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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 juin 1832

(Moniteur belge n°168, du 16 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

A une heure on procède à l’appel nominal.

M. Lebègue donne lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques expose sommairement l’objet de plusieurs pétitions qui sont renvoyées à la commission spéciale.


MM. Dellafaille et Gendebien s’excusent de ne pouvoir assister à la séance.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Discussion des articles

De la cour de cassation

L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi sur l’organisation judiciaire.

Article 18

M. le président. - Il a été présenté par M. Jonet et par M. de Roo des amendements pour tenir lieu de l’article 18. La discussion est ouverte sur ces amendements. M. de Roo renoncerait aux trois premiers paragraphes de sa proposition dans le cas où l’amendement de M. Jonet serait adopté ; mais il voudrait que son quatrième paragraphe fut alors ajouté à l’amendement de M. Jonet.

Voici l’amendement de M. Jonet :

« La cour de cassation se divise en deux chambres.

« La première connaîtra des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, des demandes en règlement de juges, en renvoi d’un tribunal à un autre, des prises à parties et des conflits d’attribution.

« La seconde connaîtra de toutes les autres affaires qui ne doivent pas être jugées par les chambres réunies. »

Voici l’amendement de M. de Roo :

« La cour de cassation se divise en deux chambres, l’une civile, l’autre criminelle.

« La chambre criminelle connaîtra des pourvois en matière pénale, des demandes en règlement de juges, en renvoi d’un tribunal à un autre, des prises à parties et des conflits d’attribution.

« La chambre civile connaîtra des pourvois en matière civile, et de toutes les autres affaires qui ne doivent pas être jugées par les chambres réunies.

« Néanmoins, il sera loisible à la cour, en cas de surcharge, de renvoyer les affaires d’une chambre à l’autre. »

M. le président. - La parole est à M. Helias d’Huddeghem.

M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, le but du partage des travaux de la cour de cassation est de prévenir qu’il ne s’introduise entre les deux chambres une jurisprudence différente.

L’amendement de M. de Roo détruit dans ma manière de voir l’effet qu’on se propose : en divisant la compétence de chaque chambre, autant vaudrait de renvoyer indistinctement les matières différentes à l’une ou l’autre chambre d’après le plus ou moins d’affaires qui y seraient pendantes.

Messieurs, l’amendement de l’honorable M. Jonet remplit le but que je vous avais aussi proposé. L’ordre que lui a donné M. Jonet ne m’embarrasse guère, car peu m’importe qu’on appelle la première, chambre civile, et l’autre, chambre criminelle ou bien qu’on les désigne par première chambre ou seconde chambre, le nom ne fait rien à la chose, d’autant plus que les deux chambres siègent en nombre égal, et comme on l’a parfaitement démontré dans une séance précédente, que les matières criminelles sont d’une importance aussi grande que les affaires civiles.

Mais l’honorable M. Jonet convient lui-même que s’il n’avait pas obtenu le but qu’il s’était proposé en divisant le travail, savoir de donner aux chambres une égalité de travail, il ne s’opposerait pas à ce que l’on fît un partage plus égal.

Il faut observer qu’outre les attributions déjà fixées par les lois antérieures, savoir : la connaissance des pourvois sur les matières civiles qui sont très nombreuses puisqu’elles comprennent les matières d’enregistrement, de contributions directes et indirectes, de douanes, les questions de domaines commerciales, de procédure civile, des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, des demandes en règlement de juge, en renvoi d’un tribunal à un autre, des prises à parties ; la cour d’après notre nouvelle organisation connaîtra encore des conflits d’attribution ; des pourvois dirigés contre les arrêts de la cour des comptes, contre les décisions des conseils provinciaux en matière électorale, contre les jugements des conseils de discipline de la garde civique.

Sans y comprendre les matières qui seront dévolues plus tard à la connaissance de la cour de cassation, telle que les pourvois de la haute cour militaire.

Par ces motifs, dit M. Helias d’Huddeghem, je proposerai l’amendement suivant :

« La cour de cassation se divise en deux chambres.

« La première chambre connaîtra des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, des demandes en règlement de juges, en renvoi d’un tribunal à un autre, des prises à parties ; des pourvois contre les décisions des conseils provinciaux en matière électorale, des conseils de discipline de la garde civique et des conflits d’attributions.

« La seconde chambre connaîtra de toutes les autres affaires qui ne doivent pas être jugées par les chambres réunies. »

M. Jonet. - Je déclare ne pas m’opposer à l’addition du quatrième paragraphe de l’amendement de M. de Roo, à mon amendement.

M. Mary. - Messieurs, il me semble que nous n’avons pas besoin d’indiquer les matières qui occuperont les chambres de la cour de cassation. Dans l’article 15 nous avons réglé les attributions de la cour de cassation, et cela doit suffire.

Je pense qu’il faut laisser à la cour de cassation le soin de faire le partage des affaires, par un règlement d’ordre intérieur entre les deux chambres qui la composeront. Dans l’article 15 on a dit que la cour statuerait sur des matières qui seraient indiquées par des lois ; il y a quelques jours vous avez agité la question de savoir si la cour de cassation connaîtra des matières militaires ; eh bien, si plus tard, ces matières font l’objet des attributions de la cour de cassation, il faudra en faire le partage entre les chambres de manière à rendre le travail égal dans l’une et dans l’autre. Il me paraît plus logique de dire que les chambres s’occuperont de matières civiles et de matières criminelles, mais de manière qu’il ne soit pas interdit de faire une égale répartition des travaux. Pourquoi la justice ne se rend-elle pas promptement ? C’est que les tribunaux sont surchargés. Si nous spécialisons les attributions, nous surchargeront une chambre pour ne rien donner à l’autre.

D’après l’article 22 du projet en discussion, il est dit que les chambres se forment la première fois par la voie du sort, et que les autres années le roulement aura lieu par ordre d’inscription ; d’après cet article, vous auriez beau avoir un Carnot dans la discussion, vous ne pourriez pas l’appliquer aux affaires criminelles, puisque le sort et le roulement l’appelleraient aux affaires civiles. Par ces considérations, je crois devoir proposer l’amendement suivant :

« La cour de cassation se divisera en deux chambres dont la première sera plus spécialement chargée des pourvois en matière civile et la seconde des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police. »

« L’ordre du service sera établi par un règlement intérieur de la cour. »

Ceci est imité de ce qui a été fait à la cour de cassation de France. Je crois qu’on peut adopter cet amendement, car il présente de grands avantages.

M. H. de Brouckere. - J’admets en partie l’opinion du préopinant et je vais plus loin : je crois que la loi ne doit faire aucune mention des affaires déférées à l’une ou à l’autre des deux chambres.

Il a été décidé que les chambres seraient composées d’un nombre égal de 7 conseillers ; alors peu nous importe laquelle des deux s’occupera de telle ou telle affaire. Qu’avons-nous à ajouter à cette règle ? Nous n’avons à ajouter que les exceptions où il faudra juger les chambres réunies. M. Devaux a demandé que les conflits d’attribution soient décidés par les chambres réunies ; d’autres demandes semblables ont été faites. Bornons-nous à dire qu’il y aura deux chambres. Un règlement intérieur décidera de quelles affaires elles s’occuperont. Voilà dans quel sens je voterai l’adoption de l’amendement de M. Mary.

M. Jonet. - Je ne puis partager l’opinion de l’honorable préopinant. Il faut éviter une diversité de jurisprudence entre les deux chambres, et le moyen de l’éviter, c’est d’établir une juridiction particulière pour chaque chambre. Si la juridiction était commune, une chambre jugerait dans un sens et l’autre chambre jugerait dans un sens diffèrent, sur la même question, à quelques semaines d’intervalle. Alors vous voilà écartés du but que vous nous proposez en instituant la cour de cassation.

Les attributions, dit-on, peuvent très bien se déterminer par un règlement ; je ne le pense pas ; c’est la loi qui détermine en France les attributions de chaque chambre ; il en existe trois, et toutes ont des attributions fixées par les lois de leur institution.

Lorsque différentes chambres ont la même attribution, la distribution des affaires est abandonnée au premier président. Dans les cours d’appel il y a une chambre des appels de police correctionnel et une chambre des mises en accusation, une chambre civile : qui est-ce qui règle les renvois des affaires à chacune d’elle ? Ce n’est pas le premier président, c’est la loi même qui d’avance a dit quelle espèce de cause serait soumise à ces chambres. La même chose a lieu dans les tribunaux de première instance. Il y a deux chambres dans ces tribunaux, l’une qui juge les affaires correctionnelles, et l’autre les affaires civiles.

Croyez-vous qu’un règlement intérieur puisse distribuer les affaires ? Non, car la compétence est de droit et d’ordre public. Il n’est pas permis aux tribunaux de se dessaisir d’une affaire qui leur est dévolue,

D’après ce que je propose, quand une chambre sera surchargée dans la cour de cassation, on renverra les affaire à l’autre chambre, et vous aurez deux juridictions.

M. Liedts. - Je crois avec quelques préopinants que l’amendement de M. Jonet ne peut pas être adopté. En effet, parmi les causes dont il attribue la connaissance à la première chambre, je ne vois que deux genres d’affaires qui se présenteront assez souvent, ce sont les pourvois en matière criminelle et les conflits d’attributions ; car pour ce qui regarde les règlements de juges et les renvois d’un tribunal à un autre, tout le monde sait combien ces cas sont rares.

Or les pourvois en matière criminelle n’occupent aujourd’hui la cour de Bruxelles que trois jours par trimestre ; en supposant que la cour de Liége fournisse un nombre égal de causes, il en résulterait six jours d’ouvrage par trimestre. Quant aux conflits d’attributions, il y en avait, lors de notre réunion à la Hollande six ou sept par an. Mais y en eût-il aujourd’hui deux par trimestre, et en supposant que chaque affaire demande un jour entier. cela ferait en tout huit à dix jours d’audience par trimestre, ce qui est évidemment trop peu. Je pense donc qu’il faudra en revenir à l’opinion de M. Mary.

M. Jonet. - Il est très possible qu’une chambre ait plus d’affaires que l’autre ; cependant, il faut tâcher de rendre les travaux égaux. Ainsi, je ne m’opposerai pas qu’on donne à la section criminelle les affaires criminelles proprement dites ; et on pourrait y ajouter d’autres affaires, celles de l’enregistrement, etc. Mais quant à la distribution des affaires par suite d’un règlement intérieur, je m’y oppose, parce que alors vous auriez une jurisprudence différente.

M. Mary. - De la diversité d’opinions qui règne parmi les personnes qui appuient l’amendement de M. Jonet, j’en tire la conséquence qu’il y aurait de très grands inconvénients à fixer les attributions des chambres, autrement que par des règlements de juges. Vous voyez combien il est important de laisser à la cour elle-même le soin de partager ses occupations,

Par là, on aura, dit-on, différence de jurisprudence ; mais le même effet sera produit par l’article 22. Au surplus, il ne faut pas croire que ces cas se présenteront souvent, et on peut ne pas les craindre.

Une autre objection a été faite. Les attributions des deux chambres doivent, à ce qu’on assure, être réglées par une loi ; je ne vois rien dans la constitution qui force à cette détermination. A Paris, d’après la loi de ventôse an VIII, les affaires intérieures de la cour sont déterminées par un règlement intérieur. Ici, où ce règlement n’existe pas, il y a encombrement d’affaires ; il est vrai de dire que les conseillers n’ont pas été assez nombreux pour juger toutes les causes. Le meilleur moyen d’éviter l’encombrement est de partager également les travaux.

M. Helias d’Huddeghem. - Il n’y a pas diversité d’opinion dans les amendements proposés par MM. Jonet et de Roo ; je m’oppose à ces amendements pour éviter la diversité de jurisprudence. Il faut que la loi règle les attributions. C’est un précédent établi par la loi de l’an VIII ; par elle les attributions sont fixées pour la chambre des requêtes, pour la chambre civile et pour la chambre criminelle.

M. Destouvelles. - La section centrale a eu particulièrement en vue de déterminer les attributions de chaque chambre. Et à cet égard, ce n’est pas une opinion nouvelle qu’elle a émise, elle s’en est référé à la législation qui a institué la cour de cassation du 28 ventôse an VIII.

D’après l’article 300 de cette loi, la cour de cassation est divisée et trois chambres de 10 juges chacune et prononçant sur des matières différentes. Cette division n’est pas arbitraire ; elle a pour but principalement de prévenir la divergence des décisions dans la même cour. L’objet important de la cour de cassation est de ramener la jurisprudence à une uniformité qui seule est dans l’essence de son institution.

L’honorable M. Mary a dit que les divergements qui se manifestaient dans le sens de l’assemblée relativement au partage des travaux entre les chambres de la cour de cassation démontrait assez qu’il fallait laisser effectuer ce partage par un règlement intérieur de juges. Messieurs, si cette divergence a lieu ici, elle peut avoir lieu au sein de la cour ; mais si elle se manifeste dans la cour de cassation, il n’y aura pas moyen de la faire cesser ; tandis que tout est maintenant dans la puissance du législateur, un règlement pourrait ne pas obtenir l’assentiment de tous les membres de la cour, c’est donc à la loi à déterminer les attributions. La constitution, nous dit-on, n’a rien prescrit sur les attributions ; eh bien, c’est justement parce que la constitution n’a rien dit qu’il faut y pourvoir.

M. Jullien. - Un préopinant a parlé des attributions à donner à l’autre chambre relativement aux pourvois sur les questions concernant la garde civique, les droits et les devoirs électoraux ; je pense que ce serait une imprudence de donner maintenant ces attributions à l’une des chambres de la cour de cassation et même à la cour de cassation en général, parce que les lois sur ces pourvois ne sont pas encore faites et qui jusqu’ici il n’y a pas eu recours contre les décisions prises sur ces motivés. C’est lors de la confection de ces lois qu’on réglera les pourvois.

L’amendement ou la proposition de M. Mary tendrait à laisser à la cour de cassation la faculté de distribuer son travail comme elle l’entendrait.

Messieurs, je ne peux admettre cette opinion. Si vous laissez aux chambres le soin de partager le travail, vous n’avez pas besoin de décréter deux chambres ; vous n’avez pas besoin de diviser la cour de cassation en deux corps. Il fallait dire tout bonnement : la cour de cassation connaîtra de toutes les affaires qui lui seront portées.

Je pense qu’il y a nécessité de déterminer les attributions, car si l’on confond dans l’une et dans l’autre chambre la connaissance des questions civiles et des questions criminelles, il pourra arriver que les deux chambres seront saisies à la fois de causes présentant les mêmes questions. Dans ce cas, les chambres devront-elles se rassembler pour se concerter ? Si elles ne se concertent pas, vous les exposez à juger contradictoirement ; l’une dira blanc, l’autre dira noir sur la même question. En réglant les attributions, vous n’êtes pas exposés à cette diversité.

Je conçois que, vu l’incertitude des matières qui seront attribuées aux chambres, l’une peut être surchargée plus que l’autre. Dans ce sens, on peut laisser quelque chose à la discrétion du président de la cour de cassation. Mais il faut toujours dire que l’une connaîtra spécialement des matières criminelles, correctionnelle ou de simple police, et que l’autre connaîtra des matières civiles. Au moins vous aurez par là posé une ligne de démarcation entre les pourvois… Je persiste à croire qu’il faut distinguer les deux chambres et laisser la distribution des matières non comprises dans les grandes divisions à la cour elle-même.

M. Barthélemy. - Je ne vois pas d’inconvénient à adopter l’amendement de M. Mary ; je ne vois pas d’inconvénient à adopter l’amendement de M. Julien, qui est le même et qui a pour but de diviser les causes en deux grandes sections, l’une criminelle, l’autre civile, et à laisser la division des autres affaires au premier président selon les besoins du service.

Les craintes que l’on a manifestées relativement à la différence de jurisprudence me paraissent mal fondées. On veut que la loi fasse elle-même la division, et on s’est fondé sur la loi de l’an VIII, mais il faut considérer les motifs qui ont déterminé à porter la loi de l’an VIII ; les affaires sont assez nombreuses en France pour occuper trois chambres ; le travail devait donc être divisé. Ici nous n’avons plus de section des requêtes, et il est indifférent à laquelle des deux chambres on soumette les matières criminelles ou les matières civiles.

Vous auriez diversité de jurisprudence par le roulement, quand même vous feriez une distinction entre les deux chambres. En France vous avez vu décider au civil la même question de deux manières différentes. Dans votre cour de cassation il en sera de même, et il y aura divergence jusqu’à ce que la cour ait prononcé chambres réunies.

Il ne peut y avoir une jurisprudence fixe là où il y a roulement ; et quand il n’y aurait pas de roulement, le ministère public peut traiter la question d’une manière plus claire, et déterminer les chambres à prononcer autrement. On a vu M. Merlin revenir sur ses premières opinions et entraîner les chambres à changer leurs décisions.

Il n’y a pas d’inconvénient à adopter l’amendement de M. Mary ou de M. Jullien ; beaucoup de travaux seront confiés à la cour de cassation par des lois qui ne sont pas encore faites. Il faut en établissant deux grandes divisions laisser à la cour le soin de se distribuer les autres travaux.

M. de Roo. - Je partage l’opinion de M. Jonet ; il faut fixer les attributions de la cour. Je ne puis adopter l’amendement de M. Helias, parce que ce serait donner à cette cour la connaissance de matières qui n’ont pas encore d’existence légale. On a dit que la chambre criminelle, comme on voulait la composer, aurait une occupation de dix jours par trimestre, c’est pour remédier à cet abus, que j’ai soumis un amendement à la chambre.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Liedts :

« La cour de cassation se divise en deux chambres. La première connaîtra des pourvois en matière civile ; et la deuxième, des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police.

« La distribution, entre les deux chambres, des autres affaires dont la loi attribue la connaissance à la cour de cassation, se fera par un règlement d’ordre établi par cette cour. »

M. Liedts. - Je n’ai que deux mots à dire à l’appui de cet amendement. Le seul reproche que l’on ait fait à l’amendement de M. Mary, c’est qu’il pourrait introduire une diversité de jurisprudence civile et criminelle ; eh bien mon amendement a pour but de parer à cet inconvénient en traçant dans la loi les grandes divisions entre les affaires civiles et criminelles, et en abandonnant ensuite à un règlement d’ordre la distribution de toutes les autres affaires.

En finissant je relèverai une erreur de fait échappée à. M. Jullien : il s’est trompé quand il a dit que jusqu’ici aucune loi n’a parlé du recours en cassation eu matière de gardes civiques et en matière d’élection. Les lois portées sur ces objets accordent au contraire expressément le recours en cassation contre les décisions des états députés.

M. H. de Brouckere. - Les préopinants ont une crainte trop grande de cette diversité de jurisprudence, que pour moi, je ne redoute nullement.

On dit que si par une loi vous n’attribuez pas à une des chambres les affaires criminelles il s’établira des contradictions dans les décisions sur des questions semblables ; mais il n’existe personne qui ait plus d’intérêt que la cour elle-même à ce que ces contradictions n’aient pas lieu. En supposant que les deux chambres connaissent des affaires civiles, celui qui fera la division aura bien soin que deux questions de même nature soient renvoyées à la même chambre.

Quant à ce qui regarde la diversité de jurisprudence à des temps plus ou moins éloignés, il ne faut pas la craindre. La cour de cassation de France a changé de jurisprudence, et ce n’est pas un mal. Il ne faut pas imaginer que la cour de cassation se croie enchaînée par un premier arrêt, il faut qu’elle puisse reconnaître son erreur.

Ce qu’il y aurait à redouter, c’est qu’il y eût diversité de jurisprudence dans le même moment.

Dans les premiers temps, il y aura chez nous bien des arrêts dissemblables, parce que la jurisprudence ne peut devenir fixe que par le laps de temps.

Je persiste dans mon amendement qui tend à laisser le partage des affaires à la cour de cassation elle-même.

M. Barthélemy. - Je propose un sous-amendement par lequel on déclarera qu’il y aura chambre réunies en cas de conflit d’attributions. J’aimerais mieux que l’on dît qu’il y aura « audience solennelle. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je pense qu’il est utile de fixer par la loi même les attributions des deux chambres de la cour de cassation. Ce sera d’abord une garantie plus grande pour les plaideurs qui préfèreront trouver la marche que devra suivre une affaire tracée dans la loi, à la trouver tracée dans un règlement fait par la cour de cassation elle-même.

Ce sera de plus un moyen d’éviter une diversité de jurisprudence, parce que la même question soumise en même temps aux deux chambres pourrait obtenir deux solutions contraires.

On a dit ; la chambre de cassation a intérêt à éviter cette divergence de jurisprudence...

Lorsqu’on peut prévenir un inconvénient, il est du devoir du législateur d’établir des règles dans ce but.

On insiste : On prétend qu’en établissant une division générale on surchargera une chambre et que la cour fera le partage des travaux d’une manière plus égale ; on va même jusqu’à dire qu’en faisant cette division elle aura soin de donner deux questions semblables à la même chambre.

Mais pour diviser les travaux de cette manière, il faudra que celui qui fait le partage examine les dossiers, étudie les affaires, car sans cela comment évitera-t-il de donner des questions identiques à résoudre à des chambres différentes ?

Il me paraît aussi que les plaideurs ont jusqu’à un certain point quelque droits à connaître la juridiction à laquelle ils seront soumis.

Les magistrats sont libres et c’est ce qui produit la division, l’on a déjà en appel des jugements différents rendus sur des questions pareilles dans des chambres différentes, et quoique les questions fussent présentées presque simultanément. Quand des jugements discordants sont rendus en appel, il, y a encore remède ; mais en cassation on doit éviter toute divergence, et un moyen de l’éviter, c’est de définir par la loi, quelle genre de causes seront attribués à une section et à une autre section.

M. Leclercq. - J’ai demandé la parole pour soumettre un amendement qui me semble réunir les deux opinions, le voici :

« La cour de cassation se divise en deux chambres.

« Un règlement d’ordre intérieur, fait par la cour, distribuera les travaux entre elles.

« Ce règlement soumettra à chacune d’elles des matières d’une nature différente. »

Les inconvénients reprochés aux amendements de MM. Jonet et de Roo, c’est que l’on distribuera également les travaux entre les deux chambres, et que l’une aura beaucoup d’affaires tandis que l’autre en aura peu.

A ceux qui demandent que la cour fasse elle-même le partage on reproche la diversité de jurisprudence qui résulterait de cette manière de distribuer le travail, diversité qui deviendrait presque un scandale si elle avait lieu pour la même question à de courtes intervalles.

Mon amendement prévoit et remédie à ces deux inconvénients.

La cour de cassation, après avoir établi le partage des affaires entre les chambres, si elle aperçoit au bout de quelques mois que l’une d’elle est surchargée, elle changera son règlement et fera une autre distribution. Par là, le but de la cour de cassation est atteint, et on ne distribuera pas arbitrairement les matières entre les chambres.

M. H. de Brouckere. - J’adhère à l’amendement de M. Leclercq et retire le mien.

M. Liedts. - J’en fais autant.

M. Jullien. - Moi je n’en fais pas autant. (On rit.)

Il n’est pas indifférent de laisser au libre arbitre d’un magistrat la distribution des affaires entre les chambres. Un plaideur peut avoir un intérêt direct à ce que sa cause soit portée dans telle chambre plutôt que dans telle autre. Il faut être étranger au barreau pour ne pas savoir que des sollicitations de la part des plaideurs sont journalières. Il faut, messieurs, que cet inconvénient-là n’existe pas, et cependant d’après l’amendement de M. Leclercq, il aurait lieu. Cet amendement dit le règlement soumettra à chaque chambre des matières d’une nature différente...

M. Fleussu. - C’est le règlement qui fera la distinction des affaires.

M. Jullien. Eh bien, pourquoi la loi ne ferait-elle pas cette division ; pourquoi la laisserait-on faire à un règlement d’ordre ? Pourquoi la loi ne dirait-elle pas ce que toutes les lois sur la cour de cassation ont dit ?

Il faut attribuer exclusivement à une chambre la connaissance des matières civiles, à l’autre chambre la connaissance exclusive des matières criminelles, sauf ensuite en donner à l’un ou à l’autre les recours que les lois permettront dans la suite.

J’insiste donc pour que la division soit marquée.

M. Leclercq. - Vous remarquerez que l’objection ne touche pas à l’amendement. C’est le règlement d’ordre qui déterminera la distribution des affaires. il ne dépendra pas des présidents de renvoyer telle ou telle affaire devant une chambre ou devant l’autre. Le règlement sera d’abord arbitraire, mais au bout de quelques mois on pourra en faire en partageant plus également les travaux. L’expérience indiquera seule ce qu’il y a de mieux à faire.

M. Lebeau. - Je pense que l’amendement de M. Liedts, que je prends pour mon compte, est préférable à l’amendement de M. Leclercq. Cette dernière proposition est très vague ; elle n’offre pas la garantie que la cour interviendra dans le sens indiqué par son honorable auteur.

On dit que les chambres connaîtront des matières différentes. Cette expression ne précise rien. On ne voit pas pourquoi on diviserait les matières civiles, car d’après l’amendement on pourrait diviser les matières civiles en classes différentes.

Que veut M. Leclercq ? Veut-il au moins la grande division formulée dans toutes les lois sur la cour de cassation de France et reproduite par M. Liedts dans sa proposition ?

Les doutes qui peuvent résulter de l’amendement de M. Leclercq sont tranchés par celui de M. Liedts, qui a tous les avantages de la proposition de M. Leclercq.

Si la section criminelle se trouve avoir beaucoup moins de travaux que la section civile, toutes les matières comprises dans les droits électoraux, la milice, les gardes civiques, seront reportées à la chambre criminelle et elles rétabliront l’équilibre.

On peut abuser de la rédaction de l’amendement de M. Leclercq ; il est impossible d’abuser de l’amendement de M. Liedts, Je le reprends pour mon compte.

M. Leclercq. - Il n’y a pas de vague dans mon amendement, « Des matières de nature différente » sont des expressions qui ne permettent pas le vague.

Où serait l’inconvénient qu’une chambre s’occupât d’une certaine nature de matières civiles, et que l’autre chambre s’occupât d’une autre nature de matières civiles ? Il n’en résulterait aucun ; il n’en résulterait que des avantages. Plus l’amendement laisse de liberté à la cour de cassation, plus l’on approchera du but que l’on doit se proposer.

M. Jullien. - Il est très aisé de dire : « Les matières d’une nature différente. » Le principe est clair, mais il faudra le mettre en pratique. Je demande au préopinant qui est-ce qui jugera de la nature différente des causes ?

Quelqu’un jugera donc préalablement que telle matière civile est de nature différente à telle autre matière civile ? Ce jugement sera nécessairement laissé à l’arbitraire de celui qui sera chargé de faire la division : il ne faut pas de cas arbitraires ; il faut que la loi fasse la division entre les affaires criminelles et les affaires civiles.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On n’aura pas perdu de vue que l’on a regardé jusqu’ici comme si essentielle la division et la distribution des affaires entre les diverses sections de la cour de cassation, que ce point a été légalement réglé.

Vous savez, messieurs, que la loi du 27 ventôse an VIII a réglé que les affaires seraient portées à telle ou telle chambre de la cour de cassation ; ainsi on a senti la nécessité d’avoir des dispositions législatives à cet égard. Tout le monde connaît la grande division des affaires en civiles et en criminelles et l’on peut fort bien établir sur cette division les attributions des sections.

Je ne crois pas que l’on doive craindre, ainsi qu’on l’a manifesté, qu’une section serait surchargée tandis que l’autre n’aurait que très peu de chose à faire, si on admettait la grande division établie jusqu’ici par les lois.

Il a été fait le relevé pendant 5 années des causes portées à la cour de cassation de Liège et à celle de Bruxelles ; les cours de cassation sont formées, comme on sait, dans le sein des cours d’appel de ces deux villes.

Eh bien ! à Liège, en matière civile, le terme moyen par année, est de 26.

A Bruxelles, en matière civile, le terme moyen, par année, est de 40.

Total des causes civiles par année dans les deux cours : 66.

Parmi ces causes, il y beaucoup de pourvois qui s’apprécient au premier coup d’œil.

A Liége, en matière criminelle, le terme moyen des causes, par année, a été de 53.

A Bruxelles, en matière criminelle, le terme moyen des causes a été, par année, de 67.

Total du terme moyen des causes criminelles dans les deux cours, par année, 120.

Au criminel il y a beaucoup de pourvois qui ne sont pas même appuyés de moyens. On examine si les formalités ont été observées puis on rejette le pourvoi.

Ainsi, en partant de cette grande division, des affaires en criminelles et en civiles, on peut affirmer qu’aucune ne sera surchargée ; on peut donc l’admettre, et dire d’avance que la chambre jugera les questions de conflits de juridiction, de règlements de juges. On peut donc établir légalement ce point.

On a très bien fait observer que les plaideurs avaient intérêt à ce que les attributions fussent déterminées par la loi, un règlement intérieur ne peut être suffisant pour les justiciables. Ce règlement intérieur peut être changé du jour au lendemain, par les membres de la cour de cassation si on leur laisse le libre arbitre.

En France, il est vrai, les règlements intérieurs une fois adoptés par le pouvoir exécutif deviennent invariables ; mais ces règlements ne statuent pas sur les attributions des chambres.

Vous voyez qu’il peut résulter beaucoup d’inconvénients du règlement intérieur. On ne peut même pas les prévoir tous en ce moment. Il suffit d’en entrevoir un grand nombre pour tout régler légalement ; autrement il faudrait dire simplement, la cour de cassation connaît des affaires civiles et criminelles.

M. Lebeau. - Messieurs, je pense qu’il faut se borner à la grande division que M. Liedts a proposée. Je ne crois pas que l’on puisse préciser les matières qui ensuite seront soumises aux deux chambres, parce que nous ne pouvons pas prévoir encore quelles elles seront. Rien n’est réglé aujourd’hui. Elles se régleront à mesure que nous discuterons différentes lois organiques. Maintenant on ne doit pas prévoir autre chose que la grande division que je propose.

La portée de l’amendement de M. Leclercq est toute autre que celle que je proposais d’abord.

Il a dit qu’on pouvait diviser les matières civiles en catégories…

M. Leclercq fait des signes négatifs.

M. Lebeau. - Vous l’avez dit.... Eh bien, je soutiens que cette division est impossible ; car dans chaque cause il n’y a qu’une seule question à résoudre. Je suppose que l’on attribue les matières commerciales à une section de la cour de cassation ; dans ces matières, il se trouvera des questions de péremption de jugement, des questions de nullité d’exploits et une foule d’autres.

Ainsi, quoique vous ayez donné les matières commerciales à une section, elle aura à résoudre des questions de droit en tout semblables à celles qui sont soumises à l’autre section, et vous êtes exposés à avoir simultanément diversité de jurisprudence.

Je crois que dans la pratique la division proposée par M. Leclercq est impraticable, et que l’amendement de M. Liedts prévoit tout ce que l’on peut prévoir.

M. Helias d’Huddeghem. - Si vous voulez partager également le travail entre les deux chambrer de la cour de cassation, il ne faut pas s’en tenir à la grande division admise déjà dans la législation existante ; il faut ajouter à l’amendement l’une des dispositions que j’ai mises dans le mien.

M. Leclercq. - L’amendement de M. Liedts laisse subsister l’inconvénient qu’on a signalé et n’évitera pas la diversité de jurisprudence que l’on veut cependant éviter. Quant à mon amendement, on dit qu’il est inexécutable, parce qu’il sera impossible à la cour de faire la distribution des matières. Mais, messieurs, la cour de cassation aura assez de connaissances en droit, probablement, pour qu’on puisse croire qu’elle viendra facilement à bout de cette difficulté ; il faut lui supposer le sens commun, et je dis que le sens commun suffirait à défaut de plus grandes lumières pour exécuter mon amendement.

M. Destouvelles. - Messieurs, je ne peux me dispenser d’approuver la grande division en matière criminelle et en matière civile. Mais je trouve à l’amendement de M. Leclercq de « grandissimes » inconvénients ; car, quelles que soient les connaissances de la cour de cassation, il sera fort difficile de déterminer la nature de toutes les affaires qui pourront se présenter, et, avant la distribution de ces affaires, il faudra une instruction préalable dans la chambre du conseil. Ce grand inconvénient ne se présentera pas si l’on règle d’avance les matières dont devra connaître chacune des deux chambres. On dit que le règlement de la cour pourrait le déterminer aussi bien que la loi ; mais, messieurs, qu’est-ce qu’un règlement que la cour peut faire aujourd’hui et qu’elle pourra changer demain ?

M. Fleussu. - Je crois qu’on peut concilier les deux opinions. Il me semble qu’on doit conserver la grande division des matières civiles et criminelles, mais pour toutes les autres affaires, pour éviter la diversité de jurisprudence, on pourrait adopter la deuxième partie de l’amendement de M. Leclercq. On craint des difficultés pour la distribution de ces affaires, mais on fera comme pour celles qui se présentent devant les cours royales ; là il existe un rôle ordinaire et un rôle d’urgence, et c’est sur les observations de parties à l’audience que le renvoi à telle ou telle chambre est ordonné. On fera de même à la cour de cassation, ainsi l’on peut éviter tous les inconvénients que l’on redoute, et éviter en même temps la diversité de jurisprudence. (Aux voix ! aux voix !)

M. Bourgeois. - Messieurs, un défaut insurmontable et auquel personne n’a encore répondu, de laisser à un règlement d’ordre intérieur le soin de distribuer les matières entre les deux chambres, est celui-ci : un règlement est le résultat de la résolution prise à la majorité par les membres de la cour ; mais ce que la cour adopte aujourd’hui, elle peut le changer demain, dans un mois, dans trois mois. C’est là le défaut signalé par M. le ministre de la justice. A présent à quoi tendent les amendements de MM. Liedts et Fleussu ? A faire en partie ce que l’amendement de M. Leclercq faisait pour le tout.

Or l’objection contre le tout s’applique également à la partie, ce qu’il y a de certain, c’est que le règlement est toujours révocable ; il me paraît donc indispensable, non seulement de conserver les deux grandes divisions entre les matières civiles et pénales, mais encore de désigner en gros les autres affaires, pour lesquelles telle ou telle chambre sera compétente, car c’est ici une question de compétence que nous réglons. De tous les amendements proposés, c’est à celui de M. Jonet que je me rallierai, en y faisant un léger sous-amendement que je proposerai quand il en sera temps. (Aux voix ! aux voix !)

M. Helias d’Huddeghem. - Est-ce que l’assemblée est décidée à supprimer de l’article les conflits d’attribution ?

M. le président. - Cela se trouve dans les amendements.

M. Destouvelles donne lecture d’un article de la loi de 1810 pour prouver que la grande division des matières y a été consacrée.

M. Leclercq. - C’est précisément pour cela que la loi de 1810 a dû être abandonnée, car de cette distinction il est résulté souvent que la chambre d’accusation n’avait rien à faire. A Liége, par exemple, elle n’avait de quoi s’occuper qu’une audience par semaine.

- On réclame plus vivement la clôture.

M. le président. - Je voudrais d’abord lire le sous-amendement de M. Bourgeois.

M. Lebeau. - Cela n’empêche pas de mettre la clôture aux voix.

M. le président, à qui M. Bourgeois vient de remettre son amendement. - L’amendement de M. Bourgeois consiste à ajouter au dernier paragraphe de celui de M. Jonet une disposition d’après laquelle ce dernier paragraphe serait ainsi conçu : « La seconde (chambre) connaîtra de toutes les autres affaires qui ne doivent pas être jugées, soit en audience solennelle, soit par toutes les chambres réunies. »

M. Lebeau. - L’amendement de M. Jonet est inconstitutionnel si on y laisse les mots « des prises à partie. » La cour de cassation ne peut juger les prises à partie, c’est connaître du fond des affaires.

M. H. de Brouckere. - Mais c’est déjà décidé dans l’article 15 qui est adopté.

M. Lebeau. - C’est à tort, c’est inconstitutionnel.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande la parole. (Non ! La clôture !) Quoique cette disposition ait déjà été adoptée dans l’article 15, puisqu’on dit que c’est inconstitutionnel, je demande à dire quelques mots pour prouver le contraire.

Dans les constitutions françaises, on a toujours trouvé la même disposition que dans la nôtre, touchant le fond des affaires dont la connaissance est interdite à la cour de cassation, et cependant en France les prises à partie lui ont toujours été attribuées, parce qu’on ne les a pas regardées comme étant le fond des affaires. Il n’y a pas là d’inconséquence, car la prise à partie n’est qu’un moyen extraordinaire d’attaquer un fragment, et elle suppose toujours l’existence d’une autre affaire.

Dans quel inconvénient ne tomberiez-vous pas si la cour de cassation ne jugeait pas les prises à partie ? Qui donc les jugerait ? Il faut bien que ces sortes d’affaires soient dévolues à une autorité quelconque. N’est-il pas naturel que ce soit à une cour supérieure celle dont le juge est pris à partie ? En interprétant judaïquement la constitution, on lui ferait consacrer un véritable déni de justice, car personne ne pourrait juger les prises à partie, et ce moyen d’attaquer un jugement serait enlevé aux justiciables. En adoptant la disposition dans l’article 15, nous l’avons fait dans le sens des lois antérieures.

M. Delehaye. - C’est une affaire décidée.

M. Destouvelles. - Messieurs, l’article 15 a été adopté. (Oui ! oui !)

M. Lebeau. - C’est une erreur selon moi, mais c’est fait. (La clôture !)

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

M. le président donne lecture des amendements de MM. Jonet, Mary, Helias, Bourgeois et Liedts, ce dernier ayant été repris par M. Lebeau.

- Tous ces amendements, mis successivement aux voix, sont rejetés.

- Plusieurs voix. - Qu’est-ce qui reste ?

M. le président. - De tous ces amendements, il n’est rien resté du tout. (Hilarité.) Ainsi la première partie de l’article 8 reste seule.

M. H. de Brouckere. - M. le président, veuillez donner lecture de mon amendement.

M. Delehaye. - C’est impossible, vous l’avez retiré.

M. H. de Brouckere. - Pourquoi donc impossible !

M. Lebeau. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, je propose le renvoi des articles 18 et 20 à la section centrale ; comment serait-il possible en effet de voter sur l’article 20, après que tous les amendements sur l’article 18 ont été rejetés ; il y avait connexité entre ces deux articles, elle était telle que des deux M. Jonet proposait de n’en faire qu’un ; les difficultés qui se sont présentées à propos de l’article 18, vont se reproduire à l’article 20, sans que l’on puisse prévoir de solution possible, en sorte que nous nous trouverons réellement ici dans une position sans issue.

M. H. de Brouckere. - Qu’on lise mon amendement, peut-être conciliera-t-il toutes les opinions.

M. le président donne lecture de l’amendement de M. de Brouckere.

M. Leclercq. - Je demande à répondre un mot à M. Lebeau. Il est très possible de voter sur l’article 20, parce que de même que nous avons voté à l’article 18 la suppression de la chambre des requêtes, de même pourrons-nous modifier l’article 20 pour en faire disparaître la disposition relative à cette chambre. Quant au renvoi à la section centrale, je le crois complétement inutile.

M. le président. - L’article 18 reste ainsi conçu : « la cour de cassation se divise en deux chambres. »

M. Ch. de Brouckere. - On ne peut pas renvoyer l’article à la section centrale parce que ceux qui ont rejeté tous les amendements proposés savaient très bien qu’après ce rejet il ne resterait que la division la cour de cassation en deux chambres.

M. Jullien. - Vous avez deux chambres sans savoir ce qu’elles feront. (Hilarité.)

M. Destouvelles. - Il y aura lacune dans la loi, car il faudrait de toute nécessité dire de quoi s’occuperont ces deux chambres. Mais je crois que sur l’article 20, il sera possible d’y revenir et de proposer des amendements pour combler la lacune.

M. H. de Brouckere. - Je pense comme M. Lebeau, que nous sommes ici dans une position sans issue. Chaque amendement ayant déplu à la majorité, il ne reste de l’article 18 qu’une disposition incomplète. Nous en finirions peut-être en votant sur mon amendement.

M. Devaux. - Je crois que le seul moyen de nous tirer d’embarras est le renvoi à la section centrale, qui réunirait les divers amendements et nous présenterait une disposition propre à concilier toutes les opinions. Je ne crois pas qu’il soit possible de mettre aux voix l’amendement de M. de Brouckere, parce que, ayant été retiré, on ne l’a pas discuté, et si on voulait le soumettre maintenant au vote de la chambre, il serait juste de rouvrir la discussion.

M. H. de Brouckere. - Je le reproduirai à l’article 20.

On met aux voix la première partie de l’article 18 ; elle est adoptée.

Article 19

L’article 19 est ensuite adopté sans discussion en ces termes :

« Les chambres se forment pour la première fois par la voie du sort.

« Chaque année, un tiers des membres de chaque chambre passe dans l’autre chambre, suivant l’ordre des nominations. »

Article 20

On passe ensuite à la discussion de l’article 20 ; il est ainsi conçu :

« La chambre des requêtes statue sur l’admission ou le rejet des requêtes en cassation ou en prise en partie, et définitivement sur les demandes, soit en règlement de juges, soit en renvoi d’un tribunal à un autre, et sur les conflits d’attribution, ainsi que sur les affaires qui lui ont été déférées par des lois spéciales et pour lesquelles ces lois n’exigent pas d’arrêt d’admission.

« La chambre civile et criminelle prononce sur les demandes en cassation et en prise à partie, lorsque les requêtes ont été admises ; et, en outre, sur les demandes en cassation en matière criminelle, correctionnelle et de police, sauf qu’il soit besoin d’arrêt préalable d’admission. »

M. H. de Brouckere. - Veuillez lire la deuxième partie de mon amendement.

M. le président fait cette lecture.

M. Destouvelles - M. le président, veuillez ne pas trop accélérer la discussion, je suis en train de rédiger un amendement.

M. d’Huart. - Je demande à faire une motion d’ordre. Messieurs, la longue discussion qui a lieu sur l’article 18 vous prouve assez qu’on ne s’entend pas et qu’il conviendrait de renvoyer l’article 20 à la section centrale pour qu’elle nous présentât une disposition tendante à répartir également la besogne entre les deux chambres de la cour de cassation. Sans cela, on va vous présenter sur l’article 20 une foule d’amendements sur lesquels on ne s’entendra pas plus que sur l’article 18. (Appuyé ! appuyé !)

M. Lebeau. - Je pense, messieurs, user du même droit que M. H. de Brouckere en reproduisant mon amendement, que je modifie cependant sous certains rapports, car je ne prétends pas que la chambre vote deux fois sur le même amendement. Je pense que les affaires civiles occuperont plus de temps que toutes les autres affaires ensemble, c’est pourquoi j’en fais l’objet du travail d’une seule chambre. J’attribue tout le reste à l’autre. Voici mon amendement :

« La première chambre connaîtra des pourvois en matière civile.

« La deuxième, des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, ainsi que des autres affaires dont la loi attribue la connaissance à la cour de cassation. »

M. Destouvelles. - Je me rallie à l’amendement de M. Lebeau.

M. Barthélemy. - Je demande la parole. Je propose d’ajouter à l’amendement de M. Lebeau un paragraphe qui serait aussi conçu : les conflits d’attribution seront jugés en audience solennelle.

M. le président. - M. d’Huart a fait une motion d’ordre que je dois d’abord mettre aux voix.

M. d’Huart. - Je persiste d’autant plus que la section centrale, comptant qu’on admettrait une section des requêtes, ne s’est pas occupée de la question.

M. Fleussu. - Il est inutile de renvoyer à la section centrale. Tout le monde doit être fixé ; voilà deux heures que nous discutons.

M. Destouvelles. - La section centrale n’y peut rien faire. Vous avez dépensé deux heures à examiner la question sous toutes ses faces, et l’amendement proposé satisfait à toutes les exigences. J’appuie aussi celui proposé par M. Barthélemy.

- La motion d’ordre de M. d’Huart est mise aux voix et rejetée.

M. Barthélemy. - Je propose de faire juger les conflits d’attribution en audience solennelle. (En chambres réunies !) En audience solennelle, c’est tout différent qu’en chambres réunies. (Non ! non !) C’est tout différent. Chaque chambre ne jugeant qu’au nombre de 7 conseillers, dira que la cour jugera chambres réunies, c’est dire qu’elle jugera au nombre de 14 membres. (Dénégation.) Tandis que par les mots « audience solennelle » on comprend toute la cour.

M. Destouvelles. - La chambre ayant décidé que la cour serait composée de 19 membres il s’ensuit que chacune sera composée de 9 juges. Il est donc vrai de dire que lorsqu’on dit « chambres réunies, » cela veut dire que tous les membres de la cour seront présents. En France où il suffit de 11 conseillers pour rendre arrêt, chaque chambre est composée de 16 conseillers.Quand les chambres sont réunies, la cour se trouve au nombre de 48 juges, sauf les cas de maladie qui peuvent en tenir un ou plusieurs éloignés. Je pense donc que l’amendement de M. Barthélemy au lieu de porter « en audience solennelle, » doit dire « par les chambres réunies. »

M. H. de Brouckere. - Quand on dit « chambres réunies » on entend tous les membres de la cour de cassation. C’est ainsi certainement qu’on l’a entendu dans l’article 90 de la constitution quand on a prévu le cas d’accusation des ministres. Mais je crois, avec M. Barthélemy, que nous devons fixer le minimum des juges au nombre desquels la cour doit figurer. Sans cela il arriverait que dans le cas d’accusation des ministres par exemple, vous trouveriez des conseillers qui chercheraient des prétextes pour se récuser.

Je veux donc, tout en approuvant les observations de M. Destouvelles, dire dans la loi qu’il faudra au moins 15 conseillers, quand la cour siégera chambres réunies. Si la chambre adoptait ma manière de voir, il serait facile de rédiger un amendement dans ce sens.

M. Ch. de Brouckere. - Il y a une autre lacune dans la loi. Quand on dit « chambres réunies », on entend certainement tous les membres qui sont attachés à chaque chambre. Jusqu’ici, nous avons bien dit que chaque chambre jugerait au nombre de sept juges, mais nous n’avons pas dit de combien de membres chaque chambre serait composée. En France, où onze conseillers suffisent pour rendre arrêt, la loi dit que chaque chambre est composée de seize conseillers. Il faut dire ici, chaque chambre est composée de neuf conseillers. Il n’en faut que sept pour rendre arrêt. Par là, vous évitez de parler d’audience solennelle, dont la constitution ne parle pas.

M. Barthélemy consent à ce qu’on dise : « Par les chambres réunies. »

- L’amendement de M. Lebeau et la disposition additionnelle de M. Barthélemy sont mis aux voix et adoptés.

Article 22

La discussion est ouverte sur l’article 22 ainsi conçu :

« Art. 22. Dans le cas de renvoi devant une cour d’appel en matière civile, l’affaire est jugée par deux chambres réunies. »

- Plusieurs voix. - Par les chambres, il n’y en a que deux.

Autres voix. - Il ne s’agit pas ici de la cour de cassation, mais de cours royales, le mot « deux » doit être maintenu.

M. Jullien. - Messieurs je ne viens pas critiquer cet article en lui-même, mais je soutiens qu’il n’est pas là à sa place. Nous nous occupons maintenant de l’organisation de la cour de cassation, et nous lisons dans l’article : « Dans le cas de renvoi devant une cour d’appel en matière civile, l’affaire est jugée par deux chambres réunies ». Il est évident que l’on veut parler ici des cours d’appel et la place qu’occupe l’article semblerait d’abord devoir faire naître des doutes là-dessus. Les cours d’appel seront organisée par un titre séparé : devrait se trouver l’article 22, car une cour d’appel ne peut aller chercher la règle de ses devoirs et de ses attributions dans le titre qui règle l’organisation de la cour de cassation, de même que celle-ci ne pourrait pas aller chercher la règle de ses devoirs et de ses attributions dans le titre consacré aux cours d’appel. Je propose donc de placer l’article 22 à l’article 40 du projet. Là, il serait à sa place, ici il n’y est pas.

M. H. de Brouckere. - Il est vrai, et il est facile de le croire au premier aspect, que l’article 22 semblerait mieux placé au titre des cours d’appel, mais il est à remarquer que cet article se lie aux articles 23, 24 et 25, qui le suivent ; nous ne pouvons séparer ces articles, car il s’y agit de l’interprétation des lois, et sous ce rapport, il est entre eux une gradation et une liaison qu’il faut conserver.

M. Helias d’Huddeghem. - La dernière loi rendue en juillet 1828 porte, article 2, qu’en cas d’un second renvoi la cour royale juge, toutes les chambres assemblées. Je dis ceci pour prouver que l’article 22 est bien ici à sa place.

M. Jullien. - J’ai demandé la parole pour faire observer qu’il n’y a aucune liaison entre l’article 22 et l’article 23. L’on prescrit les devoirs imposés aux cours d’appel, et l’autre prescrit les devoirs imposés à la cour de cassation. Je ne vois donc pas de connexion entre eux. Quel a été le but qu’on s’est proposé par l’article 22 ? C’est que lorsque la cour de cassation a cassé un arrêt, la matière est devenue réellement litigieuse, et on demande pour la juger une plus grande garantie. Eh bien ! dites-le, mais dites-le dans le titre des cours d’appel ; car, je le répète, il n’y aura aucune liaison entre l’article 22 et ceux qui le suivent, et il est rationnel (c’est le mot adopté) que vous ne confondiez pas les règles de l’organisation de la cour de cassation avec celles de l’organisation des cours d’appel.

M. Destouvelles. - J’adopte les observations émises par l’honorable M. de Brouckere ; avant de régler la manière dont sera jugé un second pourvoi devant la cour de cassation, il faut bien prévoir et régler le renvoi du premier devant la cour d’appel. Cela me semble rationnel, puisque c’est le mot adopté.

L’orateur lit ici l’article 22 et ajoute : il est impossible, certes, de se méprendre sur le sens de cet article, et de croire qu’il se rapporte à la cour de cassation. Par lui nous arrivons graduellement à l’article 23, et je crois véritablement qu’il y aurait une lacune entre l’article 21 et l’article 23, si on n’y intercalait pas les dispositions de l’article 22. Il faut en effet que la cour d’appel ait jugé, chambres réunies, pour qu’il y ait lieu à cassation une seconde fois.

M. d’Elhoungne. - Il m’est impossible d’adopter le raisonnement de l’honorable préopinant, qui consiste à dire que de ce que vous parlez dans l’article 23 d’un second pourvoi, vous êtes obligé de parler du premier dans l’article précédent ; si vous suiviez ce système avant de parler de la cour de cassation, il faudrait avoir parlé des cours d’appel, et avant les cours d’appel, il faudrait avoir parlé des tribunaux, Il n’y a donc aucune connexion entre les article 22 et 23, et je pense, comme M. Jullien, qu’il doit être placé ailleurs.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

La proposition de M. Julien est rejetée ; l’article 22 est ensuite adopté.

Article 23

« Art. 23. Lorsque après une cassation, le second arrêt ou jugement est attaqué par les mêmes moyens que le premier, la cause est portée devant les chambres réunies, qui jugent en nombre impair.

« Si la cour annule le second arrêt ou jugement, il y a lieu à interprétation. »

M. H. de Brouckere. - Messieurs, nous allons nous occuper de questions de la plus grande importance, elles se rattachent à l’interprétation des lois, et de telles questions sont toujours difficiles, compliquées et du plus haut intérêt. Je commence par déclarer que je n’admets pas le système de la section centrale sur l’interprétation des lois.

Voici ce système dans toute sa simplicité. Elle suppose un arrêt (pour ne point parler des jugements) cassé par la cour de cassation, jugé une seconde fois par une cour, chambre réunie, soumis de nouveau à la cour de cassation et cassé par elle, de manière que les cours d’appel aient jugé deux fois dans un sens, et la cour de cassation deux fois dans un sens contraire ; alors, dit la section centrale, il y a lieu à interprétation de la loi.

Je voudrais moi qu’au lieu de deux arrêts dans un sens rendus par les cours d’appel, il y en eut trois, et qu’il y en eut deux de la cour de cassation dans un sens opposé, et voici comment je justifie ma proposition.

Je n’entrerai pas dans de longues considérations, pour démontrer les inconvénients de l’interprétation législative, ils vous sont connus à tous, messieurs. D’abord il est évident que chaque fois que la législature est chargée de l’interprétation d’une loi, elle est par là même investie de l’exercice du pouvoir judiciaire, puisque la décision qu’elle porte exerce son influence, non seulement sur les cas qui se présenteront à juger à l’avenir, mais encore sur le cas qui a donné lieu à l’interprétation. Un deuxième inconvénient tout aussi grave, c’est le caractère de rétroactivité que vous imprimez à votre loi. En présence de telles inconvénients, il faut donc rendre les cas d’interprétation aussi rares que possible, et c’est à quoi tend le système que je propose.

J’ai un autre raison pour le préférer à celui de la section centrale : pour qu’il y ait lieu à l’interprétation de la loi, il faut qu’il y ait doute et doute absolu sur son sens, il faut qu’il ait chances égales de part et d’autre dans les deux décisions contraires. Or, c’est ce que vous n’avez pas d’après le projet. En effet d’un côté vous avez deux arrêts de cour supérieure, l’un rendu par 5 juges, l’autre chambres réunies, c’est-à-dire par 11 juges, en tout seize. De l’autre, vous avez deux arrêts de la cour de cassation, l’un rendu par 7 conseillers, l’autre par les chambres réunies ou par 15 conseillers, c’est-à-dire par 22 juges ; je suppose toujours les chambres réunies composées d’un nombre de juges double du nombre ordinaire plus un : n’y a-t-il pas probabilité, et probabilité très forte que la raison se trouve du côté de la cour de cassation ? D’abord elle est présumée avoir plus de lumières en sa qualité de cour d’un rang supérieur ; en second lieu ses arrêts ont été rendus par un plus grand nombre de conseillers. Les chances ne sont donc plus égales ; pour qu’elles le soient, je dis que d’un côté il faut deux arrêts rendus par la cour de cassation, et de l’autre trois arrêts de cours royales. Alors il n’y aura pas plus de raison pour penser que la vérité se trouve d’un côté plutôt que d’un autre.

Je sais bien l’objection que l’on peut me faire. C’est que, n’y ayant que 3 cours d’appel en Belgique, et mon système exigeant que toutes les trois aient connu de l’affaire, après l’interprétation de la loi, il n’y aura plus de cour à laquelle on puisse renvoyer. Cette objection n’est nullement fondée. Après l’interprétation, le procès a changé de nature, on peut dire que c’est un nouveau procès, car la loi est désormais une loi toute nouvelle, il n’y a donc pas d’inconvénient à renvoyer à une cour qui aura déjà jugé l’affaire, et l’on renverra à la première qui en aura connu.

- Une voix. - Il y aura de cette manière six arrêts.

M. H. de Brouckere. - Six arrêts, soit ; mais par le projet, vous en auriez cinq. La différence n’est pas grande, et la justice y gagnera.

Je crois que la question n’a pas été examinée par la section centrale. (Si ! si !) J’ai lieu de croire que la section centrale ne s’en est pas occupée, si je dois m’en rapporter à ce que m’a dit un de ses membres ; au reste, si elle y a été examinée, son honorable rapporteur me fera voir les inconvénients du système que je propose ; si elle ne l’a pas examinée, et que mon système ne soit pas combattu par de bonnes raisons, je pense qu’il trouvera de nombreux adhérents dans la chambre.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. H. de Brouckere. - Permettez-moi de faire une dernière observation ; c’est que ce que je propose n’est pas nouveau. On le trouve dans la constitution de 1791.

- Ici l’orateur lit un article de cette constitution, qui justifie ce qu’il a avancé et termine ainsi : c’est ce système que je reproduis, et je crois qu’il est le seul raisonnable.

M. Devaux. - Messieurs quelle que soit l’opinion qu’on se forme sur l’amendement de M. H. de Brouckere, j’ai à présenter des objections plus graves et qui attaquent plus profondément le système de la section centrale.

J’ai déjà reproché au projet qui nous est soumis d’être trop stationnaire. Je n’ai pas l’habitude de préconiser ici des innovations exagérées, je ne crois pas qu’aux principes qui ont prévalu jusqu’à nos jours il faille en toutes choses substituer tout à coup des principes diamétralement opposés ; mais ce que j’exige de nos lois, surtout de nos lois organiques, c’est qu’elles soient progressives. J’ai toujours regardé comme un des premiers bienfaits de notre indépendance, d’être détaché d’une nation stationnaire et de pouvoir aujourd’hui, suivant notre libre volonté, nos besoins et nos mesures, marcher dans les voies de la perfectibilité sociale.

Le projet a été calqué fidèlement sur le système qui existait avant 1815, il semble qu’on ait craint d’y faire entrer une seule idée progressive ; mais cette fois on a été si loin, qu’on a reproduit ce que la forme elle-même a abandonné. En effet le système proposé par la section centrale sur l’interprétation des lois n’existe plus en France, il a été aboli par la loi de 1828.

Que vous propose-t-on ? Un arrêt rendu par une cour d’appel aura été cassé, il sera jugé dans le même sens par la cour à laquelle il aura été renvoyé ; nouveau pourvoi, nouvelle cassation. Qu’arrive-t-il alors ? Il y a lieu à interprétation. Mais qui juge le procès pendant : les chambres ; ce seront les chambres législatives que vous transformerez en pouvoir judiciaire. C’est par les chambres que sera portée une loi destinée, non seulement à régir les cas qui se présenteront par la suite, mais à décider irrévocablement celui qui est en litige.

Or, je vous le demande, les chambres, jugeant un procès, ces corps nombreux, ne sont-ils pas les plus mauvais juges que l’on puisse choisir ? Que ferons-nous quand ces questions nous seront soumises ? Irons-nous chercher quelle était la pensée de ceux qui ont porté la loi, il y a 10 ou 20 ans ? Non, nous ferons une loi qui sera moins une interprétation de la disposition au sens douteux, qu’une loi nouvelle, claire, précise, et telle que des doutes ne puissent plus s’élever à l’avenir. Nous chercherons à exprimer moins ce que la loi a été, que ce qu’elle devait être.

Mais ce n’est pas cela qu’on attend de nous. Les parties ont contracté sous le bénéfice d’une loi obscure, une loi qui a pu les tromper. Maintenant vous venez y substituer une loi claire, une loi sous l’empire de laquelle on ne pouvait se tromper, une loi toute différente ; et c’est par elle que vous voulez faire juger rétroactivement leur procès. En France, on a très bien senti cet inconvénient et voilà pourquoi l’on a abandonné l’ancien système.

En matière criminelle, il y aurait bien d’autres inconvénients. La cour de cassation sur le pourvoi du condamné renversait devant une autre cour d’assises ; nouvelle condamnation, nouveau pourvoi, cassation nouvelle. L’accusé reste toujours en prison. Il faut que la loi soit interprétée, mais en ce moment les chambres sont absentes. L’accusé attendra. Enfin les chambres sont réunies, on leur présente le projet d’interprétation, il donne lieu à de longues discussions et en définitive, il est rejeté, il faudra présenter un projet nouveau. Pendant tous ces délais, l’accusé restera toujours en prison et toujours dans la cruelle incertitude de son sort.

Le nouveau projet est adopté, il doit être renvoyé au sénat. Le sénat peut n’être pas d’accord avec la chambre des représentants ; de là un conflit, des délais, et cependant l’accusé doit patiemment attendre, fort heureux si les chambres finissent par s’entendre ; car si elles n’y parvenaient pas, je ne sais quand l’affaire arriverait à sa fin.

Pour parer à ces inconvénients, voici la législation nouvelle qu’on a adoptée en France, on lit dans la loi du 30 juillet l828, article premier : « Lorsque la cassation d’un premier arrêt ou jugement en dernier ressort, le deuxième arrêt ou jugement rendu dans la même affaire, entre les mêmes parties, est attaqué par les mêmes moyens que le premier, la cour de cassation prononce toutes les chambres réunies. »

Jusqu’ici nous sommes d’accord.

« Art. 2. Lorsque la cour de cassation a annulé deux arrêts ou jugements en dernier ressort, rendus dans la même affaire entre les mêmes parties et attaqués par les mêmes moyens, le jugement de l’affaire est, dans tous les cas, renvoyé à une cour royale.

« La cour royale saisie par l’arrêt de cassation prononce toutes les chambres assemblées… L’arrêt qu’elle rend, ne peut être attaqué sur le même point et par les mêmes moyens par la voie du recours en cassation ; toutefois, il en est référé ou Roi, pour être ultérieurement procédé par ses ordres à l’interprétation de la loi. »

Vous voyez que dans ce sens l’interprétation n’agit pas sur des procès pendants encore devant les tribunaux et l’on ne déroge pas au principe de la séparation des pouvoirs. Par là, les procès sont jugés par des juges et non par des législateurs, que les électeurs envoient ici pour faire des lois non pour juger des procès. Dans ce système la cour qui est chargée de juger définitivement le litige, ayant égard à l’obscurité de la loi pour juger d’après l’équité, et cela me paraît de beaucoup préférable à ce qu’on vous propose.

Le barreau de Bruxelles partage à cet égard ma manière de voir. Voici comment il s’exprime dans ses observations sur le projet du ministre de la justice : « La majorité de la commission du barreau de Bruxelles est encore d’avis que lorsqu’il arrive qu’une cause donne lieu à l’interpellation législative, cette interpellation ne doit jamais avoir d’influence sur la décision du procès entre les parties. Les assemblées législatives ne peuvent être transformée en arène judiciaire.

« Les tribunaux seuls doivent définitivement faire droit sur toutes les contestations. Pour atteindre ce but, la même commission propose de rédiger ainsi l’article : « Lorsqu’après une cassation le second arrêt au jugement est attaqué par les mêmes moyens que le premier, la cour de cassation juge définitivement le point de droit. Quinze membres de la cour de cassation devront concourir à ce nouvel arrêt.

« Si la cour casse de nouveau, elle renvoie le fond du procès devant une cour ou un tribunal qui n’en a pas encore connu.

« Devant la cour ou le tribunal où la cause sera renvoyée, les partis ne pourront plus remettre en question le point décidé par le deuxième arrêt de cassation, lequel demeure souverainement jugé entre elles. »

L’article 70 commencerait ainsi : « Après le deuxième arrêt de cassation, il y a lieu à l’interpellation de la loi : à cet effet le procureur-général, etc. »

La différence entre la législation française et l’opinion du barreau de Bruxelles consiste donc en ce que ce dernier veut que le litige soit définitivement jugé par la cour de cassation, et non par une cour d’appel. Ce système me paraît préférable, mais il resterait à éclaircir si ce serait conforme à la constitution, et si ce ne serait pas juger le fond du procès. Dans tous les cas il nous reste la ressource de la législation française. Quant à moi je ne me déciderai jamais à donner mon vote à une législation qui transforme les chambres en tribunal, décident entre deux parties et leur confère des fonctions qu’elles sont si peu propres à remplir.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je dois répondre aux questions soulevées par le préopinant. Et d’abord il reproche au projet d’être stationnaire et de n’avoir pas admis la dernière législation française sur la matière ; nous devons, pour décider entre lui et nous, examiner si la législation française est la meilleure.

En France, d’après la loi de 1828, après deux cassations on renvoie la cause devant une troisième cour d’appel, et cette troisième cour juge définitivement ; ainsi quant au jugement du procès on établit une cour royale en quelque sorte supérieure à la cour suprême. Je crois qu’à cet égard il y a abus dans la loi française, et que puisque nous avons établi une cour suprême, elle ne doit reconnaître au-dessus d’elle que la législature.

Mais y a-t-il grand inconvénient à ce que le procès pendant soit jugé par la législature ? On parle de l’effet rétroactif qu’aura la loi ; la rétroactivité s’entend, messieurs, d’une loi qui enlève un droit acquis. Sera-ce un droit acquis que celui qu’enlèvera la loi ? Non, car le droit est en suspens, il est litigieux. En France de très bons esprits n’ont pas approuvé la loi de 1818. Voici ce qu’en a dit M. de Cormenin :

« Mais alors, dit-on, le pouvoir législatif rend un véritable jugement : cela fût-il vrai, et l’on sent bien que cela est faux, on pourrait rétorquer, et dire que le tribunal qui décide sous l’empire d’une loi inintelligible, ou ce qui est la même chose en l’absence de toute loi, s’érige en législateur ; or, lequel est préférable ? »

Lorsqu’on voit des tribunaux ainsi divisés vous érigez une troisième cour d’appel au pouvoir législatif. Vous invoquez une loi interprétative et vous ne voulez pas qu’elle s’applique au procès qui est pendant. Mais à quoi donc s’appliquera-t-elle ? Aux droits nés sous l’empire de la loi obscure ? Mais alors vous donnez à votre loi nouvelle un effet rétroactif. Et si vous ne l’appliquez pas au cas en litige, vous ne faites plus une loi interprétative, et elle devient tout à fait inutile. En certains cas même une loi interprétative pourrait ne rien signifier.

Vous connaissez, par exemple, la grande question qui s’est plus d’une fois présentée à juger et qui peut se représenter encore ; celle de savoir si deux époux mariés sans contrat sous la loi de nivôse an XI, doivent voir leurs droits réglés d’après les anciennes coutumes. La cour de cassation a jugé cette question d’une manière, la cour de Bruxelles d’une autre. MM. Merlin et Daniels ont été d’un avis contraire à l’arrêt de la cour de cassation. Eh bien ! messieurs, je suppose que les cours d’appel, jugeant dans un sens et la cour de cassation dans un autre, le cas d’interprétation de la loi se présentait. Que signifierait une interprétation de la loi ? Servirait-elle à nous replacer sous le régime de la loi du 17 nivôse ? Non, certainement. Disposera-t-elle pour l’avenir ? Mais pour l’avenir le législateur peut statuer ce qu’il trouve à propos. Vous voyez donc, messieurs, que si dans ce cas la loi interprétative ne servait à juger le litige, elle ne servirait réellement à rien.

Maintenant si vous appliquez la loi interprétative aux affaires qui surgiraient à l’avenir pour des actes consommés sous la loi interprétée, pourquoi ne l’appliqueriez-vous pas à l’affaire qui a donné lieu à l’interprétation ? Pourquoi des privilèges contre des personnes qui ont les mêmes droits ? Du reste, messieurs, il ne faut pas oublier que les cas d’interprétation sont des cas fort rares, et je crois que le projet est ce qu’on pouvait vous soumettre de plus raisonnable et de moins imparfait.

M. H. de Brouckere. - Je viens de déposer mon amendement sur le bureau, je prie M. le président d’en faire la lecture.

M. le président. - Voici ce que porte l’amendement de M. de Brouckere :

« Lorsqu’après deux cassations, le jugement ou l’arrêt du troisième tribunal ou de la troisième cour sera attaqué par le même moyen que les deux premiers, il y aura lieu à interprétation. »

M. Destouvelles. - J’aurai l’honneur de soumettre à la chambre quelques observations qui s’appliqueront, et aux remarques de M. H. de Brouckere et à celles de M. Devaux. Et d’abord pour donner apaisement plein et entier au premier, je lui dirai que la section centrale s’est occupée de la question, et que si elle n’a pas adopté le renvoi à une troisième cour d’appel, c’est parce qu’elle y a été déterminée par cette considération, que n’y ayant que trois cours dans le royaume, il était nécessaire d’en laisser une intacte pour appliquer la loi interprétative.

Quant aux observations de l’honorable M. Devaux, je lui répondrai que la section centrale n’est pas restée stationnaire, mais qu’elle a cherché dans la législation ce qui pouvait le mieux convenir à la Belgique, et elle s’est rapprochée autant que possible d’un peuple voisin, qui est certes en mouvement, je veux parler de la France, sans toutefois adopter sa loi nouvelle qui ne peut, je le déclare, recevoir mon approbation personnelle pas plus qu’elle n’a reçu celle de la section centrale.

On dit : mais le pouvoir législatif va être transformé en pouvoir judiciaire ; cette observation n’a pas échappé à la section centrale. J’invoque à cet égard le rapport lui-même où j’ai dit pourquoi cette considération ne nous avait pas arrêtés.

C’est à tort qu’on se récrie contre l’effet rétroactif de la loi. Il ne s’agit pas de faire une loi qui attribue tel ou tel droit aux parties, mais d’une loi qui dise que le sens de la loi sans laquelle est né le litige, a dû être tel. Et quand fait-elle cette déclaration ? Quand il n’existe pas encore de droits acquis, et quand les droits des parties sont encore incertains. Voilà pourquoi la loi interprétative n’a point d’effet sur un arrêt coulé en force de chose jugée. Il n’y a donc pas de rétroactivité, il n’y a pas d’effet rétroactif.

On vient ensuite accumuler les inconvénients qui peuvent résulter de l’interprétation législative. S’agit-il d’une affaire criminelle ? Vous avez entendu tous les détails, tous les embarras qui surgiront pour retarder le jugement définitif de l’affaire. Les pourvois devant la cour de cassation, la loi interprétative impossible d’abord par l’absence des chambres, rejeter ensuite après de longues discussions son conflit avec le sénat (quoique dans les grandes questions rien ne donne lieu de croire que le sénat se mette en conflit avec cette chambre). Ce sont là, vous a-t-on dit, des inconvénients très graves.

Je conviens que ces inconvénients sont graves, ils ne sont pas impossibles ; mais il y a des inconvénients à tout et il faut bien les subir quand on ne peut pas faire autrement. Au reste, voyons l’immense progrès de la législation française en 1828. Quelles lumières éblouissantes ont-elles jailli de cette loi ? Qu’en advient-il de cette loi ? C’est que la troisième cour d’appel doit juger souverainement le litige. On convient qu’après deux arrêtés de la cour de cassation et deux arrêts de cour d’appel rendus en sens contraire, il y a doute ; quoi de plus naturel, dès lors, que de déférer la connaissance du litige à celui qui a fait la loi ; mais non, on veut que ce soit une troisième cour d’appel qui s’érige en pouvoir législatif contre tous les principes, car « ejus est interpretari legem qui legem condidit. » Je vous le demande, n’est-ce pas renverser toutes les notions ?

J’avoue, cependant, que la matière est difficile, mais plus elle est difficile, plus il faut se tenir en garde contre de trop grandes innovations.

Le point le plus évident de la question, il ne faut pas l’oublier, c’est qu’il faut interpréter la loi. Or, qui l’interprétera ? N’est-ce pas que le législateur est seul capable de le bien faire ? Je ne vois donc pas pourquoi on accorderait le pouvoir législatif à une troisième cour, alors surtout qu’après son arrêt on aurait encore besoin d’une interprétation législative, qui pourrait fort bien être contraire à celle de la cour, et cependant le procès serait jugé, et définitivement jugé. Vous voyez, messieurs, qu’il y a de la gravité aussi dans ces inconvénients.

Pour moi, je trouve qu’il y en a plus que dans notre projet. Qu’on nous reproche donc tant qu’on voudra d’être stationnaires, j’aime encore mieux être stationnaire avec de bonnes lois que d’être progressif avec des lois vicieuses.

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à quatre heures.