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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 15 décembre
1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi, amendé par le sénat, tendant à
lever la prohibition à l’exportation des armes de guerre. Délégation conférée au
Roi par la chambre de suspendre une loi (Fleussu, Milcamps, Van Innis, Barthélemy, Fallon, H. de Brouckere)
(Moniteur belge n°185, du 17 décembre 1831)
(M. Destouvelles, vice-président, occupe le fauteuil.)
La séance est ouverte
à trois heures.
M. Dellafaille lit le
procès-verbal, qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Jacques analyse quelques
pétitions qui sont renvoyées à la commission.
PROJET DE LOI (AMENDE
PAR LE SENAT) TENDANT A LEVER LA PROHIBITION A L’EXPORTATION DES ARMES DE
GUERRE
L’ordre du jour est
la discussion du projet de loi relatif à la sortie des armes.
M.
Fleussu. - Lorsque, naguère, le projet de loi tendant à
lever la prohibition de l’exportation des armes a été soumis à la chambre, la
discussion était fort avancée, elle touchait presque à sa fin, quand des
scrupules se sont élevés dans mon esprit sur la constitutionnalité du
paragraphe qui laissait au gouvernement la faculté de rétablir la disposition
prohibitive, s’il jugeait que les circonstances le rendissent nécessaire dans
l’intérêt de l’Etat.
J’en exposé mes
doutes et les motifs qui les faisaient naître. Les raisons qui ont été données par
quelques orateurs, pour les dissiper, ne m’ont point touché, et des efforts que
l’on a faits pour me combattre est résultée pour moi la conviction profonde
d’une inconstitutionnalité, à l’égard de laquelle je n’avais d’abord conçu que
quelque incertitude.
Mon opinion n’a point
été partagée par la majorité de la chambre ; mais, au sénat, on a été frappé de
la difficultés que j’avais soulevée dans cette enceinte : c’est pourquoi une
modification a été apportée au projet de loi, dans le but de faire disparaître
la disposition inconstitutionnelle. Toutefois, messieurs, il me semble que le
sénat a vu le mal sans appliquer le remède ; car, selon moi, les changements
opérés n’ont point purgé le projet de loi du défaut reproché, et je ne me sens
pas plus disposé en faveur des dispositions ainsi amendées. Je regrette
cependant de devoir m’élever contre la loi proposée, parce que je me plais à
rendre justice aux vues du gouvernement ; elle tend à favoriser le commerce des
armes, en levant la prohibition de leur exportation. Mais il suffit que j’aie
cru remarquer une atteinte à la constitution, pour qu’il y ait pour moi
obligation de lui refuser mon assentiment. Je présume d’ailleurs assez bien des
intentions du ministère, pour m’attendre à le voir reproduire la loi sans
réserves aucunes, si la chambre s’arrête devant l’illégalité de celles que le
projet renferme.
Je ne puis
reconnaître une différence réelle entre la loi présentée par les ministres et
la loi amendée par le sénat. C’est toujours la même loi avec les mêmes défauts.
Au lieu de l’abrogation de la loi prohibitive, avec réserve au Roi de le
rétablir, le cas échéant, le sénat a imaginé une fiction, d’après laquelle la
loi, qui interdit l’exportation, sans cesser de subsister, se trouverait dans
un état de suspension, qu’il serait libre au Roi de lever, si l’intérêt de
l’Etat l’exigeait. En comparant les deux projets dans leurs résultats, on reste
convaincu que les changements tombent sur les expressions, et nullement sur les
choses ; or, on sait que c’est aux choses et non aux expressions que les lois
s’adressent.
Je vous avoue que je
ne comprends point qu’une loi puisse subsister et être frappée d’impuissance et
d’inertie. Il est impossible qu’elle soit et qu’elle ne soit pas en même temps.
La tenir en suspension, c’est la mettre dans un état qui n’est ni la vie, ni la
mort. L’existence d’une loi se marque par l’obéissance qu’elle commande ; car
une loi n’est, à vrai dire, qu’un ordre stable, permanent, qui ordonne ou qui
défend. Du moment qu’une loi cesse d’être obligatoire, elle n’est plus une loi,
elle en a perdu le caractère. Une loi n’existe que par l’action continuelle
qu’elle exerce sur tout ce qui est soumis à son empire ; et vous lui ôtez son
action, vous lui enlevez le principe de son existence. La suspension n’est pas,
à proprement dire, qu’une véritable abrogation, tant que dure la suspension.
Je n’ai pas besoin de
rappeler à l’attention de la chambre que les lois se défont, se refont de la
même manière qu’elles se font, c’est-à-dire que le concours des trois branches
du pouvoir législatif est tout aussi nécessaire pour ressusciter une loi morte
ou pour la tirer de l’état léthargique de la suspension, qu’il est
indispensable pour la constituer. S’il en était autrement, si le pouvoir
exécutif était autorisé à remettre en vigueur, de sa propre autorité, une loi
abrogée ou seulement suspendue, il exercerait par cela même à lui seul le
pouvoir législatif, puisqu’il pourrait substituer un régime à un autre. Ce ne
serait plus le pouvoir exécutif qui serait aux ordres de la loi, ce serait la
loi qui serait à la disposition du pouvoir exécutif.
Les mesures adoptées
par le sénat n’atteignent donc point le but qu’il s’est proposé, puisque le but
ne conserve qu’une existence nominale ; que le gouvernement reste seul
appréciateur des circonstances, qui peuvent l’engager à la laisser sans effet
ou à lui rendre sa vigueur. Je ne saurais, pour ma part, acquiescer à une
semblable autorisation, parce que tout ce qui concerne la force obligatoire des
lois est nécessairement de la compétence du pouvoir législatif : c’est
tellement vrai, que, d’après l’article 67 de la constitution, le Roi ne peut
jamais suspendre les lois ni dispenser de leur exécution. Ce que la
constitution a défendu en thèse générale, irez-vous le permettre pour un cas
spécial ? Car, messieurs, remarquez-le bien, en autorisant le gouvernement à
substituer un régime à un autre, vous lui donnez virtuellement la faculté de
suspendre, par une simple ordonnance, la loi qui permet l’exportation et qui
est la loi commune, pour la remplacer par une loi prohibitive, qui est
exceptionnel de sa nature. En vous engageant dans cette fausse route, vous
risquez de compromettre la garantie stipulée contre le pouvoir dans l’article
67 de la constitution ; car l’antécédent que vous poserez dans cette occasion,
on ne manquera pas de l’invoquer dans d’autres circonstances, et de cas
particulier en cas particulier, on rendra presque sans effet la disposition que
je viens de rappeler.
On nous a reproché
d’élever une difficulté sur un paralogisme. Où trouverez-vous, demande-t-on,
une illégalité, s’il était dit : « L’interdiction d’exporter les armes est
levée jusqu’à ce que le gouvernement juge que la loi prohibitive devra être
rétablie dans l’intérêt de l’Etat » ?
Ce n’est là que résoudre
la question par la question : la difficulté n’est pas de savoir si on peut
déterminer la durée d’une loi, mais si on peut laisser le ministère maître de
cette durée, et s’il nous est loisible, le laissant juge absolu des
circonstances, de l’autoriser à faire cesser une loi de libre exportation, pour
rendre vie et force à une loi de prohibition. On aura beau retourner le projet
de toute manière, on aura beau argumenter par des comparaisons, il restera
toujours clair qu’il confère au gouvernement le droit de substituer un régime à
un autre, et que sous ce rapport il sera, quant à ce, autorisé à exercer seul
le pouvoir législatif ; car au pouvoir législatif seul il appartient de
remplacer une loi par une autre, et lui seul peut avoir le droit d’apprécier
les circonstances qui peuvent commander la nécessité de ce changement.
On vous parlera
peut-être encore de la responsabilité ministérielle. J’estime très haut cette
garantie ; mais, à mon avis, il faut le moins possible y exposer les agents du
gouvernement, parce qu’en cette matière le mal est toujours consommé quand on a
recours au remède.
Ne pensez pas
cependant, messieurs, que j’aille jusqu’à prétendre qu’on ne puisse jamais
laisser une certaine latitude au pouvoir exécutif ; non, la constitution lui a
fait sa part trop petite, pour que je veuille la restreindre encore. J’admets
que nous pouvons autoriser le ministère à prendre telles ou telles mesures, à
exécuter une loi d’après les circonstances et suivant les besoins de l’Etat ;
mais, à cet égard, il ne faut point perdre de vue une distinction importante,
distinction qui, selon moi, domine toute la discussion actuelle.
L’usage de la faculté
accordée ne donne-t-il au Roi aucune autre prérogative que celles que lui
confère la constitution, alors il ne fait qu’exécuter la loi ; mais si de
l’exécution de la loi doit résulter une nouvelle prérogative pour la couronne
ou un complément quelconque sur un des trois grands pouvoirs, l’autorisation
alors est marquée au coin de l’illégalité.
Il faut éclaircir ceci
par un exemple : le code civil défend le mariage entre beaux-frères et
belles-sœurs ; mais un décret du congrès autorise le chef de l’Etat à lever
cette interdiction. Lorsque le Roi, en exécution de ce traité, accorde des
dispenses, il ne faut qu’user d’une autorisation légale, il exécute la loi ;
mais il n’en est pas de même dans le projet proposé : en lui accordant la
faculté de faire cesser une loi, et de rendre vie et force à des dispositions
abrogées, soit que vous les considériez comme suspendues ou momentanément
abrogées, vous donnez une prérogative nouvelle au gouvernement ; vous lui
conférez, relativement à cet objet, tout le pouvoir législatif.
Cette observation
répond d’avance aux arguments déduits de l’article 78 ; car la loi qui fait en
ce moment l’objet de la discussion n’est point portée en vertu de la
constitution ; sa disposition finale, au contraire, est en opposition formelle
avec les principes consacrés par la constitution, puisque par l’exécution on
délègue au pouvoir exécutif la faculté de changer le système de la législation
au sujet de l’exportation des armes.
On
objecte encore qu’il peut être urgent de prendre des mesures instantanées, et
qu’en l’absence des chambres, il pourrait y avoir danger à différer la
prohibition des armes ; que partout il y a nécessité d’autoriser le Roi à
rétablir la loi prohibitive. A cela une réponse facile se présente d’elle-même,
je la trouve dans ce qui nous a été dit par un membre du ministère. Il y a,
nous a-t-il dit, il y a deux cent mille fusils à la disposition du
gouvernement. S’il en est ainsi, en voilà plus qu’il n’en faut pour la défense
de l’Etat. Voilà plus d’armes que vous n’avez d’hommes pour les porter. Si vous
avez besoin d’augmenter vos forces, il faudra bien que vous assembliez la législature
pour obtenir une loi à cet effet, et alors rien ne s’opposera à ce que vous
nous proposiez une loi pour rétablir une loi prohibitive.
D’après ces
considérations, je ne pourra voter en faveur du projet, s’il n’est amendé.
M. Milcamps. - Messieurs, pour
bien comprendre l’objet en discussion, l’on ne doit pas perdre de vue que le
tarif annexé à l’arrêté du 7 novembre 1830 prohibe à la sortie l’exportation
des munitions et armes de guerre. Il faut, en outre, avoir sous les yeux, et
les comparer, le projet du gouvernement adopté par la chambre et le projet
amendé par le sénat, tendant tous deux à lever la prohibition seulement en ce
qui concerne les armes de luxe et de guerre.
Après avoir examiné
ces deux projets, je n’y ai vu de différence que dans les termes. Sur le fond
je les ai trouvés d’accord.
L’article premier du
projet primitif, qui excepte de la prohibition à la sortie l’exportation des
armes de luxe et de guerre, déroge expressément à l’arrêté du 7 novembre 1830,
tandis que l’article unique du projet amendé suspend, en ce qui concerne les
mêmes objets, l’arrêté du 7 novembre.
Mais si la dérogation
et la suspension portent sur les mêmes objets, c’est statuer que la loi ne sera
plus observée dans les points qui sont l’objet de la dérogation ou de la
suspension.
Mais ce n’est pas là
la difficulté. S’il y en a, ce que je ne pense pas, c’est relativement à
l’article 2 du projet primitif.
L’article 2 autorise
le Roi à rétablir la prohibition sur les armes de luxe et de guerre, si les
circonstances venaient à l’exiger. Mais, a-t-on dit, il n’appartient qu’au
pouvoir législatif de prononcer cette prohibition. Ainsi présentée, l’objection
est fondée. Mais qu’on y réfléchisse bien. Ce n’est pas là la question. La
question est de savoir si le pouvoir législatif peut autoriser le Roi à
rétablir la prohibition. J’ignore l’opinion du sénat ; mais il paraît avoir eu
quelque scrupule sur la constitutionnalité du projet du gouvernement, et, pour
s’en débarrasser, il a dit : Suspendons l’arrêté du 7 novembre 1830, qui
prohibe à la sortie l’exportation de ces espèces d’armes, et autorisons le Roi
à lever cette suspension, et à rétablir la prohibition ; par là nous éloignons
sans doute l’inconstitutionnalité du projet.
Evidemment,
messieurs, le scrupule du sénat reposait sur une erreur de principes.
En principe, le
pouvoir législatif peut abolir une loi, y déroger ou en suspendre l’exécution.
Je ne rappelle ces règles, messieurs, que pour l’ordre de mes idées.
En principe encore,
le pouvoir législatif peut autoriser le Roi à faire telle ou telle chose
déterminée. Si le Roi fait ce à quoi il est autorisé, il exécute la loi. Donc
s’il venait à rétablir la prohibition, il n’exercerait pas un droit inhérent à
la prérogative royale, un attribut propre du pouvoir exécutif ; mais il ferait
un acte pour lequel le pouvoir souverain lui aurait conféré une autorisation
spéciale. Or, on ne peut douter que le pouvoir souverain ne puisse autoriser le
pouvoir exécutif à prendre une mesure de sûreté déterminée.
Ainsi il n’existe
aucune inconstitutionnalité dans le projet primitif, pas plus que dans le
projet amendé.
Ainsi quel est
maintenant celui des deux projets qui doit avoir la préférence ? Mais nous
n’avons plus le choix.
Si je considérais en soi les deux projets, et si
nous avions encore le choix, j’adopterais de préférence le projet du
gouvernement, dont la rédaction est plus claire, plus conforme au style simple
des lois. Mais lorsque je considère que le projet amendé par le sénat atteint
le même but, celui de favoriser le commerce d’armes ; lorsque je considère que
le rejet de ce projet va tenir encore longtemps en état de souffrance une
branche importante de notre industrie, je ne puis balancer à donner un vote
favorable au projet amendé par le sénat.
M.
Van Innis examine la question de constitutionnalité. Il trouve
que le projet n’est point inconstitutionnel, et conclut à son adoption.
M.
Barthélemy. - J’ai l’honneur de proposer, pour concilier
toutes les opinions : « L’arrêté du 6 novembre 1830 est révoqué. »
Plusieurs membres. - Non ! non ! Aux
voix !
M. le président. - Je ferai remarquer à M. Barthélemy qu’il
s’agit ici du projet du sénat.
M. Barthélemy. - Eh bien ! je fais
un contre-projet… (Interruption. Aux voix
!) Je veux seulement soumettre à l’assemblée une considération tirée de la
loi de 1822, qui tranche toutes les difficultés. Il y est dit : « Les armes
ne peuvent sortir sans la permission du gouvernement. » Or, cette loi
n’étant pas abrogée, le gouvernement, après la révocation de l’arrêté, pourra
accorder la permission de sortie pour les armes, et ensuite le refuser, si les
circonstances l’exigent.
M. Fallon, après de longs
développements, demande la division du projet, attendu que, tout en rejetant la
seconde partie, il désire hâter pour la première un assentiment qu’il partagerait
; ainsi, dit-il, en attendant que les débats soient terminés sur la seconde
partie, l’industrie pourra profiter d’une mesure dont l’urgence est reconnue.
- On demande de
toutes parts à aller aux voix.
M.
H. de Brouckere. - J’avais l’intention de répondre quelques mots
à M. Barthélemy ; mais comme l’assemblée me paraît impatience d’aller aux voix,
je renonce à la parole.
M. le président. - Je ferai remarquer, d’ailleurs, que ce que
propose M. Barthelemy est un projet de loi nouveau qui devrait être renvoyé aux
sections.
- On demande le
renvoi à demain.
La séance est levée à
4 heures.