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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21
novembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Ordre des travaux de la chambre (budget de
l’Etat pour l’exercice 1833) (Mary)
3) Projet d’adresse en réponse au discours du
trône. Exécution du traité des 24 articles, intervention de l’armée française à
Anvers, système diplomatique suivi par le gouvernement (Osy,
Lebeau, Verdussen, Osy, Ullens, Nothomb,
(+instruction publique) Pirson, d’Hoffschmidt,
C. Rodenbach, de Robiano, de Brouckere, Goblet, Milcamps, Levae, (+garde civique) Desmet, de Nef, Deleeuw,
de Haerne, de Brouckere)
(Moniteur belge
n°325, du 22 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
Les tribunes publiques sont remplies d’auditeurs. A
midi et demi, il est procédé à l’appel nominal ; la séance est ensuite ouverte.
Le procès-verbal est lu ; la rédaction en est
approuvée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Les avoués près la cour de Bruxelles demandent à être
avoués près la cour de cassation ; leur pétition est renvoyée à la commission
spéciale.
ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. Mary demande la
parole pour une motion d’ordre. - Messieurs, dit-il, il y a déjà plus de huit
jours que la chambre est constituée ; je demanderai si M. le ministre des
finances n’est déterminé à nous présenter les budgets qu’après la discussion de
l’adresse. Nous pourrions nous occuper des chiffres du budget : pressés par le
temps, car nous n’avons plus qu’un mois d’ici au 1er janvier, il est urgent que
le ministre présente les lois de finances, afin que nous ne retombions pas dans
le provisoire.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Les budgets seront présentés, tant pour les voies
et moyens que pour les dépenses, demain ou après-demain.
Leur impression n’apportera aucun retard, car ils sont
déjà envoyés à l’impression.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
L’ordre du jour est la discussion du projet d’adresse
en réponse au discours de la couronne.
M. Osy a la parole.
Cet honorable membre s’exprime en ces termes. - Messieurs, dans les
circonstances graves où nous nous trouvons et où nous a placés un ministère qui
s’est entièrement écarté des vœux de la nation et des lois existantes, nous
sommes obligés de manifester hautement notre désapprobation du système suivi
par le gouvernement, et qui, d’après moi, aura pour la Belgique les conséquences
les plus graves ; et, les chambres n’ayant pas été convoquées à temps pour
arrêter une mesure qui est déjà un fait accompli, nous devons au moins faire
tous nos efforts, s’il en est encore temps, d’éviter l’accomplissement des
conséquences qu’aura l’entrée de l’armée française : je veux parler de
l’évacuation du territoire réciproque avant la signature du traité de paix qui
nous a été imposé, ce à quoi le ministère, par une imprévoyance qui n’a pas de
nom, a consenti à la suite d’une sommation faite par l’Angleterre et la France.
S. M. nous annonce que, les mesures coercitives par
mer n’ayant pas eu pour résultat l’évacuation du territoire belge, les troupes
françaises entrent en Belgique pour un commencement d’exécution du traité du 15
novembre ; mais, par le dernier paragraphe du discours du trône, on nous
prépare à la douloureuse séparation qui va avoir lieu avec nos frères du
Limbourg et du Luxembourg, sans nous dire que cette séparation aura lieu
immédiatement ; mais, par des communications qui nous ont été faites par M. le
ministre des affaires étrangères, nous voyons que cette remise a été consentie
aussitôt que nous aurions la citadelle d’Anvers, et même si elle n’était plus
qu’un tas de décombres ; ainsi contraire à l’article 24 du traité du 15 novembre,
qui nous impose seulement l’échange du territoire réciproque qu’après la
ratification du traité par les deux parties contractantes (la Belgique et la
Hollande). C’est ce consentement qui est non seulement une grande faute, mais
un crime politique que nous ne pouvons assez flétrir, et nous devons nous y
opposer pour éviter de bien plus grands malheurs, Jamais on n’a vu une
imprévoyance pareille, pour ne pas en dire plus ; et des hommes n’ayant aucune
notion d’affaires, mais ayant un peu de jugement, n’auraient pu consentir à
exposer ainsi le pays aux plus grands malheurs et difficultés.
Vous pensez bien, messieurs, que comme Anversois je
suis très affecté du malheur qui nous attend ; mais soyez persuadés que je ne vais
pas vous parler comme l’habitant d’une ville jadis si prospère, mais comme
loyal et franc député qui considère le bien-être entier du pays. Si, après la
prise de la citadelle, nous étions sûrs que la France et l’Angleterre
pourraient forcer la Hollande à signer le traité de paix, et que cette paix
serait la fin de tous nos malheurs, et que nous aurions l’assurance de quelque
prospérité pour l’avenir et la certitude que le traité sera franchement
exécuté, aucun Anversois pas plus que les autres Belges ne pourrait se plaindre
de la tournure que prennent nos affaires ; et nous, par notre situation
spéciale, nous devrions nous résigner à courir les chances de cette attaque et
nous borner à nous adresser au Tout-Puissant pour la conservation d’une ville
de 72,000 âmes. Soyez sûrs, messieurs, que tous mes concitoyens de toutes les
opinions pensent de même, et nous comprenons trop bien notre position envers
toute la Belgique pour ne pas vouloir souffrir avec résignation, si notre
malheur momentané pouvait contribuer au bonheur de tous ; mais aussi toute la
nation ne voudra pas notre malheur, et nos souffrances, comme nous le
démontrons, seront loin d’améliorer la situation du pays ; au contraire elles
aggraveront sa position et la forceront à de nouveaux sacrifices qui amèneront
le pays dans une telle situation que son indépendance sera impossible.
Voilà mes sentiments et ceux de tous mes concitoyens.
Pour bien comprendre notre situation actuelle, nous
devons prendre le traité fait et ratifié à Londres, le 22 octobre, entre la
France et l’Angleterre, ainsi que la sommation à La Haye et à Bruxelles, en
vertu de ce traité ; les réponses du roi Guillaume et de notre ministre des
affaires étrangères, et finalement la demande faite à S. M., en vertu de
l’article 3, pour l’entrée des troupes françaises.
En vertu de la sommation faite à la Hollande par les
cours de France et d’Angleterre, le roi Guillaume a répondu qu’il n’évacuerait
pas le territoire belge avant d’être d’accord avec nous sur son projet de
traité ; mais nous, qui ne possédons pas de territoire hollandais, mais avons à
céder deux demi-provinces belges pour quelques avantages commerciaux qui
restent inexécutés, nous nous empressons d’offrir l’évacuation de la rive
droite de la Meuse et Venloo, ainsi que la partie allemande du Luxembourg, sans
même être d’accord avec la Hollande pour ce territoire ; car on ne vous laisse
pas la partie française du Luxembourg en compensation de la rive droite de la
Meuse. Mais voyez tous les mémoires de la Hollande ; elle dit : le Limbourg
fait partie de mon ancien royaume ; ce n’est donc pas une cession que me fait
la Belgique : mais vous n’aurez le Luxembourg qu’avec le consentement des
agnats de la famille de Nassau et de la confédération, et il faut être bien
incrédule pour ne pas être persuadé qu’on ne vous laissera ce lambeau du
Luxembourg que moyennant nouvelle compensation, et cette compensation sera le
restant du Limbourg.
C’est dans une pareille situation des affaires que
notre ministère, plus qu’imprévoyant, consent à l’évacuation du territoire, et
fait même plus ; il appelle les Français qui, d’après le traité de Londres, ne
pouvaient pas entrer sans une demande nouvelle de S. M. le roi des Belges, pour
nous procurer quelques forts, et nous faire abandonner de suite deux
demi-provinces, 400,000 Belges, sans avoir la moindre sûreté de l’exécution de
l’autre partie du traité ; il reste à régler, comme je viens de vous le
dire, le territoire, la dette, le syndicat, la liberté de l’Escaut, et la
navigation de la Meuse et des eaux intérieures, et même la route commerciale
pour le Limbourg, et, en outre, la reconnaissance d’une Belgique indépendante.
Je sais que ce n’est rien pour M. Lebeau qui me disait, lors de mon amendement
après l’adoption des 24 articles, pour nous assurer en même temps la
reconnaissance du roi de Hollande, « qu’il s’en souciait peu. » Il le
prouve bien aujourd’hui en ne prenant aucune garantie pour l’avoir un jour ;
mais nous qui savons fort bien que, pour pouvoir exister, il nous faut la reconnaissance
de la Belgique et la renonciation de son ancien souverain, puisque sans cela
vous n’aurez naturellement jamais la moindre tranquillité et vous ne serez
jamais traités que comme des rebelles ; donc, pur obtenir cette reconnaissance
et renonciation, n’allez pas céder ce qui, dans les 24 articles, nous est le
plus onéreux, sans aucune garantie d’existence politique et d’avantages
commerciaux. Vous savez vu, messieurs, comment la confédération germanique a
reconnu le roi de la Grèce, parce que la Porte Ottomane a renoncé à la Grèce,
tandis que le roi de Hanovre et autres princes allemands ne veulent pas
reconnaître le roi des Belges, la Hollande n’ayant pas encore renoncé à la
Belgique.
Jamais une pareille imprévoyance ; et il me paraît
impossible que le ministère puisse se justifier ; l’article 5 du traité de
Londres est sa condamnation, puisqu’il dit qu’aussitôt Anvers évacué ou pris,
l’armée française s’engage, sans retard, de repasser les frontières, et la
sommation n’étant pas pour l’exécution du traité, mais pour l’évacuation des
territoires respective, nos soi-disant défenseurs se retireront chez eux, sans
n’avoir rien achevé, et au lieu d’avoir amélioré nos affaires, les auront non
seulement reculées, mais considérablement détériorées ; et je n’hésite pas de
dire que cette intervention, appelée par le ministère, est plus contre la
Belgique que contre Hollande, condamne notre armée à l’inaction et lui donnera
peu l’envie d’attendre avec patience le moment qu’elle sera licenciée, car une
guerre avec la Hollande étant, à ce qu’on nous dit, une cause de guerre
générale, ce sera toujours le cas, et ainsi nous prodiguerons notre or et
retenons sous les armes une armée disproportionnée à notre population pour
rester inactifs et voir agir les étrangers chez nous. C’est par trop humiliant,
et nous devons dans l’adresse exprimer notre indignation, et que l’armée sache
que les représentants de la nation, non seulement n’approuveront pas, mais
flétriront un ministère qui ne comprend pas mieux l’honneur national. Il me paraît
même, s’il y avait violation de notre territoire, que notre armée devra encore
rester inactive, puisque les troupes que nous avions sur les trois routes de
Hollande ont ainsi dû rentrer dans l’intérieur du pays, et qu’aujourd’hui les
frontières sont occupées par l’armée française ; il me paraît qu’au moins on
aurait dû avoir la confiance dans nos troupes, de couvrir les frontières.
Voilà pour l’armée et pour l’évacuation du territoire
; nous devons également nous y opposer de la manière la plus formelle et
protester contre cet engagement du ministère envers la France et l’Angleterre,
contraire au traité du 15 novembre, et qui ne peut pas nous lier. Nous nous
sommes engagés d’évacuer le territoire réciproquement 15 jours après la
signature et la ratification du traité, et si le ministère a été au-delà, il en
est responsable, mais ne peut pas nous lier. Si la responsabilité ministérielle
n’est pas un vain mot, j’espère bien qu’après l’adresse, et lorsque nous aurons
tâché de remédier à toutes les fautes, on la mettra en exécution, car si encore
cette fois-ci la responsabilité est une lettre morte, nous pourrons proclamer
qu’il n’y a plus de constitution, et que toutes vos libertés, que vous avez
acquises en sacrifiant bien des intérêts matériels, ne sont qu’illusoires et ne
dépendent que de la volonté d’un ministère plus ou moins habile.
Je vous ai démontré, messieurs, que l’évacuation du
territoire réciproque laisse toutes les autres questions indécises, et le
ministère français, s’il peut rester au pouvoir (et ne vous faites pas
illusion, l’expédition en Belgique n’a pas d’autre but), tâchera bien, d’ici à
peu de mois, de vous arracher des concessions, en venant se vanter d’avoir déjà
beaucoup fait pour nous et d’avoir même risqué la guerre générale ; et nous,
par lassitude et nouvelle complaisance, ayant encore la défense de nous battre,
d’être condamnés, de nouveau, à rester spectateurs et l’arme au bras, nous
préfèrerons faire quelques sacrifices (et le ministère vous y prépare) que de
permettre de voir un nouveau déshonneur pour notre armée, et peu à peu vous ne
verrez plus rien du traité du 15 novembre, et vous accepterez, à peu de chose
près, le projet de traité des 30 juin et 5 juillet, présenté par la Hollande.
Quand je dis nous, je parle de la majorité ; car,
étant persuadé que le traité du 15 novembre, pour nous laisser une existence,
ne permet plus la moindre modification, encore doit-il être exécuté avec
franchise et sans interprétation, entre autres la liberté absolue de l’Escaut,
sans droits ni visites, ce qui nous est accordé par l’article 3 du congrès de
Vienne. Vous devez donc être persuadés que de moi on ne pourra plus arracher la
moindre concession, ne voulant pas, messieurs, comme je vous l’ai dit souvent,
une indépendance quand même. Mais si nous ne réussissons pas à flétrir le
système actuel du ministère et arrêter le char sur le précipice où des mains
inhabiles l’ont conduit, notre avenir se trouvera tout tracé, pays malheureux
et déshonoré ; et vous sentez qu’il ne pourra pas exister longtemps, et que
l’on demandera la restauration ou le partage. Voilà ce qui vous est préparé ;
et fallait-il, pour jouir d’une indépendance idéale pendant quelques années,
rendre un pays si malheureux et déconsidéré pour revenir au point d’où vous
êtes partis ?
Non, messieurs ; je suis sûr que nous serons unanimes
pour désapprouver sans retard le système du ministère, et voir s’il est encore
temps de sauver le pays, en nous refusant à la cession du territoire avant la
signature du traité. Ce serait faire injure à la chambre que de supposer que
nous n’approuvons pas au fond le projet d’adresse proposé, et même il est plus
que temps que nous portions nos plaintes de désapprobation au pied du trône, et
voir sans retard s’il y a encore un moyen de sauver le pays.
Il me reste, messieurs, à vous observer que le même
ministre qui a fait tous ses efforts, en juin 1831, pour nous faire accepter
les articles, dont nous sommes déjà bien éloignés, nous disait que sans le
Luxembourg le roi ne régnerait pas six mois en Belgique, et que c’est
maintenant le même ministre, contrairement aux lois existantes, qui s’empresse,
à ce qu’il me paraît, pour être agréable à ses confrères les ministres
doctrinaires à Paris, ne pouvant trouver une autre justification, à nous faire
abandonner nos frères luxembourgeois sans être certain de nous faire obtenir
les compensations de ce douloureux sacrifice. En dirigeant ainsi les affaires
publiques, nous pourrons bien lui assurer qu’il aura prophétisé juste.
La citadelle prise ou rendue, il faut donc que l’armée
française se retire et rentre sans retard en France. MM. les ministres croiront
avoir remporté une grande victoire, et moi je la regarderai comme le
commencement de nouveaux malheurs. Car la Hollande commencera à exécuter son
projet de traité du 30 juin, et imposera ainsi des droits et des visites sur
l’Escaut ; la Meuse restera fermée, et pour tâcher de lever toutes ces
difficultés, la fabrique des protocoles recommencera ; vous garderez une armée
qui épuisera le pays, et tous les hommes d’honneur tant civils que militaires
préféreront rentrer dans la vie privée, plutôt que de voir l’armée déshonorée
ou méconnue pour une seconde fois ; et alors après de longues négociations, on
vous dira que la France ne peut pas s’exposer de nouveau pour quelques détails
(notre existence) à une guerre générale, que le ministère anglais a eu de la
peine à se soutenir en se mettant en hostilité avec ses plus anciens alliés ;
on vous défendra de vous battre, on rappellera peut-être même les officiers
français, et ainsi on vous préparera à toutes les exigences de la Hollande, qui
seront soutenues plus chaudement que jamais par les puissances du Nord ; et les
cinq puissances craignent la résistance à l’union de la nation hollandaise,
tandis que les Belges seront méprisés, lorsqu’on voit qu’une nation de quatre
millions, pour se défendre contre deux millions, doit pour la seconde fois
appeler ses voisins à son secours ; mais qu’on sache bien que la nation n’y est
pour rien et que le déshonneur retombe seul sur le gouvernement.
D’après le 65ème protocole, la France et l’Angleterre
avaient déjà consenti à un droit sur l’Escaut, ce qui d’après une brochure que
j’ai pris la liberté de vous faire distribuer était l’équivalent de la
fermeture de l’Escaut ; or, avec l’effet que cette proposition a produit sur le
public, l’on a dû pour le moment abandonner les protocoles et occuper le monde
d’une promenade militaire qu’on veut nous faire croire être dans nos intérêts
et que je trouve dans ceux de la Hollande. Une fois la flotte et l’armée
rentrées chez elles, on vous parlera de la grande reconnaissance que nous avons
pour nos alliés, et nous ne réussissons à démontrer à S. M. l’abîme où nous
conduit le ministère actuel, nous allons nous préparer une série de malheurs
qui finira, comme je vous le disais, par rendre notre existence impossible.
Je ne me dissimule pas que si nous adoptions le projet
d’adresse de la commission, nous forcerons le ministère de se retirer, et ce
sera un événement grave dans ces circonstances, mais qui sera nécessaire pour
prévenir de grands malheurs ; mais n’ayons pas d’inquiétudes, S. M. trouvera
bien dans la nation des hommes qui comprendront mieux l’honneur national, et,
tout en se tenant à la constitution et aux lois, agiront d’une manière conforme
aux intérêts du pays. Je ne redoute donc pas la chute du ministère, mais je
déplorerais si on conservait au pouvoir des hommes qui ont ainsi pu méconnaître
les intérêts du pays.
J’ai suivi avec attention tous les débats de l’autre
chambre, et j’ai entendu dire à M. le ministre de la justice qu’il n’était que
le continuateur du système de l’ancien ministère, et que pour base de leur
conduite ils avaient suivi les vœux exprimés par l’adresse du sénat.
Je doute que l’ancien ministère ait consenti à
l’entrée de l’armée française, seulement pour l’évacuation du territoire, sans
garantie de l’exécution entière du traité ; et les deux chambres, en demandant
l’évacuation du territoire belge avant de nouvelles négociations, n’ont pu
entendre que la remise d’Anvers et de ses forts, et non le territoire belge à
céder à la Hollande, car cette cession n’est qu’en compensation d’autres
avantages que la Hollande ne veut pas nous accorder, et qui sont même contenus
dans les ratifications russes. Si donc le ministère n’a pas d’autres moyens de
défense, je trouve qu’il s’accuse lui-même.
M, le ministre des affaires étrangères, à la fin de
son rapport, nous demande une résolution franche et nette sur le système du
nouveau ministère ; je crois lui avoir exprimé mon opinion sans détours, et en
adoptant le projet d’adresse, je me flatte que nous exprimerons l’opinion de la
nation sur un système qui nous menait droit à notre perte ; et sans être
certains de pouvoir encore redresser le mal fait, il faut seulement se hâter de
protester contre la lettre adressée le 2 novembre à l’envoyé de France, qui
consent à remettre à la Hollande les deux dernières provinces, et refuser
jusqu’à l’exécution entière du traité, le tout en vertu de l’article 24 du
traité du 15 novembre.
Je crois donc que si nous
avions été consultés sur l’entrée de l’armée française qui était facultative à
S. M. d’après le traité de Londres, cette entrée n’aurait pas eu lieu :
maintenant qu’Anvers se trouve investi, nous devons tâcher d’éviter qu’il
arrive à cette ville, qui est la bourse de la prospérité de toute la Belgique,
le moins de mal possible, et je ne doute pas que si le gouvernement permet
seulement l’attaque de la citadelle par l’extérieur, la défense expresse de
l’entrée de l’armée française en ville, nous pourrons encore éviter de très
grands malheurs.
Je forme des vœux que le gouvernement ne change pas
d’opinion et tâche d’obtenir la neutralité de la ville. Quelques paroles
officielles ici de la part du gouvernement rassureraient beaucoup le peu de
personnes qui n’ont pas encore fui une ville entourée de si grands dangers,
sans compensation d’un avenir prospère.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je ne me propose pas, quant à présent,
d’entrer dans la discussion générale ; mais je ne peux laisser sans réponse une
attaque dirigée contre moi par l’honorable préopinant. Je dirai auparavant, et
sur ce point je suis tout à fait de son opinion, que la question ministérielle
est ici de peu d’importance, et personne dans cette chambre ne professe sur
cette question, tout individuelle, une plus profonde indifférence que
nous-mêmes. Qu’on se le tienne donc pour dit ; si, dans cette discussion, nous
sommes appelés à nous défendre, nous le ferons sans avoir égard à la question personnelle.
La question personnelle est indigne de figurer dans des débats d’une si haute
importance.
L’honorable préopinant a exprimé des craintes bien
vives contre une restauration qu’il déclare imminente ; il a dit que le système
du ministère y conduisait tout droit. Messieurs, j’ai donné, de ma haine pour
la restauration, des gages tout aussi éclatants au moins que l’honorable
préopinant. La restauration serait terrible pour moi : sa première conséquence
serait pour moi un long exil, tandis que le préopinant trouverait peut-être
dans ses antécédents le moyen de pactiser avec elle. (Assentiment. Hilarité sur quelques bancs.)
Messieurs, il semble, en rapprochant ce qui s’est
passé dans la discussion des 18 articles, de la discussion des 24 articles, il
semble qu’on veuille insinuer que j’aurais lâchement posé, dans les 18
articles, le principe d’un abandon, que j’aurais non moins lâchement consommé
lors de l’acceptation des 24 articles. Non, messieurs, telle ne fut ni ma
conduite, ni ma pensée. J’ai dit, et je ne reculerai jamais devant la
responsabilité de mes paroles, que l’abandon du Luxembourg compromettrait
gravement la popularité du prince.
Mais qu’ai-je voulu dire par ces paroles ? J’ai voulu
dire l’abandon volontaire (murmures
bruyants) : oui, messieurs, l’abandon volontaire et qui ne serait pas le
résultat d’une inexorable nécessité. (Nouveaux
murmures.) Oui, je l’ai dit ainsi, et la chambre l’a compris comme moi, et
ceux qui ont accepté les 24 articles, après avoir répudié les 18, n’ont pu le
comprendre autrement.
Entre l’acceptation des 18 articles et celle des 24,
pouvez-vous méconnaître qu’un fait est venu se placer, et qu’il a changé
complètement notre situation ?
Pour la Belgique la campagne du mois d’août a été ce
que fut pour la France le désastre de Waterloo ; et, pour comparer les petites
choses aux grandes, je rappellerai que Napoléon lui-même, acceptant comme une
nécessité les faits accomplis, n’a pas craint, dans les Cent Jours, de faire
proposer aux puissances de l’Europe l’acceptation des traités de 1815. C’est
aussi par la nécessité que se justifie l’acceptation du traité du 15 novembre.
Voilà comme il faut juger la
conduite que j’ai tenue ; non pas avec les passions du jour, mais avec le calme
et l’impartialité de l’avenir, auquel je fais appel et dont je ne redoute pas
l’arrêt.
Oui, lors des 24 articles, je me suis soumis à
l’empire de la nécessité, et cependant le sacrifice qui nous fut imposé a été
si pénible pour moi, que je n’eus pas le courage de dire un seul mot dans la
discussion, en faveur de l’œuvre de la conférence.
Voilà ce que j’avais à dire en réponse au préopinant.
Que si vous soutenez que l’abandon du Luxembourg fut spontané, ce n’est pas moi
seulement que vous blâmez, c’est la majorité qui l’a consenti ; et certes la majorité
n’a à redouter ni vos accusations, ni le jugement du pays.
M. Verdussen.
- Je n’entrerai pas non plus, messieurs, dans la discussion générale, et je ne
me propose pas non plus de réfuter les arguments contenus dans son discours. Je
répondrai seulement à ce que je peux regarder comme personnel.
Il est échappé à M. Osy de dire que tous les
Anversois, de quelque couleur qu’ils fussent, partageaient l’opinion qu’il
vient d’émettre. J’ignore de quelle couleur est M. Osy (on rit) ; quant à moi ma couleur est toute patriotique, toute
belge, et s’il m’avait consulté avant de parler, il n’aurait pas dit que je
partageais ses opinions. Si le préopinant a voulu dire que tous les Anversois
sacrifieraient volontiers leur ville et la saccager sans regret, si le
sacrifice était nécessaire au salut du pays, il a dit vrai ; mais s’il n’a
parlé que d’après l’opinion des personnes qui l’entourent, et celles qu’il
hante... (Murmures.)
Plusieurs voix. - L’ordre du jour ! l’ordre du jour !
M. le président.
- Je crois, messieurs, que la discussion sera assez longue, pour qu’il ne
faille pas perdre notre temps à des débats inutiles et à des questions
personnelles.
M. Verdussen.
- Je dirai donc en deux mots que l’opinion de M. Osy n’est pas celle de tous
les Anversois. (Assez ! assez ! L’ordre
du jour !)
M. Osy.
- Je demande la parole. (L’ordre du jour
! l’ordre du jour.)
M. Gendebien.
- Ce n’est pas la peine de répondre.
M. Osy. - Je dois
répondre un mot à M. Verdussen. J’ai dit que tous les Anversois seraient prêts
à faire tous les sacrifices, s’ils voyaient que le pays dût en retirer quelque
avantage ; mais j’ai prouvé que ce n’était pas ici le cas, et je ne prétends
pas dire que M. Verdussen partage mes opinions sur d’autres points.
M. Ullens. - Messieurs, d’autres membres de cette assemblée se
proposent de discuter longuement la réponse au discours du Roi soumis à votre
délibération. Telle n’est pas ma pensée. Si je demande la parole pour quelques
instants, c’est pour remplir une lacune qui me paraît exister dans le projet
qui nous occupe. Le sénat dans son adresse a cru devoir recommander à la
sollicitude royale Anvers, une des villes les plus importantes du royaume. Dans
ce qu’on nous propose, il n’est rien de semblable, formulé explicitement. Pour
ce qui me regarde, je suis convaincu que la chambre des représentants, dans
cette conjoncture difficile, sentira sans peine combien il importe aux
Anversois que le pays tout entier s’intéresse à leur position. C’est dans ces
vues que je déposerai un amendement, afin qu’il plaise à toute la
représentation nationale d’exprimer au Roi qu’elle aime à croire que S. M. a
pris toutes les précautions qui sont en son pouvoir, afin qu’une cité déjà
frappée sous tant de rapports des fléaux de la guerre n’ait pas à souffrir
davantage des mesures jugées nécessaires pour l’évacuation du territoire.
M. Nothomb.
- Messieurs, il m’a fallu livrer bien des combats à moi-même, pour me résoudre
à prendre part à ces graves et décisifs débats ; mais, arrivé à la limite
extrême de la ligne que j’ai suivie, il y avait de ma part inconséquence et
faiblesse à garder le silence. Je sais quels sont les difficultés et les périls
d’une discussion que la défaveur précède, et qui n’attend point sa récompense
de l’opinion et des passions du jour ; mais, l’œil fixé sur l’avenir, qui ne
nous manquera pas, nous devons la vérité à nos concitoyens, cette vérité
fût-elle triste et désespérante. Ce qui se passe aujourd’hui n’est ni un
accident qui puisse me surprendre, ni une erreur que je doive désavouer ; c’est
un événement longtemps attendu, c’est la conséquence de prémisses que vous avez
tous pesées, et auxquelles vous avez donné la plus éclatante notoriété. Si la
question qui nous occupe était une question de sentiment, je me bornerais à
donner un libre cours à mes regrets ; je vous dirais que le spectacle du
déchirement de deux provinces ne s’offre pas pour la première fois à ma pensée,
que depuis un an il ne cesse d’attrister mon imagination, et que, quelque
nombreuses que puissent être les années que le ciel me destine, aucune n’aura
été pour moi plus douloureuse. Je ne veux donc pas m’ériger en apologiste d’un
traité que, comme Luxembourgeois, je n’ai pu accepter ; je me demande
seulement, en partant du point de départ que vous avez admis, quelle est la
position légale de la Belgique. C’est là une question de raison : il s’agit de
savoir si la Belgique doit conserver la position qu’une loi de l’Etat, d’accord
avec la loi de l’Europe, lui a assignée. Si elle quitte cette position, elle
cesse d’être constituée pour l’Europe ; et la Belgique cessant d’être
constituée, l’Europe elle-même perd une de ses bases, et retombe avec nous dans
le chaos révolutionnaire.
Si nous pouvions réputer non avenu ce qui s’est fait
depuis deux ans, nous reporter au lendemain des journées de septembre, nous
supposer en face de l’Europe, sans engagement comme alors, et avec une année
comme aujourd’hui, je n’hésiterais probablement pas à déclarer qu’il faut
imprimer à la révolution belge une tout autre direction que celle qu’elle a
suivie, et je repousserais avec indignation tout secours étranger qui nous
serait offert pour affranchir notre territoire ; mais il faut que le pays le
sache, il faut que nous ayons le courage de le lui dire, telle n’est pas, telle
n’a malheureusement jamais été notre situation. En octobre 1830, nous étions
libres de tout engagement, mais nous n’avions pas d’armée ; en novembre 1832,
nous avons une armée belle et nombreuse, mais il est survenu des engagements
que nous avons acceptés ou subis, et qu’il est impossible de violer, sous peine
de voir sortir de cette violation des maux incalculables.
Je ne l’ignorais pas, messieurs : il est un jour plus
triste que celui où l’arrêt de condamnation se prononce, c’est celui où il
s’exécute. Nous avons joui du bénéfice d’un sursis ; une sentence de mort plane
depuis un an sur une partie de nos populations. Cette sentence, ce n’est pas
vous qui l’avez rendue, c’est une autorité supérieure à la vôtre.
Vous n’êtes que la représentation de la Belgique ; et
la représentation, informe, si vous voulez, mais toute puissante, de l’Europe,
a dominé vos volontés et vos sympathies. Vous n’avez fait qu’enregistrer
l’acte. Je vous disais alors quelles étaient les causes d’un ordre supérieur
qui ne vous permettaient pas de décliner la compétence de l’Europe, qui vous
défendaient de vous rebeller contre les puissances, et de repousser la loi
qu’elles nous dictaient. Ceux qui ne croyaient pas que l’Europe pût être
représentée et avoir une volonté, doivent être détrompés, témoins qu’ils sont
d’un événement qui prouve que, pour certaines questions, la souveraineté
individuelle de chaque peuple est subordonnée à la souveraineté collective de
tous.
En signant le traité du 15 novembre, vous avez accepté
la garantie des puissances, vous l’avez acceptée comme un droit à la fois et
comme une obligation comme un droit, en ce sens que les puissances se sont
chargées de vous procurer l’exécution du traité ; comme une obligation, en ce
sens que vous vous êtes interdit jusqu’à un certain point la faculté d’exécuter
le traité par vous-mêmes.
Tous les débats du jour se résument donc dans cette
simple proposition.
La question de paix oui de guerre, messieurs, que nous
avons si souvent agitée, se reproduit aujourd’hui, nouvelle dans la forme, mais
ancienne pour le fond. Le 21 novembre 1830, nous nous sommes interdit toute
guerre agressive et de conquête contre la Hollande faut-il sortir de cette voie
ou y rester ?
Si vous sortez de cette voie, ce ne peut être que pour
exécuter le traité ou pour le détruire.
Si vous faites la guerre à la Hollande pour amener
l’évacuation territoriale qui, de sa nature, est réciproque, vous tombez dans
une inconséquence. Pourquoi vous charger d’une mission qui ne peut être la
vôtre ? Que l’on fasse exécuter, par ses propres moyens, un acte qu’on a
librement accepté, je le conçois ; mais c’est porter ses armes sur soi-même que
de faire exécuter un acte qui subit et qu’on n’accepte point. Le traité du 15
novembre est pour nous un acte de violence, il faut qu’il reste fidèle à son
principe. Vous avez eu soin d’exprimer, dans la loi par laquelle vous autorisez
le gouvernement à souscrire aux 24 articles, que ces articles sont imposés à la
Belgique ; vous avez inscrit ces mots dans le préambule de la loi, parce que
vous vouliez que l’on sût que vous n’êtes pour rien dans un acte qui doit être
un attentat à nos yeux ; vous avez dit : « Nous ne sommes pas
libre, » et par ces mots vous êtes absous devant la génération présente et
la génération future. Et aujourd’hui, vous convertiriez, en un acte spontané et
personnel, ce qui n’est qu’un acte forcé et extérieur ! Vous iriez vous
approprier cet acte, le faire vôtre ! Non, messieurs, déclinez-en la
responsabilité devant Dieu et devant les hommes ; ne dépouillez pas votre cause
de sa moralité ; que l’œuvre de l’étranger s’achève par l’étranger ; vous
seriez coupables le jour où vous cesseriez d’agir forcément.
La Belgique ne pouvait donc faire exécuter par
elle-même le traité en ce qui concerne les arrangements territoriaux ; elle
n’aurait pu entreprendre une guerre agressive contre la Hollande que pour
détruire le traité.
Mais alors vous auriez jeté le gant à l’Europe. Otez
le traité du 15 novembre, et il n’y a plus rien de commun entre vous et les
autres peuples, entre votre roi et les autres rois. Vous ne serez plus qu’un
rassemblement numérique d’individus, nouvelle sorte de parias dans la société
européenne. Les relations civiles et commerciales que vous avez si heureusement
reprises, seront suspendues : votre pavillon cessera d’être inviolable, et vous
ne pourrez voyager qu’en cachant le nom de votre patrie. Tout sera à refaire ;
la Belgique sera de nouveau jetée palpitante, incertaine, au milieu de
l’Europe. On vous empêcherait, d’ailleurs, de faire une guerre de conquête à la
Hollande, et, si on vous laissait faire, vous vous retrouveriez, même après la
victoire, en présence de l’Europe qui ne serait pas vaincue, et en présence des
arrangements territoriaux qu’elle vous impose dans son intérêt.
Bon ou mauvais, le traité est donc notre titre à
l’existence ; et gardez-vous d’arracher cette feuille du registre de
l’état-civil des peuples.
Il y avait, messieurs, entre l’exécution du traité et
sa destruction, un milieu : c’était le statu quo à la suite de la
reconnaissance de toutes les cours, le statu quo que peut-être on préconisera
maintenant, mais que personne, que je sache, n’a proposé. A mes yeux, au traité
se rattachent des effets moraux et des effets matériels : les effets moraux, ou
l’exécution morale, consistent dans la reconnaissance de la Belgique et de son
roi ; les effets matériels, ou l’exécution matérielle, consistent dans la
fixation des limites, de la quote-part de la dette et des droits de navigation.
Le statu quo est une question toute neuve, messieurs ; personne ne peut se
vanter de l’avoir traitée, du moins dans les débats publics. Ce que j’appelle
l’exécution morale du traité pouvait me suffire à moi ; reconnus par l’Europe,
nous aurions pu essayer d’un état de choses qui, d’une part, nous privait de la
citadelle d’Anvers, mais qui, d’autre part, nous conservait le Luxembourg en
entier, la rive droite de la Meuse, qui assimilait l’Escaut à la pleine mer, et
qui nous permettait de ne pas payer nos dettes. Cette situation était sans
doute précaire, mais si les esprits avaient été sages, ils auraient pu s’y
habituer. Dans cette hypothèse, la véritable question à l’ordre du jour eût été
la navigation de la Meuse : il aurait fallu obtenir l’ouverture de cette
rivière, réduire les armements, faire déclarer la Hollande déchue des arrérages
de la dette ; le statu quo, à part l’idée d’incertitude, devenait très
tolérable. Mais, je le répète, personne n’en a voulu ; l’impatience publique
s’y est refusée, et la chambre a, sous ce rapport, donné l’exemple au pays.
Ainsi, messieurs, nous ne pouvions entreprendre ni
d’exécuter le traité par nous-mêmes, ni de le détruire ; et personne ne voulant
du statu quo, il fallait bien en venir à l’exécution par les puissances.
C’est ce que le pays a exigé ; c’est ce que les
orateurs de toutes les opinions ont réclamé dans l’une et l’autre chambre ; c’est
ce que les deux grands corps de l’Etat ont demandé dans les adresses du mois de
mai ; et c’est ce qui se fait aujourd’hui, dans la limite des actes que nous
avons acceptés.
Je n’irai pas, messieurs, consulter les nombreuses
discussions politiques qui ont signalé le cours de la dernière session ; j’en
appelle aux souvenirs de chacun de vous : je me borne à déclarer que je
n’excepte personne.
Et ceux qui ont été les adversaires du système
diplomatique ont trop de loyauté pour s’exposer aux reproches d’avoir demandé
l’exécution du traité, quand cette exécution paraissait incertaine, et pour la
répudier aujourd’hui qu’elle est sur le point de s’accomplir. Je leur dirais :
ou vous avez eu tort de demander cette exécution et vous avez tort de la blâmer
aujourd’hui. Choisissez.
Mais, dira-t-on, on n’a pas entendu l’exécution telle
qu’elle se pratique maintenant ; on voulait une exécution immédiate, pleine et
entière, et accompagnée de tous les avantages résultant du traité.
Je réponds, en premier lieu, que l’exécution ne peut
être que partielle pour deux motifs : le premier, que trois articles du traité
sont sujets à de nouvelles négociations, suite des réserves que nous avons
acceptées ; le second, que, n’y eût-il pas de réserves, plusieurs articles, par
la nature des objets qu’ils règlent et l’insuffisance des développements qu’ils
renferment, ne sont susceptibles d’exécution qu’après une nouvelle négociation.
C’est ainsi que l’exécution a toujours été entendue.
Je lis dans le fameux projet de note du 11 mai, qui a
été, en quelque sorte, le thème, le programme du gouvernement et des chambres,
et que depuis on n’a fait que développer dans les adresses et les notes
officielles :
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres
de dispositions : les uns, à l’abri de toute contestation sérieuse, et
susceptibles d’une exécution immédiate ; les autres, sujettes à de nouvelles
négociations pour devenir susceptibles d’exécution. Si le Roi des Belges
pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ce dernier point, ce
ne pourrait être qu’après que le traité aurait reçu un commencement d’exécution
dans toutes les parties à l’abri de controverse. »
Je reconnais en second lieu que cette exécution
partielle doit être accompagnée de tous les droits et avantages attachés à
cette partie du traité. A savoir : pour les populations qui se séparent de
nous, toutes les garanties dues aux personnes et aux biens ; pour la Belgique
même, le transit libre vers l’Allemagne, la navigation de la Meuse et la
sanction de l’échange d’une partie du Luxembourg contre une partie du Limbourg.
Il est évident que la Hollande ne peut devenir propriétaire de la rive droite
de la Meuse qu’en reconnaissant les servitudes de droit public dont cette propriété
est désormais grevée.
J’ajouterai, sous ce second rapport, que l’évacuation
a été toujours comprise dans ce sens ; il ne peut être entré dans l’esprit de
personne d’abandonner, sans précaution, ces malheureuses contrées comme un
terrain vague ; cette pensée serait aussi folle que criminelle. J’adopte donc
pleinement l’idée que me semble exprimer le paragraphe 4 du projet d’adresse ;
mais la rédaction m’en paraît défectueuse. Je proposerais de dire simplement
que l’évacuation n’aura lieu de notre part que « sur la garantie
suffisante que la Belgique, et les populations qui se séparent d’elle, jouiront
de tous les droits et avantages qui résultent du traité. » L’abandon d’une
ville, d’un territoire quelconque ne se fait jamais sans un acte intermédiaire
entre le traité qui l’ordonne et l’exécution, que cet abandon soit suivie de la
remise immédiate entre les mains du nouveau propriétaire, ou d’un séquestre
entre des mains tierces.
Le projet d’adresse, en exigeant l’adhésion de la
Hollande au traité avant toute évacuation, condamne d’ailleurs le système de
l’évacuation préalable, système sanctionné par la majorité, et qui se réalise
aujourd’hui après une déviation passagère ; car interdire toute négociation
préalable, et exiger l’adhésion préalable en termes exprès, serait demander
deux choses contradictoires. Et vous ne donnerez pas l’exemple de cette
anarchie parlementaire.
Je dis, messieurs, que le système adopté par les deux
chambres se réalise aujourd’hui ; il me sera facile de le prouver.
Les ratifications des cinq cours n’étant pas toutes
pures et simples, deux genres de négociations devenaient possibles.
Il pouvait entrer dans les vues de la conférence de se
prévaloir des réserves pour se saisir de nouveau de la question belge, et la
trancher par un nouvel arbitrage forcé.
La Hollande pouvait également se prévaloir des
réserves pour exiger que le traité fût modifié en sa faveur, dans une
négociation directe.
Il y avait donc dans les réserves les germes d’un
nouvel arbitrage exercé par la conférence, ou d’un arrangement direct et
préalable avec la Hollande.
Il fallait immédiatement trouver un point d’arrêt ; et
le principe de l’évacuation préalable fut posé.
Après deux mois de tentatives de tout genre, la
conférence reconnut qu’elle ne pouvait se constituer de nouveau arbitre, et son
action était épuisée, que le traité était complet et irrévocable à l’égard de
chacune des cours, qu’il restait un traité direct à conclure entre la Hollande
et la Belgique, que les réserves ne pouvaient influer que sur ce dernier
traité.
La Hollande parut alors se montrer disposée à conclure
ce traité direct.
La Belgique, après avoir pris acte de l’espèce de
désistement de la conférence, refusa de négocier avec la Hollande.
Les deux parties restèrent ainsi en présence pendant
deux mois.
Si les réserves n’eussent pas existé, le traité à
intervenir entre la Belgique et la
Hollande n’eût été que la reproduction littérale du traité conclu avec chacune
des cinq cours ; par l’effet des réserves, la Hollande avait acquis le droit de
soumettre quelques parties du traité du 15 novembre à une négociation
secondaire.
La Hollande offrant de négocier directement, en vertu
des réserves, on ne pouvait employer contre elle les mesures coercitives ; il
fallait donc faire droit à son offre, soit pour parvenir à un arrangement à
l’amiable, soit pour prouver qu’aucun arrangement de ce genre n’était possible.
La négociation directe offrait donc une double
hypothèse : l’arrangement à l’amiable était très improbable ; l’hypothèse
contraire a le moins frappé le vulgaire, et c’est sur celle-là que l’homme
politique devait compter.
L’impossibilité d’un arrangement à l’amiable, même
dans le sens des réserves, venant à être établie par un fait incontestable,
l’intervalle qui nous séparait encore de la nécessité des mesures coercitives
était franchi, et dès lors, après avoir fait une espèce de circuit pour
détruire un obstacle, nous pouvions rentrer dans le système précédent, et
renouveler, avec une certitude de succès, la demande de l’évacuation préalable.
C’est là, messieurs, en peu de mots, l’histoire de la
diplomatie belge depuis le mois de mai ; je n’ai pas méconnu l’influence des
réserves ; j’ai, dans le temps, fait connaître mes prévisions à cet égard, et
l’événement ne m’a pas démenti. Si le ministère actuel a le mérite d’avoir, par
une tactique très hardie, amené l’évacuation territoriale, le ministère
précédent a celui d’avoir, en se renfermant dans une position négative, prévenu
un nouvel arbitrage de la conférence. Les réserves ont été neutralisées dans
leurs effets, et elles ne subsistent plus qu’en ce sens qu’après l’évacuation
du sol, une nouvelle négociation directe sera nécessaire, négociation que
d’ailleurs la rédaction incomplète de quelques articles du traité eût exigée
sous plusieurs rapports.
Messieurs, j’ai recueilli avec reconnaissance les
paroles conciliantes que le Roi a prononcées pour exprimer ses regrets de ce
que la Belgique n’a pu être adoptée tout entière par l’Europe ; le motif qui
vous avait engagés à ajourner la proposition que je vous ai faite, il y a un
an, est malheureusement sur le point de cesser, et je m’empresserai de remplir
un douloureux devoir en la renouvelant.
Comme Luxembourgeois, je déplore le démembrement de ma
province ; pour conserver l’intégrité du territoire, j’aurais même voulu qu’on
essuyât de systématiser le statu quo ; comme Belge, je déplore l’intervention
étrangère ; mais ma pensée resterait incomplète, si, m’élevant au-dessus des
intérêts de province et de patrie, je ne vous exprimais comme homme mon opinion
sur le grand spectacle auquel nous assistons. Ce n’est pas un incident vulgaire
qui passe, sans avoir le droit de fixer l’attention publique et d’occuper une
place dans la mémoire des hommes ; c’est un événement qui fait époque.
On nous a beaucoup entretenus
depuis deux ans des deux principes qui divisent l’Europe ; nous n’avons pas nié
l’existence de ces principes ; on a provoqué le renouvellement d’une lutte
sanglante ; nous n’avons pas désespéré du succès d’une lutte pacifique
semblable à celle que se livrent tous les principes contraires dans le sein des
assemblées représentatives ; et la conférence de Londres a été pour nous cette
assemblée. La victoire est restée au principe que représentent spécialement la
France et l’Angleterre ; c’est là le fait le plus remarquable depuis la
révolution de juillet. C’est le fait qui consacre la suprématie de la
civilisation de l’occident de l’Europe. Des congrès s’étaient réunis à Laybach
et à Vérone pour détruire des révolutions ; il nous était réservé de voir des congrès
se former pour inaugurer en quelque sorte une révolution. Vu de cette hauteur,
l’événement qui s’accomplit sous nos yeux est bien remarquable ; on fera
l’impossible pour l’amoindrir, mais il grandira dans l’avenir. Acceptée par
l’Europe, associée à deux grands peuples, la Belgique jouira de son
indépendance, et lorsqu’elle ne sera plus une nouveauté pour les autres et pour
elle-même, elle obtiendra peut-être ce qu’on lui refuse aujourd’hui.
- M. Donny, député d’Ostende, admis dans une séance
précédente, est introduit dans la salle et prête serment.
M. Pirson.
- Messieurs, c’est la première fois que je parle sur un discours royal à
l’ouverture d’une session ; permettez-moi donc quelques réflexions
préliminaires et courtes.
C’est dans les fastes de la monarchie semi-absolue que
d’abord des ministres soi-disant constitutionnels ont été chercher l’usage des
séances royales. Ils voulaient, comme ils veulent toujours, échapper à la
responsabilité, en se couvrant du manteau royal. Mais les représentants du
peuple ont déjoué cette ruse, en ne considérant les paroles du trône que comme
l’expression, comme elles le sont en effet, de la pensée du ministère. C’est
aujourd’hui chose convenue en Angleterre, en France et en Belgique.
Cependant ce désordre et ce déplacement de la parole
sortant d’une bouche auguste, inspirée qu’elle est quelquefois par l’astuce et
la perfidie ministérielle, pourraient bien contribuer à détruire dans
l’imagination des masses, qui ne raisonnent pas, cette heureuse fiction, ou
plutôt cette belle maxime, sauvegarde de la monarchie constitutionnelle :
« le roi ne peut jamais, les ministres seuls peuvent faillir ; seuls ils
sont responsables. »
En effet, comment faire croire à ces masses que celui
qui, dans un discours solennel, semble assumer sur sa tête tout le poids de
mesures gouvernementales qui leur sont parfois bien nuisibles, n’est point
auteur de ces mesures ? Aussi avons-nous vu plus d’une fois de nos jours le
peuple confondre dans sa colère et rois et ministres.
Les réflexions que je fais pourraient être développées
plus longuement, mais je les abandonne à des publicistes meilleurs observateurs
que moi. Quoi qu’il en soit, notre constitution ne faisant aucune mention de
séance royale, j’aurais désiré que cet usage disparût et fût remplacé par un
compte moral, financier et politique qu’aurait rendus le ministère à
l’ouverture de la session. Tous les pouvoirs, tous les personnages eussent
ainsi resté dans la réalité de leur position ; le trône et la liberté ne
pouvaient qu’y gagner.
J’aborde le discours d’ouverture. Il n’est point, à
beaucoup près, satisfaisant en tous points.
En effet, il ne suffit pas que des fait importants
pour l’avenir du pays se soient accomplis depuis quatre mois ; que la Belgique
soit reconnue par plusieurs puissances, grandes si l’on veut ; que le pavillon
national soit admis dans le plupart des ports étrangers : il faut, en dernière
analyse, qu’il y ait paix et séparation entre la Belgique et la Hollande. Voilà
toute la question.
Quand les chambres et la nation tout entière ont
manifesté le vœu pour que toute négociation fût suspendue jusqu’à l’évacuation
réciproque du territoire assigné à chacune des parties par un décret européen,
c’est que cette évacuation, en tant qu’elle eût été volontaire, consacrait le
principe de la séparation et de la reconnaissance du nouvel Etat par la partie
opposante. Et qu’on ne dise pas que cette évacuation eût fait perdre des
avantages de position à la Hollande : s’il y avait désavantage, c’était du côté
de la Belgique ; en effet, nous perdions de grands revenus et un grand moyen
d’attaque du côté de Venloo. Je pourrais dire que c’est pour nous le seul côté
vulnérable de la Hollande, puisque nous n’avons pas de marine pour l’attaquer
par mer.
Le ministère peut assumer en toute sûreté la
responsabilité des négociations directes ouvertes à Londres avec l’envoyé
hollandais, pour parvenir à cette évacuation volontaire. Elles n’ont point
réussi ; mais c’est très bien fait d’avoir saisi l’occasion de prouver à l’Europe
que Guillaume veut l’embraser pour se vautrer sur les cendres et les débris de
la Belgique, et non pour sauver l’honneur et les intérêts de la Hollande.
Cette preuve acquise, que fallait-il faire ? Commencer
de suite la guerre avec la Hollande et faire connaître nos motifs aux
puissances ; l’honneur national commandait cette mesure ; elle a été invoquée
par l’armée et la nation tout entière, mais on a préféré recourir à une
intervention étrangère. C’est bien encore, si cette intervention de deux grandes
puissances a pour but de résoudre les deux questions vitales : la
reconnaissance du nouvel Etat belge par la Hollande et la liberté de l’Escaut :
mais, si elles se retiraient avant cette solution ; si, en nous remettant
purement et simplement les clefs d’Anvers, on nous forçait à notre tour de
remettre celles de Venloo, ce serait une perfidie qui n’aurait d’autre but que
de nous contraindre à de nouveaux sacrifices : mieux vaudrait alors suivre les
errements de Guillaume et provoquer avec lui la guerre générale, en proclamant
notre réunion à la France pendant que ses armées sont sur les lieux.
Mais attendons ! De la prudence, j’allais presque en
manquer. (Hilarité générale.)
L’Angleterre ne veut point cette réunion ; qu’elle se
montre donc d’une manière plus active pour l’empêcher.
Il n’y a de moyen que celui de consolider promptement,
très promptement le royaume de la Belgique. Quand je dis consolider, j’entends
qu’on le constitue d’une manière durable et qu’on ne force point les Belges à
désirer un autre ordre de choses de prime abord, si on voulait leur imposer des
entraves trop pesantes pour les porter longtemps. Qu’on dise encore que la
Hollande est impopulaire à Londres.
Guerre avec la Hollande si elle ne veut pas
reconnaître la Belgique ! ou guerre générale ! Anglais, Français, Prussiens,
choisissez.
Mais revenons à l’adresse. Le discours du trône, le
traité de Londres, le rapport du ministre des affaires étrangères, ne nous
apprennent rien de positif sur le véritable but de l’intervention ; il semblerait
même qu’il ne s’agit de rien plus que d’une évacuation forcée du territoire
réciproque entre les deux parties. La grande opposition que le ministère
manifeste contre toute prévision qui irait au-delà d’une évacuation pure et
simple pourrait faire croire qu’en effet il ne s’agit que de cela. S’il en
était ainsi, ce serait une véritable trahison, Dans cet état de choses, que
doivent faire les représentants de la nation, faute d’apaisements suffisants ?
Repousser de toutes leurs forces toute adhésion au système des ministres, et
réserver l’exercice de leurs pouvoirs constitutionnels pour en user selon qu’au
cas éventuel il appartiendra.
Je voterai pour ce qu’il sera proposé de dire au Roi
de plus significatif en ce sens.
L’adresse est
encore loin de rendre toute ma pensée.
Je n’ai point été satisfait non plus, en remarquant
dans le discours du trône le projet d’ajourner presque indéfiniment la
discussion d’une loi si nécessaire et si urgente sur l’instruction publique, et
je suis bien aise que la commission de l’adresse propose de la faire marcher de
pair avec les lois communales et provinciales. En effet, elles se lient
intimement. Ce n’est point une loi de gêne et de contrainte que j’appelle, mais
une loi libérale qui consacre le principe de la concurrence la plus entière et
surtout les droits du père de famille,
Je n’ai rien de plus à dire sur l’ensemble de
l’adresse. Je me réserve la parole lors de la discussion des différents
paragraphes.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je saisis l’occasion de cette discussion pour énoncer en
peu de mots mon opinion relativement aux événements dont nous sommes menacés,
sans oser espérer qu’ils puissent, dans aucune hypothèse, tirer notre patrie du
gouffre dans lequel nos hommes d’Etat l’ont malheureusement plongée depuis que
son sort a été remis à l’arbitrage de la diplomatie.
Le nouveau système adopté par le gouvernement, et qui
nous a été développé avec franchise par M. le ministre des affaires étrangères,
est venu, selon moi, mettre le comble à toutes les déceptions dont nous avons
été constamment bercés, depuis le fameux traité des dix-huit articles, qui
devait nous laisser le Luxembourg et nous libérer de la dette. En effet, le
résultat que nous offre pour début ce système est évident : le sacrifice de 350
mille de nos concitoyens va être consommé pour parvenir à faire chasser nos
ennemis d’une citadelle ; je dis « faire chasser nos ennemis, »
messieurs, car il ne nous est pas permis de reconquérir notre gloire militaire ni
notre territoire. Tous les gouvernements de l’Europe, sans exception paraissent
vouloir nous neutraliser en effet, en nous accablant d’humiliations, vrai moyen
d’anéantir notre patriotisme, qui a longtemps causé de vives inquiétudes aux
absolutistes de toutes les nuances.
Aussi notre belle et bonne armée doit rester l’arme au
bras pendant que nos voisins recueilleront quelques lauriers sous ses yeux. Je
déplore vivement cet état de choses, sur lequel je ne veux pas m’appesantir
davantage ; cela serait d’autant plus inutile que non seulement vous,
messieurs, mais la nation entière, est affectée des mêmes sentiments ;
cependant, comme député du Luxembourg, et par-là plus à même de juger de la
terrible impression que le commencement d’exécution du traité du 15 novembre
doit produire sur nos malheureux frères, je me permettrai d’implorer votre
commisération en leur faveur, afin qu’il soit tenté un dernier effort pour
empêcher qu’eux et leurs compagnons d’infortune du Limbourg soient livrés aux
réactions du despote qu’ils ont, de concert avec vous, chassé pour toujours de
la Belgique.
Vous savez, messieurs, que nos
malheureux concitoyens (que l’on veut refouler impitoyablement en dehors de nos
frontières) ont conservé, malgré le cruel traité des 24 articles, le plus
ardent patriotisme, et qu’ils sacrifieraient encore leur vie pour une patrie
qu’on leur arrache après qu’ils ont répandu leur sang pour la rendre libre ;
maintenant encore, ils sont sous les armes dans votre armée, prêts à se battre
contre celle du souverain que l’on veut leur imposer dans quelques jours :
aussi, messieurs, ils sont plongés dans le désespoir. J’ai reçu, ainsi que mes
collègues du Luxembourg, des lettres de ces Beiges proscrits, qui
attendriraient les cœurs les plus endurcis. Ah ! messieurs, si nous pouvions
être témoins, avant de nous prononcer dans cette occasion importante, de la
consternation qui règne dans ces contrées, où l’on tremble d’effroi et
d’indignation à la seule idée que les représentants du peuple pourraient
l’abandonner, je suis persuadé que beaucoup d’entre vous protesteraient contre
toute mesure qui tendrait à amener sans retour la déchirante séparation dont
nous sommes menacés.
Quant à moi, je n’hésite pas à le faire hautement ici,
en témoignant, en même temps, le désir que l’adresse de la chambre soit, à cet
égard, plus explicite encore que le rapport qui nous est présenté, afin
d’exprimer au gouvernement qu’aucun sacrifice ne paraîtrait trop lourd à la
nation que nous représentons, s’il pouvait, par des négociations ultérieures ou
par tout autre moyen, conserver à tous les Belges leur patrie, qu’une force
brutale peut seule leur arracher.
M. C. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon suffrage aux expressions patriotiques
contenues dans certains passages de l’adresse ; je m’associe aux sentiments qui
ont dirigé les auteurs du projet en ce qui touche l’accomplissement entier et
immédiat du traité des 24 articles : mais dans la négative je désirerais
l’anéantissement de ce même traité, qui ne peut être valable que par la
sanction des parties intéressées et qui, perdant sa force par le refus de la
Hollande, ne peut nous lier au détriment de nos intérêts.
L’intervention étrangère que nous subissons en ce
moment, et qui a pour but l’exécution partielle du traité, nous est inutile et
onéreuse : inutile, car la reddition de la citadelle d’Anvers laisse intactes
les questions les plus importantes, la liberté de l’Escaut et la dette ;
onéreuse, en ce que la possession de ce fort n’est pas une compensation
suffisante de l’abandon de Venloo et d’une partie du Limbourg et du Luxembourg.
L’on a dit qu’il ne nous appartenait pas de nous
immiscer dans la question de l’intervention, que nous ne devions connaître que
des faits accomplis. Nous n’avons pas la prétention de formuler des plans de
campagne ; mais personne ne nous contestera le droit, le devoir de défendre les
intérêts du pays, et c’est ce mandat que nous voulons accomplir.
Lorsque nous possédons une armée pleine de courage et
de patriotisme, verrons-nous l’étranger s’arroger le droit de combattre seul
nos ennemis, et ne nous serait-il pas permis d’élever la voix pour protester
contre cet outrage ? Si deux grandes puissances nous imposent ces conditions,
que l’on sache du moins que la nécessité seule nous fait céder et que nous
n’avons pas la stupidité de croire qu’elles agissent ainsi pour notre
bien-être. N’est-il pas à craindre qu’en cas d’incidents, que nul ne peut
prévoir, Anvers ne devienne une nouvelle Ancône ?
En vain, voudrait-on nous persuader que nos paroles
n’auront aucune influence sur les événements qui se préparent, que les coups de
canon vont décider de notre avenir. Il faut, avant que des stipulations
honteuses viennent nous ravir les villes et villages cédés à la Hollande par le
traité des 24 articles, il faut que des voix généreuses s’élèvent une dernière
fois pour réclamer, au nom de nos frères en révolution, leur part de liberté et
d’indépendance ; il faut que nous
protestions à la face de l’Europe contre cette spoliation qui livre à la
Hollande une portion de notre territoire ; il faut que les habitants de Venloo
sachent que les patriotes belges les quittent avec désespoir, qu’ils ne sont
pour rien dans l’acte inique qui les prive de leurs droits, que nos cœurs sont
déchirés à l’idée des maux qu’on leur prépare ; il faut que l’on sache qu’en
bornant l’exécution des traités à la prise de la citadelle d’Anvers, on
prolonge un statu quo funeste, on ouvre la voie à de nouvelles concessions ;
que si la Hollande est remise en possession des parties du Limbourg comprises
dans les traités, elle aura seule gagné à l’intervention française si, pour
prix de son obstination et du sang qu’elle aura fait répandre, on déchire en sa
faveur la seule clause qui nous soit favorable dans les 24 articles, qui
consiste à n’échanger les parties du Limbourg que contre le Luxembourg,
question tout à fait étrangère à la citadelle d’Anvers.
Déjà sous le gouvernement provisoire l’épouvantail
d’Anvers nous jeta dans les filets de la diplomatie. C’est ce nom d’Anvers
qu’on invoqua pour empêcher l’exclusion des Nassau. Anvers détruit, voilà le
fantôme qu’on a opposé à toute disposition énergique. Aujourd’hui ou emploie le
même prétexte pour empêcher notre armée d’agir.
Je désire ici qu’on ne se méprenne pas sur mes
intentions ; je dis que la sûreté d’Anvers est un prétexte, car je suis loin de
regarder le salut de cette belle cité comme peu important.
Personne plus que moi ne déplore les malheurs qui
planent sur cette malheureuse ville ; mais j’en appelle aux habitants d’Anvers
eux-mêmes : qu’auront-ils gagné à l’évacuation de la citadelle tant que la
liberté de l’Escaut n’est pas assurée ?
Quoi ! lorsque des étrangers versent leur sang pour
nous, nos soldats se contenteraient de veiller à la conservation des
propriétés, à faire la police du royaume ? Quoi ! lorsqu’un roi futur,
l’espérance d’une grande nation, lorsque deux princes de la plus illustre
famille du monde, exposent leur vie pour leurs intérêts, l’armée belge serait
spectatrice impassible des combats qu’elle ne pourrait partager ? Faut-il que
les Français, en nous quittant, puissent nous dire : « Vous êtes des
lâches ! » Faut-il sacrifier l’honneur aux scrupules hypocrites de la
diplomatie ? Ah ! la sûreté d’Anvers serait trop chèrement achetée à ce prix.
Sommes-nous donc dégénérés à ce point ? Le patriotisme, si vivace il y a
quelques mois, n’aurait-il plus que de faibles échos ? Si du temps du congrès
national il eût été question de semblables mesures, avec quelle indignation ne
les eût-on pas accueillies ! Quels cris de réprobation dans cette enceinte !
quel retentissement au-dehors ! Si le patriotisme est affaibli, il y a des
sentiments d’honneur en Belgique parmi ce peuple qui a encore un souvenir des
barricades. Il est vrai qu’elles sont déjà bien loin de nous ces belles
journées de septembre… Nous cherchons en vain ces braves volontaires, ces
blouses de la révolution, les blouses qu’à peine on ose nommer, entourés que
nous sommes de ces hommes à plumets, à broderies, à crachats, qui ont recueilli
les fruits d’une révolution faite sans eux et malgré eux.
Maintenant, et nonobstant nos protestations, que le
ministère consomme son œuvre. Impuissants pour empêcher d’agir, ignorants que
nous sommes de ses projets ultérieurs et des traités occultes, nous aurons
fait, en éclairant la nation, tout ce qu’il était possible de faire. Quant à la
responsabilité ministérielle, derrière laquelle on se retranche, elle devient
chimérique après la consommation d’actes contraires aux stipulations des traités.
La cour de cassation peut condamner les ministres, elle ne saurait anéantir les
faits accomplis.
Mais, dit-on, l’armée belge doit s’abstenir aussi dans
l’intérêt de l’Europe. La paix, messieurs, c’est un mot magique dont on cherche
à nous éblouir... Toutes les puissances sont sur le grand pied de guerre ;
elles sont écrasées d’emprunts pour soutenir leurs armées. Jamais la guerre ne
fut plus imminente. Les nations, agitées, troublées à l’intérieur, tourmentées
par les factions et les partis, videront tôt au tard sur le champ de bataille
le duel moral que le développement des idées libérales a provoqué entre le
peuple et le pouvoir absolus.
Ce n’est pas nous, ce n’est pas pour nous, ni par
nous, que la guerre éclatera ; il y a un combat de principes qui est flagrant
qui doit se décider par l’épée. Etre libre ou ne pas être libre, voilà la
question qui s’agite en ce moment sur toute la surface de l’Europe. Les nations
ont compris ce mot d’ordre ? C’est pour lui que meurt la noble Pologne ; c’est
lui qui arme le frère contre le frère, et fait du Portugal un vaste carnage ;
c’est lui qui en Espagne amène par la force des choses un roi despote à
provoquer lui-même la diminution de pouvoirs trop étendus ; c’est lui qui a été
compris par une jeune reine que l’Espagne bénit avec transport. Etre libre ou
ne pas être libre ; nous aussi, nous comprendrons ce mot d’ordre. Nous ne
pouvons être libres en nous laissant enlacer des réseaux de la diplomatie, qui,
de concession en concession, nous mène à la restauration, à l’anéantissement.
C’est bien l’avis d’un de nos gouvernants, puisqu’il
disait, avant l’adoption des 18 articles : « Sans le Luxembourg il n’y a
pas pour la Belgique six mois d’existence. » Pourquoi donc aller au-devant
des conditions les plus désastreuses ? Pourquoi, lorsqu’aucun avantage ne nous
est garanti, quand rien ne nous assure l’accomplissement entier des traités,
nous dessaisir d’une portion de nous-mêmes, et tout cela pour sacrifier à un
système de paix à tout prix qui prévaut dans le cabinet français ?
Malheureusement notre ministère se laisse remorquer par celui du juste milieu.
Nous voyons, comme en France, le patriotisme réduit à se cacher, les hommes de
la révolution abreuvés de dégoûts, les orangistes en faveur et les traîtres se
glisser dans nos administrations.
Je ne sais quelle fascination opère sur tous ceux qui
saisissent le pouvoir ; c’est un vertige qui les entraîne dans les errements de
leurs prédécesseurs et les enfonce dans la même ornière, dans les mêmes routes
tortueuses, sans avoir jamais la force de se mettre en harmonie avec les vœux
et les besoins du pays. Marchons-nous donc à ce dénouement fatal, prédit par un
envoyé d’Angleterre ? Va-t-on nous rayer du rang des nations ? Peut-être ! Car
l’abandon du Limbourg sans garantie pour le Luxembourg ; la dette, sans la
liberté de l’Escaut ; une armée avilie ! Pour nous, c’est la mort.
Notre anéantissement ; le partage de la Belgique,
après quelques mois d’agonie ; voilà ce que quelques puissances désirent !
Plusieurs, pour conserver la paix et le repos, pour éviter la conflagration qui
les menace, nous sacrifieraient sans pudeur. La France elle-même, ou plutôt le
cabinet français, avec lequel on ne doit pas confondre la nation, pourrait bien
acheter à ce prix quelques heures d’une paix apparente. N’a-t-elle pas offert à
la Prusse l’occupation de Venloo et d’une partie du Limbourg ? Voulait-elle lui
donner les arrhes du partage futur de la Belgique ?
C’est à vous, messieurs, à calmer les inquiétudes de
la nation. Une majorité généreuse repoussera, je l’espère, toute concession qui
ne s’accorde pas avec nos intérêts et notre honneur, Non, c’en est fait ! Les
hommes pusillanimes ont fini leur rôle, cette époque n’est pas faite pour eux.
La faiblesse serait en ce moment de la trahison. Car bientôt pour une ombre de
paix nous perdrions cette patrie si chèrement achetée. Que serait-ce en effet
pour quelques hommes que l’exil de quelques patriotes, que la mise à prix de
quelques têtes ? Il faut aujourd’hui des hommes énergiques, enfants de la révolution
et liés à sa destinée. Ce n’est pas en suppliant que nous nous adressons à la
France. Nous demandons son alliance franche et sincère, non une intervention
déshonorante. Non ! la France ne coopérera pas à cette œuvre impie qui nous
séparerait de nos frères, qui nous anéantirait sans espoir ; si elle nous
laissait périr, il y aurait une malédiction sur elle, et la liberté enchaînée
déserterait sans retour ce vieux monde indigne d’elle.
Oh ! ils sont bien coupables ceux qui sèment de fleurs
l’abîme où ils conduisent la royauté, qui sont toujours prêts à seconder le
despotisme, de quelque part qu’il vienne... Les plaies de la révolution sont
saignantes encore. Pour les guérir, il faut employer le feu et le fer. Si l’on
ne peut faire exécuter en entier le traité des 24 articles, il faut l’anéantir.
Le refus de la Hollande nous délie. Qu’Anvers alors sorte de ses ruines ;
qu’elle détruise sa citadelle qui a servi trop longtemps de repaire à nos
ennemis. Arrachons deux provinces assassinées par les protocoles. Ainsi nous
réparerons les désastres du mois d’août. Qu’on parle alors de fermer les plaies
de la révolution ; hors ce cas c’est travailler sur un cadavre. Quoi !
spectateurs oisifs, nous croirons que l’Angleterre va bloquer les ports de la
Hollande jusqu’à l’exécution entière des traités ; nous croirons que
l’Angleterre s’arme pour donner plus de force à notre gouvernement, plus de
stabilité à nos institutions ; nous croirons que, pour nous protéger, elle va
porter atteinte à son commerce, abandonnera son système d’égoïsme qui est son
Dieu, pour s’élever contre la Hollande, son alliée naturelle ! N’entendez-vous
pas les cris du commerce en Angleterre ? Ne voyez-vous pas les pétitions qui
surgissent pour qu’elle state ses armements ? L’Angleterre veut en finir parce
qu’elle nous considère comme un foyer d’insurrection ; en nous réduisant à
l’impuissance, en nous abîmant, elle parvient également à son but. Non !
n’espérons rien de la sympathie des puissances ; ne comptons que sur celles qui
ont intérêt à nous maintenir : c’est le seul calcul raisonnable, c’est le seul
qui soit sûr.
Je me résume. Exigeons
l’accomplissement immédiat et entier des traités. Si les obstacles sont
indivisibles, affranchissons-nous des entraves de la diplomatie et appelons-en
à notre bon droit, à nos soldats et à nos alliés ; ne souffrons pas que la
brave armée française prenne seule part au drame sanglant qui se prépare, afin
que le ministère français ne nous dise pas comme autrefois aux envoyés de la
Hollande : Nous traiterons de vous, chez vous et sans vous
M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs, je tiens à vous faire connaître le
résumé de mon opinion, quoique je renonce pour le moment à lui donner des
développements.
1° Je ne puis croire que la Belgique doive se résigner
à subir le traité du 15 novembre 1831, ce traité si injuste, si funeste pour
elle et si partial pour la Hollande.
2° Il me semble que le ministère s’est trompé en
s’attachant toujours à poursuivre l’exécution des 24 articles, au lieu de
saisir l’occasion d’en faire rejeter les stipulations injustes et
inconciliables avec la sécurité du pays. Cette occasion s’est offerte souvent
pendant l’été ; rien d’ailleurs n’était plus facile que de la faire naître, et
il le pouvait légitimement.
3° Le point de
départ de notre politique, sa base, me paraissent devoir être, autant que
jamais, de préserver le pays de la position où le plongerait ce traité.
Messieurs, que la postérité ne puisse nous reprocher
d’avoir été nous-mêmes, par manque d’énergie ou de perspicacité, les
instruments du malheur de la patrie.
Je me réserve de développer mon opinion, si la
discussion m’y amène.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, dans un pays où les différents pouvoirs
sauraient également bien apprécier leurs obligations, et voudraient les remplir
avec une même bonne foi, une même loyauté, ce serait vraiment une époque pleine
d’intérêt ou d’importance que celle où à l’ouverture d’une session législative,
s’établiraient les premières relations entre le gouvernement et la
représentation nationale.
Le gouvernement, dont les paroles ont alors d’autant
plus de poids qu’il a pour organe un personnage plus auguste et plus vénéré, le
gouvernement viendrait donner aux chambres connaissance des faits qui se sont
passés depuis la session précédente ; il exposerait l’état du pays, ses
relations avec l’étranger ; il dirait la politique qu’il suit, la marche qu’il
s’est tracée, et donnerait en quelque sorte le programme de sa conduite et de
ses actes futurs.
Les chambres, éclairées par cette déclaration franche,
feraient, de leur côté, preuve d’une entière sincérité en énonçant nettement et
sans détours leur opinion sur la conduite du ministère, et en exprimant quels
sont à leur avis les besoins du pays, et les mesures qu’il réclame avec le plus
d’instance.
Quel serait le résultat d’une semblable manière d’agir
? La confiance s’établirait incontinent entre le gouvernement et la
représentation nationale, et bientôt l’accord ne saurait manquer de régner.
Alors viendraient à cesser toutes ces discussions oiseuses et souvent remplies
de fiel, ces interpellations qui ne produisent rien, et les mesures présentées
seraient accueillies avec d’autant plus d’empressement et de faveur que
personne n’en ignorerait le but.
Au lieu de cela, qu’est-ce d’ordinaire qu’un discours
d’ouverture ? Une suite de phrases insignifiantes, par lesquelles on annonce
que tout va au mieux au-dedans et au-dehors, que toutes les branches
d’administration sont l’objet d’une sollicitude spéciale, que les contributions
rentrent régulièrement et que pourtant il faudra augmenter les charges. Et si
parfois le discours renferme la communication d’un fait important, cette
communication se fait en des termes si vagues, si incomplets, que chacun peut l’interpréter
à sa manière.
Que font alors les chambres ? Elles retournent les
phrases du discours, y ajoutent quelques expressions de flatterie, et voilà
leur réponse faite.
Après un pareil début, après que l’on s’est ainsi
mutuellement trompé, le gouvernement en dissimulant sa pensée, en élevant
beaucoup trop haut la prospérité du pays, les chambres en feignant de croire à
la vérité de ce qu’on leur a dit, et en n’exprimant pas leur opinion, la
session se passe en pénibles débats dans lesquels on joue au plus fin, le
gouvernement pour faire adopter ses propositions, la chambre pour éviter d’être
prise dans les pièges qui lui sont tendus : malheureusement l’expérience a
prouvé que ce n’est pas du côté des chambres que se trouve d’ordinaire le plus
d’adresse.
Rappelez-vous ce qui s’est passé depuis nombre
d’années et en France et chez nous, et vous conviendrez tous de l’exactitude et
de la vérité de ce que je viens de dire.
Le discours que vous avez entendu ces jours derniers
fait-il exception ? Est-il plus satisfaisant ? Se distingue-t-il par plus de
franchise que ceux prononcés antérieurement à de pareilles époques ?
Hélas ! non. Qu’y voyons-nous ? D’abord, quant à la
politique extérieure ?
En vertu du traité du 22 octobre, connu de nous, deux
puissances vont faire évacuer notre territoire par les troupes hollandaises.
Notre armée restera spectatrice de l’expédition et n’y pourra prendre part ;
elle a seulement la permission de se défendre en cas d’attaque. Nous touchons
au moment où nous allons livrer à nos ennemis les parties du Limbourg et du
Luxembourg que nous avons consenti à abandonner. Après cette évacuation
réciproque de territoires, qu’arrivera-t-il ? Jouirons-nous, du moins, des
avantages que nous accorde le traité du 15 novembre ? Le discours n’en dit
rien, et si nous n’avions d’autres pièces pour nous découvrir la vérité, nous
serions à cet égard dans la plus complète ignorance : tout ce que nous
apprenons, c’est que l’époque du désarmement est impossible à fixer jusqu’ici.
Quant à ce qui regarde la paix à l’intérieur, on nous
annonce que l’événement a prouvé que les craintes conçues sur l’avenir du
commerce et de l’industrie étaient exagérées ; que plusieurs projets de lois
nous seront présentés, que les revenus de l’Etat ont dépassé toutes les
prévisions et que pourtant il faudra augmenter les charges.
Quelle sera, messieurs, notre réponse à ce discours ?
Si notre intention pouvait être de nous borner à suivre l’usage auquel on s’est
conformé depuis plusieurs années, à retourner toutes ces phrases, il vaudrait
mieux assurément se dispenser de cette vaine formalité, ou charger le
ministère, qui est l’auteur du discours, de faire la réponse.
Mais la commission que vous avez chargée de la
rédaction du projet a senti que la chambre manquerait à sa dignité, violerait
son mandat en jouant un pareil rôle dans des circonstances aussi graves ; et si
le projet est pour ainsi dire muet en ce qui regarde l’administration
intérieure du pays, il s’exprime du moins avec franchise relativement à la
politique extérieure. C’est probablement que la commission a pensé que la
question étrangère est d’une si haute importance qu’elle doit absorber
exclusivement toute notre attention. Il est vrai, messieurs, qu’à cette
question, et à la manière dont elle sera résolue par vous, sont attachés les
plus chers intérêts du pays et peut-être son existence tout entière. Vous êtes
le dernier espoir du pays.
Vous connaissez la politique adoptée par le
gouvernement ; elle vous a été exposée dans un rapport qui, pour être fort
long, n’en est pas plus satisfaisant.
La voici en peu de mots :
Après quatorze mois passés à nous leurrer, à nous
jouer de toute manière, la conférence nous impose un traité contraire à
l’honneur et à l’intérêt de la Belgique. L’envoi de ce traité est accompagné de
menaces, pour le cas de non-acceptation. Ces menaces effraient le gouvernement
et la majorité des chambres. Les réclamations de la minorité sont étouffées ;
on souscrit au traité.
La Hollande, au contraire, sommée, menacée comme nous,
refuse son adhésion : une année entière se passe à employer vis-à-vis d’elle
des moyens de persuasion : peines superflues ; la Hollande persiste dans son
refus.
Cette patience, cette longanimité vis-à-vis de la
Hollande a droit de nous surprendre, car les puissances avaient déclaré
« qu’il n’était plus en leur pouvoir de faire subir aucune modification au
traité ; » il devait être exécuté sans délai et dans son entier. La
conférence le déclara, le 12 novembre 1831, à notre plénipotentiaire ; et au dire
de M. le ministre des affaires étrangères, une déclaration identique été faite
au plénipotentiaire hollandais.
Mais ne nous étonnons pas ; c’est avec une semblable
impartialité que la conférence, juge de nos différends, nous a toujours
traités.
Cette année expirée, pensez-vous que les moyens de
rigueur, annoncés d’une manière si positive, réclamés par notre gouvernement,
et que semblent déployer maintenant deux des puissances garantes, ont pour
objet de forcer enfin le roi de Hollande à accepter les 24 articles ? Non,
messieurs : lisez le traité du 22 octobre, et vous verrez que le blocus des
ports de la Hollande par les flottes combinées et l’expédition de l’armée
française n’ont qu’un seul but, l’évacuation du territoire ; et cette
évacuation sera suivie de l’abandon par vous des parties du Limbourg et du
Luxembourg qui doivent retourner à la Hollande, c’est-à-dire, d’un dixième de
la population du royaume.
Puis, quand la partie la plus onéreuse du traité,
celle contre laquelle nous avons le plus protesté, celle qui est la plus
flétrissante pour nous ; quand cette partie aura été exécutée, aurons-nous les
avantages garantis par les autres dispositions ? La liberté de l’Escaut, le
passage de la Meuse, la navigation par les eaux de la Hollande ? Pourrons-nous
licencier notre armée ? Aurons-nous la paix enfin ? Non : il faudra encore une
année de négociations, peut-être plus ; puis on nous proposera de nouvelles
conditions, plus accablantes encore que celles qu’on nous a fait accepter au
mois de novembre dernier.
La politique suivie par le gouvernement est donc
entièrement contraire aux intérêts du pays ; elle compromet son avenir ; et
plût à Dieu qu’elle n’eût pas compromis son bonheur ! Il est bien dur, bien
pénible pour ceux que cet honneur touche vivement, le rôle qu’on fait jouer en
ce moment à notre brave armée. Je n’ose en dire davantage sur ce chapitre, je
craindrais que mes paroles ne fussent mal interprétées.
Il y a plus, cette politique est tellement inusitée,
tellement absurde que je ne crois pas qu’on pourrait trouver un antécédent du
même genre dans les fastes de la diplomatie.
Elle tend à faire livrer à des ennemis avec lesquels
nous sommes en guerre le dixième de notre population et de nos moyens
pécuniaires, pour que cette population et ces moyens pécuniaires soient
employés contre nous, et que nos ennemis en deviennent d’autant plus forts !
Mais, messieurs, quand les ministres adoptent une
politique aussi désastreuse, en avaient-ils au moins le droit ? Si cette
question était résolue affirmativement, nous n’aurions qu’à gémir et les blâmer
; mais toute opposition deviendrait impossible. Il en est autrement, si les
ministres ont outrepassé leurs droits, et violé leurs obligations.
C’est là, messieurs, toute la question ; et il l’a
détournée de son véritable terrain, l’honorable orateur qui, seul jusqu’ici, a
pris la défense du système ministériel, lorsqu’il a voulu vous prouver que nous
devions respecter le traité du 15 novembre ; c’est ce que nous savions, et il
s’est donné une peine inutile.
Eh bien, je n’hésite pas à le dire : le ministère a
outrepassé ses pouvoirs ; il a violé ses obligations, et il ne dépendait pas de
lui de consentir à l’exécution d’une partie du traité de notre part, avant
l’acceptation du traité par la Hollande. Lisez l’article 24 du traité du 15
novembre :
« Art. 24. Aussitôt après l’échange des
ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les ordres
nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour
l’évacuation des territoires, villes, places et lieux qui changent de
domination, etc. »
Dépendait-il d’eux de devancer
les délais fixés dans cet article ? Et quand il dit : « aussitôt après
l’échange des ratifications, » sont-ils en droit de faire opérer
l’évacuation avant l’échange ? Non assurément.
Notre devoir est donc de nous opposer à l’abandon du
Luxembourg et du Limbourg, avant l’échange des ratifications ; c’est dans ce
sens que l’article est rédigé. Mais comme le paragraphe relatif à cet objet ne
me paraît pas assez positif, je présenterai plus tard une autre rédaction qui
ne laissera plus aucun doute, plus aucune ambiguïté.
Le ministère a demandé de notre part une résolution
franche et nette ; il ne dépendra pas de moi qu’elle ne lui soit donnée.
Je proposerai quelques autres amendements quand nous
en serons à la discussion des paragraphes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, j’ai entendu avec le plus vif intérêt
les discours de quelques honorables orateurs ; je ne puis désapprouver les
sentiments qu’ils ont exprimés ; je ressens vivement leur influence ; mais,
messieurs, je dois y résister.
Chargé momentanément d’une partie bien importante du
pouvoir exécutif, je dois savoir lutter contre un entraînement si naturel vers
ces idées généreuses. Ministre du Roi, je dois, ainsi que mes collègues,
envisager la position de la Belgique avec tout le sang-froid qu’exigent d’aussi
grands intérêts ; je dois, comme eux, faire le sacrifice de mes sentiments,
comme individu, à mes devoirs comme homme politique. Je n’entreprendrai donc
pas de suivre les orateurs qui m’ont précédé dans tous les raisonnements dont
ils ont fait usage, et je me bornerai aujourd’hui à présenter à la chambre
quelques observations, dans le but de lui prouver que le ministère actuel n’a
fait que suivre le système que la représentation nationale avait recommandé à
la sollicitude du gouvernement dans ses adresses du mois de mai.
Comme agent du ministère précédent, j’ai été plus à
même que tout autre d’apprécier sa pensée, et je n’ai jamais compris qu’il
exigeât plus que les chambres, l’adhésion de la Hollande à l’exécution du
traité, avant l’échange volontaire ou forcé du territoire.
L’adresse de la chambre des représentants au Roi n’a
pas défini le système de l’évacuation préalable. Mais, pour connaître la pensée
de la chambre à cet égard il faut la chercher dans la note du 21 mai destinée à
la conférence, sans cependant lui avoir été remise. Cette note a été communiquée
à la commission d’adresse ; voici ce qu’on y dit :
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux
genres de dispositions : les unes à l’abri de toute contestation sérieuse, et
susceptibles d’une exécution immédiate ; les autres sujettes à de nouvelles
négociations pour devenir susceptibles d’exécution.
« Si le roi des Belges pouvait se montrer disposé
à ouvrir des négociations sur ces derniers points, ce ne pourrait être qu’après
que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes les parties à
l’abri de controverse : commencement d’exécution, au moins, dans l’évacuation
du territoire belge. »
Ainsi, le gouvernement d’accord avec la chambre
demandait :
Exécution partielle du traité consistant dans
l’évacuation territoriale ;
Suspension des articles sujets à négociations
ultérieures.
Mais cette évacuation était-elle considérée comme
devant être la conséquence d’un traité à intervenir entre la Hollande et la
Belgique, et partant la conséquence de l’adhésion préalable de la Hollande aux
24 articles ?
Non, messieurs, car les dispositions, à l’abri des
contestations, étaient déclarées susceptibles d’une exécution immédiate :
l’évacuation territoriale était donc, dans la pensée de la chambre, la
conséquence immédiate et nécessaire du traité déjà conclu le 15 novembre.
C’est aussi de cette manière que le précédent
ministère l’a entendu. Toute la correspondance avec moi, lorsque j’étais
accrédité à Londres, en fait foi. Je vais en citer quelques fragments.
Dans une dépêche du 1er juin le ministre m’écrit :
« D’après les renseignements (parvenus au
ministère), le roi Guillaume aurait adhéré aux 24 articles sous les mêmes
réserves mises par la Russie à la ratification. En supposant cette nouvelle
fondée, ajoutait le ministre, il n’y aurait rien à changer au plan de conduite
que nous avons résolu de suivre et dont la défense vous est confiée à Londres.
Si le roi de Hollande avait adhéré aux 24 articles même avec les réserves de la
Russie, ce ne serait un véritable progrès que dans l’hypothèse de l’exécution
prochaine et préalable de la partie du traité, non comprise dans les
réserves. »
Il est évident, messieurs, d’après ce passage, que le
système de l’évacuation préalable ne supposait aucunement l’adhésion du roi
Guillaume, puisqu’il n’y aurait rien à changer au système, dans le cas d’une
adhésion dont l’effet matériel était de remettre à 15 jours après la
ratification du traité à intervenir, l’évacuation du territoire.
Remarquez bien ceci, messieurs, la portée du système
était telle que, pour le suivre, on devait refuser tous les avantages d’un
événement qui n’avait d’autre tort que de ne pas répondre assez promptement à
notre impatience, que de faire subir à l’évacuation territoriale un délai de
quelques jours.
Dans une autre dépêche du 15 juin, il est dit au sujet
du protocole n°65, admettant l’exécution partielle du traité et la suspension
des articles litigieux.
« Le projet dont vous m’annoncez que la
conférence doit s’être occupée dans sa réunion du 11, me paraît comme à vous,
se concilier parfaitement avec la politique du gouvernement, et les
instructions qui vous ont été données avant votre départ de Bruxelles. »
Cette citation, messieurs, confirme la définition que
j’ai donnée tout à l’heure du système de l’évacuation préalable : c’est-à-dire
exécution partielle du traité et suspension des articles litigieux.
Dans une dépêche du 13 juillet l’on disait :
« Nos efforts depuis deux mois ont tendu à
obtenir l’évacuation préalable du territoire, comme conséquence nécessaire et
immédiate du traité du 15 novembre.
« Si ce traité existe, il faut qu’il produise des
effets sans qu’une nouvelle transaction soit nécessaire ; il faut enjoindre au
roi de Hollande d’évacuer le territoire pour tel jour en vertu de ce traité, et
non pas soumettre à son acceptation et à sa ratification un nouveau traité qui
stipulera l’évacuation.
« Partant de là, il faut que la conférence en cas
d’un nouveau refus de la Hollande, fixe enfin l’époque de l’évacuation et
l’emploi des mesures coercitives. »
Des citations qui précédent, il résulte, messieurs,
bien évidemment que la doctrine du gouvernement et de la chambre était que
l’évacuation du territoire, soit qu’elle eût lieu de gré ou de force, fût
indépendante de l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre.
Par conséquent le but immédiat de la coercition dont
nous réclamions l’emploi était l’évacuation des territoires et non l’adhésion
de la Hollande aux 24 articles.
Pour fixer plus encore à cet égard les idées de la
chambre, je vais avoir l’honneur de lui donner lecture de ce qui, dans les
instructions que je reçus à Londres sous la date du 23 juillet, est relatif au
système dont il s’agit, considéré en lui-même.
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères,
ayant soumis au roi le protocole n°67 du 10 juillet et ses annexes, ainsi que
les explications et questions contenues dans les dépêches du général Goblet du
16 et du 20 juillet, a été chargé par S. M. de transmettre à M. le
plénipotentiaire belge près de la conférence de Londres les instructions
suivantes :
« Le gouvernement belge a considéré le traité du
15 novembre comme susceptible d’une exécution immédiate dans ses principales
parties, et notamment en ce qui concerne l’évacuation du territoire
irrévocablement assigné à la Belgique. C’est le sens et la valeur qu’il a
attachés aux ratifications indistinctement. »
Ainsi, messieurs, dans le système de l’évacuation
préalable auquel vous avez donné vôtre sanction, la ratification russe était
considérée comme partielle, et par suite, l’exécution du traité ne peut être
immédiatement complète ni entière.
« Les ministres du roi, continuent les instructions,
ont exposé ce système aux deux chambres ; et pour donner toutes les garanties
nécessaires au pays, ils se sont engagés à ne se prêter à aucune négociation
nouvelle, avant l’évacuation du territoire. S. M., dans les réponses qu’elle a
faites aux adresses des chambres, a encore donné plus de solennité à ces
engagements.
« Ce système a été amplement développé dans les
instructions remises au général Goblet, le 25 mai.
« Dans ses dépêches du 16 et du 20 juillet, le
général Goblet s’attache à faire ressortir une différence d’opinion qui sépara
le gouvernement belge et la conférence au point de départ : le gouvernement
belge considère l’évacuation du territoire comme une conséquence immédiate et
nécessaire du traité du 15 novembre, aujourd’hui ratifié par les cinq grandes
puissances, et provoque l’emploi de moyens coercitifs pour amener cette
évacuation ; la conférence au contraire considère l’évacuation territoriale
comme la conséquence du traité à intervenir entre la Hollande et la Belgique,
de sorte que les mesures coercitives ne pourraient avoir pour objet immédiat
que de forcer le gouvernement hollandais à souscrire au traité du 15 novembre.
« Le soussigné pense que le gouvernement belge doit
persister dans son opinion première.
« L’article 24 du traité du 15 novembre porte, il
est vrai, qu’après l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les
deux parties, les ordres nécessaires seront donnés pour l’évacuation des
territoires, etc.
« Mais : 1° il est essentiel de remarquer que cet
article suppose l’évacuation volontaire, précédée d’une acceptation volontaire
; hypothèse qui, n’étant pas venue à se réaliser, laisse l’article même sans
application possible ; le cas de refus, et conséquemment de l’acceptation
forcée et de l’évacuation forcée, est prévu dans les notes du 15 octobre,
annexées aux 24 articles, notes par lesquelles les cinq cours se sont réservé
la tâche et ont pris l’engagement de faire accepter et exécuter le traité.
« 2° L’article 24 du traité supposait non
seulement une acceptation volontaire, mais une acceptation immédiate ; huit
mois se sont écoulés, et la conférence a reconnu qu’il faut mettre tous les
délais à la charge de la Hollande.
« Enfin, l’article 24 du traité suppose une
acceptation pure et simple ; que le gouvernement hollandais accepte le traité
sans condition, et le gouvernement belge, sans égard au retard de huit mois, se
soumettra à l’application de l’article 24.
« La Hollande, ne voulant accepter le traité que
sous la réserve de négociations ultérieures sur plusieurs points, se place hors
de l’article 24, qui ne peut s’entendre que du traité même, considéré comme
complet dans toutes ses parties, et non du traité subordonné à de nouvelles
négociations.
« Le soussigne se flatte que l’opinion de la
conférence peut être avec succès combattue par les trois moyens qu’il vient
d’énoncer. »
Cette opinion, messieurs, c’était celle qu’on voudrait
maintenant faire prévaloir, c’était celle que les mesures coercitives ne
pouvaient avoir pour but immédiat que de forcer la Hollande à souscrire au
traité du 15 novembre.
Je poursuis ma citation : « Quant à la question de
savoir quelle est la conduite que devrait tenir le plénipotentiaire belge, si
les propositions du protocole n°67 acceptées par le gouvernement hollandais lui
étaient soumises.
« Le soussigné ne peut que persister dans les
résolutions précédentes ; si le cas prévu dans la question venait à se
réaliser, le plénipotentiaire belge devrait se borner à répondre à la
conférence que le gouvernement ne se prononcera et ne peut se prononcer sur les
propositions qu’après l’évacuation du territoire belge. »
Se prononcer dans un sens quelconque sur les
propositions, serait négocier, serait dévier de la ligne que le gouvernement
doit suivre impérieusement.
Or, messieurs, faire adhérer maintenant le roi
Guillaume au traité du 15 novembre, c’est-à-dire aux 24 articles, pour les
convertir ensuite en un traité direct avec la Belgique, ce serait négocier avant
l’évacuation du territoire, ce ne serait plus le système du précédent ministère
dans lequel nous sommes rentrés après avoir fait disparaître les dernières
objections qu’on lui proposait.
« Ce n’est (continuent les instructions que je
cite), ce n’est qu’après l’évacuation du territoire que le gouvernement belge
pourra se croire autorisé à se prononcer sur les articles additionnels et
explicatifs de la conférence, et à faire connaître son ultimatum, s’il y a
lieu.
« Dans le cas où le gouvernement hollandais
rejetterait les propositions du protocole n°67, M. le général Goblet saisira
cette circonstance pour renouveler ses démarches, pour reproduire les demandes
de la Belgique, et pour insister avec une nouvelle force sur la nécessité de
l’emploi des mesures coercitives, et de la fixation d’une époque précise et
très prochaine. »
Messieurs, d’après les instructions que je viens de
citer, nous avons donc constamment combattu dans la conférence une opinion que
les adversaires du ministère actuel prétendent avoir été celle de la chambre,
bien que je n’en voie pas de traces, dans l’adresse au roi, bien que tous les
actes diplomatiques qui vont ont été soumis soient imbus de la doctrine
contraire, et que vous n’y avez pas alors opposé la moindre objection ni observation.
Longtemps nos efforts furent inutiles pour faire
admettre que la coercition devait nécessairement et immédiatement amener
l’évacuation territoriale.
On conçoit en effet que tant qu’il y avait espoir
d’amener la Hollande par les voies ordinaires de la négociation à conclure un
arrangement définitif et amiable, cette doctrine ne pouvait prévaloir dans la
conférence.
Il n’en fut plus de même après que, par son refus de
participer à une négociation directe dont la Belgique lui offrait l’occasion,
elle se fut placée pour ainsi dire hors la loi.
En vain alors, objecta-t-on, qu’en droit on ne pouvait
forcer la Hollande à exécuter un traité auquel elle n’aurait pas probablement
adhéré, les nécessités du moment furent seules exécutées et des résolutions
furent prises pour satisfaire aux exigences de la Belgique.
Après la non-réussite de la tentative des négociations
directes, nous nous sommes trouvés naturellement replacés dans le système du
précédent ministère avec cette différence qu’il demandait ce que nous avions
acquis le droit d’exiger, c’est-à-dire, l’exécution forcée du traité du 15
novembre, commençant par l’évacuation des territoires.
C’est pour parvenir à ce but que des moyens coercitifs
sont en ce moment employés par la France et la Grande-Bretagne.
Messieurs, les détails nouveaux que je viens d’avoir
l’honneur de vous communiquer vous donneront, je l’espère, la conviction du peu
de fondement des reproches dirigés contre le ministère. De quoi le blâme-t-on
en effet ? D’être parvenu à obtenir de deux des puissances garantes du traité
l’objet des vœux de la représentation nationale. Je crois, messieurs, qu’il me
suffira d’avoir démontré que nous avons scrupuleusement suivi le système auquel
vous avez adhéré, Si les résultats qui sont à la veille de se réaliser ne
répondent pas encore à la juste impatience de la nation, la faute en est,
messieurs, à des causes placées en dehors de la sphère du gouvernement. Jetez
les yeux sur la situation de l’Europe et jugez si nous n’avons pas amené les
puissances à faire et à laisser faire tout ce qui était moralement et
physiquement possible dans les circonstances présentes.
Sachons attendre, messieurs ;
il n’y a rien qui doive nous porter à croire que les puissances garantes du traité
se bornent au premier pas qu’elles viennent de faire pour arriver au but
indiqué par leurs engagements envers nous. Les motifs qui ont mis leurs forces
en mouvement subsistent aussi longtemps que toutes les parties du traité ne
sont pas exécutées. Je vous le demande, messieurs, pourquoi renonceraient-elles
demain à une entreprise qu’elles ont commencée aujourd’hui ? Les événements
vont se presser : celui qui occupe en ce moment la scène politique doit nous
rassurer complétement sur ceux qui suivront.
M. Milcamps.
- Messieurs, je lisais avec satisfaction, dans le discours du trône, prononcé à
l’ouverture des chambres, ces paroles remarquables : « Le moment, dit Sa
Majesté, est enfin arrivé où j’ai pu répondre aux vœux des chambres en amenant
les puissances garantes du traité du 15 novembre à en assurer l’exécution …
Deux d’entre elles se sont engagées à commencer l’exécution du traité par
l’évacuation immédiate de notre territoire. »
Comment maintenant concilier ces paroles avec ces
passages du projet d’adresse ? « Votre Majesté aura eu soin de s’assurer
que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera
également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du
Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande. Dans ce cas, la
nation accueillera avec reconnaissance les fruits de la politique du
gouvernement. S’il en était autrement, le ministère aurait méconnu les
intentions de la chambre, qui ne pourrait que protester contre l’évacuation
préalable du Limbourg et du Luxembourg. »
Il est à regretter, messieurs, que sur un point d’une
telle gravité le discours de la couronne et le projet d’adresse laissent de
l’incertitude.
Faut-il entendre le discours de la couronne dans ce
sens : qu’après la remise qui nous sera faite de la citadelle d’Anvers, nous
évacuerons la place de Venloo et les parties de territoire qui, d’après le
traité du 15 novembre, ne font point partie du royaume de Belgique ? C’est ce
qui paraît résulter de la nature des choses,
Mais je ne puis conclure de là que celle des
puissances à qui nous abandonnerons Venloo, la remette immédiatement à la
Hollande.
La Hollande ne peut posséder aucune partie de notre
territoire qu’autant qu’elle accède sans conditions au traité du 15 novembre.
Sans cela quel gage la France et l’Angleterre auraient-elles de l’adhésion de
la Hollande à tous les points non réservés ? Quel gage de sûreté et d’amnistie
auraient les habitants de Venloo ? Elle ne pourrait résulter, la guerre durant,
que d’une capitulation.
Faut-il entendre le projet d’adresse dans ce sens
qu’après la remise qui nous sera faite de la citadelle d’Anvers, nous
conservions Venloo et les autres points jusqu’à ce que la Hollande ait adhéré à
l’exécution du traité du 15 novembre ? Si telle était l’opinion des auteurs de
l’adresse, je désirerais qu’ils s’expliquassent sur quoi ils la fondent et
comment ils espèrent atteindre ce but.
Quant à moi, examinant la question non en politique,
mais par les simples lumières de la raison, évitant tout ce qui appartient à la
déclamation, je pense que dès que nous posséderons la citadelle d’Anvers, nous
devrons, je le dis avec douleur, abandonner Venloo et laisser cette ville soit
à la France, soit à l’Angleterre, soit à toute autre des cinq grandes
puissances, à titre de séquestre.
Il s’agit maintenant de justifier cette proposition.
Pour le faire avec ordre, permettez, messieurs, que je
remonte un peu haut, et daignez m’écouter avec bienveillance.
Dès le 4 novembre 1830, les cinq puissances s’offrent
à la Belgique et à la Hollande comme médiatrices, à l’effet d’arrêter
l’effusion du sang, en déclarant formellement de laisser intactes toutes les
questions politiques dont les cinq cours pourraient être appelées à faciliter
la solution.
Une proposition d’armistice, fruit de la médiation qui
nous était offerte, nous est bientôt faite. Nous acceptons l’armistice.
Les cinq cours ne tardèrent pas à expliquer comment
elles entendaient leur médiation.
« Occupées à maintenir la paix de l’Europe, il
leur appartient, disaient-elles, dans le protocole du 20 janvier, de déclarer
qu’à leurs yeux le souverain de la Belgique doit répondre aux principes
d’existence du pays lui-même, satisfaire à la sûreté des Etats voisins,
accepter à cet effet les arrangements consignés au protocole du 20
janvier. »
Elles y ajoutèrent bientôt les conditions du protocole
du 27 janvier ; mais ce n’était qu’une opinion sur un mode d’arrangements que
les cinq cours exprimaient : à leurs yeux, les parties doivent souscrire aux
conditions de ces protocoles.
La Hollande accepta les arrangements, mais la Belgique
les rejeta.
Jusque-là la conférence n’était que simple médiatrice.
Cela est si vrai que le 17 avril, les ambassadeurs des cinq cours déclarèrent
que si les bases des protocoles des 20 et 27 janvier n’étaient pas acceptées le
1er juin, ils étaient convenus d’une rupture absolue, c’est-à-dire de cesser
leur médiation.
La conférence n’a point rompu, loin de là ; continuant
sa médiation et trouvant dans le prince de Saxe-Cobourg le souverain qui devait
répondre aux principes d’existence du pays, satisfaire à la sûreté des Etats
voisins, elle arrêta par un protocole du 26 juin les 18 articles qu’elle
proposa aux deux parties.
Voilà encore une simple proposition qu’il était libre
aux parties auxquelles elle était faite d’accepter ou de rejeter. Le congrès
national l’accepta, mais la Hollande la rejeta.
L’impossibilité de concilier les parties par la voie
de la médiation et la considération que les intérêts des deux pays sont liés à
des intérêts européens du premier ordre, portèrent les ambassadeurs des cinq
cours à arrêter la rédaction des 24 articles.
Ces 24 articles convertis en un traité sous la date du
15 novembre, convenu entre les cinq cours et accepté par la Belgique, forment
les décisions finales et irrévocables de la conférence, et les cinq cours se
réservent la tâche et prennent l’engagement d’amener l’adhésion de la Hollande.
Elles en garantissent de plus l’exécution.
Ici la mission de la conférence prend un autre caractère,
faites-y bien attention ; il ne s’agit plus de médiation. Les cinq puissances
ne se constituent pas arbitres forcés entre les deux pays, des arbitres sont et
doivent être sans intérêt à l’objet soumis à leur délibération. Elles se
portent parties dans le différend ; elles s’obligent, puisqu’elles se réservent
la tâche, et par conséquent, l’emploi des moyens, et prennent l’engagement
d’amener l’adhésion de la Hollande. C’est un intérêt européen qui dicte cet
engagement ; c’est envers nous qui, dans notre intérêt particulier, avons
accepté le traité, qu’elles contractent cet engagement, c’est pour les
puissances une obligation principale. C’est pourquoi la France et l’Angleterre
agissent, peuvent et doivent agit à notre exclusion contre la citadelle d’Anvers.
Elles s’obligent de plus à garantir l’exécution du
traité : c’est-à-dire qu’elles s’en portent caution. Ainsi les puissances ont
contracté deux espèces d’engagement, celui d’abord d’amener par les moyens
qu’elles jugeront convenables le consentement, l’adhésion de la Hollande au
traité, et celui de nous en assurer ensuite l’exécution.
La France et l’Angleterre ont été invitées par le
gouvernement belge à remplir leur obligation principale, celle d’amener
l’adhésion de la Hollande, ainsi que l’obligation de garantir en assurant
l’exécution du traité.
En provoquant l’exécution de cette double obligation,
le ministère n’a certainement pas méconnu les intentions de la chambre.
S’il les a méconnues, ce ne pourrait être qu’en
entrant dans des négociations avec la conférence ou la Hollande, dont le but
aurait été d’évacuer la place de Venloo et des parties du Limbourg et du
Luxembourg, avant que la Hollande n’eût accédé au traité du 15 novembre et n’en
eût exécuté ses conditions.
Mais on n’allègue rien de semblable, rien de semblable
n’existe dans les pièces diplomatiques qui ont été communiquées à la chambre.
Sans doute il a existé des négociations depuis le
traité du 15 novembre, mais dans le but de parvenir à une conclusion entre la
Hollande et la Belgique, d’après les bases du traité du 15 novembre ; mais ces
négociations sont dans la nature des choses. Il était bien naturel de les
épuiser avant d’en venir aux moyens de coercition.
Quelle a été la nature de ces négociations ?
Vous n’attendez pas de moi que je déroule tous les
actes, toutes les notes de la diplomatie. Je me contenterai de rappeler
succinctement les principales pièces dont il est fait mention dans le rapport
de M. de Muelenaere, ministre des affaires étrangères, dans la séance du 12
juillet, et dans le rapport de M. Goblet, ministre des affaires étrangères,
dans la séance du 16 du présent mois.
Il est énoncé dans le premier de ces deux rapports que
dans la séance du 12 mai 1832, en portant la ratification russe à la
connaissance de la chambre, M. de Muelenaere déclarait que le gouvernement
belge refuserait de prendre part à de nouvelles négociations avant que le
traité n’eût reçu un commencement d’exécution dans toutes ses parties non
sujettes à négociation, c’est-à-dire qu’il exigerait avant tout que le
territoire belge fût évacué.
C’est ce même jour, 12 mai, qu’il exposait à la
chambre que le plan adopté par le gouvernement avait reçu un commencement
d’exécution par la note que M. Van de Weyer avait remise à la conférence, et
que les journaux avaient publiée.
Quelle était la substance de cette note ? La voici :
« Le soussigné (M. Van de Weyer) demande au nom de S.
M. le roi des Belges l’évacuation des places, villes et points occupes par les
troupes hollandaises sur le territoire belge ; il ajoute que, si au 25 mai la
citadelle d’Anvers et les autres points occupés n’étaient pas évacués, et que
la navigation de la Meuse ne fût pas libre, la Belgique se trouverait dès lors
libérée de tous les arrérages de la dette… »
Si ma mémoire est fidèle, c’est à cette occasion que
la chambre et une foule d’orateurs de l’opposition imposèrent à M. le ministre
des affaires étrangères, de la manière la plus formelle, la remise de la note
du 11 mai. Voyons également la substance de cette note.
« Si le Roi des Belges pouvait se montrer disposé
à ouvrir des négociations, ce ne pourrait être qu’après que le traité aurait
reçu un commencement d’exécution dans toutes ses parties à l’abri de
controverse ; ce commencement d’exécution consisterait au moins dans
l’évacuation du territoire belge. »
Certes ! nous ne pouvons méconnaître d’avoir approuvé
cette note qui n’a pas été remise, et l’on en sait la cause, mais qui n’était
qu’une répétition de celle remise par M. Van de Weyer, le 7 du même mois.
L’adresse de la chambre du 14 mai 1832 était-elle en
opposition avec le plan et la marche du ministère ? J’y trouve ce passage
paragraphe 4, « que le traité doit être exécuté tel qu’il a été conclu ;
que ce n’est qu’après cette exécution qu’il pourrait être question d’ouvrir des
négociations dont parlent les réserves. » J’y remarque encore cet autre
passage paragraphe 5, « le traité sera exécuté, notre territoire sera
évacué. »
Mais, n’est-ce point dans ce sens que l’ancien
ministère a agi ? Dans sa note adressée à la conférence de Londres le 1er juin
1832, M. le général Goblet, envoyé extraordinaire, déclare que, se référant à
la note remise par M. Van de Weyer, le 7 mai, il est chargé d’ajouter que S. M.
le Roi des Belges a pris la résolution de ne participer à aucune négociation
sur les points qui sont l’objet des réserves, avant l’évacuation du territoire
irrévocablement reconnu à la Belgique.
Lisez la réponse faite par la conférence le 11 juin
1832 :
« Les notes remises par le général Goblet, les 29
juin et 31 août 1832, où dans la dernière surtout les envoyés belges insistent
au nom de S. M. sur la nécessité de l’exécution immédiate du traité du 15
novembre par l’emploi des moyens coercitifs, etc., », et vous aurez la
mesure du système et de la marche suivis par l’ancien ministère.
Avons-nous désapprouvé ce système, cette marche ? Non,
messieurs, je crois l’avoir démontré.
Le ministère actuel en a-t-il dévié ? Ce qui arrive
aujourd’hui est-il autre chose que la conséquence directe, l’exécution littérale
du système de l’ancien ministère ?
C’est le 18 septembre que M. Goblet est arrivé au
pouvoir.
Le 20 il donne M. Van de Weyer l’autorisation d’ouvrir
avec la Hollande une négociation définitive et de courte durée sans entendre
par là porter aucune atteinte aux droits de S. M. le roi des Belges.
C’était une dernière tentative dans l’intérêt du
maintien de la paix. Elle n’eut aucun résultat.
Mais dès le 5 octobre, convaincu qu’il n’y avait plus,
pour arriver à l’exécution du traité du 15 novembre, que l’emploi des forces
matérielles, le ministre actuel des affaires étrangères, d’après l’ordre formel
de S. M. le roi des Belges, réclama du roi des Français et du roi d’Angleterre
l’exécution de la garantie stipulée par l’article 25 du traité du 15 novembre
1831.
De là la convention entre la France et l’Angleterre en
date du 2 octobre que vous connaissez.
Cette convention, il faut le dire, ne répond pas
entièrement au vœu des chambres et du gouvernement, puisqu’elle admet en
principe l’évacuation réciproque des territoires avant l’adhésion de la
Hollande.
Les 23 et 24 octobre, alors que cette convention
n’était pas encore connue, notre ambassadeur à Paris insista auprès des
ministres français et anglais pour l’évacuation du territoire belge au 3
novembre, soit par l’action des puissances, soit par l’armée nationale ; que
telle était la condition d’existence du nouveau ministère belge.
Mais cette convention du 22 octobre n’est-elle pas la
conséquence directe, l’exécution littérale de la disposition du traité du 15 novembre,
par laquelle les cinq puissances dans un intérêt européen du premier ordre se
sont réservé la tâche (conséquemment l’emploi des moyens) et ont pris
l’engagement d’amener 1’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité, quand
même la Hollande commencerait par s’y refuser ?
En acceptant le traité du 15 novembre, ne sommes-nous
pas soumis à être contraints d’évacuer les portions de territoire hollandais,
que nous occupons ? Avons-nous mis des conditions à cette évacuation pour le
cas où la Hollande n’adhérerait point ? Enfin, n’avons-nous pas laissé sans
restriction aucune, aux cinq puissances, la tâche d’amener l’adhésion de la
Hollande, et le mode d’y parvenir ? C’est dans ce dernier sens du moins que la
France et l’Angleterre ont interprété leur engagement, puisque les ministres de
ces deux puissances par leurs notes signifiées le 30 octobre, au nom de leurs
gouvernements, ont demandé que S. M. le roi des Belges voulût bien faire
connaître si elle consent à faire évacuer, le 12 novembre, la place de Venloo
et les territoires qui ne font pas partie du royaume de Belgique. Et dans le
cas où une réponse formelle et satisfaisante à cet égard ne serait pas faite le
2 novembre, les ministres français et anglais déclaraient que des forces de
terre et de mer seraient mises en mouvement par les deux gouvernements, pour
amener ce résultat. Ainsi, si nous nous étions refusé à l’évacuation, nous
allions y être contraints.
M. Goblet, ministre des affaires étrangères, répondant
à cette signification, a fait connaître qu’il avait reçu l’ordre de déclarer
que S. M. le roi des Belges consent à faire évacuer le 12 novembre la place de
Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de
territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique.
Le ministère en notifiant cette déclaration a-t-il
méconnu les intentions de la chambre ? Oui et non, suivant le paragraphe 4 du
projet d’adresse (On rit.). Je
recommencerai ma phrase, messieurs, car on paraît ne l’avoir pas comprise.
L’orateur, après avoir répété la question et la
réponse, continue en ces termes : Oui, si l’abandon de Venloo et le
morcellement du Limbourg et du Luxembourg ont lieu avant l’adhésion de la
Hollande à l’exécution du traité.
Non, si l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg
et du Luxembourg n’ont pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution
du traité.
Mais, au nom du ciel, qu’on veuille m’expliquer le
sens de ce paragraphe 4 de l’adresse.
Si le ministère, en consentant à l’évacuation de
Venloo et des parties du Limbourg et du Luxembourg qui ne font pas partie du
royaume de Belgique, a méconnu les intentions de la chambre, le ministère est
jugé, puisque ce consentement formel, il l’a donné par sa note du 2 novembre.
Les auteurs du projet d’adresse le savent. Pourquoi, lorsque les actes du
ministère sont exposés dans tout leur jour, pourquoi se livrer à des hypothèses
? Si, dans ce cas…, etc. »
Pouvez-vous rendre le
ministère responsable des conséquences d’un acte, d’un fait qu’il vous soumet ?
Mais commencez donc par juger l’acte et le fait. Car, si le ministère a commis
une faute, la faute existe dans l’acte lui-même et non dans la conséquence qui
en résultera.
Si vous avez la conviction que la déclaration du 2
novembre est funeste à la Belgique, dites-le ; proposez le blâme de l’acte du
ministère. Alors nous aurons à examiner si ce blâme est fondé, alors si nous ne
partageons pas votre conviction nous combattrons vos arguments, et du choc de
la discussion jaillira la lumière. Mais si nous ne discutons point, si nous ne
raisonnons point sur des choses positives, si nous ne discutons, si nous ne
raisonnons que sur des hypothèses, aucun résultat ne sera possible, et chacun
se demandera que signifie donc ce paragraphe 4 de l’adresse.
Pour moi je repousserai l’adresse, si la rédaction du
paragraphe 4 est maintenue.
M. Levae.
- Lorsque nous voyons d’un côté confier aux baïonnettes d’une armée française
une tâche que notre armée était jalouse de remplir, et que, d’un autre côté,
nous voyons des masses prussiennes s’approcher de nos frontières, la Belgique,
justement alarmée, a droit d’attendre de ses représentants autre chose qu’une
insignifiante paraphrase du discours du trône, dans laquelle nos commettants ne
trouveront ni l’expression de leurs vœux, ni celle de leurs besoins. A la
vérité, on parle bien dans le projet d’adresse des vifs et justes regrets que
continuent à exciter les habitants des parties de la Belgique dont le sort a
été douloureusement séparé du nôtre, ou, poux parler avec plus de sincérité,
que nous avons repoussé inhumainement sous le joug de la Hollande, après les
avoir appelés à la liberté, Et l’on vous propose, messieurs, de demander au
gouvernement de s’assurer que l’abandon de Venloo et le morcellement du
Limbourg et du Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à
l’exécution du traité. Je proteste avec indignation contre ces précautions
égoïstes ; je repousse de toutes mes forces l’expression de cet intérêt
hypocrite que l’on manifeste dans le projet, pour ceux de nos compatriotes dont
nous avons fait un odieux trafic, et que nous gardons, en quelque sorte, comme
des otages pour les livrer à la Hollande quand ils ne pourront plus nous être
utiles.
Messieurs, depuis l’époque fatale à laquelle nous
avons accepté les conditions désastreuses du 15 novembre, notre position
politique est tout à fait changée.
Lorsque nous nous laissâmes imposer ce traité injuste
et partial dont le précédent ministère n’osa proposer l’acceptation que parce
que nous étions placés sous l’empire de la nécessité, les chambres furent
animées par le désir d’éviter à notre patrie la calamité d’une nouvelle lutte ;
à l’Europe la crainte d’une guerre générale ; elles voulurent mettre un terme à
de longues, à de pénibles incertitudes, qui tuaient notre industrie et qui
ôtaient à notre commerce une partie de ses débouchés. Cet espoir fut
complétement déçu.
Ce traité, que la conférence avait déclaré contenir
ses décisions finales et irrévocables qu’elle prétendait fondées sur des
principes d’équité incontestables, on vient encore aujourd’hui lui faire subir
de nouvelles modifications ; ce n’est plus qu’un chiffon de papier qu’on se
prépare à déchirer.
Après une année de souffrances, d’inquiétudes et de
délais préjudiciables à la Belgique, nous sommes placés dans la dure nécessité
de subir l’intervention française, de nous exposer à toutes les chances de la
guerre.
Et nous nous bornerions encore à réclamer l’exécution
pure et simple du traité des 24 articles ! Que dis-je, nous nous montrerions
même disposés à faire de nouveaux sacrifices !
Nous, messieurs, vous n’approuverez point cette
politique timide, car ce serait souscrire de nouveau à notre honte et à notre
ruine.
Les conditions sous lesquelles nous avons accepté la
paix n’ont pas été admises par la Hollande ; la conférence elle-même n’a pas
respecté les engagements qu’elle avait contractés envers nous.
C’est pour la paix immédiate, c’est pour la libre
navigation de l’Escaut, c’est pour le passage par les eaux de la Meuse, c’est
enfin pour l’évacuation de la citadelle d’Anvers que nous avons cédé diverses
parties de notre territoire.
Eh bien ! Messieurs, nous n’avons pas la paix ; la
navigation de l’Escaut n’est pas libre, les eaux de la Meuse sont interdites à
nos bâtiments et nous sommes forcés de recourir à la force des armes pour nous
mettre en possession de la citadelle.
Le traité des 24 articles n’existe donc plus ; il a
été anéanti par l’obstination de notre ennemi.
Il ne saurait donc être question d’évacuer Venloo et
les parties du territoire que nous avions cédées à la Hollande.
Le moment est venu pour la Belgique de faire preuve de
fermeté, de prouver aux ennemis déclarés ou secrets de son indépendance qu’elle
n’est pu aussi abattue qu’ils se l’imaginent.
Eh quoi ! messieurs, les ennemis même du roi Guillaume
rendent justice à la fermeté qu’il déploie dans les négociations diplomatique ;
et nous, nous ne monterions que faiblesse, nous ferions concessions sur
concessions !
Nous n’avons que trop souvent cédé : il faut enfin
s’arrêter dans la route rétrograde que la révolution a suivie depuis le moment
où elle permit à la conférence de venir se mêler de nos affaires ; il faut
enfin, comme notre ennemi, nous montrer décidés à n’abandonner aucune partie de
notre territoire.
L’antique réputation du nom
belge est déjà assez compromise ; l’espoir de ne pas consommer un hideux
sacrifice nous est présent. Hâtons-nous de répudier le traité du 15 novembre,
cette œuvre de perfidie et de mensonge, hâtons-nous de nous lasser d’un grand
crime ; car, messieurs, lorsque nous sacrifiâmes une nombreuse population qui
s’était soulevée avec nous, qui avait combattu dans nos rangs, qui versa son
sang avec nous et pour nous, la Belgique commit un crime que l’histoire
peut-être ne lui pardonnera pas.
Nos concitoyens de Venloo, du Limbourg, du Luxembourg
ont en ce moment les yeux fixés sur nous ; ils attendent votre décision avec
anxiété. Dites-leur par votre adresse au monarque : « Non, nous ne voulons
pas que notre monarchie naissante soit déshonorée par vos justes imprécations ;
nous ne voulons point, après vous avoir appelés à la liberté, vous forcer par
un lâche abandon à courber votre tête sous le joug de vos anciens oppresseurs.
Notre union a été cimentée sur les champs de bataille ; vous êtes Belges, vous
êtes nos frères, vous le resterez. »
M. Desmet.
- Messieurs, s’il est vrai que le nouvel Etat belge a été reconnu par les
puissances de l’Europe (de quoi cependant il m’est permis de douter), il est
encore bien plus vrai, il me semble, que nous ne touchons pas à la solution des
principales difficultés que nous offrent nos affaires à l’extérieur ; au
contraire, je les vois de plus en plus mises en question, et les réserves
qu’exprimaient les dernières ratifications qui ont été échangées par notre
envoyé à Londres, contre le gré de la nation et de ses représentants, ont
rejeté la Belgique dans l’incertitude sur l’ensemble de ce traité qui nous
réveille tant de souvenirs douloureux, et pour lesquels on cherche en vain une
seule consolation.
Après le sacrifice d’une partie de nos frères du
Limbourg et du Luxembourg et tant d’autres concessions ruineuses, auxquelles on
s’était prêté avec si peu de prévoyance et par trop de faiblesse, les cabinets
du nord, au lieu de ratifier purement et simplement, comme l’ont fait la France
et l’Angleterre, le traité du 15 novembre, et de garantir l’exécution de tous
les articles, ont mis de telles restrictions, qu’on peut dire qu’il n’existe
plus, et n’entraîne aucune obligation envers les parties contractantes, car la
liberté de l’Escaut comme la cession de la partie cédée du Luxembourg ne se
trouvent plus garanties.
Cependant, la cession de la partie du Limbourg que le
traité nous fait abandonner n’est faite qu’en échange de la partie du
Luxembourg qui nous est cédée ; aussi longtemps donc que l’adhésion de cette
cession n’est unanime et certaine de la part des cinq puissances, nous ne
devons céder la partie du Limbourg ; et personne n’a le droit de nous y forcer,
comme de son côté notre gouvernement n’a pas le pouvoir de faire la cession de
ce territoire sans en avoir obtenu auparavant l’assentiment de la législation,
et c’est pourquoi j’appuie de toutes mes forces le paragraphe du projet
d’adresse qui blâmerait tout acte du gouvernement par lequel il aurait consenti
à une pareille cession, et, en mon particulier, je proteste formellement contre
l’acte du ministère par lequel il aurait promis d’évacuer, à une époque
déterminée, Venloo et le territoire cédé du Limbourg ; je le fais en vertu d’un
droit que me donne la constitution.
Et qu’on ne vienne point nous donner pour excuse que
le ministère a agi d’après les vœux des chambres, exprimés dans leurs adresses
respectives ; jamais les représentants de la nation n’ont émis le vœu d’évacuer
la place de Venloo et de céder la partie du Limbourg, avant que la Hollande eût
adhéré à tous les articles du traité ou que les puissances l’eussent forcée à
donner son adhésion. Jamais il n’est entré dans leur pensée de faire une
cession quelconque et à qui que ce soit avant que l’indépendance de la Belgique
fût assurée et que le traité fût entièrement mis en exécution à son égard’ ;
elles avaient demandé que la citadelle d’Anvers et les autres parties de la
Belgique occupées par les Hollandais fussent évacuées, avant d’entamer des
négociations particulières avec le gouvernement hollandais, et cela pour avoir
une garantie de la bonne foi et de la sincérité des puissances, mais jamais
elles n’ont voulu faire dépendre l’évacuation de la citadelle d’Anvers de celle
de Venloo ; elles connaissaient trop toute l’importance de cette place et que
dans le besoin elle devait nous servir pour envahir le territoire hollandais,
comme elle nous aurait été un boulevard contre les attaques des absolutistes du
nord, quand ils voudront mettre en œuvre leur perfide projet de venir nous
déminer et nous soumettre à la restauration ; car, messieurs, nous ne pouvons
pas nous aveugler, c’est là toujours leur pensée unique, et le tracé de leur
marche diplomatique ; quoique les trois puissances aient eu l’air de
reconnaître notre indépendance, toujours elles ont conservé une ouverture à la
chicane, pour que, quand le moment propice sera arrivé, elles puissent fondre
sur nous et sans obstacle nous faire subir la loi de la restauration.
Et rien ne pouvait mieux servir leur tactique
machiavélique que le système d’évacuation préalable.
Soyons donc sur nos gardes, messieurs, défions-nous du
système dangereux de M. Goblet, et n’oublions pas combien de fois nous avons
été près de notre perte ; à l’intérieur comme à l’extérieur, on ne cesse de
tramer contre l’indépendance de notre patrie ; les mêmes qui ont pris part dans
les conspirations de Borremans et de Grégoire n’ont pas perdu courage, et leurs
efforts ne sont pas encore épuisés, n’en doutez pas !
Moi aussi, je ne puis le dissimuler, ma sympathie est
grande pour le peuple français ; sa cause nationale est la même que la nôtre,
et nous trouvons dans lui un digne et généreux allié ; il court les mêmes
dangers de restauration, comme des tentatives d’assassinat viennent tout
récemment de le prouver ; mais cependant, je dois le demander, que viennent
faire ici dans ce moment ses soldats ? Est-ce pour chasser les Hollandais
d’Anvers ? Nos troupes pouvaient le faire ; pour cela nous n’avions pas besoin
d’intervention étrangère. Est-ce pour faire mettre en exécution les 24 articles
du traité du 15 novembre ? Leur mission ne le leur permet point ; la convention
du 22 octobre ne porte que sur l’évacuation de la citadelle, et cette besogne
faite, ils doivent battre en retraite et rentrer chez eux.
Quel service vient donc nous rendre l’armée française
? Je n’en vois aucun ; au contraire il me semble que notre position va être
rendue plus précaire ; car se flatte-t-on de trouver Guillaume plus flexible
après l’évacuation ? Il est assez malin d’esprit pour pouvoir apprécier combien
la présence seule des troupes françaises sur notre territoire a augmenté la
défiance des puissances du nord, et au lieu de songer à faire quelques
concessions, son entêtement ne fera que s’endurcir et ses prétentions
qu’augmenter. On dirait même que c’est aussi la crainte du ministère, si j’ai
bien compris M. Goblet dans le rapport qu’il nous a lu dans la séance du 16,
lorsqu’il a dit que des difficultés attendaient la diplomatie belge ! Cependant,
messieurs, la coupe des concessions est vidée pour nous, et puisqu’enfin
l’intervention française a lieu, tâchons par notre attitude ferme qu’elle le
soit du moins pour nous conduire à une fin heureuse de nos affaires, et que
cette année ne nous quitte plus avant que toutes les difficultés soient
aplanies et notre indépendance assurée.
Si notre armée, qui a coûté tant de millions, doit
rester l’arme au bras, du moins j’espère que dès l’instant même que le feu
hollandais aura fait le moindre dégât à une propriété belge, elle pourra agir,
et que nous ne pousserions pas la pusillanimité à un tel point que nous
demanderions à la conférence la permission d’allumer une mèche. C’est en quoi
je voudrais voir amender le paragraphe du projet d’adresse qui a trait à notre
armée.
A ceci, il me semble, devrait dans ce moment se borner
la discussion de l’adresse, car tout est pour nous dans la question extérieure
: si nous n’avons point d’existence et qu’elle ne soit indépendante, que nous
servent les affaires de l’intérieur ? Mais comme on a touché dans le projet
différentes branches de l’administration intérieure, je me permettrai quelques
observations à leur égard.
Il est vrai qu’au lieu de juges amovibles, nous avons
obtenu des nominations à vie ; mais je ne puis dire que les vœux de la nation
ont été entièrement accomplis dans cette matière, et je me flatte que le
gouvernement ne trouvera pas à satisfaire à sa promesse et au vœu de la loi de
nous présenter pendant la session présente une nouvelle circonscription des
arrondissements judiciaires et des cantons de justice de paix. Déjà nous
touchons à la fin de novembre ; comment donc pourrait-on nous présenter encore
assez tôt les budgets de l’exercice de 1833 et les voter avant l’année
prochaine ? On voudra derechef nous faire voter de confiance des crédits
provisoires ; je ne sais si cela conviendra à tous les membres de la chambre,
mais ce que je sais positivement, c’est que la faute doit être uniquement
attribuée au ministère que le temps nous manquera pour discuter les budgets.
Pourquoi n’a-t-il pas voulu convoquer en temps les chambres ? Heureusement que
la constitution était là ; car, sans cette disposition salutaire qu’elle a
consacrée pour nous réunir de droit à un jour déterminé, j’ai tout lieu de
croire que cette année on avait envie de se passer des chambres législatives.
Je ne puis dire que le régime d’impôts sous lequel
nous vivons soit aussi doux et aussi modéré que le ministère veut bien nous le
faire comprendre ; nous avons encore la plupart des lois de finances, qui sous
Guillaume ont été dans la catégorie des griefs qui nous a fait secouer son joug
; les fiscalités n’ont pas cessé, au contraire elles n’ont fait que croître, et
les mêmes hommes qui les exerçaient alors ont encore les mêmes places et le même
pouvoir pour vexer les contribuables et gêner leur industrie.
Il est certainement à désirer que la loi sur la garde
civique soit révisée, car elle présente beaucoup de défectuosités. Mais
cependant ce n’est pas aux défectuosités seules de la loi que nous devons
attribuer la désorganisation presque complète de notre garde nationale : si on
avait songé sérieusement à vouloir la conserver et la mettre sur un bon pied de
guerre, je suis certain que la nation entière serait courue au-devant des
désirs du gouvernement ; mais il a paru qu’on avait peur de laisser sous les
armes cette troupe citoyenne, comme il semble qu’on est dégoûté de la blouse et
qu’on voudrait nous faire oublier que ce vêtement consacré par la loi a fait
l’honneur de la Belgique dans les glorieuses journées de notre révolution.
Je réserve mon vote sur
l’ensemble du projet d’adresse jusque après la discussion, mais je me flatte
que la chambre en retranchera ce douloureux passage qui concerne le sort de nos
malheureux frères du Limbourg et du Luxembourg ; quoique vendus, ils ne sont
pas encore livrés et que jusqu’alors nous avons l’espoir de conserver et celui
que la providence, dans sa justice, exaucera nos vœux et ne permettra que le
sacrifice de ces victimes soit consommé.
Et d’un autre côté, je ne puis croire que la chambre
fermera son adresse sans penser à ce malheureux compatriote qui gémit depuis si
longtemps dans les fers de Guillaume et qu’elle répétera ses vœux pour la
délivrance du sénateur Thom et permettez-moi, messieurs, que je saisisse cette
occasion pour proposer à la chambre de voter en reconnaissance de son
patriotisme et de sa prévoyance, des remerciements à notre honorable collègue
du Luxembourg, qui a su procurer au gouvernement un otage, qui doit
nécessairement faire approcher le terme de cette délivrance.
M. de Nef.
- Messieurs ! en approuvant en général le projet d’adresse, qui est aujourd’hui
soumis à notre délibération, je ne puis cependant pas donner mon assentiment au
paragraphe qui tend à obliger le ministère à évacuer les parties du Limbourg et
du Luxembourg, qu’après l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité, et
malgré que notre territoire serait entièrement libre et délivré de la présence
de l’ennemi.
Avant de nous séparer vers la fin de la dernière
session, nous avons-nous-mêmes indiqué l’évacuation du territoire comme devant
précéder toute négociation sur les autres parties du traité ; le gouvernement
est à la veille d’obtenir ce résultat par l’intervention de la France et de l’Angleterre,
et c’est alors que nous irions l’entraver dans sa marche en protestant contre
des engagements qu’il peut avoir contractés que l’honneur ne permet pas de
violer.
D’un autre côté, messieurs, la conservation des
parties du Limbourg et du Luxembourg n’est pas le principal moyen que nous
avons pour forcer la Hollande à l’exécution du traité ; ce moyen principal et
que nous ne devons pas abandonner, c’est le refus d’acquitter notre part dans
la dette avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du traité.
Dans le moment de crise où
nous nous trouvons, le gouvernement a besoin de toute sa force ; n’allons donc
pas paralyser son action par une opposition dont rien, jusqu’à présent, ne
démontre la nécessité, qui pourrait avoir pour résultat de nous priver de
l’appui de nos véritables alliés. Le ministère, d’ailleurs, doit comprendre sa
position, et aucun motif n’existe, selon moi, pour lui retirer notre confiance,
et croire qu’il abusera de la liberté que nous lui laisserions, d’agir suivant
les circonstances, et, dans l’intérêt bien entendu du pays.
M. le président.
- La parole est à M. Deleeuw.
M. Deleeuw.
- Il me semble que l’attention de la chambre, longtemps soutenue, peut être
fatiguée ; comme je dois entrer dans quelques développements, je demande que
l’on veuille bien ne m’entendre que demain.
Une voix. - Il faut clore la discussion générale !
D’autres voix. - Il faut
continuer ! A demain ! à demain !
M. de Haerne.
- Comme il reste encore quelques instants avant l’heure accoutumée où finit la
séance, je désire les mettre à profit, en présentant plusieurs observations. Je
suis d’ailleurs inscrit pour parler.
Messieurs, j’ai examiné rapidement le discours du trône,
et je l’ai comparé au rapport du ministre des affaires étrangères ; j’ai fait
quelques réflexions sur ces deux pièces qui ne peuvent être séparées l’une de
l’autre.
J’ai depuis confronté les pièces avec le projet
d’adresse, et il résulte de ce travail que, dans mon opinion, le projet
d’adresse me paraît trop vague et trop pâle sous plus d’un aspect.
Et d’abord, messieurs, il me paraît que la
désapprobation du système suivi par le ministère n’est pas assez complétement
tracée ; j’aurais voulu que le projet d’adresse désavouât nettement et
entièrement la marche suivie par le gouvernement, quant au principe qu’il a
adopté et quant à ses suites. Quant au principe, je veux dire ce qui concerne
les ratifications avec des réserves, les ratifications de la Prusse, de
l’Autriche, ainsi que les ratifications de la Russie qui ont suivi les
premières.
Le projet d’adresse renferme deux parties : l’une
relative à l’intérieur, l’autre aux questions extérieures. Quoique les
questions intérieures soient d’une grande importance, je crois cependant que
pour le moment nous pouvons nous dispenser d’entrer dans de longs détails sur
cet objet, parce que la question étrangère est beaucoup trop grave, et doit
occuper la chambre exclusivement.
Le ministère, dans le discours du trône (car il est
convenu d’attribuer ce discours au ministère), a parlé des faits qui se
seraient accomplis depuis la clôture de la dernière session, et entre autres de
la reconnaissance de la Belgique et de son Roi.
Messieurs, personne plus que moi ne désirerait que la
reconnaissance de la Belgique, par les cinq puissances, fût un fait accompli.
Ce n’est pas qu’il faille attacher à cette reconnaissance toute l’importance
qu’y met le ministère ; car cette reconnaissance, quand elle serait sincère, ne
serait encore qu’une vaine formule aux yeux des rois. Si au fait de la
révolution venait se substituer le fait de la restauration, vous verriez si la
reconnaissance de ce dernier se ferait longtemps attendre.
Si le ministère ne parlait pas de cette reconnaissance
pour enlever à la représentation nationale de nouvelles concessions, je
garderais le silence ; mais dans les circonstances actuelles je dois dire toute
ma pensée.
Non, messieurs, la reconnaissance n’est pas réelle ;
elle est fictive ; elle est conditionnelle.
II s’est agi, plus d’une fois, dans cette chambre, de
cet objet. On a démontré plus d’une fois que cette reconnaissance n’était rien
aux yeux des puissances, n’était qu’un fait que les cabinets nieraient plus tard
; et on a cité à cet égard les usages diplomatiques. On a prouvé que d’après
ces usages, lorsqu’un peuple se soustrait à la domination d’un souverain, les
cabinets ne reconnaissent l’indépendance du peuple qu’autant que le souverain
répudié la reconnaît lui-même.
Plus tard il est survenu un surcroît de preuves sur ce
point. Vous avez vu les ratifications de l’Autriche et de la Prusse,
ratifications suspensives et qui remettaient en question le traité des 24
articles et l’existence de la Belgique. En effet, elles s’en réfèrent à la
diète germanique, laquelle ne peut ratifier les concessions de territoire que
du consentement de chacun des membres de la confédération et du souverain
dépossédé lui-même. Par conséquent l’Autriche et la Prusse n’ont consenti les
24 articles qu’à condition que le roi y adhérât.
Mais il y a plus : j’ouvre un rapport fait à la
chambre par le ministre des affaires étrangères et où je vois un projet de
traité entre les cinq puissances d’une part, et le roi de Hollande de l’autre.
Ce traité est conçu en trois articles, où il est dit
formellement que la reconnaissance de la Belgique n’est envisagée que comme une
dérogation aux traités de Vienne. Il n’est question dans ce projet de traité
que de la séparation administrative de la Belgique et de la Hollande ; toutes
les autres parties du traité de Vienne relatives à la Belgique restent
intactes. En conséquence, on peut en inférer que les puissances n’ont nullement
reconnu notre royauté constitutionnelle.
Je me serais abstenu de ces détails, si le ministère
n’abusait sans cesse de la prétendue reconnaissance pour arracher de nouvelles
concessions aux chambres.
Lorsque MM. Bresson et Cartwright sont venus faire des
propositions au gouvernement provisoire, et plus tard lorsqu’il s’est agi de l’élection
du Roi, on a prétendu que les puissances avaient reconnu la Belgique : on a dit
la même chose lors de la discussion des 24 articles. Une Belgique qui a besoin
d’être reconnue tant de fois est une Belgique bien faiblement constituée aux
yeux des puissances.
On assure que la restauration est une chimère ; et
c’est le ministre de la justice qui vient de nous le dire...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je n’ai pas dit cela !
M. de Haerne.
- On prétend que la marche du ministère ne tend pas à la restauration : c’est
le ministère qui le dit ! Cependant la marche du gouvernement nous entraîne
sans termes vers de nouvelles concessions.
Je n’ai pas besoin de déclarer que je ne suis pas partisan
de la restauration. J’envisage la restauration comme le plus grand fléau qui
puisse peser sur la Belgique : quoi qu’il en soit, il n’en est pas moins vrai
que le système du ministère conduit à cette fatale restauration.
Le ministère est à genoux devant la conférence ; que
veut la conférence ? Ce que veut le roi Guillaume.
Le problème politique qui se présente peut se mettre
en équation : on peut dire : « Le gouvernement de la Belgique est à la
conférence ce que la conférence est au roi Guillaume. » Cela me paraît
d’une rigueur algébrique. (On rit.)
Le principe du système ministériel, c’est l’adoption
des ratifications avec réserves. Par cette adoption le traité des 24 articles
est entièrement faussé : ou bien le ministère est forcé de rejeter les ratifications
conditionnelles, ou bien il n’existe plus, selon moi, de traité des 24
articles. Voilà le dilemme que je propose au ministère.
Vous savez, messieurs, que j’ai plus d’une fois appelé
votre attention sur ce point important. Lorsque j’ai vu les ratifications
conditionnelles, j’ai compris le piège de la diplomatie. Aussitôt que les
ratifications de l’Autriche et de la Prusse nous furent soumises par M. le
ministre des affaires étrangères, j’ai dit ce qu’il en résulterait ; et vous
voyez maintenant les conséquences du principe adopté par le gouvernement.
La Russie est venue compléter cette œuvre de
déception. Dès que sa ratification nous fut connue, j’ai interpellé le
ministère afin de savoir quelles étaient ses intentions à l’égard de notre
ambassadeur qui avait consenti cet acte d’iniquité.
M. le ministre des affaires étrangères a hésité. Dans
ses réponses ; il a tergiversé ; il n’a pas fait voir sa pensée entière, mais
il a laissé entrevoir l’espoir du renvoi de cette ratification trompeuse.
D’après cet espoir donné par le ministère précédent, les chambres n’ont jamais
accepté formellement les ratifications avec des réserves faites par la Prusse,
l’Autriche et la Prusse.
Nous ne pouvons, a dit un orateur, nous ne pouvons
nous soustraire au traité du 15 novembre. Messieurs, je conviens que le
ministère doit suivre la voie, la ligne qui lui a été tracée par la
représentation nationale.
Je conviens qu’il doit s’en tenir au traité des 24
articles ; mais entre ce traité tel qu’il a été compris par les chambres,
lorsqu’elles y ont donné leur consentement, et le traité des 24 articles avec
les réserves des trois puissances, il y a une distance immense, distance que
nous ne pouvons même pas apprécier dans toute son étendue, puisque nous ne
savons pas ce qui va découler du système des concessions.
Après le système du ministère précédent, est venu
celui du ministère actuel, ou le système de M. Goblet. Jusqu’à un certain point
ce dernier système me paraît la conséquence du précédent, car le ministère
précédent s’est rendu coupable de grandes faiblesses.
Dans la diplomatie, lorsqu’on est faible, lorsqu’on
veut rester stationnaire, on recule. Ainsi l’on peut dire que la voie a été
préparée à M. Goblet par M. de Muelenaere.
Le système de M. Goblet se résume en deux points :
d’abord commencement de négociation avant l’évacuation du territoire ; et par
conséquent ce système est contraire aux adresses des chambres. En second lieu,
évacuation du territoire contrairement au 24ème article du traité du 15
novembre ; car le ministère ne pouvait consentir à l’évacuation du territoire
qu’après que le traité eût été adopté par la Hollande, eût été un traité formel
et susceptible d’exécution. Il n’est pas raisonnable de soutenir qu’il faut
exécuter un traité qui n’est pas un véritable traité. Jamais les chambres n’ont
entendu autrement les choses.
Il vous a été dit, par M. Nothomb, que demander
l’évacuation préalable du territoire, et demander l’adhésion de la Hollande aux
traités, c’étaient deux choses inconciliables (M. Goblet a tenu à peu près le
même langage) ; mais on a établi cette distinction sur de vaines subtilités, Il
n’est nullement contradictoire de demander l’adhésion de la Hollande au traité
et de demander l’évacuation préalable : car l’évacuation suppose l’exécution du
traité accepté par toutes les parties, et ou n’exécute pas un tracté qui n’en
est pas un ; et l’adhésion de la Hollande avait toujours été une condition du
consentement de la Belgique aux 24 articles.
Il a été parlé de la note du 11 mai par M. Goblet :
c’est argumenter du silence de la chambre contre des décisions antérieurement
prises.
La note du 11 mai peut être invoquée à l’appui du
système du ministère ; jamais cette note n’a reçu l’adhésion de la chambre.
Et si la commission des adresses du mois de mai a eu
connaissance de cette note, il suffit que les adresses n’en aient pas parlé
explicitement, pour qu’on ne puisse pas en tirer un argument en faveur du
ministère. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les chambres ont eu confiance
dans le ministère ; qu’elles se sont bornées à observer ses mouvements et à
voir comment il se conduirait.
Je ne puis m’empêcher de dire un mot sur l’expédition
française et anglaise, expédition entreprise pour l’exécution partielle des 24
articles. Cette intervention étrangère me paraît préjudiciable en principe. Il
est de règle générale que celui qui invoque l’assistance d’autrui se met
jusqu’à un certain point dans la dépendance d’autrui.
Mais, si cette intervention avait un but utile pour la
Belgique, je ne m’y opposerais pas. Nous savons quelle combinaison a amené
l’intervention ; nous savons que si deux puissances exécutent le traité dans un
sens, les autres puissances l’exécutent dans un autre sens. Si certain
protocole n°65 n’existait pas, nous pourrions croire que l’intervention est
utile ; mais ce protocole 65 a été signé par la France elle-même ; et il
s’ensuivra que lorsque les Français se seront emparés de la citadelle d’Anvers
et que les Prussiens se seront emparés du Limbourg, on recommencera les
négociations et on vous forcera à faire de nouvelles concessions. C’est le
système du Foreign-Office transporté sur les champs de bataille, ce sont des
protocoles qu’on vous présentera au bout des baïonnettes. (Sensation.)
Nous ne pouvions, a dit un orateur, exécuter le traité
des 24 articles par nous-mêmes, Mais s’il en est ainsi, je ne vois pas pourquoi
le ministère nous a demandé de si grands sacrifices, des sacrifices d’hommes et
d’argent. Si notre armée est condamnée à rester spectatrice des opérations
militaires auxquelles les hautes puissances veulent bien se livrer sur notre
territoire, il me paraît que ces sacrifices étaient complétement inutiles. Et,
messieurs, je ne parle pas de tout ce qu’il y a de blessant, de contraire à
l’honneur national dans cette intervention de troupes étrangères qui viennent
faire exécuter un traité qui nous regarde, tandis que notre armée se voit
forcée à n’y prendre aucune part. Chacun sentira combien cette impassibilité de
l’armée belge est un sacrifice douloureux qu’on aurait dû nous épargner.
Messieurs, le traité des 24 articles pouvait être
exécuté par nous-mêmes. Mais en tout cas, si l’on voulait invoquer
l’intervention étrangère, il ne fallait le faire que dans la vue de contraindre
la Hollande à adhérer pleinement au traité, et non point pour un commencement
d’exécution de ce même traité.
D’après ces
considérations vous voyez que le projet d’adresse ne me satisfait pas. Je
présenterai des amendements ou j’adopterai ceux qui seront proposés pour le
rendre plus expressif et plus formel relativement à la marche suivie par le
ministère.
Plusieurs membres
demandent que la discussion soit remise à demain.
M. H. de Brouckere. - M. le président, je désirerais que les différents
membres qui se proposent de présenter des amendements voulussent bien les
déposer sur le bureau, comme je vais le faire moi-même, afin que ces
amendements pussent être imprimés et distribués. De cette manière la discussion
deviendrait beaucoup plus facile. (Appuyé
! appuyé !)
La séance est levée à 4 heures.