Accueil Séances plénières
Tables
des matières Biographies Livres numérisés
Bibliographie et liens Note
d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 10 mars 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative à l’organisation de la circonscription cantonale des justices de paix (de Brouckere)
2) Projet de loi relatif au chemin de fer
3) Projet de loi relatif à la composition du jury d’assises et au personnel judiciaire (Lebeau)
4) Motion d’ordre relative au compte-rendu des séances du Moniteur et incident Hanno (d’Huart, F. de Mérode, Dumortier, F. de Mérode, d’Huart, Gendebien, F. de Mérode)
5) Projet de loi relatif aux frais d’entretien des enfants trouvés et abandonnés. Répartition de ces frais entre les communes, les provinces et l’Etat et moralité publique (Fallon, Schaetzen, de Theux, Doignon, de Robaulx, Lebeau, Seron, Dumortier, de Brouckere, Seron, de Brouckere, Brabant, Quirini, Soudan de Niederwerth)
6) Motion d’ordre relative à la fixation des travaux de la chambre. Frais d’entretien des enfants trouvés, organisation provinciale et/ou chemin de fer (Verdussen, de Brouckere, Lebeau, Rogier, de Theux, de Robaulx, Lebeau, de Brouckere, Rogier, Gendebien, d’Huart, Rogier, de Robaulx)
(Moniteur belge
n°70, du 11 mars 1834 et Moniteur belge n°71, du
12 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°70, du 11 mars 1834)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi trois quarts
La séance est ouverte à une heure.
M.
de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M.
de Renesse fait ensuite connaître l’analyse des pétitions suivantes,
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Par pétition en date du 8 mars 1834, le sieur
Collinet, marchand d’instruments de musique à Liége, réclame
le paiement de la somme de cent soixante-six francs, du chef de fourniture
d’instruments faite au bataillon des tirailleurs de
_______________
« Par pétition en date du 4 mars 1834, six
particuliers habitant Bruxelles, demandent que la chambre intervienne pour lui
soit accordé la restitution des droits sur le sel qu’il a transporté par eau,
qui a été submergé, et qui s’élèvent à fl. 1,197-08 1/2 cents. »
_______________
« Par pétition en date du 8 mars 1831, la chambre
des notaires de l’arrondissement de Mons réclame de la chambre une disposition
qui prorogerait pour 6 mois le délai de la prescription relativement aux
rentes. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des
pétitions.
_______________
« Par pétition en date du 7 mars 1834, les
régences des 12 communes composant le canton d’Haringh
(Flandre occidentale), réclament contre le projet de suppression de ce
canton. »
_______________
« Par pétition en date du 15 février 1834, les
administrations des communes du ci-devant canton de Grez, demandent le
rétablissement de l’ancien canton de Grez et sa réunion au district de
Louvain. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission
spéciale, chargée de l’examen du projet de loi sur les circonscriptions
judiciaires.
M.
de Brouckere. - Je demande la parole. M. le secrétaire vient d’annoncer
la réception d’une pétition du canton de Grez. Cette pétition est renvoyée à
une commission chargée de s’occuper de la loi sur la circonscription cantonale.
Je crois devoir rappeler que déjà à cette occasion des pétitions nombreuses ont
été adressées à la chambre, et que la chambre les a accueillies avec faveur. Je
prie MM. Les membres de la commission chargée de l’examen de cette loi sur la
circonscription cantonale, de se faire remettre les dossiers de ces pétitions,
ils y trouveront des renseignements utiles.
_____________
M.
de Renesse. - MM. Ernst et Angillis demandent des congés de quelques
jours. Le premier, à cause d’une indisposition de sa femme, et le second, pour
indisposition personnelle.
_____________
M. Brixhe adresse un exemplaire de son ouvrage sur les mines.
PROJET DE LOI RELATIF AU CHEMIN DE
FER
M. Simons et M. Deridder
sont nommés, par arrêté royal, commissaires, à l’effet de soutenir devant les
chambres la discussion du projet de route en fer.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier)
adresse à la chambre des documents et pièces pour être soumises à l’examen des
membres, pour la discussion de la route en fer. Il y a joint un modèle
d’ornières, un modèle en petit de route en fer et un wagon.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je viens présenter deux projets
de loi, ayant pour objet de modifier la composition des cours d’assises, et
d’augmenter le personnel de quelques corps judiciaires. Si la chambre veut me
dispenser de donner lecture des exposés des motifs qui sont très longs, j’aurai
l’honneur de lui donner connaissance des dispositions des projets de loi.
Un grand nombre de membres. -
Oui ! oui !
(Note du
webmaster : Le Moniteur reprend ensuite les dispositions de ces deux projets de
loi. Ce texte n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
M.
le président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la
présentation des projets de loi dont il vient d’être donné lecture. Ces projets,
et les motifs qui les accompagnent, seront imprimes et distribués.
La chambre entend-elle renvoyer ces projets aux
sections, ou bien à l’examen d’une commission.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les considérations qui m’ont
porté à prier la chambre de renvoyer à l’examen d’une commission le projet de
la relatif aux circonscriptions judiciaires, s’appliquent aux projets de loi
que je viens d’avoir l’honneur de présenter et détermineront la chambre à les
renvoyer à l’examen d’une commission. Ces deux projets n’ont été rédigés qu’à
la suite d’une longue enquête, qui a produit des documents volumineux et variés
qu’il serait difficile de faire imprimer.
D’ailleurs, la nature de ces lois a quelque chose de
spécial qui justifie la préférence à donner à une commission pour leur examen.
Je soumets ces considérations à la chambre.
J’ajouterai qu’il a urgence. C’est un motif de plus
pour renvoyer ces lois à l’examen d’une commission dont la marche sera plus
expéditive.
- La chambre décide que les deux projets de loi
présentés par M. le ministre de la justice seront renvoyés à l’examen d’une
commission nommée par le bureau.
M.
d’Huart. - Je demande la parole. Messieurs,
comme le Moniteur, journal officiel,
est sous la surveillance des questeurs qui sont membres de la chambre, je crois
être dans mon droit en venant faire une réclamation sur la manière dont une
partie de la dernière séance a été rendue.
Vous vous rappelez, messieurs, qu’après que M. le
ministre des affaires étrangères eut cesse de parler pour la troisième ou
quatrième fois, l’honorable M. Legrelle s’empressa de dire : très bien, et qu’immédiatement après, mon honorable ami
M. d’Hoffschmidt et moi, nous dîmes très
mal. Dans le Journal officiel M. d’Hoffschmidt et moi sommes portés comme
ayant dit très mal après les paroles
de M. le ministre des affaires étrangères et avant le très bien de M. Legrelle, ce qui ferait supposer, ce qui ne s’est
jamais fait dans cette chambre, que nous avons voulu blâmer les paroles du
ministre, tandis que ce que nous avons dit ne s’appliquait qu’à l’exclamation
de M. Legrelle et non au discours de ministre des affaires étrangères, qui ne
donnait pas plus matière à dire très bien
que très mal.
Je
déclare que je n’entends nullement inculper MM. les sténographes qui rendent
compte des séances aussi bien que possible, mais c’est au ministre que
j’adresserai mes reproches. Il se serait donné la peine de se rendre au bureau
du Moniteur, pour faire changer
l’ordre des expressions dont je viens de parler.
Je n’ai pas craint de faire cette déclaration
solennelle, les sténographes n’étant pas à la disposition des ministres, on ne
peut pas en vouloir à celui de qui je la tiens.
La chose m’a paru assez grave pour devoir être portée
à votre connaissance.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Messieurs, que le très mal
soit placé avant ou après le très bien,
cela me paraît de très peu d’importance, je n’y en ai attaché aucune, et je
n’ai rien fait changer.
M.
Dumortier. - Messieurs, comme questeurs nous sommes chargés de
surveiller le compte-rendu des séances de la chambre, mais nous ne pouvons pas
chaque jour, après la séance, lire ce compte-rendu, cela est de toute
impossibilité ; nous devons nous en rapporter à ce que font messieurs les
sténographes. Il y a ici quelque chose de très étrange, c’est qu’un ministre se
serait permis de se rendre dans les bureaux des sténographes pour faire changer
une rédaction impliquant un blâme afin de la rendre favorable au ministère.
Qu’on ne vienne pas prétendre qu’il y a peu d’importance à ce qu’une
exclamation soit mise avant l’autre, ce n’est pas là qu’est la question. La
question est de savoir si le ministre a le droit de venir changer une
discussion pour se la rendre favorable. Le compte-rendu de nos séances doit
être essentiellement impartial. Les choses doivent y être rapportées comme
elles se sont passées.
Si le fait qui vous a été signalé par M. d’Huart est exact,
et j’aurai peine à douter de son exactitude, d’après la manière dont il a été
attesté, il n’y a pas seulement de la part d’un ministre imprudence ou
inconséquence, mais faute et faute extrêmement grave. Si les ministres
pouvaient venir, après une séance, changer dans le journal officiel l’ordre
d’une discussion, détourner l’application de nos paroles, demain nous serions à
la merci du ministère, nous serions dans l’impossibilité de faire connaître à
nos commettants ce que nous aurions pu dire dans cette enceinte. La question
est beaucoup plus grave que ne paraît le penser M. le ministre d’Etat. Le fait
a été attesté de la manière la plus formelle en présence
de quatre personnes ; quelle que soit l’amitié que nous pouvons avoir pour la
personne du ministre, nous devons blâmer sa conduite. Si nous ne le faisions
pas, nous n’aurions plus de garanties, toutes nos discussions, toutes nos
paroles, pourraient être dénaturées. On l’a dit plusieurs fois, le compte-rendu
de nos séances est d’une très grande importance pour nos commettants ; il faut
qu’ils sachent comment les choses se passent. Il n’appartient pas à un
ministre, à un homme quelconque du gouvernement, de changer la rédaction des
séances pour la faire présenter dans son intérêt.
Messieurs, je ne pouvais en ma qualité de questeur me
dispenser de prendre la parole dans cette circonstance pour rappeler que ce
n’est pas aux ministres, mais à la questure qu’appartient la surveillance du
compte-rendu des séances. Et si je savais que le fait signalé aujourd’hui put
se renouveler, je prendrais des mesures pour l’empêcher.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F.
de Mérode) - Je ne comprends rien à la querelle
qu’on me fait en ce moment. Je me suis rendu au Moniteur, parce que comme j’écris quelquefois, MM. Les sténographes
m’avaient fait demander une partie de ce que j’avais dit. Ce que j’écris est
bien lisible pour moi, et non pour les autres, je passe au bureau du journal
pour rectifier les erreurs qu’on peut avoir faites. Il est possible que quand
je suis passé au Moniteur après la
dernière séance, j’ai dit que je croyais que telle chose avait été dite avant
ou après telle autre, et que MM. les sténographes, sur cette observation que je
faisais sans y attacher d’importance, aient jugé à propos de faire le
changement dont on se plaint, mais je ne l’ai pas fait faire.
M. d’Huart. - Je puis assurer la chambre que je n’ai nullement l’intention de
chercher querelle à M. le ministre des affaires étrangères. Je me suis plaint
qu’on eût changé la position des choses en me faisant dire très mal après le discours de M. le ministre, ce qui pourrait faire
supposer de la passion contre lui, quand mon exclamation ne s’appliquait qu’au très bien de M. Legrelle, comme l’ont
prouvé les paroles prononcées ensuite par l’honorable M. Gendebien.
M. le ministre des affaires étrangères dit qu’il n’a
attaché aucune importance à ce que le très
mal fût avant le très bien. Je
veux bien le croire, mais j’ai cru devoir relever l’inexactitude que j’ai
remarquée, afin que justice fût rendue à qui de droit.
M.
Gendebien. - Il faut que MM. les sténographes sachent bien qu’ils ne
sont pas a la disposition des ministres, mais de la
chambre.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - MM. les sténographes savent bien qu’ils ne sont pas à la disposition
des ministres. Je n’ai voulu exercer sur eux aucune influence. Je répète que
s’ils ont eu égard à ce que j’ai pu dire, c’est qu’ils ont jugé nécessaire de
le faire, parce que probablement ils ont pensé que j’avais raison.
Un grand nombre de membres. -
L’ordre du jour ! l’ordre du jour !
Discussion générale
M.
le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi
relative aux enfants trouvés.
M.
Fallon. - Y a-t-il nécessité de réformer le régime actuel d’entretien
des enfants trouvés ?
En cas affirmatif, quel est le système qu’il convient
d’adopter ?
Telles sont les questions principales qui dominent la
discussion.
Sur le premier point, sur la question d’opportunité,
personne ne peut sérieusement contester qu’il y ait urgence de sortir du régime
actuel.
Ce régime est illégal ; il est injuste et il est
d’ailleurs d’une exécution régulière impossible.
Pour se convaincre de son illégalité, il suffit
d’examiner l’autorité sur laquelle il repose.
Cette autorité est un arrêté du gouvernement
précédent, du 6 novembre 1822, dont l’art. 2 est ainsi conçu :
« Les enfants trouvés, les enfants abandonnés et
les orphelins, pourront être reçus dans les colonies de la société de
bienfaisance, aux frais des hospices établis pour ces enfants, et, à défaut de
semblables hospices, ou en cas d’insuffisance de leurs revenus, aux frais des
communes dans le ressort desquelles ces enfants ont été exposés à la
commisération publique, sauf les subsides à leur allouer sur les fonds
provinciaux. »
Ainsi, il a été ordonné par simple arrêté que les frais
de l’entretien de l’enfant trouvé étaient directement et principalement à la
charge de la commune du lieu de l’exposition.
Or, il est incontestable que, sous le régime de la loi
fondamentale de 1815, aucune charge ne pouvait être imposée aux communes que du
consentement des administrations municipales, ou en vertu de la loi.
Il est certain, et ici je dois relever une erreur de
fait qui est échappée à M. le ministre de la justice, il est certain que, non
seulement les communes, mais les états provinciaux, mais même plusieurs membres
des états-généraux appartenant aux provinces méridionales, n’ont cessé de
réclamer contre l’arrêté du 6 novembre 1822.
Je sais, qu’à ces réclamations continuellement
renouvelées, on opposait que cet arrêté n’était que l’exécution de la loi du 28
novembre 1818, sur le domicile de secours ; mais ce moyen de le justifier
n’était que de l’effronterie, puisqu’il suffisait de recourir à cette loi pour
y lire la condamnation de l’arrêté.
En effet, voici comment est conçu l’art. 2 de cette
loi.
« La commune dans laquelle un enfant est né
fortuitement, ne devient point de ce chef son domicile de secours. Il a ce
domicile dans le lieu qu’habitait son père au moment de sa naissance, ou dans
celui qu’habitait sa mère, si elle est veuve ou l’enfant illégitime. »
Comme vous voyez, messieurs, sur le premier point de
la discussion, cette loi est décisive.
Elle a pris soin de faire, entre le domicile de
secours de l’indigent et le domicile de secours de l’enfant trouvé, une
distinction qui était dans la nature des choses.
Bien loin de proclamer que le lieu de l’exposition
serait le domicile de secours de l’enfant trouvé, elle n’a pas même cru pouvoir
déclarer que le lieu de la naissance serait attributif du domicile de secours,
et si elle a dit que l’enfant illégitime n’avait d’autre domicile de secours
que celui de la mère, la conséquence n’en était pas sans doute que la mère
inconnue serait censée domiciliée là où l’enfant avait été trouve exposé.
Cette loi, qui est la dernière sur cette matière,
existe encore. Nous en avons fait une application récente aux dépôts de
mendicité. Il n’y a été dérogé par aucune loi. Une loi seule pouvait la
modifier ou en étendre les dispositions et l’arrête du 6 novembre 1822 n’est
pas une loi.
Cet arrêté n’était donc autre chose qu’une usurpation
de pouvoir, qu’un acte non seulement illégal, mais encore inconstitutionnel.
J’ai dit que cet arrêté consacrait en outre une
injustice. Cette injustice était double.
Ce brusque renversement du régime légal des enfants
trouvés ne dotait pas seulement l’avenir d’un régime d’iniquités, il
rétroagissait sur le passé en frappant certaines localités d’une injustice
révoltante.
Dans ses effets sur l’avenir, il ne se bornait pas à
dégrever le budget de l’Etat de la charge, pour la reporter sur les communes
dans une égale proportion, il la répartissait arbitrairement et inégalement
entre elles en les rendant responsables d’un fait qu’il leur était impossible
d’empêcher, et, en effet, les administrations municipales n’avaient aucun moyen
d’éviter que l’on ne vînt exposer sur leur territoire un enfant nouveau-né
appartenant à la commune voisine ou à toute autre commune plus éloignée.
Dans ses effets sur le passé l’injustice était
beaucoup plus insupportable encore, et c’est ce que je démontrerai en
m’occupant spécialement des dispositions que renferment les deux derniers
articles du projet ministériel, qui ont directement pour objet de faire
légaliser cette injustice.
A part du reste ces injustices, il suffit que le
régime actuel des enfants trouvés n’ait pour autorité que l’arrêté du 6
novembre 1822, pour qu’il soit indispensable de lui substituer un régime légal.
Mais quel est le régime qu’il convient de lui
substituer ?
Ce régime sera pour moi celui qui conviendra le mieux
à l’intérêt général, qui doit être le but de toute loi, aux principes de
justice et d’équité qui doivent en être les bases et aux exigences de
l’humanité et de la morale publique.
La question est grave, je le sais, mais elle n’est
embarrassante que pour ceux qui ne cherchent la solution que dans le chiffre
plus ou moins élevé de la dépense, qui s’inquiètent fort peu de savoir qui
paiera et comment on paiera dès lors que l’Etat ne paie pas, que pour ceux
enfin qui préfèrent transiger avec les principes, quelles qu’en soient les
conséquences, plutôt que d’aborder franchement la question.
Cette transaction je la rencontre dans le système du
gouvernement et je la repousse. Celui de la section centrale n’a pas ce défaut,
mais il renferme une exagération de principes et ne tient pas assez compte des
leçons de l’expérience. Quant à celui de mon honorable ami M. de Brouckere, il
est par trop tranchant et par trop inhumain, pour qu’on puisse s’en occuper
sérieusement.
Les règles qui doivent nous servir de direction dans
l’adoption d’un système qui soit en harmonie avec les mœurs et les habitudes du
pays et surtout avec l’esprit de loyauté et de générosité de nos institutions,
me paraissent fort simples.
On ne peut appliquer à l’enfant trouvé la règle du
domicile de secours qui régit le sort de l’indigent. On peut s’assurer de
l’origine de celui-ci, et l’origine de celui-là échappe aux recherches.
On ne peut donc admettre que le lieu de l’exposition
soit le lieu du domicile de secours, parce que ce serait là abuser de la règle,
parce que ce serait confondre la vérité et l’incertitude dans l’application du
même principe, parce qu’enfin ce serait un mensonge.
Il faut donc renoncer à chercher le moyen de solution
dans la loi sur le domicile de secours, puisqu’elle est faite pour un tout
autre ordre de choses.
Il paraît que l’on est d’accord sur ce point.
Il n’y a précisément divergence d’opinion que parce
qu’on ne sait plus à quelle règle, à quel principe il faut se rattacher.
Si l’on consulte la législation sur cette matière, on
la trouve dans un état permanent de fluctuation.
La question est successivement discutée par
l’assemblée nationale, l’assemblée constituante et par le corps législatif ; et
alors que tout ce que
Depuis lors la question n’est pas livrée aux débats
parlementaires, ce n’est plus qu’à l’occasion du budget et sans discussion
qu’on s’en occupe, et alors on marche sans ordre et sans règle fixe.
On distrait du budget de l’Etat une bonne partie des
dépenses d’intérêt général dans lesquelles figure la dépense des enfants
trouvés, et l’on en fait la répartition sur les départements, au moyen de
centimes additionnels aux contributions.
Sous l’empire, et au moyen d’un subside à fournir par
le trésor, on essaie d’y associer les communes ; sous la restauration, on en
revient au fonds commun à répartir sur les départements, par la voie des
centimes additionnels aux contributions de l’Etat, et l’on cherche à combiner
ce système avec le concours subsidiaire des communes.
L’expérience législative sur cette matière est donc
ici d’un faible secours : elle indique cependant que le système de la loi du 27
frimaire an V, qui est le système de la section centrale, a dû rencontrer
d’assez graves inconvénients d’exécution, pour qu’on puisse y avoir dérogé de
la sorte.
Dans cet état des choses le système qu’il faut
adopter, c’est, dit M. le ministre de la justice, un système mixte, un système
de probabilité.
Si tel est le système du projet, c’est un calcul de
probabilités qu’il faut vérifier.
Or, je vérifie, et la première chose que je découvre
c’est une erreur de calcul que je relèverai à l’instant.
Pour raisonner sur des présomptions c’est-à-dire sur
les conséquences d’un fait connu à un fait inconnu, il faut d’abord que les
présomptions soient graves, précises et concordantes.
Voyons quelles sont ces présomptions, ces probabilités
sur lesquelles s’appuie le projet ministériel.
Rien n’indique que l’enfant trouvé appartienne plutôt
à la commune où il a été exposé qu’à la commune voisine ; il y a même
présomption que, pour éviter la recherche de la maternité, il vient de plus
loin et n’appartient nullement à la commune de l’exposition.
Il n’est donc pas conséquent d’en charger la commune
du lieu où il a été trouvé exposé. C’est là une première vérité que le système
ministériel admet.
J’ai entendu l’honorable M. de Theux combattre cette
conséquence en ce qui regarde certaines villes, certaines localités. Mais
lorsque l’on veut établir une règle générale, une homogénéité de système, il ne
faut pas, conscience législative, reculer en présence de quelques exceptions,
et d’ailleurs les considérations que cet honorable orateur a présentées sur ce
point ne me paraissent pas très exactes. Ce ne sont
pas les lieux de débauche, ni les filles qui font métier de la débauche, qui
fournissent le plus au chiffre des enfants trouvés.
D’un autre côté, il faut bien peu connaître la plupart
des communes rurales pour croire que la séduction soit plus difficile à la
campagne que dans les villes. Ces filles mères que l’on va chercher de
préférence dans les campagnes pour servir de nourrices, ne se font pas
accompagner par leurs enfants. Ceux-ci sont toujours morts en naissant.
Après avoir posé comme principe du système, que la
présomption ne peut raisonnablement atteindre la commune, M. le ministre passe
à la province, et là il s’arrête.
La solution du problème est là, dit-il, parce qu’il y
a plus de probabilité que les enfants trouvés dans une province appartiennent à
cette province.
Je conviens avec M. le ministre que le cercle de la
province a plus d’étendue que le cercle de la commune ; mais dans ce fait je ne
trouve rien de concluant. Je trouve seulement un léger indice, mais je n’y
rencontre pas les présomptions qui, pour pouvoir satisfaire la conviction et
diriger le jugement doivent être graves, précises et concordantes.
Sur ce commencement, non de preuve, mais de
présomption seulement, il est même raisonnablement impossible d’asseoir aucune
conséquence sans se mettre en contravention avec l’inadmissibilité de toute
présomption semblable en ce qui regarde la commune.
En effet, tout ce que l’on peut dire de plus
rationnel, c’est qu’il est probable que les déplacements d’enfants trouvés sont
moins fréquents de province à province que de commune à commune : mais c’est là
une assertion que les faits se refusent à justifier.
Les transports d’enfants trouvés dépendent des
localités et de l’accès plus ou moins prompt, plus ou moins facile avec le lieu
où se trouve un établissement destiné à les recevoir.
C’est ainsi que de tous temps l’hospice de Namur s’est
toujours trouvé un des plus peuples respectivement à la population de la
province, par la raison même que la province étant d’une petite étendue,
resserrée entre cinq départements et ayant des communications faciles avec le
chef-lieu, les enfants trouvés y affluaient des départements voisins.
Il y a plus, c’est qu’à ce calcul, ce sont les petites
provinces qui seraient sacrifiées aux grandes, puisque la probabilité
s’affaiblit en raison que le cercle se rétrécit, et, dans le fait, il faut bien
reconnaître que l’enfant né dans une commune de la province de Liége ou du
Brabant, qui ne sera qu’à deux ou trois lieues de Namur, viendra de préférence
à Namur plutôt que de faire 7 à 8 lieues pour arriver à Liége ou à Bruxelles.
Il est dans la nature des choses que l’on ira toujours
à l’hospice le plus rapproché, et par conséquent, de ce que le cercle de la
province est plus étendu que le cercle de la commune, il n’est pas logique d’en
conclure que le transport de province à province sera moins fréquent que de
commune à commune.
Le système ministériel, qui ne repose que sur une
aussi faible présomption, n’est donc pas admissible, si l’on ne veut pas créer
un privilège en faveur des grandes provinces et condamner injustement certaines
provinces, certaines localités.
Pour éviter de se laisser séduire par d’aussi faibles
présomptions, le système de la section centrale est préférable, parce qu’il a
l’avantage d’être tout ou moins plus rationnel.
Vous n’admettez pas la présomption en ce qui regarde
la commune ; vous ne trouvez qu’une faible présomption en ce qui concerne la
province ; le système de présomption ne produit rien de satisfaisant. Dès lors
la charge incombe à l’Etat, parce qu’en définitif c’est l’Etat qui est de droit
chargé de toutes les obligations dont on ne peut charger personne avec justice
et équité.
Tel est le système de la section centrale, il a tout
au moins, comme je viens de le dire, le mérite d’être conséquent, et quoique je
le trouve trop absolu, je ne balancerai pas à lui donner la préférence si je
n’obtiens pas la modification que je désire voir apporter au système
ministériel.
Je dis que le système
de la section centrale me paraît trop absolu, et, en effet, je ne vois pas
qu’il soit bien exact de dire que l’enfant dont l’origine communale ou
provinciale est inconnue, doit par là même être entretenu exclusivement aux
frais de l’Etat.
Il est certain
que tout enfant a sa mère. C’est sur des certitudes qu’il faut raisonner, et il
est certain que l’enfant appartient à la commune ou à la province à moins qu’il
ne vienne du territoire étranger, ce qui n’est qu’exception.
S’il est
incertain qu’il appartienne plutôt à telle commune ou à telle province, c’est
une raison pour n’en grever spécialement aucune commune, ou aucune province,
mais ce n’est pas là une raison pour en grever exclusivement l’Etat.
Dans cet état
d’incertitude sur le concours de l’obligation de la commune, de la province et
de l’Etat, c’est aux principes du droit en matière de confusion qu’il faut
recourir, c’est par conséquent l’égalité proportionnelle qu’il faut prendre
pour base de la division de l’obligation.
Or, puisqu’il
est impossible, sans hasarder une injustice, de faire peser la charge dans une
proportion plus forte sur l’un que sur l’autre, la répartition par tiers serait
la plus équitable, et ainsi la commune, la province et l’Etat y
interviendraient chacun pour un tiers.
Il faut
reconnaître pour le surplus que ce système satisfait à une considération sur
laquelle on a fortement appuyé et avec raison.
Il n’est pas
douteux que si c’est le gouvernement qui prend à lui seul toutes les charges,
l’administration sera plus coûteuse, parce que le gouvernement aura un devoir
important à remplir, celui d’établir partout des agents qu’il faudra payer,
afin de veiller à ce que l’on ne reçoive pas comme enfants trouvés des enfants
dont les pères et mères seraient connus.
Il n’est pas,
douteux non plus que la surveillance sera plus active et offrira plus de
garanties, si les administrations provinciales et communales sont intéressées à
la police et à l’économie de l’administration des enfants trouvés.
Eh bien, au lieu
de faire cette répartition par tiers qui, dans son exécution, rencontrerait des
inconvénients que je ne me dissimule pas, imitez le système qui a été le plus
longtemps suivi en France, qui est celui de la loi du 13 floréal an X, que M.
le ministre a opposé au système de la section centrale, et qui en France est
encore en action, et le résultat sera précisément le même.
Faites un fonds
commun de la dépense des enfants trouvés ; répartissez ce fonds entre les
provinces à raison des contributions foncières et personnelles de chacune
d’elles ; chargez-les de porter leurs contingents dans leurs budgets ;
laissez-leur le soin de pourvoir à la recette de la manière que chacune d’elles
trouvera le plus convenable aux intérêts du ménage provincial, et vous aurez dégrevé
le budget de l’Etat de l’entretien des enfants trouvés, et vous aurez intéressé
les provinces et les communes à veiller à ce que les enfants appartenant à des
parents connus ne soient pas confondus avec les enfants trouvés, et vous aurez
surtout appelé l’attention plus directe encore des administrations municipales
sur cette branche d’administration, puisqu’en définitif, ce sont les communes
qui paieront l’impôt provincial.
Ici, comme dans
le système du gouvernement, je fais de l’entretien des enfants trouvés une
charge provinciale, et, dans un système comme dans l’autre, c’est toujours en
résultat la commune qui paie. Mais il y a une différence sensible dans le
principe de la répartition.
Le gouvernement
prend pour base de l’imposition provinciale le nombre des enfants trouvés
exposés dans la province, et telle est pour lui la conséquence d’une simple
fiction qu’il n’ose pas appliquer à la commune. J’ai déjà fait remarquer, que
c’est là une véritable contradiction de principe, puisque si de commune à commune
l’exposition n’est pas le domicile de secours, elle ne l’est pas plus de
province à province. Il y a un peu plus de probabilité dans un cas que dans
l’autre, et voilà tout.
Mon système au
contraire repousse toute fiction. Il ne fait pas du mensonge une vérité, il
n’établit pas une règle de répartition d’impôt sur des probabilités. Il repose
sur un principe positif que la raison et l’équité avouent. Il y a incertitude
si l’enfant appartient à telle commune ou à telle province, dès lors la charge
de l’entretien ne peut être imposée, sans hasarder une injustice, plutôt à
telle commune qu’à telle autre, plutôt à telle province qu’à telle autre
province ; mais comme il est nécessairement l’enfant d’une province, puisqu’il
est l’enfant d’une commune, il répartit la charge par égalité proportionnelle
entre toutes les provinces, et ainsi il dégrève le trésor sans faire
d’injustice à aucune localité.
Tel est,
messieurs, le système qui me paraît le plus équitable et le plus propre à
assurer l’économie, la surveillance et la régularité dans cette branche
d’administration.
C’est dans ce seuls que je proposerai un amendement à l’article 1er du
projet.
Je passe
maintenant aux article 7 et 8, parce que la discussion des dispositions que ces
articles renferment signalera l’un des graves inconvénients du système communal
dont mon honorable ami, M. de Brouckere, s’est constitué le défenseur à la
séance précédente, système qui n’est autre que celui de l’arrêté du 6 octobre
1822 ; système que le gouvernement abdique, que la section centrale flétrit et
que toutes les sections ont repoussé.
Je demanderai la
suppression des art. 7 et 8 du projet, parce qu’ils
renferment une violation manifeste des principes les plus élémentaires en
matière de législation, et parce qu’ils consacreraient d’ailleurs une injustice
révoltante.
De deux choses
l’une. Dans l’état actuel de la législation, les communes sont tenues à payer
la charge des frais d’entretien pour le passé, ou bien elles n’y sont pas
légalement obligées.
Dans le premier
cas, nous n’avons rien à faire, et, dans le second, nous ne pouvons rien y
faire.
Dans les pays
civilisés, dans les pays qui tiennent à ne pas faire rétrograder la science
législative, la loi n’exerce d’empire que sur l’avenir, elle ne peut régler le
passé.
J’ai déjà
démontré que l’arrête du 6 novembre 1822 étant illégal et inconstitutionnel, il
n’avait pu imposer d’obligation valable aux communes.
Qu’en
conséquence, celles-ci avaient acquis un droit qu’il faut protéger et non
contester, celui de résister à un acte despotisme du gouvernement précédent.
Et l’on veut
faire rétroagir la loi pour étouffer ce droit acquis et l’on veut, pour le
passé, imposer aux communes une charge illégale, et cela sous l’empire d’une
constitution qui ne permet de grever les communes que de leur consentement ou
par la loi.
Il faut le dire,
messieurs, si, sans égard au principe de la non-rétroactivité des lois ; sans
égard à l’illégalité de la répartition des frais d’entretien des enfants
trouves pour le passé ; sans égard aux principes de la constitution sous
l’empire de laquelle nous agissons, l’art. 7 du projet de loi est adopté, ce
sera un acte que l’on pourra à bon droit qualifier d’improbité législative.
Je sais que pour
excuser l’effet rétroactif, on pourra essayer de faire une distinction entre
les matières purement administratives et les matières de droit positif.
Mais ce sont
encore là des accommodements, des transactions de principes, au moyen desquels
il n’est aucune vérité que l’on ne puisse dénaturer, aucun sentiment de justice
que l’on ne puisse corrompre.
On aura beau
dire qu’il s’agit de matière administrative, il y a au bout de cela une
question d’argent, et, soit administrativement soit tout autrement, vous ne
pouvez pas plus soutirer d’une caisse communale que de la bourse d’un
particulier par un effet rétroactif, ce qui n’était pas plus dû par l’une que
par l’autre.
Je sais que l’on
pourra aussi essayer d’invoquer ce qui s’est passé dans la discussion de la loi
sur les dépôts de mendicité.
Mais citer cet antécédent,
c’est passer condamnation.
Quelle est la
raison, et la seule raison, qui sauve la loi sur la mendicité du reproche de
rétroactivité ?
C’est la loi du
28 novembre 1818 sur le domicile de secours.
C’est de cette
loi dont il a fallu argumenter pour repousser l’exception de rétroactivité.
Cette loi,
a-t-on dit, imposait aux communes du domicile de secours l’obligation
d’entretenir le mendiant. Que le mendiant soit dans le dépôt ou qu’il soit en
liberté, l’obligation n’en subsiste pas moins, puisque la loi n’admet pas cette
distinction ; dont il est permis de prendre des mesures pour forcer les
communes à remplir, même pour le passé, les obligations dérivant de cette
manne.
Aussi, ce n’est
qu’une règle de procédure que vous avez votée, et non un droit que vous avez
créé, et non une obligation que vous avez fait rétroagir sur le passé.
Comme vous
voyez, messieurs, il n’y a aucune similitude d’un cas à l’autre.
Là vous pouviez
rattacher l’effet rétroactif à une loi, et ici vous ne pourriez le rattacher qu’à
un simple arrêté du pouvoir exécutif dont on est forcé de reconnaître
l’illégalité et l’inconstitutionnalité, et qui par conséquent ne pouvait
produire ni droit ni obligation.
En un mot,
aucune loi pour le passé n’imposait l’obligation que l’on va créer : on ne peut
la faire rétroagir sans violer l’un des principes les plus sacrés en matière de
législation, sans ébranler la confiance de la nation dans les garanties qu’elle
a droit d’exiger de la représentation nationale.
L’on a dit que,
sauf quelques villes, les autres communes se sont soumises et se soumettent à
payer l’arrérage.
Cela importe peu
à la question.
D’abord il n’est
pas exact, et je l’ai déjà dit. Les communes en grande partie, et les états
provinciaux n’ont cessé de réclamer et de protester contre la mesure,
réclamations et protestations auxquelles se sont associés plusieurs membres des
états-généraux.
Ensuite, parce
que le plus grand nombre des communes eussent consenti à payer volontairement,
s’ensuit-il pour cela que celles qui s’y refusent n’ont pas le droit de s’y
refuser ?
Depuis quand le
fait d’une ou de plusieurs communes peut-il nuire à celles qui n’ont pas posé
et qui ne veulent pas poser le même fait ?
Depuis quand
sera-t-il permis de punir la commune qui a légalement résisté à l’oppression du
despotisme, parce que d’autres communes auront trouvé bon de suivre ce qu’on
appelle le système d’humanité, et que j’appelle, moi, le système du servilisme.
Je le répète ;
toutes ces excuses n’empêcheront pas que l’article 7 du projet ne fasse acte
d’improbité législative s’il vient à être sanctionné.
Veuillez au
surplus réfléchir à l’injustice révoltante qui en résulterait pour certaines
localités.
Comme vous
savez, messieurs, la loi de V avait mis à la charge de l’Etat les frais
d’entretien des enfants trouvés, et cette législation subsista jusqu’au décret
de 1811.
La ville de
Namur fut la seule qui s’empressa de se conformer à la loi de l’an V et à
ouvrir un tour à l’un de ses hospices pour y recevoir les enfants trouvés.
Gardez-vous,
messieurs, d’attribuer la promptitude de ces mesures à l’administration de la
ville de Namur. Elle n’y fut pour rien, c’est l’administration centrale qui
prescrivit la mise à exécution de cette loi.
Quoiqu’il en
soit, cet établissement ne fût pas plus tôt ouvert que les enfants trouvés y
affluèrent des provinces voisines et nommément des départements de l’Ourthe et
des Ardennes, qui restèrent l’un et l’autre nombre d’années avant de se
conformer à la loi, avant d’organiser semblable établissement.
La population des
enfants trouvés s’accroissait ainsi considérablement. Mais la ville de Namur
n’avait pas à s’en plaindre, puisqu’elle n’était pour rien dans les frais
d’entretien.
L’arrêté du 6
novembre 1822 reporta les frais d’entretien à la charge des communes, sans regarder
en arrière, sans tenir aucun compte de la situation tout exceptionnelle dans
laquelle se trouvait la ville de Namur.
Cette ville
renfermait alors dans son hospice 1,013 enfants ; la ville de Liége n’en avait
que 280, et la ville de Luxembourg 264, différence qui provenait de ce que
l’hospice de Namur, établi depuis l’an V, avait recueilli les enfants des
départements de l’Ourthe et des Ardennes, qui n’avaient ouvert des hospices à
Liége et à Luxembourg que depuis peu d’années.
La charge fut
accablante pour la ville de Namur. Déjà en 1823, le budget de cette ville avait
été forcé, par ordre supérieur de 20,000 florins à compte seulement de son
contingent dans la dépense des enfants trouvés qui était de fl. 41,139-99
cents, et son budget de 1826 se trouva grevé de la même manière de fl.
84,997-49 cents. Ajoutez à cela l’énorme dette qu’elle a contractée pour la
construction de routes dont elle a été spoliée, de quelle spoliation le
gouvernement continue à recueillir les fruits, considérez ensuite que les
ressources de cette ville ne consistent que dans le produit des taxes
municipales qui sont portées à un maximum qui dépasse celui des autres villes ;
produit dont la seule dépense des enfants trouvés absorbait la moitié, et vous
ne serez pas étonné que la ville de Namur, fatiguée de ne pouvoir obtenir
justice, ait fini enfin par secouer un joug sous lequel elle n’avait que trop
longtemps plié et qui n’était plus supportable.
Si quelque chose
vous étonne, c’est qu’on ait pu la laisser aussi longtemps dans une situation
aussi accablante.
En effet, il
était évident pour tout le monde qu’avant de mettre à exécution le régime de
l’arrêté du 6 novembre 1822, qu’avant de mettre à la charge des communes les enfants
qui seraient exposés sur leur territoire, il fallait commencer par savoir ce
que l’on ferait des enfants qui se trouvaient dans les dépôts alors existants.
Ces enfants
n’avaient été reçus depuis près de 30 ans dans ces dépôts, que sous la foi
d’une législation qui chargeait l’Etat de leur entretien quel que fût le lieu
où ils avaient été exposés. Il fallait donc commencer par en faire la
répartition entre toutes les communes, puisqu’il était impossible de savoir où
ils avaient été exposés, ni à quelles communes ils appartenaient, ou bien il
fallait que l’Etat continuât à s’en charger jusqu’à ce qu’ils aient atteint
l’âge où devait cesser le subside. En charger les communes de la situation du
dépôt sans autre raison que celles qu’ils se trouvaient là, c’était un
arbitraire tellement révoltant, une injustice tellement scandaleuse, qu’on a
peine à croire qu’on ait osé mettre à exécution une mesure aussi oppressive.
C’est cependant cette mesure que l’article 7 du projet vous demande de
consommer.
Pour justifier
la sanction d’une injustice aussi révoltante, la violation aussi manifeste du
principe de non-rétroactivité des lois, M. le ministre nous dit que s’il
employait le subside alloué au budget pour liquider l’arrérage de la ville de
Namur, ce serait commettre une injustice envers les autres communes du royaume
qui se sont exécutées de bonne foi.
En vérité, j’ai
peine à croire à un semblable renversement d’idée du juste et de l’injuste.
Est-on donc de mauvaise
foi, lorsqu’on défend des droits qui sont incontestables, lorsqu’on résiste à
l’oppression. Parce que l’injustice n’était accablante que pour quelques
localités, ces localités étaient-elles de mauvaise foi parce qu’elles se
refusaient à la souffrir ? Vous dites que les autres communes se sont exécutées
de bonne foi, je le crois aisément, cela devait leur coûter fort peu.
Vous le tableau
joint au projet. Vous verrez que les communes de la province de Namur, le
Brabant excepté, payaient à elles seules un quart de plus que toutes les autres
communes du royaume réunies.
La ville de
Namur, lieu de dépôt où les enfants trouvés avaient afflué de toute part depuis
trente ans, était dans une tout autre position que les autre
communes. C’est une amère dérision que de dire qu’il y aurait injustice
à lui faire droit, alors que d’autres communes ont payé volontairement ce
qu’elles auraient pu refuser et ce qui du reste n’était pour elles qu’un très
léger sacrifice.
Il y a plus,
messieurs, et je réclame ici toute votre attention, il ne s’agit pas seulement
de l’arrérage qui se trouvera existant au moment de la mise à exécution de la
loi qu’on vous demande, il s’agira de commettre pour l’avenir envers la
province de Namur la même injustice que celle dont l’arrêté du 6 novembre avait
frappé la ville de Namur, car nonobstant qu’il soit incontestable en fait que
les trois quarts au moins des enfants qui se trouvent au dépôt de Namur
proviennent des provinces voisines, le projet ne vous propose pas d’en faire le
triage, il en grève à toujours la province de Namur, et si la mesure est
injuste surtout pour le passé, le système même du projet ne sera pas moins
injuste pour l’avenir, du moins en ce qui concerne la province de Namur.
Maintenant que
j’ai signalé les principaux vices du système ministériel, il me reste à réfuter
l’apologie que vous avez entendue à la séance précédente du système qui met à
la charge de la commune de l’exposition les frais d’entretien de l’enfant
trouvé, système qui n’est autre que celui de l’arrêté du 6 novembre 1822.
Ce système, qui
est celui de mon honorable ami M. de Brouckere, se résume en peu de mots…
Supprimez les tours, supprimez les établissements des enfants trouvés, vous en
aurez moins ; la commune, la province, l’Etat, tout le monde y gagnera. C’est
là le régime le plus économe, le plus politique, le plus juste et le plus
moral.
Je conviens que
si nous pouvions faire table rase, que si nous pouvions coloniser les enfants
trouvés qui existent actuellement dans nos hospices, ce système serait tout au
moins le plus tranchant.
Je conviens que
si l’on veut étouffer tout sentiment de justice, d’humanité et de morale
publique, il n’est rien de si facile que de justifier ce système.
Dès lors, en
effet, que l’on ne trouve aucun inconvénient à admettre la fiction, à admettre
le mensonge pour la vérité, à admettre comme règle d’une haute justice que le
lieu de l’exposition est le lieu du domicile de secours, la marche à suivre est
aplanie, il n’y a à s’arrêter nulle part, on peut tout faire.
C’est ainsi que
s’est posé l’honorable M. de Brouckere, et cependant, quoique fort à l’aise
dans cette position, il n’a fait qu’une véritable utopie.
Supprimez,
dit-il, vos tours, supprimez vos établissements d’enfants trouvés, et vous en
diminuerez considérablement le nombre.
Voyez,
ajoute-t-il, voyez ce qui se passe en Angleterre, aux Etats-Unis, dans
plusieurs Etats de l’Allemagne ; là il n’y a pas d’établissements semblables,
et il n’y a que très peu d’enfants trouvés.
Comparez la
ville plus populeuse de Londres avec la ville de Paris ; ici le nombre
d’enfants trouvés recueillis dans les hospices est prodigieux, et là il est
imperceptible.
La population à
Paris n’est que de 800,000 habitants, et dans une période de 5 ans, il y a eu
25,227 enfants trouvés, c’est-à-dire 5,045 enfants, année commune.
La population à
Londres est de 1,250,000 habitants, et dans la même
période de 5 ans, il n’y a eu que 151 enfants exposés, c’est-à-dire, 30 enfants
année commune.
D’abord on me
permettra de ne pas croire du tout à pareilles exagérations.
Si en
Angleterre, aux Etats-Unis ou ailleurs, il n’y a pas d’établissements spéciaux
d’enfants trouvés, on ne parviendra pas à faire croire qu’il n’y existe pas des
maisons de charité qui atteignent le même but. Là, il existe des refuges où la
fille mère ou l’épouse indigente sont recueillies, et où l’enfant est reçu dans
ces écoles nombreuses où ou lui donne la subsistance avec la nourriture jusqu’à
ce que l’industrie puisse utiliser ses bras.
Imitez ici ce
bel exemple, et supprimez alors vos tours et vos hospices d’enfants trouvés.
Mais soyez au moins conséquent, et avant de les supprimer, ayez quelque chose
pour remplacer ce qui existe.
A Londres,
dites-vous, il n’existe année commune que 30 enfants trouvés.
Je prends acte
de cette assertion, parce qu’elle me place dans une juste défiance sur
l’exactitude des éléments de votre conviction.
On ne prouve
rien quand on prouve trop, et l’on ne fera croire à personne que dans une ville
d’un million d’habitants et qui ne la cède à aucune autre ville sous le rapport
du relâchement des mœurs, il n’y aurait que peu ou point d’enfants trouvés,
s’il n’existait aucun établissement de charité destiné à prévenir les
expositions.
La source du
mal, pour vous, est dans les tours. Ce sont eux qui augmentent le nombre
d’enfants trouvés.
C’est là une
erreur qu’il importe d’autant plus de relever que la question des tours se
reproduira plus d’une fois dans la discussion.
Je prétends,
moi, que les tours ne font absolument rien à la chose, et la raison en est fort
simple ; c’est qu’au lieu de déposer l’enfant dans le tour, on le dépose sur le
seuil de la porte de l’hospice, en donnant le coup de sonnette ; et il faut
convenir que pour celui qui veut exposer l’enfant, la chose est tout aussi
facile d’une manière que de l’autre.
Ce n’est pas le
tour qui attire l’enfant, c’est l’établissement destiné à le recevoir. Ne vous
arrêtez donc pas au tour, et si vous voulez être conséquent, c’est
l’établissement même qu’il faut supprimer. Mais alors, encore que mettrez-vous
à la place, et surtout que ferez-vous des enfants que vous avez actuellement
sur les bras et qu’il ne vous est pas permis, sans outrager le bon sens et
renverser toute notion de justice, de mettre à la charge exclusive des communes
où ces établissements se trouvent ?
On insiste, et
pour preuve que la suppression des tours ou plutôt que le système de l’arrêté
du 6 novembre
Voyez, dit-on ;
depuis l’époque de cet arrête le nombre d’enfants trouvés a diminué partout.
Mais cet
argument, qui d’abord pêche quant à l’exactitude du fait, n’est pas plus
concluant que celui tiré de la ville de Londres. Il y a encore exagération. Il
prouve trop enfin, et dès lors il ne prouve rien.
Voyons du reste
ce tableau.
A Anvers, de
1822 à 1829, il y avait peu de diminution ; la diminution ne s’est fait sentir
sensiblement que pendant les trois années de notre révolution. Comment la
révolution a-t-elle produit cet effet ? Je n’en sais rien, mais ce que je sais
bien, c’est que la diminution n’est pas due à la suppression du tour, car il
existe un tour à Anvers et à Malines.
A Gand, la
diminution de 1822 à
Dans la province
du Brabant la population, de 1822 à 1832, ne s’est accrue que de 18 enfants, et
cependant il existe un tour à Bruxelles et à Louvain.
Comparez
maintenant les provinces ou il existe des tours avec les provinces où il n’en
existe pas, et vous verrez que la diminution s’est fait sentir partout dans une
proportion presqu’égale.
La question des
tours doit donc être écartée, puisqu’il est évident que l’existence des tours
ne produit que peu ou point d’effet.
Mais,
pourra-t-on me répliquer, il ne reste pas moins vrai que depuis l’arrêté du 6
novembre 1822, il y a eu diminution partout, et si ce n’est pas à la
suppression des tours que cette diminution est due, elle est due alors au
système communal introduit par cet arrêté, parce qu’il a intéressé les communes
à exercer leur surveillance et à ne plus admettre ceux dont les parents
pouvaient être découverts.
Cet argument,
messieurs, est tout aussi peu fondé que le précédent, parce qu’il repose
également sur une chose évidemment fausse.
Si l’arrêté du 6
novembre 1822 avait donné aux communes le moyen de découvrir l’origine de
l’enfant que l’on a bon soin de ne pas exposer dans la commune de la naissance,
mais de porter au loin, précisément pour rendre impossible la recherche de la
maternité ; si, depuis cet arrête, c’étaient effectivement les administrations
communales qui avaient exercé cette surveillance et ce soin dont on argumente,
je concevrais la conséquence ; mais, en fait, et depuis cet arrêté, les
établissements d’enfants trouvés ont continue à être dirigés et administrés par
des administrations spéciales, tout comme avant l’arrêté. Les administrations
municipales n’ont pu et n’ont point recherché l’origine des enfants, elles
n’ont pu et n’ont point exercé de surveillance. C’est donc une illusion que
vous vous faites, lorsque vous attribuez ce que vous appelez les heureux effets
de l’arrêté du 6 novembre 1822 à la circonstance que les communes ont été
intéressées à exercer plus activement leur surveillance puisqu’aucune
surveillance n’a eu lieu de leur part.
Jetez plutôt les
yeux sur le tableau qui accompagne l’exposé du projet de loi, et si vous tenez
à l’uniformité de législation dans une branche d’administration aussi
importante, et si vous tenez à ce que la charge des enfants trouvés soit
équitablement répartie, vous cesserez d’accorder l’appui de votre beau talent
au système communal de cet arrêté.
Ici ce sont les
hospices, les communes et les provinces qui paient ; là, c’est la province
seulement ; plus loin, ce sont exclusivement les hospices et les bureaux de
bienfaisance, et ailleurs, ce sont les communes et les provinces sans le
concours des hospices ni des bureaux de bienfaisance
Voyez surtout
dans quelle situation cet arrêté a placé les communes de deux provinces.
Les communes de
la province du Namur, qui est la plus petite, paient à elles seules un quart de
plus que toutes les communes réunies des autres provinces, le Brabant excepté,
et les communes des deux provinces de Namur et de Brabant paient quatre fois
plus que toutes les autres communes du royaume.
Rapprochez
maintenant la province de Liège de celle de Namur, et vous verrez que la
province de Namur, qui n’a que moitié de la population de celle de Liége, paie
105,157 fr., tandis que la province de Liège ne paie que 15,550 francs ; de
manière que, compte fait de la population respective, la province de Liége paie
tout au plus la 15ème partie de la charge qui pèse sur la province de Namur.
C’est cependant
là, dit-on, le système le plus politique, le plus juste et le plus moral.
Je conçois que
si l’on comprend la politique et la moralité de la suppression des tours et des
établissements de bienfaisance, comme on comprend la justesse de l’application
du principe de domicile de secours à l’exposition d’un enfant inconnu, on peut
facilement s’accommoder de ce genre de moralité et de politique.
Mais je trouve,
quant à moi, que la morale publique a tout à gagner, lorsqu’au lieu d’exposer
l’enfant dans la rue, on peut directement le porter au refuge destiné à le
recevoir, et je vois que la morale publique aurait tout à perdre, si,
supprimant les tours et les établissements existants, la charge de l’entretien
était imposée à la commune de l’exposition. C’est alors que la morale publique
s’alarmerait avec raison ; c’est alors qu’il n’est personne qui pourrait
répondre de ne pas trouver un enfant abandonné sur sa porte en rentrant chez
lui, c’est alors que l’enfant trouvé serait bien vite transporté dans la
commune voisine et serait ainsi ballotté, de commune en commune, jusqu’à ce que
mort s’ensuive.
Si l’on ne veut
pas tenir compte de tous ces inconvénients, si l’on trouve que la morale
publique a à gagner par la suppression des tours et des hospices d’enfants
trouvés, si l’on s’embarrasse peu qui paiera en définitif, dès lors que
quelqu’un paie justement où injustement ; si l’on tient peu à conserver à la
vie l’enfant trouvé dès lors que l’on parvient à en réduire le nombre, vaudrait
tout autant, au lieu de consacrer autant d’injustices, de rendre complice de
l’exposition celui qui ramasserait l’enfant. Le moyen ne serait pas plus juste,
mais il serait beaucoup plus efficace pour opérer la réduction, ce serait là de
la politique à la turque, elle serait expéditive.
Il y a quelque
chose, messieurs, que l’on oublie dans cette discussion, c’est que nous sommes
liés par ce qui existe et que nous sommes dominés par des habitudes et des
mœurs contractées depuis bientôt un demi-siècle.
Ici le passé commande à l’avenir. Vous aurez beau supprimer les tours et
les hospices, et les transports d’enfants trouvés ne continueront pas moins à suivre
leur cours et à arriver au chef-lieu.
Ici, vous avez
des établissements formés, vous avez une nombreuse population d’enfants
trouvés, et il faut bien que, quel que soit le système que vous adopterez, il soit
approprié à ce que vous ne détruirez pas, il soit applicable au passé comme à
l’avenir.
Le système de
mon honorable ami M. de Brouckere tend à légaliser une double injustice, celle
de charger la commune de l’exposition non seulement de l’enfant qui y sera
exposé à l’avenir, mais en outre, de tous les enfants qu’elle y a recueillis
sous la foi d’une législation qui ne l’en grevait pas, de manière que l’on se
débarrasserait ainsi de plus de 6,000 enfants trouvés aux dépens de quelques
villes, ce qui serait le comble de l’injustice.
Ce n’est sans
doute pas là, messieurs, le système qui vous paraîtra le plus conforme à l’état
actuel des choses, et j’aime à croire que vous m’aiderez à le repousser.
M.
Schaetzen. - Ayant fait partie de la section centrale je sens,
messieurs, le besoin de justifier l’opinion que j’y ai émise.
Je suis le
membre qui, ainsi que le dit le rapport de cette section, a désiré savoir avant
de se prononcer en faveur de l’un ou de l’autre des deux systèmes, si l’on
maintiendrait les tours établis dans certains hospices et si l’on en créerait
d’autres encore à l’effet de recueillir les enfants abandonnés. Ce n’est
qu’après que la majorité de la section centrale eût décidé, contre mon opinion,
qu’il fallait maintenir ces tours que j’ai crû devoir me joindre à ceux de mes
honorables collègues qui faisaient de l’entretien des enfants trouvés une
charge de l’Etat. En sorte qu’il est vrai de dire que quatre membres de la
section centrale ont été en principe d’accord que l’entretien des enfants
trouvés ne devait pas être une charge de l’Etat, et que ce n’est que la
dissidence sur un point accessoire qui a produit la majorité contraire au
projet ministériel.
Ce qui m’a
déterminé à voter dans le sens de la section centrale, après avoir énoncé
l’opinion que l’entretien des enfants trouvés pouvait être mis au compte des
provinces ou des communes, c’est que par l’établissement des tours, l’égalité
des charges qui doit exister entre toutes les provinces du royaume, est
absolument détruite.
En effet il est
vrai de dire que les enfants abandonnés ne sont pas toujours déposés dans les
communes où ils sont nés, que souvent on les transporte d’une commune à une
autre, d’une province à une autre ; il y a au moins dans ces deux cas
réciprocité ; mais l’on doit savoir aussi que les habitants des pays où il
n’existe point de tours, transportent les enfants dont ils veulent se défaire
dans les pays voisins qui sont dotés de pareils établissements.
Quelle sera
maintenant la position des provinces frontières, particulièrement de celles qui
longent
Permettez,
messieurs, que je vous signale un fait que j’ai été à même d’observer pendant
plusieurs années que j’ai été administrateur de l’hospice des enfants
abandonnés de Maestricht.
Tant que le tour
fut ouvert, nous avons reçu, ainsi que vous l’a dit l’honorable M. de
Brouckere, des centaines d’enfants ; la plupart nous venaient de
Lorsqu’enfin le
nombre de ces enfants fut accru au point que leur entretien allait absorber
presque tout le revenu des hospices et du bureau de bienfaisance,
l’administration supprima le tour, et cette suppression eut pour résultat que
le nombre des enfants que, l’on fut dans le cas d’admettre à l’hospice se
réduisit à dix ou douze par an.
De là la preuve
que l’établissement des tours attire vers les endroits où ils se trouvent une
foule qui leur sont étrangers ; et pour les provinces frontières des Etats qui
n’ont point d’établissements analogues et à l’égard desquels il n’y a pas de
réciprocité, les suites désastreuses que doit avoir pour leurs finances
l’ouverture de ces tours sont incalculables.
Remarquez
ensuite que les provinces qui seront plus particulièrement lésées dans ce
système sont justement celles qui ont le moins de ressources, ce sont le
Luxembourg et le Limbourg. Du moment que vous ouvrirez, par exemple, à Arlon,
un tour, vous y verrez affluer de la partie supérieure de
Il serait, dès
lors, souverainement injuste de faire une charge provinciale de l’entretien des
enfants abandonnés, si l’on persiste à maintenir les tours.
Je passe à
l’examen de la seconde question, celle de savoir si les tours ou refuges
publics ouverts aux enfants abandonnés sont bien utiles.
Il est,
messieurs, des idées tellement fixes dans l’esprit de beaucoup de personnes,
que l’on ne peut les attaquer sans encourir le blâme d’avancer ou de soutenir
un paradoxe. Cependant, dût-on me faire un pareil reproche, je n’en dirai pas
moins toute ma pensée.
Je crois,
messieurs, que l’on exagère beaucoup le bienfait de pareils refuges ; je crois
qu’ils sont fort peu propres à atteindre le but que l’on se propose, celui de
prévenir les infanticides.
Permettez qu’à
cette occasion je vous cite encore des faits ; et ces faits peuvent être
vérifiés par les comptes trimestriels rendus par le procureur criminel de la
province de Limbourg ; ils sont déposés au parquet de la cour de Liége.
Dans les années
que l’hospice de Maestricht recevait soixante-dix à quatre-vingts enfants
abandonnés, le nombre d’accusations d’infanticides portées à la cour d’assises
du Limbourg a été supérieur à celui de pareilles accusations jugées pendant les
années qui ont suivi la fermeture du tour.
Loin de moi de
vouloir tirer de ce fait la conséquence que la fermeture du tour à Maestricht a
diminué le nombre des infanticides dans la province de Limbourg, ce serait
aller beaucoup trop loin, mais je vous le cite pour prouver que l’influence de
ces établissements de charité sur les infanticides n’est pas si grande que le
public le pense, et qu’il n’ont pas toujours pour résultat de diminuer le nombre
de ces crimes.
J’avais moi-même
été longtemps pénétré de l’idée que les hospices des enfants abandonnés
devaient essentiellement tendre à conserver les nouveau-nés, j’ai donc cherché
à me rendre compte de cette espèce de phénomène ; j’ai tâché de découvrir
comment il se faisait que les infanticides ne s’étaient pas multipliés dans la
province du Limbourg, en proportion inverse du nombre des enfants déposés, et
les recherches que j’eus occasion de faire à cet égard au parquet de la cour
d’assises de la même province me donnèrent la solution de ce problème.
Je découvris que
le crime d’infanticide ne se commettait point sur des enfants qui avaient vécu
quelques jours.
Que dès que la
femme avait joui des premiers plaisirs de la maternité, elle n’attentait plus à
la vie de son nouveau-né.
Que la mère ne
se portait à cet acte de barbarie que dans les premiers embarras de son nouvel
état et lorsqu’elle était encore placée entre le sentiment de la honte et les
sentiments les plus naturels.
Enfin que
l’enfant était sauvé dès que la mère pouvait croire que son accouchement était
connu d’une seconde ou d’une troisième personne.
Et comme j’avais
remarqué d’autre part que les enfants qui étaient portés à l’hospice étaient
nés depuis plusieurs jours, que parfois ils comptaient quelques mois, j’ai été
conduit à tirer de la combinaison de cette double observation la conséquence
qu’en général les enfants que l’on portait aux hospices étaient à l’abri du
crime, et que les mères qui les y faisaient déposés n’étaient plus capables de
porter sur eux une main homicide, que c’était le plus souvent pour débarrasser
d’un fardeau qui contrariait leur inclinations vicieuses ou qui gênait leur
position sociale, qu’elles s’en défaisaient.
De cette manière je me suis expliqué comment il se faisait que d’une part
les hospices pourvus de tours ne prévenaient point les infanticides, et que
d’autre part leur suppression n’augmentait point le nombre de ces crimes.
En résumé, je
suis d’avis que l’on peut, sans inconvénients, supprimer les tours, au moins
successivement, et rendre provinciale ou communale la charge de l’entretien des
enfants abandonnés.
Je voterai donc
contre le principe proposé par la section centrale quant aux frais d’entretien,
et contre le projet ministériel en ce qui concerne l’établissement forcé des
tours.
M.
de Theux. - Je ne veux pas prendre une seconde fois la parole dans le discussion
générale ; j’attendrai la discussion des articles et notamment la discussion de
l’art. 1er, pour proposer un amendement. Je dirai seulement que l’honorable
député de Namur à mal saisi la pensée que j’ai émise relativement à la cause
présumable de l’exposition des enfants dans les grandes villes : j’ai attribué
cette cause à la misère et à la
démoralisation qui ordinairement en est la suite.
M.
Doignon. - Messieurs, cette discussion offre quelque chose d’assez
singulier ; vous avez deux rapports de sections centrales sur la matière ; la
question qui nous occupe a été soumise à la section centrale chargée de
l’examen de la loi concernant l’organisation provinciale et à la section
centrale chargée de l’examen spécial du projet ministériel sur les enfants
trouvés ; les deux sections ont émis deux avis diamétralement opposés qui se
détruisent l’un l’autre, en sorte que la chambre n’a véritablement pas de
rapport sur la question dont nous recherchons la solution. Notre situation est
assez irrégulière.
L’une des
sections pense que la charge des enfants doit être supportée par l’Etat ;
l’autre section pense que cette charge doit être supportée par la commune et
par la province.
Ces deux
conclusions se réduisent donc à zéro pour la chambre.
Je crois qu’il y
a lieu de rejeter la proposition ministérielle précisément par les raisons que
le ministre allègue pour repousser la proposition de la section centrale. La
proposition ministérielle tend à multiplier les expositions déjà trop
considérables ; elle est de plus injuste et impolitique. Je pense que la
section centrale ainsi que le ministre accordent aux communes au-delà de ce
qu’elles désirent. Je ne crois pas qu’aucune commune prétende se décharger de
toute dépense relativement aux enfants trouvés. D’après l’un et l’autre
système, les communes seraient libérées de toute charge. Vous avez entendu M.
le bourgmestre de Bruxelles ; il vous a avoué qu’un sixième des enfants trouvés
de cette cité provient de la ville même.
Ainsi, de son
aveu, le sixième des dépenses doit au moins être à la charge de cette ville.
II y a sur la
matière deux opinions extrêmes. Sous la république française, les enfants
trouvés étaient considérés comme propriété de l’Etat ; dès lors tous les frais
étaient à sa charge. Sous le gouvernement de Guillaume, on a d’abord accordé
des subsides aux communes et les vices de ce système allant croissant, on a été
jusqu’à porter 400 mille florins de subsides dans le budget de l’Etat, somme
qui a paru tellement effrayante qu’on a retiré ensuite tout secours aux
communes, et on est tombé dans un extrême contraire. Mon opinion, est,
messieurs, que les frais des enfants trouvés doivent être supportés
premièrement par la commune ; deuxièmement, par la province qui doit être tenue
d’accorder des subsides à toutes les communes en pareil cas.
L’on a dit qu’il
est impossible de vérifier si tel ou tel enfant appartient à telle ou telle
commune ; mais, dans ce cas, il est naturel de procéder par voie de
présomption. A l’égard de la commune, il est plus que présumable qu’un bon
nombre d’enfants vient de la ville, que par conséquent une partie des dépenses
doit lui être imputée. Si l’on a des doutes sur ce point, il est facile à l’administration
de prendre quelques renseignements sans cependant pousser les recherches de la
maternité jusqu’à l’indiscrétion ; je regarde comme certain que
l’administration locale peut connaître approximativement le nombre des enfants
qui lui appartient. Le bourgmestre de Bruxelles vous en a fait la déclaration ;
il a dit dans quelle proportion les enfants trouvés appartiennent à cette ville
; les autres villes peuvent donc faire des évaluations semblables. Il ne faut
point, parce qu’il y a quelque incertitude, que toutes les communes, par suite
de cette incertitude soient libérées de tous frais. ; ce
serait là une injustice évidente.
Il est également
certain que la province doit concourir à cette dépense, parce qu’il est aussi
plus que présumable qu’une partie de ses enfants trouvés vient de plusieurs des
communes de la province même ; et comme il est impossible de déterminer quelles
sont les communes, il faut que la province pourvoie elle-même, par forme de
subside, à l’entretien des enfants.
Ainsi, je dis
qu’en principe c’est la commune qui doit être chargée de la dépense, sauf son
droit de réclamer des subsides à la province.
Comme il est
impossible de connaître dans un hospice l’enfant qui appartient à telle ou
telle commune, il est clair que l’hospice doit se charger des frais de tous ces
enfants. Il est naturel que celui qui doit remplir envers ces enfants la
fonction de père de famille soit chargé de toute la dépense, sauf son recours
conte ceux qui doivent y contribuer.
Une autre raison
très puissante doit vous déterminer à mettre ces dépenses à la charge de la
commune ; c’est qu’il faut nécessairement donner à l’enfant trouvé une famille
; or, messieurs, cette famille ne peut être que la commune elle-même. Sous le
régime français, les enfants trouvés étaient à la disposition de l’Etat ; on
les appelait les enfants de la patrie ; Napoléon en avait fait un régiment
qu’on avait nommé les pupilles de la garde. Il les faisait servir à ses
conquêtes et à sa gloire militaire ; mais nos enfants trouvés doivent avoir une
autre destinée ; nous devons aujourd’hui en faire de bons pères de famille, de
bons citoyens. Sous Napoléon, ces enfants étaient isolés dans la société, ils
étaient comme des étrangers dans le monde : ils s’appelaient les enfants de la
patrie ; ils étaient plutôt des enfants sans patrie. Je les considère, moi,
comme les enfants de la commune, comme les enfants qu’elle a adoptés ; il faut
donner à ces enfants les mœurs, l’éducation de la commune.
Ainsi,
messieurs, sous tous les rapports l’entretien de ces enfants doit être une
charge communale. Si vous voulez qu’ils soient attachés à la patrie, il faut
d’abord les attacher à une partie du sol ; il faut les attacher à la commune ;
par conséquent celle-ci doit se charger des frais de leur entretien, de leur
éducation.
Je soutiens de
plus que la commune est le domicile de secours de l’enfant. Il est de droit que
l’enfant a pour domicile celui de son tuteur ; c’est donc la commune qui lui
tient lieu de père qui doit pourvoir aux dépenses.
L’enfant a perdu
sa mère ; aux yeux de la loi, il n’a plus de mère naturelle, il doit suivre le
domicile de sa nouvelle mère qui est dans la commune. L’enfant doit être
considéré comme né dans la commune ; c’est dans la commune que l’on dresse son
acte de naissance ; c’est là qu’il reçoit les noms qu’il portera ; c’est là
qu’il acquiert son état social.
Si le domicile
est là où l’on a son principal établissement, le domicile de l’enfant trouvé
est évidemment dans la commune où il est recueilli et élevé.
En mettant
l’enfant à la charge de la commune, ce sera aussi un moyen de prévenir, de
diminuer le nombre des expositions ; la commune peut exercer une surveillance
directe sur tous les abus qui se commettent en ce genre ; or, cette
surveillance ne peut s’exercer, ni par la province, ni par l’Etat. La facilité
avec laquelle l’on expose aujourd’hui les enfants est telle que l’exposition
dégénère en véritable abandon : les mères exposent leurs enfants non pas pour
se soustraire à la honte, au déshonneur, mais pour se débarrasser des frais
d’entretien de leurs enfants.
Ou la mère est
en état de pourvoir à la subsistance de son enfant, ou elle est hors d’état d’y
pourvoir ; si elle a les moyens de nourrir son enfants, en l’abandonnant, c’est
un vol qu’elle commet sur la caisse des pauvres ; si elle n’en a pas les
moyens, elle doit recevoir des bureaux de bienfaisance des secours pour nourrir
son enfant ; dans aucun cas, l’exposition ne peut avoir lieu.
Malheureusement
on semble ignorer que souvent l’exposition est un délit ; généralement
l’exposition, telle qu’elle se pratique aujourd’hui est un délit prévu par le
code pénal, et jusqu’ici le ministère public, dans toutes les provinces, a
négligé de surveiller cette partie….
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau)
- C’est vrai.
M.
Doignon. - … car je ne connais pas une seule poursuite dans aucune
province relativement à ces faits.
L’article 352 du
code pénal punit l’exposition des enfants au-dessous de sept ans (erratum au Moniteur belge n°71, du 12 mars
1834 :) dans un lieu non solitaire, de l’emprisonnement et de l’amende. Il
est enseigné et il a été jugé par arrêt de la cour de cassation de France que
cet article doit s’appliquer au cas d’une exposition lorsque l’enfant n’est pas
de ceux qu’on appelle enfants trouvés.
Aux termes du
décret de 1811, il est bien permis de placer un enfant au tour ; mais cette
disposition n’est applicable qu’à l’enfant trouvé, soit sur la voie publique,
soit ailleurs ; aujourd’hui on va chercher les enfants sur le giron de leur
mère, et on les dépose à l’hospice ; c’est donc abusivement qu’on les considère
comme des enfants trouvés : ce sont des enfants pour lesquels des secours à
domicile auraient été donnés par l’administration si elle avait exercé toute la
vigilance convenable.
Il est des gens
qui font métier de porter les enfants au tour : dans chaque ville il y a des
individus qui font cet infâme métier et jusqu’ici on n’a pas dirigé de
poursuites contre eux.
J’ai connu dans
un hospice un préposé qui fort souvent savait le jour et l’heure où des enfants
devaient être exposés dans le tour ; avec quelques précautions et sans
commettre d’imprudence, on pourrait donc connaître l’origine de beaucoup
d’enfants ainsi abandonnés. L’administration peut savoir par ce moyen, si la
mère de l’enfant exposé dans le tour est ou non en état de pourvoir à la
subsistance de cet enfant.
Un autre abus
qui multiplie considérablement les expositions, c’est que l’administration
remet trop facilement les enfants à leurs parents quelques années après leur
abandon. D’après le décret de 1811, la remise ne peut avoir lieu qu’après le
paiement des frais que l’enfants a occasionnés ; mais
les parents se font délivrer des certificats d’indulgence et la remise
s’effectue. Les indigents considèrent la faculté d’exposer leurs enfants comme
la conséquence d’une obligation où est l’Etat de nourrir les enfants délaissés.
Je suis
convaincu qu’il y a de grands abus dans cette partie de l’administration
publique, et que si l’on ne se chargeait que des enfants trouvés, il n’y en
aurait qu’un très petit nombre dans nos hospices.
J’inclinerai, messieurs,
avec plusieurs préopinants, à ce que les tours soient diminués dans les
provinces, et même supprimés avec le temps. Nous suivrons en cela l’exemple de
plusieurs de nos voisins.
Dans les
provinces rhénanes, cette suppression a eu lieu, et l’on s’en félicite. On cite
notamment la ville de Mayence où il y avait 2,000 enfants à l’hospice quand le
tour était établi, et où, actuellement qu’il est supprimé, il s’en trouve à
peine 300. Les tours sont dangereux ; ils sont une espèce de provocation à l’immoralité.
C’est dans des cas très rares qu’il faut avoir recours à ces établissements,
car il est extrêmement facile d’en abuser.
On vous a dit
que la suppression des tours pourrait occasionner des infanticides ; je crois
que cette crainte n’est pas fondée.
Quand une mère
abandonne son enfant, elle ne l’expose pas elle-même ; elle le fait toujours
exposer par un tiers ; eh bien, ce tiers n’ira pas donner la mort à l’enfant ;
et s’il n’y a pas de tours, l’enfants se trouvera déposé à la porte d’un
hôpital ou d’un autre établissement public, où les infanticides ne seront pas
plus à craindre qu’aujourd’hui. Dans les villes où il y a des tours, il y a
encore des infanticides, rares à la vérité ; le crime d’infanticide a donc une
autre cause que celle qu’on lui assigne. Le législateur, au reste, ne doit pas
s’occuper de la question des tours, et nous ferons bien de retrancher toute
disposition sur les tours dans la loi que nous discutons. Nous devons laisser
aux communes le soin d’examiner si ces établissements leur sont utiles ou non.
Ce sont des établissements d’intérêts communal ; or, aux termes de l’article 31
de la constitution, tout ce qui est d’intérêt purement communal doit être réglé
par les conseils communaux.
Je crois, au
surplus, que l’établissement des tours n’est pas dans nos mœurs ; les tours
nous viennent du régime français. La preuve qu’ils ne sont pas dans nos mœurs,
c’est qu’en général dans
Messieurs, il y
a beaucoup à dire sur l’éducation que reçoivent les enfants trouvés ; je pense
que l’éducation qu’on leur a donnée jusqu’ici est très vicieuse. Les
statistiques nous en fournissent la preuve. Nous avons la douleur de voir que
parmi les individus du royaume condamnés à des peines correctionnelles ou
criminelles, il y en a un très grand nombre qui ont été élevés dans les
hospices d’enfants trouvés. Ce seul fait suffira pour nous faire apprécier
l’éducation que reçoivent ces enfants, presque tous remis à des mercenaires qui
n’ont en vue que la rétribution et nullement le bien-être des malheureux qu’on
leur confie. Les enfants manquent souvent du nécessaire ; il en est même qui
périssent faute de soins. Ou les fait ainsi mourir
d’une mort lente ; de sorte que si c’est par philanthropie qu’on a établi des
tours, on peut dire aujourd’hui que, pour des raisons d’humanité, il y a lieu
de les supprimer.
On a cité Namur
comme un modèle pour l’éducation des enfants trouvés ; dans cette cité ces
enfants sont confiés aux soins des sœurs et des frères de la charité ; je pense
en effet qu’on ne peut mettre les enfants en meilleures mains.
Au total, je
pense que le système le plus sage et le plus juste est celui de déclarer que
les communes sont obligées à supporter les frais d’entretien des enfants
trouvés, et de déclarer en même temps que les provinces sont tenues de leur
fournir des subsides.
Quant à la proportion dans laquelle les provinces doivent concourir au
paiement de la dépense, elle doit être laissée à la décision du gouvernement :
ce point dépend d’une foule de circonstances qu’il est impossible à la chambre
de suivre et d’examiner. Il paraît, d’après ce qu’a dit un de nos honorables
collègues que la ville de Namur serait dans une position toute particulière ;
le gouvernement peut y avoir égard ; mais nous ne pouvons faire une loi pour
une ville seule : nous devons voter des principes fixes ; et s’il est notoire,
comme à Namur, que la plupart des enfants sont envoyés de l’étranger, l’Etat
doit venir au secours de la commune ; la province ne peut être victime de sa
position géographique.
Je terminerai là
mes observations générales. Je présenterai un amendement dans la discussion des
articles.
M.
de Robaulx. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Il y a dans
l’assemblée un commissaire du Roi ; cependant, nous n’avons pas eu connaissance
qu’un arrêté l’ait chargé de défendre le projet de loi en discussion. Je
désirerais que MM. les ministres ou M. le commissaire du Roi voulussent bien
s’expliquer à cet égard.
M.
le président. - Il y a un arrêté qui nomme M. Soudan commissaire du Roi
pour toute la session ; il est déposé au greffe.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande qu’il soit donné lecture de l’arrêté royal
qui nomme M. Soudan commissaire du Roi pour défendre pendant toute la session
les chapitres du budget et les projets de loi relatif aux prisons et aux
établissements de bienfaisance.
M.
le président donne lecture de cet arrêté en date du 21 décembre
dernier.
M.
de Robaulx. - Je n’ai pas l’intention d’insister ; je ferai seulement
observer qu’il serait plus régulier, qu’au lieu de nommer un commissaire du Roi
pour toute la session, on ne nommât par arrêté spécial, pour la défense de
chaque projet de loi que MM. les ministres. S’ils veulent s’adjoindre quelqu’un
pour la défense d’un projet de loi, un arrêté spécial est nécessaire.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Puisque l’honorable M. de Robaulx n’insiste pas, je
n’entrerai pas dans l’examen du fond de la question ; je ferai remarquer
seulement qu’il y a un précédent. Un arrêté semblable a été pris l’année
dernière et c’est en vertu de cet arrêté que M. Soudan a pris part à la
discussion du projet de loi relatif aux dépôts de mendicité sans que cela ait
rencontré aucune opposition ; j’ai cru voir là l’assentiment de la chambre. Au
reste, si la chambre insistait, je n’ai, je le déclare, aucun motif pour
désirer ne pas me conformer à sa décision.
M.
Seron. – Messieurs, les graves erreurs dans lesquelles est souvent
tombé M. Charles Dupin, et le dégoût qu’inspirent aujourd’hui ses calculs
regardés naguère comme articles de foi, font voir l’incertitude de la science
statistique et la nécessité de se tenir en garde contre les faits qu’elle
prétend avoir recueillis et les conséquences qu’elle en tire. Il n’est donc pas
inutile d’examiner les observations que M. Henri de Brouckere a cru devoir vous
soumettre au sujet du projet de loi actuellement en discussion.
Suivant lui, les
hospices de Paris, ville dont la population est à peine de 800,000 habitants,
ont reçu, de 1819 à 1823, 25,277 enfants trouvés ; et, dans la même période, on
en a exposé seulement 151 à Londres, où l’on compte 1,250,000
habitants. J’ignore où l’honorable député a puisé ces détails, et la confiance
qu’ils méritent. Mais la différence énorme par lui signalée est dans l’ordre
des choses possible et ne doit pas nous surprendre. Effectivement, en
Angleterre les « épouseurs » ne manquent jamais. Si une fille
enceinte déclare, à tort ou à raison, qu’elle l’est par votre fait, vous êtes
forcé, même par la prison, d’en faire votre femme, à moins de prouver (chose
fort difficile) qu’elle a aussi cohabité avec d’autres. Voilà ce que savent, je
ne dis pas ceux qui ont beaucoup voyagé, mais ceux qui ont un peu lu. Avec de
pareilles coutumes il doit nécessairement y avoir chez nos voisins d’outre-mer
un très petit nombre d’enfants trouvés. Malheureusement cette législation
admirable du peuple le plus moral, le plus religieux de la terre, comme
l’appelle la romantique Mme de Staël, n’existe plus en Belgique ni en France
depuis bien des années, et il ne serait guère possible de l’y remettre
aujourd’hui en vigueur, comme le désirent les partisans des institutions du bon
vieux temps.
Quant aux
enfants appartenant à des familles indigentes, ils sont en Angleterre nourris
sur la taxe des pauvres ; et dès lors, leurs parents ne se trouvent jamais dans
la nécessité de les abandonner.
Jusqu’ici les
comparaisons de l’honorable M. de Brouckere ne prouvent donc rien. Je poursuis
:
Il prétend que
le nombre des enfants trouvés et abandonnés est diminué considérablement dans
Un point
incontestable, c’est que partout où il existe, où il a existé des tours, les
enfants trouvés sont plus nombreux que
là où il n’en existe pas, là où il n’en a jamais existé ; témoin la province de
Namur comparée à la province de Liége infiniment plus populeuse ; la province
de Namur, dis-je, où en 1832 on compte 653 enfants trouvés, tandis que celle de
Liége n’en a que 41 ; témoin la province du Hainaut et celle du Brabant (ayant
chacun deux tours) comparées aux provinces qui n’on ont qu’un seul ou qui n’en
ont pas du tout. La raison en est simple : les enfants trouvés des provinces
manquant de tours sont transportés dans les provinces où des tours sont
établis. L’humanité et la raison voudraient qu’il y en eût dans toutes les
parties du royaume en proportion de la population et de l’étendue de chaque
province.
Mais s’il est
vrai, comme on l’a prétendu que les hospices en général ont, à partir de 1822
ou 1823, reçu et entretenu moins d’enfants trouvés, s’ensuivra-t-il que le
nombre en est diminué dans le royaume pris en masse ? Non sans doute car la
législation néerlandaise n’a ni changé ni amélioré nos mœurs. Il s’ensuivra
seulement que les enfants trouvés sont plus nombreux qu’autrefois dans les
communes manquant d’hospices sans que les contribuables en soient moins tenus
de pourvoir aux frais de leur nourriture et de leur entretien. Croyez-moi,
messieurs, ce n’est pas en laissant ces frais à la charge des communes, en
supprimant les tours et même en faisant de vos bourgmestres des espèces
d’inquisiteurs des mœurs, que vous empêcherez les conjonctions illicites, ni
que vous diminuerez le nombre des bâtards ; il faut un autre remède au mal, il
faut favoriser le mariage, et le moyen c’est de procurer aux malheureux des
moyens d’existence, c’est d’instruire le peuple afin de lui faire haïr
l’oisiveté et le rendre plus économe, plus sobre, plus raisonnable, en un mot
plus moral. Et quand je dis le peuple, messieurs, je parle de toutes les
classes de la société, même de celle qui se croit capable de faire la leçon aux
autres, bien qu’elle ait grand besoin de réformer ses propres idées ; car en
vérité, le régime pénitentiaire auquel, dans l’intérêt de notre salut, elle
entend nous soumettre tout en le répudiant pour elle-même, ce régime loin de
corriger les vices ne peut que dégrader l’homme et multiplier les hypocrites.
Au surplus, dans tout ce qu’on a dit en faveur du projet ministériel, je
n’ai trouvé aucun argument solide contre l’opinion par moi émise ici il y a
quatre jours. Il reste donc constant pour moi, que les enfants trouvés et
abandonnés appartiennent à la nation entière, et que les frais de leur nourriture
et à leur entretien sont une véritable charge publique, dont chaque
contribuable doit supporter une partie proportionnelle à ses forces. Ces
principes, tirés de la nature des choses, ont été consacrés par l’assemblée
constituante ; ils valent bien sans doute ceux de Bonaparte, ceux du
gouvernement néerlandais et ceux du ministère actuel, qu’on nous oppose.
J’espère donc que vous sanctionnerez le travail de votre section centrale, en y
faisant entrer mon amendement. Par-là vous augmenterez, à la vérité, le chiffre
du budget de l’Etat, mais vous n’augmenterez pas la masse des contributions. En
effet, que la dépense dont il s’agit figure au budget de la justice, ou qu’elle
soit portée au budget des communes et des provinces, elle reste la même, et
c’est toujours le peuple qui paie. Seulement dans le dernier cas elle est
inégalement et injustement repartie, elle grève démesurément certains
contribuables, et pourquoi ? Parce que le hasard les a placés dans une commune
ou dans une province où les enfants trouvés et les enfants abandonnés sont
nombreux. Est-ce une raison d’empirer leur condition pour favoriser d’autres
contribuables dont la position est toute différente ?
(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1834)
M. Dumortier.
- Messieurs, j’ai peu d’observations à vous présenter sur la question qui nous
est soumise. Ce qu’a dit mon honorable collègue M. de Brouckere me paraît être
resté sans réplique : je pense comme lui qu’il est indispensable de remédier au
fléau qui menace de nous envahir. Je me bornerai à vous soumettre quelques
réflexions sur l’état financier de la question.
Un honorable
député s’est fort apitoyé sur le sort des enfants trouvés : à l’en croire, si
l’Etat ne se chargeait pas de leur entretien, ces pauvres petits malheureux
mourraient de faim et de misère. Messieurs, s’il en était ainsi, nous serions
tous d’accord pour accueillir la proposition de la section centrale, car
l’humanité nous en ferait un devoir ; mais il est pas ainsi : nous sommes tous
d’accord sur la nécessité de pourvoir à l’entretien des enfants trouvés ; c’est
déplacer la question que la porter sur ce terrain. Toute la question est de
savoir à la charge de qui doit être cette dépense ; quant à moi, je pense
qu’elle ne doit pas être à la charge de l’Etat. Peu importe pour les enfants
trouvés que la dépense soit aux frais de l’Etat, des provinces ou des communes.
C’est donc uniquement une question de budget, une question d’ordre financier du
budget ; c’est sous ce rapport que je me permettrai quelques réflexions. Nous
sommes précisément occupés de régler définitivement les besoins financiers de
l’Etat.
Sous Guillaume,
on observait régulièrement l’ordre établi dans l’imputation des dépenses
d’entretien des enfants trouvés ; elles étaient exclusivement à la charge de
l’Etat. Depuis la révolution, cette régularité n’existe plus : nous nous
occupons, dans la loi provinciale et communale, d’y porter remède, et de régler
la part que chacun doit supporter dans les dépenses publiques. J’aurai
l’honneur de rappeler à ce sujet à la chambre des faits qui lui sont connus,
mais qu’il est essentiel qu’elle ne perde pas de vue.
Sous le
gouvernement précédent, on enleva aux provinces, en violation du pacte fondamental,
le produit des barrières de 2ème classe : mais ce n’était pas assez, on les
força en même temps de pourvoir aux dépenses d’entretien des routes de 2ème
classe : c’est-à-dire que le gouvernement priva les provinces d’un revenu qui
leur appartenait, et mit à leur charge la dépense relative à ce revenu même
qu’il leur enlevait.
Après la
révolution, on reconnût l’injustice de cette mesure. Le premier soin du congrès
fut de dégrever les provinces de la charge injuste qui leur avait été imposée.
A la vérité, elle leur fut de nouveau rendue quelque temps après ; mais, en
même temps, on leur restitua le revenu des barrières de 2ème classe ; à coup
sûr, alors c’était une véritable dette pour les provinces de pourvoir à
l’entretien des routes.
Un grand nombre
de dépenses, depuis la révolution, ont cessé ainsi d’être à la charge des
communes pour être portées au budget de l’Etat : il en est ainsi pour les
traverses des villes et des communes que l’on avait mises sous Guillaume à la
charge des villes et des communes. Cet usage avait donné lieu à des plaintes
fondées de la part des communes ; car une partie, et une partie considérable de
ces dépenses, devait être supportée par l’Etat, comme elle l’a été depuis la
révolution. Je pourrais citer 20 exemples de dépenses qui regardaient les
provinces et les communes et qui aujourd’hui sont portées au budget. Il résulte
de là que les provinces et les communes n’ont jamais eu leurs finances dans un
état plus favorable, et que l’Etat n’a jamais été dans un état plus défavorable
sous le rapport financier.
Il importe
maintenant qu’on s’occupe d’apporter de la régularité dans les dépenses de la
province et de la commune, de déterminer nettement les dépenses qui sont à la
charge de l’une et de l’autre. C’est ce que la section centrale a eu en vue en
proposant dans la loi provinciale l’article dont l’honorable M. de Brouckere
vous a donné lecture dans une précédente séance. Si vous n’admettez pas le
système résultant de cet article, si vous laissez à la charge de l’Etat des dépenses
qui concernent les provinces, et alors que vous avez rendu à ces provinces les
revenus qui leur appartenaient, il en résultera dans le budget des provinces un
excédant de recette qui se trouvera sans destination.
Ainsi, pour les
dépenses des enfants trouvés et notamment pour le Hainaut, j’en appelle aux
souvenirs de mes honorables collègues qui ont fait partie avec moi de la
députation des états de cette province, des centimes additionnels ont été votés
pour y subvenir. Si vous mettez cette dépense aux frais de l’Etat,
enlèverez-vous, par hasard, à la province les fonds provenant des centimes
additionnels votés avec cette destination spéciale ?
J’entends un
honorable membre qui dit oui ; pour moi, je pense que la chambre n’agira pas
ainsi, et qu’elle ferait une faute si elle retirait les centimes additionnels
votés par une province pour concourir aux dépenses générales de l’entretien des
enfants trouvés du royaume, en ce sens que ce serait faire contribuer quelques
provinces aux dépenses de l’entretien des enfants trouvés des autres provinces.
Ainsi la province du Luxembourg, qui n’a que 10 enfants trouvés, contribuerait
aux dépenses des provinces du Hainaut, de Namur et du Brabant, qui en ont
beaucoup. La province de
Messieurs,
lorsque vous décidez quelles dépenses seront à la charge de l’Etat, de la
province, de la commune, vous ne mettez point exclusivement à la charge de la
province et de la commune des dépenses provinciales et communales. Mais vous considérez
s’il n’y aurait pas plus de justice et surtout plus d’économie à mettre telle
ou telle dépense à la charge de la province plutôt qu’à celle de l’Etat.
Les dépenses
réparties sur tout le territoire sont supportées avec plus d’économie par les
provinces que par l’Etat ; c’est une question d’argent. C’est un devoir pour
nous de la décider de la manière la plus avantageuse pour le pays ; et nous ne
transigerons pas avec notre devoir.
Il faut
d’ailleurs considérer que ce n’est grever les provinces que de leur donner une
charge que les provinces et les communes ont supportée sans réclamation sous le
précédent gouvernement. Une seule province, celle de Namur, a réclamé ; elle a
prétendu qu’elle était plus sage que toute
Je ne parlerai
pas de la question de moralité ; mon honorable collègue M. de Brouckere a cité,
à cet égard, des faits tellement forts, qu’il ne me paraît possible d’y
répondre quoi que ce soit. Au reste, s’il est une chose que nous devions
désirer, c’est de voir un jour ou l’autre supprimer les tours. Je partage sur
ce point l’opinion de mon honorable collègue M. de Brouckere : il a prouvé que
partout où les tours avaient été supprimés, le nombre des infanticides, loin
d’avoir augmenté, avait été en diminuant. C’était cependant le grand argument
qu’on l’avait fait valoir en faveur des tours. Si on supprime les tours,
disait-on, le nombre des infanticides augmentera. Mais dès lors qu’il est
constant que les infanticides ont diminué après que les tours ont été
supprimés, il n’y a plus de motif pour en désirer le maintien.
Vous n’ignorez
pas, messieurs, quel est dans un pays voisin le résultat de ce système de
tours. A Paris on en est venu avec ce beau système à ce point que sur 3
personnes il y a un et demi de bâtards (on
rit) ou bien à peu près. Il me sera
facile de vous l’établir : il y a annuellement à Paris 28,000 naissances, terme
moyen. Sur ces naissances il y en a 12,000 d’enfants bâtards. Ainsi quand vous
rencontrez 5 Parisiens il est probable qu’il y en a parmi eux 2 qui sont
bâtards (hilarité). Voilà à quoi mène
ce système de perversité, ce système déplorable, qui détruit tout ordre public,
crée une population sans famille ; et qu’aucun lien ne rattache à quoi que ce
soit, une population privée du bienfait de l’éducation privée, et par suite
capable de se porter aux derniers excès.
Lorsque je
compare les désordres continuels qui affligent la capitale de France et l’ordre
parfait qui règne constamment à Londres, je ne suis pas éloigné de penser que
cela tient au nombre considérable d’enfants trouvés qu’il y a dans la première
de ces deux villes et à ce qu’il n’y en a pas dans la seconde. Ce nombre
considérable d’enfants trouvés est propre en effet à bouleverser l’Etat, à
faire des émeutes, mais à rien de plus.
L’Etat ne gagne
rien à ce que tant d’individus ne soient rattachés par aucun lien à la société.
C’est un mal qu’un sage législateur doit empêcher de se propager, soit qu’il
considère la question de moralité, la question de finances ou la question
d’Etat.
Un peuple sans
moralité est capable de tous les crimes, de tous les excès ; et lorsque la
moralité n’est pas dans le cœur de l’homme, les lois sont impuissantes pour la
lui suggérer. Or, le germe le plus réel de la moralité est dans l’éducation
privée, dans les liens et les affections de famille, nous devons donc
restreindre le plus possible le nombre des gens sans famille. Nous devons
empêcher la propagation de cette plaie, de cette gangrène. Que l’enfant reste
donc dans la commune qui deviendra pour lui une nouvelle famille, qu’il soit
placé dans un établissement de charité où il se trouvera quelque homme de bien
qui lui inspirera des principes de morale. Si au contraire on crée l’Etat le
grand-père de tous les enfants trouvés (on
rit), comme dans une précédente séance un honorable membre en exprimait le
désir, il en résultera que la nation trouvera peut-être dans les enfants trouvés
des soldats enrégimentés qui marcheront au son du tambour ou du fifre ; mais
assurément ce ne seront point des citoyens imbus d’idées de moralité et
respectant les droits de tous. Ce ne sera sans doute qu’une population de
vagabonds.
Pour les enfants
abandonnés, ils doivent être à la charge des villes auxquelles ils
appartiennent et des bureaux de bienfaisance. Nous devons aussi nous occuper
des orphelins, mais leur sort est fixé ; car s’il n’y a pas toujours eu
d’enfants trouvés, parce qu’il n’y a pas toujours eu des tours, cette
institution philanthropique qui pousse à l’abandon des enfants, il y a toujours
eu de ces petits malheureux qui ont perdu de bonne heure leur père et mère ; et
de tous les temps la charité publique qui ne s’est jamais démentie a pourvu à
leur sort par des dotations spéciales instituées pour eux dans les hospices. Si
les ressources de l’hospice ne sont pas suffisantes, c’est à la commune à y
pourvoir.
Je crois en avoir dit assez, et qu’il est suffisamment établi
que les dépenses d’entretien des enfants trouvés doivent être pour le principal
à la charge des provinces, et, le cas échéant, à la charge des communes ; que
les dépenses des enfants abandonnés doivent être à la charge des villes et des
bureaux de bienfaisance ; et enfin, que les dépenses des orphelins sont
exclusivement à la charge des hospices, sauf à eux à demander des subsides aux
communes s’il y a lieu.
Il me suffit que
le système présenté par le ministre se rattache plus à ces principes que celui
de la section centrale, pour que je lui donne la préférence.
M.
de Brouckere. - Je crois qu’il est temps de clore la discussion
générale pour aborder la discussion des articles. Si nous continuons des
discussions de principes, comme nous avons fait déjà dans deux séances, nous y
emploierons encore plusieurs séances sans parvenir à nous mettre d’accord ; il
vaudrait mieux passer aux articles ; le vote de la chambre déciderait. Je crois
que c’est d’autant plus nécessaire que la chambre a fixé à demain l’ouverture
de la discussion sur le projet de route en fer. Si donc nous ne discutons pas
les articles aujourd’hui, le vote de la loi sera remis indéfiniment, ce qui ne
peut entrer dans l’intention d’aucun de nous.
D’après cela, je
me résous à ne pas répondre aux attaques dont j’ai été l’objet, quoique ce ne
me fût pas difficile. Je dirai seulement que mes honorables adversaires ne sont
pas d’accord : les uns disent que mes calculs sont inexacts, sont exagérés ;
les autres, qu’ils ne signifient rien et ne sont pas concluants. Quant à moi,
je tiens mes calculs pour exacts et concluants. Je n’ajouterai qu’un mot, si la
chambre veut bien m’accorder une minute d’attention.
Vous vous
rappelez, messieurs, que dans la séance de vendredi j’ai fait voir que les
dépenses d’entretien des enfants trouvés avaient toujours diminué depuis 1822
dans toutes les provinces, sauf dans celle du Hainaut. J’ai ajouté que je ne
connaissais pas le motif de cette exception. Un de mes honorables adversaires a
dit qu’il ne concevait pas pourquoi il n’en serait pas dans les autres
provinces comme dans celle du Hainaut. Je vais, messieurs, vous expliquer le
motif de cette exception : vous y trouverez un nouvel argument à l’appui de
l’opinion que j’ai développée.
Savez-vous
pourquoi le nombre des enfants trouvés n’a pas diminué dans la province du
Hainaut ? parce que dans cette province la dépense de
leur entretien a été à la charge de la province. Voilà, messieurs, le mot de l’énigme
; et assurément c’est bien en faveur de la doctrine qui consisterait à mettre
cette dépense à la charge de la commune.
Dans la province
de Namur, ville qui a trouvé dans l’assemblée beaucoup d’avocats très
éloquents, mais qui ont montré plus de talent que de logique ; à Namur, dis-je,
sur une somme de 105,157 fr. que coûte l’entretien des enfants trouvés, 86,157
fr. sont payés par la commune et 19,000 fr. par la province ; de manière qu’à
Namur les enfants trouvés sont presque exclusivement à la charge de la commune.
Dans la province
du Brabant, sur une somme de 197,550 fr. la ville paie 147,050 francs et la
province 50,500 fr. ici encore, c’est la commune qui supporte presque toute la
dépense.
Dans la province
du Hainaut, au contraire, la somme de 172,792 fr. que coûte l’entretien des
enfants trouvés est ainsi répartie : la commune ne paie que la modique somme de
25,072 fr. et la province paie 147,720 fr. Voilà pourquoi le nombre des enfants
trouvés a été en croissant dans le Hainaut, au lieu de diminuer comme dans les
autres provinces.
Un honorable député a parlé de Mayence ; il a dit quelle avait été, dans
cette ville, l’influence de la suppression de l’établissement des enfants
trouvés et des tours ; je vais donner les chiffres exacts, et vous verrez si
ces détails ne signifient rien, comme l’a soutenu un honorable préopinant.
Mayence n’avait
pas d’établissement pour les enfants trouvés ; de 1799 à 1811 on n’exposa dans
cette ville que 58 enfants. Napoléon ordonna qu’un hospice et un tour pour les
enfants trouvés fussent établis dans cette ville, comme il faisait partout,
parce qu’il trouvait là un moyen de recruter des soldats pour son armée. Cet
établissement et ce tour furent ouvert le 7 novembre 1811, et il subsista
jusqu’en 1815. Pendant 3 ans et 4 mois, 516 enfants furent exposés. Au mois de
mars 1815, l’établissement et le tour furent supprimés. Eh bien ! depuis cette époque, c’est-à-dire depuis 9 ans, il n’y a eu
que 5 enfants trouvés.
M.
Seron. - Je demande la parole pour un fait personnel. L’honorable
préopinant a dit que je n’avais cité qu’une seule province où la population des
enfants trouvés n’avait pas diminué. J’en ai cité deux, celle du Hainaut et celle
du Brabant.
J’ajouterai que
je crois que M. de Brouckere ne m’a pas compris et que ses observations ne
détruisent aucun de mes arguments.
M.
de Brouckere. - Je n’ai pas dit que l’honorable M. Seron avait avancé
qu’il n’y avait que dans le Hainaut que le nombre des enfants trouvés avait été
en augmentant. C’est moi qui ai avancé cela, et je le soutiens encore. J’ai
pour preuve le tableau que le ministre nous a fait distribuer : à moins que ce
tableau ne soit inexact, ce que je dis est incontestable. Quant au Brabant, le
nombre des enfants trouvés a diminué de 18 ?
M.
Seron. - Que c’est que c’est que cela ?
M.
de Brouckere. - Cela prouve au moins qu’il y a plutôt diminution
qu’augmentation.
M.
le président. - La parole est à M.
Quirini.
Un grand nombre de membres. - la clôture ! la clôture !
M.
Brabant. - Je demande la parole contre la clôture. Messieurs, dans bien
des cas, on a prolongé des discussions moins importantes que celle qui nous
occupe beaucoup au-delà du temps que nous avons consacré à l’examen de la loi
sur les enfants trouvés. Cette loi présente une double question : je ne dirai
rien à cet égard, mais on a parlé de chiffres ; M. de Brouckere a présenté des
calculs qu’il a garantis en s’appuyant du tableau produit par le ministre, et
je puis prouver, documents administratifs en main, que ce tableau est
complètement faux. Deux mots suffiront pour établir ce que j’avance.
M.
de Brouckere. - Je n’ai rien garanti, j’ai fait des calculs d’après les
données du ministre.
M.
Brabant. - Je garantis que les documents statistiques fournis par le
ministre sont inexacts ; je demande que la discussion soit continuée, afin
qu’on puisse les rectifier.
- La chambre,
consultée, ne ferme pas la discussion.
M.
Quirini, rapporteur. - Messieurs, dans la séance de jeudi dernier, j’ai
commencé par dire que le système présenté par le gouvernement pour subvenir à
l’entretien des enfants trouvés n’avait réuni aucun suffrage. En parlant ainsi,
j’ai fait allusion à ce qui s’est passé dans la section centrale. Ce qui s’est
passé dans la séance d’aujourd’hui prouve que je n’ai rien dit qui ne soit
exact. Sur les six membres qui ont pris part aux travaux de la section
centrale, cinq ont déjà été entendus dans cette enceinte. Je demande si le
système du gouvernement, celui qui tend à faire de l’entretien des enfants
trouvés une dette exclusive de la province, a obtenu un seul suffrage, s’il a
été appuyé par un seul de ces membres. Le dernier orateur entendu a déclaré
qu’il préférait le système du gouvernement ; mais il a fini par dire qu’il
voulait aussi faire contribuer l’Etat. L’honorable M. de Brouckere a dit aussi
que s’il devait opter entre le système du gouvernement et celui de la section
centrale, il donnerait la préférence à celui du gouvernement ; mais sa
conclusion n’a pas été en faveur du projet ministériel.
Messieurs, si le
travail de la section centrale n’avait pas été l’objet d’autres objections que
celles développées par le ministre de la justice, je pense que je pourrais me
dispenser de prendre la parole et renvoyer aux discours prononcés par les honorable
MM. Seron et Verdussen.
Dans la séance
de vendredi denier, un honorable orateur a combattu le système de la section
centrale par des arguments que je ne puis admettre. Cet honorable membre a été
beaucoup plus loin que le ministre. Il a prétendu mettre l’entretien des
enfants trouvés et abandonnés à la charge des communes seulement. Quels son les
motifs qu’il allègue ? je commencerai par dire que si
un pareil système pouvait être adopté par la chambre, le but que se proposait
le gouvernement en présentant son projet, de soulager les communes, de les
dégrever d’une dette qui les accable, non seulement ne serait pas atteint, mais
qu’il en résulterait pour les communes une charge plus accablante encore que
celle contre laquelle elles n’ont cessé de protester à aucune époque. Sous
aucune législation les communes n’ont supporté la charge de l’entretien des
enfants trouvés.
Posons de
nouveau la question. L’enfant trouvé, dont le domicile est inconnu,
appartient-il à la commune dans laquelle il a été délaissé ? Non ; la
présomption contraire doit plutôt être admise, tout porte à croire que cet
enfant appartient à une autre commune. Appartient-il à la province ? ici la présomption est plus forte. L’honorable M. Fallon a
pensé qu’on pourrait résoudre la question affirmativement, mais il a prouvé
qu’il était impossible d’adopter ce système sans s’exposer encore à commettre
des injustices à l’égard de certaines provinces. Quelle est donc la raison de
M. de Brouckere, pour convertir cette dépense en dette communale exclusivement
? Il s’est d’abord attaché à des considérations morales, il a soutenu qu’en
diminuant le nombre des hospices et des tours, on parviendrait à diminuer le
nombre des expositions. C’est là une présomption, une probabilité peut-être,
mais qui n’est appuyée sur rien.
Voici cependant
comment il a cherché à prouvé cette assertion.
D’abord il a
examiné le tableau communiqué par le gouvernement dans une des dernières
séances. Examinant d’après ce tableau une période de dix années, il a tiré
cette conséquence qu’à dater de 1822 l’entretien des enfants trouvés a été mis
à la charge des communes et que leur nombre a diminué.
L’honorable M.
Brabant vous a fait observer à l’instant que les tableaux sur lesquels M. de
Brouckere a appuyé ses raisonnements sont inexacts. On n’a donc pu rien en
inférer de solide. Je partage l’opinion de M. Brabant, et peu de mots suffiront
pour mettre le gouvernement en contradiction non seulement avec l’état réel des
choses, mais avec lui-même.
Le tableau
produit par le gouvernement renseigne le nombre des enfants trouvés ou
abandonnés de 1823 à 1832 inclusivement.
Il est bon
d’observer que le projet ministériel était déjà accompagné d’un tableau. J’ai
comparé les deux documents, et j’y ai trouvé des différences notables. Pour ce
qui concerne la province d’Anvers, le tableau primitif porte le nombre des
enfants trouvés ou abandonnés en 1832 à 1,452, tandis que dans le second
tableau, ce nombre est porté à 1,652. Différence entre les deux tableaux, 200.
Pour la province
du Brabant pendant la même année, le nombre des enfants trouvés ou abandonnés
est porté dans le premier tableau à 2,530, tandis que dans le nouveau tableau
ce nombre n’est que de 2,300. Différence en moins, 230.
Dans la province
de Liége, l’ancien tableau porte la population des enfants trouvés à 194,
tandis que dans les tableaux présentés récemment la population n’est que de
197.
Dans la province
du Hainaut l’ancien tableau présente le chiffre 2,203 ; le nouveau tableau
donne le chiffre 2,080.
Dans
Dans
Dans la province
de Namur, le chiffre de l’ancien tableau est 662 et celui du nouveau tableau
est 864 ; mais dans cette province aucun des chiffres présentés n’est en
rapport avec celui que le gouverneur de la province a fait connaître.
Messieurs, je
n’ai fait cette comparaison que pour m’assurer si réellement je pouvais prendre
pour point de départ les tableaux présentés par le ministre ; je pense que la
conclusion est frappante.
Une seconde
observation que j’ai à faire, c’est que les deux tableaux ne se bornent pas à
renseigner le nombre des enfants trouvés, mais qu’ils portent encore sur les
enfants abandonnés et sur les orphelins. Est-ce le nombre des enfants
abandonnés qui a dominé, ou bien est-ce celui des orphelins ou des enfants
trouvés ? il m’est impossible de répondre à cette
question.
Une troisième
observation à faire, c’est qu’il n’est pas exact de dire que les communes aient
été intéressées à diminuer la dépense des enfants trouvés, à partir de l’année
1822 seulement ; avant cette époque, elles supportaient la plus grande partie
de cette charge ; ainsi, avant 1822, la dépense des enfants trouvés présentait
un arriéré effrayant.
Les nourriciers
n’étaient pas payés ; avant 1822, les communes étaient très intéressées à
diminuer la dépense résultant de l’abandon des enfants. Il est très singulier
que, lorsqu’il s’agit d’un projet de loi qui présente des questions aussi
difficiles, et pour la solution desquelles des renseignements statistiques
eussent été d’une grande importante, le gouvernement n’ait pas présenté, en
même temps que le projet de loi, une statistique des enfants trouvés pendant
plusieurs années.
L’entretien des
enfants trouvés a passé successivement de l’Etat à la province, de la province
à la commune ; pourquoi le ministre n’a-t-il pas présenté le tableau des
enfants trouvés à partir de l’an V, de l’an VII, de l’an VIII ? alors nous aurions pu comparer les systèmes.
Je suis forcé de
dire ici que je ne puis tirer la moindre conclusion de tous les calculs
présentés par le gouvernement.
Il n’est pas
exact non plus de dire que le nombre des enfants trouvés a toujours diminué
dans toutes les provinces. Dans le Hainaut la population y a sensiblement
augmenté, et si le nombre a subi quelques diminutions dans la province du
Brabant, à partir de l’année 1822 jusqu’à 1826, il est à remarquer que depuis
lors il a sensiblement augmenté.
M. de Brouckere,
à l’appui de son système, a fait remarquer que pour la ville de Maestricht les
enfants trouvés ont diminué depuis la suppression du tour ; qu’il en est de
même pour toutes les villes où l’établissement d’un tour attirait des enfants
de l’étranger, et que ces tours, tant qu’ils ont subsisté, ont augmenté
considérablement la population des enfants trouvés.
Si le tour ou
l’hospice de Maestricht ont reçu moins d’enfants, c’est que probablement ils
ont été transportés dans d’autres villes.
L’honorable M.
de Brouckere a comparé ce qui se passe en Angleterre, en France et dans les
Etats-Unis d’Amérique, avec ce qui arrive en Belgique. J’avoue que j’aime
beaucoup ces rapprochements, mais les conclusions qu’on en a tirées ne sont pas
toujours exactes ni rationnelles.
Pour vérifier
jusqu’à quel point ces comparaisons peuvent être exactes, il faudrait d’abord
se rendre compte des constitutions de ces divers pays, car elles doivent être
en rapport avec les mœurs, les habitudes, le degré de civilisation qu’elles ont
atteint, leurs ressources et leurs besoins.
Je conçois
parfaitement que dans un Etat où on exposerait rarement des enfants, où les
mères auraient l’habitude de les élever et de les conserver, où les mœurs auraient
conservé toute leur pureté, il puisse être dangereux d’établir des tours ou des
hospices dans un pays où toutes les classes de la société seraient adonnées au
travail, où le luxe n’aurait pas exercé ses ravages, où chacun trouverait dans
les produits de son travail, et au moyen d’une sage prévoyance, des ressources
suffisantes pour subsister sans le secours des autres ou de la générosité. Ce
serait un législateur bien imprévoyant celui qui songerait à créer des hôpitaux
là où il n’en serait pas besoin. Il ferait germer l’idée qu’il est des moyens
de vivre sans travailler, et bientôt on verrait des individus s’abandonner à
l’oisiveté. Pour moi, j’ai toujours approuvé la prudence de ce législateur qui
n’avait pas voulu prononcer des peines contre un crime contre lequel on n’avait
pas encore eu à sévir, dans la crainte qu’il ne fît naître l’idée de le
commettre ; mais ce n’est pas alors que le mal est au comble, et qu’il se
développe toujours, qu’on évitera le crime en ne le réprimant pas. La même faute
fut commise pour la répression de la mendicité. On a cru qu’en supprimant les
asiles destinés à recevoir les mendiants, en prononçant contre eux les peines
les plus sévères, la mendicité cesserait d’exister. Ils furent supprimés en
effet, et le mal, au lieu de diminuer, prit un développement considérable.
C’est ce qui arriverait aussi, messieurs, si vous vouliez supprimer les tours
et les hospices, avec d’autant plus de raison que vous m’empêcheriez pas la
séduction d’exister toujours. Il faut bien le reconnaître, le mal est dans
l’éducation que ne reçoivent pas les classes pauvres et non dans le maintien
des hospices ; ce n’est point avec quelques articles de loi que vous
parviendrez à ramener les hommes à la vertu, à leur inspirer des principes de
morale et d’honneur, ni à soulager l’extrême misère qui porte certaines mères à
se défaire de leurs enfants. Supprimez les hospices, et non seulement vous
n’aurez porté aucun remède à ce mal qui vous afflige, mais encore le remède que
vous croirez avoir trouvé sera plus dangereux.
On vous a dit,
messieurs, que les infanticides n’étaient pas fréquents en Belgique ; mais il
serait important de vérifier si, au moyen de la fermeture des tours et de la
suppression des hospices, vous ne les rendriez pas plus nombreux.
On vous a parlé
aussi du petit nombre de poursuites dirigées pour crime d’infanticide, mais on
a oublié de vous dire combien d’enfants ont été trouvés morts sans que la
justice ait jamais pu découvrir quels ont été les auteurs de leurs jours ; on a
oublié de vous dire que la femme qui considère l’événement de la maternité
comme une cause de déshonneur se prive ordinairement de tout secours, et que le
plus souvent le crime est environné du plus profond mystère ; on a oublié de
vous dire que l’impossibilité où se trouve la justice d’établir la preuve de ce
crime, fait souvent qu’elle demeure impuissante pour le punir.
Revenant
maintenant au principe de la loi, l’entretien des enfants trouvés ou abandonnés
doit, dit-on, tomber à la charge de la commune ou de la province, et ne peut
tomber en entier à la charge de l’Etat, parce qu’il importe d’intéresser les
autorités locales et provinciales à extirper un mal qui porte la plus forte
atteinte à la morale publique, soit ; mais qu’on nous dise donc par quels
moyens les autorités provinciales ou communales pourront empêcher que les
enfants ne soient abandonnés et diminuer le nombre des expositions.
Pourront-elles, je vous le demande, s’opposer à ce qu’un enfant soit transporté
nuitamment dans un tour, et parviendront-elles à découvrir les auteurs du
délaissement ? Je ne connais, pour mon compte, aucun moyen qui puisse les
amener à cette découverte.
L’honorable M.
Fallon, qui n’a pas entièrement adopté le système de la section centrale, a dit
qu’une dépense qui ne pouvait pas être classée au nombre des dépenses
communales ou provinciales, devait en résultat tomber à la charge de l’Etat ;
or une dépense de cette nature n’est-elle pas réellement une dette de la
généralité, de l’Etat ?
Mais il faudrait
examiner si le nombre des enfants trouvés à diminué depuis que la dépense a
cessé d’être à la charge de l’Etat.
J’ai sous les
yeux un tableau de la ville de Louvain que j’aurais voulu pouvoir comparer avec
d’autres tableaux de même nature, mais il m’a été impossible de m’en procurer
de semblables.
Je vois que
depuis 1806, époque à laquelle la dépense a été mise à la charge de l’Etat, les
enfants trouvés ont suivi une marche progressive jusqu’en 1811, époque à
laquelle leur entretien a été mis à la charge de la commune, et que cette
progression a toujours continué depuis.
Ainsi, en 1806,
Louvain comptait 239 enfants trouvés. En 1807, 258. En 1810, 321. En
1812, 460. En 1817, 403. En 1819, 320. Enfin, en 1832, l’augmentation était encore plus
forte.
Je ne veux tirer de ce tableau aucun argument ; mais j’aurais été bien
aise d’avoir sous les yeux un aperçu général de la population des divers
hospices, à parti de 1800 jusqu’à l’époque actuelle. Cet aperçu aurait pu
faciliter la solution de la question qui nous occupe, et nous éclairer sur les
résultats des divers systèmes d’entretien qui ont été successivement adoptés
pour subvenir à l’entretien des enfants trouvés.
En résumé, comme
les arguments dont on s’est servi n’ont pas détruit les raisonnements de la
section centrale, je crois devoir borner ici la réfutation des systèmes qui ont
été successivement développés devant vous.
M. Soudan de Niederwerth,
commissaire du Roi. - Je prends la parole pour vous déclarer seulement que le
gouvernement vous a donné un résumé fidèle des documents qui lui ont été
transmis par chaque gouverneur de province. Il peut, je le reconnais, exister
une différence entre le tableau qui vous a été présenté en septembre 1833, et
celui d’aujourd’hui ; mais ce dernier est fidèle. Je dois dire cependant que
s’il s’y est glissé une légère erreur, elle n’a pu être rectifiée parce que le
ministère n’a été prévenu que 24 heures d’avance de l’ouverture de la
discussion.
M.
Verdussen. - Messieurs, je viens faite une motion d’ordre. La
discussion générale de la loi qui nous occupe n’est point encore terminée.
Chaque article entraînera certainement aussi une discussion très longue : je
demande donc que la loi sur les enfants trouvés soit ajournée jusqu’après le
vote de la loi sur l’organisation provinciale. Celle-ci est la loi de principe,
celle dont nous nous occupons n’est qu’une loi d’application. Vous faites
absolument l’inverse de ce que vous devriez faire.
M.
de Brouckere. - L’honorable M. Verdussen est tombé, messieurs, dans une
grave erreur, quand il vient vous dire qu’il faut que la loi sur l’organisation
provinciale soit votée avant celle dont nous nous occupons en ce moment.
L’honorable préopinant a sans doute oublié qu’un article de cette dernière
renvoie à la loi sur les enfants trouvés, pour savoir si la dépense tombera à
la charge de la province ou si elle sera supportée par l’Etat. Si, donc, vous
n’achevez pas la loi actuelle, l’article que je cite devient tout à fait
inutile. Il importe, vous le voyez, qu’avant tout vous fixiez le principe. Deux
séances au plus vous suffiront ; autrement si vous ajournez encore votre loi,
il vous faudra recommencer de plus belle la discussion, et si vous vous
arrêtez, vous aurez complètement perdu votre temps.
Certes, je désire autant que qui que ce soit, et je crois l’avoir prouvé,
que la loi du chemin de fer ne soit pas reculée d un seul jour.
Aussi,
proposerai-je, pour pouvoir en finir avec la loi sur les enfants trouvés,
d’ouvrir demain votre séance à 11 heures
; jusqu’à 4 ou 5 heures nous aurons bien le temps de discuter, et si cela ne
suffisait pas encore, nous pourrions tenir une seconde séance le soir ; de la
sorte on pourrait ouvrir après-demain la discussion générale sur la loi
concernant le chemin de fer ; elle ne péricliterait pas pour être reculée d’un
jour.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, c’est la crainte de prolonger la
discussion générale outre-mesure qui m’a décidé à renoncer à la parole. Mes
notes m’eussent conduit à parler probablement pendant une heure ou une heure et
demie. Je ne sais si vous adopterez la motion proposée par l’honorable M.
Verdussen ; mais quant à moi, je déclare que si j’ai sollicité la mise à
l’ordre du jour du projet de loi relatif aux enfants trouvés, c’était dans la
prévision que la discussion de ce projet ne porterait aucune atteinte à la
résolution prise antérieurement par la chambre d’entamer dès mardi la
discussion du projet de loi concernant la route en fer.
Messieurs, quel
que soit le désir que puisse avoir la chambre, désir que je partage, de
terminer demain la discussion de la loi dont nous nous occupons, il ne faut pas
croire que cela soit possible. Tout ce que j’avais à dire dans la discussion
générale, je devrai le dire sur l’article premier. Cet article renferme tout le
système. C’est à l’occasion de cet article que va s’élever la question
principale, à savoir si la dépense de l’entretien des enfants trouvés pèsera
sur l’Etat, sur la province ou sur la commune, ou bien si un système mixte sera
adopté. Je crois que vous aurez aussi une discussion assez longue sur les
articles 7 et 8. D’après ce qu’a dit l’honorable M. Fallon, on peut prévoir que
les questions de principe en matière de législation seront soulevées à
l’occasion de ces articles qu’on prétend vicier la règle de non-rétroactivité.
Je pense qu’on ne prolongera pas ces discussions outre-mesure ; mais il est
impossible qu’elles ne prennent pas trois ou quatre jours. Il y a une grande divergence
d’opinions ; M. Fallon propose un système, M. de Theux en propose un autre, M.
de Brouckere, je crois, un troisième.
M.
de Brouckere. - Je n’en présente pas.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. de Brouckere a proposé de maintenir le système
communal exclusivement.
M.
de Brouckere. - Pas du tout.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. de Theux propose un système communal et
provincial.
M.
de Brouckere. - Et moi aussi !
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. Fallon propose d’établir un fonds commun, ce qui
s’éloigne également de tous les autres systèmes proposés.
Je crois, dis-je, d’après ces divergences, que l’article premier donnera
lieu à une discussion plus ou moins longue. Je ferai toutefois une mention
différente de celle de M. Verdussen et qui tendra à circonscrire le cercle de
nouveaux débats, c’est de déposer sur le bureau tous les amendements et de les
renvoyer à la section centrale, non pas à celle qui est chargée d’examiner la
loi provinciale, mais à la section centrale qui a déjà examiné le projet de loi
actuel. Les auteurs des amendements se réuniraient aux membres de cette
section, laquelle probablement n’a pas abordé cette discussion avec des idées
absolues, et qui a pu modifier son opinion depuis la discussion publique. La
section centrale pourra présenter un système nouveau. Le gouvernement, qui ne
refuse jamais de s’éclairer, examinerait jusqu’à quel point il pourrait se
rattacher au nouveau système que proposerait la section centrale ainsi
modifiée.
C’est là la
motion que je croirais devoir faire, si on rejetait la proposition de M. Verdussen.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs je me bornerai à rappeler à la chambre
que dans une séance précédente, la discussion du projet de loi relatif à la
route en fer a été irrévocablement fixée à mardi. A l’époque où cette décision
a été prise, on ne prévoyait pas que la discussion de la loi sur les enfants
trouvés viendrait se placer entre ce qui se trouvait à l’ordre du jour et la
route en fer. Cette discussion a déjà été remise plusieurs fois, et il faut
finir par l’aborder. Je m’oppose à ce que l’ordre du jour fixé antérieurement
par la chambre pour demain soit changé. Il vous est démontré que ce n’est pas
dans la séance de demain qu’il vous sera possible de terminer la loi qui vous
occupe. De tous côtés surgissent des systèmes différents ; on a contesté les
chiffres officiels, il faudra nécessairement donner à ceux qui contestent ces
chiffres le temps d’en démontrer l’inexactitude.
Le gouvernement
lui-même est intéressé à savoir si les documents qu’il a entre les mains sont
exacts ou non. Il lui importe donc que les honorables membres qui ont annoncé des
rectifications puissent les faire. Il faut aussi que les divers amendements qui
ont été présentés, puissent être examinés à loisir, soit par la section
centrale qui a déjà examiné la loi sur les enfants trouvés, soit par la section
centrale chargée d’examiner la loi provinciale. La chambre décidera celle de
ces deux sections à laquelle elle devra ordonner le renvoi. Il est beaucoup de
membres qui ne pourront pas se prononcer sur le principe, et je crains que la
chambre, fatiguée d’une discussion longue et inattendue, ne songe à se reposer
et à gagner les vacances de Pâques. Ce n’est pas que nous voulions faire perdre
du temps à la chambre, c’est au contraire parce que le gouvernement tient à ce
que la chambre ne perde pas son temps que nous insistons pour que l’ordre du
jour fixé pour demain soit maintenu, et que la discussion du chemin de fer soit
ouverte sans plus tarder. Rien n’empêchera la chambre, après le vote sur le
chemin de fer, de reprendre la discussion sur les enfants trouvés.
Il n’en résultera aucun retard, car le sénat ne pourrait pas discuter
cette loi immédiatement. Il a beaucoup d’autres travaux qui devraient passer
avant.
Il n’y aurait
donc aucune économie de temps à voter, dès demain la loi sur les enfants
trouvés. Il est nécessaire, d’ailleurs, que tous les nouveaux principes émis
dans cette circonstance puissent être médités, mûris. La discussion de cette
loi a été, en quelque sorte, improvisée ; c’est à peine si le gouvernement a eu
le temps de se faire une nouvelle opinion sur cette loi, par suite des
considérations présentées dans la discussion.
Je persiste à
demander que l’ordre du jour, précédemment fixé par la chambre d’une manière
irrévocable, soit maintenu.
M.
de Theux. - Pour ne pas nous exposer à perdre le temps que nous avons
consacré à la discussion de la loi relative aux enfants trouvés, je voudrais
que la chambre entendît les deux orateurs encore inscrits et qui ont dit avoir
des documents importants à produire, et qu’ensuite la discussion générale fût
close. On pourrait alors renvoyer à un autre moment la discussion des articles.
Quant à la
diversité des systèmes proposés dont a parlé M. le ministre de la justice, elle
est moins grande qu’il ne le pense ; et quand il s’agira de les soumettre au
vote de la chambre, on verra qu’ils se rapprochent beaucoup. L’honorable M. de
Brouckere propose le même système que moi, et celui de M. Fallon lui-même ne
s’éloigne pas beaucoup du nôtre.
M.
de Robaulx. - Je ne conçois pas comment c’est de la part du
gouvernement que viennent les entraves à l’achèvement d’une loi. A entendre M. le
ministre de l'intérieur, il semblerait qu’il a surgi dans la discussion de
nouveaux principes qu’il est nécessaire de renvoyer aux sections pour les faire
peser avec maturité. Savez-vous quelle serait la conséquence si des principes
nouveaux, non pas pour nous, mais pour vous, avaient surgi dans la discussion ?
C’est que vous auriez présenté votre projet à la légère. On ne crée pas des
principes, et les principes relatifs aux enfants trouvés sont débattus depuis
trente ou quarante ans ; ils existaient avant la naissance des ministres. Je
dis donc que si vous n’avez pas apprécié ces principes, s’ils sont nouveaux
pour vous, vous avez forfait à vos fonctions, vous n’avez pas été à leur
hauteur. Demander le temps d’examiner des points, des faits qui ne vous ont pas
paru suffisamment éclaircis pour pouvoir émettre un vote, je le conçois ; mais
dire qu’il y ait des principes nouveaux, je ne puis le concevoir.
Messieurs, la
discussion a déjà eu lieu pendant plusieurs jours. Si la motion de M.
Verdussen, qui est appuyée par le ministre de la justice, était adoptée, il en
résulterait qu’il n’y a pas urgence, et qu’il n’y en a jamais eu, à voter la
loi sur les enfants trouvés, quoique M. le ministre ait invoqué cette urgence
pour faire mettre la loi à l’ordre du jour ; car on ne peut pas prévoir
l’époque à laquelle on pourrait en reprendre la discussion ; moi, messieurs, je
partage la première opinion du ministre qu’il y a très grande urgence à voter
cette loi, à laquelle nous avons déjà consacré trois jours, et si vous remettez
la discussion à chaque discours que l’on prononce et à chaque amendement qu’on
propose, vous perdrez le fruit de vos discussions, et il n’y a pas de raison
pour que cela finisse.
Quant à la
décision prise par la chambre sur la discussion du chemin de fer, je conçois le
désir du ministre de réaliser un projet dont il a eu l’honneur de la paternité.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce projet appartient à M. de Theux.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - La recherche de la paternité est interdite.
M.
de Robaulx. - Je le sais, mais je ne crois pas que vous vouliez renier
vos enfants.
D’après ce qu’a
dit M. le ministre de l'intérieur, il semblerait que la chambre s’est liée en
mettant à l’ordre du jour de mardi la discussion du projet de loi sur le chemin
de fer, et qu’elle ne pourrait pas même la reculer d’un jour, quand elle a une
autre discussion commencée.
Quand l’ordre du
jour d’un projet est déterminé, c’est comme une cause mise au rôle : les débats
s’ouvrent au jour indiqué ; mais si une cause précédente dure plus longtemps
qu’on ne l’avait prévu, on attend qu’elle soit terminée avant de commencer
l’autre. Vous avez fixé à mardi la discussion du projet de loi sur le chemin de
fer ; mais depuis trois jours vous vous occupez d’un projet de loi très
important qui a soulevé des questions très graves, et sur lesquelles nous
devons nous prononcer. Si nous ne continuons pas la discussion, tout ce qui a été dit sur ces questions sera
sans objet, il faudra tout recommencer. Pour mon compte, je crois qu’on a à peu
près tout dit sur la matière ; mais il faut prendre une conclusion.
Pour prouver que mon intention n’est pas de retarder indéfiniment le vote
de la loi sur le chemin de fer en prolongeant la discussion actuelle, mais de
donner au pays une loi utile, je propose, quoique la parole m’appartienne comme
premier orateur inscrit, de fermer la discussion générale. Demain nous nous
occuperons de l’article 1er. Je parlerai tout au plus un quart d’heure sur cet
article, et tout ce qui est de détail et d’organisation pourra être terminé
dans une séance. Fixez, si vous voulez, votre séance à 11 heures, prolongez-là
jusqu’à 4 heures et demie, 5 heures ; et votre loi sera votée, les ministres
auront même le temps, s’ils ne pensent pas que la discussion soit épuisée, de
faire les observations qu’ils peuvent avoir encore à présenter. Si vous
suspendiez maintenant la discussion, tout ce que vous avez fait jusqu’à présent
serait perdu. Je demande que la chambre ferme la discussion générale et que
demain on commence la discussion des articles. Je suis convaincu que la séance
de demain suffira pour voter toute la loi. Si vous adoptez l’ajournement, le
projet sera renvoyé aux calendes grecques et vous n’aurez pas de loi.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne doute pas de la sincérité des prévisions de
l’honorable préopinant, mais je crois pourvoir assurer qu’elles le trompent.
Quand vous aurez fermé la discussion générale, vous n’aurez prononcé qu’une
clôture nominale. C’est dans l’article premier qu’est le véritable siège de la
discussion. C’est là que viennent se heurter les différents systèmes qui sont
en présence. Il n’est pas sans exemple, et quand il s’agissait de matières
moins importantes et moins controversées que celle dont nous nous occupons (et
maintenant que divers amendements ont la prétention de se substituer au système
du projet de loi) ; il n’est pas sans exemple, dis-je, que la chambre ait
renvoyé tous les amendements, soit à l’examen de la section centrale, soit à
l’examen d’une commission. J’en pourrai citer maints exemples, et jamais,
lorsque cela a eu lieu, on n’a prétendu qu’on perdrait de vue les
considérations présentées dans la discussion générale ; on sentait qu’elles
seraient rappelées par le nouveau rapport que ferait la section centrale.
J’appuie la
proposition de M. de Theux, de clore la discussion générale et de renvoyer tous
les amendements à la section centrale qui sera modifiée par l’adjonction des
auteurs des divers amendements.
Messieurs, je
dois rappeler à vos souvenirs que j’ai fait mes réserves quand j’ai demandé la
mise à l’ordre du jour de la loi relative aux enfants trouvés ; j’ai dit que je
ne faisais cette demande qu’autant que la discussion de la loi relative au
chemin de fer ne serait pas retardée. Vous sentirez, messieurs, l’importance
qu’il y a à ouvrir cette discussion au jour que vous avez indiqué, lorsque vous
avez appelé de leurs provinces une foule de nos collègues qui, je l’espère,
répondront à votre appel. Voyez à quoi vous vous exposez, si l’événement
trompait les prévisions de l’honorable préopinant. Il est possible que,
fatigués d’une discussion à laquelle ils ne sont pas
préparés, beaucoup de membres quittent Bruxelles, et que nous nous trouvions
dans la même position que celle où nous avons été pendant 2 ou 3 jours que la
chambre ne fût pas en nombre. Quelque importance que le gouvernement attache à
ce que le sort des enfants trouvés soit définitivement fixé, des motifs bien
autrement impérieux s’opposent à ce qu’on ajourne plus longtemps la discussion
d’une loi présentée depuis près d’une année. Tout nouveau retard peut faire
perdre non seulement quelques semaines, mais encore une année tout entière. Quel que soit le système auquel on donne la
préférence, le moindre retard nous expose à ne pouvoir commencer le travail au
printemps. Voilà pourquoi le gouvernement attache tant d’importance à ce que la
chambre ne revienne pas sur la décision solennelle par laquelle elle a fait
appel à tous nos collègues absents. Voilà pourquoi j’appuie l’ajournement
proposé par M. de Theux. Je ne
pouvais pas prévoir, quand j’ai demandé que l’on s’occupât de la loi sur les
enfants trouvés, qu’une demi-séance aurait été consacrée à des interpellations
diplomatiques, et qu’une autre séance aurait été perdue, faute d’un nombre de
membres nécessaire pour délibérer. Sans cela je n’aurais pas demandé que cette
loi fût mise à l’ordre du jour.
M.
de Brouckere. - Je demande la parole pour rectifier un fait. M. le
ministre de la justice a dit que j’avais annoncé un système communal exclusif,
cependant j’ai ajouté que les provinces devraient fournir une partie de la
dépense, et même jusqu’à concurrence de la moitié. Je suis donc d’accord avec M. de Theux. Je dirai de plus que je
crois le renvoi à la section centrale tout à fait inutile. Le ministre dit
qu’elle serait modifiée dans son personnel par l’adjonction des auteurs des
amendements.
Je ferai
observer que les auteurs des amendements appelés dans le sein des commissions
n’ont pas voix délibérative, mais simplement voix consultative, et que les
observations de 2 ou 3 auteurs d’amendements ne suffiront pas pour faire
changer d’avis à une section : surtout quand déjà toutes les explications
possibles ont été données en séance publique.
Vous avez entendu ma proposition de retarder d’un seul jour l’ouverture
de la discussion sur le chemin de fer, convaincu qu’un jour suffirait pour
terminer la loi dont nous nous occupons. Si demain cette loi n’était pas votée,
je prendrais moi-même l’engagement d’en provoquer l’ajournement.
J’ai toujours
pensé que la loi sur le chemin de fer était très urgente, et je serais fâché
que l’exécution de ce chemin pût être retardée d’une année. Je ne pense pas que
les craintes de M. le ministre de la justice puissent se réaliser, parce que
l’ouverture de la discussion sera retardée d’un jour.
M. le
ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si l’honorable préopinant pouvait se porter garant
de la volonté de la chambre, je serai le premier à me rallier à sa proposition
; quel que soit mon désir de voir voter la loi relative au chemin de fer, s’il
était bien certain qu’en la retardant d’un jour vous pussiez donner une loi au
pays et surtout une bonne loi, car il ne faut en faire que de bonnes, je
consentirais bien volontiers à remettre à mercredi la discussion du chemin de
fer ; mais il ne m’est pas même démontré que la séance de demain vous suffise
pour voter la loi dont nous nous occupons.
L’honorable préopinant a été tellement frappé de la justesse de nos
réclamations qu’il s’engage à provoquer pour mercredi l’ouverture de la
discussion sur la route en fer, si la loi sur les enfants trouvés n’était pas
terminée dans la séance de demain. Je suis convaincu qu’elle ne sera pas
terminée. Que viendront dire alors M. de Robaulx et les honorables membres qui
partagent son opinion ? Aujourd’hui ils s’opposent à l’ajournement parce qu’il
en résulterait, disent-ils, une perte de temps de 3 jours. Demain ils
viendraient s’y opposer avec bien plus de raison ; car au lieu de 3 jours il y
en aura 4. Il me paraît que la proposition de M. de Theux est destinée à
rallier toutes les opinions.
M.
Gendebien. - Je pense qu’il serait indécent de nous astreindre à
terminer une loi en un ou deux jours. Nous n’avons à consulter qu’une chose, c’est
notre conscience. Si nous pouvons terminer la loi demain, nous la terminerons ;
sinon, nous devons en continuer la discussion après-demain. Je ne prends pas la
parole pour m’opposer à l’ajournement : je ne demande qu’une chose, c’est que
si on veut continuer la discussion demain, on ne l’interrompe plus. Sans cela,
ce serait un jour de plus de perdu.
La chambre ne peut pas prendre l’engagement de terminer cette loi demain
ou après-demain. Je m’opposerai à toute espèce de proposition tendant à
étrangler la discussion. La loi relative aux enfants trouvés me paraît aussi
importante que celle du chemin de fer (exclamations
dans l’assemblée).
Oui, messieurs,
le chemin de fer a pour but de satisfaire aux exigences d’une certaine classe
d’industriels, et la loi dont nous nous occupons intéresse l’existence de
malheureux, l’existence des enfants du pauvre.
Sans m’opposer à
l’ajournement, et sans insister pour la continuation de la discussion, je dis
positivement que nous ne pouvons prendre aucun engagement relatif à la durée de
la discussion.
M.
d’Huart.
- D’après ce qu’a dit M. le ministre de l'intérieur, la chambre est
positivement liée, parce qu’elle a mis à l’ordre du jour de demain la
discussion du chemin de fer. Il doit savoir cependant que la chambre change
l’ordre de ses travaux comme bon lui semble : si elle trouvait qu’il lui faut
encore non seulement les séances de mardi et de mercredi, mais encore celles de
jeudi et de vendredi pour terminer la loi sur les enfants trouvés, rien ne
l’empêche de les consacrer à cette discussion importante.
Je ne vois pas
que deux jours de retard puissent avoir aucune influence sur l’exécution du
chemin de fer. L’empressement du ministre me donne quelques inquiétudes. On
dirait qu’il craint que quelque événement ne survienne et nous porte à lui
refuser son chemin de fer.
On a parlé des membres auxquels on avait fait appel pour assister à cette
discussion et qui devaient venir tout exprès de leurs provinces pour y prendre
part : la place de ces membres n’est pas dans leurs provinces, ils devraient
être à leur poste. S’ils sont ici demain, ils termineront avec nous la loi sur
les enfants trouvés.
Vous avez à
craindre, dites-vous, que la chambre ne soit plus en nombre. Cette loi,
dites-vous, est plus importante que celle dont il s’agit en ce moment. Vous
devez être persuadé alors que vous aurez toujours un nombre de membre suffisant
pour la discuter. La crainte que vous manifestez s’appliquerait plutôt à la loi
à laquelle nous avons déjà consacré trois jours, puisque vous la trouvez d’une
moindre importance que l’autre, et nous courons risque de ne pouvoir pas la
terminer. D’ailleurs toutes les considérations présentées jusqu’à présent
devraient être reproduites à une seconde discussion. En conséquence je m’oppose
à l’ajournement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le projet de loi sur le
chemin de fer a été mis à l’ordre du jour à plusieurs reprises. Je ne sais si
on soupçonne de notre part quelque crainte de voir surgir des arguments
nouveaux contre le projet. Nous sommes plutôt en droit de supposer à nos
adversaires éventuels la crainte de renouveler des arguments décisifs en faveur
du projet, quand nous voyons tous les moyens qu’on emploie pour en ajourner la
discussion.
Je m’en réfère à
ce que j’ai dit antérieurement et surtout à la décision prise par la chambre.
Il y aurait surprise si on ne discutait pas demain l’objet qui depuis longtemps
est à l’ordre du jour pour cette séance. La plupart des membres ne pourraient
pas prendre part à la discussion et seraient obligés de s’abstenir, n’ayant pas
pris part à la discussion générale.
M.
de Robaulx. - Je suis étonné qu’on vienne opposer à des adversaires
qu’on ne connaît pas la crainte de voir le ministère présenter des arguments
nouveaux et péremptoires. Je suis persuadé pour mon compte que le ministère a
produit tous ses arguments, et que ceux sur lesquels il compte, c’est le ban et
l’arrière-ban des amis appelés pour voter le chemin de fer. Je demande la
continuation de la discussion.
- La chambre, consultée ajourne la
continuation de la discussion de la loi relative aux enfants trouvés.
La séance est
levée à cinq heures.