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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 17 mars 1834

(Moniteur belge n°77, du 18 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure moins un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne communication des diverses pièces adressées à la chambre.

« L’administration communale et les habitants de Niederbraekel (Flandre orientale) demandent la conservation de leur justice de paix. »


« Le sieur Fyoer, bourgmestre de Merchem, réclame contre le projet de réunir cette commune au canton d’Ypré-Eton dans la nouvelle circonscription judiciaire. »


« Seize régences du canton de Landen demandent le maintien de leur canton judiciaire, ou que le siège en soit fixé à Landen. »


« Le conseil communal de Grondhove réclame contre le projet de suppression du canton de Durbuy, province du Luxembourg. »


« La régence et les habitants notables de Zèle (Flandre orientale) réclament contre le projet de suppression de ce canton judiciaire et sa réunion à celui de Lokeren. »


« Les notaires de la ville de Bruxelles adressent des réclamations contre le projet de loi sur la circonscription projetée des justices de paix, en ce que ce projet détruit la base de la loi organique du 25 ventôse au XI sur le notariat et change le classement des notaires. »


« Les notaires de 3ème classe de l’arrondissement de Gand demandent l’autorisation d’instrumenter dans tout l’arrondissement communal de leur domicile, en dérogation à l’article 5, paragraphe 2 de la loi du 25 ventôse an XI. »


M. le président. - D’après les précédents, je crois que je puis ordonner le renvoi de ces pétitions à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.


« La dame veuve du baron de Saint-Genois Desmottes, ex-commis de première classe des accises, demande une pension plus forte que celle qui lui a été accordée et qui est de 255 fr. »


« La dame veuve Godichoven renouvelle sa demande d’exemption de la milice en faveur de son fils unique. »


- Renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour est la continuation de la discussion du projet de loi relatif au chemin en fer.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je me propose d’examiner l’ensemble du projet de loi relatif à la route en fer, et de présenter quelques vues nouvelles et pratiques à l’appui de ce projet.

La première question qu’il faut se poser est celle de l’utilité. Une fois l’utilité de la route reconnue, on se demande si elle est possible ; et comme des objections assez graves ont été faites de la part de certaines localités qui se sont crues blessées par le projet de route, on se demande si cette route est juste ; enfin on examine si elle est urgente.

La route considérée sous le rapport de l’utilité peut être envisagée sous deux aspects. Nous regardons la route comme utile en elle-même, comme spéculation purement financière ; nous la regardons en second lieu comme indirectement utile dans ses rapports avec le commerce, l’agriculture, l’industrie, la politique, la civilisation.

La route est utile en elle-même, c’est-à-dire qu’à part les considérations que nous ferons valoir pour les intérêts que nous venons de citer, la route rapportera un produit tel que, livrée à l’exécution particulière, elle présenterait des bénéfices assez considérables pour attirer les capitaux dans un pays où l’esprit serait plus développé que chez nous.

Nous prendrons la partie de la route qui était la première pensée du projet, et qui a été traitée avec le plus de développements, c’est-à-dire la route d’Anvers à Verviers ou de Verviers à Anvers, car nous considérons la route comme utile aussi bien au travail qu’au mouvement du commerce et de l’industrie intérieurs. Cette première partie est évaluée au projet qui vous est soumis à 16 millions 500 mille francs, plus 1,500,000 francs dont nous ne parlons pas, qui sont destinés aux frais de l’exploitation si elle a lieu par l’Etat en concurrence avec les particuliers. Dans cette somme de 16,500,000 fr. sont compris 1,225,000 francs destinés à servir les intérêts du capital, pendant les trois années de l’exécution. Donc pour l’exécution des travaux, nous présentons une dépense de 15,275,000 fr.

Les produits, nous les évaluons au minimum à 1,400,000 fr., intérêt représentant un capital de 28 millions à 5 p. c. ou 9 p. c. du capital engagé.

Pour arriver à cette somme, nous nous sommes basés sur le péage suivant par kilomètre : 4 centimes par tonneau de marchandises ; 2 centimes par tonneau de houille, chaux, engrais, etc. ; 4 centimes par voyageur. Nous avons établi nos calculs sur le mouvement actuel du commerce intérieur, sans avoir égard aux exportations vers l’Allemagne. Ces divers péages donnent un produit de 1 million pour les marchandises et houille, 340,000 fr. pour les voyageurs, et 60 mille fr. pour articles divers. Total 1,400,000 fr.

Les frais de transport, loin d’être trop élevés, sont de beaucoup inférieurs à ceux qui existent aujourd’hui. Par les voies ordinaires, un tonneau de marchandises de Verviers à Anvers coûte 24 fr. ; par la route en fer, il coûtera 9 fr., dont 6 fr. pour le péage et 3 fr. pour le halage. Les voyageurs paieront pour toute la route de Verviers à Anvers fr. 7-50. C’est à peu près le prix des diligences, quand la concurrence l’a fait provisoirement descendre aussi bas qu’il est possible de le faire sans ruiner les entrepreneurs.

A la rigueur on pourrait établir que le prix du transport des voyageurs est beaucoup moindre par la route en fer que par les routes ordinaire, mais admettons un prix égal, nous conserverons encore l’avantage d’un transport plus rapide, et par conséquent plus économique, quant aux frais de route et de séjour ; et en demandant un prix de transport égal, mais en même temps un transport plus rapide, plus commode, moins coûteux quant aux frais de séjour, nous ne mettons pas en doute que nous n’accaparions tous les voyageurs qui se font transporter aujourd’hui par les moyens ordinaires.

On a observé que pour aller d’Ostende à Cologne par le chemin de fer, on mettrait 12 heures, et de Londres à Cologne 26 heures, tandis qu’en ce moment, il faut quatre à cinq jours pour faire ce voyage.

Nos produits, nous l’avons déjà dit, sont calculés sur le mouvement actuel du commerce à l’intérieur, abstraction faite du mouvement extérieur.

Si nos produits n’ont rien d’exagéré, nos dépenses d’exécution sont établies sur des bases très larges.

La route avec ses embranchements sur Bruxelles et Liége présente une longueur de 173 1/2 kilomètres. Le prix de chaque kilomètre, variant de 60 à 140,000 fr., est terme moyen de 95,000 fr. Ce prix se rapporte à celui des chemins de même importance, construits dans des localités semblables.

Il est amplement suffisant, nous en avons la preuve dans les offres spéciales faites au gouvernement par les compagnies, lesquelles ont un intérêt que nous n’avons pas à exagérer leurs dépenses, attendu qu’il en résulte pour elles une occasion de demander un péage plus élevé. Nous avons une seconde preuve dans un fait dont chacun de nous peut reconnaître l’exactitude. Nous avons évalué le tonneau de fer à 400 fr. Des concessionnaires l’ont évalué à 555 fr., et le même tonneau nous est offert par deux fabricants à 340 fr., c’est-à-dire à 60 fr. au-dessous de nos propres évaluations.

Nous avons dit que la route rapporterait un revenu de 9 p. c. ; les dépenses d’entretien, de surveillance, de perception et d’administration peuvent être portées à 375,000 fr. ; si vous retranchez cette somme du produit évalué à 1,400,000 fr., il reste pour revenu net, 1,025,000 fr., ou 7 p. c. du capital engagé. Nous destinons ce revenu à payer de la somme empruntée, plus l’amortissement.

Nous venons d’établir par ce premier exemple que la route pouvait se suffire à elle-même. Il faut maintenant démontrer que si l’intention du gouvernement était de faire fructifier le chemin, de lui faire produire de l’argent, il serait à même d’obtenir ce résultat, non seulement sans grever le commerce, mais en lui laissant encore des avantages considérables.

En effet, le commerce paie 24 fr. par tonneau de Verviers à Anvers, c’est-à-dire environ un franc par lieue, il trouverait encore de 20 à 30 p. c. de bénéfice à suivre la nouvelle route, en y payant 18 francs, tandis que de son côté, l’Etat qui recevrait un tel péage verrait ses revenus s’élever d’un million 400 mille fr., à 2,940,000 fr. ou 17 p. c. du capital engagé. Nous avons à retrancher 8 p. c. pour les frais d’administration, amortissements et intérêts ; bénéfice net, tous frais déduits, reste 9 p. c. du capital engagé.

Je terminerai ces premiers calculs par une observation générale. Le commerce paie par les voies actuelles cinq à six millions de Verviers à Anvers ; par la route en fer, il ne paierait au plus que deux millions de frais, le gouvernement couvrant ses frais d’établissement : donc économie de trois millions par année qui équivaut, pour six années, au capital de 18 millions dépensés pour les travaux. Si l’Etat se réservait un bénéfice net d’un million par année, ses intérêts couverts, le commerce jouirait encore d’une économie de un million et demi sur ses frais de transport actuel, somme qui, en 12 années, aurait produit un capital égal à la somme dépensée pour la route.

Messieurs c’est surtout par des avantages indirects que la route se recommande à votre attention.

Le premier fait qui vous frappera, c’est que les sommes à dépenser le seront tout entière dans le pays, c’est que des 16,000,000 francs à dépenser sur la première partie de la route, 12 millions seront dépensés en matériaux belges et en journées de main-d’œuvre belge.

Messieurs, sans vouloir tomber dans des redites ni m’aventurer dans ce qu’on a déjà appelé des lieux communs, je dirai que sous le rapport de l’agriculture, et je le dirai parce que différentes objections m’ont été faites de ce chef dans des entretiens particuliers, le projet offre beaucoup d’avantages ; il offre aux habitants des campagnes un grand nombre de centres de consommation et de production dont ils sont privés aujourd’hui, par la rareté, la cherté et la lenteur des moyens de transport. Les bestiaux et céréales de la Hesbaye, les pierres, chaux et bois des bords de la Meuse, trouveront des débouchés avantageux dans nos grandes villes, qui fourniront à leur tour des engrais.

Si l’on ne craignait de descendre à des détails qui pourraient paraître minutieux s’ils n’étaient au fond importants eu égard aux habitants des campagnes, nous ajouterions, d’après l’expérience des chemins d’Angleterre, que les produits de second ordre, tels que les fruits, volailles, légumes, œufs, le laitage, augmenteraient bientôt de valeur, alors qu’ils trouveraient un moyen prompt et économique d’approvisionner les marchés des grandes villes, où leur prix actuel est trop souvent loin de la portée des consommateurs pauvres ou peu aisés.

De leur côté les gens de la campagne obtiendront à meilleur compte le chauffage, le fer, et vendant plus avantageusement leurs produits, ils se procureront en échange beaucoup d’objets appartenant aux commodités de la vie, de meubles, des vêtements de meilleure qualité dont ils sont privés aujourd’hui.

On sait quelles difficultés présentent les moindres voyages aux pauvres paysans, quand ils ont quelques affaires publiques à traiter. Si un paysan doit venir au chef-lieu, pour la milice, pour le tribunal, pour son notaire, son avocat, ou pour le bureau des hypothèques, il est souvent obligé de parcourir cinq à six lieues à pied et de payer des frais considérables, attendu qu’il est obligés quelquefois de se nourrir, de se loger dans les villes où il s’arrête.

Je sens très bien que ces détails pourront paraître minutieux, en présence d’un travail aussi colossal que celui de la route en fer, mais nous tenons à prouver que c’est une entreprise nationale aussi bien dans l’intérêt des classes élevées que des classes pauvres ; nous aurons encore occasion d’y revenir.

Il a été observé dans une brochure allemande dont la traduction vient de paraître, que les effets de la route en fer seront encore de diminuer le prix du grain là où il manque et de l’élever là où il abonde. Le pays de Verviers s’approvisionne aujourd’hui de grains étrangers. Cependant, il n’est pas éloigné de la Hesbaye.

A cette occasion je mettrai sous vos yeux l’avis d’un conseil de régence de ce pays agricole.

Voici comment s’exprime le conseil de régence de Waremme :

« Depuis longtemps cette commune, comme toutes les communes de la Hesbaye en général, n’a cessé de réclamer la construction d’une route. Les avantages immenses qu’elle produirait sont généralement connus.

« La facilité des communications est une des causes les plus puissantes qui font prospérer un pays ; par là s’établissent des relations plus fréquentes entre les diverses parties de l’Etat et l’échange des produits de l’industrie et des richesses du sol multiplie les opérations commerciales.

« La Hesbaye n’a pu jusqu’à ce jour atteindre ce degré de prospérité auquel ses riches produits d’agriculture peuvent la porter ; le défaut de relations suffisantes avec les villes commerciales a seul pu y mettre obstacle.

« La difficulté et, en certaine saison, l’impossibilité de transporter ses denrées lui font perdre une partie de ses ressources, et obligent les cultivateurs à se confier à la bonne foi des marchands ambulants qui exploitent à leur profit tous les villages de ces contrées.

« La nouvelle route que l’on propose d’établir pourra parer à cet inconvénient et devenir pour ce pays agricole une source de prospérité. »

Mais quant à la propriété foncière, on ne peut nier que la valeur du terrain et des exploitations est en proportion de leur rapprochement des principaux centres de consommation. Tel hectare de terre qui aux environs d’une grande ville vaudrait 65,000 francs, ne vaudrait que moitié s’il en était éloigné de 3 à 6 lieues.

L’effet de l’établissement d’une route en fer étant d’abréger considérablement les distances, et de réduire beaucoup les frais de transport, toutes les propriétés traversées par la communication ou l’avoisinant, se trouveront plus rapprochées des marchés, et accroîtront d’autant en valeur.

La route de Manchester à Liverpool traverse une étendue de marais où jamais on n’aurait songé à établir ni culture ni habitation. Deux années après l’établissement de la route, plus de cent hectares de ces marais fertilisés par les engrais surabondants de Liverpool et de Manchester produisaient à Liverpool le plus beau froment.

Répondrons-nous aux appréhensions de certaines personnes qui croient voir dans l’établissement des routes, l’anéantissement des chevaux ? Un mot pourra suffire. L’Angleterre et la Hollande n’ont pas de roulage, ce qui ne les empêche pas d’abonder en chevaux.

Différents orateurs ont fait ressortir l’utilité de la route pour l’industrie et le commerce. Je ne puis m’empêcher de citer quelques autorités qui ne manqueraient pas de poids auprès de certains esprits dans cette assemblée.

« Il faut liberté pour l’industrie et le commerce comme pour la pensée. Il ne faut pas s’y méprendre ; notre pays ne ressemble pas aux autres ; tel système qui pourrait être bien appliqué à tel ou tel pays, serait détestable dans le nôtre. Notre véritable industrie consiste dans l’échange de toutes les matières. Eh bien ! le seul moyen d’encourager cette industrie, c’est de diminuer autant que possible tous les frais qui sont à sa charge. Il en résultera que nous transporterons à l’étranger à meilleur compte que nos voisins, et nos fers, et nos houilles, et nos marbres, et toutes les matières dont notre pays abonde. »

Cette opinion fut émise par M. Gendebien, dans la séance du 7 mars 1833.

Voici comment s’exprime la régence de Liége :

« Les connaissances que nous avons des localités, s’accordent avec les détails donnés par MM. De Ridder et Simons. Les considérations qu’ils présentent sous les rapports de l’industrie de cette ville et de la province qui porte son nom, doivent avoir plus d’importance encore.

« On ne doit pas envisager seulement l’activité actuelle de cette industrie qui souffre, mais bien celle plus considérable qui doit naître de l’impulsion et des développement que donnera nécessairement le chemin de fer dans ces contrées où le sol, le génie et les habitudes industrielles des habitants offrent des richesse infinies, qui n’attendent, en quelque sorte, que ce moyen pour se multiplier davantage et se répandre dans le commerce. L’exploitation paralysée de nos houilles ne pourra manquer de reprendre son essor par ce chemin, qui donnera aussi une bien plus grande activité à nos usines, à nos fabriques de machines à vapeur et à tant d’autres établissements importants qui, à Liége et dans toute cette province, doivent concourir si puissamment à enrichir l’industrie du royaume. »

Voici l’opinion de la chambre de commerce de la même localité qui est également très concise :

« Ainsi, nos houilles, nos fers, nos clous, ne peuvent parvenir aux lieux d’embarquement, sans être chargés d’un surcroît de frais tel, qu’il équivaut ou dépasse même le bénéfice du produit fabriqué.

« A défaut de ces communications, il est évident que l’industrie des fontes, fers, clous, etc., sera tellement avantagée dans le Hainaut et principalement à Charleroy pour l’exportation maritime aux colonies ou même en Hollande, par voie indirecte, que la province de Liége, quels que puissent être l’activité, l’économie et le courage de ses industriels, sera dans l’impossibilité de soutenir la concurrence. »

En lui-même le chemin de fer offrira aussi un débouché très considérable à nos principales industries ; il procurera un grand accroissement à l’exploitation de nos minerais ; il donnera une nouvelle impulsion à la fabrication des fers, de même qu’à l’établissement de fabriques nouvelles pour la construction de moteurs à vapeur, dont l’usage se répandra bientôt dans tout le pays. Les matières premières arriveront à meilleur compte aux fabriques, qui à leur tour pourront transporter à meilleur compte aussi leurs produits sur les divers marchés, et auront plus de moyens de soutenir la concurrence avec l’étranger.

Quant à l’utilité commerciale de la route, je n’aurais pas songé à vouloir l’établir, si dans cette enceinte, il ne s’était élevé des doutes, même sous ce rapport ; et puisqu’on a parlé de la pêche, en nous attachant seulement à ce produit, nous allons établir messieurs, de quelle importance il est aux yeux de la chambre de commerce de la ville à laquelle appartient M. Jullien, qui n’a pas beaucoup de confiance dans le commerce des poissons.

Voici comment s’exprime cette chambre de commerce :

« Il est incontestable que si Anvers pour cet article peut fournir un tonnage aussi élevé, on doit en attendre un bien plus fort pour le poisson frais que fournirait Nieuport, Ostende, Blankenbergh et Heyst. Eh ! qui pourrait prévoir toute l’augmentation future de tonnage, lorsque par la célérité et le bas prix du transport ce nouveau moyen de communication nous permettra d’approvisionner de bons poissons frais, non seulement le pays de Liége, le Limbourg, le Luxembourg, mais encore les provinces rhénanes, et même une partie de l’Allemagne et de la Prusse qui se trouveront en communication directe avec le chemin de fer de la Belgique ? L’exécution de ce projet porterait sans doute la pêche à un tel état de prospérité, que cette industrie dépasserait toute prévision humaine, et il est certain qu’en adoptant, pour le transport du poisson frais, le minimum de vitesse que devront avoir les voitures pour le transport des voyageurs, c’est-à-dire 22 kil. par heure, on pourra livrer le poisson frais à Cologne en moins de douze heures. Qui pourrait prévoir les résultats immenses pour notre pêche nationale, d’un débouché aussi considérable que nous procurerait ce nouveau mode d’expédition ? Car il est certain que la consommation du poisson frais sera en raison du bon marché et de la bonne qualité, et que quantité d’espèces de poissons, qui, aujourd’hui, ne peuvent pas s’envoyer dans l’intérieur, à cause de leur prompte détérioration, trouveront alors un débouché assuré. »

A la prospérité de la pêche est en quelque sorte liée la prospérité du pays entier ; c’est à cette industrie que nous devons tous nos bons matelots pour la marine marchande et c’est encore elle qui en fournirait pour la marine militaire ; et de tout temps c’est la marine qui a fait la prospérité, la richesse et surtout la force des Etats.

Il s’est élevé une singulière appréhension dans le sein de l’assemblée. Je ne sais si ce n’est pas un honorable représentant de la Flandre qui a craint de voir le commerce étranger se détourner sur notre territoire, de voir confisquer le commerce étranger par la Belgique. Si la Belgique parvient à attirer sur son territoire le commerce de l’Angleterre, je n’y vois pas de mal, si la Belgique absorbe le commerce de la Prusse, je m’en applaudis ; si elle confisque le commerce de la Hollande, ainsi qu’on l’a annoncé, je m’en étonne, mais je m’en applaudis encore.

Il serait très avantageux pour la Belgique de rendre la Prusse et surtout la Hollande ses tributaires. Il serait très avantageux pour la Belgique de pouvoir prendre vis-à-vis de la Hollande la position que nous avons vis-à-vis de la Hollande, relativement à la navigation de l’Escaut.

Quant à ses rapports avec le fisc, l’utilité de la route est encore palpable. La plus-value des propriétés, l’extension de l’industrie, la création d’industries nouvelles, l’accroissement de la consommation seront autant de causes d’accroissement dans le produit des impôts.

Un tel effet, qui est indifférent à des concessionnaires, ne saurait manquer d’être pris en considération par l’Etat. Si la route rapporte des produits considérables, l’Etat pourra diminuer d’autant les péages ou établir des routes en fer dans d’autres directions.

L’Etat fera encore un bénéfice notable en l’employant au transport des troupes, des munitions et des lettres, outre l’avantage qu’il aura d’opérer ces transports avec plus de rapidité.

Parlerai-je de la route sous le rapport de son utilité morale ? Les voyages en Belgique des Belges et des étrangers deviendront beaucoup plus fréquents. De même que les échanges matériels, les échanges intellectuels se feront avec plus de facilité.

Nous ne croyons pas que ce soit avec réflexion qu’on ait reproché à la route en fer sa trop grande rapidité. Il faudrait alors supprimer les postes, les diligences, les roulages accélérés, dépaver les routes ; on serait certain de retenir bien longtemps les voyageurs sur les routes et de se procurer le plaisir de les voir passer.

Messieurs, l’importance de la route en fer, sous le rapport politique, a été établie par plusieurs orateurs avec un talent auquel ils me permettront de rendre hommage. Déjà pour ma part j’ai fait pressentir l’importance politique qu’il y avait pour le pays à resserrer en un centre commun, nos quatre principales villes ; à former, en quelque sorte, de la réunion de Gand, Liége, Anvers et Bruxelles une seule grande cité, dont le chemin de fer serait la grande rue.

On trouve quelquefois que notre projet a quelque chose de grandiose, quelque chose même de poétique. Il faut, en effet, le reconnaître, messieurs, il y a dans ce projet autre chose que des intérêts matériels. C’est une grande satisfaction donnée à un grand besoin de l’époque. Ainsi à différentes époques il a été donné satisfaction à des besoins dominants : nos temples encore debout pour l'honneur de la Belgique et pour attester le génie de nos pères ont répondu aux besoins religieux d’un autre temps ; ailleurs des colonnes triomphales ont répondu aux besoins militaires de l’époque ; aujourd’hui, je le dirai, la route est fer est destinée à satisfaire aux besoins de l’industrie et du commerce. Il est de la gloire de la Belgique, une des contrées les plus industrieuses de l’Europe, de leur élever un tel monument.

Voici donc rapidement exposés les avantages directs et indirects de la route en fer, mais avant tout nous avons dû nous demander et rechercher si l’exécution de la route est possible.

Quant à la possibilité physique, elle n’a point encore été contestée ; je dirai que la configuration du terrain se prête merveilleusement à l’établissement d’une telle route ; j’en aurai au besoin pour garant l’opinion d’un célèbre ingénieur anglais de M. de Stephenson, auteur de la route en fer de Liverpool à Manchester, et de celle qui se prépare de Londres à Birmingham. Ce savant ingénieur m’a déclaré à moi-même, qu’il ne connaissait pas de route en Angleterre dont les pentes fussent plus favorablement distribuées.

Quelques personnes croient que les ouvrages de la route en fer présentent des difficultés nombreuses et insurmontables. Cependant les ouvrages d’une route en fer sont d'une grande simplicité. La confection d’une telle route est plus facile que celle d’un canal, et ne présente pas plus de difficultés que la construction d’une route en pierre. Dans le projet, un seul ouvrage présente quelque difficultés, c’est un pont sur la Meuse.

On a calculé aussi les dépenses de souterrains qui seront très probablement évités, mais qui, en supposant qu’ils se fassent, existeraient sur une étendue l’un de 500, l’autre de 600 mètres. La galerie souterraine du chemin de Liverpool à 2,000 mètres de longueur ; celle du canal de Charleroy à travers un terrain extrêmement difficile a 1,300 mètres. Aux abords de Tirlemont, le passage de deux vallées nécessitera deux grandes levées. C’est un travail coûteux qui exigera du temps, mais qui ne peut donner lieu à la moindre appréhension de non-réussite.

Quant aux ornières leur construction est à la vérité assez difficile. En Angleterre les premiers inventeurs jouissent encore d’un privilège qui en élève le prix ; mais des ornières de même espèce et de même qualité se fabriquent en Belgique sans être soumises à ce droit de patente.

Pour les machines locomotives, wagons et diligences, nous ne doutons pas quelles ne trouvent dans le pays des constructeurs aussi habiles qu’en Angleterre ; toutefois par prudence, nous nous procurerons dans ce pays les modèles les plus perfectionnés.

Quant aux matériaux, nous avons l’avantage de les trouver en abondance dans le pays ; car tout semble se réunir pour donner à cette un caractère vraiment belge. Nous avons, notamment le fer en abondance. Les craintes manifestées par une chambre de commerce au sujet de l’insuffisance de nos fers sont sans aucun fondement. Si nos renseignements sont exacts les provinces de Namur, du Hainaut, de Liège et du Luxembourg possèdent plus de 95 hauts fourneaux, 200 forges, et plus de 20 laminoirs parmi lesquels il y en a 7 d’établis sur le système anglais et propres à étirer des ornières en fer. Ces laminoirs établis dans les localités ci-après désignées peuvent produire les quantités suivantes par année (en tonnes) :

Liége :

Montant de la production annuelle : 2,800

Vente annuelle dans le commerce : 1,800

Excédant disponible par année : 1,000

Seraing :

Montant de la production annuelle : 3,000

Vente annuelle dans le commerce : 2,000

Excédant disponible par année : 1,000

Acos :

Montant de la production annuelle : 2,000

Vente annuelle dans le commerce : 1,200

Excédant disponible par année : 800

Ives :

Montant de la production annuelle : 2,800

Vente annuelle dans le commerce : 1,400

Excédant disponible par année : 1,400

Faiyt :

Montant de la production annuelle : 3,000

Vente annuelle dans le commerce : 2,200

Excédant disponible par année : 800

Marchiennes :

Montant de la production annuelle : 2,100

Vente annuelle dans le commerce : 1,100

Excédant disponible par année : 1,000

Total :

Montant de la production annuelle : 18,700

Vente annuelle dans le commerce : 9,700

Excédant disponible par année : 9,000

La quantité nécessaire en fers étirés pour l’établissement du chemin de fer en Belgique est pour la première section de 8,500 tonneaux ; et le total de cette fourniture peut être réparti annuellement comme suit :

1ère année d’exécution : 2,580 tonneaux ;

2ème année d’exécution : 3,000 tonneaux ;

3ème année d’exécution : 3,000 tonneaux ;

Total : 8,500 tonneaux.

Si j’insiste autant sur les quantités suffisantes des fers du pays, c’est qu’il m’est revenu de différents côtés qu’on avait alarmé plusieurs fabricants du pays, en disant que l’intention du gouvernement était de se fournit de fer en Angleterre.

On a parlé des difficultés qui résulteraient de l’expropriation des terrains. Jusqu’à présent, j’ai pris autant que j’ai pu mes exemples en Belgique. Je vous citerai cette fois un exemple pris en France. L’ingénieur en chef Vallée, chargé de la construction du canal de la Sensée, a eu affaire à 500 propriétaires dont les propriétés étaient traversées par ce canal. Sur ce nombre, une seule affaire d’expropriation a été portée devant les tribunaux, encore était-ce parce que le propriétaire était absent.

Je citerai deux autres exemples pris chez nous : pour le canal d’Antoing et pour celui de Charleroy, très peu de difficultés se sont élevées ; presque toutes les affaires d’expropriation ont été traitées à l’amiable ; et cependant il s’agissait d’un canal traversant et divisant des localités très morcelées. Un chemin de fer, au contraire, ne divise pas la propriété qu’il traverse et peut facilement se détourner des propriétés d’une grande valeur réelle.

S’il faut parler de la possibilité financière de l’exécution de la route nous dirons que nous ne la révoquons pas en doute. Le gouvernement avait demandé 18 millions ; la section centrale a préposé 35 millions en supposant pour le pays un réseau complet de routes en fer et en supposant 3 années de travaux. Ce serait 12 millions par an y compris l’intérêt des emprunts pendant toute la durée de l’exécution.

Je ferai remarquer que la route de Bruxelles à Anvers, qui coûtera trois millions environ, pourra être en rapport au bout d’une année. Il en sera de même des autres parties qui seront commencés en même temps et successivement achevées. Car la route en fer a encore sur un canal l’avantage de pouvoir être mise en exploitation à mesure de l’achèvement des diverses sections.

Le trésor belge est jusqu’à présent peu grevé ; le crédit public s’est amélioré. Nous offrons d’ailleurs aux prêteurs la double garantie de l’Etat et de la route.

Les bons du trésor peuvent singulièrement faciliter l’emprunt et peut-être même le rendre inutile. La Belgique depuis 3 ans a trouvé les moyens de faire face à 230 millions de dépenses de guerre ; nous espérons qu’elle trouvera le moyen de subvenir à une dépense de 35 millions pour l’établissement d’une telle communication. D’ailleurs, la route pouvant se suffire à elle-même, la garantie offerte par l’Etat sera purement nominale. Mettons les choses au pis et supposons que sur les 35 millions engagés, 25 seraient dépensés en pure perte sans rapporter d’intérêt, il en résulterait pour le pays une charge annuelle de 1,250,000 francs, soit 34 centimes par individu à couvrir au moyen de l’impôt.

On ne révoque pas en doute la possibilité physique, la possibilité financière de la route ; mais on dit que l’administration est incapable de la faire, que le métier de l’administration n’est pas de construire des routes, que son rôle se borne à laisser faire. Ce système de laisser faire qu’on nous vante est commode pour le gouvernement, mais il est absurde à côté du système de la responsabilité.

A cet égard le gouvernement, en se chargeant d’une entreprise aussi importante, sent bien qu’il se charge d’une immense responsabilité et éprouve le besoin de s’entourer d’aide et de lumières, en restant toujours responsable de ses actes. Il se propose de s’adjoindre à ce titre une commission ; je me permettrai de lire un court projet d’arrêté destiné à l’organiser.

« Art. 1er. L’administration du chemin est commise aux soins d’une commission composée de neuf membres, dont trois sénateurs, trois membres de la chambre des représentants, trois personnes nommées par le roi. »

« Art. 2. La commission administrative sera chargée de proposer les modifications dont serait susceptible le tracé général du chemin, sans s’écarter des stipulations de l’article premier.

« Designer l’ordre d’exécution des diverses sections du chemin.

« Procéder aux expropriations soit à l’amiable soit conformément aux dispositions de la loi du 8 mars 1810 ;

« Ordonner et approuver les adjudications publiques des travaux ;

« Soumettre au gouvernement les projets de tarifs de péages à percevoir sur les diverses sections du chemin ;

« Proposer au fur et à mesure de l’achèvement des diverses sections, et lorsque des embranchements viendront se rattacher au chemin, les modifications dont les tarifs seraient susceptibles ;

« Faire les appels des fonds et négocier les emprunts partiels nécessaires ;

« Rédiger un règlement d’ordre et d’administration intérieure à approuver par le roi. »

« Art. 3. La commission rend compte chaque année de sa gestion au gouvernement. »

« Art. 4. Des ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées seront mis à la disposition de la commission pour diriger et surveiller les travaux. Cette commission est néanmoins autorisée à proposer au gouvernement l’emploi de toutes personnes étrangères à ce corps dont les services lui paraîtraient utiles. »

Cette organisation n’est pas encore définitivement arrêtée ; mais ce projet peut vous donner une idée de ce qu’elle sera et vous faire voir sous quel point de vue le gouvernement envisage une commission chargée de l’administration du chemin de fer.

D’ailleurs quant à la capacité des ingénieurs belges, je ne sais si l’on peut avec ombre de justice la révoquer en doute. Je crois que les travaux faits dans le pays par les ingénieurs dispensent d’en donner d’autres preuves. Je dirai plus, c’est que si le gouvernement a quelque confiance dans le succès de l’entreprise, il le doit surtout aux deux hommes laborieux instruits et modestes qui depuis 2 années s’occupent avec un zèle, une assiduité et une constance si rares, du projet sur lequel vous êtes appelé à prononcer.

Voici ce qu’écrivait un ingénieur qui se trouve, ainsi que la chambre le sait, opposé au projet qui vous est soumis :

« Monseigneur (c’est vous dire que la lettre est de 1826).

« M. le gouverneur du Hainaut a procédé le 26 juin dernier à l’ouverture du canal d’Antoing. Le bateau décoré qui a transporté les autorités dans toute la longueur du canal, l’a traversé sans rencontrer le moindre obstacle.

« Depuis ce moment, près de 100 bateaux en pleine charge et presque autant à vide l’ont parcouru.

« Les machines à vapeur sont, je pense bien réussies : elles seules alimentent ce canal si prospère ; aucune eau par cours naturel n’y est encore entrée.

« Les écluses qui sont en plein service sont bien exécutées, celle dont les basoyers ont été si heureusement ramenés ne se distinguent en rien des autres.

« Les immenses tranchées ont été amenées à leur profondeur avec une activité peu commune, par des efforts extraordinaires et le moyen de chemins de fer qui pour la première fois ont été employés dans le pays à ce genre de travail.

« Le pont en chaînes de suspension remarquable par sa grande légèreté et son élégance, comparées aux énormes charges qui le parcourent à chaque instant, et par son exécution économique, est livré au public depuis plus d’un mois.

« Monseigneur, c’est à M. l’ingénieur de deuxième classe Simons, qu’est due en très grande partie la réussite de cette importante navigation. C’est le devoir et la justice qui m’obligent à dire à votre excellence que ce n’était qu’avec un ingénieur dévoué à son devoir instruit, probe, actif ; abandonnant pendant trois années tous les plaisirs et distractions de son âge, qu’il m’était possible de mettre cette affaire à terme aussi heureusement avec d’aussi grandes difficultés ; et sans doute elle serait loin d’être terminée, sans son dévouement qui s’est surtout déployé durant mes fréquentes absences en Hollande. Remarquez, je vous prie monseigneur, que M. Simons n’était aidé que d’employés extraordinaires, la plupart connaissant peu leur métier et lui-même débutant en matière de canaux.

« Si un ingénieur en chef, qui a consacré toutes ses veilles à la formation d’un projet important, qui ne s’est jamais épargné pour en faire réussir l’exécution, et que cette exécution a été conduite sans trouble, sans entraves, sans disgrâces pour le gouvernement, que tous les soins ont été pris pour que l’administration et le corps des ingénieurs du waterstaat n’aient que de l’honneur à retirer des résultats, mérite quelque peu ; votre excellence me pardonnera de venir ainsi provoquer un témoignage de satisfaction en faveur de M. l’ingénieur Simons comme ayant droit à la plus grande part - et je la prie instamment de réclamer de sa majesté une nomination particulière et spéciale audit jugement de deuxième classe au rang de première classe pour services rendus au canal d’Antoing.

« Je ne dirai point ici que M. Simons a fait ou a eu occasion de faire mieux que ses camarades, mais votre excellence me permettra de soutenir : Que lorsqu’un ingénieur a fait comme M. Simons, il mérite un avancement spécial, hors de ligne, et il y a, monseigneur, des époques où ce mode d’avancement est bien avantageux au gouvernement.

« J’aurai reçu une grande récompense si sa majesté accède à cette demande.

« Agréez, je vous prie, monseigneur, etc.

« L’ingénieur en chef, J-B. Vifquain. »

Je devais cet hommage public à un employé traité, ce me semble, trop légèrement par un honorable représentant qui, pour avoir des connaissances spéciales dans la partie, ne devait pas s’attacher à critiquer d’une manière si injuste et si amère un ingénieur au talent et au mérite duquel l’ingénieur le plus ancien du pays rend un hommage aussi complet.

J’ai dit que j’envisageais l’entreprise sous le rapport de la justice. N’est-ce pas donc pas une justice que vous devez au pays de lui rendre les débouchés que la révolution lui a enlevés sans lui donner de compensation suffisante ? N’est-ce pas une injustice envers Anvers, qui jouissait du Rhin, envers Liège, qui jouissait de la Meuse ? Il ne suffit pas d’avoir rattaché à la révolution les sentiments et les intérêts religieux et moraux, il faut que les besoins matériels y trouvent aussi leur compte.

Le projet n’est pas injuste vis-à-vis du Hainaut. D’abord, si le projet de la section centrale est adopté, le Hainaut aura son embranchement. Cette province est déjà avantagée par la réduction des droits sur la navigation. On peut les réduire d’ailleurs de nouveau, si la justice distributive le requiert.

Le Hainaut ne peut être préjudicié que quant à ses houilles, et il ne peut courir les risques d’une ruine complète, puisque sur les 2 millions de tonneaux d’extraction 1/10ème seulement s’écoule vers le bas Escaut. Il n’y aurait pour cette province préjudice que de ce dixième si elle ne pouvait pas soutenir la concurrence avec le charbon de Liége.

Tout annonce d’ailleurs que le marché de la France lui sera de plus en plus avantageux. La jonction de l’Oise à la Sambre lui promet un débouché productif.

Quant aux intérêts de localité qui seraient compromis, je ne puis mieux terminer que par un passage des observations d’une ville intéressante. Voici comment s’exprime la chambre de commerce de Venloo :

« Le beau travail de MM. Simons et De Ridder surtout nous a paru devoir mériter toute l’attention du gouvernement, car il nous semble hors de doute que l’exécution de la route en fer projetée rendrait non seulement au port d’Anvers toute son activité, mais qu’elle sera un bienfait inappréciable pour les contrées qu’elle traversera, pour ces fertiles campagnes du Brabant, auxquelles elle procurera une vie aussi prompte qu’économique pour l’écoulement du superflu de leurs riches récoltes, et pour cette province de Liége surtout, si riche par son industrie et par ses mines, et à laquelle, depuis la séparation avec la Hollande, Il n’a manqué que de bonnes voies d’écoulement. »

Depuis trois ans et demi, nous ne craignons pas de le dire, la Belgique a perdu son temps, quant aux intérêts matériels du pays. La loi dont vous vous occupez a été présentée le 18 juin dernier. Tandis que vous délibérez, la Prusse dont on met en doute les intentions, a déjà décrété l’établissement d’une route en fer ; la Hollande tenant peu de compte de son Rhin, a obtenu de la Prusse de faire une route en fer. Les villes anséatiques, la France, la Hollande, se disputent le marché de l’Allemagne devenu le centre d’une immense consommation depuis la confédération commerciale qui vient de se former.

Malheur au pays qui se laisserait devancer dans cette carrière ! Honte au pays qui, se disant libre, laisserait sa liberté dans un mol abandon, dans une tâche égoïsme, qui ayant devant les yeux une perspective si prospère, fermerait invinciblement les yeux, qui ayant entre les mains l’instrument de sa propre fortune laisserait misérablement l’instrument se briser entre ses mains.

Mais gloire à la nation qui, à trois années de sa naissance après avoir traversé des jours mauvais, se montrerait l’égale des plus fortes et des plus anciennes, qui enchaînée et mutilée, hélas ! en deux de ses parties, saurait se redresser sur elle-même et puiser dans ses propres forces des germes de vie et de gloire.

C’est à de tels signes, messieurs, que la véritable grandeur d’un peuple se reconnaît ; c’est par de tels combats qu’on fait oublier de douloureuses défaites ; c’est par de telles victoires qu’on égale et qu’on justifie d’anciens triomphes, que l’on conquiert ce qui peut rester de Belges hostiles, ou même indifférents à la Belgique ; que l’on fortifie le sentiment national ; que l’on obtient l’estime, la considération, les sympathies de l’étranger, qu’une nation laisse des traces de son passage dans le monde et lègue à l’avenir un nom respecté.

Messieurs, j’ai parcouru rapidement les divers aspects de la question sous le rapport de l’utilité, de la possibilité, de la justice, de l’urgence. Il resterait à se poser cette question :

Qui doit être l’entrepreneur de ce monument national ?

En quelles mains confier ce précieux dépôt ?

A quelle garde livrer cette source de vie et de prospérité ?

Je me confie au patriotisme de chacun de vous, messieurs, pour répondre à cette question. En traitant, en ce moment, de l’exécution de la route par l’Etat, je craindrais d’affaiblir l’impression qu’ont dû laisser dans vos esprits les discours pleins de solidité de MM. Nothomb et Devaux. Je m’arrête là pour aujourd’hui me réservant de vous présenter quelques arguments nouveaux dans la discussion des détails.

M. de Puydt. - Messieurs, malgré tout mon désir de ne pas fatiguer la chambre, je me vois obligé de rentrer dans la discussion. Les questions soulevées sont loin d’être épuisées. ; l’influence de leur décision sur l’avenir du pays est trop majeure pour qu’aucun de nous consente volontairement à voir abréger les débats, aussi longtemps qu’il sera possible d’y apporter de nouveaux éclaircissements.

M. le rapporteur de la section centrale, l’honorable commissaire du Roi, M. Devaux et d’autres orateurs, ont captivé à diverses reprises votre attention, par les développements qu’ils ont donnés à leur opinion sur les points en contestation entre les soutiens et les adversaires du projet. Ces développements ne peuvent rester sans réponse.

Je laisse à mes honorables collègues qui s’en sont occupés, la réplique sur les considérations de haute économie commerciale ; pour moi je me bornerai à combattre les arguments opposés à mes propres doctrines.

L’utilité des chemins de fer a été de nouveau proclamée avec une abondance de raisons d’autant plus inutiles, qu’il n’y a, à cet égard, aucune contestation.

Personne de nous, que je sache, n’a prétendu établir que des communications nouvelles pouvaient être nuisibles aux contrées qu’elles traversent : c’est là une vérité si triviale que sa démonstration est devenue puérile. Personne de nous n’a prétendu que des communications perfectionnées ne doivent pas remplacer dans une contrée quelconque d’autres communications plus imparfaites, quand il y a impossibilité de les établir. Personne enfin n’a dit ou voulu dire que ces perfectionnements ne dussent accroître le mouvement commercial de ces mêmes contrées au point de contribuer en définitive à l’avantage de ceux mêmes qui dans les premiers instants auraient pu en éprouver un dommage momentané.

D’accord avec l’honorable M. Smits, avec l’honorable M. Davignon sur ces principes généraux, sur la vérité des faits nombreux qui les démontrent, je n’adresse à mes adversaires qu’un seul reproche, c’est d’employer les arguments tirés de l’utilité absolue des communications pour prouver l’utilité relative d’une route nouvelle dans un cas donné.

C’est en ce sens que ces messieurs sont entièrement hors de la question, et j’appelle particulièrement l’attention de la chambre sur cette distinction ; que la route en fer doit être envisagée, quant à ses effets, sous le point de vue de sa destination spéciale, et non soutenue par des généralités qui peuvent se trouver neutralisées par les circonstances particulières déduites de cette spécialité.

Je le prouve à l’aide de l’argument employé par les deux honorables membres que j’ai cités.

Les bateaux à vapeur, au moment de leur introduction, soit en Angleterre, soit dans les provinces rhénanes, ont été l’objet d’attaques violentes ; l’alarme répandue partout où leur action devait s’exercer, a fait pousser mille clameurs, a fait prédire la ruine d’une multitude d’industries ; et telle a été après leur établissement la marche rapide des progrès du commerce, que ces mêmes industries on ont recueilli les premiers avantages.

Mais, messieurs, c’est là le sort commun de toutes les inventions nouvelles les plus utiles, dans toutes les parties du monde connu ; je pourrais, si je le voulais, venir au secours de mes contradicteurs, et leur procurer des exemples nouveaux, s’il s’agissait de soutenir une thèse générale, si c’était là la question que nous avons à traiter. Mais il ne s’agit nullement de cela ; et la question, telle que nous l’avons posée, la voici, et je vous y rappelle :

Une route en fer unique, tracée de Liége vers les Flandres, de manière à ouvrir aux produits du bassin houiller de Liége un marché exploité par le commerce du Hainaut, et où ces produits de Liége ne parvenaient pas avant l’existence de ces communications, rompt l’équilibre commercial actuel.

Une route en fer, conçue comme je viens de le dire, et dont les péages seraient établis inégalement, de manière à substituer entièrement les produits de Liége à ceux du Hainaut sur un marché donné, est un privilège qu’aucune raison politique ne pourra jamais justifier : voilà la question. Laissez donc là tous vos arguments hors d’application, et venez combattre sur le terrain même de la contestation. Dites-nous quels sont vos droits pour agir de la sorte, dites-nous quel est votre but afin que nous sachions au moins quel si grand intérêt public nécessite de notre part un sacrifice si entier, quels dédommagements nous aurions à espérer plus tard pour que nous consentions aujourd’hui à nous laisser offrir en holocauste à la prospérité de la province de Liège.

Vous auriez beau invoquer ici ces mille exemples d’accroissements spontanés de richesses dans des pays que l’on sillonne de communications nouvelles, vous ne nous prouverez pas que cette influence puisse s’étendre jusqu’à des parties du pays que ces communications ne touchent pas ; vous ne nous prouverez jamais que quand ces communications ouvrent à un foyer de production un marché qu’exploitait un autre foyer de production, par le moyen d’une communications opposée et moins parfaite, cet autre foyer de production puisse y gagner. D’ailleurs on ne pourrait nier les intentions que l’on a eues ; elles sont écrites dans les mémoires, elles sont confirmées par ce qu’a déclaré un des auteurs du projet à un député de Mons, en présence même du ministre de l’intérieur. Cet honorable ingénieur a dit très énergiquement : Nous tuerons les houillères du Hainaut sur les marchés d’Anvers et de la Hollande.

La question, messieurs, vous est présentée dans son véritable état, elle est à nu ; je prie la chambre de la voir comme je la pose, dépouillée de toutes les subtilités dont on voudrait la compliquer ; je la prie de peser dans sa sagesse s’il peut y avoir l’ombre de l’équité à vouloir qu’une province placée de la sorte hors de la loi commune se soumette sans se plaindre à cet injuste sort.

Les tableaux si riants de la richesse promise au pays ne peuvent séduire ceux dont l’avenir est menacé. C’est un avant-goût des bénéfices incalculables dont se repaissent les partisans du projet.

C’est ici le moment de réfuter quelques-unes des observations que l’on a produites hier, à l’occasion des canaux de la province de Hainaut.

Le canal de Mons à Condé a été construit dans les dernières années de notre réunion à la France ; la dépense s’est élevée à environ 5 millions, et cette dépense a été couverte par des centimes additionnels imposé à six départements parmi lesquels se trouvaient les départements belges de la Lys, de l’Escaut, de la Dyle et de Jemmape. Le produit total de ces centimes additionnels s’est élevé à 6 millions, de 1806 à 1814. Ainsi les départements belges que j’ai cités et dans l’intérêt desquels ce canal a été creusé sans qu’il nuisît en rien aux autres départements réunis ont payé et au-delà les frais de construction. Ce canal aujourd’hui, à l’état d’entretien, produit annuellement de 130 à 140,000 francs ; et comme son entretien n’exige qu’une dépense de 13,000 francs, la Belgique entière a donc sa part d’un produit net de 117 à 127,000 francs, que le commerce du Hainaut procure au trésor.

Le canal de Pommerœul a été ouvert pour affranchir la Belgique d’un droit de transit par Condé, dont le maximum s’élevait à 300,000 fr.

Par l’emploi d’un système de concession mixte adopté par le gouvernement des Pays-Bas pour la construction de ce canal, le péage a dû être élevé si haut que la charge imposée au commerce produisait plus de 800,000 fr. avant la révolution, c’est-à-dire qu’au lieu du droit de transit français, le commerce avait à payer plus du double de ce droit. Il était donc tout naturel qu’après la révolution, et quand le gouvernement actuel s’est trouvé en possession du canal, on demandât la réduction d’un tarif que la fausse manière d’envisager les concessions avait conduit le gouvernement précédent à porter à un taux si onéreux.

Le canal de Pommeroeul a coûté un peu plus de cinq millions. Il rapporte aujourd’hui 336,000 fr., c’est-à-dire, qu’il coûte au commerce ce que coûterait une concession perpétuelle, et que, déduction faite des frais d’entretien, le commerce du Hainaut verse dans le trésor au profit de la Belgique plus de 25,000 fr. Vous voyez donc bien que l’on n’a fait ici aucune faveur au Hainaut.

Le canal de Charleroy a été construit moyennant un péage calculé d’après la base adoptée pour celui de Pommerœul, c’est-a-dire par une concession à très court terme et de manière à maintenir l’équilibre des transports. Quand on a baissé le tarif du canal de Pommeroeul, c’était pour le gouvernement un devoir, un engagement pris, de baisser proportionnellement le tarif de celui de Charleroy ; ce devoir, le gouvernement s’en est acquitté. De quoi se plaindrait-il ? Il n’a fait que réparer en partie les fautes commises et qu’on commettra encore aussi longtemps qu’on méconnaîtra les vrais principes du système de concession. Les 30,000 fr. que l’on rembourse au concessionnaire du canal de Charleroy ne sont d’ailleurs qu’une faible partie des excédants produits au trésor par les canaux de l’arrondissement de Mons.

Des institutions larges et libérales peuvent seules assurer la prospérité du commerce, a dit M. Smits ; sans doute. Mais par quelle fatalité allie-t-on toujours des maximes sages à des propositions que ces maximes devraient faire repousser ? Les institutions larges et libérales que le pays doit désirer, pour la création desquelles les chambres et le gouvernement devraient unir leurs efforts, c’est l’établissement du système de concession ; je ne puis comprendre autrement ce vœu, et s’il était exaucé, bien loin d’être en opposition avec l’honorable député d’Anvers, je m’empresserai de l’appuyer de tous mes moyens.

Les concessions, dit-on, ne peuvent être admises pour la construction du chemin de fer, bien qu’on en reconnaisse l’utilité en général.

Messieurs, je veux croire pour un moment que cet aveu est sincère, malgré les arguments si absolus que l’on a invoqués contre le système en général. Mais je vois le gouvernement et ceux qui l’appuient dans cette constance, insister si fort sur la nécessité d’accepter le chemin de fer, que je dois encore revenir sur ce point.

La raison dominante est celle-ci : le gouvernement doit rester maître de la route afin de modifier à son gré le tarif.

Répéterai-je ce que j’ai déjà dit, qu’un concessionnaire saura mieux que le gouvernement apprécier la nécessité de modérer les tarifs au besoin, et, qu’à cet égard l’intérêt privé est le meilleur régulateur. Mais qu’arriverait-il ? On m’accablerait de nouveau de cent lieux communs, on épuiserait encore une fois le dictionnaire des épithètes pour flétrir les concessionnaires ; on les placerait au moins au rang de ces barons du moyen âge qui, du haut de leur donjon féodaux, se lançaient sur les voyageurs pour s’enrichir de leurs dépouilles.

Je suis saturé de ces déclamations, je n’en veux plus. C’est au cœur de la question que je vais pénétrer.

Vous voulez rester maîtres de la route à cause du transit ?

Mais commencez à prouver que le transit est possible ; assurez-le par un traité et par un traite préalable. J’ai démontré que la Prusse serait réellement l’arbitre de notre sort futur. C’est donc à la Prusse qu’il faut s’adresser avant toutes choses.

L’honorable M. Smits a dit qu’il avait la certitude, et qu’il la tenait d’un membre du gouvernement provincial de Cologne, que des avantages nous seraient accordés. Mais cette assurance, sous quelle forme a-t-elle été donnée et d’où vient que ce soit un député qui nous fasse cette confidence à demi mystérieuse, et que le gouvernement garde le silence ?

C’est à peu près comme si, à Cologne, un membre de la régence venait garantir à ses collègues, sur la foi d’un fonctionnaire belge quelconque, que la Prusse obtiendrait de la Belgique des faveurs sur lesquelles, au reste, on garderait le secret, et cela pour décider cette régence à prendre une résolution qui pourrait compromettre les intérêts du pays.

Je ne sais pas ce que répondrait la régence de Cologne à celui de ses membres qui viendrait faire une confidence de cette nature ; mais je sais bien que pour mon compte, sans prétendre dénier la vérité du propos, je dois déclarer à l’honorable M. Smits qu’un commérage aussi futile ne peut être d’aucune influence sur la question qui nous occupe.

M. Smits a parlé d’une prompte révision du tarif des douanes. Eh bien, à la bonne heure ; nous voilà sur la voie. La révision de notre tarif des douanes faite, de commun accord avec la Prusse, pour obtenir la révision du sien, tel est l’objet à traiter, et c’est de l’issue de négociations ouvertes sur cet objet que pourra sortir la possibilité d’un transit ; hors de là, rien.

Comment, par exemple, pouvez-vous espérer d’avoir des retours complets en transit, quand on voit figurer dans les tarifs belges, pour des articles appartenant aux produits industriels que l’Allemagne peut livrer à l’étranger des droits énormes, des droits prohibitifs ?

Si vous voulez que la Prusse vous favorise, favorisez la Prusse et n’empêchez pas par des droits exorbitants les transports en transit de ses produits vers les ports belges.

C’est donc la qu’est la véritable difficulté et aussi longtemps qu’elle ne sera pas levée je persiste qu’il n’y aura pas de transit à espérer pour la Belgique.

J’ai dit aussi qu’il n’y avait pas de transit en ce moment, et je le prouve malgré les assurances contraires données par d’honorables membres.

Avant la révolution le transit par les Pays-Bas se composait d’une certaine quantité de marchandises expédiées par la voie fluviale, et environ deux mille tonneaux expédiés par la voie de terre dont partie à la désignation des cantons limitrophes des Pays-Bas, entre Meuse et Rhin.

La voie fluviale nous est interdite actuellement.

Il n’y a donc qu’une partie des 2,000 tonneaux expédiés par terre qui pourrait continuer aujourd’hui à emprunter le territoire belge, parce que les marchandises destinées à la consommation d’Aix-la-Chapelle ou Trêves, par exemple, doivent, avec plus davantage pour les consommateurs, être expédiées par voitures à partir d’Anvers, que si elles remontaient le Rhin jusqu’à Cologne ; car, arrivées à ce dernier point, elles auraient à parcourir en voitures un trajet à peu près égal. Si c’est là ce que l’on appelle le transit actuel, pourquoi ne pas le dire ? Est-ce pour échapper au ridicule d’une pareille assertion ? En vérité, messieurs, entretenons la chambre d’intérêts plus graves.

On a attaqué les calculs que j’avais établis pour comparer les frais entre la voie de terre et la voie fluviale, comme n’étant pas complets. Ces calculs sont faits avec les chiffres de MM. Simons et de Ridder. Qu’on ouvre leur premier mémoire, page 21, on y trouve les données ci-après :

- Par bateaux à vapeur à la remonte, fr. 20 à 32. Moyenne, fr. 26 00

J’y ajoute l’octroi prussien : fr. 11 28

Total : fr. 37 28

- Par bateaux à vapeur à la descente, fr. 9 à 21. Moyenne, fr. 15 00

J’y ajoute l’octroi prussien : fr. 7 60

Total : fr. 22 60

- Navigation à voile à la remonte, fr. 19 à 32. Moyenne, fr. 25 50

J’y ajoute l’octroi prussien : fr. 11 28

Total : fr. 36 78

- Navigation à voile à la descente, fr. 8 40 à 17. Moyenne, fr 17 70

J’y ajoute l’octroi prussien, fr. 7 60

Total : fr. 25 30

Quant à l’octroi hollandais, je le supprime. Il s’agit d’une concurrence à maintenir par la Hollande contre notre chemin de fer, pour le succès duquel nous prétendrions faire de si grands sacrifices ; pourquoi supposerait-on que la Hollande irait conserver son octroi s’il devait anéantir son commerce ?

Je n’ai pas, dit-on, tenu compte des frais depuis la mer jusqu’à Rotterdam. Sont-ce des frais de navigation ? Mais je n’ai pas également tenu compte de ceux depuis la mer jusqu’à Anvers. Il y a bien compensation, je pense.

S’agit-il de droits à payer depuis la mer jusqu’à Rotterdam ? Mais s’il y a des droits à payer, le gouvernement hollandais les modérera ou les supprimera, comme notre gouvernement ferait des siens s’ils étaient un obstacle. Il y a une différence en faveur de la Hollande dans ce parallèle de moyens de réduction ; c’est que nous ne pouvons pas supprimer sur l’Escaut les droits que l’on nous imposera par un traité, tandis que la Hollande restera toujours l’arbitre des siens.

Mes calculs sont donc maintenus ; mais après tout ils ne sont rien dans la question…

J’ai dit et je dois redire que le chemin de fer belge sera immédiatement suivi de l’exécution du chemin de fer hollandais qui est tout aussi assurée que celle du nôtre.

Voici à cet égard un passage d’une lettre que j’ai reçue avant-hier d’Amsterdam et qui est datée du 9 mars ; car je dois vous dire que j’ai aussi des correspondances en Hollande, mais elles ne peuvent être suspectes, c’est d’ingénieur à ingénieur ; et vous savez, messieurs, que les ingénieurs sont tous du même pays. Celui-ci est l’auteur du projet hollandais… « Je suis retourné de Dusseldorf à Amsterdam, ayant achevé les opérations du projet. Nous attendons que votre chemin soit adopté pour commencer à marcher avec le nôtre.

« Le colonel Bake a donné sa démission de commandant de Lillo afin de pouvoir s’occuper exclusivement du chemin de fer ; le Roi lui en a accordé la concession.

« J’espère retourner dans cinq à six semaines sur le Rhin pour faire le projet de l’embranchement de la Rüsh ; nous sommes en concurrence avec une autre société sur les lieux, mais nous espérons l’obtenir. »

Je pense que cette communication n’est pas sans intérêt pour la question.

Messieurs, avez-vous bien sérieusement médité les conséquences de ce fait ? Je ne dois pas mettre en doute alors que, si, dans l’état actuel des choses, la Hollande a la prépondérance ; elle doit la consolider à toujours par l’établissement de son chemin de fer ; car tout ce que l’on allègue pour appuyer la proposition d’un chemin de fer en Belgique a bien plus de force encore si on l’applique à un chemin de fer hollandais, puisque nous en sommes réduits à calculer sur un mouvement commercial qui n’existe pas pour nous, tandis que la Hollande calcule sur un mouvement commercial qu’elle possède ; puisque nous en sommes réduit à porter en ligne de compte les faveurs d’un gouvernement qui ne sympathise guère avec le nôtre, tandis que les gouvernements hollandais et prussien sont étroitement liés par des intérêts de famille.

J’ai une autre remarque à faire sur le chemin de fer hollandais.

La Belgique livrait autrefois du charbon à la Hollande ; elle aspire à reconquérir cette partie de ses exportations.

Le chemin de fer hollandais, combiné avec le chemin de fer prussien, ouvre aux charbons de la Belgique un vaste débouché en Hollande. Calculez les frais de transport respectifs, et vous jugerez si, après l’exécution des voies que vous méditez, il peut vous rester encore l’espoir de conduire un seul tonneau de charbon en Hollande ; Voilà ce que vous aurez gagné sous ce rapport à provoquer le chemin de fer prussien.

Détruire la prépondérance hollandaise est à mes yeux une entreprise impossible ; établir une concurrence avec la Hollande, cela n’est pas dans la nature des choses. Car, ainsi qu’on l’a dit, le transit doit être tout à l’un ou tout à l’autre.

Revenant au principe posé, je dis : il n’y a donc aucune nécessité pour le gouvernement d’être maître de la route si elle ne peut raisonnablement avoir le transit pour objet.

Dès lors toutes les considérations à l’appui de ce motif d’intérêt général, tous les raisonnements dont on a été si prodigue pour prémunir la chambre contre le danger de livrer la route au prétendu caprice de l’intérêt privé restent sans application.

Je passe aux observations qui ont été faites relativement à la critique du tracé.

On a cru trouver des contradictions entre les principes généraux que je pose en matière de travaux d’utilité publique, et la préférence que j’assigne au tracé par la Campine.

Il n’y a là nulle contradiction ; admettant par fiction l’utilité prétendue d’une route pour le transit, admettant aussi la supposition d’un motif d’intérêt politique, et considérant que cette route ne pourra produire de quoi couvrir sa dépense avec le transit seul, je l’ai classée parmi les travaux que par exception un gouvernement aurait dû exécuter.

Le tracé primitif, dans ces suppositions, était donc préférable. Voilà ce que j’ai dit : pour me comprendre, il ne fallait pas séparer les conséquences des prémisses.

A travers la Campine, la route avait évidemment une utilité plus grande et, n’en déplaise à l’honorable commissaire du Roi M. Simons, qui trouve singulier que l’on préfère parcourir des bruyères incultes plutôt que des contrées riches, productives et sillonnées de routes nombreuses, je crois qu’il est infiniment plus louable, et plus dans les devoirs d’un ingénieur de l’Etat, surtout de contribuer à la fertilisation d’une vaste contrée, inculte faute de communications, que d’aller bouleverser l’économie des routes intérieures sans avantage réel pour le but primitivement avoué.

La province du Limbourg n’est pas, messieurs, si désintéressée dans la question qu’on voudrait le faire croire par l’indifférence avec laquelle on parle d’un changement de tracé, ou bien il faut admettre que le gouvernement oublie facilement et les engagements pris et les droits acquis.

Quand le traité du 15 novembre prescrivît l’établissement d’une communication en Allemagne par Sittard, est-ce donc sans motifs que cette stipulation fût arrêtée, et viendra-t-on me dire qu’elle fut dictée par l’intérêt général, que l’intérêt de localité n’y fut pour rien ? Ce serait mal comprendre la position d’alors, et l’esprit qui a présidé aux traités, il faudrait avoir oublié par quels semblants d’équité on a voulu arrêter ce qu’on appelait les envahissements de la propagande révolutionnaire.

Il fallait au Limbourg un dédommagement pour le morcellement de son territoire, il lui en fallait un pour son espoir trompé par la privation d’un canal indispensable à son agriculture. La compensation se trouve écrite dans le traité du 15 novembre. La communication par Sittard, chemin de fer ou canal, aurait rendu la vie à ce qui reste de cette province si maltraitée. Mais voyez la faculté qui s’attache à ceux envers qui on a été une fois injuste ou ingrat.

A peine cette compensation est-elle promise, que notre propre gouvernement s’empresse de modifier, par son projet de 1832, une disposition aussi formelle. S’est-on souvenu que la province de Limbourg avait des droits acquis ? cela au moins est douteux si on en juge par la direction donnée à ce projet qui n’emprunte plus qu’une faible partie du territoire du Limbourg, et comme il n’y a que le premier pas qui coûte pour le projet nouveau, on a bravement étouffé le souvenir des engagements du passé et le sacrifice a été consommé.

La communication promise au Limbourg en 1806 lui est enlevée par la révolution de 1814.

Celle proposée en 1830, une deuxième révolution vient encore l’ajourner ; celle stipulée par le traité du 15 novembre est aussitôt oubliée que conçue ; celle projetée en 1832 apparaît un instant, et avec elle s’évanouit pour toujours l’avenir d’une contrée que l’ingratitude politique s’apprête peut-être à abandonner tout à fait.

Ensuite on vient vous dire avec une espèce de dédain qu’il n’y a ni sens, ni raison à vouloir établir une communication dans un pays de bruyères. Je ne sais pas quels sentiments ont dû éprouver les députés du Limbourg ; mais quant à moi, je ne puis m’empêcher de témoigner ici toute l’indignation que j’en éprouve.

Mais, a-t-on dit aussi, il y aurait eu également équilibre rompu par le tracé primitif qui d’ailleurs s’approche trop du territoire hollandais et de la forteresse de Maestricht. Le premier tracé ne touche au cercle des marches du Hainaut que par son extrémité, et comme le projet ne stipulait pas d’inégalité de droits de péage, ainsi que le projet actuel, son effet ne pouvait être le même quant au voisinage du territoire ennemi, qu’importe une distance de deux ou de quatre lieues en temps de paix ! Cela est indifférent en temps de guerre ; tout mouvement commercial cesse, surtout le mouvement en transit, la position de la route n’y fait rien.

J’ai invoqué l’économie, et l’on me répond que le moyen le plus économique de tous c’est de ne rien faire, je livre cette niaiserie officielle au jugement du public.

Quant aux arguments dirigés contre les compagnies exécutantes, ii y a été répondu d’avance par les développements dans lesquels je suis entré à l’occasion du système de concession ; cependant je combattrai les plus saillants.

Il est connu de tout le monde que les compagnies concessionnaires évaluent avec plus de précision, exécutent avec plus de promptitude et d’économie, achèvent toujours, et entretiennent mieux leurs ouvrages. Tout le monde sait que les gouvernements achèvent rarement ceux qu’ils entreprennent ; il n’y a que les monuments de luxe que les gouvernements absolus sachent établir.

Ce que les compagnies ont réalisé d’ouvrages utiles, en moins de temps qu’il n’en faut souvent à l’Etat pour les concevoir et les projeter, en Amérique et en Angleterre, est immense.

C’est aussi par les administrations locales et les compagnies que sur le continent européen ont été construits les ouvrages les plus utiles ; c’est encore par les compagnies que les travaux abandonnés par l’Etat ou que l’Etat s’est trouvé dans l’impuissance d’achever ont été faits et livrés au commerce.

L’histoire du canal de St-Quentin en fait foi. Après cinquante années de travaux plus ou moins infructueux et d’énormes dépenses perdues, le canal de St-Quentin fut livré à la navigation lorsqu’on s’aperçut que l’eau se perdait dans plusieurs biefs, ce qui occasionnait aux bateaux des retards qui allaient quelquefois jusqu’à six mois pour un trajet d’un seul jour. Pendant plus de douze ans les ingénieurs de l’Etat firent des efforts constants, employèrent tous les moyens que l’art suggère pour rendre ce canal étanche, et ces efforts furent vains. En 1827 on concéda le canal à une compagnie ; en un an l’ouvrage fut terminé, et une navigation continue établie.

Je n’accuse pas les ingénieurs, car ceux même qui n’avaient pu réussir sous les ordres du gouvernement contribuèrent au succès sous l’influence de la compagnie. C’est le gouvernement seul qui était impuissant, parce que cela est dans la nature des choses ; la compagnie a dû réussir parce que l’activité et le soin prévoyant de l’intérêt privé ne manque jamais à une compagnie et que là est la véritable garantie du succès.

Il n’y a donc ni vérité, ni vraisemblance à venir prétendre, ainsi que l’a fait M. Smits, que les compagnies emploient les mêmes moyens d’exécution que l’Etat.

Passons des travaux extérieurs aux travaux belges.

Les ouvrages exécutés depuis 1824 jusqu’en 1830 sont là pour attester ce que peut l’industrie particulière, même à travers les obstacles sans nombre qui résultent de l’imperfection du système adopté par le gouvernement ; mais les difficultés dont sont hérissés les actes de nos concessions, n’ayant pas anéanti le stimulant de l’intérêt privé, le succès obtenu dans l’exécution des ouvrages prouve plus qu’ailleurs la puissance de ce moyen.

La canalisation de la Sambre, les canaux de Pommeroeul, de Charleroy, et beaucoup d’autres ouvrages inutiles à citer, ont été faits rapidement. Les obstacles du terrain, les effets désastreux d’un courant rapide, les accidents imprévus, résultant des variations du sol, vaincus par l’art et la persévérance des concessionnaires, prouvent ce que peut la constance de ceux qui ont un intérêt direct et immédiat au succès en opposition avec les lenteurs obligées d’un gouvernement qui ne dispose que de moyens successifs, et qui doit employer des intermédiaires sur lesquels l’impulsion première s’amortit.

En définitive, messieurs, les travaux faits en Belgique par les compagnies en moins de 6 ans s’élèvent à plus de 40 millions ; ceux qui les ont suivis avec quelque attention savent avec quelle ardeur ils ont été entrepris, avec quelle activité ils ont été poursuivis et achevés, avec quelle combinaison de moyens simultanés ces importants ouvrages se sont faits sur plusieurs points à la fois sans qu’il en résultât, ni confusion, ni hausse sensible dans les prix de matériaux ou de main-d’œuvre.

L’honorable M. Devaux aborde par quelques objections isolées l’examen de mes observations sur les péages.

J’aurais voulu (et je ne pense pas que la réfutation d’une doctrine quelconque puisse logiquement se faire d’une autre manière), j’aurais voulu que l’on suivît pied à pied ce que j’ai établi en principe et que l’on combattît ces principes ou que l’on contestât leurs conséquences ; mais je ne rencontre malheureusement que des objections sans suite, sur des points détachés de ma doctrine.

Par exemple ; on a reproduit contre les concessionnaires l’accusation d’usure, en donnant la liste des canaux dont les actions ont obtenu un accroissement considérable de valeur. Mais on a gardé le silence sur les observations que j’ai faites dans la séance du 14 ; je ne pense pas que cela puisse compter pour une réfutation ; je renvoie donc l’honorable membre à mes observations, et je l’engage à les considérer comme une réplique.

Ailleurs on conteste aux concessionnaires la volonté de réduire les péages qui pourraient devenir onéreux pour le commerce. On leur conteste une intelligence suffisante de l’avenir pour savoir apprécier la convenance de ces réductions. On cite à l’appui de cette assertion les démarches faites par les fondateurs de la société du chemin de fer de Liverpool à Manchester, auprès des concessionnaires des canaux de navigation établis entre ces deux villes, à l’effet d’obtenir ces réductions de péages. Je répondrai donc en détail à quelques-unes de ces observations.

Messieurs, les canaux dont il s’agit servaient principalement et servent encore au transport du minerai, des fers, du charbon de terre, nécessaires aux établissements du pays, et surtout au transport des houilles pour l’alimentation des fabriques de Manchester. Le mouvement de transport entre les deux villes étaient de 500,000 tonnes, et pour l’alimentation des villes elles-mêmes d’un million de tonnes.

Chacun sait quelle a été la progression du travail de cette industrieuse contrée, chacun sait quelle a été dans les trente dernières années l’augmentation de la population de Manchester et Liverpool ; on concevra donc facilement que les canaux qui pouvaient à peine suffire pour le prodigieux transport que je viens d’énumérer soient devenus insuffisants pour le transport des matières premières passant d’une ville à l’autre, des produits manufacturés envoyés en retour, des denrées nécessaires à l’existence des populations qui s’élevaient de part et d’autre à près de 150,000 âmes.

« Malgré tous les avantages que les canaux peuvent offrir, disent les mémoires du temps, les retards dus à l’insuffisance des moyens, à la difficulté de se procurer des bateaux, sont tels que les marchands se trouvent fréquemment obligés de faire venir du coton par le roulage, etc., etc. Nous considérons donc les moyens de transport actuels comme tout à fait au-dessous des besoins. »

Dans cet état de choses, le chemin en fer paru le moyen le plus sûr pour satisfaire aux nécessité de l’industrie.

Quand il s’est agi de le construire, les sociétaires ont dû rencontrer de l’opposition de la part des propriétaires de canaux ; il n’y a là rien que de naturel. Les propriétaires de canaux se liguèrent, et comme ils étaient nombreux, que beaucoup d’entre eux étaient en même temps propriétaires du sol sur lequel le chemin devait passer, on conçoit les efforts qu’ils ont dû faire pour mettre obstacle à la réussite d’une entreprise rivale ; mais cette opposition, mais les conditions onéreuses qu’ils dictèrent aux fondateurs du chemin en fer, sont la conséquence et non la cause de son établissement. Je ne pense pas que l’on puisse raisonnablement faire aux propriétaires des canaux un reproche de cette conduite, c’est le droit de défense de tout intérêt commercial ou industriel ; cette conduite ne résulte pas de ce que ces propriétaires étaient concessionnaires des canaux, mais de ce qu’ils avaient un intérêt à garantir contre une concurrence nouvelle.

Après l’établissement du chemin de fer les canaux ont conservé tous leurs transports, car le chemin de fer ne sert qu’au mouvement de 150,000 tonnes, formées de bestiaux et autres marchandises qui n’allaient pas par les canaux, et de 50,000 tonnes de houille provenant des mines de Huylon, qui n’ont de débouché que par le chemin de fer.

Enfin, les actions des deux canaux qui étaient respectivement en 1827, à 395 et 800 livres, se sont trouvées, en 1832, à 460 et 720 livres, ce qui, pour les deux canaux pris ensemble, constitue une valeur égale à une très légère fraction près.

Les concessionnaires de canaux ne sont donc pas cause de l’établissement de ce chemin, comme les concessionnaires de ce chemin lui-même ne seront pas cause de l’établissement d’une nouvelle voie ; si la progression de la population continue, si les besoins augmentent, si les moyens de transport actuels deviennent insuffisants.

Il n’est également pas exact, ni rationnel de dire que des concessionnaires ne peuvent jamais baisser leurs tarifs, qu’ils ne peuvent trouver d’avantage pour eux que dans ce qui est actuel et visible, c’est-à-dire le produit du maximum de la taxe.

C’est là une argumentation sans aucun fondement, sans aucune vraisemblance, c’est accuser l’industrie privée d’imprévoyance. Cela n’est pas plus admissible que si vous veniez prétendre que dans le commerce ordinaire, les marchands ne diminuent jamais le prix de leurs marchandises, lorsque leur valeur vient à décroître par l’effet d’une abondance quelconque.

Les péages, a dit M. de Ridder, sont irréductibles, parce que les concessions sont perpétuelles. L’honorable ingénieur a voulu dire que les péages étaient perpétuels, comme la concession elle-même ; car réductibles ils le sont, et qui plus est, on les réduit fréquemment et presque partout suivant les nécessités du moment, suivant la mobilité des chances du commerce. Les concessionnaires anglais font des traités avec les expéditeurs ; ils accordent des crédits, font des remises souvent très considérables, et, par des variations successives, obéissent à toutes les exigences de l’industrie dans le sens de l’intérêt commun.

Il n’y a qu’une limite dans les péages qui ne peuvent être dépassée, c’est leur maximum.

Ceux qui consultent les actes de concessions où les péages sont fixés les croient invariables comme la loi qui les a déterminés ; ceux qui veulent les suivre dans l’application doivent consulter les maisons de commission, c’est là qu’ils trouveront cotés tous les frais de transport avec la classification des éléments qui les composent. C’est à cette source que j’ai puisé pour prouver l’erreur relative à la comparaison des péages belges et anglais. La protestation faite par M. de Ridder de l’exactitude de son calcul est une erreur de plus.

Messieurs, en fait de calculs, il n’y a pas d’expérience mieux raisonnée, pas d’intelligence plus active que celle des associations commerciales. Eh bien, une société concessionnaire n’est pas plus privée de cette intelligence qu’aucune autre association ; elle est de plus dirigée dans ses opérations matérielles par des hommes qui, par état, doivent avoir acquis l’expérience nécessaire par l’application des hautes sciences spéculatives.

Pourquoi voudriez-vous supposer que des entreprises qui exigent tout à la fois argument, crédit, facultés intellectuelles, expérience et activité, ne fussent dirigées en définitive que par l’esprit de routine ? Où d’ailleurs trouvez-vous des exemples qui justifient ces allégations ?

L’honorable M. Devaux, supposant que j’ai considéré le système de concession comme adopté en France, conteste le fait et cite des opinions contraires. En déclarant que cela ne faisait pas question en d’autres pays, j’ai dit que, quant à la France ce système prenait faveur dans l’opinion, et que les bonnes doctrines finiraient par l’emporter sur la routine et le préjugé. J’invoquerai ici à l’appui de mon opinion les faits mêmes. Depuis le 1er janvier 1831, le gouvernement français a accordé à des compagnies 36 concessions pour construction de grands ponts, cinq concessions de péages pour construction de canaux et canalisation de rivière, et trois concessions de péages pour chemins de fer.

Qu’on lise au surplus le rapport fait au roi par M. de Martignac en 1829, et l’on y verra qu’à l’occasion des onze canaux dont la dépense dépassait chaque année les prévisions, le gouvernement, jugeant les causes diverses qui ont concouru à rendre les travaux plus pénibles, plus dispendieux, et plus lents, a été conduit à penser que l’Etat pourrait trouver un utile secours dans l’intervention de l’intérêt particulier.

Mais ce secours serait venu trop tard, le mal était sans remède, et le gouvernement a été réduit à porter la peine de son imprévoyance, en continuant par lui-même des entreprises qu’il avait gâtées.

On invoque l’opinion de journaux pour jeter de la défiance sur le système des concessions.

En France, selon l’honorable M. Devaux, les journaux de l’opposition, ceux du parti républicain que l’on peut, dit-il, considérer comme voulant les progrès, repoussent cependant le système de concessions ; ils n’en veulent à aucun prix.

Messieurs, l’observation honore le parti. Oui, les républicains veulent les progrès, c’est la pensée commune à tous les hommes qui vivent plus dans l’avenir que dans le présent. Mais je suis loin d’admettre qu’ils repoussent les concessions. Les journaux que l’on cite peuvent, en matière d’industrie, exprimer des opinions ou des doctrines qui n’ont pas besoin d’être coordonnées avec la couleur politique de ces journaux.

Les articles auxquels on fait allusion n’appartiennent pas d’ailleurs à la rédaction ordinaire de ces journaux, ils sont fournis pour la plupart par des membres de la corporation la plus opposée à un système d’exécution de travaux, qui se répand partout où les lumières et la liberté ont accès. Il en est quelques-uns même que je pourrais nommer, si cela était nécessaire. Mais que signifie après tout cet argument, et quelle conclusion veut-on en tirer ? Les défenseurs les plus éclairés, les défenseurs les plus chauds en France du mode de concession, ne sont-ils pas républicains ; MM. Jousselin et Cordier, par exemple, n’ont-ils pas été victimes du coup d’Etat qui a signalé les journées des 5 et 6 juin 1832 ?

En opposition à la citation faire par un de mes honorables amis d’une opinion de M. Cordier, on produit un autre passage d’un ouvrage du même ingénieur. Il y a encore là comme toujours citation tronquée. Ce n’est pas M. Cordier qui parle, c’est M. Vallée, partisan du système d’exécution par le gouvernement ; c’est M. Vallée qui prête aux paroles de M. Cordier un sens qu’elles n’ont pas et pour pouvoir s’écrier « qu’un pays est bien malheureux quand il ne s’y trouve de compagnies pour exécuter les travaux que moyennant une garantie qui leur assure 18 capitaux pour un. »

M. Cordier n’a jamais rien dit de semblable ; mais, dans plusieurs de ses ouvrages, il a démontré que les travaux multipliés exécutés par les compagnies concessionnaires anglaises, avaient tellement accru la prospérité commerciale de ce pays, que les actions de certaines entreprises avaient monté de 1 à 18 ; il ne s’en suit pas que ces compagnies qui n’ont obtenu ces bénéfices que successivement et à la longue, en aient fait la condition de l’entreprise. Je crois au contraire, qu’un pays où les travaux publics peuvent donner aux capitaux une telle valeur, est bien loin d’être à plaindre : ou M. Vallée n’a pas compris M. Cordier, ou il fait preuve de mauvaise foi.

Cette observation de M. Vallée, je l’ai d’ailleurs rencontrée dans mon discours sur les concessions ; elle rentre dans l’objection si souvent faite relativement au taux des actions d’un canal. Je crois avoir suffisamment établi que la production de richesses qui rend possible les bénéfices que l’on envie aux compagnies anglaises, est précisément l’effet que tout gouvernement bien organisé doit attendre d’un système de travaux bien entendu.

Je pense m’être assez expliqué sur ce point pour n’avoir pas besoin d’y revenir, à moins que l’on ne tente de me réfuter.

De la part d’un ingénieur des ponts et chaussées, l’exclamation échappée à M. Vallée équivaut à ceci :

L’Angleterre, où en moins de 40 ans on a fait pour plus de dix milliards d’ouvrages en communications intérieures qui ont contribué à augmenter le revenu des particuliers de plus de deux milliards, est un pays bien malheureux puisqu’il n’a pas de corps de ponts et chaussées pour diriger ses travaux.

La France, au contraire, presque privée des communications les plus essentielles, où l’on ne fait pas annuellement la dixième partie des travaux publics d’Angleterre, est un pays bien heureux, car il possède un corps composé de plus de 500 ingénieurs instruits.

Le mode d’exécution de travaux par concession est un système, dit M. Smits : à ce système on peut en opposer un autre.

Cette manière d’opposer système à système pourrait être admissible si aucun d’eux n’était justifié par l’exécution ; mais d’un côté sont les résultats que je viens de citer quant à l’Angleterre ; de l’autre, presque rien et une tentative infructueuse par l’application du mode d’emprunt aux onze canaux de France dont on parlera plus tard.

Ajoutons-y l’exemple de l’Amérique : dans le seul Etat du Connecticut on a accordé en quatre ans à cinquante compagnies la concession de cinquante routes de près de 250 lieues de développement ; elles ont été achevées dans ce court intervalle de temps.

Dans les Etats de New York, de Pennsylvanie, de Maryland, 83 compagnies ont exécuté par concessions plus de 1,400 lieues de routes et 21 grands ponts en moins de 6 ans.

Enfin la longueur totale des routes exécutées de la sorte dans l’Union depuis moins de vingt années est de 16,000 lieues ; les lignes de navigation établies dans le nord de l’Union sont immenses ; un seul canal a jusqu’a 10 lieues de longueur et franchit un point de partage de 200 mètres. D’autres non moins développées s’élèvent à des hauteurs de huit cents mètres ; ces travaux gigantesques se réalisent comme par enchantement à l’aide de l’activité des compagnies et du crédit que donne à des spéculations de ce genre la sage législation du pays.

Messieurs, il me répugne de passer, rien que de ce simple aperçu aux idées mesquines que l’on veut faire prévaloir ici et de répondre davantage a des objections qui ne méritent pas même qu’on s’y arrête. Je bornerai donc là mes répliques aux attaques contre les concessions.

L’emploi des locomotives sur les routes ordinaires a fait ici depuis plusieurs mois l’objet d’une controverse dont l’avantage, selon moi, n’est resté à personnel : les uns prétendent que le succès est complet, d’autres le contestent. Messieurs, je suis tout à fait désintéressé jusqu’à présent dans cette lutte, et je n’ai jamais prétendu m’en faire un moyen de cette invention nouvelle. Je ne combats pas d’ailleurs l’utilité des chemins de fer, je ne méconnais pas les avantages relatifs qu’ils peuvent avoir dans certains cas sur d’autres voies de transport.

Si je crois devoir parler de ces voitures, c’est pour modifier la décision trop absolue d’un honorable commissaire du Roi. Non, les locomotives dont il s’agit ne sont pas tombées tout à fait ; elles ont au contraire fait des progrès, les machines ont été perfectionnées, un nouveau système de chaudière ayant contribué à en diminuer sensiblement le poids, le principal obstacle à leur circulation est vaincu ; elles peuvent suivre les routes ordinaires, même celles en empierrement sans les écraser. Mais ces voitures réclament encore des perfectionnements à la recherche desquels travaillent avec plus de constance que jamais les infatigables mécaniciens qui s’en sont occupés depuis très peu d’années.

Une circonstance a pu faire croire que cette invention était avortée ; c’est qu’après les premiers essais on s’empressa trop tôt de considérer la machine comme parfaite ; c’est qu’on établit trop tôt des services publics avec ces voitures. Leur emploi fit craindre aux administrations chargées de l’entretien des routes une augmentation considérable de dépenses sur les routes, et l’on porta très haut les droits à payer pour ces voitures, droits qui se sont élevés jusqu’au décuplé des droits ordinaires, parce que la loi n’ayant pas prévu ceux applicables à ces machines nouvelles, leur fixation se trouva abandonnée à l’arbitraire.

Sous le rapport de la spéculation, les entreprises se trouvèrent donc contrariées, arrêtées ; mais, sous le rapport de l’art, la machine fait des progrès rapides : des essais nouveaux et successifs constateront ces progrès. En attendant, le parlement a ordonné une nouvelle enquête pour déterminer le tarif des droits que doivent payer les locomotives qui s’essaient sur les routes ordinaires. Voilà, messieurs, l’histoire exacte et impartiale de cette innovation.

Il me reste à vous communiquer une remarque qui m’a frappé.

Quand un pays est gouverné par des institutions libérales, quand un gouvernement maintient la véritable position qui lui appartient au milieu des progrès du siècle, il reste attentif à la marche de ces progrès pour en faciliter le développement, pour écarter les obstacles qui peuvent s’opposer au succès des inventions utiles.

C’est ainsi que le parlement d’Angleterre, appréciant avec cette haute intelligence qui le distingue les avantages promis à l’emploi des locomotives sur les routes ordinaires, s’empresse d’aplanir le chemin aux essais, s’éclaire par l’enquête et se dispose à fixer d’une manière équitable des droits dont le taux actuel est un obstacle que le génie des inventeurs ne peut vaincre, mais qu’il appartient à l’administration de détruire. Mais si telle est la conduite d’un gouvernement protecteur d’une sage liberté de travaux, quel contraste n’avons-nous pas sous les yeux !

Quand un gouvernement se fait entrepreneur de travaux, et entrepreneur de roulage, sa position, son intérêt l’obligent à étouffer tous les progrès, à repousser toutes les inventions nouvelles, toutes les améliorations qui, rivales de ses entreprises, viendraient en compromettre le succès. Un pareil gouvernement est obligé de suivre une marche rétrograde, il tue l’avenir.

Messieurs, le ministère belge a publié et distribué aux membres de cette chambre un mémoire pour combattre une invention utile, parce que ce gouvernement prélude à un scandaleux monopole. Cette conduite est immorale. Je la dénonce à l’Europe comme un attentat à la civilisation.

Je livre cette remarque à vos méditations, messieurs. Vous pèserez les conséquences de ce premier fait et l'espoir qu’il vous offre pour l’avenir.

Je passe aux observations que j’ai à faire sur le projet même.

Il ne faut pas être ingénieur pour savoir qu’un projet de route, de canal ou de chemin de fer, embrassant une grande étendue de pays, exige communément des opérations difficiles et multipliées sur le terrain, des études prolongées, des calculs minutieux dans le cabinet. De semblables travaux préparatoires, pour un aussi grand ouvrage, demandent un nombreux personnel, de grandes dépenses et au moins deux années d’étude.

Ces conditions sont loin d’avoir été remplies ; l’avant-projet présenté par les ingénieurs en 1832 supposait un tracé tout à fait différent du projet actuel ; l’adjudication annoncée pour le mois de mai n’a pu avoir lieu, et c’est après cette époque, quand la loi de juillet sur les concessions est venue fixer à cet égard les limites du pouvoir ministériel, que les dispositions ont été prises pour déterminer une autre direction de tracé, et en définitive pour arrêter les données d’un projet présentant un tout autre développement et traversant un pays nouveau ; et cependant, six mois après cette époque, le mémoire explicatif de ce projet nouveau était imprimé et distribué.

Je ne prétends nullement faire la critique de la conduite des auteurs de ce travail ; mais je déclare que, d’après ma conviction, je ne puis les considérer également que comme un avant-projet dont les estimations ne sont jamais précises, puisque les opérations mêmes d’après lesquelles ces estimations sont censées établis ne sont pas complètes.

Messieurs, dans le projet le mieux étudié il se rencontre des erreurs, des omissions, des fautes d’application, de ces défauts enfin que l’on corrige à mesure qu’on les découvre, soit avant, soit pendant l’exécution ; tout ingénieur qui a projeté et dirigé de grand travaux, sait cela, et ne croit pas compromettre son honneur en convenant de ces faits.

Cependant il est à remarquer, et cela ne doit pas échappé à personne, que malgré les difficultés qui se sont élevées de toutes parts sur cet avant-projet si rapidement ébauché, malgré les nombreuses observations de détails relatives aux évaluations des dépenses ; malgré la démonstration d’erreurs manifestes que la presse a signalées, les auteurs du projet ont imperturbablement soutenu leurs devis, sans reconnaître aucune erreur, sans y changer un seul chiffre ; plus habiles que tous les ingénieurs passés, présents et futurs, ils ont fait du premier coup une œuvre parfaite dans le quart du temps nécessaire, et que le temps écoulé n’a pas pu modifier.

Confiants dans leur infaillibilité, ils ont persisté à repousser toutes les observations, de quelque nature qu’elles fussent. Ils n’ont rien réfuté de ces observations, mais ils ont usé à l’égard de leurs adversaires d’une formule qui peut se traduire de la sorte : Nous maintenons ce que nous avons avancé, parce que cela est, et cela est parce que nous le maintenons.

Telle était la tactique des ingénieurs avant la discussion. Telle est encore leur tactique aujourd’hui. « Nous certifions… Nous donnons l’assurance. » Voici, messieurs, leurs arguments.

Cette attitude peut en imposer à beaucoup de personnes. Mais, je doute qu’elle inspire de la confiance à ceux qui, par expérience, connaissent l’incertitude des évaluations des travaux.

Bref, messieurs, les estimations du projet de chemin de fer ne peuvent pas être exactes, parce que l’on n’a point fait, ni pu faire, de levées du terrain, ni de nivellements détaillés qui en déterminent la forme, parce qu’on ne s’est pas assuré de la nature des différentes couches du sol par des sondages ; et comme il y a des déblais à de grandes profondeurs et des percements souterrains, ces sondages sont indispensables, pour apprécier les dépenses des terrassements.

On a appelé le défi sur la vérification des calculs : c’est détourner la question ; ce n’est pas l’exactitude de calculs résultant de l’application de certains prix à des quantités d’ouvrages que l’on conteste, c’est l’exactitude des quantités d’ouvrages eux-mêmes.

M. l’inspecteur-général, MM. les ingénieurs des ponts et chaussées composant le conseil, en donnant leur avis sur ce projet, ont pu trouver le travail bien, dans la supposition que les opérations auraient été suffisantes et rigoureusement faites ; mais ils n’ont pu garantir les données, et je défie à mon tour les membres du conseil des ponts et chaussées d’affirmer la vérité des éléments du calcul.

Ne croyez pas au reste que je veuille ici condamner d’une manière absolue le travail des auteurs du projet de chemin de fer ; je n’ai pas cette pensée : je me borne à dire et à prouver que, si ce travail est convenable comme avant-projet, il ne peut être admis comme projet d’exécution ; que si ce travail a pour objet de démontrer qu’il y a possibilité de faire un chemin de fer dans la direction donnée, cette démonstration bien établie dans cette hypothèse ne suffit pas pour fixer le rapport des dépenses aux produits. Je me hâte donc de déclarer que ce qui a été fait du projet atteste que le temps dont MM. les ingénieurs ont pu disposer a été bien employé ; mais que si ce projet n’est pas complet, c’est parce que le temps était trop court pour obtenir un meilleur résultat. Nous ne pouvons donc pas nous fier aux évaluations qu’il présente.

On dira que depuis l’époque où ils ont fait leur projet, ils ont pu faire des études nouvelles sur le terrain : je répondrai que cela n’est pas vrai ; car s’ils avaient étudié de nouveau le terrain, il en serait résulté des changements dans les estimations, ne fût-ce que d’un centime.

On dira peut-être aussi que les pièces composant le projet ont été communiquées à la chambre et que dans ces pièces se trouvent les élément du devis estimatif.

J’ai vu en effet les minutes d’un travail de reconnaissance fait par les auteurs du mémoire publié ; ces minutes qui sont la propriété de ces ingénieurs ont été déposées comme renseignements au greffe. Mais il n’y avait là rien qui pût baser un devis rigoureux, et ce sont précisément ces documents qui m’ont confirmé dans l’opinion que j’avais déjà conçue d’après la brièveté du temps employé ; c’est leur examen qui m’autorise à déclarer qu’il ne peut y avoir un seul homme de l’art qui osât y trouver une garantie de l’exactitude des évaluations.

J’ai mûrement pesé, et à des intervalles plus ou moins éloignés, toute cette affaire ; j’ai comparé les calculs des travaux présumés avec d’autres travaux analogues exécutés, et j’ai trouvé chaque fois qu’il fallait ajouter 50 p. c. au devis des ingénieurs, pour avoir quelque certitude d’approcher de la vérité.

En cela, messieurs, je suis parfaitement d'accord avec M. l’inspecteur Vifquain, et je m’en félicite, car cela me donne plus de confiance dans mon opinion.

M. Vifquain a fait une vérification critique et bien raisonnée du mémoire ; il a établi des calculs contradictoires fondés sur une expérience incontestable, et d’après lesquels il porte la dépense du projet proposé à 24 millions et demi au lieu de 16 millions et demi.

Cette opinion exprimée avec liberté et franchise est d’un très grand poids, parce que c’est celle d’un homme trop habitué aux travaux pour qu’elle ne fasse pas impression sur vos esprits. M. Vifquain, qui a fait à lui seul autant de projets et exécuté presque autant de grands ouvrages que tous les ingénieurs des ponts et chaussées réunis est ici un juge que nul ne peut récuser. Cet ingénieur est entré dans l’examen approfondi de toutes les questions de principe et d’application. Il a fait une revue complète des détails, et le jugement qu’il porte est trop bien motivé pour qu’il n’attire pas l’attention de la chambre.

Enfin, messieurs, j’invoquerai un dernier témoignage, pour justifier ma défiance relativement au total présumé des dépenses.

C’est celui de M. Cordier, inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées. Dans un ouvrage publié récemment par cet ingénieur, on trouve une évaluation moyenne du coût des chemins de fer à établir en France, en supposant un terrain ni peu ni trop accidenté et des prix analogues à ceux de la Belgique ; on y calcule séparément les diverses parties de la construction telles qu’indemnités et acquisitions de terrains, les terrassements, les ouvrages d’art, les fers, les frais de conduite et d’administration, etc., en prenant pour base tous les chemins de fer exécutés, tant en France qu’en Angleterre.

Or, d’après ces calculs, la dépense d’une route réduite aux dimensions proposées en Belgique s’élèverait à 145 fr. par kilomètre ; ce qui dépasse de plus de 50 p. c. la moyenne du projet de cette route.

Pour compléter autant que possible cet examen, je dois me borner à indiquer les principaux articles du devis qui sont insuffisants.

Terrains à acquérir.

La surface totale, a dit M. Vifquain, n’est que bien juste, et je suis de son avis.

La réponse qui y a été faite par ses contradicteurs ne me satisfait pas, parce que j’ai examiné les immenses développements que nécessitent les terrassements dans la partie la plus accidentée du pays et que l’on y a calculé trop économiquement le terrain nécessaire.

Les prix sont également modérés. Je sais par expérience que cette partie des évaluations a toujours été dépassée dans les grands travaux et principalement dans ceux où l’on avait calculé sur des moyennes plus fortes encore que celles du mémoire. On a allégué le peu de valeur des terrains. Il n’y a pas de terrains de peu de valeur quand il s’agit d’expropriation. Le tracé du canal de Meuse et Moselle le prouve ; les bruyères les plus incultes ont été considérées comme ayant acquis l’augmentation de valeur à laquelle les terrains riverains peuvent prétendre du moment qu’une communication indispensable s’établit. Les exigences des propriétaires à cet égard sont les mêmes partout ; il n’y a donc pas de raison de faire une exception pour les travaux du chemin de fer ; et comme il n’est pas rare de voir les estimations de ce genre aller au double, il y aura certainement une augmentation considérable.

Terrassements.

L’indication des quantités est très hypothétique, surtout depuis Tirlemont jusqu’à Liége, parce que les moindres variations de la ligne peuvent modifier singulièrement les hauteurs de déblais et remblais.

Les prix sont également trop modérés. Les observations de M. Vifquain sont encore ici d’un grand poids ; on le combat mal : en effet les terrassements du chemin de fer de St-Etienne à Lyon ont réellement coûté plus de 50 fr. le mètre courant. On peut consulter à cet égard le rapport de M. Seguin et l’ouvrage intitulé ; Considérations sur les chemins de fer, que l’on a déjà cité ici, où ces terrassements sont portés à 68 fr. et non à 40 fr., comme le prétendent mal à propos MM. Simons et de Ridder.

Ouvrages d’art.

Cette partie des estimations est la moins soutenable. J’ai construit 26 grands ponts dans le lit d’une rivière qui a beaucoup d’analogie avec la Vesdre, dont le régime est même moins capricieux. Ils auraient dû coûter moins que ne coûteront ceux du projet, et cependant ils ont coûté davantage, tandis que ces derniers ne sont estimés qu’à la moitié de ce que l’expérience me permet d’admettre. D’ailleurs on sait les fréquents accidents qui arrivent aux ponts de la Vesdre et combien il est nécessaire de leur donner la plus grande solidité. Les travaux du souterrain ne sont portés qu’à 150 francs le mètre courant.

Le souterrain du canal du Luxembourg, en grande partie achevé, a été estimé à raison de 300 francs par mètre, c’est-à-dire le double de l’estimation de MM. Simons et de Ridder, et ce souterrain n’a pas une surface en coupe aussi grande ; il y a une différence d’un quart. L’estimation du souterrain pour le chemin de fer devrait donc être de 400 fr. ; mais l’exécution du canal du Luxembourg a prouvé que ce prix n’était pas suffisant. La dépense réelle a dépassé de beaucoup l’évaluation ; que voulez-vous opposer à ces faits d’expérience résultant d’ouvrages analogies ? Les percements projetés sont pour la plupart en roche.

C’est principalement aux ouvrages de cette nature qu’il est le plus difficile d’assigner une dépense fixe. Il faut donc recourir à ce qui a été fait plutôt qu’aux appréciations arbitraires ; les prix du rochage des carrières sont loin de pouvoir servir de règle : il faut s’en rapporter aux données de l’expérience de semblables travaux, ont dit les auteurs du projet ; eh bien, c’est sur ces données que je me fonde.

La critique des autres parties de la dépense donne lieu à des modifications plus ou moins sensibles. M. Vifquain l’a établie en détail ; MM. Simons et de Ridder ont contesté des faits avancés par lui, mais comme les assertions de M. Vifquain sont confirmés par les mémoires sur les chemins de fer de Manchester, de St-Etienne à Lyon, etc., c’est aux faits constatés qu’il faut avoir foi : autrement l’on risque de s’égarer.

Lequel faut-il croire ? Quel résultat faut-il admettre ? Sera-ce une estimation fondée sur l’expérience de ce qui est exécuté, ou bien une estimation qui s’éloigne de ce qui est exécuté ?

A mon avis le choix n’est pas douteux, c’est l’expérience qu’il faut suivre.

Mais, dit-on, l’estimation qu’on vous offre est raisonnée ; elle s’établit article par article, ayant chacun ses données prises sur le terrain. N’est-ce pas ainsi qu’ont été établies toutes les estimations de travaux dont les devis ont été dépassés ? Est-il même un seul exemple qu’on puisse citer comme exception, et voulez-vous que contre l’expérience du coût des ouvrages semblables, dont les estimations les mieux motivées ont été quelquefois doublées, nous allions admettre la vôtre que rien ne justifie ? Car, encore une fois, ce ne sont pas les calculs qu’on doit vérifier ici, ce sont les données.

Ce ne sont pas les calculs non plus qui ont été trouvés inexacts aux projets exécutés depuis 25 ans, tant en France qu’en Belgique, en Hollande, en Angleterre, en Allemagne ; ce sont les données prises sur le terrain que l’exécution a fait reconnaître insuffisantes. Ce sont donc vos données et la plupart de vos prix que je conteste et c’est fort de l’expérience et du raisonnement que je vous déclare positivement que ma conviction est que vous dépasserez vos prévisions de 50 p. c.

Vous dites que vous avez réfuté les objections de M. Vifquain ; vous n’avez rien réfuté du tout, vous n’avez fait que répéter et soutenir obstinément ce que vous aviez établi d’abord.

N’eussé-je pas pour fonder mon opinion tous les motifs que j’ai énoncés, je vous dirais encore que dans le doute j’aime mieux m’en rapporter à l’estimation de votre maître qu’à la vôtre.

Dans mon opinion l’appréciation des dépenses d’un chemin de fer repose sur des données trop problématiques pour qu’il ne soit pas téméraire de les porter au-dessous de ce qu’ont nécessité ceux déjà construits. On sait d’ailleurs que pour ces mêmes chemins de fer invoqués en exemples, les prévisions des devis ont aussi été dépassées, et le chemin de fer de Liverpool à Manchester lui-même a coûté le double de son estimation première. D’après le devis de M. l’ingénieur Stephenson, la dépense ne devait s’élever qu’à 400,000 livres st. M. l’ingénieur Bennie l’avait évaluée à 510,000 liv. st. Le devis a été ensuite arrêté à 650,000 liv. st. et définitivement les travaux ont coûté 800,000 liv. st. ou 20,000,000 de francs, sans compter de nouvelles dépenses postérieures à son achèvement, et qui devraient être ajoutées au prix de construction.

Les frais annuels pour dépenses d’entretien et d’administration du projet du gouvernement me paraissent également avoir été portés trop bas ; à cet égard nous pouvons prendre pour exemple de calcul le chemin de fer de Liverpool à Manchester dont les comptes annuels depuis 1830 sont connus du public ; au moyen de légères corrections dans ces comptes en raison des différences de prix de matériaux, on parvient à se procurer des données suffisantes pour connaître le rapport de ces dépenses annuelles aux dépenses premières.

On y trouve que les frais de toute nature pour entretien, administration, exploitation, taxes à payer aux paroisses, remises sur les transports, pertes diverses, etc., se sont élevés moyennement à fr. 12 1/8 p. c.

Si l’on élimine les frais d’exploitation, taxes à payer aux paroisses, etc., et que l’on se borne à considérer les frais d’entretien, d’administration et d’exploitation seulement, on trouve qu’ils s’élèvent à 9 3/4 p. c.

Enfin, si l’on a égard qu’aux seules dépenses d’entretien et d’administration, celles-ci s’élèvent à 3 1/8 p. c.

Il faut remarquer que le chemin de fer de Liverpool à Manchester, à cause du luxe de certains ouvrages et des difficultés que l’on a eu à surmonter, a coûté proportionnellement beaucoup plus que ne doivent coûter les chemins de fer que nous aurions à construire en Belgique ; mais, si la dépense de construction de nos chemins doit être moindre, la dépense d’entretien et d’administration ne diminuera pas dans la même proportion, de sorte que le rapport entre ces natures de dépenses sera plus défavorable encore.

Des calculs faits en France pour fixer le rapport, en prenant, comme je le fais ici, les comptes rendus du chemin de fer anglais pour base, ont offert ce résultat que les frais d’entretien et d’administration s’élèveront pour un chemin de fer à deux voies, dans les circonstances semblables au chemin belge, à 4 5/8 p. c. Or, MM. Simons et de Ridder n’évaluent ces frais qu’à 2 1/4. Il y a donc une différence de moitié. Ce qui fait un déficit de plus de 350,000 francs dans leur propre calcul ; c’est-à-dire que, d’après ces données, les frais annuels doivent être portés au double de l’estimation.

Si, dans l’appréciation de dépenses pour lesquelles il y a des antécédents qui peuvent plus ou moins servir de règle, on trouve des inexactitudes d’application si remarquables, et tellement propres à égarer l’opinion sur les résultats de l’établissement d’un chemin de fer, combien ces mêmes résultats ne doivent-ils pas présenter d’incertitude, quand il s’agit de se rendre compte des produits présumés ! L’exagération alors est d’autant plus dangereuse que l’on a été plus modéré dans le calcul des dépenses, et c’est, je n’en doute pas, l’écueil que n’ont pas su éviter les auteurs du projet.

D’abord je demanderai à quelle estimation il faut s’arrêter ; car on en a présenté deux :

L’une porte les produits du chemin de fer à la somme de fr. 1,475,000.

L’autre à la somme de fr. 2,943,000.

Il est assez difficile de comprendre deux positions aussi différentes de la même question.

On dira que l’une, la dernière, représente la totalité du bénéfice que devrait faire le commerce, si, immédiatement après l’établissement du chemin de fer, tous les transports de marchandises et de voyageurs qui se font aujourd’hui par les routes existantes et à l’aide des procédés de roulage actuellement en usage, venaient à abandonner spontanément ces routes et à suivre en masse le chemin de fer ; mais, outre qu’une semblable supposition est absurde, je ne puis m’empêcher de faire remarquer que la différence entre les dépenses du commerce par l’emploi d’une voie nouvelle, de préférence à une voie ancienne, et qui constitue le bénéfice du commerce, réparti entre tous ceux qui l’exercent, n’est point un produit pour celui qui construit la voie nouvelle. Ce n’est qu’à l’aide d’un péage qu’une portion quelconque de ce bénéfice peut être convertie en produit ; mais alors, pour qu’il soit réalisable, il faut que le péage soit calculé de manière à n’absorber qu’une partie de cette différence ; car, sans cela, le commerce n’ayant plus de bénéfice direct n’aura aucun intérêt à changer ses habitudes et à s’aventurer sur une voie dont l’avantage ne serait pas immédiatement senti.

Il suit donc de là que c’est à la première évaluation de produits qu’il faut se reporter, parce qu’elle est réellement fondée sur l’application d’un péage aux quantités de transports que l’état du commerce rend présumables, parce qu’elle reste au-dessus de la somme des bénéfices que l’emploi du chemin de fer peut offrir au commerce, de manière à lui laisser un stimulant, sans lequel le succès de la route serait très problématique.

Mais malgré la probabilité relative de cette évaluation, les données qui la fondent n’en sont pas moins incertaines, et je n’y puis voir qu’une présomption à laquelle je n’oserai me confier aussi longtemps que l’établissement du chemin de fer n’aura pas été précédé, comme je l’ai déjà dit, du perfectionnement des communications dans les différents cantons industriels du pays, aussi longtemps que l’amélioration de nos fabricants n’en assurera pas l’écoulement à l’étranger.

Une autre correction à faire, c’est celle de l’intérêt des fonds ; elle est d’autant plus essentielle qu’elle porte sur la dépense première, et modifie par conséquent tous les rapports. On a porté cet intérêt à 5 p. c. ; l’expérience de toutes les opérations de même nature prouve qu’il faut compter au moins sur 7 p. c. ; il y a lieu de croire, disent les auteurs du projet, que les fonds seront obtenus à raison de 5 p. c. Il n’y a jamais lieu de croire contre les faits. Ce que coûte l’argent prêté pour travaux est trop connu de ceux qui en ont fait, de ceux qui en général ont quelque habitude des opérations de crédit, pour que j’aie besoin de l’étendre davantage sur ce point.

On oppose aux observations qui ont déjà été faites à cet égard, que la compagnie en demande pour le chemin de fer d’Anvers à Bruxelles, n’ayant porté l’intérêt qu’à 5 p. c. Ce que l’on oppose n’est qu’un projet, et ce projet a été pris plusieurs fois pour point de comparaison. Ce n’est pas à des projets qu’il faut recourir, c’est à l’expérience des travaux exécutés. Or, d’après l’expérience des travaux exécutés, je crois être très modéré en ne calculant que sur un intérêt de 7 p. c.

D’après cela, voici le résultat de l’opération :

MM. Simons et de Ridder portent les produits à fr. 1,175,000 ;

La dépense devant être de 24 millions et demi, et l’intérêt de 7 p. c., on a fr. 1,715,000 :

Les frais d’entretien et d’administration à 4 et demi p. c., on a fr. 1,102,500 ;

La dépense annuellement est (donc) de : fr. 2,817,500.

D’où il y aurait déficit de fr. 1,342,500.

L’utilité de la route paraîtrait d’après cela plus que contestable.

Pour résumer mes observations, messieurs, je ferai une dernière citation, extraite du Moniteur français, en date du 11 septembre 1832.

« Les chemins de fer, dit le Moniteur, sont destinés à exercer une grande influence sur les progrès de notre civilisation et de notre industrie. Un moyen aussi fécond de prospérité ne pouvait échapper à la sollicitude du gouvernement ; mais ces vastes opérations veulent être abordées avec quelque réserve, et l’administration ne doit pas ouvrir témérairement une carrière sans en avoir à l’avance mesuré et signalé l’étendue.

« La prudence impose ici deux conditions importantes : il faut rechercher d’une part quel peut être le maximum de la dépense, et d’autre part quel sera le minimum du produit sur lequel on peut raisonnablement compter. Munie de ces deux éléments, l’administration pourra provoquer l’intervention des compagnies, et appeler à son aide l’esprit d’association qui seul peut en définitive réaliser ces immenses entreprises. L’Etat ne doit donc pas songer à se charger lui-même des travaux, c’est à l’intérêt particulier qu’il faut en remettre le soin. »

Messieurs, ces conditions que le Moniteur, organe du gouvernement français, conseille si sagement, sont bien loin d’avoir été observées par le gouvernement belge, car on a fait précisément tout le contraire.

Au lieu de rechercher le maximum des dépenses, on s’est attaché à les porter à un minimum dont les hommes de l’art signalent le danger.

Au lieu de considérer quel serait le minimum des produits, on nous présente des tableaux tellement exagérés qu’ils ne peuvent inspirer aucune confiance.

Enfin au lieu de confier l’exécution des chemins de fer à l’industrie privée, le gouvernement prétend se jeter aveuglement dans une entreprise dont les éléments ont été si mal appréciés.

Il est évident que notre législation présente ici une imperfection que je voudrais voir disparaître.

J’ai quelquefois entendu dire qu’il existait autrefois à Ephèse une loi fort curieuse concernant les constructions publiques.

Quand un architecte exécutait des travaux avec économie sur les estimations premières, il recevait une récompense honorifique.

Quand l’estimation était dépassée d’une légère quotité, on le condamnait à une amende.

Et quand enfin les excédants s’élevaient à un taux exorbitant, ainsi que cela a lieu si fréquemment de nos jours les biens de l’architecte étaient confisqués, il était lui-même banni du pays.

M. Dumortier. - Très bien !

M. de Puydt. - Messieurs, je voudrais voir cette loi en vigueur dans le pays.

Je ne connais rien de plus funeste à l’intérêt public que l’exécution hasardée de ces projets gigantesques qu’un gouvernement adopte quelquefois avec tant d’imprévoyance ; et puisque le gouvernement belge persiste à vouloir se charger de toute la responsabilité de celui-ci sans employer l’épreuve si salutaire de l’industrie privée, je voudrais que cette responsabilité ne fût pas un vain mot et que si, par la faute des auteurs du projet, par celle du ministre qui en veut poursuivre l’exécution aux frais de l’Etat, les dépenses doivent dépasser les prévisions, l’excédant en soit supporté par ceux et qu’ils en soient responsables par corps.

M. Jullien. - Ils ne présenteront pas cette loi-là !

M. Simons, commissaire du gouvernement. - Je demande, messieurs, à présenter quelques observations. (Parlez ! parlez ! parlez !)

Nous avons promis de répondre immédiatement quand on en viendrait à la discussion des chiffres sur lesquels nous basons les dépenses. J’ai essayé de prendre note de ce que l’honorable M. de Puydt a dit sur ces chiffres ; mais nous demanderons jusqu’à demain pour y répondre, et nous ne répondrons actuellement qu’à la partie de son discours relative aux frais de transport sur le Rhin.

Si j’ai bien compris l’honorable membre, il veut déduire l’inutilité de la route d’une comparaison de prix de transports, que je crois tout à fait fautive. Il a dit que d’après les chiffres de notre mémoire, en comparant le fret sur le Rhin, soit par bateau à vapeur, soit par bateau à voile, en y ajoutant même le droit prussien, ce fret ne s’élevait pas à une somme aussi forte que le fret qui résulterait de notre chemin de fer, fret que nous avons évalué (page 90 du mémoire) ; mais si je fais la même comparaison, je trouve un autre résultat.

Le fret actuel sur le Rhin est de 19 à 32 fr. le tonneau ; ajoutant l’octroi prussien qui est de 11 fr. par tonneau en vertu du traité de Mayence, cela fait 30 à 43 francs. Le fret par bateau à vapeur est plus élevé que celui par bateau à voile, et c’est ce dernier que j’emploie.

En considérant la route en fer exécutée sur le territoire belge, le transport coûtera (page 90 du mémoire) 6 francs d’Anvers à Verviers et 9 francs d’Anvers jusqu’à Cologne, ou 25 à 30 francs par tonneau, ce qui est loin d’équivaloir à 30 ou 45 fr. ; ainsi votre prix moyen est inférieur à celui de la navigation à voile rhénane. Remarquez encore que nous ne comptons pas l’octroi hollandais.

M. de Puydt a parlé du droit d’octroi prussien ; mais ce droit est indépendant du chemin de fer, et il ne s’applique qu’aux barrières sur le Rhin.

Je ne vois en aucune manière comment l’utilité de la route serait compromise, même en supposant qu’elle ne fût pas continuée jusqu’au Rhin. Mais le commerce allemand est plus intéressé que nous à faire sur son territoire la section de route en fer, prolongement de la nôtre ; alors le fret total d’Anvers jusqu’à Cologne ne sera que de 17 fr., soit en remontant soit en descendant ; le prix est inférieur au prix moyen actuel du transport qui est de 20 fr. (voyez la page 32 de notre mémoire.)

Le peu d’habitude que j’ai de manier la parole m’oblige à demander la remise de cette réplique à demain.

- De toutes parts. - A demain ! à demain !

M. Gendebien. - Remettez à demain, on n’entend rien.

M. Meeus. - Je ne croyais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais une assertion faite avant-hier par l’honorable M. Devaux m’a déterminé à rompre le silence. Je n’abuserai pas de vos moments ; je passerai le plus brièvement qu’il me sera possible sur beaucoup de raisonnements qui ont été répétés à satiété.

Consulté, il y a environ un an, sur les bases du projet qui vous est soumis, je m’expliquai de cette manière. Je dis que le projet était impolitique, contraire aux véritables règles de l’économie sociale, et contraire aux principes en matière de finances ; car je vis tout d’abord les dangers du système que l’on voulait choisir.

Je le dis impolitique. En effet, j’admets, je désire la concurrence dans toute industrie, dans tout commerce ; car par cette concurrence, l’industrie et le commerce trouvent un aliment qui leur est indispensable pour se perfectionner et s’agrandir ; dès lors je ne comprends pas comment le gouvernement peut vouloir intervenir dans une lutte qui doit être laissée tout entière aux industriels.

Nous savons tous que l’Angleterre continue à prospérer parce que tous les jours, dans ce pays, une lutte acharnée existe entre les industriels, et que tout industriel qui ne veut pas entrer en lice risque sa perte.

Rien de mieux, messieurs, que la province de Liège écrase la province du Hainaut par son industrie et par son intelligence ; la Belgique ne peut rien perdre à ce qui ferait le malheur d’une province voisine dans la lutte industrielle ou commerciale, car pour écraser une province il faut au moins agir avec des forces doubles de celles qu’elle présente ; mais lorsque le gouvernement vient, avec son bras puissant, travailler au profit d’une province et au détriment d’une autre, je dis que cette manière de procéder, que j’appellerai liégeoise, est impolitique : à peine notre révolution est terminée ; nous devons tourner nos regards sur les intérêts matériels, mais peut-on vouloir débuter en semant la discorde parmi les industriels ?

C’est là ce que je disais il y a un an. Et tout en admettant, comme aujourd’hui, l’utilité des grandes communications ; tout en admettant qu’il est essentiel, si la Belgique veut lutter avec les autres nations, si elle veut marcher dans la voie de l’Angleterre, d’avoir une route en fer, je disais : C’est à l’industrie particulière, c’est à l’esprit d’association à la faire. Le gouvernement ne peut s’en occuper qu’après avoir épuisé tous les moyens possibles pour diriger l’esprit d’association vers ces entreprises.

Mais si je considérais alors ce projet comme impolitique sous les rapports que je viens d’exposer, je le trouvais contraire à tous les principes d’économie sociale.

L’expérience est pour moi le grand maître ; la théorie n’est rien. Quoique l’on puisse dire, ce qu’un homme peut faire, plusieurs le feront ; ce que les sociétés peuvent faire, le gouvernement doit être en état de l’exécuter, je m’en tiens à l’expérience.

L’expérience dit le contraire. Le gouvernement est le plus mauvais agent exécuteur de travaux que l’on puisse employer ; tout ce qu’il entreprend, tout ce qu’il administre en fait d’intérêts matériels, rapporte beaucoup moins que ce qui est exécuté ou géré par des sociétés particulières, ou mieux encore, par des particuliers. Cependant, le gouvernement paie ici d’audace ; c’est chez lui une idée fixe ; il veut exécuter la route en fer : audacieux, il espère que la fortune lui sourira.

Il y a près de deux ans que le ministre des finances proposa de vendre le reste des bois de vos domaines. Que disait-il ? Dans les mains du gouvernement, ces forêts, ces biens, ne rapportent que très peu ; et il s’appuyait sur l’expérience : il prouvait que les belles forêts, cédées dans le temps à la banque et qui ne rapportaient qu’un million au domaine, rapporteraient davantage dans des mains particulières ; en effet, sous l’administration de la banque, elles rapportèrent 1,600,000 fr.

La même chose a eu lieu pour les biens vendus par le syndicat.

En général les travaux exécutés par le gouvernement coûtent plus et rapportent moins. Et sans aller chercher des exemples bien loin, voyez ce qui se passe en ce moment dans la ville de Bruxelles. On agite la question de savoir si elle mettra son octroi en régie ou en concession ; eh bien, on lui offre 400,000 fr. au-delà de ce que cet octroi lui a rapporté en régie ; pourquoi ? parce que l’intérêt particulier administrera avec plus d’activité et d’intelligence que la régence elle-même. Ce qui est vrai pour une régence est vrai pour le gouvernement.

Dans les constructions faites par le gouvernement on a toujours dépensé 50 p. c. au-delà des estimations, quelque soin qu’on ait pris pour établir les devis. Des travaux exécutés par la ville de Bruxelles avaient été évalués à 700,000 francs : ils ont coûté plus d’un million.

Je disais encore : Le projet de la route en fer est contraire aux principes de l’administration des finances ; car alors il m’était démontré qu’on emprunterait à perte. Mais cette observation perd aujourd’hui de sa valeur, parce que nos fonds atteignent presque le pair et que le gouvernement aura toujours des prêteurs quand il voudra de l’argent.

A côté de la critique il faut pouvoir présenter une règle de conduite, ce que je fis il y a un an ; je disais : Puisque le projet que vous formez est impolitique, puisque le gouvernement est mauvais exécuteur des travaux, créez vous-même ce qui manque en Belgique ; créez vous-même l’instrument nécessaire à l’entreprise des grands travaux ; créez une société pour construire la route en fer ; tâchez d’obtenir de cette société des avantages pour le pays : la banque vous offre son crédit, employez-le ; par cette méthode vous arriverez à des conditions dont le pays profitera autant que les actionnaires.

J’ai eu sur ce sujet des conversations avec M. le ministre de l’intérieur, et puisqu’il s’agit d’intérêts généraux, je vais dire ce qui s’y est passé. J’avais quelques heures devant moi quand je fus mandé près du ministre de l’intérieur ; ne voulant pas y arriver sans offrir quelque chose à la place du plan du gouvernement, je jetai sur le papier les bases d’une société à former. Je demandai qu’on créât une société dont le fonds serait de 30 ou 40 militons de francs, et j’indiquai où l’on trouverait des capitaux ; je voulais que le but de la société fût d’ouvrir les grandes communications qui manquent au pays, et par conséquent que la société fût chargée de la construction de la route en fer. Ce que je disais, messieurs, valait quelque chose à cette époque. Je prenais sur moi la responsabilité morale de trouver des actionnaires et des capitaux.

Etablissez, ajoutai-je, dans les statuts, que les actionnaires jouiront d’un intérêt de 5 p. c. ; établissez que les bénéfices excédant 5 p. c. ne seront acquis aux actionnaires qu’à raison de 3 p. c. Je savais qu’en Angleterre certaines actions ont doublé, triplé de valeur ; j’espérais qu’il en serait de même chez nous ; c’est pour cela que je demandais que le surplus des 3 p. c. fût versé dans deux caisses différentes : l’une pour les actionnaires, l’autre pour le pays. Les actionnaires auraient disposé du premier dépôt, l’autre dépôt aurait servi à réduire le taux des péages pour les marchandises en transit, et ensuite pour les marchandises fabriquées et sortant du pays ; et enfin pour agir sur les marchandises comme le fer, le charbon, qui sont les véritables matières premières de toute industrie.

Si les prévisions de M. Devaux pouvaient se réaliser ; si les actions d’une telle compagnie pouvaient doubler ou tripler de valeur, il en résulterait que le pays deviendrait au bout de quelque temps le véritable propriétaire de la société, car, dans les statuts de la société, je mettais cette clause qu’on pourrait rembourser les actionnaires avec deux capitaux pour le capital versé.

Je compris la difficulté d’obtenir des actionnaires pour certaines parties de la route ; mais y ayant réfléchi, je vis qu’au moyen d’un subside de deux millions, il ne pourrait y avoir d’objections contre mon plan, et que ce subside pourrait être balancé par des clauses avantageuses à la Belgique.

Il avait été inséré dans les statuts de la société que les marchandises en transit paieraient sur le chemin en fer, par kilomètre de distance, 10 p. c. de moins qu’en Hollande, soit que le transport s’y fasse par canaux ou par chemin en fer. C’était acheter bien cher par la société une semblable concession.

Eh bien, messieurs, ces propositions officieuses que je fis au ministre restèrent sans résultat ; mais les capitaux qu’on voulait employer dans l’intérêt de la Belgique ne sont plus disponibles et ont reçu une autre destination, toujours cependant dans un intérêt belge. C’est de l’histoire que je raconte, mais elle fait voir combien le gouvernement a depuis longtemps l’idée fixe de vouloir faire lui-même la route, de créer un monopole, de sortir de toutes les règles et de tous les principes d’économie sociale. En croyant donner au gouvernement du pouvoir et l’affermir, on l’a, au contraire, affaibli par ces moyens qu’on n’aurait jamais dû employer.

Je suis obligé d’entrer dans ces détails, parce que j’entends raconter depuis longtemps au ministre et à ses agents qu’il faut que le gouvernement exécute la route lui-même, qu’autrement elle ne se fera pas. Cette pensée a été reproduite d’une manière bien claire dans le discours de M. Devaux. Il dit : Notre route présente des raisons spéciales pour qu’on s’écarte du système des concessions. La première, c’est le manque de capitaux, où si l’on veut, la paresse des capitaux en Belgique.

Quoi ! vous vous plaignez de la paresse des capitaux, et vous avez forcé celui qui en possède le plus pour pouvoir être utile à la Belgique, à porter ses capitaux à l’étranger, à les employer à la canalisation de la Sambre, à la jonction de la Sambre à l’Oise ! Vous avez repoussé un établissement que vous deviez chercher à conserver à la Belgique ! Heureusement qu’il a trouvé le moyen de servir la Belgique, comme il le fera partout où il en trouvera l’occasion. Le canal de la Sambre à l’Oise prouvera l’intérêt que porte cet établissement au bonheur matériel de la Belgique.

Si, continue-t-il, vous mettiez en concession la route du Rhin à l’Océan, c’est comme si vous écriviez dans la loi : La route est donnée à exploiter à la banque de Bruxelles ; la banque seule est capable de faire ce travail.

Savez-vous ce que demandait la banque ? Elle demandait que, sur six administrateurs tous nommés par le Roi, un seul fût choisi dans le conseil de la direction de la banque, pour veiller à ses intérêts. Elle ne demandait pas pour lui d’autre prérogative que tous les autres administrateurs ; seulement, à raison de la garantie que la banque aurait donnée de la somme de 15 millions versés par elle, elle demandait une surveillance bien naturelle alors qu’on apporte la moitié de ses capitaux. Tout cela a été refusé ; c’est en France que ces capitaux ont été placés dans l’intérêt de la Belgique.

« Quant à moi, dit-il, je ne veux pas qu’une propriété nationale de cette importance soit abandonnée à une compagnie aussi puissante, aussi habile, et je dirai même, sans lui en faire de reproche, parce que c’est la nature des compagnies financières, aussi intéressée. Vous n’aurez donc pas de concurrence, et dès que vous aurez écrit la concession dans la loi, vous subirez les conditions de la banque. »

Et moi, je déclare que dans l’intérêt bien entendu du pays, si le gouvernement avait cet intérêt en vue, ce n’est jamais lui qui devrait l’entreprendre. Le commerce a besoin d’indépendance. Certes, je ne rêve pas des malheurs ; loin de moi la pensée que jamais notre nationalité puisse être attaquée. Mais, sans qu’elle le soit, ne pourrait-il pas venir des circonstances où le gouvernement voulût exploiter la route d’une manière fiscale ? Se trouvant pressé par le besoin, ne pourrait-il pas venir proposer à la chambre une loi pour augmenter le péage ? En définitive, on serait obligé de consentir. Dans les moments de danger on a recours à tout. Eh bien, si cette route était concédée, si elle appartenait au commerce, vous n’auriez le droit de rien changer au péage, ni nous, ni la Belgique entière, sans manquer aux lois de l’équité.

Si, vous portant dans un avenir très éloigné, une guerre générale faisait de la Belgique des départements français, croyez-vous que le gouvernement français, jaloux de la prospérité commerciale de la Belgique, ne trouverait pas peut-être moyen de pressurer la Belgique, certain qu’il serait de ne pas la conserver longtemps ?

Voilà mes motifs, ils me font désirer en bonne et saine politique que cette route appartienne au commerce et non au gouvernement. Quand il y avait dans les statuts de la société cette stipulation que le péage pour le transit serait toujours de 10 pour cent au-dessous des frais de transport hollandais, il me semble qu’il y avait garantie suffisante. Si ce n’est pas l’importance du transit qui milite pour l’établissement de la route en fer, je ne sais pas ce qu’on invoquera si le gouvernement veut monopoliser, ce que font les entrepreneurs de diligences et les rouliers ; il aurait dû, depuis trois ans, se mettre en concurrence avec Briard et Van Gend, et autres. Le transit est de la plus grande importance pour la Belgique. C’est à l’aide du transit que toutes les industries se perfectionnent. Ce serait répéter ce qui déjà a été dit que d’entrer dans des détails à cet égard.

Je dois donc déclarer que, dans ma pensée à moi, cette société était éminemment patriotique. Ses intérêts étaient limités, et elle était en position de rendre de grands services au pays, comme elle en a déjà rendu d’éminents au commerce et à l’industrie. Cela se peut-il encore aujourd’hui ? je me permets d’en douter. Ce n’est pas moi qui viendrai dire que ce qui a pu se faire se pourrait encore : le gouvernement peut chercher les moyens de le faire, ce n’est pas moi qui les lui offrirai, je n’ai plus ce que j’avais alors. J’étais lié avec quelques grands capitalistes ; je pouvais au nom de cette société, à laquelle je ne suis pas indifférent, donner des garanties que je ne puis plus donner aujourd’hui.

Cependant tel est mon embarras : après avoir critiqué ce qu’a fait le gouvernement, après avoir dit ce qu’il pouvait faire, je ne sais si, aujourd’hui que la concession n’est plus possible, il y a lieu à refuser la construction de la route en fer. Parce que le gouvernement a eu l’imprudence de refuser ce qu’il devait accorder, faut-il que le pays en souffre ? Faut-il punir le pays de l’inexpérience et de la témérité du ministère ? Je suis dans un grand doute sur le vote que j’ai à émettre. J’avoue franchement qu’autant j’étais opposé au projet du gouvernement à l’époque où j’en ai eu connaissance, autant je suis incertain aujourd’hui.

Persuadé que le gouvernement a tout fait pour détruire l’esprit d’association et voit que le moment est venu d’exploiter sans concurrence la route en fer, je ne veux ni ne dois refuser une communication utile au commerce. J’en connais trop le prix pour ma part. Comme l’a dit l’honorable M. de Puydt, les communications, les moyens de transport sont ce qui constitue le commerce ; en multipliant les communications, vous augmentez le commerce et l’industrie.

Au fond, sachant que la route sera mal faite, qu’elle coûtera plus que n’ont prévu les ingénieurs, qu’elle prendra plus de temps qu’on ne l’a annoncé, je ne sais pas s’il ne vaut pas mieux encore avoir une route mal faite, une route onéreuse au pays que de n’avoir pas de route.

C’est dans cette alternative que je suspends mon vote. Les amendements qui ont été proposés, la concession qu’a faite le ministère en promettant un embranchement pour le Hainaut, sont des motifs pour que je fasse moins de difficultés à accorder la route. Dès que l’injustice cesse pour le Hainaut, et je laisse aux honorables députés du Hainaut le soin de prononcer sur ce point, c’est une raison pour m’engager à voter pour le chemin de fer.

Avant de terminer, je ne puis laisser sans réponse ce qu’a dit M. le ministre de l’intérieur du travail des ingénieurs. Il en a vanté l’exactitude ; il a dit qu’il était certain de l’évaluation des produits, de l’évaluation des dépenses. Où pouvons-nous vérifier ce qu’il avance ? Y a-t-il eu une enquête ? Lorsque des concessionnaires demandent une entreprise au gouvernement, leurs évaluations sont vérifiées par les ingénieurs ; il y a une enquête, on sait s’il y a eu erreur dans les évaluations ; mais ici ces messieurs font leurs calculs et viennent nous dire qu’ils sont exacts ; pour moi, je n’y croirai que lorsqu’il y aura eu contrôle, lorsqu’il y aura eu enquête. Mais je doute fort que le gouvernement veuille une enquête, un contrôle ; il veut exécuter les travaux sans concurrence ; en un mot, il veut dans cette affaire être juge et partie.

Tant qu’il en sera ainsi, la chambre peut voter le projet de loi par les raisons qui me sont personnelles, parce qu’il vaut mieux avoir une route mal faite et mal exploitée que de n’avoir pas de route ; mais, certes, la chambre ne peut avoir les apaisements sur les estimations des ingénieurs qui n’ont été nullement vérifiées.

Pour ma part, je connais des estimations portées par certaines personnes à 100,000 fr., par d’autres à 150,000. C’est ce qu’on voit journellement pour les constructions faites par des particuliers dont les évaluations sont faites cependant avec le plus grand soin.

Je réserve mon vote ; il dépendra des propositions du gouvernement relativement à la province du Hainaut et des amendements qui seront présentés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable préopinant a parlé de concessions que le gouverneraient aurait faites. Le gouvernement, dès le premier jour de la discussion, a déclaré se rallier à la proposition de la section centrale ; s’il y a eu concession, ce fut donc à cette époque ; depuis lors le gouvernement, conséquent avec lui-même, a rappelé que si le projet de la section centrale était adopté, il y aurait chance pour la province du Hainaut d’avoir un embranchement ; que le gouvernement en contracterait même en quelque sorte l’obligation, puisque cet embranchement serait compris dans la loi. Voila le seul fait constant.

L’honorable préopinant a ensuite raconté l’histoire d’une séance qui a eu lieu au ministère de l’intérieur, et dans laquelle il aurait développé un plan d’organisation d’une compagnie chargée de l’exploitation de la route en fer, plan que malheureusement pour le pays le gouvernement aurait eu l’imprudence, la témérité de ne pas accepter.

Il est bien dans mes souvenirs que l’honorable M. Meeus voulait bien prêter à une réunion qui eut lieu, au ministère de l’intérieur le concours de ses lumières et de son expérience, qu’il donna quelques explications en présence du conseil des ponts et chaussées. Mais je dois déclarer qu’il ne m’est resté aucun souvenir que l’honorable M. Meeus ait soumis au ministère aucun plan comme il vient de le rappeler. Encore moins me rappelé-je les excellentes dispositions où il aurait été de venir au secours du gouvernement pour une somme de 15 millions, disposition où malheureusement il n’est plus aujourd’hui. Je me souviens que M. Meeus s’étendit sur l’influence que les grandes communications avaient sur la prospérité de l’industrie ; qu’il traça une histoire fort judicieuse de la Compagnie des Indes. Mais quant aux propositions qu’il aurait faites au gouvernement, je n’en ai, je le répète, conservé aucun souvenir.

Du reste, messieurs, je déclare qu’alors comme aujourd’hui l’opinion du gouvernement était que tous les travaux d’intérêt matériel devaient être, dans l’intérêt du pays, exécutés par le gouvernement qui représente le pays.

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une explication.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Quand le ministre aura fini, on ne peut pas interrompre un orateur.

M. Gendebien. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce sur ou contre le projet.

M. Gendebien. - Sur ou contre, cela m’est égal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, ce n’est pas le moment, je l’ai déclaré au commencement de la séance, de discuter le mode de la route ; je ne suivrai donc pas actuellement l’honorable préopinant dans les raisons qu’il a fait valoir, pour prouver que les intérêts du commerce exigeaient que le transit fût exploité par une société particulière, attendu qu’une société particulière, bien plus que le gouvernement s’entend à faire fructifier les impôts. Nous comprenons que la banque ou toute autre société bienfaisante comme elle, en aurait relevé bien plus d’argent que le gouvernement, mais nous demanderons au commerce s’il lui convient d’être exploité par une compagnie, ou d’avoir affaire au gouvernement, plus malhabile dans l’exploitation ?

On prétend que nous avons fait tout ce que nous avons pu pour tuer l’esprit d’association en Belgique.

Je suis étonné que cette imputation sorte de la bouche de l’honorable préopinant quand il sait que le gouvernement a fait tous ses efforts pour coopérer à la création d’une association qui vient de se former, et quand le gouvernement fait journellement des concessions pour les routes.

Nous croyons que c’est en exécutant par nous-mêmes ce gros tronc de route en fer, que l’esprit d’association pourra s’établir : c’est un tronc que nous plantons en Belgique, les branches de ce tronc pousseront d’elles-mêmes.

Il se formera des compagnies pour les embranchements ; voilà les compagnies dont il faut provoquer la formation, et non les compagnies colossales qui pourraient dominer le gouvernement en leur mettant des entreprises trop considérables entre les mains.

Jamais mes mains ne signeront une loi qui aurait pour but de remettre en la possession de la banque la route nationale d’Ostende à Verviers.

On s’est plaint du défaut d’enquête. Nous soutenons que jamais aucune opération n’a été conduite de manière à recueillir plus de renseignements, plus de lumières ; l’enquête a duré près d’une année : on a interrogé le commerce dans toutes les villes ; le gouvernement savait en présence de quels intérêts immenses il se trouvait placé ; il a consulté les hommes de l’art ; les projets des ingénieurs leur ont été soumis, un homme spécial s’est appliqué à rechercher les vices qui pourraient se rencontrer dans le plan des ingénieurs : jamais en Belgique depuis que des travaux publics y ont été exécutés, enquête n’a été faite avec plus de soin que celle qui a eu lieu pour la route en fer.

M. Jullien. - Où sont les document concernant cette enquête ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Cette enquête existe dans les mémoires, dans les avis des régences, dans les journaux qui se sont occupés de la question.

L’honorable M. Meeus ne connaît pas en Belgique de travaux bien exécutés par l’Etat : je lui demanderai s’il connaît en Belgique beaucoup de travaux bien exécutés par des concessionnaires ? Quand il en sera temps, nous montrerons que le gouvernement n’a rien à envier sous le rapport de l’exécution aux concessionnaires, nous prouverons que les travaux qui honorent le plus le pays ont été faits sous la direction des ingénieurs des ponts et chaussées, et notamment sous la direction des ingénieurs qui ont tracé le plan de la route en fer. Nous citerons le canal de Pommeroeul, d’Antoing, et celui de Charleroy. Je borne là mes observations.

M. Meeus. - Messieurs, je suis obligé de vous demander quelques moments. Le ministre ne s’est pas fait faute pour sortir d’embarras, de donner un démenti. Quant à moi, je déclare que ce projet a été soumis par moi au ministre, en présence de MM. Teichmann, Smits et Vifquain. Au sortir de chez le ministre, j’ai remis à M. H. de Brouckere l’écrit renfermant mes propositions fait à la hâte et de ma main.

M. de Brouckere. - J’ai vu cet écrit, c’est de la plus grande exactitude.

M. Meeus. - On a constamment donné le change à la chambre, dans l’espoir de faire passer le projet. On nous dit : c’est la banque qui va entreprendre le projet ! La banque fait peur à nos hommes d’Etat. Cela ne m’étonne pas. Là où il y a de grands hommes, les grands établissements ne font pas peur. Le gouvernement anglais ne craint pas de voir la compagnie des Indes équiper des flottes considérables, il sait que la compagnie des Indes n’est qu’une partie du corps social ; il n’en a pas plus peur que de son bras vigoureux. Mais vous, si le soleil vous décrit votre ombre un peu plus grande que votre taille, vous avez peur !

La banque, si elle manquait à ce qu’elle doit à la nation, serait bientôt rayée des êtres vivants, comme on coupe un bras gangrené. Il n’y a que les petits hommes qui ont peur des grands établissements. Les pays où il y a de grands établissements sont riches et prospères.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne nie pas que M. Meeus ait présenté un projet écrit, mais je nie qu’il m’ait été remis. Je donne un démenti à cette assertion.

M. de Brouckere. - Je ne puis déclarer qu’une chose, c’est que l’honorable M. Meeus m’a montré un projet écrit, qu’il m’a dit soumis au ministre le jour même. J’ai lu ce projet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne l’ai pas lu.

M. de Brouckere. - Puisqu’on donne un démenti, j’affirme le fait.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si ma mémoire me trompait je serais le premier à donner des excuses à l’honorable M. Meeus. Je prie les deux personnes dont il a invoqué le témoignage et qui assistaient à la séance de s’expliquer sur ce fait.

M. Meeus m’a-t-il présenté un projet écrit ?

M. Dumortier. - Ce n’est pas cela, je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - M. de Brouckere vient de déclarer qu’il a vu dans l’après-dîner M. Meeus qui lui a remis un projet écrit qu’il a dit avoir été soumis le matin par lui au ministre.

Je prie MM. Smits et Teichmann de déclarer s’ils se souviennent qu’un projet m’ait été remis par l’honorable M. Meeus.

M. Meeus. - Je n’ai pas dit que j’avais remis une proposition écrite au ministre. Je me rappelle encore la place où je me trouvais et je tenais en mains ce même papier à l’aide duquel j’ai développé au ministre les propositions que j’aurais l’honneur de faire. C’est ce papier que j’ai remis peu d’instant après à M. de Brouckere.

M. Smits. - Je déclare que dans la conversation dont il s’agit je n’ai pas vu remettre de pièce au ministre.

M. Dumortier. - Ce n’est pas la question.

M. Smits. - Je déclare positivement me rappeler que l’honorable M. Meeus parla en termes généraux du système des concessions, mais je suis certain, au moins d’après mes souvenirs, qu’il n’a remis aucun papier, aucune pièce au ministre.

M. Teichmann. - Je me souviens parfaitement de la séance du conseil des ponts et chaussées dont il s’agit. Je me rappelle les observations verbales de M. Meeus, mais je ne me souviens nullement qu’il ait remis aucune pièce, aucun plan écrit au ministre.

M. le président. - M. Dumortier a la parole pour un fait personnel.

M. Dumortier. - Je désire donner quelques renseignements sur le fait en discussion, lequel m’est aussi connu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce qui a été dit par MM. Smits et Teichmann suffit pour éclairer le fait.

M. Dumortier. - Vous ne devez pas m’interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Vous-même m’avez interrompu.

M. Dumortier. - D’abord, je ferai remarquer qu’on a singulièrement déplacé la question. L’honorable M. Meeus avait parlé de proposition écrite, remise au ministre après la séance du conseil des ponts et chaussées ; on lui répond en lui opposant les explications verbales qu’il a données à cette séance, et où il n’aurait point parlé du plan qu’il vient de rappeler ; mais on est à côté de la question ; car l’honorable M. Meeus dit que c’est après la séance qu’il a remis au ministre une note sur ce projet.

M. le président. - Mais vous ne parlez pas sur un fait personnel.

M. Dumortier. - Permettez, m’y voici. Peu après cette séance, je rencontrai l’honorable M. Meeus, et il me dit en somme ce qu’il vient de dire à l’assemblée. L’honorable M. Fleussu était présent, il peut rapporter le fait.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Sans mettre beaucoup d’importance au fait dont il s’agit, je laisse à l’assemblée à juger entre MM. Teichmann et Smits qui assistaient à la séance, et M. Dumortier qui n’y assistait pas.

- La séance est levée à cinq heures.