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Chambre des représentants de Belgique
Séance du dimanche 30
octobre 1831
Sommaire
1) Projet de loi portant approbation du traité
de paix arrêté le 15 octobre 1831 (traité des 24 articles). Comité général (Leclercq, Verdussen,
(+anticléricalisme en France) F. de Mérode, H. Vilain XIIII, Van Meenen, Desmanet de Biesme)
(Moniteur
belge n°139, du 1 novembre 1831)
PROJET DE LOI PORTANT APPROBATION DU TRAITE DE PAIX
ARRETE LE 15 OCTOBRE 1831 (TRAITE DES 24 ARTICLES)
Dans le comité
général d’hier, ont été entendus : M. Leclercq, contre le projet ; et pour M. Desmanet de Biesme, M. Verdussen, M. H. Vilain XIIII, M. F. de Mérode
et M. Van
Meenen.
Nous donnons ci-après
certains discours des honorables représentants.
M. F. de Mérode. - Messieurs, les
orateurs qui vous ont exposé notre situation présente ont dû vous convaincre de
l’impossibilité du refus aux exigences de la conférence de Londres, si, privés
de l’appui de la France, nous devions tenter de nous soustraire à la force qui
nous dicte ses lois. Je n’affaiblirai donc point, par d’inutiles répétitions,
ce qui vous a été présenté hier encore avec concision et clarté par notre
honorable collègue M. Fallon. Je dirai seulement quelques mots sur cette
ressource extrême, cette guerre générale de propagande, que d’ardents
patriotes, en France et en Belgique, appelaient de tous leurs vœux. Si, dès les
premiers jours qui suivirent la révolution de juillet, les affaires intérieures
et extérieures de la France eussent été dirigées par un système libéral, plein
de franchise, de loyauté et de nature à frapper de reconnaissance et
d’admiration tous les cœurs généreux, nul doute que la puissance française
n’eût été capable d’ébranler par l’influence morale, auxiliaire, irrésistible
de son génie militaire, le despotisme au-delà de ses limites, comme elle avait
su frapper au-dedans, d’un coup de foudre, la violation du pacte que Charles X
avait juré de maintenir.
Mais Louis-Philippe
était-il maître d’exécuter cette solennelle et sublime promesse : « La
charte sera désormais une vérité » ? Je l’ignore ! Ce que je sais c’est
qu’en France l’intolérance persévérante n’a cessé d’exercer sa destructive
domination. Le parti vainqueur opprime le parti vaincu, et quel remède à ce
mal, lorsque le ministère est peut-être moins persécuteur que l’opposition ? Il
faut le dire, messieurs, (car c’est un fait déplorable) l’esprit de réaction
antireligieuse, compromet, chez la grande nation, qui devrait être le modèle
des autres, l’affranchissement de l’Europe. Des hommes qui prétendent servir la
sainte cause de la liberté, et s’approprient tyranniquement le monopole de
l’intelligence humaine, pourraient-ils être forts à l’extérieur lorsqu’ils
divisent au-dedans ? Lorsque, rendant la charte un mensonge pour les
catholiques français, ils ferment arbitrairement leurs écoles, changent des
séminaires et casernes, et occupent de vaillants soldats à prendre d’assaut un
couvent de trappistes ? N’est-ce pas plutôt ainsi, messieurs, qu’on parvient à
éloigner d’un roi qui donne avec sa famille l’exemple de toutes les vertus
domestiques, leurs cœurs de bons et nombreux citoyens qui demeurent ou
deviennent carlistes parce que leurs droits sont despotiquement méconnus ?
Comment ce libéralisme, infidèle à son propre nom, pourrait-il rallier les
sympathies des peuples catholiques qui entourent la France ? Vous le savez, messieurs,
lors de la révolution de juillet, tous en Belgique admiraient cette noble
résistance exempte de vengeance et d’excès. Plus tard, si la charte nouvelle,
versant sans exception sa rosée bienfaisante, eût protégé le plus précieux des
droits de l’homme, les Belges auraient, au besoin, joyeusement confondu leur
nom avec le nom de Français. Malheureusement l’intolérance saisit bientôt la
liberté promise. Elle devint un privilège exclusif et non la propriété de
chacun. Dès lors, faiblesse intérieur, émeutes, scandales et déconsidération à
l’étranger. Vous avez, sans doute, attentivement exploré la discussion récente
à la chambre des députés sur les désordres qui tourmentent les département du
midi et de l’ouest. Dans ces derniers, 48,000 hommes ne peuvent se multiplier
assez pour empêcher les pillages et les meurtres de bandes vagabondes, que la
population mécontente du régime nouveau ne réprime point. Sans doute, la France
est forte par l’instruction (manque
quelques mots) de ses soldats ; mais cette force, purement militaire,
suffirait-elle pour lutter avec les armées de l’Europe continentale, et risquer
de plus une guerre maritime avec l’Angleterre, dont la réforme n’étouffe point
la jalousie contre l’agrandissement de sa rivale, et ne paralyse nullement la
prépondérance sur l’Océan ? Ces considérations, messieurs, retiennent le
cabinet français. Elles ne sont point le résultat de la pusillanimité, mais le
calcul de la prudence ; et, lorsque l’on examine les discordes que font naître
en France les idées rétrogrades et des prêtres et des libéraux et des nobles,
généralement privés de l’excellente éducation constitutionnelle que Guillaume a
su répandre chez nous, n’est-il pas remarquable que cette terre française,
refuge des institutions libres, malgré les erreurs qui n’y règneront pas
toujours, ait encore la puissance d’arrêter seule sur le continent le
débordement du bon plaisir des souverains absolus ? Était-il possible au
plénipotentiaire de Louis-Philippe de stipuler en notre faveur des conditions
plus équitables ? Je le crois, messieurs. Cependant rappelez-vous que, dès
l’origine des préventions germaniques sur le Luxembourg, un député connu par sa
haute érudition diplomatique, et plus occupé d’elle, sans doute, que des
principes de juillet, se hâta de déclarer à la tribune française que nos
compatriotes luxembourgeois étaient la propriété des Nassau. Souvenez-vous
qu’un maréchal, premier ministre des affaires étrangères, reconnut au plus
vite, et sans information préalable, la possession inadmissible du troupeau
humain échangé à Guillaume contre les bipèdes de Segen, Adhamar, et autres dont
je ne me rappelle pas les noms. Ces précédents ne furent rien moins que
favorables aux négociations postérieures de M. le général Sébastiani qui, au
surplus, se console avec une facilité légère en disant : « La Belgique ne
perd que quelques lambeaux de territoire. » C’est ainsi que, sans mauvaise
volonté, je me plais à le croire assurément, il qualifie 300,000 Belges,
arrachés à leur patrie par la dernière combinaison de la conférence.
Quoi qu’il en soit,
pour nous engager au suicide, parce qu’une pénible mutilation nous est imposée,
on nous dit qu’il vaut mieux périr que de subir un traité déshonorant. Les mots
pusillanimité, lâcheté, infamie, rentrent dans le vocabulaire de cette
discussion, comme lorsqu’il s’est agi des 18 articles. S’il y a déshonneur,
messieurs, ce n’est pas chez un peuple peu nombreux, privé de défenses
naturelles et plié sous le joug d’une force supérieure, mais chez les
plénipotentiaires des puissances qui se jouent de leurs promesses et
récompensent, par des conditions plus avantageuses, la rupture déloyale de
l’armistice qu’elles avaient provoqué primitivement, et déclaré inviolable sous
la garantie de leur immuable volonté. Pour nous effrayer, on ajoute à ces mots
terribles les plus sombres prévisions : « Industrie, commerce,
agriculture, tout va s’abîmer dans le néant. » Avant de me persuader que
la fertile Belgique doive éprouver une telle prostration d’esprits vitaux,
qu’elle doive périr, je voudrais qu’elle essayât de vivre encore ; et alors
comme alors, s’il faut périr, périssons en connaissance de cause ; mais
n’imitons pas le célèbre héros hollandais Van Speyk, qui probablement, après
avoir trop bu, fit sauté sa canonnière dans l’Escaut, sans savoir pourquoi. Je
sais qu’il est des intérêts personnels ou locaux qui s’accommoderaient
facilement de la division du pays, par l’espoir de voir réunir à la France
telle ou telle province. Prenez-y garde, messieurs, si de pareils vœux se
réalisaient, ce ne seraient plus trois cent mille de vos concitoyens dont il faudrait vous séparer, en conservant les chances d’un
meilleur avenir, mais la moitié, les deux tiers de vos provinces, qui
passeraient sous d’antipathiques dominations. Parmi les objections contre le
projet de loi auquel on vous propose de vous soumettre, la plus forte, à mes
yeux, est notre séparation de nos frères du Luxembourg et du Limbourg : là,
messieurs, est pour moi la plaie sanglante du traité qui nous opprime. Si la
Belgique ne peut échapper à ce malheur, qu’avant tout notre gouvernement
s’occupe du sort de nos compatriotes, et emploie tous les moyens de les
soustraire aux vexations d’un pouvoir qui jusqu’ici s’est montré trop dépourvu
de sagesse et de générosité.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs,
j’occuperai peu vos instants ; car, au milieu de ces douloureuses et cruelles
circonstances, le moment me paraîtrait mal choisi de me livrer à de vives mais inutiles
récriminations, et jusqu’à ce jour de longs discours ont peu servi au salut du
pays, de ce malheureux pays dont il conviendrait plutôt de voiler les derniers
désastres.
La Belgique, depuis
trois cents ans, a servi tout à tour d’arène et de pâture aux généraux et aux
diplomates ; il paraît qu’aujourd’hui encore sa destinée n’est pas changée.
Il paraît que,
toujours riche mais toujours dépouillée, toujours productive mais toujours
envahie, son destin est d’être tantôt (manque
quelques mots) tantôt la victime que l’on sacrifie à la paix générale.
Problème sanglant que
l’Europe s’obstine à résoudre aux dépens de quatre millions d’hommes, et dont
la solution échappera aux tentatives de la diplomatie aussi longtemps que
celle-ci s’occupera plutôt à caser la Belgique à la convenance de ses voisins
qu’à consolider le bonheur de ses habitants.
On s’accorde à
reconnaître que la question belge renferme la tranquillité de l’Europe ;
qu’afin que la Belgique n’inspire aucune convoitise à ses voisins, il faut
qu’elle s’appartienne à elle-même ; que, pour qu’elle s’appartienne à
elle-même, qu’elle soit paisible, il faut qu’elle soit heureuse ; et quand il
s’agit de la rendre heureuse, on lui refuse les éléments indispensables à sa
prospérité, des sécurités à son commerce, des débouchés à son industrie, des
frontières à sa défense ; et, tournant toujours dans le même cercle vicieux,
voulant une Belgique, mais s’obstinant à la faire restreinte et difforme, on
crée ainsi, non une nation indépendante, mais une peuplade appauvrie, ayant la
conscience de sa propre faiblesse, sans force, sans esprit public, toujours
prête, pour échapper à sa ruine, à se jeter dans les bras d’un de ses
puissances voisins ; on crée ainsi, dis-je, non un élément de paix générale,
mais une source nouvelle et toujours renaissante de jalousie, de convoitise et
de misère, pour perpétuer les discordes du continent.
Voilà l’œuvre de la
conférence, voilà la nouvelle erreur politique qu’elle a commise, et commise
pour nos malheurs ! La paix de l’Europe, le désarmement général, ce sont là les
illusions qu’elle caresse, le rêve qu’elle poursuit pour le bonheur commun !
Mais, le bonheur d’une nation centrale étant compromis, la clef de voûte de
l’édifice européen était mal posée, peut-on espérer paix et stabilité pour le
repos du continent ? Cela n’est pas à présumer, et cet espoir est vain : après
les embarras que la conférence vient de résoudre, surgiront sous peu de
nouveaux embarras. Quatre points capitaux doivent être aplanis pour obtenir la
pacification entre les deux pays : la délimitation du territoire, la
répartition de la dette, les débouchés commerciaux à faciliter, l’écoulement
des eaux des Flandres à régler ; et quatre commissions, mi-partie belges et
hollandaises, seront appelées à trancher ces difficultés. Mais comme les
intérêts des deux pays sont divergents, que les haines nationales sont en
lutte, que l’existence même de chaque peuple est en péril, bientôt de graves
débats viendront diviser ces conseils, bientôt une mutuelle partialité
présidera à leur décision, et alors il est à craindre qu’à chaque question à
résoudre les commissaires seront en désaccord, et que la conférence, au lieu de
deux puissances, aura quatre commissions à diriger. Une nouvelle série de
protocoles verra le jour pour aplanir ces difficultés toujours renaissantes,
toujours plus aigries, et, devant ces difficultés vitales pour les deux pays,
et par cela même plus ou moins européennes, les (manque un mot) n’oseront désarmer : elles n’obtiendront pas une
paix réelle, paix qu’elles chercheront toujours et ne trouveront jamais.
Ce sera donc une
trêve et non une pacification que la conférence aura conclue, et cela pour
avoir refusé à la Belgique les éléments, les conditions de son bonheur : car un
pays malheureux ne peut être tranquille. Mais cette trêve, toute fugitive,
toute passagère qu’elle est à mes yeux, devons-nous la rejeter ? Voilà la
question. Devons-nous repousser cet acte qui, tout imparfait, tout déplorable
qu’il se trouve, doit cependant nous faire pays, nous admettre au rang des
nations ? Je n’oserais m’y résoudre, spectateur que je suis des apprêts
au-dehors de la conférence pour nous contraindre à l’acceptation, et de la
force majeure au-dedans qui exige impérieusement de nous un résultat
quelconque. Je dis force majeure, messieurs ; car, après treize mois de lutte,
la nation a épuisé toutes les ressources de ses trésors, tous les ressorts de
son esprit public. Les contribuables sont prêts à refuser les impôts, et
l’étranger nous éloigne son crédit. Cependant l’entretien d’une armée nombreuse
doit chaque jour être couvert ; les besoins prochains et plus impérieux encore
de la classe ouvrière, pendant le prochain hiver, doivent être prévus et
apaisés ; le trésor des villes est épuisé, le zèle des campagnes est éteint ; la
nation est donc ainsi arrivée au moment, ou de se décider par un coup de
désespoir, par la guerre, ou de céder à la volonté des puissances et à la
nécessité des temps, sauf à recueillir dans ce désastre quelques débris du
naufrage.
Voilà
les puissantes considérations qui m’obligent à fléchir devant ce traité
désastreux. Je n’accepte pas, je ne refuse pas ces propositions ou plutôt ces
stipulations de paix ; je m’y soumets avec toutes les arrière-pensées de
l’opprimé contre son oppresseur, avec tout l’espoir d’un meilleur avenir, non
dans l’équité de la conférence, mais dans la justice de notre cause, dans le
concours futur des nations amies et indépendantes.
(Moniteur belge n°145, du 7 novembre 1831)
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, dans les circonstances douloureuses
où nous nous trouvons, peu d’entre nous voudraient, sans doute, chercher à
influencer l’opinion de l’assemblée sur des questions où de toutes parts
surgissent pour la Belgique malheurs et calamités. Choisir entre ces divers
maux, telle est notre pénible mission ; faire connaître à mes commettants les
motifs de mon choix, tel est le seul but que je me propose.
Lorsque les 24
articles ont été présentés à notre acceptation, l’indignation qu’ils ont soulevée
parmi nous a été unanime ; forcés cependant de nous en occuper, chacun, dans le
silence du cabinet, a dû s’adresser cette simple question : « Quel sera le
sort de la Belgique, si nous refusons cet inique traité ? Quel moyen avons-nous
d’empêcher l’acte de violence de s’accomplir. » N’en trouvant aucun, je me
vois réduit à me soumettre à ce qui constitue le droit selon la diplomatie, la
force.
L’énumération de
toutes les injustices que renferme le traité est inutile ici : assez d’autres
se sont chargés de ce soin, et certes personne n’a songé à les contredire ;
mais notre situation peut-elle être aggravée par le refus ? C’est ce qui me
paraît incontestable.
La France, signant
l’acte spoliateur, est la règle de ma conduite. Que nous exhalions ici notre
douleur en plaintes amères sur son abandon ; que nous l’accusions de notre
sacrifier à sa politique, bien ou mal entendue ; que l’on s’écrie en Belgique
comme en Italie, en Italie comme en Pologne : « France ! France !
malédiction sur toi qui leur refuse une main secourable, alors qu’ils sont près
d’y tomber ! » ; ces cris de désespoir nous sont, sans doute, permis ;
mais croyez qu’appuyé sur ses 221, M. Casimir Périer n’y répondra que par un
ironique sourire. Le fait existe, il est patent, et nous ne pouvons nous
soustraire à ses funestes conséquences.
Je sais, messieurs,
que ces considérations n’arrêtent pas les adversaires du système de la
nécessité, seul argument que nous puissions et voulions faire valoir en faveur de
notre opinion. Ils croient qu’en refusant on pourrait peut-être amener la
France à soutenir nos intérêts. Mais, en admettant que l’on y parvienne, je ne
vois, dans cette hypothèse même, qu’une guerre générale avec ses chances
douteuses, traînant à sa suite une hideuse restauration à main armée ; guerre
dont, dans tous les cas, la Belgique serait le théâtre. Ce motif seul suffirait
pour déterminer mon vote en faveur de l’acceptation. Mais cette guerre même,
est-il en notre pouvoir de la faire naître ? Je ne le pense pas.
La politique est
fondée sur des intérêts, non sur des sentiments. Or, on ne réfléchit pas assez
que c’est à la France que nous sommes sacrifiés, plus encore qu’à la Hollande
même. La révolution belge, en résultat, a plus servi ceux de la France que de
la Belgique. Que lui importe que vous payiez quelques millions de plus et que
l’on vous arrache quelques provinces, alors qu’elle se débarrasse de cette
gênante ceinture de forteresses qui la serrait si fortement, alors qu’à une
puissance hostile succède une puissance neutre, si plus amie ! un peuple vassal
enfin, sous un fier suzerain ? Car telle sera notre position vis-à-vis d’elle !
Et vous pensez que les Français, bons juges de leurs intérêts, iraient
compromettre pour vous ces avantages ? Non, non ; connaissez mieux cette nation
: tout se bornerait à quelques beaux discours de l’opposition, qui, blâmant
bien haut le ministère, l’applaudirait tout bas. Oui, en Belgique, on peut
maudire M. de Talleyrand, mais il a bien mérité de la France ; et cet odieux
traité termine dignement la carrière du Nestor de la diplomatie.
Messieurs, je ne
vois, je vous l’avoue, dans la politique actuelle des cabinets, aucun gage de
stabilité ; la conférence me semble s’être plus occupée du présent que de
l’avenir : elle a tourné des obstacles qu’elle n’a pas osé franchir. De ce
vague qui règne dans cette politique, les peuples éprouvent un malaise
indéfinissable, et l’on sent que l’Europe doit encore éprouver une commotion
avant d’obtenir de la stabilité. Que cette secousse sociale se fasse au profit
de la liberté et du despotisme, qui pourrait le prévoir ? Mais il est permis de
croire que la situation présente de la Belgique ne sera qu’un état de
transition vers un autre ordre de choses meilleur ou pire, selon ce que les
événements amèneront. Envisageant la question sous le rapport de la nécessité
et la reconnaissant comme évidente, je me demande si presque tous les grands
Etats de l’Europe n’ont pas dû tour à tour courber la tête sous son joug
inflexible. Et, sans remonter au-delà d’événements dont nous avons tous été les
témoins, qu’était l’Autriche après Wagram ? Qu’était la Prusse à la paix de
Tilsit ? Ces puissances, qui parlent aujourd’hui un langage si hautain à la
pauvre Belgique, étaient-elles assez humiliées, lorsqu’en 1812 elles se
traînaient à la suite de l’armée française, pour combattre la Russie, leur
alliée naturelle ? Et deux années n’étaient pas écoulées que, des hauteurs de
Montmartre, elles dictaient leurs ordres suprêmes à la France, qui s’y soumettait.
Malheureuse, cédant à la force, la Belgique peut aussi espérer de meilleurs
jours.
On a beaucoup parlé
dans cette enceinte de la perte totale de l’industrie par l’acceptation des 24
articles ; comme j’aime, dans les choses que je ne connais qu’imparfaitement, à
fonder mon opinion d’après les avis de ceux qui, par état, sont propres à
l’éclairer, plutôt que sur des discours où la passion se substitue souvent à la
froide raison, j’ai cru devoir consulter quelques industriels que je n’ai pas
été chercher parmi ceux qui puisaient au million Merlin.
Ils m’ont dit :
« Si ceux qui plaignent aujourd’hui l’industrie avaient daigné la
consulter avant de pousser les masse au renversement de l’ordre établi, et même
depuis, de grandes calamités eussent été prévenues ; actuellement les faits
sont accomplis. Ce ne sont pas les 24 articles qui tueront l’industrie, c’est
la révolution qui lui a porté le coup fatal. Le traité, s’il est bien exécuté,
peut, sinon lui rendre sa splendeur, lui laisser encore un reste de vie. Dans
tous les cas, nous répudions les chances d’une guerre générale, comme propres à
améliorer notre situation présente : la révolution belge s’est faite en faveur
des intérêts moraux, ce but vous l’avez obtenu. Nous pouvons gémir ; mais nous
aussi nous devons obéir aux nécessités que l’imprévoyance et l’impéritie ont
amenées à leur suite. »
On a parlé d’appel au
pays ; ce serait aussi le vœu de ceux qui pensent qu’il faut se soumettre aux
dures conditions qui nous sont imposées ; et, si le temps ne nous pressait,
nous serions les premiers à le provoquer. J’ai dit.