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d’intention
« Le Parti
catholique en Belgique », par Auguste MELOT,
Louvain, Editions Rex, (c. 1934)
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CHAPITRE VII. LE PARTAGE DU POUVOIR : LA GUERRE ET L’APRES-GUERRE
1. La première guerre mondiale et le
gouvernement du Havre
(page 117) Il n’y a pas à faire l’histoire du
parti catholique pendant la guerre. Pendant la guerre, il n’y eut plus de
parti. Au Havre, à côté de M. de Broqueville, siègent comme membres du cabinet
les ministres catholiques qui étaient aux affaires au moment de la fière
réponse à l’ultimatum allemand : MM. Carton de Wiart
à la Justice, Davignon aux Affaires étrangères,
Berryer à l’Intérieur, Poullet aux Sciences et aux
Arts, Vandevyvere aux Finances, Helleputte
à l’Agriculture, Hubert à l’Industrie, Segers aux Chemins de fer, Renkin aux Colonies, mais aussi depuis le 18 janvier 1916,
MM. Goblet d’Alviella et Hymans
du parti libéral et Vandervelde du parti socialiste; depuis le 1er janvier
1918, M. Brunet du parti socialiste. Quand, le 31 mai 1918, M. Cooreman remplaça M. de Broqueville, il conserva le même
ministère d’union nationale.
Il y aura, au
Havre, des divergences de vues. Helleputte,
notamment, se crut un jour obligé de donner sa démission; il exigea que le
refus royal de l’accepter parut au Moniteur ; M. de Brocqueville lui-même abandonna le pouvoir mais seuls les
initiés connaissent exactement les causes de ces divisions. Il semble bien
qu’il ne s’agissait pas de questions de parti.
En Belgique
occupée, sous la présidence d’un libéral M. Francqui,
catholiques, libéraux et socialistes rivalisèrent de dévouement pour
ravitailler les populations; catholiques, libéraux et socialistes (page 118) se firent emprisonner;
beaucoup moururent pour le pays. Outre les noms du grand Cardinal Mercier et de
M. Max, bourgmestre de Bruxelles, qui viennent aux lèvres de tous les Belges,
on en pourrait citer des centaines d’autres de tous les partis.
C’était l’époque
où un député socialiste, M. Destrée, dédiait un de ses livres à un député
libéral et à un député catholique, « en souvenir d’un temps où les distinctions
de parti s’oubliaient dans un désir commun de défendre la Patrie outragée. »
Lorsque le pays fut libéré, on se trouva dans une situation qui, d’un certain
point de vue, ressemblait à celle de 1830; on était d’accord pour mettre en
veilleuse toutes les réformes qui n’avaient pas pour objet la reconstitution du
pays écrasé et ruiné par quatre longues années de domination étrangère - et
quelle domination! - Certains Belges avaient trahi; ils étaient hors la loi,
comme les orangistes de 1830. Peut-être, si les partis n’avaient pas existé à
ce moment, ne se seraient-ils pas formés avant de longues années. Mais les
partis existaient; ils s’étaient oubliés entièrement pendant la guerre, voilà
tout! l’exercice de la représentation proportionnelle avait disposé l’opinion à
croire que le nombre des bons serviteurs du pays, des citoyens capables de
rendre des services à la chose publique était, pour chaque parti, proportionné
à son chiffre électoral; on chercha à répartir les fonctions publiques non pas
toujours suivant les aptitudes des citoyens mais suivant leur qualification
politique de sorte que, s’il s’était rencontré en 1918, un génial restaurateur
de la prospérité nationale, il n’eût trouvé place au gouvernement qu’après
avoir pris rang dans un parti. Le nombre même des récompenses nationales
accordées à ceux qui avaient résisté à l’envahisseur ainsi que des châtiments
infligés aux mauvais citoyens fut plus ou moins fixé d’après les règles de la
représentation proportionnelle.
2. L’instauration du suffrage universel
masculin
(page 119) Avant de constituer le nouveau
ministère, ceux qui devaient en faire partie avaient cependant été obligés de
se mettre d’accord sur un problème politique dont on ne pouvait différer la
solution et sur lequel on avait d’ailleurs négligé de consulter Woeste.
La guerre avait
faussé tout le mécanisme de notre droit public. Le gouvernement n’avait pas
cru, en 1914, devoir réunir le Parlement belge à Anvers, contrairement à ce qui
avait été fait en France où l’on avait prévu la réunion du Parlement à Bordeaux
et pour les Serbes dont la Chambre s’était réunie à Corfou, de sorte qu’il
n’avait plus été possible de consulter la représentation nationale pendant les
quatre années de guerre; les mandats des représentants de la nation auraient dû
être renouvelés, les uns en 1916, les autres en 1918; ils n’avaient pu l’être.
Pour rester dans la légalité constitutionnelle, il fallait faire des élections
le plus tôt possible. Sous quel régime? Suivant les lois anciennes? Que de
modifications avaient été apportées dans les idées! Etait-il possible
d’envisager l’exclusion de ceux que les Allemands avaient empêchés pendant la
guerre d’avoir une résidence légale? Pouvait-on admettre qu’un soldat n’eût
qu’une voix et un enrichi de la guerre, trois? Sur l’inébranlable exigence des
socialistes, le gouvernement du 21 novembre 1918 avait décidé de proposer pour
les élections prochaines le régime du suffrage universel pur et simple. Qui,
parmi les catholiques, aurait osé prendre la responsabilité de renverser, sur
cette question, le premier ministère formé par le Roi après la victoire de nos
armées? Et si on l’avait osé, quelle impression déplorable ce premier acte de
désunion n’aurait-il pas provoqué chez nos alliés qui ne connaissaient, eux,
que le suffrage universel et qui allaient avoir, dans la rédaction du traité, à
décider du sort de notre pays? Les Allemands n’avaient-ils pas fait courir le
bruit, dans le monde (page 120)
entier, que la Belgique était
irrémédiablement divisée?
3. Le gouvernement Delacroix
Le ministère
constitué à Lophem où le Roi avait son grand quartier
général et où il avait mandé quelques personnalités
marquantes des divers partis, fut présidé par M. Delacroix qui ne siégeait pas au Parlement et
que l’on connaissait surtout comme ancien collaborateur de Beernaert. D’une
bonne volonté à toute épreuve,
d’une loyauté parfaite, conciliant presque jusqu’à l’excès, avocat de grand
talent d’ailleurs, il n’avait pas une autorité politique suffisante pour
imposer sa ligne gouvernementale à de vieux chefs de parti tout imprégnés, en
dépit qu’ils en eussent, des préjugés
de leurs groupes, liés par leurs antécédents, enrobés des espérances que leurs
amis politiques avaient mises sur eux et sur leur arrivée au pouvoir. M.
Vandervelde, chef du parti socialiste, et M. Anseele
siégeaient à la Chambre depuis 1894, M. Hymans, chef
du parti libéral, depuis 1900,
M. de Broqueville depuis 1889, M. Renkin depuis 1896;
presque tous avaient gouverné et avaient été en contact avec les gouvernements
alliés pendant la guerre. Malgré les profonds sentiments d’union nationale qui
les animaient, plusieurs d’entre eux ne pouvaient manquer de manœuvrer,
consciemment ou inconsciemment, un chef de gouvernement jeune et sans
expérience parlementaire. C’est ainsi que nos trois délégués au Congrès de la
paix, MM. Hymans, Vandervelde et van den Heuvel quittèrent Bruxelles pour Paris sans s’être
concertés avec leurs collègues et même entre eux sur les revendications
belges; c’est ainsi qu’un des ministres restés à Bruxelles défendit
publiquement, en Belgique, un programme de paix qui n’était pas celui que M. Hymans défendait à Paris; c’est ainsi que, plus tard, M. Renkin critiqua, à Marche, certaines mesures prises par le
cabinet dont il faisait partie. Il fut d’ailleurs amené à donner sa démission.
4. L’influence de la
pratique des gouvernements de coalition sur les programmes catholiques
(page 121) Le parti catholique était un peu
déconcerté. Un parti est essentiellement constitué contre d’autres; contre qui les catholiques
devaient-ils lutter ? Leurs adversaires politiques étaient au ministère
avec eux. Sur quel terrain les combattre? Libéraux et socialistes admettaient
que l’Etat subsidiât les écoles confessionnelles; libéraux et socialistes
proposaient des augmentations au budget des cultes. On était d’accord sur les
grandes questions qui, depuis l’origine du parti, avaient été à la base de son
programme : liberté d’apostolat pour le clergé, encouragements aux écoles
confessionnelles. Quant aux mesures sociales, il n’y avait pas à craindre que
l’on n’allât pas assez loin !
Il est des
moments dans l’histoire où des institutions qui ont eu leur incontestable
utilité pourraient disparaître sans inconvénient. Si le clergé belge avait été
sûr, en 1919, qu’il ne serait plus jamais menacé dans son apostolat et dans son
enseignement; s’il avait considéré comme prudent de se désintéresser des luttes
électorales et de ne se consacrer qu’au soin des âmes, peut-être aurait-il
attiré à l’Eglise des adhésions inattendues car la guerre avait mis dans les
cœurs un incompressible besoin d’idéal. Mais qui donc devinera le moment où une
institution, jusqu’alors efficace, devient inutile? Qui aurait osé, en 1919,
mettre bas les armes politiques devant un adversaire pacifié à ce moment mais
pour combien de temps?
5. La fin de l’hégémonie parlementaire
et la réorganisation du parti en une Union catholique
Le parti
subsista donc; la première campagne électorale qu’il mena fut sans élan et se
termina par un échec. En 1914, les catholiques avaient, à la Chambre, 12 voix
de majorité sur les deux autres partis réunis; en 1919, après des élections
faites sous le régime du suffrage universel pur et simple, ils n’occupaient
plus que 73 sièges sur 186; c’étaient les autres partis réunis qui avaient, sur
les catholiques, une majorité de 40 voix à la Chambre. Un nouveau parti révolutionnaire et
antinational, le (page 122) Frontpartij,
conquérait 5 sièges. On comprit alors que le système de la pluralité des votes
avait tout de même du bon et qu’au moment opportun, il avait opposé à l’assaut
révolutionnaire du jeune parti socialiste un solide rempart.
Instruit par la
défaite, loin de se dissoudre, le parti se réorganisa. Les querelles
confessionnelles assoupies, les intérêts devenant de plus en plus divergents,
l’on adopta une formule que Woeste n’avait cessé de
combattre. Il n’avait jamais consenti que le parti eût deux groupements
officiellement reconnus. En fait cependant, la Ligue démocratique avait affirmé
son droit à l’existence autonome. Ce ne fut plus seulement en fait mais par
l’application d’un principe nouveau que quelques mois avant les élections de
1921, le parti changea son statut. La Fédération des cercles et des
associations devint simplement un des quatre groupements de l’Union catholique, les trois autres
étant la Ligue des travailleurs chrétiens qui avait remplacé la Ligue
démocratique, les associations agricoles que personnifiaient le Boerenbond et l’Alliance agricole, la Ligue des classes
moyennes. Un Comité central unifiait leur action. On pouvait espérer que le
nouveau président de la fédération, M. Paul Segers, désigné par Woeste lui-même pour le remplacer, réussirait, tout en
maintenant les traditions, à conduire l’évolution nécessaire grâce à son grand
talent oratoire, à son expérience politique et gouvernementale et à
l’incomparable prestige que lui valait un quart de siècle de services
désintéressés rendus à la cause. Malheureusement, l’après-guerre n’est pas
respectueuse des traditions. L’union devint de plus en plus difficile.
6. Le rapprochement des
programmes socialistes et démocrate-chrétiens et la réforme
de la législation sociale
La Ligue
démocratique s’était transformée, elle s’appelle, depuis 1919, « Ligue des travailleurs chrétiens »;
on peut espérer qu’elle n’a pas voulu répudier ainsi l’avant-guerre ni
vingt-cinq années de vie sociale. Beaucoup de ses dirigeants de 1914 ont (page 123) disparu. Parmi les membres de
son comité d’alors, Verhaegen est mort, MM. Levie et
Auguste Mélot ont donné leur démission, MM. Carton de
Wiart et Renkin sont entrés
dans les vieilles associations catholiques. Tous ont été remplacés par des hommes
nouveaux. Les tendances se sont également modifiées. Les statuts de la Ligue
démocratique la posaient nettement en antagoniste du parti socialiste.
L’article 3 du programme de ce parti porte « la réalisation de cet idéal (idéal
socialiste) est incompatible avec le maintien du régime capitaliste »;
l’article 1er des statuts de la Ligue portait qu’elle a pour but d’« amener la
paix entre le capital et le travail ». L’un des plus anciens groupements
fédérés, celui de Gand, dont le fondateur était en même temps président de la
Ligue s’intitulait antisocialistische Werkliedenbound (association
ouvrière antisocialiste).
Au lieu de
continuer à s’affronter, les programmes socialiste et
démocrate-chrétien ont une tendance à se rapprocher. On s’était déjà
entendu, avant la guerre, sur de nombreuses lois de protection ouvrière;
l’entente fut d’autant plus facile après, que presque personne n’y faisait plus
obstacle. Aussi le rythme de la législation sociale s’accéléra; on peut se
demander cependant si certaines des lois que nous allons énumérer et qui en
corrigeaient d’autres à fort bref intervalle ne doivent pas être attribuées à
une préparation un peu hâtive des premières plutôt qu’à l’accentuation du
mouvement de protection ouvrière.
Les mesures
d’assurance ouvrière se sont donc multipliées, plusieurs se bornent à en
compléter d’autres antérieures à la guerre (assurance-accident
assurance-maladie professionnelle - assurance-vieillesse et décès prématuré -
assurance-chômage); elles n’ont pas fait l’objet de moins de quinze lois ou
arrêtés royaux, non compris les arrêtés pris en vertu des pouvoirs spéciaux
lois du (page 124) 27 août 1919, du
15 mai 1929, du 30 décembre 1929, du 18 juin 1930 relatives aux accidents du
travail; loi du 24 juillet 1927 relative à la réparation des dommages causés
par les maladies professionnelles; lois du 10 décembre 1924, du 20 juillet
1927, des 18 juin, 14 juillet et 1er août 1930 relatives aux pensions de
vieillesse et à l’assurance en vue du décès prématuré des travailleurs manuels,
des ouvriers mineurs et des employés; des lois de budget ayant prévu des
crédits pour venir en aide aux
chômeurs involontaires, arrêtés royaux du 25 octobre 1930, des 16 février et 24
décembre 1931, du 2 juillet 1932 relatifs à leur répartition.
On a pris de
nombreuses mesures pour favoriser la construction des habitations ouvrières.
Une loi du 4 août 1930 a réglé la répartition des allocations familiales.
Le travail a été
réglementé par la loi du 14 juin 1921 instituant la journée de huit heures et
la semaine de quarante-huit heures et par la loi du 7 avril 1932 relative au
contrat d’emploi; le salaire a été plus strictement protégé par la loi du 25
mai 1920.
Toutes ces
mesures qui partent d’intentions excellentes sont d’inégale valeur législative
et sociale. Telles quelles, elles constituent un ensemble dont on ne trouverait
peut-être l’équivalent dans aucun pays du monde.
Malheureusement,
il semble qu’il y ait, dans des milieux démocrates-chrétiens, une certaine
tendance à rejoindre le parti ouvrier dans sa conception de la propriété
privée. Cette inclination est surtout sensible par leur manière commune de
considérer l’impôt qui ne devrait être qu’un moyen d’assurer le fonctionnement
de l’administration et du gouvernement. Certes, l’on peut comprendre ce principe
d’une manière large, admettre, par exemple, que le bon gouvernement d’un Etat
suppose des dépenses de bienfaisance en faveur des malheureux, (page 125) mais c’est porter une véritable atteinte au droit de propriété
privée que de considérer l’impôt comme un procédé légitime d’égalisation des
fortunes et de répartition dirigée des richesses; ce que font consciemment les
socialistes et inconsciemment, peut-être, certains démocrates-chrétiens. Le
fardeau toujours croissant des charges publiques risque d’aboutir à la
suppression de la propriété privée par l’appauvrissement total des
propriétaires.
7. Le rôle influent des
catholiques flamands en matière linguistique
Un autre
mouvement d’une bien plus profonde intensité s’est développé dans le parti
catholique. Depuis longtemps déjà, ce parti s’était fait le défenseur des légitimes
griefs de la population flamande; c’est un ministre catholique, Lantsheere, qui a fait voter la loi réglant le droit des
Flamands de n’être jugés que dans la langue qu’ils comprennent. Une fraction du
parti catholique, dont les dirigeants Cooremans et Delaet parlaient de l’abâtardissement de Gand français,
s’efforçait, en outre, de sauvegarder la culture germanique dans les Flandres.
Cette fraction devint plus forte et plus exigeante après la révision de la
Constitution; de nouveaux chefs avaient réussi par des mesures indirectes à
rendre obligatoire, même dans les collèges privés, un enseignement en flamand;
ils avaient, avant la guerre, proposé la transformation en université flamande
de l’université française de Gand.
Le mouvement
s’accentua après la guerre. Partant du principe d’ailleurs contestable qu’un
peuple ne peut avoir tout son développement intellectuel que s’il est instruit
dans sa langue maternelle (comme si la langue maternelle des peuples était
immuable!), les catholiques des Flandres, à la tête desquels se mit le clergé,
réclamèrent l’emploi de la langue flamande dans l’enseignement à tous les
degrés, dans l’administration, dans l’armée, dans les prétoires. L’université
française de Gand fut remplacée par une université flamande; le néerlandais (page 126) devint la langue officielle
de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen. Pour pouvoir
correspondre avec les autorités communales du pays flamand, l’administration
centrale fut dédoublée; à côté d’un fonctionnaire écrivant le français on place
un fonctionnaire de langue flamande. Le recrutement régional fut décrété afin
d’assurer aux soldats flamands des officiers qui les commanderaient dans leur
langue. On réclame aujourd’hui une nouvelle loi d’organisation judiciaire.
Sans se
prononcer sur l’utilité de ces réformes, on peut se demander ce qu’elles ont de
spécifiquement catholique. Cependant elles sont entrées en fait dans le
programme obligatoire du parti en pays flamand; ce ne sont plus des
« questions libres ». Qu’il soit choisi par les associations de
catholiques traditionnels, par la Ligue des travailleurs chrétiens, par la
Ligue des classes moyennes ou par le Boerenbond,
aucun représentant du parti catholique n’y pourrait réprouver les idées
flamingantes sans perdre aussitôt son mandat. Comme la plupart des anciennes
familles influentes parlaient français, c’est dans de nouvelles couches
sociales qu’on est allé chercher les dirigeants du parti. Les prêtres flamands
se sont jetés dans la mêlée, ce qui est leur droit puisqu’ils sont citoyens
belges mais ce qui ne se justifie pas, comme pour la défense de la liberté
d’enseignement et d’apostolat ou pour la charité sociale, par leur devoir
sacerdotal.
Les députés
catholiques de la Wallonie n’ont pas été consultés sur cette modification au
programme du parti; les associations et les groupes parlementaires flamands
traitent ces questions entre eux; il existe un Katholieke Vlaamsche landbond qui tient ses réunions en dehors et
indépendamment des catholiques wallons et de l’Union catholique. On n’a pu maintenir la concorde dans le
parti qu’en demandant aux wallons de se désintéresser des lois flamingantes,
les flamingants promettant, (page 127)
d’autre part, qu’ils lasseront les Wallons maîtres chez eux. Le point
névralgique est l’agglomération bruxelloise qui est bilingue.
8. L’instabilité
ministérielle. Carton de Wiart - Theunis
- Jaspar - Renkin - de Broqueville
Le partage du
pouvoir avec d’autres partis, les tendances centrifuges très accrues au sein du
parti catholique ont donné aux ministères une instabilité que la Belgique n’avait
plus connue depuis 1830.
Delacroix donna
sa démission avant les élections de 1919; il reconstitua son ministère après
les élections en y faisant entrer un socialiste de plus qui géra le département
des sciences et des arts; il quitta définitivement le pouvoir le 20 novembre
1920.
M. Carton de Wiart le remplaça. On n’ignore pas le grand rôle que le
Ministre de la Justice de 1914 a joué dans la politique belge depuis 1896 et
particulièrement pendant la guerre. C’est lui qui rédigea en grande partie
l’admirable réponse que le gouvernement belge fit à l’ultimatum allemand; c’est
lui qui alla en 1914 avec MM. Vandervelde et Hymans
porter l’appel du peuple belge au président des Etats-Unis; c’est lui qui parla
le premier, au nom de notre pays, à ce peuple de Paris qu’il enthousiasma par
sa haute et sereine éloquence. Lorsque, pour lui donner les raisons de notre
attitude, il se contenta de dire : c’est que nous sommes une nation
d’honnêtes gens, la Belgique tout entière fut ovationnée en sa personne, on
sentit que se scellait entre le peuple français et le peuple belge une amitié
qui ne s’est pas démentie. M. Carton de Wiart est la
conciliation même; il compte des amis dans tous les partis; les adhésions que
lui donnèrent les socialistes et les libéraux quand il leur demanda d’entrer
dans son ministère furent avant tout dictées par leurs sentiments patriotiques
mais singulièrement facilitées par la cordialité de relations personnelles. Il
dut cependant se séparer, dès le 24 octobre 1921, de ses collègues socialistes
parce que M. Anseele dans une grande réunion avait
salué le drapeau au fusil (page 128)
brisé. MM. Carton de Wiart et Devèze
estimèrent que c’en était plus que ne pouvait admettre la plus tolérante des
unions nationales.
Il n’en avait
pas moins réussi à mener à bonne fin la deuxième révision constitutionnelle.
Aux élections de 1921, le peuple belge eut à choisir entre l’attitude de M. Anseele et celle de MM. Carton de Wiart
et Devèze. Ce fut un grand succès pour ceux-ci. Le
parti catholique conquit neuf sièges avec quatre-vingt-deux députés. On
regretta généralement que M. Carton de Wiart eût
refusé de rester au pouvoir ainsi que le Roi l’en priait. Il y fut remplacé par
M. Theunis, remarquable homme d’affaires, qui
s’entoura de ministres catholiques et libéraux mais n’eut pas le concours des
socialistes, le Congrès du 3 décembre 1921 ayant décidé que le parti ouvrier ne
pouvait collaborer avec les autres partis. Le Cabinet donna sa démission le 24
juin 1923. Le Roi la refusa le 29 juin. Après le départ de M. Jaspar qui
n’avait pas réussi, en 1924, à faire voter le traité de commerce avec la
France, M. Theunis reforma pour la seconde fois son
ministère.
Les élections de
1925 ayant été un succès pour le parti socialiste, M. Theunis
abandonna définitivement le pouvoir. Après l’essai infructueux du ministère van
de Vyvere exclusivement composé de catholiques et qui
ne dura qu’un mois et quatre jours, M. Poullet essaya
de gouverner avec les socialistes. Malgré les efforts de ce grand honnête
homme, à qui l’on ne peut reprocher qu’une certaine candeur dans sa manière de
comprendre les questions flamande et démocratique, le franc belge fit une chute
verticale et le ministère prit fin le 20 mai 1926 après avoir duré onze mois.
M. Jaspar le
remplaça. M Jaspar est, pour le parti catholique, une acquisition d’après-guerre
et quelle précieuse acquisition? La photographie ou la caricature ont
popularisé les traits de ce petit (page
129) homme vif et nerveux dont le visage pétillant d’esprit et de malice,
nimbé d’une magnifique chevelure blanche, respire l’intelligence et la volonté.
Orateur admirable, un peu romantique, il joue de toutes les cordes de la lyre;
d’une ironie redoutable que ses adversaires éclairés craignent et dont les
autres ne comprennent même pas la finesse, il aime à se jouer de ceux-ci comme
un chat joue d’une souris, leur tendant benoîtement des pièges dans lesquels
ils tombent infailliblement et où il les tient à sa merci. Quand il le veut et
lorsqu’il parle de la religion et de la patrie, il s’élève sans effort au
pathétique le plus émouvant. C’est un dialecticien serré. Son esprit inventif a
sauvé de l’insuccès plus d’une conférence internationale; ses collègues
étrangers lui ont offert un porte-plume d’honneur après la Conférence de La
Haye.
Pour stabiliser
le franc, les socialistes consentirent à faire partie de son ministère qui fut
un grand ministère où figuraient notamment M. de Broqueville à la Défense
Nationale. M. Vandervelde aux Affaires Etrangères, M. Hymans
à la Justice, M. Houtart aux Finances, avec, à leur
côté, un des hommes d’affaires belges les plus connus et les plus estimés à
l’étranger, M. Francqui, à qui la Belgique ne sera
jamais trop reconnaissante de ce qu’il a fait pendant la guerre pour le
ravitaillement.
Malheureusement,
le parti socialiste sera longtemps encore victime de ses origines
révolutionnaires; il ne peut participer au gouvernement sans que se manifestent
les déceptions irritées de tous ceux à qui il a promis « le grand soir » et qui
ne comprennent pas que, MM. Vandervelde et Anseele
étant ministres, les soirs de leur gouvernement soient pareils à tous les
autres. Au bout de fort peu de temps, le parti socialiste doit se séparer de
tout gouvernement bourgeois sous peine d’être abandonné par ses troupes les
plus ardentes. MM. Vandervelde, Huysmans, Anseele et
Wauters (page 130) quittèrent donc
le ministère Jaspar le 22 novembre 1927 sous le prétexte qu’on n’avait pas
voulu du service militaire de six mois; ils y furent remplacés en un tournemain
par les démocrates-chrétiens. Le Ministère Jaspar présida aux fêtes du
Centenaire. Puis vint la crise, la crise imprévue et terrible. M. Jaspar tint
quelque temps malgré les socialistes qui voulaient le renverser et certains de
ses amis qui désiraient le faire glisser. Mais, plusieurs de ses collègues
s’étant retirés, il dut donner
sa démission le 6 juin 1931.
M. Renkin lui succéda et ne s’entoura pas exclusivement
d’hommes politiques de premier plan. La crise s’accentuant, il tomba, lui
aussi, le 22 octobre 1932, après avoir donné, une première fois, sa démission
le 18 mai 1932 et avoir été chargé aussitôt
de reconstituer le cabinet.
Pour faire la
dissolution qui s’imposait, on appela le vainqueur électoral de 1912, M. de
Broqueville, qui constitua un grand ministère avec pas moins de quatre anciens
premiers ministres mais sans les socialistes.
Depuis le
premier ministère Delacroix jusqu’à la seconde démission de M. de Broqueville,
à la suite de l’interpellation sur l’élection d’Hastière,
cela fait quatorze reconstitutions de ministères, juste autant, en quinze ans
d’après-guerre, que pendant le demi-siècle qui s’est écoulé entre le ministère
Rogier de 1864 et le ministère de Broqueville de 1914; encore deux de ces
ministères d’avant-guerre, ceux de MM. de Burlet et
de Trooz n’avaient-ils pris fin que par la maladie ou la mort de leurs chefs.
Le parti eut
raison de mettre ses espérances en M. de Broqueville; les élections de 1932
furent un succès; les catholiques gagnèrent trois sièges, passant de 76 à 79;
les socialistes, eux aussi, avaient gagné trois sièges. Ils avaient aidé au
succès catholique en formulant, dans un de leurs (page 131) congrès, un vœu en faveur de la suppression des subsides de
l’Etat aux écoles catholiques. Devant le péril d’une nouvelle guerre scolaire,
l’Episcopat se crut obligé de faire appel à la conscience des fidèles, les
dissentiments entre catholiques cessèrent momentanément, il y eut fort peu de
listes dissidentes. Malheureusement, le parti libéral, allié fidèle du parti
catholique sous le signe de l’union nationale, fut très éprouvé dans la
bataille électorale. Cet échec souligné par les cris de victoire de certains
catholiques causa un malaise qui ne s’est dissipé que fort difficilement.
9. Conclusion générale
L’on peut
constater, après un siècle d’histoire, que le seul lien solide du parti belge
le plus puissant est la religion. De même qu’au seizième siècle, la religion
catholique maintint unies les provinces du Nord et les provinces du Sud, de
même au vingtième, c’est par l’unité de croyances que se refait sans cesse l’union
entre les catholiques de la partie wallonne et ceux de la partie flamande du
pays, entre les conservateurs et les démocrates, entre les populations
catholiques des villes et celles des campagnes.
Au-dessus des
partis, les maintenant énergiquement dans la modération - il l’a montré au
temps du ministère Schollaert - le Roi reste le plus
solide garant de l’unité du pays. Ainsi que Léopold Ier et Léopold II et dans
des circonstances autrement difficiles, il a conduit le navire belge avec un
rare bonheur et il lui a évité les écueils les plus redoutables qui l’aient
menacé depuis 1831.