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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 février 1833

(Moniteur belge n°47, du 16 février 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) écrit pour donner les explications qui lui ont été demandées sur le Clara-Polder, à l’occasion d’une pétition soumise à la chambre.

Projet de loi des comptes de l'exercice 1831

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Duvivier) envoie à la chambre la loi des comptes de l’exercice 1831.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de cette loi.


- M. Legrelle, qui a été, dans une des séances précédentes, proclamé membre de la chambre, prête serment.

Projet de loi autorisant le gouvernement à émettre des bons du trésor

Second vote des articles

Article premier

M. le président. - L’ordre du jour est le vote définitif sur le projet de loi relatif à l’émission de 15 millions de bons du trésor. La délibération ne peut porter que sur les articles rejetés ou sur les amendements introduits.

L’article premier est le résultat d’un amendement ; il est ainsi conçu : « Le gouvernement est autorisé, pour faciliter le service du trésor pendant l’exercice 1833, à émettre au pair des bons du trésor, portant intérêt et à échéance fixe. L’intérêt ne pourra pas excéder 6 p. c. l’an, et les frais de toute nature ne pourront pas dépasser le maximum d’1 p. c. par semestre. »

M. Verdussen. - Lorsque dans la séance d’avant-hier, la chambre a terminé la discussion, elle n’a pas ordonné l’impression du nouveau projet ; je n’ai pu en trouver l’ensemble que dans le Moniteur, et si, comme je le pense, la rédaction est exacte, j’aurai un léger amendement à vous proposer ; il consisterait à mettre au pluriel les mots « échéances fixes. »

L’article porte ces mots au singulier ; il faudrait, pour lever tout doute, qu’ils fussent au pluriel. Je crains qu’on ne croie que tous les bons du trésor doivent être à la même échéance ; la pluralité empêchera le doute de naître.

- L’amendement de M. Verdussen mit aux voix et adopté.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je désirerais que les mots : « frais de toute nature » fussent expliqués. Il résulterait de la discussion qui a lieu que les frais relatifs au matériel même des bons n’est pas compris dans ces frais ; je voudrais qu’on dît : « les frais de négociation. » Si on ne rédigerait pas ainsi cette partie de la loi, on pourrait éprouver des difficultés de la part de la cour des comptes, en ce qui concerne la confection des bons.

M. Gendebien. - On peut opérer le changement demandé par le ministre, quoiqu’il soit inutile. Les dépenses de fabrication sont des frais qui rentrent dans les frais généraux de l’administration ; les autres frais sont des frais de courtage, de négociation, etc.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Mon opinion est entièrement conforme à celle de l’honorable M. Gendebien ; mais comme, en général, la cour des comptes exige les factures, exige tout ce qui est relatif au matériel des opérations, je crains que si on ne mettait pas les mots : « frais de négociation, » ou bien les mots : « frais de toute nature, » il ne s’élevât quelque difficulté. C’est ma précision qui peut n’être pas fondée.

Les frais du matériel des bons seront plus considérables qu’on ne le pense : il faudra former un bureau de création et d’émission ; les bons seront lithographiés ; il faudra prendre des précautions. J’insiste pour que ma demande soit admise.

M. Marcellis. - Je proposerai de mettre dans la loi que les échéances auront lieu au bout de six mois après l’émission.

M. le président. - C’est un nouvel amendement qui ne peut se rapporter ni à l’amendement adopté, ni à l’article rejeté ; on ne peut le mettre en délibération.

M. Marcellis. - Je n’insiste pas à avoir la parole pour développer l’amendement que je propose : ayant été obligé de faire une absence, par suite d’un malheur de famille, je n’ai pu prendre part à la discussion qui a eu lieu dans la chambre ; je n’ai pu émettre mon opinion sur les bons du trésor qu’on devrait appeler « mandats à terme ; » cependant je la ferai connaître, si… (Non ! non !) Je répondrai à la chambre, et point à quelques individus qui se croient la chambre… (Murmures.)

Si la chambre pense qu’il n’y a pas lieu de parler sur l’amendement, je ne continuerai pas ; mais s’il n’y a que des opinions individuelles qui pensent ainsi, je demanderai à M. le président qu’il me conserve la parole… Je fais preuve de soumission et aussi d’indépendance… (On rit.) Si l’un des honorables membres croit devoir prendre la parole pour me rappeler au règlement, je me soumettrai s’il démontre que j’ai dépassé les limites du règlement. Je désire empêcher une imperfection dans la loi…

M. Meeus. - Faites connaître l’imperfection.

M. Marcellis. - Cette imperfection consiste en ce que l’échéance n’est pas fixée ; il en résultera confusion pour le trésor. Je ne tiens pas au terme de six mois ; mais je dis que, si l’on fixe des termes au-delà ou en-deçà, on créera des embarras par les motifs que les fonds ne seront pas faits. Si on se fie à la rentrée des impôts, on a tort. Autrefois on avait toujours peur que les impôts ne rentrassent pas ; aujourd’hui on a passé dans l’erreur contraire, on croit que les impôts rentreront.

Je sens que la chambre est engagée par un premier vote et qu’il y a du désavantage à émettre un système nouveau.

L’honorable abbé M. de Foere, dans son discours que j’ai lu, a dit plus de choses que d’invectives… (Bruit) quoique plusieurs plaisanteries… (Murmures.) Je dirai, malgré tout, qu’on a pris une mesure de durée au lieu de prendre une mesure exceptionnelle. Quant aux mesures de durée que l’honorable M. Meeus a fait connaître, elles ne sont que des théories… (Bruit.) Mais vouloir prouver ces assertions, c’est trop pour obtenir votre attention…

- Plusieurs membres. - Continuez ! continuez !

M. Marcellis. - Si la chambre croit que je puis continuer, je suis loin d’être au bout… (Continuez ! continuez !) Messieurs, le pays ne s’impatiente pas de la durée de cette discussion ; nous sommes sur un terrain où on se trouve rarement ; nous touchons à une de ces questions qui attirent l’attention des masses : le pays ne s’impatiente que quand la chambre absorbe une séance par une question réglementaire, que quand elle use son temps par des questions personnelles, que quand elle s’occupe de questions individuelles… (Murmures.)

Un membre. - C’est une leçon que l’orateur donne !

M. le président. - Il ne peut s’agir aujourd’hui de la discussion générale de la loi ; si l’orateur a un amendement à développer, il peut le faire.

M. Marcellis. - Je crois être dans la question. J’ai pensé que la chambre voulait continuer la discussion… Au reste, je me réserve d’exposer mon opinion complète par la voie du Moniteur.

- Des membres. - Ce sera trop tard.

M. de Brouckere. - J’avais demandé la parole pour un rappel au règlement ; mais puisque l’orateur assure que la loi peut porter le désordre dans les finances, je suis loin de vouloir lui interdire de parler.

M. Jullien. - Il est sans doute malheureux pour la chambre que l’honorable préopinant ait été absent lors de la discussion ; car vous voyez, d’après ce qu’il annonce, qu’elle aurait pu tirer le plus grand parti de ses lumières. Mais maintenant de quoi s’agit-il ? Vous n’avez à vous occuper que de la question de savoir si l’on adoptera définitivement, ou si l’on rejettera l’amendement adopté dans la séance précédente. Si l’honorable M. Marcellis entend parler contre l’amendement, il a tout le loisir de le faire, et je le prie de nous faire part des idées lucides qu’à tort il avait jusqu’ici comprimées. Il peut, il doit discuter l’amendement dans l’intention de le soutenir ou de le faire rejeter ; et si l’amendement est rejeté, il pourra proposer ceux qu’il voudra pour remplacer le premier. C’est dans cet ordre que la discussion doit marcher.

M. Gendebien. - Messieurs, il ne nous appartient pas de prescrire au ministre des finances la manière dont il usera des bons ; nous ne pouvons le forcer à créer des bons à 6 mois, à 8 mois d’échéance ; il fera des échéances pour les époques des rentrées. Tout doit être laissé au ministre sous sa responsabilité.

M. Marcellis. - La discussion est trop avancée pour que j’émette mon opinion ; je dois me soumettre aux règles de la chambre.

M. Meeus. - Je regrette que M. Marcellis ne soutienne pas son amendement. M. Verdussen a proposé un amendement. M. Marcellis en propose un autre ; pourquoi ne serait-il pas entendu ?

M. Verdussen. - C’est que l’amendement de M. Marcellis est en dehors de la discussion.

M. le président. - Voici la rédaction présentée par le ministre des finances : « … L’intérêt ne pourra pas excéder 6 p. c. l’an, et les frais de négociation de toute nature ne pourront dépasser le maximum d’un p. c. par semestre. »

M. de Foere. - M. Marcellis est dans le règlement ou il n’y est pas. (On rit.) Dans le premier cas, comme le dit M. Meeus, il peut proposer son amendement ; mais s’il n’est pas dans le règlement, je ferai observer que notre règlement n’est pas le nec plus ultra de la perfection humaine. (On rit.) La chambre peut modifier les lois, elle peut aussi modifier le règlement. Dans une question aussi importante, la chambre doit, dans l’intérêt du pays, entendre la proposition de M. Marcellis.

M. Verdussen. - Je n’ai rien à dire sur le fond de l’amendement présenté par M. le ministre des finances ; cependant je ferai remarquer que tous les bons du trésor ne seront pas placés par voie de négociation. Je voudrais qu’on mît « placement » au lieu de « négociation. » On peut négocier quatre ou cinq millions, et placer pour quatre ou cinq cent mille francs de bons

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - La pensée de M. Verdussen était la mienne, et je n’ai substitué le mot « négociation » au mot « placement » que parce que la chambre paraît plus familière avec le premier qu’avec le second. Je ne repousse pas l’amendement ; tout ce que je veux, c’est que les frais de confection des bons soient en dehors des frais de placement ou de négociation.

M. Meeus. - Je ferai observer à la chambre que le mot « négociation » dit tout. Si un entrepreneur accepte des bons au lieu d’exiger des écus, c’est par suite d’une négociation qu’on fait avec lui.

M. Davignon. - Il y a une grande différence entre placement et négociation ; il faut conserver le mot « négociation. »

M. Gendebien. - Quand un entrepreneur prendra des bons, le ministre des finances pourra-t-il allouer les 6 p. c. et les frais de négociation ? On peut donner les frais de commission à l’entrepreneur au lieu de les donner à un autre. Si le ministre voulait abuser de sa position, il le pourrait par suite de l’amendement de M. Verdussen ; il pourrait s’entendre avec des personnes qui tripotent dans les fonds et avoir pour lui les frais de commission. Il faut agir envers les fournisseurs comme envers les autres preneurs de fonds ; il n’en coûte pas un sou de plus à l’Etat.

M. Jullien. - Il ne peut pas exister la moindre difficulté sur ce qu’a dit M. Gendebien et sur la convenance de laisser subsister le mot « négociations. » M. Verdussen distingue le mot « placement » du mot « négociation ; » mais si vous réfléchissez que, lorsque le fournisseur vient réclamer, c’est de l’argent qu’il demande, il faut bien entrer en négociation avec lui pour lui faire prendre du papier ; on négociera donc avec lui comme avec les autres. (Aux voix ! aux voix !)

- L’amendement proposé par M. le ministre des finances est adopté.

M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Marcellis :

« J’ai l’honneur de proposer le terme de six mois pour l’échéance des bons du trésor. »

M. d’Huart. - L’amendement n’a pas été développé ; il fait donner la parole à M. Marcellis.

M. Marcellis. - J’aurais eu le droit de demander la parole pour une question personnelle ; je ne l’ai pas fait parce que je n’avais que deux mots à dire à ce sujet… (Dites-le !) Eh bien, je dirai que, malgré le cas que je fais du don de la plaisanterie, je la place bien au-dessous du moindre raisonnement ; que si j’avais attaché de l’importance à la plaisanterie, il aurait suffi de la discussion des bons du trésor pour m’en dégoûter ; nous avons vu, dans cette discussion, M. de Foere plaisanter après avoir été lui-même l’objet d’autres plaisanteries…

- Des voix. - Ce n’est pas là la question !

- D’autres voix. - Parlez ! parlez !

M. Marcellis. - L’amendement que je propose me semble fondé sur les raisons suivantes :

Pour faire honneur à l’émission des bons du trésor, qui ne sont bons du trésor que de nom, et qui sont de véritables mandats à terme, je vois la nécessité d’avoir d’autres ressources que celles qu’offrent nos impôts ; je vois la nécessité d’avoir un emprunt, ou une nouvelle émission de bons du trésor, ou une aliénation d’immeubles. En un mot, il faut avoir l’une ou l’autre de ces ressources qu’il est difficile de choisir en ce moment.

C’est à raison de cette difficulté que je voudrais qu’une date fût fixée, afin qu’avertie par l’approche de l’échéance des bons du trésor, la chambre fût à même de prendre les mesures pour créer des ressources. Si vous n’établissez pas un terme fixe, vous présenterez au public une pièce bien moins propre à inspirer sa confiance ; les ressources n’étant pas faites, il s’attendra à une nouvelle émission. Vous direz que les bons du trésor peuvent être négociés ; c’est vrai ; mais il peut y avoir des pertes sur la négociation. Par ces motifs, je suis convaincu qu’il faut fixer un terme pour l’échéance.

M. le président. - L’amendement est-il appuyé ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Mettez-le aux voix.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Ce que vient de dire l’honorable préopinant prouve qu’en effet il n’était pas aux précédentes discussions, car son raisonnement s’applique aux ressources extraordinaires que la chambre sera dans le cas de voter incessamment. Les réflexions de l’orateur tombent à faux ; ses arguments trouveront leur place dans une autre discussion.

- L’amendement de M. Marcellis, mis aux voix, est rejeté.

L’article premier, avec les modifications qui y ont été faites dans la séance de ce jour, est mis aux voix et adopté.

Article 3 et article premier

M. le président. - L’amendement sur lequel nous avons à délibérer est celui qui autorise la cour des comptes, afin de faciliter le paiement des bons, à en viser pour 5 millions au-delà de ceux qui seront en circulation. En place de la rédaction adoptée, M. Lardinois propose celle-ci :

« Un mois avant la fin de l’échéance des bons du trésor, la cour des comptes visera, sur la demande du ministre des finances, de nouveaux bons, pour une somme égale à celle qui devra être acquittée dans cet intervalle de temps. »

M. Lardinois. - La disposition adoptée dit trop ou trop peu : elle dit trop, si la pensée de la chambre est de n’autoriser le gouvernement qu’à mettre en circulation 15 millions ; elle dit trop peu, si vous voulez concéder au gouvernement la facilité de faire des conversions de bons à l’époque de l’échéance. Lorsque cette disposition a été présentée, j’ai fait observer que le gouvernement pourrait avoir besoin d’être nanti de bons du trésor pour une somme plus forte que celle qui serait émise. En effet, si le gouvernement émet pour 7 millions de bons, et les capitalismes pourraient faire des propositions plus ou moins avantageuses selon les sommes, ce n’est pas avec 5 millions que vous pourrez renouveler ces 7 millions. Si le gouvernement n’émet qu’un million par mois de bons, il lui suffit d’une réserve d’un million ; une réserve de 5 millions est trop considérable, et il pourrait en abuser. Par mon amendement, la chambre des comptes, en tenant note des émissions, ne visera de nouveaux bons que ceux qui seront indispensablement nécessaires.

J’espère que le gouvernement ne négociera pas les bons avec les gros capitalistes seulement ; qu’il appellera les capitalistes des provinces à faire cette négociation. Si le gouvernement n’émet qu’un million de bons à la fois, la cour des comptes pourra n’avoir pas besoin de faire des renouvellements.

M. Dumortier. - J’approuve l’amendement de M. Lardinois ; cependant j’ai quelques observations à y faire. Je désirerais que dans l’amendement, on énonçât jusqu’à quelle somme la cour des comptes est autorisée à viser…

- Une voix. - Jusqu’à 15 millions !

M. Dumortier. - Si l’émission des bons du trésor repose sur l’encaisse du trésor, il n’y a pas d’encaisse de 15 millions. Je voudrais que les échéances ne fussent que de 5 millions à la fois.

M. Meeus. - J’appuie l’amendement de M. Lardinois. Si par des circonstances imprévues il convenait, dans l’intérêt du trésor, de négocier les bons à une seule et même échéance, d’après la disposition adoptée, la cour des comptes ne pouvant viser que 5 millions, il faudrait ajouter dix autres millions ; tandis qu’avec la proposition de M. Lardinois, la cour des comptes visera une somme égale à celle qui est émise un mois avant l’échéance.

Si les bons à échéance ne sont que le tiers de la somme totale, la cour des comptes n’est autorisée qu’à viser la somme qui sera à rembourser. Je le répète, la proposition de M. Lardinois peut parer à cet inconvénient. Si le gouvernement était obligé d’avoir recours à une maison étrangère, il faudrait en passer par les conditions qu’elle exigerait relativement à l’échéance ; une maison ne pourra prendre les bons qu’à trois mois, pour faire du papier de change qui serait payable à Paris ; ainsi il faudrait d’autres bons pour payer ceux qui seraient à échéance.

M. Verdussen. - Messieurs, je crois que la crainte du préopinant est très fondée. Par l’amendement de M. Lardinois, la cour des comptes pourra viser des bons, autant qu’il en faudra pour le mois suivant : je suppose qu’il en faille pour 15 millions ; le ministre aurait réellement à sa disposition 30 millions. Cette latitude me paraît trop grande.

M. Lardinois. - Je suppose que le gouvernement soit forcé d’émettre pour 15 millions de bons du trésor, comment peut-il couvrir ces 15 millions ? Par l’amendement, vous n’accordez au ministre que le nantissement pendant un mois de la somme qu’il a à payer, et il faut bien ce mois pour faire les négociations nécessaires.

M. de Brouckere. - Beaucoup de personnes, qui ont des connaissances en finances, appuient l’amendement ; si on prouve qu’il est nécessaire, je lui donnerai ma voix. M. Verdussen vous a fait observer que, par cet amendement, il y aurait telle circonstance où 30 millions de bons seraient en circulation…

- Des voix. - C’est évident.

M. de Brouckere. - Eh bien ! dans une séance antérieure, beaucoup de membres ont émis l’opinion qu’il ne fallait, dans aucun cas, autoriser le ministre à émettre une grande quantité de bons à la fois ; et c’est pour cela qu’on a restreint l’augmentation des bons à 5 millions.

Si le gouvernement émet, d’une seule fois, 15 millions, il faudra 15 millions pour renouveler ; mais rien n’empêche que les 15 millions soient à trois échéances différentes ; et alors, l’amendement est inutile. Je préfère restreindre l’émission à 20 millions au lieu de la porter à 30 millions.

M. le président. - Voici un sous-amendement de M. Verdussen : il demande que l’amendement de M. Lardinois soit terminé par ces mots : « pourvu que cette somme ne l’élève pas au-delà de 5 millions. »

M. d’Elhoungne. - L’amendement de M. Dumortier rentre dans celui que je voulais présenter. Le danger signalé par deux préopinants est réel. Il y a de l’inconvénient à investir le ministre de la faculté de négocier 15 millions de bons en une seule fois et à la même échéance. (Erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) Jamais on ne nous a annoncé, soit en assemblée générale, soit dans les sections, un besoin instantané aussi considérable. J’ai de la peine à croire à son existence, quand M. le ministre n’en a pas même fait supposer la possibilité. Je crois qu’il faut limiter l’émission. La limite, proposée par M. Dumortier, de 5 millions, doit tout concilier : d’une part, elle conserve l’amendement de M. Lardinois ; de l’autre, elle conserve la proposition de la commission.

M. Lardinois. - Je me rallie à la proposition de M. Dumortier. Cependant si on prévoyait une guerre, on pourrait négocier les 15 millions avec mon amendement ; avec l’amendement de M. Dumortier on ne le pourrait pas. C’est un désavantage réel.

M. Dumortier. - L’amendement de M. Lardinois, restreint dans de justes limites, rendra le travail de la cour des comptes plus facile. J’ai consulté les membres de cette cour sur les dispositions précédentes, et l’on m’a répondu qu’elles seraient d’une exécution pénible, pour ne pas dire impossible.

L’honorable M. Meeus annonce qu’on vendra les bons à une maison de Paris ; si on en négociait pour 15 millions à la fois, et à une échéance rapprochée, le trésor serait sous la domination de cette maison ; c’est ce que je veux éviter.

M. Meeus. - Si M. Lardinois retire son amendement, je le fais mien. J’appuie le chiffre de 15 millions, parce qu’il arrivera, comme je l’ai dit tout à l’heure que, dans certaines circonstances, le gouvernement ne pourra pas émettre ses bons à diverses échéances. Je pourrais citer plusieurs circonstances. Si le numéraire devient très rare, l’escompte de 6 p. c. et la commission de 1 p. c. ne satisferont pas les personnes qui garnissent leurs portefeuilles de ces valeurs, alors vous ne les placerez qu’aux maisons de commerce, qui en feront remise à terme. Dès lors vous ne pouvez plus choisir l’échéance ; cette échéance sera de trois mois, ou de deux mois. Si vous ne rendiez les bons du trésor échangeables que dans six mois, ils ne seraient plus des valeurs de change, ils seraient des valeurs de portefeuille, et on ne voudrait les prendre que deux ou trois mois avant l’échéance. Toutes les personnes qui sont dans l’habitude de suivre les opérations commerciales savent qu’il est impossible de négocier du papier sur Paris à une échéance plus longue que quatre-vingt-dix ou cent jours.

Quant aux inconvénients qui pourraient résulter de la faculté accordée au ministre des finances de disposer de 30 millions, il fait bien que vous l’admettiez. Si vous comptez sur quelque chose la responsabilité ministérielle, il faut laisser de la latitude aux directeurs de l’administration ; si vous la comptez pour rien, il faut refondre toute votre administration financière, car le ministre a bien d’autres valeurs à sa disposition. D’ailleurs, n’a-t-on pas mis dans la loi que le ministre rendra compte de toutes les opérations ? C’est sur le tableau des émissions que vous pourrez vous convaincre si le ministre a bien ou mal agi dans l’intérêt du pays. Soyez sans inquiétude, il ne prendra pas vos bons, il a d’autres valeurs à sa disposition : maintenant il pourrait puiser dans les caisses de l’Etat, et c’est ce que vous ne craignez pas.

M. Pirmez. - Je ne vois pas l’avantage qui peut résulter de ce que les bons seraient payables à Paris.

M. Meeus. - Si M. Pirmez avait assisté aux séances précédentes, il saurait pourquoi il faut que les bons soient payables à Paris ; il serait difficile d’en placer ici ; le placement à Paris sera plus avantageux : à trois mois on négocie à trois quart de perte, sept huitième au plus. Lorsque le gouvernement aura établi, par des mesures sages, ses opérations, et surtout s’il ne donne les bons qu’à des personnes qui pourraient en faire un usage convenable, et qui, au lieu de discréditer le papier, y ajouteront leur propre crédit, les bons seront recherchés. Quand notre crédit sera bien établi, nous pourrons faire comme à Paris où les bons se négocient à 2 p. c.

M. Dumortier. - On a retranché, dans l’article premier, les mots : « frais de toute espèce, » pour les remplacer par les mots : « frais de négociation ; » cependant, les frais de négociation vont augmenter si on rend les bons payables à Paris. Il faut qu’on s’explique à cet égard.

M. Lardinois. - Je voudrais bien savoir si les bons seront créés à ordre ou au porteur.

M. Osy. - A volonté.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il a toujours été convenu que les bons seraient au porteur ou à ordre selon le choix du preneur. Cette latitude, laissée au gouvernement, sera favorable au preneur et au ministre lui-même pour opérer le placement.

Quant aux frais, il est évident que du moment où on a écrit : « frais de toute nature, » aucune négociation ne peut dépasser la limite qui a été posée.

M. Verdussen. - Les mots « frais de négociation » sont conservés.

M. Dumortier. - Les frais de paiement ne sont pas des frais de négociation : on pourra nous faire pour 4 ou 5 p. c. de frais de remboursement. Les négociations se rattachent au placement et non au remboursement.

M. d’Elhoungne. - Il me semble que l’on n’a pas répondu à l’objection qui a été faite ; il ne fait pas que le gouvernement contracte l’obligation de payer le même jour 15 millions. Sans cela, le gouvernement serait dans la dépendance de quelque maison de commerce, (erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) il se mettrait à la discrétion de l’une ou l’autre compagnie ; et une fois enlacé dans le piège, il n’en sortirait que rançonné.

Quant aux frais de négociation, ainsi que l’honorable M. Dumortier en a fait l’observation, ils ne sont pas la même chose que les frais de remboursement. (Erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) Tout récemment encore, dans une négociation qui a été rompue, on avait proposé au gouvernement la stipulation de payer aux prêteurs : d’abord, une commission d’un demi p. c. à titre de frais de négociation de bons du trésor, à l’échéance moyenne de 4 mois, et, en outre, une autre indemnité d’un huitième p. c. pour le remboursement des bons du trésor à effectuer, avec l’argent du gouvernement, au domicile des prêteurs à Paris et a Bruxelles. Vous voyez donc, messieurs, que les frais de négociation des bons ne comprennent pas les frais stipulés parfois pour leur remboursement ; et, sous ce rapport-là, la remarque de M. Dumortier est de la plus grande justesse et mérite de fixer votre attention.

M. Legrelle. - Je crois que l’assemblée entend par frais de négociation les frais qui comprennent ceux de remboursement ; mais, pour ôter toute équivoque, il faut ajouter : « et frais de remboursement » de toute nature.

M. le président. - Il faut ajouter ce mot à l’article premier.

M. Meeus. - Messieurs, à force de vouloir trop bien faire nous ferons mal. Il faut laisser au gouvernement la faculté de négocier ses bons de la manière qui lui paraîtra la plus avantageuse. Il me semble que la rédaction que j’avais présentée avant-hier conciliait tout. En effet, en mettant, « les frais de toute nature, » cela disait assez.

Puisque j’ai la parole, je dois répondre à l’honorable M. d'Elhoungne. Il a dit que le gouvernement ne doit jamais escompter à une seule échéance fixe, parce qu’il se mettrait sous le couteau d’un grand capitaliste. Mais, si le gouvernement ne peut éviter cette fâcheuse nécessité, il vaut encore mieux qu’il soit à même d’obtenir un retard de trois mois que de manquer à ses engagements.

M. de Brouckere. - Mais je ne vois pas pourquoi nous ferions plus que le ministre ne nous demande lui-même. Puisqu’il ne demande qu’une facilité de renouvellement de bons pour cinq millions, pourquoi lui accorder cette facilité de 15 millions. ?

La rédaction suivante est mise aux voix et adoptée :

« Les frais de négociation de toute nature et de remboursement ne pourront dépasser le maximum de 1 p. c. par semestre. »

Article 3

On passe à l’article 3, auquel M. Lardinois a proposé un nouvel amendement, sous-amendé par M. Dumortier, et ainsi conçu :

« Un mois avant l’échéance des bons du trésor, la cour des comptes visera, sur la demande du ministre des finances, de nouveaux bons pour une somme égale à celle qui devra être acquittée dans cet intervalle, laquelle ne pourra excéder 5 millions. »

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il est bien entendu qu’il y a une somme de 5 millions excédant les 15 millions, mais qui ne pourra être émise qu’après le remboursement d’une somme égale.

M. Lardinois. - C’est une erreur. D’après l’amendement de M. Dumortier, vous pouvez émettre 5 millions de nouveaux bons ; mais quand il ne s’agira que d’un remboursement d’un million, vous ne pourrez faire qu’une émission égale, c’est-à-dire d’un million.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - C’est ainsi que je l’entends. (Aux voix ! aux voix !)

M. Meeus. - Il y a un amendement et un sous-amendement ; je demande la division.

- Le sous-amendement de M. Dumortier est mis aux voix et adopté en ces termes : « Laquelle ne pourra excéder 5 millions. »

L’amendement de M. Lardinois, ainsi sous-amendé, est également adopté.

Article 5

Un amendement introduit à l’article 5 et consistant dans les mots : « à la fin de l’exercice, » est de nouveau mis aux voix.

M. d’Elhoungne. - Je crois qu’il faut supprimer de l’article ces mots : « à la fin de l’exercice. » En effet, il est impossible de présenter les comptes d’une opération, qui n’est pas consommée. La destination des bons du trésor, c’est de donner les moyens au gouvernement de disposer, anticipativement à la rentrée des revenus, des ressources de l’Etat, pour faire face aux dépenses déjà exigibles. Il arrivera donc que, même après la fin de l’exercice, le ministre devra faire emploi le plus ordinairement, puisque les revenus ne seront recouvrés que 6 mois après l’exercice. Or, il sera impossible de rendre compte à la fin de l’exercice d’une négociation qui devra se continuer après.

M. Osy. - Je ne conçois pas le raisonnement de M. d'Elhoungne. D’après ce qu’il vient de vous dire, il semblerait qu’on ne pourrait jamais nous rendre compte de la négociation des bons du trésor, puisque c’est une dette flottante permanente. Mais peu importe qu’il y en ait encore en circulation ; le ministre pourra rendre compte à la fin de l’exercice.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je crois même que pendant tout le cours de l’année, il serait possible de soumettre à la chambre une situation des opérations, car si une partie de l’opération d’une année se prolongeait sur l’autre, il peut toujours être rendu compte pour le fait de l’année antérieure.

- L’amendement est définitivement adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

On procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet ainsi modifié.

Sur 78 votants, 72 se prononcent pour le projet, 2 contre. 4 se sont abstenus.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont voté pour : MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Cols, Coppens, Dautrebande, Davignon, de Bousies, de Brouckere, de Foere, de Haerne, Dellafaille, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Robiano de Borsbeek, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tiecken de Terhove, Dewitte, d’Hoffschmidt, d‘Huart, Dubois, Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon, Fleussu, Fortamps, Gendebien, Hye-Hoys, Jacques, Jonet, Jullien, de Laminne, Morel-Danheel, Olislagers, Osy, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Speelman, Teichmann, Ullens, Vandenhove, J. Vanderbelen, Verdussen, Veraghen, Vergauwen, Vuylsteke, Watlet et Zoude.

Ont voté contre : MM. de Robaulx et Seron.

Se sont abstenus : MM. d’Elhoungne, de Muelenaere, Marcellis et H. Vilain XIIII.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, si je me suis abstenu d’émettre un vote sur le projet de loi que vous venez d’adopter, ce n’est pas que j’en repousse le principe ; car je me mettrais, en le faisant, en contradiction avec moi-même puisque ce projet de la commission, ainsi que vous l’avez amendé, rentre tout à fait dans le système que j’ai eu l’honneur de vous développer comme rapporteur de la section centrale. Mais la mesure, je la regarde comme incomplète, aussi longtemps que vous n’aurez pas mis le trésor en état de suffire aux dépenses de l’année. Les discussions d’avant-hier ont suffisamment indiqué les mesures que réclame cet état de choses ; mais, messieurs, la commission n’est pas unanime et il y a indécision dans la chambre. Le résultat pourrait donc trahir mon attente, sans lequel je ne pourrais donner mon assentiment au projet. Je suis d’autant plus confirmé dans cette idée que je vois aujourd’hui dans le Moniteur la lettre d’un de nos honorables collègues, qui voudrait faire des bons du trésor un véritable papier-monnaie qui servirait à payer certains créanciers de l’Etat, alors que l’argent manquerait au trésor.

Quoique je connaisse les besoins urgents de la trésorerie, quoique j’approuve l’émission de bons du trésor, je ne pourrais jamais me résoudre à donner mon vote à une loi incomplète qui pourrait avoir pour résultat la création d’une espèce d’assignats, si la mesure complémentaire que la commission élabore en ce moment, reposait sur des principes que je repousse, ou subissait des modifications qui devraient produire des effets semblables. En attendant sa présentation, je m’abstiens de me prononcer sur une partie d’un plan dont je ne connais pas l’ensemble.

- M. de Muelenaere et M. H. Vilain XIIII se sont abstenus pour n’avoir pas assisté à la discussion.

M. Marcellis s’abstient par le même motif.

Proposition de loi réduisant les droits de barrière sur la route de Charleroy à Bruxelles

Développements et prise en considération

La suite de l’ordre du jour appelle les développements de la proposition de M. Pirmez.

L'honorable membreL’honorable membre présente ces développements (Nous les ferons connaître.)

La proposition est prise en considération et renvoyée à l’examen des sections.

Rapports sur des pétitions

L’ordre du jour appelle ensuite le rapport des pétitions.

M. d’Huart, rapporteur. -Plusieurs pétitions, couvertes d’un grand nombre de signatures, sont relatives au général Niellon.

Les conclusions de la commission sur ces diverses pétitions, tendant à l’ordre du jour, sont motivées sur les articles 29, 66 et 68 de la constitution.

L’article 29 porte : « Au Roi appartient le pouvoir exécutif, tels qu’il est réglé par la constitution.

Le premier paragraphe de l’article 66 est ainsi conçu : « Il confère les grades dans l’armée. »

La première partie de l’article 68 s’exprime de la manière suivante : « Le Roi commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent, en y joignant les communications convenables. »

En présence de textes aussi formels, il est évident que la chambre empiéterait sur les attributions du pouvoir exécutif, si elle donnait un appui quelconque aux réclamations qui tendraient à faire subit la moindre restriction à l’exercice des droits que confèrent au chef de l’Etat les articles de la constitution que je viens de citer.

Aussi, dans le cas présent, votre commission n’a pu se laisser influencer, ni par le grand nombre et la notabilité des signataires, ni par les motifs qui les ont dirigés.

M. Vergauwen. - Messieurs, c’est une chose étrange et vraiment déplorable de voir un gouvernement né d’hier se hâter de répudier les hommes auxquels il doit son existence, et de les voir sacrifiés à des exigences qui rappellent d’odieux souvenirs de dynastie et d’un ordre de choses dont leur énergie, leur bravoure nous ont délivrés. Je suis peu versé dans la connaissance de l’histoire d’Angleterre, et je ne sais si Monck, pour parvenir à son but, adopta le système d’épuration. Ici des voix amies de l’ordre se sont élevées à temps pour protester contre une injustice ; elles voulaient montrer au gouvernement dans quel abîme il se précipitait ; elles voulaient l’arrêter quand à peine il entra dans cette voie, qui un jour, s’il y persiste, doit être sa ruine. Mais ce fut bien vainement ; ces voix généreuses furent méconnues, de sages conseils furent méprisés, et l’intrigue, la calomnie se réjouirent encore de leur odieux triomphe.

Ces réflexions me sont suggérées par la mesure fatale contre laquelle vient réclamer cette masse de pétitionnaires des deux Flandres, et dont votre commission des pétitions n’a pas craint de repousser la plainte par un dédaigneux ordre du jour. Y a-t-elle bien réfléchi, messieurs, et vous convient-il de l’adopter sans regarder autour de vous ? Et moi aussi je voterai peut-être un jour dans ce sens, quand je verrai le gouvernement poursuivre ce système perfide de sacrifier tout homme que notre belle révolution a élevé pour son mérite et pour avoir servi sa patrie dans un temps où le courage seul se montrait. Je comprends qu’alors, en précipitant le mal, on pourra espérer d’avoir plus vote le remède.

Mais en sommes-nous déjà là, messieurs ? Les conclusions de la commission semblent le dire ; pour moi je ne le pense pas.

Et cependant, de quoi se plaignent les pétitionnaires, et quel remède cette chambre peut-elle apporter à leurs maux ?

Depuis que les Flandres ont secoué le joug étranger qui pesait sur toute la Belgique, ces belles provinces ont toujours été abandonnées à elles-mêmes ; à peine le nouveau gouvernement a-t-il daigné s’en occuper ; il ne fit rien pour leur défense, et, quoique des plus exposés, on négligea tout ce qui pouvait les préserver d’un désastre. Et quand d’indignes trahisons, dont je vois partout les complices, eurent excité l’esprit public, on vit un gouvernement faible, pour ne rien dire de plus, tout faire pour comprimer cet élan de patriotisme. Lorsque la guerre vint le surprendre, nos provinces virent fondre sur elles les maux que la barbarie de nos ennemis nous laissait redouter et dont l’impéritie de nos généraux ne sut pas nous garantir.

Des plaintes vives et générales s’élevèrent alors, et le gouvernement se décida enfin à confier le commandement de la division des Flandres à un homme dont nous admirons la bravoure, dont les armes avaient si souvent résisté à l’or de Guillaume, que la cupidité de tant d’autres en faveur aujourd’hui avait saisi avec empressement.

En peu de temps le général Niellon sut s’acquérir par de sages mesures l’estime, la confiance de tous les bons citoyens. Toute la ligne du côté de la Hollande fut armée et gardée avec soin, et nos ennemis du dehors comme ceux du dedans n’auraient pas tenté une attaque, où elle eût été réprimée à l’instant avec vigueur, avec sévérité. Aussi vit-on constamment régner la tranquillité, le bon ordre dans nos villes, et l’habitant de la campagne avait foi dans la sollicitude du gouvernement.

Il se trompait. Car voulez-vous savoir de quelle manière notre gouvernement entend protéger ou défendre deux provinces les plus belles comme les plus riches de la Belgique ? Vous allez l’apprendre. Vous croiriez peut-être, dans votre bon sens, qu’inonder vos terres, ravager pour de longues années votre propriété, sont des actes d’hostilité. Eh non : ce sont des actes de mauvais voisinage ; faites constater le dégât, vous dit un ministre ! Que si l’ennemi vous attaque, et si vous ne pouvez le repousser avec les faibles moyens qui sont à votre disposition, vous abandonnez le pays à l’ennemi, et quel ennemi ! Et vous vous replierez sur Alost. Ô sollicitude toute paternelle pour nos provinces !

Mais, messieurs, le général Niellon était un homme de la révolution, et quoique dans sa position il fût en état de rendre encore d’éminents services à la patrie, son éloignement fût résolu : par quels motifs ? Je l’ignore. Peut-être par économie ? Peut-être parce que le gouvernement n’aime plus la révolution ni les révolutionnaires ? C’est chose curieuse de voir combien franchement il manœuvra vers son but.

Sous le prétexte de fournir des troupes pour composer la garnison de Bruxelles, on retire de la ligne des Flandres le peu d’hommes qui s’y trouvaient encore ; tous les points de la frontière restent presque sans défense à la merci des Hollandais. Nous savons comment, dans le mois d’août 1831, ceux-ci surent profiter d’une bévue du même genre, en s’emparant presque sans coup férir du Capitalen-Dam et du Verlaet.

Le général Niellon, qui y vit son honneur intéressé, demanda sa disponibilité, ou qu’on lui fournît les moyens de se défendre, s’il était attaqué. On ne se pressa pas de satisfaire à une si juste réclamation, et le général réitéra bientôt sa demande. La chose était urgente, des avis certains parvenaient de la frontière, l’ennemi se disposait déjà à venir occuper l’écluse des Isabelles, et s’il l’avait tenté, c’en était fait du dernier moyen d’écoulement qui restait pour les eaux de cette partie de la Flandre. Alors le ministre se décida à renvoyer les bataillons qu’il avait si imprudemment retirés, et ces troupes, dégoûtées de marches et de contremarches qui leur semblaient absurdes, rentrèrent bientôt dans leurs anciennes positions.

Veuillez remarquer, messieurs, que ces manœuvres, que je voudrais pouvoir traiter de ridicules, avaient lieu, peu de jours après le départ des Français, alors que beaucoup de personnes, et le gouvernement lui-même, croyaient à une attaque de la part de la Hollande, et tandis qu’une partie des troupes qui forment la garnison de cette ville n’en étaient éloignées alors que d’une journée de marche. Il restait en Flandre une seule batterie d’artillerie, bien incomplète ; elle fut aussi retirée, et sans observation de la part du général.

Vous avez vu, messieurs, le ministre céder aux représentations du général Niellon ; il reconnaissait donc, lui-même, qu’elles étaient justes puisqu’il y avait égard. Le pays avait jeté un cri d’alarme quand on vit exécuter une mesure si inconcevable, mais ces alarmes étaient calmées ; pourquoi donc punissez-vous le général qui vous a fait revenir de votre erreur ? Mais, messieurs, c’était du machiavélisme ministériel ; on voulait lui faire demander son éloignement, et quel que fût le motif de sa demande, qu’on reconnut juste, qu’on s’empressa de le mettre en disponibilité.

Cette injustice excita la plus vive indignation dans tout le pays ; on y vit, à l’évidence, ce système d’éloigner tous les hommes de la révolution des emplois publics toujours continué. En même temps, on punissait le brave corps des sapeurs-pompiers de Gand de sa belle conduite dans l’attentat de Grégoire, quand tous les traîtres jouissent de gros traitements et de l’infamie de leurs actes ; et l’homme du 2 février est aussi menacé, car il faut que le sacrifice soit complet, que rien n’y manque ! On poussa même l’attention jusqu’à envoyer aux pompiers l’ordre du licenciement d’une partie du corps, ce jour même du 2 février, pendant que ces braves célébraient l’anniversaire de leur victoire, triomphe de la fidélité sur la plus infâme trahison !

Et l’on s’étonnerait que la consternation soit ans tous les cœurs patriotes ? Et vous repousseriez des plaintes si légitimes par un odieux ordre du jour ?

Messieurs, quand même le ministre aurait rencontré un homme digne de remplacer le général Niellon dans son commandement, êtes-vous sûr qu’il y obtienne la même confiance ? Cependant, en ce moment, on met un empressement digne de remarque à envoyer des bataillons, des batteries, des officiers supérieurs, là où auparavant on les jugeait inutiles, puisqu’on les refusait aux instances réitérées du général Niellon. Mais les Flamands sauront-ils bientôt quelle influence a placé dans leur pays si difficile à connaître ce nouveau commandant, tandis qu’un homme de la révolution qui y était encore se voit obligé, lui aussi, de demander son déplacement, soit qu’une bévue ait été faite, soit encore que, par une tactique aussi blâmable que la première, on ait cherché à le renvoyer ?

Messieurs, je pense qu’il est temps que le gouvernement ouvre les yeux et qu’il aperçoive l’abîme où il se laisse entraîner. Si vous voulez qu’il persiste, votez l’ordre du jour. Je vous l’ai déjà dit, je serai peut-être un jour du même avis ; mais aujourd’hui, dans l’intérêt du gouvernement comme dans celui de mon pays, je vous propose le renvoi de toutes ces pétitions au ministre de la guerre et le dépôt au bureau des renseignements. Je n’examine pas la question de savoir si la chambre peut renvoyer des pétitions sur un objet qui concerne le pouvoir exécutif ; dans le cas actuel, je pense qu’elle le peut, qu’elle le doit ; d’autres que moi vous expliqueront mieux la question de légalité.

Prenez-y garde, messieurs, les fausses mesures que le gouvernement vient d’adopter, et le mépris qu’il paraît avoir pour l’opinion publique ne tendent qu’à le dépopulariser de plus en plus ; le découragement et la consternation règnent dans les Flandres ; voulez-vous porter le mal à son comble, votez l’ordre du jour.

Pour moi, peu m’importe que la chambre ait ou n’ait pas le pouvoir d’ordonner le renvoi de ces pétitions au ministre de la guerre ; je ne connais, moi, qu’un droit en fait de pétitions, c’est celui qu’a le peuple belge de s’adresser à ses mandataires pour lui faire obtenir la justice, que sans eux il réclamerait en vain.

M. Desmet. - Messieurs, au lieu de l’ordre du jour que la commission propose pour repousser les pétitions de mes compatriotes des Flandres, je viens appuyer le double renvoi au ministre de la guerre et à votre bureau des renseignements.

Quoique nous étions persuadés que les odieuses machinations des partis anti-nationaux, de ces ennemis de la Belgique qui travaillent dans l’ombre pour détruire l’œuvre de sa révolution, n’auraient cessé, cependant nous avions nourri l’espoir que le gouvernement aurait donné plus d’écoute à ceux sur lesquels il pouvait se reposer qu’ils servaient fidèlement la cause belge qu’à ceux-là qui n’ont pas cessé de témoigner leur haine contre la révolution, le désir de la restauration et leur dévouement à la dynastie déchue.

Mais non ! Toutes nos remontrances ont été vaines, on n’en a pas plus tenu compte que des vœux spontanément émis par les habitants des provinces flamandes, et les ennemis du général Niellon, comme ceux de la révolution, ont triomphé ; le gouvernement a trouvé bon de les servir, et leur ardent désir de la mise en disponibilité du commandant des Flandres a été accompli.

Oui, l’arrêt est donné : le brave de septembre, celui qui a tant contribué pour secouer le joug des Nassau et les chasser de notre territoire, qui commandait aux journées de Berchem, d’Anvers et de Turnhout ; celui qui dans le commandement des Flandres a su, avec autant de courage et de prudence, tenir en bride la faction orangiste et garantir les frontières de la dévastation et des massacres des Hollandais ; celui qui avait le cœur des Flamands et en qui ils mettaient toute leur confiance, leur est ravi ; le point de ralliement leur est ôté ; il ne leur reste que la joie des orangistes qui font chorus pour chanter leur triomphe et la défaite des patriotes, avec cette poignée d’intrigants du lendemain, qui se vendent à tous les pouvoirs pour les exploiter à leur profit.

Mais quel est le grief qui ait pu présenter un motif pour provoquer cette mise en disponibilité ? Je crois qu’il sera difficile de le trouver, et que, pour en déterrer un, on aura dû forcer les choses et fabrique des dates. Et, quoi qu’en écrivît le Moniteur, que le général Niellon avait sollicité à trois reprises différentes son remplacement dans le commandant de la sixième division, qu’il avait persisté dans son projet, nonobstant les représentations du ministre de la guerre, et que le gouvernement n’avait fait que céder à ses instances en lui accordant sa mise en disponibilité ; dans ceci il n’y a qu’un seul fait qui est réel, c’est que de trop faibles moyens de défense, expressément laissés à sa disposition, lui avaient suscité des craintes sérieuses et amené une déclaration où il alla jusqu’à offrir le sacrifice de sa position particulière. Ces plaintes étaient fondées, et si l’on ne pouvait en contester la justice, pourquoi n’y a-t-il pas satisfait ? Il ne demandait rien pour lui, il ne s’attachait qu’à la défense du territoire laissé à sa surveillance, et n’avait à cœur que le bien-être de la Belgique, et ne visait qu’au moyen de la garantir d’une invasion et du vandalisme des Hollandais.

Le général demandait un renfort de troupes et de l’artillerie, qui lui était nécessaire pour la sûreté de son commandement ; si l’on tenait à le conserver, pourquoi repousser sa demande ? Il ne demandait pas mieux que de continuer à servir activement la révolution et de rester près d’une population dont il possédait toutes les sympathies et qui se reposait sur lui pour se garantir contre les tentatives continuelles de nos ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur… Mais on avait satisfait à ses instances, va-t-on nous dire ; deux bataillons avaient été rendus à la division dont ils avaient été détachés. Ce renfort était-il suffisant ? Nous nous abstenons de le décider ; mais ce que nous pouvons assurer, c’est que depuis ce moment, le général Niellon n’a plus insisté sur son remplacement ; et ce que nous croyons pouvoir assurer encore, c’est que le général se serait contenté de ce renfort et aurait attendu du temps et des circonstances l’entier accomplissement de ses désirs.

Le ministre a eu donc mauvaise grâce de nous débiter qu’il a eu la main forcée, quand il est constant que les difficultés étaient aplanies, qu’aucun motif ne nécessitait la mesure qu’il venait de prendre, et que tout au contraire lui faisait le devoir de la révoquer. L’opinion nationale avait manifesté ses vœux, des mandataires de la nation s’étaient entremis et avaient fait connaître au ministre de la guerre tous les dangers de la mesure qu’il allait prendre ; la presse patriotique avait mis en évidence le faux pas où l’on s’engageait ; néanmoins le ministre est demeuré sourd, inexorable ; l’arrêt a été prononcé, car on devait satisfaire la soif vengeresse de cet étranger qui s’est déclaré hautement l’ennemi juré de tous les hommes de la révolution belge, comme il a eu en horreur, en France, les hommes de juillet.

Puisse la nation et puisse son gouvernement ne pas déplorer trop tard les conséquences d’une telle faute qu’il était si facile de prévenir ! Et puissions-nous nous tromper quand nous craignons que le même sort soit réservé à tous les fonctionnaires qui ont servi sincèrement la cause révolutionnaire et qui la servent encore avec la même ardeur et le même désintéressement ! Mais, comme vous avez vu tomber Niellon, vous en verrez tomber d’autres ; chacun aura son tour, jusqu’au dernier. Déjà l’arrêt contre les pompiers est prononcé, et si je suis bien informé, il porte la même date du 2 février ; on ne pouvait choisir de meilleur jour pour compléter le triomphe de la faction orangiste.

Mais que signifient ces pétitions, s’écrie, à l’instar d’un Bagnano de Guillaume, un journal qui m’a étonné, de tierces personnes qui n’ont à exposer aucun grief personnel, et qui manquent absolument de données certaines pour asseoir un jugement ?... Comment ! les habitants des Flandres ne savent point ce qu’ils font quand ils pétitionnent en masse pour conserver un général en qui, dans les conjonctures périlleuses où ils se trouvent continuellement, ils mettaient toute leur confiance ? Comment ! le tiers de la nation ne saurait ce qu’il fait quand il désire de conserver, pour chef militaire, une personne sûre, et qu’il veut éviter de recevoir encore quelques-uns de ces hommes qui ont, à chaque occasion, trahi la cause de la révolution ?

Il faut laisser faire, dit le même journal ; c’est dans l’intérêt de la stabilité de l’ordre actuel des choses. Ah ! si nous avions laissé faire pendant le temps de la régence, quand les hommes attachés même au pouvoir, complotaient contre le congrès national un autre 13 brumaire, et probablement auraient massacré tous ceux des membres qui auraient fait quelque résistance ! Ah, si nous avions laissé faire quand, le 2 février, des chefs de notre armée avaient, avec la bande de Grégoire, porté le meurtre et le feu dans Gand !

Malheureusement nous n’avons que trop laissé faire.

Si, comme les Hollandais, nos gouvernants eussent montré plus d’énergie et de courage, vous n’eussiez pas eu les 18 articles et ses annexes, les 24 articles ne vous eussent pas été présentés, et vous n’eussiez pas eu la lâcheté de trafiquer vos frères du Luxembourg et du Limbourg ; vous eussiez déjà été consolidés, et à présent, Dieu sait quand vous le serez ! On aura soin de tirer parti de votre lâcheté, et vous subirez encore des concessions, toutefois si on veut vous laisser ce que vous êtes. Cependant, ne croyez pas, messieurs, que je veuille empiéter sur le pouvoir ; loin de moi cette idée, j’en connais toute la portée.

Personne plus que moi n’a de respect pour le pouvoir constitutionnel ; et qu’on ne s’inquiète point que jamais nous ne toucherons à l’arche sainte du pacte fondamental. Plaise à Dieu que tout le monde soit imbu du même esprit ! Jamais on ne devrait crainte la moindre petite modification à cet acte pur de la révolution.

Je sais qu’il n’est pas à la législature de s’immiscer dans les attributions du pouvoir, et que c’est au chef du gouvernement seul qu’il appartient de mettre les généraux de l’armée en disponibilité ; mais quand une grande partie de la nation se plaint des actes du gouvernement et fait des vœux pour garantir l’œuvre révolutionnaire, ne serait-il point permis à leurs mandataires de les apprécier et de demander au ministre explication des actes dénoncés ? Certainement que oui ; et si nous n’avons pas le pouvoir d’entrer dans les affaires gouvernementales, nous avons du moins la faculté de refuser les subsides, quand on s’aperçoit que le gouvernement travaille contre les intérêts de la nation. Pourrions-nous, représentants des provinces de Flandre, voter un budget de 73 millions pour l’armée, quand on voit que ce ministre fait si peu de cas et tient si peu compte des réclamations fondées qui lui ont été adressées par les habitants de ces provinces ? Pourrions-nous voter une somme de 53,000 francs pour celui qui dirige toute notre armée, et qui certes n’est pas l’homme de la Belgique révolutionnée ? La réponse est claire, et c’est pour ces motifs que je repousse l’ordre du jour et propose le double renvoi au ministre de la guerre et au bureau des renseignements.

Je me flatte que la chambre ne se refusera pas à cette demande ; l’objet est assez important pour que le gouvernement et la représentation le prennent en considération, surtout quand on est persuadé que nos affaires sont loin d’être terminées et notre indépendance consolidée ; car, qui peut dire qu’il n’est pas à craindre qu’en voyant l’Angleterre occupée chez elle et le gouvernement français toujours renfermé dans ses ménagements méticuleux, les absolutistes de la sainte-alliance ne s’en autorisent pour prolonger par des chicanes le statu quo de nos questions politiques ? Qu’ils éternisent les discussions de la navigation de l’Escaut et de notre querelle avec la Hollande ; que s’il survient en Orient des complications faciles à prévoir, elles ne soient tranchées d’une manière fatale à la Belgique, et nous réimposer le statu quo de 1815 ? Car vous ne pouvez pas ignorer, messieurs, que cette arrière-pensée n’a pas encore quitté les dominateurs du Nord ; pourriez-vous donc trouver utile de repousser les pétitions de toute une population qui montre tant de constance à la cause belge, et de répudier les hommes de septembre pour mettre toute votre confiance dans des étrangers qui dans leur pays même n’ont pas celle des patriotes, ou dans des chefs militaires de votre pays qui n’ont donné aucune preuve de patriotisme ou d’attachement à la révolution ? Je ne le pense pas !

M. Levae. - Messieurs, quelque chose d’étrange, d’incompréhensible, se manifeste en ce moment dans la marche du gouvernement : on serait presque tenté de croire qu’une main ennemie le pousse et le dirige à son insu vers un précipice.

D’accord avec une régence orangiste, on a laissé morceler le corps des pompiers de Gand ; et, par une amère dérision, quel jour a-t-on choisi pour annoncer la mise à exécution de cette mesure réprouvée ? Précisément le jour anniversaire du glorieux combat que ces braves soutinrent contre les troupes égarées du traître Grégoire, et qu’ils sauvèrent par leur courage la ville de Gand, peut-être même tout le pays.

Le patriote colonel Coitin, qui a si puissamment contribué à déjouer la conspiration d’Anvers, est réduit à demander sa démission.

Le gouverneur de la Flandre est menacé à son tour, sans doute pour le punir d’avoir résisté, au péril de sa vie, aux sommations des rebelles qui avaient envahi la ville et le tenaient prisonnier dans son hôtel.

Le général Malherbe, enfin, se prépare également, assure-t-on de toutes parts, à demander sa retraite, pour se soustraire aux dégoûts dont on l’abreuve.

Toutes ces mutations qui ont jeté l’étonnement et la consternation dans deux de nos plus belles provinces ; dans l’âme de tous les patriotes sincères, avaient été précédées d’un acte qui n’en était que le prélude ; je veux parler de la mise en disponibilité du général Niellon.

J’éviterai, messieurs, dans l’examen de la grave question qui vous occupe, toute parole irritante ; je ne veux point remuer les passions, mais seulement défendre les principes, et pour cela c’est à votre raison seule que je m’adresse.

D’abord je reconnais au gouvernement le droit de retirer à volonté les commandements qu’il a confiés aux officiers de notre armée.

Je reconnais qu’il doit pouvoir user de ce droit librement et de la manière la plus absolue.

Je reconnais enfin que la constitution ne nous autorise nullement à nous mêler de la manière dont le monarque confère les grades dans l’armée, et bien moins encore à le contraindre d’employer tel officier dont il ne voudrait plus se servir.

Vous le voyez, messieurs, je fais de larges concessions aux partisans de l’ordre du jour.

Mais les pétitionnaires vous supplient-ils de sortir de vos attributions, de porter atteinte aux droits du Roi ? Nullement.

En effet, que vous demandent-ils au fond ?

Une intervention officieuse de la chambre auprès du gouvernement en faveur d’un général qui a bien mérité du pays et qui jouit de toute leur confiance.

Comment, messieurs, sans sortir de vos attributions constitutionnelles, pouvez-vous satisfaire au vœu des pétitionnaires ?

En faisant usage du droit que vous donne l’article 43 de notre nouveau pacte social, et auquel il n’a posé aucune limite.

Tous les jours il vous arrive d’ordonner le renvoi au ministère de pétitions dans lesquelles des citoyens se plaignent de telle ou telle injustice, de telle ou telle mesure, vous ne croyez pas alors sortir des limites où la constitution vous renferme ; vous ne croyez pas dicter des lois au pouvoir exécutif, et aujourd’hui qu’une foule de citoyens se plaignent d’une mesure impopulaire, vous craindriez d’empiéter sur le domaine du pouvoir exécutif, et vous flétririez des représentations patriotiques, désintéressées, d’un ordre du jour bien sec et bien dédaigneux.

Mais ceux qui vous conseillent ce parti extrême, ont-ils bien réfléchi combien il est dangereux ?

Naguère une foule de communes demanda aux chambres le redressement des griefs ; alors j’entendis dans cette même enceinte la majorité invoquer l’ordre du jour, parce que toutes les pétitions étaient attentatoires aux droits du prince ; alors aussi on alla jusqu’à supputer le nombre et la valeur des signatures. Un simple dépôt au greffe, vaste catacombe de pétitions, fut prononcé.

Nous savons tout ce qui advint quelques mois après.

Certes, messieurs, je suis loin de croire, si vous prononciez l’ordre du jour, qu’il entraînerait de déplorables conséquences ; je veux seulement vous montrer, messieurs, que des ordres du jour ne justifient pas le gouvernement contre les plaintes du peuple, qu’il est toujours dangereux de les méconnaître, et qu’il est d’une sage politique d’y satisfaire autant que possible, parce que les murmures, même lorsqu’ils sont peu fondés sont toujours contagieux.

Remarquez bien, d’ailleurs, qu’un renvoi au ministère ne préjuge rien : en l’ordonnant, vous n’obligez pas le gouvernement de faire droit aux pétitions, de revenir sur ses décisions ; vous lui laissez toute liberté de se prononcer comme il le juge convenable.

Ainsi, messieurs, c’est une erreur de prétendre que le renvoi, que n’est autre chose qu’une simple recommandation de vouloir bien examiner l’affaire, soit inconstitutionnel ou contraire aux droits du Roi ; je ne le croirai que lorsqu’on m’aura convaincu que le gouvernement veut se rendre impopulaire en dédaignant la voix publique, et que le Roi ne veut plus que la vérité approche du trône, et cette conviction-là, messieurs, j’espère bien, pour le bonheur de ma patrie, ne l’acquérir jamais.

Je vais examiner maintenant si la chambre doit se borner à ordonner le renvoi pur et simple des pétitions, ou si elle doit en outre exiger des explications du ministre de la guerre.

Si nous devons en croire le bruit public, le général Niellon serait victime d’une intrigue que je m’abstiens de qualifier ; on lui aurait enlevé, au risque de compromettre la sûreté des Flandres, toutes les troupes dont il pouvait disposer au moment même où le gouvernement redoutait une agression des Hollandais ; pour ne pas se trouver seul en face de l’ennemi en cas d’attaque, le général aurait réclamé ses troupes, ou, si on les lui refusait, sa démission, et l’on aurait profité de cette demande conditionnelle pour le mettre en disponibilité, alors même qu’on avait renvoyé les troupes, et par conséquent reconnu la légitimité de ses plaintes.

Certes, messieurs, de pareilles accusations sont graves ; elles déconsidèrent le ministère ; elles jettent le découragement dans l’âme de tous ceux qui ont le mieux servi la cause du pays ; et, car il faut dire tout, elles font croire que l’on a l’intention de se débarrasser successivement de tous ceux qui ne renient ni la révolution ni ses principes.

Le gouvernement ne saurait, sans de graves inconvénients, laisser planer sur lui de semblables soupçons : ils finiraient tôt ou tard pour lui porter une atteinte funeste, car un pouvoir suspect est un pouvoir perdu.

Il est donc de la dignité et de l’intérêt du ministère de s’expliquer.

Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il ne peut descendre au rôle d’accusé.

Je répondrais que dire le motif de ses résolutions, de ses actes, n’est pas jouer le rôle d’accusé : c’est pour le ministère, dans un Etat constitutionnel, se soumettre aux conditions de son existence ; c’est mettre en pratique la théorie de la responsabilité.

Et d’ailleurs le plus solide de tout gouvernement n’est-ce pas l’opinion publique ? Ne doit-il pas toujours chercher à se la concilier ?

Eh bien, je vous le demande, comment se rendra-t-il cette opinion publique favorable, s’il en brave les reproches, même non fondés ? S’il ne répond aux accusations que par le silence ? Ce silence ne paraîtrait-il pas celui du coupable qui reconnaît ses torts ? Et les ennemis du gouvernement, qui ne perdent aucune occasion de le dénigrer, ne profiteront-ils pas de la fausse position dans laquelle il se serait volontairement placé pour l’accabler d’amers reproches ?

J’ai demandé que le ministère s’expliquât dans l’intérêt bien entendu de sa dignité ; je le demande pareillement dans l’intérêt du général Niellon.

Car, messieurs, on a été jusqu’à insinuer que sa disgrâce était le résultat de motifs secrets, et que le silence du gouvernement est une preuve de ménagement.

Je proteste hautement contre de semblables insinuations qui tuent une réputation sans rien dire ; il est du devoir du ministère de les repousser ou de les conformer par des explications claires, précises.

Si le général Niellon a commis quelque faute, qu’on le dise tout haut, qu’on articule franchement les griefs au lieu de les dissimuler, et alors toutes les plaintes cesseront.

Si la réputation du général Niellon a résisté à l’épreuve de la malheureuse campagne du mois d’août 1831, s’il a sauvé une grande partie de notre artillerie qu’on avait abandonnée à l’ennemi, s’il a réprimé les perfides menées des orangistes dans les deux Flandres, si enfin il vous a bien servis, trop bien servis peut-être sans donner aucun sujet de plainte comme soldat et comme homme privé, ministres du Roi, expliquez-vous encore par reconnaissance.

Encore une observation, et je finis.

On a dit que le gouvernement ne peut, sans s’abdiquer lui-même, céder aux désirs des pétitionnaires. Malheur aux gouvernements qui méconnaissent cette voix du peuple que l’orateur romain appelait la voix de Dieu ! Malheur au gouvernement qui croirait son existence compromise parce qu’il reviendrait avec franchise de ses erreurs !

En me fondant sur les articles 21 et 43 de la constitution, je voterai pour le renvoi des pétitions au ministre de la guerre avec demande d’explications.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je ne connais rien de plus propre à décrier un droit, quelque respectable qu’il soit d’ailleurs, que l’abus qu’on peut en faire. Je ne connais rien de plus propre à décrier le droit de pétition en lui-même que la manière dont il est exercé et l’appui qu’il reçoit en cette occurrence.

Une commission nommée par la majorité de vos sections, et que l’on peut considérer, pour cette spécialité, comme représentant la chambre, cette commission, après un examen approfondi des détails dans lesquels sont entrés les pétitionnaires, des motifs sur lesquels ils se sont appuyés et des dispositions constitutionnelles qui devaient servir de règle à l’appréciation de leur requête, est venue vous proposer, à l’unanimité, l’ordre du jour, en acquit du serment que chacun de ses membres a prêté dans cette enceinte d’observer la constitution, non pas dans son texte seulement, mais aussi dans son esprit. On qualifie de dédaigneux ordre du jour (expression qui a fait fortune puisqu’elle a trouvé place dans trois discours successifs) la proposition toute constitutionnelle que vous a faite cette commission.

Quoi ! messieurs, une déclaration d’incompétence, la protestation de son respect pour les principes constitutionnels est qualifiée de « dédaigneux ordre du jour » ! La déclaration de son incompétence est le respect pour la loi, le respect pour soi-même. Voilà dans quel sens il faut envisager la proposition de la commission. C’est purement et simplement une déclaration d’incompétence constitutionnelle qui ne doit blesser personne.

Passant de ces principes généraux, que je rougis presque de vous rappeler, tant ils vous sont familiers, à quelques-unes des considérations de fait exposées par les préopinants, je dirai qu’on a accusé le gouvernement d’un système qui, quant à nous et à M. le ministre de la guerre, est complétement démenti par les faits. Ces nombreux officiers de volontaires, pour lesquels de vives réclamations se sont élevées dans cette enceinte, n’ont-ils pas été la plupart, sinon tous, replacés dans les cadres de l’armée de réserve ? N’avez-vous pas vu le gouvernement, lorsque l’occasion s’en est présentée, non seulement placer des hommes de la révolution, mais aller plus loin qu’on ne l’avait encore faire jusqu’ici, et frapper des ennemis de la révolution. Ce double système est attesté par des faits récents et incontestables.

- Une voix. - Pas pour le département de la guerre.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - D’honorables préopinants nous ont fait aussi le détail de toutes les évolutions, de tous les mouvements des bataillons qui ont, disent-ils, amené la détermination du général Niellon. En fait de stratégie, quelque respectable que puisse être l’autorité de MM. Vergauwen et Desmet, je déclare préférer celle du ministre de la guerre et du major-général de l’armée. J’avoue cependant ici mon incompétence complète quant aux détails et à la convenance de tous les mouvements militaires qui ont été décrits par ces deux honorables députés.

Le ministère, dit-on, marche à sa perte ! Au moment même où il a connaissance d’une agression imminente sur une partie de notre territoire, il le dégarnit de troupes, il ouvre ce territoire à l’ennemi. Cette agression imminente est cependant restée dans le domaine des suppositions. Mais le ministère, dit-on, fait pleuvoir aujourd’hui des bataillons dans les Flandres. Messieurs, il y encore un homme sur l’honneur et le courage duquel, j’ose le dire, il n’y a qu’une opinion. Et c’est là du machiavélisme ! et le gouvernement marche à sa perte ! Je voudrais bien qu’on trouvât moyen de concilier des assertions si contradictoires.

Du reste, je crois que c’est faire preuve de concession que d’entrer dans de semblables détails. Le gouvernement a droit, à cet égard, de se renfermer dans le silence le plus absolu. Il a droit de ne pas répondre, comme il ne répondra pas, aux interpellations qu’on lui fait sur les motifs de la décision qu’il a prise relativement au général Niellon.

A travers plusieurs hérésies constitutionnelles, on a entrevu cependant un principe dont nous ne contestons pas la vérité ; c’est qu’il ne suffit pas au gouvernement d’exciper de son droit constitutionnel, de son droit légal pour repousser tous les reproches ; il n’a pas tout dit, il n’a pas tout fait quand il déclare qu’il a agi de telle manière parce que c’est son droit. Le gouvernement a à rendre compte au pays et aux chambres de l’usage qu’il fait des pouvoirs constitutionnels ou légaux dont il est dépositaire. Aussi je ne m’étonnerais pas qu’à l’occasion d’une question de subsides, de la discussion du budget, les faits vrai ou faux allégués par les préopinants ne fussent pour ces honorables orateurs de légitimes motifs pour émettre un vote négatif sur le budget.

Voilà comment les chambres peuvent, sans mettre l’anarchie dans l’Etat, et en usant du droit qui leur est conféré par la loi fondamentale, entraver la marche d’un ministère, si elles ont à se plaindre de son administration. Ainsi, au pouvoir exécutif appartient le droit de conférer les grades, de nommer aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, de commander les forces de terre et de mer, de faire grâce, etc. Ce sont là des prérogatives inattaquables. Mais du jour où les représentants du pays trouvent que le pouvoir exécutif en a mal usé, ils peuvent lui refuser les subsides en disant : « Bien que votre prérogative soit inattaquable, vous en avez fait abus au préjudice du pays et contre l’équité. » Et alors arrive légitimement la série de tous les griefs et le vote qui en poursuit la réparation.

Mais convertir ce contrôle, que personne ne conteste, en une intervention directe et positive, en voulant, par un circuit dont il est impossible de méconnaître le caractère, absorber la prérogative royale, c’est de l’anarchie, je le répète ; c’est quelquefois de la tyrannie, bien qu’elle ne vienne pas du pouvoir exécutif, car si le despotisme peut s’asseoir sur le trône, il peut aussi siéger au sein d’une convention nationale.

L’administration a-t-elle mal usé de la prérogative que la constitution donne au pouvoir exécutif ? Vous pouvez anéantir cette administration par un refus du budget. La chute du ministère ne vous suffit-elle pas ? Vous avez le droit de le mettre en accusation ? Mais, messieurs, si à côté de ce droit que personne ne dénie aux chambres, vous voulez arriver à une intervention directe et positive dans l’exercice de la prérogative royale, il était certes inutile de constituer une royauté. La présidence d’une république ne serait pas même possible à ces conditions.

Vous avez droit de faire tomber le ministère par tous les moyens qui sont en votre possession ; vous avez droit de l’accuser ; mais que penserait-on de la chambre si, ne s’arrêtant pas à cette limite, elle allait jusqu’à présenter des candidats au Roi pour composer un nouveau ministère ? Eh bien, ce que vous feriez là pour les ministres, c’est précisément ce qu’on vous propose aujourd’hui à l’égard des chefs de l’armée.

Votre commission vous l’a sagement représenté ; à la vue des articles 29, 66 et 68 de la constitution, il est impossible de prendre et d’appuyer d’autres conclusions que celles qu’elle vous a soumises dans cette séance. S’il en était autrement, pourquoi l’intervention de la chambre s’arrêterait-elle au seul cas qui résulte des pétitions que vous discutez ? On ne pourrait pas déplacer un seul fonctionnaire public, pas un gouverneur, pas un commissaire de district, pas un officier du parquet, sans qu’à l’instant même il ne vous vînt des pétitions qu’il est toujours facile d’obtenir pour réclamer contre la révocation de tel gouverneur, de tel commissaire de district, de tel officier du parquet, et l’on sommerait probablement le gouvernement, comme l’a fait M. Levae, de venir donner les motifs des mesures qu’il aurait prises dans l’exercice régulier de sa prérogative.

Je me hâte de déclarer qu’on ne doit faire aucune application de ce que je vais dire au cas actuel. Le gouvernement pourrait vouloir garder le silence le plus absolu pour l’honneur d’une personne en faveur de laquelle on réclamerait, pour l’honneur de sa famille ; et vous croiriez l’avoir servie en forçant le gouvernement à décrier l’homme qu’il aurait frappé ! Je répète que je n’ai pas entendu faire la moindre application de ces idées au cas actuel ; la chambre sait que je n’aime pas les personnalités, et que c’est toujours malgré moi que je me laisse entraîner sur un pareil terrain.

Mais, objecte-t-on, on ne force pas le gouvernement. Ce n’est là qu’une simple supplique qu’on lui adresse. Vraiment vous êtes bien soucieux de la dignité de la chambre pour lui faire jouer le rôle de suppliante. La chambre ne supplie pas ; elle fait des lois, elle accuse, mais elle ne s’abaisse devant personne. Elle peut avoir à côté d’elle des pouvoirs égaux, mais elle n’a pas de supérieurs.

Si la chambre donne son appui à des pétitions, c’est d’ordinaire pour les ministres un devoir d’y faire droit, ou peut-être de se retirer. Là il peut y avoir conflit évident. Vous ne forcez pas le gouvernement ! Non, sans doute, vous n’envoyez pas une escouade de gendarmerie pour le forcer à signer une réintégration d’officier ou de fonctionnaire. Mais ne voyez-vous pas qu’il y a là injonction, contrainte, bien qu’elle ne soit pas matérielle ? Je m’étonne qu’un honorable préopinant, qui s’est présenté ici comme ayant étudié à fond tous les principes qui devaient dominer la matière, soit tombé dans de telles erreurs.

Je demande, si un tel raisonnement prévaut, si un fonctionnaire renvoyé par le gouvernement trouve de l’appui dans la chambre, et qu’elle en fasse son candidat auprès de la couronne, alors que le gouvernement déclarerait qu’il ne peut plus se servir de ce fonctionnaire ; je demande ce que deviendra la subordination administrative, ce que devient la responsabilité ministérielle ?

Et pour l’armée, messieurs, avez-vous prévu les conséquences d’un pareil système ? Quoi ! il suffirait qu’un officier fût en dissentiment avec son chef sur tels mouvements, telles dispositions, dont il n’a pas, dont il ne doit pas avoir le secret, pour que son supérieur, fût-ce le commandant en chef, ne pût faire cesser le conflit sans qu’à l’instant même l’inférieur récalcitrant ne rencontrât dans cette chambre une prime d’insubordination par l’appui qu’elle accorderait à ses réclamations, par l’anathème qu’elle lancerait contre le gouvernement, pour avoir fait, sous sa responsabilité, usage de son droit !

Savez-vous le secret des mouvements de l’armée ? Savez-vous s’ils n’ont pas été provoqués par des renseignements sur les mouvements de l’ennemi, par la prévision d’une reprise éventuelle d’hostilités ? Faudra-t-il mettre dans la confidence de ces faits tous les instruments du pouvoir exécutif, tous les subordonnés depuis le général jusqu’au sous-lieutenant ? Car je demande où l’on fixera la limite ? Ce qu’on vous propose, c’est la mort de toute subordination militaire et de toute responsabilité. Aujourd’hui c’est pour un général qu’on réclame ; demain ce sera pour un colonel et ainsi successivement ; on descendra jusqu’aux grades inférieurs de l’armée, car il n’y aura pas de raison pour refuser d’accueillir la réclamation du chef le plus infime. Il en résulterait, messieurs, que dans le langage familier du soldat, en présence de pareils actes, lorsqu’on lui parlerait de son chef, il dirait : De qui voulez-vous parler ? Est-ce du Roi ? Mais ce n’est pas notre chef ; notre chef c’est la chambre des représentants : le Roi n’en est que le très humble serviteur. (Mouvement.)

Voulez-vous que nous entrions dans une hypothèse sur laquelle il est plus facile de parler froidement, parce qu’elle ne concerne pas le pouvoir exécutif ? L’article 99 de la constitution accorde aux cours d’appel et aux conseils provinciaux la faculté de présenter les conseillers de ces cours à la nomination du Roi. Je suppose qu’un candidat fût écarté par une cour ou un conseil provincial. Eh bien ! Pourrait-il venir s’adresser à la chambre, et lui dire : Je suis un excellent patriote, un excellent magistrat ; mais on m’a écarté pour mes opinions ; la cour n’a pas voulu me présenter ; le conseil provincial n’a pas voulu de moi. Que répondrait la chambre ? Qu’elle est incompétente, et qu’il faut respecter le droit conféré aux cours d’appel et aux conseils provinciaux par l’article 99 de la loi fondamentale. Certes, on ne dirait pas alors que c’est un dédaigneux ordre du jour.

Si par hasard, à son tour, la couronne venait vous présenter des listes de candidats pour la cour des comptes, si les ministres venaient appuyer ces candidats auprès de la chambre par un acte solennel, que ferait la chambre ? La chambre passerait immédiatement à l’ordre du jour dès que cette tentative d’usurpation se serait produite.

Eh bien ! Ce que vous feriez pour vous-mêmes, vous le ferez aussi pour le pouvoir royal, dont il est dans votre devoir comme dans vos intentions de tenir sauves les prérogatives, que, pour maintenir l’équilibre des pouvoirs, la constitution lui a formellement assignées.

C’est, messieurs, une hérésie bien singulière que de croire que plus le pouvoir exécutif est faible, plus il y a de garantie pour la liberté d’un pays. Non, un pays peut être opprimé par l’omnipotence législative aussi bien que par l’omnipotence du pouvoir royal.

Le pouvoir législatif, certes, est en réalité le pouvoir prépondérant par le droit qu’il a de refuser les subsides et d’arrêter la marche de l’administration. Et ce droit, il n’en rend compte qu’à lui-même, il l’exerce sans responsabilité légale.

De son côté, le pouvoir judiciaire est aussi omnipotent dans la sphère de ses attributions, et on ne craint pas de le faire fort, quoiqu’il n’ait non plus qu’une responsabilité morale.

Et, chose singulière ! le pouvoir exécutif, qui est responsable, qui est plus facile à entraver dans sa marche, à paralyser dans son action, sera tenu en suspicion continuelle, de manière qu’il ne puisse faire un pas dans la sphère de ses attributions sans qu’on cherche à en circonscrire encore le cercle ! Je ne crains pas de le dire, la république même serait impossible avec de tels principes, et si l’on faisait, à l’égard d’un président de république, ce que l’on veut faire à l’égard du pouvoir royal, ni république ni monarchie constitutionnelle ne pourraient marcher.

Messieurs, en Angleterre, en France, en Belgique, depuis juillet et septembre 1830, ce n’est plus la liberté qui est menacée, c’est l’ordre. Eh bien ! l’ordre, sans un pouvoir fort, respecté, libre de ses mouvements légaux, investi de la confiance publique, environné de la dignité qui lui convient, l’ordre est impossible. Il y a une corrélation intime entre la force de tous les pouvoirs. Si vous laissez affaiblir le pouvoir royal, qui vous dit que le pouvoir législatif, un moment triomphateur, ne sera pas bientôt ébranlé à son tour ? Le pouvoir judiciaire lui-même a peine à se rasseoir des dernières commotions politiques ; on l’a vu souvent depuis deux ans insulté jusque dans son sanctuaire. Pensez-y bien, messieurs, tous les pouvoirs doivent s’entraider, se maintenir intacts dans l’opinion ; sans cela, il y a bientôt péril pour l’ordre, sans lequel la liberté elle-même fait place à l’anarchie pour retourner par une pente rapide au despotisme.

M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, en appuyant l’ordre du jour proposé par votre commission des pétitions, je puise ma conviction, non seulement dans la constitution, dont les termes me semblent précis, mais encore dans son esprit qui, en attribuant au pouvoir exécutif la nomination aux emplois civils et militaires, a voulu laisser peser sur le ministère la responsabilité des conséquences, souvent si funestes, qu’amènent de mauvais choix.

En agir autrement, surtout dans tout ce qui a rapport à l’armée, influencer le gouvernement, le diriger dans la nomination des chefs de corps, ce serait vouloir que la chambre devînt solidaire des fautes du pouvoir exécutif ; et si, ce qu’à Dieu ne plaise, de nouveaux désastres venaient encore affliger la patrie, on ne manquerait pas de nous en attribuer une bonne partie ; vous n’avez pas oublié sans doute les inculpations dont on a cherché à charger le congrès après les tristes événements de la campagne du mois d’août 1831.

Mû par ces principes constitutionnels, je rejette bien loin de nous toute idée de nous associer à un système qui aurait pour but de méconnaître d’anciens services ou de les payer par de l’ingratitude, et de priver de l’appui énergique des hommes de la révolution un trône formé des débris de nos barricades.

Que le pouvoir ait donc eu tort ou raison en retirant au général Niellon le commandement de la province de la Flandre orientale, c’est ce que je ne dois ni ne veux examiner ; je serais d’ailleurs un très mauvais juge des talents militaires. Pour être juste, je dirai que le général Niellon à un mérite à mes yeux, c’est celui d’être resté fidèle à notre cause, quand d’autres chefs, qui comme lui devaient tout à la révolution, la trahissait ; quand d’autres paraissaient hésiter, incertains qu’ils étaient du drapeau auquel ils voulaient se rallier.

Où en serions-nous si nous nous établissions ici les redresseurs des torts réels ou supposés des ministres ? Ce serait là, croyez-moi, une longue et pénible besogne ; et alors vous pourriez vous plaindre de la durée de de vos sessions, car, vous le savez, chaque place donnée fait naître les réclamations de l’armée sollicitante, et elle est certes fort nombreuse en Belgique.

Je me garderai donc de faire un crime aux ministres de commettre quelquefois des injustices, qu’il me semble difficile d’éviter ; je crois cependant que l’on en préviendrait beaucoup, si chaque ministre se restreignait à ce qui concerne son département, et n’exigeait pas quelquefois d’un collègue des placements de faveur, le tout, je le présume, à charge de revanche. Ce système, toujours mauvais, est surtout déplorable quand il agit sur le ministère de la guerre ; ce ministre ayant une immense responsabilité, quant au personnel de l’armée, doit être le seul juge du mérite militaire. J’aime à croire qu’il en est ainsi.

Cependant un fait récent ébranle un peu ma conviction, et l’on conte à ce sujet qu’une de nos provinces vient d’offrir un spectacle assez bizarre. Cette heureuse province se trouvait dotée de trois commandants militaires à la fois ; rien de plus simple, on décide que deux iront dans deux provinces voisines ; mais ici commence l’embarras : chacun voulait rester dans la ville, vu que c’est une très belle ville, une ville charmante, qui a un bon théâtre, de beaux cafés, etc., un vrai paradis terrestre de commandant de province. Ils s’y plaisaient fort, les trois candidats, et chacun avait un puissant patron pour l’y maintenir ; mais il paraît que celui de M. le ministre de la guerre n’a pas été plus heureux, et que l’armée, spectatrice de ce conflit, a, non sans quelque étonnement, appris que c’était un autre ministre qui plaçait les commandants militaires.

Qu’aurions-nous à faire, bon Dieu ! si les partisans de ces trois messieurs, venaient réclamer notre intervention ?

Je sais que l’on rattache à la retraite du général Niellon une question de sécurité intérieure pour la ville de Gand et de sécurité extérieure pour la province de la Flandre : mais ces motifs je ne peux les admettre ; voulez-vous rendre la tranquillité à Gand, faites rentrer Gand dans le droit commun. Ministres, la cour de cassation de France a prononcé, pliez devant la légalité, qui est en même temps une nécessité. D’ailleurs à quoi bon ? Ne voyez-vous pas que vos conseils de guerre reculent devant la responsabilité de leurs actes ? Ils se déclarent incompétents, et en Belgique on ne sait plus tuer, même de par les conseils de guerre.

Quant à la question de sécurité extérieure, il me semble presque ridicule d’en parler.

Quoi ! Depuis deux ans les chambres auraient fait preuve d’une confiance illimitée dans tout ce qui a rapport à l’armée ; au nom du salut de la patrie, on aurait tout obtenu, hommes, argent, autorisation, si pénible pour l’amour-propre national, d’appeler des officiers étrangers dans nos rangs, autorisation dont, pour le dire en passant, le gouvernement a si largement usé, et qu’il serait peut-être temps de restreindre, tout enfin, tout ce qui a été demandé, a été accordé, et les Flandres auraient encore à craindre de nouvelles insultes de nos ennemis ? Non, je ne puis le croire, et s’il en était ainsi, ce ne serait pas seulement d’incurie qu’il faudrait accuser le ministère.... ! Je vote pour l’ordre du jour, voulant laisser intact le principe d’une responsabilité ministérielle.

M. de Brouckere. - Messieurs, si la chambre ne pouvait renvoyer aux ministres que les pétitions qui signalent des abus de pouvoir ou la violation d’une loi, il n’y aurait assurément d’autre mesure à prendre sur celle qui nous occupe que l’ordre du jour proposé par la commission, parce qu’évidemment il appartient au gouvernement de mettre en non-activité les officiers qui n’ont plus sa confiance.

Mais si l’on venait vous dénoncer un acte qui, bien que ne sortant pas du cercle des attributions du gouvernement, fût cependant un acte impolitique, un acte injuste, un acte réprouvée par l’opinion publique ; pensez-vous qu’il vous conviendrait de répondre : Cela ne nous regarde pas, adressez-vous ailleurs ? Non, messieurs, ce serait méconnaître vos droits et vos devoirs, ce serait encourager les ministres à n’écouter dans la distribution des places et des faveurs que leur seul caprice, à ne consulter que leur prédilection et leurs haines, à méconnaître les services et les talents. Et veuillez m’en croire, les ministres n’ont besoin pour cela d’aucun encouragement. (On rit.)

M’arrêtant à la pétition qui nous occupe, je me demande, et vous vous faites probablement la même question, si celui auquel elle est relative, et dont le sang était assez élevé pour que sa conduite pût être observée de tous ; je me demande si on lui reproche de manquer de capacité et de talent, d’avoir trahi son devoir, de l’avoir seulement négligé ? Et à cette question je suis forcé de me répondre d’une manière négative. La voix publique, au contraire, s’accorde à dire que c’est un homme capable, un homme actif, laborieux, incorruptible surtout. Quant à ses services, tout le monde les apprécie, excepté peut-être le gouvernement tout seul, qui paraît décidé à écarter les hommes de la révolution, et à réserver les faveurs pour les ennemis de la révolution et des révolutionnaires. (Hilarité.)

M. Legrelle. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. de Brouckere. - Il n’y a rien là de personnel à M. Legrelle. (Rire général et prolongé.)

Je suis vraiment étonné qu’un de mes honorables collègues se soit appliqué mes paroles, que cependant j’avais prononcées dans un sens bien général. C’est une injure qu’il se fait à lui-même, et que véritablement je n’avais nulle envie de lui adresser. Revenons à la pétition -

Qu’avons-nous à faire ? Nous devons la renvoyer au ministre de la guerre, mais sans demande d’explications, pour qu’il soit bien certain que si nous ne voulons pas nous immiscer dans son administration, nous avons les yeux ouverts sur sa conduite, et que lorsque le temps sera venu de la juger, nous nous réservons de relever ses actes et de les qualifier comme ils le méritent. Je dis sans demande d’explication : et, en effet, je l’avoue, si votre décision était telle qu’elle forçat le ministre de la guerre à venir à votre barre s’expliquer sur une résolution qui tombait dans ses attributions, je crois que nous empiéterions sur un pouvoir qui n’est pas le nôtre. Le nôtre se borne à protester de telle manière qu’il cède ou ne cède pas, s’il veut, à notre protestation. Plus tard nous aurons droit de lui en demander compte.

Mais que dit-on pour empêcher le renvoi ? On vous oppose les articles 29, 66 et 68 de la constitution. Lorsque nous aurons pris cette mesure de renvoi, pourra-t-on prétendre que nous avons voulu usurper les prérogatives du Roi, nous emparer du pouvoir exécutif, conférer les grades dans l’armée, commander les forces de terre ou de mer ; que nous avons voulu nous mettre à la place du Roi ? Non, soutenir de pareilles assertions, ce serait tomber dans le ridicule.

Mais, objecte-t-on, il s’agit ici d’une pétition qui n’a qu’un intérêt personnel. Messieurs, vous renvoyez une pétition quand vous désirez voir le redressement d’une injustice, peu importe qu’il s’agisse d’un intérêt général ou d’un intérêt particulier. En voulez-vous des exemples ? Voyez le n°14 du feuilleton, n°5, dont vous vous occupez en ce moment : « La dame Paulsen, de Tongres, épouse d’un gendarme belge, fait prisonnier à Maseyck en novembre 1830, par le corps de Saxe-Weimar, demandait que l’on assurât a mise en liberté de son mari et qu’on lui accordât un secours. »

Nous avons renvoyé la pétition aux ministres, simplement parce que nous voulions voir accorder un secours à cette dame, parce que nous regardions le refus de ce secours comme une injustice.

Voyez ensuite le n°27 du même feuilleton : « Le sieur Augustin-Joseph Honorez, propriétaire à Mons, demandait l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une somme de fl. 796 35 cents, due à lui et autres co-intéressés du chef des dégâts faits à leurs propriétés par des travaux du génie en 1829. »

Il n’est pas encore question ici d’intérêt général, mais d’un fait particulier, et cependant cela n’empêcha pas la chambre de renvoyer la pétition aux ministres de l’intérieur et de la guerre.

Enfin, par pétition portant le n°13 du quatrième feuilleton, « le sieur Alloginer, ex-sergent-major aux volontaires, à Visé, réclamait l’intervention de la chambre pour lui faire obtenir le paiement de la pension à laquelle il a droit comme blessé de la révolution. »

On a encore renvoyé cette pétition a un ministre de la guerre, et s’il n’avait pas déclaré qu’il s’empresserait d’y faire droit, on aurait exigé des explications.

Vous voyez donc qu’il est faux de dire qu’on ne renvoie aux ministres que les pétitions qui ont pour objet un intérêt général.

J’ai entendu avec peine un honorable collègue venir nous annoncer qu’une régence tout entière était orangiste. Je ne sais pas qui lui a donné le droit de lancer ainsi une accusation contre un corps tout entier. Mais ne sait-il pas que cette qualification est devenue banale et insignifiante, qu’on la donne à tous les hommes qui font quelque opposition ? Et que l’honorable membre lui-même y prenne garde, comme il n’est pas toujours d’accord avec le gouvernement, je ne serais pas étonné qu’on lui reprochât à son tour d’être orangiste. (On rit.)

Mais, si cet honorable membre a eu tort en cette circonstance, je donne plus grand tort encore au ministre, qui nous a entretenus si longtemps de la pétition, et qui n’a pas répondu un mot à une allégation de cette nature.

Quand M. le ministre de la justice a pris la parole, je m’attendais à entendre des arguments pour combattre le renvoi de la pétition ; je l’ai écouté avec beaucoup d’attention, il m’a été impossible de le suivre dans ses raisonnements. Je n’ai pu saisir que trois ou quatre arguments : d’autres, sans doute, auront été plus heureux.

Que voulez-vous faire, s’est-il écrié ? Avilir la chambre en lui faisant jouer le rôle de suppliante ! La chambre ne supplie pas, elle ordonne. La chambre ne supplie ni n’ordonne, lui répondrai-je. Elle ne supplie pas, car elle ne connaît point de pouvoir supérieur ; elle n’ordonne point, parce qu’elle n’est point à elle seule un pouvoir. Mais où a-t-il vu que la chambre veuille, dans cette occasion, supplier ou ordonner ? La chambre invite seulement le ministre à ne pas déplacer trop légèrement les chefs militaires qui ont la confiance de la nation. Il aura, à cette invitation, tel égard qu’il jugera à propos.

Mais, dit encore M. le ministre, vous détruisez la subordination ; c’est son arrêt de mort. Aujourd’hui on réclame en faveur d’un général, demain ce sera pour un colonel, après-demain pour un officier inférieur, et on descendra ainsi jusqu’au grade le plus infime. Eh bien ! quel mal y aurait-il qu’un simple soldat vînt se plaindre à nous d’un acte arbitraire, injuste, commis à son égard ? Qu’il vienne ce simple soldat, et je parlerai en sa faveur avec autant d’énergie que je le fis en ce moment qu’il s’agit d’un général.

Dans l’armée, a ajouté le ministre, il n’y aura qu’un bruit. Ce n’est plus le Roi qui est notre chef, c’est la chambre. Non, messieurs, on ne dira pas une chose aussi ridicule, parce que ce qui se passe en ce moment même prouve combien elle est peu fondée. En effet, au lieu de vouloir faire droit à la requête, nous reconnaissons que tout notre droit se borne à mettre la requête sous les yeux du Roi, ou plutôt de celui qui administre en son nom le département de la guerre.

On est venu nous parler de candidats présentés par les cours du royaume et les conseils provinciaux ; le ministre sait bien que nous n’avons de relations avec aucunes autres autorités que les ministres ; s’étayer de semblables arguments, c’est montrer que l’on n’en trouve pas de bons pour soutenir son opinion.

Messieurs, j’insiste de tout mon pouvoir pour que vous n’écartiez pas la demande de renvoi au ministre. La résolution que vous allez prendre a une portée plus étendue qu’elle ne le paraît au premier abord. Ce n’est pas l’intérêt d’un individu que je prétends défendre ; mais celui dont il s’agit n’est pas le seul qui ait à se plaindre de l’injustice du gouvernement. Il semble, au contraire, qu’il ait pris à tâche de mécontenter les chefs de notre armée. Aujourd’hui on annonce que deux d’entre eux veulent encore aller grossir le nombre de ceux qui se sont déjà retirés ; demain d’autres suivront cet exemple ; j’en connais, messieurs, et des plus distingués, qui l’eussent fait, depuis longtemps, s’ils n’espéraient voir bientôt éclater une guerre et ne brûlaient d’y prendre part.

Je me réserve, messieurs, de revenir plus longuement à cet égard lors de la discussion des budgets, et nous aurons alors à révéler bien d’autres abus à charge du ministre de la guerre, dont l’économie n’est pas la vertu principale, pas plus que l’amour pour les nationaux n’est sa passion dominante.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- La discussion est remise à demain à midi.

La séance est levée à 4 heures et demie.