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« UNE RUBRIQUE PRIORITAIRE DU MONITEUR JUSQU’EN 1845 : LE COMPTE-RENDU PARLEMENTAIRE »

 

(Texte extrait de : Els WITTE, Le Moniteur belge, le gouvernement et le parlement pendant l’unionisme (1831-1845), Bruxelles, Ed. du Moniteur Belge, 1985, pp. 52-63, à l’exception des notes de bas de page)

 

Le compte-rendu parlementaire est (…) une des rubriques capitales du Moniteur belge (jusqu’en 1844); il a pourtant connu une histoire mouvementée. Initialement, il s'agissait d'une chronique vilipendée par le plus grand nombre; mais elle se transforma bien vite en un service qui, après celui de la France et de l'Angleterre, fut considéré comme un modèle pour l'Europe. Il est assez révélateur de constater qu'en 1844, le gouvernement néerlandais envoya un haut fonctionnaire auprès du Moniteur belge afin d'étudier son fonctionnement et le copier éventuellement. Lagemans, ce haut fonctionnaire, établit d'ailleurs par la suite un rapport détaillé et particulièrement élogieux.

Le chapitre suivant retrace cette évolution remarquable.

 

1. La création et l'évolution du service du compte-rendu parlementaire

 

Une importante césure dans l'histoire du compte-rendu parlementaire belge fut sans conteste l'introduction du reportage littéral. Cette constatation ressort clairement d'une comparaison entre la période d'avant et d'après 1832-1834. On se souvient que les Etats généraux du Royaume-Uni des Pays-Bas ignoraient le vrai reportage parlementaire. Les comptes-rendus étaient succincts, incomplets, imprécis et donc imparfaits. L'opposition à l'encontre d'une publicité trop poussée était à la base de cette disposition. Les membres du Congrès national de toute évidence ne se référèrent nullement à ces motifs ils alléguaient des raisons d'économie mais le résultat était pour ainsi dire identique. Quelque peu en contradiction avec ses objectifs libéraux, le Congrès ne prit aucune mesure pour organiser le compte-rendu de ses débats. Un rapport manuscrit réduit, rédigé pour le président et les quatre secrétaires, était réservé à un usage interne; il comprenait les principales décisions mais ne disait mot ni des propositions rejetées, ni des discussions tenues. Ce fut donc l'organe exécutif qui, en créant le journal du gouvernement, nomma M. Faure au poste de rédacteur parlementaire. Il ne pouvait guère compter ni sur la sympathie, ni sur la collaboration des membres du Congrès.

Leur répugnance à l'égard du journal du gouvernement et leur préférence pour la presse indépendante les orientaient davantage vers la réticence. Certains d'entre eux retournèrent même l'exemplaire gratuit de l'Union belge qui était mis à leur disposition. La création du Moniteur belge n'apporta initialement que peu de changement à cette situation.

L'attitude équivoque du pouvoir législatif conférait au rapporteur parlementaire un statut ambigu, qu'il parvenait très adroitement à mettre à profit. Faisant usage de sa position privilégiée, il aidait également à combler la presse indépendante, en lui fournissant des comptes-rendus parlementaires. Leur rôle de tribune libre contraignait les quotidiens à accorder une nécessaire attention aux débats.

Tout journal qui se respectait avait une rubrique spéciale à cet effet et, le cas échéant, recourrait même à des suppléments. Au cours de cette phase initiale, le rédacteur engagé par le gouvernement fournissait aussi des comptes-rendus à la presse indépendante et bénéficia ainsi d'une source de revenus supplémentaires. Sous le Royaume-Uni des Pays-Bas, Belinfante et Van Lennep furent soupçonnés à juste titre de revendre à d'autres journaux le travail qu'ils effectuaient pour le compte du gouvernement. Faure ne se montra guère plus prudent.

Outre les comptes-rendus destinés au Moniteur belge, il fut rapporteur pour le Mémorial belge, L'Indépendant, et les journaux de l'opposition Le Courrier belge et Le Journal des Flandres. Son licenciement du Courrier belge pour raisons financières à la suite d'une forte baisse du tirage en 1832, donne quelque indication sur le salaire considérable qui lui était versé. La presse du gouvernement subit de cette manière un préjudice énorme. Elle ne recevait que rarement la primeur ou l'exclusivité d'un compte-rendu. De nombreux membres du parlement préféraient en outre confier le texte de leurs discours à des journaux amis ou locaux. Ils avaient ainsi de plus fortes garanties de voir leurs activités parlementaires portées à l'attention de leurs propres électeurs. Cette pratique préjudicia aussi la presse du gouvernement. Son tirage et sa diffusion réduits lui jouèrent, également à ses débuts et dans le même contexte, un mauvais tour.

Mais ces usages ne donnèrent nullement lieu à des modifications fondamentales. Puisque le Moniteur belge et les autres journaux étaient confrontés à un manque de place, et que Faure était seul pour effectuer le travail, il rédigeait des résumés des débats. Il est suffisamment connu que le journaliste communique ses informations en fonction de son propre niveau d'éducation, de son acquis culturel, de son statut socio-économique et de ses valeurs de référence socio-politiques. Lorsqu'il compose ses résumés, il joue le rôle de « gate keeper » : il sélectionne les informations qui seront conservées, accentuées ou escamotées. Cette façon de voir était également d'application pour le compte-rendu parlementaire du Moniteur belge.

M. Faure façonnait la « physionomie » de chaque séance parlementaire. Avec une affirmation comme « Dire ce qu'il est nécessaire que le public sache, voilà où tendent mes résumés », il laissait clairement entendre qu'il établissait les critères de sélection. Rien d'étonnant dès lors que des protestations s'élevèrent. Les critiques principales ne visaient cependant ni l'orientation unilatérale des reportages de politique internationale; ni le fait que les comptes-rendus ne reflétaient que le squelette du débat, et, comme l'exprimait Bourson, qu'ils ne révélaient pas « le mouvement de l'esprit ». La partialité des résumés agaçait le plus les membres du parlement. Aussi bien au parlement que dans la presse de l'opposition on reprochait à Faure une trop grande soumission au pouvoir. Les discours des ministres ou d'amis du gouvernement étaient rarement escamotés; ceux des membres de l'opposition l'étaient très souvent; et, quand on les citait, les contre-arguments du gouvernement étaient particulièrement mis en valeur. Telles étaient les plaintes essentielles formulées. L. Jottrand, membre de l'opposition, les poussa à l'extrême, lorsqu'il taxa Faure de la plus scandaleuse partialité dans le Courrier belge, le journal dont il était le rédacteur en chef. Selon l'usage à l'époque, il s'ensuivit entre les deux hommes un duel, qui se termina de manière vaudevillesque. Les raisons pour lesquelles ces résumés manipulés suscitaient tant d'irritation étaient évidentes. Il était très gênant pour l'efficacité du travail parlementaire de ne pouvoir disposer de comptes-rendus détaillés. Pour relever d'une manière nuancée les arguments avancés par l'adversaire, il était nécessaire de connaître avec précision le contenu. Des parlementaires qui n'avaient pu assister à un débat - l'absentéisme était considérable - devaient eux aussi être parfaitement informés. En outre, des résumés incomplets, imprécis ou partiaux influençaient négativement l'image que l'homme politique essayait de créer de lui-même auprès de son arrière-ban. Surtout les membres de l'opposition avaient par conséquent intérêt à ce que soit mis fin à cette anomalie. Le gouvernement ne pouvait subir plus longtemps cette avalanche de plaintes au parlement et dans la presse, de sorte que l'instauration du compte-rendu littéral ne surprit personne.(

Un certain nombre d'aspects techniques jouèrent un rôle lors de cette instauration. A cette époque, la sténographie en était encore à ses débuts et la méthode était très dépendante de la langue employée.

Il fallait créer des signes particuliers selon les combinaisons de lettres et de syllabes et les formes grammaticales propres à chaque langue.

Peu de journalistes étaient alors déjà capables d'utiliser cette « tachygraphie ». Le caractère francophone de la politique belge eut comme conséquence qu'on pouvait recruter du personnel formé à Paris. Après Faure, on fit appel à d'autres Français, notamment à A. Tardieu, qui était peut-être le mieux connu et le plus qualifié.

Conformément à l'exemple français, ces sténographes exigeaient une place personnelle dans l'amphithéâtre parlementaire, à proximité du siège de l'orateur. Le fait que le questeur accepta cette requête vers la mi-1832 prouvait que la professionnalisation du compte-rendu était devenue hautement souhaitable. Cela ressort également du nombre de sténographes engagés. Pour des raisons de rapidité et de précision, les sténographes prenaient généralement note à tour de rôle et rédigeaient ensuite leur texte. Plus ils étaient nombreux, plus les comptes-rendus étaient détaillés. Au parlement français pas moins de 12 étaient au travail. Son homologue belge était par contre moins dispendieux. Au milieu de l'année 1832, un collègue fut adjoint à Faure et, en 1833, il y avait 3 sténographes. Afin d'éviter les difficultés lorsque la chambre et le sénat se réunissaient simultanément, ce nombre fut porté à quatre, et, en 1844, lorsque Lagemans devint stagiaire, le parlement disposa de 5 rapporteurs. Ces fonctionnaires dépendaient entièrement du parlement et percevaient leur salaire de cette institution. « Lorsqu'on les paiera, lorsqu'ils ne seront plus à la dévotion de personne, il est à espérer que le compte de nos séances sera fidèlement rendu» : c'est ainsi que le député Jullien exprimait les mobiles de cette réorganisation. A partir de cet instant, ni le Ministre de l'Intérieur, ni le Ministre des Affaires Etrangères n'avaient encore quelque impact sur l'exécution du compte-rendu..

Dès 1833, l'instance de contrôle était la questure, chargée de la supervision des comptes-rendus et devant elle les sténographes étaient responsables. Il n'était plus question qu'ils travaillent encore au profit d'autres journaux. Ils étaient devenus des fonctionnaires du parlement, qui, comme il fut signalé plus haut, percevaient un .salaire relativement élevé en échange d'un travail hautement qualifié.

Il est indiscutable que leur activité représentait plus qu'une simple opération mécanique. Au cours d'une de ses rares interventions, le directeur du Moniteur belge en fit l'expérience: il dut s'excuser auprès du sénateur de Stassart pour les nombreuses erreurs qu'il avait commises. Lagemans résuma avec raison les qualités dont devait faire preuve le sténographe parlementaire: outre un jugement clair, le tachygraphe doit aussi posséder une culture générale scientifique, étudier les sujets à traiter, connaître, comprendre et être capable de corriger les imprécisions et les négligences de style, qui apparaissaient dans la plupart des improvisations destinées à être relatées dans la presse. » Il mettait ainsi en évidence le point faible de tout reportage: le compte-rendu littéral des improvisations.  " Rien n'est si capricieux que l'expression d'un homme qui improvise ", concéda par surcroît le questeur . Les imprécisions, les erreurs, les lapsus, les inexactitudes grammaticales, les phrases aux périodes trop longues incorrectement formulées, constituaient quelques-uns des nombreux problèmes auxquels les sténographes étaient la plupart du temps confrontés. La problématique linguistique en Belgique réservait encore d'autres difficultés aux sténographes français. A en croire le journal satirique Les Croquignols, le français d'Audenarde, d'Alost et de Tielt leur posait des problèmes insurmontables. Selon l'auteur, c'était un signe de la Providence que les parlementaires aient reçu un rapporteur comme Tardieu: « C'est grâce à cette providence toujours attentive aux barbarismes, aux jeannotismes, aux solécismes et aux flandricismes dont nos honorables entrelardent si agréablement leurs oraisons, c'est grâce à lui enfin que la Belgique parvient à comprendre ses mandataires ». Bref, il y avait d'excellentes raisons pour le sténographe et le parlementaire de collaborer autant que possible.

Cette collaboration se manifestait à différents niveaux et, lors de la réorganisation du service, elle était acceptée en principe. Le règlement interne prévoyait notamment que les députés et les sénateurs devaient être en mesure d'indiquer aux sténographes les fautes commises. Un appel parut dans le Moniteur belge (21 mai 1832), incitant les membres du parlement à transcrire le texte de leurs discours et à le confier aux sténographes, avant ou directement après l'avoir prononcé. Le Courrier belge estima cela comme « une choquante inconvenance », mais il ne put empêcher cette pratique de se généraliser. Vers 1837, la plupart des orateurs avaient déjà pris l'habitude de rédiger certaines interventions et de les transmettre aux sténographes durant la séance. De même, était devenu monnaie courante pour les orateurs de réviser durant la séance les textes rédigés et sténographiés. Déjà en 1833, C. Rogier en tant que ministre, avait exigé ce droit de correction. De cette manière, il était encore possible d'apporter de petites modifications. « Et à ce sujet on trouve à Bruxelles chez les membres des chambres une collaboration particulière qui aide à simplifier et à accélérer le travail », écrivait Lagemans concernant l'étroite collaboration qui prévalait entre le parlementaire et le service du compte-rendu. En d'autres termes, les débats étaient de plus en plus menés en vue de la langue écrite. L'instauration au parlement du compte-rendu littéral influença donc irrévocablement le style et la forme des débats et exerça sur le fonctionnement des chambres un impact considérable. La publication des comptes-rendus dans le journal du gouvernement contribua également dans une large mesure à ce résultat.

 

2. La publication des comptes-rendus parlementaires

 

Les modifications subies par les comptes-rendus parlementaires, tant du point de vue de leur organisation que de leur contenu, influencèrent bien entendu la publication des procès-verbaux. Aux yeux des membres du Congrès national il était tout à fait normal que les comptes-rendus ne soient jamais publiés intégralement. Une demande de les publier fut repoussée pour les raisons d'économie citées plus haut. On dut, par conséquent, se contenter des résumés, qui paraissaient dans l'Union belge et dans d'autres journaux bruxellois et locaux. En 1844, la recherche et la compilation de ces résumés et de ces discours disséminés permirent pourtant à E. Huyttens de brosser un tableau des débats de l'assemblée constitutionnelle. (E. HUYTTENS, Discussions du Congrès National de Belgique, 1830-1831, précédées d'une introduction et suivies de plusieurs actes relatifs au gouvernement provisoire, etc. Bruxelles, 1844-1845, 5 parties) Lors de la création du Moniteur belge, le compte-rendu des débats parlementaires fut publié de manière bien plus systématique. Le contrat stipulait explicitement que les procès-verbaux devaient y être repris, qu'il fallait consacrer annuellement à cet effet un certain nombre de suppléments, et que les comptes-rendus devaient être expédiés aux membres du parlement. Les diverses réorganisations effectuées entre le mois d'avril 1832 et la mi-1833 dans le domaine des comptes-rendus provoquèrent des modifications directes dans la manière de publier. Il n'est pas nécessaire de rappeler que le conflit, qui opposa de Theux à Feuillet-Dumus, avait pour enjeu le perfectionnement et l'élargissement de cette rubrique. L'instauration du service sténographique entraîna une nouvelle progression. Depuis lors, le compte-rendu intégral des débats était devenu l'objectif principal du Moniteur belge. Il devait requérir la priorité sur toutes les autres fonctions.

Les statistiques provenant d'un sondage, effectué tous les quatre ans,  ne contredisent en rien cette constatation. Même en octobre 1831, plus d'un tiers de la surface du Moniteur belge fut en moyenne consacrée à cette rubrique. Si, pour les différentes années, on tient compte exclusivement des périodes de réunion du parlement, on constate qu'outre les suppléments, les pourcentages enregistrés étaient très souvent supérieurs à 50 %. Les jours, presque entièrement consacrés aux reportages parlementaires, sont rares. En comparaison avec la surface réservée aux autres rubriques, la prééminence du compte-rendu est manifeste. En intercalant des suppléments, le rédacteur en chef était en mesure de maintenir un certain équilibre entre les différentes rubriques; mais leur surface variait en fonction du nombre de procès-verbaux. L'obligation de publier immédiatement les comptes-rendus - les parlementaires en avaient besoin avant la séance suivante - limitait considérablement la marge de manœuvre du rédacteur en chef.

La réorganisation de 1832-1833 exerça une influence considérable sur la rédaction du texte définitif à l'imprimerie du Moniteur belge.

Au cours de la phase initiale, le rôle du directeur était manifestement peu important. Bourson collaborait, bien sûr, à la mise en page, mais à cause de sa forte personnalité, il était difficile pour Faure de supporter une supervision sur les reportages. Le travail de nuit qui en serait résulté incitait le directeur d'autant moins à faire usage de ce droit. Faure transmettait donc directement les textes à Feuillet-Dumus et, en pratiqué, la responsabilité de la version définitive incombait au correcteur et au contremaître-typographe, avec toutes les conséquences que cela impliquait. On apprend notamment que durant le conflit avec de Theux, les collaborateurs de Faure osaient déposer des manuscrits que Bourson qualifiait par après de « galimatias » indéchiffrables. On ne doit donc pas s'étonner si les comptes-rendus étaient parfois truffés de coquilles et contenaient parfois des non-sens. Le service sténographique du parlement n'introduisait plus de telles copies, d'autant plus que la responsabilité en incombait maintenant au questeur et que les membres du parlement exerçaient un droit de contrôle. Par la suite, cette dernière prérogative fut élargie et transférée au département chargé de la composition des épreuves.

Les paroles, que le député avait prononcées dans un moment d'inattention ou dans le feu de la discussion et qui pouvaient nuire à sa réputation, pouvaient encore être atténuées ou éliminées par l'apport de légères corrections ou de nuances au texte définitif. Auparavant, cette pratique était entièrement de l'ordre des privilèges. En septembre 1833, le ministre Rogier fit savoir à Bourson qu'il désirait revoir les épreuves de ses textes, « afin que je puisse m'assurer moi-même que mes paroles ou mes écrits ne seront pas dénaturés».

Un an plus tard, un conflit entre les députés Nothomb et Dumortier révèle que des liens d'amitié incitaient Bourson à avertir Nothomb lorsque le compte-rendu littéral de son discours contenait des phrases politiquement maladroites (Débat à la Chambre du 23 juillet 1834, dans Moniteur belge, 24 juillet 1834, pp. 4-5) . Au fil des ans, cette pratique devint monnaie courante et fut même institutionnalisée. Le service du Moniteur belge expédiait au domicile ou au bureau des ministres les épreuves de leurs interventions; après vérification et correction il se chargeait de les reprendre. Les membres du parlement, par contre, se rendaient personnellement au bureau du journal officiel, où un local isolé était même prévu pour la vérification des épreuves. On lit dans le rapport de Lagemans : « C'était un témoignage d'intérêt d'autant plus grand, que d'habitude ce fait devait avoir lieu tard dans la soirée ou au cours de la nuit et qu'ils (les parlementaires) étaient obligés d'attendre encore un certain temps avant que le nécessaire était prêt pour eux. Moi-même j'ai rencontré à l'imprimerie du Moniteur belge la nuit entre 1 et 2 heures, plusieurs députés, parmi lesquels un ancien ministre, qui révisaient le rapport de leurs discours ou attendaient qu'il fût prêt. » En 1844, il était en outre devenu d'usage que les longs discours ne soient plus publiés avant d'avoir reçu le consentement de leur auteur. D'où le fait que certains discours, par suite du retard de leurs auteurs, paraissaient plus tard que les procès-verbaux des débats concernés. Du témoignage du secrétaire général de la justice, le supérieur de Bourson, il ressort que le directeur du Moniteur belge consacrait beaucoup de temps et d'énergie à cette complémentaire procédure de révision des textes: « Que de fois, après des séances orageuses, Bourson dut mettre en œuvre toutes les ressources de son esprit, toutes les séductions de sa fine bienveillance pour obtenir des suppressions nécessaires, pour faire concorder entre elles des interruptions saisies au vol par le sténographe puis retouchées par les auteurs dans le silence du cabinet. » Grâce au « feeling» indiscutable qu'il avait en matière de relations politiques, et à son comportement empreint de tact et de diplomatie, il parvenait à s'acquitter de sa mission délicate et à harmoniser les comptes-rendus parlementaires. De cette manière, le directeur du journal officiel a pu jouer, en des moments cruciaux et dans la coulisse, un rôle beaucoup plus important au niveau des décisions politiques qu'on avait supposé jusqu'alors.

Le directeur était également confronté à un autre problème relevant plutôt d'un aspect organisationnel et technique: les délais de production. L'objectif du journal est suffisamment bien connu: afin de pouvoir prendre la parole, les députés devaient être en mesure de parcourir les procès-verbaux juste avant la séance suivante. Le service des comptes-rendus français fonctionnait à ce point de vue d'une manière exemplaire. Grâce au nombre élevé de sténographes et au travail à tour de rôle, la majorité des textes étaient déjà composés avant la fin de la séance. Le service belge, par contre, n'était pas aussi irréprochable. Avant le procès avec Feuillet-Dumus, les membres du parlement étaient rarement en possession immédiate du compte-rendu et certainement pas lors des séances tardives, lorsqu'il fallait encore insérer des suppléments. A l'issue du conflit, il y eut une amélioration. Surtout l'effort, pour parvenir à publier les procès-verbaux le jour suivant des séances de nuit, fut apprécié à la satisfaction de chacun. La régularité et la célérité avec lesquelles était publiée la rubrique parlementaire furent d'ailleurs, dès 1834, appréciées de tous. Après 1834, on demeura moins enthousiaste à l'égard de la disposition et de la présentation de la rubrique. Le compte-rendu parlementaire paraissait immédiatement à la suite de la partie officielle, sous le titre « Belgique Intérieur ». Sous ce titre, comme on le verra plus loin, d'autres rubriques étaient également regroupées, auxquelles faisait suite la partie réservée à l'étranger. Afin de pouvoir maintenir quotidiennement cette répartition, les comptes-rendus parlementaires particulièrement longs étaient divisés en deux, la seconde moitié figurant à la dernière page ou aux suppléments. Des références facilitaient le travail du lecteur. « Nos opinions se trouvent perdues au milieu de toutes ces feuilles s'exprimait la critique du parlement. Les petits caractères utilisés dans l'impression pour gagner de la place ne facilitaient guère la lecture non plus. Ce furent donc en premier lieu ces inconvénients purement techniques qui décidèrent le gouvernement et le parlement à changer de formule en 1843-1844. C'est ainsi que les Annales parlementaires virent le jour sous la forme d'une publication indépendante. La présentation, la disposition, le caractère et le format subirent alors un changement radical; mais du point de vue organisationnel, la tradition, qui depuis 1831 s'était progressivement développée et pour l'efficience de laquelle un initié comme Lagemans avait la plus grande admiration, se maintint au Moniteur belge.