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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 17
septembre 1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
lettre relative au renoncement des fonctions de secrétaire du bureau (H. de Brouckere)
2) Projet de loi ouvrant un crédit de 10
millions de florins au budget du département de la guerre pour l’exercice 1831.
Justification de l’usage des autorisations accordées antérieurement (de Theux, A. Rodenbach, (+garde
civique) Ch. de Brouckere, Delehaye,
Lardinois, (+garde civique) A.
Rodenbach, (+logements militaires) (Legrelle, de Nef, Destouvelles, Ch. de Brouckere), Coghen, Jamme, Fleussu, Jamme,
Rogier)
3) Projet de loi relatif au rappel des miliciens
de la classe 1826, notamment problème des remplaçants (Leclercq, Jamme, (+ordre militaire)
A. Rodenbach, Delehaye, Jamme, Destouvelles, Delehaye, Legrelle, de Brouckere, Jamme, Jullien, A. Rodenbach, Jullien, Ch. de Brouckere, Legrelle, Devaux, Rogier)
4) Projet de loi autorisant le Roi à employer
des officiers étrangers dans l’armée (Leclercq, de Nef, Tiecken de Terhove, Legrelle, Liedts, Bourgeois, C. Rodenbach, de Brouckere, de Theux, Destouvelles, Devaux)
(Moniteur
belge n°96, du 19 septembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
Après la lecture et l’adoption du procès-verbal,
un de MM. les secrétaires donne lecture d’une lettre par laquelle M. H. de
Brouckere donne sa démission de secrétaire, et annonce qu’il sera
rendu pour assister à la séance de lundi.
PROJET DE LOI OUVRANT
UN CREDIT DE 10 MILLIONS DE FLORINS AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR
L’EXERCICE 1831
L’ordre du jour appelle la discussion
sur le projet de loi relatif au crédit de dix millions de florins à accorder au
ministre de la guerre.
On entend un grand nombre de membres sur l’ensemble du projet : plusieurs sont décidés à
l’approuver de confiance, vu l’urgence ; d’autres déclarent qu’ils ne donneront
leur approbation que lorsque le ministère aura justifié de l’emploi des douze
millions précédemment accordés.
M. de Theux.
- Il est constant que le ministre de la guerre a besoin de fonds, et que, dans
les circonstances impérieuses ou nous nous trouvons, il est impossible de ne
pas les lui accorder si nous voulons que le pays soit mis en état de se
défendre. Toutefois, il est certain que des marchés très onéreux ont été
conclus dans la dernière campagne, et qu’il y a eu de grandes dilapidations
dans les fonds de la guerre. Je demande, que, quand le ministre de la guerre en
aura le temps, il porte son attention sur ces dilapidations ; qu’il découvre
les auteurs de toute concussion, de toute soustraction d’armes, d’équipements
militaires, et qu’il les livre à la justice, ainsi que tous les complices de
semblables délits.
M. A. Rodenbach.
- Lorsque l’honorable M. de Brouckere vint nous présenter le projet d’emprunt
des 12 millions, il nous dit, si ma mémoire n’est pas infidèle, que les 7/8 de cette
somme seraient employés aux besoins de la guerre, et que le 1/8 restant
servirait à l’administration publique. Il paraît que cette promesse n’a pas été
exécutée ; donc on a détourné les fonds destinés à la guerre. Je demande qu’on
nous dise ce qui a été détournée, et que le ministre nous en rende un compte
exact.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere).
- Messieurs, je répondrai d’abord au dernier préopinant. C’est en effet moi qui
ai dit que les 9/10 et non les 7/8 des 12 millions seraient employés pour
l’armée. Me suis-je trompé ? Les dépenses pour l’armée avaient d’abord été
évaluées à 16 millions. Avec le crédit que nous vous demandons, les dépenses
totales pour cette partie s’élèveront de 28 à 30 millions, 14 millions de plus
que l’évaluation primitive. Maintenant, si les impôts produisent ce à quoi nous
les avons évalués, ce qui est douteux, vu la crise où nous nous trouvons, il
resterait encore un déficit de 2 millions pour la guerre, plus le déficit pour
la liste civile que vous avez votée, ainsi que pour 700 et quelques mille
florins que vous avez alloués pour le canal de Charleroy. Maintenant est-il
vrai de dire que des fonds ont été détournés ? Il n’en est rien, messieurs ;
car je ne conçois pas qu’un gouvernement, pas plus qu’un commerçant, ait deux
ou plusieurs caisses. Le gouvernement peut, comme le négociant, avoir plusieurs
livres pour les divers services ; mais il ne peut avoir qu’un seul trésor, et
ce n’est que là que les diverses administrations peuvent puiser. Au reste, nous
sommes à la première année de notre régénération politique, et quand l’impôt
produirait autant que les dépenses, il ne rentrerait pas tout entier dans le
courant de l’année ; il reste toujours un arriéré qui rentre dans les premiers
jours de l’année suivante : en attendant, le gouvernement ne peut pas se
refuser à payer les marchés qu’il a conclus. Le gouvernement ne peut pas dire :
Tels écus me viennent de l’emprunt, tels des voies et moyens. Le ministre des
finances doit vous rendre un compte en bloc, et pourvu qu’il le fasse, et il le
fera, vous n’avez pas à vous plaindre.
Un des préopinants
a demandé si j’avais pensé à la mobilisation de la garde civique ; j’ai déjà eu
l’honneur de vous dire que sur quelques points la garde civique était en
service actif. Il y en a trois bataillons dans la Flandre orientale ; le
quatrième s’organise aujourd’hui même, et la semaine prochaine les gardes
civiques de la Flandre occidentale seront sous les armes. Les bataillons de
Bruxelles partiront un de ces jours ; ainsi successivement le premier ban sera
sur pied et en activité.
M.
Delehaye. - Il est vrai que la majeure partie des
douze millions fut destinée à la guerre ; mais pouvons-nous voir aujourd’hui si
cette somme a eu cet emploi ? Non, nous ne le pourrons que lorsqu’on nous
rendra un compte général. Alors nous verrons si chaque administration s’est
tenue dans ses limites, et si elle n’a pas dépassé ses crédits. Il sera temps
alors de porter sur ces comptes une investigation sévère ; et pour ma part, je
n’y manquerai pas.
M. Lardinois. - Je crois que
la question de savoir aujourd’hui l’emploi des 12 millions est prématurée. Dans
un gouvernement, comme l’a très bien dit M. de Brouckere, il n’est pas
nécessaire d’avoir deux caisses, quand il y aurait 100 ministères. Lorsque les
fonds manquent pour un service, je conçois donc bien qu’on aille les prendre au
trésor, mais c’est à la charge de les y intégrer ; en agir autrement, c’est,
selon moi, bouleverser tout le système financier, et ce serait un cas
d’accusation contre le ministère.
M.
A. Rodenbach. - M. le ministre vient de nous dire
que dans les Flandres les gardes civiques, en partie mobilisée déjà, le
seraient entièrement dans la semaine prochaine. Messieurs, il y a quinze jours
que j’ai quitté la province ; alors, dans les villages, rien n’était organisé,
et les gardes civiques n’avaient pas reçu un seul fusil. Nous devons nous
empresser de les armer ; faisons des marchés onéreux même, s’il le faut, pourvu
que les fusils soient bons ; et s’il fait des fonds, nous les voterons.
M. Legrelle.
- Je demanderai à M. le ministre si, avec le crédit de 10 millions, il se propose
de payer les indemnités pour les logements militaires, y compris l’arriéré. M.
de Nef fit des réclamations de logements de cette nature. On m’a ajournée, sous
prétexte de la liquidation de l’intendance de M. Chazal ; puis, sous divers
autres prétextes, les renvois se sont succédé de jour et jour jusqu’au moment
où on a dit qu’il n’y avait plus de fonds.
M. de Nef. (de Turnhout). - La
Campine, par l’invasion déloyale de la Hollande, a souffert plus que toutes les
autres provinces ; j’appuie de toutes mes forces la demande de M. Legrelle.
M. Destouvelles.
- Lorsque le moment de demander des indemnités sera venu, ce n’est pas à une
seule province qu’il s’agira d’en accorder, mais à toutes ; car toutes ont plus
ou moins souffert de l’invasion hollandaise. Mais aujourd’hui cette question
est tout en dehors de celle dont il s’agit. Il n’est en effet question en ce
moment que de savoir si l’on votera le crédit de 10 millions, et cette question
dit être résolue indépendamment de toute autre réclamation, dont l’examen ne
ferait que retarder une loi dont l’adoption est urgente.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere).
- Il me sera facile de donner apaisement aux honorables membres. Pour tout ce
qui regarde l’intendance générale, je leur dirai qu’on s’occupe en ce moment de
me remettre les archives, et que le ministre liquidera lui-même la gestion de l’intendant-général. Je ne sais à
quel somme se montera l’indemnité totale qui sera due pour les logements
militaires ; mais le ministre n’a jamais refusé de liquider les sommes
particulières quand les commune sont présenté leurs pièces en règle. La commune
doit, lorsqu’un corps quelconque part, s’entendre avec le chef de ce corps pour
la liquidation de ce qui est dû ; il ne faut pas que ceux-là se plaignent qui
n’ont pas rempli cette formalité. Mais le ministère ne peut pas payer
aveuglément. Dans la Campine ont séjourné principalement des corps de
volontaires, et ce corps, on le sait bien, n’avaient pas de pièces de
comptabilité. Cela exigera donc de longues liquidations. Pour tout ce qui est
dû avant février, je n’ai pas pu m’en occuper ; mais on s’en occupera aussitôt
que les archives auront été remises au ministère, comme on s’occupe de tout le
reste. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des finances (M. Coghen)
prononce quelques mots, mais d’une voix si basse, qu’ils n’arrivent pas jusqu’à
nous.
M. Jamme. - Messieurs, nous
sommes appelés à délibérer sur d’importantes questions, dont l’intérêt est
vivement augmenté par la gravité des circonstances où se trouve placée la
Belgique. La paix n’est pas faite, les hostilités peuvent recommencer ; donc
une réorganisation prompte et forte de l’armée devient indispensable :
puisse-t-elle avoir lieu ! On nous demande des hommes, des subsides, et
l’admission dans les cadres de l’armée de militaires étrangers. Il n’est aucun
de nous, messieurs, qui ne sente toute l’importance des résolutions qu’il va
prendre, et qui ne doive peser sagement la responsabilité morale de ses actes.
Dans peu d’instants la chambre devra
accorder ou refuser les demandes qui lui sont faites. L’alternative est grave ;
la pensée n’en saisit toutes les conséquences qu’avec une pénible
préoccupation. Il faut que le peuple envoie de nouveau ses enfants renforcer
les rangs de l’armée, qu’il fournisse de nouveaux subsides, ou qu’il se prépare
à subir le joug de ses ennemis, à perdre son indépendance, et à se montrer à la
foi indigne de l’appui de la France et du dévouement d’un Roi qui, pour le
sauver, s’est exposé lui-même à d’imminents périls. Vous direz, messieurs, que
je pousse à bout les conséquences de ma proposition, c’est vrai ; je le fais
pour la juger sainement. Si je voulais maintenant les développer ces
conséquences, l’imagination en reculerait épouvantée. Je ne puis, au reste,
être taxé d’exagération que par ceux qui ne sauront pas me comprendre ; on sait
ce que serait pour nous une restauration sans condition. Ce n’est pas en
fermant les yeux qu’on écarte le danger ; le courage consiste à l’envisager de
sang-froid, et la sagesse à savoir s’en prémunir.
Le moment est venu où tout vrai
patriote, tout patriote sorti pur du creuset révolutionnaire, doit faire acte
d’un nouveau dévouement. Je propose d’ajourner les récriminations pour ne nous
occuper que des mesures proposées. Un ministère ne peut être comptable des
fautes du ministère qui l’a précédé : il y a des comptes à rendre, des enquêtes
dont il faut connaître les résultats ; la chambre saura faire son devoir en
temps opportun. Je serai peut-être plus sévère que bien d’autres ; mais
aujourd’hui ce devoir consiste à voter promptement et avec sagesse les lois
nécessaires pour éviter que l’ennemi ne vienne interrompre le cours de nos
délibérations !
Le ministre des finances, ici
présent, demande un crédit de dix millions pour subvenir aux besoins du
ministère de la guerre, à prendre, dit-il, sur les voies et moyens ordinaires.
Ce mode de perception est illusoire : on sait que les fonds produits par les
voies et moyens ont été perçus même anticipativement, et qu’ils sont engloutis
avec la partie recouvrée de l’emprunt de 12 millions. Au reste, ces fonds n’ont
pas été employés sous le ministère de M. Coghen, et les récriminations
d’ailleurs sont ajournées.
Les subsides que l’on nous demande
aujourd’hui, messieurs, sont destinés à couvrir des dépenses urgentes. La
responsabilité des ministres qui les demandent doit nous suffire ; les
connaissances administratives ne laissent nul doute qu’ls sauront en rendre un
compte exact, et le dévouement, les connaissances et l’activité rares de M. le
ministre de la guerre nous sont une garantie suffisante de l’emploi qu’il saura
en faire ; donc il faut trouver les fonds qu’il nous demande. Deux moyens se
présentent, ce sont un emprunt en Belgique ou un emprunt à l’étranger : ce
dernier me semble éminemment préférable, et je désire vivement qu’il puisse
être adopté ; mais, de quelque manière que l’on parvienne à faire face à cette
nouvelle charge, j’émets le vœu bien formel qu’elle ne puisse peser sur les
classes inférieures, ni même sur les classes moyennes de la population ; je
fonde mon opinion sur ce qu’il est sage de ne pas trop fatiguer l’esprit
national de ces classes, dans lesquelles réside la force, desquelles dépend la
tranquillité publique, et sur ce que ces classes feront déjà assez des
sacrifices, vu leur importance numérique, en envoyant leurs enfants dans les
rangs de l’armée. Cette charge nouvelle doit et peut être plus facilement
supportée par les classes les plus élevées : elles sauront mieux apprécier les
avantages moraux que leur assure notre régénération, et qui seront de longtemps
les seuls dont nous jouirons ; elles concevront mieux aussi que si leurs
mandataires, agissant avec la conscience de leurs devoirs, ont voté un subside
de 10 millions, ils ne l’ont fait qu’après de mûres réflexions, qu’avec regret,
qu’en raison de l’urgence des circonstances, et finalement dans la pensée de
leur éviter d’en payer plus tard dix fois autant à leurs ennemis.
Il faut concevoir, messieurs, que le
peuple (et le peuple, dans le sens que je le prends, constitue les deux tiers
de la population) ; il faut concevoir, dis-je, que le peuple ne connaît de
prospérité vraie que dans la prospérité matérielle : pour lui, les besoins
moraux sont une véritable abstraction. Depuis un an, il souffre, et il n’a
cessé de faire des sacrifices ; il faut éviter d’en exiger au-delà de ses
forces : si son patriotisme se lassait, ce serait moins sa faute que celle de
ceux qui le mettraient à une épreuve au-delà de sa portée. Il ne faut pas
l’obliger à voir avec inquiétude ou défiance une révolution qui, toute noble
qu’elle est dans son but, et toute faite dans l’intérêt général, a été pendant
longtemps entachée de tous les vices qu’a pu produire l’intérêt privé, dans son
infatigable activité ; une révolution qui ne lui a valu encore que des
craintes, des espérances et des privations. Cette révolution s’était cependant
opérée avec une spontanéité, un ensemble de volontés et d’opinions qui l’ont
fait marquer rapidement vers son terme. Tout, dans sa marche, était noble ;
tout était vrai ; l’enthousiasme le plus pur obtenait les succès les plus
légitimes. Cette marche, si belle, aurait eu, comme tout ce qui est juste et
grand, d’incalculables résultats, si, tout à coup, les intérêts particuliers,
surgissant de toutes parts, ne l’eussent arrêtée et compromis son existence ;
dès lors, messieurs, ce ne fut plus à l’ennemi que l’on fit face, on déserta le
poste que l’honneur avait assigné, pour aller saluer le pouvoir naissant, et
lui arracher ses faveurs. Malheureusement elles tombèrent au hasard dans les
mains les plus empressées et les plus avides ; on ne fit l’examen préalable, ni
des capacités, ni des convenances ; faute irréfléchie sans doute, mais énorme,
de ceux qui étaient alors au pouvoir, et qui fut la source certaine de tous nos
maux. On ne sait que trop quelles en furent les tristes conséquences : sous le
voile du patriotisme, l’impéritie, la négligence et de honteuses dilapidations
amenèrent rapidement la Belgique au bord d’un abîme, d’où le Roi, oui ! le Roi
seul l’a sauvée. Mais, messieurs, le danger n’est pas passé encore ; c’est à
nous maintenant à le seconder : que tous ceux qui ont le cœur vraiment belge
unissent leurs efforts aux siens, et s’empressent de venir serrer les rangs
autour de lui.
Après avoir porté,
messieurs, les regards sur ce que nous devions connaître pour agir avec
prudence, sans timidité, et remplir consciencieusement notre mandat, je vois
qu’il faut, par tous les moyens possibles, consolider promptement des
institutions qui sont la seule planche de salut offerte à la Belgique : nous
saurons, certes, faire notre devoir.
Je voterai pour les trois projets de
loi.
M. Fleussu. - Messieurs, ce
n’est pas à la veille d’une invasion que nous devons refuser des fonds pour la
guerre. Votons donc de confiance une fois, mais que ce soit pour la dernière. Depuis
que nous avons été appelés à prendre part aux affaires publiques, nous avons
voté en aveugles l’emploi de l’argent de la nation. Je ne sais si les voies et
moyens suffiront pour couvrir le nouveau crédit de 10
millions, et s’il ne faudra pas recourir à un emprunt ; mais puisque ces fonds
sont pour l’armée, je demande qu’il soit fait dans l’armée des réformes plus
grandes que celle que l’on a faites jusqu’ici. Je désire que ces réformes
portent principalement sur les appointements. Officiers et soldats, tous sont
trop bien payés. Voulez-vous une armée nombreuse comme vous en avez besoin !
Réduisez les appointements de moitié, vous pourrez ainsi avoir une armée
double. Il y a eu deux belles occasions pour opérer cette réforme : la
première, quand le gouvernement provisoire organisait l’armée, prodiguait des
épaulettes à des individus qui n’étaient pas faits pour les porter. Certes, tel
qui avait ramassé ses épaulettes, dont il était peu digne, se serait trouver
fort heureux de les conserver avec un traitement moins considérable. L’autre
occasion s’est présentée lorsque l’armée française était ici. On a vu sa
discipline, et on connaît sa valeur ; cependant elle est beaucoup moins
rétribuée que la nôtre. J’insiste dont pour que cette réforme soit opérée. Si
elle ne l’était pas, je verrais ce que j’aurais à faire lors de la présentation
du budget.
M. Jamme.
- Je ne partage nullement l’opinion de l’opinion de l’honorable préopinant M.
Fleussu.
Personne plus que moi ne sent plus
vivement le besoin de faire des économies, j’ai toujours pensé que l’armée
coûtait énormément au trésor, et qu’il était nécessaire d’en réduire la solde ;
en ce sens, il est vrai, je suis de l’avis de M. Fleussu ; mais je
considérerais une réduction opérée, dans le moment, comme complétement
intempestive. Ce n’est pas au moment où nous avisons à tous les moyens
possibles de recruter l’armée, qu’il faut lui donner un motif de
mécontentement. Je ne désire pas m’expliquer davantage sur ce sujet, je
craindrai que l’on ne fît quelque interprétation de mon opinion qui pût blesser
l’esprit de l’armée, mais, je le déclare, je considérerais cette mesure, dans
le moment actuel, comme hautement impolitique.
M. Rogier. - En votant pour le
projet, j’y mets pour condition que la plus sévère économie présidera aux
dépenses de l’armée. Je n’examinerai pas si la diminution des traitements
serait politique ou impolitique, mais j’ai vu de braves officiers la désirer
eux-mêmes. Un capitaine ne fait pas moins bien son devoir et ne se bat pas plus
mal parce que ses appointements ne sont pas énormes. Nous avons vu le soldat
français, sa propreté, sa bonne tenue, sa bonne humeur. Eh bien ! il n’est pas
aussi bien payé que le soldat belge, et cela ne l’empêche pas de faire son
devoir. A la vérité, les soldats français ne peuvent fréquenter aussi souvent
les cabarets ni y demeurer aussi longtemps ; mais si nos soldats, moins payés,
avaient moins fréquenté les cabarets et plus les exercices, nous n’aurions pas
eu à regretter ici l’absence d’une discipline sévère.
Je dois répondre au reproche fait par
le préopinant au gouvernement provisoire ; alors il s’agissait de réorganiser
l’armée, il s’agissait d’avoir des officiers qui étaient encore dans l’armée
hollandise. Il eût été imprudent de leur offrir moins d’avantages dans l’armée
belge. Quant à ceux qui, dit-on, ont ramassé des épaulettes sans les mériter,
il y en a nombre qui ont vaillamment combattu et qui ont trouvé la mort dans
les derniers combats : il eût été injuste de leur offrir moins qu’aux autres,
et jusqu’à ce qu’il me soit démontré qu’ils ont démérité, je penserai que le
gouvernement provisoire les a traités comme il le devait. Je demande donc que
le ministre de la guerre fasse l’économie dont j’ai parlé, et je ne suis en
cela que l’interprète des vœux de la deuxième section. (Aux voix ! aux voix !)
- La clôture est mise aux voix et
prononcée.
M. le président.
- Voici comment est conçu l’article unique du projet :
« Un crédit de dix millions de
florins est ouvert au ministre de la guerre pour le complément des dépenses du
troisième trimestre et les besoins du quatrième trimestre de l’exercice
1831. »
On procède à l’appel nominal sur le
projet ; il est adopté par 65 voix contre 2 ; les deux opposants sont MM. de
Robaulx et Seron.
PROJET DE LOI RELATIF
AU RAPPEL DES MILICIENS DE LA CLASSE 1826
M. Leclercq, rapporteur de la
section centrale, fait un rapport sur le projet de loi relatif au rappel des
miliciens de la classe de 1826 ; il conclut à l’adoption du projet.
M. Jamme.
- Je voudrais savoir si les remplaçants seront tenus de répondre à cet appel,
ou si ce seront les remplacés ; il peut y avoir des jeunes gens de cette classe
qui soient comme remplaçants dans le premier ban de la garde civique. Comment
entendra-t-on la loi à cet égard ?
M. Leclercq. - Les miliciens
de 1826 ont été renvoyés il y a deux ou trois mois seulement, et par leur âge ils
ont dû faire partie du premier ban de la garde civique ; ils n’ont donc pas pu
servir de remplaçants.
M.
A. Rodenbach. - Je voterai pour le rappel des
miliciens de la classe de 1826. Ces soldats sont exercés, peu de jours
suffiront pour rendre leur humeur guerrière, ce sera 8,000 hommes de plus pour
l’armée, et nous en avons besoin ; Guillaume prodigue en ce moment les grades
et les décorations à son armée. Il serait temps que le gouvernement songeât à
créer une décoration. Quelques philosophes du congrès ont ridiculisé les
décorations, et les ont traitées de hochets : Messieurs, au moment d’une
guerre, ces hochets sont nécessaires. Tous les braves ne sont pas philosophes,
et bien des braves font beaucoup de cas de l’étoile de l’honneur.
M.
Delehaye. - On pourrait ne pas appeler tous ceux
qui font partie du premier ban de la garde civique.
M. Jamme appuie cette
proposition.
M. Destouvelles.
- Mais les questions de remplacement sont encore, ce me semble, étrangères à
l’objet de la loi.
M. Delehaye.
- Je parle aussi contre le projet, il faudrait une loi toute nouvelle.
M. Legrelle.
- Je sais que nous avons besoin d’hommes, et malgré tout mon désir de seconder
les vues du gouvernement, je ne saurais approuver le projet s’il n’est pas
modifié. Vous allez ouvrir, par son adoption, une foule de différends et de
procès. Le remplaçant ne voudra pas partir, ayant été congédié ; le remplacé
dira de son côté qu’il a fait son service : de là des difficultés sans nombre.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere).
- Il n’y a aucun doute que le remplaçant doit être appelé pour le remplacé.
Dans tous les contrats de remplacements, le remplaçant ne s’engage pas à servir
trois ou quatre ans, par exemple ; mais il s’engage à remplir toutes les
obligations du milicien. Le gouvernement veut de bons militaires, et non pas
des conscrits. Les remplacés n’ont pas servi ; ils ne rempliraient pas notre
but : ce sont les remplaçants qu’il nous faut.
- Ici une très
longue discussion s’engage sur les difficultés que pourrait occasionner cette
loi entre les remplaçants et les remplacés. Une foule d’orateurs sont entendus,
et chacun se livre à des suppositions et à des raisonnements pour prouver que
ces difficultés seraient innombrables. M. Jamme prend la parle sept fois, M. Jullien.
quatre fois, M.
le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) trois fois, M. Legrelle
dix fois. Beaucoup d’autres membres prennent plusieurs fois la parole. On propose
plusieurs amendements.
Quelques orateurs soulèvent la
question d’inconstitutionnalité de l’arrêté de M. le régent, du 16 juin 1831.
La discussion semble devoir être interminable.
M. A. Rodenbach.
- Si nous allons épiloguer encore sur le projet, nous n’aurons pas d’armée, et
le 10 octobre viendra, et les coups de canon du roi de Hollande seront beaucoup
plus inconstitutionnels que la loi.
M. Jullien dmande le renvoi
du projet à une commission, pour le mettre en rapport avec les lois sur la
milice.
M. Legrelle.
- Je demande que le projet soit renvoyé à M. le ministre, pour qu’il nous en
présente un plus parfait.
M. Jullien. - Je me réunis à
l’amendement de M. Legrelle.
- Cet amendement
donne lieu à une nouvelle discussion.
M. Devaux. - Pour abréger la
discussion et apaiser tous les scrupules, je demande que nous adoptions la loi
telle qu’elle est, sauf à nommer une commission qui sera chargé de nous
présenter un projet de loi destiné à prévenir les remplacements et à expliquer
les obligations des remplaçants et des remplacés.
Cette proposition, appuyée par M. Rogier, qui
demande aussi l’adoption pure et simple du projet, est adoptée après une assez
ongue discussion.
Tous les amendements proposés ont été
ensuite renvoyés à la commission.
Enfin, les différents articles du
projet sont successivement adoptés en ces termes :
« Art. 1er. L’arrêté du régent
du 16 juin 1831, concernant les miliciens de 1826, est rapporté. »
« Art. 2. Les miliciens non
mariés, appartenant à la dite classe de 1826, sont rappelés sous les drapeaux,
et serviront activement jusqu’à la paix. »
« Art. 3. La présente loi sera
obligatoire dans tout le royaume le troisième jour après celui de sa
promulgation. »
On procède l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ;
elle est adoptée par 61 voix contre une.
L’opposant unique est M. Seron.
M. le président.,
du consentement de l’assemblée, nomme la commission chargée de proposer une loi
sur es cas de remplacements ; elle se compose de MM Leclercq, Bourgeois,
Devaux, Rogier et Van Innis.
M. Leclercq, fait au nom de
la section centrale, un rapport sur le projet de loi qui autoriserait le Roi à
employer dans l’armée des officiers étrangers Il conclut à l’adoption pure et
simple du projet.
- La discussion est ouverte sur
l’ensemble.
M.
de Nef. (de Turnhout). - Messieurs, je voterai
sans discussion en faveur du projet ; mais je n’aime pas à entendre si souvent
dénigrer notre armée. Si les Hollandais ont obtenu quelque succès de leur
agression déloyale, c’est à la supériorité du nombre qu’ils le doivent. Si le
corps du général Niellon, composé de 14 ou 1,500 hommes réunis à 3 ou 400
braves gardes civiques de Turnhout, a retenu un corps de 15,000 Hollandais, je
demande, ce corps n’a-t-il pas bien mérité de la patrie ? Ainsi, en votant pour
le projet, j’espère que M. le ministre n’oubliera pas nos braves officiers
belges.
M. Tiecken de
Terhove. - Il faut espérer que bientôt le pays
nous fournira des officiers capables, et que nous n’aurons plus besoin de
recourir à l’étranger ; je demande donc que la loi n’ait d’effet que jusqu’à la
paix.
M. Legrelle.
- La constitution, pour admettre des étrangers dans les emplois civils ou
militaires, exige que la loi d’admission soit faite pour des cas particuliers.
Dans ces circonstances, le cas particulier, c’est la guerre ; je demande que
l’effet de la loi expire à la paix.
M. Liedts.
- Le cas particulier dont il s’agit, c’est de sauver l’Etat.
M. Bourgeois.
- Les considérants du projet expliquent très bien l’objet de la loi ; je
demande leur maintien.
M. C. Rodenbach.
- Je demande que la loi soit rédigée comme le fut le décret du congrès :
« Le Roi, disait ce décret, est autorisé à employer jusqu’ la paix… »
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere).
- Je suis tout à fait d’avis que la faculté de prendre des officiers à
l’étranger cesse à la paix. Mais je ne peux pas admettre que ceux qui viendront
faire la grerre avec nous cessent de faire partie de l’armée à la paix.
De toutes parts.
- Non ! non ! Aux voix !
- La discussion sur l’ensemble est
clôturée.
M. le président
lit l’article premier en ces termes : « Le Roi est autorisé à pendre au
service de l’Etat tel nombre d’officiers étrangers qu’il jugera nécessaire ou
utile pour le bien du pays. »
M. de Theux
propose de dire : « Le Roi est autorisé jusqu’à la paix, etc. »
M. Destouvelles
demande qu’on laisse l’article tel qu’il est, en y ajoutant ces mots :
« Cette autorisation cesse à la paix. »
M. Devaux ne trouve pas cette
rédaction assez claire, et il propose d’ajouter à l’amendement de M.
Destouvelles les mots : « pour toute nouvelle admission, » en
sorte que l’article premier porterait :
« Le Roi est autorisé à prendre
au service de l’Etat tel nombre d’officiers étrangers qu’il jugera nécessaire
ou utile pour le bien du pays.
« Cette autorisation cese à la
paix pour toute nouvelle admission. »
- Cette rédaction est mise aux voix
et adoptée.
Les articles 2, 3 et 4 sont ensuite
adoptés sans discussion en ces termes :
« Art. 2. Avant d’entrer en
fonctions, ils prêteront le serment prescrit aux officiers de l’armée. »
« Art. 3. Le Roi est également
autorisé à employer des officiers étrangers qui, sans renoncer à leurs grades
et prérogatives dans leur patrie, offriraient leurs services pour la durée de
la guerre. »
« Art. 4. La présente loi sera
obligatoire le troisième jour après celui de sa promulgation. »
« Mandons et ordonnant que les
présentes, revêtues du sceau de l’Etat, insérées au Bulletin officiel, soient adressées aux cours, tribunaux et
autorités administratives, pour qu’ils les observent et fassent observer comme
loi du royaume. »
On procède à l’appel nominal sur
l’ensemble de la loi ; elle est adoptée à l’unanimité. Les membres présents
étaient au nombre de 62.
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M. Liedts donne lecture d’une
lettre de M. Gendebien, annonçant qu’une indisposition l’empêche de prendre part
aux travaux de la chambre.
- La séance est levée à trois heures.