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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 janvier
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi accordant des crédits
provisoires au département de la guerre pour l’exercice 1832. Mise à l’ordre du
jour (Brabant, Olislagers, Ullens, Destouvelles, Lebeau)
3) Proposition de loi portant organisation de
l’instruction publique (instruction primaire, gratuité pour les enfants
pauvres, rôle des pouvoirs publics et de l’église dans l’enseignement,
anticléricalisme) (proposition Seron-de Robaulx). Prise en considération (Milcamps, Mary, Dumortier,
Gendebien, A. Rodenbach, Helias d’Huddeghem, Seron, Angillis, de Robaulx, Desmet, de Terbecq, Ullens, Van Meenen, de Theux, Delehaye, Destouvelles, de Haerne, Pirson, Lebeau, de
Haerne, H. de Brouckere, Lebeau,
Delehaye, Dumortier, H. de Brouckere, Lebeau, Devaux, Van Meenen, Barthélemy, Jullien, Dewitte, Devaux, Delehaye, Dumont, H. de Brouckere)
(Moniteur
belge n°28, du 28 janvier 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à midi et demi.
M. Lebègue fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M. Lebègue analyse les pétitions, qui sont renvoyées à la
commission.
PROJET DE LOI ACCORDANT
DES CREDITS PROVISOIRES AU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1832
M.
Brabant. Est appelé à la tribune pour faire le rapport de la
commission chargée d’examiner le projet de loi tendant à accorder un nouveau
crédit au ministre de la guerre. Il s’exprime ainsi. - Messieurs, la commission
du budget a pris communication des demandes de fonds faites par les intendants
chargés du service dans les divisions administratives ; ces demandes s’élèvent
à la somme de 18,916,000 ; le surplus de 404,000 est motivé sur l’obligation où
se trouve le ministère de satisfaire à des besoins urgents qui seraient restés
en souffrance pendant le mois de janvier, et de payer les fournitures faites et
à faire au magasin central. Le temps ne nous a pas permis d’apprécier bien
exactement l’importance des besoins, et nous avons cru pouvoir être d’autant
moins rigoureux que le crédit demandé aujourd’hui, ajouté à celui que vous
aviez accordé pour le mois de janvier, ne s’élèvent qu’à 4,300,000 ; somme qui,
sextuplée, ne porterait les dépenses de la guerre, pour la présente année, qu’à
25,000,000 au lieu de 28,400,000 qui vous ont été demandés. Malgré les
réductions considérables qui vous seront proposées dans notre prochain rapport,
le chiffre définitif de ce budget ne sera pas inférieur à la dépense que
supposent ces crédits provisoires accordés et demandés. En conséquence, votre
commission a l’honneur de vous proposer l’adopter du projet présenté dans la séance
d’hier par M. le ministre de la guerre.
M. le président. - Veut-on passer à la discussion immédiate ?
Plusieurs voix. - Oui ! oui !
D’autres voix. - Non ! le ministre de la guerre n’est pas présent.
M. Olislagers. -Le sénat ne s’assemble que lundi ; il me semble
qu’il serait encore temps de discuter samedi prochain.
M. Ullens demande qu’on passe à l’ordre du jour.
M. Destouvelles. - Je ne vois pas
d’inconvénient à ce que l’on procède immédiatement à la discussion. Si la
commission avait proposé des réductions, alors la présence de M. le ministre de
la guerre serait nécessaire ; mais, comme elle propose l’adoption pure et
simple du projet, nous pouvons le discuter en son absence.
M. Lebeau. - Il faudrait, selon moi,
attendre la fin de la séance pour fixer le jour de la discussion. En supposant
même qu’on adopte sans difficulté les conclusions du rapporteur, nous ne devons
pas non montrer plus pressés que le gouvernement. Nous pourrions remettre la
discussion à un autre jour, ou plutôt à demain. (Appuyé !)
- La chambre remet
la discussion du projet à demain.
PROPOSITION DE LOI
PORTANT ORGANISATION DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la
prise en considération de la proposition de MM. Seron et de Robaulx.
M.
Milcamps. - Messieurs,
ce n’est pas une chose facile que de faire une bonne loi sur l’instruction publique
en rapport avec les principes de notre constitution. Lorsque j’en considère les
difficultés, je ne m’étonne point que le gouvernement ne nous ait pas encore
présenté un projet sur cette importante matière.
Ces difficultés,
les honorables auteurs de la proposition qui nous occupe les ont-ils prévues ?
Dans leur
proposition, ils ne font que poser le principe qu’il sera établi, dans chaque
commune, aux frais de l’Etat, une ou plusieurs écoles primaires et gratuites ;
et déjà vous voyez combien cette proposition, qui a dû coûter peu d’efforts,
rencontre d’opposition.
Que penser d’un
projet que nous attendons du gouvernement, qui, s’il embrasse, comme je le
présume, un système général d’instruction, comprendra peut-être trois cents
dispositions ?
Je ne viens point
contester la nécessité de procurer à la classe peu aisée et pauvre une
instruction primaire et gratuite ; j’en suis si pénétré, j’en reconnais
tellement l’urgence, que je fais des vœux pour que le gouvernement ne cesse de
faire de cette instruction l’objet de ses soins et de sa sollicitude.
Je ne viens point,
non plus, contester que la loi ne puisse, en vertu de l’article 17 de la
constitution, autoriser le gouvernement à établir, aux frais de l’Etat, des
écoles primaires et gratuites dans chaque commune. Si l’enseignement est libre,
et il l’est, c’est pour l’Etat, c’est pour les communes (sauf l’approbation de
leurs budgets), c’est pour tous les citoyens.
Mais je ne puis
approuver le mode d’application de cet article, tel que le proposent les honorables
membres MM. Seron et de Robaulx.
Il ne me paraît
pas que la législature doive, pour le moment, user de toute la plénitude de sa
puissance.
Dans mon opinion,
je n’oppose ici qu’un système à un autre système ; dans mon opinion, il me
paraît convenable que la loi à intervenir pour l’instruction aux frais de
l’Etat ne dispose que sur l’enseignement universitaire, et sur quelques écoles
spéciales, telles que celles des sourds-muets et aveugles-nés, de gymnase,
d’artillerie, du génie militaire, les écoles vétérinaires. Cette classification
n’est que démonstrative.
Quant aux écoles
du second degré et aux écoles primaires, la loi à intervenir me paraît me
devoir comprendre des dispositions, tant à l’égard de celles à établir aux
frais de l’Etat, si tant est que cela puisse devenir nécessaire, que sur celles
à établir aux frais des communes.
Mais la loi
peut-être régler aussi le mode d’instruction à donner aux frais des communes ?
Je pose la
question, mais je n’entends pas, dans ce moment, la résoudre. Si un jour je
suis appelé à le faire, ce sera, dans ma pensée, conformément à la
constitution.
On peut dire que,
si les administrations communales ont une existence constitutionnelle, elles ne
tiennent leur pouvoir que de la loi. Leurs fonctions, sous certains rapports,
ne sont que des branches de l’administration générale.
Cela est si vrai,
que l’article 108 de la constitution a consacré en principe l’attribution aux
conseils communaux de tout ce qui est d’intérêt communal, « sans préjudice
de l’approbation de leurs actes dans le cas et suivant le mode que la loi
détermine. »
La constitution
établit les mêmes principes pour les états provinciaux.
De là (je tire
peut-être une conséquence peu directe), on ne peut contester aux conseils
communaux la faculté d’établir, sauf l’approbation de leurs budgets, des écoles
primaires et gratuites dans leurs communes.
Mais si une loi,
telle que celle que proposent les honorables MM. Seron et de Robaulx,
autorisait le gouvernement à établir, dans les communes, des écoles primaires
et gratuites, ; si, à côté de ces écoles, les administrations communales, des
particuliers, formaient des institutions primaires, qu’adviendrait-il ? Le
gouvernement empêcherait les institutions communales. Mais ce serait établir,
non une mesure préventive, mais le monopole de l’instruction. S’il laissait
faire, de quelle utilité seraient les institutions de l’Etat ?
Ces considérations
jointes à celles que d’habiles orateurs ont fait valoir, me font penser que la
loi à intervenir sur l’instruction ne devrait pas, pour le moment, instituer
aux frais de l’Etat, des écoles secondaires et primaires, mais qu’elle devrait
seulement autoriser à encourager celles que les administrations communales
établiraient, en leur accordant sur leurs demandes des subsides, en
récompensant parfois la bonne instruction. C’était ce qui se pratiquait avant
le nouvel ordre des choses, c’est ce qui se pratique sous le gouvernement
actuel, et cette pratique n’a pas peu contribué au succès de l’instruction
primaire.
On doit admettre
d’ailleurs que l’établissement d’une école primaire aux frais de l’Etat, dans
chaque commune, occasionnerait à la nation une charge que, dans les
circonstances actuelles et durant plusieurs années, elle ne pourrait supporter.
Je ne puis
partager l’opinion de mes honorables collègues, que chaque école n’entraînerait
qu’une dépense annuelle de 200 fl. ; le local, le chauffage, la distribution
des prix aux élèves, sont encore des dépenses qui devraient être à la charge de
l’Etat ; car le gouvernement ne pourrait peut-être pas y faire contribuer les
administrations communales qui, relativement à l’emploi des deniers communaux,
me paraissent avoir constitutionnellement l’initiative de toute proposition.
On a parlé de
concurrence. Mais c’est cette concurrence contre les institutions du
gouvernement que je craindrais. Elle ferait naître des jalousies, des
rivalités, des divisions toujours funestes aux progrès de l’instruction, qu’il
est de la sagesse du gouvernement de prévenir, qu’il préviendra en laissant
agir les administrations, tout en stimulant leur sollicitude. Je faisais, il
n’y a qu’un instant, la question si la loi pourrait régler aussi le mode
d’enseignement donner aux frais des
communes, en observant que je n’entendais pas la résoudre.
Mais y aurait-il
violation de la constitution, si, dans l’intérêt de l’unité, la loi déterminait
le mode de nomination des instituteurs par les administrations communales, le
mode d’une bonne instruction, sans contrainte pour les administrations et les
instituteurs, en ce qui concerne la religion et les mœurs ?
« L’enseignement
est libre ; » mais c’est là la déclaration d’un des droits des hommes, qui
permet à chaque citoyen, ou à plusieurs citoyens associés, considérés comme
individus, d’enseigner comme ils l’entendent, sans être soumis à l’action et à
l’influence du pouvoir.
« Toute
mesure préventive est interdite ; » mais c’est là la déclaration qu’il ne
pourrait être porté de loi qui, dans l’instruction, prévienne que le mal naisse
; et je me suis aperçu que, dans la séance d’hier, on n’avait pas toujours bien
saisi la signification de ce terme.
« La
répression des délits n’est réglée que
par la loi. » Mais c’est là un principe de droit commun qui, quant à
l’instruction, doit être compris dans ce sens que, si un mal naît qui ait le
caractère de délit, il pourra être réprimé. Cette disposition est la plus forte
garantie que la constitution ait pu donner de la liberté de l’enseignement.
Vous me pardonnerez, messieurs, ce petit commentaire sur l’article 17 de la
constitution.
Je voterai ou pour
l’ajournement jusqu’à la présentation d’un projet de loi par le gouvernement,
si la question est ainsi posée, ou contre la prise en considération de la
proposition des honorables MM. Seron et de Robaulx.
(Supplément au Moniteur belge, sans date ni
numérotation) M.
Mary. - Messieurs, il est des dépenses qui, alors qu’elles
sont bien appliquées, sont productives et fécondes. De ce nombre sont, bien
certainement, celles destinées à propager l’instruction primaire et gratuite,
dette que tout gouvernement constitutionnel me semble contracter vis-à-vis de
ceux dont les familles n’ont pas des moyens financiers suffisants pour la leur
procurer. Quand je parle de l’instruction primaire, je n’entends que celle qui
n’est, en réalité, qu’un simple procédé mécanique par lequel on apprend l’art
de lire, d’écrire et de calculer.
Soumis aux lois,
chaque citoyen est appelé à partager les droits et les charges des autres
citoyens. Par l’élection directe, il prend part à la conduite des affaires
publiques ; milicien, il est pendant cinq ans rangé sous les drapeaux ; garde
civique, il est pendant trente ans de sa vie parqué dans les trois bancs de la
garde nationale ; juré, le sort remet à son jugement la vie, la liberté de ses
semblables. Dans chacune de ces fonctions, il a un besoin urgent, continuel, de
cet art ingénieur que l’on apprend dans les écoles primaires, soit pour faire
connaître son vote ou son opinion, soit pour suivre avec soin, pour lui et pour
la patrie, le métier des armes. Dans les relations privées, il doit avoir un
moyen de plus pour rendre sa pensée et obtenir les connaissances qui, seules,
lui permettront de perfectionner ses travaux. S’il amasse quelques économies,
s’il veut mettre de la suite dans ses opérations, s’il désire conserver ou
placer ce qu’il possède, il faut qu’il sache en conserver le souvenir par
écrit, s’il ne veut que le défaut d’ordre n’entraîne sa ruine ou n’arrête sa
prospérité ; il le fait également pour toutes les transactions, pour tous les
actes de la vie civile.
La loi est écrite
pour que chaque individu puisse bien s’en pénétrer, éviter ce qu’elle défend,
observer ce qu’elle prescrit ; il faut qu’il puisse la lire. Il est donc d’un
impérieux devoir pour un gouvernement de le mettre à même de connaître, de
remplir ses obligations. Vouloir s’y opposer sous prétexte de surcroît de
charges que cette mesure impose, c’est admettre une économie dispendieuse pour
éviter une dépense profitable ; et, en effet, les délits, les crimes sont bien
moins fréquents dans les pays qui, ainsi que l’Ecosse, ont répandu, ont
généralisé les bienfaits de l’instruction primaire. Je ne sache pas que chez
nous on ait fait le relevé de ceux qui, parmi les accusés de nos cours
d’assises, connaissaient les principes mécaniques de la lecture, de l’écriture
et du calcul ; mais en France on s’en est occupé pour les deux années 1829 et
1830. Eh bien ! dans ces deux années, d’après le rapport officiel du garde des
sceaux, plus des trois cinquièmes des accusés ne savaient ni lire ni écrire ;
un dixième seulement le savait parfaitement : il n’y avait qu’un cinquantième
qui eût reçu une instruction supérieure. Ce fait prouve, mieux que tout ce que
nous pourrions y ajouter, l’utilité pour un Etat de seconder l’instruction primaire,
puisqu’il éviterait, ou tout au moins diminuerait dès lors l’effrayant exemple
des crimes et la charge si coûteuse de l’entretien des criminels.
Heureusement qu’en
Belgique tout n’est pas à faire à l’égard de l’instruction élémentaire ; il ne
s’agit que de conserver, que d’accroître ce que nous possédons déjà. Avant
notre révolution de septembre, nous comptions, pour nos 2,510 communes, près de
2,000 écoles communales, dont chacune contenait, en terme moyen environ 90
élèves. Huit pour cent de la population suivait et ces écoles et celles
établies par des particuliers ; mais un tiers seulement de ce chiffre y était
admis gratuitement. Il en résultait donc pour la classe indigente un mécompte
important, puisqu’un dixième de la population se composant d’individus de l’âge
de 6 à 15 ans, période pendant laquelle on est accoutumé à suivre les écoles,
la différence tombe exclusivement sur cette classe. On ne peut, d’ailleurs,
assez simplifier la méthode d’enseignement, si l’on considère que les deux
tiers des enfants s’absentent des écoles pendant l’été, afin de pouvoir se
livrer aux travaux manuels, et qu’elles ne se complètent que pendant l’hiver.
Il ne faut donc pas étendre au-delà de limites très restreintes l’instruction
élémentaire, et trouver dans des méthodes rapides le moyen de former des élèves
en peu de mois.
Un honorable
préopinant, contrairement à l’article 17 de la constitution, qui porte que
l’instruction donnée aux frais de l’Etat sera réglée par une loi, a prétendu
que celui-ci n’avait pas le droit d’intervenir dans l’instruction primaire,
mais que la dépense devait en être supportée par les bureaux de bienfaisance,
et, à défaut de ceux-ci, par les communes. Si celles-ci, cependant, n’ont à y
allouer que des fonds insuffisants, si même elles ne peuvent y subvenir, ne
faudra-t-il pas que l’Etat accorde des subsides, établisse lui-même des écoles
? J’applaudirais sans doute au zèle des particuliers, des corporations qui les
seconderaient dans l’accomplissement de cet impérieux devoir. Mais ce zèle,
mais les ressources peuvent leur manquer là où il serait besoin de les
employer.
C’est, au surplus,
faute de s’entendre sur les mots que l’on rencontre souvent une divergence
d’opinions. Nous avons dit que la dette de l’Etat consistait à fournir un
simple moyen mécanique, semblable, à peu près, à celui qu’après un
apprentissage on parvient à connaître dans la plupart des professions
industrielles. Je sais bien que dans les livres que l’on mettra dans les mains
de l’écolier, il sera utile qu’il trouve des principes d’économie rurale, s’il
habite les champs ; de sciences appliquées aux arts, s’il demeure dans les
villes ; et, dans l’un et l’autre cas, des principes de morale et de grammaire.
Mais, quant à l’instruction religieuse, les ministres du culte seuls devraient,
dans l’intérêt du dogme, être appelés à la lui donner. J’approuve, sans doute,
cet enseignement de la parole divine, qui console et fortifie l’âme dans
l’adversité, qui prêche l’amour du bien et de la charité ; mais je ne vois
aucune nécessité à la joindre à l’instruction primaire qui, à mon avis, est
toute matérielle. Si l’une peut accompagner l’autre, elle n’y est pas tellement
inhérente qu’elle ne puisse en être détachée sans difficulté.
Je n’examine dans
la proposition qui nous est faite que celle dont nous avons autorisé la
lecture. Quant aux développements qu’y ont données les honorables orateurs, je
ne partage pas les sentiments qu’ils expriment ; je les récuse comme étrangères
à la question, comme devant se trouver en dehors de nos discussions. Ce sont
cependant ces développements, et non la proposition, qui ont été réfutés par le
plus grand nombre d’orateurs entendus dans votre séance d’hier. On a aussi
déplacé le terrain de la discussion. Que demande-t-on ? D’aviser aux moyens de
répandre l’instruction populaire. Or, toute proposition de ce genre est bien
digne d’être prise en considération : quant aux moyens proposés, nous aurons à
les examiner lorsqu’elle sera renvoyée en sections. Telle qu’on nous la soumet,
elle n’aurait pas mon adhésion ; mais ne pourra-t-elle donc pas l’obtenir,
lorsque les sections l’auront peut-être modifiée ou amendée, et devons-nous,
parce qu’une proposition n’est pas encore formulée dans les termes et de la
manière que nous le croyons le plus convenable, la rejeter sans examen ? Un
huitième de notre population est indigente, et nous voudrions passer pour lui
avoir presque dénié l’accomplissement du devoir, de la dette la plus importante
que lui doit un gouvernement civilisé !
Mais,
répondra-t-on, le gouvernement lui-même s’occupe d’un projet de loi sur
l’instruction. Cela peut-il empêcher un membre de cette assemblée d’user de son
droit d’initiative, et savons-nous d’ailleurs quand ce projet nous sera
présenté, quand il pourra être discuté, si même il sera admis par cette chambre
? Que si le ministère veut faire prévaloir ses propres idées, qui l’empêche de
nous soumettre de suite son projet, qui pourrait alors être discuté en même
temps que celui qui nous est proposé ? La commission qu’il avait nommée à cet
effet en a déjà terminé la rédaction. Il est donc tout à fait indépendant de
celui sur l’enseignement moyen et supérieur ; il est même dangereux, par un
vote inique sur ces trois degrés d’instruction, de soumettre le premier à la
fortune des deux derniers. Qu’on en fasse des lois séparées, et qu’on remplisse
ainsi une lacune qui blesse l’intérêt général, qui nuit au bien-être
intellectuel du plus grand nombre ; car, ne nous y trompons pas, l’instruction
population a éprouvé quelque souffrance depuis nos commotions politiques. Un
honorable membre de cette chambre, pour vous prouver le contraire, vous a cité
quelques exemples épars pris dans les deux Flandres ; mais on pourrait en
inférer qu’il en est autrement dans le bien plus grand nombre de communes qu’il
n’a pas mentionnées, qu’il n’a choisi que l’exception. Je citerai un seul fait
que nous avons tous sous les yeux, c’est que, dans la ville de Bruxelles, les
écoles communales, fermées lors de la révolution, ne sont rouvertes que depuis
peu de temps, et qu’il est à présumer que d’autres localités auront offert un
spectacle fâcheux sans pouvoir encore s’en relever.
Je voterai, en
conséquence, pour la prise en considération de la proposition dont vous avez
déjà autorisé la lecture.
M. Dumortier. - Messieurs, en prenant la parole pour m’opposer à la
prise en considération qui vous est soumise, je ne me suis pas dissimulé toute
la défaveur qui se rattache à l’idée d’opposition aux progrès des lumières ; je
ne me suis pas dissimulé combien étaient faciles les accusations
d’obscurantiste, d’homme rétrograde, d’éteignoir, et toute cette prodigalité
d’épithètes dictées par l’intolérance, dont certaines personnes ne manqueront
pas de nous gratifier. Mais, lorsque la vérité m’impose le devoir de démontrer
la fausseté d’allégations hautement professée, dans cette enceinte, ces idées
méticuleuses ne sauraient exercer aucun empire, et je combattrai le monopole
sous quelque forme qu’il se présente, et quelles que soient les personnes qui
nous l’ont présenté. D’ailleurs, après avoir consacré ma vie entière à l’étude
des sciences naturelles, que l’honorable auteur de la proposition vous a
représentées comme la terreur de l’obscurantisme ; après avoir, le premier dans
cette enceinte, pris la défense de nos établissements d’instruction supérieure
menacés de mort et de destruction, de telles insinuations ne sauraient
m’atteindre, lorsque j’expliquerai franchement toute ma pensée.
Et moi aussi,
messieurs, je veux le progrès de l’instruction ; je le veux comme ami des
sciences et comme mandataires du peuple. Je reconnais avec les auteurs de la
proposition que les populations ont besoin d’instruction comme de nourriture ;
mais je diffère avec eux sur la manière d’arriver au résultat que nous nous
proposons, et sur le but que ce résultat doit atteindre. J’examinerai donc la
proposition qui vous est soumise dans ses rapports, avec les besoins des
populations, et avec les moyens d’exécution qui vous sont proposés ;
j’examinerai ce qui est fait et ce qui reste à faire, et je crois pouvoir vous
démontrer que cette proposition est inexécutable, inutile et dangereuse, et
que, par conséquent, nous ne pouvons la prendre en considération.
J’entends chaque
jour répéter autour de moi que l’instruction est dans l’état le plus
déplorable, que nous avons tout perdu par la suppression du monopole, que le
peuple va retomber dans l’abrutissement du XIIIème siècle. Voilà, messieurs, ce
que vous ne cessez d’entendre, ce que l’on proclame comme une vérité démontrée
; et le ton d’assurance avec lequel les agents déchus du monopole ne cessent de
débiter de pareils mensonges en impose aux personnes les plus honnêtes, et l’on
finit par croire que chez nous l’instruction est complètement anéantie.
Moi-même, je vous l’avoue, trompé par ces éternelles récriminations, j’avais
cru, comme tant d’autres, aux terribles effets de la suppression du monopole ;
j’avais tremblé devant la liberté, lorsqu’il me fut démontré jusqu’à l’évidence
combien étaient erronées ces impuissantes clameurs des agents du gouvernement
déchu. Oui, messieurs, si j’en juge de nos provinces par celles de l’ouest, cet
état terrible dont on vous a parlé en des termes si alarmants, n’existe que
dans l’imagination de certains hommes ; et le nombre des établissements
d’instruction, loin d’être diminué comme on voudrait le faire croire, est au
contraire notablement augmenté. Cette vérité est incontestable pour le Hainaut
et pour les Flandres, et je suis convaincu que la même chose a lieu dans les
autres provinces.
Déjà M. de Haerne
vous a démontré combien la liberté avait été favorable au développement de
l’instruction dans les Flandres. La même chose a eu lieu dans le Hainaut. Dans
cette province, à peine existe-il une commune sans instituteur ; à côté des
écoles communales, il s’en est élevé un grand nombre, et le nombre des élèves
en est considérablement augmenté. Je pourrais citer telle commune du Hainaut où
il se trouve aujourd’hui quatre écoles, au lieu d’une seule qui existait sous
le régime hollandais, et où, malgré cette notable augmentation, l’école
communale a aujourd’hui un plus grand nombre d’élèves qu’elle n’a jamais eu à
aucune époque. D’après les renseignements statistiques que j’ai entre les
mains, cette augmentation est considérable ; et cependant, remarquez-le bien,
le Hainaut était de toutes nos provinces celle où l’enseignement avait fait le
plus de progrès.
Ainsi, messieurs,
est démontrée la fausseté de cette allégation sur laquelle repose tout l’édifice
de MM. Seron et de Robaulx, que l’instruction est chez nous dans un délabrement
complet, et que bientôt, comme au XIIIème siècle, le peuple ne saura plus lire
ni écrire. Plusieurs écoles, il est vrai, mais en très petit nombre, ont cessé
d’exister par la suppression du monopole ; mais c’est là ce qu’amène
nécessairement le cours naturel des choses, et ces écoles, remplacées par
d’autres en nombre bien plus considérable, ont fourni la preuve de cette vérité
: que la liberté est bien plus favorable à l’instruction que toutes les mesures
de monopole. Et dans quel moment un pareil résultat a-t-il été obtenu ? Alors
que la révolution existe encore, que la confiance est loin d’être rétablie, que
toutes les industries sont paralysées ; alors que l’on aurait à peine osé
espérer de voir l’instruction se maintenir au point où elle était arrivée.
L’état actuel de l’instruction moyenne peut être facilement apprécié, et je
doute que personne puisse révoquer en doute les immenses progrès qu’elle a
faits depuis la révolution. Ainsi, toutes ces clameurs sur l’état de
l’instruction reposent sur un fait matériellement faux, et, loin d’avoir perdu
par la révolution, l’enseignement a pris un développement auquel on ne devait
pas s’attendre. Ainsi, la proposition qui vous est faite est matériellement
inutile. Je vais vous prouver qu’elle est impraticable.
Le nombre des
communes de la Belgique s’élève à plus de 2,900, et non à 2,500, comme on vous
l’a dit. En adoptant le système qui vous est proposé, vous aurez donc 2,900 écoles
à établir aux frais du gouvernement ; car je suppose que son intention n’est
pas de s’approprier des écoles communales. Ce n’est certainement pas exagérer
la dépense, que de porter à 2,000 florins la moyenne des frais d’achat ou de
construction de l’école et de premier établissement. Ainsi, cette première
dépense coûtera au trésor l’énorme somme de 5,800,000 fl. Viendront ensuite les
dépenses annuelles, occasionnées par le traitement des instituteurs du
gouvernement, l’entretien et la réparation des édifices construits pour les
écoles, et du mobilier à l’usage des élèves ; il faudra aussi un nombre égal
d’institutrices pour les filles, ce qui portera le chiffre total à 5,800
instituteurs et institutrices. Après cela, il faudra songer à assurer aux instituteurs
de l’Etat des pensions de retraite, qui occasionneront une nouvelle dépense
pour le trésor.
Ainsi, la
proposition qui vous est soumise offrirait à l’Etat une dépense primitive de
5,800,000 fl. et une charge annuelle d’environ quatre millions de florins, et
cela lorsque l’instruction acquiert chaque jour de nouveaux développements par
suite de la liberté que la constitution lui assure. Je vous le demande,
messieurs, une pareille proposition n’est-elle pas inutile et impraticable ? On
vous a dit que 200 fl. suffiraient pour chaque instituteur du gouvernement ;
c’est encore là une erreur. Quoi ! vous voudriez trouver des hommes de génie
pour tirer le peuple de l’ignorance et de la superstition, et vous croyez bien
payer ces génies créateurs en leur allouant généreusement l’énorme somme de 200
fl. ! Avez-vous donc oublié que la Convention, en adoptant précisément le même
système que vous réchauffez aujourd’hui, avait fixé à 1,200 fr. le minimum du
traitement des instituteurs dans les communes, et qu’elle leur avait en outre
accordé une retraite proportionnée ? Sans doute vous avez trop de philanthropie
pour rétribuer vos instituteurs au-dessous de la convention nationale ; vous
feriez croire que vous avez rétrogradé devant le progrès des lumières.
Permettez-moi,
messieurs, de vous faire connaître le jugement que M. de Montalivet porte de la
proposition de MM. Seron et de Robaulx ; car, ainsi que je vous l’ai dit, ce
n’est que le réchauffé des décrets de la Convention. « L’époque antérieure
à 1791, dit M. de Montalivet, ne renferme que le grand fait de l’établissement
de l’enseignement simultané (les frères de la doctrine chrétienne) ; mais en
1791 la révolution française se proposa de commencer une ère nouvelle pour
l’instruction populaire, et la constitution d’alors posa le principe universel
gratuit à l’égard des parties de l’enseignement indispensables pour tous les
hommes. Plusieurs décrets furent ensuite rendus en 1793 et 1794, pour organiser
l’enseignement primaire : ils établissaient un instituteur par commune, ils
fixaient à 1,200 fr. le minimum de son traitement et lui accordant une retraite
proportionnée ; mais, comme on devait s’y attendre, ils resteront sans
exécution. Car, outre l’absurdité de donner l’instruction gratuitement à ceux
qui pouvaient la payer, outre l’impossibilité d’imposer à l’Etat une charge de
soixante millions, comment trouver tout à coup 40,000 instituteurs pour les
40,000 communes de France ? Ici les hommes manquaient aux choses, on ne pouvait
les créer par des décrets. En 1795, l’instruction primaire subit la réaction
politique. Après les vues généreuses mais impraticables de l’assemblée
constituante, après le grandiose extravagant de la Convention, arriva la loi du
25 octobre 1795. » Voilà, messieurs, comment l’on juge le projet qui vous
est soumis, dans le pays que l’on nous cite pour modèle.
Messieurs, en
admettant le principe qui vous est soumis, vous consacreriez une grande
injustice, puisque vous donneriez à la plus petite commune le même avantage
qu’à la première ville du royaume. L’Etat, tel qu’il est aujourd’hui, présente
une population d’environ 4,000,000 d’habitants ; les cent villes qu’il
renferme, un million ; et les trois autres millions, répartis entre 2,800
communes. Ainsi, la moyenne des villes est de 9,906, et celle des communes, de
1,072 habitants ; d’où il suit que vous donnerez aux communes dix fois plus
d’avantages. Ensuite, l’inégalité de population des communes est énorme d’une
province à l’autre, et la moyenne qui, pour la Flandre orientale, est de 1,956
habitants par commune rurale, se trouve être de 528 habitants dans la province
de Namur. Ainsi, vous donneriez à cette dernière province un instituteur par
528 habitants, et seulement un par 1,956 habitants dans la Flandre orientale,
et par 9,908 habitants des villes. Par-là, les provinces les plus fortunées
paieraient l’instruction aux autres, et le revenu de certaines communes serait
plus qu’absorbé par le traitement de l’instituteur.
Si encore le moyen
qui vous est proposé était le seul qui pût procurer l’instruction au peuple,
alors aucun sacrifice ne devrait nous coûter pour arriver à ce résultat. Mais,
sous le régime que vous regrettez si fortement, le pouvoir était parvenu à
favoriser l’instruction sans faire naître des dépenses aussi excessives ; il
s’était borné à exiger des communes de porter à leur budget un faible subside
pour l’instituteur, et c’est par ce moyen que l’instruction avait pris son
essor. Je n’ignore pas qu’en 1829 les états-députés et provinciaux de Liége ont
réclamé avec énergie contre cette imposition forcée, prétendant que la liberté
aurait amené de meilleurs résultats. Mais ce qui est positif, c’est que, dans
la province à laquelle j’appartiens, les états provinciaux se bornaient à une
allocation annuelle de 2,000 fl., allocation doublée par le gouvernement ; et
c’est au moyen de ce faible subside de 6,000 fl., réparti avec sagesse et
appuyé des subsides des communes, que l’instruction est parvenue au point où on
l’a vue ; car vous le savez, messieurs, le Hainaut était, à cet égard, cité
comme modèle à la Belgique. Or, cette province enferme environ 450 communes,
et, en admettant le calcul de M. Seron, il faudra une somme annuelle de 90,000
fl., et, d’après le mien, de 270,000 fl. pour les garçons et autant pour les
filles, pour arriver au résultat que l’on a jusqu’ici obtenu avec 6,000 fl.
Messieurs, l’évidence est ici trop palpable pour méconnaître un instant que le
projet qui vous est soumis est inutile et impraticable.
On vous a dit que
les communes ont refusé l’allocation : c’est encore une nouvelle erreur : le
fait de quelques communes isolées ne doit pas s’appliquer à la généralité. Non
seulement les allocations ont été maintenues, mais elles ont été augmentées,
ainsi que je puis le prouver jusqu’à l’évidence pour le district de Tournay :
nouvelle preuve que l’instruction n’a pas été abandonnée, ainsi qu’on voudrait
le faire accroire. C’est donc bien légèrement que l’honorable M. Seron vous a
avancé, comme un fait général, que les communes ont réduit ou même supprimé le
subside accordé aux instituteurs.
Nous avons vu ce
qui a été fait, ce qui existe maintenant ; nous avons vu que l’instruction,
loin de s’arrêter stationnaire par la chute du monopole, a progressé malgré
l’état critique du pays ; malgré que la confiance ne soit pas encore rétablie.
Maintenant ne pensez pas, messieurs, qu’en repoussant la proposition de MM.
Seron et de Robaulx, il faille en conclure que le gouvernement ne doit rien
faire pour l’instruction. Loin de moi, messieurs, une semblable idée ; mais le
moyen qu’on vous propose ne peut qu’amener ce résultat fâcheux, qu’il
reconstruirait l’édifice du monopole et créerait une charge que le trésor
public ne saurait supporter.
Maintenant le
devoir du gouvernement est d’encourager de tous ses efforts le développement et
les progrès de l’instruction. Mais doit-il pour cela créer autant d’écoles
qu’il y a de communes ? Doit-il grever le budget de l’énorme somme annuelle de
deux millions de florins ? Non, certainement, puisque les moyens employés
jusqu’ici ont amené un résultat que les auteurs de la proposition regrettent si
hautement.
Ce que le
gouvernement doit faire, c’est de rapprocher l’instruction de la famille, de
favoriser les écoles communales, de faire accorder des subsides aux communes
pauvres par les états des provinces, et de créer çà et là des écoles modèles,
des établissements aussi perfectionnés que possible, afin que, par leur
exemple, l’instruction acquière tout le développement dont elle est
susceptible. Voilà, messieurs, le seul, le vrai moyen de perfectionner
l’instruction primaire, et d’allier les devoirs du gouvernement, par rapport à
l’instruction, avec l’état de nos finances et les besoins des populations ;
mais surtout ses efforts doivent se porter à favoriser les fortes études, les
études philosophiques, dont nous avons si grand besoin pour former des hommes
capables d’honorer et de servir utilement le pays.
Messieurs, il faut
le dire, les auteurs de la proposition ont trop fait voir le désir d’écarter
l’instruction basée sur des principes religieux. Pour moi qui suis hautement
convaincu de cette vérité : que ces principes sont la seule philosophie
applicable au peuple, je répudie, sans hésiter, un pareil système. Ce que le
législateur doit se proposer avant tout, c’est de former un peuple religieux et
moral ; car, lorsque la moralité ne naît pas du cœur de l’homme, elle est
stérile dans ses effets, et les lois sont impuissantes contre la perversité.
Alors les lois deviennent un régime de terreur et de crainte ; elles effraient,
mais ne persuadent pas. L’histoire des peuples démontre à chaque page cette
importante vérité, proclamée par l’un des plus puissants génies de l’époque :
que l’homme est propre à jouir de la liberté précisément dans la même
proportion qu’il soumet ses passions aux liens de la morale. Qu’a produit sur
la république française la liberté sans morale religieuse ? Des ruines et des
victimes, du sang et des échafauds.
On a dit qu’on
interrogeait aujourd’hui les candidats sur l’histoire du déluge. Ignore-t-on
que les naturalistes modernes ont fait sur cette histoire les ouvrages les plus
importants, et qu’elle leur a fourni matière aux plus admirables découvertes ?
Il était donc bien inutile de venir ici nous parler du déluge. Si vous
craignez, par la libre concurrence, ce que vous appelez l’obscurantisme,
profitez vous-même de cette libre concurrence, établissez des écoles ; mais ne
forcez pas le gouvernement d’en établir d’après des principes qui peuvent jeter
les craintes les plus vives dans les populations, et ramener les causes qui ont
donné naissance à la révolution.
Voilà cependant,
messieurs, où l’on se trouve porté lorsqu’on se laisse diriger par des
sentiments d’intolérance et de haine. Alors, fût-on même républicain, on est
forcé d’abandonner cette immortelle maxime : liberté en tout et pour tous ; on
va plus loin : on est forcé de reconnaître qu’elle est incompatible avec
l’ordre social. Incompatible avec l’ordre social ! L’ordre social consiste-t-il
donc dans l’oppression des uns par les autres, dans la tyrannie du plus fort ?
L’ordre social est-il donc celui qui règne à Varsovie ? Voilà, messieurs, des
maximes bien opposées sans doute aux idées professées par l’honorable membre, à
ces idées de républicanisme qui semblent inséparables de cette liberté
qu’aujourd’hui il regarde comme incompatible avec l’ordre social.
Messieurs, en
prenant en considération le projet qui vous est soumis, ne voyez-vous pas la
perturbation que cette proposition et les développements de ses auteurs vont
produire dans tout le pays ? Ne voyez-vous pas que vous rétablissez entre les
mains du pouvoir ce régime que la nation entière a flétri de réprobation et
qu’elle a secoué avec tant de gloire ? Déjà, je le sais, on se flatte de faire
bientôt disparaître les écoles élevées aujourd’hui dans les campagnes ; déjà
l’on imprime, dans les recueils destinés aux instituteurs, que « les
hommes du monopole reprendront toute leur influence, qu’ils redeviendront les
dominateurs de l’époque, et que l’ange des ténèbres rentrera dans le fond de
l’abîme. » Voilà, messieurs, ce que l’on imprime aujourd’hui : et qui sait
si bientôt l’on ne viendra pas vous demander de déclarer, comme le directoire
et le roi Guillaume, que nul ne peut être admis aux emplois publics, s’il n’a
fréquenté les écoles nationales ? En mettant entre les mains du gouvernement
une arme aussi terrible que celle qui vous est présentée, vous lui donnez la
faculté de former les citoyens dans l’intérêt du despotisme, d’anéantir
dans le cœur des enfants de la patrie le germe de la liberté ; vous établissez
la plus grande des servitudes, la plus grande des tyrannies, l’esclavage de la
pensée. Loin de moi l’idée d’élever le moindre soupçon sur le gouvernement
actuel : mais les hommes passent, et les institutions restent à la merci des
hommes pervers qui leur succèdent.
Jamais, messieurs,
non jamais, je ne prêterai la main à un système qui peut anéantir toutes les
libertés. Si ce projet m’était présenté par le gouvernement, je le repousserais
avec indignation : je ne l’admettrai pas d’avantage, quelle que soit mon estime
pour ceux qui le présentent.
Vous vous plaignez
de ce que l’on chante des cantiques dans les écoles. Je ne sais si ce fait
existe ; mais, je vous le demande, préféreriez-vous que, comme sous le régime
du monopole, on chantât les éloges du gouvernement ? Alors, messieurs, dans les
écoles primaires, pour habituer de longue main les Belges au joug de
l’esclavage, on faisait chanter, dans les termes les plus serviles, les éloges
de celui que le peuple a chassé ; on forçait les élèves à chanter les éloges du
tyran ! Et cependant, étrange aveuglement de l’exagération ! c’est le système
que l’on regrette, c’est lui que l’on préfère à la liberté ! On proclame la
souveraineté du peuple, et l’on regrette les concerts de la tyrannie !
Je ne puis
terminer, messieurs, sans prendre la défense de cette révolution brabançonne,
si étrangement calomniée dans cette enceinte, si éloquemment justifiée par mon
honorable ami M. Vilain XIIII. Oui, elle fut généreuse cette révolution, qui
porta tout un peuple à secouer le joug du maître de l’empire. Elle fut légitime
lorsqu’elle lui représenta ses serments, lorsqu’elle lui rappela la
constitution qu’il avait juré de maintenir. Elle fut glorieuse lorsqu’elle
chassa l’étranger de notre territoire, lorsqu’elle déclara le prince déchu de
la souveraineté. Je n’examine pas les déclarations particulières ; mais, le
jour où elle déclara la déchéance du prince, elle proclama la souveraineté du
peuple. Loin de blâmer avec l’honorable membre la conduite de notre clergé à
cette époque, je dis qu’il fut digne des plus grands éloges, en marchant à la
tête de la révolution ; en préférant la liberté à l’esclavage, la loi à la
tyrannie ; en montrant que le peuple belge, qui sait adorer ses bons princes,
sait aussi détrôner les rois parjures, qu’il est le meilleur des sujets et le
plus mauvais des esclaves. L’histoire, qui juge les révolutions bien moins
d’après leur succès que d’après les causes qui les ont produites, dira que
jamais révolution ne fut plus légitime : elle se gardera bien de la dépeindre
sous les noires couleurs sous lesquelles on vous l’a montrée ; elle se gardera
surtout de la juger d’après un fait isolé ; elle dira que les Belges eussent
été couronnés de succès, si la division, cette peste des révolutions, ne
s’était mise entre eux, s’ils n’eussent été, comme aujourd’hui encore, dupes
des promesses fallacieuses de la diplomatie. C’est là, messieurs, une grande
leçon dont nous aurions pu profiter, si nous l’avions appliquée à l’époque
actuelle. Alors nous eussions vu la nécessité de rester unis, et de nous
organiser fortement ; nous eussions vu la confiance qu’il faut avoir dans les
promesses de la diplomatie.
Messieurs,
je ne me serais pas opposé à la prise en considération du projet qui vous est
soumis, si les développements de ses auteurs n’avaient jeté le plus grand
trouble dans les populations qu’il importe de calmer. Mais ces développements
sont de nature telle, qu’ils détruisent la confiance, et ne permettent pas de
laisser plus longtemps la nation en suspens sur la question du monopole. Sans
ces développements, j’aurais voté l’ajournement de la proposition ; avec ces
développements, je la rejette comme dangereuse pour la liberté des cultes
qu’elle opprime, pour la liberté d’instruction qu’elle anéantit. Je la rejette
comme inutile pour l’état actuel de l’instruction, comme onéreuse pour le
trésor déjà si obéré. Je la rejette enfin comme conduisant au monopole, et
par-là comme destructive de toute espèce de liberté.
Je regrette que ce
brandon de discorde ait été jeté parmi nous, mais du moins on conviendra que
nous ne l’avons pas cherché.
(Moniteur
belge n°28, du 28 janvier 1832) M. Gendebien. - Je dirai quelques mots pour
motiver mon vote. Je regrette que le règlement autorise deux discussions sur le
même objet. Depuis deux jours on a parlé, non sur la prise en considération,
mais sur le fond même de la proposition ; je n’imiterai pas cet exemple, et je
me renfermerai dans la question de prise en considération. Mais, avant de
motiver mon vote, j’éprouve moi aussi le besoin de protester contre l’injure
faite à la révolution de 89. C’est pour moi un devoir, un devoir sacré,
messieurs, car mon père s’est trouvé à la tête de cette révolution, comme son
fils s’est trouvé, 41 ans plus tard, placé par les circonstances à la tête de
celle de 1830. Tous deux en sont sortis purs, après avoir perdu une partie de
leurs moyens d’existence : heureux d’avoir consacrer leur vie et leur fortune
pour leur pays. S’il avait recueilli les fruits de tant de sacrifices ! Mais
leur lot à tous deux a été le vif regret de n’avoir pu atteindre le seul but
qu’ils se proposaient. La révolution de 89 a été également pure, messieurs ;
mais alors, comme aujourd’hui, des intrigants parvenus au pouvoir l’ont gâtée
et l’ont dénaturée. On a cru résumer cette révolution en un crime affreux ;
mais je dois dire pour l’honneur de la nation, et pour justifier mon père qui
était alors président des états généraux, qu’il proposa, quand ce crime fut commis, que non seulement le
premier corps de l’Etat, mais encore toutes les autorités de la Belgique
restassent en permanence jusqu’à ce qu’il fût puni au lieu même où il avait été
consommé. Eh bien ! messieurs, quand le président des états généraux proposé
cet acte d’éclatante justice, quand il a été adopté, je dis que la nation
entière est bien lavée de ce crime qui d’ailleurs était individuel. Du reste,
tant d’orateurs ont présenté la justification complète de la révolution de 89,
que je m’abstiendrai d’en dire davantage. Quant à celle de 1830, si elle était
attaquée, je suis prêt à la défendre, je suis prêt à défendre les hommes qui
s’y sont dévoués corps et biens ; c’est au reste, probablement le seul avantage
que j’en retirerai, et je l’accepte. J’ai fait mon devoir, il me suffit.
Ici
l’orateur discute le fond de la proposition, et déclare qu’il votera la prise
en considération.
(Supplément au Moniteur belge, sans date et
sans numérotation) M. A. Rodenbach. - Messieurs, persuadé de
l’utilité, de la nécessité, de répandre autant que possible l’instruction
primaire en Belgique, je crois qu’à l’exemple des Etats-Unis d’Amérique,
l’instruction populaire devrait être à la charge des communes et non à la
charge de l’Etat, si, comme nous l’assurent MM. Seron et de Robaulx,
l’instruction dans quelques provinces est confiée aux chantres des paroisses.
Je suis étonné que nore honorable collègue M. Seron, qui se fait gloire d’être
républicain, préconise tant les écoles ministérielles ; il sait parfaitement
bien que les écoles dirigées par le gouvernement sont des écoles monarchiques,
c’est-à-dire des institutions de l’absolutisme et du servilisme. M. de Robaulx,
dans la séance d’hier, m’a dit que les communes dans les provinces wallonnes
n’avaient pas les moyens de payer les instituteurs ; dans ce cas elles n’ont
qu’à s’adresser à la province, et, si la province ne peut point subvenir aux
frais, qu’on demande des gratifications spécialement allouées pour cet objet. A
en juger par l’esprit de dénigrement et d’aigreur que MM. Seron et de Robaulx
ont mis dans le développement de leur proposition, je suis porté à croire qu’il
y a eu de l’exagération dans leurs assertions. Ne connaissant qu’imparfaitement
la statistique des provinces wallonnes, je m’abstiendrai d’entrer dans de longs
détails, mais je vous entretiendra plus spécialement de nos écoles des Flandres
et de la province d’Anvers. Dans ces contrées, la révolution n’a point diminué
le nombre des écoles ; tout au contraire, il est augmenté de plus d’un tiers.
Les maîtres ne s’y bornent pas à enseigner à leurs élèves la lecture,
l’écriture et le calcul ; mais ils attachent aussi un grand prix à leur donner
l’instruction morale.
Dans ces
provinces, surtout dans les communes rurales, les enfants de parents aisés ne
paient par mois que 30 à 50 cents, et les pauvres dans toutes les communes
peuvent apprendre à lire et à écrire gratuitement. Il y a donc passion et
injustice à vouloir soutenir que les maîtres n’enseignent à leurs élèves que des
litanies et des cantiques. Je ne m’inquiète guère si la lecture, l’écriture et
l’arithmétique y sont enseignées par des maîtres d’école, par des nonnes, par
des sœurs de la charité ou même par des frères de la doctrine chrétienne.
Pourvu que l’instruction primaire se propage et augmente, il doit être fort
égal à un libéral comment elle se fait. L’instruction populairte se répand-elle
? est-elle égale ! Voilà toute la question.
L’on m’objectera
peut-être que les prêtres emploient toute leur influence pour attirer dans
leurs écoles tous les enfants. En cela, je ne vois rien d’inconstitutionnel :
nous avons proclamé dans notre constitution le grand principe de liberté, nous
devons en subir toutes les conséquences ; ce principe est gravé dans notre
pacte fondamental, nous ne pouvons faire un pas rétrograde. Si les libéraux
croient qu’il y a impossibilité de pouvoir lutter contre les prêtres, parce que
ceux-ci ont pour eux les avantages de leur saint ministère, aucune loi
n’empêche aux libéraux de se faire prêtre libéraux pour augmenter leur
influence et leur crédit.
D’ailleurs, la
presse est libre, et avec la lettre moulée, comme l’appelle Paul-Louis
Courrier, je défie tous les prêtres du monde de plonger le peuple dans
l’ignorance.
C’est à tort que
mon collègue M. Seron accuse les hommes du mouvement de vouloir faire naître le
XIIIème siècle. Quant au clergé belge, il demande surtout depuis la révolution
qu’on éclaire toutes les classes de la société ; en cela il est d’accord avec
le plus éloquent ecclésiastique de nos jours, qui prouve dans son dernier écrit
l’utilité et la nécessité d’employer tous les moyens possible pour donner aux
prêtres et au peuple des connaissances étendues. En examinant les tableaux
synoptiques, cartes figuratives de l’instruction populaire en France, par M.
Dupin, l’on aperçoit qu’il y a en France moins d’enfants qu’en Belgique qui
fréquentent les écoles. J’ose avancer ici, sans crainte d’être taxé de
partialité, qu’il n’y a que trois pays en Europe où l’instruction primaire soit
plus étendue que dans notre royaume : l’Ecosse, la Hollande et l’Allemagne.
D’ailleurs, je suis convaincu, messieurs, que ce n’est point l’instruction
primaire qui est arriérée en Belgique, mais bien le haut enseignement,
l’enseignement universitaire. En général, les études sont trop faibles dans
notre royaume. Les faits sont là, qui l’attestent. Où sont donc les talents
transcendants et les grandes capacités en tout genre ? C’est là qu’un
scrutateur doit se fixer plus spécialement. En jetant nos regards sur les tableaux
statistiques de l’instruction populaire, l’on remarque que dans les deux
Flandres, sur 1,000 habitants, 100 vont à l’école, et dans les provinces
wallonnes l’on m’assure que, sur ce même nombre d’habitants, 75 enfants, terme
moyen, reçoivent l’instruction primaire. Dans ces calculs, je ne fais point
entrer en ligne de compte les élèves des écoles de travail, des écoles
dominicales et de celle du soir, qui existent dans presque toutes les communes
des deux Flandres.
A l’appui de ce
que l’avance, j’entrerai, messieurs, dans quelques détails statistiques sur
l’enseignement, dans le district que je représente (successivement : nom du
district, population, nombre d’élèves) :
Roulers :
9,900 - 1,150.
Iseghem :
8,400 - 800.
Ardoye :
7,400 - 650.
Moorslede :
6,800 - 610.
Lichtervelde
: 5,650 - 600.
Logemunster :
5,850 - 510.
Hooglede :
4,800 - 460.
Beveren :
2,800 - 300.
Ouest
Rootebeeke : 1,800 - 200.
Neuve-Eglise :
2,000 - 200.
On remarque les
mêmes proportions dans une foule d’autres communes du district. Rumbeke,
commune de 7,000 habitants, parfaitement administrée pendant 7 ans par notre
honorable collègue M. Angillis, n’avait avant la révolution que sept écoles ;
aujourd’hui elle en compte treize : j’appelle en témoignage ce député ici présent.
M.
Seron vous a dit qu’il y a dans le royaume 2,500 communes, et qu’en comptant
200 florins par école, cela ne doit pas coûter plus de 500,000 florins. Cela
n’est pas exact, il y en a 2,900 : donc 580,000 florins. Mais, si l’on ajoute à
cette sommes les locaux à établir, il faudrait peut-être bien 8 millions. Je
ferai encore observer qu’en matière d’instruction populaire, les particuliers
et les associations feront beaucoup mieux que le gouvernement. Si l’instruction
est une dette, c’est la commune qui doit la payer. Les enfants des parents
aisés ne doivent point être instruits gratuitement, car on dédaigne de pareils
avantages. Les enfants travaillent plus à s’instruire, quand ils savent que
leurs parents paient pour leur instruction.
J’en conclus
qu’avant tout l’on doit respecter les franchises communales ; les parents
doivent même pouvoir choisir librement les instituteurs de leurs enfants ;
l’Etat, d’ailleurs, ne doit faire que ce que le public ne fait pas.
Je vote contre la
prise en considération.
M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, parce qu’une proposition n’est pas
inconstitutionnelle, faut-il pour ce motif la prendre en considération ? Je ne
le pense pas, si la nécessité immédiate ne vous est pas démontrée.
Le projet offre
l’examen d’une de ces questions vitales, dont la bonne ou la mauvaise solution
garantit ou compromet tous les intérêts les plus chers de la société.
La question de
l’enseignement a même cela de propre, qu’elle domine toutes les autres questions,
puisqu’aucune liberté constitutionnelle ne peut subsister sans celle de
l’instruction, et que celle-ci, au contraire, est le véritable palladium de
toutes les autres.
Il est donc d’une
nécessité absolue que toute disposition sur cette matière délicate soit bien
mûrie.
J’ai entendu avec
peine faire, en quelque sorte, l’éloge d’un régime qui a laissé dans notre pays
de si cruels souvenirs. A-t-on donc oublié les vexations sans nombre auxquelles
le monopole de l’instruction publique donnait lieu sous le gouvernement
hollandais ? Les tracasseries suscitées aux personnes qui se mêlaient
d’instruire les enfants ? Les poursuites intentées à quelques pauvres filles
qui avaient enseigné sans brevet du Laager onderwys ? La fermeture enfin de
toute école non octroyée par le ministère ?
Pour appuyer la
prise en considération du projet, qui me paraît très vague, on prétend qu’il y
a urgence ; je crois cependant que plusieurs honorables collègues ont établi,
par des faits dont on n’a pas contesté l’existence, que l’instruction primaire,
loin d’avoir souffert par la révolution, a fait partout de grands progrès.
Quant à la
question principale que soulève le projet, savoir : s’il convient que la
législature ordonne l’établissement d’écoles dans toutes les communes, aux frais
de l’Etat, je me suis méfié de ma propre opinion, et j’ai voulu consulté des
autorités irrécusables.
Il résulte des
renseignements que j’ai moi-même recueillis, que dans le district de Gand, sur
neuf communes, savoir : de Woudelgen, Tronchiennes, Ledeberg, Evergem, Heusden,
Vinderhoute, Gendbrugge, Destelberge et Afsné près de Gand, qui sous le
gouvernement hollandais n’avaient que treize écoles et sept cent deux élèves ;
depuis la liberté de concurrence, ces mêmes paroisses ont vingt-huit écoles, et
mille sept cent vingt-sept élèves, et dans toutes ces écoles les pauvres
enfants y sont admis.
J’avais donc
raison, messieurs, quand, dans une autre circonstance, je disais que la libre
concurrence était le plus sûr moyen d’avoir de bons instituteurs, puisqu’elle
établissait entre eux une louable émulation, qui ne tourne jamais qu’au profit
de la société.
Quand on parcourt
d’un œil rapide la législation de la révolution française sur l’enseignement,
on est surpris de voir que jamais on n’a songé de contester le grand principe
de liberté pleine et entière en matière d’instruction ; et, si parfois le
contraire est arrivé, c’est en théorie et seulement en termes couverts. Je
pourrais vous citer à l’appui de ce que j’ai l’honneur de vous avancer le
projet de décret de l’assemblée constituante du 11 septembre 1791. Plus tard,
Laskenal, organe du comité d’instruction publique, présenta à la Convention un
plan d’éducation le 26 juin 1793. La liberté illimitée de l’enseignement était
établie par la disposition de l’art. 41. « La loi, dit cet article, ne
peut porter atteinte au droit qu’ont tous les citoyens d’ouvrir des écoles
particulières et libres sur toutes les parties de l’instruction, et de les
diriger comme bon leur semble. »
Le 21 frimaire an
II, Danton ayant à la Convention proposé l’établissement d’écoles publiques où
l’instruction serait donnée aux frais de l’Etat, le premier orateur qui parla,
Frourcroy, signala fortement le danger des écoles publiques salariées par la
nation.
« Si l’on
adoptait, dit-il, les plans d’écoles salariées par l’Etat, on aurait à craindre
l’élévation d’une espèce de sacerdoce plus redoutable que celui qui vous avez
proscrit. Ici, comme dans tous les autres établissements républicains, la
liberté est le premier et le plus sûr mobile des grandes choses… Laissez faire
est ici le grand secret et la seule route des succès les plus certains… »
L’orateur cite des
exemples à l’appui de son opinion, et conclu et disant : « Le système
libre est le seul que vos principes républicains vous permettent
d’embrasser. »
Thibaudeau appuya
le préopinant, et demanda comme lui que l’enseignement fût libre pour tous.
A la séance du
corps législatif du 18 germinal an VII, Boulay de la Meurthe se prononce contre
le système du projet sur les écoles primaires. L’orateur entre dans l’examen du
projet ; il soutient avec Smith que l’instruction, pour être utile et bonne,
doit être libre. « Ici, au contraire, dit-il, non seulement on vous
propose d’asservir les instituteurs, en les salariant aux frais de l’Etat, mais
encore en leur prescrivant les branches de l’instruction, afin que leur
ressemblance avec des machines enseignantes soit complète sous tous les
rapports.
« L’ensemble
du projet et ses dispositions répressives et coercitives rappellent beaucoup la
prétention d’établir un dogme unique de tout assujettir au même principe.
« Voulez-vous
que l’instruction publique fasse les plus grands progrès (disait Mercier au
conseil des cinq cents, le 17 fructidor an IV) ; protégez-la, mais ne la
soudoyez pas ; favorisez les instituteurs de toute espèce ; mais que la
république ne les salarie point ; récompensez les travaux, mais ne donnez point
de places, car on court après les places, et les professeurs oiseux et bavards
font les hommes oisifs qui restent toujours médiocres. »
L’Anglais Smith va
plus loin, peut-être même trop loin, lorsqu’il observe qu’il n’est point, dans
l’éducation, des parties mieux soignées que celles pour lesquelles il n’existe
point d’établissements publics aux frais de l’Etat. Le docteur anglais
Priestley, partageant l’opinion de Smith, est de même avis qu’il n’est pas du
tout convenable que la législation ou le gouvernement se mêle de ce qui
concerne les écoles élémentaires : d’abord parce que, selon lui, ce serait
préjudiciable non seulement au but de l’éducation, mais aussi à la grande fin
de la société, qui est le bien présent ; ensuite, parce que ce serait empêcher
tous les progrès que l’on pourrait attendre, par la suite, de l’augmentation
des lumières et des connaissances de l’esprit humain par la libre concurrence,
et qu’enfin les idées contraires sont absolument incompatibles avec les
principes du gouvernement anglais, et ne pourraient être réalisées qu’en
détruisant de fond en comble la constitution de l’Angleterre.
« Le
gouvernement anglais, dit-il, est un heureux mélange de pouvoirs monarchiques,
aristocratiques et démocratiques ; si l’instruction élémentaire ou l’éducation
publique favorisait plus l’un de ces pouvoirs que l’autre, l’équilibre serait
rompu et le gouvernement détruit.
« Si la
chambre des communes avait le droit de choisir les maîtres d’éducation, ce qui
n’est guère possible, on verrait bientôt une république pure s’élever sur les
débris de notre constitution. Si ce droit était attribué à la chambre haute, ce
qui n’est pas probable, nous passerions en peu de temps sous un gouvernement
aristocratique.
« Si, enfin,
la cour voulait se réserver ce privilège, ce qu’on peut regarder à peu près
comme sûr, puisque tout le pouvoir exécutif est déjà entre ses mains, il en
résulterait les conséquences les plus dangereuses ; il en résulterait un
système de principes et de mœurs favorables au despotisme, dont nous
deviendrions bientôt la proie… Adieu notre liberté, elle serait à jamais bannie
de notre île… »
Messieurs, les
opinions que je vous donne en ce moment vous disent assez ce qu’il vous reste à
faire quant à la prise en considération de la proposition. Si dans quelques
endroits les communes ne sont pas en état de subvenir à l’enseignement primaire,
le gouvernement, n’en doutons pas, se fera un devoir d’aller au secours de ces
communes par des moyens pécuniaires.
Et ne vous
imaginez pas que je n’ai pas à cœur de protéger l’enseignement par des
sacrifices, même personnels au besoin. J’applaudis aux efforts philanthropiques
de ces hommes qui tâchent de répandre des connaissances utiles ; en indiquant à
toutes les personnes qui savent lire, leurs devoirs come citoyens, comme jurés,
etc. ; leurs droits comme électeurs, comme éligibles ; leurs intérêts comme
pères de famille, comme propriétaires.
Mais, messieurs,
jamais je ne donnerai mon suffrage à toute proposition qui aurait pour tendance
de mettre à la disposition, ou du gouvernement, ou de qui que ce soit, la
direction de l’enseignement de la jeunesse.
Le
peuple de la Belgique est un peuple libre par ses institutions, parce que
toutes reposent sur une constitution qui proclame et garantit toutes les
libertés : la liberté individuelle, la liberté dse opinion et des cultes, la
liberté de la presse, la liberté de l’industrie, etc.
Or, toutes ces
libertés supposent la liberté de l’enseignement, et périssent avec elle.
Donc, rien de plus
opposé à la constitution que les entraves qu’on voudrait porter à la liberté de
l’enseignement, et point de liberté à laquelle le peuple belge doive attacher
plus d’importance qu’à celle de l’instruction. Il n’y a pas de sophismes, pas
d’explications captieuses qui tiennent contre cette vérité.
M. Seron. - Messieurs, je méprise les
injures, et regarde comme au-dessus de moi d’y répondre. Mais je ne puis me
dispenser de dire deux mots à ceux qui supposent, ou que j’ai ignoré les faits,
ou que je les ai dénaturés à plaisir, pour ôter à la révolution de 1789 et 1790
sa véritable physionomie, et donner le change sur son but. Personne, sans
doute, n’ignore que cette révolution de laquelle moi-même j’ai été pour ainsi
dire témoin, eut lieu à l’occasion des réformes entreprises par Joseph II, et
qu’on prétendit contraire aux privilèges du pays, et notamment à la joyeuse
entrée. Mais il n’en demeure pas moins constant qu’afin de soulever les masses,
on leur persuada que Joseph II et Léopold ensuite en voulaient à la religion,
et que plus tard la même accusation fut portée contre les vonckistes, afin de
les rendre odieux. Tous les écrits du temps en font foi. Ce fut alors que l’on
colporta et que l’on fit signer dans le Brabant cette espèce de profession de
foi, commençant ainsi : « Nous soussignés déclarons que notre intention
est et sera toujours que notre sainte religion ainsi que notre constitution,
pour lesquelles nous avons combattus, restent et demeurent dans leur entier,
telles qu’elles ont été ci-devant. »
On sait que,
s’étayant de cette constitution, les anciens Etats se prétendirent les
représentants nés de la nation, et qu’ils se crurent fondés à rejeter la
demande du parti de Vandermersch et de Vonck, dont l’objet était des élections
populaires. En un mot, ce que j’ai dit, c’est qu’alors que le peuple ne fut
qu’un instrument dont les meneurs se servirent dans leur propre intérêt et
nullement dans le sien ; et que, faute d’instruction, ce même peuple fut leur
dupe. A cet égard, je ne vois pas que M. Vilain XIIII ait démenti mes
assertions, et l’histoire le confirme. Si les pages qu’elle a consacrées au
récit de la révolution de 1789 déplaisent à certaines gens, tant pis ; mais ce
n’est pas ma faute. Et pourquoi ne les aurais-je pas citées ? L’impartialité,
l’inexorable histoire, n’est-elle pas destinée à corriger les hommes, en leur
montrant, à côté des exemples bons à suivre, ceux qu’il est sage d’éviter ?
Malheur aux insensés qui ne mettent pas ses leçons à profit ! Les honorables
collègues qui se sont étendus si complaisamment sur les horreurs de la
révolution de 93 et de 94, imaginent-ils que la France va croire son honneur
outragé par l’énumération des crimes qui ont marqué cette terrible époque ?
Plusieurs
orateurs, comme si leurs discours fussent sortis du même moule, m’ont reproché
de n’avoir cité qu’un seul fait, l’horrible assassinat du malheureux Van
Kicken. Il me semble pourtant que j’ai aussi parlé du mandement de l’archevêque
de Malines contre la souveraineté du peuple, du triomphe de Vandernoot, et de
la ridicule croisade du 22 septembre 1790, où des capucins figuraient à la tête
de l’armée. Ce sont aussi des faits. J’aurais pu en citer mille autres, mais je
n’avais pas pris à tâche de présenter un tableau détaillé de la révolution. Si
ceux qui voudront en lire l’histoire complète n’y trouvent pas les farces dégoûtantes
et les atrocités dont j’ai parlé, s’ils n’y voient pas la preuve de
l’abrutissement des masses, je ne sais quel sens ils attachent aux mots.
On a prétendu hors
de cette enceinte (et j’en fais l’observation, afin de ne rien omettre de ce
que je sais avoir été dit à l’occasion de mon tableau très raccourci de la
révolution de 1790), on a prétendu qu’alors les Français étaient ennemis et
jaloux de l’indépendance du peuple belge. Il n’y a rien de moins dénué de
preuves, de moins exact. Il est vrai que l’assemblée constituante déclara à la
députation qui lui fut envoyée de Bruxelles, qu’elle ne pouvait donner aux
provinces de la Belgique insurgées aucun secours contre l’empereur d’Allemagne,
parce que la nation française avec solennellement renoncé à faire des conquêtes
et à s’immiscer dans les affaires de ses voisins. Cette réponse, et l’entière
inaction dans laquelle demeura la France jusqu’en 1792, époque à laquelle la
coalition de Pilnitz la força de songer à sa propre défense, sont loin
d’annoncer des vues d’agrandissement.
Mais ce qu’on n’a
pas dit, c’est qu’alors, comme aujourd’hui, la France avait dans la Belgique
des ennemis irréconciliables ; c’est que Ruelle, son chargé d’affaires ici,
fut, malgré son caractère, et au mépris du droit des gens de bien, arraché de
l’hôtel de la légation française, et jeté dans une prison, où il demeura
jusqu’à la fin des troubles ; c’est que des Français, qui étaient venus prendre
parti dans l’armée patriote, eurent le même sort, et que, notamment un M.
Rouvoy, de Philippeville, auquel avait été confié le grade de
lieutenant-colonel, fut renfermé dans un cachot à Namur, d’où il ne sortit qu’à
la rentrée des Autrichiens. Il est vrai que ce fut aussi le sort d’un grand
nombre d’officiers de volontaires, accusés d’être du parti de Vandermersch,
quoiqu’on leur dût, ainsi qu’à ce général, le seul véritable succès dont put se
glorifier cette révolution, la défaite des Autrichiens à Turnhout.
Maintenant nous
répondrons à quelques passages du remarquable, de l’admirable discours de
l’honorable M. Ch. Vilain XIIII. Il nous a reproché d’avoir déversé le blâme
sur les catholiques belges : il n’y a pas un mot de cela dans ce que nous avons
dit.
Il a prétendu que
notre espoir est de ravir aux curés l’influence qu’ils ont sur leurs paroissiens.
Non, messieurs, nous voulons qu’on respecte leurs vertus quand ils en ont, et
nous sommes les premiers à donner l’exemple. Mais nous désirons qu’ils se
mêlent de ce qui les regarde, et qu’ils n’entravent pas l’instruction.
Il nous a dit
qu’il est des principes qui suent le sang, et nous n’avons pas très bien
compris de quels principes il a voulu parler. Nous lui répondrons en même style
qu’il est des principes qui suent le fanatisme et la superstition ; ceux-là ne
sont pas plus les nôtres que les principes qui suent le sang.
Il a tracé à sa
manière le portrait de Joseph II. Nous avons été tant soit peu scandalisés que
ce monarque, qui véritablement n’aimait pas les moines, à qui sans doute on
peut reproche des fautes, mais à qui on n’a jamais, que nous sachions, imputé
des crimes, fût mis en parallèle avec le fanatique, l’horrible Philippe II, le
démon du Midi, accusé par les historiens d’avoir empoisonné sa femme et fait
étranger son fils. L’histoire jugera sans doute moins sévèrement le fils aîné
de Marie-Thérèse. Mais, quoi ! n’a-t-elle pas déjà rendu justice du moins à ses
intentions ?
Enfin, arrivant
aux faits que nous avons cités, afin de donner une idée du triste état de
l’instruction primaire, l’honorable député a dit qu’ils ne sont appuyés d’aucune
preuve. Mais les preuves, messieurs, il sera facile de les obtenir en peu de
temps, si on le désire. En attendant, croyez que le tableau que nous avons
tracé n’est que trop vrai. S’il n’était que de fantaisie, il ne mettrait pas, à
l’heure qu’il est, tant de gens en émoi.
Il nous reste à
répondre à quelques difficultés élevées par un autre orateur. Il voudrait
savoir quel sera le mode d’examen des instituteurs, le mode de leur admission,
et le mode de surveillance de l’enseignement. A cet égard, il paraît craindre
une surveillance funeste de la part du gouvernement. Mais remarquez, messieurs,
que ces craintes sont puériles, puisque c’est la loi qui doit régler les
différents points dont nous venons de parler, et que, si notre projet ne dit
pas que les communes nommeront leurs instituteurs, il ne leur ôte pas non plus
cette nomination.
Le même orateur a
évalué 1,500,000 fl. les frais de l’enseignement primaire. Il les exagère
considérablement, parce que, sans tenir compte de nos observations, il exagère
aussi, et le nombre des communes où il aura une école, et le terme moyen du
traitement des instituteurs. Il oublie que, dans les communes rurales qui sont
en si grand nombre, ce traitement pourra, sans inconvénient, être réduit à 100
florins, même à une somme moins forte. Enfin, il oublie que, pour jouir de
l’enseignement gratuit, les communes abandonneront volontiers les maisons
d’écoles qu’elles possèdent.
Messieurs,
nous avons écouté attentivement les discours où l’on s’est élevé avec tant de
chaleur, pour ne rien dire de plus, contre notre proposition, et, s’il nous est
permis de le dire, nous les avons jugés non moins dignes de la chaire que de la
tribune législative. C’est un avantage incontestable sur nos voisins, et qui
prouve invinciblement que nous les dépassons de beaucoup dans la carrière de la
civilisation. Mais voyez notre endurcissement, malgré tant de belles phrases,
de belles images et de fleurs de rhétorique, nous qui aimons le positif, nous
l’avouons, nous demeurons persuadés que notre projet est bon, admissible, et
dans l’intérêt de la société. Quelque sort qu’il éprouve, parce qu’en agissant
ainsi nous avons cru remplir un devoir imposé par notre mandat. Au reste, en
citant des faits, nous avons voulu prouver les déplorables effets de l’ignorance
: et en cela nous ne sommes pas sortis de la question. Tant pis pour ceux que
la vérité peut blesser.
M. Angillis. - Messieurs, dans la séance
d’hier, un orateur s’est plaint de ce que la discussion prenait une teinte
religieuse ; à mon tour, je me plains aussi non pas de la direction que la
discussion a prise, mais de ce qu’on l’a imprudemment placée sur un terrain
étranger. J’avais cru d’abord qu’un simple vote aurait pu suffire à l’acquit de
mon devoir de député ; mais, quand je vois qu’à l’occasion d’un projet de loi
sur l’instruction primaire on lance un acte d’accusation contre toute une
classe respectable de citoyens, j’ai pensé, malgré toute la défaveur que quelques
personnes attachent à cette défense, qu’il rentrait dans mes obligations de
réclamer contre une telle accusation.
Toutes les
déclamations que, depuis tant d’années, on ne cesse de diriger contre les
prêtres ont leur racine dans cette grande influence que ces messieurs ont sur
le peuple. Mais , messieurs, je vous le demande, est-ce bien aux amis de la
révolution à se plaindre de cette influence , n’a-t-elle pas été toute
favorable à cette révolution ? Si elle y avait été contraire, tous les efforts
des patriotes auraient peut-être été infructueux. Les ennemis du nouvel ordre
de choses connaissent si bien la part qu’a eue l’influence des prêtres sur la
marche de la révolution, qu’ils ne cessent de les accuser d’en être la cause
première.
On ne peut
contester l’influence sans bornes du clergé dans les deux Flandres et surtout
dans les campagnes ; mais, messieurs, aucune force humaine ne peut détruire
cette influence. Joseph II a le premier essayé de le faire, et on sait que
Joseph II n’a pas réussi. Il entreprit de tout réformer dans la Belgique, et il
souleva tout contre lui. D’autres après lui ont tenté la même chose, et ils
n’ont pas été plus heureux. Cette influence est inhérente à la nature des
fonctions qu’ils exercent. Il me paraît tout naturel que celui qui consacre ses
veilles, sacrifie sa santé, et une partie de son modique avoir, au service des
pauvres malades ; celui qui fait supporter avec résignation les impôts et les
maladies qui fatiguent l’existence du peuple, doit acquérir un grand empire sur
l’esprit d’un peuple religieux. Dans un tel état de choses, un gouvernement
sage, au lieu de tenter l’impossible, doit faire tourner cette influence, qui
est toujours bienfaisante, à faire respecter les lois et son autorité, et à
maintenir la tranquillité publique.
Il y a, messieurs,
beaucoup d’exagération dans les assertions de M. Seron, lorsqu’il parle comme
d’une chose certaine et générale de la désorganisation de l’instruction
primaire dans les communes rurales. J’habite la partie la plus populeuse d’une
population de 600,000 âmes, et je puis assurer que je ne connais aucune école
qui ait été supprimée depuis la révolution. Je dirai encore que le village que
j’habite compte à peu près 7,000 âmes de population ; que, dans ce ville, il
existe douze écoles disséminées sur toute la surface du territoire de la
commune, et placées à proximité des endroits les plus habités, et que les
pauvres, qui font le quart de la population, reçoivent l’instruction gratis
dans les écoles de leurs sections respectives. Ces écoles, messieurs, ne sont
pas bâties dans le genre du nouvel hospice de Bruxelles, ce sont des
habitations modestes, parfaitement adaptées à leur destination ; on y trouve
les livres élémentaires de l’instruction civile, mais aussi les livres
élémentaires de l’instruction religieuse, parce que nous pensons que c’est une
erreur de vouloir séparer la religion de l’enseignement primaire. Que l’on
fasse ce qu’on peut, sans le secours de la religion on ne parviendra jamais à
former le cœur, calmer les passions ; avec une bonne méthode, il est assez
facile de développer les intelligences, mais à la religion seule appartient de
plier les volontés à l’accomplissement des devoirs de toute nature. On pense en
Flandre que les deux principales forces morales sont la religion et la liberté.
Si elles étaient ennemies aucun ordre stable ne serait possible, leur union est
dans la nature même ; c’est pour ces motifs que nous désirons que l’instruction
primaire ne soit pas séparée de la religion.
A la même
occasion, c’est-à-dire à l’occasion de la présentation d’un projet de loi sur
l’instruction primaire, on a parlé de
manœuvres qui auraient été employées dans les élections pour obtenir les
suffrages en faveur d’un certain parti. Ceci, messieurs, est plus sérieux ; car
si ces manœuvres avaient été telles que les élections n’auraient pas été
parfaitement libres, la conséquence serait que l’expression de la chambre ne
serait pas toujours l’expression de l’opinion de la nation, et, ce point admis,
toute la fiction légale sur laquelle repose un gouvernement représentatif
serait rompu. On sent, messieurs, que de déduction en déduction on arriverait
aux conséquences les plus désorganisatrices.
Oui,
messieurs, les partis se sont intéressés dans les élections, et en cela, ils
n’ont fait que ce que tout le monde a fait, mais ils n’ont pas manœuvré dans le
sens grammatical du mot. Les libéraux, les philosophes, les orangistes, enfin
les hommes de toutes les couleurs ont fait autant et même plus. Si recommander
les hommes qu’on désire voir élire à l’attention des électeurs est un mal, ce
mal est inséparable de toute élection populaire ; il faut la tolérer ou
renverser votre système électif.
Cessez donc,
messieurs, les éternels déclamations contre une classe d’hommes dont la
première existence est due à l’amour de la perfection, dont les annales
présentent tant de personnages illustres et vertueux ; contre une classe qui a
rendu tant de services à l’agriculture et aux lettres. Si leur influence
chagrine quelques personnes, qu’on tâche d’en acquérir autant, le champ est
libre ; mais qu’on n’oublie pas que le peuple veut raisonner son estime, et
qu’il ne l’accorde qu’à ceux qu’il en croit dignes. Quant au fond de la
question, je pense qu’il faut laisser l’initiative au gouvernement ; il n’y a pas
de péril en la demeure. Il y a tant d’objets qui sont à l’ordre du jour et qui
ont la priorité. Attendons, encore quelque temps, et si le gouvernement néglige
de faire cette proposition, alors, que quelqu’un de nous la fasse : on
l’examinera sans autre passion que celle du bien public. En attendant, je
voterai contre la prise en considération.
M. de Robaulx. - Messieurs, je ne croyais
pas prendre une seconde fois la parole, parce que les raisonnements renfermés
dans nos développements sont demeurés sans réponse ; j’en appelle aux juges
impartiaux. Mais la violence de certaine homélie, dans laquelle je suis fort
injustement compris, me fait un devoir de répondre ; toutefois je serai court.
On m’a accusé
d’avoir injurié les catholiques : voyez mon discours, il vous répondra que si
vous vous croyez désignés, c’est que vous vous êtes fait à vous-mêmes les
applications.
Je suivais hier,
avec une attention bien vive, le discours de M. Vilain XIIII ; j’espérais
toutefois le voir arriver à la seule question que j’avais traitée,
l’enseignement, et je m’apprêtais à écouter ses raisons. J’au écouté
inutilement ; il a parlé de tout, excepté de la proposition en discussion.
Il a fait l’éloge
des curés de campagne et des catholiques, qu’il s’est plu à doter de toutes les
vertus, même de la continence et de la sobriété. (On rit.)
Je suis loin de
contester ces qualités à certains prêtres, et je me plais à les présumer chez
beaucoup d’autres ; mais ces louanges si exagérées, si exclusives, sont propres
à exciter la récrimination. Notre collègue a sans doute oublié que, pour un
Fénelon, nous n’avons pas manqué de Six-Quint, ni d’Alexandre VI. Cette manière
de discourir provoque à la discussion, je ne l’adopterai pas.
Du reste, ceux qui
par anachronisme se déclarent si solennellement ultramontains, veulent-ils bien
sincèrement l’instruction et la liberté de l’instruction comme ils le disent ?
Je réponds : oui, sans doute, comme elle existe au-delà des monts dans les
Etats du pape. Aiment-ils, et veulent-ils réellement la liberté ? Oui, sans
doute, comme les ultramontains l’aiment et la veulent.
L’orateur vous a
dit que le clergé belge plus libéral n’était pas responsable des principes et
faits d’un clergé voisin. Sans doute il a voulu dire par là qu’il était plus
partisan des lumières que le clergé français ; mais, s’il en est ainsi,
pourquoi les jésuites et les ignorantins, élèves de ce même clergé voisin,
pullulent-ils déjà en Belgique ? Pourquoi les demande-t-on à grands cris, et
les installe-t-on partout pour propager leurs principes ? Pourquoi
proclame-t-on déjà cette maxime du clergé voisin, que l’instruction d’un pays
en majorité catholique doit être catholique ? Et ne sommes-nous pas déjà bien
près de cette autre maxime du clergé voisin, que le gouvernement d’un pays en
majorité catholique doit être catholique ?
Rapprochez ces
faits de l’opposition acharnée que l’on fait à l’instruction civile, et voyez
ce que cela promet.
Celui qui a parlé
au nom des catholiques (car décidément ils sont une puissance dans l’Etat) a
copié Daunou et Montalivet ; il s’en est servi contre nous. Nous ne répondons à
cela qu’une chose : c’est que si vous voulez adhérer aux principes de ces deux
orateurs pour l’instruction primaire, nous serons d’accord avec vous. Nous vous
y renvoyons.
Vous
nous reprochez de vouloir rompre l’union et l’harmonie, et vous nous injuriez ;
vous qualifiez nos discours d’écho affaibli d’une bulle papale, vous entrez
dans une saine colère contre deux hommes bien inoffensifs. (Rires et murmures.)
Quoi ! vous êtes
catholiques et vous vous emportez ! (Violents
murmures ; interruption.) Je ne suivrai pas cette marche, je suis loin de
qualifier votre discours d’amplification ampoulée de l’enseignement loriquet ;
je vous répondrai seulement : vous ne nous connaissez pas ; et nous laissons à
d’autres, s’ils vous lisent, à qualifier vos discours.
Je terminerai, et
je persiste à croire qu’en rejetant notre projet, on ne veut pas d’instruction,
on en veut le monopole.
Pauvre Belgique,
que tu as besoin de lumières ! Et si l’on en doute, qu’on lise la dernière
séance ! (Ce discours est suivi d’une
agitation prolongée.)
(Moniteur
belge n°28, du 28 janvier 1832) M. Desmet.
- Messieurs, c’est avec douleur que j’ai vu, vendredi dernier, lancer de notre
tribune une satire des plus sanglantes contre ma patrie. Était-ce bien le
moment, à propos d’écoles de villages, d’attaquer avec tant de véhémence la
mémoire de nos pères ? Car on sait que tout ce qu’il y avait d’honnêtes et de
généreux chez les Belges a pris part à la révolution brabançonne… La Belgique
de 90 appartient à l’histoire ; elle est donc son domaine, comme déjà elle
s’est approprié la France de 93. Elle a jugé les Belges qui, par un généreux
mouvement de patriotisme et de foi, reconquirent leurs libertés religieuses et
politiques envahies par Joseph II, comme elle a jugé nos voisins qui frappèrent
l’innocence d’un supplice nouvellement inventé chez eux. Elle a su apprécier la
conduite du vertueux Frankenberg, comme elle nous a tracé l’apostasie de Gabet.
La politique et les sciences ont porté leur jugement sur l’esprit des journaux
de Peller, comme elles ont prononcé l’infamie sur les feuilles sans-culottistes
de Marat… Mais c’en est assez, et abordons la question… Sans doute le bienfait
de l’instruction primaire gratuite est un but que l’on doit chercher à
atteindre. Mais ce bienfait ne doit être réalisé que d’une manière compatible
avec les principes fondamentaux du nouvel ordre social. Or, il me paraît
difficile que la loi annoncée dans la proposition dont il s’agit échappe à deux
graves inconvénients.
D’abord, si la loi
qui devra régler les conditions d’admission, la surveillance et les autres
points, fait intervenir les croyances religieuses, elle blessera la liberté
religieuse et attaquera le principe de la séparation de l’ordre spirituel et de
l’ordre temporel : heureuse et incontestable nécessité d’une époque où le
pouvoir appartient à tous et non à quelques-uns ! Si au contraire elle n’en
tient pas compte, dès lors, comme un grand nombre de maîtres d’écoles, à la
solde de l’Etat pourront n’avoir pas la confiance des parents, ceux-ci seront
obligés de contribuer par l’impôt à entretenir des établissements dont ils ne
pourront pas profiter. Et qu’on n’objecte point ici la parité des traitements
que le clergé reçoit de la nation, car c’est une dette dont elle s’acquitte
envers ce corps, tandis que l’impôt à voter pour l’instruction primaire n’a
rien d’obligatoire, et au contraire doit être refusé s’il y a crainte qu’il
puisse contribuer à gêner la liberté d’enseignement que la constitution
garantit.
En second lieu
qu’il me semble aussi difficile que la loi soit conçue de manière à ne pas
ramener, sous divers rapports, le principe de la centralisation, l’impôt voté à
l’Etat sera le titre sur lequel on s’appuiera pour centraliser l’éducation. Ce
qui donne mon appui à ma crainte, c’est que je rencontre, dans un des
développements de la proposition, une phrase qui, je dois l’avouer, m’a
singulièrement surpris : « Non seulement, y dit-on, il faut favoriser
l’instruction comme nous le demandons, mais encore il faut la protéger par une
loi de répression. » Et c’est justement de cette étrange protection que
nous ne voulons pas, ni de cette loi de répression dont j’ai horreur comme de
sa première conséquence, qui est le droit de surveillance.
Je crois que, pour
que le bienfait de l’instruction primaire gratuite au lieu d’une manière qui se
concilie avec les principes vraiment libéraux, il faut l’abandonner au zèle des
particuliers et des communes, lesquelles, au besoin, pourront avoir recours au
budget de la province ou à celui de l’Etat.
Le
gouvernement doit se borner à favoriser la diffusion et le progrès de la
science, en instituant des cours élevés que chacun puisse suivre librement, à fonder
sur une grande échelle des institutions analogies à celles qui existent en
Angleterre et surtout en Allemagne et aux Etats-Unis. Alors on rendra au pays
un service réel, alors cette ardeur de savoir qui tourmente la génération
actuelle produira un vrai développement du génie national. Voilà ce que réclame
l’état du siècle et des esprits. Mais, ne fût-ce que par pudeur, qu’on ne vante
point, par zèle pour la science, le hideux despotisme hollandais qui allait
s’étendre jusqu’au catéchisme et au rudiment… Non, messieurs, un système
d’instruction tel que celui que suppose la loi annoncée, ne me paraît convenir
qu’aux peuples placés encore sous le régime d’éducation, et non point à ceux
qui sont entrés dans le régime d’émancipation, qui porte avec lui la séparation
de l’église et de l’Etat, de la presse et de l’Etat, de l’enseignement et de
l’Etat ; et tout pouvoir qui n’isolera pas complètement son action de l’empire
de la pensée, qui, à un degré quelconque, tendra à s’interposer entre les
esprits pour gêner leur mutuelle communications, se détruira dans une égale
mesure, et la société ne cessera d’être agitée jusqu’à ce que l’invincible
nature ait repris son empire… Ce sont là mes motifs pour m’opposer à la prise
en considération.
M. de Terbecq. - Messieurs, j’ai peu de mots à dire ; c’est une fin
de non-recevoir que je désire en ce moment, et j’ai la certitude que plusieurs
membres de cette assemblée partageront mon avis.
Le gouvernement
nous a promis depuis longtemps un projet de loi sur la matière ; ce projet sera
probablement complet, puisqu’il doit être en possession des travaux des deux
commissions qui ont été nommées par le gouvernement hollandais ; il doit être
en possession de beaucoup d’autres renseignements, que plusieurs d’entre nous
auront de la peine à trouver ailleurs.
Le projet du
gouvernement aura cet avantage, de ne renfermer qu’une seule et même loi,
tandis qu’en adoptant la proposition qui nous a été faite, on serait forcé de
faire une deuxième proposition pour régler toutes les conséquences qui dérivent
naturellement du principe établi dans l’article premier du projet. D’après ces
motifs, dont les honorables proposants eux-mêmes sentiront toute la justesse,
je voterai contre la prise en considération.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et
non numéroté) M. Ullens. - Messieurs, je ne viens point, par de longs
raisonnements, m’opposer à la prise en considération de la proposition de MM.
Seron et de Robaulx ; assez d’autres, et notamment mon honorable collègue M.
Vilain XIIII, vous ont développé, dans cette occasion, ma pensée toute entière.
Toutefois, il est trois chefs principaux qui me corroborent dans mon opinion :
1° je ne veux point de centralisation entre les mains du ministère ; 2° je ne
veux point d’instruction politique sans simultanéité de principes religieux ;
3° je ne veux point, pour ma part, qu’on s’occupe de l’instruction primaire,
avant que le ministère nous ait proposé l’ensemble d’un sur l’instruction en
général. Je reprends. Il est, je crois, inutile de répéter la haute opinion
qu’a la chambre toute entière, et moi en particulier, de la droiture des
intentions de M. le ministre de l'intérieur ; mais il n’en est pas moins vrai
que, de conformité au projet qui vous est soumis, tous les fils de cette
branche importante viennent aboutir dans ses mains, et que, ne pouvant tout
faire par lui-même, il aura recours aux inspecteurs des écoles primaires,
contre lesquels on a tant et si justement réclamé. Une chose beaucoup plus
rationnelle, et qui ne contrarie ni l’esprit ni la lettre de la constitution,
c’est de charger les communes de pourvoir à ces écoles, sauf au gouvernement à
venir au secours, en cas d’insuffisance de moyens pécuniaires. J’aborde le
second point. Il me semble d’une nécessité indispensable de faire marcher de
front l’instruction religieuse et l’instruction publique. Le projet qui est
aujourd’hui en discussion ne parle point de cette branche, que moi je regarde
comme la plus indispensable ; car, s’il est important qu’on sache lire, écrire,
chiffrer, qu’on connaisse même les lois de son pays, il est plus important
encore qu’on ait appris à connaître sa religion, qui fait l’honnête homme.
Fidèle à la constitution que j’ai jurée, je veux la liberté pour tous et en
tout ; je veux dont aussi que l’instruction primaire, qui se donnerait aux
frais des communes et non aux frais de l’Etat, ce qui serait une dépense effrayante,
fût en harmonie obligée avec le culte de la majorité des habitants, sauf, à
d’autres instituteurs, à s’y établir et à professer leurs opinions religieuses.
Je terminerai en motivant mon vote négatif, fondé sur l’inopportunité présente
du projet de loi de MM. Seron et de Robaulx. Ne nous y trompons point,
messieurs, lorsque la proposition de ces messieurs parut, et qu’elle fut
envoyée aux sections pour savoir si on en permettrait la lecture, plusieurs s’y
opposèrent. Ceci n’empêcha pas les journaux de faire grand étalage de
l’empressement qu’avait montré la représentation à accueillir le projet dont
nous nous occupons. Je dois faire cette petite digression pour défendre
l’assemblée de l’inculpation de versatilité dont on la chargeait, si elle venait
à ne point prendre en considération la proposition de MM. Seron et de Robaulx.
Je rentre en matière. Ces messieurs semblent craindre que le temps qui doit
s’écouler encore, d’ici au moment où le ministre nous présentera son projet de
loi, puisse être préjudiciable aux masses, parce que, disent-ils, cela peut
traîner en longueur. Je ne partage ni leur opinion ni leurs craintes. De ma
connaissance, et depuis la révolution, plusieurs écoles gratuites pour les
pauvres se sont ouvertes. La statistique de M. l’abbé de Haerne prouve que
l’instruction inférieure n’est point restée stationnaire. Il est, d’ailleurs,
une autre considération qui milite en faveur de mon opinion. En se hâtant trop,
on est souvent surpris des inconséquences qu’on a commises : et n’est-il déjà
pas arrivé que, par un projet de loi, on a voulu remédier le lendemain à la
spécialité qu’attaquait un amendement admis précipitamment la veille ?
Croyez-moi, messieurs, attendons avec calme le projet du ministère,
discutons-le mûrement, amendons-le même, s’il le faut ; mais ne songeons pas
aujourd’hui à un travail qui, peut-être, ne pourrait plus se coordonner plus
tard avec la loi générale sur l’instruction qui va nous être présentée
incessamment.
Je
vote contre la prise en considération.
M. Van Meenen. - Je voterai contre la prise en considération par la
raison décisive, selon moi, que la proposition dont il s’agit n’est pas un
projet, mais une simple motion d’ordre. Elle porte, si je me le rappelle (car je
n’ai pas le texte imprimé), elle porte qu’à dater du 1er juillet l’enseignement
sera gratuit dans tout le royaume. Mais, en supposant que vous adoptiez cette
proposition, qu’elle le soit aussi par le sénat et qu’elle soit sanctionnée par
le Roi, aurez-vous une instruction publique ? Pourra-t-on se pourvoir devant
les tribunaux ou l’administration, pour obtenir l’enseignement gratuit ? Non
certainement, vous n’aurez rien fait qu’une simple motion d’ordre par laquelle,
il est vrai, vous aurez pris un engagement vis-à-vis de la nation. Mais, avant
de prendre cet engagement pour une chose qui n’est, peut-être, qu’une utopie,
examinons d’abord s’il y a nécessité ou utilité de le faire, puis enfin, si
cela est possible ; car, si c’est impossible, nous n’aurons rien fait autre
chose que perdre un temps précieux et suspendre les efforts que l’on fait, en
ce moment, pour l’organisation de l’instruction publique, sans avoir rien à
mettre à la place. Messieurs, les idées les plus contradictoires ont été émises
de part et d’autre. Cela nous prouve que nous manquons de documents sur la
question délicate en discussion. Il n’y a qu’une seule observation, parmi
toutes celles qu’on a fait valoir que j’approuve ; c’est celle de M. l’abbé de
Foere, qui a dit : « Si l’on propose une enquête sur l’instruction
publique, j’ay donnerai les mains ; » mais, il nous faut attendre la
présentation que le ministère nous annonce, afin de voir s’il n’est pas
accompagné de tous les documents convenables, et si l’enquête ultérieure est
nécessaire.
L’orateur
s’attache ensuite à démontrer qu’en supposant même la mesure utile, elle est
impraticable. Il vote contre la prise en considération par une autre raison
encore, c’est que, depuis les développements, la proposition a pris un
caractère d’hostilité, et qu’on en a fait un drapeau, pour ainsi dire...
- On demande de
toutes parts la clôture.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) demande la parole et s’exprime ainsi. - Si je n’ai
point émis d’opinion dans cette discussion, c’est parce que j’avais eu
l’honneur de déclarer à la chambre qu’une commission spéciale, nommée par le
gouvernement, s’occupait avec beaucoup de zèle et de soin de la confection d’un
projet de loi général sur l’instruction publique. Dès lors il était évident que
la question soulevée hier et aujourd’hui était sans objet. Quand le
gouvernement présentera son projet, il sera entouré de tous les documents dont
la chambre a besoin. Je ne me prononcerai donc en aucune manière dans cette discussion,
et je demande l’ajournement jusqu’à la présentation du projet dont il s’agit.
Je regrette que l’assemblée ait consacré deux séances à une discussion inutile,
et je crains que, s’il en survient encore de semblables, nous ne soyons obligés
de recourir à de nouveaux crédits provisoires. (La clôture ! la clôture !)
M. Delehaye. - Je demande la parole contre
la clôture. J’ai fait hier une motion d’ordre qui a été rejetée. Elle tendait à
prévenir une discussion que je prévoyais devoir être longue et difficile ;
mais, puisque la question délicate que, selon moi, il n’était pas encore temps
d’aborder, a été soulevée, je m’oppose à la clôture et je demande que la
discussion continue.
M.
Destouvelles. - Messieurs, si la proposition d’ajournement faite
par l’honorable M. Lebeau est admise, elle aura mon assentiment ; mais si la
chambre décide qu’il sera immédiatement voté sur la prise en considération,
j’ai le droit de motiver mon vote : la chambre ne peut se dispenser de
m’entendre. (Vives réclamations.) Je
déclare ne pas confondre, comme tant d’orateurs l’on fait, la proposition de
MM. Seron et de Robaulx avec les motifs qui ont été développés par eux. La
chambre ne vote pas sur des motifs, mais sur les propositions qui lui sont
soumises. En admettant la prise en considération, elle n’annonce pas à la
Belgique qu’à partir du 1er juillet prochain il sera, dans chaque commune,
établi une école gratuite aux frais de l’Etat ; elle se borne à déclarer, sans
rien préjuger, qu’elle examinera la question avec la maturité que commande son
importance. Je voterai donc en faveur de la prise en considération de la
proposition, sans, je le répète, admettre les développements que lui ont donnés
ses auteurs ; mais je protesterai actuellement contre la clôture, si elle était
prononcée.
-
La clôture est réclamée avec de nouvelles instances.
M. l’abbé de Haerne. - J’ai été attaqué par différents orateurs, et j’ai
remarqué dans plusieurs discours des faits personnels, auxquels j’ai le droit
de répondre… (Non ! non ! La clôture !)
M.
Pirson. - Mais je ferai observer que la chambre n’a pas coutume
de fermer la discussion après qu’un ministre a parlé ; et, d’un autre côté, la
question est très grave et loin d’avoir été traitée à fond ; je demande qu’on
continue d’entendre les orateurs qui veulent parler.
M. C. Rodenbach demande la
parole pour motiver son vote.
- Les cris de : Aux voix et la clôture, redoublent.
La chambre,
consultée, ferme la discussion.
M. le
président. - Je vais
maintenant mettre aux voix la question de savoir si la chambre prend la
proposition en considération.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour
la position de la question. M. de Theux, en sa qualité de député, a demandé
qu’on ajournât la proposition. L’ajournement doit être mis aux voix avant tout…
(Exclamations en sens divers.)
M. l’abbé de Haerne. - Je m’oppose à l’ajournement parce que, d’après l’article 37 du
règlement, cette question ne vient qu’après celle de la prise en considération.
M. H. de
Brouckere. - Il faut s’entendre. De quoi demande-t-on
l’ajournement ? Est-ce de la prise en considération ou de la proposition même ?
Je répète ce que j’ai dit hier ; il y a trois choses à faire d’après le
règlement : mettre aux voix la question de savoir si la proposition est prise
en considération, si elle doit être ajournée ou s’il n’y a pas lieu à
délibérer. Ce qu’il faut mettre aux voix d’abord, c’est la prise en
considération.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. Jullien. - Mais la discussion est
fermée. (Agitation.)
M. Lebeau. - Je demande la parole sur la
position de la question. L’article 37 du règlement porte : « Si la
proposition est appuyée par 5 membres au moins, la discussion est ouverte, et
le président consulte la chambre pour savoir si elle prend en considération la
proposition qui lui est soumise, si elle l’ajourne ou si elle déclare qu’il n’y
a pas lieu à délibérer. » Eh bien ! je demande formellement l’ajournement
de la proposition, et je me fonde sur ce que M. le ministre de l'intérieur nous
annonce qu’il présentera prochainement un projet de loi complet et entouré de
tous les documents dont nous avons besoin. De cette manière nous ne rejetons
pas la proposition, nous rendons hommage à l’intention de ceux qui en sont les
auteurs, et nous ne blessions aucune opinion. Je ferai remarquer, d’ailleurs,
que d’après l’article 24 du règlement, la question d’ajournement doit être mise
aux voix la première.
M. Delehaye. - Si j’ai proposé hier l’ajournement, c’était pour
éviter une discussion étrangère, je le répète, à la prise en considération, et
parce que je prévoyais qu’il s’y glisserait des personnalités ; mais
maintenant qu’on a discuté, je ne demande plus l’ajournement mais que M. le
président mettre aux voix la prise en considération.
M. Dumortier. - Je demande la question préalable, c’est-à-dire que
la chambre décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer.
M. H. de
Brouckere. - C’est une chose singulière que d’entendre demander
la question préalable quand la discussion est épuisée. Il en est de même des
propositions de MM. de Theux et Lebeau, car c’est la question sur laquelle nous
parlons depuis deux jours. Je demande que M. le président suive la marche
tracée par le règlement.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. d’Hoffschmidt. - Vous l’avez déjà eue deux fois.
M. Lebeau. - Oh, mon Dieu ! j’y renonce.
(On rit.)
M. Devaux. - On vous a dit que l’article
37 du règlement ordonne de mettre aux voix la prise en considération,
l’ajournement, ou bien la question de savoir s’il n’y a pas lieu à délibérer.
Mais personne ne peut nier qu’on a le droit de demander qu’on mette d’abord aux
voix l’une ou l’autre de ces questions ; car autrement, si vous votez en
premier lieu la prise en considération, et que vous preniez en considération,
il faudra encore mettre aux voix la question d’ajournement. D’après l’article
24 du règlement, c’est l’ajournement qui doit être le premier mis aux voix. (Dénégations.) A quoi bon ces murmures,
messieurs ? Si j’ai tort, vous me répondrez. Je déclare, quant à moi, que je
suis contraire à la proposition de MM. de Robaulx et Seron ; mais je ne suis
pas assez partial pour vouloir exclure jusqu’à la présentation de la loi sur
l’instruction publique. Je demande que M. le président mette d’abord aux voix
l’ajournement.
M. Van Meenen. - L’article 37 du règlement me paraît si clair et si
positif, que je ne puis concevoir le doute dans lequel flotte l’assemblée. Nous
avons discuté pendant deux jours, nous sommes maintenant arrivés au point où M.
le président doit consulter la chambre. Eh bien ! c’est la question de prise en
considération qui doit d’abord être mise aux voix : si elle est adoptée, alors
M. le ministre de l'intérieur et M. Lebeau seront libres de proposer
l’ajournement de l’examen de la proposition par une commission. Mais cette
question ne doit venir qu’après celle de la prise en considération. On prétend
à tort que, d’après l’article 24 du règlement, l’ajournement doit être mis aux
voix le premier ; car nous ne sommes pas placés ici dans l’application de
l’article 24, mais dans les termes de l’article 37. (Agitation ; un grand nombre de voix demandent la parole.)
M. Barthélemy. - C’est une question déjà
jugée. Lors de la discussion sur la prise en considération de ma proposition
sur les routes et canaux, la chambre a adopté l’ajournement, par le motif qu’elle
n’était pas assez éclairée.
M. Jullien déclare qu’il entent autrement le règlement que MM.
Lebeau et Devaux, et que la chambre doit se renfermer dans l’article 37.
M. Dewitte. - Le président consulte la chambre pour savoir si elle
prend en considération la proposition qui lui est soumise. Je m’arrête là ;
voilà où nous en sommes. (Rire général.)
M. Devaux. - Je ne ferai qu’une seule
question à l’assemblée. Si l’on met d’abord aux voix la prise en considération,
comment ceux qui veulent l’ajournement voteront-ils ? (Murmures.)
M. Delehaye
insiste pour qu’on mette aux voix la prise en considération.
- La chambre
consultée décide que la question de prise en considération doit être mise aux
voix la première.
M. Dumont. - Je demande si la prise en
considération exclut l’ajournement.
M. H. de Brouckere. - Non certainement. J’ai
déposé sur le bureau une proposition tendante à ce que le projet soit ajourné,
pour le cas où il serait pris en considération.
- On demande
l’appel nominal sur la prise en considération. Elle est rejetée par 53 voix
contre 24.
Ont voté pour la
prise en considération : MM. Barthélemy, Corbisier, Dautrebande, Davignon, H.
de Brouckere, Desmanet de Biesme, Destouvelles, Dumont, Duvivier, Fleussu,
Gendebien, Jaminé, Jamme, Jonet, Jullien, Lardinois, Mary, Pirmez, Pirson,
Raymaeckers, Watlet, Zoude, d’Hoffschmidt et Bourgeois.
Ont voté contre :
MM. Angillis, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Cols, Coppens, Coppieters, de
Foere, de Gerlache, de Haerne, Dellafaille, Delehaye, de Meer de Moorsel, F. de
Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Sécus, de Roo, Desmet, de Terbecq, de Witte,
de Voelmont, Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jacques, Lebeau,
Lebègue, Lefèvre, Legrelle, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Osy,
Verdussen, Serruys, Thienpont, Ullens, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Vergauwen,
Verhaegen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Devaux.
La séance est
levée à 4 heures.