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Chambre des représentants de Belgique

Séance du vendredi 21 octobre 1831 (soir)

 

Sommaire

1) Communication du gouvernement relative à l’état des négociations diplomatiques. Position du gouvernement (de Muelenaere, A. Rodenbach)

 

(Moniteur belge n°130, du 23 octobre 1831)

(Présidence de M. Destouvelles.)

La séance est ouverte à huit heures et un quart.

Les tribunes publiques et réservées sont encombrées d’une foule de spectateurs.

 

COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT RELATIVE A L’ETAT DES NEGOCIATIONS DIPLOMATIQUES 

 

M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a la parole pour une communication du gouvernement. (Profond silence.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, après vous avoir exposé, dans votre séance d'hier, la marche suivie par le gouvernement dans les dernières négociations, après vous avoir montré ses efforts persévérants suivis d'un résultat si inattendu et si contraire à ses vœux, il me reste aujourd'hui, ainsi qu'à mes collègues, comme moi conseillers de la couronne, un triste et douloureux devoir à remplir. Ce devoir, nous ne pouvons nous y soustraire, placés que nous sommes sous la loi d'une nécessité qu'il n'est pas permis de méconnaître et avec laquelle il n'est possible de composer qu'en soumettant à des chances incalculables le présent et l'avenir du pays, et en sacrifiant peut-être ces deux conquêtes de notre révolution, l'indépendance et la liberté.

Le traité de paix arrêté par la conférence, stipule, dans les articles 2 et 4, des cessions de territoire en faveur de la Hollande. Le gouvernement ne pouvait autoriser son plénipotentiaire à signer ce traité : l'article 68 de la constitution qui porte : « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, » s'y opposait formellement et traçait en même temps au gouvernement la ligne qu'il avait à suivre. C'est pour rester fidèles aux principes de la constitution, pour satisfaire à l'obligation qu'elle nous impose, que nous venons, messieurs, d'après les ordres du Roi, soumettre à vos délibérations un projet de loi qui tend à autoriser le gouvernement à consentir aux cessions de territoire stipulées dans le traité de paix, et à des arrangements financiers.

Au milieu des sentiments pénibles qui l'affectent, le gouvernement, en vous présentant ce projet, ne veut point vous laisser ignorer les motifs qui l'ont décidé à prendre sur lui la responsabilité de l'initiative dont il use en ce moment. La nation, dont il s'agit de fixer définitivement les destinées, et vous, Messieurs, qui la représentez dans cette enceinte, vous connaîtrez notre pensée tout entière. Si jamais le courage de la franchise fut nécessaire, c'est aujourd'hui, c'est en présence des graves intérêts sur lesquels vous allez avoir à vous prononcer : se taire dans un moment pareil, ou déguiser sa pensée, ce serait, je ne dirai pas faiblesse, mais lâcheté.

Oui, Messieurs, la question que soulève le projet de loi est si grave, si vitale, que sa solution renferme tout l'avenir du pays.

Si, à une autre époque, des propositions pareilles aux conditions qu'on nous impose aujourd'hui, avaient été faites à la Belgique, le gouvernement aurait pu reculer devant la mission qu'il remplit maintenant, il aurait pu vous dire peut-être : Rejetez ces conditions ; elles sont injustes, partiales ; fiez-vous à la justice de votre cause, au temps, et, s'il le faut, à votre bras pour en obtenir de meilleures. Mais, messieurs, ce langage qui alors aurait eu une apparence de raison, parce que les circonstances, les faits lui donnaient une force qu'il n'aurait pas empruntée de lui-même, ce langage n'est plus possible aujourd'hui. Depuis lors, le temps a marché, et l'Europe a été témoin d'évènements qui, en modifiant la politique générale, n'ont pu rester sans influence sur la question soulevée par notre révolution. L'appui que nous trouvions dans l'idée de notre force, inspirée aux puissances par nos succès de septembre, l'appui plus réel encore que prêtait à notre cause l'héroïque résistance de la Pologne, nous ont tout à coup échappé.

L'intéressante Pologne, ce pays qui n'eût jamais d'égal en gloire et en malheur, après des prodiges de courage, est tombée… Qu'est-il besoin de vous dire l'influence que sa chute a dû exercer sur la politique et les déterminations d'une puissance dont la révolution de Varsovie embarrassait si fortement tous les mouvements ?

Mais, en dehors de ces considérations, il en est une autre qui ne peut ni ne doit vous échapper. C'est que la question qui se débat depuis un an n'est pas circonscrite à nos intérêts seuls et à ceux de la Hollande ; c'est qu'elle touche par beaucoup de points aux intérêts européens. Notre patriotisme, notre amour-propre national, blessés par la décision des arbitres qui viennent de prononcer entre la Hollande et nous, peuvent se soulever contre cette intervention de l'Europe. Elle n'en reste pas moins un fait qu'il ne nous est pas donné de détruire. Ce fait d'ailleurs n'est pas nouveau, il a sa sanction, il a des antécédents dans l'histoire ; d'autres peuples, avant nous, ont eu à en subir les conséquences. Ce n'est pas la première fois, qu'à tort ou à raison, les convenances politiques, le système de l'équilibre européen ont fait imposer à un peuple, dans l'intérêt général, de ces sacrifices que l'on ne se résigne à subir que parce qu'on est convaincu de l'inutilité des efforts que l'on tenterait pour s'y soustraire.

Le sacrifice que l'on exige de la Belgique est de même nature ; toute son excuse, toute sa justification, pour vous qui êtes appelés à le voter, se trouve dans la nécessité, dans les circonstances dont l'empire est quelquefois si puissant dans les affaires humaines, que l'homme d'Etat ne saurait y échapper. Les cinq puissances s'entendent entre elles pour soutenir la décision qu'elles ont prise et qu'elles croient calculée de manière à garantir en même temps le maintien de la paix et celui du système européen. Que ce soit une erreur, née du sentiment de défiance que leur inspire, à tort, la Belgique régénérée, nous le pensons ; et vous nous rendrez ce témoignage, messieurs, de n'avoir rien négligé pour dissiper une erreur si fatale à nos intérêts. Nos efforts n'ont pas obtenu le succès que nous nous en étions promis, et les déterminations prises par les cinq grandes puissances sont venues se placer entre nos vœux et l'espoir de les voir se réaliser. Les puissances (on voudrait en vain se le dissimuler) marchent d'accord entre elles et les discussions de la conférence, sont, comme le dit la note qui accompagne le traité, « finales et irrévocables. » Ces paroles empruntent une force toute spéciale des circonstances et des nécessités du moment. L'incertitude qui plane depuis un an sur les affaires de l'Europe, par suite de la question belge toujours tenue en suspens, ne saurait se prolonger plus longtemps, sans faire naître la crise que l'on a tant à cœur d'éloigner et dont chaque jour de retard augmente l'imminence.

C'est à vous maintenant, messieurs, qu'il appartient de décider si ce qu'on nous demande, si les cessions de territoire, au prix desquelles on nous offre la paix, peuvent se concilier, je ne dirai pas avec l'intérêt du pays (il est partiellement et violemment lésé), je ne dirai pas même avec ses affections (on n'en a tenu aucun compte), mais avec son existence, comme nation indépendante. Car, messieurs, quelque triste qu'elle soit, nous vous devons la vérité tout entière : la question aujourd'hui est là, c'est notre opinion : il s'agit de savoir si nous voulons ou non, si nous pouvons ou non, former une nation indépendante avec le territoire, tel qu'il sera circonscrit par les cessions stipulées dans le traité.

Après cela, messieurs, nous ne nous sommes pas dissimulé les objections qu'on pourra faire contre le projet de loi qui vous est soumis. Nous avons prévu surtout les arguments qu'il sera facile de tirer contre ce projet de la condition où vont se trouver ceux de nos compatriotes, de nos frères que le traité sépare de nous.

Personne n'apprécie mieux et ne partage plus vivement que nous les regrets et la douleur que réveillent dans l'âme, ces déchirements forcés qui arrachent à notre affection, à nos sympathies ceux qui ne formaient avec nous qu'une même famille, et qui ont si puissamment aidé à la conquête d'un patrimoine dont on veut qu'ils cessent de jouir avec nous. Loin de nous la pensée de vouloir atténuer par nos paroles un sacrifice dont nous comprenons toute l'étendue. Mais placés entre nos affections et l'intérêt dominant du pays, ayant à opter entre l'abandon de quelques-uns de ses membres, et l'anéantissement de la famille, notre choix n'a pas été libre ; nous sommes forcément entrés dans la voie où vous nous trouvez. Et, nous sera-t-il permis de le dire, en agissant ainsi, nous avons compté sur le suffrage, sur la générosité même de ceux dont nous devons, pour notre malheur, souscrire l'expatriation. Nous nous sommes dit : Qu'en se voyant frustrés de l'espoir de jouir peut-être avec nous d'une patrie commune, ils ne voudraient pas néanmoins, par un calcul tout personnel, attirer sur la Belgique les malheurs qui résulteraient pour elle de la résistance à un arrêt qu'il faut subir ; qu'ils ne voudraient point que cette patrie qu'ils quittent s'effaçât entièrement avec eux ; qu'il n'y eût plus de Belgique, plus de nation belge. Nous serions-nous trompés, messieurs, en prêtant ces sentiments à nos frères ! Non, et nous défions l'avenir de venir démentir nos paroles.

Si, reconnaissant la nécessité qui nous presse, vous sanctionnez le projet de loi qui vous est soumis, le jour fatal de la séparation venu, en adressant de tristes et pénibles adieux à cette patrie que la nécessité les oblige d'abandonner, ils feront des vœux pour sa gloire, sa prospérité, son bonheur ; et pleins de foi dans son avenir, ils en appelleront avec nous, au temps et à la providence pour réparer une injustice, que pour notre part, Messieurs, permettez-nous de le répéter une dernière fois. nous déplorons amèrement.

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut !

« De l'avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons chargé notre ministre des affaires étrangères de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Considérant que, par leurs actes du 15 octobre, les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis en conférence à Londres, ont arrêté les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande ; que ce traité, contenant aux termes de la déclaration des plénipotentiaires, des conditions finales et irrévocables, est imposé à la Belgique et à la Hollande ;

« Vu l'art. 68 de la constitution ;

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Le Roi est autorisé à conclure et à signer le traité définitif de séparation entre la Belgique et la Hollande, arrêté le 15 octobre 1831, par les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis en conférence à Londres, sous telles clauses, conditions et réserves que S. M. pourra juger nécessaires ou utiles dans l'intérêt du pays.

« Bruxelles, le 21 octobre 1831.

« Signé : Léopold.

« Par le Roi :

« Les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de la justice et des finances,

« Signé : de Muelenaere, Ch. de Brouckere, Raikem, Coghen. »

M. le président. - La chambre donne acte à M. le ministre des affaires étrangères de la présentation du projet de loi et l’exposé des motifs.

M. A. Rodenbach. - La loi de l’univers et que le faible doit céder. Si nous étions forts, je dirais : Rejetons le projet. Nous sommes faibles, je dis : Gagnons du temps. Je demande le renvoi aux sections.

M. le président. - Le projet de loi doit être préalablement imprimé et distribué aux membres de la chambre.

Plusieurs voix. - Avec l’exposé des motifs.

M. le président. - Le projet de loi et le rapport seront imprimés, distribués et renvoyés aux sections.

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