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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 novembre
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif aux budgets provinciaux
3) Projet d’adresse en réponse au discours du
trône. Exécution du traité des 24 articles, intervention de l’armée française à
Anvers, système diplomatique suivi par le gouvernement (Dumortier,
Deleeuw, Dumortier, Mary, Angillis, J. Vanderbelen, H. Vilain XIIII)
4) Projet de loi portant le budget de l’Etat pour
l’exercice 1833
5) Projet d’adresse en réponse au discours du
trône. Exécution du traité des 24 articles, intervention de l’armée française à
Anvers, système diplomatique suivi par le gouvernement (Devaux,
Pirson, Jaminé, F. de Mérode, de Brouckere, F.de Mérode)
(Moniteur belge
n°327, du 24 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
A midi et demi M. Jacques fait l’appel nominal.
La séance est ouverte, et M. Dellafaille donne lecture du
procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
PROJET DE LOI RELATIF AUX BUDGETS PROVINCIAUX
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) prend la parole pour présenter un projet de loi
portant règlement des budgets provinciaux pour l’année 1833. Ce projet est
renvoyé devant les sections de la chambre.
M. le président.
- L’ordre du jour est la continuation de la discussion du projet d’adresse. La
parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier.
- J’ai vu un amendement remis par M. Deleeuw ; comme cet amendement s’éloigne
beaucoup des vœux de la commission, je crois que M. Deleeuw doit être entendu avant
moi.
M. Deleeuw.
- Notre position politique a sans doute été appréciée par tous les membres de
la chambre. Il ne fait pas nous exagérer nos forces ; au contraire, il faut les
mettre à leur juste valeur.
Nous ne sommes pas une puissance ; nous dépendons plus
ou moins des cinq grandes puissances ; nous sommes, il faut le dire
franchement, enlacés dans un réseau diplomatique. C’est dans cet état de choses
que je tâcherai d’examiner brièvement et impartialement nos droits et nos
intérêts.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il puisse être question
de répudier le traité des 24 articles, comme l’a dit hier un honorable
préopinant ; il n’est plus temps. Ce n’est point sur ce terrain qu’il faut
placer la discussion. Il faut uniquement examiner de quelle manière le traité
du 15 novembre peut être exécuté. Il ne faut pas se borner à voir le mieux des
choses, mais les possibilités.
Messieurs, on a dit hier, et selon moi avec une grande
raison, que le traité du 15 novembre renfermait deux genres de dispositions ;
les unes susceptibles d’une exécution immédiate, les autres susceptibles de
nouvelles négociations. Je pense que cela n’est contesté de personne. De là,
messieurs, il résulte nécessairement une exécution partielle, graduelle du traité.
Examinons bien ce que c’est qu’une exécution
partielle. Ne nous attachons pas trop, dans ce moment, à telle ou telle partie.
Je suppose qu’au lieu d’exécuter la partie que je nommerai topographique on en
prenne une autre, celle des finances, par exemple, ou celle de la navigation,
et que l’on voulût forcer cette exécution à main armée. Voudrions-nous,
messieurs, que cette exécution se fît uniquement à l’égard de nos ennemis, et
que nous, nous n’y eussions aucune intervention, que nous, nous ne dussions pas
y participer ? Messieurs, la convention du 22 octobre dernier est, selon moi,
une pièce de la plus haute importance, et je me permettrai d’en parler, parce
qu’il me semble que hier un honorable membre en a méconnu l’esprit et la
portée.
On a dit que cette convention du 22 octobre avait pour
but unique et renfermait le sens unique de l’évacuation de la citadelle
d’Anvers et des forts qui en dépendent. Je crois que cette interprétation est
erronée. Selon moi, ce qui domine dans la convention du 22octobre, c’est
l’exécution entière du traité de novembre. Pour s’en assurer, il suffit de lire
le préambule et l’article premier de la convention. Le premier pas à faire vers
l’accomplissement du traité est forcément l’évacuation de la citadelle
d’Anvers. Il ne faut pas considérer la convention du 22 octobre aussi
restrictivement qu’on l’a fait hier. Nous restons toujours, nonobstant cette
exécution partielle, nous restons toujours, ainsi que les puissances, sous
l’empire du traité du 15 novembre. C’est textuellement écrit.
Il y a nécessité d’un commencement d’exécution.
L’article 24 du trône du 15 novembre supposait des ratifications respectives :
l’impossibilité de ces ratifications est démontrée aujourd’hui. Il a donc fallu
changer la marche diplomatique ; il a fallu toujours en venir à un commencement
d’exécution. Ce sont les armes qu’on emploie maintenant ; auparavant on
employait les négociations, on voulait les ratifications. Les deux puissances
qui, dans ce moment, se sont donné la mission de haute police sont dans la
nécessité d’exécuter le traité de cette manière.
Ce commencement d’exécution regarde la Hollande ; mais
il me semble qu’il doit aussi nous regarder. On force la Hollande à évacuer la
citadelle d’Anvers et les forts qui en dépendent. Cette évacuation opérée,
sommes-nous dans la position de pouvoir exiger la conservation des parties de
territoire qui sont concédées à la Hollande en vertu du traité du 15 novembre ?
Je me permettrai de vous faire observer, messieurs, que c’est là une question
de droit.
Si l’on admet que le traité du 15 novembre doit
nécessairement être exécuté partiellement, il faut que la partie que l’on
exécute le soit complétement. Il me semble que l’on ne peut forcer l’évacuation
de la citadelle, alors que nous resterions en possession de ce qui revient au
roi de Hollande.
Je conçois ce qu’il y a de pénible dans une pareille
nécessité ; elle est extrêmement douloureuse, et nul plus que moi ne le
ressent.
Messieurs, il y a une grande différence
entre l’évacuation de la citadelle d’Anvers opérée par notre propre armée, ou
opérée par les armées de deux puissances. Mais ne pouvant nous-mêmes opérer
l’évacuation au point où en sont venues les choses, les deux puissances qui
s’en chargent ne veulent pas travailler uniquement dans nos intérêts ; elles
travaillent aussi dans les intérêts des deux parties, afin d’assurer la paix ;
elles travaillent dans un intérêt européen.
Je pense, d’après ce que je viens de dire, que le
paragraphe 5 du projet d’adresse, ne peut être conservé dans sa rédaction
actuelle. Quand il s’agira de développer mes motifs, j’entrerai dans de
nouvelles considérations. J’ai proposé un amendement dont j’avoue n’être pas
assez satisfait.
M. Dumortier.
- Messieurs, seize mois se sont à peine écoulés depuis le jour où furent
prononcés ces paroles à jamais mémorables, ces paroles qui doivent rester
profondément gravées dans nos cœurs et qui eurent alors un si grand
retentissement en Belgique : « Si je suis Belge par adoption, je serai
Belge par ma politique. » Seize mois à peine écoulés et déjà les
conseillers de la couronne ont porté le gouvernement dans des mesures qui sont
en contradiction avec ces paroles que nous conservions avec tant de sollicitude.
Vous avez vu, messieurs, par le discours de la
couronne les maux dont la Belgique est menacée, et les orateurs qui m’ont
précédé vous les ont fait connaître. J’aurais désiré, lors des premiers moments
de l’ouverture de la session, qu’il nous fût donné d’arrêter ces conseillers
parricides dans la voie qu’ils voulaient suivre ; mais les ministres du Roi s’y
sont opposés ; ils nous ont placé dans la position de voir l’intervention sans
pouvoir nous y opposer et de pouvoir nous dire par la suite que nous aurions pu
l’empêcher.
Maintenant que le fait est consommé, notre devoir est,
dans l’intérêt du pays, d’en empêcher les suites funestes et d’arrêter le
pouvoir au bord du précipice où il a placé le pays. Messieurs, je n’ai pas
l’intention d’en appeler à ces cœurs généreux qui, regrettant l’abandon de nos
frères, voudraient faire de vains efforts pour empêcher qu’ils ne nous fussent
arrachés : mes sentiments sont connus de l’assemblée ; aujourd’hui, je vais
seulement vous dire quels sont les résultats de la conduite du ministère, et je
montrerai combien cette conduite est coupable.
Si le gouvernement avait appelé l’intervention pour
exécuter le traité dans son entier, à coup sûr, nous n’aurions pas un mot à
dire. A la vérité, il serait douloureux pour nous de voir que tous les
sacrifices que nous avons faits soient à pure perte ; mais l’article 24 du
traité du 15 novembre est trop clair pour que nous puissions émettre autre
chose que des regrets. Mais le traité ne sera exécuté que dans une seule partie
du territoire.
Le ministère aurait dû voir avant tout quel était le
but du roi Guillaume : son but est de temporiser autant qu’il pourra, afin de
saisir l’occasion de remonter sur le trône ; les efforts du ministère devaient
donc être de paralyser les tentatives de nos ennemis, et, pour cela, le premier
moyen que l’on devait nous procurer, c’était la reconnaissance. Sans la
reconnaissance nous n’avons qu’une existence précaire ; sans la reconnaissance
nous pouvons voir chaque jour arriver la restauration et les horreurs qu’elle
entraîne à sa suite.
Il ne faut pas s’y tromper, la reconnaissance, vous ne
l’avez pas.
Lorsque la ratification de la Russie au traité des 24
articles vous fut soumise, un honorable député auquel est confié le
portefeuille de la justice, s’est formellement prévalu de ce qu’on avait mis
dans le protocole : « S. M. le Roi des Belges, » tandis que jusque-là
on avait dit simplement : « le gouvernement belge, » c’est-à-dire le
gouvernement de fait qui existe en Belgique ; cependant les choses en sont
encore au même point, et vous verrez dans les autres protocoles que l’on parle
de sa majesté le roi de Hollande, et que l’on n’y parle pas du roi des Belges.
Non, vous n’êtes pas reconnus par la conférence ; vous n’êtes pas reconnus par
toutes les puissances.
Le devoir du ministère était donc de nous préparer
avant tout la reconnaissance. C’est à quoi il paraît n’avoir attaché aucun prix
; c’est, messieurs, une des plus grandes fautes qu’il ait pu commettre.
Le ministère est arrivé à la chambre avec un fait
consommé et n’ayant d’autre but que de se maintenir. Hier, un honorable orateur
qui siège à ma droite, vous a dit avec beaucoup de raison quelles sont les
conséquences de ce fait ; le gouvernement aurait dû voir que l’échange des
territoires non consenti n’amènera la solution d’aucune des grandes questions
qui nous divisent. La reconnaissance vous manque ; le partage de la dette n’est
pas réglé ; la liberté de l’Escaut est encore hypothétique, et, remarquez-le
bien, messieurs, parmi les cinq puissances, il en est deux à qui cette question
est indifférente, et une qui a intérêt à nous être hostile ; la navigation
intérieure est toujours contestée ; la question du territoire elle-même est
encore indécise, car la clause de réserve qui affecte le Luxembourg, affecte
par cela même le Limbourg, puisqu’une partie du Luxembourg ne nous était donnée
qu’en échange du Limbourg. Vous savez tous, messieurs, que cette partie du
traité est incomparablement la plus onéreuse.
Vous vous rappelez avec quels déchirements de cœur
nous avons consenti à cette clause qui nous arrachait à nos frères, qui avaient
les mêmes droits que nous de secouer le joug de Guillaume. Mais cette dure
séparation sera sans fruit pour la Belgique et notre position beaucoup empirée.
D’abord sous le rapport des ressources militaires, en
perdant un dixième de notre population nous perdons un dixième de notre armée,
tandis que celle du roi Guillaume s’accroîtra d’un chiffre équivalent, et nous
nous trouverons ainsi dans l’impossibilité de lutter à armes égales.
Sous le rapport des positions stratégiques, nous
éprouvons une perte sensible. La citadelle d’Anvers est un point inerte, est un
point qui ne nous donne plus de crainte, depuis que Chassé a fait des menaces
qu’il n’a pas osé exécuter.
Quant au territoire, la Belgique présente une pente
qui s’incline vers la mer. Vers l’ouest nous ne pouvons attaquer faute de
marine et nous pouvons être inondés quand la Hollande le voudra : notre intérêt
est donc d’attaquer la Hollande par la Meuse. La place de Venloo nous donnait
un pied dans la Hollande ; et il n’y a pas longtemps que nous avions des
compagnies à deux lieues de Nimègue et à deux lieues de Graves : tous ces
avantages sont perdus.
Sous le rapport des finances vous allez vous priver de
la dixième partie de vos ressources pécuniaires, dans un moment où le besoin de
ces ressources se fait vivement sentir.
Enfin, messieurs, une perte qui ne sera pas moins
sensible, c’est celle de l’influence révolutionnaire. Notre force, à nous,
consiste dans la sympathie des peuples du Brabant septentrional ; à cet égard,
nous sommes à la Hollande ce que l’armée anglaise était à l’armée française
dans la guerre de la péninsule. Si la guerre venait à éclater, d’après les
dispositions des habitants de ces provinces, nous irions à coup sûr, tandis que
l’armée hollandaise ne pourrait marcher qu’à pas incertains.
Après cela, messieurs, appellerai-je votre attention
sur la considération morale ? Par la concession des territoires le gouvernement
va remettre sous le joug de la Hollande, sans aucune garantie, les habitants de
contrées qui ont coopéré à notre révolution ; le ministère les replace sous le
joug de la restauration, sous le joug odieux qu’ils ont si glorieusement secoué
et cela, lorsque l’héroïque Pologne est là pour nous apprendre ce que c’est
qu’une restauration. Voilà à quoi il expose quatre cent mille de nos frères,
voilà la conduite du ministère ; en faut-il davantage pour montrer combien elle
est coupable ?
Un honorable membre nous a parlé de la ruine d’Anvers
: si cette cité est exposée à devenir un monceau de ruines, à coup sûr le
spectacle des débris qui en couvriront la place ne sera pas pour nous moins
déchirant que l’abandon des populations du Limbourg et du Luxembourg ! Eh bien
! c’est à cette horrible condition que le ministère vient de vendre le dixième
de la Belgique. Il l’échange pour quoi ? Pour des ruines et des tombeaux !
En examinant la question sous le simple rapport de
l’égoïsme, il est facile de voir que la Belgique avait, dans les provinces que
l’on veut céder, un gage, une garantie de l’exécution du traité ; cette
garantie, nous la perdons irrévocablement ; nous ne pourrons donc obtenir
l’accession du roi de Hollande au traité du 15 novembre que par de nouveaux
sacrifices ; et certes, le moment de faire ces sacrifices n’est pas éloigné.
Rappelez-vous que, tandis que les puissances ont
consenti à intervenir dans nos affaires, la Prusse a présenté un projet de
contre-traité, qui contient des conditions à notre défaveur. Ce contre-traité a
reçu l’approbation de l’Autriche et de la Russie, et l’ambassadeur d’Angleterre
a donné à entendre, par ses notes, qu’il n’était pas éloigné à ce que de
nouveaux sacrifices fussent faits au profit de la Hollande.
D’autre part, le procès-verbal de la ratification de
la Prusse a parlé d’articles explicatifs au traité du 15 novembre.
C’est là que les puissances vont maintenant en venir ;
ainsi, après avoir exposé la ville d’Anvers à un bombardement pour obtenir la
permission de céder le Limbourg et le Luxembourg à la Hollande, nous nous
trouverons dans la position désastreuse d’être obligés à de nouvelles
concessions, ou de faire la guerre.
La guerre nous sera impossible ; nous aurons affaibli
notre armée, nous aurons perdu nos positions ; nous devrons donc passer partout
où il plaira à la conférence, trop heureux s’il nous reste encore des yeux pour
pleurer les malheurs de la patrie.
Et d’ailleurs, qui peut en douter, la France après
avoir pris les armes pour nous, les tournera inévitablement contre nous.
Une des plus grandes fautes où le gouvernement soit
tombé, c’est de s’être laissé traîner à la remorque par la France.
Rappelez-vous ce qui s’est passé à l’élection du duc
de Nemours ; c’est la France qui nous a fait commettre cette faute. C’est elle
qui nous a empêché de faire la guerre l’année dernière ; elle a dit au Roi : Si
vous faites la guerre, vous devez renoncer à mon alliance. Dans toutes les
circonstances la France a fait ses affaires et non les nôtres. La France,
d’ailleurs, n’est pas en état de guerre avec la Hollande, c’est elle qui l’a
dit ; elle est toujours l’amie, l’alliée du roi Guillaume ; et quand Anvers
sera rendu, la France sera la première à nous imposer de dures conditions.
Ne croyez pas, messieurs, que ce que je viens de dire
soit en esprit d’hostilité à la nation française. Quand je dis la France, je
veux parler de son gouvernement : la nation française au contraire, qui marche
toujours en tête des nations pour le développement des principes de liberté,
mérite toute notre reconnaissance.
Mais autant mon cœur est de feu pour les Français,
autant il est de glace pour le gouvernement de la France. Plus tard, n’en
doutez pas, ce gouvernement viendra nous dire, comme autrefois pour la Pologne
: le sang français n’appartient qu’à la France : c’est pour la France seule
qu’il a été versé ; soumettez-vous !
Une chose contre laquelle je ne saurais trop m’élever,
c’est que notre ministère ait voulu rejeter la responsabilité de sa conduite
sur les représentants de la nation.
Ces jours derniers, un des ministres vous a dit que le
ministère avait agi selon les vœux formels des chambres, dans les adresses du
mois de mai.
Le ministre des affaires étrangères a dit qu’il était
extraordinaire que l’on blâma le ministère d’avoir fait ce que la chambre avait
demandé.
Au sénat, le ministre de la justice a cherché à
soutenir les mêmes assertions.
Hier encore, un député qui siège à ma droite, et qui
n’est pas étranger au gouvernement, vous a posé ce dilemme ; ou vous avez eu
tort de demander l’exécution du traité ou vous avez tort de blâmer aujourd’hui
le gouvernement de ce qu’il a réclamé cette exécution.
Je ne croyais pas que le ministère pût faire à la
chambre un affront plus sanglant que de reporter sur elle la responsabilité de
ses propres actes ; n’est-ce pas déclarer que nous aurions perdu le sens, que
de dire que nous avons applaudi à un pareil système, et que les représentants
du Limbourg et du Luxembourg auraient consenti, malgré le sang verse par leurs
compatriotes, à retomber sous le joug qu’ils avaient secoué, qu’ils auraient
consenti à s’échanger contre la citadelle d’Anvers, comme un fermier échange un
meuble contre un pré et tout le bétail qui s’y nourrit.
La chambre a voulu l’évacuation du territoire, oui,
sans doute ; mais elle a voulu une évacuation qui fût consentie par la
Hollande, et pourquoi ? Parce que ce consentement était l’adhésion au traité du
15 novembre.
On a cité hier les instructions du gouvernement : ces
instructions sont complétement étrangères à la chambre, et il était passablement
inutile de nous en donner lecture et surtout de prétendre que la chambre était
liée par ces instructions. La clause sur laquelle vous deviez le plus insister,
c’est la clause de la reconnaissance, parce que de cette clause découlait la
paix, la paix qui seule mettra un terme à la révolution. D’après l’article 26
du traité actuel il est dit :
« A la suite du présent traité, il aura paix
entre le roi des Pays-Bas et le roi des Belges, etc. »
Dans beaucoup de séances, le ministère s’est expliqué
clairement à cet égard.
Voici ce qu’a dit le ministre des affaires étrangères,
dans la séance du 19 novembre ; dans cette séance où l’on vous assurait que les
échanges des ratifications n’étaient plus que de simples formalités
diplomatiques. (On rit.)
« Dans la pensée du gouvernement, la clause
principale devait porter sur la reconnaissance de la Belgique et de son
souverain. »
Dans la séance du 12 mai, le ministre des affaires
étrangères s’exprimait ainsi :
« La question belge n’est ni dans la dette, ni
dans les limites ; elle était placée plus haut : il s’agissait de savoir si
l’indépendance et la royauté de la Belgique seraient reconnues. »
Voilà comment s’expliquait le ministère précédent, et
l’on a bien mauvaise grâce à nous assurer qu’on suit précisément la même marche
que lui.
Un honorable préopinant s’est prévalu de ce que la
chambre avait exigé la remise de la note du 11 mai ; et de là, il en a conclu
que la chambre avait adhéré à la conduite du ministère. Le motif véritable pour
lequel la chambre a exigé la remise de la note du 11 mai, c’est parce qu’elle
désapprouvait la conduite de notre ambassadeur à Londres, qui, par un acte de
faiblesse incompréhensible, avait accepté les réserves de la Russie.
La chambre crut devoir protester contre cet acte, et
je dirai même, en passant, qu’après une volonté aussi hautement manifestée, il
est étonnant que le gouvernement ait renvoyé à Londres le ministre qui avait
outrepassé ses pouvoirs.
On a dit qu’il y avait deux sortes de clauses, les
unes contestées, les autres qui ne l’étaient pas. Je vous ai démontré que la
clause du territoire n’était pas incontestable, puisque la réserve qui frappe
le Limbourg frappe aussi par cela même le Luxembourg, et lorsque l’on a soutenu
le contraire on a fait un raisonnement radicalement faux.
On a dit encore que ce qui domine dans le traité du 22
octobre, c’est l’exécution entière du traité du 15 novembre ; messieurs, c’est
là une grave inexactitude ; lisez le traité du 22 octobre, vous y verrez
« qu’un corps français entrera en Belgique dans le but de forcer les
troupes hollandaises à évacuer notre territoire, bien entendu que le roi des
Belges aura préalablement exprimé le désir de voir entrer les troupes
françaises dans le but ci-dessus indiqués. » Et plus loin on ajoute que « lorsque
la citadelle d’Anvers, les forts et lieux qui en dépendent se seront rendus ou
auront été évacués par les troupes hollandaises, ils seront remis aux autorités
belges, et les troupes françaises se retireront immédiatement sur le territoire
français. »
Ainsi voilà le but de l’intervention clairement
défini. Lisez maintenant la note du ministre des affaires étrangères du 29
novembre, et s’il vous restait encore quelques doutes, ces doutes disparaîtront
en voyant la déclaration du ministre : « Que S. M. le Roi des Belges
consent à évacuer le 12 de ce mois et même à une époque plus rapprochée, la
place de Venloo, les forts lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de
territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique, en même temps que le
gouvernement belge entrera en possession de la citadelle d’Anvers, ainsi que
des forts et lieux situés sur les deux rives de l’Escaut qui font partie du
territoire assigné à ce royaume par le traité du 15 novembre. »
Je vous je demande, messieurs, est-il possible de prétendre
que ce qui domine dans les conventions actuelles, c’est l’exécution entière du
traité du 15 novembre ?
Les puissances disent donc que l’intervention se
bornera à l’expulsion des troupes hollandaises de la citadelle d’Anvers, et
qu’immédiatement après les troupes françaises se retireront en France.
Il est remarquable que ce soit notre gouvernement qui
ait demandé l’exécution de cette partie du traité. Dans ses notes, il déclare
que la remise ne peut être que consentie, et maintenant il demande qu’il plaise
au gouvernement français de prendre des mesures pour faire évacuer le
territoire.
Avant que de donner à la Hollande des droits sur des
parties de notre territoire qu’elle acquiert par le traité il est facile de
voir que notre intérêt était de porter cette puissance à invoquer ce titre
parce qu’en l’invoquant, elle reconnaissait la Belgique. C’est ainsi que nous
avons toujours entendu la marche du gouvernement et j’adjure le ministre des
affaires étrangères de déclarer si dans la note présentée à la chambre, il
n’était pas question de la remise du territoire par suite de l’adhésion de la
Hollande au traité du 15 novembre.
Dans son rapport sur la question diplomatique le
précédent ministre des affaires étrangères avait déclaré à la chambre que
dorénavant le gouvernement ne voulait plus entendre parler de négociations
avant l’évacuation du territoire belge ; ainsi il s’agissait du territoire
belge et non du territoire appartenant à Hollande ; que si quelque doute
pouvait vous rester encore, je vous rappellerai, messieurs, ce qui s’est passé
; lorsque la commission chargée de la rédaction de l’adresse, nous présenta son
travail. Aimons à penser que les réserves faites en cédant le territoire, ne
portaient aucune atteinte au traité, lequel serait d’abord exécuté par
l’évacuation du territoire belge.
Dans la première rédaction, la commission s’exprimait
de la manière suivante :
« Nous aimons à penser que ces réserves ne
portent aucune atteinte au traité, qu’en ce sens les ratifications sont pures
et simples, qu’il sera exécuté, d’abord par l’évacuation du territoire belge,
que ce n’est qu’après cette exécution qu’il pourrait être question d’ouvrir les
négociations dont parlent les réserves. »
Ainsi, dans sa rédaction primitive, la commission
avait demandé l’évacuation préalable du territoire belge, ce qui n’est pas du
tout l’échange du territoire dont il s’agit maintenant, mais simplement
l’évacuation de notre territoire. Mais, ce système, conforme au discours du
ministre, n’obtint pas l’assentiment de la chambre : au contraire, elle le
répudia. Et, messieurs, j’appelle ici toute votre attention, au lieu de
l’évacuation préalable, elle adopta un amendement remarquable ainsi conçu :
« Nous pensons que ces réserves ne peuvent porter
aucune atteinte au traité, qu’aujourd’hui il est de notre droit, que le
ratifications doivent être pures et simples, qu’il doit être exécuté tel qu’il
a été conclu. »
Et afin, qu’on ne puisse s’y tromper, la chambre
ajoute :
« Le gouvernement, comme le pays n’a pu le
comprendre autrement ; toute interprétation différente serait contraire à la
loi, qui seule a pu autoriser la signature du traité et qui ne l’a autorisé que
dans les termes mêmes du traité. »
Maintenant, je vous le demande, messieurs, comment
qualifier la conduite du ministère lorsqu’il cherche à rejeter sur nous la
responsabilité de ses actes. Pour moi, je le déclare hautement, le ministère a
foulé aux pieds la volonté de la chambre, et cela, dans ce qu’elle a de plus
sacré, dans son honneur et dans son indépendance.
Un préopinant a déclaré que le ministère était sorti
de la légalité. J’irai plus loin.
Je dirai qu’en acceptant le traité du 22 octobre, il a
forfait à la constitution. Lisez l’art. 68 de la constitution, où il est dit :
« Les traités de commerce et ceux qui pourraient
grever l’Etat ou lier individuellement des Belges, n’ont d’effet qu’après avoir
reçu l’assentiment des chambres.
« Nulle cession, nul changement, nulle adjonction
de territoire ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi. Dans aucun cas, les articles
secrets d’un traité ne peuvent être destructifs des articles patents. »
Ce texte me paraît évident.
L’essence d’un traité c’est de constituer un ensemble,
un tout ; c’est que tous les articles en soient corrélatifs : or, le traité du
22 octobre ne parle que d’une partie du traité et de la partie la plus
onéreuse. En adhérant à ce traité, le ministère a agi sans consulter les
chambres, et cela, quoique le ministère précédent ait pris l’engagement positif
de rassembler les chambres si le gouvernement devait prendre une marche
nouvelle, Ainsi, il est démontré que non seulement le ministère est sorti de la
légalité, mais encore qu’il a agi inconstitutionnellement, qu’il a forfait à la
constitution, qu’il a violé ses serments.
M. le ministre de la justice, répondant hier à un
honorable membre qui avait rappelé une phrase devenue célèbre, vous a dit que
dans son sens l’abandon du Luxembourg et du Limbourg n’était plus un mal pour
le pays depuis qu’il était volontaire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je n’ai pas dit cela !
M. Dumortier.
- Mais que cet abandon involontaire aurait compromis le roi. Je suis étonné que
le ministre soit venu soutenir un pareil système. C’est le ministère lui-même
qui demande l’intervention étrangère et l’abandon de nos frères ! Le ministère
a sacrifié le pays à lui-même, à sa propre existence ! Une note en nos mains le
prouve. Il a fait plus : il a compromis gravement la popularité du Roi.
Vous savez tous de quel œil l’intervention a été vue
dans notre pays ; vous savez aussi de quel œil
on la regarde à Londres.
Les négociants de Londres ont tous la cocarde orange à
leur boutonnière : « Anvers » et « France » ne vont pas
ensemble dans la bouche des Anglais. En appelant l’étranger sur notre
territoire, le ministère a préparé le partage de la Belgique, ou bien il a
préparé la restauration.
Il est étonnant que le ministère ait suivi une
pareille marche après tout ce que la chambre a accordé. L’année dernière, nous
n’avions qu’une armée de 50 mille hommes. On a dit que nous ne pouvions faire
la guerre avec cette armée : on nous a demandé des hommes, nous avons donné des
hommes ; on nous a demandé de l’argent, nous avons donné de l’argent. Nous
avons acquiescé à toutes les demandes du ministre ; nous avons même donné une
loi contre la liberté individuelle, la chambre a consenti toutes les demandes
que l’on a faites ; n’est-il pas douloureux de voir que ces sacrifices ne
conduisent qu’à la ruine du pays ?
En donnant des soldats, n’était-ce pas pour en appeler
à Dieu et à notre épée ? Mais nous voyons avec indignation qu’on ne croit notre
armée bonne qu’à faire des fascines et des barricades.
Il fallait attacher la victoire à la révolution, afin
d’avoir, autant que possible, les parties du territoire que nous avons cédées.
Mais ici nous avons été victimes du ministère français
: il fallait que le maréchal Soult, entrant dans la chambre des députés, portât
processionnellement les clefs de la citadelle d’Anvers. (On rit.)
Une voix. - C’est une
preuve de notre force que l’intervention.
M. Dumortier.
- C’est une preuve de notre force que de demander l’intervention de nos voisins
! C’est une mauvaise plaisanterie ! C’est aux yeux de nos voisins la preuve de
notre faiblesse.
Si, dans la rédaction de l’adresse, la commission ne
s’est pas exprimée plus impérieusement sur ce point, c’est qu’elle a craint,
dans l’intérêt du pays, de mettre le pays en opposition avec l’autorité.
Si je suis bien informé, on dit que les postes de
l’esplanade d’Anvers près de la citadelle, seront occupés par les troupes
françaises ; n’était-ce pas assez d’humiliation ? Fallait-il nous faire boire
jusque la lie la coupe du dégoût ? Pour moi j’ai consulté sur l’honneur
national de vieux guerriers de l’armée française, de vieux militaires qui ont
respiré les frimas de Moscou, qui se sont assis sur les pyramides ; ils ont dit
: L’armée belge a un affront à venger ; il faut le venger avec du sang.
Notre devoir, messieurs, est d’opposer une barrière
aux résultats désastreux qui doivent suivre les actes du ministère ; il faut
donc que nous protestions énergiquement contre ces actes ; il faut désavouer le
ministère. C’est pour cela que j’ai présenté une rédaction plus forte que celle
qui est dans le projet d’adresse.
La commission de l’adresse avait voulu présenter la
question d’une manière hypothétique pour donner un échappatoire un
gouvernement. Maintenant cette hypothèse n’est plus possible, et il ne nous
reste que la désapprobation.
M. Mary. - Si
c’était un principe adopté que chaque membre de cette chambre qui s’est opposé
à une mesure, lorsqu’elle était en discussion, doit encore, lorsqu’elle est
passée en force de loi, continuer son opposition et même demander son rappel,
je concevrais le but de la plupart des orateurs qui, pour soutenir l’adresse
telle qu’elle vous est présentée, veulent repousser un traité adopté par la
majorité de cette assemblée, par la presque unanimité du sénat et par le
gouvernement ; mais ce principe désorganisateur ne peut trouver accès dans une
assemblée parlementaire ; il n’est pas possible de faire ainsi table rase, et
je répondrai à ceux qui nous disent de répudier le traité du 15 novembre, à
celui qui, nouvellement admis dans cette assemblée, traite de crime politique
le vote de la majorité, que suivre leur opinion c’est forcer la Belgique à
commettre un suicide politique, c’est abdiquer un acte qui nous a fait admettre
dans la grande famille européenne, acte d’autant plus remarquable que nous
restons debout alors que nous voyons l’Italie, la Pologne et les peuples de
l’Allemagne se débattre vainement contre leurs oppresseurs.
Arrêtons-nous plutôt aux faits accomplis jusqu’à ce
jour pour bien apprécier notre véritable position. Des griefs imprudemment
repoussés, lorsqu’ils étaient même exposés par la seconde chambre des
états-généraux, ont fait surgir la révolution de septembre. Un gouvernement de
fait, le gouvernement provisoire, fut formé à la hâte d’hommes honorables. Mais
les bonnes intentions ni les vertus publiques ne remplacent pas les
connaissances spéciales, et nous devons regretter qu’il ne renfermait pas, dans
son sein, quelque chef militaire qui eût pu imprimer aux opérations militaires
toute la hardiesse, toute l’activité dont elles étaient susceptibles, qui se
fût empressé de jeter nos populations armées dans la Flandre zélandaise, sur
Maestricht et la citadelle d’Anvers, qui se fût emparé de toutes les chances de
victoire, à une époque où l’armée des Pays-Bas était désorganisée par le
mélange de nos concitoyens que l’on devait croire disposés à s’associer à leurs
frères.
C’est privés de ces possessions territoriales que nous
nous sommes présentés devant une conférence composée de ministres des cinq
grandes puissances. Elle nous proposa ainsi qu’à la Hollande un armistice qui
nous obligeait respectivement à rentrer dans les limites du 30 mai 1814 et
replaçait ainsi Anvers en notre pouvoir. Accepté par le roi Guillaume, cet
armistice ne fut admis par nous que le 15 décembre 1830 sous la condition que
les lignes d’occupation militaire du territoire ne préjugeaient en rien les
questions politiques ultérieures. Nous pouvions alors obtenir la citadelle
d’Anvers, mais nos prétentions absolues nous le firent manquer, et pour l’avoir
aujourd’hui, nous devons recourir à une force étrangère ; je dis à une force
étrangère, parce que dès l’instant où la Hollande s’est refusée à exécuter le
traité du 15 novembre, il fallait ou en forcer nous-mêmes l’exécution, ou avoir
recours à l’intervention étrangère en vertu de la garantie promise. Une guerre
directe de nous à la Hollande n’était guère possible, puisque, dans son 59ème
protocole du 4 mai dernier, la conférence a déclaré qu’elle s’opposerait par
tous les moyens en son pouvoir au renouvellement d’une lutte entre la Hollande
et la Belgique, et que les cinq cours continueraient à demeurer garantes de la
cessation des hostilités, promesse que le mois d’août 1831 nous a prouvé n’être
pas vaine.
Force a donc été au ministère de réclamer l’intervention
armée promise par l’étranger ; le préambule de la convention du 22 octobre
dernier nous indique dans quels termes a été faite cette demande : le Roi des
Belges a invité les rois de France et d’Angleterre à faire exécuter les
articles du traité du 15 novembre, dont ils ont garanti l’exécution. Il ne
s’agit donc pas d’une exécution partielle, mais de celle de tous les articles
du traité.
Qu’ont répondu les puissances sommées de remplir les
engagements contractés vis-à-vis de nous ? Elles ont vu qu’il existait une
question vidée entre toutes les parties, c’est celle de la possession
territoriale. La Hollande, par son projet de traité du 30 juin et la Belgique,
par les 24 articles, sont d’accord sur ce point. Elles somment en conséquence
la Hollande et la Belgique d’évacuer, dans un terme fixé, les territoires dont
elles ont respectivement consenti l’abandon, ajoutant que si l’un ou l’autre de
ces Etats ne satisfait pas à cette réquisition, elles procéderont sans autre
avertissement ou délai aux mesures qui leur paraîtront nécessaires pour en
forcer l’exécution.
Une flotte de blocus, un embargo, une armée pour
attaquer la citadelle d’Anvers, tels sont les moyens que la France et
l’Angleterre ne craignent pas d’employer en présence des chances d’une guerre
générale, des clameurs d’une opposition, des réclamations du commerce, des
dangers qu’amène toute agression armée. C’était sans doute à elles à juger de
la portée, de l’étendue d’une mesure aussi périlleuse. On voudrait que le
ministre eût tracé lui-même la marche et les limites de cette intervention. Le
pouvait-il alors que, dirigeant le gouvernement d’un peuple de quatre millions
d’habitants, il se trouvait en présence de puissances régnant sur de nombreuses
populations, et qui déclaraient vouloir contraindre la Belgique aussi bien que
la Hollande ? Vouloir en de telles circonstances tracer des lois à notre
ministère, c’est évidemment se mettre dans la position de n’en trouver aucun,
parce qu’aucun ne peut être libre de maîtriser les circonstances et de se
soumettre aux intentions de la chambre.
Sans doute, messieurs, qu’après la question du
territoire il en reste deux autres en litige : agissons de manière à ce
qu’elles continuent à être décidées dans le sens sous lequel on les envisageait
lors de l’adoption des 24 articles. De ces questions la première est relative à
la liberté de l’Escaut, et je dois le dire avec douleur, elle a été interprétée
récemment d’une manière tout à fait fausse. Le 9 janvier 1831, les puissances
enjoignaient d’ouvrir ce fleuve sans autres droits de péages ni de visite que
ceux qui étaient établis en 1814 et qui ont continué d’exister jusqu’à ce jour.
Ces dispositions étaient maintenues dans le projet de traité proposé par la
conférence à la Hollande le 11 juin dernier, et dans le thème de Palmerston du
6 septembre ; la liberté de cette navigation était libre moyennant une rente
annuelle de 150 mille florins que l’on nous imposait et qui était l’équivalent
d’un droit de tonnage d’un florin par tonneau.
Depuis lors, la conférence, dans son mémorandum du 24
septembre, a déclaré que l’application provisoire du tarif de Mayence à
l’Escaut, c’est-à-dire l’application d’un droit de 9 francs par tonneau pour un
trajet de 18 lieues, était une conséquence de l’article 9 du traité du 15 novembre,
et que cette stipulation aurait dû être subie par la Belgique, si le roi
Guillaume avait accepté ce dernier traité. Une simple lecture de cet article
doit prouver que cette opinion n’est pas fondée. Après avoir soumis la
conservation des passages de l’Escaut en aval d’Anvers, ainsi que le pilotage
et le balisage de ce fleuve à une surveillance commune à exercer par des
commissaires nommés à cet effet de part et d’autre, cet article ajoute que des
droits de pilotage modérés seront fixés d’un commun accord et ces droits seront
les mêmes pour le commerce hollandais et le commerce belge ; mais le congrès de
Vienne avait autrement stipulé dans l’intérêt de toutes les puissances, et
avait déclaré, dans l’article 111 de son acte général, que ces droits ne pouvaient,
en aucun cas, excéder ceux existants à la date du 9 juin 1815, et dans son
article 109 que cette navigation ne pouvait, sous le rapport du commerce, être
interdite à personne, mais que les règlements qui le concernaient seraient
conçus d’une manière uniforme pour tous.
Les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831 à
Mayence, pour la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de
cette convention, ne peuvent s’appliquer provisoirement qu’au péage et à la
navigation des eaux intermédiaires entre le Rhin et l’Escaut, puisque les
commissaires qui doivent se réunir à Anvers sont seulement chargés d’arrêter le
montant permanent et définitif de ces derniers péages, un règlement général et
le droit de pêche sur l’Escaut, et qu’enfin loin d’abroger les articles 109 et
111 de l’acte général du congrès de Vienne, le traité les maintient
expressément.
Ces articles doivent également recevoir leur
application pour la navigation de la Meuse, qui, d’après l’article 4 de
l’annexe relative à cette navigation, ne doit être soumise qu’à des droits
équivalents ou moindres que ceux existants en vertu du décret du gouvernement
français du 12 novembre 1806 et du 10 brumaire an XIV. Nous devons croire dès
lors que le mémorandum du 24 septembre, s’il a été officiellement notifié à
notre ministère, aura été immédiatement restitué comme se trouvant en
opposition avec les engagements contractés.
Le second point en discussion est relatif à la
prétention qu’élève la Hollande du chef de la liquidation du syndicat, dont
elle voudrait nous faire supporter le passif des los-renten et éviter toute
liquidation. Nous avons déjà exprimé le regret de ce que notre envoyé près de
la conférence avait, lorsque celle-ci s’occupait de la rédaction des 24
articles, déclaré qu’il ne pouvait donner aucun renseignement sur la situation
du syndicat. Il se trompait, car il aurait pu appuyer sur un acte authentique
de situation arrêté et publié par le syndicat. Il est du juin 1829 ; mais comme
il présente l’état des revenus jusqu’au 31 décembre de cette même année, il ne
nous reporte que huit mois avant notre révolution et ne peut ainsi avoir essuyé
des modifications notables à cette dernière époque.
Voici, messieurs, les
renseignements que j’en ai tirés et dont j’ai communiqué les détails au
ministère. L’actif de cet établissement s’élevait, au 15 juin 1829, en capitaux
à 557 millions de florins en valeur nominale, qui ne donnaient en valeur réelle
que la somme de 176 millions ; celle-ci, d’après la baisse des fonds publics,
ne s’élevait plus au 15 septembre dernier qu’à 152 millions. Le passif était,
au 15 janvier 1829, de 152 millions en valeur nominale et réelle, somme qui
d’après le cours du 15 septembre dernier n’était plus que de 122 millions.
Ainsi au 15 janvier 1829, cet établissement avait un boni de 24 millions, qui
au 15 septembre dernier pouvait s’être accru jusqu’à 36 millions. Cependant,
messieurs, vous n’ignorez pas que dans la portion de dette mise à la charge de
la Belgique, on a fait entrer le calcul de 70 millions, moitié de levées
supposées faites par le syndicat, et qui figurent dans le passif que nous
venons de mentionner ; qu’en outre la Hollande voudrait encore mettre à notre
charge environ 30 millions, montant des los-renten, des consignations et des
dépôts judiciaires reçus par cet établissement, et que de plus, en se refusant
à effectuer sa liquidation, elle entend priver la Belgique de sa part dans le
boni que le syndicat peut présenter et dont nous venons de présenter le chiffre
approximatif.
Je ne puis donc me dispenser de vous présenter un
amendement pour réclamer l’attention du gouvernement sur des objets aussi
importants que la navigation de la Meuse et de l’Escaut ainsi que sur la
liquidation du syndicat.
M. Angillis.
- Messieurs, les hommes qui se présentent comme mandataires de la nation ont
toujours une ligne tracée ; ils doivent surtout une manifestation franche et
loyale de tout ce qu’il importe de faire connaître au chef de l’Etat. Ils
doivent donc exprimer dans l’adresse tout ce que ceux qu’ils représentent
exprimeraient eux-mêmes s’ils pouvaient être présents et se faire entendre.
Si, dans la réponse au discours du trône, qui est
presque la seule occasion solennelle de faire connaître les besoins et les vœux
de la nation, on se bornait à un vain cérémonial, à une répétition stérile des
paroles tombées du trône, à faire un discours retourné, qui serait aussi vide
de choses et de vérité que le sont la plupart de ceux auxquels on répond, les
communications des représentants de la nation avec le souverain, au lieu d’être
utiles et salutaires, ne serviraient qu’à couvrir et à fortifier des erreurs
qui auraient, et pour la nation et pour le prince lui-même, les plus funestes
conséquences. Car la flatterie et l’adulation perdent les individus et les
sociétés.
La question qu’il s’agit de résoudre, messieurs,
consiste à savoir si le projet d’adresse exprime le vœu de la majorité de la
nation. Dans ce cas, il faut l’adopter ; sinon, il faut le rejeter. Quant à
moi, je me prononce pour l’affirmative et, moyennant quelques changements qui
seront indiqués lors de la discussion sur les paragraphes, j’adopterai
l’adresse.
Je n’aborderai pas, messieurs, le rapport le M. le
ministre des relations extérieures ; je me contenterai, pour ne pas prolonger
inutilement cette discussion, de dire que la lecture de ce volumineux rapport,
ainsi que celle des précédents protocoles et qui forment un immense recueil de
mystifications, m’ont prouvé que nous avons été constamment la dupe de la
conférence. Cette considération seule, s’il n’y en avait pas d’autres,
suffirait pour me faire adopter la partie de l’adresse qui a rapport à la
politique extérieure.
Il m’est impossible, messieurs, d’approuver la marche
du gouvernement ; et ceci est ma conviction, ma conviction pénible et profonde,
que le système qu’il a suivi dans toute cette négociation est un système
désastreux qui ruine la nation et qui met en problème son indépendance. Cette
opinion a déjà été amplement développée par d’autres orateurs, et les réponses
qu’on y a faites me prouvent qu’elle est fondée.
J’ai entendu dire dans le cours de cette discussion
qu’il faut soutenir le ministère afin de le conserver ; je ne crois pas que
personne dans cette assemblée soit hostile au ministère ; c’est le système qu’on
combat et non les personnes ; mais quand le système reste le même, la question
des personnes n’intéresse que les créatures et les antagonistes, les disgraciés
et les protégés. Mais le public, qui juge sans prévention, sans autre intérêt
que celui du bien général, n’attache aucune importance à ce changement
continuel dans le personnel.
Quant à l’entrée de l’armée française en Belgique, ne
connaissant rien de bien positif à cet égard, je ne puis pas m’expliquer
nettement ; cependant, je dois dire que je partage entièrement les craintes
exprimées par mon honorable ami, M. Osy ; et malgré toute la défaveur qu’on a
voulu jeter sur les motifs de cet honorable député, malgré qu’on ait suspecté
son opinion en oubliant que l’opinion d’un homme est son domaine particulier,
qu’elle se refuge dans sa conscience comme dans un tabernacle inviolable, où
nul mortel ne peut pénétrer ; je dirai avec lui que si l’intervention armée de
la France doit se borner à la seule évacuation de la citadelle d’Anvers, et
sous la condition onéreuse et impolitique que nous rendions à la Hollande, et
Venloo et les autres territoires qui ne doivent lui revenir qu’après
l’acceptation du traité, que cette expédition qui fera répandre du sang, verser
des larmes et dépenser des écus, au lieu d’améliorer notre position, aurait un
résultat tout contraire ; elle compliquerait davantage la question qu’on
appelle, dans les autres pays, question belge.
Il est certain, messieurs, que si on se borne à
l’évacuation de la citadelle, nous perdons la navigation de l’Escaut. Le
commencement d’hostilités fournira à la Hollande un prétexte pour mettre à
exécution ses absurdes prétentions de souveraineté sur l’Escaut.
Je pense donc que si on commence les hostilités, il
faut les pousser dans ses dernières conséquences ; autrement, je le répète,
l’intervention armée fera plus de mal que de bien.
On nous dit que les négociations recommenceront.
A-t-on déjà oublié ce que deux années de négociations ont produit ! On
s’élancera de nouveau dans ce dédale inextricable de négociations, et en
attendant de nouvelles mystifications, nous aurions perdu Venloo et les
territoires que nous ne devrions céder qu’à la paix, la navigation de l’Escaut,
qui est la seule ressource qui nous reste, nous sera probablement enlevée ; la
Belgique, pour prix de tant de douloureux sacrifices, sera de nouveau replacée
dans cette position équivoque, indéfinissable, qui n’est ni la paix ni la
guerre, qui ne procure aucune des jouissances de la paix, mais qui donne toutes
les charges de la guerre.
Je pense donc, messieurs, et ceci est une conviction
pour moi, que nous devons insister fortement auprès du gouvernement pour qu’il
réclame que les puissances, surtout la France et l’Angleterre, prennent des
mesures pour que la navigation de l’Escaut ne nous soit pas enlevée après la
prise de la citadelle, et qu’il ne rende pas à la Hollande les territoires qui
doivent lui revenir en vertu des malheureux 24 articles, avant que cette
navigation ne nous soit assurée.
Cet objet, messieurs, est pour la Belgique une
question vitale, une question d’existence comme nation ; l’omettre dans
l’adresse, dans cette communication entre la famille et son chef, serait
négliger le plus important de ses devoirs, ce serait trahir son serment et se
rendre indigne de la confiance du peuple.
On a beaucoup argumenté de l’adresse que la chambre a
présentée dans le mois de mai dernier, et on a prétendu trouver la preuve que
le système que le ministère a suivi est précisément ni plus ni moins ce que la
chambre a demandé ; de là, une fin de non-recevoir contre le projet d’adresse
qui est en ce moment en discussion. J’ai aussi, messieurs, médité cette
adresse, et je trouve, en l’analysant, que la chambre rappelle à sa majesté que
le gouvernement a été autorisé à souscrire au traité du 15 novembre, mais dans
les termes mêmes du traité ; qu’elle avait foi dans les engagements contractés,
que le traité serait exécuté, et le territoire évacué. Vous voyez, messieurs,
que l’évacuation du territoire se lie à l’exécution du traité, et c’est cette
idée qui domine dans toute l’adresse.
Messieurs, la
nation que nous représentons veut obtenir le prix de sa révolution ; elle a
droit de tirer du fruit de tous les douloureux sacrifices qu’elle a faits pour le
triomphe de sa liberté ; la Belgique ne peut plus longtemps rester dans cet
état précaire. Nous avons souscrit sous l’influence de la plus inexorable
nécessité au traité du 15 novembre qui nous a été imposé, en cela, nous avons
fait un bien pénible sacrifice au maintien de la paix générale. On ne nous
tient aucun compte de tout ce que nous avons fait, et on nous suscite mille
obstacles pour résoudre l’exécution d’un traité qu’on nous a imposé ; cependant
il faut en finir, notre position ne permet plus de délai. Nous devons donc
inviter le gouvernement à réclamer l’exécution immédiate du traité, et si les
puissances signataires refusent à le faire exécuter, si elles pensent à nous
faire périr lentement en attendant que d’autres causes viennent précipiter l’agonie,
nous devons prévenir leur dessein, et quand tous les moyens seront épuisés,
nous ne devrons prendre conseil que dans notre conscience et dans le sentiment
de l’honneur national, et sans nous inquiéter de la probabilité d’une guerre
générale, déclarer que nous considérons notre engagement envers la conférence
comme rompu. Alors nous arrangerons nos affaires avec les Hollandais comme nous
l’entendrons ; et si dans cette lutte d’un peuple qui combat pour son
indépendance, nous devons succomber, nous aurons au moins la consolation
d’avoir défendu notre honneur et notre liberté.
- Ce discours, entièrement improvisé, a été applaudi
dans la chambre et par les tribunes.
M. J. Vanderbelen. - Messieurs, par le traité du 15 novembre 1831, on
enlève à la Belgique une partie de la province de Limbourg pour ce qu’on lui
donne dans le Luxembourg. L’empereur d’Autriche n’a ratifié ce traité
« que sous la réserve des droits de la confédération germanique à l’égard
des articles qui concernent la cession ou l’échange d’une partie du grand-duché
de Luxembourg. » La Prusse s’est associée à cette réserve, et nous l’avons
acceptée. La Belgique n’est donc pas assurée jusqu’ici d’obtenir quelque chose
du Luxembourg, et cependant le discours du trône et les pièces diplomatique
qu’on nous a communiquées, font voir que les ministres songent à abandonner la
partie du Limbourg qu’on a enlevée à la Belgique, d’abord « que le
gouvernement belge entrera en possession de la citadelle d’Anvers, ainsi que
des forts et lieux situés sur les deux rives de l’Escaut, qui font partie du
territoire assigné à ce royaume par le traité du 15 novembre. »
Je ne vois aucune réserve mise par le ministère à cet
abandon d’une partie du Limbourg, et je ne conçois pas, messieurs, comment on
puisse abandonner, sans condition ni réserve, une chose contre une autre qu’on
n’obtient qu’avec des réserves. J’attendrai donc les explications des ministres
sur ce point. Mais, messieurs, il y a des considérations plus générales encore
qui doivent faire désirer des explications du ministère. Par la convention
conclue entre la France et la Grande-Bretagne le 22 octobre dernier, et
ratifiée le 27, nous avons dû prendre l’engagement de retirer nos troupes des
territoires de S. M. le roi des Pays-Bas, contre pareil engagement à prendre
par le roi des Pays-Bas de retirer ses troupes des territoires qui, par les
premier et second articles du traité du 15 novembre 1831, doivent former le
royaume de la Belgique.
Voilà, messieurs, un parfait engagement bilatéral que
l’Angleterre et la France veulent nous faire prendre, un engagement qui lie les
deux parties ; et je ne conçois pas comment l’une des parties devrait
s’exécuter, lorsque l’autre ne s’exécute pas.
Ici je me fais la demande si la remise que la France
paraît vouloir nous faire après la conquête de la citadelle d’Anvers et des
forts qui en dépendent équivaudra à cette remise que la Hollande devait nous
faire, et j’ai de la peine à y répondre affirmativement tant il y a de
différence entre l’une et l’autre remise.
Les jurisconsultes comprendront facilement cette
différence. L’un serait un acte volontaire de la Hollande, qui nous donnerait
des droits immenses. L’autre sera un acte contraire à sa volonté, et ne nous
donnera aucun droit. Elle sera la suite d’une conquête faite par les Français.
Cette affaire paraît avoir embarrassé les puissances
exécutrices elles-mêmes, puisque la sommation qu’on nous a notifiée le 30
octobre n’est pas conçue dans les termes de la convention du 22 octobre ; et remarquez-le
bien, messieurs, la réponse de notre ministère est plus extraordinaire encore ;
elle porte en termes exprès : « que S. M. le roi des Belges consent à
faire évacuer le 12 de ce mois (le mois de novembre), et même à une époque plus
rapprochée, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que
les portions de territoire qui ne font pas partie du royaume de Belgique, en
même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle
d’Anvers, ainsi que des forts et lieux situés sur les deux rives de l’Escaut,
qui font partie du territoire assigné le ce royaume par le traite du 15
novembre.»
Les derniers mots « en
même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle
d’Anvers, etc., » font bien voir qu’après la convention faite, on a songé
à une autre remise qu’à celle qu’on contraindrait les parties discordantes de
faire. D’après cette terrible réponse de notre gouvernement aux sommations lui
faites, nous ne consentons plus à faire une remise contre une remise, mais nous
consentons à faire évacuer Venloo et les autres lieux mentionnés ci-dessus,
d’abord que nous entrerons en possession de la citadelle d’Anvers, etc. Ici je
me demande ce que deviendront Venloo et les autres territoires que nous
évacuerons ? Sera-ce une évacuation ou ne sera-ce pas bien plutôt un abandon
que nous ferons à notre ennemi ? Et comment concevoir, messieurs, qu’en temps
de guerre possible encore, une nation aille abandonner à son ennemi une
douzième ou toute autre partie notable de ses forces, pour augmenter celles de
l’ennemi dans la même proportion ? Jamais, messieurs, je crois, non jamais,
pareille idée n’est entrée dans la tête d’un homme sain d’esprit ; aussi ne
puis-je pas croire que ce soit là la pensée du ministère, et cependant,
messieurs, les mots de la réponse à la sommation n’y prêtent pas seulement,
mais y vont directement. J’attendrai donc sur tous ces points les explications
du ministère pour déterminer mon vote sur le projet d’adresse et les
amendements qu’on pourra y proposer.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, j’ai suivi attentivement depuis deux
jours la discussion qui s’est ouverte dans cette assemblée sur la réponse qu’il
convient d’adresser au discours du trône. Cette réponse doit-elle renfermer un
vote approbatif ou un blâme de la
conduite politique du nouveau ministère ? Doit-elle soutenir ou censurer la
démarche de l’évacuation préalable, tentée et obtenue par ce ministère ?
Doit-elle surtout suspecter ses premiers essais dans la carrière qu’il vient de
s’ouvrir vers l’issue de nos longues négociations ? Plus entreprenant qu’aucun
de ses prédécesseurs le ministère actuel a osé fixer aux puissances un terme
fatal au-delà duquel les Belges se croiraient délies de tout engagement, et se
feraient droit par eux-mêmes. Par cette décision, il a amené deux de ces
puissances à agir, à prendre une part active dans notre querelle ; et c’est au
milieu de ce conflit, au moment où son œuvre est encore inachevée, que nous
irions préjuger de son mérité, que nous nous croirions en droit dans une
réponse dubitative d’en calculer toutes les chances funestes, tandis peut-être
que, dans un avenir prochain, force nous sera de rendre justice à sa politique,
et de mieux apprécier ce qui d’abord semblait mériter notre blâme et nos
critiques.
Soyons, messieurs, plus prudents dans l’expression de
notre vote ; abstenons-nous donc de l’émettre, plutôt que de l’exprimer d’une
manière imparfaite et sur un ouvrage en travail. Et, pour ma part, je
préférerais voir retrancher de l’adresse le paragraphe relatif à l’évacuation
réciproque, et garder à cet égard un silence absolu, que d’appuyer sur cette
grave matière une opinion qui n’est ni franche ni précise, qui ne peut
qu’embarrasser le pouvoir dans la route qu’il s’est tracée sans lui donner
aucun appui et arrêter la bonne volonté de nos alliés en faisant suspecter
notre bonne foi, Dans cette alternative, je le répète, il est préférable de
s’arrêter et d’attendre.
Mais, s’il est imprudent de blâmer du premier abord un
acte du pouvoir dont on ignore le résultat, je crois qu’il est de notre devoir
d’éclairer sa marche et de lui faire connaître les moyens à prendre et les
précautions à employer dans les négociations armées qui viennent de s’ouvrir en
Belgique. C’est à ce sujet que je me permettrai quelques courtes réflexions.
Dans la convention récente du 22 octobre il a été
stipulé que l’évacuation des territoires aurait lieu instantanément, et notre
ministère a souscrit à cet arrêt, que le roi de Hollande serait contraint dans
un court délai à l’évacuation du territoire belge, et cette contrainte de vive
force s’exécute dans ce moment ; que, de son côté, le gouvernement belge aurait
à abandonner les parties détachées de la Belgique par le traité du 15 novembre
1831, sans trop s’expliquer dans quelles mains s’opérerait ce dernier abandon.
Mais il n’échappera à personne que ces deux échanges ont un caractère tout
différent ; que si, de son côté, la Hollande cède de gré ou de force des
positions militaires fort importantes, il est vrai, pour sa défense, elle ne
fait cependant que céder des forteresses et abandonner des murailles, au lieu
que la Belgique cède des forteresses, des territoires et des habitants ; que
des conventions consenties des deux parts sont ici nécessaires pour les limites
à tracer de ces territoires, pour la conduite politique de ces habitants à
mettre à l’abri de toute poursuite. Le traité du 15 novembre avait aplani ces
obstacles, et par les articles 18 et 21, spécialement pour le transfert des
propriétés et la sûreté des personnes, ces articles forment une annexe formelle
à la question territoriale, et le gouvernement, défenseur ici des droits des
tiers, aura tout droit de se refuser à l’abandon du territoire jusqu’au moment
où le nouveau propriétaire aura souscrit aux conditions qui sont inhérentes à
sa possession. C’est en vain qu’une puissance voisine s’efforcerait de prendre
en séquestre ces territoires contestés ; cette puissance ne peut jamais nous
offrir des garanties aussi certaines que le véritable propriétaire pour la
conservation des personnes et des biens.
Un autre point que le gouvernement ne doit jamais
perdre de vue dans cette difficultueuse négociation, c’est la position précaire
des frontières flamandes. Là aussi s’élève une question hérissée d’écueils,
qui, par sa position, semble appartenir à l’échange immédiat du territoire,
mais qui, par sa nature, se lie à l’exécution de stipulations bien différentes.
Il s’agit ici de l’écluse des Isabelles, seule portion du territoire hollandais
restée entre nos mains, et qui seule aussi nous donne ouverture sur la mer du
Nord pour l’écoulement de nos eaux. Si cet écoulement était réglé des deux
parts, si on ne devait prévoir des difficultés interminables et de nouvelles
perfidies du côté de nos adversaires sur le règlement convenable de
l’écoulement de ces eaux, je dirais au gouvernement : cédez cette position,
puisque par le traité elle ne vous appartient pas. Mais ici, messieurs, la
partie adverse a eu soin de nous dévoiler ses vues. Dans cette partie du traité
comme ailleurs, de nombreuses objections se sont élevées de sa part au sein de
la conférence. L’article 8 du traité, en s’en référant pour le facile
écoulement des eaux des Flandres à l’article 6 du traité de Fontainebleau, en
date du 8 novembre 1785, décidait que cet écoulement aurait lieu à la
satisfaction de l’empereur, c’est-à-dire de la Belgique. C’est contre cette
dernière stipulation que les plénipotentiaires hollandais, dans leur mémoire du
14 octobre 1831, ont formé des objections. Ils ont trouvé que ces mots « à
la satisfaction de l’empereur » laissaient trop de latitude à la partie adverse
; qu’il fallait laisser à la Hollande le droit de régler de la manière la plus
convenable l’écoulement des eaux en Flandre, c’est-à-dire le droit de nous
inonder quand bon lui semblerait. Ce sont ces injustes prétentions qu’il
importe de combattre, et, tandis que nous avons encore entre les mains un gage
pour parer en partie à ces submersions, c’est dans sa possession qu’il faut se
maintenir, jusqu’au moment où la Hollande aura consenti aux mesures propres à
prévenir ces désastres, et si elle n’y consent pas, qu’il faut le garder.
J’aurais encore bien des observations à énoncer sur la
politique à garder envers les puissances ; mais dans une matière aussi
délicate, et dans les circonstances actuels, je craindrais de compromettre
notre position déjà si difficile, et dont beaucoup d’habilité et l’union intime
de tous les citoyens peuvent seules nous faire sortir.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1833
M. le ministre des finances (M. Duvivier) déclare à la chambre qu’il est prêt à présenter le
budget.
Plusieurs membres
demandent que la discussion de l’adresse ne soit pas interrompue.
M. H. de Brouckere. - Il suffirait que M. le ministre dépose les pièces
sur le bureau, et qu’on lui donne acte de la présentation. Il est inutile de
les lire puisqu’elles seront imprimées. (Appuyé !)
M. le ministre des finances (M. Duvivier) dépose les pièces sur le bureau.
M. le président.
- La chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation du
budget ; il sera imprimé et distribué.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
M. Devaux.
- Messieurs, si les deux années d’inquiétudes qui se sont écoulées n’ont pas eu
des résultats matériels aussi fâcheux qu’il avait été permis de le craindre,
elles ont eu les résultats moraux les plus déplorables. Je ne crains pas de
placer au nombre des plus fâcheux cette disposition des esprits à regarder
toujours comme le souverain bien des faits dont la réalisation est impossible
pour le moment, et de regarder ces mêmes faits, à mesure que le jour de leur
accomplissement s’approche, non seulement comme sans importance et sans valeur,
mais comme des calamités, des déceptions, des pièges. Messieurs, c’est là
l’histoire de tous les faits accomplis depuis deux ans.
D’abord nous nous sommes fort inquiétés de notre
organisation intérieure ; il semblait que toute la difficulté était là ; il
nous fallait des institutions définitives. L’organisation intérieure eut lieu,
mais à peine la royauté fut-elle assise, on ne tint aucun compte de ce fait, ce
fait n’était plus rien, ne signifiait plus rien. Pour qu’il devînt quelque
chose, nous disions qu’il nous fallait être reconnus par les puissances ;
jusque-là, tout ce qui était accompli n’avait aucune valeur. Intervint un
traité, consacrant cette reconnaissance, ce traité devait être ratifié ; nous
attendions les ratifications avec impatience, c’était là ce qui alors nous
paraissait du plus grand prix. Les ratifications tardaient à venir. Si au
moins, disions-nous, nous avions celles de la France et de l’Angleterre ! Nous
les eûmes après quelque attente, mais ce ne fut plus à nos yeux qu’un chiffon
de papier. Il nous fallut alors les ratifications des puissances du Nord. Après
de nouveaux délais et bien des inconvénients d’impatience, les ratifications
des puissances du Nord arrivèrent, avec de malheureuses réserves, il est vrai,
mais enfin elles arrivèrent. Dès ce moment ce ne fut plus rien pour nous que
ces ratifications. Il y a plus ; on prétendit qu’elles annulaient celles de la
France et de l’Angleterre.
Les ratifications des puissances du Nord sont
conditionnelles, disait-on, toutes les puissances signataires du traité s’étant
mises sur la même ligne, point d’espoir d’exécution, en réalité le traité
n’existe plus. Et pour le coup on ne manqua pas de répéter que nous n’avions
encore aucun fait accompli ; que nous n’avions plus que des chiffons de papier.
Vous vous rappelez, messieurs, que d’interpellations à
propos de la ratification anglaise. On s’attacha à un mot pour nous prouver
qu’elle était sans valeur. On découvrit dans son texte que le roi d’Angleterre
ne garantissait l’exécution qu’autant qu’il était en son pouvoir ; ce qui
signifiait, concluait-on, qu’il n’exécuterait jamais. Autres interpellations
sur la question de garantie. On invoqua l’expression de cautionnement dont lord
Palmerston s’était servi au parlement anglais, pour prouver que la garantie
portée par la ratification était illusoire. En vain faisait-on remarquer que
cette expression de cautionnement ne pouvait s’appliquer qu’à la dette, on
resta convaincu que l’Angleterre n’exécuterait jamais et que le fait de sa
ratification n’était qu’un fait sans valeur,
L’évacuation de la citadelle d’Anvers a été toujours
considérée, depuis les premiers jours de la révolution, comme un fait décisif.
Dès le temps du gouvernement provisoire, les plus grands efforts furent dirigés
vers ce but. Et ici, messieurs, il faut rappeler un fait important dans la
discussion qui nous occupe, c’est l’armistice auquel consentit le gouvernement
provisoire, pour l’exécution duquel tant d’efforts furent faits. Or,
qu’était-ce que cet armistice ? C’était l’échange de la citadelle d’Anvers
contre Venloo et une partie du Limbourg, sans reconnaissance du roi de
Hollande, sans arrangement d’aucune espèce sur les autres points qui nous
divisaient. Toute la politique extérieure du premier ministère du régent
semblait se borner à obtenir ce résultat.
Tant que l’évacuation de la citadelle d’Anvers nous
parut peu probable, on ne cessait d’appeler Anvers la clé de la Belgique. Tant
que ce fait ne sera pas accompli disaient les uns, nous n’aurons pas avancé
d’un pas dans nos affaires. Nous croirons à la diplomatie, disaient les autres,
quand Anvers sera évacué ; jamais, disait-on ailleurs, l’Angleterre ne vous
aidera à obtenir la citadelle, et ce serait déclarer la guerre à l’Allemagne et
par conséquent au roi de Hanovre ; Anvers, nous disait-on encore, ne vous sera
jamais remis, et si un jour on l’évacue, ce sera pour le livrer aux Anglais.
Ainsi, chacun alors regardait l’évacuation comme un fait de la plus haute
importance.
Mais en juillet dernier survint un changement ; le
bruit se répandit que les puissances étaient disposées à nous faire obtenir
l’évacuation, dès lors tout changea de face ; la possession de la citadelle
devint insignifiante. Je me souviens qu’un journal de province, que je me
dispenserai de nommer, dit le premier que la possession de la citadelle
d’Anvers n’était plus que la possession de quatre murailles. On n’a cessé de le
répéter depuis, en sorte qu’il ne s’agira plus maintenant que de compter le
nombre de milliers de briques, dont les murailles sont composées (violents murmures, interruption.)
Messieurs, j’ai écouté avec beaucoup de patience ceux qui ont parlé, je ne les
ai pas interrompus, je demande la même faveur.
Vous sentez combien de pareils arguments sont faciles
à trouver. Le dédain et le mépris coulent de source ; on ne répond plus à ses
adversaires que par les mots : pusillanimité, lâcheté, crime, trahison ; car
nous vivons dans un siècle d’hyperboles, il nous faut des émotions à tout prix,
et, de même qu’au théâtre, il nous faut des assassinats, des incestes, des
parricides ; les mots trahison, crimes, lâcheté, sont devenus les ornements
indispensables d’un discours d’opposition. (Nouveaux
murmures, nouvelle interruption.)
Il est une erreur, messieurs, qui domine toujours nos
discussions diplomatiques ; une chose nous manque souvent dans cette enceinte,
c’est une mappemonde, ou seulement une carte de l’Europe. Nous partons toujours
de cette idée qu’il n’y a en Europe que nous ; que nous pouvons tout ; que la
Belgique n’a besoin de consulter que sa propre volonté, pour que chacun
s’empresse d’y souscrire. Beaucoup d’entre nous, en entrant dans cette chambre,
revêtent leur centième partie de souveraineté, sans trop s’embarrasser de la
chambre qui siège à côté de nous, et ils dictent leurs volontés aux ministres,
ayant l’air de croire qu’il est aussi facile d’agir sur l’Europe que sur notre
administration intérieure, Autres Napoléons, nous nous faisons grands comme le
monde, et nous comptons le reste pour peu de chose.
Quand on est parvenu,
messieurs, à se placer à cette hauteur, quand on s’est formé cette fière
conviction, le rôle devient facile et beau. Alors on fait de l’orgueil, de l’intrépidité,
de la superbe ; on regarde de toute sa hauteur des adversaires qui ne vous
arrivent qu’à la cheville du pied. Alors si l’on vous parle des grandes
puissances de l’Europe, si l’on veut nous faire sentir la nécessité de ménager
des alliés, on vous répond : qu’avons-nous besoin de grandes puissances et
d’alliés ! Nous voulons, parce que nous voulons : Stat pro ratione voluntas.
M. Pirson.
- C’est pitoyable ! des pygmées !...
M. Devaux.
- M. Pirson pourra me répondre s’il le juge à propos ; je le prie de me laisser
parler, sans m’interrompre.
Il est difficile dans cette discussion de répondre à
des adversaires fort peu d’accord entre eux et avec eux-mêmes. Je vois, dans
beaucoup d’orateurs, une forte envie de blâmer. Mais quel est le point sur
lequel le blâme de tous portera ? Ici l’incertitude commence.
Hier, nous avons entendu un orateur dont le début,
quoique peu poli pour la chambre qu’il a accusée d’avoir commis un grand crime
politique, a été d’une grande franchise ; il a dit qu’il fallait répudier le
traité du 15 novembre, ce qui revient à dire que la Belgique peut tout ce
qu’elle veut et que nous obtiendrons de l’Europe tout ce que nous demanderons.
Malheureusement cette opinion, si elle était bonne, arriverait trop tard, et
l’orateur qui l’a émise pourrait trouver parmi ses amis politiques, sur le banc
même où il siège, un voisin qui reconnaît que le traité des 24 articles est un
fait accompli, et qui a dit même que nous devions insister pour en obtenir
l’exécution. Ce système doit donc être mis de côté.
Il existe un second système, qui consisterait à
exclure toute exécution partielle du traité, Les partisans de ce système
veulent l’exécution du traité tout entière, et pas autre chose. A cet effet, on
prend quelques phrases de l’adresse du mois de mai, pour prouver qu’entre le
ministère et la chambre il n’existe que le traité.
Il n’existe entre la chambre et le ministère que le
traité ! c’est une erreur ; il existe autre chose entre le ministre et la
chambre. C’est la note du 11 mai. Voyez ce que dit cette note :
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres de dispositions :
les unes à l’abri de toute contestation sérieuse, et susceptibles d’une
exécution immédiate ; les autres sujettes à de nouvelles négociations, pour
devenir susceptibles d’exécution.
« Si le roi des Belges pouvait se montrer disposé
à ouvrir des négociations sur ces derniers points, ce ne pourrait être qu’après
que le traité aurait reçu un commencement d’exécution dans toutes les parties à
l’abri de controverse » ; et remarquez bien ceci, messieurs : « ce
commencement d’exécution, au moins, dans l’évacuation du territoire
belge. » Ainsi voilà donc la note du 11 mai, qui, quant à l’exécution
partielle, est fort claire, fort précise. Mais, a-t-on dit, la note du 11 mai
n’est qu’une pièce ministérielle. On l’a communiquée à la commission de
l’adresse, il est vrai, et la commission l’a’ approuvée ; mais la commission
n’était pas la chambre. Tel est le raisonnement mis en avant, et je dois à la
justice de dire que M. de Haerne a exposé franchement qu’à ses yeux la note du
11 mai était la justification du ministère ; mais il a ajouté que la note
n’était rien pour la chambre,
Il y a ici un fait extrêmement grave pour l’ancien
ministère et que je peux prouver de la manière la plus irréfragable : savoir
que la note du 11 mai a été approuvée par la chambre. La remise de cette note a
été imposée formellement au ministère comme condition du vote de l’impôt du
crédit de cinq millions pour l’armée de réserve. Permettez-moi d’extraire
quelques lignes de la relation du Moniteur
pour justifier mon assertion.
On venait de faire le rapport sur le crédit demandé
par le ministre de la guerre. Sur ce, l’honorable M. Osy demanda la parole pour
obtenir des explications du ministère. M. Dumortier parla après lui...
Messieurs, ne pensez pas que je cite le Moniteur
pour le plaisir de trouver quelques membres de cette assemblée en
contradiction, ni qu’il entre dans ma pensée de faire de la personnalité. Mon
intention est seulement de prouver un fait grave et qu’il est important
d’éclaircir. M. Dumortier prit donc la parole et s’exprima ainsi :
« Vous avez vu dans les journaux une note que
l’on assure avoir été remise, à Londres, à la conférence. Cette note,
certainement, est très franche et très loyale, et j’en approuve le contenu.
Aujourd’hui même, un journal très accrédité, vient de nous apprendre que cette
note n’aurait pas été remise, et s’il faut l’en croire, ce ne serait pas la
première fois que notre ambassadeur aurait mis des pièces dans sa poche. Ceci
est très grave ; il n’y a plus de gouvernement possible, s’il n’y a pas de
responsabilité ministérielle ; et comment voulez-vous qu’il y ait
responsabilité ministérielle, si un agent subalterne prend des pièces, les
confisque à son profit ?
« Je demande que le ministre veuille bien
s’expliquer à cet égard, et nous dise : 1°
Si la pièce du 11 mai, publiée par le Courrier français, et reproduit par des journaux belges, est
officielle ; 2° Si cette note a été remise, par notre ambassadeur, à la
conférence de Londres ; 3° Et si elle n’a pas été remise, ce qu’il entend faire
de l’agent subalterne qui n’aurait pas suivi ses ordres. » Ceci se trouve
dans le Moniteur, supplément au n°148
; on pourra y recourir au besoin. Le ministre donne des explications ; après
lui parle M. Gendebien qui dit : « Je ne viens pas faire de
récriminations sur le passé ; mais il m’est bien permis de demander quand la
note sera remise ; si l’on ne nous donne pas un délai, je crains qu’il en soit
de cette note comme de l’enlèvement de M. Thorn.
« Je demande, quand la note sera remise à la
conférence, et je pense que le ministre doit sentir la nécessité de s’expliquer
; s’il ne le veut pas faire en public, nous nous formerons en comité secret.
Nous ne voulons pas de simples promesses ; nous voulons des engagements
d’honneur, des engagements qui nous donnent le droit de faire des reproches à
ceux qui ne les tiendraient pas.
M. le ministre des affaires étrangères répond :
« Messieurs, la note sera remise dans le plus bref délai possible, elle le
sera dans le temps nécessaire pour que quelqu’un se rende à Londres et la
remette à la conférence. » Vient ensuite M. Henri de Brouckere :
« Les explications de M. le ministre, dit-il, me paraissent pleinement
satisfaisantes. Cependant, je déclare que quant à moi je ne voterai pas la plus
petite somme si la note n’est pas remise : il m’importe fort peu de savoir en
quels termes la note est conçue, si les actes du gouvernement ne sont pas
conformes à ses paroles. Je le répète, je ne voterai aucun subside jusqu’à ce
que la chambre ait satisfaction sur la conduite du gouvernement. » La
discussion se prolonge.
M. Fleussu parle à son tour. (Hilarité.) : « Je voudrais d’autres renseignements encore,
dit-il. Il n’y a qu’un instant on nous faisait un mystère de la conduite de
notre ambassadeur à Londres ; le ministre des affaires étrangères nous
demandait de ne pas s’expliquer à cet égard ; un instant après il s’est
expliqué et il a dit : Si notre ambassadeur n’a pas remis la note du 11 mai,
c’est parce que la première note relative à la dette était assez significative.
Et à propos de la note relative à la dette je ferai observer que la conférence
a dû s’expliquer sur ce point et qu’il faut une réponse. Moi, je crois que si
la conférence a gardé le silence, c’était un motif de plus de remettre la note
du 11 mai. »
On demande un ajournement, c’est M. A. Rodenbach qui
désire qu’on ait le temps de faire remettre la note à Londres avant de voter le
crédit. M. H. de Brouckere parle de nouveau : « Je déclare de nouveau,
dit-il, être pleinement satisfait de la manière dont s’est expliqué M. le
ministre des affaires étrangères, mais ce qu’il vient de dire prouve de plus en
plus la nécessité pour la chambre, de ne voter les fonds demandés qu’après
qu’elle aura la certitude de la remise de la note. Il y a en effet procès entre
lui et notre agent diplomatique à Londres ; il faut que ce procès soit vidé,
sans cela nous n’aurions aucune sécurité, car rien ne nous garantit que le
ministère actuel soit maintenu et que celui qui lui succédera n’entrerait pas
dans les voies diplomatiques que nous désapprouvons. » Enfin, M. Jullien
s’écrie : « Point de remise de note, point d’argent. » Vient ensuite
M. l’abbé de Haerne : « Il me semble que fixer la discussion à lundi,
c’est décider la question même qui est en discussion... » Et M. Osy répond
: « C’est à quoi tend ma proposition. » Enfin M. Dumortier dit :
« Messieurs, si nous avions l’assurance que le ministère restera et que la
note sera notifiée à la conférence, nous pourrions voter pour le projet. Nous
voulons bien donner de l’argent pour acheter de la poudre, mais encore faut-il
être certain qu’on a l’intention de s’en servir le cas échéant. Mais personne
n’étant certain que le ministère actuel ne sera pas remplacé, il est
indispensable de ne voter les fonds demandés qu’après que nous aurons acquis la
certitude de la remise de la note. »
M. Gendebien.
- La note a-t-elle été remise ?
M. Devaux.
- Pardon, messieurs, de la longueur de cette citation : je crois qu’il en
résulte d’une manière bien évidente que la note du 11 mai, qui de l’aveu de M.
de Haerne approuve le système actuel du ministère est un acte qui a été connu
et approuvé par la chambre et que ce système, comme la remise de la note
elle-même, lui a été formellement imposé. Mais, dira-t-on, dans la note du 11
mai il ne s’agit que de l’évacuation du territoire belge. Qu’on relise les
notes du général Goblet qui vous ont été communiquées, qui ont obtenu une si
vive approbation, et ont fait tant d’impression sur la chambre, et on verra le
contraire. Voici ce qu’on lit dans la note du juillet :
« En faisant auprès du cabinet de La Haye les
démarches propres à établir, quand
l'évacuation réciproque aura été effectuée, des négociations
à l'amiable entre les deux pays, sur le mode d'exécution ou la
modification des articles au sujet desquels il s'est élevé des
difficultés, » la conférence a reconnu à la Belgique le droit de
demander avant tout l'évacuation de son territoire. Après un acte aussi
positif, le soussigné n'a pu voir sans un vif sentiment de surprise, la
conférence élever des doutes sur des droits reconnus par elle. Dans cet état de
choses, il ne peut s'empêcher de réitérer la déclaration formelle que son
souverain ne consentira à aucune négociation sur ceux des 24 articles qui en
sont susceptibles, avant l'évacuation réciproque des territoires
respectifs. »
Ces notes, qui faisaient le système ministériel, ont
été approuvées par la chambre. Il y a plus : vous vous rappellerez, messieurs,
qu’il fut enjoint au ministère par l’opposition de ne pas dévier de ce système,
sous menace d’être mis en accusation ; ainsi le système d’exécution partielle
et réciproque était bien celui de la chambre. Mais on dit aujourd’hui qu’il ne
s’agissait que d’une évacuation précédée de l’adhésion de la Hollande.
Messieurs, je pourrais aller plus loin qu’il n’est besoin, et répondre que pas
un mot dans les pièces que je viens de citer n’indique la nécessité de cette
adhésion. Quant à moi, j’ai la conviction que si, à cette époque, on avait
demandé à la chambre si elle entendait que le roi de Hollande adhérât
préalablement, on aurait répondu que ce qu’on voulait c’était un fait, et
qu’une adhésion n’était encore qu’un morceau de papier.
Est-ce à dire qu’il faille jeter au vent, abandonner
sans précaution ces territoires si malheureusement détachés de la Belgique ?
Telle n’est pas ma pensée, Messieurs ; je crois qu’il y a des précautions à
prendre, je crois que le ministère peut en prendre ; mais la chambre doit user
d’une grande prudence si elle veut lui imposer un système. La chambre qui ne
connaît que les principaux documents des négociations, n’a pas tous les
éléments nécessaires pour former un système dont elle-même fût sûre : il faut
donc que la chambre agisse avec prudence ; il y a là de grands écueils à éviter
; ainsi, pour avoir agi sans assez de connaissance de cause, je ne m’étonnerais
pas que plusieurs des députés qui ont imposé au ministère la remise de la note
du 11 mai ne s’en repentissent maintenant. (Mouvement.)
Je le répète, il serait extrêmement dangereux à une
chambre d’imposer un système diplomatique précis et rigoureux au pouvoir
exécutif ; pour moi, messieurs, quoi que vous fassiez, je désire que vous ne
forciez pas le gouvernement à rompre en visière à nos meilleurs alliés. Je
désire qu’après que les gouvernements anglais et français ont surmonté tant
d’obstacles extérieurs et intérieurs pour exécuter ce que nous leur avons si
longtemps demandé, on ne leur fasse pas aujourd’hui l’affront d’une
protestation. Je désire qu’on ne mette pas le ministère anglais, quand les
mesures qu’il vient d’arrêter n’ont pas une grande popularité en Angleterre,
dans la position de s’entendre dire au parlement : « Les Belges eux-mêmes
repoussent ce que vous avez fait pour eux. »
Encore une fois, messieurs, si
l’on croit que nous pouvons tout par nous-mêmes, que nous pouvons nous passer
de tout allié, que jamais nous n’aurons besoin au dehors d’un seul ami ; si on
a oublié que déjà nous en avons eu besoin, alors nous pouvons rompre avec
l’Europe entière ; sinon, croyez-moi, messieurs, usons de prudence. A
l’intérieur, vous avez d’autres dangers à éviter : je ne parle point ici d’un changement
dans le personnel du ministère, peu m’importent les personnes. Aujourd’hui, il
est vrai, j’ai des amis au ministère, mais à mon grand regret, je vous assure ;
car je ne souhaiterai jamais à un ami le malheur d’être ministre. Mais un
malheur plus grand serait de mettre les affaires du pays dans un tel état
qu’aucun ministère, quel qu’il fût, ne pût plus se charger du fardeau de la
position que vous lui auriez faite.
M. Levae.
- Je demande la parole pour un fait personnel.
Plusieurs voix. - Il n’y a
pas eu de fait personnel.
M. Jaminé.
- Messieurs, quand on voit ceux qui se sont constitués les tuteurs de la
révolution la massacrer impitoyablement, quand on voit que tous les ministres qui
se sont succédé en Belgique se jouent impunément de notre avenir, quand de
chute en chute nous sommes enfin venus sur le bord de l’abîme, quand, dans le
moment même où tous nous nous sentons pour ainsi dire tomber, ceux qui
soutiennent le ministère nous répondent par de fades plaisanteries, un honnête
homme doit être découragé ; et je le suis. Aussi, n’aurais-je pas pris la
parole, et je serais resté ici tranquillement assis sur mon banc, attendant
avec résignation le sort qu’on nous destine à tous, si, honoré de votre
confiance, je ne me croyais pas placé dans la nécessité de dire quelques mots
seulement sur le projet d’adresse qui vous est soumis.
Messieurs, je vous en prie et je prie tous mes honorables
concitoyens du Limbourg et du Luxembourg qui feront attention à mes paroles, je
vous prie tous de croire que, s’il est quelqu’un qui déteste le traité du 15
novembre, c’est moi ; je vous prie de croire que si je pouvais au prix de ma
vie faire anéantir ce vil marché d’âmes, je n’attendrais pas qu’il fût
consommé. (Très-bien ! très-bien !)
Mais nous sommes liés ; le moment n’est pas encore venu de porter la main sur
cette œuvre déplorable. Toutefois il est une question à examiner, c’est celle
de savoir si l’on marche réellement à l’exécution de ce traité, si le ministère
nouveau, qui a surgi en Belgique, n’a pas méconnu les intentions de la chambre,
et s’il n’a pas mérité, pour ce fait, d’être blâmé ouvertement.
Eh bien ! oui, il a méconnu les intentions de la
chambre ; eh bien ! oui il a mérité d’être blâmé de sa conduite. Je n’irai pas,
messieurs, fouiller dans le traité des 24 articles, qui est un fait accompli,
ni dans les actes subséquents ; je prends pour base les adresses des chambres,
la réponse du Roi et les notes remises par M. Goblet lui-même, notes qu’on a eu
l’imprudence d’invoquer tout à l’heure. Avec ces pièces, je prouverai que le
ministère s’est placé à côté de la question, qu’il n’a pas suivi la marche de
son prédécesseur, qui s’est retiré, au contraire, parce qu’il ne voulait pas se
mettre en contradiction flagrante avec ses actes antérieurs.
Il ne faut pas accumuler ici actes sur actes, faire de
la diplomatie, s’attacher à la lettre d’une note et à l’esprit d’une autre pour
montrer que les ministres ont raison, il faut lire tout ; j’ai tout lu. J’ai eu
la patience d’écouter, avec une attention soutenue, le long rapport de M.
Goblet ; j’ai fait plus, j’ai consacré plusieurs heures à relire ce rapport, et
il en est résulté pour moi que le ministre des affaires étrangères pouvait se
placer ou pouvait être placé dans trois positions. Voici ces positions :
D’abord, il avait vis-à-vis de lui les cinq
puissances, qui avaient à remplir (deux de ces puissances du moins) l’exécution
entière des 24 articles. Il pouvait sommer ces puissances d’exécuter ce traité.
Ensuite le ministre pouvait passer sur l’intervention
étrangère. S’il croyait la Belgique assez forte par elle-même, il pouvait faire
un appel à notre armée.
En troisième lieu, après l’exécution des principales
dispositions des 24 articles, il pouvait entrer en communication directe avec
le roi de Hollande.
Voilà ces trois positions nettement dessinées.
Maintenant je vais prouver que si l’intervention
étrangère était permise, si malheureusement, en vertu des 24 articles et de
l’adresse des chambres, le ministère qui l’a provoquée n’est pas dans son tort,
du moins ne devait-il la provoquer que pour l’exécution entière du traité. Et
ici j’invoque à mon appui une des notes de M. de Muelenaere, alors ministre des
relations extérieures. II y est dit « Dans le cas de quelqu’autre délai
ultérieur, S. M. prendrait avec les cinq autres puissances telles mesures qu’on
jugerait utiles pour arriver à l’exécution du traité. »
Ceci est encore un peu vague, mais voici quelque chose
de plus clair, et je le trouve dans une note remise par M. Goblet lui-même à la
conférence le 8 juin :
« Il y a lieu de fixer l’époque très prochaine ou
le traité du 15 novembre recevra son exécution dans toute sa plénitude, par
l’emploi des mesures qui résultent des engagements contractés par les notes du
15 octobre 1831, annexées aux 2 articles. »
Et dans la note du 29 juin, qui a servi à l’honorable
M. Devaux pour soutenir le ministère, M. Goblet, alors notre ambassadeur à Londres,
tenait le langage suivant :
« Je somme la conférence d’employer les mesures
coercitives pour obtenir l’évacuation du territoire, la jouissance de la
navigation de l’Escaut et de la Meuse, et l’usage des routes existantes pour
les relations commerciales de la Belgique avec l’Allemagne. »
Vous-mêmes, messieurs, vous avez entendu qu’il fallait
plus qu’une évacuation forcée, et chose singulière ! si vous faites attention
aux actes de la conférence, vous trouvez qu’après deux ans de débats, elle est
d’accord pour la première fois avec la diplomatie belge. Il ne s’agit pas au 5
octobre même d’évacuation partielle pour nous donner la citadelle d’Anvers,
mais il s’agit de sommer la conférence ou deux des puissances pour l’exécution
entière du traité.
Mais les événements marchaient en France ; vous savez
quels hommes reprirent les rênes du gouvernement. Il fallait à ces hommes une
action d’éclat et rien qu’une action d’éclat. Le gouvernement nouveau qui
surgit en France, sonda le terrain. Tandis qu’il y avait affirmation d’un côté
et négation de l’autre, ce nouveau gouvernement, dis-je, songea qu’il fallait
prendre la citadelle seulement. Le 22 octobre amena un changement total dans
notre politique. Notre ministère ne somma plus les puissances d’exécuter entièrement
le traité du 15 novembre, mais il consentit à ce que la France employât des
moyens coercitifs pour parvenir à la simple évacuation de la citadelle et des
forts qui en dépendent.
Voilà pour la première position ; voici maintenant
pour la seconde.
Le ministère, disais-je, pouvait recourir à nos
propres forces, s’il se croyait assez fort, pour obtenir la satisfaction à
laquelle le pays avait droit, et c’était là le vœu de tous les patriotes. Et
qu’on ne dise pas ici que ce ministère est le continuateur du ministère
précédent, qui devrait bien (et je suis étonné qu’il ne le fasse pas)
s’expliquer catégoriquement sur ce point ; qu’on ne dise pas qu’il ne fait que
continuer un système déjà suivi, car je prouverai qu’il est sorti plusieurs
fois de la bouche de l’ancien ministre des affaires étrangères que, si nous
étions en mesure de faire la guerre, nous agirions contre la Hollande.
Je vous rappellerai, messieurs, cette circonstance
remarquable où l’on est venu nous demander des millions et des hommes. En ce moment
nous demandions pour quoi faire ? Etait-ce donc pour rester immobiles et l’arme
au bras ? Non, c’était pour agir. Donc, nous pouvions faire la guerre.
Je passe à la troisième position ; et ici est le nœud
gordien, ici gît toute la difficulté.
Il était permis d’entrer en négociations avec la
Hollande, d’après notre manière de voir, lorsque l’exécution du traité, dans
ses principales dispositions serait opérée ou du moins lorsqu’il y aurait eu
évacuation de territoire de gré à gré ; et, d’après le ministère, on pouvait
porter en négociations à la suite d’une évacuation de territoire, n’importe de
quelle manière.
Eh bien ! lisez l’adresse présentée au Roi, lisez la
réponse du Roi, et vous y verrez que nous demandions plus que l’évacuation du
territoire. Lisez encore ces notes des 8 et 29 juin de cette année, remises par
M. Goblet à la conférence de Londres, et vous y verrez que lui-même ne voulait
entrer en négociations (cela est clair) que lorsque nous aurions la liberté de
l’Escaut, de la Meuse, et en même temps l’évacuation du territoire.
Mais je veux bien faire une concession au ministère,
et en vérité sa cause est si faible, si mauvaise que nous pouvons lui faire les
plus larges concessions. J’admets que les chambres ont donné leur autorisation
au gouvernement en ce sens qu’il y aurait une évacuation préalable. Mais
comment devait-on entendre cette évacuation ? Il ne pouvait être question que
d’une évacuation de gré à gré par la Hollande.
Eh ! messieurs, on le sent parfaitement, nous ne
pouvions pas en agir autrement ; nous savions, lorsque nous présentions notre
adresse au Roi, lorsque cette adresse était soumise dans cette chambre à une
discussion solennelle, nous savions que la remise de la citadelle ne
compenserait pas tout ce que nous devions abandonner dans le Limbourg et dans
le Luxembourg ; mais nous savions aussi qu’un avantage important attaché à
cette évacuation préalable et de gré à gré, c’était que nous étions reconnus
par la Hollande et qu’elle ne pouvait plus élever de difficultés sur notre indépendance.
Qu’on me dise donc ce qu’on entendait par évacuation réciproque, si ce n’est
une évacuation à l’amiable. Qu’on jette les yeux sur ces pièces, sur les actes
politiques qui les ont suivies, et je défie qui que ce soit, quelque talent
qu’il ait, je défie tous mes adversaires de nier que, lorsque la représentation
nationale a dit : territoire irrévocablement reconnu, on exigeait non seulement
que l’exécution du traité eût lieu par les puissances, mais que cette
évacuation fût faite de gré à gré avec la Hollande, et que si cette évacuation
volontaire ne se faisait pas, on ne pouvait négocier.
Mais viennent en foule les défenseurs du ministère.
L’un voit dans la question une question de droit ; l’autre s’effraie des
conséquences que peut enfanter un refus de continuer la marche du ministère ;
un autre encore nous efface déjà de la grande famille européenne. J’ai cru un
instant, je l’avoue, que tous ceux qui nous combattaient ne parlaient pas
sérieusement ; mais j’ai dû me rappeler ensuite que tout ce qui se dit ici est
sérieux. Je vais donc examiner leurs arguments.
M. Goblet d’abord et M. Devaux après lui trouvent un
point d’appui que, disent-ils, on ne peut pas leur enlever dans la note du 11
mai, note qui n’a pas été remise, qui d’après ces honorables orateurs servait
de base à la politique que devait suivre le gouvernement. Messieurs, si vous
lisiez cette note, vous verriez qu’elle est favorable à la Belgique. Mais je
m’en contenterais moi-même ! Car elle signifie tout le contraire de ce qu’on a
voulu prouver. Je vous rappellerai, messieurs, ce qui s’est passé dans la
chambre à cette occasion, car les faits sont encore assez présents à ma
mémoire. On parlait d’une proposition que devait faire M. Osy, tendante à
déduire des intérêts de la dette tous nos frais d’armements. Eh bien ! on nous
assurait qu’une note pareille devait être remise à la conférence, et c’est cela
seul que nous avions vu dans cette note. Il n’était pas encore question de
négociation. Et d’ailleurs, est-ce que cette note a été soumise à l’examen de
la chambre, est-ce qu’elle a été discutée pour qu’elle puisse servir de point
d’appui ? Rappelez-vous donc ce qui s’est passé ! Est-ce qu’on n’a pas sommé
plusieurs fois M. de Muelenaere de produire cette même note ? Quels efforts
n’a-t-il pas faits ce ministre pour ne pas la communiquer, pour prouver qu’au
point où en étaient venues les négociations, il était extrêmement imprudent de
la publier ; mais il assurait qu’une note pareille serait remise à M. Goblet,
c’est celle du 1er juin qui ne cadre pas tout à fait avec la première.
M. le ministre des affaires étrangères a voulu prouver
hier qu’il avait mérité un bill d’indemnité pour ses actes avec les
instructions qu’il avait reçues de M. de Muelenaere lorsqu’il était son
subordonné à Londres. Mais que nous font ces instructions de M. de Muelenaere ?
C’est bon de vous à lui, cela ne lie pas la chambre. Le système que nous avons
posé se réalise aujourd’hui, dit-on. Vous avez consenti à la cession de Venloo,
de la rive droite de la Meuse, à des négociations dès qu’il y aurait eu
évacuation de notre territoire. Malheur et malédiction sur nous, si nous avions
consenti à un système aussi pernicieux ! Vous continuez, dites-vous, l’œuvre de
vos prédécesseurs ; mais que ne quittez-vous ce banc et ne cédez-vous la place
à ceux qui vous ont précédés. (On rit.)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous le voulons bien.
M. Jaminé.
- Mais si vous n’êtes que les continuateurs d’un système qui ne vous appartient
pas, pourquoi cet empressement à venir vous justifier ? Que ne nous
laissiez-nous faire notre adresse ? Mais à peine la commission chargée de cette
adresse était-elle nommée, et elle ne l’était pas même encore, que déjà vous
étiez à cette tribune, armés d’un volumineux rapport pour vous justifier
d’actes qui regardaient vos prédécesseurs.
Je vous l’avoue, messieurs, je trouve que le ministère
est effectivement dans une pénible position ; mais c’est lui-même qui s’y est placé.
Il doit l’imputer à son imprudence ; il avait provoqué l’intervention étrangère
quand il avait 130,000 hommes sous les armes ; il avait des fonds à sa
disposition. Laisser ces hommes inactifs, ne pas aller plus avant, c’était
avoir une armée pour la parade, et, disons-le nettement, jeter son argent par
la fenêtre ! Pourquoi ne pas consulter les chambres ? Vous le pouviez, vous ne
l’avez pas fait, et si l’époque légale de leur convocation n’était pas encore
arrivée, nous ne siégerions pas ici ; car lorsque tout aurait été fini, vous
seriez venus répondre à nos réclamations : il est trop tard, il n’y a plus rien
à faire.
Nous attachions une grande importance à avoir une
évacuation de gré à gré, parce que l’évacuation forcée doit être désastreuse
pour la Belgique. Déjà l’honorable M. Dumortier vous a très bien indiqué quels
seraient les désavantages et les pertes de la Belgique dans ce cas. Nous allons
recevoir une forteresse ou quatre murs et des briques et des ciments, si l’on
veut, pour la dixième partie de notre population. Nous attachions, dis-je,
beaucoup d’importance à une évacuation de gré à gré, parce que, comme l’a très
bien dit un honorable sénateur, une évacuation forcée de la Hollande, une
évacuation préalable de force ont pour résultat que nous cédons nos droits sur
le Limbourg contre des droits encore contestés dans le Luxembourg ; car, pour
conserver la partie du Luxembourg qui vous est cédée, il vous faut non
seulement l’assentiment des agnats de Nassau qui ne consentiront pas, mais
encore l’assentiment de la confédération germanique qui y consentira encore
moins.
M. F. de Mérode. - Qu’avons-nous besoin de ces prophéties ?
M. Jaminé.
- Cette prophétie se réalisera plutôt que celle de M. Lebeau. (Hilarité.)
Hier M. Nothomb a dit que nous ne pouvions pas faire
la guerre. Mais vous, honorables membres de cette assemblée qui défendez le
ministère ou qui tenez au ministère, mettez-vous donc une fois d’accord.
Lorsque vous veniez demander des hommes et de l’argent, M. le comte de Mérode
faisait le dénombrement de notre armée ; impossible de faire la guerre sans
l’adoption des projets présentés. Nous avons donné tout ce qu’on nous a
demandé, et c’est hier seulement pour la première fois qu’on a découvert qu’il
nous était interdit de tirer un coup de fusil ; si nous ne pouvons pas faire un
pas en avant, on a commis une faute, en demandant des hommes et de l’argent ;
qu’on la répare, il en est encore temps, qu’on renvoie une partie de nos soldats
dans nos foyers, ce sera autant de gagné.
Il était un sentiment d’humanité qui dominait toute la
question ; on fait tout au monde pour émousser ce sentiment. Nous ferons
quelque chose pour le Luxembourg ! Et qu’avez-vous fait pour le Limbourg ? Un
malheureux que vous faites sortir de sa ville natale où il trouvait des moyens
d’existence demande un morceau de pain, et il meurt sur la paille dans un
grenier ; des paysans de la rive droite de la Meuse qui ne peuvent pas
s’imaginer qu’on puisse les incorporer dans nos régimes, pour parvenir à
l’exécution d’un traité qui les livre pieds et poings liés à la Hollande, sont
traqués comme des bêtes fauves, et quand ils ont le malheur de s’opposer à un
gendarme, ils sont traînés, moi présent, devant la cour d’Anvers, et quand vous
avez placé un corps d’armée autour de Maestricht pour bloquer cette ville
malheureuse, vous levez inopinément le camp pour engager les Hollandais à se
saisir de notre sol à ravager nos propriétés ; et plus d’une fois à Tongres je
n’ai pas fermé l’œil en songeant à ce qui m’y attendait, et au moment même où
je parle, les Hollandais continuent leurs déprédations. Voilà ce que vous avez
fait pour le Limbourg ; que feriez-vous pour le Luxembourg ?
Et puis on veut nous citer l’histoire. Si je voulais
puiser à la même source, j’accumulerais condamnation sur condamnation sur vos
têtes : Napoléon devait subir les conséquences de la perte de Waterloo ; si
vous êtes aussi conséquents, vous devez admettre qu’après les désastres de
Hasselt et de Louvain, le trône de la Belgique doit s’écrouler, et sans le
savoir, vous travaillez pour atteindre ce but.
M. Devaux nous dit que plusieurs députés entrent dans
cette enceinte imbus de cette idée, qu’ils vont encore exercer ici leur
deux-centième partie de souveraineté ; non, la plupart des députés qui entrent
ici viennent pour remplir leur mandat, viennent non pour flatter le pouvoir,
mais pour lui dire la vérité, non pour excuser ses erreurs, mais pour les
blâmer.
Cependant voici un argument que le même orateur a mis
en avant : « Sous le régent, dit-il, le congrès n’a pas fait difficulté
d’échanger Venloo contre la citadelle d’Anvers. » Si cela est, n’était-ce
pas dans un moment où le bombardement de cette ville avait excité une horreur
universelle, et le congrès aurait-il consenti à abandonner le Limbourg et le
Luxembourg ? Ne conservions-nous pas nos droits imprescriptibles sur Maestricht
? Avions-nous la dette enfin ?
Et voilà donc les fruits amers de cette misérable
politique dont M. Lebeau a posé la première pierre et dont, ouvrier
complaisant, il vient sous un autre architecte achever l’édifice. (On rit.) Le peuple mécontent, le pays
poussé entre deux interventions, perte de toute garantie, l’armée découragée,
abandon lâche et inhumain de nos frères en révolution, plus de dignité, plus
d’honneur national à invoquer, et vous n’auriez pas méconnu les intentions de
la chambre, et nous ne protesterions pas contre vos actes !
Que faites-vous donc pour le
Limbourg et le Luxembourg ? Oh mon Dieu ! Livrés à la brutalité de la
soldatesque prussienne pour retomber ensuite sous le joug hollandais ! Dans
leurs douleurs officielles, dans leurs douleurs qu’ils écrivent, ils appellent
cela un séquestre ! Dix-huit articles, vingt-quatre articles, note infâme du 31
octobre, voilà donc les titres de nos trois ministres des affaires étrangères à
la reconnaissance de leurs concitoyens ; voilà donc leur bagage pour la
postérité. Régnez, régnez ; encore quelques jours les imprécations
commenceront, et puis dormez tranquilles si vous le pouvez ! (Bravos et applaudissements.)
- Des applaudissements réitérés se font entendre dans
les tribunes. M. le président agite la sonnette pour les faire cesser.
M. F. de Mérode. - Je demande la parole.
Plusieurs membres.
- Est-ce comme ministre ?
M. F. de Mérode. - Comme vous voudrez.
Les mêmes membres.
- Si c’est comme député, ce n’est pas votre tour.
M. F. de Mérode. - C’est comme ministre, je ne reculerai pas. (On rit.) Messieurs, je n’entreprendrai pas de résister à des armes
forgées avec un métal sonore, mais sans autre force que le retentissement. Je
n’entreprendrai pas de réfuter des syllogismes dont la majeure, la mineure et
les conséquences, se composent du ronflement des mots déshonneur, lâcheté,
perfidie, astuce, incurie, stupidité ministérielle, flanqués de tous les
adjectifs analogues. Je laisse au système énergique, autrement dit, si vous le
préférez, système « fier-à-bras » sa logique de qualifications. Le
système prétendu pusillanime, auquel je me fais honneur d’appartenir, doit
employer d’autres arguments. Mais s’il est, parmi nos adversaires, des orateurs
qui fondent sur des raisonnements et non sur l’âpreté des paroles leur censure
de la marche suivie par le gouvernement, malheureusement, tandis qu’en
conversations particulières rien n’est plus simple que les réponses à leur
opposer, sur la place publique rien n’est plus difficile et plus embarrassant. Comment
en effet, sans compromettre l’Etat, divulguer toutes les circonstances qui
peuvent purement, et sans danger pour la chose publique, être appréciées dans
un cabinet ? Comment proclamer à haute voix les projets du gouvernement, les
moyens éventuels, les ressources dont il peut disposer, faire connaître celles
qui lui manquent ? Les hommes que la confiance du Roi appelle dans son conseil
oseraient-ils, dans leur intérêt privé, et pour prouver qu’ils ont raison,
s’exprimer hardiment et sans égard pour les plus chers intérêts du pays ? Non,
messieurs, plutôt cent fois passer condamnation, abandonner le timon des
affaires publiques si dur à manier dans un temps de crise aux censeurs les plus
rigoureux du ministère actuel.
Arrivés à la direction des intérêts de l’Etat, leur
patriotisme prévaudrait sans doute sur l’amour-propre attaché à la persistance
dans une opinion. Ils se croiraient en conscience obligés de ne point
abandonner l’œuvre de ceux qui les précédaient.
Sans pouvoir donc, messieurs, expliquer ici tous les
motifs déterminants de la conduite du ministère, motifs que M. Nothomb a
touchés partiellement, avec des réflexions d’un ordre supérieur, je dirai à
cette assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre : Ne vous constituez point en
conseil aulique des affaires extérieures du pays, pas plus qu’en conseil
aulique de guerre.
Cent personnes ne peuvent pas mieux conduire à bien
des opérations diplomatiques qu’un plan de campagne.
Vous savez, messieurs, quels succès le conseil aulique
de Vienne valut à la monarchie d’Autriche ; et ce conseil était composé d’un
petit nombre de généraux il ne délibérait point en séance publique !
Vous n’avez pas oublié les discussions alors
inévitables du congrès national sur nos affaires extérieures. Vous avec
présente à la mémoire la proposition faite par un membre de cette chambre
constituante, par un membre qui, plein de zèle et de sollicitude pour les
habitants de Maestricht et de la rive droite de la Meuse (et ce membre c’était,
messieurs, celui qui vous parle), demandait, tandis que la Pologne respirait
encore, que l’on cherchât à faire déclarer Maestricht forteresse de la
confédération germanique en conservant pour la Belgique l’administration
civile.
Vous n’avez pas oublié, messieurs, quel fut le sort de
cette dernière tentative, seule capable d’éviter une douloureuse séparation.
Une voix, une seule voix se prononça pour elle. Etouffée sous des murmures de
désapprobation, la mesure fut rejetée à la presque unanimité, et pourquoi ?
Parce qu’il était dangereux, imprudent impossible d’en développer publiquement
les raisons.
Pourquoi donc, me dira-t-on, le ministère est-il venu
soumettre ses actes à l’approbation des chambres ? En cela le ministère a voulu
montrer sa déférence pour vous, messieurs. Il n’a point agi, peut-être,
conformément à ses droits constitutionnels. Quel est, en effet, son devoir ?
Amener l’exécution des vingt-quatre articles en ne s’écartant point des moyens
d’action que lui réservent la constitution et les lois.
Le choix entre l’exécution successive et l’exécution
simultanée du traité du 15 novembre, chose que nous ne sommes pas seuls maîtres
de décider, n’est point de nature à être mis en discussion dans deux assemblées
publiques, l’une de cent, l’autre de cinquante personnes ; ce n’est point
manquer d’égard pour les chambres que de leur tenir ce langage, c’est leur dire
une vérité si frappante d’évidence que je n’oserais en développer les preuves.
J’ai parlé des devoirs du ministère, j’ai parlé de ses
droits constitutionnels. J’aborde les vôtres, messieurs. Dans les circonstances
critiques où nous sommes, vos devoirs, je ne crains pas de m’exprimer
franchement, vos devoirs sont d’appuyer le gouvernement, d’écarter
individuellement la prétention de faire prévaloir tels ou tel sentiments
particuliers ; car enfin, sur 80 membres présents à cette discussion, si 39
approuvaient la conduite du ministère, si 41 trouvaient bon de la blâmer, qu’en
résulterait-il ? Deux voix, appartenant à une assemblée législative,
décideraient presqu’au hasard de l’avenir du pays, dans une question qui
appartient au pouvoir exclusif en vertu de toutes les constitutions existantes
dans le monde civilisé.
Au milieu d’événements d’un intérêt si grave, quels
sont donc aussi nos droits ? D’exprimer des vœux, des vœux énergiques, mais non
pas, si vous voulez, de prescrire des obligations dont la portée ne saurait se
prévoir. Dites ce que vous désirez, à la bonne heure ; le gouvernement fera
sans doute tous les efforts raisonnables et loyaux pour satisfaire la
représentation nationale.
Aller plus loin, messieurs, c’est confondre tous les
pouvoirs c’est jeter la confusion dans les affaires publiques, lorsqu’avant
tout il est indispensable d’y voir régner souvent l’ordre et l’ensemble le plus
parfait.
Ce que j’avance ici devant vous, messieurs, a reçu la
sanction de celui qui, parmi les orateurs opposés à la conduite suivie par les
ministres, a défendu son opinion avec le plus de logique. « Les ministres, vous
a-t-il dit, en adoptant une politique désastreuse, en avaient-ils au moins le droit
? Si cette question était résolue affirmativement, nous n’aurions qu’à gémir et
les blâmer ; mais toute opposition deviendrait impossible. Il en est autrement,
si les ministres ont outrepassé leurs droits et violé leurs obligations. C’est
là, messieurs, toute la question, » a ajouté l’honorable M. H. de Brouckere, et
pour prouver le crime des ministres, il a cité l’article 24 du traité du 15
novembre, que voici :
« Aussitôt après l’échange des ratifications du
traité à intervenir entre les deux parties, les ordres nécessaires seront
envoyés aux commandants des troupes respectives pour l’évacuation des
territoires, villes, places et lieux qui changent de domination. » Il a
isolé cet article de tout ce qui a été fait plus tard par le gouvernement, d’accord
avec les adresses des chambres elles-mêmes et la note dont elles ont exigé la
remise à la conférence ; de cette manière, messieurs, il a prouvé la
culpabilité du ministère, et sans tous les actes postérieurs il aurait raison,
à moins toutefois, ce qui serait juste, que nous ne préférions traiter les
affaires extérieures, genre d’argumentation moins rigoureux que celui dont
usent les avocats devant les tribunaux, et que nous ne jugions convenable de
tenir compte des faits plus puissants en politique que des démonstrations,
fussent-elles mathématiquement exactes.
Or, messieurs, un fait et un seul fait qui me suffit,
je le trouve consigné dans le discours même de l’honorable membre ; le voici en
peu de mots ; je ne fais que répéter : « Après quatorze mois passés à
nous leurrer, à nous jouer de toute manière, la conférence nous impose un
traité contraire à l’honneur et à l’intérêt de la Belgique. L’envoi de ce
traité est accompagné de menaces, pour le cas de non-acceptation. Ces menaces
effraient le gouvernement et la majorité des chambres. Les réclamations de la
minorité sont étouffées ; on souscrit au traité. La Hollande, au contraire,
sommée, menacée comme nous, refuse son adhésion : une année entière se passe à
employer vis-à-vis d’elle des moyens de persuasion. Peines superflues ! la
Hollande persiste dans son refus. Cette patience, cette longanimité vis-à-vis
de la Hollande a droit de nous surprendre, car les puissances avaient
déclaré qu’il n’était plus en leur pouvoir de faire subir aucune
modification au traité ; il devait être exécuté sans délai et dans son
entier.
Je partage complétement, messieurs, la surprise de M.
de Brouckere ; mais, tout surpris que je suis, je vois là un fait auquel je ne
puis opposer que du blâme, et du blâme très énergique, mérité ; mais blâme dont
on voudrait appliquer l’effet à tous les martyrs qui, depuis deux ans, ont, en
Belgique, sué sang et eau sous le harnais ministériel.
Au milieu de ma surprise, parfaitement motivée comme
celle de M. de Brouckere, je vois un autre fait géographique, qui tient à la
construction physique du globe.
La Néerlande, ainsi que son nom l’indique, nage au
milieu des roseaux, tandis que nos contrées fertiles offrent un terrain solide
et si commode qu’on peut le traverser en tous sens, en deux ou trois fois 24
heures, et sans difficulté.
Libre aux Fonteyn-Verschuer, aux Curtius, et autres
Romains d’outre Moerdyk, qui, munis de bonnes indemnités parlementaires fixes,
font payer à leurs Hollandais, reconnaissants de la haute sagesse déployée par
ces fidèles serviteurs de Guillaume, de la décomposition du ci-devant royaume
des Pays-Bas ; libre à eux, dis-je, de s’enorgueillir au milieu des tourbières
de la Néerlande, de s’extasier du bombardement d’Anvers, de la déloyale attaque
du mois d’août ; libre à des Belges, qui causent à leur aise après les
événements, de déclarer leur pays déshonoré, parce qu’au milieu d’un
bouleversement politique, où la discipline militaire avait péri, où personne ne
commandait avec autorité, où les partis tiraillaient en tous sens le
gouvernement, des hommes chargés de l’organisation manquèrent, soit de
connaissances suffisantes, soit d’auxiliaires capables de surmonter de très
grandes difficultés. Pour moi, messieurs, et mes sentiments sont partagés par
presque tous mes anciens collègues du gouvernement provisoire, je n’ai pas
honte d’appartenir à une nation dont la conduite morale fut admirable pendant
une longue péripétie d’incertitudes et d’embarras inouïs, d’appartenir à une
nation chez laquelle fleurissent les institutions les plus généreuses, les plus
libres et les plus loyalement obéies.
Il me reste un mot
à dire sur l’armée, sur cette armée flétrie, dit-on, parce qu’elle reste l’arme
au bras. Messieurs, je ne convoiterai jamais d’autres succès militaires que
ceux qui contribueront au bien-être et au progrès de l’humanité ; je n’ai
point, comme un honorable préopinant, soif de vengeance ; la vengeance n’est
que de la barbarie. Assez de sang a été versé sous l’empire pour une gloire
stérile. Nos soldats ne sont plus dévoués aux hécatombes du despotisme
conquérant ; ils sont les enfants de la patrie. Nulle flétrissure ne les
atteint lorsqu’ils servent cette patrie, conformément à ses devoirs et à ses
intérêts.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, l’honorable M. Devaux a fait un
reproche à un honorable représentant qui a parlé hier pour la première fois
dans cette enceinte, de ce qu’il avait cru pouvoir blâmer la chambre de
l’adhésion donnée par elle au traité des 24 articles. Il me semble qu’il est peu
généreux de traiter ainsi un député...
M. Devaux.
- Je ne l’ai pas blâmé.
M. de Brouckere. - Oui, vous l’avez blâmé. Je vous prie de ne pas m’interrompre. C’est
la demande que vous avez faite vous-même tout à l’heure. Je reprends.
Il me semble, messieurs, qu’il y a peu de générosité
de la part de M. Devaux à venir traiter ainsi un député qui débute dans la
carrière et dont les débuts ont été des plus honorables et méritaient bien
plutôt d’être encouragés par ses collègues plus anciens que lui. Mais,
messieurs, l’honorable orateur qui s’est montré si sévère sur les formes a-t-il
été lui-même bien poli envers la chambre, lorsqu’il a voulu lui prouver que la
plupart de ses membres ne connaissaient pas les éléments de la géographie,
qu’ils auraient besoin qu’on leur remît sous les yeux une mappemonde ou une
carte de l’Europe, lorsque tous ses efforts ont eu pour but de mettre la
chambre en contradiction avec elle-même, lorsqu’enfin il a comparé ses membres
à des acteurs représentant sur des tréteaux de mauvaises pièces où il n’est
question que d’adultères, d’incestes, d’assassinats ?
Je n’ai pas mission de défendre la chambre, mais elle
jugera, et le public avec elle, de quel côté ont été les torts ou de celui de
M. Levae, ou de celui de M. Devaux qui s’est permis des observations si
déplacées.
L’honorable orateur à qui je réponds a encore reproché
à la plupart des membres de juger d’ordinaire les choses avec d’autant plus de
défaveur qu’elles sont plus rapprochées, et de blâmer parfois ce
qu’antérieurement ils avaient paru appeler de tous leurs vœux. M. Devaux n’est
pas dans cette position ; car lui et ses amis politiques ont toujours approuvé
et défendu les actes du pouvoir, peu importe en quelles mains se trouvait ce
pouvoir.
Comme mon nom a été prononcé par cet honorable membre,
je crois pouvoir lui dire qu’il lui serait impossible, pour ce qui me concerne
particulièrement, de trouver dans mes paroles antérieures de quoi prouver que
je ne suis pas conséquent avec moi-même. Je le défie de prouver que j’aie
jamais voulu accélérer l’exécution du traité des 24 articles. J’ai fait plus,
j’ai déclaré, chaque fois que j’en ai trouvé l’occasion, que si nous étions
liés par ce traité, je faisais des vœux pour qu’un événement favorable pût le
détruire. Messieurs, je suis député du Limbourg, et vous n’aurez pas de peine à
croire ce que je viens de dire.
Mais, dit-on, vous avez-vous-même insisté pour la
remise de la note du 11 mai. Oui, messieurs ; j’ai insisté avec beaucoup
d’autres de mes collègues, mais quel était notre but ? Cette note était une
protestation contre la conduite de notre plénipotentiaire à Londres et voilà
pourquoi nous voulions qu’elle fût remise. Mais je défie de montrer qu’il y fût
question d’une évacuation réciproque avant l’adhésion de la Hollande au traité
du 15 novembre. C’était d’une évacuation de notre territoire seulement qu’elle
parlait, tandis qu’aujourd’hui c’est le contraire. J’ajouterai que la note du
11 mai a été rédigée sous l’ancien ministère, et je défie qu’on puisse citer
une seule pièce de ce ministère, dont pour cela je n’entends pas prendre la
défense, d’où il résulte qu’il entrait dans son système de consentir à
l’évacuation avant l’adhésion de la Hollande. Il est donc inutile de venir nous
opposer cette note.
Maintenant j’ai deux mots à
répondre à l’honorable orateur qui m’a précédé. Il convient qu’au moyen de
l’article 24 du traité, j’ai logiquement prouvé la culpabilité du ministère ;
mais, dit-il, ce traité ne doit pas être isolé et il doit être mis en regard
des actes postérieurs. Eh bien ! messieurs, je somme le ministère de nous
montrer un seul acte du pouvoir législatif qui révoque en tout ou en partie le
traité du 15 novembre ; or, le pouvoir législatif était seul compétent pour
cela. Je le somme de me montrer une seule pièce qui implique l’autorisation
pour lui de suivre la marche qu’il a adoptée : qu’il le fasse et dès ce moment
je suis prêt à retirer mon adhésion au blâme qu’on veut jeter sur sa conduite.
M. F. de Mérode. - Je n’ai pas cru parler à un tribunal, mais à une assemblée politique
; voilà tout ce que j’ai à répondre à la demande du préopinant.
M. Fallon.
- Je demande que la discussion soit remise à demain. (Appuyé ! appuyé !)
- La discussion générale est continuée à demain à
midi.
La séance est levée à 4 heures.