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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 janvier 1834
1) Projet de loi portant le budget du département des affaires étrangères pour l’exercice 1834. Discussion générale. (A : Nomination d’un nouveau ministre ad interim et nécessité de soumettre celui-ci à une nouvelle élection en tant que député (indépendance des députés-fonctionnaires) ; B : traité de commerce avec les Etats-Unis) (A et B (de Brouckere), A (F. de Mérode, de Brouckere), (A et B) (Nothomb), A (Gendebien, Lebeau, de Brouckere, F. de Mérode, de Brouckere, Fleussu, de Theux, Nothomb, de Brouckere, F. de Mérode, Lebeau, de Brouckere, Gendebien, Lebeau, de Brouckere, Milcamps))
(Moniteur belge n°10, du 10 janvier 1834 et Moniteur belge n°11, du 11
janvier 1834)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°10, du 10 janvier 1834) L’appel nominal est fait à
une heure, et la séance est ouverte immédiatement après : 52 membres sont
présents.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait
connaître sommairement l’objet des pièces adressées à la chambre ; ces pièces
sont renvoyées à la commission des pétitions.
En vertu d’un arrêté
contresigné par M. le comte Félix de Mérode, chargé ad interim
de la signature du ministère des affaires étrangères, M. Nothomb est nommé
commissaire du Roi, pour soutenir la discussion du budget du département des
affaires étrangères.
M. de Robaulx écrit à la chambre qu’une indisposition
l’empêche de se réunir actuellement à ses collègues.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE
LA CHAMBRE
M. le président. -
L’ordre du jour appelle la délibération sur le projet de loi concernant le
traitement des auditeurs militaires, ou la discussion sur le budget du
département des affaires étrangères ; la chambre s’est réservé de prononcer
relativement à la priorité à accorder à l’une ou à l’autre matière.
Plusieurs membres. - Le budget ! le
budget avant tout !
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU
DEPARTEMENT DES AFFAIRES ETRANGERES POUR L’EXERCICE 1834
Discussion générale
M. le président. -
La discussion générale du budget des affaires étrangères est ouverte. M. de
Brouckere a la parole.
M.
de Brouckere. - Messieurs, si ma mémoire est fidèle, c’est le 26
décembre que nous avons tenu notre dernière séance ; nous avons dans cette
séance voté le budget du ministère de la justice, et
celui du département des affaires étrangères était à l’ordre du jour. Si
l’assemblée n’eût trouvé à propos de remettre l’examen de ce budget jusqu’après
les vacances qu’elle comptait prendre, l’honorable général Goblet, qui était
alors à la tête du département, eût sans doute soutenu la discussion comme
organe du gouvernement : eh bien, messieurs, le lendemain, 27 décembre, parut
un arrêté, contresigné pan M. le ministre de la justice, et en vertu duquel M.
le général Goblet obtient, sur sa demande, démission des fonctions de ministre
des affaires étrangères.
Comment est-il arrivé
que cette démission ait été signée si subitement ? Comment est-il arrivé
qu’elle ait été sollicitée par l’ancien titulaire ? Ce sont des choses sur
lesquelles je m’abstiendrai de faire des recherches ici ; et si je pouvais un
instant oublier les bornes de mes attributions en m’inquiétant de choses
pareilles, je blâmerais moi-même le ministre qui pourrait lui, assez oublier
quels sont ses devoirs pour répondre aux interpellations que je ferais à cet
égard.
Mais il est une autre
question toute simple et toute naturelle qui se présente à faire, et qu’aucun
de vous n’aura pas manquer de s’adresser à lui-même.
Cette question a pour
but de savoir qui est aujourd’hui à la tête du département des affaires
étrangères. J’ai vu, et vous aurez vu comme moi, dans le Moniteur du 30 décembre, un arrête contresigné par M. le ministre
de la justice et portant que M. le ministre d’Etat comte de Mérode aura, ad interim, la
signature du département des affaires étrangères et de la marine : mais,
suit-il de cet arrêté que M. le ministre d’Etat comte Félix de Mérode soit
provisoirement ministre des affaires étrangères ? non,
messieurs ; et je vais plus loin, je dis qu’il suit des termes de l’arrêté que
M. le comte Félix de Mérode n’est pas provisoirement ministre des affaires
étrangères.
Je vous prie, messieurs,
de vous rappeler comment était conçu l’arrête du 18 septembre 1832, et par
lequel M. le général Goblet a été nommé ministre, ad interim,
des affaires étrangères, et de remarquer que cet arrêté était contresigné par M
le comte Félix de Mérode, ministre d’Etat.
Voici comment était
rédigé cet arrête :
« Notre ministre d’Etat
et aide-de-camp, le général Goblet, inspecteur général du génie, est chargé ad interim
du portefeuille des affaires étrangères et de la marine.
Ici il n’y avait pas matière
à doute. M. Goblet était placé à la tête du département. Il ne l’était que
provisoirement ; mais, provisoirement, il avait le pouvoir, il avait toutes les
attributions d’un ministre définitif.
La nomination de M.
Duvivier comme ministre ad interim des finances est
conçue dans les mêmes termes. Je pourrais citer d’autres exemples, car depuis
longtemps nous sommes accoutumés à n’avoir que des gouvernants provisoires.
L’honorable M. de Mérode
n’est donc pas ministre ad interim ; et cela est si
vrai que, s’il était ministre ad interim, il serait
forcé de cesser, dès aujourd’hui, de siéger dans la chambre des représentants
et de se soumettre à une réélection. Les antécédents de la chambre sont
constants à cet égard.
Je désire que l’un des
organes du gouvernement ait la complaisance de nous expliquer la différence qui
existé entre un ministre ad interim et un ministre
d’Etat, ayant la signature ad interim. Je désire
savoir si celui qui a la signature ad interim est
responsable des actes qu’il signe. Il faut qu’à la tête d’un ministère se
trouve un fonctionnaire responsable : je voudrais savoir si celui qui n’a que
la signature d’un ministère n’est pas en droit de diriger les actes de ce
ministère, s’il n’a rien à dire sur la rédaction des pièces, et s’il est obligé
de les signer aveuglément.
M. le comte de Mérode ne
s’abaissera sans doute pas au rôle de signer des pièces sans pouvoir faire une
observation sur le sens et la manière dont elles sont rédigées.
On ne manquera pas de
nous dire que ce n’est pas le premier exemple d’une semblable irrégularité, et
que déjà M. de Mérode a été chargé de la signature des affaires étrangères et
même de la signature du département de la guerre ; car il faut rendre justice à
la complaisance de cet honorable membre, toujours prêt à remplacer ceux qui
manquent.
Il s’est déjà présenté
des exemples de l’irrégularité que je signale, cela est vrai ; et j’ai un
regret, c’est de n’avoir pas suivi alors l’intention que j’avais d’abord
conçue, c’est-à-dire de ne m’être pas élevé contre la première irrégularité. Ce
qui m’a retenu, c’est que j’éprouvais une sorte de répugnance à provoquer la
retraite de M. de Mérode, et à le soumettre à une réélection et, de plus,
j’avais à cette époque la certitude que M. de Mérode ne serait pas longtemps
chargé de la signature. Mais aujourd’hui, puisque les irrégularités se
reproduisent, je ne puis, par mon silence, autoriser leur renouvellement. Nous
savons ce que sont les interim ; il en est qui durent
16 mois.
De tout temps je me suis
élevé contre les interim : les interim
sont des choses vicieuses ; ils doivent nuire nécessairement à une bonne
administration, et je ne cesserai de m’élever contre les interim,
et contre tout ce qui est provisoire.
Au reste la chambre sera
sans doute unanime pour désirer connaître, ainsi que moi, à quoi il faut nous
en tenir ; il faut en effet que nous sachions si M. de Mérode est véritablement
chargé des fonctions ad interim du département des
affaires étrangères ; il faut que nous sachions s’il n’est pas réellement ministre
ad interim ; et alors il faut que nous sachions ce
que c’est que d’avoir la signature d’un département sans en être le chef.
J’ai une autre
explication à demander au ministère ; elle tombe sur une chose que je regarde
comme très importante, et sur laquelle vous porterez sans doute le même
jugement.
Dans le discours
prononcé par le Roi, au mois de juin 1832 se trouvent ces phrases :
« Nous avons obtenu
des Etats-Unis d’Amérique les stipulations les plus favorables à l’une des
branches les plus importantes de notre industrie. »
Un membre demanda que le
traité renfermant ces stipulations si favorables fût déposé sur le bureau ; M.
Le ministre des affaires étrangères répondit :
« Quelques journaux
ont annoncé qu’un traité de commerce avait été conclu avec les Etats-Unis ;
c’est par erreur. Nous avons reçu la nouvelle qu’un traité d’amitié et de
navigation avait été conclu avec les Etats-Unis ; mais comme ce document
officiel ne nous est pas encore parvenu, nous n’avons pas cru devoir en parler
à la chambre.
Cependant M. le ministre
de la justice s’empressa de demander la parole pour rectifier ce qu’avait dit
son collègue. M. Lebeau dit : « L’honorable M. Desmet s’est trompé, lorsqu’il a dit que le discours de
la couronne faisait allusion à un traité de commerce. Il y est seulement
question de modifications aux stipulations commerciales dans le dernier tarif
des Etats-Unis, stipulations toutes favorables à
J’ai demandé alors que
les modifications importantes, que les stipulations fussent déposées sur le
bureau, et je faisais remarquer que nous ne pouvions remercier leur
gouvernement d’un bienfait que nous ne connaissions pas.
M. le ministre de
l’intérieur a répondu : « Le
tarif se trouve partout, mais le ministre est à même de le déposer sur le
bureau. Les principaux avantages qui en résultent, et que nous pouvons
attribuer à l’activité et au zèle de notre agent aux Etats-Unis, consistent
dans une réduction des droits d’entrée pour les étoffes de laine et de coton,
et dans l’affranchissement de tout droit, à partir du 31 décembre, pour les
toiles blanches écrues, pour les serviettes et le linge de table. »
Le résultat de tout cela
fut que le paragraphe présenté par la commission de l’adresse fut modifié, et
que ce paragraphe fut remplacé par un autre proposé par M. Gendebien.
Notre honorable collègue
avait eu soin de rédiger son paragraphe de manière qu’il n’était plus question
de traité de commerce ni de traité de navigation, ni d’aucun autre traité ;
mais seulement de stipulations insérées dans un tarif.
Cette discussion avait
laissé dans mon esprit beaucoup de doutes. L’aveu du ministre des affaires
étrangères, rétracté par ses collègues, m’avait fait présumer qu’il y avait
quelque chose de vrai dans l’assertion qu’un traité avait été conclu, et que le
paragraphe inséré dans le discours du trône avait été rédigé eu vue de ce
traité, qu’on aurait voulu ne pas nous soumettre. Je me suis abstenu de faire
connaître mes doutes, parce que je n’avais en main aucune preuve, parce que si
l’on m’avait nié le fait que j’avançais, il m’eût été impossible de prouver ce
que j’alléguais. Eh bien, je me suis procuré des renseignements ; aujourd’hui
j’ai en main la preuve la plus convaincante qu’il existe un traité entre les
Etats-Unis et
Je
prierai le ministère de donner à la chambre des explications sur ce point. Je
pense aussi qu’il ne fera pas difficulté de nous dire pourquoi l’on a mis un
délai si long pour ratifier un traité qui, assure-t-on, contient des
stipulations avantageuses à
Je me suis borné à
exposer les faits ; j’attends la réponse du gouvernement avant de pousser mes
réflexions plus loin.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) -
Messieurs, informé que, par suite de l’arrêté du Roi, qui me donne ad interim la signature des pièces qui concernent le ministère
des affaires étrangères, des objections devaient être faites contre mon droit
de continuer à siéger comme représentant dans cette enceinte ; ayant prévu
moi-même ces objections, j’ai cru devoir me préparer à vous soumettre à leur
égard quelques observations. Il y a deux manières d’interpréter les lois, par
la lettre stricte ou par l’esprit.
La lettre, a dit un
livre divin, la lettre tue et l’esprit vivifie. Je n’hésite pas pour mon compte
à soutenir constamment la mise en pratique des lois en vertu de leur esprit,
surtout des lois politiques. Cependant, lorsqu’il s’agit de l’action du pouvoir
exécutif, il est trop souvent d’usage d’appliquer, en gênant son libre
exercice, tantôt la lettre, tantôt l’esprit de la loi. Ainsi lorsqu’il s’est
agi de la convention de Zonhoven, et paix soit à sa mémoire, on a contesté au
gouvernement le droit de donner passage aux troupes hollandaises sur le
territoire belge, bien que la lettre d’une loi fût positive en faveur de ce
droit.
Pour l’infirmer, on a eu
recours aux intentions de la législature ; il y avait sur ce point matière à
discussion, et certes je n’ai pas envie d’y revenir ; seulement je vous prie,
messieurs d’avoir envers le pouvoir exécutif très limité chez nous, très
embarrassé dans ses mouvements un système d’interprétation légale, uniforme,
c’est-à-dire, je vous supplie d’adopter comme guide constant ou l’esprit ou la
lettre absolue de la loi. J’ai déjà déclaré quelle était, parmi les deux bases
fondamentales des décisions à intervenir, celle que je préférais.
J’établis donc de
nouveau que la chambre ne doit pas exiger la réélection d’un membre du sénat ou
de la chambre des représentants qui exerce gratuitement des fonctions dont le
budget autorise le salaire.
On me dira qu’il y a un
précédent ; que la chambre a décidé dans une séance de novembre 1832 que le général
Goblet, ministre d’Etat chargé ad interim du
portefeuille des affaires étrangères devait être réélu bien qu’il eût pris ce
portefeuille sans appointements. Les précédents de la chambre sont à mes yeux
une très respectable autorité ; cependant, messieurs, j’en appellerai de
Philippe à Philippe lui-même, de la chambre de novembre 1832 à la chambre de
janvier 1834. La première a pu suivre des errements peu constitutionnels, et
que la seconde est libre de rectifier. Voici ce que je disais à la chambre en
novembre 1832 : « Si j’ai, en acceptant temporairement les fonctions de
ministre de la guerre, conserve mon mandat de député, c’est, messieurs, parce
que je me considérais comme autorisé par la constitution même à continuer à
voter dans cette enceinte. En effet, que veut l’art. 36 de la constitution ?
Empêcher la corruption des représentants du pays par la cupidité des
traitements attachés aux places ; pas autre chose. Une fonction n’est pas
salariée pour elle-même ; car on ne salarie pas un être abstrait ; mais, elle
l’est dans la personne de l’individu qui la remplit. Or, si le titulaire exerce
gratuitement l’emploi qu’il occupe, ne coûte rien à l’Etat, il cesse par ce
fait incontestable d’être salarié, à moins qu’on ne prétende que telle place
est frappée du caractère indélébile de salariée comme le papier soumis au
timbre ne peut plus, sans subir l’effet des ciseaux, devenir papier libre et
non timbré. Il est indubitable que le gouvernement a toujours le droit de
rendre une fonction gratuitement aussi longtemps qu’il le juge possible et
utile au bien du service, et je nie formellement que le salaire soit
obligatoire, essentiel, inséparable de tel ou tel emploi. J’établis qu’une
distinction peut toujours être faite entre la place et le traitement. Si vous
acceptez l’un et l’autre, évidemment vous êtes soumis aux dispositions de
l’art. 36 ; mais attendu, je le répète que c’est l’appât pécuniaire qu’a voulu
combattre cet article et non l’honneur, le crédit, l’expérience, que l’on peut
recueillir de l’exercice des emplois publics, il est clair que le texte et
l’esprit de la constitution interdisent aux sénateurs et représentants le
salaire et non pas l’acceptation du travail, les risques et la responsabilité,
dont le budget autorise le dédommagement ; car, messieurs, le budget est un
crédit ouvert, pas autre chose.
« II serait tout à
la fois très nuisible au gouvernement et au pays qui, après tout, ont les mêmes
intérêts, que l’on interprétât les articles, déjà suffisamment restrictifs, de
la constitution dans un sens exagéré ; plus d’une fois, il peut arriver que les
membres du sénat ou de cette chambre soient à même de rendre quelques services
temporaires et purement désintéressés. Qu’un de vous, messieurs, consente à
accepter, d’une manière transitoire et sans appointements, la direction civile
ou militaire d’une province ou une mission à l’étranger, faudra-t-il qu’il
renonce à ses fonctions de député, ou qu’il force les électeurs à quitter leurs
occupations, à se mettre en campagne, en frais de voyage pour le réélire ? Vous
savez combien est fâcheux l’inconvénient des élections renouvelées sans cesse ;
il ne tend à rien moins qu’à détruire le système représentatif dans son
essence, en affaiblissant de plus en plus le zèle des citoyens appelés à
concourir au choix de la représentation nationale. »
Ainsi m’exprimais-je
alors ; et c’est réellement dans l’intention d’éviter aux électeurs une réunion
fort pénible pour plusieurs que l’on s’est servi, dans l’arrête récent du Roi,
de ces expressions : est chargé de
la signature des pièces qui concernent le département de… On s’est servi de
cette forme parce que précédemment, elle n’avait point soulevé les
susceptibilités constitutionnelles, lorsque j’ai eu, en vertu des mêmes termes,
la signature des pièces concernant le département de la guerre, le 13 mars
1832, au moment où M. de Brouckere crut devoir se retirer inopinément.
Messieurs, c’est avec
peine que j’ai accepté provisoirement la signature ou si vous voulez le
portefeuille des affaires étrangères. Je regrette infiniment que des hommes
plus capables n’aient point cédé aux désirs du Roi. Malheureusement, les
fonctions ministérielles sont en général peu enviées en Belgique. Affaires
difficiles, émoluments faibles, nulle retraite assurée pour l’avenir, rigueur
dans les attaques qu’il a fallu subir jusqu’ici sur ce banc, tout se réunit
pour en éloigner plus d’une notabilité politique administrative et financière.
Si vous exigez une réélection, peu m’importe à moi personnellement : je ne
tiens ni à être ministre ni à être député ; je ne désire qu’une chose ; c’est
de ne pas déserter le poste qui m’a été confié, c’est de rester bon citoyen,
ami sincère de mon pays, dévoué à la cause de la liberté et de l’ordre public.
Mais je crois devoir vous en prévenir, au lieu d’encourager le zèle des
intérêts nationaux, vous l’affaiblirez : il est tel membre de cette chambre ou
du sénat qui refusera de servir le pays gratuitement parce qu’il craindra les
chances d’une réélection plus fictive que réelle ; Car les réélections partielles
ne se font point, vous le savez, par la majorité des électeurs, mais par une
très faible minorité, résultat évidemment contraire à l’esprit de la
constitution.
En
résumé, le Roi a usé de sa prérogative en m’attribuant la signature ou le
portefeuille des affaires étrangères. Il a usé de sa prérogative en ne
m’accordant aucun traitement, car rien ne l’oblige à dépenser la totalité des
sommes créditées au budget. De mon côté j’ai usé de la faculté qui ne peut
m’être ôtée de servir
M.
de Brouckere. - Je désirerais savoir si nous sommes bien d’accord.
Que M. de Mérode s’explique d’une manière précise, qu’il nous dise s’il est
ministre ou non.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
me suis expliqué ; j’ai dit que pour moi les expressions « ad interim » et « aura la signature ad interim » étaient à peu près synonymes ; j’ai dit que
la forme qu’on a adoptée ayant une fois satisfait la chambre, on lui avait
donné la préférence.
M.
de Brouckere. - Les expressions sont à peu près synonymes…
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
retire l’à peu près.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, le ministre d’Etat M.
le comte Félix de Mérode, ayant ad interim le
portefeuille des affaires étrangères, a bien voulu m’abandonner le soin de
répondre à la seconde partie des interpellations qui lui ont été adressées par
l’orateur qui a ouvert les débats ; je demanderai la permission d’ajouter quelques
éclaircissements à ceux que vous a déjà donnés M. le comte de Mérode, pour
compléter la rectification des faits relatifs à la première question.
Il existe plusieurs
précédents, et je ne pense pas que la chambre soit tombée en contradiction avec
l’une ou l’autre de ses décisions antérieures, ni qu’elle pût y tomber, en
déclarant que le ministre d’Etat M. le comte Félix de Mérode, charge ad interim de la signature des pièces qui concernent le
département des affaires étrangères, n’est pas sujet à réélection. Je vais
m’expliquer.
Lorsque le général
Goblet a été chargé du portefeuille des affaires étrangères, il n’était pas
ministre d’Etat. C’est une distinction que n’a pas faite l’orateur auquel je
réponds, et cette distinction résout toute la difficulté. M. le général Goblet
a été tout à la fois nommé ministre d’Etat et chargé de l’interim
des affaires étrangères. Ainsi, il n’avait pas la qualité de ministre du Roi,
avant d’être élu député au collège de Tournay, et c’est pour cela que la
chambre déclara qu’il devait être soumis à la réélection. La plupart des
orateurs qui ont provoqué cette décision de la chambre ont fait cette
distinction sur laquelle je m’appuie, entre la position où se trouvait le
général Goblet et celle où se trouverait un ministre d’Etat qui serait
temporairement chargé du portefeuille d’un département. M. le comte de Mérode a
été nommé ministre d’Etat par un arrêté en date du 12 novembre 1831. Cet arrêté
est ainsi conçu :
« Le comte Félix de
Mérode et le chevalier de Theux de Meylandt, membres de la chambre des
représentants, sont nommés ministres d’Etat, membres de notre conseil des
ministres. »
Plusieurs fois, la
position du ministre d’Etat, comte Félix de Mérode, s’est modifiée, et chaque
fois on s’est servi des mêmes expressions. Une première fois, le 15 mars 1832,
ce ministre d’Etat a été chargé du portefeuille de la guerre : on s’est servi
des expressions suivantes :
« Le comte Félix de
Mérode, membre de notre conseil des ministres, aura provisoirement la signature
des pièces qui concernent le département de la guerre. »
J’ai à cet égard une
observation à faire. Lorsque M. le comte de Mérode fut chargé de la signature
des pièces concernant le département de la guerre, il n’y avait pas de
titulaire du ministère de la guerre ; le comte de Mérode, se trouvait, par
rapport au ministère de la guerre, dans une position tout à fait identique à
celle où il se trouve aujourd’hui à l’égard du ministère des affaires
étrangères, par suite de la démission de M. le général Goblet. Le comte de Mérode
a été une seconde fois chargé d’un portefeuille, celui des affaires étrangères
; ce second cas ne serait pas absolument identique au premier. L’arrêté en date
du 12 juillet 1833 est ainsi conçu :
« Notre ministre
d’Etat le comte Félix de Mérode aura la signature du département des affaires
étrangères, pendant l’absence de notre ministre susdit. »
Ici, il y avait un
ministre titulaire qui était absent. Il n’y aurait pas identité parfaite entre
ce cas et celui qui nous occupe. Par un arrêté récent, du 27 décembre dernier,
M. le comte Félix de Mérode a été chargé ad interim
de la signature du département des affaires étrangères et de la marine. C’est à
dessein qu’on a reproduit les mêmes expressions dont on s’était servi dans
l’arrêté du 15 mars 1832.
Il me semble que la
chambre doit aujourd’hui se guider d’après la distinction faite alors qu’il
s’est agi de la nomination du général Goblet en novembre 1832. La chambre a
déclaré que la qualité de ministre d’Etat, chez le général Goblet, n’était pas
préexistante à sa nomination au ministère des affaires étrangères ; qu’il
n’était que simple citoyen lorsqu’il avait été élevé aux fonctions de ministre
d’Etat, et en même temps appelé à la direction des affaires étrangères, et que
dès lors il était sujet à réélection. Mais cette position est loin d’être
identique à celle d’un député chez qui la qualité de ministre d’Etat est
préexistante à son élection, et qui se trouve par la suite chargé par interim de la signature d’un ministère.
Les expressions dont on
s’est servi, qui pourraient paraître étranges s’il s’agissait d’un simple
individu, sont les seules propres, les seules qu’on puisse employer lorsqu’il
s’agit de quelqu’un qui déjà est revêtu de la qualité de ministre, lorsque
cette personne est ministre du Roi, lorsqu’elle a le droit de siéger au
conseil, qu’elle prend part à toutes les discussions d’intérêt général ; en un
mot, qu’en qualité de ministre du Roi elle partage la responsabilité collective
du conseil des ministres. La seule différence entre un ministre d’Etat et un
ministre ordinaire, c’est que le premier n’est pas attaché à un département
spécial. Il ne survient pas de changement essentiel dans sa position lorsque,
sans salaire et accidentellement, il se trouve chargé de diriger un département
spécial.
En résumé, la chambre,
en adoptant une décision autre que celle qu’elle a cru devoir prendre à l’égard
du général Goblet, ne tombera dans aucune contradiction ; elle serait au
contraire conséquente avec elle-même, tandis qu’elle serait inconséquente si
elle agissait autrement.
J’arrive à
l’interpellation purement politique que M. Henri de Brouckere a adressée au
gouvernement relativement aux négociations entre
Dans le discours de la
couronne qui a ouvert la session de l’été dernier, il a été question de
stipulations que
Outre ces modifications
obtenues dans une loi spéciale, le ministre belge s’était occupé d’un traité
avec les Etats-Unis : ce traité, comme on l’a fort bien dit, n’est pas un
traité de commerce, mais un traité de navigation et d’amitié ; c’est un acte
préliminaire au traité de commerce qui reste encore à conclure.
Par un concours de
circonstances qu’il serait aussi long qu’inutile d’exposer ici, ce traité n’est
arrivé au gouvernement qu’en septembre dernier ; depuis il a été fait de cette
pièce un examen approfondi, examen qui était d’autant plus nécessaire que nous
nous trouvions dans un gouvernement nouveau où les traditions manquent. C’est
le premier acte de cette nature que nous faisons ; il servira de point de
départ pour tous ceux de la même espèce que nous aurons à faire par la suite.
Le
traité est conclu, mais il n’est pas encore ratifié ; le gouvernement pour
cette ratification ne consultera pas, comme on l’a dit, les susceptibilités de
ceux qui lui accordent leur protectorat ; il consultera les intérêts du pays,
le droit public, et lorsque ce traité sera devenu un acte consommé, il
consultera l’art. 68 de la constitution, et remplira ses devoirs
constitutionnels envers les chambres.
M. le président. -
La parole est à M.
Ernst.
M. Ernst. - Je
n’avais pas demandé la parole sur les interpellations qui font l’objet de la
discussion ; j’attendrai que cette discussion soit vidée.
M.
Gendebien. - Je prierai MM. les ministres de nous dire ce que
c’est qu’un ministre d’Etat dans un gouvernement constitutionnel. Quant à moi,
je ne le sais pas ; je crois qu’il ne peut pas y en avoir ; que c’est une
fonction extra-légale, dont on ne peut pas se prévaloir pour établir une
argumentation. Pour éviter des discussions qui ne peuvent être que oiseuses, si
elles manquent de bases, je demanderai à MM. les ministres de vouloir bien
établir ces bases, de nous dire ce que c’est qu’un ministre d’Etat dans un
gouvernement constitutionnel, dans le gouvernement belge.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Messieurs, j’ai lieu de m’étonner qu’on nous demande
aujourd’hui la définition de la qualité de ministre d’Etat. Avant même la
formation des chambres législatives organisées par la constitution, et lorsque
ces chambres étaient remplacées par une assemblée constituante, le gouvernement
a nommé des ministres d’Etat, et la qualité de ces ministres, en tant que
membre du conseil, n’a été contestée par personne.
Lorsque l’honorable M.
Devaux, nommé ministre d’Etat, s’est présenté en cette qualité devant le
congrès, et qu’il a excipé de la disposition du règlement qui permet aux
ministres de demander la parole quand ils le jugent à propos, le congrès a
constamment sanctionné sa qualité de ministre en reconnaissant son droit de
priorité à la parole, chaque fois qu’il l’a demandée. Depuis, les ministres
d’Etat ne se sont pas prévalus d’une simple disposition réglementaire pour s’asseoir
au conseil et pour exercer les mêmes attributions que leurs collègues. C’est en
vertu de la constitution que les ministres obtiennent par privilège la priorité
de la parole, quand ils la demandent.
Les ministres d’Etat ont
toujours revendiqué les mêmes droits ; jamais il ne s’est élevé d’objection
dans cette enceinte contre cette prétention ; c’était alors surtout, si on
trouvait que leur nomination fût extra-légale, qu’il fallait le signaler, afin
d’empêcher que ce fait ne pût continuer ou se reproduire ; car si en effet il
était inconstitutionnel de nommer des ministres d’Etat, le gouvernement aurait
été induit en erreur ; c’est une tradition constante du congrès national et des
deux chambres, que la qualité de ministre d’Etat n’a rien d’extra-légal. Cette
qualité existe en Angleterre ; elle a existé en France, même depuis la
révolution de juillet ; car, lors de la formation du premier ministère,
plusieurs honorables députés, je crois M. Bignon, du moins M. Dupin aîné, ont
été ministres sans portefeuille, membres du conseil des ministres, prenant la
responsabilité de tous les actes délibérés en conseil. Depuis, la même chose
s’est reproduite en France. sans qu’il s’élevât de contestation, lorsque M. le
général Sébastiani a été nommé ministre d’Etat, et chargé par interim du portefeuille de la guerre.
Je suis donc autorisé à
dire qu’un ministre d’Etat, membre du conseil des ministres, qui ne diffère des
autres ministres que parce qu’il n’a pas d’attributions spéciales et n’est pas
attaché d’une manière fixe et permanente à un département, n’est pas une
inconstitutionnalité. J’ajouterai qu’en général, et en fait, ici les fonctions
de ministre d’Etat sont gratuites. Je ne vois nulle part, dans la constitution,
qu’il soit interdit au Roi de nommer autant de ministres qu’il le juge
convenable ; reste à la chambre le droit de n’accorder de subsides que pour le
nombre de ministres salariés qu’elle croit utile à l’intérêt du pays.
En résumé, un ministre
d’Etat est un membre du conseil des ministres, délibérant avec ses collègues et
assumant dans l’administration générale sa part de responsabilité. Sous ce
rapport, je suis de l’avis du préopinant ; il n’a pas pensé qu’un homme comme
l’honorable M. de Mérode pût consentir à n’être qu’une machine à signature. Si donc
c’est un être intelligent, il agit sous sa responsabilité ; il a la plus
entière liberté dans ses actes, et dès lors il est responsable comme ses
collègues.
Maintenant, en fait, il
est évident que la simple signature d’un homme déjà ministre engage sa
responsabilité et satisfait ainsi aux prescriptions de l’article 64 de la
constitution. L’article 64 de la constitution ne s’est pas inquiété de la
qualité du ministre, mais il a voulu qu’un ministre contresignât toutes les
dispositions royales ; aucun acte du Roi ne peut avoir d’effet s’il n’est
contresigné par un ministre qui, par cela seul qu’il le signe, s’en rend
responsable. La signature est donc la condition importante de la délégation
faite par le Roi à un ministre ; c’est là la véritable garantie pour tout ce
qui n’est pas consultatif ; car je l’ai déjà dit, la responsabilité est
encourue de deux manières : par la participation aux actes délibérés en
conseil, et en s’appropriant un acte par l’apposition de sa signature ; dans ce
dernier cas, c’est plutôt une responsabilité d’exécution.
Voyons si la signature
d’un département, déléguée à un représentant déjà membre du cabinet, doit
entraîner sa réélection. Je pense que cette prétention est contraire à l’esprit
de la constitution, et même aux actes de la chambre invoqués tout à l’heure par
M. le commissaire du Roi. Il en est un autre, qui a été passé sous silence, que
je vais rappeler. M. de Muelenaere se trouvait ministre des affaires
étrangères, quand M. Ch. De Brouckere donna sa démission de ministre de
l’intérieur, fonctions qu’il n’a exercées que pendant quinze jours ; M. de
Muelenaere a eu la signature des actes du département de l’intérieur ; il
était, à l’égard de cette délégation spéciale, absolument dans la même position
que M. de Mérode ; la seule différence est que M. de Muelenaere était ministre
à portefeuille, tandis que M. de Mérode n’en avait pas ; c’est là la seule
différence, car M. de Mérode était également membre du cabinet. Si, au lieu
d’un portefeuille, M. de Mérode avait été chargé du département de
l’instruction publique, de l’administration des prisons, ou de l’administration
de l’ordre de Léopold et de la signature des actes ressortissant à ces
administrations, sans émoluments, comme M. de Muelenaere a eu la signature du
ministre de l’intérieur sans traitement, pensez-vous qu’on eût pu demander que
M. de Mérode fût soumis à un réélection ?
Je crois, messieurs,
avoir suffisamment répondu aux objections élevées contre la qualité de M. le
comte Félix de Mérode ; je crois inutile de donner autrement la définition de
ce que c’est qu’un ministre d’Etat.
On s’est plaint beaucoup
de ces interim qui se succèdent constamment.
Messieurs, le gouvernement est le premier à en gémir ; il ne demanderait pas
mieux que de voir se constituer un cabinet définitif. Pensez-vous qu’il soit
bien facile de constituer un cabinet définitif. Pensez-vous qu’il soit bien
facile de trouver des ministres dans un pays où, comme on l’a dit, à côté d’une
rétribution parcimonieuse, se trouvent des dégoûts de toute espèce ? Voilà une
considération de fait qui ne peut pas vous échapper. Lorsque le gouvernement
s’est trouvé momentanément dans l’impossibilité de constituer un cabinet
définitif, il a été placé dans la nécessité de recourir à l’abnégation
véritablement civique de l’honorable citoyen qui consentait à se charger
gratuitement des fonctions dont il voulait bien accepter la responsabilité.
Faudra-t-il augmenter encore les difficultés du gouvernement, en imposant pour
prix de cette abnégation la nécessité de se soumettre à une réélection ? Je
crois qu’une pareille jurisprudence parlementaire aurait pour effet d’entraver
de plus en plus la marche du gouvernement, C’est ce qu’a compris la chambre
dans différentes circonstances, M. de Mérode se trouvant dans une position
identique, elle n’a pas cru devoir exiger qu’il se soumît à une réélection. Je
pense que la chambre restera fidèle à ses antécédents.
Si
M. de Mérode répugne à se soumettre à une réélection, c’est moins par crainte
de chances contraires que par le désir qu’il a de ne pas laisser établir une
jurisprudence qu’il considère comme destructive de la vérité de l’élection, de
la sincérité du suffrage électoral, et qui, en même temps, est de nature à
entraver la marche déjà si pénible du gouvernement belge.
M.
de Brouckere. - Messieurs, du moment qu’il est reconnu que M. de
Mérode est chargé ad interim du ministère des
affaires étrangères, une seule chose m’étonne, c’est que le ministère prenne
sur lui de soutenir qu’une semblable nomination, ne force pas M. de Mérode à la
retraite de cette chambre pour se soumettre à la réélection. Je dis que cela
m’étonne, car jamais cette question ne s’est élevée dans cette assemblée
qu’elle n’ait été décidée dans un sens uniforme et contraire à celui que les
ministres viennent soutenir aujourd’hui. Vous n’attendez pas que je m’attache à
répondre aux arguments mis en avant par les trois orateurs ministériels qui ont
pris la parole après moi ; ces arguments n’ont qu’un but : celui d’attaquer la constitution,
de prouver que l’article que nous invoquons est vicieux ; car le sens de cette
disposition est tellement clair, qu’il est impossible de ne pas le saisir à la
première lecture. Cet article porte : « Le membre de l'une ou de l'autre chambre nommé à un emploi salarié qu’il accepte
cesse de siéger, et ne reprend ses fonctions de membre du sénat ou de la
chambre des représentants qu’en vertu d’une nouvelle élection. » L’emploi
de ministre est un emploi salarié ; que le ministre accepte on non le salaire,
cela ne regarde pas la chambre, elle n’a pas à s’en enquérir ; la fonction est
salariée, cela suffit. Déjà trois fois vous avez résolu la question comme nous
vous proposons de le faire ; je ne pense pas qu’aujourd’hui vous voudriez
renier des précédents fondés sur la constitution.
La lettre tue, dit-on,
et l’esprit vivifie. Il n’y a pas lieu de faire cette distinction quand l’un et
l’autre sont d’accord. Je dirai ici qu’on a tort de prétendre que l’art. 36 est
vicieux ; le seul reproche qu’on puisse selon moi lui adresser, c’est d’être
conçu dans des termes trop généraux. Cependant je le respecte comme article de
notre constitution ; la chambre, je n’en doute pas, la respectera aussi, et je
m’étonne que les ministres ne le respectent pas davantage.
L’honorable M. Nothomb a
cru trouver des arguments bien forts dans les exemples qu’il a cités. Il est
vrai, la chambre a décidé que M. Duvivier nommé ministre ad interim
cessait d’être membre de la chambre ; il est vrai que M. Goblet nommé ministre
des affaires étrangères ad interim a été soumis à une
réélection ; mais, dit-il, ces messieurs n’étaient pas ministres d’Etat ; voilà
la différence ! - Un ministre d’Etat est comme un ministre à portefeuille : il
siège au conseil ; seulement il n’est pas chef d’un département. L’honorable M.
Nothomb a oublié une autre différence, c’est que le ministre d’Etat n’a pas
d’appointements, et c’est une chose que les autres ministres n’oublient pas.
Donc jusqu’ici M. le
comte Félix de Mérode n’avait pas de fonctions salariées : et en acceptant le
ministère des affaires étrangères ad interim, qui est
un emploi salarié, il est tombé sous la disposition de l’article 36 de la
constitution et ne peut plus siéger dans cette chambre qu’en vertu d’une
élection nouvelle.
Mais voyons si nous ne
trouverons pas un précédent où la chambre ait eu à prononcer dans un cas tout à
fait identique. L’honorable M. de Theux avait été nommé ministre d’Etat, au
mois de novembre, par un même arrêté qui avait nommé ministre de l’intérieur M.
Fallon ; celui-ci refusa le ministère. Le Roi chargea ad interim
du ministère de l’intérieur, M. de Theux, l’ex-ministre d’Etat. Eh bien, M. de
Theux, nommé ministre de l’intérieur ad interim se
présente dans cette chambre, et sur la motion de M. Osy, il est décidé qu’il
doit se soumettre à la réélection, non comme ministre d’Etat, car personne ne
réclamerait s’il plaisait au gouvernement de nommer les 102 membres de cette
chambre à des fonctions non salariées ; il peut nommer autant de ministres
d’Etat qu’il veut ; la chambre n’a pas à s’en enquérir : il en nommerait comme
il nomme des commissaires du Roi, et il use largement de son droit, car pour le
ministère des finances, il y a cinq commissaires, pour le ministère des
affaires étrangères un, pour celui de la justice un, pour le ministère de
l’intérieur un, pour le ministère, de la guerre deux ; ce qui fait en tout dix
commissaires ; en ajoutant les cinq ministres vous aurez quinze personnes pour
défendre le budget ; il n’en est pas mieux défendu ; mais cela prouve que le
gouvernement peut nommer autant de commissaires qu’il le juge à propos ; et
jamais on n’a demandé que ces commissaires fussent soumis à la réélection. Il
n’en est pas de même des ministres à portefeuille, soit ad interim
soit définitifs ; ils doivent être soumis à la réélection. Voyez où nous
conduirait la doctrine du ministère. Jamais les ministres ne seraient soumis à
la réélection, on commencerait par les nommer ministres
d’Etat, ils se présenteraient parmi nous sans qu’aucun membre ne s’opposât à ce
qu’ils siègent, parce qu’en acceptant les fonctions de ministre d’Etat,
fonctions qui ne sont pas salariées, on aurait mauvaise grâce à invoquer contre
eux l’art. 36 de la constitution ; huit jours après, on les nommerait ministres
ad interim, et si quelqu’un demandait qu’ils se
soumissent à la réélection, M. Nothomb viendrait avec sa subtilité vous dire :
Mais vous ne pouvez pas être si exigeants, celui qu’on vient de charger de la
direction d’un département était déjà ministre d’Etat ; il n’y a aucune
différence entre un ministre d’Etat et un ministre à portefeuille, rien n’a été
changé dans la position du membre dont vous demandez la réélection. Cette
doctrine, comme vous voyez ne tendrait pas à moins qu’à annihiler l’article 36
de la constitution. Tant que cet article existera, bon ou mauvais, il a droit à
un respect absolu, comme toute la constitution, et nous devons forcer les
ministres à respecter la constitution plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) -
Messieurs, je n’ai point déclaré que l’article 36 fût vicieux, j’ai seulement
soutenu qu’il ne m’était pas applicable ; je l’ai prouvé et je désire qu’on ne
suppose pas, mais qu’on prouve que j’occupe un emploi salarié. M. Fleussu
trouve qu’il est mauvais que l’on remplisse gratuitement les fonctions pour
lesquelles un traitement est porté facultativement au
budget. Je n’ai pas à m’occuper de cette répugnance de l’honorable M. Fleussu :
ces répugnances ne peuvent pas être substituées au texte et à l’esprit de la
constitution, et je ne cesserai de demander à mes adversaires quelle est la loi
qui a interdit au Roi de rendre pour un an, pour six ou trois mois, les
fonctions de ministre ad interim gratuites. Je demande
où est cette loi prohibitive ; personne ne la produit, et sans loi quelconque,
sans droit, les honorables opposants veulent arbitrairement, pour satisfaire à
des répugnances, me forcer à renoncer à ma qualité de représentant. Le respect
pour la constitution ne permet point que l’on me soumette ainsi à une mesure
qu’aucune loi n’autorise à m’imposer.
Il ne suffit pas d’un
changement de position dans l’existence du représentant pour qu’il soit
soustrait à la réélection ; il faut qu’un salaire améliore cette position.
M.
de Brouckere. - Messieurs, je suis tombe dans une erreur
relativement à M. de Theux, en disant que la
chambre avait décidé. Mais voici ce qui est arrivé. (Je n’ai pas eu le
temps de lire toute la discussion.) Plusieurs orateurs avaient pris la parole ;
nous avions prouvé que quand on acceptait des fonctions salariées ad interim, force était de se retirer de la chambre pour se
présenter avec de nouvelles élections. M. de Theux avait répondu deux fois, on
avait répliqué, et l’opinion de la chambre se dessinant de telle manière qu’il
ne pouvait pas y avoir le moindre doute sur la manière dont elle se
prononcerait, le gouvernement a senti qu’il allait éprouver un échec, et il a
demandé la remise de la discussion. M. de Theux a immédiatement accepté la
nomination définitive et s’est soumis à la réélection.
C’est une erreur
involontaire que je m’empresse de rectifier.
(Moniteur belge n°11, du 11 janvier 1834) - M. Fleussu. - Messieurs,
je suis heureux que ce soit de M. de Mérode qu’il s’agisse dans cette
discussion ; cela me met fort à l’aise, car personne ne supposera des motifs
personnels à la part que j’y prends.
Pour peu que les choses
continuent comme elles vont depuis quelques temps, je me demanderai si nous
avons encore un ministère, En effet, que vois-je pour conseillers du Roi ? deux
ministres effectifs et trois ministres ad interim ;
le ministre de la justice et le ministre de l’intérieur, qui sont réellement
ministres. A côté d’eux il n’y a que des ministres provisoires : le ministre
des finances dont l’interim durera autant que le
définitif de ses collègues ; au ministère de la guerre, c’est le directeur du
département de la guerre qui remplit les fonctions de ministre ad interim, et aux affaires étrangères, c’est un ministre
d’Etat qui remplit les mêmes fonctions en la même qualité.
Voilà comment se compose
le gouvernement : deux ministres réels ; cependant il y a une responsabilité
ministérielle. Est-ce que ceux qui ne prennent que par complaisance la
signature un ministère, seront également soumis à cette responsabilité
ministérielle ? Je sais que, pour les actes revêtus de signature, la question
n’est pas douteuse ; mais pour les actés d’administration générale, où se
trouve selon moi la responsabilité proprement dite, cette responsabilité
pèsera-t-elle sur les ministres ad interim ?
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Oui, sans doute.
M. Fleussu. - Oui, me
dit M. le ministre de la justice ; vous allez voir que ce sont de véritables
ministres et qu’il n’y a pas de différence entre les ministres ad interim et les ministres réels. Il faut bien que je les
appelle ainsi pour les distinguer des autres. Le gouvernement est fort
embarrassé pour prendre des ministres ad interim ; il
me semble qu’il ne lui serait pas plus difficile de nommer des ministres réels
comme les deux autres.
D’où vient la répugnance
de tous les hommes capables à se charger de la direction des affaires, et qu’il
ne s’en trouve que deux en Belgique ? Je n’en rechercherai pas la cause ; mais
je dirai que si j’avais l’honneur d’être ministre et que je rencontrasse de
semblables obstacles, je m’empresserais de me retirer, croyant que je fais ombrage
à ceux qui pourraient prendre le timon des affaires. Rien ne décèle davantage
le peu de confiance qu’on a dans l’avenir que cet interim
; on dirait que tout est interim en Belgique, que
Je demande ce que c’est
qu’un ministre ad interim. Il n’y en a pas. On peut
faire les fonctions d’un ministre ad interim, mais
non être ministre ad interim. On remplit des
fonctions ad interim, parce que le titulaire est
absent, malade, empêché par une cause quelconque ; mais si on est nommé à des
fonctions de ministre, ne fût-ce que pour vingt-quatre heures, lorsqu’il n’y a
pas de titulaire, on est ministre effectif, on est sur la même ligne que les
autres ministres. Tout ce que je puis voir dans la nomination d’un ministre ad interim, c’est que vous n’avez pas placé toute votre
confiance dans la personne que vous avez nommée et que vous avez le projet de
vous assurer d’autres collaborateurs. Voilà ce qu’indique la nomination d’un
ministre ad interim ; mais toujours est-il que celui
que vous avez nommé, quel qu’il soit, fût-ce pour une demi-journée, si sa
nomination a eu lieu en l’absence du titulaire, ce n’est pas un ministre ad interim, mais un ministre effectif. Partant de là, voyons
si le ministre d’Etat, comte Félix de Mérode, est ministre des affairés
étrangères ou non.
Il en a la signature ;
je ne sais si vous vous contenterez de cela, mais pour moi la signature me
paraît engager suffisamment la responsabilité. Je viens de prouver que le mot interim ne signifiait rien. M. le général Goblet s’est
retiré, il y a absence de titulaire ; M. de Mérode, prenant sa place, est
ministre des relations étrangères. Mais, en le nommant à ces fonctions, on a
voulu éluder la loi qui l’obligeait à se soumettre à une réélection.
Il faut rendre grâce à
la franchise avec laquelle M. de Mérode nous a dit qu’on avait voulu éluder la
loi, que c’était dans ce dessein qu’on avait employé telle forme plutôt qu’une
autre. Je ne sais pas si on peut se jouer ainsi d’une constitution et fouler
les lois aux pieds ; je ne le pense pas, et je ne pense pas non plus que la
chambre soit disposée à le tolérer.
M. de Mérode n’était que
ministre d’Etat ; il est devenu ministre à portefeuille. Le mandat qu’il avait
reçu du district de Nivelles est tombé. Il ne reçoit pas de traitement, il nous
l’a dit, je le crois ; mais avez-vous vu, dans l’arrêté qui le nomme, qu’il
soit dit qu’il donnera sa signature gratis ? Il peut se montrer généreux, il
peut renoncer à son traitement ; mais cela importe peu, si ne dépend pas de lui
de faire que le poste qu’il occupe ne soit pas un poste salarié, et il suffit
aux termes de l’article 36 de la constitution, qu’on arrive à un poste salarié
pour prendre le mandat qu’on a reçu du peuple. Voici les termes de l’article de
la constitution : « Quiconque accepte un emploi salarié ; » or je dis
que tous les ministres à portefeuille occupent des emplois salariés, et pour le
prouver il suffit d’ouvrir le budget ; par conséquent tous ceux qui le sont
nommés, tombent sous l’article 36 de la constitution.
On a fait de longs
efforts pour nous prouver ce que c’était qu’un ministre d’Etat ; que leur
existence n’était pas inconstitutionnelle, et qu’en prenant la signature des
affaires d’un département, ils n’apportaient aucun changement à leur état. De
la manière dont on a raisonné, vous avez dû voir que le ministre d’Etat ne
serait qu’un marchepied pour arriver au ministre effectif, sans être soumis à
la réélection.
Nommé ministre d’Etat,
vous ne pouvez pas le soumettre à la réélection ; il ne tomberait pas sous
l’application constitutionnelle de l’art. 36 ; après on lui donnerait la signature
des affaires d’un département, et vous ne pourriez pas exiger qu’il se
présentât à de nouvelles élections, parce qu’il était ministre d’Etat, et comme
tel, le Roi aurait pu le charger de la signature de ses actes, sans qu’il
perdît son caractère de représentant. Voilà donc un homme nommé ministre non
soumis à la réélection, parce que les fonctions qu’il exerce ne sont pas
rétribuées, et ensuite chargé d’un portefeuille sans être obligé de se
conformer aux dispositions de l’art. 36, parce qu’il était précédemment
ministre d’Etat. Voilà le cercle vicieux dans lequel on est resté : on a voulu
résoudre la question par la question ; voilà comment on viendrait à éluder les
dispositions de la loi.
On nous a dit que les
ministres d’Etat prenaient part aux conseils de la couronne, et qu’ils
partageaient la responsabilité avec les autres ministres pour les actes
délibérés en conseil. J’avoue que j’ai eu besoin de la déclaration d’un
ministre pour y croire. Car combien de fois n’est-il pas arrivé que des ministres
d’Etat, dans cette, chambre, attaquaient les ministres à portefeuille ?
N’avez-vous pas vu un ministre d’Etat adresser des interpellations au ministre
au sujet d’un duel qui eut lieu a Tournay et de quelques indécences commises
dans une église ? Ce ministre d’Etat n’a-t-il pas interpellé le ministre de la
justice pour savoir si des poursuites avaient été ordonnées contre ceux qui
auraient contrevenu aux lois ? Eh bien, après cela on vous dira que les
ministres d’Etat ont la même part aux affaires, la même connaissance des choses
que les autres ministres !
On nous a parlé de
précédents, et on nous a dit que M. de Muelenaere, ministre des affaires
étrangères, avait été chargé de la signature du département de l’intérieur,
sans être soumis à la réélection.
L’exemple est mal choisi
; car ici il y avait un ministre effectif, faisant les fonctions ad interim d’un ministre qui s’était retiré ; mais M. de
Muelenaere était déjà ministre à portefeuille, ses attributions seules étaient
augmentées, et il restait ministre des affaires étrangères. En est-il de même à
l’égard de M. de Mérode ? Non : jusqu’à présent il n’a été que ministre non
salarié, et de ce qu’il veut renoncer au traitement de ses nouvelles fonctions,
il ne peut pour cela échapper aux dispositions de la loi.
Je
saisirai cette occasion pour faire une observation, sur ceux qui ont la
prétention de servir l’Etat gratis ; comme je connais les sentiments de M. de
Mérode, ce n’est pas à lui que s’appliquent mes paroles. Je n’aime pas à voir
des fonctionnaires renoncer à leur traitement, parce qu’ils ne le font que pour
être récompensés autrement, soit en honneurs, en crédit ou de toute autre
manière ; je veux que ceux qui servent l’Etat touchent les sommes que vous avez
attachées à leurs fonctions, et ne puissent pas éluder les dispositions que
vous avez cru devoir insérer dans les lois.
M.
de Theux. - Je ne pense pas que ce soit sérieusement que le
préopinant a fait allusion à ma qualité de ministre d’Etat ; il sait parfaitement
que je ne prends aucune part aux délibérations du conseil. Je ne pouvais rester
membre du conseil puisque le nouveau cabinet entrait dans une voie opposée au
système que nous nous étions engagés de suivre. Ainsi, ma qualité se résume en
un titre honorifique. Ceci d’ailleurs est étranger à la question qui nous
occupe.
Je viens à la question
relative à l’honorable comte de Mérode chargé de la signature des actes du
département des affaires étrangères. Il me semble que, dans cette discussion,
on a confondu deux décisions différentes de la chambre. Par une décision au
moins tacite, elle a confirmé la doctrine soutenue par M. le comte de Mérode, à
savoir qu’un ministre d’Etat, chargé simplement ad interim
de la signature des actes d’un ministère, n’est pas sujet à réélection, tandis
que dans une autre circonstance, la chambre a décidé qu’un ministre d’Etat
nommé ad interim à un département d’administration
devait se soumettre à la réélection. Le motif de cette distinction n’est pas
difficile à saisir. Il suffit de remonter aux antécédents. Déjà un honorable
orateur a rappelé ce qui s’était passée en 1831, lorsque le Toi le confia le
portefeuille de l’intérieur.
La discussion s’éleva
sur le point de savoir si, par le fait seul de ma nomination, quoique je ne
touchasse pas de traitement, j’étais sujet à réélection ; cette question ne fut
pas vidée, parce que le Roi me confia (erratum
au Moniteur belge n°13, du 13 janvier 1834) le même jour au plus la
direction effective de ce département. Mais cette circonstance était
essentielle à rappeler, pour la décision de la question actuelle. Sur quoi
s’est-on fondé dans la discussion qui me concernait ? On a dit : L’arrêté ne
porte pas que vous exercerez vos fonctions gratuitement, et bien que votre
intention soit de ne pas toucher vos appointements ; cependant il dépend de
vous de faire cesser ce fait quand vous voudrez, et de toucher vos
appointements ; vous n’avez pas pour cela besoin de nouvelle disposition royale
; il suffit que vous soyez nommé titulaire ad interim
pour avoir droit au traitement, puisque le ministre par interim
n’est pas moins ministre effectif. L’honorable comte de Mérode a fait cesser
cette difficulté, en ne se faisant pas nommer ministre ad interim,
et en acceptant seulement la signature des actes d’un ministère en sa qualité
de ministre d’Etat. Pourquoi cette différence ? Pour que M. le comte de Mérode
ne puisse pas toucher le traitement qui est attaché au titre effectif de
ministre. En effet, pour toucher le traitement d’un emploi, il faut être
titulaire de l’emploi. Or, le ministre d’Etat chargé momentanément de la
signature des actes d’un ministère ou d’autres actes déterminés n’est pas
titulaire du département.
A la vérité, il y a
synonymie quant à la responsabilité qu’impose le contreseing ; car peu importe
qu’on soit titulaire ou simplement signataire, puisque la constitution porte
que tout ministre qui contresigne un acte du Roi se rend par cela seul
responsable. Ainsi, quant à la responsabilité, pas de différence ; mais quant
au traitement, différence essentielle.
Quad M. le général
Goblet fut nommé à l’interim des affaires étrangères,
il devint titulaire effectif du département ; ainsi on ne peut pas se prévaloir
de ce qui s’est passé à son égard. M. le comte de Mérode ne se trouve pas dans
le même cas ; l’acte de sa nomination diffère essentiellement dans les termes
de celui de M. le général Goblet, de qui il dépendait de toucher son
traitement, car il était effectivement titulaire. Pour éviter l’embarras d’une
nouvelle réélection, M. le comte de Mérode étant bien dans l’intention de
renoncer au traitement attaché à ses fonctions, l’arrêté qui lui donne la
signature du département des affaires étrangères fut rédigé dans les mêmes
termes que celui relatif au département de la guerre, dont la signature lui
avait été attribuée au mois de mars 1832.
Or, l’arrêté de mars
1832 avait été communiqué à la chambre : déjà la question dont il s’agit avait
été soulevée devant elle en novembre 1831, et si la chambre n’avait pas reconnu
de différence entre les deux arrêtés, cette question eût été de nouveau
soulevée.
La distinction que
j’établis est donc fondée non seulement sur les actes de la chambre, mais elle
est aussi fondée en raison.
Lorsque par la
constitution il a été prescrit que les membres de l’une ou l’autre chambre
nommés à des emplois salariés cesseraient de siéger et ne représenteraient
leurs fonctions qu’après une nouvelle élection, c’est parce que le congrès a
cru que l’indépendance du député, si elle n’était pas compromise par une nomination
à un emploi salarié, était du moins suspecte vis-à-vis de ses commettants, et
il a voulu que le député subît de nouveau l’épreuve de l’élection. Mais ici ce
motif n’existe pas ; le comte de Mérode ne touche pas de traitement, et
l’arrêté est conçu en des termes tels qu’il ne peu pas en exiger, parce qu’il
n’est pas titulaire du département des affaires étrangères et qu’il n’a que la
signature des actes en sa qualité de ministre d’Etat.
Vous
sentez les inconvénients qui résulteraient d’une interprétation exagérée de
l’article 36 de la constitution ; vous exposeriez le Roi de grands embarras.
Quand un portefeuille devient vacant le Roi n’a pas du jour au lendemain un
ministre à qui il puisse le confier ; il faut bien lui laisser la latitude de
prendre dans la chambre l’un ou l’autre membre qui a la complaisance de se
charger sans traitement des actes de ce ministère La question est d’autant plus
facile à résoudre ici que M. de Mérode est appelé à contresigner les actes de
la volonté du Roi, sans être habile à toucher un traitement comme ministre,
parce qu’il n’est pas titulaire du département.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’ai dit, messieurs, que M. le
ministre d’Etat comte de Mérode se présentait devant la chambre pour la troisième
fois dans la même position ; qu’il a été chargé d’abord de la signature du
ministère de la guerre, qu’alors il ne s’est élevé aucune réclamation,
qu’ensuite il a été chargé de la signature du département des affaires
étrangères, et qu’encore cette fois il n’y avait pas eu d’objection. Il se
présente donc fort de deux précédents qui lui sont personnels ; il y en a eu un
troisième qui se trouve dans la discussion qui a eu lieu le 15 novembre 1832,
au sujet de M. le général Goblet.
Ici on m’a prêté, pour
me combattre, un raisonnement que je n’ai pas fait. J’ai dit que le général
Goblet, depuis son élection comme député, avait été nommé ministre d’Etat, et
le même jour chargé de l’interim des affaires
étrangères ; qu’ainsi il ne s’était pas présenté devant les électeurs de
Tournay avec la qualité de ministre du Roi ; que telle n’était pas la position
de M. de Mérode, qui s’était présenté aux dernières élections de Nivelles
revêtu de cette qualité et que c’était comme ministre du Roi, avec cette
qualité préexistante, qu’il avait été élu député par les électeurs de Nivelles.
Il y a évidemment une différence fondamentale dans la position ou se trouve le
comte de Mérode, et celle où se trouvait le général Goblet.
Ainsi, c’est comme
ministre du Roi que M. de Mérode a été élu député. Quel changement est-il
survenu dans sa position ? ce changement affecte-t-il sa position de manière à
résilier son élection aux termes de l’article 36 de la constitution ?
Voici comment
s’exprimait un honorable orateur dans la discussion que j’ai déjà rappelée, du
16 novembre 1832 :
« Et moi aussi, je
resterai fidèle au vote que j’ai émis précédemment, en votant pour la
réélection. L’article 36 de la constitution est conçu en termes assez vagues.
La première fois qu’une discussion s’est élevée sur cet article, c’est quand M.
de Theux fut nommé ministre de l’intérieur. La discussion occupa une séance
tout entière, et la décision fut renvoyée à un autre jour. Dans l’intervalle,
la nomination ad interim devint définitive et la
solution de la question fut par là rendue inutile. Peu de temps après, M. de
Mérode fut nommé ministre de la guerre ad interim :
je n’avais pas soulevé la question quant à M de Theux, je ne voulus pas la
soulever pour M. de Mérode ; mais si un de mes collègues l’avait fait, je
n’aurais pas hésité à demander que M. de Mérode se soumît à la réélection.
Voici comment j’entends l’article 36. Il faut, pour qu’un député soit soumis à
la réélection, qu’il y ait changement dans sa position ; Or, c’est ici le cas.
Quand M. Goblet a été élu par les électeurs de Tournay, il était général et
inspecteur-général du génie, mais il n’était pas ministre. La position n’est
donc pas la même. »
Plusieurs voix. - Qui a dit cela ?
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Cet orateur est M. Henri de
Brouckere. Eh bien, messieurs, je reprends et je dis : Voici comme j’entends
l’art. 36 de la constitution : il faut, pour qu’un député soit rééligible,
qu’il y ait changement dans sa position : or, ce n’est pas ici le cas. Quand le
comte de Mérode a été élu à Nivelles, il était ministre. Mais, nous dit M.
Fleussu, il y a changement dans la position de M. de Mérode : il est très vrai
qu’il était déjà ministre du Roi, quand il a été nommé député par les électeurs
de Nivelles ; mais il était alors ministre sans salaire, tandis qu’aujourd’hui
il est chargé d’un département spécial, et, comme tel il a droit à un
traitement ; il est donc nommé à une place salariée. Qu’il accepte ou qu’il
n’accepte pas le salaire, cela ne fait rien à la question ; c’est un acte de
générosité de sa part, dont nous n’avons pas à nous enquérir. Je vais prouver,
messieurs, qu’il se pourrait qu’un ministre d’Etat fût momentanément appelé à
la tête d’un département, sans qu’il fût possible de lui allouer un traitement.
Vous votez un traitement
actuel divisible par douzième ; quiconque donne sa démission au commencement du
mois a droit à son traitement pendant le mois entier. Je suppose que le général
Goblet, au lieu de donner sa démission le 21 décembre, l’eût donnée le 4
janvier : c’est lui qui eût touché le douzième affecté au mois de janvier...
M.
de Brouckere. - Cela ne nous regarde pas.
M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le titulaire qui eût été nommé
le 6 janvier n’aurait touché que le douzième de février. Le ministre d’Etat qui
eût été chargé de signature de ce département du 4 janvier au 26 du même mois
n’aurait pu toucher aucun traitement. Il n’est donc pas vrai de dire que la
fonction de ministre par interim, est nécessairement
et de plein droit une fonction salariée ; car il peut y avoir impossibilité de
la salarier. On ne dira pas, je pense, que c’est encore une subtilité ; le cas
s’est présenté en 1831, au mois d’août ; des changements si subits ont eu lieu
dans le cabinet, qu’il a été impossible de salarier un ministre. Cette
impossibilité existe encore quand il y a un titulaire absent.
Ainsi les précédents
restent tout entiers ; d’abord les deux précédents personnels à l’honorable
ministre d’Etat dont il s’agit, et ensuite le précédent que j’emprunte à la
discussion qui a eu lieu au sujet du général Goblet.
En
terminant, je me permettrai comme député une réflexion qui tient à la
régularité de nos débats. La première question, celle de savoir si M. de Mérode
est ministre ad interim, se trouve maintenant résolue
par la déclaration qu’il a faite. Il est reconnu ministre d’Etat ; reste une
deuxième question personnelle à M. le comte de Mérode et étrangère au budget :
je demanderai si aux termes du règlement on a déposé une proposition tendant à
ce que M. le comte de Mérode soit déclaré rééligible.
M. le président. -
Il n’y a pas de proposition.
M.
de Brouckere. - Je n’ai aucune répugnance à faire une
proposition et à montrer mon respect pour la constitution.
L’honorable préopinant
vient de lire une partie d’un discours que j’ai prononcé dans une discussion
analogue à celle-ci ; il résulte de mes paroles que je pensais alors comme je
pense actuellement. Je ne suis pas de ces gens qui disent aujourd’hui d’une
façon, et qui diront ensuite d’une autre façon. On ne m’a pas encore trouvé en
contradiction avec mes principes.
J’ai toujours soutenu
que, du moment que l’on accepte une fonction salariée, on cessait d’être membre
de la chambre ; je l’ai soutenu à l’égard de M. Duvivier, à l’égard de M.
Goblet, comme je le soutiens actuellement à l’égard de M. de Mérode.
Quel
est l’argument du ministère ? M. de Mérode, étant ministre d’Etat, peut devenir
ministre ad interim sans être susceptible de
réélection ; il suit de là que le Roi pourra prendre ses ministres parmi les
membres de cette chambre, sans les soumettre à une nouvelle élection ; car pour
cela il faudra seulement que le Roi nomme un membre ministre d’Etat, puis
ensuite qu’il en fasse un ministre ad interim. Ce
n’est là qu’une subtilité dont l’erreur a dû vous frapper tous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je
regarde la question comme très importante pour le pays. Il ne faut pas
circonscrire le gouvernement dans les limites les plus étroites. Il ne faut pas
non plus assurer que je remplis des fonctions salariées quand les faits
démontrent le contraire.
Le
respect pour la constitution consiste à ne pas violer les droits des députés.
Il faut qu’il y ait changement dans la position pécuniaire du député pour qu’il
soit soumis à la réélection ; c’est là ce que veut la constitution ; or, il n’y
a pas un semblable changement dans ma position puisque j’exerce gratuitement ;
donc, on ne peut me soumettre à une réélection. On vous l’a dit, un ministre ad
interim, c’est un ministre qui n’entend pas conserver
indéfiniment le portefeuille : si quelqu’un désire celui qu’on m’a confié qu’il
le prenne, il ne me fera tort en aucune manière. Ce n’est pas pour éluder la
loi qu’on m’a donné la signature ad interim ; j’ai
dit que c’était pour éviter d’éveiller des susceptibilités mal fondées.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Si nous insistons autant sur la question que nous
débattons, c’est qu’elle est grave puisqu’il s’agit ici de l’application de la
constitution.
Des deux côtes on
invoque la constitution, et des deux côtés on professe un égal respect pour
elle. Nos adversaires disent : La constitution sera violée si M. le comte Félix
de Mérode n’est pas soumis à une réélection ; d’un autre côté on dit : Vous
attenterez aux droits électoraux, vous violerez la constitution, si vous
déclarez que ce ministre d’Etat doit être soumis à une réélection. Ce n’est pas
seulement au banc des ministres que l’on soutient cette thèse…
Une voix. - C’est un autre ministre d’Etat
qui la soutient.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Messieurs, il peut se faire qu’il y ait une sorte
d’anomalie dans cette situation d’un ministre d’Etat qui n’est pas membre du
conseil ; mais tout le monde sait que l’honorable M. de Theux n’est que
ministre honoraire, qu’il ne siège pas au conseil, et qu’il ne sait pas même ce
qui s’y passe.
Pour comprendre une
disposition qui offre des doutes, il faut remonter à son origine ; il faut
s’attacher à voir comment les assemblées délibérantes qui nous ont précédés,
ont toujours entendu et appliqué de pareilles dispositions. Eh bien, pendant
tout le temps qu’a duré la restauration en France, l’opposition a constamment
motivé la demande de réélection des députés promus à des fonctions publiques,
sur ce que ces fonctions, étant salariées, offraient un appât à la cupidité, un
moyen de corruption au pouvoir, et donnaient ainsi au gouvernement la faculté
d’altérer l’indépendance et la pureté de la représentation nationale.
Tout récemment, M. le
général Sébastiani, si mes souvenirs sont fidèles, a été chargé par interim du département de la guerre pendant l’absence du
maréchal Soult ; la question de sa réélection n’a pas même été soulevée dans
l’une ou l’autre chambre française, parce que M. le général Sébastiani ne
touchait apparemment aucun traitement pour ces fonctions provisoires.
Je dirai avec M. le
commissaire du Roi qu’il n’y a pas d’antécédent contre la thèse que nous
soutenons, et qu’au contraire nous nous appuyons sur plusieurs antécédents
favorables. Mais, y eût-il des antécédents défavorables, je m’élèverais encore
contre la règle qu’ils tendraient à établir, selon moi, du moment qu’il n’y a
pas salaire ; on n’est ni dans les termes, ni dans l’esprit de la constitution.
C’est véritablement la
question du salaire qui a déterminé les législateurs.
On a raisonné comme si
les fonctions de ministre étaient constamment et nécessairement salariées ;
mais, messieurs, il n’en est pas ainsi. Les fonctions de ministre ne sont pas
nécessairement salariées ; il n’y a pas de loi qui le déclare. Vous avez voté
un crédit au budget ; le gouvernement peut ou non disposer de ce crédit. S’il
plaisait au gouvernement de déclarer, par un arrêté, qu’un ministre intérimaire
ne jouira de traitement qu’après le troisième ou le quatrième mois d’exercice
(et ce pouvoir est dans les prérogatives du gouvernement, car il règle en
général les traitements), vous auriez pendant trois ou quatre mois un
ministre-députe non soumis à la réélection. Le gouvernement règle les
traitements non pas conformément au budget : le budget n’est qu’une loi de maximum.
La loi du budget dit au gouvernement : Vous disposerez ou vous ne disposerez
pas de telle allocation ; et si vous disposez, vous ne passerez pas telle
limite. Il n’y a de fonctions salariées par la loi que les fonctions des
magistrats. Nos adversaires reconnaissent que les ministres d’Etat ne sont pas
soumis à la réélection parce que leurs fonctions sont gratuites ; nous leur
demanderons quelle est la loi qui déclare les fonctions de ministre à
portefeuille non gratuites ?...
M. Fleussu. - C’est
le budget !
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Le budget, je répète que c’est une loi facultative. Si
le gouvernement créait un sixième ministre à portefeuille et voulait ne pas lui
accorder de traitement, on n’augmenterait pas le budget, et ce sixième ministre
pris dans les chambres ne serait pas rééligible.
Aussi longtemps que le
salaire ne sera pas perçu par M. le comte Félix de Mérode, il n’y aura pas lieu
à réélection : il est dans la position d’un sixième ministère à portefeuille
que créerait le Roi, et auquel il refuserait tout traitement.
On a dit qu’il serait
facile d’éluder l’article 36 de la constitution, en nommant des ministres
d’Etat auxquels ou donnerait ensuite des portefeuilles ad interim
: comme député, je me réjouirais de ce bon tour que le gouvernement jouerait à
la représentation nationale, car il épargnerait annuellement cinquante,
soixante, cent mille francs au trésor public.
Je crois que personne ne
pense sérieusement à la réalisation de cette hypothèse dérisoire.
Je trouve dans l’art.
103 une nouvelle preuve que c’est par le salaire seul que la constitution a
réputé engagée l’indépendance politique. Les honneurs, les crédits attachés au
ministère, n’empêcheraient pas un juge devenu ministre de rester juge, pourvu
qu’il ne touche pas le traitement de ministre. S’il le touche, il ne peut
rester juge. La loi a stipulé ici pour les justiciables, comme elle le fait
ailleurs pour les électeurs. Des subtilités de texte ne peuvent rien contre
cette manière rationnelle d’expliquer la constitution.
Je me résume, messieurs,
et je dis que les fonctions de ministre ne sont pas essentiellement,
nécessairement salariées ; que le budget est muet à cet égard, qu’il dépendait
du gouvernement de réduire de moitié le traitement des ministres ; qu’il
dépendrait de lui de dire que, eu égard à certaines circonstances, le
traitement en sera pas perçu pendant une période donnée ; que c’’est donc le
gouvernement qui décide si les fonctions ministérielles ou certaines d’entre
elles sont ou non salariées.
Je croirais abuser de
vos moments, si j’insistais sur ces considérations.
Je déplore, comme nos
honorables contradicteurs, le maintien de l’interim
en matière de haute administration. C’est pour la marche des affaires un très
grand mal ; et cela porte atteinte à la dignité du gouvernement et à son
influence. Les répugnances que l’on montre à remplir les fonctions de ministre
sont appréciables pour chacun de vous ; Je n’y reviendrai point ; ce que je
puis dire, c’est qu’elles ne proviennent pas de nous, comme on veut le faire
comprendre ; c’est qu’elles ne tiennent pas uniquement à la présence de
certaines personnes au conseil : de telles insinuations me forcent à le dire :
trois fois, messieurs, nous avons laissé le champ
ouvert aux candidatures ministérielles ; trois fois, nos démissions ont été
offertes en masse ; dernièrement encore l’accès du cabinet était parfaitement
libre ; et si on n’a pas réussi à former un nouveau conseil, ce n’est
certainement pas notre faute.
M. le
président. - Voici la proposition faite par M. de Brouckere :
« Je propose de
déclarer que M. le comte F. de Mérode, ayant été nommé ministre des affaires
étrangères ad interim et ayant accepté ces fonctions,
tombe sous les dispositions de l’article 36 de la constitution et doit cesser
de siéger comme membre de la chambre. »
M. Gendebien. -
Messieurs, je crois qu’il est du devoir de tout député de faire respecter la
constitution, et c’est pour remplir ce devoir que je prends la parole.
Messieurs, parmi les
orateurs que vous avez entendus jusqu’à présent, un seul membre s’est levé pour
soutenir les théories ministérielles ; encore est-il ministre d’Etat, ministre honoraire,
ainsi qu’on vient de vous l’apprendre. Je ne relève ce fait que pour faire
remarquer que nous venons de découvrir une quatrième espèce de ministre, ou
plutôt une cinquième ; car nous avons le ministre à portefeuille, dit
définitif, le ministre à portefeuille ad interim, le
ministre d’Etat, le ministre d’Etat ayant signature, et le ministre honoraire.
Si j’avais le temps de chercher un peu, je suis sûr que j’en découvrirais de 7
à huit espèces.
On pourrait les
augmenter encore et soutenir que ce sont toujours des ministres ou des types de
ministres dans l’ordre de la constitution. Je vous demande si, d’après cela, il
est permis d’attacher la moindre importance aux arguments présentés par nos
adversaires, qui d’ailleurs ont été amplement réfutés. Peut-on raisonnablement
soutenir après cela qu’un ministre d’Etat prenant un portefeuille ad interim, ou acceptant la signature seulement, ne change
pas, sa position et ne se trouve pas dans la catégorie des députés auxquels
doit être appliqué l’art. 36 de la constitution ?
Mais je ferai remarquer
que M. le ministre d’Etat honoraire est venu se mettre en contradiction avec
l’honorable ministre d’Etat dont il s’agit, le conte Félix de Mérode. Il nous a
dit : M. le comte de Mérode, n’est chargé que de la signature et il n’a pas été
nomme titulaire afin qu’il ne puisse pas toucher de traitement. M de Mérode, de
son côté, nous a dit que ce n’était pas pour cela qu’on avait ainsi rédigé
l’acte qui le concerne, mais pour éviter une réélection, c’est-à-dire pour éluder
la constitution, pour passer par-dessus la constitution. Quand cet honorable
membre, qui n’appartient plus au ministère, se sera mis d’accord avec ceux
qu’il veut défendre, nous pourrons peser ses arguments ; mais, nous l’invitons
d’abord à s’entendre avec ces messieurs. M de Mérode (c’est toujours le même
ministre d’Etat honoraire qui parle), M. de Mérode, dit-il, n’est pas titulaire
du ministère des affaires étrangères, il a seulement la signature des pièces.
Je lui demanderai qui donc est titulaire de ce ministère. Il faut convenir
qu’il n’y a pas de ministère, ou il faut trouver quelque part un titulaire ; je
ne conçois pas de ministère possible sans titulaire. Ne venez donc pas avancer
que M. de Mérode n’est pas titulaire, mais seulement signataire par interim, lorsqu’il n’y a pas d’autre titulaire. Cet
argument ne signifie rien.
M. de Mérode ne peut
signer valablement les actes émanant de l’autorité royale qu’autant qu’il soit
titulaire : peu importe que ce soit par intérim ou non, qu’il touche son traitement,
qu’il ne le touche pas ; pour être ministre responsable constitutionnellement,
il faut qu’il soit titulaire ou qu’il remplace momentanément un titulaire. Ces
distinctions d’honoraire, ad interim, ayant seulement
la signature, ne peuvent rien changer à sa position ; il a été démontré que ce
n’était qu’un mauvais jeu de mots.
En effet quelle
différence y a-t-il entre le ministre des finances intérimaire, dont l’intérim
dure depuis 16 mois, avec les mêmes prérogatives que ses collègues ? On est
venu nous demander quelle était la loi qui défendait au Roi de nommer des
ministres sans traitement. Certainement il n’y en a pas ; mais là n’est pas la
question, vous la déplacez pour la porter sur un terrain vague où vous êtes sûr
de ne rien rencontrer. En venant demander qu’on vous cite une loi que vous,
ministre d’Etat, savez ou devez savoir ne pas exister, vous êtes convaincu que
vous rendez la question insoluble, et ce n’est que cela que vous voulez ; en
provoquant de moi cette solution, vous êtes certain qu’elle n’est pas possible.
Mais ce n’est pas sur des subtilités qu’est fondée la constitution, elle a dit
que la nomination à tout emploi salarié ôtait aux membres des deux chambres le
droit de siéger, à moins d’une élection nouvelle, parce qu’elle a voulu éviter
toute discussion sur la question de savoir si le titulaire reçoit ou non son
traitement, question qui pourrait rester indécise six mois, un an, deux ans,
enfin jusqu’au moment où la cour des comptes serait appelée à constater si le
traitement a été touché ou non.
C’est pour éviter la
fraude à la loi que la constitution s’est servie des termes absolus emploi salarié. Ouvrez le budget, vous y
verrez constamment un salaire affecté aux fonctions de ministre ; il ne faut
qu’un peu de bonne foi et de bon sens pour se convaincre que M. Félix de Mérode
se trouve dans le cas prévu par l’article 36 de la constitution. Le texte est
assez positif. « Tout membre de l’une ou de l’autre chambre nommé à un
emploi salarié cesse de siéger, et ne reprend ses fonctions de membre de la
chambre qu’en vertu d’une nouvelle élection. »
Est-ce que la
constitution fait une distinction entre le ministre ou tout autre fonctionnaire
nommé à un emploi salarié qui touche son traitement, et celui qui ne le touche
pas ? II suffit que le Roi ait appelé un membre de la chambre à une fonction
salariée, pour que l’article que je viens de citer lui soit applicable. Nous
n’avons pas à nous enquérir s’il touche ou non son traitement. S’il ne le
touche pas, il peut y avoir des remerciements à lui adresser. Car je ne partage
pas l’opinion d’un honorable préopinant, qui croit devoir jeter du blâme sur
ceux qui veulent servir l’Etat gratuitement.
Je félicite M. de Mérode
d’avoir refusé son traitement, mais je déclare que cela ne change rien à sa
position. Au surplus, l’arrêté ne dit pas que les fonctions dont M. de Mérode a
été chargé soient exécutées gratuitement, et il l’eût dit que c’eût encore été
la même chose ; seulement c’eût été de la part du gouvernement une violation
indirecte de la constitution, et il est de principe qu’on ne peut pas faire
indirectement ce que la loi interdit directement. Ainsi dans ce cas on ne
pouvait se soustraire au texte de l’article 36.
Le ministre d’Etat vous
a dit : Un ministre ad intérim est celui qui n’entend pas conserver
indéfiniment son portefeuille. Veut-il dire par là que ceux qui sont dans une
autre position que lui entendent conserver leur portefeuille
indéfiniment ? Vous voyez que cet argument conduit directement à
l’absurde. Il résulte de l’observation du ministre qu’en définitive un ministre
ad interim, pardonnez-moi la trivialité de la
comparaison, ne sert qu’à représenter un écriteau : maison à louer, ministère à
louer !
Voilà la force des
arguments de nos adversaires. Je n’insisterai pas davantage sur ce point.
On nous a cité un
exemple tiré de ce qui se fait en France. D’abord, je dois dire que je
repousse, et depuis longtemps j’ai repoussé, les exemples tirés des autres
pays. Nous savons le chemin que les doctrinaires ont fait faire en France à la
représentation nationale, et j’espère que jamais la représentation belge ne
s’engagera dans une pareille voie. On a cité l’interim
de M. le général Sébastiani ; mais M. le ministre de la justice, en faisant
cette citation, n’a pas réfléchi que d’avance on lui avait répondu : il y avait
un titulaire au ministère de la guerre dont l’intérim était confié à M. le
général Sébastiani ; ce titulaire était M. le maréchal Soult. C’était là un véritable interim
dans le sens que le mot comporte. Y a-t-il un titulaire au ministère des
affaires étrangères ? non ; par conséquent, vous n’avez aucune conséquence à
tirer de l’exemple malencontreux puisé au ministère de France et aux chambres
françaises.
M. le ministre de la
justice a cherché un autre argument dans l’art. 103 de la constitution qui
concerné la magistrature ; il vous a dit qu’un magistrat appartenant à l’ordre
judiciaire pouvait accepter toute espèce de fonction quelconque, pourvu qu’il
renonçât au traitement.
M. le ministre me donne
l’occasion de révéler un autre genre d’inconstitutionnalité, tout en retourner
contre lui l’argument qu’il a tiré de cette disposition. L’art. 103 porte : «
Aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins
qu’il ne les exerce gratuitement, et sauf les cas d’incompatibilité, déterminés
par la loi. »
Si les deux cas étaient
les mêmes, si le mot salarié qui se trouve dans l’article 36 suffisait pour ce
qui concerne la magistrature, on n’aurait pas ajouté à l’art. 103 : « à
moins qu’il ne les exerce gratuitement. » Le législateur se serait arrêté
au mot salarié ; mais il a voulu établir une différence entre les deux cas.
Dans le premier, il a voulu que la nomination à une fonction salariée soumît le
membre qui en était revêtu à la réélection, sans qu’on eût à s’enquérir si le
salaire était touché ou non. Dans le second cas, au contraire, il y a lieu
d’examiner si le magistrat nommé à des fonctions salariées, non déclarées
incompatibles par la loi, reçoit ou non le salaire attaché à ces fonctions ; et
cela parce que l’article
Il me reste à vous
révéler de quelle manière M. le ministre viole la constitution.
Eh bien, le gouvernement
a envoyé le général Merx à Berlin. M. le général Merx est conseiller à la haute cour militaire, et cependant
il a reçu un traitement de 14 mille florins par an. On a bientôt vu que l’art.
103 était un obstacle, et on lui a donné à titre d’indemnité quatre-vingts
francs par jour, ce qui équivaut au traitement de 14 mille florins qu’on lui
avait accorde précédemment.
Il existe un arrêté du
roi Léopold, pris au mois de septembre dernier, par lequel il est déclaré que
la mission du général Merx doit être gratuite, mais
qu’étant temporaire il recevra une indemnité de 80 francs par jour qui sera
prise au budget sur l’article unique du chapitre VI, dépenses imprévues.
Voyez si le gouvernement
n’a pas le même moyen d’aller puiser dans les chapitre des dépenses imprévues
de quoi salarier des fonctionnaires ad interim. Je
vous laisse à juger si le congrès a été prudent quand il a établi cette
différence que je viens de démontrer, entre l’article 36 et l’article 103 à
l’égard des députés.
J’attends qu’on me
réponde, et je défie le ministère, et qui que ce soit, de répondre aux
arguments que j’ai tirés de la comparaison des articles 36 et 103.
J’aurais
d’autres observations à faire, mais celles que j’ai présentées me paraissent
décisives, et je croirais abuser de votre patience si je prolongeais davantage
la discussion. Je pense que, la main sur la conscience, tout député jaloux de
remplir son mandat, qui voudra comparer les articles 36 et 103 de la
constitution, trouvera la même solution que moi.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - Messieurs, je regrette de ne m’être pas trouvé ici
pendant le discours que vous venez d’entendre. Le préopinant, répondant à
l’argument que j’avais tiré de l’art. 103 de la constitution, a dit,
m’assure-t-on, que je n’entendais nullement l’interprétation des lois.
Cependant il me sera bien facile d’expliquer le sens de cet article, de la
rédaction duquel j’ai participé comme membre du comité de constitution.
Pourquoi a-t-on mis dans
cet article le mot fonctions salariées
? Est-ce pour dire que le salaire est inhérent, inféodé aux fonctions ? Non
certainement ; si on n’avait pas mis le mot salariées,
quel sens aurait eu l’art. 103 ? Il n’en aurait eu aucun de raisonnable ; il
eût présenté une absurdité, car voici comment il eût été rédigé : « Aucun
juge ne pourra être nommé à des fonctions, à moins qu’il ne les exerce
gratuitement. » Rédaction ridicule appliquée aux fonctions gratuites.
Il est évident que le
mot salariées était indispensable
pour exprimer la pensée du législateur, car il a voulu que le juge ne pût
trouver dans des fonctions conciliables avec celles de magistrats les moyens de
se mettre sous la dépendance du pouvoir exécutif. Lorsque la question a été
discutée en France, on a fait valoir que le cumul était un moyen d’éluder
l’inamovibilité du magistrat. On nommait, par exemple, un membre d’une cour
d’appel conseiller d’Etat ; on aurait pu faire la même chose dans le royaume
des Pays-Bas, sauf une loi sur le cumul. Le magistrat d’une cour d’appel
recevait en France cinq mille francs ou plus comme conseiller de cette cour, et
douze mille francs comme conseiller d’Etat ; il en résultait que si le
gouvernement espérait que la justice rendît des services et non des arrêts, il
faisait craindre au magistrat la perte de son traitement de conseiller d’Etat,
qui était presque triple de son traitement de juge, tant qu’une loi sur le
cumul ne le défendait pas.
Si, au lieu d’un article
rédigé en termes concis, comme le sont toujours les dispositions d’une loi
constitutionnelle, on avait voulu expliquer le principe, on aurait dit qu’il
s’agissait de fonctions salariées actuellement ; que cet article s’appliquait à
un fait et non à une hypothèse. Cet article, d’ailleurs, a été fait sans
préoccupation de l’art. 36 et sans qu’on ait pu songer à le mettre en harmonie
avec celui-ci. Mais les fonctions de ministre ne sont pas nécessairement
salariées. Il peut y avoir des ministres comme des conseillers d’Etat
non-salariés. Les conseillers d’Etat en service ordinaire sont salariés, tandis
que les conseillers extraordinaires ne reçoivent aucun traitement. Les
conseillers d’Etat en service extraordinaire, non plus que les ministres
d’Etat, ne tomberaient sous l’article 36 de la constitution, bien que leurs
fonctions ne soient pas purement honorifiques, car elles confèrent le pouvoir de
délibérer.
Mais aucun traitement
n’étant affecté à ces fonctions, Il n’y a pas lieu à réélection. Voilà dans
quel sens j’entends l’art. 36. Je ne fais aucun doute que cet article, comme
l’article
Il
y a même raison de décider ; et les différences de texte dont on se prévaut
sont sans valeur, à côté de la raison évidente de la loi, de l’esprit qui a
dicté et l’art. 36 et l’art. 103, à savoir que ce ne sont ni les honneurs ni le
crédit qui, aux yeux du législateur, mettaient en doute, soit l’indépendance du
magistrat, soit l’indépendance du député, mais uniquement le salaire. N’est-il
pas absurde en effet de supposer que le législateur se soit montré moins
soucieux de l’intérêt des justiciables que de l’intérêt des électeurs ; que
d’un côté il se soit contenté de la renonciation au salaire, tandis que, de
l’autre, cette renonciation ne lui suffirait pas. L’esprit de la constitution est
évidemment le même dans les deux cas.
M.
de Brouckere. - M. le ministre de la justice vient de faire un
long discours qui ne répond à rien de ce qu’a dit l’honorable M.
Gendebien.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau) - J’ai déjà dit que j’avais regretté de ne pas me
trouver ici quand le préopinant a parlé ; je n’ai pu répondre qu’à ce qu’on m’a
rapporté de ses paroles.
M.
de Brouckere. - Alors on vous a induit en erreur.
Je vais reproduire
l’argument de M. Gendebien dans toute sa simplicité ; je suis curieux de voir
ce que vous répondrez.
L’art. 103 porte
: « qu’un juge ne peut être nommé à des fonctions salariées, à moins
qu’il ne touche pas de traitement. »
Il résulte de cet
article qu’un magistrat peut accepter des fonctions salariées, pourvu qu’il
renonce au salaire.
L’art. 36 au contraire
dit qu’un membre de l’une ou l’autre chambre qui accepte des fonctions
salariées perd, par ce seul fait son droit de siéger ; car cet article n’ajoute
pas : « à moins qu’il renonce au salaire. »
Donc, puisque cela ne
s’y trouve pas, on ne peut pas le supposer.
Cet argument est
tellement fort que M. le ministre, parlât-il trois fois autant qu’il vient de
le faire, ne le réfuterait pas.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et prononcée.
M. le président.
donne lecture de la proposition de M. de Brouckere qui est ainsi conçue :
« Je propose à la
chambre de déclarer que M. le ministre d’Etat comte de Mérode, ayant été nommé
ministre des affaires étrangères ad interim et ayant
accepté ces fonctions, tombe sous la disposition de l’article 36 de la
constitution et doit cesser de siéger comme membre de la chambre. »
M. le président. -
Je vais mettre la proposition aux voix.
Plusieurs voix. - L’appel nominal ! l’appel
nominal !
- Un de MM. les
secrétaires procède à l’appel nominal.
Cinquante-quatre membres
ont pris part à la délibération trente-un ont répondu non ; vingt-trois ont
répondu oui ; un membre s’est abstenu.
- En conséquence, la
proposition est rejetée.
Ont voté contre la
proposition :
MM. Bekaert, Boucqueau
de Villeraie, Davignon, de Behr, A. Dellafaille, H. Dellafaille, F. de Mérode,
C. Vuylsteke, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Domis, Dugniolle, Duvivier, Eloy de Burdinne, Lebeau,
Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, A. Rodenbach, Rogier, Smits, Ullens,
Vandenhove, Vanderbelen, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Raikem.
Ont voté pour la
proposition :
MM.
Brixhe, Coghen, Dams, Dautrebande, de Brouckere, de Man d’Attenrode, de Meer de
Moorsel, de Renesse, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Donny, Ernst, Fallon,
Fleussu, Gendebien, Liedts, Meeus, Pirson, Schaetzen, Simons, Watlet.
M. Milcamps, qui s’est
abstenu, est invité aux termes du règlement à donner les motifs de son
abstention.
M. Milcamps. - Je
me sois abstenu par les motifs suivants :
L’article 36 de la constitution
étant interprété par les uns dans ce sens que M. le comte de Mérode, nommé par
le gouvernement à un emploi salarié, bien qu’il ne soit ni employé, ni
fonctionnaire salarié, doit cesser de siéger dans cette chambre ;
Etant interprété par les
autres, et par M. le comte de Mérode lui-même dans un sens contraire, et la
question se trouvant ainsi controversée, j’ai pensé qu’elle ne pouvait être
résolue que par une interprétation dans la forme légale de l’art. 36 de la
constitution.
De là donc la nécessité
d’une proposition de loi interprétative.
Je ne me reconnais pas
le droit de décider si M. le comte de Mérode a cessé de siéger, par suite d’une
simple proposition, telle que celle qui est faite.
Si l’on avait voulu
fixer le sens de l’article 36 de la constitution, par voie d’interprétation
législative, à la bonne heure.
La chambre a le droit de
vérifier les pouvoirs de ses membres, mais là s’arrête son droit.
- La discussion est
continuée à demain.
La séance est levée à 4
heures et un quart.