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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 14
octobre 1831
Sommaire
1) Vérification des pouvoirs des membres
nouvellement élus
a) Elections non contestées (Van Meenen, de Woelmont)
b) Elections contestées (Ch.
de Brouckere) (de Robaulx, Delehaye,
de Theux, Legrelle)
2) Projet de loi relatif à la sûreté de l’Etat
(notamment droits des étrangers et respect de la liberté individuelle) (Dewitte, Davignon, Delehaye, Bourgeois, Osy, Devaux, A.
Rodenbach, Raikem, Jullien, A. Rodenbach, Helias d’Huddeghem,
Lebeau, Osy, Legrelle,
Lebeau, A. Rodenbach, Leclercq, de Theux, Gendebien, Blargnies, Raikem, Legrelle, de Theux, Gendebien, Devaux, d’Elhoungne, Devaux, d’Elhoungne, H. de Brouckere, Bourgeois, Nothomb)
(Moniteur belge n°123, du 16 octobre 1831)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est ouverte
à une heure.
M. Dellafaille lit le procès-verbal
; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à
la commission.
VERIFICATION DES
POUVOIRS DES MEMBRES NOUVELLEMENT ELUS
M. F. de Mérode, rapporteur de la commission
chargée de la vérification des pouvoirs, propose l’admission de M. Van Meenen,
nommé par le district d’Ypres.
- L’admission est
prononcée.
M. Legrelle, autre rapporteur de la même commission, expose
à la chambre que M. de Brouckere a été élu à Bruxelles, et, les opérations
ayant été trouvées régulières, il propose son admission.
M. de Robaulx. - Ce n’est pas pour
m’opposer au conclusions du rapporteur que je prends la parole, mais pour
exprimer le regret de ce que, dans plusieurs communes populeuses, le tiers des
électeurs inscrits ne sont pas convoqués. Ce fait m’a été attesté par un
habitant digne de foi, de la commune d’Ixelles. Là, m’a-t-on assuré, il y a un
grand nombre d’électeurs qui n’ont pas été convoqués du tout.
M. Delehaye. - Il me semble que,
si ce fait était exact, ce serait un motif pour annuler l’élection. Je demande
donc que le fait soit vérifié.
M. de Robaulx. - Je n’ai pas cité
ce fait comme un motif d’annuler l’élection ; mais je l’ai signalé parce qu’il
m’a été attesté par un citoyen respectable, persuadé que cette observation, qui
sera reproduite par la presse, suffira pour que de pareilles négligences ne se
renouvellent plus.
M. de Theux.- Il est facile de
faire la vérification qu’on a demandée ; car les noms de ceux qui ont été
convoqués, et qui ont reçu des billets, sont signalés en marge des listes avec
la date du jour où ils sont reçu leur billet de convocation.
M. Legrelle fait remarquer que cette vérification est
impossible dans le cas actuel, parce que l’annotation en marge ne se trouve pas
sur le procès-verbal ; mais il persiste à demander l’admission de M. Charles de
Brouckere.
- Cette admission est
mise aux voix et prononcée.
Sur la proposition de
M. de Theux, M. le baron de
Woelmont, élu par le district d’Hasselt, est également admis.
PROJET DE LOI RELATIF
A LA SURETE DE L’ETAT
Discussion générale
L’ordre du jour est
la continuation de la discussion du projet de loi sur la sûreté de l’Etat.
M. Dewitte. - Messieurs, dans
les circonstances majeures actuelles, nous ne devons avoir qu’un seul et même
but, celui d’aider le gouvernement dans tout ce qu’il juge nécessaire pour
sauver la chose publique.
Partant de ce principe,
et quoique le projet en discussion contienne des dispositions, savoir : celles
relatives aux étrangers, l’emprisonnement préalable et les visites
domiciliaires, qui ne paraissent pas en harmonie avec la constitution, je ne
trouve aucune délicatesse à les approuver.
Mon opinion est basée
sur ce que dit Montesquieu, dans son Esprit des lois, tome I, livre XC,
chapitre VI, intitulé : « De la constitution anglaise, » pp. 316-317.
« Si la puissance législative, dit-il, laisse à
l'exécutrice le droit d'emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de
leur conduite, il n'y a plus de liberté, à moins qu'ils ne soient arrêtés pour
répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale ; auquel
cas ils sont réellement libres, puisqu'ils ne sont soumis qu'à la puissance de
la loi…
« Mais, si la puissance législative se croyait en
danger par quelque conjuration secrète contre l'Etat, ou quelque intelligence
avec les ennemis du dehors, elle pourrait, pour un temps court et limité,
permettre à la puissance exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui
ne perdraient leur liberté pour un temps que pour la conserver pour
toujours. »
Le gouvernement nous
dit, messieurs, que ce danger existe.
Et qui peut mieux
savoir s’il existe des circonstances de la nature de celles indiquées par
Montesquieu que le gouvernement ?
Si le gouvernement
vous dit qu’il en existe, pourquoi faut-il en douter ?
Si le gouvernement
vous dit qu’il est urgent d’y pourvoir, pourquoi faut-il hésiter de lui mettre
entre les mains les moyens de les éluder ?
Voulez-vous qu’il
vous explique les circonstances d’un bout à l’autre ?
Qu’il vous indique
d’avance les personnes qu’il a droit de suspecter ?
Qu’il vous dévoile en
quoi consistent leurs menées liberticides ?
Les lieux où ils se
rassemblent ?
Ce serait le vrai
moyen de favoriser ces menées, et de rendre illusoires toutes les mesures que
le gouvernement pourrait prendre après que nous l’aurions autorisé à agir.
Quels motifs
avons-nous de suspecter la sincérité du gouvernement, de croire qu’il soit
capable d’abuser du pouvoir qu’il réclame, et d’en faire un instrument de
vexation ?
Aucun, messieurs ;
l’état de guerre dans lequel nous nous trouvons, tout ce qui s’est passé
naguère et ce qui se passe autour de nous justifie suffisamment, d’après moi,
la justesse et la nécessité de la mesure proposée.
D’ailleurs, ceux
d’entre mes honorables collègues qui ont parlé contre le projet de loi ont dit
qu’ils ont confiance dans les ministres actuels. Plusieurs même ont déclaré
qu’il est à désirer qu’ils restent longtemps aux affaires.
D’après cela,
messieurs, il est impossible que j’aie quelque méfiance à leur égard ; je
partage volontiers la confiance qu’ils inspirent aux autres, et je me plais à
croire qu’ils sont incapables d’abuser du pouvoir que des circonstances
impérieuses les obligent de provoquer.
« Mais, dit-on,
nous ne pouvons adopter la loi sans violer la constitution, la sauvegarde de
nos libertés, la constitution à laquelle nous avons juré obéissance. »
Oui, messieurs, nous
avons juré obéissance à la constitution.
Mais cette
constitution ne nous dit-elle pas, ne nous ordonne-t-elle pas même de faire
tout ce qui est en notre pouvoir pour la conserver, pour prévenir tout ce qui
pourrait tendre à la faire périr ?
N’est-ce pas lui
obéir, n’est-ce pas observer religieusement notre serment, lorsque dans un
moment critique, dans un moment de danger, nous autorisons des mesures que le
gouvernement juge indispensables pour la sauver en entier ?
Je pense que oui,
messieurs, et j’y ajoute que celui qui s’écarterait momentanément, et en
quelques points, de la religieuse observance de la constitution, dans le but
unique de condescendre à une mesure énergique, jugée nécessaire pour sauver
cette même constitution dans une circonstance épineuse, ne la viole pas, mais
la protège.
Et, comme Montesquieu dit que si la puissance
législative, se croyant en danger par quelque intelligence avec les ennemis du
dehors, peut, pour un temps court et limité, permettre à la puissance
exécutrice de faire arrêter les citoyens suspects, qui ne perdraient leur
liberté pour un temps que pour la conserver pour toujours, nous pouvons et nous
devons même nous écarter de la stricte observance de la constitution, pour un
temps, afin de la conserver pour toujours. Je ne puis donc refuser mon
assentiment à la loi proposée. J’ai dit.
M. Davignon prononce un discours
contre le projet de loi.
M. Delehaye. - Messieurs, au point
où en est venue la discussion, je croirais abuser de vos moments précieux si je
n’étendais sur les nombreuses imperfections dont la loi est entachée.
Après les honorables
membres qui ont traité si lumineusement la question d’inconstitutionnalité, il ne
me reste plus qu’à motiver succinctement mon vote, qui sera négatif.
La révolution,
messieurs, a dû nécessairement froisser bien des intérêts ; elle a pu desséché,
pour quelque temps encore, la source de toute prospérité publique. Après de
graves commotions politiques, la perte de confiance, seul soutien du commerce,
a dû renverser les projets de plus d’un industriel. Pour tant de pertes,
qu’avez-vous octroyé à la nation ? L’espoir, fondé peut-être, d’un avenir plus
heureux, et la jouissance de droits qu’il n’appartient plus au bon plaisir du
gouvernement de vous enlever.
A peine, messieurs,
sommes-nous mis en possession de l’exercice de notre pacte fondamentale, que
des lois, toutes dictées par les circonstances, et qui ne paraissaient pas à
quelques-uns de vous exemptes d’inconstitutionnalité, sont venues plus ou moins
paralyser l’exercice de nos droits. Il faut toutefois le dire : l’urgence du
moment, la défense de notre sol, nous en imposaient l’adoption. Mais
aujourd’hui qu’en France même, où les carlistes, bien plus forts que les
partisans du pouvoir que nous avons renversé en Belgique, s’agitent sans
relâche pour relever une dynastie dont la nation, dans sa toute-puissance, a
prononcé la proscription, et où, cependant le gouvernement ne songe pas à mettre
hors la loi une partie de la nation, où le seul pouvoir octroyé par la charte
suffit pour assurer le triomphe du parti légal, on nous proposera en Belgique
une loi qui viole à la fois le droit d’hospitalité que tout étranger a droit de
réclamer, qui avilit l’ordre judiciaire en le soumettant ignominieusement à un
chef de police, qui renverse le principe de l’inviolabilité du domicile, qui
enlève à quelques hommes une partie de leur nationalité ; en un mot, une loi
tellement vague, tellement arbitraire, qu’elle va jusqu’à consacrer en principe
que tout étranger est réputé suspect jusqu’à preuve du contraire ! Non,
messieurs, vous ne donnerez pas un vote affirmatif à une loi qui souillerait la
glorieuse révolution à laquelle nous devons une charte que les nations voisines
nous envient.
Les considérations
que je viens de vous soumettre ne sont pas les seules que j’invoque à l’appui
de mon vote ; peut-être même que l’urgence du moment aurait dissipé mes
scrupules à cet égard, et, malgré toute la répugnance qu’elle m’inspire,
aurais-je donné un vote tout de confiance à une loi que l’intégrité du ministre
de qui elle émane pouvait seule défendre.
C’était cette même
confiance qui m’avait dicté mon vote en faveur des lois que l’urgence avait
rendues nécessaires.
Vous avez prouvé, en discutant ces lois, que le salut
de l’Etat était pour vous un objet constant de sollicitude. C’était pour
atteindre ce but légitime, où tendaient tous vos efforts, que vous êtes allés
jusqu’aux dernières limites de la loi fondamentale : vous n’avez négligé aucun
des nombreux moyens dont elle vous permet l’usage ; sa conservation,
d’ailleurs, vous en montrait l’impérieuse nécessité. Cette mêmes conservation
vous imposait l’obligation de ne dépasser jamais les termes qu’elle vous avait
prescrits : car, vous le saviez, les dépasser eût fait naître le germe d’une
révolution nouvelle. Si la loi fondamentale, palladium de nos droits, de notre
existence politique, ne renfermait point en elle les moyens propres à nous en
conserver la possession, il faudrait en provoquer le changement : jusque-là,
messieurs, elle doit rester intacte. Il serait, en effet, étrange que, pour
assurer sa domination, il fallût la déchirer, la détruire. Nous n’en sommes pas
réduits à la triste extrémité de ne pouvoir sauver l’Etat qu’en détruisant ce
qui lui a donné l’existence.
La loi qui est soumise à vos discussions tend à
renverser notre charte ; elle consacre une inconstitutionnalité que le danger
le plus imminent ne saurait légitimer, et que les circonstances rendent même
inutile.
M. Bourgeois résume la discussion ; il émet ensuite les raisons
qui l’obligent de suspendre son vote jusqu’à la fin du débat.
M.
Osy. - A la première lecture du projet de loi qui
vous est soumis, il me paraissait qu’il n’y aurait pas de doute sur le rejet
par la section centrale ; cependant, je ne me suis pas laissé aller à la
première impression, et, après l’avoir étudié avec attention, avoir suivi les
discussions, je vous avoue que je regrette qu’on nous ait présenté une pareille
loi. Je n’entrerai pas dans les raisons et les détails de mon vote négatif ;
car, d’après tout ce qu’on vous a dit depuis deux jours, je ne pourrais
qu’entrer dans des répétitions très imparfaites, et, en prenant la parole, ce
n’est nullement pour vous entretenir longtemps, mais pour vous faire voir tous
les dangers qu’il y aurait d’accepter la loi. Soyez sûrs, messieurs, qu’elle
ferait croire à nos ennemis que nous sommes entourés de grands dangers, et on
en profiterait pour affaiblir la Belgique par les traités qu’on devra nous
présenter sous peu (car nous approchons de nouveau de l’époque fixée pour la
suspension d’armes) ; et cependant, messieurs, quoique notre situation paraisse
ne pas s’être améliorée depuis l’arrivée du souverain qui a bien voulu
consentir à se mettre à la tête de nos affaires assez embrouillées, je crois
que nous devons tous dire que, depuis un an, le pays n’a pas été plus
tranquille que depuis son arrivée, et que tous les partis attendent avec
résignation et confiance le sort qui est réservé à la Belgique ; et ce serait
lui faire affront que de voter une loi comme celle qui vous est présentée.
Je me serais même
borné à donner mon vote, si hier un député n’avait pas, d’après moi, d’une manière
peu convenable, critiqué l’opposition, et fait croire que les votes négatifs
que vous allez entendre sont une opposition dangereuse et hors de saison.
Parmi plusieurs
membres du ministère, je crois pouvoir dire que j’ai des amis ; mais en
affaires, je ne consulte plus l’amitié, mais les choses, et je crois que c’est
un service à leur rendre de leur dire notre pensée toute entière et même de
voter contre leurs projets, quand on le fait par conviction ; ainsi, pour ce
qui me regarde, on ne me verra jamais d’une opposition systématique ni d’une
confiance aveugle, et je prétends que nous rendons service au gouvernement de
l’éclairer et de l’empêcher de faire des faux pas, et la loi projetée amènerait
les plus graves inconvénients.
Je n’entrerai pas
dans des détails pour vous prouver que le projet est tout à fait
inconstitutionnel : notre honorable collègue M. Leclercq vous l’a démontré de
la manière la plus claire.
Vous sentez bien,
messieurs, que beaucoup de nationaux et d’étrangers (établis dans ce pays depuis,
mais pas avant 1814) ont été fortement lésés dans leurs intérêts par la
révolution, et, comme je l’a souvent répété, beaucoup de négociants et
d’industriels n’attendent que la conclusion de nos affaires pour prendre un
parti, et voir s’ils pourront alors continuer à exercer avantageusement chez
nous leur commerce et leur industrie, et s’ils se décideront à rester avec nous
ou s’ils iront s’établir en Hollande, comme cela s’est fait dans le 16ème
siècle, ce qui a enrichi les provinces-unies au détriment des provinces restées
fidèles aux Espagnols. Ils sont restés ici, quoique sans occupation, sur la foi
de votre constitution ; mais si vous continuez à la démolir peu à peu, et que,
même sous le bon plaisir d’un administrateur de la police, nous puissions être
inquiétés dans nos domiciles, être obligés de lui livrer nos secrets les plus
intimes, et même voir la déportation des étrangers ou les voir privés de leur
habitation habituelle, pour aller dans les communes qu’on voudra leur indiquer,
alors soyez sûrs, messieurs, que l’incertitude de cette classe utile et
nécessaire (et pour laquelle nous devrions tout faire pour la retenir) ne sera
plus longue, et qu’elle n’attendra pas l’issue de nos affaires pour prendre un
parti. Avant peu, je vous prédis de nombreuses émigrations si votre loi passe,
et quand une fois nos industriels auront fui votre terre qui sera devenue
inhospitalière, vous gémirez inutilement, et vous verrez qu’il faudra bien des
années pour faire revenir ces nombreux capitaux et cette industrie, cette
activité, qui ont fait le plus bel ornement de notre pays pendant les 15
dernières années.
Sans toutes ces
mesures exceptionnelles, surveillez les étrangers qui arrivent, en exécutant
les lois sur les passeports ; alors il ne faudra pas, comme on l’a dit hier,
une nuée de juges d’instruction, qui borderont vos grands routes ; mais
ayez à la frontière de bons agents, qui examineront l’arrivée des étrangers,
qui ne recevront pas ceux dont les passeports ne sont pas en règle, et qui
recevront ceux dont les passeports seront exacts. Il ne sera pas difficile de
savoir le but de leur voyage, et de distinguer ceux qui viennent chez nous sur
la foi des lois et de la constitution, vivre tranquillement chez nous, ce
qu’ils n’auront peut-être pas pu faire chez eux, et pour cela, il y a assez
d’éléments dans différents Etats de l’Europe.
La loi proposée doit
faire croire à l’étranger, et surtout à la conférence, qui ne paraît pas être
notre amie aujourd’hui comme elle l’était il y a trois mois, que nous ne sommes
pas dignes de vivre indépendants, et que nous sommes un peuple remuant, tandis
que, depuis l’arrivée du souverain de notre choix, toutes les opinons se sont
confondues comme par miracle, et même ceux opposés à l’ordre des choses, à
cause de leur intérêt, attendent l’issue de nos affaires avec résignation.
L’opinion donc, qu’aura de nous l’étranger, nous sera des plus nuisibles, et
soyez sûrs que l’on fera tout ce que l’on pourra pour nous affaiblir, nous
empêcher de nous constituer en nation indépendante.
Par toutes ces considérations, si le ministère
ne trouvait pas convenable de retirer son projet, ce que je désirerais, je
serais obligé de voter contre, et je dois encore le répéter à un honorable
député assis sur un banc derrière moi (M.
Devaux), je ferai de même chaque fois qu’on nous présentera des lois
dangereuses, et qui me paraîtront être contre l’intérêt du pays ; cependant, on
aurait tort de me classer, comme on paraît vouloir le faire, parmi
l’opposition.
M. Devaux. - Messieurs, je
répondrai à l’honorable membre, qui m’a adressé un reproche personnel, que dans
mon discours d’hier je n’ai pas attaqué les intentions de l’opposition.
Seulement je me suis élevé contre les termes peu convenables qu’on avait
employés dans la discussion.
M. A. Rodenbach. - Les orateurs qui
ont combattu, dans la séance d’hier et d’avant-hier, le projet de loi, ont
traité la matière avec talent et éloquence. Je partagerais entièrement
l’opinion de mes honorables collègues si Guillaume était encore sur le trône de
la Belgique, et si Van Maanen, ex-ministre des mouchards sous le roi Louis,
était encore ministre de la justice parmi nous. (On rit.) Je remarque que la loi en discussion a été
considérablement adoucie par la section centrale ; si elle contenait encore des
hérésies constitutionnelles, il serait facile de les faire disparaître par des
amendements.
Vous n’ignorez pas,
messieurs, que des hommes vendus à nos anciens tyrans parcourent le pays munis
de passeports délivrés par les généraux ennemis, et même avec des permis signés
Van Maanen. A la veille d’une guerre, il faut une digue aux agression d’une
masse de vagabonds et d’espions qui, naguère sans moyens d’existence,
prodiguent aujourd’hui un or corrupteur, afin de dévoiler nos plans et nos
moyens de défense.
Nos ennemis sont bien
plus prudents ; les Belges et même les étrangers sont refoulés du territoire
hollandais, s’ils ne sont pas jetés dans les cachots. Je citerai un fait récent
:
M. Géruzet, lexicographe, habitant la Belgique depuis
neuf ans, partit en septembre dernier pour la Hollande, muni d’un passeport
délivré par le général Belliard. Il fut arrêté à Rotterdam en vertu d’un ordre
du directeur de police Klinker. Ce Vidocq d’outre-Moerdyk (nouvelle hilarité) déclara gibier de police cet homme de lettres,
parce que ses mouchards avait cru sentir une odeur d’espionnage. Après avoir
passé six jours au secret le plus rigoureux, M. Géruzet écrivit à l’ambassadeur
français à La Haye. Sa lettre fut interceptée par le procureur du Roi ; ce ne
fut que le surlendemain qu’il parvient à faire donner un avis verbal au consul
de commerce à Rotterdam ; il ne fit élargi que trois jours après, avec ordre de
repasser la frontière dans les 24 heures.
Je donnerai mon
adhésion au projet de loi, parce que ce n’est qu’une loi d’exception et de
circonstance ; c’est une arme d’un jour que nous briserons le lendemain.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Mon intention
n’était pas de prendre de nouveau la parole ; mais il a été fait quelques
observations qui, je crois, nécessitent de nous une réponse. Je ne rentrerai
pas dans la discussion des principes ; je ne parlerai pas même de la loi du 26
vendémiaire an VI, qu’un honorable membre a cité hier avec les arguments d’un
journal qui a paru récemment. Je crois inutile, dans les circonstances
actuelles, de répondre à cette observation ; mais j’éprouve le besoin de
relever quelques assertions.
Un orateur, messieurs,
a attaqué directement un de mes collègues, et il est nécessaire de ne point
passer sur cette attaque. « Voyez, vous-a-t-on dit, comme les ministres
avancent des assertions à la légère, » et on a parlé de l’article 6
primitif du projet de loi relatif aux armes. On a dit que le ministre de la
guerre avait dit, dans le sein de la commission qui proposait de modifier les
dispositions rigoureuses de cet article, qu’il y consentait volontiers, parce
qu’il n’en avait pas besoin. Ici j’invoquerai un témoignage qui ne sera pas
suspect, c’est celui de M. d’Elhoungne, rapporteur de la section centrale sur
le projet de loi sur les armes ; et si je commets quelque inexactitude, il est
présent, il pourra me contredire.
Eh bien ! M.
d’Elhoungne vous a dit que le ministre de la guerre s’était rendu dans la
section centrale au moment où elle discutait le projet ; que là, il avait
déclaré, ainsi que tous les membres qui assistaient à cette délibération le
savent, qu’il avait été nécessaire de mettre dans le projet une disposition
concernant la prohibition des armes, parce qu’au moment où il avait été
présenté, il avait le besoin le plus pressant d’armes, mais qu’il était parvenu
depuis à se procurer ce qui lui était nécessaire. Après avoir ainsi justifier
mon collègue, ce qui était pour moi un devoir, je reviens à la question qui
nous occupe.
Quant au reproche
d’inconstitutionnalité qu’on a fait à la loi, je me bornerai à dire quel a été
le but des ministres : c’était de se faire accorder un pouvoir extraordinaire,
il est vrai, mais qui ne sortît pas des limites de la constitution. Il est
possible, messieurs, que le ministère ait été trop loin dans son projet de loi
primitif ; tout le monde est sujet à l’erreur : la section centrale a proposé
un amendement, et le ministre s’y est rallié. Cependant, j’ai déjà eu l’honneur
de dire qu’on pouvait bien soutenir que le projet, tel qu’il était d’abord
présenté, ne sortait pas des bornes fixées par la constitution. Le pouvoir,
messieurs, dans les circonstances où nous nous trouvons, n’est qu’un fardeau,
rien autre chose ; et si nous avons le courage de porter ce fardeau, ce n’est
pas certainement pour vexer les citoyens, mais pour contribuer de toutes nos
forces au salut du pays. (Approbation.)
On a parlé de
l’emprisonnement préalable, et on s’est beaucoup élevé contre cette disposition
du projet. Mais je crois, messieurs, que cette disposition est nécessaire dans
les circonstances actuelles ; et ici je vous signalera un fait que M. le
ministre de la guerre m’a autorisé à relever devant cette assemblée. Il y avait
deux employés au ministère de la guerre (et quand il y a grand travail à faire,
on est bien obligé de le confier aux employés) ; il y avait, dis-je, deux
employés qui ont demandé leur démission, ce qu’on ne peut empêcher. Le
gouvernement est maintenant informé que ces deux individus avaient l’intention
de passer en Hollande. Plusieurs preuves attestent suffisamment que telle était
leur intention. Mais ces employés pourront dire : Ce n’est pas en Hollande que
nous voulons aller, mais dans notre famille, en France, etc. Eh bien !
messieurs, le code pénal n’était pas applicable, et alors le gouvernement reste
sans action contre ces deux individus.
On a dit que Napoléon
n’avait pas eu recours aux lois d’exception. Messieurs, Napoléon n’en avait pas
besoin ; il avait ses prisons d’Etat.
Pour en revenir aux
deux employés, au moyen de la peine plus douce que nous vous demandons, ils
peuvent très facilement être poursuivis par la voie judiciaire. Les
gouvernements ont toujours pris leurs précautions pour empêcher que leurs
desseins ne parviennent à la connaissance de leurs ennemis, et c’est pour cela
qu’il fait nous accorder les moyens que nous vous demandons. D’ailleurs, la
loi, en permettant d’exercer des poursuites correctionnelles contre ceux qui
auront entretenu des intelligences avec une puissance ennemie, n’a pas
seulement pour but de punir ; elle a un autre but plus utile, celui de prévenir
ces intelligences.
Vous voyez, messieurs, par toutes ces observations,
que le but des ministres n’est pas de vexer les citoyens, mais qu’ils cherchent
un tout autre but, digne d’eux et du pays.
Je dirai un mot aussi
relativement aux étrangers. Un honorable député d’Anvers nous a parlé, à cet
égard, de la loi des passeports. Mais est-ce qu’à Anvers on ne fait pas exhiber
les passeports ? Est-ce que la loi n’est pas exécutée ? C’est la municipalité
d’Anvers qui est chargée de ce soin, et je sais qu’elle s’en acquitte.
Dans la réalité,
messieurs, la loi qu’on vous propose n’est qu’une mesure de police, de
précaution, qui cessera avec la nécessité.
M. Jullien. - Si MM. les
ministres n’avaient pas été entendus plusieurs fois, je n’aurais pas demandé
une seconde fois la parole ; mais je crois maintenant nécessaire de répondre à
quelques arguments.
Messieurs, après les
fléaux qui viennent de temps en temps désoler les sociétés humaines, je ne
connais pas de plus grandes calamités que les mesures arbitraires, par
lesquelles les gouvernement signalent leur passage au pouvoir, en demandant des
décrets, des lois extraordinaires, sous le prétexte de la nécessité du moment.
Quelquefois on a besoin de prendre un parti. Mais les circonstances passent,
les hommes s’en vont, et les mauvaise lois restent. De là cet inextricable chaos
de lois qui nous ont été léguées depuis quarante ans, chaos dans lequel on ne
peut se reconnaître, vaste arsenal dans lequel les partis trouvent des armes
pour se combattre. Vous trouverez peut-être mon idée bizarre : mais les
meilleurs ministres, selon moi, seraient ceux qui, au lieu de passer leur temps
à faire des lois nouvelles, l’emploieraient avec discernement à en faire la
plus grande quantité possible. (On rit.)
L’honorable membre aborde les arguments que l’on a
fait valoir en faveur de la loi ; il les combat un à un, et termine ainsi :
Messieurs, s’il faut
que la liberté succombe, que les dernières paroles qui retentissent dans cette
enceinte ne soient pas pour l’arbitraire, mais pour la liberté ! (Sensation.)
M. A. Rodenbach. - J’affirme que tout
ce que le ministre de la justice vient de nous dire relativement aux passeports
d’Anvers est de la plus exacte vérité ; j’ajouterai que ce sont les échevins
d’Anvers qui ont visé les passeports délivrés par les généraux ennemis, tels
qu’un Wildeman, commandant de Breda, et plusieurs autres. J’en appelle au
témoignage du bourgmestre d’Anvers, M. Legrelle, ici présent.
M. Helias
d’Huddeghem. - Quoiqu’il y ait des dispositions, messieurs, dans
le projet de loi qui devront nécessairement être amendées lors de la discussion
des articles, notamment en ce qu’il place les étrangers en général sous la
surveillance spéciale du gouvernement, qui s’étendrait même à reconnaître au
gouvernement le droit de les admettre ou de les repousser du sol de la
Belgique, et dans les attributions conférées par le projet de loi à
l’administrateur-général de la sûreté publique, lui conférant une partie des
fonctions qui, dans ma manière de voir, ne peuvent appartenir qu’aux juges, la
discussion générale, par le ton d’aigreur qu’on y a mis, m’a affligé, messieurs
; en effet, on croirait que la patrie est menacée d’une régime de terreur, ou
tout au moins qu’on voudrait renouveler les dispositions de l’arrêté du 20
avril 1815, sous le régime duquel nous avons vécu pendant quinze ans, qui
menaçait les personnes qui semaient le trouble et la méfiance, d’un châtiment
qui pouvait aller d’une année de prison et de six heures de carcan jusqu’à la
peine de mort inclusivement.
Disons-le avec
franchise, ces sorties vives sont très déplacées dans ce moment, parce qu’elles
doivent avoir pour résultat d’accréditer au loin la croyance qu’on voudrait
réellement établir en Belgique une loi des suspects, selon les uns, ou bien
introduire dans notre système constitutionnel un grand inquisiteur, selon les
autres. Eh ! messieurs, il est triste qu’on ne veuille pas au moins de rappeler
la conduite tenue par les Belges et par son gouvernement provisoire, lorsque la
constitution n’était pas encore décrétée, et par conséquent qu’aucune
responsabilité ministérielle n’existait : jamais gouvernement révolutionnaire
n’eut pour les personne un plus profond respect. Pendant six mois que dura son
autorité, pas une seule arrestation arbitraire, pas une seule poursuite devant
les tribunaux, par un seul acte de violence contre qui que ce soit. L’échafaud
n’a été dressé pour personne ! Le sang humain n’a point coulé sur les places
publiques ! La révolution belge en est restée pure !
Mais ne doit-on pas
attribuer à la trop grande douceur de notre gouvernement révolutionnaire
l’audace du petit nombre de nos adversaires ? Si le gouvernement avait eu des
moyens préventifs, n’aurait-il pas pu prévenir l’échauffourée d’un Grégoire ?
Car les courses fréquentes de Grégoire et de ses amis à l’étranger étaient
connues de toute le monde. Je dis l’échauffourée d’un Grégoire, puisqu’en effet
il n’a eu que la honte de sa tentative. Mais hélas ! elle a coûté la vie à plus
de 45 victimes, et Grégoire a été acquitté ! Je n’insiste plus sur ce fait ;
mais je veux seulement en tirer la conclusion qu’avec trop d’indulgence nous
nous exposons à compromettre la tranquillité même de nos concitoyens. Et je ne
vois pas là de la liberté, mais, comme l’a dit très bien un honorable orateur,
j’y vois plutôt de la duperie.
Quoi ! si un
ministre, instruit par une jurisprudence, établit que l’article 87 du code
pénal, dont l’application à l’égard de Grégoire avait été requise par le
ministère public, a cessé d’exister, et d’être susceptible d’application à un
fait reconnu constant depuis la révolution arrivée dans la Belgique ; si ce
ministre, voulant prévenir que des complots semblables ne se reproduisent,
croit devoir proposer des mesures préventives, faut-il pour cela suspecter son
intention ? Si le ministre s’est trompé, c’est à nous, messieurs, à le lui
faire remarquer, en indiquant les moyens de corriger son ouvrage.
Dans la crise où se
trouve le pays, je désire, messieurs, qu’on puisse établir une différence entre
les étrangers qui nous arrivent d’un pays ennemi à la Belgique et ceux d’un
pays ami. Je bornerais les précautions à prendre aux étrangers habitants d’un
pays hostile à la Belgique. Je voudrais concéder au gouvernement les facultés suivantes
: celle de s’informer scrupuleusement de l’état, des ressources de l’individu
qu’il accueille ; celle d’exiger de lui un passeport ou la caution d’habitants
connus et établis en Belgique, et celle de se conformer aux lois. Car,
messieurs, si cet étranger ne vient dans ce pays que pour servir la cause de
l’ennemi que nous sommes prêts à combattre, devrions-nous le souffrir
constitutionnellement ? N’aurions-nous pas le pouvoir de le surveiller ? Et si
nous découvrions qu’il n’est ici que pour nous trahir, ne pourrions-nous pas
l’obliger à se retirer du sol de la Belgique ? Je suppose que vous êtes
informés, comme je le suis, de la manière dont les Belges sont traités en
Hollande. Depuis le premier moment de l’armistice, des négociants respectables ont
été repoussés aux avant-postes ; d’autres, qui étaient déjà arrivés à Breda,
ont été obligés de retourner à La Haye, et force leur a été de revenir par
Aix-la-Chapelle en Belgique, tandis que des espions connus voyagent librement
dans tout le pays, font des excursions en Hollande, et reviennent avec des
passeports signés par des officiers supérieurs de l’armée hollandaise. Il me
paraît, messieurs, qu’un tel état de choses réclament toute l’attention de la
chambre, et au moins exige une certaine réciprocité.
Avant de terminer, messieurs, il faut que je vous dise
que si, dans le projet, il y a des dispositions que je crois devoir être
modifiées, il y en a que je crois indispensables : telle est celle qui donne au
Roi le droit de nommer et de révoquer les commissaires de police. La police est
incontestablement du ressort du pouvoir exécutif. Ce pouvoir doit avoir la
faculté de renvoyer un commissaire de police qui ne remplirait pas son devoir :
car, s’il arrive qu’un commissaire de police soit un agent connu du pouvoir
déchu, il faut que le gouvernement ait le pouvoir de le renvoyer.
M. Lebeau. - Messieurs, dans la
discussion qui nous occupe, nous sommes témoins tous les jours de singulières
exagérations. A entendre quelques-uns des orateurs, il ne s’agit de rien moins
que d’établir le saint office, et de donner à l’administration de la police le
rôle de grand inquisiteur. D’autres parlent du projet comme d’une mesure que
l’on pourrait comparer à la révocation de l’édit de Nantes.
M.
Osy. - Je n’ai pas dit cela.
M. Lebeau. - Vous l’avez dit. (Non ! non !) Si cela n’est pas dit
expressément dans votre discours, c’en est au moins le sens implicite. Au reste,
je prie l’assemblée de ne pas m’interrompre ; chacun aura la faculté de me
répondre.
« Gardez-vous
bien, nous dit-on, d’accueillir le projet ; car c’est une loi d’exception que
cette loi, et les lois d’exception en engendrent d’autres ; on ne manque jamais
de prétexte pour en proposer. N'avez-vous pas vu en France la conspiration des
pétards, ourdie tout exprès par la police pour obtenir une loi qui lui permît
d’appréhender au corps qui bon lui semblerait ? » Je ne sais, messieurs,
si notre ministère serait capable d’inventer une nouvelle conspiration des
pétards ; mais, à coup sûr, l’état de guerre où nous nous trouvons n’est pas de
son invention. Or, messieurs, il ne s’agit que d’une loi, et je le prouverai,
faite pour un temps de guerre ; et ce n’est pas d’une guerre ordinaire qu’il
s’agit, d’une guerre d’intérêt, mais d’une guerre de contre-révolution, qui
traîne à sa suite la guerre civile. Voilà, messieurs, quelle est la justesse de
la comparaison entre une misérable conspiration inventée par la police de
Paris, et la guerre flagrante qui nous menace.
« Si nous
entrons dans les lois de circonstance, dit un autre orateur, nous sommes
déshonorés aux yeux de l’étranger, nous marchons droit au despotisme. » En
vain lui répond-on qu’en Angleterre existe la loi de l’habeas corpus, qu’on
peut y proclamer la loi martiale, défendre à tout Anglais de sortir du royaume
; il n’en persiste pas moins. Croyez-vous, cependant, messieurs, que
l’Angleterre s’achemine vers le despotisme ? Croyez-vous aussi que ce pays
entende mal l’hospitalité ? On sait au contraire que, depuis un demi-siècle,
pas une seule extradition n’a été accordée contre quelque étranger que ce soit,
quoi qu’il eût fait, et quel que fût le pays d’où il était venu. On sait aussi
que tous les réfugiés obtiennent des secours du gouvernement anglais. Voilà
comment on entend l’hospitalité en Angleterre, et cependant on y a voté des
lois de circonstance dans tous les temps et sous les ministres les plus
libéraux.
Il ne faut donc pas,
sous prétexte de ne pas porter atteinte à la constitution, se priver et priver
le pays des lois nécessaires à sa sûreté ; et je prétends que si l’on poussait
à l’excès le puritanisme constitutionnel de certains orateurs, il n’est pas un
seul Etat qui ne fût exposé à périr, et qui ne pérît en effet. Si, par exemple,
l’honorable membre auquel je fais allusion avait été au ministère le 2 août,
alors qu’il était notoirement impossible de convoquer les chambres, et que
cependant un retard d’un jour pouvait tout perdre, sans doute, au lieu de
réclamer l’intervention des Français et de leur permettre l’entrée du royaume,
il aurait laissé périr l’Etat, s’il avait voulu être conséquent avec ses
principes ? S’il avait fléchi pour ce cas, le système qu’il a soutenu est
renversé, et c’est ce qui prouve que des principes absolus en politique ne
valent rien. Il faut que les principes se plient aux circonstances.
Mais, messieurs, sous
le congrès lui-même, alors que la constitution était devenue obligatoire, elle
a été suspendue en partie. Souvenez-vous que la municipalité de Gand a été
suspendue, et qu’elle est restée en interdiction trois ou quatre mois après la
promulgation de la constitution. Eh bien ! messieurs, qui faisait alors
l’apologie des principes constitutionnels ? Etaient-ce les patriotes ? Non ;
mais un journal, que je ne nommerai pas, se faisait l’écho de ces doctrines
inflexibles, professées par des hommes toujours prêts à dire : Périsse le pays
plutôt qu’un principe.
Mais, messieurs, je
soutiens qu’il ne s’agit pas ici d’une loi d’exception ; il ne s’agit en effet,
comme vous l’a fort bien dit le ministère, que d’une loi de circonstance. Or,
il faut bien distinguer entre une loi d’exception, qui peut suspendre la
constitution, et une loi de circonstance, qui peut suspendre la liberté
individuelle ou y porter quelques entraves.
L’article premier de
la loi en discussion est tout simplement une addition au code pénal, pour
suppléer à des omissions de ce code, ou bien une addition à quelque disposition
trop sévère et qu’il est destiné à atténuer ; ce qui prouve, messieurs, que cet
article est tout constitutionnel, c’est l’exiguïté des peines qu’il donne aux
juges la faculté d’appliquer, et, chose qu’on n’a pas assez remarquée, c’est
que le jury est appelé à prononcer sur la culpabilité des accusés. Dans cette
dernière garantie, on trouve sécurité entière ; car, si le projet est entachée
d’arbitraire, l’application n’en doit pas être redoutée, puisque les jurés
prononceront, et la décision des jurés, c’est le jugement du pays. Je le
demande : en présence de ces considérations, les exagérations auxquelles on
s’est livré peuvent-elles avoir la moindre influence ?
L’article 2 trouve sa
justification dans ce qui se passe dans les pays les plus libres : j’ai cité
l’Angleterre ; je pourrais citer la France, qui certes, en cas de guerre,
n’hésiterait pas à adopter toute loi qui serait propre à sauver le pays.
Ici l’orateur examine
si la disposition de l’article 2 est inconstitutionnelle ; il soutient la
négative, et il justice son opinion par l’article 128 de la constitution, qui
permet une dérogation à son texte, pourvu qu’elle ait lieu en vertu d’une loi.
Avec la doctrine contraire en en suivant toutes ses conséquences, on arriverait
jusqu’à s’interdire de faire jamais un traité d’extradition. L’article 2 me
paraît donc parfaitement constitutionnel, dit l’orateur : et voyez, messieurs,
dans quelle position vous vous placeriez si vous rejetiez cet article ! Je
suppose que des émissaires de la Hollande viennent en Belgique : leur
demanderiez-vous un passeport. Ils en auraient un signé Van Maanen et visé
Legrelle. (Hilarité. M. Legrelle prend
des notes.) Je n’inculpe pas par là la conduite de l’honorable membre ; car
je défie bien une autorité de refuser un visa à un passeport en règle, à moins
de violer la loi. Maintenant, avec ce passeport signé Van Maanen et visé
Legrelle, ces émissaires arrivent à l’hôtel de Belle-Vue, comme le secret des
lettres ne peut être violé, et que cette loi est tout aussi bien en faveur des
Belges qu’en faveur des étrangers, je vous défie, s’ils ont soin de brûler les
lettres et les brouillons, de découvrir leurs trames et d’avoir le moindre
moyen coercitif pour les chasser du royaume. Ainsi ils espionneront chez nous,
il y feront ce qu’ils voudront ; ils rendront compte de la marche de tel
bataillon, de telle batterie d’artillerie ; en un mot, ils révèleront à
l’ennemi tout ce qu’il lui importe de savoir, sans que vous ayez aucun moyen de
les en empêcher. Voilà la conséquence inévitable de principes avec lesquels on
peut conserver une constitution intacte, mais avec lesquels on perd à coup sûr
le pays.
Je ne peux admettre
la distinction faite par M. Helias d’Huddeghem, parce que le gouvernement
hollandais a à sa solde d’honnêtes Italiens et d’honnêtes Français qui
pourraient bien en profiter, de sorte que nous pourrions voir un Libry-Bagnano
ou un Durand arriver à Anvers (on rit),
puis à Bruxelles, sans pouvoir nous en débarrasser. Je veux donc que la loi
atteigne tous les étrangers sans distinction.
Cependant, pour
répondre aux intentions généreuses émises ici par quelques membres, je
proposerai un amendement pour restreindre la loi, non pas à ceux qui sont
depuis 30 ans en Belgique, comme l’a dit M. Jullien, mais à ceux qui y sont
depuis 10, depuis 6 et même depuis la révolution. J’espère d’ailleurs que le
ministère usera de cette loi avec discernement ; car la révolution a amené chez
nous des étrangers honorables qui pourront dormir aussi tranquillement que
nous-mêmes, après que la loi sera rendue.
Il faudra bien aussi
que l’administrateur de la sûreté publique y prenne garde. Nous avons vu un
membre du congrès, un prêtre catholique, mander à la barre de l’assemblée
l’administrateur de la sûreté publique, parce qu’il était soupçonné d’avoir empêché
les prédications saint-simoniennes. Avec une telle susceptibilité,
l’administrateur sentira le besoin d’agir avec circonspection.
On s’est élevé avec
énergie contre l’emprisonnement préalable ; j’avoue que ce n’est pas sans
répugnance que je voterai une pareille disposition ; et je ne m’y résoudrai que
parce que je suis convaincu que c’est, dans bien des cas, le seul moyen
d’atteindre les coupables.
J’arrive, messieurs,
à l’administrateur de la police. Je crains bien qu’ici on n’ait fait de la
question une question personnelle. Un honorable orateur vous a représenté
l’administrateur comme un peu poltron. L’honorable orateur ne craint rien, je
le sais ; mais ce mérite personnel, il n’est pas donné à tout le monde de
l’avoir ; lorsqu’on est chargé d’une grande responsabilité, du salut de la
chose publique, il est permis d’être un peu moins rassuré. Pour moi, messieurs,
je prendrai un juste milieu entre celui qui craint tout et celui qui ne craint
rien. Pour ma part (et je déclare que M. l’administrateur de la police ne m’a
pas fait passer une mauvaise nuit), il m’a fait des rapports sans doute, comme
il devait le faire, sur des mouvements qui avaient lieu ; mais je crois qu’il y
a un peu d’exagération dans la biographie que M. Barthélemy nous a faite de M.
l’administrateur de la sûreté publique.
Que vous
demande-t-on, au reste, pour ce dernier ? D’ajouter à ses fonctions une
fonction bien modeste, celle d’officier de police judiciaire ? Je dis bien
modeste, et en effet il dépendait du gouvernement d’en faire un ministre. (Marques d’étonnement.) Souvenez-vous en
effet messieurs, que lorsque ces fonctions furent créées, la question de savoir
si on en ferait une division du ministre de l’intérieur, ou un ministère, fut
agitée. On décida qu’on en ferait un ministère. (Nouveau mouvement.) Oui, messieurs, je ne crains pas d’être démenti
; il y a à cet égard jugement contradictoire. C’est sur la demande de MM. de
Mérode et Rogier que la question fut ainsi décidée, et le congrès vota même des
fonds en conséquence. Si on n’a pas fait un ministère distinct de
l’administration de la police, c’est que le gouvernement ne l’a pas jugé
nécessaire, et c’est par un arrêté du régent que cette administration a formé
une des divisions de l’intérieur.
Il faut voir dans cet
administrateur deux caractères : celui d’officier de police judiciaire, et
celui de subordonné du ministre. Comme officier de police judiciaire, son
pouvoir expire à la limite du district de Bruxelles ; et si on demande pourquoi
l’on augmente à Bruxelles le nombre des officiers de police judiciaire, on vous
répondra que cette ville étant la capitale du royaume et le foyer de toutes les
intrigues, il est naturel que la surveillance y soit plus active.
Pour tout le reste du
royaume, il est placé sous la surveillance non pas du ministre de l’intérieur,
mais du conseil des ministres tout entier. Quant aux mandats qu’il aura le
pouvoir de lancer, je suis bien d’avis que contre les régnicoles il ne puisse
lancer que des mandats de comparution ; mais, contre les étrangers, il doit
pouvoir lancer des mandats d’amener.
Voilà, messieurs,
tout ce que j’avais à dire sur le projet. Je ne terminerai pas cependant sans
faire une dernière réflexion. On dit : « Prenez garde,
vous compromettrez, par l’adoption du projet, les graves intérêts qui se
débattent à l’extérieur. » Messieurs, je ne le crois pas. A l’étranger, on
pense que le pouvoir exécutif n’est, en Belgique, qu’un mannequin (c’est
l’expression qui a été employée) ; on pense que le pouvoir exécutif est sans
force et sans influence. N’accréditons pas un pareil bruit. Ce n’est pas de
trop de pouvoir que ce gouvernement est accusé, c’est au contraire
d’exagération démocratique qu’est taxée la Belgique. Le pouvoir royal a donc
besoin d’être fortifié, et tous les bruits de la malveillance cesseront à
l’étranger. « Il faut, répète-t-on sans cesse, que la constitution soit
une vérité. » Oui, messieurs ; mais faisons en sorte que, par trop de
raideur dans les principes, notre révolution ne soit pas un mensonge.
M. Osy demande la parole sur un fait personnel. On m’a
reproché d’avoir comparé, dit-il, le projet à la révocation de l’édit de
Nantes. Je n’ai pas dit un mot de cela, je n’y ai même pas songé ; j’ai dit
seulement que bien des personnes pourraient aller chercher un refuge ailleurs,
comme cela est arrivé dans le 16ème siècle.
M. Legrelle. - Je demande aussi à
dire un mot sur un fait personnel. On a dit, messieurs, que les passeports
hollandais avaient été visés à Anvers ; le fait est exact ; l’échevin chargé de
cette police a visé des passeports hollandais, il le fera encore tant que vous
n’aurez pas décidé par une loi que les personnes venant de la Hollande ne
seront pas admises en Belgique. On est bien obligé d’apposer les visas sur les
passeports, de quelque part qu’ils viennent. Dira-t-on qu’on devrait échanger
les passeports hollandais contre des passeports belges ? Mais ce serait se
priver d’un moyen de surveillance, car il est plus facile de suivre les
mouvements d’un homme porteur d’un passeport hollandais que de celui qui
porterait un passeport belge. Le premier, en effet, excite le soupçon et la
surveillance ; l’autre, au contraire, est un titre de protection. L’orateur
termine en disant que l’échevin chargé de la police est un homme au-dessus de
tout soupçon, et d’une probité intacte.
M. Lebeau. - Je déclare que je
n’ai cité qu’un fait, sans vouloir inculper en rien la régence d’Anvers ; j’ai
reconnu, au contraire, qu’elle ne pouvait se dispenser de viser les passeports.
M. A. Rodenbach. - Je demande la
parole sur un fait personnel. Je répondrai à M. Legrelle que ce qu’il vient de
dire prouve de plus en plus que nous avons besoin d’une loi de circonstance,
puisque des autorités belges elles-mêmes sont obligées de viser les passeports
des espions.
M. le président. - Il n’y a là rien de relatif à une question
personnelle.
M. Leclercq. - Messieurs, dans la
discussion d’une question de la plus haute importance, dans une discussion qui
exigeait la plus grande attention et le plus grand calme, j’ai entendu avec
étonnement des orateurs attaquer par des insinuations ceux qui s’opposent à
l’adoption du projet. Ces insinuations, quoiqu’indirectes, n’en sont pas moins
claires et significatives.. J’ai entendu les mots d’opposition fausse,
systématique, de paroles amères et inconvenantes, et de puritanisme
constitutionnel.
Non, messieurs, nous
ne faisons point d’opposition systématique, mais une opposition telle que celle
qui convient à des hommes qui remplissent leur devoir, que leurs concitoyens
ont envoyés pour soutenir les actes qui seraient utiles et justes, et pour
repousser les actes injustes. Il n’appartient qu’à ceux qui ne veulent souffrir
aucune observation de tenir un tel langage, et cela ne convient pas au
gouvernement.
Quelques voix. - Très bien !
M. Leclercq. - Les paroles amères
! De qui viennent-elles, messieurs ? Est-ce de ceux qui soutiennent que le
projet est inconstitutionnel, ou de ceux qui osent dire que nous faisons de
l’opposition comme sous le gouvernement déchu, de ceux qui osent, par une
tactique que je ne veux pas qualifier, nous placer sur la même ligne que ceux
qui écrivent pour la restauration ?
Quant au reproche de
puritanisme, est-ce le mériter que de rester fidèle à son serment ? Nous avons
juré de maintenir la constitution, et, en observant ce serment avec respect,
nous ne faisons que remplir un devoir sacré.
M. le ministre de la
justice a dit qu’il ne voulait pas répondre à l’observation que j’avais faite
relativement à la loi du 28 vendémiaire an VI. Il était pourtant nécessaire d’y
répondre. On a dit aussi que cette observation avait été empruntée à un journal
français : ce n’est pas dans un journal français que je l’ai prise ; mais, dans
tous les cas, si un journal dit de bonnes choses, pourquoi ne pas en profiter ?
J’avais parlé de tous les résultats qu’avaient amenés les lois d’exception ;
j’avais cité le directoire exécutif, j’avais dit que les mesures d’exception
dont le gouvernement s’était entouré ne l’avaient point sauvé, et que ce
malheureux directoire était tombé sous la malédiction générale. Eh bien ! Voilà
ce qu’il fallait réfuter, voilà les objections qu’il fallait combattre en
démontrant qu’elles n’étaient pas fondées, et on n’en a pas dit un mot.
Un orateur vous a dit
qu’il ne s’agissait pas d’une guerre d’intérêt, de territoire, mais d’une
guerre de restauration. Lors de la révolution française, c’était aussi contre
une guerre de restauration qu’on avait à se défendre, et voilà pourquoi on
demandait ces lois d’exception si funestes.
On vous a cité
l’Angleterre, l’Amérique et la régence de Gand ; mais ce n’était point par des
citations qu’on pouvait démontrer qu’il n’y avait pas violation de la
constitution. D’ailleurs, ces citations sont peu exactes. En Angleterre,
messieurs, le parlement est omnipotent ; il peut faire des lois sans être
arrêté par aucune limite ; mais cela nous est défendu par notre constitution,
et nous avons juré de la respecter. Au surplus, il ne fait pas citer un pays
pour ses institutions, quand ces institutions sont vicieuses. Si l’Angleterre
n’avait pas son esprit public, on verrait le résultat de ses institutions.
Quant à notre pays, si elles lui étaient appliquées, il n’existerait pas
longtemps sans tomber sous le despotisme. Qu’on lise les lois d’Angleterre, et
l’on verra qu’elles sont contraires aux principes de la saine liberté.
Quant aux Etats-Unis, ils peuvent, dit-on, suspendre
l’habeas corpus ; oui, mais parce que la constitution le leur permet. Ici c’est
tout le contraire.
(Ici l’orateur est
interrompu par M. de Theux., qui cite l’article
128 de la constitution, et il répond par l’article 130 qui défend de la
suspendre en tout ou en partie.)
Quant à l’exemple de
la régence de Gand, il est très mal choisi, car alors il n’y avait pas de
constitution, et, s’il est vrai que l’interdiction de la municipalité de la
régence de Gand ait continué trois ou quatre mois après la promulgation de la
constitution, c’est un tort de la part des ministres, et s’ils sont mis en
accusation, ce sera un chef d’accusation contre eux.
Revenons à la véritable
question, à celle qui consiste à savoir si le projet ne viole pas la
constitution. Le ministre n’a répondu à aucune de nos objections. Il s’est
borné à citer l’exemple de deux employés qui veulent passer en Hollande. Mais
il a prouvé par là tout le contraire de ce qu’il voulait prouver ; car il a
avoué que la loi lui donnerait le pouvoir d’emprisonner des individus sur de
simples soupçons.
L’orateur rappelle
les objections qu’on a faites à la séance d’hier ; il démontre que les visites
domiciliaires, la faculté de révoquer un juge d’instruction, malgré la
constitution qui veut que cela ne puisse se faire qu’en vertu d’un jugement, et
l’emprisonnement préalable, sont autant de mesures qui dérogent à la
constitution ou la violent, et il termine ainsi :
Je répondrai un mot à ce qu’a dit M. le ministre
de la justice relativement au projet sur les armes. Je n’ai pas voulu accuser
M. le ministre de la guerre ; au contraire, ce que j’ai dit ne peut faire que
son éloge : j’ai dit qu’aussitôt qu’il avait eu des armes à sa disposition, il
n’avait pas insisté sur la disposition qui se trouvait dans le projet de loi
primitif. Cependant on avait dit que cette disposition avait pour objet
d’empêcher les ennemis de l’Etat de se procurer des armes ; ce sont là les motifs
que M. le ministre de la guerre a fait valoir. Eh bien ! si, malgré ces motifs,
qui doivent encore subsister aujourd’hui, le ministre a abandonné si facilement
sa première proposition, j’avais donc raison de dire qu’il a été très léger
dans ses assertions.
M. Gendebien renonce à la parole, en disant qu’il adopte
tous les arguments habilement développés par M. Leclercq, et auxquels il ne
saurait rien ajouter sans les affaiblir.
M. Blargnies. - M. Leclercq a dit
que des lois d’exception appelaient des lois d’exception, qu’il était difficile
de s’arrêter sur cette pente ; je suis tout à fait de son avis, et en admettant
que la loi fasse cesser toute correspondance avec l’ennemi, il arrivera que quelques
journaux mal intentionnés pourront, sous des phrases convenues, relever à
l’ennemi ce qu’il a intérêt à savoir. Alors on sentira la nécessité de
suspendre la loi sur la liberté de la presse. On mettra en avant les intérêts
du pays et les circonstances ; on vous dira : La loi que vous nous avez donnée
est insuffisante pour faire cesser les intelligences avec l’ennemi. Ces
intelligences existent au moyen des journaux : donnez-nous les moyens de les
faire cesser. C’est ainsi, messieurs, que je justifie la proposition de M.
Leclercq, que des lois d’exception appellent d’autres lois d’exception ; je
regarde au surplus, le projet comme attentatoire à la liberté du commerce, et
ces deux considérations suffisent pour motiver mon vote, qui sera contraire au
projet.
Après une réplique de
M. le ministre de la justice (M. Raikem), la clôture de la
discussion sur l’ensemble est prononcée.
Discussion des
articles
On
passe à la discussion de l’article premier, ainsi conçu :
« Art.
1er. Quiconque aura entretenu avec une puissance ennemie ou ses agents des
intelligences, ou qui aura donné aux sujets d’une telle puissance des
instructions qui, dans l’un ou l’autre cas, auraient pour but de nuire à la
situation militaire ou politique Belgique, sera, pour ce seul fait, puni d’une
emprisonnement de six mois à deux ans, sans préjudice de plus fortes peines
dans les cas prévus par le code pénal. »
M.
Legrelle propose un amendement ainsi conçu :
« Art.
1er. Quiconque aura entretenu avec une puissance ennemie ou ses agents des
intelligences, ou qui lui aura donné des instructions, etc. » Cet
amendement consiste à retrancher de l’article le mot « sujets. »
M. de Theux combat cet
amendement, et motive son vote en faveur de l’article premier.
M. Gendebien combat l’article premier, qui est défendu
par M. Devaux, lequel repousse
l’amendement de M. Legrelle.
M. d’Elhoungne propose et développe un amendement ainsi conçu
: « Dans tous les cas prévus par les articles 76, 77 et 79 du code pénal,
les tribunaux pourront prononcer les peines des travaux forcés à temps ou du
bannissement, lorsque le jury aura déclaré qu’il y a des circonstances
atténuantes.
« Dans les cas
prévus par l’article 78 du même code, les tribunaux pourront réduire la peine à
un emprisonnement de six mois à deux ans, lorsqu’il existera des circonstances
atténuantes. »
Après
une discussion dans laquelle ont été entendus M. Devaux, M. d’Elhoungne, M. H. de Brouckere, M. Bourgeois et M. Nothomb, la suite de la discussion sur l’article
premier est renvoyée à demain.
La
séance est levée à cinq heures.