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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 31 mai 1834

(Moniteur belge n°152, du 1er juin 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; il est adopté sans réclamation.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à la chambre.

« L’administration communale et plusieurs habitants de Burght demandent l’établissement d’un tribunal de première instance à Saint-Nicolas. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté par MM. Dewitte et Desmet.


« Le sieur Pauwels à Waesmunster désigne comme cause de l’ophtalmie qui désole l’armée, le savon, la lessive et l’eau qui en est infectée, dont se servent les soldats. »

« Quatre propriétaires de Bruxelles, dont les maisons ont été gravement endommagées dans les journées de septembre, demandent de nouveau le paiement de l’indemnité qui leur revient de ce chef. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. Deschamps, élu à Snef$, et dont les pouvoirs ont été récemment examinés, est présent à la séance. Il prête serment.

Projet de loi provinciale

Discussion des articles ajournés

Titre VI. Du conseil provincial

Chapitre III. De l’approbation et de l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif, relativement aux actes du conseil
Article 88

M. le président. - Nous en sommes à l’article 88 qui a été renvoyé à la section centrale. Voici la rédaction qu’elle propose :

« Art 88. Le Roi peut dans le délai fixé par l’article 112, annuler les actes des conseils provinciaux qui blessent l’intérêt général ou sortent de leurs attributions.

« Lorsque, pour l’annulation d’un acte d’un conseil provincial, le Roi juge qu’il y a lieu de recourir à l’intervention du pouvoir législatif, il peut proroger la suspension indéfiniment. Dans ce cas il présente un projet de loi aux chambres dans le cours de la session, ou, si elles ne sont pas assemblées, dans leur première session.

« Les actes des conseils provinciaux qui n’auront point été annulés par le Roi, conformément au premier paragraphe du présent article, ne pourront être annulés que par le pouvoir législatif.

« Les arrêtés royaux portant annulation ou suspension seront motivés et insérés au Bulletin officiel.

« Les conseils provinciaux ne pourront, sous aucun prétexte, refuser de se conformer aux arrêtés portant annulation ou suspension de leurs actes. »

M. le président. - M. Ernst propose l’amendement suivant :

« Les arrêtés royaux portant annulation ou suspension en spécifieront les motifs, et seront insérés au Bulletin officiel. »

(L’honorable membre expose en ces termes le développement de sa proposition :)

M. Ernst. - Messieurs, la section centrale, dans la première disposition de l’article 88, a reproduit à peu près les termes de la constitution en accordant au Roi le droit d’annuler les actes des conseils provinciaux qui sortent de leurs attributions ou blessent l’intérêt général. Mais il ne suffit pas, selon moi, que l’arrête royal dise : « attendu que l’acte du conseil provincial blesse l’intérêt général ou sort de ses attributions. » Il doit indiquer en quoi le conseil est sorti de ses attributions, de quelle manière il a blessé l’intérêt général.

Des motifs vagues et généraux ne suffisent pas ; il faut des motifs précis et déterminés.

Je crois bien que telle est la pensée de la section centrale ; dès lors mon amendement ne peut présenter aucun inconvénient. Il est d’autant plus nécessaire d’exiger des motifs spéciaux qu’il y a deux catégories de nullités dans lesquelles il serait facile de se réfugier, et d’éluder ainsi des garanties précieuses. L’annulation est une chose très grave ; il ne faut pas qu’elle dégénère en affaire de style.

Nous sommes avertis par l’expérience. J’aurai l’honneur de rappeler à la chambre une discussion qui a eu lieu dans cette enceinte relativement à la loi concernant l’ordre de Léopold.

Dans cette discussion M. le ministre des affaires étrangères est convenu lui-même que les arrêtés conférant l’ordre n’avaient pas été suffisamment motivés quoique la loi dont il s’agit exige des motifs précis.

Je crois inutile d’entrer dans d’autres développements.

- L’amendement est appuyé.

M. de Theux, rapporteur. - Il n’y a pas de doute, comme l’a dit l’honorable auteur de l’amendement, que la pensée de la section centrale a été que les arrêtés royaux ne peuvent pas se borner à dire : « attendu que les actes sortant des attributions du conseil ; » ou bien : « attendu qu’ils blessent l’intérêt général ; » elle a compris que les arrêtés royaux devaient exposer les motifs. Dans la section centrale on avait proposé une rédaction dans ce sens ; mais il lui a paru inutile d’entrer dans ce détail, et qu’il suffisait de dire que les arrêtés seraient motivés.

M. Milcamps. - Le paragraphe de l’article nouveau proposé par la section centrale diffère peu de celui qu’elle avait proposé précédemment et qui a été rejeté.

Quand l’annulation des actes supposera-t-elle l’interprétation de la loi ? Evidemment dans le cas de l’obscurité, du silence ou de l’insuffisance de la loi.

Alors le Roi ne pourra interpréter par voie de doctrine ; mais qu’arrivera-t-il ? Au lieu de suspendre l’exécution des actes, il les annulera. Et il fera bien.

D’après la jurisprudence suivie en France, les juges interprètent les lois civiles et commerciales par voie de doctrine.

En matière pénale, le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi profite au prévenu ou à l’accusé ; on ne peut jamais condamner qu’en vertu d’un texte formel.

En matière administrative, l’autorité ne peut se refuser à juger. Elle doit en cas d’obscurité, du silence ou de l’insuffisance de la loi, juger ex aequo et bono, comme jury d’équité. Telle est l’ordonnance du Roi en date du 26 janvier 1820, rendue en conseil d’Etat de l’avis du comité du contentieux.

D’après l’amendement proposé, le Roi pourra juger et suspendre indéfiniment les actes ; et en vérité, messieurs, cela équivaut à une annulation : outre qu’il présente de graves inconvénients, l’amendement est donc inutile, illusoire.

Dans une séance précédente j’ai dit que dès que vous admettiez un pouvoir inférieur et supérieur, le droit devait rester au pouvoir supérieur.

Faire intervenir la législature pendant la suspension de l’acte, en quelque sorte l’appeler à juger une contestation entre l’autorité provinciale et l’autorité supérieure ; c’est régler le passé. donner raison à l’une ou à l’autre des parties. Il ne peut résulter de là que déconsidération pour des deux pouvoirs.

Voyez, messieurs, en matière de lois civiles et commerciales, après combien d’épreuves on doit recourir à l’interprétation de la loi, et ici, en matière administrative, vous placez le gouvernement dans l’alternative d’y recourir pour chaque cas particulier, ou bien d’annuler l’acte, et il est évident que ce sera le dernier parti qu’il prendra toujours.

Je pense donc qu’il y a lieu de repousser l’amendement proposé par la section centrale.

M. le président. - L’amendement suivant est présenté par M. Doignon :

« Le Roi peut suspendre les actes des conseils provinciaux qui blessent l’intérêt général ou qui sortent de leurs attributions.

« Le veto du gouvernement cesse s’il n’est pas confirmé par le pouvoir législatif ; s’il est approuvé, l’acte du conseil sera déclaré nul et de nul effet. »

M. Doignon. - Le droit de suspension, ou ce qui est la même chose, le droit de veto, suffisent au gouvernement, sauf à déférer au corps législatif les actes du conseil.

L’article 108 de la constitution porte que le Roi ou le pouvoir législatif interviendront pour empêcher que les conseils ne blessent l’intérêt général ou ne sortent de leurs attributions.

Ainsi, deux autorités sont appelées, en pareil cas, le Roi et le corps législatif, ou l’un et l’autre dans différents cas. Je demanderai à la section centrale pourquoi elle a exclu d’une manière absolue l’intervention du pouvoir législatif ?

Quel est le but de l’article 108 ? C’est d’empêcher que les conseils provinciaux ne prennent des mesures contraires à l’ordre, à la tranquillité publique ; eh bien, ce but est parfaitement atteint en donnant le veto au gouvernement ; à l’instant même il réprime l’acte du conseil ; il en arrêté l’exécution ; ce veto lui suffit, et c’est au pouvoir législatif qu’il doit appartenir de décider définitivement.

Les chambres législatives, par la nature de leurs fonctions, sont bien plus capables que le gouvernement de juger quand les actes des conseils blessent l’intérêt général. La constitution déclare que les pouvoirs émanent de la nation et que les chambres représentent la nation (article 25 et 32 de la constitution). Ainsi, quand il s’agit de juger si un acte intéresse tout le pays, intéresse la nation, c’est le pouvoir législatif qui est juge naturel de cette question.

L’on objectera que d’après mon système les chambres auront à s’occuper des débats particuliers d’individualités : je réponds par la constitution elle-même ; l’article 108 suppose que la législature peut intervenir.

Le congrès national connaissait l’inconvénient que l’on veut signaler, et il ne s’y est pas arrêté ; il a admis en pareil cas l’intervention du Roi et du pouvoir législatif.

Dans les pays constitutionnels, où les chambres représentent la nation, toujours le pouvoir législatif peut faire des actes de haute administration. La Constituante s’était réservée beaucoup d’objets d’administration sur lesquels elle statuait. Aujourd’hui, en France, les chambres s’occupent d’une foule d’actes qui intéressent les départements et quelquefois les communes.

En Angleterre, le département s’occupe d’actes administratifs ; c’est ce que prouvent les sessions parlementaires ; on y décide sur ce que l’on appelle des « actes privés. »

Au reste ces cas sont très rares ; nous avons vécu sous le régime provincial pendant 15 années et nous n’avons pas vu d’exemple où il fallût annuler les actes d’un conseil. Quoiqu’il en soit, si la législature doit consumer quelque temps pour conserver une garantie que la constitution donne au pays, ce sacrifice ne doit rien coûter.

Je crois avoir suffisamment développé mon amendement. J’y persiste.

M. Dubus. - Les observations qui viennent d’être présentées par le préopinant s’appliquent aux dispositions de l’article 88 relatives au droit d’annulation des actes des conseils provinciaux. Ces dispositions étaient les plus importantes de l’article, alors qu’il existait des actes qui échappaient à la nécessité de l’approbation royale. Maintenant tous les actes des conseils provinciaux sont soumis à cette approbation avec cette seule différence, comme l’a fort bien fait observer M. le rapporteur, que les uns moins importants ne sont approuvés qu’une fois, tandis que les autres plus importants sont soumis deux fois à l’approbation du gouvernement.

Nous devons maintenant attacher fort peu d’intérêt à une discussion qui accorderait au Roi le droit d’annulation des actes des conseils, si ces actes ne peuvent recevoir l’exécution qu’après l’approbation royale. Je ne sais plus dans quel cas il peut être nécessaire de conserver ce droit d’annulation.

La disposition la plus importante de l’article 88 est précisément celle qui est relative aux délibérations sujettes à l’approbation royale. C’est cependant cette disposition que la section centrale propose de retrancher.

Le gouvernement qui avait senti lui-même, dans l’intérêt du pays, les inconvénients de la centralisation, a cru pouvoir apporter un remède à l’un de ces inconvénients par une disposition ainsi conçue :

« Les délibérations du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées de plein droit comme approuvées par le Roi si, dans le délai de 40 jours après celui de l’adoption par le conseil, il n’est intervenu de décision contraire. »

En effet, si toutes les délibérations du conseil sont soumises à l’approbation royale, si le Roi doit donner ou refuser cette approbation, il faut déterminer un délai dans lequel le gouvernement ait à se prononcer, il ne faut pas que le gouvernement en s’abstenant de donner une décision, soit par négligence, soit par astuce, entrave l’administration. Cependant, c’est ce qui pourra arriver si la disposition dont je viens de donner lecture n’est pas maintenue.

La section centrale propose la suppression de cette disposition par différents motifs. L’un de ces motifs est que ce paragraphe est en opposition avec les dispositions de l’article 87, qui soumettent à l’approbation royale les actes les plus importants des conseils. Je ne trouve entre ces deux articles aucune opposition. Plus l’article 87 est étendu, plus il y a de centralisation, plus les inconvénients que la centralisation présente sont à craindre, et plus il importe d’y porter remède. La disposition dont il s’agit peut être contraire à l’esprit de l’article 87, mais elle vient pour en empêcher l’abus.

Le second motif de la section centrale est qu’il peut arriver que le gouvernement ait besoin d’un plus grand délai. Parce que cette disposition, qui présentait une garantie aux conseils, pouvait dans certains cas gêner le gouvernement, on la supprime.

Si cette disposition présentait des inconvénients, il fallait y chercher un remède : il fallait formuler des exceptions pour certains cas, et maintenir la garantie pour les autres.

Il arrivera rarement que le délai de 40 jours soit insuffisant, mais il serait pourvu à tout en autorisant le gouvernement à prolonger le délai pour un arrêté motivé qui fixerait le nouveau délai. De cette manière la garantie posée dans l’article 88 serait consacrée et le gouvernement ne serait jamais gêné dans son action. La garantie serait conservée, parce que le gouvernement n’irait pas, sans nécessite, prendre un arrêté spécial pour prolonger le délai de 40 jours fixé par l’article.

L’article 88 serait ainsi conçu :

« Les délibérations du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées, de plein droit, comme approuvées par le Roi, si, dans le délai de 40 jours après celui de l’adoption par le conseil provincial, il n’est intervenu de décision contraire, ou au moins un arrêté motivé, par lequel le gouvernement fixera le nouveau délai qui lui est nécessaire pour se prononcer. »

M. d’Hoffschmidt. - La nouvelle rédaction de l’article premier en discussion, présentée par la section centrale, n’apporte, selon moi, d’autre changement notable au premier projet qu’en ce qu’il est fixé un délai pour l’annulation des actes des conseils provinciaux, tandis que primitivement la section centrale, ainsi que le projet du gouvernement, accordait au Roi le pouvoir exorbitant d’annuler ces actes en tout temps ; cette disposition que rien ne pouvait justifier étant abandonnée, je ne m’y arrêterai pas.

Mais les autres inconvénients graves de l’article 88, signalés dans l’une de nos précédentes séances, restent debout, et c’est dans le paragraphe premier de la nouvelle rédaction qu’ils se représentent ; car la disposition qu’il contient nous replonge dans le vague de l’arbitraire que nous voulons éviter.

La section centrale objecte que la constitution ayant consacré ces expressions (qui sortent de leurs attributions ou blessent l’intérêt général), elle a cru devoir les conserver.

Mais, messieurs, si ces expressions ne sont que la reproduction d’une disposition de la constitution, elles sont inutiles, vous pouvez les rayer ; car une disposition constitutionnelle n’a pas besoin d’être reproduite pour recevoir son exécution. Il vous restera alors à déterminer les cas dans lesquels le conseil pourrait par ses actes blesser l’intérêt général en sortant de ses attributions : par là vous remplirez l’intention évidente du législateur qui n’a fait que consacrer des principes dans l’article 108 de la constitution, en disant que la loi doit empêcher que les conseils sortent de leurs attributions et blessent l’intérêt général.

Mais encore une fois c’est là le principe ; et moi aussi, messieurs, je veux empêcher que les conseils provinciaux s’ingèrent dans les intérêts généraux du pays, parce que ce pas là leur mission ; mais je ne puis consentir que la loi qui doit servir pour l’exécution de ce principe ne consacre rien de plus que la constitution et laisse ainsi le vague que le congrès vous a chargés de lever.

L’on me répondra sans doute que mon amendement laisse aussi ce vague ; mais il a au moins le mérite d’obliger, comme l’amendement de l’honorable M. Ernst, le pouvoir à citer les dispositions en vertu desquelles il annule les actes des conseils ; car s’il ne le faisait pas, il violerait évidemment la loi. Je préférerais cependant que les cas d’annulation fussent précisés, mais la section centrale a trouvé (d’après son honorable rapporteur) la tâche embarrassante, et elle a reculé devant des difficultés qui ne sont sans doute pas insolubles, pour ouvrir la porte à l’arbitraire.

Ce n’est pas là, messieurs, ce que le congrès ni la chambre attendaient de vous ; vous avez précisé des cas dans d’autres articles généraux, dans l’article 79 par exemple ; vous pouviez encore, vous deviez même le faire à plus forte raison dans celui qui nous occupe ; si votre série n’eût pas été complète, la chambre y eût pourvu par des amendements.

Sans cela, messieurs, nous allons retomber dans l’inconvénient grave qui s’est fait si fortement ressenti, sous l’ancien gouvernement, lorsque les états-provinciaux se trouvaient entièrement sous la tutelle par suite de dispositions semblables à celles que vous voulez introduire aujourd’hui.

Quant à moi je les redoute, et je voterai pour les amendements proposés par les honorables MM. Ernst, Fallon et Dubus.

Quant au deuxième paragraphe, je le trouve inutile, insignifiant ; en effet, que signifie une disposition telle que celle-ci : « Lorsque le Roi juge qu’il y a lieu de recourir à l’intervention du pouvoir législatif, il peut, etc., » sinon que lorsqu’il ne le juge pas, c’est-à-dire ses ministres, il fait ce qu’il veut. Je trouve de pareilles dispositions dérisoires, et je voterai aussi contre ce paragraphe.

Je n’ai pris la parole, messieurs, que pour motiver mon vote. Je n’ai pas la prétention d’éclairer l’assemblée sur une question aussi ardue ; ce vote sera négatif sur tout l’article, s’il reste conçu tel qu’il nous est présenté, et même contre toute la loi, si quelques dispositions semblables étaient encore admises.

M. de Theux, rapporteur. - L’honorable préopinant aurait voulu voir disparaître de la loi la faculté de suspendre l’exécution d’une délibération accordée au Roi.

L’honorable membre a raisonné comme s’il s’agissait d’une contestation, soit en matière judiciaire, soit en matière administrative. Il a dit que le juge ne peut se dispenser de prononcer sous le prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi.

Cette maxime de droit civil et de droit administratif n’est pas applicable ici, car il ne s’agit plus de porter un jugement, il s’agit de contenir les conseils dans les limites de leurs attributions et de les empêcher de porter atteinte à l’intérêt général. Dans ces cas, il faut nécessairement que le Roi ait le double droit d’annuler et de suspendre.

Quand il y a un doute réel qu’il ne peut pas lever, il soumet la question au pouvoir législatif.

C’est donc à tort qu’on a dit que la chambre serait constituée juge entre le Roi et le conseil. Il n’y aura pas de procès, le Roi et le conseil ne seront pas en cause, le Roi présentera aux chambres un projet de loi dans le but de suppléer à l’insuffisance des lois existantes : si les chambres adoptent le projet, le Roi pourra, en vertu de la loi, annuler la délibération ; si le projet est rejeté, la suspension tombera d’elle-même.

Je crois que ce serait placer le gouvernement dans une position funeste que de l’obliger d’annuler les délibérations des conseils provinciaux sans droit suffisamment établi, ou de garder le silence sur des actes qui dans son opinion seraient contraires à l’intérêt général ou dépasseraient les attributions des conseils. Il faut donc bien qu’il ait un droit de suspension pour que le pouvoir ait le temps de présenter au besoin un projet de loi.

L’honorable M. Doignon s’est plaint de ce que dans le projet de la section centrale on écartait l’intervention du pouvoir législatif. Il a fait la proposition que le Roi n’ait que le droit de suspendre...

M. Doignon. - Je prie M. le président de vouloir bien relire mon amendement.

M. de Theux, rapporteur. - L’honorable M. Doignon ne m’a pas compris. J’ai dit qu’il avait proposé que le Roi n’eût que le droit de suspension des actes des conseils provinciaux, et non celui d’annulation. L’honorable préopinant, en invoquant à l’appui de son opinion le paragraphe 5 de l’article 108 de la constitution, a détruit son système. Son amendement consiste à ne reconnaître que l’intervention du pouvoir législatif, tandis que la constitution a (paragraphe 5 de l’article 108) formellement reconnu l’intervention du pouvoir exécutif. Il y a donc contradiction entre son amendement et l’autorité qu’il a invoquée pour en motiver l’adoption.

Le projet de la section centrale n’accorde pas toujours au Roi le droit d’annuler les actes des conseils provinciaux. Il suffit de lire le projet pour être convaincu qu’il ne peut annuler que lorsque leurs attributions ont été dépassées, ou lorsque l’intérêt général a été blessé. Mais lorsque le pouvoir exécutif a besoin d’une loi pour appuyer l’annulation d’un acte provincial, il faut qu’il ait recours à la législature pour en obtenir une disposition en vertu de laquelle il ait la faculté de prononcer l’annulation. C’est ce qu’indique suffisamment le droit de suspension. Je voterai$ également les arguments émis par l’honorable M. d’Hoffschmidt. Il aurait voulu que la loi indiquât les cas où le gouvernement sera obligé de s’adresser à la législature.

Je vous prie de vouloir vous rappeler que les membres de la section centrale ont invité leurs collègues à formuler, chacun de son côté, les cas qu’ils désiraient que l’on spécifiât. Aucun d’eux n’a répondu à cet appel, et n’a fourni à cet égard aucune lumière. La section centrale, en méditant de nouveau cet article, est demeurée convaincue qu’il était impossible de poser la question comme on le demandait. Elle a dû s’en tenir à la reproduction des principes généraux.

L’honorable M. Dubus a conservé le premier paragraphe de l’article 88 du projet du gouvernement, qui considère comme approuvées les résolutions du conseil provincial qui sont soumises à l’approbation du Roi, quand quarante jours ont suivi la délibération.

Il propose de laisser au Roi la faculté de fixer lui-même le nouveau délai qu’il croit nécessaire pour donner en connaissance de cause son approbation à une mesure du conseil provincial. Je crois que l’amendement de M. Dubus ne présenterait aucun avantage. Le gouvernement pourrait fixer un délai très long, puisque l’amendement ne lui impose aucune limite. Cet amendement se bornerait à obliger le pouvoir exécutif à reconnaître qu’il n'a pas encore examiné l’affaire qui lui a été soumise. En second lieu, j’ai dit que l’approbation de plein droit était, en quelque sorte, en opposition avec l’esprit de l’article 79, qui soumet à l’approbation expresse du Roi les actes les plus importants des conseils provinciaux.

Au moyen du système du premier paragraphe de l’article 88 et de l’amendement de M. Dubus, le gouvernement, lorsqu’il ne voudrait pas s’expliquer, laisserait écouler le délai, et l’acte du conseil provincial serait exécutoire.

Il vaut mieux que le gouvernement soit forcé à s’expliquer. Il se rend, en ce cas, en quelque sorte responsable des actes qu’il approuve.

Je ne reviendrai pas sur les allusions qui ont été faites à la séance précédente.

On a prétendu que j’avais dit que les actes les plus importants devaient être soumis à une double approbation royale tandis qu’il suffirait d’une simple approbation à l’égard des actes moins importants. J’ai dit que quand il s’agissait d’une dépense d’argent, il fallait qu’il l’eût portée au budget provincial. Et du moment qu’au moyen de cette formalité il était possible de faire face à la dépense, l’ouvrage projeté pouvait être immédiatement mis à exécution. Mais je n’ai pas dit que les actes les plus importants du conseil provincial devaient être approuvés deux fois. Il eût été absurde de le soutenir. J’ai seulement dit que quand cet acte devait entraîner une dépense supérieure à la somme de 50,000 francs, l’ouvrage même devait être agréé par le gouvernement.

Je pense donc que l’amendement de la section centrale adopté hier ne dérange en aucune manière l’économie de l’article. 79.

M. H. Dellafaille - Je ne partage point l’opinion de l’honorable préopinant sur la contradiction qu’il trouve entre l’article qui impose le délai fatal imposé au gouvernement et l’article qui soumet certains actes des conseils provinciaux à l’approbation de l’autorité supérieur. Cet article a voulu que les actes les plus importants des conseils provinciaux ne pussent être mis à exécution sans l’approbation royale. Du moment que le Roi ne s’oppose pas à une mesure prise par un conseil provincial, cette mesure est suffisamment approuvée.

La disposition primitive du projet offre un avantage ; elle donne un moyen d’éviter les lenteurs dans la marche administrative. Mais si cette disposition offre des avantages, elle a aussi ses inconvénients. Nous avons déjà dit qu’il se présentera des actes des conseils provinciaux sur lesquels le pouvoir exécutif devra s’aider des lumières de diverses administrations et consulter les conseils des provinces voisines. Il peut arriver au gouvernement des réclamations particulières dans les derniers jours de l’époque fatale fixée pour l’approbation.

Si l’on met le gouvernement dans la nécessité de prononcer immédiatement, il se verra obligé d’annuler l’acte en question sans connaissance de cause, sans avoir pris les renseignements que la matière comportait, ou bien de le laisser devenir exécutoire malgré les vices qu’il pouvait offrir.

L’amendement de M. Dubus pare, il est vrai, à ces inconvénients ; la seconde partie de sa proposition détruit la première. Le gouvernement devra donner ou refuser son approbation aux actes des conseils provinciaux dans le délai de 40 jours, s’il ne lui plaît pas de prolonger ce délai. Le gouvernement pourra dire chaque fois qu’il n’a pas eu le temps de s’éclairer. Il vaut mieux supprimer ce paragraphe, et laisser au ministère toute la responsabilité d’une trop longue suspension des actes provinciaux.

L’honorable M. Milcamps a critiqué le deuxième paragraphe sur le prétexte que le pouvoir exécutif pourrait suspendre indéfiniment l’exécution des actes provinciaux.

La rédaction du deuxième paragraphe répond à son objection. La suspension n’est qu’un moyen de demander aux chambres une décision. Il est impossible que le délai soit indéfini, puisque le cas qui a donné lieu à la suspension doit être soumis à la décision de la législature pendant la session, ou si elle n’est pas réunie, à la session suivante.

Il y a des cas dans lesquels la loi peut recourir au pouvoir législatif : le premier serait celui où il trouverait la loi douteuse et obscure. Alors il est nécessaire que la loi soit interprétée aux termes de la constitution, et le pouvoir législatif doit intervenir ; l’autre cas est celui où le Roi pourrait avoir besoin du concours du pouvoir législatif à l’égard de la décision qu’il prendrait ; c’est une nouvelle autorité dont on le renforce.

On a fait le reproche à la section centrale de ne pas avoir formulé le cas d’annulation des actes du conseil ; la chose est impossible ; l’honorable rapporteur l’a dit ; on ne peut formuler les cas où le conseil pourrait sortir de ses attributions ou violer la loi ; il est impossible de prévoir les cas où la résolution du conseil nuirait à l’intérêt général. Il pourrait arriver que, cet acte, dans certains cas, ne nuisît aucunement à l’intérêt général, et que, dans d’autres circonstances, il nuisît aux intérêts de plusieurs provinces : je le répète, il est impossible de formuler les cas d’annulation de la résolution du conseil ; personne dans la section centrale n’a essayé de le faire.

Je pense avoir répondu aux objections qui ont été faites contre la proposition de la section centrale.

M. le président. - La parole est à M. Fallon.

M. Jullien. - Je demanderai tout à l’heure la parole pour une motion ; la discussion doit être réglée, car on ne se comprend plus.

M. Fallon. - Autant je désire faire profiter les conseils provinciaux de la plus grande liberté d’action dans le ménage provincial, autant je suis porté à accorder au gouvernement tous les pouvoirs nécessaires pour empêcher l’effet d’actes d’un conseil qui seraient contraires à l’intérêt général, ou qui contiendraient un excès de pouvoir ; d’autant, surtout, que je suis bien déterminé à refuser au gouvernement le remède extraordinaire et toujours dangereux, le droit de dissolution.

Ainsi que je l’ai dit dans une séance précédente, j’adopterai le premier paragraphe du nouvel article proposé par la section centrale, en ajoutant, toutefois, au droit d’annulation le droit de suspendre.

Moyennant cette addition, je demanderai la suppression des paragraphes 2 et 3 qui, suivant moi, ne font autre chose que de renouveler des débats que je considère comme parfaitement inutiles. Je vais exposer les motifs de mon opinion sur ces deux points.

Quel que soit le système politique d’un gouvernement constitutionnel, tous les pouvoirs émanent de la souveraineté, mais ils ne s’exercent que par délégation de la manière déterminée par la constitution.

Ici, en Belgique, cette souveraineté, qui réside dans la nation, a été répartie exclusivement entre trois grands pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

Lors de la discussion de la constitution, on proposa de faire concourir à cette répartition le pouvoir provincial et communal ; mais cette conception fut rejetée, et les intérêts provinciaux et communaux restèrent en sous-ordre.

A-t-on bien fait ? A-t-on mal fait ? Sur ce point nous n’avions pas à nous livrer à des théories pour rechercher ce qui devrait être, nous n’avons à constater que ce qui est. Et ce qui est dans notre constitution, c’est que les administrations provinciales et communales ne peuvent agir qu’en sous-ordre de l’un ou de l’autre des grands pouvoirs de l’Etat, auxquels seuls l’exercice de la souveraineté se trouve déléguée.

L’institution provinciale est donc une institution secondaire constitutionnellement dont le régime est abandonné à l’arbitraire de la loi, sauf l’application de quelques règles spéciales déterminées dans l’article 108 de la constitution.

Dans l’application de ces règles comme dans tous les cas non prévus spécialement par la constitution, le principe qui me semble devoir servir de solution aux difficultés qui se présentent, c’est que le cercle d’action de cette institution est placé dans le cercle d’un pouvoir plus élevé, et qu’en conséquence, dans tous les cas où l’harmonie des mouvements pourrait être troublée, c’est au pouvoir supérieur constitutionnel que l’institution secondaire dont être nécessairement subordonnée.

Vous empêcherez, nous dit la constitution, que le conseil provincial ne sorte de ses attributions et ne blesse l’intérêt général.

On est d’accord sur le mode d’empêchement, c’est l’annulation ou la suspension de l’acte au cas prévu.

Mais qui sera juge du point de fait et par qui la mesure sera-t-elle appliquée ?

Choisissez, nous répond la constitution, entre l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif.

Ici, je dois m’arrêter sur ces expressions de la constitution.

C’est une alternative et non une copulative que je lis dans le paragraphe 5 de l’article 108 de la constitution.

Ce n’est pas tout à la fois dans l’intervention du Roi et du pouvoir législatif que nous devons prendre le moyen, mais bien seulement dans l’intervention de l’un ou l’autre de ces pouvoirs.

Il faut donc choisir, et j’ai déjà dit que, pour moi, le choix ne pouvait être douteux.

Il faut qu’un acte qui blesse l’intérêt général ou qui renferme un excès de pouvoir puisse être comprimé sur-le-champ.

Le pouvoir législatif n’étant que temporairement en exercice, il y aurait trop de lenteur dans son action. Ce pouvoir sortirait d’ailleurs du véritable caractère de sa mission qui est de faire les lois et non de les appliquer.

Le pouvoir administratif n’est pas d’ailleurs dans les attributions du pouvoirs législatif, et annuler ou réformer un acte administratif, c’est incontestablement administrer.

C’est donc au pouvoir exécutif seul qu’il faut attribuer le droit d’annuler les actes des conseils provinciaux dans les cas dont il s’agit, parce que c’est ce pouvoir qui tient de la constitution la mission de faire exécuter les lois administratives, de veiller à la sûreté de l’Etat et à l’ordre public.

Mais, dit-on, cette loi sur le régime administratif peut être absurde, peut prêter à un double sens et, s’il y a lieu, à interprétation d’autorité ; il faut alors que le pouvoir exécutif n’ait que le droit de suspendre, parce que c’est au pouvoir législatif seul qu’appartient l’interprétation d’autorité.

Soit, tout cela est vrai ; mais je ne vois ni nécessité ni utilité de nous occuper de cette éventualité dans la loi que nous discutons.

Je ne partage cependant pas l’opinion de ceux qui pensent qu’en matière administrative il ne peut jamais y avoir lieu à interprétation d’autorité.

Le motif de cette opinion, c’est qu’à la différence de ce qui se pratique en matière judiciaire, où la cour qui casse ne connaît pas du fond de la question, en matière administrative, le chef de l’Etat, qui annule, peut connaître du fond de l’affaire.

Ce raisonnement ne me paraît ni exact, ni concluant.

Pas plus qu’à la cour de cassation nous n’avons l’intention de donner au Roi, alors qu’il casse l’acte d’un conseil provincial, de connaître du fond de l’affaire, dans ce sens qu’en l’annulant il aurait le droit de remplacer l’acte annulé en se mettant à la place du conseil provincial ; pas plus à lui qu’à la cour de cassation nous ne voulons attribuer le pouvoir de fixer le sens de la loi par voie de disposition générale et réglementaire, puisque ce n’est qu’au pouvoir législatif qu’appartient exclusivement l’interprétation d’autorité ; mais aussi pas plus à lui qu’à la cour de cassation, nous ne pouvons contester la faculté d’interpréter les lois administratives par voie de doctrine et d’annuler l’acte dans lequel, à sa manière de comprendre la loi, il croit remarquer une atteintes aux lois d’ordre et d’intérêt général dont il est le gardien et qu’il est spécialement chargé de faire respecter.

Ainsi donc, quant à l’interprétation de doctrine, il n’y a pas de différence à faire entre les matières administratives et judiciaires, par la raison que, dans l’un comme dans l’autre cas, c’est toujours de l’application d’une loi qu’il s’agit.

Mais cette loi qu’il faut appliquer peut être ambiguë et obscure ; les conseils provinciaux l’entendront d’une manière et le gouvernement la comprendra dans un sens différent. Le gouvernement cassera et d’autres conseils provinciaux reproduiront la délibération cassée.

Pour faire cesser une semblable collision, on pourrait, à l’instar de ce que l’on a fait pour le pouvoir judiciaire, déterminer les cas où le pouvoir exécutif devrait requérir l’interprétation législative en se bornant en ce cas à user du droit de suspendre l’exécution de l’acte.

Mais pour faire une bonne loi sur ce point, il faudrait pouvoir en préciser les cas où il y aurait nécessité du recours à l’interprétation d’autorité.

Avant d’introduire cette innovation dans notre législation ; avant d’essayer d’un régime qui n’est connu dans aucun Etat constitutionnel ; avant d’imposer au gouvernement, chargé de faire respecter les lois d’intérêt général et d’ordre public, l’obligation de s’arrêter en présenter d’une ou de plusieurs délibérations de conseils provinciaux qui persisteraient à vouloir comprendre ces lois dans un autre sens ; avant d’astreindre le chef de l’Etat à se constituer partie contradictoire avec une administration de second ordre devant le pouvoir législatif dont il forme lui-même l’une des branches, il est prudent d’attendre les leçons de l’expérience, ; d’autant que rien ne presse et qu’en l’absence de toute disposition sur l’interprétation d’autorité en matière administrative il ne peut réellement exister aucun inconvénient auquel il ne soit possible de parer aisément.

Il faut bien faire attention qu’il ne s’agit pas ici d’aviser au moyen d’assurer l’uniformité de jurisprudence en matière administrative ; car, pour les matières administratives en général, ce moyen existe dans l’article 67 de la constitution qui charge le Roi de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois.

Il s’agit exceptionnellement et exclusivement du cas où le pouvoir administratif, usant de son droit et exerçant l’un des premiers devoirs de sa surveillance, arrête l’exécution d’une disposition d’administration en sous-ordre qu’il croit hostile à l’intérêt général ou à l’ordre des attributions.

Sans doute, le pouvoir exécutif, à qui nous abandonnons l’appréciation de la disposition, peut se tromper en l’annulant, et il faut bien reconnaître qu’il est permis de le supposer, puisqu’on a bien appliqué cette supposition d’erreur à la cour de cassation, dans l’application des lois qu’elle est chargée de faire respecter.

Sans doute, si pour le cas où, malgré la cassation, le second arrêt est rendu dans le même sens que le premier et est encore cassé à son tour, on a trouvé bon de déclarer qu’il y avait lieu à l’interprétation d’autorité, il semble qu’il y a parité de raison à déclarer qu’il y a également lieu au même recours dans le cas où, malgré l’annulation de la résolution d’un conseil provincial, ce conseil ou tout autre conseil prend une résolution dans le même sens que la première.

Cependant, si l’on veut bien y faire attention, cette parité est loin d’être parfaite ; ces ordres de choses ont des caractères qui leur sont propres et qui les distinguent. Là, dans l’ordre judiciaire, la mesure est de nécessité et ne peut être remplacée par aucun autre moyen ; et ici dans l’ordre administratif son utilité peut être contestée, et le moyen ne manque pas pour faire cesser les inconvénients éventuels qui pourraient se présenter dans l’absence de toute disposition spéciale.

Le pouvoir judiciaire est placé constitutionnellement sur la même ligne que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; il ne relève ni de l’un ni de l’autre de ces pouvoirs. S’il y a conflit d’opinion sur l’application de la loi entre la cour de cassation et les cours royales, le conflit est levé concurremment par les deux autres pouvoirs qui concourent à la formation de la loi d’interprétation, et cela est tout à fait dans les convenances politique.

L’institution provinciale, au contraire, n’est qu’une branche secondaire du pouvoir administratif. S’il y a conflit d’opinion sur l’application de la loi entre l’administration inférieure et l’administration supérieure, il faut, pour être conséquents, ou bien nous en tenir à l’effet naturel que doit produire tout ordre hiérarchique, et laisser faire, sauf à intervenir d’office au besoin ; ou bien il faut observer à l’égard du pouvoir exécutif les mêmes convenances d’ordre politique qu’à l’égard du pouvoir judiciaire et ne point le soumettre à intervenir lui-même comme juge dans sa propre cause ; car, au moyen du veto, le chef de l’Etat fait partie du pouvoir législatif.

A part cette distinction d’ordre politique, il en est une autre qui vous paraîtra plus décisive. Dans le conflit judiciaire, il y a une instance que le conflit ne renverse pas, il y a une instance qui reste debout et qu’il faut évacuer, il y a enfin un procès qui doit être jugé. Il fallait bien aviser au moyen de faire arriver le procès à son terme. Le recours à l’interprétation législative, avant d’en saisir la dernière cour d’appel qui peut en connaître, était donc de nécessité indispensable.

Dans le conflit administratif, la difficulté n’est pas la même, Il n’y a pas là de procès qui reste en souffrance et attend une solution. L’action du pouvoir exécutif s’exécute dans l’ordre hiérarchique et la mesure d’astreindre ce pouvoir à recourir dans certains cas à l’interprétation législative est d’autant moins nécessaire qu’il pourrait lui-même la rendre illusoire aussi longtemps qu’il le trouverait bon, puisqu’au moyen du veto il empêcherait bien la législature d’interpréter la loi autrement qu’il n’aurait cru devoir le faire dans l’intérêt général et dans l’ordre des attributions : et, comme vous voyez qu’il annule ou qu’il suspende, la chose sera la même à son gré.

A quoi bon donc nous attacher plus longtemps à formuler une disposition pour le cas d’interprétation législative, alors qu’une loi n’est nullement nécessaire pour assurer l’indépendance des conseils provinciaux et les soustraire à toute oppression de la part du juge supérieur que la constitution leur assigne ?

Et en effet, si, en annulant l’acte d’un conseil provincial, le gouvernement n’a usé de cette mesure que parce qu’il a interprété la loi autrement que ne la comprend le conseil provincial dont l’acte a été annulé, ce conseil sera sans doute le premier à connaître les motifs de cette annulation. S’il croit que l’interprétation du gouvernement est erronée, une loi n’est pas du tout nécessaire pour lui faciliter le recours à l’interprétation législative ; cette voie lui est ouverte. Il peut directement dénoncer le fait à la chambre. Si la chambre juge qu’en effet c’est le gouvernement qui a mal interprété la loi, elle usera du droit qui lui appartient constitutionnellement, elle usera du droit d’initiative et de son droit d’interprétation d’autorité. Si elle juge au contraire que c’est le conseil provincial qui se trompe, elle s’abstiendra.

Mais, dit-on, que faire si c’est le gouvernement qui, en présence de l’acte d’un conseil provincial, est en doute sur le véritable sens de la loi ? La réponse est fort simple.

Ou bien, comme la chose sera douteuse, et c’est bien le cas où la contravention à la loi d’intérêt général sera loin d’être évidente, il laissera exécuter un acte qui lui paraîtra inoffensif ;

Ou bien dans le doute, il l’annulera, et dans ce cas le recours en interprétation d’autorité est ouvert au conseil comme nous venons de le faire observer.

Ou bien enfin dans ce doute, il ne fera usage que d’une portion du droit que nous lui concédons ; et comme qui peut plus, peut moins, il suspendra l’exécution de l’acte et provoquera lui-même l’interprétation d’autorité.

Nous n’avons donc aucunement besoin de déterminer les cas où il serait du devoir du gouvernement de provoquer l’interprétation législative en matière administrative.

Tous les actes du pouvoir administratif sont dans le contrôle des chambres, et par, conséquent il est impossible qu’il puisse abuser de son droit d’annulation ou de suspension sans que le remède ne se trouve à côté du mal.

L’oppression, pas plus que l’erreur, n’est à craindre, que l’on fasse ou que l’on ne fasse pas de loi sur l’interprétation d’autorité en matière administrative ; et comme, en fait de lois, il est toujours prudent de n’en pas faire là où la nécessité n’est pas démontrée, je persiste à demander la suppression des paragraphes 2 et 3.

M. Jullien. - La discussion est tellement obscure, tellement compliquée, qu’il me semble impossible d’en sortir.

L’article 88 qui vous est soumis contient cinq paragraphes qui tous équivalent à cinq articles, ayant chacun une très grande portée. Il est arrivé dans la discussion qu’un orateur a attaqué la tête de l’article, un autre l’a pris par la fin, et un troisième l’a pris par le centre. (On rit.) D’autres orateurs ont amendé l’article, et se sont attaches à tel ou tel paragraphe. Il est résulté de là que la discussion s’est embrouillée de plus en plus.

Je vous prie, messieurs, de vous rappeler tous les éléments de la discussion.

M. d’Hoffschmidt ne veut pas qu’on pose dans la loi un principe qui est général, et qui se trouve dans la constitution ; il énonce une opinion qui peut être également soutenue et donner lieu à des contestations.

M. Doignon veut que le Roi ait le droit de suspension ; je ferai remarquer à cet égard que dans l’article de la section centrale on parle de droit de suspendre, avant qu’on en ait posé le principe. Il dit que la suspension aura tels effets ; et cependant, il faut recourir à l’article qui viendrait après l’article 112, pour trouver que le pouvoir royal a le droit de suspension

M. Dubus veut qu’on rétablisse dans l’article une disposition primitive proposée par le gouvernement. Je suis de l’avis de l’honorable membre.

M. Ernst s’est attaché à l’avant-dernier paragraphe. Il voulait qu’on expliquât d’une manière formelle le motif qu’aurait le gouvernement d’annuler les arrêtés du conseil.

Enfin, M. Fallon vient de vous soumettre, sur le pouvoir d’interprétation qui sera donné au Roi, une théorie, une doctrine qui mérite toute votre attention.

Tels sont les éléments de la discussion. Je crois qu’il est impossible de les examiner simultanément. (C’est vrai !)

Je propose, pour rétablir l’ordre de la délibération, de discuter paragraphe par paragraphe, en s’occupant des amendements qui s’y rattachent. (Assentiment.)

- Une voix. - Il s’agit d’une discussion générale.

M. Jullien. - On parle de discussion générale ; mais si on fait une discussion générale pour tous les articles de la loi qui sont au nombre de 120 ou de 130, je ne vois pas l’espoir de terminer. Je demande en tout cas que l’on passe à la discussion des paragraphes, et j’invite chacun des membres qui ont présenté des amendements de déclarer auxquels des paragraphes ils se rattachent ; de cette manière, nous mettrons un terme à la discussion et nous aurons le moyen de voter en connaissance de cause. (Appuyé ! appuyé !)


- La proposition de M. Jullien est adoptée.

M. le président. - La discussion s’ouvre sur le premier paragraphe et sur la proposition de M. Dubus.

M. Dubus. - Je crois devoir répondre aux objections faites contre la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.

On objecte contre ma proposition qu’elle blesse l’esprit de l’article 87 qui a été adopté hier par la chambre. On dit qu’il est dans l’esprit de cet article que l’approbation à donner par le Roi soit toujours expresse ; d’ou il résulte qu’on ne saurait adopter mon amendement puisque, d’après son texte, l’approbation pourrait être tacite. Je nie que l’approbation du Roi doit être expresse. Je dis que ni le gouvernement ni la chambre n’a entendu qu’il en fût ainsi. Le gouvernement et la chambre ont pensé que les arrêtés du conseil devaient être approuvés, soit tacitement soit d’une manière expresse.

Je dis que de l’esprit de l’article 87 il résulte que l’approbation peut seulement être tacite. La chambre, en votant cet article, avait sous les yeux la proposition du gouvernement auquel le ministre n’avait pas encore renoncé ; elle n’a pas pensé que l’approbation royale devait être expresse ; s’il en eût été autrement, elle aurait mis le mot « expresse » dans l’article.

Le sens de l’article 87 a été élargi ; plus il y aura d’actes qui devront être soumis à l’approbation du Roi avant d’être mis à exécution, plus nous devons tenir à ce que l’approbation soit donnée dans un délai, afin que l’administration provinciale ne soit pas indéfiniment entravée ; afin que le droit d’approuver ne dégénère pas en un véritable déni de justice.

On a dit aussi que ma proposition ne présentait aucun avantage ; car, a dit l’honorable rapporteur, le Roi pourra toujours fixer un délai très long, et l’honorable préopinant a même dit que mon amendement aurait un but contraire à celui que je veux atteindre, et que le délai serait plus long. C’est précisément en supprimant la disposition dont il s’agit que vous êtes dans cet état de choses. Alors il n’existe aucun délai ; le gouvernement peut approuver quand il lui plaît, il peut même s’abstenir de toute approbation. Pour supprimer les inconvénients résultant de cet état de choses, il faut fixer un délai pour tous les cas, sauf une exception.

Quant à l’exception, il est vrai qu’elle laisse trop de latitude au pouvoir ; mais sans doute, sous ce rapport elle ne sera pas critiquée par l’honorable préopinant qui veut n’astreindre le gouvernement à rien ; au moins moi, je l’astreins à quelque chose.

Les deux honorables préopinants ne sont pas d’accord sur les inconvénients qu’ils trouvent dans l’article : l’un veut que le gouvernement ne soit soumis à aucun délai, et trouve qu’il serait fâcheux qu’il en fût ainsi ; l’autre dit que l’article est inutile, parce que le gouvernement usera continuellement de la faculté de proroger le délai ; faculté qui lui est accordée pour quelques cas exceptionnels. Ceci n’est pas possible car il faudra que l’arrêté soit motivé ; il sera publié et jugé.

D’ailleurs, dès que vous fixez un délai avec obligation pour le gouvernement de prendre un arrêté pour le proroger, dans le cas où le temps que la loi lui accorde ne lui suffirait pas, il arrivera nécessairement que la députation aura soin de joindre à la délibération du conseil tous les documents propres à la justifier, afin de mettre le gouvernement à même de se prononcer. Or, si le gouvernement est saisi de tous les documents, il ne pourra pas déclarer qu’il n’est pas en mesure pour se prononcer et qu’un nouveau délai lui est nécessaire.

Si aucun délai n’est déterminé, l’administration provinciale souffrira de la lenteur et de la négligence des bureaux. Il arrivera en outre que le gouvernement, ne voulant ni approuver ni refuser l’approbation, s’abstiendra ; et une délibération du conseil, quoique subsistante, ne recevra aucune solution.

Cela est arrivé de la part du gouvernement envers les deux autres branches du pouvoir législatif, le sénat et la chambre des représentants. Il y a 2 ans et demi qu’un projet adopté par les deux chambres a été présenté à la sanction royale ; la sanction n’a encore été ni donnée ni refusée ; et il y a deux ans et demi. Lorsqu’on traite avec aussi peu de cérémonie les premiers pouvoirs de l’Etat ; je demande si on le gênera pour faire attendre éternellement aux conseils provinciaux l’approbation de leurs délibérations.

M. Jullien. - La disposition proposée par l’honorable préopinant est celle qui se trouvait dans le projet rédigé par la commission nommée par le Roi, et dont j’avais l’honneur de faire partie ; cette disposition est la même que le gouvernement a reproduite dans l’article 88 du projet en discussion. Je dois rendre compte à la chambre des motifs qui ont déterminé la commission et le gouvernement à adopter cette disposition.

Vous avez vu dans l’article 87 que les délibérations les plus importantes des conseils provinciaux devaient être soumises à l’approbation du Roi. Ce principe sur lequel on était d’accord une fois posé, on s’est dit : Si le gouvernement attend des mois entiers pour accorder son approbation, au bout d’un mois peut-être l’intérêt provincial aura péri, il faut donc fixer un terme à l’approbation, sinon la délibération sera censée approuvée. Voilà le but de l’article 88 du projet du gouvernement et de l’amendement proposé par l’honorable M. Dubus.

Je prie la chambre de faire attention aux termes et à l’étendue des délais fixés par l’article 88. En voici le premier paragraphe :

« Art. 88. Les délibérations du conseil sur les objets mentionnés à l’article précédent seront considérées de plein droit comme approuvées par le Roi, si, dans le délai de 40 jours après celui de leur adoption par le conseil provincial, il n’est intervenu de décision contraire. »

Cette disposition de la loi accorde au gouvernement tout le temps nécessaire pour apprécier les délibérations du conseil. Que peut-on y objecter, à moins qu’on ne veuille tout abandonner au caprice du gouvernement ou à la lenteur des bureaux ? Le gouverneur, aussitôt qu’une délibération aura été prise par le conseil, n’informera-t-il pas le gouvernement des vices, des nullités, qui pourraient s’y trouver ? Le délai de 40 jours est donc plus que suffisant.

On craint que l’amendement ne remplisse pas le but qu’il se propose ; que le gouvernement, ayant le droit de prendre un nouveau délai, ne proroge à plaisir celui fixé par la loi et ne rende inutile la précaution qu’a eue en vue l’honorable préopinant. Pour avoir une telle crainte, il faut supposer que le gouvernement sera de mauvaise foi. Or, la règle générale pour tous les contrats, toutes les obligations, c’est que les parties contractantes doivent être supposées de bonne foi. Je suppose donc que le gouvernement sera de bonne foi, et je ne crois pas lui faire injure.

En vérité, si la chambre a à cœur d’affranchir la commune et la province de la tutelle sévère où elles sont, elle n’y parviendra pas par le moyen que proposent plusieurs honorables préopinants. Car si vous écartez les amendements proposés, la province sera moins émancipée que sous l’ancien gouvernement. Voilà où vous arriverez avec l’intention sans doute d’améliorer la situation de la province. Je voterai pour l’amendement de M. Dubus.

M. Ernst. - Si j’avais pu croire que le gouvernement se fût rallié à l’amendement de M. Dubus, je n’aurais pas pris la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) se lève aussitôt, et dit. - Si le gouvernement avait vu dans l’amendement quelque chose de dangereux, il s’y serait opposé. Mais par la maxime rappelée par M. Jullien : « Qui ne dit mot consent, » notre silence était en quelque sorte une adhésion.

Véritablement, je ne vois pas d’inconvénient à l’amendement de M. Dubus ; cependant il a besoin d’explications. Si le gouvernement, par un arrêté, fixe un second délai, pourra-t-il le renouveler, si ce second délai n’est pas suffisant ?...

M. Gendebien. - Ainsi il prendrait des délais jusqu’au jugement dernier !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est la conséquence de l’amendement.

M. Pollénus. - Je ne conçois vraiment pas le doute que paraît trouver M. le ministre de l’intérieur dans l’amendement proposé par l’honorable M. Dubus. Que veut l’auteur de l’amendement ? Il veut limiter l’exercice du droit d’approbation attribué au Roi, il veut lui assigner un délai après lequel le silence du gouvernement serait envisagé comme une approbation. Que vient proposer M. le ministre ? de rendre indéfinie une faculté à laquelle l’amendement est destiné à assigner une limite ; ainsi, ce que le ministre propose est précisément le contraire de ce que veut atteindre l’amendement.

Je ne puis prévoir que l’intention de l’honorable M. Dubus puisse être de consentir à adopter la proposition du ministre ; il ne peut vouloir le contraire de ce qu’il propose ; je ferai au besoin mien un amendement qui est destiné à prévenir les abus de la centralisation et à garantir l’autorité royale même contre ces abus-là ; déjà il vous a été signalé que dans différentes occasions l’on avait pu apprécier le besoin d’une disposition telle que celle que nous propose M. Dubus,

L’on ne doit pas le perdre de vue, il y a deux choses à concilier ici : la prérogative royale et les franchises attribuées à la province ; il faut bien se garder de donner à l’une une extension par laquelle l’autre pourrait se trouver paralysée. Ce n’est qu’en réglant l’exercice de l’une et de l’autre qu’on les concilie, et je ne puis concevoir comment la fixation d’un délai dans lequel le gouvernement devra se prononcer puisse être envisagée comme détruisant le pouvoir que reconnaît l’article 79 ; car je le répète, régler l’exercice d’un pouvoir ou d’un droit n’est ni paralysée, ni anéantir le pouvoir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai fait une question et non une proposition.

M. Pollénus. - Veuillez, messieurs, ne pas perdre de vue que l’amendement de M. Dubus laisse au gouvernement la faculté de prolonger le terme de 40 jours d’un autre délai qui doit être irrévocablement fixé par l’arrêté de prorogation.

Cette disposition donne au gouvernement toute la latitude qu’il peut désirer. Vous savez que cette disposition va bien plus loin que le projet même du gouvernement qui se contentait d’un seul délai. Je ne puis terminer sans recommander encore cet amendement à toute l’attention de la chambre : si vous le rejetez, vous renforcez inutilement la centralisation, et les institutions provinciales promises par la constitution seront illusoires parce qu’elles seront dépourvues même de la faible garantie.

M. Dubus. - Je veux répondre à la question faite par le ministre de l’intérieur.

D’après mon amendement il est évident que le gouvernement n’avait pas le droit de prendre un troisième délai après en avoir pris un second, puisque le second délai doit être pris après le premier délai de 40 jours ; or, il n’est rien dit sur la durée du second délai.

- L’amendement de M. Dubus est mis aux voix et adopté unanimement.


M. le président. - Nous allons délibérer sur le premier paragraphe de l’article en discussion.

M. de Theux, rapporteur. - Nous voyons, par l’amendement de M. Fallon, qu’il admet le droit de suspension comme la section centrale ; cependant des explications sont nécessaires, car la section centrale n’admet pas ce droit indéfiniment. D’après l’article 127 de la loi que nous discutons, il faut que le gouverneur ait pris recours près du gouvernement contre un acte du conseil ou de la députation, dans les 10 jours qui suivent celui où il a été rendu ; et le gouvernement doit prononcer dans les 30 jours qui suivent le délai de 10 jours.

Dans le système de M. Fallon, il n’y a pas de limites au droit de suspension : il faut que le gouvernement prononce définitivement au bout d’un certain temps, soit qu’il prolonge la suspension soit qu’il annule. La section centrale a cru que, si dans les 30 jours après le recours du gouverneur, le gouvernement ne pouvait se prononcer, il fallait qu’il prorogeât indéfiniment en provoquant une mesure législative.

M. Fallon. - Il est indispensable de parler du droit de suspension dans le paragraphe premier. En demandant que ce droit soit inséré dans le paragraphe premier, ce n’est pas une raison pour qu’il ne soit réglé par l’article 127.

M. le président. - Il me semble que nous devons délibérer sur l’amendement de M. Doignon.

M. Doignon. - L’on vous a dit que d’après mon système j’écartais l’intervention du Roi pour empêcher les états provinciaux de sortir de leurs attributions ou de blesser l’intérêt général ; c’est une erreur évidente. J’admets la suspension par le Roi ; or, la suspension est une intervention. J’ai soutenu, et je soutiens encore, que cette intervention est suffisante. Quelle est l’intention du législateur ? S’il a voulu que le Roi intervînt ici, c’est pour réprimer à l’instant même les écarts des états ; ce but est atteint en accordant le veto au gouvernement. J’ai démontré qu’il n’y avait aucun inconvénient à appeler le pouvoir législatif à prononcer définitivement ; on n’a pas répondu.

Je ne sais pourquoi, messieurs, de gaîté de cœur, la législature irait sacrifier une garantie qui est accordée au pays en vertu de l’article 108 de la constitution.

Les principaux inconvénients qui résultent des dispositions présentées par le gouvernement et de celles présentées par la section centrale, consistent en ce qu’elles accordent au gouvernement un droit absolu d’annuler. C’est exactement du pouvoir absolu, comme si nous étions en Belgique sous une monarchie pure, comme s’il n’existait pas de constitution. Sous prétexte d’ordre public et d’intérêt général, on abandonnerait au bon plaisir du gouvernement la faculté d’annuler dans tous les cas, et cela sans nécessité, lorsque la suspension peut suffire pour remplir le but qu’on se propose.

Si toutefois cet amendement ne pouvait être accueilli, je le sous-amenderai de manière même à donner aussi au Roi le droit d’annulation. Je le rédigerai en ces termes :

« Le Roi peut suspendre et annuler les actes des conseils qui sont contraires aux lois ou sortent de leurs attributions.

« Lorsque le gouvernement juge qu’un acte du conseil est susceptible d’être annulé, non comme contraire à une loi, mais comme blessant l’intérêt général, il peut le faire suspendre : dans ce cas, son veto cesse, s’il n’est pas confirmé par le pouvoir législatif. S’il est approuvé, l’acte du conseil sera déclaré nul et de nul effet. »

Cet amendement établit une distinction entre les actes contraires aux lois, ou qui sortiraient des attributions du conseil, et ceux qui blesseraient l’intérêt général.

A l’égard des premiers, j’accorderai subsidiairement, d’une manière absolue, le droit d’annulation. Lorsque le Roi annule un acte contraire à la loi, il est nécessaire qu’on rapporte dans l’arrêté le texte de loi auquel le conseil a contrevenu. Il est facile alors d’apprécier si le gouvernement a abusé ou non de son pouvoir. Mais quant aux actes qui peuvent blesser l’intérêt général, comme le vague de cette expression laisse une grande carrière à l’arbitraire, car il peut y avoir sur ce point autant de sentiments qu’il y a d’esprits, dans ce cas la prudence veut que le gouvernement ait uniquement le veto ; et nous trouverons une garantie dans le pouvoir législatif qui prononcera définitivement.

Un honorable membre a pensé que le n°5 de l’article 108 présentait une alternative ; que la chambre était tenue d’opter entre l’intervention du Roi ou celle du pouvoir législatif. Je crois que l’honorable préopinant s’est trompé. La particule ou n’est pas disjonctive. Le congrès, en adoptant cette disposition n’a pas entendu que l’intervention d’un pouvoir serait admise à l’exclusion de l’autre, mais que l’un et l’autre pourraient intervenir chacun en ce qui le concernerait. Or, c’est ce que nous faisons au cas actuel.

Je ne puis passer sous silence une autre observation du préopinant, qui a prétendu que j’aurais avancé que la souveraineté était dans les chambres. Je rien dit de semblable, je me suis borné à invoquer les articles 25 et 32 de la constitution. L’article 25 porte que tous les pouvoirs émanent de la nation, et l’article 32 que les chambres représentent la nation. Or, je le répète, quant aux questions de haute administration et qui sont d’intérêt national, les chambres en sont les juges naturels, et non le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Quoique je ne pense pas que l’amendement de M. Doignon soit destiné à recevoir l’approbation de la chambre, je crois devoir dire quelques mots pour le combattre.

On refuse au Roi le droit d’annuler d’une manière absolue les actes des conseils provinciaux qui blessent l’intérêt général. On dit que ce serait placer le pouvoir sur la même ligne que dans les pays qui ne jouissent pas du régime constitutionnel. Je ferai d’abord observer que les arrêtés royaux annulant des actes des conseils ne peuvent pas le faire d’une manière tellement absolue, qu’ils soient soustraits à toute espèce de responsabilité.

Ces arrêtés sont motivés et insérés au Bulletin officiel. Tout à l’heure, vous avez entendu M. Dubus vous dire qu’il trouvait des garanties dans cette circonstance, que l’arrêté prorogeant les délais serait motivés, parce qu’on pourrait le juger. Eh bien, cette fois encore l’arrêté sera motivé et jugé. Vous savez que ceux qui contresignent cet arrêté sont justiciables de cette chambre. Si le pouvoir s’avisait d’annuler légèrement des actes d’administration provinciales, il aurait à en répondre devant vous.

Le système de M. Doignon placerait le pouvoir exécutif dans une position embarrassante, si après avoir cru devoir suspendre l’exécution d’une délibération d’un conseil, le pouvoir législatif venait à décider qu’il a eu tort. Vous forceriez le pouvoir exécutif à se réformer lui-même ; mais il pourra ne pas le faire, et pour ne pas se réformer lui-même, il ne donnera pas sa sanction à l’acte des deux branches du pouvoir législatif. Il faut remarquer qu’il est maintes circonstances où le conseil provincial sortant de ses attributions ne portera pas atteinte aux attributions du pouvoir exécutif.

Le gouvernement, pour ne pas courir la chance d’être désapprouvé par les chambres, pourrait s’abstenir d’apposer son veto à des actes auxquels il ne reconnaîtrait pas un caractère qui lui fût hostile. Il ne faut pas encourager le gouvernement à rester dans cette voie d’inertie ; il faut lui imposer l’obligation d’apposer sous sa responsabilité son veto aux actes qui sortent des attributions du conseil, comme à ceux qui sont contraires à l’intérêt général.

M. Doignon. - Messieurs, on nous a dit que dans le cas où le Roi ne sanctionnerait pas la loi adoptée par les chambres, il y aurait une collision fâcheuse entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif : cet inconvénient n’en est pas un ; car si la décision du Roi n’est pas confirmée par le pouvoir législatif, il en résulte que le veto cesse.

La suspension cesserait par cela même que la législature n’aurait pas donné son assentiment à cet acte. Toutes les fois qu’un tribunal de première instance prononce sauf appel, quand la cour réforme son jugement, on ne vient pas dire qu’il y a collision entre le tribunal et la cour d’appel. Il n’y a même rien de fâcheux dans ces deux décisions contraire. Le veto n’offre qu’une décision qui, de sa nature, ne peut être que provisoire.

Le ministre a dit que, dans tous les cas, on avait la responsabilité ministérielle. Cette responsabilité, je ne la répudie pas, c’est une garantie qui vaut quelque chose ; mais ce n’est pas à dire pour cela que nous devions renoncer aux autres garanties de notre loi fondamentale. La première garantie est dans le pouvoir législatif. C’est lui qui doit prononcer définitivement, du moins dans des circonstances semblables.

M. le président donne une nouvelle lecture de l’amendement de M. Doignon.

- La première partie est mise aux voix et rejetée. La seconde est retirée.

M. le président. - Nous revenons à l’amendement de la section centrale.

M. Fallon. - Je persiste à croire qu’il y lieu d’insérer dans le paragraphe premier le droit de suspension accordé au pouvoir royal.

M. de Theux, rapporteur. - Je crains que l’économie de l’article ne soit dérangée. Le droit de suspension est accordé au gouverneur, afin qu’il ait le temps de consulter le gouvernement, qu’il représente auprès du conseil provincial. Le paragraphe 2 suppose que le gouvernement trouve à propos de proroger la suspension prononcée provisoirement par le gouverneur. Je crains qu’en adoptant la proposition que vient de faire M. Fallon, on ne trouve dans le paragraphe premier le droit pour le pouvoir royal de suspendre indéfiniment l’exécution des actes d’un conseil provincial.

M. Fallon. - Je n’avais pas compris le paragraphe 2 dans le sens que vient de développer l’honorable rapporteur de la section centrale. Je croyais qu’il s’agissait dans ce paragraphe d’un arrêté royal de suspension. Je demanderai alors que dans le paragraphe 2 on insère ces mots : « Lorsque le Roi aura suspendu un acte émané d’un conseil provincial, il présentera un projet de loi à la législature dans le courant de la session ou dans la session suivante, si elle n’est pas assemblée. »

M. de Robaulx. - D’abord, messieurs, je ferai observer à l’assemblée que si l’on insère le mot suspendre dans le premier paragraphe, il faut ajouter l’exécution des actes ; car suspendre des actes n’est pas français. Je saisis cette occasion pour rectifier la manière erronée dont on a rendu mon opinion dans les journaux. Plusieurs membres avaient demandé le renvoi de tous les articles relatifs à la dissolution à la section centrale. J’ai cru, comme mes honorables collègues, que la question d’annulation avait une grande connexité avec celle de la dissolution.

J’ai dit que telle personne qui voudrait la dissolution pure et simple la rejetterait, si on accordait au pouvoir royal le droit d’annulation. Cette opinion a été mal rendue, et c’est cette erreur que je viens rectifier. On m’a fait dire que j’étais d’avis d’accorder au pouvoir exécutif le droit de dissolution. J’ai au contraire annoncé à la chambre que je partageais les opinions émises dans le congrès sur la représentation provinciale. Le congrès voulait que cette représentation fût émancipée.

Vouloir à la fois et l’émancipation des provinces et le droit de dissolution, c’est n’être guère conséquent avec soi-même. Aussi je n’ai jamais dit que les élus du peuple, au nombre de 50 à 60, n’importe, assemblés en représentation provinciale, agissant au nom de leurs commettants, dépositaire de la confiance publique, pussent en aucun cas relever du pouvoir exécutif. Je n’ai jamais pu concevoir qu’un chef de division du département de l’intérieur, que le ministre de l’intérieur lui-même, pût prétendre avoir plus d’esprit que ces assemblées. J’ai l’intime conviction, moi, que vous avez remis les provinces sous la férule du gouvernement.

Plusieurs députés, dont les nuances d’opinions se sont confondues dans l’adoption de ce système, s’en repentiront, je le leur prédis d’avance. Pour moi, j’ai cru devoir rester conséquent avec moi-même. Je n’ai pas voulu ôter en faveur du pouvoir exécutif, toujours transitoire, toujours mobile, les avantages que leur avait accordés le congrès. Je voterai donc contre le droit de dissolution et contre le droit d’annulation. Du reste, je n’insisterai pas pour défendre mon opinion, bien certain de ne pas la voir accueillie par la majorité.

M. Milcamps. - Il me semble que la proposition de M. Fallon détruit l’article 112 qui a été adopté précédemment. L’honorable M. Fallon accorde au pouvoir exécutif le droit de suspendre les actes des conseils provinciaux, tandis que l’article 112 oblige le gouverneur à prendre son recours auprès de l’autorité supérieure dans un délai fixé. La proposition de M. Fallon me paraît donc détruire l’article 112.

M. Jullien. - Il y a dans la rédaction du deuxième paragraphe en discussion quelque obscurité. On y parle de la prorogation d’une suspension qui n’est pas posée en principe, et l’on se réfère pour l’application de l’article 88 à l’article 112, qui lui est postérieur. On pourrait éviter cet inconvénient et remplir les vues de l’honorable M. Fallon. Ce serait de dire, au lieu de : « proroger la suspension indéfiniment, » ces mots : « Il peut suspendre indéfiniment l’exécution. etc.» Alors viendrait tout naturellement la disposition finale : « Dans ce cas il présente un projet de loi aux chambres, etc. » Vous voyez qu’au moyen de cette rédaction il n’est plus nécessaire de recourir à un article postérieur, ce qui est contraire à la marche du raisonnement. Vous posez le principe en même temps que vous en déterminer l’application.

M. de Theux, rapporteur. - L’obscurité que l’on a rencontrée dans le paragraphe 2 vient de ce qu’on le lit isolément. Le premier paragraphe rappelle l’article 112. Je proposerai de rédiger le paragraphe 2 ainsi : « Il peut proroger indéfiniment la suspension autorisée par l’article 112. »

M. Jullien. - Ce n’est pas la même chose.

M. Fallon. - Je me rallie à cette rédaction.

M. de Theux, rapporteur. - C’est la même chose évidemment. L’article 112 dit également que le gouverneur peut prendre son recours contre les actes des conseils provinciaux qui blesseraient l’intérêt général, ou qui sortiraient de leurs attributions. Ce recours n’est suspensif que pendant 30 jours. Il est nécessaire de lier les deux articles pour qu’il n’y ait pas deux espèces de suspension.

- L’amendement de M. de Theux est adopté paragraphe par paragraphe et dans son ensemble.


Le troisième paragraphe de l’article 88 nouveau est adopté.

L’amendement de M. Ernst est adopté, et remplace le quatrièème paragraphe.

Le cinquième et dernier paragraphe de l’article 88 est adopté.


M. Fleussu. - Avant de voter sur l’ensemble de l’article, je voudrais avoir une explication de l’honorable rapporteur de la section centrale.

Déjà vous avez voté l’article 104 qui se réfère à l’article en discussion, en ce qu’il donne au gouvernement le droit d’annuler les actes de la députation. Je voudrais savoir si le Roi peut annuler tous les actes de la députation.

Voici le but de ma question : dans les attributions de la députation, il y en a d’administratives, et il y en a de judiciaires. Je conçois que, pour ce qui concerne les attributions administratives, le Roi puisse annuler les actes de la députation ; c’est le seul moyen qu’il y ait de l’uniformité dans l’administration.

Mais je ne conçois pas que le gouvernement puisse annuler les décisions judiciaires de la députation. Car remarquez que les députations ont aussi des matières contentieuses à examiner, que leurs attributions comprennent les contributions, la grande voirie, les cours d’eau, les alignement, la milice, la garde civique, et les difficultés auxquelles donne lieu l’application de la loi électorale.

Alors ce sont de vraies décisions judiciaires que porte la députation. Voudrez-vous que le Roi ait également le droit de les annuler ? Je ne pense pas que telle soit l’intention de l’honorable rapporteur de la section centrale. Je ne puis croire qu’il veuille donner une telle latitude au gouvernement. Mais je voudrais bien avoir de lui sur ce point une explication. Je crois que les objets que je viens d’énumérer doivent former l’objet d’une loi spéciale, afin que tous ces actes de la députation fussent jugés en dernier ressort par la cour de cassation qui déjà connaît des difficultés en matière d’élection et de garde civique. Alors il y aurait de l’uniformité dans la législation. Ce ne serait pas tantôt devant le conseil des ministres, tantôt devant la cour de cassation qu’il faudrait appeler des acte de la députation.

M. de Theux, rapporteur. - J’adhère entièrement à l’opinion de l’honorable préopinant. Evidemment, lorsque la députation juge comme pouvoir judiciaire, elle est tout à fait indépendante du pouvoir royal. Déjà, pour plusieurs cas, c’est devant la cour de cassation qu’on doit se pourvoir contre les décisions de la députation. Pour d’autres cas, pour la milice par exemple, il y a une lacune, et cette lacune devra être comblée par une loi spéciale. Je le répète, la députation comme pouvoir judiciaire est indépendante du pouvoir exécutif ; je ne pense pas que les termes de l’article puissent d’appliquer à cette hypothèse.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’observation de l’honorable M. Fleussu mérite de fixer l’attention de la chambre. Certainement je regarde les attributions judiciaires de la députation comme les plus importantes de celles qui leur sont confiées. Comme on l’a dit, sous ce rapport, il y a véritablement lacune. Ainsi, dans les questions de milice et de garde civique, la députation juge souverainement.

D’un autre côté, les tribunaux ont enlevé aux députations une partie de leurs attributions, qu’il serait nécessaire de leur restituer ; par exemple, les contraventions en matière de voirie. Dans l’état de choses actuel, les tribunaux ont une multitude d’affaires de ce genre, qui sont en souffrance. Des plaintes sont parvenues sur cet objet à l’administration. Je crois qu’il sera nécessaire de s’en occuper, lorsqu’on réglera les attributions judiciaires de la députation.

M. Jullien. - La question soulevée par l’honorable M. Fleussu mérite en effet de fixer toute l’attention de la chambre. La question est de savoir qui connaîtra en dernier ressort des décisions de la députation en matière de milice et de garde civique. Je prie la chambre de faire attention que si le gouvernement pouvait décider ces questions définitivement, il serait à la fois juge et partie. Car c’est le gouvernement qui réclame les miliciens et le service de la garde civique ; si vous le rendez juge des difficultés auxquelles donnent lieu les demandes d’exemption de service, vous le rendez juge dans sa propre cause.

Nous avons vu beaucoup de demandes de cette nature jugées par telle députation dans un sens et par telle autre dans un autre. Ces décisions, soit par erreur, soit par ignorance, soit tout autre cause, étaient contraires à la loi. Qu’ont fait les intéressés ? Ils se sont adressés au gouvernement. Le gouvernement a déclaré que dans l’état de la législation c’était la députation qui jugeait en dernier ressort, et qu’il n’y avait d’autre moyen de réparer l’injustice que la bienveillance du ministre de l’intérieur qui pouvait s’entendre avec le ministre de la guerre pour faire accorder un congé au milicien qui avait droit à l’exemption. C’est ce qu’a fait le ministre de l’intérieur dans plusieurs occasions.

Vous voyez, messieurs, que cet état de choses n’est pas tolérable. Il a donné lieu, depuis la révolution, à une infinité de réclamations. Je crois qu’il serait bon de mettre un terme à ces abus et de déterminer le recours à prendre en ces matières. Je ne sais si les explications que vient de donner, à cet égard, l’honorable rapporteur de la section centrale sont suffisantes.

M. de Theux, rapporteur. - S’il s’agit de conflit en matière judiciaire, c’est la cour de cassation qui en est juge. Lorsqu’on parle d’actes qui blessent l’intérêt général, on n’a pas entendu parler d’un jugement, car c’est un acte d’un intérêt particulier.

Il ne peut exister aucun doute à cet égard ; le gouvernement l’entend aussi de la même manière.

M. Fleussu. - Je me déclare satisfait.

M. de Robaulx. - Ce n’est pas tout : si M. Fleussu se déclare satisfait, je désire une satisfaction plus complète. D’après les observations de M. Fleussu, je crois qu’il y a lieu à formuler un amendement ; je ne me propose pas de l’improviser ; mais quoique tout le monde est d’accord sur le principe, il y aurait lieu, il me semble, à présenter une disposition d’après laquelle les décisions du conseil en matière contentieuse ne seraient pas soumises à l’approbation du Roi. Je ne vois pas, en effet, comment le gouvernement jugerait les affaires particulières, et comment il serait chargé de recevoir les pétitions qui lui seraient envoyées à cet égard.

M. Fleussu. - Je proposerai, sauf rédaction, l’amendement suivant : « Cette disposition n’est pas applicable aux décisions du conseil en matière contentieuse. » (Appuyé ! Appuyé !)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il est convenu qu’on ne veut rien innover ? (Non ! Non !) Il est certaines matières contentieuses qui sont soumises à l’approbation du Roi. Il est des établissements qui ne peuvent être fondés qu’avec l’autorisation des villes et le concours de la députation. Si un conflit s’élève, le pouvoir central doit décider entre la ville et la députation. Je ne voudrais pas que la disposition de M. Fleussu fût aussi générale.

M. de Robaulx. - Je demande le renvoi à la section centrale (Appuyé !)

- Quelques voix. - Il faut au moins mettre aux voix le principe.

M. d’Huart. - Il faut, je crois, voter sur la proposition de M. Fleussu ; car si elle n’était pas admise, il est possible que quelques membres votent contre l’article.

- Voix diverses. - Tout le monde est d’accord. (Aux voix ! aux voix !)

- L’ensemble de l’article 88 est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix la proposition de M. Fleussu.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. le président, M. de Robaulx a demandé le renvoi à la section centrale.

M. de Robaulx. - Je crois qu’il faudrait rédiger la disposition de telle manière, qu’elle indiquât qu’il n’est rien innové à ce qui existe relativement aux décisions de la députation en matière contentieuse.

M. Milcamps. - La disposition de M. Fleussu me paraît avoir un grande portée, on doit attendre au moins quelques heures pour l’examiner.

J’appuie le renvoi à la section centrale.

- Ce renvoi est mis aux voix et adopté.

Article nouveau (proposé par la section centrale)

M. le président. - La discussion s’ouvre sur l’article suivant qui a été également soumis de nouveau à la section centrale :

« Tout acte du conseil délibéré dans une réunion illégale est nul de droit.

« Le gouverneur déclare par un arrêté la réunion illégale, prononce la nullité des actes, prend toutes les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement, et transmet son arrêté au procureur-général du ressort pour l’exécution des lois et l’application, s’il y a lieu, des peines déterminées par l’article 258 du code pénal. En cas de condamnation, les membres condamnés sont exclus du conseil et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui suivront la condamnation. »

M. Fallon. - Je ferai seulement quelques observations sur la rédaction de l’article. Il me semble d’abord qu’au lieu de ces expressions : nul de droit, il conviendrait mieux de mettre, pour se conformer au langage consacré : nul de plein droit. Il me semble ensuite qu’il est inutile de dire, dans le second paragraphe que le gouverneur déclare la réunion illégale, puisque l’article porte dans son premier paragraphe que tout acte du conseil dans une réunion illégale est annulé. Je proposerais de rédiger le second paragraphe de la manière suivante :

« Le gouverneur prendra toutes les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement. Il dresse procès-verbal du fait, et le transmet au procureur-général pour l’exécution de la loi. »

M. de Theux, rapporteur. - La rédaction proposée par la section centrale est la même que celle qui a été adoptée en France.

En France, on n’a pas dit : nul de plein droit. On a dit simplement nul de droit. On a également prévu l’application de l’article 258 du code pénal ; il est bon de le prévoir aussi dans la loi, afin qu’il n’existe aucun doute sur l’application de l’article 258.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que la rédaction doit être maintenue telle qu’elle a été prise dans la loi française. Il semble qu’on a voulu que le gouverneur donnât un avertissement aux membres du conseil qui, de bonne foi, croiraient faire partie d’une réunion légale.

Le gouverneur prononce la nullité des actes ; il est indispensable de lui attribuer ce droit. En règle générale l’annulation est prononcée par le Roi ; mais ici il y a urgence de prononcer la nullité, car les actes émanent d’une réunion illégale ; il y a péril en la demeure.

Je ne vois pas qu’une ligne de plus introduise une longueur.

Je maintiens la rédaction.

M. Dubus. - Nous délibérons maintenant sur un article qui n’avait été proposé ni par le gouvernement, ni par la section centrale dans son projet ; c’est l’honorable rapporteur de la section centrale qui, l’ayant trouvé dans une loi française, l’a mis à profit et l’a inséré dans notre nouvelle loi. Vous aviez décidé que cet article serait renvoyé à la section centrale pour être examiné, pour être l’objet d’un rapport : aucun rapport n’a été fait ; seulement on l’a fait imprimer à la suite d’un rapport fait sur un autre article. Il est impossible que la rédaction de l’article qui nous occupe, et qui peut soulever beaucoup de difficultés dans cette enceinte, n’en ait pas soulevé dans le sein de la section centrale ; je puis même dire qu’il en a soulevé. Il est étonnant que l’on ne nous en ait pas rendu compte et que le rapporteur ne nous ait pas entretenus des avis émis dans la section centrale.

Je demanderai ce que c’est qu’une réunion illégale ?...

Le gouverneur déclare par un arrêté la réunion illégale !... Ainsi la réunion sera illégale par cela seul que le gouverneur l’aura déclarée telle ; et quand il voudra qu’elle soit illégale, il lui suffira de déclarer qu’elle est illégale.... Ceux qui entendent la valeur des termes doivent comprendre ainsi l’article que l’on a été chercher dans une loi française ; et l’on sait que les lois françaises sont libérales en fait d’administration : ainsi ce gouverneur est omnipotent sur les réunions.

Ce n’est sans doute pas ainsi que l’entend le rapporteur de la section centrale ; mais alors pourquoi ne pas dire ce que l’on veut dire ? On a voulu entendre par réunion illégale celle qui aurait lieu hors du temps déterminé par la loi pour la tenue des sessions des conseils provinciaux ; c’est ce qu’il fallait exprimer. Il ne faut pas imiter le vague de la loi française.

Remarquez combien on pourra abuser d’un semblable article : le gouverneur croira pouvoir déclarer la réunion illégale s’il se soulève, dans le sein du conseil, une question sur le sens du règlement, sur son application, ou sur le sens de l’un des articles de la loi provinciale qui doit faire partie du règlement provincial.

Il déclarera l’assemblée illégale si elle entend le règlement autrement qu’il ne l’entend lui-même.

Je crois que la disposition est inutile.

Il ne faut pas dire que les actes seront nuls quand ils seront rendus hors des temps déterminés par la loi pour la tenue des sessions des conseils provinciaux : cela est évident. Il est inutile de mettre dans la loi que le gouverneur déclare nul ce qui est nul.

Il est également inutile de rapporter les dispositions de l’article 258 du code pénal ; car s’il y a lieu à appliquer cet article, on l’appliquera ; et le rappel de cet article est une superfluité.

Je ne sais pas si c’est pour faire une menace aux mandataires de la province, aux élus du peuple, que l’on rappelle l’article 258 du code pénal ; alors pourquoi ne pas faire aussi des menaces aux agents du gouvernement et rappeler l’article 114 du code pénal ? Un gouverneur verrait par cet article 114 qu’il ne peut interrompre, par voies de fait, comme l’amendement en discussion lui prescrit, un conseil provincial lorsqu’il a droit de délibérer. Si vous rappelez l’article 258, il faut rappeler l’article 114 ; il ne faut pas seulement attirer la défiance sur les élus de la province, il faut aussi attirer la défiance sur les agents du gouvernement.

M. Jullien. - Je crois que dans la loi française l’article nouveau proposé par la section centrale est très bien à sa place. Je pense que dans cette loi, si je me la rappelle bien, on a déterminé les cas qui constituent l’illégalité de la réunion. Or toutes les fois que vous avez déterminé tous les cas constitutifs de l’illégalité, il est tout simple qu’on prenne des dispositions pour annuler ces actes entachés d’illégalité et tirer les conséquences de l’illégalité commise.

Mais venir, avant d’avoir articulé les cas où l’illégalité existerait, parler des conséquences d’illégalités qui ne sont pas prévues, voilà ce qui dans mon opinion, comme dans celle du préopinant, n’est pas logique. Si on avait dit que toute délibération prise par un conseil provincial, hors du temps fixé par la loi, ou dans un autre lieu que celui déterminé pour ses réunions, je concevrais qu’on pût dire, par voie de conséquence, que ces actes illégaux doivent donner lieu à des poursuites. Mais, dès l’instant que vous n’avez pas posé de précédent, la proposition de la section centrale est un hors-d’œuvre. Il y aurait danger à l’admettre, car le gouverneur pourrait s’ingérer de déclarer illégales des réunions dont l’illégalité ne serait que dans son imagination, et empêcher l’exécution de délibérations du conseil qui seraient d’une grande importance pour la province.

Si la section centrale propose les précédents de la loi française, je pourrai être disposé à admettre l’article nouveau. Sans cela, je le rejetterai.

M. d’Hoffschmidt. - J’entends parfois dire qu’on ne veut pas être le vassal de la France et aller chercher dans ses lois des dispositions pour les faire passer dans les nôtres ; et tantôt on vient nous présenter un article de loi, en disant : Il est tiré des lois françaises, donc il est bon. L’honorable M. Dubus a dit tout ce qu’on pouvait dire sur cet article. Je n’y ajouterai rien. Mais s’il devait être admis, je demanderai à la section centrale quelle mesure elle veut que le gouverneur prenne pour défendre un conseil réuni illégalement.

Il y a plusieurs espèces de mesures qu’on peut prendre pour défendre une réunion. On laisse le choix au gouverneur. Seulement on lui ordonne de dissoudre le conseil. Requerra-t-il la gendarmerie ? Fera-t-il braquer les canons ? Quand on veut dissoudre immédiatement une assemblée, on a recours à des mesures semblables. Je ne sais pas si c’est là l’intention de la section centrale ; je la féliciterai d’adopter la loi française en pareil cas.

M. de Theux, rapporteur. - Le rapporteur de la section centrale est un de ces hommes qui n’admettent pas pour bonne toute disposition, parce qu’elle se trouve dans une loi française ; mais qui aussi ne la trouvent pas mauvaise, à cause de son origine. C’est encore un de ces hommes qui veulent que pleine liberté soit laissée aux corps constitués, pour tout ce qui est juste et raisonnable, et ne veulent pas de désordre, même quand il émanerait de corps constitués qui ne veulent pas qu’un conseil s’assemble dans un temps ou un lieu où il n’a pas droit de s’assembler pour délibérer.

Maintenant je reviens à une objection faite par M. Jullien. Il a dit que, dans la loi française, on avait déterminé ce qui constituait les réunions légales, et que tout ce qui n’était pas dans ces prévisions était illégal ; qu’on avait ainsi un moyen d’appréciation. L’honorable membre paraît avoir perdu de vue les articles que nous avons votés. L’article 41 indique le lieu où s’assemble le conseil ; l’article 42 précise le temps et les cas dans lesquels il se réunit, et l’article 43 détermine la durée de la session. Si le conseil tient des réunions dans un autre lieu, s’il s’assemble à une autre époque ou prétend proroger la session au-delà du terme fixé par la loi, il est évident que dans ces circonstances les réunions seraient illégales : le gouverneur serait tenu d’employer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour dissoudre une assemblée qui ne serait plus que séditieuse ; je ne connais pas d’autre expression.

Je ne pense donc pas que l’article renferme de disposition injurieuse, seulement il prévient le cas où un conseil deviendrait séditieux. Dans ces circonstances, on donne au gouverneur les moyens de le rappeler à l’ordre.

Je n’ai jusqu’à présent entendu aucune objection sérieuse.

On s’est plaint de ce que je n’avais pas rendu compte de la discussion de la section centrale. Il n’y a eu aucune discussion dans son sein, elle a adopté l’article avec un léger changement de rédaction.

M. H. Dellafaille - M. le rapporteur vous a dit les motifs qui avaient fait adopter par la section centrale l’article qu’elle vous présente ; il vous a dit aussi le sens dans lequel il doit être entendu. Si quelque membre croit pouvoir formuler un article mieux que celui-là, qu’il le présente ; aucun des membre de la section centrale n’est assez attaché à son idée pour ne pas lui donner son approbation ; et quant à moi, je serai le premier à l’appuyer.

Je viens de dire que M. le rapporteur vous avait donné les motifs qui nous avaient fait adopter cet article. Je n’ai à répondre qu’un mot au député de Bastogne. J’ai eu l’honneur de dire que souvent la France nous avait guidés par ses exemples ; mais j’ai ajouté que l’origine française, surtout en matière d’organisation provinciale, n’était pas un motif pour qu’on adopte aveuglément. Il m’a reproché d’avoir dit que je ne voudrais jamais que la Belgique fût vassale de la France ; cette opinion je la maintiens, et n’en déplaise à mon honorable collègue, je la conserverai toujours. Tel est mon sentiment.

L’honorable membre a commencé par me prêter le mot d’un autre ; c’est M. de Theux qui a dit que la disposition était tirée de la loi française. Il vous en a indiqué l’origine, sans vous la donner comme motif d’adoption. Ainsi il m’attribue un mot de mon honorable collègue après l’avoir dénaturé.

M. d’Hoffschmidt. - Je n’ai pas dénaturé les faits ; M. Dellafaille est membre de la section centrale. J’ai parlé des membres de la section centrale collectivement. Je ne me souvenais pas si c’était lui qui avait employé ce mot « vassaux. »

- Le premier paragraphe de l’article est mis aux voix et adopté.

L’amendement présenté par M. Fallon sur le deuxième paragraphe est mis aux voix et adopté.

M. de Theux, rapporteur. - Je propose d’ajouter ces mots : « de plein droit », dans le premier paragraphe.

M. Fallon. - Cela était convenu.

- La rédaction proposée par M. de Theux est adoptée.

L’ensemble de l’article est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.