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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 novembre
1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi accordant certaines
facilités aux habitants des territoires cédés par le traité des 24 articles (en
matière notamment de naturalisation) (Nothomb, A. Rodenbach, Lebeau)
3) Proposition de loi relative au droit des
barrières (Jonet, Goethals, Coghen, Delehaye, H. de Brouckere, Goethals)
4) Nomination de la commission d’enquête sur les
causes et les auteurs des revers de la campagne militaire du mois d’août 1831 (Le Hon)
5) Nomination de la commission permanente des
finances
(Moniteur belge n°154, du 17 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte
à midi et demi.
M.
Jacques, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal.
Le même lit le
procès-verbal. Il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M.
Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la
commission.
M. Milcamps et M.
Dellafaille demandent un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Jaminé s’excuse de
ne pouvoir prendre part aux délibérations de la chambre, et annonce qu’il
demandera un congé vers la fin du mois, afin qu’il puisse se mettre en mesure
de se fixer en Belgique, qui sera toujours sa patrie.
PROPOSITION DE LOI
ACCORDANT CERTAINES FACILITES AUX HABITANTS DES TERRITOIRES CEDES PAR LE TRAITE
DES 24 ARTICLES
M. le président. - L’ordre du jour appelle le développement des
deux propositions de MM. Nothomb et Jonet. M. Nothomb a la parole.
M. Nothomb. - Messieurs, vous avez naguère, vous élevant à
la hauteur de l’homme d’Etat, porté une décision rigoureuse, mais dictées par
des causes supérieures, indépendantes de votre volonté. En ce jour, je
m’adresse à vous comme hommes, invoquant, non la raison d’Etat qui opprime,
mais l’humanité qui soulage ; je réclame de vous une intervention plus douce,
qui serait un acte expiatoire, si une conduite qui n’a pas été libre avait
besoin d’être expiée.
Je serais affligé si
la proposition dont vous avez permis la lecture allait renouveler de pénibles,
de lamentables discussions, et devenir le prétexte de récriminations au moins
inutiles ; je ne veux pas rouvrir des plaies trop récentes, mais les fermer.
Pour que mes intentons ne soient pas méconnues, je dois encore ajouter que, né
dans un village resté belge, quoique domicilié depuis nombre d’années dans une
commune qui rentre sous la domination du roi de Hollande, ce n’est pas un
intérêt purement personnel que je viens défendre.
Il me faudra peu
d’efforts pour justifier la mesure que je propose : l’initiative que j’exerce
est dans tous les esprits, dans tous les cœurs.
La patrie, messieurs,
n’est pas dans le sol, mais dans l’association morale ; la patrie est partout
où se trouve l’universalité des Belges.
Identifier la patrie
ou la famille avec le sol, ce serait ôter à l’association, à la famille, tout
ce qu’elle a de moral ; ce serait matérialiser notre existence. La nation qui
se voit privée d’une partie de son territoire, subsiste comme la famille qui
verrait tomber son antique habitation. Ce n’est pas un arbre qui ne vit que là
où une fois il a pris racine.
Pour les Espagnols,
la patrie, dans la première guerre de l’indépendance, s’était renfermée avec
les Cortès dans les murs de Cadix, ou errait avec Mina dans les montagnes de la
Catalogne. Napoléon avait asservi le sol ; mais la patrie, l’être moral s’était
soustrait à sa puissante influence.
La constitution
accorde à la législature le droit de céder une partie du territoire, sans lui
donner directement prise sur les habitants ; ceux-ci conservent la qualité de
Belges, et la législature ne peut qu’en soumettre l’exercice, la conservation à
des formalités, à l’inaccomplissement desquelles elle attache la déchéance. Le
cercle se rétrécit, mais ne se rompt pas.
Voici un exemple
frappant de ces principes. Vous avez accordé la naturalisation à des étrangers
qui sont domiciliés à Maestricht ou à Luxembourg. Ces étrangers continueront à
jouir du bénéfice de la naturalisation, malgré la perte de ces deux villes,
pourvu qu’ils fixent leur domicile en Belgique. Vous ne pouvez enlever aux
habitants nés Belges le bénéfice de la naissance, pour les placer dans une
condition moins favorable que les étrangers naturalisés.
Ces principes sont
même conformes à l’article 20 du traité de paix qui, combiné avec l’article 14
du traité du 3 mai 1815, conserve pendant huit ans, à chaque habitant des
territoires cédés, le droit de s’établir en Belgique, pourvu qu’il en
obtiennent la concession du gouvernement belge. Ma proposition tend à accorder
une concession générale pendant un temps déterminé.
Les habitants du
Luxembourg et du Limbourg, en se retirant devant la domination nouvelle pour
s’établir en Belgique, useront des mêmes droits que les habitants des Flandres
si la mer venait à submerger une partie de leur province.
Ce que je réclame
n’est donc ni une exception ni une faveur, mais un principe, un droit.
L’indépendance, la nationalité sont une conquête commune ; chaque province y a
contribué, et si la part pouvait se calculer à raison des souffrances, du
courage et des sacrifices, le lot des Limbourgeois et des Luxembourgeois ne
serait pas le moindre. Le titre de Belges, nos volontaires l’ont acquis pour
nous sur les barricades de Bruxelles, au pont de Walhem et sous les murs
d’Anvers ; ils l’on acquis dans ces journées dont beaucoup de nos familles
portent encore le deuil, où les Francs de Luxembourg, les (nom propre illisible) de Neufchâteau, sont tombés sous la mitraille
hollandaise, ne se doutant pas qu’un jour la qualité qui leur faisait braver la
mort serait un objet de contestation, et plus heureux que ceux qui ont survécu
et aux combats et aux illusions d’alors.
Par le fait seul de
l’insurrection, les Luxembourgeois ont rendu un immense service à la révolution
belge : dans le midi, ils ont enlevé au roi de Hollande l’accès de la Belgique.
S’ils avaient gardé cette immobilité par laquelle ils se sont signalés au 16ème
siècle et en 1790, la frontière méridionale, sur une étendue de plus de 20
lieues, restait ouverte à tous les envahissements, et exposée à toutes les
réactions.
En s’insurgeant, les
Luxembourgeois ont fermé au duc de Saxe-Weimar la voie par laquelle le duc
d’Albe, don Juan d’Autriche et Bender ont pénétré en Belgique.
S’il me fallait une
nouvelle preuve du patriotisme des Luxembourgeois et des Limbourgeois, je la
trouverais dans leur conduite d’aujourd’hui : l’arrêt est prononcé, ils le
connaissent, et ils espèrent encore, résistant et aux tentatives
contre-révolutionnaires, et peut-être aux conseils de la sagesse.
Si nous vivions à une
époque moins éclairée, il me serait nécessaire peut-être de démontrer que ce
n’est pas nuire à la prospérité du pays que d’en ouvrir l’accès à des milliers
de citoyens qui apporteront parmi nous leurs talents, leur dévouement, leur
industrie et les fortune. Ne craignons pas leur concurrence ; qu’ils montent
même aux sommités sociales. Le ciel ne nous a pas assez largement dotés pour
que nous puissions dédaigneusement repousser cet orateur dont la touchante
parole nous remue si profondément, et ce jeune poète qui vient de révéler en
beaux vers une croyance nouvelle.
Je me borne
aujourd’hui, messieurs, à vous demander des garanties pour les personnes. Par
la suite, à l’époque de la révision du tarif des droits d’entrée et de sortie,
ou par des propositions spéciales, si cette époque est trop éloignée,
j’appellerai votre sollicitude sur quelques conséquences matérielles, non pas
seulement du morcellement de ma province, mais de la séparation du grand-duché
d’avec la Belgique. Cette séparation vient briser subitement des rapports
civils et commerciaux établis par quarante années de communauté ; et ces effets
eussent été les mêmes, quelle qu’eût été l’étendue de la portion réservé au roi
de Hollande. C’est ce que commencent à comprendre les plus fougueux partisans
du roi grand-duc. Privé des débouchés de la Belgique, que fera le Luxembourg
hollandais de ses vins, de ses céréales, de ses fers, de ses draps, de ses
faïences ? la Hollande acceptera-t-elle ces produits avec un surcroît de frais
de transport ? Ne faudra-t-il pas que la Belgique, dans sa générosité, vienne
au secours de la portion cédée, en réduisant quelques droits d’entrée ? Ce sont
des questions que je recommande dès à présent à vos esprits ; vous aurez à
concilier les intérêts de la Belgique avec les sentiments de fraternité qui,
malgré les combinaisons politiques, vous lient pour toujours à des hommes qui
sont de la même famille que vous et qui ont combattu et souffert pour la même
cause. La triste position du Luxembourg hollandais ne provient pas seulement du
morcellement de la province, comme on pourrait le croire, mais du fait de sa
séparation d’avec la Belgique. Naguère j’ai souhaité dans cette enceinte que
mes compatriotes, en très petit nombre qui, dans leur aveuglement, ont voulu
que le Luxembourg formât un Etat à part, fussent heureux ; ces vœux, par
lesquels je répondais à tant d’injures, ne seront pas exaucés : ces hommes ont
fini par comprendre ce qu’ils ont nié pendant 15 mois, mais, hélas !, après
l’événement ; et ils portent déjà la peine d’une aussi grande erreur.
A toutes ces conséquences,
que malheureusement je crois trop réelles, viennent encore se joindre toutes
les incertitudes politiques qui enveloppent l’avenir du Luxembourg hollandais,
et qui sont dignes de fixer toute votre attention. Quelle sera la condition
politique de la portion du Luxembourg que nous abandonnons ? Ce pays, si
resserré dans ses limites, formera-t-il un Etat séparé, régi
constitutionnellement, ayant ses assemblées d’états, comme l’exige l’article 13
de l’acte fédéral ? Le protocole n°48 du 6 octobre, ayant mis à la charge de la
Belgique toutes les dettes des anciens Pays-Bas autrichiens, de neuf
départements français, le grand-duché devra-t-il néanmoins supporter une part
de ce chef ? Le grand-duché, ayant été en 1815, d’après le système de la
conférence, indûment réuni au royaume des Pays-Bas et à la Belgique, peut-il
dûment supporter une part dans les dettes communes ? Est-ce dûment qu’il a,
pendant 15 ans, contribué au paiement de toutes les dettes ? Est-ce dûment que
ses belles forêts ont été vendues au profit du trésor général ? N’a-t-il pas
une répétition à exercer ? Telles sont les questions, et d’autres que j’omets,
qui viennent encore aggraver la position de mes malheureux compatriotes, en les
livrant à l’arbitraire des décisions du roi Guillaume.
Messieurs, je vous ai
entretenu trop longuement peut-être des intérêts particuliers et des douleurs
des deux provinces mutilées : rattachons-nous à la patrie qui nous reste, au
principe de notre existence qui, je l’espère, est sauvée. Que l’union règne au milieu
de nous ! La discorde civile est la dernière plaie des révolutions et la
première cause des contre-révolutions. Nous avons beaucoup souffert, sans avoir
encore atteint le terme de nos maux. Nos pères aussi ont eu leurs jours, leurs
années de souffrance, et, plus malheureux que nous, c’était toujours pour une
cause qui n’était pas la leur : à l’issue de leurs peines, ils ne voyaient pas
l’aurore de l’indépendance, mais le retour de l’ilotisme politique. Depuis la
révolution du 16ème siècle, la Belgique a, une fois au moins tous les 25 ans,
enduré tout ce qu’elle endure encore aujourd’hui ; tous nous avons vu les
guerres et les désastres de 1814 et 1815 ; beaucoup d’entre
nous ont été témoins des guerres de 1793-1794, où notre pays, épuisé par des
troubles intérieurs, a été quatre fois conquis et reconquis. C’est la première
fois que nous souffrons pour une cause qui n’est pas celle de l’étranger ; nous
souffrons, mais pour nous faire une condition plus digne de nous. Tout en
déplorant ce qu’il y a de déplorable dans la nécessité qui nous domine,
profitons, en hommes, de la position qui nous reste : reconnaissons
l’omnipotence des faits, et ne perdons pas en stériles reproches l’époque
unique où il nous est donné de fonder un peuple nouveau et un nouvel ordre
social. Accueillons parmi nous tous ceux de nos frères du Limbourg et du
Luxembourg que des intérêts inséparables du sol ne retiennent pas ; que les
noms de ces deux malheureuses provinces ne soient pas effacés de nos lois, de
nos traditions ; qu’ils reste comme deux pierres d’attente ; que la Belgique
s’élève comme un monument inutile à qui l’avenir réserve une main réparatrice !
M. A. Rodenbach. - Le Roi n’ayant pas
encore accepté les 24 articles du traité de paix, on ne peut pas admettre dès à
présent que le Limbourg et le Luxembourg sont détachés de la Belgique. Je
demande, ou le renvoi aux sections, ou l’ajournement de la discussion.
M.
Lebeau. - J’appuie les observations faites par l’honorable
M. Rodenbach ; mais nous ne pouvons ordonner que le renvoi aux sections.
M. le président. - Il ne s’agit
maintenant que de la prise en considération.
M.
Lebeau. - Je vote pour la prise en considération ; mais
le renvoi aux sections me paraît indispensable.
M. le président met aux voix la question de savoir si la
demande de M. Nothomb, prise en considération par la chambre, sera renvoyée aux
sections. (Non ! non ! A une commission !)
La proposition est, à
l’unanimité, renvoyée aux sections.
PROPOSITION DE LOI
RELATIVE AU DROIT DES BARRIERES
M. le président. - M. Jonet a la parole pour le développement
de sa proposition.
M. Jonet. - Messieurs, la
proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire a pour but, sinon
l’interprétation, au moins la modification de l’article 7, paragraphe 1, du
décret du 6 mars 1831, relatif aux barrières.
Le droit de barrière,
considéré comme taxe d’entretien des routes, est un droit juste, dont
l’assiette peut d’autant moins être contestée, qu’elle fait supporter par les
personnes qui usent et profitent d’une chose la charge que la conservation de
cette chose exige.
Aussi, depuis qu’il
existe des routes et des canaux, il existe des droits de barrière et de
navigation. Le commerce, qui profite de ces moyens de communication, paie avec
plaisir un droit qu’il sait lui être utile, et qui, lorsqu’il est bien appliqué,
tourne tout entier à son avantage.
L’agriculture n’est
pas, sous ce rapport, dans une position aussi favorable. Souvent les grandes
routes, sur lesquelles on paie des droits, lui sont d’une utilité moins directe
; il est plus d’un cultivateur qui désirerait pouvoir arriver à son champ sans
devoir suivre les chemins pavés, pour lesquels ses voitures ne sont pas faites,
et que l’assujettissent à des dépenses qu’il voudrait éviter. Obligé de passer
dix fois, vingt fois par jour par la même route, pour labourer, fumer, semer sa
terre et enlever ses récoltes, le produit de ses sueurs serait quelquefois
insuffisant pour payer l’impôt, si à chaque passage il devait le supporter. Le
découragement du laboureur en serait la suite immédiate, et, en définitive la
société perdrait beaucoup plus qu’elle ne gagnerait en percevant une
contribution qui, gênant et grevant le cultivateur, ne lui permettrait pas de
soigner son champ, comme il convient qu’il le soigne.
Dans tous les temps,
les législateurs ont fait, en faveur de l’agriculture, une exception à
l’obligation qu’ils imposaient à ceux qui parcourent les routes de payer une
taxe pour leur entretien et leur conservation. La loi du 9 vendémiaire an VI,
celle du 21 floréal même année, l’arrêté du 19 mars 1814, celui du 13 février
1815, en contiennent des dispositions diverses.
On doit le
reconnaître, le décret du congrès du 6 mars 1831, a été rendu dans le même
esprit. L’article 7, paragraphes h, i, l et m, en contiennent la preuve.
D’après ces
paragraphes :
« h. Les chariots, voitures ou animaux servant au
transport de la récolte des champs, vers la ferme ;
« i. Les chariots, voitures et animaux
exclusivement chargés d'engrais, fumier ou cendres pour l'agriculture, lorsque
le chargement sera au moins aux 2/3 complet ;
« l. Les chariots, voitures ou animaux
appartenant à des fermes ou à des usines activées par le vent, l'eau ou la
vapeur, situées à moins de
« k. Et enfin les chariots, voitures ou
animaux qui transportent dans les villes, les jours de marché, des légumes ou
fourrages verts, du beurre et du laitage, sont exempts du droit. »
On voit que la
sollicitude du législateur a été grande ; elle ne laisserait même rien à
désirer si elle avait prévu l’aller et le retour à vide, aussi clairement
qu’elle a prévu l’aller et le retour à charge.
D’après les
renseignements que j’ai pris et obtenus, je pourrais étendre mes observations
aussi bien au paragraphe l qu’au paragraphe i ; mais comme ma proposition ne
concerne que cette dernière partie (manque
deux mots), je dois, pour le moment, me borner à démontrer la nécessité de
revoir cette partie, c’est-à-dire de la rejeter ou de la modifier.
Tout le monde sait ce
que c’est qu’un chariot exclusivement chargé d’engrais ; mais qu’est-ce que la
loi entend ici par chariot dont le chargement est aux deux tiers complet ?
Ces mots sont-ils
relatifs, et se rapportent-ils à l’engrais qui forme l’objet du chargement ? Ou
bien sont-ils absolus, et ne concernent-ils que le chargement même ?
En d’autres termes,
par voiture d’engrais dont le chargement est aux deux tiers complet, le
législateur a-t-il entendu parler d’une voiture complétement ou incomplètement
chargée, de manière que ces deux tiers de chargement, quel qu’il soit, sont en
engrais, et l’autre tiers en sucre, café, riz ou autres marchandises ? Ou
a-t-il entendu parler d’une voiture dont le chargement était au moins au deux
tiers de ce qu’elle pourrait transporter ?
Selon moi, c’est la
première signification qui est celle de la loi ; mais, d’après
l’administration, c’est la seconde.
Il en résulte cette
singularité que les voitures chargées, c’est-à-dire celles qui usent et
détruisent le plus la route, ne paient rien, tandis que les voitures à vide, et
celles qui n’ont que la moitié, le tiers, le quart ou la centième partie de
leur chargement, sont assujetties à l’impôt.
Tout le monde doit
sentir cette inconvenance. C’est pour la faire cesser que j’ai eu l’honneur de
vous faire ma proposition.
Dans le considérant
de cette proposition, j’ai dit que le droit n’était exigé sur les voitures à
vide que « dans certaines localités. » Je dois reconnaître ici que
j’ai commis une erreur en faisant cette assertion ; car je sais aujourd’hui que
la mesure est générale, et que le droit est perçu à Bruxelles comme à Liége, en
France comme en Hainaut. Si vous prenez ma proposition en considération, les
trois mots ci-dessus soulignés devront être rayés du projet.
Je sais que l’on
dira, pour repousser ma proposition, qu’elle est inutile, puisque s’il y a
abus, les parties lésées peuvent s’adresser aux tribunaux.
Je conviens de cette
faculté et de cette possibilité ; mais, de ce que les tribunaux sont ouverts,
s’ensuit-il que la tribune législative doive être fermée ? Je ne l’ai pas cru,
et je ne le crois pas encore.
Peut-on, en effet,
renvoyer aux tribunaux de malheureux cultivateurs de qui on exige journellement
un impôt, de quelques cents à la vérité, mais qui, souvent répété, devient très
important pour eux ? Pour quelques cents, ces gens devront-ils soutenir un
procès en première instance, en appel et probablement en cassation ? Comment
feront-ils pour pourvoir aux dépenses que ce procès exigera ? S’ils le peuvent,
et quand ils y auront pourvu, quand ils auront plaidé en première instance, en
appel, en cassation, auront-ils ce qu’ils demandent ? Les tribunaux leur
adjugeront-ils ce qu’un texte de loi, vicieux, paraît leur refuser ? Et enfin,
quand ils auront plaidé, quand définitivement ils se seront ruinés, ne
faudra-t-il pas toujours qu’on en reviennent au point d’où nous partons,
c’est-à-dire à une interprétation législative ?
Pour mon compte,
messieurs, je ne saurais me résoudre à exposer les cultivateurs à tant de
frais, à tant de déboires et à tant d’amertume. Je réclame pour eux, dès le
principe, ce qu’on ne peut leur refuser. En définitive, je demande et réclame
une modification ou une interprétation de la loi, en vertu de laquelle on les
opprime.
Je sais que l’on dira
encore, contre ma proposition, qu’on ne peut l’admettre sans porter atteinte
aux droits acquis aux fermiers des barrières.
Mais ici je ferai un
dilemme et je dirai : si le droit de percevoir en droit sur les voitures à vide
a été garanti aux barrières, ce serait l’administration qui aurait commis la
faute, et alors elle devrait supporter les conséquences de sa conduite, en
bonifiant aux préposés une somme égale à celle qu’elle leur aurait indûment
garantie.
Si, au contraire, l’administration
n’a rien garanti, alors les préposés qui ont connu la loi, et qui ont dû
l’entendre sainement, n’auraient pas de reproche à faire à personne, et ils en
seraient seulement quitte pour faire, à la fin de leur bail, ce qu’ils auraient
dû faire au commencement. Dans les deux cas, il y aurait abus ou fausse
intelligence de la loi. Dans les deux cas, une nouvelle loi serait nécessaire.
Je sais que l’on
m’opposera, enfin, qu’en accordant un passage gratis aux voitures à vide, qui
vont chercher de l’engrais, on donne aux fermiers et cultivateurs un moyen de
frauder le droit, puisque, sous prétexte d’aller chercher de l’engrais, ils
peuvent aller chercher du charbon, des pierres, du bois ou tout autre denrée.
Mais je répondrai que
ce mal possible trouve son remède dans la loi même : l’article 14 du décret du
6 mars porte que toute contravention sera constatée par un procès-verbal, signé
et affirmé par le préposé.
Déclarer qu’on va
chercher une matière exempte de l’impôt, pour frauduleusement aller chercher
une autre matière qui y est soumise, c’est contrevenir à la loi. Cette
contravention doit être punie ; et elle est d’autant plus facile à constater,
qu’en passant le voiturier doit faire connaître qui il est, où il va, et pour
quoi il va. Il est facile de rédiger un procès-verbal à sa charge, s’il ne
repasse pas.
On peut même, pour
éviter la fraude, faire consigner les droits lors du passage à vide, sauf à les
restituer au retour.
Après
vous avoir démontré, messieurs, la nécessité d’une loi réformatrice de l’abus
signalé, il ne me reste plus qu’à examiner si cette loi doit être
interprétative ou simplement modificative de la loi du 6 mars. Si elle est
interprétative, elle aura un effet rétroactif, et, si elle n’est que
modificative, elle ne produira son effet qu’à compter de sa promulgation.
D’après
ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, je pense qu’elle doit être
interprétative : sa rétroactivité ne nuira pas aux préposés qui ont traité de
bonne foi avec l’administration, puisqu’ils auront leur recours contre elle.
Quant aux autres, j’estime qu’ils méritent d’autant moins d’égards qu’ils
auront entendu la loi d’une manière plus judaïque et plus littérale.
Quoi qu’il en soit,
interprétative ou modificative, peu importe : une loi est nécessaire ; j’ose
donc croire que vous en porterez une, après avoir pris ma proposition en
considération.
M. Goethals. - Je demande l’ajournement jusqu’à une nouvelle
adjudication des barrières.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je partage
entièrement l’avis du préopinant. En vertu de la loi du 6 mars,
l’administration a passé des contrats pour la perception des droits de
barrière. La moindre innovation dans la loi dénaturerait les droits acquis à
des tiers ; elle présenterait des inconvénients fort graves, qui
compromettraient tout à la fois l’intérêt public et l’intérêt du trésor.
M. Delehaye. - C’est par suite de
pétitions qui vous ont été adressées que la proposition de M. Jonet vous est
soumise. Vous ne devez examiner maintenant que l’utilité de la loi qu’on vous
propose, sauf pour ne pas blesser les droits de tiers à décider que cette loi
ne sera exécutoire qu’au mois de mars, à l’expiration des contrats passés.
M.
H. de Brouckere appuie purement et simplement la prise en
considération, et trouve que les orateurs précédents devaient se borner à cette
prise en considération, la combattre ou l’admettre, et non s’occuper du fond de
la question.
M. Goethals. - Je ne me suis occupé du fond de la question
que pour m’opposer à la prise en considération, parce que non seulement vous
allez faire naître des procès contre les cessionnaires et les propriétaires des
chevaux et voitures soumis au droit de barrière, mais encore parce que cette
loi, si vous ne voulez lui donner d’effet qu’au mois de mars, ne doit pas
absorber maintenant les moments de la chambre. (Aux voix ! aux voix !)
- La proposition de M.
Jonet, prise en considération, est renvoyée aux sections.
NOMINATION DE LA
COMMISSION D’ENQUETE SUR SUR LES CAUSES ET LES AUTEURS DES REVERS DE LA
CAMPAGNE MILITAIRE DU MOIS D’AOUT 1831
M. le président. - L’ordre du jour est la nomination de quatre
commissions. On va s’occuper d’abord de la commission d’enquête.
- Après plusieurs
explications sur le nombre des membres, il est décidé qu’il sera fixé à sept.
Une discussion
s’engage sur la question de savoir si cette commission sera nommée à la
majorité absolue ou à la majorité relative.
M. le Hon. - Comme il s’agit
d’une commission qui doit remplir une mission délicate, je demanderai que les membres
qui la composeront soient nommés à la majorité absolue.
- Cette proposition
est mise aux voix : après quatre épreuves qui ne paraissent pas décisives au
bureau, on procède à l’appel nominal.
41 membres votent
pour la majorité relative ; 31 pour la majorité absolue.
La proposition de M.
le Hon est rejetée.
On tire au sort trois
bureau de scrutateurs. Voici le résultat du scrutin :
MM. Gendebien, 36
voix ; Dumortier, 38 ; d’Elhoungne, 31 ; de Blargnies, 27 ; Helias d’Huddeghem,
23 ; Leclercq, 20 ; Bourgeois et Dumont, 19. M. Bourgeois, comme étant le plus
âgé, est nommé membre de la commission d’enquête avec les six autres membres.
NOMINATION DE LA
COMMISSION PERMANENTE DES FINANCES
On procède ensuite à
la nomination de la commission des finances. On fixe à sept le nombre de ses
membres.
Au premier tour de
scrutin, trois membres obtiennent seulement la majorité absolue sur 76 votants
; ce sont MM. d’Elhoungne, 56 voix ; Osy, 53 ; Angillis, 52. On procède à un
second tour de scrutin pour la nomination des quatre autres membres, qui sont :
MM. Dubus, 50 voix ; Legrelle, 46 ; Brabant, 46 ; Seron, 38. Il y avait 65
membres.
La nomination de la
troisième commission est renvoyée à demain.
- La séance est levée
à quatre heures.
Noms des
représentants absents sans congé à la séance du 14 novembre 1831 : MM.
Barthélemy, Dams, Davignon, Ch. De Brouckere, F. de Mérode, de Muelenaere, de
Sécus, Dewitte, Fallon, Gelders, Lardinois, Pirmez, Rogier, Tiecken de Terhove.