendraient indéfiniment le statu quo des enclaves dans le Limbourg pour nous ôter le commerce de transit avec l'Allemagne et nous empêcher d’établir de nouvelles communications avec ce pays. Il est vrai, messieurs, que le statu quo des enclaves du Limbourg a été maintenu depuis 1648 jusqu'en 1795 ; mais les circonstances sont bien changées. D'abord le gouvernement autrichien n’avait pas, comme nous, la moitié de Maestricht ; nous avons droit pour moitié à cette position sur la Meuse, et à la rigueur cette part nous suffirait pour empêcher la Hollande d'entraver la navigation. En deuxième lieu, le gouvernement autrichien n’avait pas d'enclaves à offrir en échange dans le cœur même de la Hollande ; et, je le demande, la Hollande peut-elle, sans compromettre la possession du Brabant septentrional en entier, nous laisser occuper les enclaves de quelque étendue qu’elles soient, que nous y posséderons ? peut-elle nous permettre de nous établir au milieu d'une population catholique qui nous appelle ? Chaque enclave occupée par les Belges deviendrait un foyer d’insurrection. L'honorable orateur nous a beau nous entretenir de la position de Maestricht, dont la moitié seulement appartient à la Hollande ; nous avons le Rhin, dans la Gueldre, une position aussi inquiétante pour la Hollande ; les villes de Huyssen et de Sevenaar n'appartenaient pas en 1790, à la république des Provinces-Unies, la possession de ces villes et de leur territoire nous donnerait celle du cours du Rhin sur plus de deux lieues d’étendue. Si la Hollande ne nous met pas en possession de nos enclaves, nous ne la mettrons pas en possession des siennes, notamment de Venloo ; la mise en possession, l'évacuation devant être réciproques, nous évacuerons Venloo quand elle aura évacué Huyssen, Sevenaar et la moitié de Maestricht. En troisième lieu, le status quo des enclaves, s'il était possible, ne nous enlèverait pas tout commerce de transit avec l'Allemagne ; ce ne sont pas seulement les pays de généralité mais aussi les possessions du roi de Prusse comme duc de Clèves, et de l'évêque de Liége, qui en 1790 nous barraient le chemin de l’Allemagne ; aucune enclave, aujourd'hui, ne s’interpose entre Ruremonde et Anvers.

J’ai déjà fait remarquer que l'ancienne politique commerciale de la Hollande n'est plus possible de nos jours ; qu'elle reposait sur le monopole de la navigation des rivières et des fleuves, et qu’elle est incompatible avec le système général de l’Europe moderne, qui consacre la liberté de navigation. On m'objectera que depuis 1815 le roi de Hollande a néanmoins refusé l'usage des eaux intérieures qui joignent l'Escaut au Rhin ; mais pour nous mettre à l'abri de ce refus, il ne faudrait rien moins que nous emparer de la Zélande et du Brabant septentrional, et incorporer ces provinces à la Belgique. Il faut nécessairement donner cette extension au système de la conquête ; il n'y a que ce moyen de rendre au nouveau royaume de Belgique tous les avantages qu'avait sous ce rapport l'ancien royaume des Pays-Bas. Je pourrais invoquer tous les arguments de l'honorable orateur, pour soutenir qu'il faut nous emparer de tout ce qui est en deçà du Moerdyk, et prouver que la Belgique indépendante et commerciale n'est possible qu'en s'étendant jusque-là.

Je suis loin de croire que l'adoption des préliminaires fasse disparaître toutes les chances de guerre ; je redoute les hostilités aussi longtemps que la Belgique n'est pas constituée, je ne les redouterai plus lorsqu'elle le sera. Ce que je crains, c'est la guerre générale, qui entraînerait la perte de notre indépendance ; le pays étant constitué et reconnu, les probabilités de guerre générale diminueront, et j'envisagerai alors sans effroi une guerre entre la Hollande et la Belgique. Le traité ne compromet rien définitivement ; les ressources que nous offre l'échange des enclaves sont telles, qu'elles nous assureront le Limbourg peut-être en entier, avec Venloo démantelé. La question du Luxembourg est l'objet de négociations, et nous en conservons la possession ; je vous avoue qu'après une décision négative aussi expresse que celle que renfermaient les premiers protocoles, il me paraît que c'est avoir beaucoup gagné que de voir remettre la question en doute. J'aurais préféré une décision immédiate en notre faveur, je ne me dissimule pas que l'on peut, en soutenant que le grand-duché de Luxembourg ne faisait pas partie du royaume des Pays-Bas, prétendre que l'article2 exclut cette province de la Belgique, mais je considère que la possession nous reste, qu'au fait de la possession actuelle vient se joindre le principe de l'ancienne possession de 1790 ; que la Belgique constituée aura plus de moyens qu'aujourd'hui de défendre cette province. Je crois d'ailleurs que le roi Guillaume ne tardera pas à reconnaître qu'il est de son intérêt de ne pas conserver la possession lointaine et onéreuse du Luxembourg, et qu'il est de l'intérêt de la Hollande d'élever une barrière contre la Belgique, en plaçant le Brabant septentrional, au lieu du Luxembourg, dans la confédération germanique.

Si vous me demandez : Avez-vous la certitude (page 434) que l'échange des enclaves vous assure l'intégrité du territoire ? je vous demanderai à mon tour : Avez-vous la même certitude en déclarant la guerre, seul parti que je regarde comme admissible dans le système du rejet ? Vous ne me présentez que des chances, des probabilités de succès ; permettez donc que je ne vous présenté que des chances, des probabilités. Votre système est au moins aussi conjectural que le mien. Et en dernière analyse, songez-y bien, la guerre n'est pas une solution ; quelque horreur que vous ayez de la diplomatie, après la guerre il vous faudra toujours négocier, à moins que vous ne parveniez à exterminer la Hollande, et que celle-ci ne soit abandonnée de tous ses alliés dans la guerre d'agression, d'invasion que vous voulez lui faire. Vous dites qu'une bataille suffira, et que les Hollandais sont des lâches ; c'est ce que rien ne me démontre. (Murmures.) Mais les alliés de la Hollande sont-ils des lâches, et qui peut leur contester le droit de la secourir sur son territoire.

Messieurs , je ne me suis pas caché les conséquences du parti que j'ai embrassé ; je sais que l'opinion adverse a un côté plus généreux, et c'est le côté généreux qui frappe le public. Mais vous, mes honorables collègues, vous ne méconnaîtrez pas mes intentions ; comme hommes d'État, vous prononcerez avec votre raison, et non avec votre imagination ; vous consulterez la logique inflexible des faits et des intérêts. (M. B., supp., 6 juill.)

M. Seron – Je ne prends la parole que pour motiver, en peu de mots, le vote que j'émettrai ; car la question soumise à votre examen a été si bien et si complètement traitée par les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, qu'elle ne me paraît plus susceptible de nouveaux développements. Je parle des orateurs de l'opposition, et d'eux seuls, car ayant pour eux leur conscience et la raison, ils n'ont pas été obligés, comme leurs adversaires, de recourir à des sophismes dont gémit le bon sens.

Avant d'entrer en matière, je cède au besoin de vous communiquer une réflexion que fait naître en moi la situation actuelle des choses. Quand on vous proposait pour roi le duc de Leuchtenberg, quand le duc de Nemours obtenait la majorité de vos suffrages, quand des gens sans mission se transportaient au château de Belœil pour y déterrer un monarque indigène, l'idée d'offrir le trône au prince de Saxe-Cobourg était repoussée par tout le monde avec indignation ; il n'y a pas un mois, vous condamniez à l'unanimité des voix, moins une, le projet de loi tendant à faire admettre dans Maestricht une garnison prussienne. Chose singulière ! vous avez nommé Saxe-Cobourg ; vous écoutez aujourd'hui de sang-froid la demande d'abandonner Maestricht à vos ennemis. Sans doute l'honorable député dont la proposition produisit ici, en janvier dernier, un si grand scandale, et le fit rappeler à l'ordre, est en droit d’espérer que bientôt il pourra la reproduire avec succès.

Un pareil changement, messieurs, est, je n’en doute pas, le résultat des intrigues de certains hommes avides de places, qui espèrent en obtenir incessamment de plus lucratives encore que celles qu'ils occupent, et qui, quoi qu'il arrive, n'en sortiront pas les poches vides : hypocrites qui protestent sans cesse de leur patriotisme pur, de leur désintéressement, et qui n'ont dans l’âme que l'égoïsme et l'amour de l'or ; hommes doubles qui nous vantent leur franchise ; caméléons politiques qui osent nous accuser d'orangisme, de réunionisme et d'ambition ! Nous leur ferons voir que nous portons dans nos cœurs ce qu'eux ne connaissent pas, l'amour de la patrie.

Je viens à la question. Vous connaissez tous, messieurs, les dix-huit articles que vos commissaires ont été chercher à Londres ; il est inutile de vous en rappeler le contenu. Il en résulte : 1° qu’il doit être retranché du territoire de la Belgique et Venloo et les communes qui, en 1790, appartenaient à la Hollande ; 2° que vous n'aurez à faire valoir sur Maestricht d'autres droits que ceux qu'y exerçait en 1790 le prince évêque de Liége, droits contestés, se réduisant, en tous cas, à fort peu de chose, et à l'égard desquels vous tâcherez de vous entendre comme vous le pourrez avec le roi de Hollande ; 3° que, pour obtenir le Luxembourg, vous négocierez avec ce même prince dont les plénipotentiaires ont déjà déclaré, en son nom, que le Luxembourg était pour lieu d'une valeur inappréciable et qu'il ne s'en déferait jamais ; que vous négocierez aussi, à la même fin avec la diète germanique, et vous savez comme elle reçoit les ambassadeurs de M. Lebeau ; 4° enfin que, pour avoir les parties du territoire de la Hollande de 1790, enclavées dans votre territoire de 1815, limité comme le voulaient les articles premier et 2, il faudra lui céder d'autres enclaves dépendantes de ce même territoire de 1815, au delà duquel les articles premier et 2 ne vous accordent rien, car vous ne pouvez céder que ce qui est à vous. C'est, en effet, une chimère que ces espérances sur les seigneuries de Berg-op-Zoom et de Ravenstein que vous n'avez jamais possédées ; c'est une véritable plaisanterie que ces droits sur lesquels la diplomatie s'est appesantie dans le (page 435) comité secret, et dont les préliminaires ne disent pas un mot. Après cela vous serez neutres, comme disent les protocoles, et en paix avec tout le monde, s'il plaît à Dieu, à la Sainte-Alliance, et à ce bon roi, votre voisin, qui vous regarde encore comme des sujets rebelles, et qui n'a pas perdu l’espoir de revenir un jour ici pour vous châtier tous, petits et grands.

Voilà, messieurs, les conditions que vous envoie le Foreign Office et à l'acceptation desquelles le prince que vous avez élu subordonne son arrivée à Bruxelles pour y prendre possession du trône et donner ses soins les plus assidus et les plus constants aux habitants de cette ville, ainsi qu'il le dit lui-même dans sa lettre du 6 juin dernier, imprimée et affichée à tous les coins de rues pour l’information du public. Avais-je tort quand, avant qu’il fût élu roi, je l'appelais le candidat de la Sainte-Alliance ?

Ces conditions, quoi qu'aient pu dire ceux qui substituent des arguties au raisonnement, portent atteinte à notre constitution en exigeant, d'une part, le démembrement du territoire de la Belgique, et en vous constituant, d'un autre côté, en Etat neutre. Effectivement, pour les admettre il faut changer l'article premier de la loi fondamentale, qui désigne chacune des provinces dont le royaume se compose, et en effacer les dispositions de l'article 68, qui donnent au roi le commandement des armées et l'autorisent à déclarer la guerre et à faire des traités d'alliances. Un État neutre doit toujours être en paix avec tout le monde et ne faire d'alliance avec personne ; un État neutre n'a pas besoin d'armée. Quand vous voyiez nommer tant de généraux, tant d'officiers de tout grade et de toute arme, vous n'imaginiez pas que bientôt on serait forcé de les renvoyer tous chez eux.

Des gens d'un caractère très accommodant ont prétendu que le congrès, investi du pouvoir de constituer, a le droit de changer la constitution qu’il a faite. C'est, comme l'a dit mon honorable ami M. de Robaulx, une grave erreur. Par cela même que la constitution a reçu l'assentiment général, la sanction publique, elle est devenue le pacte social et la propriété du peuple ; il ne nous est plus permis d'y toucher. Et croyez-vous, messieurs, que nous pourrions le faire impunément ? Ne voyez-vous pas de danger à commencer ainsi une contre-révolution ?

Revenons, messieurs, à des idées plus saines ; envisageons les choses sous leur véritable point de vue, et nous ne songerons plus à modifier la constitution, et nous ne verrons plus dans les déclarations du prince de Saxe-Cobourg, lues à cette tribune par M. de Gerlache, qu'un véritable refus de la couronne. En effet, vous avez nommé ce prince roi des Belges, à la condition d'accepter la constitution telle qu'elle a été décrétée par le congrès national ; et cette constitution il ne la veut, d'accord avec les protocoles, que modifiée et changée ; vous avez dit qu'il ne prendra possession du trône qu'après avoir solennellement prêté dans le sein du congrès le serment d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire ; et voici qu'il déclare ne vouloir régner qu'autant que vous-mêmes vous adhérerez aux décisions de la conférence, qui ne respectent pas l'intégrité de votre territoire. Vous voyez qu'il rejette vos conditions, il ne peut donc y avoir de contrat entre vous et lui ; son élection devient nulle : il n'est plus à mes yeux qu'un étranger, un Anglais, un Allemand.

Mais, disent ceux dont l'imagination effrayée voit déjà leurs châteaux en feu ou du moins occupés par une soldatesque insolente et pillarde, si nous ne nous hâtons de nous soumettre, de tout accepter, notre pays va être occupé par les troupes françaises, nous occasionnerons une guerre générale. Messieurs, croyez que l'acceptation des préliminaires n'empêchera pas les Français de venir ici si l'envie leur en prend ; croyez que l'Europe ne prendra pas les armes pour vos limites. Et quant aux hommes timides qui appréhendent même une guerre avec la Hollande, pensent-ils l'éviter en se soumettant aux protocoles ? pensent-ils bonnement que si nous laissons l'épée dans le fourreau, le roi de Hollande renoncera, pour une somme d'argent aux droits qu'il prétend avoir sur le Luxembourg, et remettre à notre disposition Anvers et les forts voisins que ses troupes occupent ? Pour moi, je suis persuadé que plus nous montrerons d'irrésolution, de pusillanimité et de soumission, plus on sera exigeant envers nous, moins on nous fera de concessions.

On nous a parlé des Polonais ; on nous a dit que si nous nous refusions à l'arrangement qu'on nous propose, la diplomatie allait les abandonner et que nous serions cause de leur perte ; les deux ambassadeurs de cette nation l'ont affirmé. Messieurs, personne plus que moi ne prend intérêt au peuple dont la cause est la nôtre, et qui se montre si généreux, si grand, si digne de la (page 436) liberté. Mais la servirons-nous, cette cause sacrée, en nous soumettant lâchement à des sacrifices imposés par les rois ? Et que fera pour elle la diplomatie à leurs gages ? J'avoue, au reste, messieurs, que je n'ai vu ni les prétendus ambassadeurs ni leurs diplômes, et que j'ignore absolument leur mission ; mais n'est-il pas permis de la croire suspecte, s'il est vrai, comme on l'assure, qu'ils viennent, non de Varsovie, mais de Londres, pour insinuer que l'avilissement d'une nation libre peut être favorable à une nation qui combat pour la liberté ?

On nous a aussi parlé des Espagnols ; on a dit : S'ils ne sont pas libres, c'est parce qu'ils n'ont pas voulu modifier leur constitution. Mais, messieurs, n'est-il pas évident au contraire, par des faits connus de toute l'Europe, que si la liberté n'a pas triomphé en Espagne, c'est uniquement parce que l'Espagne n'est pas mûre pour la liberté ? Croyez-vous qu'on puisse dire la même chose de la Belgique ?

Enfin, un député ministre d'État nous a menacés d'un partage, il en a exposé le plan ; mais jusqu'à ce que le député ministre en ait exhibé les preuves, il me permettra de ne pas croire sur sa parole à un projet dont l'absurdité est palpable.

Je me résume en deux mots : Le prince de Saxe-Cobourg a refusé nos conditions, il a donc refusé le trône de la Belgique ; il n'est pas notre roi. Il veut que nous adhérions aux protocoles ; nous ne pouvons le faire sans nous déshonorer, sans nous couvrir de honte, sans violer notre mandat ; ce serait une lâcheté infâme. Si Ponsonby a dit qu'on ne nous céderait pas un pouce du territoire hollandais, qu'il sache que nous ne céderons pas, nous, un pouce de notre propre territoire, encore moins nos populations, une partie de nous-mêmes. Non, nous n'abandonnerons pas nos frères, nous ne les replacerons pas sous le joug d'un tyran !

Je vote donc pour la question préalable sur les préliminaires en dix-huit articles et les protocoles qui les ont précédés, et, par une conséquence nécessaire, je vote également pour la question préalable sur l'amendement présenté par M. Van de Weyer ; car, en adoptant cet amendement, nous nous replacerions imprudemment sous l'influence de la conférence de Londres, dont nous devons nous affranchir si nous ne voulons pas qu'elle tue notre révolution.

En me conduisant ainsi, je ne craindrai ni les reproches de ma conscience, ni les reproches de mes concitoyens ; je pourrai encore lever la tête et ne pas rougir en présence des honnêtes gens. (Applaudissements.) (M. B., supp., 6 juill.)

M. le comte d’Arschot déclare qu'il votera pour les préliminaires, qui lui paraissent le seul moyen d'éviter la guerre, guerre qui, selon lui, amènerait ou la réunion à la France, ou le partage de la Belgique. L'orateur proteste de la satisfaction qu'il aurait éprouvée si les propositions de la conférence de Londres eussent été plus avantageuses pour le pays. Mais telles qu'elles sont, elles paraissent acceptables à l'honorable membre, qui ne croit pas devoir hésiter entre leur acceptation et les malheurs qu'il paraît prédire à la Belgique si le congrès refusait son adhésion à l’ultimatum de la conférence. (E., 6 juill.)

M. Isidore Fallon – Messieurs, les dernières propositions de la conférence de Londres, destinées à clore notre révolution et à fixer définitivement le sort de la Belgique, paraissent si peu propres à satisfaire aux vœux de la nation, que plus nous les considérons avec attention, et plus le terrain de la discussion s'élargit.

Faut-il rejeter ces propositions par la question préalable d'inconstitutionnalité, sans même prendre soin d'indiquer à la nation et à la conférence elle-même ce qui y répugne à l'honneur national ?

Faut-il les accepter purement et simplement ?

La proposition d'indemnité éventuelle, faite par plusieurs de nos honorables collègues, est-elle de nature à faciliter l'adoption de ces préliminaires de paix ?

Enfin, les amendements proposés par MM Beyts et Van de Weyer offrent-ils des garanties suffisantes en cas d'acceptation ?

Ce sont là les questions graves que nous sommes appelés à résoudre.

Pour asseoir mon jugement sur des difficultés aussi sérieuses, telles sont les considérations auxquelles je me suis attaché ; voici la marche que j'ai suivie.

J'ai comparé d'abord la situation du pays alors qu'il s'est agi de la candidature du prince Léopold de Saxe-Cobourg avec l'état actuel de nos affaires politiques. J'ai reporté mon attention sur les motifs qui m'avaient déterminé à appuyer l'élection immédiate, et je suis arrivé à cette conséquence que les propositions de la conférence ne peuvent obtenir mon assentiment, pas même au moyen des amendements de mes honorables collègues MM. Beyts et Van de Weyer, et pas même au moyen du système impraticable d'indemnité éventuelle.

Telle était notre position à l'époque du décret préalable à l'élection.

Nous étions alors en présence du protocole du 20 janvier.

(page 437) Dans la séance du 1er février, cet acte de despotisme avait été presque unanimement repoussé.

Les motifs principaux de cette protestation solennelle ont énergiquement retenti dans cette enceinte.

Cet acte de la conférence, formulé sans l'intervention de la nation belge et sans qu'on eût même daigné entendre son gouvernement, a été considéré comme une violation du principe de non-intervention, comme un attentat humiliant à la souveraineté de la nation, et une censure amère de la révolution.

Il fut déclaré à la conférence que si le peuple belge avait compris dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l'Escaut, ce n'était nullement par système de conquête, ni d'agrandissement, mais bien parce que telle était et devait être la conséquence de l’état des choses au moment où les provinces méridionales avaient été imprudemment et arbitrairement associées aux provinces septentrionales.

C’est sur ces considérations que le congrès proclama alors, par une impulsion presque unanime, qu’il ne se soumettrait jamais, et ce mot fut prononcé par 163 voix contre 9 ; qu'il ne se soumettrait jamais, dis-je, à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et mutilerait la représentation nationale.

C'est dans ce sens que l'action fut dès lors imprimée à notre diplomatie.

Depuis quatre mois, tous nos efforts s'étaient réunis pour nous soustraire aux exigences d'un protocole ; mais depuis quatre mois les négociations traînaient péniblement en longueur, lorsqu’il devint évident pour tout le monde que la diplomatie ne faisait autre chose que de reculer le but au fur et à mesure des efforts que nous faisions pour l'atteindre, et que le système secret de la conférence était, sinon de nous amener à un acquiescement par la peur de la violence, de nous réduire au moins à la soumission par la fatigue et l’épuisement.

C’est alors qu'on sentit le besoin de faire cesser cet état de choses et de sortir enfin d'un provisoire qui, plus longtemps prolongé, faisait pressentir de funestes résultats.

Le congrès fut réuni.

La question qui fut agitée ne fut pas de savoir s’il fallait se soumettre au protocole du 20 janvier et élire le prince de Saxe-Cobourg.

Si alors semblable proposition eût été faite, elle eût été repoussée avec indignation, non seulement par les motifs de la protestation du 1er février, mais encore parce que depuis lors on avait acquis la preuve que ce protocole était un véritable contre-sens dont l'exécution forcée n'était pas à craindre.

Si les puissances se fussent réunies pour forcer la Belgique à rentrer sous le régime des traités de 1815, à subir une restauration, j'eusse conçu des craintes, parce que c'eût été là tout au moins une marche rationnelle de la part de la conférence.

Mais dès lors qu'elle était forcée de reconnaître qu'à l'égard de la Belgique les derniers traités ne recevraient plus leur exécution, je ne pouvais pas concevoir que c'était bien sérieusement qu'elle se flatterait qu'alors que la Belgique avait pu en 1830 déchirer un traité imposé, et ébranler l'Europe, elle ne pourrait pas de nouveau, de la même manière et à moins d'intervalle même, se soustraire à toute nouvelle combinaison qui lui serait imposée aussi arbitrairement.

La guerre donc, ou une combinaison de nature à soustraire promptement la Belgique à l'exécution du protocole, furent le sujet de la discussion.

Le choix pour moi ne fut pas douteux.

Je crus apercevoir cette combinaison dans la personne du prince Léopold, et j'appuyai son élection.

Les renseignements qui furent donnés au congrès sur les éminentes qualités de ce prince, qualités qui ne furent pas contestées par ceux-là mêmes qui étaient opposants à son élection, me firent concevoir l'espoir d'obtenir, par cette puissante intervention, la possession paisible des limites constitutionnelles, sans effusion de sang et sans livrer ma patrie aux calamités et aux chances d'une guerre.

Dans la position élevée où ce prince se trouvait placé, étant tout à la fois l'élu de la nation et des puissances médiatrices, il me semblait que les portes de la conférence allaient lui être ouvertes ; qu'il y ferait entendre un langage que l'on avait jusqu'alors dédaigné, et qu'il ne tarderait pas à apporter en dot à sa nouvelle patrie adoptive, sinon la révocation pleine et entière du protocole, tout au moins des tempéraments de nature à le concilier avec l'honneur national et notre régime constitutionnel.

Mes prévisions ne se sont pas réalisées, et je me retrouve en présence du protocole du 20 janvier, avec cette seule différence entre le présent et le passé, qu'alors nous protestions contre ce protocole, et qu'aujourd'hui nous délibérons sur la question de savoir si nous convierons le prince de notre choix à venir nous aider à l'exécuter.

(page 438) Cette similitude entre l'époque de l'élection et l'état actuel des choses n'est pas rigoureusement exacte, je le sais.

Mais qu'importent quelques points de détail, si je retrouve, dans l'ensemble des dernières propositions de la conférence, les principaux motifs de ma répugnance !

La proposition quant à la dette est, à la vérité, une grande amélioration ; mais d'abord cela est tout à fait en dehors du protocole ; il n'en avait été parlé que postérieurement et sous la forme de proposition, et la proposition était par trop absurde pour croire un instant qu'elle fût sérieuse.

La proposition, quant au Luxembourg, est aussi à mes yeux une amélioration, puisqu'elle nous offre tous les avantages du possessoire, et qu'elle nous place sur un terrain beaucoup plus favorable pour nous défendre au pétitoire, ou pour transiger au moyen d'indemnités pécuniaires.

Quant à la question de la rive gauche de l'Escaut, beaucoup de considérations eussent pu me déterminer à me contenter des garanties offertes par le septième article des propositions, si, par ce sacrifice encore, j'eusse pu assurer l'indépendance et la paix de mon pays.

Mais c'est dans la question du Limbourg que je retrouve tous les principaux motifs de ma répugnance au protocole du 20 janvier. C'est là où, comme vous le disiez le 1er février, il s'agit de l'honneur belge et de mutiler la représentation nationale.

L'idée d'abandonner des frères qui ont fait cause commune avec nous, qui se sont jetés dans nos bras lorsque nous les leur tendions, qui, partageant nos périls, ont acquis le droit incontestable de partager les fruits d'un même patriotisme, et qui cependant, malgré les garanties offertes par la seizième proposition, ne seraient pas moins frappés d'interdiction et exposés longtemps à tous les funestes effets de sourdes vexations ; cette idée, dis-je, déchire trop péniblement mon cœur, pour que je puisse jamais donner les mains à une si cruelle combinaison.

On nous dit : Mais le marquisat de Berg-op-Zoom, la seigneurie de Ravenstein et plusieurs autres enclaves sont là, on pourra faire des échanges et conserver le Limbourg en entier.

Je cherche avec empressement la démonstration d'une aussi consolante assertion au-devant de laquelle je m'étais déjà placé dans le comité général, mais je ne trouve qu'une illusion trompeuse.

Et d'abord, où sont les titres qui nous assurent des droits incontestables sur ces enclaves ?

Où est-il démontré que ces enclaves sont de nature à pouvoir absorber par compensation les portions du Limbourg dont nous serions évincés ?

Où est-il prouvé que le gouvernement hollandais consentirait à l'échange ? tandis qu'un refus de sa part nous tiendrait dans la position la plus fausse, puisque sur ce point nous ne pourrions lui faire la guerre.

Et d'ailleurs ne faudrait-il pas, dans tous les cas et aux termes bien précis de la sixième proposition, commencer par évacuer toutes ces portions de territoire ?

Je rencontre ici les amendements de MM. Beyts et Van de Weyer, mais je ne les trouve pas conçus dans des termes propres à calmer mes inquiétudes.

Dire, avec M. Beyts, que l'on considérera comme non avenu le consentement aux propositions préliminaires si un traité de paix définitif n’en est le résultat, ce n'est pas résoudre la question du Limbourg, et ce n'est pas indiquer surtout que, sur ce point, toute transaction qui tendrait à mutiler cette province rencontrerait des obstacles invincibles.

Adopter, avec M. Van de Weyer,les propositions de la conférence, en se bornant à charger le gouvernement de stipuler que les enclaves en Hollande, reconnues appartenir à la Belgique par l’article 2 des propositions, seront remises comme l'équivalent de Venloo, de la partie des droits revendiqués sur Maestricht et autres enclaves du Limbourg, et que pendant l'arrangement à prendre sur ce point, aucune de ces enclaves ne sera évacuée, c'est, me semble-t-il, laisser un champ trop vaste à de nouvelles négociations, et nous tenir peut-être trop longtemps encore en état de malaise.

Je préférerais trancher plus vite et plus franchement la question, et, pour cela faire, un simple changement de rédaction me suffirait.

Je me servirais de ces expressions :

« Le congrès, en adoptant les propositions de la conférence, les comprend dans ce sens et pas autrement : 1°, etc. »

Quant à la proposition d'indemnité éventuelle faite par plusieurs de nos honorables collègues, je ne crois pas devoir m'y arrêter, puisqu'il a déjà été démontré suffisamment que ce système était d’une exécution impossible.

Enfin, que l'on me fournisse le moyen d'arranger les choses de manière à ce qu'en acceptant les propositions la province du Limbourg reste dans les limites de la constitution, et alors être je pourrai, dans l'intérêt du repos et de l’indépendance (page 439) de mon pays, accepter les préliminaires de paix.

Jusque-là ces préliminaires ne pourront obtenir mon acquiescement ; je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement taxer d'exagération mes exigences.

Les limites des États n'ont été tracées que par la conquête ou par des traités, et ces limites ont varié successivement suivant que la conquête ou les traités y ont apporté des changements.

Or, aujourd'hui que la séparation de la Belgique est un fait non seulement accompli, mais formellement reconnu par la conférence ; aujourd’hui qu'il est reconnu qu'à son égard les traités de 1815 ne peuvent plus recevoir d'exécution, s'il y a de l'exagération quelque part, c'est dans la prétention de vouloir faire rétrograder à 1790 la de séparation, tandis que cette ligne est tout naturellement tracée dans l'état des choses au moment de l'association forcée.

Lorsque les départements réunis furent annexés à la Hollande pour en former un nouvel État, les anciennes limites des Provinces-Unies avaient été effacées par des traités non moins solennels que ceux de 1815.

Pourquoi donc rétrograder à 1790 en faveur des provinces septentrionales, au préjudice des provinces méridionales, alors que c'est précisément à la Hollande qu'il faut imputer la cause de la séparation ? La conférence finira peut-être par comprendre et mettre en action le principe qui veut que le préjudice retombe sur celui qui l'a causé.

Sans récapituler ici les fautes nombreuses qui sont venues détruire l'œuvre de 1815, sans parler des moyens violents qui avaient été employés pour étouffer jusqu'à l'expression des simples vœux des états provinciaux, le fameux message du 11 décembre ne suffit-il pas pour attester que c’est le gouvernement hollandais qui a déchiré le pacte social ?

Or, si pour régler maintenant, d'une manière convenable aux deux divisions, une séparation que le gouvernement hollandais a violemment provoquée, l'une de ces divisions doit supporter quelque morcellement, la justice s'oppose à ce que ce soit précisément la Belgique qui doive en faire les frais.

Une dernière considération que, par prudence, je ne développerai pas, mais qui me paraît également pressante et qui me détermine encore à refuser mon assentiment aux propositions, sans des garanties préalables quant au Limbourg, c'est le besoin d'écarter, dans l'état de crise où se trouve le pays, tout ce qui peut être de nature à troubler la concorde et à produire la désunion.

J'aperçois dans l'acceptation pure et simple des propositions une irritation qui produira des frottements de nature à rendre bien difficile, sinon, peut-être, impossible, l'action du gouvernement alors que le prince Léopold viendrait en prendre la direction sous d'aussi malheureux auspices.

Quant à la question préalable, je ne doute pas que la constitution ne comprenne dans ses limites les provinces méridionales telles qu'elles se trouvaient formées sons le gouvernement précédent ; mais je ne pense pas qu'il y ait inconstitutionnalité à apprécier le mérite d'échanges de territoires ou de limites, alors que la constitution en prévoit le cas et abandonne cette appréciation à la législature ordinaire.

Je voterai donc contre l'acceptation pure et simple des propositions, tout en votant contre la question préalable, réservant toutefois mon suffrage, quant à l'amendement de M. Van de Weyer, si la rédaction en est modifiée dans le sens que je l'ai proposé ou de toute autre manière propre à atteindre le même but. (C., 6 juill.)

M. de Gerlache – Messieurs, je ne me dissimule pas dans quelle position désavantageuse on se trouve placé en défendant l'opinion contraire à celle qui paraît prévaloir dans cette assemblée ; cela ne m'empêchera pas de faire mon devoir, et de dire ce que je pense au pays, comme jadis je l'ai dit à ce même souverain que le pays a repoussé : l'histoire, à son tour, dira si nous nous sommes montrés plus sages que lui.

Il n'a pas dépendu de nous de faire adopter à Londres notre territoire tel que la révolution l'a voulu faire, c'est-à-dire, le midi, les Belges et les catholiques d'un côté ; le nord, les Hollandais et les protestants de l'autre. Dans une conversation que nous eûmes chez un célèbre ministre d'Angleterre, en présence d'un de ses collègues, nous avons traité la question comme on l'entendait au congrès ; nous nous sommes récriés contre cette manière arbitraire de joindre et de disjoindre les nations sans consulter leurs inclinations ni leurs besoins. Mais à Londres, ceux-là mêmes qui nous sont le plus favorables ne voient pas précisément les choses comme on les voit à Bruxelles.

« Vous voulez vous séparer de la Hollande, nous dit-on ; eh bien, vous en avez le droit, et nous n'intervenons pas dans vos affaires intérieures : c'est un divorce à opérer. Mais quand on divorce, chacun reprend ce qui lui appartenait personnellement. Or, à quelle époque la Hollande et la Belgique étaient-elles toutes deux (page 440) indépendantes, toutes deux considérées comme États primitifs, et existant par eux-mêmes dans l'ancienne balance européenne ? Il faut, pour rencontrer cette période, remonter jusqu'en 1790. Voilà donc la règle de votre séparation, la règle de vos droits : subissez-en les conséquences, aussi bien quand elles vous sont défavorables que quand elles vous sont avantageuses ! Comment voulez-vous, ajoutait-on, que la conférence intervienne pour vous faire conserver aucune portion du territoire hollandais, lorsque c'est sur le principe contraire qu'est fondée sa médiation ? lorsque c'est en vertu du principe contraire que vous revendiquez et le Luxembourg et Maestricht, et les enclaves de la Hollande ? »

Il est évident, en effet, messieurs, que pendant le temps qui s'est écoulé entre la première invasion des Français en Belgique jusqu'à leur expulsion, il n'y a plus eu de Belgique proprement dite ; il est bien évident que lorsqu'en 1815 les alliés donnèrent la majeure partie de nos provinces comme accroissement de territoire à la Hollande, on ne s'inquiéta pas de déterminer dans cet amalgame, ce qui doit être considéré comme Belgique ou non ; il est bien évident enfin que quand le souverain des Pays-Bas divisa son royaume en provinces, quand il mit, par exemple, ou laissa Venloo et Maestricht dans le Limbourg ; ce n'était là qu'un acte d'administration intérieure, et non pas un acte extérieur de puissance, de nation à nation. Si vous voulez aujourd'hui créer une Belgique (si c'est bien réellement là ce que vous voulez), il faut vous dépouiller un instant de votre qualité de Belges, de votre rôle de plaideurs, pour prendre celui de juges, et vous demander si, après tout, les puissances ont pu faire autre chose que ce qu'elles ont fait.

Si on vous eût dit, au mois de septembre dernier, quand furent faites les premières demandes de séparation à la Hollande, que vous pourriez vous constituer comme nation indépendante, prendre rang en Europe, et assurer à jamais votre avenir politique ; que vous auriez une charte rédigée par vous-mêmes, et la plus libérale possible, et tout cela à la seule condition d'abandonner à l'associé que vous vouliez répudier, tout ce qu'il possédait avant la grande révolution de 1790, ne vous fussiez-vous pas estimés trop heureux ?

Or, messieurs, parmi les dix-huit articles, il en est qui certainement vous sont très favorables : il y a là, quoi qu'on en dise, de grandes dérogations aux protocoles.

Les puissances n'interviennent plus dans nos affaires, à moins qu'elles n'en soient requises par les deux parties ; vous ne subirez plus, comme on disait, le joug de la Sainte-Alliance ; tout se traitera directement entre la Hollande et vous ; c’est par l'intermédiaire du futur souverain que les arrangements pécuniaires, ou concernant le territoire et les limites, vont se conclure ; que les limites entre vous et les autres puissances vont s'établir. La question des dettes est décidée à notre avantage. Nous rejetons tout entier sur la Hollande un fardeau qui l'accable, et nous avons la certitude de la vaincre, si une fois constitués, nous savons lui opposer seulement la force d'inertie, et profiter habilement de ses embarras financiers. Nous pourrons faire ainsi d'importantes conquêtes, qui ne nous compromettront pas. Vous conservez le Luxembourg et vous aurez Maestricht ; et les droits incontestables de l'ancien prince de Liège sur cette ville vous sont adjugés, puisque vous n’avez qu'une preuve facile à faire pour établir vos prétentions. Des négociations et des échanges vous assureront la partie de Maestricht qui vous manque, à moins de frais qu'une guerre ouverte.

Enfin, les questions du Luxembourg et du Limbourg étant séparées, il ne s'agit plus d'échanges de territoires ; il ne s'agit plus de perdre l'un pour conserver l'autre, comme on vous en menaçait.

Que si toutes ces difficultés ne peuvent se terminer à l'amiable, eh bien, vous aurez recours à la dernière raison des rois et des peuples ! Vous ferez la guerre ; mais vous la ferez avec votre roi ; le peuple et l'armée sauront à qui obéir ; le pouvoir exécutif, réuni dans une seule main, sera fort ; votre triomphe est certain, et si même les chances de la guerre vous étaient défavorables, une nation reconnue par toutes les autres a toujours des gages assurés d'existence et d'indépendance, que la guerre ni les traités ne peuvent lui enlever.

Messieurs, je pense que notre futur souverain, appuyé sur l'Angleterre et sur la France, sera puissant et très puissant. Le ministère anglais qui poursuit la réforme parlementaire au profit de la nation, et qui doit réussir ou succomber lui-même, ne peut que nous être favorable. C'est d'ailleurs un fait dont nous nous sommes assurés sur les lieux ; et nous avons, pour gage de sa bonne volonté, et ses principes et ses intérêts. Quant à la France, non seulement la politique du futur souverain ne peut lui être hostile, il nous l'a souvent répété, mais il est plus que probable qu'une alliance de famille viendrait consolider et resserrer bientôt ces relations politiques. Que les destinées de la Belgique constitutionnelle, appuyées sur deux grandes nations constitutionnelles, (page 441) devenir brillantes ! Quoi qu'il arrive alors, y eût-il guerre et guerre générale, nous n'avons plus rien à craindre ; nous devons au contraire espérer un accroissement de territoire, nous le réclamerions à juste titre de la politique européenne, et cela pour que la Belgique devienne enfin ce qu'elle pouvait être, unie à la Hollande, une véritable barrière entre les puissances voisines qui seraient tentées de franchir leurs limites. Mais souvenons-nous bien d'une chose, messieurs, c’est qu'il faut exister avant de croître.

Le point sensible, le point irritable de la question, que je n'ai point encore abordé, c'est Venloo ! Nous ne pouvons, dit-on, l'abandonner : c'est une question d'honneur national ; cette ville a pris notre parti. Si vous abandonnez ses habitants à la réaction hollandaise, on vous adressera, ce sarcasme cruel que vous aurez bien mérité : Il était du congrès, il a vendu ses frères ! J'applaudis autant qu'aucun autre au noble sentiment qui a dicté un si beau mouvement oratoire à l'un de nos collègues du Limbourg, et j'ai ressenti ma part de la prodigieuse impression qu'il a produite dans cette enceinte. Mais, messieurs, dans un conseil d’Etat (et permettez-moi de vous le dire, c'est en conseil d'État que vous délibérez maintenant), si on se laissait aller à de magnanimes émotions au lieu de consulter la raison froide et l'intérêt du pays, on compromettrait souvent le pays lui-même. Toute la question, pour moi qui siège ici comme Belge, et non comme député d'une province, c'est de savoir si vous pouvez espérer de conserver à la fois votre ancienne patrie belge et Venloo ? Eh ! messieurs, si le rejet des propositions qu'on vous fait doit amener la guerre avec tous les désastres qu'elle entraîne, la destruction de votre jeunesse, des propriétés, la perte totale du commerce et de l’industrie, avant même que vous retrouviez une occasion de traiter (ou que quelqu'un traite de vous et sans vous) , n'entendrez-vous pas souvent dire : Ils étaient du congrès ; ils ont pu sauver le pays, ils en avaient une belle occasion, et ils ne l’ont pas voulu ! Qu'auriez-vous à répondre alors aux pères de famille, aux veuves, aux orphelins qui vous adresseraient ces foudroyantes paroles ?

Vous parlez d'honneur national ! c'est un mot dont l'effet est magique sur le cœur des Belges ! J’ai dit aussi que, pour une nation comme pour un homme, la perte de l'honneur c'était la mort ! mais il faut bien s'entendre sur l'acception de ce mot, qui a tant de significations diverses, et dont quelques-unes sont fort arbitraires, comme chacun sait. La justice a aussi ses principes qu'il faut consulter, et qui ne peuvent être contraires à ceux de l'honneur. Ou vous voulez traiter, ou vous ne le voulez pas : croyez-vous que les puissances puissent changer les bases qu'elles vous présentent, et d'après lesquelles elles vous accordent rigoureusement tout ce que vous pouvez réclamer comme Belges ? Trois des grandes puissances sont évidemment favorables au roi de Hollande, qui est désespéré d'avoir perdu la plus belle partie de son royaume, désespéré que l'avènement du prince de Saxe-Cobourg le déshérite à jamais. Si vous vous montrez intraitables, pensez-vous qu'elles ne saisissent pas cette dernière occasion d'écraser à la fois la révolte en France, en Pologne et en Belgique ? Le moment est peut-être bien près de nous où va s'engager une lutte à mort entre le pouvoir absolu et la liberté ; et qui vous dit que l'Angleterre, occupée chez elle de sa réforme, et la France, livrée aux émeutes populaires et menacée de guerre civile, seront en mesure de s'y opposer ?

Que l'on fasse pour les habitants de Venloo tous les sacrifices imaginables, afin d'adoucir leurs pertes, j'y applaudis avec empressement. Je suis du nombre de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de dédommagement possible pour une patrie perdue. Mais la perdent-ils, cette patrie, qui consiste, non pas dans le sol et dans les murailles, mais dans les lois protectrices des citoyens et dans les institutions ? Ils la retrouveront chez nous d'autant plus généreuse, d'autant plus tendre, qu'ils auront excité plus de compassion.

N'oubliez pas, je vous prie, que vous êtes ici pour délibérer sur le sort de la Belgique, et non sur celui de Venloo ! que quand vous aurez compromis le sort de la Belgique entière à cause de Venloo, cette ville n'en sera pas moins malheureuse, et que, de plus, vous serez hors d'état de lui porter aucun secours.

Quant à l'amendement de M. Van de Weyer, je ne puis l'appuyer en aucune manière : il n'ouvre qu'une voie sans issue, et nous sommes pressés d'aboutir à une fin. L'article 6 des propositions est formel ; et la lettre d'envoi porte que tous les articles seront considérés comme non avenus si le congrès les rejette en tout ou en partie. Il faut interroger sa conscience, prendre sa résolution, et avoir le courage d'accepter ou de rejeter les propositions en entier. Comment recommencer à négocier, aujourd'hui que tout le monde est fatigué de diplomatie ? Comment conserver plus longtemps à l'égard de Venloo le status quo qui laisse la citadelle d'Anvers au pouvoir des Hollandais, qui vous prive de tous les avantages attachés à cette grande ville commerciale, bien autrement importante que Venloo ?

(page 442) Le prince, dans sa lettre au régent, a promit d'arriver immédiatement en Belgique si vous acceptez les articles : si vous ne les acceptez que sous condition, il se trouve dégagé de sa parole : et vous compromettez tout ce qu'il y a d'avantageux dans les propositions qu'on vous soumet. Que si les circonstances changent autour de vous ; si les affaires se brouillent à l'extérieur, soit en France, soit en Pologne, si l'on ne cherche enfin qu'un prétexte pour la guerre, le voilà tout trouvé ; elle pourra commencer immédiatement chez nous. Comment voulez-vous, je le répète, que la conférence abandonne son principe, qu'elle intervienne pour vous garantir une portion de l'ancien territoire hollandais, lorsque sa médiation même n'est fondée que sur un principe contraire à l'intervention extérieure ? lorsqu'elle reconnaît bien votre indépendance nationale, parce qu'elle admet le droit d'insurrection, mais non le droit de conquête ? Comment pouvez-vous aller vous-mêmes au delà de vos limites belges, tandis que le droit d'insurrection, suite du droit de non-intervention, est votre seul palladium ; et qu'au contraire, le droit de conquête menace votre existence, en vous mettant à la merci des grandes puissances, plus fortes que vous ?

Je conclus de ceci qu'il faut être juste envers tout le monde : si Venloo appartient au roi de Hollande, je m'oppose à ce qu'on fasse la guerre pour avoir Venloo.

Si la guerre générale avait lieu immédiatement, comme je le crains, en cas de refus des propositions, la Pologne, dont le merveilleux courage balance les forces gigantesques de la Russie, court les plus grands dangers. Ce sont des Polonais eux-mêmes qui nous expriment cette crainte, et certes cette considération est bien propre à vous émouvoir vous-mêmes. L'Autriche et la Prusse, contenues jusqu'ici, se réuniraient d'abord à la Russie pour écraser cette brave nation. Elles ne voudraient pas laisser derrière elles un ennemi si redoutable, avant de se porter vers la Belgique et la France.

Messieurs, je résume en peu de mots mes idées sur cette grande question. Il s'agit pour nous, non pas de conserver telle ou telle portion de territoire, mais de savoir s'il y aura encore une Belgique ou s'il n'y en aura plus. Voulez-vous éviter l'anarchie, ou la réunion à la France, ou la restauration (car vous n'avez plus que ces trois chances, c'est ce que comprennent fort bien ceux qui veulent vous ravir cette dernière planche de salut), constituez-vous !

Je n'ai rien dit des qualités personnelles du prince, et cela était fort inutile, puisque tout le monde les a louées. J'ai été quelque peu étonné d'entendre un orateur, qui jusqu'ici ne s'est pas montré trop partisan du catholicisme, lui reprocher d'être protestant. Je déclare, pour mon compte, que je redoute moins un protestant qu’un gallican ; et, aujourd'hui, tous les princes catholiques sont plus ou moins gallicans.

Quelques-uns de nos honorables collègues ont fait les plus nobles professions de foi ; pour vous prémunir d'autant mieux contre tout parti faible, ils ont rappelé les outrages dont on avait honoré les anciens défenseurs de vos libertés. Je n’étais pas du nombre de ceux qui sollicitent des places et qu'on vous a signalés tout à l'heure avec tant de virulence : j'en ai donné plus d'une preuve. Je ne pense pas, messieurs, qu'un Belge, un seul Belge ait été plus cordialement haï que moi par Van Maanen et le roi de Hollande, pour sa conduite parlementaire. J'étais tour à tour jacobin, gallomane ou jésuite. J'ai eu tour à tour pour ennemis tous les ennemis de vos libertés. Je me souviens qu'appelé à délibérer au milieu d'une population qui nous était hostile, qui cherchait à nous déconcerter par ses insolentes clameurs, et qui m'avait donné, à moi, des preuves particulières et non équivoques de ses dispositions malveillantes, j’osai parler de vos droits avec la même énergie que je pourrais le faire ici au milieu de mes concitoyens et de mes amis ; j'en appelle à la mémoire des assistants et des lecteurs. Je prédis à Guillaume sa chute prochaine s'il ne changeait de conduite. Je vous ai parlé aujourd'hui avec la même conviction. Aurai-je été plus heureux ? L'avenir nous en informera. Mais les contrariétés, les dangers que j'affrontai sans crainte, lorsqu'ils m'étaient personnels, ne m'ont point rendu hardi pour compromettre le sort de mon pays. Je ne sème point révolution sur révolution. Je ne conseille point la guerre à moins d'une nécessité absolue ; la guerre, ce fléau qui renferme à lui seul tous les fléaux, tous les malheurs, tous les crimes ; la guerre, horrible et insensée, à moins que le salut du pays n'en dépende, car alors elle est sanctifiée par le but, et le dévouement devient sublime, puisque la patrie doit renaître des cendres de ses citoyens ! C'est la main sur la conscience, messieurs, quoique ce soit aussi pour moi un sacrifice, et que je le fasse avec répugnance, que je voterai pour l'acceptation des propositions qui vous sont soumises. Messieurs, vous avez dans vos mains les destinées de votre pays et celles de l'Europe peut-être pour un quart de siècle. Le pays et l'Europe diront quelque jour si vous étiez à la hauteur de votre mission ! (M. B., supp., 9 juill.)

M. le baron d’Huart(page 443) Messieurs, après les nombreux et éloquents orateurs qui m'ont précédé, je ne prends la parole qu'avec hésitation, parce que je crains de fatiguer votre patience ; mais en réclamant pour un court instant votre attention, je cède au vœu de ma conscience, qui me prescrit de motiver mon vote dans cette circonstance solennelle où nous sommes appelés à décider du sort de la patrie.

Par votre décret du 4 juin dernier, vous avez proclamé roi des Belges le prince de Saxe-Cobourg, à la condition d'accepter la constitution telle qu'elle a été décrétée par le congrès national, et sous l'obligation de jurer le maintien de l'indépendance et de l'intégrité du territoire, désigné par l'article premier de la constitution.

Répondant à l'offre du trône de la Belgique, le prince déclare l'agréer, mais sous la réserve que le congrès adoptera en entier l'ultimatum de la conférence de Londres, sur lequel vous délibérez aujourd'hui.

Il ne vous reste donc plus actuellement qu'à voir si les intérêts et l'honneur de la Belgique, ainsi que votre propre dignité, vous permettent de souscrire aux conditions qu'on vous propose. Voilà, je pense, à quoi se réduit l'objet soumis en ce moment à vos délibérations, et je me bornerai à examiner la question sous ce seul point de vue.

Si je consulte les intérêts de la Belgique, je les trouve menacés par cet ultimatum dans ce qu'ils ont de plus important, puisqu'on prétend la dépouiller d'une grande partie de son territoire. En cela vous voyez que je suis loin de partager la confiance de l'honorable préopinant.

Si je consulte l'honneur national, je rencontre la plus irrésistible opposition, puisqu'il s'agit de sacrifier froidement aux caprices de la conférence, des concitoyens qui ont acquis la qualité de Belges au prix de leur sang, et en usant du droit sacré que les peuples ont de disposer d'eux-mêmes. (Vous voyez que, moi, je ne m'en rapporte qu'au principe révolutionnaire, qui seul nous fait siéger ici ; dans une de nos précédentes séances, l'honorable M. Nothomb avait aussi émis cet avis, mais aujourd'hui il a jugé à propos d'invoquer exclusivement les traités.)

Si je consulte enfin votre propre dignité, je la trouve compromise, puisque par un acte solennel, l’un des plus beaux du congrès, vous avez protesté énergiquement contre le protocole du 20 janvier, qui ne diffère que dans la forme des propositions qu'on vous présente aujourd'hui.

Ce que je viens de dire a été clairement démontré.

Vous ne pouvez donc, messieurs, admettre les conditions auxquelles le prince de Saxe-Cobourg subordonne l'acceptation de la couronne.

On a allégué que l'ultimatum dont il s'agit diffère essentiellement des protocoles, en ce sens qu'il élargit le champ des négociations ; mais, messieurs, est-ce lorsqu'on a inutilement négocié depuis huit mois ; est-ce dans le moment où les commissaires de notre ministre des relations extérieures ont essuyé, de la part de la conférence, l'humiliation de n'être point reçus près d'elle, est-ce alors, dis-je, que vous compterez aveuglément sur un résultat avantageux de négociations traitées avec le roi Guillaume, sous les auspices du Foreign Office ? Je ne puis le croire.

Messieurs, en vous exposant les motifs de la détermination que je prendrai en cette circonstance, je vous prie de croire que j'en ai mûrement pesé les conséquences. Je ne me suis pas dissimulé la guerre immédiate qu'il faudra faire au roi Guillaume, pour nous mettre en possession des parties de notre territoire qu'il occupe encore ; mais quelles que puissent être les suites de cette nécessité, je les préfère au déshonneur.

Je voterai donc pour le rejet des propositions, en adoptant, toutefois, quant à la question préalable, l'opinion de l'honorable M. Fallon. (M. B., 6 juill.)

M. le baron de Pélichy van Huerne – Messieurs, je ne pensais pas prendre la parole dans cette grave et importante discussion, qui avait déjà été traitée par d'éloquents orateurs, mais les diverses opinions qui ont été émises me font un devoir de motiver mon vote.

Je m'oppose à la question préalable, parce que ce serait un moyen de non-recevoir, qui empêcherait la discussion d'une question vitale pour notre avenir.

Je considère les préliminaires qui nous sont proposés par la conférence de Londres comme des voies pour parvenir à un traité de paix définitif, et comme uniques pour nous constituer nation libre, nation indépendante.

Si on laisse échapper l'occasion, la seule qui nous reste, au delà il n'y a que guerre, qui, en faisant couler le sang le plus pur de nos concitoyens, viendrait verser sur notre sol la dévastation et la misère.

Guerre ! oui, guerre, lorsqu'elle est de toute nécessité, lorsqu'il n'existe aucune probabilité de l'éviter ; et alors encore on ne doit s'y engager qu'à la dernière des extrémités.

Quand on connaît les horreurs de la guerre, quand, comme moi, on a été acteur dans les plus (page 444) pénibles campagnes, on n'ignore pas que vainqueurs et vaincus ne laissent sur leur passage, n'entraînent à leur suite que ravages, que malheurs ; on n'ignore pas non plus que le sort des armes est journalier, que tel qui a été vainqueur dans le cours de plusieurs campagnes heureuses, se trouve souvent dans la triste situation de se voir enlever en une seule bataille le fruit de toutes ses victoires.

Faut-il exposer à cette incertitude le sort de la patrie, risquer cette indépendance, cette nationalité que nous avons conquises par notre fermeté et par les circonstances ? Quant à moi, messieurs, je ne le pense pas.

D'ailleurs, dans les préliminaires, je ne vois aucune infraction à la constitution, puisqu'ils ne sont que des propositions sur lesquelles on est appelé à négocier ; j'y vois, au contraire, une marche à suivre pour conserver notre territoire par le moyen des échanges. En effet, en parcourant les articles 2 et 5 des susdits préliminaires, on se persuade de la réalité.

Par ces articles, la Hollande se trouve strictement renfermée dans les limites du territoire qu'elle possédait à l'époque de 1790 ; tout le reste du territoire qui formait jadis le royaume des Pays-Bas, d'après les traités de 1815, appartient de droit à la Belgique, d'après l'aveu même de la conférence ; tels que la seigneurie de Boxmeer, les comtés de Ravenstein, Meghen et d'autres enclaves.

Ce point posé, qu'on se porte à l'article 5 des mêmes préliminaires, et on trouvera toute la facilité, d'après moi, par les échanges, à obtenir l'intégralité du Limbourg et de la ville de Maestricht, facilité d'autant plus grande que nous possédons davantage que la Hollande ne peut nous donner. Ce droit de possession et d'échanges n'est plus douteux pour moi, la conférence de Londres l'ayant posé elle-même par les articles 2 et 5 des préliminaires.

Ce droit établi, je crois que c'est rendre un service éminent à la patrie en accédant aux préliminaires en question, parce que leur solution amènera au milieu de nous un chef dont la nation et surtout l'armée a un si grand besoin. Alors tous les partis se confondent, et la nation entière, se serrant comme un faisceau autour de son chef, qui aura le plus grand intérêt de lui procurer les limites qui lui sont nécessaires pour sa dignité comme nation ; et auxquelles le bon droit lui donne des prétentions, marchera avec ce courage inné aux Belges pour conquérir ce qu'on lui refuserait injustement.

Avec le prince de Saxe-Cobourg, nous pouvons agir unanimement ; il sera par son influence d’un grand poids dans la balance pour terminer favorablement nos affaires. Car, remarquez-le, messieurs, si nous ne sommes constitués, on ne voudra point traiter avec nous, puisque l'on nous considérera toujours comme rebelles. Il nous faut donc un chef, sans quoi impossible de nous faire reconnaître comme nation, et d'entrer dans la famille européenne.

Si au contraire nous sommes constitués et qu’il faille faire la guerre, nous la ferons comme nation, et advienne ce qu'il voudra, nous jouirons, dans tous les cas, des droits des nations.

Si j'entrevoyais une infraction à la constitution, je pourrais parler autrement ; mais je ne l'aperçois pas, puisque vous-mêmes avez prévu le cas où quelques modifications aux limites deviendraient nécessaires, en insérant dans cet acte solennel les articles 3-68, qui disent que si quelques modifications devaient s'effectuer, dans l’intérêt de l'État, elles pourraient se faire par une loi ; donc si vous opérez en vertu de la loi, vous tenant à la lettre des articles, vous ne touchez pas à la constitution, puisque vous n'agissez que par elle.

Répondant à un honorable membre qui a dit qu'aucun changement aux limites ne peut avoir lieu pendant une régence, je dirai que l'article 84 ne s'applique qu'aux deux chambres, mais non au corps constituant légalement assemblé.

Envisageant la situation de l'Europe, je me suis convaincu de la nécessité de nous constituer au plus tôt par l'acceptation des préliminaires qui, selon moi, sera un moyen de nous arracher au péril de nous voir sous le joug de l'étranger, d'être incorporés à une autre nation, ou peut-être pis encore, si une conflagration générale, qui paraît inévitable si nous adoptons une autre décision, venait à éclater. Ne perdons pas de vue, messieurs, que c'est ce sort fatal qui a été mis en question, et j'en appelle à nos députés qui ont été à Londres.

Quant à moi, messieurs, je déclare hautement que je ne donnerai jamais mon assentiment à toutes propositions qui pourraient nous conduire à cet état. Je ne veux être ni Français, ni Anglais, ni Allemand, mais Belge, et uniquement Belge. Pour ces motifs, je ne recule pas devant les préliminaires de paix proposés ; je voterai pour leur acceptation, persuadé que je suis que c'est le seul moyen de parvenir à nous consolider comme nation, et je le fais avec d'autant plus d'assurance que c'est le vœu de mes commettants. (M. B., 9 juill.)

M. Fransman(page 445) Messieurs, décidé que je suis à voter pour la question préalable et contre toute proposition qui tendrait à ouvrir de nouvelles négociations avec la conférence de Londres, je dois à mes commettants d'exposer franchement les motifs qui me déterminent dans cette circonstance difficile et périlleuse.

Je ne ferai point l'analyse des dix-huit articles que l’on se plaît à considérer bénignement comme des préliminaires de paix avec la Hollande. Plusieurs honorables membres, dont je partage l’opinion, ont déjà exposé clairement les odieuses déceptions qu'ils renferment. Je me bornerai à exposer brièvement quelques considérations qui sont une conséquence immédiate et nécessaire des articles 3, 9, 10 et 12, et à prouver que l'article de la dette, qui paraît résolu en faveur de la Belgique, ne sera dans les résultats déduits de l'ensemble du dernier protocole qu'une duperie.

D’après le contenu de l'article 3, la province du Luxembourg appartient à la Hollande ; mais nous pouvons négocier, pour l'obtenir, avec le roi Guillaume, notre implacable ennemi. Les cinq puissances emploieront seulement leurs bons offices pour maintenir le status quo, et à cet égard elles ne nous garantissent rien. Qu'en résultera-t-il ? Il ne faut pas être grand publiciste pour le concevoir, et le souvenir du passé nous l'indique suffisamment. Le roi de Hollande, modèle d'entêtement et d'opiniâtreté, lui que nous avons mortellement outragé et avili, devient le maître de nous imposer telle condition que la vengeance lui suggérera. En prenant ces conditions au plus favorable, il nous imposera au moins les seize trente-et-unièmes de la dette hollandaise, si nous voulons obtenir le Luxembourg, et peut-être ne le cèdera-t-il pas encore à ce prix, qui est à la fois humiliant et ruineux pour notre pays (et nous devons nous y attendre). Supposons donc qu'il déclare ne vouloir l'abandonner qu'à cette condition, que ferez-vous, partisans des protocoles ? je vous prie de répondre ! Abandonnerez-vous lâchement vos frères, qui tous et jusque dans cette enceinte ont juré de verser la dernière goutte de leur sang pour défendre la Belgique et pour rester Belges ? ou accepterez-vous les seize trente-et-unièmes de la dette hollandaise et peut-être davantage encore, s’il plaît au roi Guillaume ? Le premier parti nous couvre d'une honte éternelle ; le second est la ruine de notre pays ; et, dans ce dernier cas, loin de pouvoir alléger la misère du peuple, bientôt nous serons réduits à en revenir aux lois odieuses de mouture et à imposer la subsistance du pauvre. Voilà, messieurs, les fruits que nous recueillerons de notre glorieuse révolution. Que l'on cesse de parsemer de fleurs la tombe des martyrs de la liberté : le jour n'est pas éloigné où elle sera couverte d'un voile funèbre, et que nous gémirons dans quelque terre hospitalière sur les funestes conséquences de l'acceptation des prétendus préliminaires de paix.

Mais, répondez-vous, si le roi Guillaume ne propose point de conditions acceptables, nous reprendrons la province de Luxembourg par la force des armes. Renoncez à cette vaine espérance. Les armes vous deviennent inutiles. La Belgique formera un État perpétuellement neutre. Et de quel droit reprendriez-vous cette province ? vous y renoncez en acceptant les préliminaires de paix, et le roi Guillaume ne s'oblige nullement de la céder à aucun prix. Nous avons les plus grandes espérances, disent quelques-uns, dans la puissante médiation du prince Léopold. Est-ce bien sérieusement que l'on tient encore ce langage ? Quelle confiance peut-on encore avoir dans un homme qui insulte au caractère de la nation belge, en lui proposant de violer la constitution que tous nous avons juré de maintenir.

Je n'ajouterai rien à ce qui a été dit relativement aux enclaves qui se trouvent dans le Brabant septentrional et qui appartiendront à la Belgique. S'il y a quelque espoir de conserver la province de Limbourg en entier, au moyen des échanges à faire avec la Hollande, mes craintes ne restent pas moins fondées relativement au Luxembourg. La perspective de devoir un jour renoncer à cette province, que nous reconnaîtrions en principe appartenir à la Hollande, si nous donnons notre adhésion à l'ultimatum de la conférence de Londres, répugne à mon âme. D'un autre côté, les fléaux de la guerre se présentent à mon esprit si nous le repoussons ; mais dans cette alternative entre l'honneur national et la honte certaine, je n'hésite point un seul instant à me prononcer.

Le temps est venu de sortir du labyrinthe de la diplomatie et d'en appeler à notre épée, comme le disait naguère M. le régent, dans sa lettre au prince Léopold. La sympathie des nations voisines pour notre sainte cause, la tendance de tous les peuples vers la liberté, nous donnent les plus grandes espérances de succès. Si, au contraire, le destin en est arrêté, si les despotes du Nord ont résolu l'extinction du nom belge, tombons au moins avec honneur. Quant à moi, ma détermination est inébranlable : fidèle à la constitution, je ne puis me résoudre à souscrire à la ruine de ma patrie, et à léguer à la postérité un monument (page 446) éternel de notre lâcheté et de notre opprobre (J. F., 15 juill.)

M. le comte Duval de Beaulieu – Il est bien fâcheux, messieurs, mais il est malheureusement devenu nécessaire, puisque l'expression des opinions est troublée par les clameurs des tribunes, puisque dans cette assemblée qui devrait être le sanctuaire de toutes les libertés, celle de la pensée n'est point respectée, il est fâcheux mais il est devenu nécessaire que l'orateur doive chercher à obtenir d'être écouté sans haine, sans prévention, sans rumeur ; qu'il doive rappeler la confiance qui lui a été témoignée ; qu'il rappelle ses précédents... Vous savez, messieurs, si dans les moments imminents je suis resté indifférent au bien de mon pays. Vous savez si, dans la longue carrière politique que j'ai parcourue, un autre motif m'a jamais dirigé. Ai-je sollicité, accepté des fonctions, des places, des honneurs ? et, si appelé par la confiance de mes concitoyens à les représenter en diverses assemblées, j'y suis venu, je ne l'avais point demandé, je ne l'avais point brigué.

L'accomplissement d'un devoir que je crois sacré a seul pu me déterminer, malgré mes convenances et mes goûts. Je savais à l'avance que, par la conduit que je voulais tenir, il n'y avait qu'à perdre pour moi. Je n'ai point recherché les faveurs du pouvoir, je n'ai point recherché les faveurs populaires, bien que parfois elles me soient advenues. A mes yeux, messieurs, il y a autant de bassesse, de lâcheté à sacrifier à l'une qu'à l'autre. Je crois en ce moment devoir, dans l'intérêt de mon pays, manifester une opinion tout à fait contraire à celle qui obtient l'applaudissement des tribunes ; des vociférations ont interrompu des orateurs !... Pour obtenir quelque résultat de mes paroles, il faut pourtant qu'elles soient écoutées : c'est la seule raison qui ait pu me porter à appeler pour la première fois l'attention sur ce que je puis avoir fait d'utile à mon pays, et c'est pour essayer de faire quelque chose encore.

Je lui dois ici l'expression de mon opinion ; je puis me tromper, mais je crois devoir déclarer que l'adoption des articles préliminaires de paix tels qu'ils nous sont présentés me semble la seule solution possible, si vous voulez maintenir votre indépendance nationale, vos institutions, et cette même loi fondamentale, cette constitution dont on ne craint point de risquer l'existence par une interprétation forcée, tout en ne la désignant que comme l'œuvre la moins imparfaite du congrès. C'est l'expression d'un des préopinants.

Sans doute, messieurs, elle est belle à défendre, cette cause d'hommes appelés à concourir avec nous à la conquête de l'indépendance, et dont le pays, redevenant ce qu'il avait été, ne serait point admis à en jouir avec nous ; que de phrases, que de mots magiques s'amoncellent dans une bouche tant soit peu éloquente ! S'il s'agissait de monter à la brèche, messieurs, ces mots patrie, honneur national y porteraient les Belges ; mais il s'agit ici de délibérer mûrement sur des propositions qui vous sont faites. Faut-il donc exciter les passions, et des raisonnements bien fondés ont-ils besoin de pareils auxiliaires ?

Je ne redoute nullement, messieurs, et tout membre du congrès à la hauteur de ses devoirs et de sa situation ne redoutera point, quelque effet qu'en veuillent tirer plusieurs orateurs, l'application de cette phrase : Il était du congrès, il a vendu ses frères.

Je ne veux point, que de moi l'on puisse dire :

« Il était du congrès, il a méconnu ou il a trahi ses devoirs. Il a mal entendu ou il a trahi la cause de notre indépendance, de nos institutions, de notre constitution ; il a méconnu, ou il a trahi la cause des peuples ; de notre sang nous avons fait la révolution, il était chargé de la clore, de nous constituer définitivement, il n'a voulu ou il n’a pas osé le faire. Tous les intérêts matériels, les souffrances du pays le sollicitaient. Il n'a point voulu entendre... Des idées particulières, des intérêts de quelques particuliers lui ont fait oublier ceux de 4,000,000 d'âmes.

« Il n'a point compris le véritable honneur national, celui de rester nation. Il nous a livrés aux chances d'une guerre dont il avait été démontré que, quels qu'en soient les résultats, là devait finir notre existence comme nation il n’a point examiné la question d'être ou ne pas être, et lorsqu'il avait en main la reconnaissance des cinq puissances, sanctionnant ainsi le droit des peuples, il a fermé l'oreille ; il a rejeté le vœu des Polonais, aussi sages que braves, qui nous criaient de nous constituer, de prendre ainsi acte du droit sacré des peuples, de les sauver d'un envahissement général (premier effet de la guerre). » Et quels sont les motifs, messieurs, de sacrifice dont peu d'entre vous se dissimulent l'importance ?

Nos frères de Venloo... Eh ! messieurs, ils ne seraient point dignes d'être les frères des Belges libres s'ils acceptaient ces sacrifices ; voudraient-ils que pour eux seulement on mît en danger l'existence de la patrie, et cette patrie, ne la trouvent-ils que dans la poussière qu'ils foulent sous leurs pieds, que dans les briques amoncelées qui forment leurs maisons ?

(page 447) La patrie, messieurs, c'est, pour l'homme véritablement homme, le faisceau des institutions qui lui donne une patrie, une patrie dans laquelle il peut être homme et rester homme. Aux frais de l’Etat, s'il y a lieu, créez une nouvelle Venloo où puissent accourir ceux qui veulent être Belges ; ils seront fiers d'avoir abandonné leur sol primitif. Ceux-là dénient, je n'en doute point, la compassion qu'ils semblaient inspirer et qui doit faire d’eux les sujets de la France ou les esclaves d'un pouvoir ramené par la force. Mais de quoi s'agit-il ? Pourquoi nous représenter les corps flottants aux gibets dont la vengeance entourera la ville Venloo ? S'agit-il d'autre chose que de ce que vous avez consenti pour l'armistice, dont, dès demain, on peut appeler l'exécution ? Eh ! croyez-vous à ces fantômes de vengeance dont on veut nous épouvanter ? y croyez-vous, malgré les stipulations de traité solennel, malgré ces tribunaux de Hollande qui résistaient même lorsque les nôtres fléchissaient sous l'influence du pouvoir ; malgré ce peuple auquel votre exemple doit avoir rappelé ce qu'il a été, ce qu'il doit être ?

Eh, messieurs, la politique des gouvernants ne réserve-t-elle pas souvent les faveurs à ceux qui ont été ou qui peuvent être à craindre ?

Je dois hommage, messieurs, à celui de nous qui, par les fonctions qu'il remplissait alors, a appelé les habitants de Venloo à seconder les Belges. Dans sa situation ici je me ferais honneur d'éprouver les sentiments qu'il a exprimés avec tant d’éloquence et de mesure ; mais, je suis frappé d’étonnement lorsque j'entends des députés dont les prévisions ne semblent pouvoir se porter au-delà de ce qui concerne leur province, qui croiraient y devoir sacrifier l'intérêt général et dans cette enceinte s'isoler avec elle.

J'ai souvent entendu reprocher avec raison, ce me semble, cet intérêt provincial, comme on eût reproché l'intérêt individuel, l'intérêt personnel.

D'ailleurs, la crainte éventuelle et peu fondée de remettre votre province dans les limites ou naguère elle se trouvait, vous autorise-t-elle à la risquer en entier ?

Sauvons notre existence politique, messieurs, amenons la barque au port, il en est temps, et nous calculerons ensuite les efforts que nous aurons faits.

Je vous ai toujours dit, en toute occasion, messieurs, que, dans mon opinion, la Belgique ne pouvait avoir une existence isolée, une existence contestée par les grandes puissances qui l'avoisinent ; que je ne voyais d'espoir de bonheur que dans la paix et la stabilité. Je suis conséquent avec moi-même en appuyant les propositions faites, et je dois concevoir que d'autres le soient aussi en les repoussant.

Que ceux qui ont déclaré vouloir la réunion à la France, que ceux qui ont pris quelques engagements, que ceux qui veulent une république, se soient opposés à l'élection du prince Léopold et s'opposent à son avènement, rien de plus naturel ; mais il y a au moins impossibilité légale à la réalisation de leurs vœux ; et ceux qui n'ont point ces dispositions, que veulent-ils ? Quel avenir nous présentent-ils ? quel autre système ? quel plan ? en ont-ils ? La guerre peut-être. La guerre générale, vous a-t-on dit ; mais pensez-vous qu'en l'état où sont les choses on fasse la guerre générale pour nous ou à cause de nous ? et savez-vous si l'on ne prendra point une mesure définitive qui pourrait bien nous rayer de la liste des nations, que notre résistance justifierait en quelque sorte ? Faut-il autre chose que nous cerner ? Quelques frégates stationnées suffiraient pour arrêter tous nos efforts et nous détruire par nous-mêmes. Messieurs, la jactance d'un homme, il la paye de sa vie ; il en est le maître. La jactance au nom d'un peuple, c'est le peuple qui la paye.

Je ne vous rappellerai point ici, je ne chercherai pas même à ajouter à ce qui vous a déjà été dit de cette tribune par MM. de Mérode et d'Arschot, de Gerlache et Nothomb, et notamment par l'honorable M. Devaux, dont l'exposé simple et positif des faits et des conséquences ne peut échapper à notre souvenir. Néanmoins d'après quelques orateurs qui lui ont succédé, l'indécision sur le sort futur de quelques enclaves doit arrêter et faire rejeter tout, même par la question préalable.

Eh ! messieurs, faisons pour le moment abstraction de tout protocole, de toute puissance, de toute volonté, de toute influence étrangère ; supposons que nous soyons seuls avec la Hollande. Pouvons-nous laisser Maestricht menaçant ? pouvons-nous laisser Anvers sous le canon de sa citadelle ? Supposons que nous soyons les plus forts et que nous nous emparions de ces places : ne nous en aura-t-il pas coûté plus d'hommes, n'aurons-nous pas sacrifié plus de vies qu'il ne peut y avoir d'habitants dans les enclaves contestées ? Ne nous le dissimulons pas, messieurs, nous n'obtiendrons plus les places fortes comme naguère et lorsqu'elles étaient livrées par les garnisons placées pour les défendre.

Ne nous le dissimulons pas, messieurs, il faut mettre en ligne de compte, contre ces enclaves qu'à mon avis nous aurons alors moins que jamais, (page 448) la destruction d'Anvers, la destruction de Maestricht, et tous les sacrifices matériels et en hommes que nous aura coûtés la victoire. Rappelons-nous que de l'évacuation de Venloo doit dépendre l'évacuation de la citadelle d'Anvers. Choisissez, nous dira-t-on.

Mais une clause particulière, un amendement, celui présenté par l'un des membres de la députation du congrès à Londres, pouvait parer à tout. J'ai fait partie de cette députation, messieurs, et j'ai déclaré à l'auteur de cette proposition que je ne pouvais y voir d'autre résultat que la défection de ceux qui eussent voté pour l'adoption pure et simple, en leur présentant ce moyen terme attrayant et plus favorable à la popularité dans ce moment.

J'ai autant qu'on peut l'avoir, et je ne pense pas qu'aucun de mes collègues puisse en motiver d'autre, la conviction personnelle que la non-adoption pure et simple, comme il est indiqué, est l'abandon de la combinaison. Dans mon opinion, le prince et la conférence se trouveront envers nous libres de tout engagement et n'en prendront plus.

On a dit que l'élection pourrait être rétractée par le fait ; l'acceptation pourrait l'être aussi.

A la bonne intelligence de la France et de l'Angleterre, ne devez-vous pas, messieurs, votre existence actuelle, votre indépendance nationale ? Peut-être la liberté des peuples y est-elle attachée ; et cependant, messieurs, vous qui savez que pour la consolider le sort de la Belgique doit être fixé, vous vous y refusez, vous risquez et cette existence nationale et celle des peuples pour lesquels vous affichez tant de sympathie !

Entendons-nous bien l'honneur, messieurs ? Je sais, messieurs, qu'avec le mot honneur on peut mener loin les Belges ; on n'ignore pas quelle est son influence ; je ne m'étonne pas qu'on se soit emparé de ce mot magique ; je pense, en effet, que, pour toute nation comme pour tout homme, la question d'honneur domine toutes les autres. Mais pour l'homme d'État, le point d'honneur peut-il être ce qu'il est pour l'individu qui paye de sa personne et de sa vie l'application qu'il en fait ? C'est une assez bonne excuse à un faux raisonnement que d'exposer immédiatement son existence pour le soutenir ; mais l'existence, la vie, la fortune des autres, de ceux qui se sont confiés à vous, à votre prudence, l'honneur est de ne les point exposer inutilement.

Si l'honneur national était compromis, nous nous lèverions en masse en cette enceinte. Rappelez-vous l'effet produit par la première menace d'intervention étrangère alors que je fis plier les principes que toujours j'ai suivis, pour me joindre à une majorité que je croyais menacée.

Alors une détermination fortement exprimée pouvait seule sauver notre indépendance. On ne nous offrait rien, on voulait nous soumettre : alors il fallait faire... maintenant il faut terminer, il faut clore.

Vous avez voulu le divorce, messieurs, on vous laisse tout ce que vous avez apporté, on vous laisse tout ce qui appartient à la communauté ; et vous voulez encore ce qui était la possession de celle que vous avez répudiée !

Que veut l'honneur, messieurs ? où est l’honneur ? ce qui est juste est juste et doit être respecté. On vous l'a déjà dit, on vous offre un traité basé sur l'équité, et des arrangements amiables, que vous êtes en position d'obtenir, pourront encore satisfaire à vos désirs.

Quant à moi, messieurs, je ne puis voir en ce qui vous est proposé qu'un traité honorable sans tache, qui fixe notre position, qui couronne selon ses vœux l'œuvre de la nation belge ; qu’un moyen de stabilité, qui ramènera autant que possible, en ce moment, la prospérité nationale dans toutes les branches qui la composent.

Nous devenons réellement nation, un chef reconnu soutiendra nos intérêts, nos institutions.

Le prince qui prêtera le serment que lui défère la constitution a peut-être préparé à l’avance les moyens de l'accomplir amplement.

Je vois d'un côté : espoir de stabilité, de bonne intelligence à l'extérieur, de prospérité à l'intérieur, clôture de la révolution ; de l'autre : guerre, anarchie, réunion ou restauration.

L'honneur me dicte mon devoir ; il me commande d'assurer autant qu'il est en moi le bonheur de mon pays.

C'est ainsi, messieurs, que j'entends l'honneur d'un mandataire de la nation ; c'est ainsi, j'espère, que vous l'entendrez. J'attends avec confiance le résultat de vos votes. Le mien sera pour l'adoption qui doit sauver mon pays. (M. B., supp., 9 juill.)

M. Van Meenen examine sous plusieurs faces les propositions de la conférence pour démontrer que le congrès ne peut les adopter.

Répondant à M. Devaux, qui se plaignait hier de n'avoir entendu proposer par l'opposition aucun système pour remplacer celui du ministère qu'il combattait, l'honorable membre affirme que pour lui son système est tout trouvé. La guerre est imminente sans doute, et s'il est probable qu'on doive la faire, il est indispensable de s'y préparer sans relâche. Mais si la guerre peut être évitée, (page 449) la meilleure marche à adopter dans l'intérêt des affaires belges n'est pas encore d'adopter les propositions de la conférence. Le statu quo pour la Belgique est moins funeste que pour la Hollande. La Belgique, dans son état actuel, tout mauvais qu’il est, passerait encore plus d'années que la Hollande, également dans son état actuel, ne pourrait passer de mois. La politique belge devrait donc être de fatiguer la Hollande par le statu quo, et de la forcer elle-même à nous demander des arrangements. Si le roi Guillaume s’entête trop longtemps, le peuple hollandais finira bien lui-même par le mettre à la raison, comme nous l'avons fait pour notre part.

Ainsi, continue l'orateur, au lieu de voir nos journaux prêcher la guerre à tout prix, et au travers de tout, je voudrais les voir exhorter la nation à une attente patiente, en lui démontrant quels résultats certains elle obtiendra dans l'avenir des sacrifices prolongés auxquels elle se résigne. Je voudrais qu'on démontrât aux Belges que chaque jour d’union et de calme intérieur, dans l'état de chose actuel, est un coup plus funeste porté à leurs ennemis que ne le serait la perte d'une bataille. Mais pour que ce système d’hostilité paisible atteignît complètement son but, je voudrais aussi que le gouvernement ne négligeât rien dans ses préparatifs militaires, et tînt l'armée sur un pied de plus en plus respectable, tandis que les organes de la presse périodique rempliraient leur mission comme je viens de dire que je le conçois.

Passant à la réfutation de quelques parties du discours de M. Nothomb, M. Van Meenen démontre que cet orateur s'est surtout trompé quand il a avancé que la justice voulait qu'on rendît à la Hollande tout son territoire de 1790, puisqu'on voulait lui faire reprendre toute sa dette. La Hollande, dit-il, a stipulé avec nous par contrat bilatéral, dans la loi fondamentale de 1815, que la Belgique comprendrait toutes les provinces qu’elle-même, Hollande, appelait provinces méridionales.

Lorsque la séparation s'est effectuée, elle devait porter nécessairement sur cette division convenue autrefois de commun accord, et c'est ce qui est arrivé. Mais le fardeau de la dette hollandaise nous a été imposé par le traité de Londres avant la loi fondamentale, et de ce côté, il n'y a pas même raison de dire que la division de la dette doit suivre la division du territoire. Et si l'on insiste et qu'on dise qu'il faut rendre à la Hollande Venloo, Maestricht et les prétendues enclaves du Limbourg, puisqu'on veut faire reprendre à la Hollande toute son ancienne dette, je ferai remarquer que la plus grande partie de l'ancienne dette hollandaise a été contractée depuis 1790, et même après 1795, lorsque Venloo, Maestricht, et même la rive gauche de l'Escaut, n'appartenaient plus à la Hollande. Il y aurait injustice pour ces pays, si on les laissait aujourd'hui à la Hollande pour y porter leur part d'un fardeau qui a été formé en leur absence. Il y aurait, en outre, injustice surtout pour Maestricht et Venloo, si on les renvoyait aujourd'hui prendre encore leur part de charge dans les nouveaux cent millions que la Hollande a empruntés tout récemment encore, en l'absence de Venloo et du territoire de Maestricht.

L'orateur conclut à la non-acceptation des propositions telles qu'elles ont été présentées. Il adopterait, dit-il, tout décret qui n'attacherait pas au rejet des propositions un caractère de brutalité impolitique, mais qui ferait assez entendre à la conférence que le peuple belge est dans l'impossibilité de traiter sur les bases de ces propositions, sans leur faire éprouver d'importantes modifications. (M. B., 6 juill.)

Après ce discours, qui a paru faire une grande impression sur l'assemblée, M. Lebeau demande la parole ; mais l'heure étant très avancée, M. le président, à la demande d'un grand nombre de députés, déclare la séance levée. (M. B., 6 juill.)

- Il est cinq heures. (P. V.)