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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 juin 1832

(Moniteur belge n°176, du 24 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

A une heure et demie on procède à l’appel nominal.

M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques fait l’analyse des pétitions adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.

M. le ministre des finances (M. Coghen) adresse à la chambre des explications relativement à une pétition qui lui a été renvoyée.

M. le président. - Je crois qu’il faut renvoyer ces explications à la commission des pétitions.

M. Osy. - Non ; il faut les lire à la chambre.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui ! Il faut les lire.

M. Osy. - Mais je crois que la lecture des réponses des ministres sur les pétitions qui leur sont renvoyées doit avoir lieu dans les séances où la chambre s’occupe des pétitions. Il peut y avoir des résolutions à prendre sur ces réponses. (Appuyé ! appuyé !)

M. le président.- La lecture aura lieu dans la première séance où l’on s’occupera des pétitions.

Projet de loi portant organisation judiciaire

L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi sur l’organisation judiciaire.

Discussion des articles

Titre IV. Dispositions générales

Article 52

M. le président. - Nous en sommes à l’article 52 dont la première ligne doit être éliminée en conséquence des dispositions présentées avant-hier par M. le ministre de la justice, et qui ont été adoptées.

Voici cet article 52 :

« Le Roi peut admettre à la retraite les magistrats auxquels leur âge et leurs infirmités ne permettent plus de continuer leur service. »

M. H. de Brouckere. - Je crois que l’article 52 est inutile, si le gouvernement a la nomination de toutes les places de la magistrature, ainsi que vous l’avez admis avant-hier. A quoi bon dire qu’il pourra accorder des retraites, puisqu’il peut donner la retraite à qui il voudra ?

M. Bourgeois. - Je pense aussi que l’article doit disparaître ; il est superflu d’après la résolution adoptée par la chambre. De plus il me paraît très dangereux si on l’entendait dans un sens différent de celui qu’a prétendu lui prêter la section centrale. La section centrale a voulu dire que pour des infirmités le Roi pourrait donner la retraite. Mais si on pouvait l’entendre dans un sens absolu, et comme une faculté permanente qu’aurait le gouvernement de donner une retraite forcée aux magistrats, cela porterait atteinte à l’inamovibilité des juges.

Je conclus au rejet de l’article.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On doit entendre par l’article que le Roi pourra donner la retraite aux magistrats qui ne pourraient plus exercer leurs fonctions ; je crois que cette retraite est de droit, et je considère comme inutile.

M. le président. - Ainsi cet article est supprimé, puisqu’il est compris dans les dispositions précédemment adoptées.

Titre V. Dispositions transitoires

Article 53

« Art. 53. Avant le premier janvier 1834, le Roi nommera les juges de paix. Jusqu’à cette nomination, les juges de paix actuels continueront leurs fonctions. »

M. Leclercq. - Je désirerais savoir si aucune proposition n’a été faite pour fixer l’époque à laquelle la nomination des membres des cours et tribunaux devra avoir lieu.

M. Liedts. - L’article suivant détermine cette époque.

M. Bourgeois. - L’article en discussion parle de la nomination des juges de paix ; mais pourquoi ne porte-t-il des suppléants ? La constitution a dit ainsi que le Roi nommerait les juges de paix, et elle omit de parler des suppléants. Je demande que l’on répare cette omission et qu’on ajoute ces mots à l’article : « et les suppléants. »

M. Helias d’Huddeghem. - Mais ne faut-il pas décider si les juges de paix seront nommés à vie ? Cette question a été soulevée ; elle doit être résolue.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après la constitution les juges de paix sont nommés à vie. Elle ne s’est pas occupée des suppléants. La section centrale a été d’avis de laisser les suppléants sous l’empire de la législation existante.

M. Leclercq. - Si je comprends bien ce que vient de dire M. le ministre, les suppléants sont révocables. Si tel est le sens de ses paroles je combattrais l’avis de la section centrale. Pour ma part, je crois que les juges suppléants doivent être irrévocables. Les suppléants prononcent comme le juge de paix, et ils doivent offrir aux justiciables les mêmes garanties. La constitution a donné l’inamovibilité aux juges de paix, par là elle a statué que les suppléants sont nommés à vie. Je vais proposer un amendement sur cet objet.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Ce que dit le préopinant rentre bien dans mon opinion ; je n’ai voulu que rendre compte de la discussion qui a eu lieu au sein de la section centrale ; mon opinion personnelle sur ce point est connue, elle a été imprimée ; j’ai soutenu que les suppléants devaient être nommés à vie.

M. le président. - Ainsi, d’après l’amendement de MM. Leclercq et Bourgeois il faudrait mettre dans l’article : « les juges de paix et les juges suppléants sont nommés à vie. »

M. jonetPaixLeclercq. - Je place cette disposition au titre III, intitulé « Des tribunaux. » Elle ne peut pas être placée actuellement où il ne s’agit que de dispositions transitoires. Puisque la question est élevée, il faut insérer une disposition expresse dans la loi, pour lui donner une solution convenable.

M. Jonet. - On demande que les suppléants des juges de paix soient nommés à vie ; je ne crois pas qu’il doive en être ainsi : un suppléant de juge de paix et les suppléants des juges de première instance sont-ils des juges ? Je n’en ai pas la conviction. Un homme qui remplit les fonctions de gouverneur en l’absence du gouverneur n’est pas pour cela gouverneur ; un homme qui dans une maison fait les fonctions de maître en l’absence du maître n’est pas pour cela le maître ; un suppléant qui remplace le juge n’est pas le juge titulaire ; il ne remplit le devoir de juge qu’en cas de maladie de celui-ci ou d’absence. Il y a une très grande différence entre le juge et le suppléant.

Que l’on consulte les lois sur la matière, et l’on verra qu’on ne dit pas : « juges suppléants, » mais « suppléants. »

Voilà la question de droit ; voyons la question de fait.

Est-il utile que les suppléants soient nommés à vie ? La constitution déclare que les juges seront nommés à vie, afin qu’ils soient véritablement indépendants ; mais un suppléant de juge de paix ou de juge de première instance n’est souvent pas pris parmi les personnes qui peuvent remplir ces fonctions ; si vous le nommez à vie, vous ne pourrez plus en choisir d’autres plus instruits s’il s’en présentait.

Je refuse l’inamovibilité aux suppléants.

M. Jullien. - Messieurs, quant à la dénomination, il est impossible de se refuser à l’évidence ; il est impossible de nommer autrement un suppléant qu’un juge suppléant. Si vous disiez suppléant, on demanderait « de qui, de quoi ; » or, pour être suppléant il faut de toute nécessité être investi du caractère de juge.

A chaque instant le suppléant peut être requis ; il faut donc qu’il ait en lui-même les qualités nécessaires pour remplacer le juge. Je ne crois pas qu’il y ait de raison pour mettre de la différence entre les qualités de l’un et les qualités de l’autre.

Il est, dit-on difficile, surtout dans les campagnes, de trouver des juges suppléants ; une fois que vous les aurez nommés, vous serez condamnés à les conserver : mais toutes les fois qu’un juge de paix viendra à manquer, il n’est pas nécessaire de nommer à la place le juge suppléant ; les suppléants resteront suppléants autant qu’il leur conviendra, et on peut nommer des hommes instruits pour juges de paix.

Je suis de l’avis de M. Leclercq.

M. H. de Brouckere. - Si on nomme à vie les suppléants des juges de paix, il faut aussi nommer à vie les suppléants des juges des tribunaux de première instance.

Ce qu’a dit M. Jonet sur les suppléants, relativement au choix d’hommes peu éclairés, pourrait s’appliquer quelquefois à la magistrature ; mais cette considération doit céder devant une autre ; il faut que les juges présentent des garanties aux justiciables, que les juges soient indépendants du pouvoir.

Il est d’autant plus indispensable que les suppléants aient l’inamovibilité des juges, qu’il ne dépend pas des justiciables d’être jugés par le juge ou par le suppléant : puisqu’ils ne peuvent choisir, il faut au moins qu’ils aient les mêmes garanties.

M. Bourgeois. - Je crois qu’il est plus rationnel de nommer les juges suppléants à vie puisqu’ils sont nommés par le Roi ; au moins c’est ce qui résulte implicitement de l’article 99, puisque d’après cet article c’est le Roi qui nomme les juges de paix auxquels nous assimilons les suppléants.

Sous la constitution de l’an III (article 212), les juges de paix et leurs assesseurs étaient élus pour deux ans ; ils pouvaient être indéfiniment réélus.

Par la constitution de l’an VIII, c’était le premier consul qui nommait le juge criminel et le juge civil.

Par le sénatus-consulte du 16 thermidor de l’an X, les juges de paix et leurs suppléants étaient nommés pour 10 ans par le premier consul qui les choisissait parmi deux citoyens désignés par l’assemblée du canton.

Telle est la dernière loi française. Toujours les juges de paix et leurs suppléants étaient tenus sur la même ligne. Il est vrai de dire que la présentation d’une liste double par l’assemblée du canton est une disposition tombée en désuétude. Le gouvernement impérial a nommé les juges de paix sous présentation, quoique cette condition ne fût pas expressément abolie.

L’empereur et après lui le roi, en France, a nommé les juges de paix sans candidature et sans limitation de la durée des fonctions.

Mais il n’en résulte pas moins que les assesseurs ou suppléants ont été mis sur la même ligne : la constitution ayant dit qu’ils seront nommés à vie, il faut dire que les suppléants seront nommés par le Roi à vie.

M. le président. - M. Destouvelles a la parole.... (Aux voix ! aux voix !)

M. Destouvelles. - Cette question a été longuement agitée dans la section centrale. Les opinions des divers membres qui la composaient ont été développées dans le procès-verbal, dont je crois devoir vous donner lecture.

« Les suppléants sont-ils des juges ? L’article 100 de la constitution leur est-il applicable ? Telle est la question amenée par la divergence des opinions qui ont été développées dans les sections. La section centrale a été pénétrée de l’importance de cette question, elle a senti que son intérêt devenait plus puissant par les résultats nécessaires que sa solution eût appelés à exercer sur la création des suppléants attachés aux tribunaux de première instance. Il n’est pas inutile de résumer ici les débats auxquels elle a donné lieu.

« Raison pour l’inamovibilité.

« Les suppléants exercent les fonctions des juges : ils remplacent les juges dans les justices de paix, comme dans les tribunaux de première instance. Ces remplacements sont fréquents, il peut même arriver des cas où, formant une section toute entière d’un tribunal, ils rendent la justice sans le concours d’aucun juge ; ces cas ne sont pas sans exemple.

« L’article 100 de la constitution, en déclarant les juges inamovibles, a particulièrement voulu assurer leur indépendance ; elle n’a, il est vrai, parlé que des juges, mais cette expression générique ne doit-elle pas s’appliquer à tous ceux qui participent à l’exercice du pouvoir judiciaire ? La pensée de le soustraire à l’influence du pouvoir n’embrasse-t-elle pas tous ceux qui sont appelés à remplir soit habituellement, soit momentanément les fonctions des juges, peut-elle être étrangère aux suppléants ? Qu’on porte ses regards sur la loi du 27 ventôse an VIII, sur l’organisation des tribunaux. L’article 10 s’exprime ainsi : chaque tribunal de première instance sera composé de sept juges et quatre suppléants, et se divise en deux sections, etc. Les articles 35 et 36 de la loi du 20 avril 1810, c’est celle qui nous régit encore aujourd’hui, reproduisent les mêmes expressions : les tribunaux de première instance seront composés… L’article 39 de cette dernière loi paraît commander une attention particulière.

« Si les circonstances exigent qu’il soit formé des sections temporaires dans un tribunal de première instance, ces sections les servent par un règlement d’administration publique. Elles pourront être composées de juges ordinaires ou de suppléants.

« Partout les suppléants entrent dans la composition des tribunaux. Sans suppléants, ces tribunaux sont incomplets et l’on ne conçoit pas que l’on puisse déclarer ne pas faire partie d’un corps, l’un des éléments de sa composition. Comme les juges titulaires, les juges suppléants prêtent serment avant d’entrer en fonctions. Ces motifs réunis militent puissamment en faveur de l’inamovibilité des suppléants. L’on doit, s’il est permis de s’exprimer ainsi, les considérer comme des juges en état continuel de disponibilité.

« Motifs contre l’inamovibilité.

« Les suppléants ne sont pas des juges, aucune loi ne leur donne cette qualification ; ils ne sont appelés que pour remplacer momentanément les juges.

« Les suppléants ne sont pas soumis à la même discipline que les juges. Les articles 48, 49 et suivant de la loi du 20 avril 1810, relatifs à la discipline, ne parlent que des juges. Nulle part on ne rencontre la dénomination de suppléants. Dans aucune loi la qualité de juge n’est accolée à celle de suppléant. Partout on voit les juges et les suppléants, et non les juges et les juges suppléants. Ce sont deux catégories distinctes, les juges reçoivent un traitement, aux suppléants aucun salaire n’est attribué.

« A ces observations qui frappent sur la substance même de la question, viennent s’en joindre d’autres qui, quoique subsidiaires, ont pour elles une expérience dont les leçons ne doivent pas être dédaignées. La nomination d’un suppléant n’est pas environnée des mêmes précautions que celle d’un juge. On n’exige pas que les suppléants possèdent les mêmes connaissances que les juges. Les juges suppléants devant être pris là où siègent les juges de paix ou les tribunaux, afin de pouvoir sans déplacement remplir actuellement leur mission et répondre immédiatement à l’appel qui leur est fait, le gouvernement est borné dans son choix, et cette dernière considération s’applique particulièrement aux suppléants des juges de paix et à ceux des tribunaux de première instance auxquels un barreau plus nombreux est attaché. De là, la nomination d’hommes recommandables par leur probité, mais qui laissent à désirer toute l’aptitude accessoire aux fonctions de juges, et par une conséquence nécessaire, le danger en les avançant à vie, de se priver de la faculté de mettre à profit les circonstances qui peuvent faire surgir des sujets relativement plus capables et d’opérer ces mutations utiles. »

Telle est, messieurs, l’analyse des discussions qui ont occupé la section centrale. Après avoir pesé et balancé les raisons pour et contre l’inamovibilité, elle a pensé qu’il ne fallait pas s’attacher exclusivement à rechercher dans les textes de loi invoqués, dans les rapprochements présentés, la solution de la question ; recherche qui la placerait dans la position d’un juge, mais qu’à vous comme législateur appartenait le pouvoir de la trancher. C’est dans cette sphère qu’elle a cru devoir se placer ; elle a décidé à la majorité de quatre voix contre trois que les suppléants ne doivent pas être nommés à vie. C’est dans votre sein que se formera en faveur de l’un ou de l’autre système une majorité plus imposante.

- L’article additionnel de M. Leclercq est mis aux voix et adopté.

L’article 53, d’après la proposition de M. Bourgeois, est rédigé ainsi :

« Art. 53. Avant le premier janvier 1834, le Roi nommera les juges de paix et les suppléants ; jusqu’à cette nomination les juges de paix actuels continueront leurs fonctions. »

- Cet article mis aux voix est adopté.

Article 54

« Art. 54. Les membres actuels des cours, des tribunaux et des justices de paix qui ne réunissent pas les conditions requises par la loi, pourront obtenir des dispenses de Sa Majesté. »

M. H. de Brouckere. - Si les dispositions imposées par la section centrale relativement à la nomination des magistrats, c’est-à-dire si les articles 50, 51 et 52 présentés par cette section eussent été adoptés ; si on avait reconnu que les membres actuels de l’ordre judiciaire restent de plein droit en fonctions, sans qu’elles puissent leur être enlevées par le gouvernement, je me serais opposé à l’adoption de l’article 54 tel qu’il est.

En effet il est des conditions requises pour devenir magistrat ; ainsi, pour vous citer un exemple, il faut être licencié en droit. Cependant il est des juges, qui siègent aujourd’hui, et depuis nombre d’années, sans être licenciés, mais en vertu de dispenses ; j’aurais donc proposé que la loi, pour être conséquente avec elle-même, statuât que ces dispenses leur étaient conservées ipso facto.

Mais par suite de l’amendement de M. le ministre, la nomination de tous les magistrats étant abandonnée au gouvernement, il en résulte qu’il pourra démissionner à son gré et les juges qui réunissent les conditions exigées par la loi, et les juges qui ne les réunissent pas. L’article 54 a donc maintenant pour seul but de donner au gouvernement le pouvoir de conserver les dispenses à ceux qui en ont antérieurement obtenu, s’il le juge à propos ; et dans ce sens, il doit rester dans la loi pour faire suite à l’amendement.

Mais lors du vote définitif, on peut, vous le savez, revenir sur les amendements. Je suppose donc que, lorsque ce moment sera venu, la disposition introduite, sur la demande de M. le ministre, soit rejetée, qu’arrivera-t-il ? Que l’article 54 ne sera plus en harmonie avec ceux qui le précéderont, du moins dans ma manière de voir. Cependant on ne pourra plus le changer, attendu qu’il n’aura subi aucune modification. Dans une pareille circonstance, je ne sais trop quelle conduite je dois tenir.

- Un membre. - Amendez légèrement l’article aujourd’hui, pour que l’on puisse y revenir.

M. H. de Brouckere. - Je n’ai point d’amendement à faire pour le moment ; si la loi reste telle qui elle est, l’article me paraît bon. Mais d’après les considérations que j’ai développées, et que la chambre ne peut manquer d’apprécier, je me bornerai à demander qu’il soit accordé des réserves, par suite desquelles chacun de nous pourra proposer des modifications à cet article si on se décidait à revenir sur les articles 50, 51 et 52, auxquels il se rattache intimement.

M. le président. - Proposez maintenant votre amendement.

M. H. de Brouckere. - Cela n’est pas possible. L’article 54 va bien avec les dispositions admises provisoirement ; mais il ne cadre pas avec les dispositions de la section centrale, qui pourraient bien plus tard avoir le dessus.

Je ne proposerai d’amendement à l’article 54 que dans le cas où la proposition du ministre serait rejetée. Je regarde l’article 54 comme le corollaire de ce qui a été admis ; mais je demande que l’on puisse revenir sur l’article 53 si on admettait dans la seconde lecture des articles 50, 51, 52.

M. Van Meenen. - Dans toutes les hypothèses, nous devons nous ménager les moyens de revenir sur l’article 54.

Il y a d’abord une chose qui paraît exiger des explications sur cet article.

La section centrale entend-elle comprendre les parquets et les greffes dans ces expressions « les cours et les tribunaux » ? Il peut se trouver dans les parquets et dans les greffes des individus qui ne réunissent pas les conditions exigées par la loi et qui pourraient avoir été dispensés de ces conditions ; si l’intention de la section centrale a été de les comprendre dans l’article, il faut le dire. Il faudrait, je crois, commencer ainsi l’article : « Les membres actuels des cours, des tribunaux, des justices de paix, des greffes et des parquets, etc., etc. »

En vertu de la loi du 22 ventôse an XII sur l’érection des écoles de droit, le gouvernement a été autorisé d’accorder des dispenses de présentation de diplômes à ceux qui avaient rempli des fonctions judiciaires et administratives quoique n’étant pas licenciés. Voici comment il s’exprime à cet égard : « Le gouvernement pourra pendant 10 ans dispenser de la présentation des diplômes les individus qui auront exercé des fonctions administratives et judiciaires, etc. »

Il peut y avoir un certain nombre de magistrats admis en vertu de cette disposition qui dispense de présenter des diplômes : les droits de ces magistrats seront-ils respectés ? leurs droits seront-ils mis en question ? Il est évident que les membres des tribunaux et des parquets qui ont été reçus sans présenter de diplôme ont un droit acquis ; qu’ils ont un droit semblable à ceux qui ont présenté des diplômes ; que ce droit ne peut leur être enlevé par une disposition postérieure.

L’article 54 respecte-t-il ces droits ? S’il ne les respecte pas, je proposerai un amendement.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La question soulevée n’en est pas une. En effet, la loi de ventôse assimile les magistrats qui n’ont pas présenté de diplôme aux licenciés en droit ; et dans la législation de 1810 on n’a point dérogé à cette disposition. Aussi d’après la législation, les droits de ces magistrats subsistent dans toute leur force.

M. Jullien. - Je crois qu’il y a un moyen de conserver les réserves faites par M. de Brouckere ; c’est en modifiant l’article 54. Cet article est la conséquence de l’article 49 qui supposait que les magistrats actuels seraient maintenus. Comme il y a dans le corps judiciaire et dans les parquets des hommes qui ne réunissent pas certaines conditions exigées actuellement, il était naturel de donner au Roi la faculté d’accorder des dispenses ; il faut actuellement rédiger l’article 54 dans un autre sens d’après les amendements adoptés ; il faudrait dire :

« Dans le cas où le choix du roi tomberait sur les membres actuels des tribunaux, des cours, des justices de paix, des parquets et des greffes qui ne réunissent pas les qualités requises par la loi, ils pourront obtenir des dispenses de Sa Majesté. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Le roi ne choisit pas, il nomme les juges. La constitution se sert de cette expression qui d’ailleurs a été employée dans une séance précédente. Je crois qu’on peut maintenu l’article tel qu’il est : les droits ne peuvent être contestés.

M. le président. - Je vais mettre l’article aux voix.

M. Van Meenen. - J’ai un amendement à présenter ; je l’écris.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Van Meenen :

« Les membres actuels des cours, des tribunaux, des parquets, des greffes et des justices de paix qui ne réunissent pas les conditions voulues par la loi et n’auraient pas obtenu de dispenses antérieures pourraient en obtenir du Roi. »

M. Van Meenen. - Je fais remarquer que mon amendement consiste dans l’addition des mots « les parquets et les greffes … et qui n’est auraient pas obtenus d’antérieures. »

Je considère les dispenses accordées antérieurement comme constituant un droit.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ne crois pas qu’on puisse adopter l’amendement de l’honorable préopinant. Les dispenses obtenues d’après la loi de ventôse an XII forment un droit acquis ; mais les autres dispenses, quoique obtenues antérieurement à la promulgation de la loi que nous discutons, ne peuvent constitués un droit semblable. Les dispenses dont il s’agit dans l’article en délibération sont les dispenses spéciales qui ne sont pas comprises dans la loi de l’an XII. Je proposerai par sous-amendement la suppression des mots : « qui n’auraient pas obtenu de dispense. »

M. Jonet. - J’appuie l’amendement de M. Van Meenen, il est plus explicite que celui de M. Jullien.

M. Jullien. - Oui ; on peut réunir les deux amendements.

M. le président. - En ce cas je vais fondre les amendements … « Dans le cas où le choix du Roi tomberait sur des membres actuels des tribunaux et des justices de paix, des parquets et des greffes, qui ne réunissent par les conditions requises par la loi, ils pourraient obtenir des dispenses de Sa Majesté. »

M. Leclercq. - Je demande la suppression des mots : « du Roi » parce que dans l’article précédent vous avez dit que les magistrats seront nommés par le Roi.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il ne faut pas dire « le choix du Roi ; » il faut dire : « la nomination. »

M. le président. - En supprimant les mots « du Roi » au commencement de l’article, on pourrait mettre à la fin : « le Roi pourra accorder les dispenses ; » au reste voilà le sens de l’article ; on le rédigera après.

- L’article amendé est mis aux voix et adopté.

Article 55

« Art. 55. Les cours de cassation et d’appel ainsi de première instance, seront installés dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi.

« Le mode d’installation sera réglé par le gouvernement. »

M. Jullien. - Messieurs, en donnant au Roi la nomination de tous les magistrats depuis le premier jusqu’au dernier, il est incontestable que jusqu’à ce que les nominations soient faites, vous avez placé la magistrature dans la dépendance du gouvernement.

Il est donc vrai de dire que jusque à vous n’avez plus de tribunaux, mais des commissions, car le juge qui est placé sous la dépendance du pouvoir n’est plus un juge, mais un commissaire.

Si vous adoptez le projet, l’organisation ne se fera que dans les trois mois à dater de la promulgation de la loi, et comme cette promulgation dépend entièrement du gouvernement, il s’ensuivra qu’il pourra tenir toute la magistrature actuelle sous sa dépendance aussi longtemps qu’il le voudra.

Je n’entends pas suspecter les intentions du gouvernement, mais enfin cela est possible, et cette crainte me suffit pour prendre des précautions.

D’ailleurs, messieurs, il ne faut pas laisser d’honorables magistrats dans un état d’incertitude et d’anxiété sur leur avenir ; inquiets sur leur existence et celle de leurs familles, placés entre leur intérêt et leurs devoirs, l’administration de la justice doit nécessairement en souffrir.

Ce ne sont pas seulement les juges qui, pendant cet intervalle, sont placés dans une position équivoque, vous éveillerez encore la défiance des justiciables, et, je ne crains pas de vous le dire, si j’avais d’ici au temps de l’organisation, un procès à plaider dans lequel le gouvernement serait intéressé, je ferais tout mon possible pour en retarder la décision jusqu’à ce que l’inamovibilité me donnât des juges.

Loin de moi l’idée de vouloir jeter de la défaveur sur notre magistrature, je sais qu’il est des hommes de vertu incapables de se laisser aller aux séductions du pouvoir et qui mettent le devoir avant tout ; mais aussi, messieurs, il s’en rencontre qu’il serait dangereux de placer entre leur existence sociale et leur conscience, et vous devez éviter les conséquences fâcheuses d’une semblable position.

Si on perpétuait cet état de choses, les arrêts et les jugements perdraient infailliblement du respect qui leur est dû, et ceux qui auraient à s’en plaindre, ne manqueraient pas de s’en prendre à la position équivoque, dans laquelle les juges étaient placés.

Je pense, messieurs, que ces motifs que je ne fais que vous indiquer sont plus que suffisants pour vous déterminer à fixer d’une manière invariable l’époque de l’installation des cours et tribunaux et à adopter mon amendement.

- Une foule de voix. - Appuyé, appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). Je demande la parole, non pas sur l’amendement, mais pour proposer une addition qui complétera l’article. Voici cette addition : « Jusqu’à l’expiration du délai, les cours et tribunaux continueront leurs fonctions. »

M. le président. - Voilà l’amendement de M. Julien : « Les cours de cassation et d’appel, ainsi que les tribunaux de première instance seront installés au plus tard le 15 octobre prochain. »

- Cet amendement est adopté.

L’amendement présenté par M. le ministre de la justice est également adopté.

Ces deux amendements réunis forment l’article 55, qui est adopté.

Article additionnel

M. Mesdach demande la parole et prononce le discours suivant. - L’article que nous discutons promet une organisation constitutionnelle des cours de cassation et d’appel, ainsi que des tribunaux de première instance dans le terme de trois mois qui suivront la promulgation de la loi.

La voilà donc à peu près fixée, cette époque à laquelle nous verrons organiser la troisième branche du pouvoir constitutionnel. Sous ce rapport je pense que l’article mérite les suffrages de la chambre.

Mais comme sa disposition ne concerne en rien les tribunaux de commerce, que l’on semble vouloir conserver sur le pied actuel jusqu’â l’époque de la révision des lois sur l’organisation judiciaire, époque qui me paraît bien incertaine, je vais avoir l’honneur de soumettre à l’assemblée quelques observations sur le mode actuel de nomination des membres de ces corps judiciaires, mode dans lequel il s’est introduit un abus que je regarde comme très essentiel de faire cesser.

L’article 105 de la constitution veut qu’il y ait des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. La loi règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres, et la durée de ces derniers.

Le maintien de ces tribunaux est un véritable bienfait de la constitution. Si, pour la bonne administration de la justice, il est nécessaire que l’on ait une profonde connaissance des lois, certes il n’est pas moins essentiel, en juridiction commerciale, d’avoir une grande habitude des opérations du commerce, ce qui ne saurait être le propre de la magistrature judiciaire ordinaire.

En attendant l’époque à laquelle le gouvernement sera à même de présenter un projet de loi sur cet objet, les tribunaux de commerce restent sous l’empire de la législation actuelle. Ce ne serait pas en ce point-là que nous aurions à regretter d’en rester dans un état provisoire, si l’on voulait s’en tenir à la pureté native de cette institution, en soignant d’en écarter tout ce que l’aversion, que les gouvernements ont ordinairement pour les libertés publiques, y a introduit de tyrannique.

Messieurs, avant-hier j’ai contribué à revendiquer en faveur des cours et des tribunaux le droit politique que la loi leur reconnaît de nommer leurs commis-greffiers. Aujourd’hui, je viens revendiquer en faveur du commerce le droit qu’il a de nommer ses propres juges, sans intervention aucune de l’autorité souveraine.

C’est à la loi du 3 vendémiaire an VII que la Belgique dut l’institution de la plupart de ses tribunaux de commerce. Ils y furent organisés conformément au titre XII de la loi du 24 août 1790 qui établit pour la nomination des membres de ces tribunaux un mode particulier d’élection.

L’article 7 statua que les juges de commerce seraient élus dans l’assemblée des négociants, banquiers, marchands, manufacturiers, armateurs et capitaines de navires de la ville où le tribunal serait établi. Elle était grande et généreuse, l’idée de donner au commerce le droit d’élire ses juges. Ce fut là une des libertés publiques dont nous sommes redevables à la grande révolution française de 89. Le législateur français la maintint tout entière dans le code de commerce qui, comme vous le savez, messieurs, prit vigueur au 1er janvier 1808, et vint, en cette partie, remplacer les dispositions de la loi d’août 1790.

L’article 618 du code de commerce statue que les membres des tribunaux de commerce seraient élus dans une assemblée composée de commerçants notables et principalement des chefs des maisons les plus anciennes et les plus recommandables par la probité, l’esprit d’ordre et d’économie. Les articles suivants tracent le mode d’élection et l’établissent sur un système large et libéral : mais à l’époque de l’émanation de ces dispositions, nous étions déjà loin de 89 ; l’énergie révolutionnaire s’était refroidie, et l’autorité, toujours ombrageuse comme avide de pouvoir, ne semblait s’être raffermie que pour saper de nouveau nos libertés publiques.

Ce fut en vain que le législateur s’était montré généreux en laissant à l’élite du commerce le droit d’élire ses juges : le chef du gouvernement d’alors avait à cette époque jeté le masque, et méprisant tous les principes, et les lois, foulant aux pieds la constitution même qui l’avait élevé à l’empire, il s’était déjà ouvertement déclaré le tyran de la France. C’est ainsi qu’au mépris de l’article 618 du code de commerce qui veut que les présidents, les juges et les juges suppléants des tribunaux de commerce soient élus, l’empereur prit le décret du 6 octobre 1809, par lequel, remplaçant la volonté du législateur par sa volonté personnelle, il statua (article 7), que les procès-verbaux d’élection des membres des tribunaux de commerce seraient transmis à son ministre de la justice, qui lui proposerait l’institution des élus, lesquels ne seraient admis à prêter le serment qu’après avoir été par lui institués.

Ce décret, vous le remarquerez, messieurs, fut signé au palais impérial de Schoenbrunn, et porte la date du 6 octobre 1809, époque à laquelle l’empereur, enivré par les encens que lui valut le succès de ses armes à la fameuse bataille de Wagram (6 juillet de la même année), ne connut plus de frein à sa puissance, et s’érigea en législateur souverain. Ai-je besoin, messieurs, de vous rappeler ici cette série de décrets qui après cette mémorable journée, vinrent affliger la France ? Ai-je besoin de vous rappeler ce désastreux décret de février 1810, par lequel l’empereur, de sa toute puissance et autorité impériale, abrogea la liberté de la presse, établit la censure, nomma un directeur de l’imprimerie et de la librairie, et toléra à peine l’émanation d’un seul journal politique par département. Ce décret, véritable ordonnance de juillet, vit le jour sous l’escorte du décret du 3 mars de la même année, par lequel l’empereur, pour mieux assister l’exécution de ses mesures tyranniques, établit des prisons d’Etat, véritables bastilles dont il couvrit la France. Si je rappelle ici cette époque désastreuse, c’est dans le désir, messieurs, de faire sentir au ministère toute la tyrannie de quelques mesures du gouvernement impérial, sous l’empire desquelles on semble se plaire de nous tenir encore enchaînés

Vous avez vu, messieurs, que le législateur n’avait pas voulu réserver au pouvoir exécutif le droit de nommer les membres des tribunaux de commerce, mais que l’empereur se l’était arrogé tyranniquement, et se réservant par un simple décret le droit d’instituer les membres de ces tribunaux, C’était là un véritable droit de veto, qui vint convertir en simple droit de présentation de candidats, le droit politique d’élection que la loi avait soigneusement réservé au commerce.

Ce droit de veto est encore exercé aujourd’hui, là où certes, si l’on désirait sincèrement le régime de la liberté, il aurait dû être considéré comme ayant cessé avec les circonstances de l’époque qui l’avait vu naître. J’en appelle aux arrêtes des 5 et 16 mars, 4 et 25 mai, 29 juin, 13 et 26 juillet 1831, 10 mars et 16 avril dernier, par lesquels les onze tribunaux de commerce de ce royaume ont été entachés d’inconstitutionnalité.

Je dis inconstitutionnalité, car, la constitution belge n’a donné au roi le droit de nommer aux places que pour autant qu’une disposition expresse de la loi l’y autorisât ; or, je crois avoir prouvé à toute suffisance que depuis l’époque de la création des tribunaux de commerce jusqu’à ce jour, les lois successives ont statué que les membres de ces tribunaux seraient élus, ne laissant au pouvoir exécutif que le droit de nommer les greffiers et les huissiers (articles 618, 624, code de commerce).

Vainement dirait-on que les membres des tribunaux dont il s’agit ont été élus au vœu de la loi. Cela est possible, et je l’admets même, mais il ne fallait point soumettre les élections à l’approbation du roi dont l’autorité ne saurait avoir sur elles aucune influence ; que diriez-vous, messieurs, si un beau jour le ministre de l’intérieur osait s’aviser de soumettre à l’approbation royale les élections que les cantons électoraux font des membres de cette chambre ou du sénat ? Ah ! messieurs, vous ne vous borneriez pas à désapprouver la conduite du ministre, et l’énergie de la chambre lui garantit que vous le mettriez en accusation. Eh bien, messieurs, le cas dont le commerce a à se plaindre est en tout identique. On le prive d’un de ses droits politiques en continuant une mesure qui ne dut le jour qu’à la tyrannie d’un gouvernement déchu.

Ce n’est pas, messieurs, que jusqu’ici je veuille accuser le ministre. Je le crois de bonne foi, mais il s’est fourvoyé en s’abandonnant imprudemment dans des ornières vicieuses, et il est temps de le prévenir de rentrer dans la voie constitutionnelle. De grâce, MM. les ministres, si pour vous, le mot de liberté n’est pas une vaine résonnance, si vous reconnaissez que c’est pour le recouvrement des libertés publiques que cette noble et généreuse nation a versé son sang et subit depuis deux ans toute espèce de sacrifices, laissez-lui le libre exercice de ses droits politiques, rendez au commerce cette belle prérogative d’élire ses propres juges, et vous prouverez à la nation que vous désirez sincèrement vous en tenir au régime de la loi. Craignez, MM. les membres, qu’en dédaignant de suivre ce conseil, les électeurs du commerce ne vous y obligent en refusant de soumettre à vos caprices les procès-verbaux de leurs élections, et évitez surtout aux cours de justice la fâcheuse position de devoir refuser l’admission au serment à tout membre qui produirait un autre titre que celui de son élection.

J’attendrai que le ministre de la justice veuille bien me donner quelques explications sur le point dont je me plains ; s’il peut me garantir que dorénavant l’article 7 du décret du 6 octobre 1809 sera considéré comme abrogé et que le commerce exercera sans entrave son droit d’élection de ses juges, j’adopterai l’article 55. Si au contraire M. le ministre croyait que cette disposition a conservé vigueur, je proposerai l’amendement suivant en troisième membre de l’article que nous discutons :

« En attendant l’organisation des tribunaux de commerce, l’article 7 du décret du 6 octobre 1809 est abrogé. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je ne sais pas s’il y a des explications à donner sur la question de droit que l’honorable préopinant a soulevée et qu’il est à même d’apprécier aussi bien que moi.

On nous a parlé des libertés publiques, on s’est adressé au ministre de la justice : je ne sais, messieurs, si l’on peut me reprocher d’avoir cherché à entraver les libertés publiques. Je ne le crois pas, et l’accusation dont on a voulu faire mention ne m’effraie d’aucune manière.

Quant à moi, jusqu’à ce que l’arrêté du mois d’octobre 1809 ait été révoqué, je soutiens qu’il doit être exécuté comme loi, autrement vous n’aurez que le chaos dans votre législation.

Plusieurs décrets ont été portés par le chef du gouvernement français : ces décrets, aux termes de la constitution de l’an VIII devaient être exécutés à moins qu’ils n’aient été déclarés inconstitutionnels et je ne sais pas si le décret de 1809 a été déclaré tel, Tant qu’une législation existe, il y a lieu à la respecter.

M. Osy. - Messieurs, je crois également que jusqu’à ce que le décret de 1809 soit abrogé, il y a lieu à l’exécuter comme loi ; et de là j’en tire la conclusion que l’amendement de M. Mesdach doit être adopté.

C’est le commerce qui doit nommer ses juges.

Les dispositions de l’article 618 du code de commerce sont méconnues ; on a effacé de la liste des notables les personnes les plus respectables.

- Un membre. - J’en sais quelque chose !

- Un autre membre. - C’est ce qui est arrivé à Gand !

M. Osy. - Cela pourrait être arrivé ailleurs qu’à Gand.

M. H. de Brouckere. - L’honorable M. Osy m’a prévenu ; c’est dans le sens de ce qu’il vient de vous dire que je me proposais de parler.

Il y a véritablement des abus très graves relativement à l’application des articles 618 et 619 du code de commerce. Ce ne sont point les commerçants notables qui sont inscrits sur la liste dont parlent ces articles, ce sont des commerçants choisis par les gouverneurs dans certaines opinions, dans certaines coteries. Je pourrais à cet égard citer des faits, faciles à vérifier, et rappeler plusieurs articles de journaux.

- Plusieurs membres. - Du Messager de Gand.

M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas de la ville de Gand seule que je parle. Je dis qu’il est des localités où les hommes inscrits sur les listes sont pris exclusivement dans certaines coteries, et l’on n’a pas craint d’écarter des assemblées des notables les commerçants les plus riches et les plus considérés, pour y introduire des hommes qui ne jouissent d’aucun crédit, d’aucune considération quelle qu’elle soit. Je vais plus loin, on y a introduit des banqueroutiers, plusieurs de mes collègues pourraient attester le fait, oui, des banqueroutiers et la liste a été approuvée par le ministre.

J’ignore quel sera le sort de la proposition de l’honorable M. Mesdach, que j’approuve ; mais j’en ferai une de mon côté. Je demanderai que, par dérogation à l’article 619 du code de commerce, la liste des notables ne soit plus formée par le gouverneur, mais par les états députés de la province. Alors on aura quelque garantie que les notables ne seront plus des agents chargés d’obtenir pour les tribunaux de commerce des élections dans le sens de certaines opinions, mais qu’ils seront des électeurs intéressés à ce que les choix tombent sur ce qu’il y a de plus recommandable et de plus considéré dans la classe des commerçants.

M. Lebègue. - Immédiatement après qu’un honorable membre vous avait parlé de la ville de Gand, un membre vous a signalé des listes sur lesquelles des banqueroutiers et gens de peu de confiance auraient remplacé les négociants les plus notables ; j’espère que cette dernière allégation ne se rattache point à ce qu’on vous a dit de Gand ; car il est positif que dans cette ville, le contraire a eu lieu : là quelques noms moins certains ont fait place à des noms généralement estimés.

M. le président. - Voici l’amendement de M. H. de Brouckere : « Par dérogation aux articles 618 et 619 du code de commerce, la liste des notables commerçants sera dressée par les états députés. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Nous ne discutons ici que des dispositions transitoires. Il me semble que l’on ne devrait insérer que de semblables dispositions dans le titre soumis à la délibération, et que tout ce qui tendrait à établir une législation nouvelle devrait être l’objet d’une proposition séparée présentée dans d’autres formes.

Je crois donc que la disposition ne peut être placée sous le titre que nous examinons.

Le décret de 1809 est obligatoire ; quant aux faits allégués relativement à des banqueroutiers qui auraient été inscrits sur les listes des notables, ce fait n’est pas dans mes attributions, il est dans les attributions du ministre de l’intérieur. Quoiqu’il en soit, j’ai peine à croire à son exactitude.

M. Mesdach. - On veut introduire une disposition pour détruire un abus et pour la repousser, on invoque les lois existantes ; mais lorsqu’on la trouve convenable on sait bien écarter les arrêtés.

C’est bien, il me semble, le système du bon plaisir. Voulez-vous une preuve de ce que j’avance, ouvrez le Moniteur du 12 mai 1832 et vous y lirez ceci :

« Dans la dernière séance du sénat, plusieurs honorables membres de cette assemblée se sont récriés contre l’existence de l’arrêté du 31 mars 1820, qui a établi ces impôts à charge des hospices. Ils ont accusé cette disposition d’empêcher les actes de bienfaisance et d’être onéreuse pour les établissements de charité. Nous sommes autorisés à faire connaître que, si ces arrêtés n’ont pas été formellement abrogés, ils demeurent du moins aujourd’hui sans effet. »

Voilà bien le système du bon plaisir. C’est un système contre lequel je m’élèverai tant que je pourrai parler, tant que j’existerai. (On rit.)

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Quand on croit qu’un ministre agit inconstitutionnellement, au lieu de l’attaquer, on propose sa mise en accusation, et si le préopinant croit que j’ai failli, je le conjure de déposer son accusation sur le bureau de la chambre.

Veut-on se récrier contre la constitution de l’an VIII ? Mais placez en regard la loi fondamentale de 1815, et vous y trouverez les mêmes dispositions.

Il y a loin de conserver un décret qui a force de loi, à repousser un arrêté inconstitutionnel. Aucun impôt ne peut être établi que par une loi d’après la législature de 1815 ; ainsi l’arrêté qui a établi un impôt sur les legs faits aux hospices ne peut être considéré comme obligatoire ni être mis sur la même ligne que le décret de 1809.

M. Mesdach. - Messieurs, je n’ai pas l’intention d’accuser le ministre ; je le crois de bonne foi, mais je crois qu’il est sur la mauvaise route. La constitution de l’an VIII, pas plus que celle de 1815, ne donnent le droit de changer la loi ; la loi reste loi ; les décrets, les ordonnances, les arrêtés ne peuvent que déterminer le mode de son exécution, et non le détruire.

M. Lebègue. - Un honorable membre vous a parlé de listes de notables commerçants sur lesquelles on voyait figurer des banqueroutiers ; ce fait n’a pu avoir lieu à Gand ; là on les a éliminés et on les a remplacés par des hommes honorables.

- Plusieurs voix. - C’est vrai ! C’est vrai !

- La chambre ferme la discussion sur les amendements de MM. Mesdach et H. de Brouckere.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur l’amendement de M. Mesdach.

M. Lebeau. - C’est un article additionnel que cet amendement.

M. Osy. - Il faut le porter au titre III, « Des tribunaux. »

M. le président. - Mettons l’amendement aux voix, puis nous verrons où il faudra le mettre. L’amendement se compose des dispositions présentées par M. Mesdach et par M. H. de Brouckere.

M. H. de Brouckere. - Mon amendement est indépendant de celui de M. Mesdach ; on peut adopter l’un sans l’autre.

M. Destouvelles. - On dit dans l’amendement : « En attendant l’organisation des tribunaux de commerce. » On pourrait croire qu’ils ne sont pas organisés ; il faudrait dire : « en attendant la révision du code de commerce. »

M. Mesdach. - J’y consens.

M. H. de Brouckere et M. Liedts. - Mettez « en attendant la réorganisation des tribunaux de commerce. »

- L’amendement de M. Mesdach mis aux voix est rejeté.

L’amendement de M. H. de Brouckere est adopté.

M. le président. - Où veut-on le placer ?

- Une voix. - A la queue !

M. A. Rodenbach. - Dans la Flandre orientale il n’y a pas d’états députés ; il n’y aura donc pas de tribunaux de commerce. C’est inconstitutionnel !

M. H. de Brouckere. - Il y en aura encore l’année prochaine.

M. A. Rodenbach. - Mais il n’y en a pas actuellement.

Article 56

« Art. 56. Les cours supérieures de Bruxelles et de Liége cesseront de connaître des pouvoirs en cassation le jour de l’installation de la cour de cassation.

« Les pourvois alors introduits seront portés devant la cour de cassation, par une assignation faite à personne ou à domicile, à la requête de la partie la plus diligente.

« Ces pourvois seront jugés sans admission préalable.

« Ils seront répartis également entre les deux chambres, par la voie du sort. »

M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Lieds qui réduirait l’article 56 aux seuls termes suivants : « Les pourvois déjà introduits lors de l’installation de la cour de cassation, seront portés devant cette cour pour une assignation faite à personne ou à domicile, à la requête de la partie la plus diligente. »

M. Liedts. - Messieurs, vous venez d’adopter un article qui fixe au 15 octobre l’installation de la cour de cassation ; il va sans dire que dès son installation les cours faisant fonctions de cour de cassation cesseront de connaître des pourvois ; il est par conséquent inutile de le répéter dans l’article 56 ; dès lors le premier paragraphe devient inutile. Le troisième paragraphe devient pareillement inutile, puisqu’il n’y aura plus de chambre des requêtes ; le quatrième paragraphe se borne à prescrire la répartition des causes entre les deux chambres, par la voie du sort ; je crois aussi qu’il y a lieu de supprimer ce paragraphe ; la répartition par la voie du sort est un mode vicieux et il me semble qu’on peut s’en remettre du soin de distribuer les causes à la cour de cassation elle-même. C’est dans ce but que j’ai réduit l’article 56 à la seule disposition de mon amendement qui suffit à tout.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’article 56 était rédigé dans l’idée qu’il y aurait une section des requêtes. Aujourd’hui que la chambre l’a supprimée, il est clair que les paragraphes 3 et 4 doivent disparaître.

M. le président donne une seconde lecture de l’amendement de M. Liedts.

M. Jullien. - C’est à quoi se réduit l’article 56 ?

M. le président. - Ça remplace tout l’article.

- On met aux voix l’amendement de M. Liedts ; il est adopté.

Article 57

« Art 57. Les arrêtés des 9 avril 1814, 15 mars et 19 juillet 1815, le décret du congrès du 4 mars 1831, et toutes autres dispositions relatives aux pourvois en cassation devant les cours de Bruxelles et de de Liége, cesseront d’être obligatoires le jour de l’installation de la cour de cassation.

« Néanmoins, quant aux pourvois antérieurs, sera observée devant la cour désignée pour en connaître, la procédure actuellement suivie ; mais si elle cesse, la cour ne connaîtra pas du fond de l’affaire et le renverra devant une autre cour ou un autre tribunal. »

M. le président. - Un amendement de M. le ministre de la justice, et destiné à remplacer cet article, a été déposé sur le bureau ; en voici les termes :

« Provisoirement et jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu, l’arrêté du 15 mai 1815 sera suivi dans toutes ses dispositions qui ne sont pas contraires à la présente loi. »

« La disposition de l’article 46 dudit arrêté est abrogée, même quant aux pourvoir antérieurs ; et en cas de cassation l’affaire sera renvoyée devant une autre cour ou un autre tribunal. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - D’après une disposition précédemment adoptée, la chambre des requêtes a été supprimée. On pourra revenir lors du vote définitif sur cette décision, mais en attendant et dans l’incertitude où l’on est que cette disposition soit changée, il faut, pour être conséquent, modifier les articles 57 et 58, car ils supposeraient l’existence d’une chambre des requêtes. Si nous n’avons pas de chambre des requêtes, il est assez naturel de suivre la procédure prescrite par l’arrêté du 15 mai 1815 ; provisoirement donc je propose les dispositions suivantes.

L’orateur donne lecture de son amendement, et poursuit ainsi : j’ai cru devoir dire que l’article 46 serait abrogé, parce que la cour de cassation ne jugeant plus le fond des affaires, il est impossible que cet article subsiste plus longtemps ; qu’il me soit permis de mettre les termes de cet article sous vos yeux :

« Art 46. Ceux qui prononceront la cassation jugent irrévocablement entre les parties la question de droit, et auront sous ce rapport l’autorité de la chose jugée.

« Le fond sera jugé suivant les distinctions établies par l’arrêté du 9 avril dernier, soit à la même chambre renforcée qui a prononcé la cassation, soit devant les mêmes chambres réunies, soit devant un juge de paix, tribunal de première instance ou cour d’assises, devant lesquels il ne sera plus permis de plaider que les moyens de droit. Le jugement ou l’arrêt qu’ils rendront par ces nouvelles plaidoiries sera inattaquable à moins qu’il ne s’écarte d’un point de droit déjà établi per l’arrêt de la cour en cassation, ou qu’il n’en juge un nouveau sur lequel la cour en cassation n’a pas encore prononcé dans la même affaire.

« Dans ces deux derniers cas le pourvoi sera porté devant la même chambre que le premier. »

Il suffit de la simple lecture de cet article pour être convaincu qu’il ne peut s’appliquer aux pourvois antérieurs.

M. Jonet. - J’appuie l’amendement proposé par M. le ministre de la justice, sauf la dernière partie relative à l’article 46. Je ne sais pas pourquoi l’article 46 de l’arrêté de 1815 serait seul déclaré abrogé. Il y a beaucoup de dispositions de cet arrêté qui doivent l’être pareillement. Je préférerais que l’on dît : l’arrêté de 1815 sera exécuté dans toutes celles de ses dispositions qui n’ont pas été abrogées par des lois postérieures.

M. Lebeau. - C’est clair.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - S’il ne pouvait pas s’élever de question sur les pourvois introduits, j’adopterais volontiers l’amendement de l’honorable préopinant ; mais je lui ferai observer que la première partie de mon amendement dit déjà que l’arrêté de 1815 sera suivi dans toutes ses dispositions non contraires à la présente loi. Voilà donc un apaisement pour l’honorable membre. J’ai ajouté la disposition relative à l’article 46, parce qu’il s’est plusieurs fois élevé, sur la manière d’interpréter cet article, des difficultés qui ont dû être résolues par des avis du conseil d’Etat, et j’ai cru nécessaire d’éviter tout doute à l’avenir.

M. Bourgeois. - Je pense, messieurs, que l’article est purement provisoire, en ce sens que les règlements de 1814 et 1815 ne sont exécutés que jusqu’au règlement que fera la cour de cassation. Sans cela, j’aurais dû signaler dans l’arrêté une disposition qui m’a toujours paru, et qui me paraît encore, n’être bonne qu’à exposer les parties à des frais frustratoires.

Je veux parler de l’article dont le numéro ne revient pas en cet instant à ma mémoire, mais par lequel le dépôt au greffe de la requête en cassation est proscrit. On est obligé d’en lever ensuite une expédition pour la signifier à la partie. Cette expédition ne peut être que grossoyée, et le défendeur doit y répondre endéans les deux mois. J’ai vu certaines expéditions de requêtes coûter jusqu’à 300 fr. On pourrait, ce me semble, remplacer cet article par une disposition qui permettrait de signifier la requête à la partie adverse sur l’original même, et la réponse devrait être faite dans les deux mois. Si ceci doit avoir quelque durée, je prie M. le ministre de le dire, parce que dans ce cas, je devrai rédiger une disposition pour faire disparaître l’abus que je signale, et qui expose, sans utilité, les justiciables à des frais tout à fait frustratoires.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’article lui-même annonce, par sa rédaction, qu’il n’est que transitoire. Quant au règlement qui doit en faire cesser l’effet, on sent que pour qu’il soit rédigé et soumis à la législature, pour les dispositions législatives qu’il pourrait contenir, on sent qu’il faut que la cour de cassation soit installée. Je crois, en attendant, qu’il n’y a pas grand mal à conserver cette disposition ; elle existe depuis 15 ans, et il ne s’écoulera pas, sans doute, un si long intervalle avant que le nouveau règlement ne soit fait. Je trouve, au reste, que les observations du préopinent sont justes et que l’arrêté du 15 novembre 1815 devrait être corrigé en plusieurs de ses dispositions ; mais ce n’est pas le moment de le revoir, d’autant plus que nous ne savons encore pas définitivement si nous n’aurons pas une section des requêtes.

M. Bourgeois. - Il me suffit d’avoir signalé l’abus ; je ne ferai pas de proposition ultérieure, puisque il résulte de la réponse de M. le ministre que ceci n’est que transitoire.

M. Jonet. - Je propose d’ajouter à l’amendement de M. le ministre de la justice une disposition ainsi conçue : « Quand la cour de cassation rejettera un pourvoi, elle condamnera le demandeur à payer au défendeur une indemnité qui ne pourra être moindre de cent francs ni excéder cinq cents francs. »

Mon amendement et celui de M. le ministre remplaceraient les articles 57 et 58. Tout le monde est d’accord sur ce point, que pour la procédure à suivre, il faut s’en tenir provisoirement à l’arrêté de 1815 ; mais il me semble nécessaire d’y ajouter une disposition, dont déjà il avait été question quand on discuta la question de savoir si la chambre des requêtes serait supprimée ; vous n’avez pas oublié qu’alors on nous disait que la chambre des requêtes était nécessaire pour arrêter le trop grand nombre de pouvoirs mal fondés ou témérairement faits.

Les personnes qui étaient contraires à l’établissement d’une chambre des requêtes ont pensé qu’il y avait un autre moyen d’arrêter les pourvois téméraires, ce serait de condamner le demandeur, indépendamment des condamnations ordinaires, à une indemnité qui serait plus ou moins forte selon que le pourvoi paraîtrait à la cour fait avec plus ou moins de bonne foi. On sait que déjà et dans tous les degrés de juridiction, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, mais la crainte de cette condamnation n’arrête pas toujours les plaideurs. De là la nécessité de permettre à la cour de cassation d’en prononcer une plus forte.

Si la cour voit que le demandeur est de mauvaise foi, elle appliquera le maximum de l’amende ; elle appliquera le minimum quand elle pensera que ce n’est le cas ; en un mot elle modérera la condamnation selon qu’elle le jugera juste et convenable. Il y a des demandeurs en cassation dont la bonne foi ne saurait être suspectée, ce sont ceux dont la cause présente des questions de droit très douteuses et sur lesquelles les opinions sont partagées ; ceux-là ne méritent aucune peine, la cour aura égard à leur position.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai observer d’abord que le règlement de 1738 fixe l’indemnité à laquelle est condamné le demandeur dont on rejette le pourvoi, à la somme de 150 francs ; il n’y a jamais lieu de la diminuer, les lois existantes n’ont pas abrogé cette disposition du règlement. J’avoue, messieurs, que je craindrais un peu la latitude qu’aurait la cour s’il lui était permis de fixer l’indemnité de 100 à 500 francs : ce serait une espèce de note d’infamie pour le demandeur, toutes les fois que la condamnation dépasserait 150 francs, et ce serait peut-être une raison d’engager la cour à ne prononcer jamais que le minimum de l’indemnité.

J’ai remarqué, toutes les fois que pour des dommages la loi fixait un minimum et un maximum, que les juges n’appliquaient que le minimum ; je l’ai vu très souvent à Liége et même dans une circonstance où la mauvaise foi était palpable : il s’agissait d’une requête civile. D’ailleurs, messieurs, il y a des plaideurs qui n’entendent rien à leur affaire, qui ne la suivent que d’après le conseil de leurs avocats, conseils qui peuvent très bien être donnés de bonne foi. Vous voyez donc, messieurs, que ce serait se plonger tout à fait dans l’arbitraire que d’autoriser la cour à prononcer de telles condamnations. Je suis d’avis que l’amende de 150 francs suffit et qu’il y a lieu de s’en tenir à la disposition du règlement de 1738.

M. Jonet. - Quand j’ai proposé de fixer le minimum de la somme à 100 fr., je n’ai pas eu précisément la quantité de la somme en vue, mon but était seulement de fixer le principe ; du reste la somme m’importe peu et je consentirai volontiers à fixer le minimum de l’indemnité à 150 fr.

Je l’ai déjà dit, ce n’est que pour répondre au désir de ceux qui, à cause de la suppression de la chambre des requêtes, ont voulu qu’un autre moyen fût mis en usage pour prévenir les pourvois mal fondés que j’ai proposé mon amendement ; si on ne l’adoptait pas, quel moyen resterait-il pour les empêcher ? Aucun ; quant à l’arbitraire dont on a parlé, je ne le reconnais pas. Ce n’est pas comme on dit une note d’infamie que l’on donnera au demandeur, mais ce sera une justice que l’on rendra au défendeur, pour les frais de voyages qu’il sera obligé de faire, pour les honoraires de son avocat, en un mot pour toutes les dépenses qu’un plaideur est obligé de faire et dont la plus grande partie n’entrent pas en taxe et ne peuvent être mises et à la charge de la partie qui succombe. Par le moyen que je propose, les demandeurs ne se pourvoiront qu’avec circonspection. Je ne m’oppose pas du reste à ce que le minimum de l’amende soit fixé à 150 fr.

M. Leclercq. - Messieurs, malgré ce que vient de dire le préopinant, je ne vois dans son amendement que de l’arbitraire tout pur. Il vous propose de fixer une amende dont la quotité pourra varier de 100 fr. à 500 fr. : la latitude est très grande, comme vous voyez.

Comment le juge devra-t-il en user ? Ce sera, vous dit-on, en appréciant le plus ou moins de bonne foi des parties. Mais, messieurs, cette appréciation est impossible. Car comment apprécier la bonne ou la mauvaise foi des parties, à quoi la reconnaîtra-t-on ? Outre qu’il y a des questions fort douteuses et sur lesquelles les magistrats et les jurisconsultes sont divisés, il y a un grand nombre de plaideurs incapables d’apprécier leur droit et qui se laissent guider par leurs avocats. Veut-on que la cour puisse les condamner ?

Je le répète, c’est donc de l’arbitraire tout pur qu’on veut mettre dans les mains de la cour de cassation, et dans un régime constitutionnel il ne faut de l’arbitraire nulle part. L’orateur lui-même a dit qu’il y avait des cas où le demandeur succombant ne devrait pas être condamné. Cela prouve combien l’amendement est dangereux ; car s’il est des cas où l’on pourrait prononcer à tort une condamnation, il ne faut pas mettre la cour à même de ne condamner jamais.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Sans aucune disposition nouvelle, l’amende de 150 fr. portée par le règlement de 1738 doit être prononcée contre le demandeur. Si on veut la majorer, c’est une chose à voir, mais je ne crois pas que ce soit le cas.

M. Jonet. - Le règlement de 1738 n’existe plus. Cette question a été soulevée à la cour de Bruxelles, et jamais on ne prononce l’amende.

M. Fleussu. - A Liége, toujours.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je respecte la jurisprudence de la cour de Bruxelles et j’avoue que je ne la connaissais pas sur ce point ; mais je respecte aussi la jurisprudence de la cour de Liége, et toujours à Liége l’amende de 150 fr. a été prononcée ; mais puisqu’il y a divergence et doute, c’est une raison de plus pour trancher la difficulté et pour insérer dans la loi actuelle la disposition du règlement de 1738.

M. Destouvelles. - Je conçois difficilement la diversité de jurisprudence sur ce point entre les cours de Bruxelles et de Liége, car la difficulté est levée par l’article 60 du règlement de 1815 : « Dans tous les cas, dit cet article, non prévus par le présent règlement, on suivra les lois qui étaient en vigueur à l’époque de l’occupation de la Belgique, notamment le règlement de 1738, » c’est ce règlement qui porte l’amende de 150 fr. ; je ne conçois pas comment la cour de Bruxelles a pu se refuser à l’appliquer.

M. Jonet. - Je vais vous l’expliquer. C’est parce qu’une autre disposition de l’arrêté disant que la partie qui succombe est condamnée aux dépens, sans parler de l’amende, on n’a pas cru pouvoir en prononcer la condamnation.

- La clôture est réclamée, mise aux voix et prononcée.

M. le président donne lecture des amendements de M. le ministre de la justice et de M. Jonet.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande la parole. (Il y a clôture.) Ce n’est pas sur le fond de la discussion, mais sur la position de la question.

Je propose que, conformément au règlement de 1738 on fixe l’amende à 150 francs, et dans le cas où l’on établirait un minimum et un maximum, que le minimum ne soit pas au-dessous de 150 fr. Je demande ensuite la division, c’est-à-dire, que l’on décide d’abord en principe s’il y aura une amende, et si elle sera augmentée.

M. Jonet. - Je consens au minimum de 150 fr.

M. le président. - Il ne reste plus que la question s’il y aura un maximum. (Non ! non !)

M. Leclercq. - Il y a deux questions, savoir si en principe on admettra l’amende, en second lieu, s’il y aura un maximum et un minimum.

M. le président. - Fixera-t-on l’amende à 150 francs ?

- Cette question est adoptée.

On met ensuite aux voix s’il sera loisible à la cour de la faire monter à 500 fr.

Cette proposition de M. Jonet est rejetée.

L’article, amendé par le ministre de la justice est adopté avec cette disposition de plus :

« Quand la cour de cassation rejettera un pourvoi, elle condamnera le demandeur à payer au défendeur une indemnité de 150 francs. »

Article 59 à 61

Les articles 59, 60 et 61 sont ensuite adoptés sans discussion ni amendement, en ces termes :

« Art. 59. Les affaires pendantes devant la cour de Bruxelles qui deviendront de la compétence de la cour d’appel de Gand, seront poursuivies devant cette dernière cour, par des assignations faites à personne ou à domicile. »

« Art 60. Les officiers ministériels actuels continueront l’exercice de leurs fonctions. Néanmoins, le nombre en sera fixé par le gouvernement sur l’avis des cours et des tribunaux, et, s’il y a lieu à réduction, elle s’effectuera par suite de démission, de destitution ou de décès. »

« Art. 61. Dans le mois de son installation, la cour d’appel de Gand présentera les avoués et les huissiers qui devront exercer près d’elle, et donnera son avis sur le nombre qu’elle jugera nécessaire.

« Jusqu’à la nomination de ces officiers ministériels, les avoués et les huissiers près le tribunal de première instance de Gand pourront exercer près la cour d’appel.

Projet de loi relatif à la levée de 50,000 hommes

Rapport de la section centrale

En ce moment, M. Ch. de Brouckere entre et demande la parole pour faire le rapport de la section centrale, sur le projet de loi relatif à la levée des 50,000 hommes. (Suit le rapport de la section centrale et le projet amendé par celle-ci, non repris dans la présente version numérisée.) (L’impression ! l’impression !)

M. Dumortier. - Je demande que le projet soit réimprimé en entier et tel que vient de le rédiger la section centrale. Si on n’imprimait que les amendements, il serait impossible de s’y reconnaître.

M. Verdussen. - Je demande que la discussion de ce projet soit renvoyée à lundi. Quand il sera imprimé il faudra le méditer et il faut bien un jour pour cela. (Non ! non ! A demain ! à demain !)

M. le président. - Le projet a été déclaré urgent. (A demain ! à demain !) Quant à la proposition de M. Dumortier, je crois qu’il convient d’y faire droit. (Oui ! oui !) Je vais maintenant mettre aux voix la question de savoir si la chambre veut discuter demain.

La chambre décide qu’elle discutera le projet demain.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Discussion des articles

Titre I. De la cour de cassation et titre II. Des cours d'appel

Articles additionnels

M. le président. - La discussion du projet d’organisation judiciaire est terminée. Mais M. Bourgeois a proposé deux articles additionnels, dont voici les termes :

« Article additionnel (à la fin du titre II, art. 43). Les questions d’état et de prises à partie qui, aux termes des articles 22 du décret du 30 mars 1808 et 7 de celui du 6 juillet 1810, doivent être jugées par deux chambres réunies, le seront par une seule chambre, an nombre complet de 7 membres.

« En cas d’empêchement légitime d’un ou de plusieurs des membres dont cette chambre se compose, ou si le nombre des membres dont elle est composée était intérieur à celui de 7, cette chambre sera complétée par des conseillers d’une autre, à la désignation du premier président. »

« Paragraphe à ajouter à l’article additionnel 27, déjà admis au titre premier.

« Les pourvois en cassation contre des arrêts rendus dans les cas prévus par l’article 43 de la présente loi, seront jugés par la chambre civile, au nombre complet de neuf membres.

« En cas d’empêchement légitime d’un ou de plusieurs des membres dont elle se compose, cette chambre sera complétée par d’autres conseillers, à la désignation du premier président. » (Aux voix ! aux voix !)

- On met aux voix les deux articles, quatre ou cinq membres se lèvent pour. (La contre-épreuve ! la contre-épreuve !)

La contre épreuve est faite, il n’y a encore que quatre membres qui y prennent part.

M. le président. - On ne prend point part aux votes.

- Plusieurs voix. - On n’a pas compris.

M. le président. - Il s’agit des articles additionnels de M. Bourgeois que vous avez sous les yeux.

- Plusieurs voix.- Une nouvelle lecture !

M. le président. - Vous les avez sous les yeux, mais je vais les relire.

- Après la lecture, M. Bourgeois demande la parole.

M. Bourgeois. - Messieurs, en proposant les deux dispositions que vous venez d’entendre, mon but n’a pas été d’introduire une nouvelle jurisprudence, mais uniquement de faire que la cour de cassation puisse juger les questions d’état, sans qu’il y ait une espèce de contradiction dans la manière dont elle sera composée avec la manière dont seront composées les cours d’appel.

De ce que la cour de cassation n’est composée au grand complet que de 19 membres, il me paraît qu’il doit s’ensuivre que lorsque des questions d’état seront à juger, (et il s’en présente assez fréquemment, les prises à partie sont plus rares), la cour ne serait pas composée comme on doit le désirer. En effet, les questions d’état devant une cour d’appel, sont jugées d’après la loi existante, chambres réunies. Ce serait par onze conseillers. Il serait assez déraisonnable, sur le pourvoi contre un pareil arrêt, de voir la cour de cassation juger au nombre de 7 juges seulement.

D’un autre côté, si la cour de cassation jugeait sur le pourvoi, deux chambres réunies, chaque chambre étant composée de 7 conseillers, il en faudrait 15 pour rendre arrêt ; et si sur le renvoi de la cause il y avait un second pourvoi, la cour n’étant composée que de 19 membres, quand on la supposerait réunie au grand complet sans qu’aucun de ses membres fût absent ou malade, il n’en resterait que 4 qui n’auraient pas connu de l’affaire. C’est pour éviter cet inconvénient que mon amendement a été proposé.

M. Destouvelles. - Je remarque, messieurs, que l’honorable préopinant a proposé deux articles additionnels. Par le premier, il propose que la chambre qui jugera une question d’état soit composée de 7 membres, et par le second, que le pourvoi soit porté devant une chambre composée de 9 conseillers.

Il me semble qu’il y a là quelque chose qui n’est pas en harmonie avec la composition des chambres. Je demande qu’on retranche des articles le mot « complet, » car ce mot supposerait que les chambres des cours d’appel sont composées de 7 membres et celles de la cour de cassation de 9, tandis que l’intention de l’auteur des articles est de dire qu’il faudra dans un cas que l’affaire soit jugée par 7 conseillers et dans le second par 9, et cela indépendamment des membres dont chaque chambre est composée.

M. Bourgeois. - Si ce n’est que la suppression du mot « complet » qu’on demande, je ne m’y oppose pas.

M. Destouvelles. - Mon observation ne tombe que sur ce mot. (Aux voix ! aux voix !)

Les articles additionnels sont mis aux voix et rejetés.

M. le président. - Il n’y a plus rien à l’ordre de jour. Pour le vote définitif de la loi, on fera imprimer le projet primitif en regard de tous les amendements adoptés.

La séance est levée à 3 heures 1/2.


Noms des membres absents sans congé à la séance de ce jour : MM. Angillis, Barthélemy, Dams, de Foere, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Robaulx, Gelders, Goethals, Jaminé, Pirson, Van Innis, Watlet.