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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 décembre 1832

(Moniteur belge n°347, du 15 décembre 1832)

(Présidence de M. Fallon, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à une heure moins un quart.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Liedts fait connaître l’objet de pétitions adressées à la chambre.


M. Fleussu demande un congé de dix jours.

- Le congé est accordé.

Vérification des pouvoirs

Arrondissements de Tournay et de Soignies

M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Messieurs, on a envoyé à la commission de vérification des pouvoirs les procès-verbaux des élections de Tournay et de Soignies ; la commission a été convoquée ce matin, mais elle ne s’est pas trouvée en nombre. Sur sept membres qui la composent trois sont absents, et les feuilles publiques annonçaient que M. Nothomb était parti chargé d’une mission pour Londres ; c’est ce que j’ignore.

Je prie la chambre de vouloir bien décider que la commission sera complétée au moyen du tirage au sort. Alors la commission pourra s’occuper de son travail.

M. Poschet. - Je me suis assuré, au ministère des affaires étrangères, que M. Nothomb sera de retour ce matin.

- La chambre, consultée, décide qu’il sera tiré au sort deux membres nouveaux de la commission de vérification.

Le sort amène les noms de MM. Eugene Desmet et de Renesse pour compléter cette commission.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1833

Discussion générale

L’ordre du jour est la continuation de la discussion du budget des voies et moyens.

M. d’Elhoungne. - Je ne croyais pas reprendre la parole dans cette discussion avant la délibération sur les articles ; mais l’honorable rapporteur de la section centrale ayant fait allusion à un mot qui m’est échappé, je saisirai cette occasion d’ajouter quelques mots à ce que j’ai dit. L’honorable rapporteur a cru devoir se plaindre, au nom de la commission, d’une expression échappée dans l’improvisation qui a eu lieu ; mais en même temps il a reconnu qu’il n’était pas dans mes intentions de blesser qui que ce soit dans l’assemblée.

Cette réflexion rend ma justification complète. Sans doute il n’est pas dans mon caractère, et il n’est dans les intentions de personne de blesser les membres de cette assemblée ; mais il peut échapper dans la chaleur de l’improvisation quelques expressions hasardées. Si j’avais, comme beaucoup de membres, l’habitude de lire de longs discours préparés à l’avance, je ne tomberais pas dans cet inconvénient.

L’honorable orateur a ensuite voulu attaquer mon amendement en disant qu’il renversait la loi que vous venez de rendre : toute sa réfutation tombe à faux. Il m’a prêté un but que je n’ai pas. Le projet d’amendement que j’ai proposé et que je modifierai probablement par suite de la discussion, vous prouvera jusqu’à l’évidence l’erreur du rapporteur : voici l’amendement :

« Art. 1er. Jusqu’à la promulgation de la loi des voies et moyens pour l’exercice 1833, toutes les contributions directes et indirectes seront perçues pendant l’année prochaine, d’après la loi du 26 décembre dernier.

« Art. 2. Néanmoins la perception des contributions indirectes ne pourra se prolonger, sans loi nouvelle, au-delà du 30 avril 1833 ; et, quant aux contributions directes, ainsi que quant à la redevance sur les mines, que jusqu’à concurrence de huit douzièmes.

« Art. 3. Le recouvrement de celles-ci se fera provisoirement sur les rôles de 1832.

« Cette avance ne sera pas exigée pour les cotes et les portions de cotes dont le contribuable aura obtenu la décharge pour 1832, ainsi que pour les cotes foncières des propriétés inondées par l’ennemi.

« Art. 4. Les quatre derniers douzièmes ne deviendront exigibles et les rôles définitifs ne seront rendus exécutoires qu’en vertu d’une loi nouvelle.

« S’il arrivait que le contribuable ne fût pas porté aux rôles définitifs ou qu’il le fût pour des sommes inférieures au montant des paiements d’à-compte, le percepteur lui remboursera ses avances réelles, sur le produit des premières rentrées.

« Art. 5. Il est ouvert aux différents ministères un crédit provisoire égal au tiers des crédits qu’ils ont obtenus pour l’exercice 1832 pour subvenir aux besoins de l’Etat pendant les quatre premiers mois de 1833. »

Vous voyez, messieurs, que dans ce projet il n’est nullement question de revenir sur la loi récemment votée et par laquelle la législature a autorisé la perception anticipée des deux tiers de la contribution foncière ; loin de là, le projet d’amendement est conforme à la loi, il se borne à déclarer qu’au fur et à mesure des échéances, on pourra percevoir jusqu’à la fin du huitième mois toutes les autres contributions de répartition. Vous voyez que toutes les objections de l’honorable rapporteur tombent à faux, parce qu’il m’a supposé des intentions que je n’ai pas.

M. H. de Brouckere. - Ayant déjà eu mon tour pour parler, je ne compte pas prolonger la discussion générale que je désire voir arriver à son terme. Je réserve pour la discussion des articles et pour celle des amendements les observations qui me restent à faire, si toutefois d’autres membres ne les présentent pas avant moi ; mais il en est une que je ne peux différer : elle a pour objet de relever une des irrégularités qui se sont passées à la séance d’hier.

J’avais adressé quelques interpellations à M. le ministre des finances ad interim ; elles portaient toutes sur des faits simples, sur des faits qu’il ne pouvait ignorer. J’avais été forcé à ces interpellations par l’espèce de rapport présenté le 1er décembre par M. Coghen, rapport qui nous avait induits en erreur. Or, il ne faut pas que la représentation nationale reste dans l’erreur ; et, je l’avoue, la crainte que les réponses que j’ai demandées n’affaiblissent le crédit public ne m’émeut nullement : il ne faut pas que le crédit public soit établi sur des bases fausses ; il faut que la lumière paraisse dans tout son éclat.

Cependant un honorable représentant, que je crois étranger au gouvernement, c’est le rapporteur de la section centrale, a essayé de me répondre, tandis que le ministre ad interim a avoué qu’il n’était point à même de le faire. (M. le ministre fait un signe négatif.) .

Ce que je dis n’en est pas moins vrai, puisqu’il a dit avoir besoin, pour me répondre, d’examiner mûrement mes questions et de conférer avec M. Coghen. Hier, il m’a encore fait un signe négatif, et je prouverai tout à l’heure qu’il a eu le plus grand tort.

C’est donc un honorable député étranger au gouvernement, qui a essayé de me répondre. Je respecte les opinions de ce député en fait de finances, mais quand je fais des interpellations sur des faits qui ne peuvent être connus que du gouvernement, je regarde les réponses qui ne viennent pas de la haute administration comme sans importance aucune.

Je fais ces observations, parce que je crains que M. le ministre des finances ne me croie satisfait des espèces de réponses qui ont été faites hier ; je le suis si peu que je reproduis aujourd’hui les mêmes interpellations avec invitation formelle d’y répondre.

Une de ces interpellations avait pour but la connaissance de la situation réelle du trésor. Il paraît que le ministre ad interim ne la connaît pas.

Messieurs, lorsque j’ai parlé hier de mandats à terme qui circulaient, le ministre a fait un signe négatif.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je n’ai pas fait de signe négatif pour cela !

M. H. de Brouckere. - J’ai pris des informations et j’assure l’assemblée qu’il y a des mandats à terme qu’on présente à l’escompte, et qu’on ne les escompte que d’une manière onéreuse et très défavorable pour le trésor ; si l’on me fait encore un signe négatif, je donnerai des preuves. Je n’insiste pas pour que M. le ministre donne les explications dans l’instant, mais j’insiste pour qu’elles soient données avant la fin de cette discussion.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, je déclare que si, à l’occasion de l’allégation qui concerne les mandats, j’ai fait un signe négatif, il était impossible qu’il pût s’appliquer à un fait aussi matériellement connu. Je n’ai jamais eu le projet de nier l’existence de ce qui existe réellement. Ce signe négatif a dû appartenir à une autre phrase. Je ne peux nier une chose que tout le monde peut avoir en portefeuille ; c’est le secret de tout le monde. Ce signe négatif n’a donc réellement pas pu porter sur cette circonstance.

J’ai répondu hier à quelques-unes des interpellations qui m’ont été faites par l’honorable représentant qui vient de parler ; M. le rapporteur de la section centrale a cru devoir soumettre quelques observations sur les interpellations que j’avais laissées sans réponse : je l’en remercie.

Je ferai seulement remarquer la différence qui existe, suivant moi, entre tout dire confidentiellement à une section centrale à une commission ad hoc, qui représente la chambre, ou de le dire ici, où l’on parle au public, à tout le pays, à l’extérieur même. La différence est énorme. Si je me rends dans une commission ad hoc, dans une section centrale, pour donner tous les renseignements possibles qui peuvent convaincre ou la commission ou la section centrale que le projet présenté par le gouvernement doit être adopté, c’est une chose que je ferai constamment ; mais, à coup sûr, je ne m’expliquerai jamais avec le même abandon dans les séances publiques. Dans l’un des cas il peut y avoir danger ; dans l’autre il ne peut y en avoir.

J’ai passé sous silence quelques-unes des interpellations de l’honorable membre, parce que je crois qu’il n’est pas prudent ni convenable de satisfaire à toutes les interpellations.

Oui, des mandats à terme existent, J’ai trouvé que dans d’autres moments de gêne qu’éprouvait le trésor, cette marche avait été suivie par mon prédécesseur ; j’ai cru devoir la suivre dans les mêmes circonstances et par des motifs que j’ai exposés à la section centrale et qu’elle a trouvés convenables. Je dis que je considère ces mandats à terme, au moment où nous les avons délivrés, comme une opération, qui était indispensable, qui n’entraînait aucun frais pour le trésor.

Quant aux autres interpellations dont l’honorable député m’a honoré hier, j’avais prié qu’il me les donnât par écrit ; s’il me les communique, je me retirerai à la trésorerie pour prendre des renseignements.

M. H. de Brouckere. - Elles sont dans les journaux !

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Ce n’est pas dans les journaux que je dois les prendre ; les journaux tronquent les opinions ; c’est une chose connue.

M. H. de Brouckere. - Eh bien, je déclare que les questions sont très bien posées dans le Moniteur, journal du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Alors je prendrai dans le Moniteur les interpellations, et je vais me retirer pour prendre les renseignements nécessaires.

M. H. de Brouckere. - Je ne les demande pas actuellement, mais avant la fin de la discussion.

M. de Robaulx. - Avant de voter, il faut un ministère, un gouvernement.

M. Desmet. - Messieurs, je suis fâché que je viens encore vous ennuyer avec ce malencontreux cadastre : vraiment je le fais contre mon gré, mais vous sentez que je dois deux mots de réponse à M. le commissaire royal, chargé de la défense des opérations du cadastre, qui a dit hier, avec un certain ton d’ironie, qu’il n’avait pu comprendre ce que j’avais énoncé sur cette matière.

Je ne possède point cette faculté rare, dont est doté si largement M. le commissaire, de rendre avec tant de clarté et de concision les phrases qui se présentent sur ses lèvres et de déployer avec tant de brillant cet art déclamatoire qui fait l’ornement de son esprit ; je ne possède non plus ni son talent ni cette perfection dans la science cadastrale, par lesquels il promène avec tant de facilité la parole dans le vaste champ du recueil méthodique, et la communique avec tant d’agilité et d’élégance à la droite et à la gauche de l’assemblée. Je ne puis donc que redoubler mes efforts pour faire comprendre ce que j’ai voulu dire hier : je parlerai sans détour ni ambiguïté ; j’appellerai chaque chose par son véritable nom.

J’ai voulu dire que la théorie de la machine cadastrale était bonne, mais si l’un des nombreux rouages qui la composent est brisé ou mal exécuté, l’effet qu’on en attendait devient nul.

Or, il est aisé de prouver que pas une de ces nombreuses pièces n’est sans défaut, et que le cadastre n’aura pas même le chétif avantage de donner une bonne carte topographique du royaume.

Beaucoup de communes n’ont pas de triangulation parfaite.

Plusieurs sont faites sur le plan, et ne se rattachent point aux communes voisines ; beaucoup sont mal orientées ; tout cela n’est pas la faute des instructions, elles sont précises à cet égard.

Ce travail étant confié, dans les diverses provinces, à une prodigieuse multitude d’arpenteurs, d’employés, d’experts, etc., plus ou moins instruits, et qui ne peuvent se concerter pour opérer de la même manière, est-il possible d’espérer qu’il soit fait avec uniformité et sans de très grandes inégalités ? Ainsi, les abus succéderont aux abus, et les inégalités actuelles seront remplacées par d’autres.

Le cadastre terminé, aucun plan ne sera juste, et il faudrait recommencer de nouveau ; car tous les jours un mur, une maison sont bâtis, abattus ; une haie, un bois coupés, plantés ; un terrain partagé en dix, en cent parcelles, par héritage ; un fossé comblé, une rivière, un ruisseau détourné, une prairie labourée, un bois desséché, etc.

Les évaluations par experts étrangers au canton sont exécutées avec l’aide ou pour mieux dire sous les ordres de jeunes contrôleurs dont l’inexpérience même dans le maniement d’un plan, est telle que plusieurs ont pris le versant septentrional pour le méridional.

La ventilation de baux n’est pas sujette à caution ; il est beaucoup de fermes où plusieurs fermiers se ruinent successivement depuis beaucoup d’années ; en outre ce qui prouve que les bases d’estimation sont très fautives, ce sont ces immenses différences d’une commune à une autre, dues surtout à l’ignorance et à la précipitation avec laquelle sont faites les expertises.

Une grande cause de l’imperfection du cadastre est le mode de salarier ses employés à tant par parcelles ; le géomètre se hâte d’arpenter, l’ingénieur vérificateur se hâte de vérifier, le contrôleur se hâte d’expertiser, l’expert se hâte d’évaluer, le directeur se hâte de mettre son visa sur l’ouvrage ; car chacun d’eux est intéressé à approuver l’opération qu’il est chargé de vérifier, contrôler, diriger, etc.

C’est ici que j’ai voulu dire que les directeurs étaient incompétents pour juger des opérations du cadastre, et j’aurais dû ajouter que le cadastre entier n’offre qu’une suite non interrompue d’incompétence. Par exemple, le vérificateur n’est-il pas incompétent pour vérifier les plans du géomètre, puisqu’en les rejetant il perd ses 30 centimes par arpent et ses 7 centimes par parcelle ? Le contrôleur n’est-il pas incompétent pour juger d’une opération graphique, l’expert pour évaluer un terrain qu’il doit n’avoir jamais vu en rapport, et l’inspecteur aussi n’est-il pas incompétent, puisqu’il n’examine le tout que dans son bureau ?

C’est un grand principe généralement adopté dans toute bonne administration, c’est de ne placer jamais l’homme entre sa conscience et son intérêt ; or, il eût fallu allouer une prime aux vérificateurs, contrôleurs, inspecteurs, pour chaque erreur qu’ils auraient signalée, et on a fait tout le contraire en ne les payant que pour les plans qu’ils ont trouvés bons.

Parlerai-je du traitement exorbitant des ingénieurs vérificateurs, qui s’élèvent souvent à 10, 15 et 20,000 fr. par année, surtout pour les extraits de plans dont ils s’arrogent tout le produit, tandis qu’il devrait en entrer une portion dans les coffres de l’administration.

Mais, cependant, dit-on, vous ne pouvez rien dire du fort traitement des vérificateurs, ils ont des tournées à faire : je les connais ces tournées, elles sont des promenades de quelques lieues faites par un temps choisi et très propre à ouvrir l’appétit ; heureusement qu’ils trouvent comme Frontin, chez le géomètre qu’ils visitent, un bon dîner.

Mais, cependant, ils ont une feuille d’état de situation à expédier tous les mois, et de grands frais de bureau. Ces grands frais de bureau consistent en deux, ou trois enfants de pauvres gens, vivant d’espoir en pinçant des parcelles à 4 centimes la pièce, en un copiste dessinateur, d’abord très peu payé, puisqu’il ne fait que commencer, ensuite diminué graduellement à mesure qu’il acquiert de l’utilité et augmente le nombre des copies.

Je le répète, le cadastre est une belle théorie, aussi inexécutable que la paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre, que la liberté illimitée du commerce, que la trouvaille du mouvement perpétuel, que la fixation de la quadrature du cercle, etc., et je crois que les gouvernements feraient très sagement d’en délivrer les Etats et de songer à d’autres moyens pour trouver un mode plus ou moins parfait pour égaliser la taxe des propriétés foncières ; j’en ai parlé hier, je me dispenserai d’en faire la répétition aujourd’hui.

Et si vous voulez, messieurs, vous assurer de ce que j’ai pris la liberté de vous avancer, faites-vous donner ce détail de l’atlas circulaire et des motifs de son invention, et faites arriver du camp ennemi quelque adroit transfuge : celui-là vous éclairera plus en un quart d’heure que vous ne le serez par dix années de débats. Il vous dira :

« Le cadastre est une corporation ; nous trouvons de grands profits à le conserver, et quand il sera fini, nous nous réservons des sinécures pour entretenir les mutations dans tous les chefs-lieux de canton, même dans chaque village ; nous combattons donc pro aris et focis.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, les débats de la chambre des députés de France nous ont fait connaître que les primes à l’exportation, sous la forme des drawbacks coûtent, en 1832, pour le sucre seul, 20 millions de francs à l’Etat. Vous n’ignorez pas, sans doute, messieurs, qu’il s’infiltre en Belgique pour plusieurs millions de ce sucre, notamment dans les Flandres. Cette contrebande n’est nullement surprenante, puisque le gouvernement français accorde une prime d’exportation de 120 francs par 100 kilogrammes.

C’est surtout dans les arrondissements de Courtray et d’Ypres que cette scandaleuse fraude se pratique journellement. Il y a quinze jours que j’ai quitté cette frontière, je parle donc avec connaissance de cause. J’ai vu vendre dans la Flandre occidentale des milliers de kilogrammes de sucre français, telle qualité, à raison de 64 centimes le demi-kilo. Dans ma province on ne consomme plus que du sucre français. Les raffineurs négociants de Gand et d’Anvers n’y trouvent plus de débouchés.

Il leur est impossible de soutenir la concurrence, car le sucre brut en entrant en Belgique paie, je crois, 9 florins les 50 kilog. M. le commissaire du gouvernement, administrateur-général de la douane, m’obligerait de bien vouloir dire à la chambre à quoi il faut attribuer ce trafic si onéreux à notre commerce et si destructif pour nos fabriques.

Ne pourrait-on pas l’attribuer à la suppression du second rayon de douanes ? Je prierais également M. le commissaire de bien vouloir dire comment il est possible qu’au mois d’août on ait pu faire entrer frauduleusement en plein jour, dans la ville de Menin, pour plus de 160,000 francs de marchandises. Au besoin, les habitants de cette ville certifieraient qu’ils ont vu des bandes de porteurs pousser leur inconcevable hardiesse jusqu’à entrer par les portes de la ville.

Depuis quelque temps la rouennerie, les toiles de Jouy, de Mulhausen ; les draps de Louviers, les soieries de Lyon, les marchandises de Tourcoing et de Roubaix, sont introduits en masse dans la Flandre, d’où on les expédie sur Gand et Bruxelles. Les esprits d’eau-de-vie s’infiltrent de même abondamment. J’en vois, d’ailleurs, la preuve dans le tableau des voies et moyens. Les eaux-de-vie étrangères ne rapportent à l’Etat que 300,000 francs, tandis que si ce liquide payait intégralement le droit, il produirait plus de 1,500,000 fr.

Je sais parfaitement bien que le ministre me dira que les trois premiers trimestres de 1832 ont rapporté 4,681,776 florins de plus qu’en 1831. Cela ne m’étonne point, d’abord parce que les évaluations ont été faites beaucoup trop basses en 1831 ; d’ailleurs c’était une année de révolution dans le premier semestre ; les employés n’osaient même pas remplir leur devoir. Faire un parallèle avec des époques insurrectionnelles, c’est jeter aux yeux de la poudre ministérielle ; mais qu’on remonte aux années antérieures, et l’on verra que les produits indirects, pour la Belgique, s’élevaient à plusieurs millions de plus qu’en 1832.

M. Coghen. - Je demande à répondre pour un fait personnel. L’honorable M. Rodenbach vient d’attaquer l’administration que j’ai eu l’honneur de diriger, et d’une manière si violente que je ne peux garder le silence. Il a dit que, pour subtiliser la chambre, nous avions pris les bases au plus bas ; non, messieurs, nous avons pris les bases comme nous devions les prendre ; nous avons pris l’exercice précédent, et nous ne pouvions pas en prendre d’autre.

M. A. Rodenbach. - Mais l’année 1831 était une année de révolution ; les préposés des douanes n’osaient pas remplir leurs fonctions. On dit qu’en 1832 les douanes ont rapporté 4 millions 600 mille florins ; ce chiffre éblouit ; mais qu’on se reporte à l’année 1827, et l’on verra que les impôts indirects ont rapporté davantage.

Je prie M. l’administrateur-général de répondre sur les faits relatifs à Menin.

M. le commissaire du Roi. - C’est à la grande proximité du territoire que les sucres entrent ; mais ceux qui rentrent sont des sucres sortis de la Belgique et qui ont payés des droits d’accises. La loi générale ne donne aucun pouvoir pour reconnaître la marchandise quand elle est dans les villes d’une certaine population comme dans les villes fermées. Menin étant sur l’extrême frontière lorsqu’une fois la marchandise est entrée elle ne peut sortir librement ; mais c’est un point qui sera mûrement examiné dans le projet de loi qui remplacera la loi générale.

M. Jullien. - Je n’entends pas que M. l’administrateur-général se soit expliqué sur le fait de la ville de Menin.

M. le commissaire du Roi. - Le fait m’est inconnu.

M. A. Rodenbach. - A Bruges et dans toute la Flandre occidentale nous ne consommons plus que des sucres français. On vend publiquement le sucre 64 centimes le demi-kilo, sucre de la première qualité. C’est la suppression du second rayon de douanes qui favorise cette fraude. C’est du moins ce que je crois.

Je demanderai si dans le mois d’août ou dans le mois de septembre il n’y a pas eu de rapport transmis à l’administration sur les faits que je signale. En plein jour il y a eu pour 160 mille francs de marchandises entrées en Menin.

Ne peut-on pas supprimer cette liberté accordée à certaines villes ? Je crains que les lois ne soient par trop élastiques. Je demande une réponse catégorique : est-il permis de frauder à la ville de Menin ?

M. le commissaire du Roi. - Nous ignorons complétement la fraude dont on parle. Quant à pouvoir empêcher de sortir la marchandise une fois qu’elle est entrée, cela est impossible ; c’est un défaut de la loi en vigueur et qu’il faudra réformer dans le projet que l’on soumettra aux chambres.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Si une fraude faite par ventes considérables, et pour ainsi dire à main armée a eu lieu, je ne sais...

M. A. Rodenbach. - Elle a été faite en plein jour.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Eh bien, cela est impossible à Menin, car les employés auraient dressé un procès-verbal. Si c’est de nuit, c’est impossible encore parce que la ville est close, c’est une place de guerre. Une pareille opération ne pourrait se tenter, comme on dit, à la barbe des Athéniens, ou à la barbe des douaniers ; c’est physiquement impossible : il en aurait paru des traces, et il n’y en a aucune.

M. Hye-Hoys. - Messieurs, je désire faire quelques observations sur notre système de douane et accises.

Dans la séance du 29 mai dernier, lors de la discussion du projet de loi relatif aux lignes de douanes, j’ai eu l’honneur de vous dire que je doutais beaucoup que le gouvernement obtînt le but qu’il se proposait, en supprimant le second rayon ; je demandais alors à M. le ministre des finances s’il croyait qu’en effet une seule ligne renforcée suffirait pour arrêter la fraude ruineuse qui se faisait sur la frontière.

L’expérience a malheureusement prouvé aujourd’hui, messieurs, qu’en votant cette loi, nous nous sommes grandement trompés, et qu’au lieu d’avoir amélioré le système, on l’a empiré ; il n’y a qu’une voix là-dessus, et l’administration locale en convient elle-même : la fraude se commet avec moins de difficulté qu’auparavant et surtout par la frontière de France.

Si le produit du trésor a amené une augmentation, il faut plutôt l’attribuer à une amélioration momentanée dans le commerce.

Enfin, messieurs, je n’hésite pas à vous manifester mon opinion sur la loi générale des douanes du 26 août 1822, que je considère comme devant être entièrement refondue, tant sous le rapport des principes, que sous celui de sa rédaction.

Mais il faudrait avant tout, comme je l’ai dit dans une autre occasion, poser les bases du système commercial à adopter pour la Belgique, ayant égard à sa position topographique.

J’ai émis de plus le vœu de voir s’établir une douane forte et productive pour l’Etat, en imposant le café, le tabac et autres denrées coloniales, mais éminemment libérale en ce qui touche les entrepôts, et le transit, afin d’étendre nos relations commerciales avec toutes les nations, donner à notre marine marchande des éléments de vie, tout en consacrant à notre industrie agricole et manufacturière la protection relative que le système suivi par nos voisins pourrait réclamer.

M. Meeus. - Messieurs, on a soulevé tout à l’heure une question qui m’oblige à prendre la parole. On a parlé des mandats à terme qui ont été émis par le ministre des finances.

Une chose s’est présentée de suite à ma pensée : ces mandats à terme peuvent-ils être émis et le crédit de la Belgique peut-il dépendre d’une imprudence du ministre ? Ces mandats, qui en ce moment circulent dans plusieurs villes du royaume, sont extrêmement dépréciés, je suis fâché de le dire ; mais puisque c’est un fait public, connu de tout le monde, on peut également le dire à cette assemblée.

Messieurs, lorsque des mandats à deux mois, à six semaines de terme se font et se négocient en ce moment, sont présentés à l’escompte de 6 p. c. plus un demi p. c. de commission, je vous demande comment il est possible de pouvoir fonder le crédit de la Belgique. Cependant, messieurs, vous êtes tous persuadés de cette vérité, que l’une des choses essentielles pour un pays, c’est de bien asseoir son crédit public. Ce crédit est non seulement utile à l’Etat, mais encore il est utile à toutes les classes de l’Etat, il l’est au commerce, à l’industrie, Quiconque a étudié les questions d’économie politique, d’économie sociale, ne peut mettre cette vérité en doute.

Je demande que l’assemblée porte une sérieuse attention sur ce sujet ; je crois qu’il ne peut pas être permis à un ministre de pouvoir déprécier le crédit public : voulez-vous créer des bons du trésor ; voulez-vous, comme la France, l’Angleterre, avoir une dette flottante, j’y souscrirai pour ma part ; mais alors il y a des limites tracées que le gouvernement ne pourra point franchir.

Aujourd’hui que résulte-t-il des émissions de bons ? Les entrepreneurs viendront demander 10, 15 p. c. de plus ; car, s’ils ne peuvent compter sur le paiement exact, ils rançonneront le gouvernement.

Messieurs, j’espère que l’assemblée réfléchira mûrement sur cette question ; elle est à mon avis d’une très grande urgence.

Dans le moment actuel, lorsque l’on vient de parler de la pénurie du trésor, il est essentiel de savoir jusqu’à quel point le ministre peut compromettre le crédit ; il faut le lier, il faut, sans doute, que les caisses de l’Etat soient pleines ; rien de plus sage, de plus nécessaire ; mais que l’administration ne compromette pas le crédit de la Belgique.

On a parlé de la situation de nos finances. J’avoue que je ne puis, ni par addition, ni par soustraction, ni par règle de trois, contrôler ce qui a été dit.

Cependant je ne puis me persuader que lorsqu’on vient déclarer que les caisses sont vides, on puisse être tranquille sur le paiement des 12 millions de l’emprunt. Ce que le ministre a dit à cet égard ne m’a pas satisfait du tout. J’ai compris qu’une partie de l’emprunt de 12 millions n’était pas exigible ; mais cette seconde partie de l’emprunt, portée en ligne de compte par M. Coghen, ne peut faire balance, s’il y a un paiement à effectuer. Je prie le ministre de vouloir bien éclairer la chambre sur ce contrat.

On a dit qu’il y avait danger d’éclairer la nation sur la situation, de nos finances ; moi je dis le contraire. Déclarer ce qu’il y a en caisse jusqu’au dernier centime, c’est la manière de former le crédit.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je demanderai si, dans une maison particulière, on déclarerait tout ce qui s’y fait et tout ce qui ne s’y fait pas ; je crois que c’est une grande discrétion qui fonde le crédit.

Relativement à la situation du trésor, j’en laisse la défense à celui qui l’a exposée.

Quant à la seconde partie de l’emprunt, comme c’est M. Coghen qui l’a commencée, je lui laisse encore sur ce point les explications qu’il y a à donner.

Relativement aux mandats à terme, il a bien fallu continuer d’y avoir recours, et ce n’est pas par imprévoyance, mot dont on se sert si souvent dans cette enceinte et qui n’est pas applicable aux ministres dans la circonstance dont il s’agit ; il y a au contraire prévoyance de la part du ministre. On a tâché d’imiter ici ce qui se passe dans des pays voisins, c’est-à-dire, d’instituer les bons du trésor : mais comme il fallait s’assurer au préalable comment on placerait ces bons du trésor, on a eu recours à une maison de banque. Du reste, je ne manquerai pas à la discrétion, et je n’irai pas dire ce que je dois taire ; pour se mettre ici à nu, c’est ce que je ne ferai pas.

Quant à la banque, il est incontestable qu’elle doit de l’argent au trésor.

M. de Robiano de Borsbeek. - Il n’y a pas de crédit possible avec toutes ces indiscrétions.

M. Jullien. - J’ai peu de mots à répondre à M. le rapporteur de la section centrale. Il s’est fortement appuyé sur l’opinion des sections, et c’est en général sur cette opinion qu’il a basé celle de la section centrale. Je crois, messieurs, que nous devons réduire cet argument à sa juste valeur. Sans doute, si les sections avaient été convenablement consultées, si elles avaient émis régulièrement leur avis, leur opinion, quoique liberté soit donnée à tout le monde d’en changer dans la discussion, cette opinion pourrait être très respectable. Mais vous savez tous qu’il n’en a pas été ainsi. J’ai l’honneur d’être président de la 4ème section, et je déclare que je n’ai jamais pu réunir plus de 3 à 4 membres.

Cependant, il faudrait, au moins, que l’examen du budget y eût été fait à la majorité des membres, d’où je puis inférer que cette opinion des sections qu’on a tant fait valoir, peut se restreindre à un roulement de 25 ou 30 membres (murmures) qui ont donné isolément leur opinion. Si je me trompe, on rectifiera ce que j’avance ; mais je suis autorisé à parler ainsi d’après ce qui s’est passé dans ma section, et je crois qu’il en a été de même dans les autres. Ainsi qu’on ne vienne pas nous opposer l’opinion des sections en disant que la section centrale n’a fait qu’exprimer l’avis de la majorité de la chambre, car cela n’est pas exact.

M. le rapporteur a répondu à ce que nous avions dit des vices de la loi des patentes et à la proposition que nous avions faite d’y substituer l’ancien système, que la loi de brumaire an VII est soumise à une révision dans ce moment en France, et que, par conséquent, on aurait tort d’y revenir. Mais je ferai remarquer que nos critiques ont porté principalement sur la faculté arbitraire qu’ont les agents du fisc de hausser ou de baisser le taux des patentes, tandis que c’est la loi seule qui doit fixer l’impôt qui doit peser sur les patentables. Il est certain, messieurs, qu’on ne devrait pas laisser à la volonté ou aux caprices d’un contrôleur le pouvoir d’augmenter ce que doivent payer les contribuables sur une échelle de 17 degrés. Voici les vices que nous signalions, dont nous voulions voir la répression, et je soutiens encore qu’il est très facile de les faire disparaître.

Je me suis plaint aussi de l’abus qui résultait du système de droit des barrières, parce que ce système impose aux villes les frais de réparation des routes de traverse, tandis que c’est le gouvernement qui touche le montant de la perception faite par ces barrières, de sorte que les bénéfices sont pour l’Etat et les charges pour les villes. J’ai dit que c’était au ministère à détruire ce qui a été établi par l’ancien gouvernement ; car c’est un arrêté qui a établi cette innovation, et ce qu’un arrêté a fait, un arrêté peut le défaire. J’ai donc éveillé l’attention de MM. les commissaires sur une injustice qui peut encore être réparée lors de la confection du budget et même auparavant, puisque ce n’est plus qu’une mesure d’administration.

Je passe, messieurs, à une observation judicieuse qui a été faite hier par l’honorable M. de Brouckere, et à laquelle la chambre paraît n’avoir pas fait assez d’attention, c’est qu’il est inouï dans les fastes parlementaires qu’on présente et qu’on discute un budget en l’absence des ministres, ou plutôt lorsqu’il n’existe pas de gouvernement.

Et en effet, messieurs, qui peut demander un budget ? C’est le gouvernement ? Qui reçoit les fonds, qui les dépense ? C’est encore le gouvernement : il faut donc qu’il soit là pour demander et pour recevoir.

Dans la bataille du budget, c’est le pays qui se trouve en face du gouvernement ; c’est dans cette occasion solennelle qu’on peut demander compte aux ministres de leurs actes, qu’on a le droit de les censurer et de leur indiquer une autre ligne de conduite ; c’est alors qu’on peut imprimer à la marche du gouvernement un mouvement, une direction plus conformes aux intérêts généraux et à l’opinion du pays ; mais comment voulez-vous que cette lutte s’ouvre, s’il ne se présente pas de combattants ?

Je prends pleine justice aux excellentes intentions de M. le ministre des finances ad interim, j’apprécie tout le fruit que nous pourrons tirer des renseignements qui nous seront donnés pas les honorables commissaires qu’il a appelés à son aide ; mais tout cela ne fait pas un gouvernement.

Ces observations doivent suffire, messieurs, pour vous avertir qu’il est de votre dignité de suspendre, dès à présent, toute discussion générale sur des budgets qui n’ont pas de défenseurs, pour ne nous occuper que de donner au gouvernement, quel qu’il soit, quelques douzièmes pour vivre ; c’est, dans la position étrange où il lui a plu de nous placer, tout ce que nous lui devons.

A l’occasion des mandats à terme, l’honorable M. Meeus vient à l’instant de vous dire que, dans l’état précaire où se trouvaient nos finances, et tout en critiquant l’administration financière, il fallait aider l’Etat de tous nos moyens, et que, quant à lui, il était tout disposé à le faire. Je crois en effet, messieurs, que personne n’est que lui à même de mettre à exécution ces bonnes dispositions, car l’honorable collègue est, je crois, gouverneur de la banque, et, si je suis bien informé, la banque doit aujourd’hui à l’Etat 2,500,000 florins. Voilà donc une belle occasion de montrer sa bonne volonté, et ce secours qui nous viendrait à propos, nous dispenserait peut-être de demander à la nation de nouveaux sacrifices, ou du moins de lui imposer des charges aussi dures.

On parle de cette dette de la banque comme d’un mystère, et je vous avoue que je ne conçois pas cette grande circonspection, car en définitive la banque est le caissier de l’Etat, et quand l’Etat va puiser dans sa caisse et qu’elle réclame un solde, convient-il bien que le caissier le renvoie aux tribunaux ? Un peu plus de franchise conviendrait mieux. La banque doit ou elle ne doit pas : si elle doit, il faut qu’elle paie, et elle ne peut le faire plus à propos. Je provoque de nouveau, messieurs, une explication sur ce point, et qu’on y mette un peu de cette bonne foi, de cette rondeur qu’on est toujours heureux de rencontrer en fait de contestations de finances.

Quant au budget, j’ai déjà dit quel serait mon vote ; j’adopterai les amendements qui auront pour but de donner au gouvernement le moyen de subvenir provisoirement à ses besoins.

M. Meeus. - Vous comprendrez facilement, messieurs, combien ma position est fausse. Cependant ce que vient de dire l’honorable M. Jullien me force à prendre la parole et à dire quelques mots relativement à la banque. M. Jullien a avancé que la banque redevait deux millions 400,000 francs, et voyant les bonnes intentions que j’avais d’aider le gouvernement, il a ajouté : Rien n’est plus simple que la banque verse cette somme dans les caisses du trésor. C’est merveilleusement raisonner. Mais il faudrait d’abord prouver que la banque dût réellement ces deux millions 400 mille francs.

On a parlé des tribunaux, messieurs. C’est moi qui ai dit que si la banque devait, il était étonnant que, depuis deux ans, on ne l’eût pas fait payer. Pourquoi tous les ministres qui se sont succédé, et surtout celui qui avait les plus grandes connaissances en matière de finances, je veux parler de M. Charles de Brouckere, pourquoi tous ces ministres ont-ils reculé devant la liquidation ? Ils ont reculé parce qu’ils ont vu que, compte fait, ce n’est pas la banque qui devrait, mais qu’on devrait à la banque (mouvement). Je ne puis parler au nom de la direction de la banque ; vous savez que cette direction est confiée à un gouverneur et à 6 directeurs, et c’est d’elle que doivent émaner tous les actes.

Personnellement, je ne puis donc rien dire ici ; mais je suis persuadé que si le gouvernement proposait à la banque de nommer, dans cette assemblée, une commission ou des arbitres, pour juger la question de savoir si elle doit ou ne doit pas, elle s’empresserait de donner une preuve de sa loyauté en y consentant, et je ne doute pas que l’avis de ces arbitres ne fût semblable au mien.

Quand on peut s’expliquer avec autant de franchise, il est étonnant qu’on entende parler de la banque d’une manière aussi acerbe. Je vais vous dire le nœud gordien de l’affaire. (Marques d’attention). Jusqu’ici vous savez que la banque a fait le service de caissier de l’Etat ; elle le faisait sous l’ancien gouvernement, et elle est comptable vis-à-vis de celui qui le remplace de sa gestion.

Depuis, tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique, je veux parler du gouvernement provisoire, de celui du régent, et du gouvernement définitif sous lequel nous vivons, tous ont demandé à la banque de faire le service de caissier de l’Etat. Le contrat passé en dernier lieu par M. Ch. de Brouckere, alors ministre des finances, expirait en 1831. J’ai écrit une lettre pour savoir si nous restions caissier de l’Etat, parce que si nous ne restions pas caissiers, il était juste de prévenir un grand nombre d’employés qui font ce service. N’ayant point reçu de réponse, j’envoyai le 23 novembre une lettre de rappel. Enfin hier je me suis adressé directement au Roi ; mais, messieurs, je sais que toutes les voix des ministres s’élèvent contre ce service. Eh bien ! qu’il me soit permis de le dire, il faut que cette question se décide promptement : les caisses de l’Etat sont-elles toujours placées dans les mains de la banque, oui ou non ? Si l’on croyait qu’il valût mieux rétablir un système que l’ancien gouvernement regardait comme déplorable, si l’on croyait qu’il fallût enlever les caisses de l’Etat des mains de la banque, elle sera la première à s’y soumettre ; son seul but est d’être utile à l’Etat.

D’après ces explications toutes simples, toutes franches, je crois qu’il n’y a rien à répondre, et si l’on veut marcher avec autant de franchise, la question sera bientôt décidée.

M. Gendebien. - Je ne vous entretiendrai pas longtemps du budget, parce que d’une part je crois qu’on a dit dans la discussion tout ce qui pouvait être dit, et que de l’autre je suis tellement convaincu de l’inutilité de nos paroles et de nos réclamations qu’en vérité cela ne vaut pas la peine de prolonger ces débats. Je vais seulement motiver mon vote, qui sera négatif.

Toutefois, pour ne pas donner lieu à certains hommes de calomnier mes intentions, car je sais qu’on les calomnie, je déclare que j’accorderai au gouvernement les moyens nécessaires pour marcher jusqu’à ce que nous soyons mis à même de voter un budget définitif ; mais je n’allouerai que les moyens rigoureusement nécessaires.

Il y a un an, à pareille époque, nous ne voulions accorder au gouvernement qu’une perception des impôts existants de trois, de quatre ou de six mois au plus. Que nous répondrait-on ? Qu’il est impossible de diviser le budget des voies et moyens. Nous avons démontré, au contraire, que c’est la chose la plus facile pour peu qu’on eût de la bonne volonté. Eh bien ! pour neutraliser la précaution que nous voulions prendre, on nous a promis des lois nouvelles à l’effet de faire disparaître le système désastreux qui a amené la révolution, et qui amènerait une seconde si l’on n’y prenait garde. On nous a dit : « Comment ! Vous êtes disposés à accorder une perception de six mois ! Mais le gouvernement est à même de faire cesser la perception de l’impôt actuel avant six mois et de changer le système avant la fin de l’année. »

Nous répliquions que si l’on ne mettait pas le ministère en demeure, si l’on ne fixait pas un terme après lequel il devait rendre compte, il ne ferait rien, s’endormirait dans une douce quiétude et nous proposerait peut-être encore le même impôt l’année suivante, en disant que les circonstances ne permettent pas de changer le mode de perception.

Eh bien ! Ce que nous prédisions l’année dernière se réalise aujourd’hui. On vous a proposé un budget des voies et moyens, et on est venu nous dire que ce n’était pas le moment de rien changer. Mais, ministres du Roi, qu’avez-vous donc fait depuis un an ? Qu’avez-vous fait pour adoucir le sort du peuple ? Car l’impôt pèse surtout sur les classes moyennes. Rappelez-vous les réclamations qu’on élevait dans les états-généraux. Il y a beaucoup de membres de ce corps ici présents, qui pourraient aujourd’hui reproduire leurs anciens discours.

Certes, l’on peut s’étonner qu’après deux ans et demi de révolutions le même système existe encore. Il est temps enfin de sortir de ce cercle vicieux ; il faut une bonne fois dire au gouvernement, sans pour cela vouloir l’entraver : Après telle époque vous ne marcherez plus si vous n’adoptez une marche plus régulière, plus conforme aux intérêts généraux et aux vœux de la nation. Eh bien ! pour cela il y a un moyen bien simple. C’est d’admettre l’amendement de M. d'Elhoungne. Mais je déclare que sans cela, et dût la marche du gouvernement être arrêtée dès le 1er janvier, je voterai contre le budget tel qu’il nous est présenté, parce qu’il est vraiment scandaleux qu’un peuple aussi généreux et qui a supporté tant de sacrifices, soit forcé de subir, pendant une année, les conséquences du système qui l’a porté à la révolution.

On vous a fait remarquer la position fausse dans laquelle nous sommes de discuter le budget sans ministère. Celui qui nous avait fait des promesses à la dernière session n’existe plus. Ce ministère qui lui a succédé est également passé, et l’on dit qu’il y a impossibilité d’en former un autre. On a osé prononcer que les 42 démolisseurs (et ici je ne veux point parler des journaux, c’est un ministre du Roi qui s’est permis de donner cette épithète à la majorité de la chambre, car les 42 formaient la majorité), on a proclamer, dis-je, que les 42 démolisseurs n’étaient pas capables de reconstruire.

Mais, messieurs, est-ce à l’opposition à constituer un ministère ? Si l’opposition s’était occupée de la formation d’un cabinet, aujourd’hui que l’on calomnie ses intentions sans discuter le moindre fait, on aurait insinué ce qu’expriment certains journaux que les abonnés ne paient pas bien certainement, qu’elle ne combattait et n’accusait, sans cesse, que pour se donner des portefeuilles. Et vous croyez satisfaire le public, lorsque vous n’êtes en état de réaliser aucune des promesses qui nous ont été faites ; vous croyez satisfaire le public en calomniant les hommes qui n’ont rien demandé, qui n’ont rien voulu que le bien de leur pays, et qui détestent les intrigants et les intrigues plus encore pour eux-mêmes que pour ceux qui veulent en profiter !

Impossible de constituer un ministère ! Et quel est l’homme qui accuse la majorité d’avoir démoli le gouvernement ? C est celui-là même qui a démoli à lui seul tout un ministère, qui en a fait sortir quatre d’un trait de plume ; un cinquième est resté, mais parce qu’il était en quelque sorte inamovible par essence. Et je le prouve : lorsque M. Goblet est venu avec un nouveau système, aucun des membres qui formaient le cabinet n’a voulu contresigner sa nomination. Eh bien ! c’est l’homme qui nous accuse d’être des démolisseurs qui a fait 40 lieues pour signer la démission de ses anciens amis.

Voilà avec quelle légèreté on traite la nation : car les véritables représentants de la nation étaient les 42 qui formaient la majorité puisque dans les 44 se trouvaient trois ministres.

Non content de nous calomnier, on veut encore ameuter le peuple contre nous ; mais on n’y réussira pas. Les hommes contre lesquels on veut ameuter le peuple ne l’ont jamais trompé ; ils ont toujours dit la vérité ; ils ont annoncé des suites funestes, au risque de déplaire. Plût à Dieu qu’ils eussent été convaincus d’avoir eu tort ! Mais leurs prédictions se sont accomplies ; d’autres s’accompliront encore.

Ainsi, d’après vous, il serait impossible de former un ministère ? A moins de supposer que, sur 4 millions d’hommes, dont l’éducation peut se comparer à celle de tout autre peuple, et dont la civilisation est aussi avancée que celle d’aucune autre nation, à moins de supposer que parmi ces 4 millions d’hommes il n’y en ait pas trois qui soient capables, je ne conçois pas qu’on puisse adresser à l’opposition cette calomnie, qu’elle n’a fait tomber le dernier ministère que pour désorganiser le gouvernement et compromettre l’avenir du pays.

On va jusqu’à diviser la chambre, et bientôt ce sera la nation, en catégories : ce sont des catholiques purs, des libéraux purs ou des unionistes libéraux. En sommes-nous donc revenus au temps où van Maanen appliquait son système machiavélique ? Ce que je prédis aujourd’hui, messieurs, c’est que les Libry et les Durand reprendront bientôt leur place en Belgique. Je ne crois pas que jamais les Libry et les Durand auraient osé calomnier la majorité de la chambre, comme le font, aujourd’hui, certains journaux. Et je le répète, ce ne sont pas des abonnés qui paient ces journaux. Chacun est libre de deviner la source où l’on puise les fonds nécessaires pour faire circuler les imputations calomnieuses que l’on y insère.

Quant à moi, je n’accepte aucune catégorie. Il fut un temps où je me proclamais de l’union, alors qu’il y avait danger à le faire. Mais aujourd’hui que, pour plaire à certains hommes, et pour captiver les faveurs de certaines catégories, chacun proclame hautement appartenir à l’union, je ne la déserte pas, mais je m’abstiendrai, et je ne me donnerai jamais la peine de répondre aux calomnies qu’on pourrait déverser sur moi à ce sujet.

Messieurs, je pense qu’il est temps que le gouvernement ouvre les yeux. Depuis 18 mois, chacun doit se rappeler qu’il n’est genre de calomnies qui n’aient été lancées contre tous les hommes que l’on craignait ou que l’on croyait devoir craindre. On les a traités de bonapartistes, d’orangistes, d’unionistes ou de dupes.

Messieurs, ne divisons pas la nation ; il y a déjà assez d’éléments de discorde à la suite d’une révolution. Tâchons de nous réunir et de présenter aux ennemis du dehors une masse imposante. Tous les hommes de bonne foi dans le gouvernement, car il en est, ont reconnu que cette opposition tant calomniée a rendu plus de services au pays que les hommes d’Etat, ou qui se disent tels ; car si cette opposition avait accédé à toutes les propositions du gouvernement, le vaisseau de l’Etat aurait déviré si lestement, que nous ne la tirions plus en vue.

Mais, grâce à cette opposition injuriée, les puissances ont reculé devant ces menaces imposantes, car elles savent en définitive que la masse du peuple est représentée par cette opposition, et que, lorsqu’ils parlent, ses membres ont derrière eux, pour les appuyer, la parte saine de la nation. Elles ont à craindre, et pour raison, qu’une nouvelle démonstration populaire ait lieu ; elles ont à craindre que les masses disent enfin : Nous sommes 4 millions d’hommes, nous avons déjà vaincu, et nous vaincrons encore ; consultez l’exemple d’un peuple voisin, vous y trouverez la preuve que l’opposition a rendu les plus grands services à l’Etat.

Voyez la Hollande : qui empêche d’accabler cette poignée d’hommes ? Leur énergie qui a inspiré la crainte. Et pourquoi craint-on la nation hollandaise ? Parce qu’on appréhende qu’elle ne finisse par faire ce que nous avions bien plus de raisons qu’elle de faire ; c’est-à-dire, menaces de la guerre générale. Cette guerre générale, messieurs, est plus à craindre pour les souverains que pour nous. Nous avons, à la vérité, perdu un temps précieux et opportun, pour en courir les chances ; mais ils savent bien que, du jour où il faudra faire appel à l’énergie populaire, il y a encore des hommes qui sauront sacrifier tous leurs intérêts, et jusqu’à leur existence pour faire triompher la cause de la liberté. Que l’on cesse de dire, ainsi qu’on l’a publié dans les journaux, que depuis 15 mois le feu révolutionnaire est éteint.

Non, messieurs, il n’est pas éteint, car sans cela notre indépendance mourrait au 15 novembre 1831 ; c’est la crainte de quelque reste d’énergie qui ne nous a pas fait perdre jusqu’au nom belge, comme nous en a menacés audacieusement lord Ponsonby, le 27 mai 1831.

Je vous demande pardon, messieurs, de cette digression, mais il m’a semblé qu’elle venait à propos.

Je reviens maintenant à la discussion pour vous présenter quelques observations sur ce que j’ai entendu dire aujourd’hui.

On vous a parlé de mandats à terme, et sans avoir de grandes notions en finances, j’ai compris tout de suite les conséquences funestes de l’émission de ces mandats à terme, émission que je considère comme inconstitutionnelle ; car vous anticipez aujourd’hui sur les revenus de 1833 qui ne sont pas encore à votre disposition. Aucun écu du trésor ne peut en sortir sans l’autorisation du pouvoir législatif ; l’exercice de 1833 est séparé de celui de 1832 par un mur d’airain, et malheur à qui le franchirait. Cependant vous disposez sur 1833, alors que vous ignorez si vous obtiendrez l’autorisation des chambres.

Je passerais là-dessus s’il ne devait pas en résulter des conséquences funestes. Vous avez fait un emprunt à 30 p. c. Vous délivrez des mandats à terme qui perdent jusqu’à 13 p. c. Croyez- vous que ce sont les fournisseurs qui subiront ce dommage ? Non ce sera le gouvernement. Quand il y a une perte de 13 p. c., les fournisseurs ont soin de stipuler un taux tel qu’ils soient loin d’être passibles de cette perte. Ainsi 30 p. c. d’une part, et supposons 20 p. c. de l’autre, c’est en réalité une perte de 50 p. c. que vous éprouvez. Je vous demande s’il est un individu qui agisse ainsi sans être accusé de prodigalité et mis en curatelle, ou aux petites maisons.

On nous dit : « Prenez garde, vous allez détruire le crédit. » Non, messieurs, au contraire, nous l’affermissons en disant la vérité. Ce n’est pas un peuple riche comme le peuple belge, riche de sa bonne foi par-dessus tout, riche par son territoire, par son industrie et son activité, ce n’est pas le peuple belge qui doit craindre de mettre au jour toutes ses affaires ; et, s’il peut être imprudent ou plutôt utile pour certaines familles de cacher leur situation réelle, il est toujours imprudent à un pays de cacher la sienne, car toutes les fois que vous mettrez les intérêts particuliers en contact avec le trésor de l’Etat, gardez-vous de lui rendre suspecte la situation du trésor ; si l’on ne connaît pas cette situation, on supposera toujours ce qu’il y aura de pire.

La bonne foi belge saura parer à toutes les gênes du moment, et il ne faut pas employer le moyen de ces mandats clandestins que l’on glisse ainsi furtivement dans la circulation. Je dis clandestins, parce qu’aussi longtemps que la législation n’a pas autorisé leur émission, elle est illégale et présente tous les inconvénients de la clandestinité.

Lorsque vous faites cette émission, quelle garantie donnez-vous du nombre et de l’importance des mandats émis ou à émettre ? L’entrepreneur qui reçoit 100 ou 200 mille florins de billets ne sait pas s’il n’en a pas été créé pour 20 millions. Il peut le croire, alors même que la circulation en serait très restreinte. Il veut escompter, il s’adresse à un prêteur qui, sans être très israélite, aura d’autant plus de défiance qu’il connaîtra moins encore la situation réelle du trésor que l’entrepreneur, et qu’il sera obligé d’échanger ses écus contre du papier. Il ne le fera qu’en prenant une bonne part des bénéfices de l’entrepreneur ; et qui paiera cette double part de bénéfices ? La nation.

Vous voyez donc les conséquences funestes qui résultent de cette émission. Si vous avez besoin d’une loi, proposez-la ; on descendra, s’il le faut du maximum jusqu’au minimum, mais au moins on connaîtra la valeur réelle de ce papier-monnaie, mais on connaîtra au moins tout le danger, si tant est qu’il peut y avoir danger. Ainsi, sans vouloir accuser le ministère d’inconstitutionnalité (ce n’est aujourd’hui qu’une vétille, il y a longtemps qu’on en a pris l’habitude), je dis que la chambre ne peut pas admettre un pareil système.

D’après ces considérations, vous sentez tous qu’il m’est impossible de voter pour le budget tel qu’il nous est proposé ; mais dussé-je être dupe encore, j’accorderai, pour ne pas entraver la marche du gouvernement, une perception de 4, 5 ou 6 mois s’il le faut, à la condition qu’on fera disparaître de nos lois financières tout ce qu’elles ont d’odieux.

M. F. de Mérode. - Messieurs, on se plaint de ce qu’il n’y a point de ministère : voilà plusieurs fois que l’on renouvelle cette plainte. Ce n’est pas ma faute si les ministres précédents n’ont pas conservé leurs portefeuilles. Je suis loin d’admirer la résolution qu’ils ont prise de cesser leurs fonctions ; mais enfin, messieurs, il faut apprécier la cause de l’absence prolongée d’un cabinet. Et ne provient-elle pas des difficultés sans nombre dont on hérisse le service ministériel ? Je n’ai nul besoin d’entrer à cet égard dans des développements dont chacun peut se rendre compte facilement.

Lorsque je me suis servi de l’expression de démolisseurs, je n’ai point voulu parler des 42 membres qui, ont voté contre l’adresse ; j’ai parlé des hommes qui ne cessent d’entraver le gouvernement dans toutes les mesures qu’il a proposées et qu’il propose encore. Ces hommes, messieurs, emploient perpétuellement les termes les plus violents contre les membres de l’administration, quels qu’ils soient ; ils leur attribuent les intentions les plus coupables, et la susceptibilité personnelle de ces opposants « quand même » est en raison directe de leur rigoureuse sévérité pour autrui. C’est ainsi qu’ils entendent la liberté de la discussion, l’égalité des droits. Pour moi je les comprends autrement, et je ne subirai point le despotisme soi-disant patriotique qu’on voudrait nous imposer.

M. Dumortier. - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion, je n’aurai plus à faire que quelques observations qui m’ont été suggérées par l’examen attentif du budget, et par la discussion elle-même.

D’abord pour celles qui résultent de l’examen du budget, je dirai que j’ai été fort étonné d’entendre M. le rapporteur de la section centrale nous blâmer d’avoir demandé, avant la discussion du budget des voies et moyens, les comptes de l’année 1831. J’ai été vivement étonné surtout d’entendre M. le rapporteur, qui certes ne manque pas de connaissances en matière de finances, dire que c’était là de notre part un moyen dilatoire. L’honorable rapporteur ne peut ignorer cependant que tout compte, pour être régulier, doit être complet, et qu’un compte n’est pas complet si l’on n’y rapporte pas l’excédent ou le déficit d’un compte précédemment ouvert. Ici, par exemple, nous aurions dû voir figurer en tête du budget le reliquat des comptes de 1831, et c’est la faute du ministère s’il ne l’a pas fait, car on le lui a assez souvent demandé.

Cette faute n’est pas la seule ; l’article 115 de la constitution dit : « Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portée au budget et dans les comptes. » Or, j’ai observé diverses recettes qui ne sont point portées dans le budget, et peut-être, quand nous examinerons le budget des dépenses, nous trouverons aussi quelques dépenses qu’on n’y aura pas fait figurer ; en attendant, pour les omissions au budget actuel, je me bornerai à citer une recette que je suis fort étonné de n’y point voir. C’est celle du remboursement que le ministre de la guerre s’est fait faire par la marine pour tout ce qu’il lui a livré ; l’an dernier nous avons fait la même observation, et nous voyons se reproduire le même abus ; il est clair, cependant, que si l’administration de la guerre a reçu le prix de fournitures faites à la marine, c’est une recette qui doit figurer dans son budget, et qui ne peut ne pas y figurer sans inexactitude.

Une autre inexactitude encore se fait remarquer pour ce qui concerne la fabrication des monnaies. Il est impossible que pour la fabrication des monnaies de cuivre, il n’y ait pas une recette quelconque ; cependant je ne vois rien d'indiqué à cet égard. Cela prouve que le budget a été fait avec une extrême légèreté, et qu’on s’est contenté de prendre pour cadre celui de l’an dernier en y apportant quelques changements dans les chiffres. Voilà où s’est borné le travail du ministère, et cependant, l’an dernier, on nous avait fait la promesse formelle d’apporter des améliorations dans le système de l’impôt. Vous voyez comment on l’a tenue.

Sans doute je ne voudrais pas qu’on eût effectué un changement complet du système ; je sais combien cela eût été dangereux, surtout après une révolution : l’homme est un animal d’habitude. (Hilarité.) Vous le savez, messieurs, les contribuables paieront, sans difficulté, l’impôt qu’ils sont, depuis longtemps, accoutumés à payer, tandis qu’un impôt sous un nouveau nom les effraierait, et qu’ils ne vous tiendraient même pas compte des suppressions que vous auriez effectuées.

Mais si on ne pouvait sans imprudence faire un changement radical, on pouvait au moins apporter quelques améliorations au système. Ainsi on ne viendrait pas aujourd’hui nous demander 40 p. c. d’augmentation sur l’impôt foncier. M. l’administrateur du cadastre nous a dit qu’il fallait prendre l’impôt là où le bien se trouve. Si l’impôt retombait sur le propriétaire, M. l’administrateur aurait raison, mais il ne retombe que sur le malheureux cultivateur.

On aurait pu mettre des droits légers sur le café, le tabac, le poivre, le thé, et ces droits auraient été payés sans inconvénient. Je sais bien qu’à ces mots le haut commerce va se récrier ; mais il est facile de répondre.

Pour ce qui concerne le café par exemple, il a déjà un droit, léger à la vérité ; il ne s’élève qu’à 4 p. c. ; mais ce droit, tout minime qu’il est, rend nécessaire le commerce d’entrepôt. Si le droit de 4 p. c. nécessite le commerce d’entrepôt, il n’y aurait pas plus de difficulté pour la perception d’un droit de 10 p. c. Ainsi on pouvait sans inconvénient frapper de légers impôts sur les denrées coloniales ; c’eût été pourvoir aux besoins de l’Etat et alléger les charges des contribuables.

Je regrette vivement qu’on n’ait pas jugé à propos de vous communiquer les travaux relatifs au cadastre. Nous les avons demandés avec instance sans pouvoir les obtenir : à cet égard je rappellerai ce que nous a dit M. l’administrateur, que les travaux sur le terrain étaient terminés. Comment se fait-il donc qu’on nous demande 300,000 fr. pour l’arpentage ? Je ne connais de travaux sur le terrain que l’arpentage. Si ces travaux sont terminés, comment a-t-on besoin de fonds ? Ici je répéterai les observations que j’ai déjà eu l’occasion de faire. En 1831 M. Thiry réclamait une somme pour le cadastre, en promettant que les travaux seraient achevés en 1832. Lorsque M. Ch. de Brouckere nous présenta le budget de 1831, il demanda 74,000 fr. pour terminer les opérations cadastrales. L’an dernier on nous demanda 318,000 fl. toujours pour terminer les opérations d’arpentage ; n’est-ce pas une chose extraordinaire qu’aujourd’hui encore on demande 300,000 fr. pour les mêmes opérations ? Je désire voir la fin de ces opérations, et si les promesses que nous a faites M. l’administrateur général se réalisent il aura bien mérité du pays ; mais, s’il faut le dire, j’éprouve des doutes à cet égard.

La discussion qui s’est élevée au sujet de la banque mérite un sérieux examen. D’un côté, M. Coghen nous a déclaré hier qu’en 1830 la banque avait en caisse une somme de dix millions, dont une partie devait rester en Belgique. D’autre part, M. F. Meeus nous a exposé avec une grande franchise l’état des choses ; il a soutenu qu’il y avait un compte à terminer, et que ce compte fait prouverait que la banque n’est pas débitrice. Si la banque doit à l’Etat, ce sera porté en excédant de recette. Je demande donc que ce compte soit terminé au plus tôt. De mon côté, j’ai pris des renseignements sur la banque, qui ne concordent pas avec les assertions de M. Meeus. Mais c’est une question à éclaircir, et nous devons des remerciements à M. Meeus, pour la franchise qu’il a mise dans les explications qu’il a données.

On m’a dit, d’un autre côté, que la banque perçoit les revenus de la maison d’Orange, qui sont placés sous le séquestre : c’est là une irrégularité. C’est le domaine qui a fait placer le séquestre qui devrait percevoir les revenus, sauf à rendre compte. Au reste je ne garantis pas le fait, mais je demande qu’on nous donne là-dessus quelques explications.

Je dois m’opposer aussi à l’augmentation du droit de patente, qui fut l’objet, vous le savez, d’une des réclamations les plus fortes sous l’ancien gouvernement. Ce droit pèse beaucoup trop sur l’industrie, qui déjà paie une grande partie des autres impôts. C’est en effet l’industrie qui paie presque à elle seule la taxe sur les lettres ; elle paie aussi une grande partie de l’impôt personnel ; il ne faut pas aggraver encore sa position en augmentant les droits de patente : ce serait compromettre le sort de la révolution, et le congrès l’avait bien compris, car un de ses premiers actes fut de réduire le droit, et d’alléger la situation des patentables.

Veuillez faire attention qu’il existe parmi eux des classes très respectables de citoyens, et qui sont fort malheureuses. De pauvres bateliers, par exemple, sont forcés de payer 3 et 400 fr. de patente, pour exercer une industrie dont les produits sont très minimes ; et vous iriez, quand le commerce est en souffrance, aggraver encore leur situation ? Je demande que l’on rétablisse pour les bateliers l’impôt qui se percevait aux écluses, comme cela se pratique encore en France. L’impôt patente est aujourd’hui trop préjudiciable aux petits bateliers, car tandis que les grands entrepreneurs de transports par eau, qui font beaucoup de voyages, ne se ressentent presque du droit fixe auquel on les impose, le même droit écrase les petits bateliers qui ne font qu’un petit nombre de voyages.

On vous a parlé de l’impôt sur le sucre et de la fraude dont cette denrée est l’objet. Vous voyez que la suppression du transit n’a pas diminué la fraude ; je vous l’avais dit à l’époque où la loi fut discutée ; si en supprimant le transit vous aviez pu empêcher l’introduction du sucre dans le pays, votre loi eût été bonne ; mais vous n’avez pu empêcher cette introduction, et les sucres de France entrent en abondance, et vos raffineries sont ruinées.

Je partage aussi l’opinion de quelques honorables membres sur la suppression du deuxième rayon de douanes, et je crois comme eux que cette suppression est loin d’avoir été favorable.

Je désirerais, en ce qui concerne l’imposition personnelle, que l’on supprimât la déclaration, mesure odieuse qui a tant soulevé d’esprits contre l’ancien gouvernement. Pourquoi mettre le contribuable entre son intérêt et sa propre conscience ? Pourquoi exiger de lui une déclaration, quand d’avance on peut être certain qu’elle sera toujours la même ?

Depuis quelques jours on parle d’augmenter les recettes, comme s’il ne s’agissait que de puiser sans façon dans la poche des contribuables.

Le plus aimé des gouvernements, messieurs, est celui qui demande le moins aux contribuables. J’ai été vivement peiné de la progression effrayante de l’augmentation de l’impôt. J’ai été vivement peiné surtout quand j’ai entendu M. le ministre des finances dire que ce serait l’état permanent des dépenses que devrait subir le pays. Quand l’an dernier cette augmentation fut prédite par nous, que nous dit M. le ministre des finances ? Il vint nous dire que nous voulions égarer l’opinion publique, que nous voulions abuser le peuple, que nous commettions un crime de lèse-nation, et il nous invitait à monter à la tribune pour avouer que nous nous étions trompés. L’expérience est là maintenant ; qui s’est trompé, est-ce le ministre ou nous ?

On nous a dit que les prévisions du budget avaient été dépassées, qu’au lieu de 32 millions les recettes en avaient produit 37 ; j’ai démontré dans une précédente séance d’où venait la différence. C’est qu’on avait calculé sur la Belgique des 24 articles, tandis que les recettes ont été faites sur la Belgique de la révolution. Si vous réduisez la différence, vous aurez une recette de 33 à 34 millions de fl. Supposez que vous ayez 72 millions de francs ; eh bien, on vous en demande 84.

Il me semble, messieurs, qu’un grand enseignement résulte de ceci. Vous le voyez, aujourd’hui on vous demande des avances sur l’impôt foncier ; déjà on a lancé dans la circulation des mandats à terme, et si d’un côté je suis fâché qu’on ait eu recours à ce moyen, j’en suis bien aise d’un autre côté, c’est une preuve que notre crédit s’améliore ; car, il y a deux ans, il n’aurait pas été possible de compter sur une telle ressource. On a donc eu recours à des moyens extraordinaires. Ceci prouve que les prévisions de l’opposition n’auraient pas dû être dédaignées ; vous avez entendu le préopinant traiter de démolisseurs les orateurs de l’opposition. Je lui répondrai que si on avait écouté l’opposition, les finances du pays ne seraient pas dans l’état elles sont. Je désire vivement que l’opposition se soit trompée dans la question politique. Comme elle ne s’est pas trompée dans la question financière, je crains fort cependant que ce vœu ne soit pas exaucé, et si vous avez fait attention aux paroles de M. de Broglie à la tribune française, vous verrez que cette crainte n’est pas déplacée.

Cependant, messieurs, je suis convaincu que la Belgique peut encore être sauvée. Le ministère qui s’est retiré a joué quitte ou double ; mais il faut que nous ayons un ministère à forte tête, qui sache tirer parti de notre position et faire tourner les événements en notre faveur. Pour moi, messieurs, tant qu’un drapeau brabançon flottera sur un de nos clochers je ne désespérerai pas du salut du pays. (Bien ! bien !)

M. A. Rodenbach. - Messieurs, dans son discours, M. le ministre des finances nous parle de l’institution souffrante des postes aux chevaux. Ayant promis, dans la séance d’avant-hier, de signaler quelques abus dans cette administration, je ne crois pas inutile d’entrer dans quelques détails y relatifs.

Sous Napoléon, le nombre des chevaux que chaque maître de postes devait avoir était déterminé par l’administration. L’empereur les indemnisait par des appointements annuels que l’on appelait gages. Les maîtres de postes de troisième classe ne recevaient que 250 francs par an, ceux de deuxième classe 500, et ceux de première classe 750 francs. Sous Guillaume on a constamment refusé ces traitements, parce que le gouvernement ne forçait point à tenir un certain nombre de chevaux ; cette loi est donc tombée en désuétude, mais elle n’a jamais été rapportée.

Je crois que la législation de la poste aux chevaux doit être révisée.

Certains maîtres de postes de petites villes et à la campagne doivent être secourus par le gouvernement. Ils ont des droits incontestables à leur modique traitement. Ils ne reçoivent point des diligences l’indemnité de 25 centimes par cheval et par poste, puisque bien souvent il n’en passe point, et leurs chevaux sont peu occupés puisqu’ils restent sur des routes de deuxième et de troisième classe. Ils sont donc doublement lésés.

Il n’en est pas de même des maîtres de postes des grandes villes et grandes routes ; ceux-ci ont d’immenses bénéfices sur les chevaux des diligences ; il en est qui perçoivent 10, 15, 20, 30 et jusqu’à 50,000 francs par an.

Je demanderai à M. le commissaire du gouvernement si cette indemnité de 25 centimes par cheval n’est point inconstitutionnelle. L’article 113 porte qu’aucune rétribution ne peut être exigée du citoyen que par une loi, qu’à titre d’impôts au profit de l’Etat, de la province ou de la commune.

En outre, je demanderai à M. le commissaire si c’est par mesure d’économie que le transport des dépêches n’est pas remis en adjudication, les traités expirant au 1er janvier 1833. De plus, on prétend qu’il y a des maîtres de postes cumulards qui, dans le temps, ont obtenu la faveur injuste d’avoir deux ou trois relais. Ces messieurs sont souvent maîtres de postes dans une grande ville et ils ont encore des postes dans les petites villes ou à la campagne.

M. Delfosse, administrateur des postes. - Messieurs, l’observation que vient de faire l’honorable M. Rodenbach quant à la détresse des petits maîtres de postes est réelle ; c’est dans le but d’y remédier que l’administration vous demande d’allouer au budget une somme qui servira à indemniser ces maîtres de postes, placés sur des routes peu fréquentées et qui n’ont pas d’ailleurs des centimes à percevoir en sus des droits ordinaires, ni d’autres rétributions.

Quant à ce qu’a dit le préopinant, de certains maîtres de postes, qui se feraient un revenu de 40 à 50 mille francs, je ne pense pas que cela soit exact. Il résulte des notes qui n’ont été fournies et qui ne peuvent être suspectes, puisqu’elles émanent de ceux mêmes qui paient la rétribution, je veux dire des entrepreneurs de diligences, il résulte, dis-je, de ces notes, que le revenu des maîtres de postes les mieux rétribués est beaucoup moindre ; quoiqu’il en soit j’ai reçu ordre de faire à ce sujet un travail, dont le résultat sera certainement d’améliorer le sort des maîtres de postes qui ont excité la pitié de M. Rodenbach.

L’honorable membre a aussi parlé de cumulards. Je ferai, à cet égard, une première observation : c’est que s’il y a des maîtres de postes qui cumulent en exploitant plusieurs relais, ce cumul entraîne des charges ; j’ajoute que, quoique le nombre des chevaux qu’ils doivent avoir ne soit pas prescrit, j’ai toujours exigé qu’ils eussent le nombre nécessaire pour faire le service sur leur route. Du reste, l’administration actuelle n’a pas consacré ces cumuls en en accordant de nouveaux. Ceux qui les possèdent les ont depuis 12 et 15 ans. On sait que de semblables entreprises exigent d’assez grandes dépenses, et l’administration n’a pas voulu violer des droits acquis, en quelque sorte, en faisant disparaître ces cumuls.

J’oubliais l’objection principale du préopinant, celle relative à l’adjudication des transports des lettres. L’expérience a prouvé que l’adjudication était le plus mauvais moyen à employer, qu’il n’y avait dans ce moyen ni économie, ni célérité, ni même exactitude. Cela est si vrai, que, dans le courant de cet exercice, il a fallu enlever le transport à certains entrepreneurs : L’administration a fouillé dans les anciennes lois et ordonnances sur la matière ; et elle s’est convaincue qu’il était possible de faire faire le transport par les maîtres de postes, et cela rentrera d’ailleurs dans les vues philanthropiques de M. Rodenbach, puisque les petits maîtres de postes y participeront. Il résulte au surplus des investigations qui ont été faites, qu’en laissant faire aux maîtres de poste, il y aura économie de 20 à 25 p. c. ; ainsi, loin d’avoir le projet de mettre les transports en adjudication l’administration se propose de les donner, sinon exclusivement, du moins en partie, aux maîtres de postes, et l’on se convaincra de la grande économie qui en résultera. Vous en jugerez quand vous saurez que l’ancienne administration ne donnait que 84 à 100 cents par poste et par cheval. Ainsi les vues de M. Rodenbach se trouveront remplies.

M. Coghen. - Messieurs, un honorable membre, M. de Brouckere, a porté hier la parole ; il a regretté mon absence ; moi-même je regrette de ne pas avoir assisté à cette séance, parce que j’aurais pu répondre immédiatement à ce qu’il avait avancé, et je n’aurais pas laissé, pendant 24 heures, concevoir des inquiétudes sur notre état financier.

Avant de répondre à l’honorable M. de Brouckere, je lui ai demandé si le Moniteur rend exactement son idée ; il m’a répondu d’une manière affirmative, et c’est donc sur cette rédaction que j’aurai des observations à présenter.

M. de Brouckere dit : « Messieurs, à défaut de renseignements du ministère sur la situation de notre trésor, je prends du moins l’exposé de notre situation financière, que l’honorable M. Coghen (que je regrette de ne pas voir parmi nous) a été si heureux de pouvoir nous faire ; je dis si heureux, pour me servir des termes employés par lui-même.

« Il résulterait de cet exposé, s’il était sincère, que bien que nous ayons un déficit réel de deux millions de francs sur l’exercice 1832, nous devrions avoir en caisse une somme de 16 millions de fr., attendu que nous n’avons pas dû payer à la Hollande les 18 millions que nous sommes obligés de lui donner en vertu du traité du 15 novembre. »

Messieurs, j’ai lu, relu à différentes reprises depuis que j’ai reçu le Moniteur, et je ne puis rien comprendre et je n’ai rien compris à ce que l’honorable membre veut dire.

Lorsque l’honorable M. Jullien a, dans la séance du 1er décembre, désiré avoir quelque idée sur notre situation financière, j’ai pris la parole, messieurs, parce que je considérais pour moi comme un devoir envers la chambre, comme un devoir envers mon pays, de présenter l’exposé réel et franc de notre situation financière. Je devais remplir ce devoir, parce qu’au mois de mai dernier on a désiré que la chambre prît acte de la déclaration que j’avais faite, qu’entre les dépenses et les ressources de l’Etat, les crédits votés, les économies possibles, il devait y avoir une différence de 18 millions de florins.

J’ai dit, messieurs, en répondant à M. Jullien, que j’étais heureux de pouvoir annoncer la situation financière ; je le répète encore aujourd’hui, et je viens confirmer ce que j’ai dit d’abord, que vous aviez voté des crédits par différentes lois, et que ces crédits s’élevaient à un total de 96,373,896 fl. 34 c.

Comme les exercices 1830 et 1831 se soldent par des excédents de crédits sur les dépenses, j’ai mis en report aux crédits que vous avez votés :

D’abord les économies qui seront faites dans tous les ministères, évaluées modérément à 4,200,000 fl.

Je dis modérément, messieurs, parce que je suis resté beaucoup en dessous du chiffre réel. Je l’ai fait ainsi, parce que je ne désire pas de me tromper ; je désire, quand il y a erreur, qu’elle soit en faveur du trésor.

J’ai ajouté à ces 4,200,000 fl. la somme de 720,000 fl. qui a été allouée pour l’amortissement et l’intérêt du premier semestre de la deuxième partie de l’emprunt de 48 millions, et qui n’a pas été employée.

J’ai ajouté 400,000 fl. de bénéfices sur les rachats des emprunts de 10 et 12 millions, et sur leur amortissement anticipé.

J’ai ajouté 35,500,000 fl., produit de l’emprunt de 48 millions que j’ai demandé pour l’exercice 1832. Cet emprunt a été négocié en 1832, et quoiqu’une partie soit payable en 1833, il appartient tout entier à l’exercice de 1832.

J’ai ajouté les 37,500,000 fl., produit des voies et moyens.

Ce qui établit une somme totale de 79,956,000 fl.

Les dépenses votées étaient comme nous l’avons dit de 96,373,896 fl. 24 c.

Il en résultait par conséquent une différence de 16,417,896 fl. 34 c.

Dans les dépenses, messieurs, figurait et figure encore la somme de 18 millions qui est due à la Hollande. On n’a pas pourvu par les voies et moyens à cette somme ; c’était inutile ; parce qu’il ne fallait pas inutilement accabler les populations déjà surchargées par les événements d’une révolution ; il valait bien mieux attendre l’état de paix pour pourvoir à cette somme qu’on ne paiera qu’à la paix.

J’ai eu l’honneur de vous faire observer en outre que les domaines dont j’ai demandé la vente, s’élevaient à environ 6,500,000 fl.

J’ai dit que ces domaines n’étaient pas vendus, et que je croyais, dans l’intérêt du pays, qu’on devait les vendre.

J’ai parlé d’un solde dû par la banque. Hier, on a discuté cette question ; j’ai répondu, et j’ai mis dans ma réponse tous les ménagements possibles. Le syndicat d’amortissement laissera, en faveur de la Belgique, un solde. M. Lyon, qui connaît le mieux la situation financière de la Hollande, a fait connaître la situation du syndicat ; mais dans cette situation n’est pas comprise la somme de 20 millions que la banque doit au trésor pour vente de domaines, ni la somme qu’elle devra à l’expiration de son privilège, c’est-à-dire en 1849.

De ces faits il résulte que la situation des finances, c’est-à-dire que le bilan de l’Etat, si je puis m’exprimer ainsi, offre une position très tranquillisante, et je me fais un devoir de le répéter ici, parce que nous devons cette franchise à la nation, et nous la devons dans l’intérêt du crédit public.

Quant à l’avenir financier, il ne m’appartient pas ; il vous appartient, messieurs, il dépendra de votre vote, tant sur les dépenses que sur les voies et moyens.

Messieurs, on a élevé dans cette enceinte une question un peu grave ; on a accusé d’inconstitutionnalité l’émission des mandats que le trésor donne en paiement de ce qu’il doit.

D’abord, messieurs, que sont ces mandats ? Ce sont des demandes de paiement faites par l’un ou l’autre des ministres ; ce sont des demandes de paiement visées par la cour des comptes ; et puis ordonnancées par le ministre des finances. Et au lieu que ces mandats soient à vue, on a mis un délai de 40, 60 jours d’après le plus de convenance pour le mouvement du trésor. Ces mandats sont délivrés sur des pièces comptables, c’est-à-dire sur la demande d’un ministre, visée par la cour des comptes, et ordonnancée par le ministre des finances. Du moins voilà les mandats que j’ai vus depuis quelques jours. On en a émis, si je ne me trompe, pour une somme montant à peine à 300,000 florins, à moins qu’on n’en ait émis depuis quelques jours.

Ces bons se négocient, parfois, d’une manière défavorable ; cela ne m’étonne pas ; ce n’est pas le manque de confiance : la meilleure preuve qu’on puisse donner qu’il n’y a pas manque de confiance, c’est que l’emprunt de 12 millions est à 102. Si les bons se négocient mal, c’est qu’il y a des dupes et des fripons ; c’est qu’il y a des gens qui savent profiter de l’embarras des autres. On a pu en donner à 10 ou 12 ; mais je dirai aussi qu’on en a pris à 5 et demi p. c. par an.

Depuis quelques jours, une question importante a été agitée dans cette enceinte, à l’égard de la banque. M. Meeus, comme gouverneur de cet établissement, a donné des explications très loyales ; et je crois qu’il serait de l’intérêt du pays qu’on puisse aviser aux moyens d’éclairer la question, soit pour la nomination d’arbitres, soit pour s’entendre sur les comptes. Non seulement il faudrait examiner l’état de la banque comme caisse, mais s’expliquer encore sur les opérations du syndicat, et sur le séquestre qui reste en ses mains.

On a parlé, messieurs, de l’idée qu’on aurait conçue de créer des receveurs-généraux, quand il s’agira de cette nomination dans la marche de notre administration financière, je ferai tout au monde pour tâcher qu’elle n’ait pas de suite, pour m’opposer à son administration. La création des receveurs-généraux entraîne des inconvénients très grands : c’est que, lorsque vous avez des receveurs-généraux, vous devez avoir des inspecteurs-généraux du trésor, et une surveillance considérable sur les caisses ; tandis qu’à la banque, il n’y a pas de fonds morts. Et certes, si la banque peut, parfois, faire usage de capitaux inactifs dans ses caisses, cela tourne toujours à l’avantage du commerce et de l’industrie.

On a agité la question de la création des bons du trésor, afin d’établir en Belgique une dette flottante.

Messieurs, je dois vous le dire, je suis impatient de voir porter la loi qui autorisera cette création : la France, la Prusse, l’Autriche, l’Angleterre, la Saxe, la Hollande, tous ces pays ont admis le système de la dette flottante, c’est un moyen facile de passer d’un exercice à l’autre, de ne pas forcer des contribuables de verser d’une manière anticipée dans les caisses de l’Etat, ce qui n’est pas encore jugé utile pour le moment.

L’honorable M. Jullien a parlé des grandes routes qui traversent des villes, que ces villes entretiennent et dont le trésor reçoit les revenus ; j’appuie ses observations. C’est une injustice que des villes réparent des routes qui les traversent et que le fisc en perçoive le droit ; il faut que cette injustice disparaisse ; mais il faut aussi que ces villes contribuent pour une fraction dans l’entretien des routes.

L’honorable M. Dumortier a parlé de quelques lacunes dans le budget. J’ai observé, comme lui, qu’à l’égard de la monnaie il en existait une ; mais je ne sais pas s’il sera facile de mettre cet objet dans les voies et moyens.

Le bénéfice provenant de la fabrication des monnaies de cuivre n’est pas une chose sur laquelle vous puissiez compter ; il faudra changer vos anciennes monnaies et je ne sais pas comment vous pourrez vous débarrasser de quatre à cinq cents mille florins en cents et demi-cents.

Le même orateur, M. Dumortier, s’est étonné qu’on n’ait pas parlé des lois qui imposeraient le poivre, le café, le tabac, etc. Quant au premier article, c’est une chose si minime, qu’elle ne présenterait aucune ressource pour l’Etat. Quant au tabac, dont il se fait une grande consommation en Belgique, et que l’on introduit dans la France, un impôt pourrait beaucoup nuire à cette branche de notre industrie, et peut-être la détruire. Pour le café, il fait craindre de même de paralyser les avantages dont jouit le commerce, par suite des tarifs.

Les patentes offrent sans doute plusieurs vices, et je désirerais qu’on pût y apporter des changements ; mais depuis deux ans qu’on exécute les lois sur les patentes et toutes les lois fiscales, on prend tant de ménagements que je n’entends pas s’élever de réclamations. On applique les lois, on ne les interprète pas rigoureusement, et toujours contre le contribuable ; sous mon administration je ne suis bien trouvé de cette méthode.

On a parlé de fraudes considérables qui s’opèrent sur le sucre : sous l’ancien gouvernement, autant que ma mémoire peut me le rappeler, cet impôt produisait 700,000 florins, la loi n’est pas changée, et il produira pour la Belgique seule peut-être 900,000 florins.

L’honorable M. Dumortier a également parlé de nos anciens comptes et des anciens débats qui ont eu lieu, tant pour les exercices antérieurs, que pour l’exercice courant ; je crois que ce que j’ai exposé au commencement répond suffisamment aux observations de cet orateur.

Maintenant, messieurs, à l’égard des budgets, je crois que M. d'Elhoungne a proposé de donner des douzièmes provisoires ; cette marche est sujette à de nombreux inconvénients pour l’administration ! Elle jette l’incertitude parmi les contribuables ; elle fait par cela seul du mal à l’industrie et au commerce, qui demandent de la sécurité dans les transactions.

On a beaucoup parlé contre le mode d’impôts existants ; mais jetons un regard sur tout ce qui nous environne et examinons si nous avons tant à nous plaindre.

Voyons les lois anglaises : aucun de vous ne les admettrait, ne voudrait qu’elles fussent appliquées en Belgique. Est-ce la Hollande que nous devons imiter ? Considérez la position de ce pays : on y a conservé tous les cens additionnels, la loterie y subsiste, le serment pour les successions y existe ; il y a les droits de mouture, les droits pour la fabrication du savon ; il y a des droits jusque sur les combustibles. Voulons-nous jeter un regard sur la France ? Eh bien, pourriez-vous vous habituer aux tracasseries de l’exercice des droits réunis ? Pourriez-vous vous habituer davantage au monopole du tabac, de la poudre ; aux droits sur les cartes à jouer, aux droits sur le sel, et aux nombreux droits de douanes. Je crois que sous ce rapport nous n’avons rien à envier aux nations qui nous avoisinent. Et sous le rapport de la quotité des impôts, je crois que M. le ministre des finances vous a démontré que nous payons moins que toutes les nations.

Je ne pense pas cependant que nous devions rester stationnaires ; mais modifions avec prudence, n’imitons pas l’ancien gouvernement ; nous ne devons changer qu’avec beaucoup de circonspection.

Je ne défends pas les lois qui existent, mais je les accepte comme une nécessité. Dans cette session on pourra s’occuper de les améliorer ; plusieurs lois des finances sont déjà soumises à la chambre, d’autres seront présentées. Une loi sur l’enregistrement, réclamée par M. Seron, vous sera soumise ; une loi sur les douanes vous sera également soumise. Une loi sur les contributions personnelles fera disparaître l’odieux de celle qui existe. Messieurs, prenons l’engagement de ne pas nous séparer avant que ces lois soient discutées ; de cet engagement il résultera un bien infini pour les pays. Ces lois vous occuperont encore plusieurs mois ; il sera impossible de les appliquer toutes en 1833 ; après qu’elles auront été votées il faudra un temps moral à l’administration pour les mettre en vigueur ; car une transition trop brusque serait préjudiciable aux contribuables. Je suis convaincu que nous devons voter provisoirement la loi qui nous est présentée ; je voudrais voir un ministère composé avant de donner mon vote ; mais songez qu’il y a danger d’introduire des améliorations trop promptes : l’intérêt de l’Etat est dans vos mains, tout dépend de ce que la chambre fera.

M. le président. - La parole est àM. d'Elhoungne.

M. d’Elhoungne. - J’y renonce pour le moment.

M. Mary. - Je demande que M. d'Elhoungne parle à son tour, car, en qualité de rapporteur de la section centrale, je dois avoir la parole le dernier, pour résumer la discussion, ainsi que cela se pratique ordinairement.

M. H. de Brouckere. - Je pense qu’aucun membre de cette chambre n’a le droit de sommer un de ses collègues de parler sur-le-champ. Il ne me semble pas non plus qu’il doive être défendu de prendre la parole après le rapporteur. Ni M. d'Elhoungne ni moi n’avons pris cet engagement, et je déclare, pour ce qui me concerne, que je parlerai après M. Mary, si la chambre ne juge pas à propos de prononcer la clôture.

M. Mary. - Je n’y tiens pas beaucoup ; je faisais cette demande d’après un précédent de la chambre, qui est conforme ces usages parlementaires.

M. Meeus. - Je désire répondre quelques mots à M. Coghen. Il m’est impossible de laisser passer l’étrange assertion de cet honorable membre : personne plus que moi n’apprécie son dévouement au pays, personne ne rend un plus sincère hommage à ses intentions, mais venir dire à la face de la chambre, à la face de la nation que les finances sont en bon état, alors qu’on fait des émissions de mandants à terme, alors qu’on demande une augmentation sur la contribution, je dis que c’est manquer à la chambre et au pays.

M. Coghen. - En établissant la situation, l’espèce de bilan de l’Etat, je n’ai pas fait les comptes du trésor ; je ne les connais pas. Mais j’ai dit que le service ne serait pas arrêté. A cet égard on peut être fort tranquille et si j’ai déclaré à la chambre que l’état des finances était satisfaisant, je le répète encore, parce que les chiffres sont là pour le prouver et qu’on ne peut les détruire qu’avec des chiffres et non pas avec des paroles. Mais quant à l’état du trésor, je ne le connais pas. Si pour la transaction avec la maison Rothschild nous avons dû accorder des délais, c’est qu’ils étaient réclamés, et que nous avons cru avoir des motifs suffisants pour le faire. Lorsque j’ai établi ces délais, j’étais sous l’illusion du retour de 40,000 hommes dans leurs foyers ; mais, me défiant des événements, j’avais stipulé des conditions verbales qui devaient mettre le trésor à couvert à cet égard. Si des personnes ont à se plaindre du contrat passé à l’occasion des 24 millions, si elles m’accusent de maladresse, je ne crois pas que tout le monde soit de cet avis et partage la manière de voir de M. de Brouckere.

Cependant je dirai que je regrette vivement que cette opération n’ait pas eu un meilleur résultat. Si je n’avais pas cru que c’était une bonne affaire, je n’aurais pas autant tenu au cours de 79 ; j’avais cru que c’était une excellente affaire : je regrette, je le dis encore, que le résultat n’en ait pas été meilleur.

M. d’Elhoungne. - M. Coghen, dont personne ne suspecte les intentions, et dont nous reconnaissons tous le dévouement au pays, a fait ses preuves dans d’autres circonstances ; mais il se trompe évidemment quand il pense pouvoir payer des dettes certaines dont l’échéance est fixée au mois de janvier, avec des fonds qui ne doivent rentrer au trésor que d’ici au mois de septembre prochain.

- Ici l’orateur revient sur les calculs et les faits produits déjà par MM. Meeus et M. de Brouckere.

M. Coghen. - Messieurs, M. le ministre des finances a donné toutes les explications possibles à l’égard de l’emprunt de douze millions. Je regrette que malgré ces explications on soit encore revenu sur cet objet. Quant à l’emprunt de huit millions, il n’y en a plus ; il est payé, dont il ne faut plus s’en occuper.

M. H. de Brouckere. - Et les 12 millions.

M. Coghen. - J’ai dit que M. le ministre des finances s’en était expliqué.

M. H. de Brouckere. - Je ne l’ai pas entendu.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Voici en quoi consistent les explications que j’ai données ; c’est qu’au lieu de 12 millions, il n’y aura que 6 millions de remboursables.

M. H. de Brouckere. - Seront-ils remboursés ?

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Oui, certainement. Mais je le répète, malgré tout l’acharnement qu’on semble y mettre, il y a des choses que je ne voudrai jamais divulguer. (Mouvement en sens divers.)

M. de Robiano de Boosbeek (s’agitant sur son banc). - Non, M. le ministre, ne les divulguez pas.

Je déclare que rien, dans cette longue et trop longue plaidoirie, n’a ébranlé ma conviction que les finances sont dans un état satisfaisant, et plus favorable qu’on ne devait l’attendre de circonstances si graves. Dans ma section, nous avons demandé des explications au ministre des finances, elles nous ont satisfaits.

M. Davignon. - M. le ministre des finances nous a donné toutes les explications nécessaires dans la section dont je fais partie.

M. Mary s’apprête à parler comme rapporteur.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

M. Mary. - Je demande que, d’après le précédent de l’année dernière, la chambre décide si elle m’accordera la parole le dernier comme rapporteur de la section centrale.

M. H. de Brouckere. - Je demande encore, comme je l’ai fait l’année dernière, et je crois que la chambre me donnera encore raison, que l’on puisse parler après le rapporteur. Il peut arriver que le discours de M. Mary exige une réponse sur plusieurs points, et en décidant qu’il parlera le dernier, vous vous interdiriez cette réponse.

M. Jullien. - Il n’y aurait qu’un moyen de voir si l’on peut admettre la proposition de M. Mary, ce serait qu’il nous dît tout ce qu’il dira demain. (On rit.)

- La proposition de M. Mary n’a pas de suite.

La discussion est continuée à demain à midi.

La séance est levée à 4 heures.


Noms de MM. les représentants absents sans congé à la séance de ce jour : MM. Angillis, Brabant, Coppieters, Deleeuw, de Muelenaere, de Woelmont, Dumont, Jaminé et Pirson.