Accueil Séances
plénières Tables
des matières Biographies Livres
numérisés Bibliographie
et liens Note
d’intention
Séance précédente
Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 juin 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projets de loi portant demande de
crédits supplémentaires pour le budget du département de la guerre (d’Huart, A. Rodenbach, Legrelle)
3) Projet de loi visant à interdire
les démonstrations publiques (notamment : liberté de la presse et recours
au jury d’assises) en faveur de la famille d’Orange-Nassau (C. Rodenbach, Boucqueau
de Villeraie, de Theux, Ernst, Legrelle, de
Theux, Lebeau, Pollénus, d’Huart, Lebeau, A. Rodenbach, (+pensions des fonctionnaires publics (Legrelle, Gendebien, Seron, Pollénus, Legrelle, Pirson, d’Huart, Desmanet de Biesme, Lebeau, A. Rodenbach, Gendebien, d’Huart, Pollénus, Gendebien, Legrelle, d’Huart, Donny, A. Rodenbach), (+droits
d’éligibilité et d’électeur) (Gendebien))
4) Fixation de l’ordre des travaux
de la chambre
(Moniteur belge n°158, du 7 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à
midi.
M.
de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du
procès-verbal de la séance d’hier ; il est adopté sans réclamation.
M.
de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à
la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Les
administrations communales de Baeverghem, Waerzele et Trondeghem demandent
qu’il soit formé un arrondissement judiciaire dans la ville d’Alost et que les
cantons de Herzele et de Ninove soient détachés de l’arrondissement
d’Audenaerde pour en faire partie. »
« Les régences des
communes de Tamise, Zuyndrecht, Beveren, Haerdonck, Melzèle et Belzète, demandent qu’il soit établi un tribunal de
première instance à St-Nicolas. »
- Ces deux pétitions
sont renvoyées à la commission chargée de l’examen des propositions de MM. Dewitte et Desmet.
____________________
« Le baron de Scherpenzel-Heusch, né en Gueldrec et commandant la garde civique du canton de
Ruremonde, demande la grande naturalisation. »
- Renvoyée à la
commission des pétitions.
____________________
« La régence de
Hasselt demande que cette commune jouisse du droit d’élire trois conseillers
provinciaux, au lieu de deux que la loi provinciale lui accorde. »
- Cette pétition est
renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur
l’organisation provinciale.
_____________________
M. le ministre de la guerre (M. Evain) adresse les explications demandées
par la chambre sur une pétition du sieur Eskens dit Borremans, du chef de l’arrêté qui prive le pétitionnaire
de son grade et de son traitement. Ces explications sont renvoyées à la
commission des pétitions.
PROJETS DE LOI PORTANT
DEMANDE DE CREDITS SUPPLEMENTAIRES POUR LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE
M.
le président. - M. le ministre de la guerre a la parole pour une
communication du gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) donne lecture de l’exposé des
motifs et des articles de trois projets relatifs à une demande de crédit pour
son département. (Nous ferons connaître ces projets.)
M.
le président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la
présentation des trois projets qui seront imprimés et distribués.
M. d’Huart. - Je demande le renvoi des projets dans la
section. Ces projets sont très importants puisqu’il s’agit de 5 millions
200,000 fr. environ. Il faut que les investigations de la chambre portent sur
ces nouvelles demandes de crédit. Nous savons par les journaux, et par
différents bruits qui circulent de tous côtés, que
l’administration de la guerre est accusée de prodigalité ; la chambre ainsi
avertie doit surveiller une semblable administration. J’engage les membres de
cette chambre à se rendre dans les sections, afin de bien examiner la nécessité
des dépenses qu’il faut couvrir ; nous devons, vis-à-vis de nos commettants,
faire justice des inculpations qui pèsent sur le département de la guerre.
Dans la ville de
Bruxelles, par exemple, des officiers supérieurs jouissant de leur traitement
d’activité parlent des prodigalités de l’administration de la guerre ; il faut
voir si cette assertion est fondée ; il faut, je le répète que justice soit
faite.
M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de
l’honorable préopinant ; déjà plusieurs fois on a renvoyé le budget de la
guerre à des commissions. Je vous avoue que dans ma province on a trouvé
étonnant que des millions fussent demandés dans des projets de loi sans que ces
projets soient examinés dans les sections. Il s’agit ici d’une demande de
crédit très considérable, nous devons l’examiner avec une grande attention.
Sans doute notre armée doit être aussi formidable que celle de la Hollande,
mais il ne faut pas qu’elle nous coûte trop cher.
M.
Legrelle. - Il me semble que le mode d’examen que propose M. d’Huart et
qu’appuie M. Rodenbach, n’atteindrait pas le but que se proposent les
honorables préopinants.
Je veux aussi, autant
que possible, que la chambre se livre à des investigations à l’égard de
l’administration de la guerre ; non pas que je croie aux bruits qui circulent,
mais parce qu’il est du devoir des membres de cette assemblée de bien examiner
toutes les dépenses qu’elle vote.
Les sections s’occupent
en même temps de l’examen de divers projets je ne pense pas qu’elles puissent
examiner avec tous les soins nécessaires les projets qui vous ont été
présentés. Je crois que ces projets seront beaucoup mieux examinés par une commission qui serait composée de membres
ayant les connaissances spéciales sur l’objet dont il s’agit.
Je pense en outre qu’au
lieu de faire nommer une commission de six personnes par le bureau, il
conviendrait que la commission fût plus considérable.
- La question de renvoi
est d’abord mise aux voix ; le renvoi à une commission est adopté. La chambre
décide que cette commission sera nommée par le bureau.
M.
Legrelle. Je demanderais que la commission fût composée au moins de 10
membres.
M.
Pirson. - Je demande qu’il soit nommé deux membres par section.
Quelques voix. - Une commission de 8 membres.
M.
le président. - On demande 8, 10, 12 membres.
M. d’Huart. - Prenez le juste milieu. (On rit.)
- La chambre décide que,
la commission sera composée de 10 membres.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) soumet à la chambre de nouveaux
projets également relatifs à son département.
- Les projets présentés
par M. le ministre de la guette seront renvoyés à une commission.
PROJET DE LOI VISANT A
REPRIMER LES DEMONSTRATIONS EN FAVEUR DE LA FAMILLE D’ORANGE-NASSAU
Discussion des
articles
Article premier
M.
le président. - La discussion continue sur l’article 1er. M. C.
Rodenbach propose d’ajouter après ces mots : « aura publiquement, »
ceux-ci : « attaqué la révolution ou sa légitimité, ou l’indépendance
nationale. »
M.
C. Rodenbach. - En présentant mon amendement, je n’ai pas eu la
prétention de le croire parfait, inattaquable. J’ai entrevu dans le projet de
loi maintenant en discussion une lacune grave qui, si elle n’était pas comblée,
rendrait la loi entièrement illusoire.
En effet, messieurs, on
ne fera plus de démonstrations en faveur de la famille d’Orange ; mais, pour
éluder la loi, on attaquera l’indépendance nationale ; de cette manière il y
aura toujours impunité.
Je suppose que des
agitateurs, des émeutiers, des anarchistes, voulussent, pour marcher plus
facilement vers la restauration, changer le mode de gouvernement. D’après
quelle loi pénale punirez-vous les coupables ? Je ne vois dans le code pénal,
dans la section 2 qui traite des crimes contre la sûreté intérieure de l’Etat,
que l’article 87, en vertu duquel vous pourriez appliquer la peine de mort et
la confiscation.
Vous avez, messieurs,
trop de lumières, trop d’élévation dans les sentiments, trop de philosophe
morale pour vouloir appliquer aux délits de la nature dont il s’agit, des lois
draconiennes, des lois de sang. On pourrait m’objecter qu’on peut avoir recours
au droit de grâce. Mais, messieurs, le droit de grâce, dont on a tant abusé,
est encore une impunité qui peut souvent être dangereuse pour le pays.
C’est donc pour écarter
une peine trop sévère, peine qui au 19ème siècle devrait être bannie de nos
codes, que j’ai présenté mon amendement.
Quoique je n’aie pas l’honneur d’être jurisconsulte, pas même avocat, j’ai cru
bien faire en présentant une ajoute, dans l’espoir que la discussion
perfectionnerait cette ajoute et qu’il en sortirait quelque chose de meilleur.
C’est
aussi dans ce but que j’avais demandé hier le renvoi de mon amendement à la
section centrale, amendement qui signale, quoi qu’on en dise, une véritable
lacune. La section centrale aurait pu l’améliorer, le modifier pour le mettre
en rapport avec le projet que nous avons sous les yeux.
D’après l’observation
qui vient d’être faite par un de mes collègues que la loi en discussion est
temporaire, je me décide à retirer mon amendement, avec l’intention de
présenter à la chambre une proposition spéciale, si toutefois le gouvernement
ne prend pas l’initiative.
M.
le président. - M. Boucqueau de Villeraie propose d’ajouter après les mots : provoqué le retour de la famille
d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, ceux-ci : ou le renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique.
M. Boucqueau
de Villeraie. - Messieurs, on a épilogué hier
sur le mot légitimité de la révolution. Je sais qu’on a divisé les
gouvernements en gouvernements légitimes et gouvernements constitutionnels ou
établis par la volonté du peuple. De cette espèce de légitimité la révolution
belge n’a pas à s’en enquérir. Elle n’a rien à y voir. Il est une autre espèce
de légitimité, et celle-là, l’histoire la jugera : c’est celle de la révolution
belge.
Pour en revenir au
projet de loi qui nous occupe, car il n’est pas question de démontrer ici la
légitimité de la révolution (ce serait d’ailleurs s’occuper en quelque façon de
ce qui est passé), il me paraît important de compléter le projet proposé qui,
s’il restait tel qu’il est, ne remplirait pas le but du ministre qui l’a
présenté.
Ce projet de loi a pour
but de réprimer les menées que pourraient se permettre les partisans de la
dynastie déchue pour la restaurer sur la trône de la Belgique ; mais il paraît
que ce projet n’atteindra pas parfaitement le but proposé, si on se borne à y
comminer des peines contre les provocations directes au retour de la famille
d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, puisque ceux qui auraient de ces vues
liberticides échapperaient aux termes du projet, en ne désignant pas
nominativement dans leurs provocations cette famille repoussée par le décret du
congrès national, et qu’ils pourraient tenter d’atteindre la même fin, en
provoquant simplement au renversement des institutions constitutionnelles qui
régissent actuellement la Belgique, bien persuadés que personne ne se méprendrait
sur leurs intentions ni sur la famille en faveur de laquelle ils travaillent et
en faveur de laquelle ils font ces provocations, quoique sans la nommer.
C’est pourquoi il me
paraît qu’il conviendrait- que dans l’article 1er du projet, après les mots : « aura
publiquement appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau, ou
d’un de ses membres, » on ajoutât les mots suivants : « ou le
renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique. »
De sorte que l’article
1er serait rédige de la manière suivante :
« Quiconque, soit
par des discours, des cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions
publics, soit par des écrits, des imprimés, des dessins, des gravures, des
peintures ou emblèmes vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des
lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affichés exposés aux
regards du public, ou de toute autre manière, aura publiquement appelé ou
provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses membres, ou le
renversement du gouvernement constitutionnel établi en Belgique, sera puni d’un
emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 500 à 10,000
francs. »
Dans toute révolution
tendant à changer le gouvernement d’un pays, quel que puisse être l’assentiment
qu’elle obtient dans la nation, il y a toujours un parti qui lui est opposé, et
qui se compose des individus qui jouissaient des faveurs du gouvernement déchu.
Il est naturel qu’ils regrettent une dynastie sous laquelle ils participaient
au pouvoir, aux honneurs, aux places publiques et au budget de l’Etat pour eux
et pour leurs familles.
Aujourd’hui le parti de
ceux qui regrettent le gouvernement hollandais, ce gouvernement si anti-belge
qui nous fut imposé par la force des baïonnettes alliées, n’est autre chose par
lui-même que le parti des regrets pour les pensées et l’expression de l’intérêt
personnel des individus froissés par la perte des faveurs de l’ancien régime.
Il n’est aucun Belge qui, par sentiment national puisse regretter au fond du
cœur de n’être plus Hollandais, ou soumis, si on veut, aux Hollandais ; car, il
n’est pas possible de se le dissimuler. Il existe entre les deux nations une
antipathie qui ne nous empêche pas de nous estimer, mais qui ne nous permettra
jamais de nous aimer.
Peu nombreux dans le
commencement de la révolution (car on ne peut révoquer en doute que tout le
corps de la nation n’y ait pris part avec affection et empressement) ; peu
nombreux, dis-je, le parti orangiste s’est depuis recruté de gens qui, chose
étonnante, avaient été du nombre des plus actifs artisans de la révolution
belge et qui avaient mis le plus d’ardeur à renverser de son trône le roi
Guillaume, et que l’on voit aujourd’hui travailler, avec une ardeur non moins
grande, à retirer de ses ruines et à réédifier ce trône qu’ils ont eux-mêmes
contribué si activement à démolir.
Oui, il est aujourd’hui
des hommes en Belgique qui se sont montrés les plus chauds partisans de la
révolution, les ennemis les plus acharnés de Guillaume, qui se sont même battus
contre lui, et qui ont pris les armes pour la révolution en septembre ; il en
est qui ont tué deux ou trois Hollandais, du moins on les a entendus s’en
vanter, qui aujourd’hui, devenus de fiers orangistes, rappellent à cor et à cri
ces mêmes Hollandais qu’ils ont tués ou chassés, et qui veulent renverser la
révolution pour laquelle ils ont fait eux-mêmes le coup de fusil !
Voilà une conduite bien
étrange, bien versatile ! comment l’expliquer ?
Messieurs la réponse est facile. Monsieur un tel n’est pas gouverneur ou
conseiller, major ou colonel, voire même ambassadeur ou ministre ? Monsieur un
tel s’est fait orangiste : il faut bien être quelque chose dans le monde. (On rit.)
Ces gens-là n’ont pas
obtenu de la révolution belgique les avantages et les
faveurs qu’ils en attendaient, et c’est pour cela qu’ils en sont devenus les
ennemis.
Je connais un homme qui
s’est battu aux barricades de Bruxelles en septembre, qui y envoya ses
domestiques dont un même fut blessé grièvement. Eh bien, cet homme est
aujourd’hui un fougueux partisan de la restauration. Ah ! Oui, mais ce monsieur
prétendait devenir commissaire de district et on n’a pas rendu hommage à ses
talents, on n’a pas voulu de lui. Messieurs, après un tel affront, on sent
qu’il n’y a plus moyen d’être patriote, et la révolution belge est évidemment
la chose la plus affreuse, puisque monsieur un tel n’est pas commissaire de
district.
Tant que le parti des
regrets ou du repentir, c’est-à-dire des partisans de l’ancienne dynastie ou de
ceux qui sont chagrins de ce qu’ils ne jouent pas de rôle dans le nouveau
régime, ou du moins pas celui qu’ils croient leur être dû, tant que ce parti se
borne à nourrir ces sentiments contraires, à faire des vœux en particulier en
faveur de leur patron chéri, on ne doit nullement les rechercher, encore moins
les persécuter ; on doit, au contraire, les protéger comme tous les autres
citoyens dans leurs personnes et leurs propriétés.
Mais, si de l’entretien
de tels sentiments de regrets ils passent à des actions, à des actes contre le
gouvernement constitutionnel établi en Belgique, à des provocations et des
démonstrations tendant à renverser l’ordre de choses établi par la volonté
nationale, ils deviennent coupables et doivent être réprimés dans leur
entreprise par l’action publique, par l’autorité judiciaire.
Le premier devoir de
tout gouvernement existant, comme de tous les êtres vivants, c’est de veiller à
sa propre conservation, au maintien de son existence, c’est de le défendre par
tous les moyens qui sont à sa disposition.
Un gouvernement qui
laisserait agir sous ses veux ses plus acharnés ennemis, dans le but avoué
d’arriver à le renverser et à lui substituer une dynastie repoussée par une
décision solennelle de la nation qui se laisserait injurier, vilipender,
traîner dans la boue sans se défendre ni même donner, a cette occasion, signe
d’existence, serait un gouvernement non seulement faible, sans énergie, mais
indigne de sa mission, de la confiance de la nation généreuse qu’il représente
et qui lui a confié ses destinées ; il serait parmi les gouvernements ce qu’est
parmi les particuliers un homme qui se laisserait bafouer et injurier sans se
défendre ; ce serait un gouvernement poltron.
M.
Gendebien. - Et quand un homme est tué en due, vous refusez de
l’enterrer ?
M. Boucqueau
de Villeraie. - J’ai entendu hier M.
Gendebien avec plaisir et patience. Je crois que je n’abuse pas de la parole.
M.
Gendebien. - Je vous écoute avec admiration.
M. Boucqueau
de Villeraie. (reprenant).
- Un pareil état de choses ne doit pas subsister en Belgique, et nous serions
indignes de notre mandat, de notre situation sociale, si nous y consentions. Eh
quoi messieurs, la nation belge se sera donné une constitution libérale, une
organisation constitutionnelle, un gouvernement approprié à ses besoins et à sa
position, et des individus méprisant la volonté générale travailleront à
renverser ce qui est l’expression du vœu universel, parce qu’ils trouvent que
cet état de choses contrarie leur intérêt personnel, leurs vues particulières
et on les laissera agir impunément !
Toute
la nation belge aura par sa valeur et son unanimité renversé le pouvoir
despotique d’une dynastie qui lui avait été imposée par la force et
l’arbitraire ; elle aura refoulé, au-delà de ses frontières et vers les eaux de
la Hollande, des armées nombreuses qui soutenaient ici un gouvernement devenu
insupportable à la nation par son absolutisme et sa partialité ; et des Belges
pourront provoquer impunément au rappel et au retour de ses armées et à toutes
les réactions, à toutes les vengeances publiques et particulières, à tous les
malheurs qui accompagneraient évidemment, pour la malheureuse Belgique, leur retour
dans nos provinces. Je persiste donc à demander l’insertion de mon amendement
dans l’art. 1er du projet de loi.
M. de Theux. - Messieurs, à l’occasion
de l’amendement proposé par M. Trentesaux, un orateur a demandé si, en adoptant
cet amendement, les provocations indirectes ne se trouveraient pas prévues dans
l’art. 2 du projet de loi. On a paru attacher hier une grande importance à
cette question. Quant à moi, je n’y en attache pas autant. Dans mon opinion si
les provocations indirectes ne sont pas comprises dans l’article premier, elles
le seront dans l’article 2. Comment ne pas considérer une provocation, même
indirecte, mais publique, comme prévue dans la loi, quand vous punissez une
simple démonstration ? Il y a plus de culpabilité dans une provocation que dans
une simple démonstration. Il est donc certain que la provocation indirecte se
trouverait comprise dans la démonstration. Il n’y a pas de doute ; mais cette
circonstance n’influe en rien sur mon opinion quant au rejet de l’amendement de
M. Trentesaux. En effet, le
projet de loi distingue clairement deux catégories de délits. La première est
la provocation, et la seconde est la simple démonstration.
Or, il est impossible de confondre ces deux catégories de faits pour leur
appliquer les mêmes peines.
Il y a dans la
provocation un degré de gravité qui n’est pas dans la simple démonstration. Il
faut donc qu’il y ait des peines spéciales pour la provocation.
Vous remarquerez que
l’échelle des peines proposée dans l’article premier est considérable. Elle est
de vingt degrés du minimum au maximum. Il y a donc là une latitude très grande
pour punir les provocations suivant la gravité de leur nature et la gravité des
circonstances qui les ont accompagnées. Dès lors nous n’avons pas à craindre
d’adopter une disposition qui confond les provocations directes avec les
provocations indirectes. Ce sera aux juges à faire l’application de la peine en
considération de la gravité du délit, et des circonstances qui l’auront
accompagné.
J’ai demandé pourquoi
l’on voudrait confondre les provocations indirectes avec les simples
démonstrations. Evidemment ce sont deux catégories de faits distincts de leur
nature qui ne peuvent pas être compris sous la même dénomination. C’est si vrai
que vous qualifiez l’une de provocation et l’autre de démonstration. Ce qui est
différent dans la nature, dans la dénomination, doit également être différent
aux yeux de la loi.
Je demanderai en second
lieu quelle est la véritable limite entre la provocation directe et la
provocation indirecte. J’ai bien entendu prononcer
l’une et l’autre expression. Mais jusqu’à présent aucune des expressions n’a
été accompagnée de définition. Je sais très bien que le mot directement
introduit dans quelques dispositions de loi a donné lieu à une infinité de
difficultés non seulement auprès du jury, mais auprès des cours de justice. Je
dis donc que, si vous introduisez le mot direct
dans l’article premier, vous n’aurez rien fait d’autre que d’embarrasser le
jury et d’empêcher l’application de votre loi.
Il me suffit que le jury
qualifie un fait de provocation, pour qu’à mes yeux ce fait doive subir une
peine spéciale. Je ne vois pas quelle inquiétude on pourrait concevoir de cela.
En effet, a-t-on vu les jurys disposés à prononcer des condamnations ? Non
certainement. Eh bien, s’il est un moment favorable pour faire une loi de cette
nature, c’est l’époque actuelle où les faits sont appréciés avec plus de sang-froid
: c’est maintenant qu’on peut avoir plus de confiance dans l’esprit qui guidera
le jury pour l’application de la loi.
Je ne crains pas de dire
qu’on ne verra jamais une fausse application de cette loi. Je pourrais, pour
prouver cette assertion, citer ce qui s’est passé sous le gouvernement des
Pays-Bas. Ce gouvernement porta le 20 avril 1815 un arrêté singulièrement
célèbre par son élasticité, par lequel la simple méfiance semée parmi les
citoyens suffisait pour être poursuivie ; l’exécution de cet arrêté était
confiée à des cours spéciales. Malgré cette latitude on n’a cependant vu que
très peu de condamnations. Aujourd’hui que votre loi doit être appliquée par le
jury, comment peut-on craindre qu’on en abuse ?
D’ailleurs une
provocation peut être indirecte, et cependant constituer un délit assez grave à
cause des circonstances qui l’accompagnent. Voudrez-vous alors ranger cette
provocation indirecte dans la simple catégorie des démonstrations ? Il y aurait
là une injustice révoltante. Il faut donc, si vous voulez faire autre chose que
le code pénal, il faut une disposition plus large que le jury puisse appliquer
en appréciant la nature et les circonstances du fait.
Laisser
beaucoup à l’arbitrage du jury, c’est la pensée qu’on a toujours émise quand on
en a réclamé l’institution. On a cru que cette institution présentait de
grandes garanties ; il a fallu laisser aux jurés une certaine latitude dans
l’appréciation des faits. On ne peut pas dire que la latitude soit trop grande
puisqu’il faut toujours que les faits constituent une provocation.
Personne ne pourra se
méprendre sur ce qui devra constituer ce genre de délit.
Je persiste à penser
qu’il n’y a pas lieu d’adopter l’amendement de M. Trentesaux.
M.
Ernst. - Messieurs, est-il convenable, est-il juste d’introduire dans
l’article premier de la loi que nous discutons le mot directement ? Vous savez, messieurs, que pour apprécier le
changement qu’on propose à une loi pénale, il faut, avant tout, rechercher
quelle influence ce changement amènera sur le délit lui-même et sur
l’application de la peine ; et pour cela, la première chose à faire, c’est de
voir le but qu’on se propose. Que voulons-nous, messieurs, par l’article
premier de la loi dont il s’agit ? Nous voulons punir les provocations au
rappel de la maison d’Orange-Nassau.
Nous voulons prévenir
que ces provocations soient de nouveau une occasion de désordre.
Je ferai remarquer à
l’assemblée que la dernière circonstance que je viens d’indiquer est le
principal but du projet de loi ; je vous prie de ne pas le perdre de vue.
Quand y a-t-il donc
provocation ? Suivant moi il y a provocation lorsque le fait que je pose est
dans mon intention, en relation nécessaire avec l’appel de cette famille d
Orange-Nassau ou d’un de ses membres. Je crois que personne ne contestera la
vérité de cette assertion. Si le fait que je pose n’est pas en relation
nécessaire avec l’appel de cette famille ou d’un de ses membres, il peut avoir
un autre caractère de gravité, de criminalité, mais à coup sûr ce ne sera plus
une provocation. Cependant, vulgairement partant, on attribue un autre effet au
mot provocation. C’est ainsi que généralement, en Belgique et dans les
journaux, on a qualifié d’acte provocatoire la
démonstration qui existait dans la souscription orangiste.
Pourtant ce n’était pas
une provocation, c’était une simple démonstration. Il faut prendre garde de
confondre les provocations avec les démonstrations. Si vous voulez prévenir un
abus qui pourrait devenir dangereux, il faut introduire dans la loi le mot directement.
M. Milcamps a dit que le
mot directement est inutile ; que
dans tous les cas il fallait deux choses, le fait provocatoire et l’intention qui suppose toute la portée du
fait. L’honorable M. Milcamps a dit juste. Passant à l’application du principe
il ajoute : Ainsi, par exemple, il ne suffirait pas d’attaquer les actes du
gouvernement, de les blâmer de la manière la plus déclamatoire, de comparer le
pouvoir sorti de la révolution avec celui qu’elle a renversé, de mettre en regard
les hommes d’aujourd’hui et les hommes d’autrefois ; il ne suffirait pas, et
j’ajoute cet exemple qui rentre dans sa pensée, d’établir une comparaison entre
la manière dont la loi constitutionnelle est exécutée actuellement, et celle
dont la loi fondamentale était observée dans les 15 dernières années.
Il y a certes là bien
lieu de se méprendre sur l’appréciation de semblables allégations ; mais,
légalement parlant, il n’y a pas provocations. C’est ainsi que vous l’entendez
tous. Vous ne devez donc pas faire une loi dont l’interprétation pût être
douteuse. Vous appuierez le mot directement
qui remplira le but que vous vous êtes proposé, évitant que l’on confonde
la provocation avec tout autre acte.
J’aborderai les
observations présentées par l’honorable préopinant. Il a demandé pourquoi nous
établissions une distinction entre la provocation directe et la provocation
indirecte. Je répondrai que nous faisons cette différence parce que ces deux
espèces de faits sont d’une nature tout autre ; parce que la provocation
directe a des conséquences que la loi que nous discutons actuellement a pour
but de prévenir, tandis que la provocation indirecte n’offre aucune espèce de
danger. Je ne sais si je m’explique bien ; mais j’attache une grande importance
à mon observation.
La provocation est un
appel ouvert aux partis ; c’est là une espèce d’adresse au peuple, une nouvelle
qui se transmettra de bouche eu bouche ; c’est là une provocation directe. Mais
si c’est une provocation détournée, indirecte, entortillée dans des phrases de
journal, quelle influence peut-elle avoir sur l’opinion populaire ? Le peuple,
celui qui se livre au pillage, ne lit pas les journaux orangistes. Mais il
pourra venir à ses oreilles que le Messager
de Gand, que le Lynx fixe pour
tel jour tel lieu de réunion. Voilà de ces faits qui constituent la provocation
directe. N’oubliez pas, messieurs, que c’est sous l’influence des événements du
mois d’avril que la loi qui fait l’objet de nos discussions vous a été
présentée. C’est dans le but de prévenir le retour de ces déplorables scènes.
Vous êtes donc à même de bien préciser les cas de provocations, puisque vous
avez à remplir une lacune de la législation ordinaire. Etablissez au moins un
degré entre les peines dont vous frappez la provocation directe et celles dont
vous croirez devoir frapper la provocation indirecte. L’on a dit qu’il y a plus
d’analogie entre la provocation directe et la provocation indirecte qu’il n’y
en a entre la provocation indirecte et les simples démonstrations.
Je ne le conteste pas.
Mais le point sur lequel je ne suis pas d’accord avec les orateurs que je
combats, c’est que les deux catégories de provocations amènent les mêmes
résultats. C’est ce que je nie formellement. La provocation indirecte ne
constituant pas un appel au peuple, n’exercera pas sur les masses l’influence
que vous voulez éviter, quoique l’intention soit peut-être plus coupable,
quoiqu’elle puisse peut-être dénoter plus de véritable méchanceté. Mais ce que
vous voulez punir, ce n’est pas l’intention, c’est l’effet qu’elle peut
produire. Ce que vous voulez prévenir, c’est le danger qu’il y a pour la paix de l’Etat dans des démonstrations publiques,
c’est qu’elles puissent devenir une cause de réunion populaire. Ce qui
n’arrivera jamais dans le cas de provocation indirecte. Je crois donc avoir
réfuté à cet égard les observations présentées par l’honorable M. de Theux. Je le prierai de vouloir
peser cette considération, J’admets qu’il y ait quelque analogie entre la
provocation directe et la provocation indirecte. J’espère que l’honorable M. de
Theux conviendra lui-même qu’il y a une différence dans leur gravité. N’est-ce
pas une des notions les plus élémentaires en matière pénale, qu’il ne faut pas
confondre dans la même criminalité des actes d’une nature différente, qu’il ne
faut pas leur appliquer les mêmes peines ?
C’est donc ce degré dans les
peines que j’ai réclamé. Ce que je vous demande, c’est que vous marquiez
une ligne de démarcation entre la provocation directe et la provocation
indirecte, et que vous mettiez celle-ci au-dessous de la première. En agissant
ainsi, vous ferez une chose juste, et le but que vous voulez atteindre, la
punition de la provocation, quelle qu’elle soit, n’en sera pas moins rempli.
Je ne m’attacherai pas à
répondre à toutes les objections que l’on nous a faites. Quelques-unes ont déjà
été réfutées. Je ferai une seule observation, Ce que vous voulez, c’est une loi
qui soit efficace. Or rejetez le mot directement
et vous renierez la loi. On a objecté que si l’insertion de ce mot était
admise, il serait facile d’éluder la loi et qu’elle serait par conséquent
inefficace. Je suis d’avis, comme vous, qu’il serait absurde d’établir des
peines que l’on ne se trouverait pas dans le cas d’appliquer. La loi ne sera
pas moins efficace, si vous séparez, comme je vous le propose les deux espèces
de provocations. Loin de là, son efficacité n’en sera que plus certaine. La
presse éludera la loi, nous dit-on. Elle ne l’éludera jamais qu’en provoquant
indirectement au rappel de la maison d’Orange, et en employant beaucoup de
détours pour arriver à un fait que le ministère public puisse qualifier de
démonstration indirecte. Je vous demande quelle influence pourra exercer sur le
peuple une démarche aussi prudente.
Il est fort singulier
que dans tout le cours de la discussion actuelle on se soit préoccupé
uniquement d’une face de la question, la répression des démonstrations envers
la famille déchue. Mais il est une autre face de la question que l’on semble
avoir négligée totalement, je veux dire la liberté de la presse. Vous le sentez
tous, messieurs, c’est la seule difficulté qui nous arrête. Nous ne voulons pas
que le pouvoir puisse atteindre indirectement les hommes qui croiraient de leur
devoir de censurer ses actes. La liberté de la presse est la garantie la plus
forte de la nation sous un régime constitutionnel. C’est un droit que nous
avons réclamé pendant quinze ans. Aujourd’hui que l’on vous dit que cette
liberté pourrait recevoir une atteinte, vous ne resterez pas impassible. Vous
ne risquerez pas de compromettre une garantie aussi précieuse, que le pouvoir
pourrait atteindre en faisant passer pour provocations au retour de la famille
déchue, ce qui ne serait que l’emploi libre d’un droit constitutionnel, la
légitime censure des actes du gouvernement,
M. le ministre de la
justice nous a dit que le jury saurait apprécier la nature des délits, qu’il
dirait que la provocation n’est pas directe. M. le ministre sait bien que le
jury ne répondra pas ainsi. Sa réponse ne pourra être que la réponse sacramentelle
: Oui, l’accusé est coupable, ou : Non, l’accusé n’est pas coupable. Ce serait
bon s’il s’agissait de circonstances aggravantes détachées du caractère
primitif de la peine. Le jury n’est appelé qu’à juger l’intention de l’accusé ;
la question de provocation ne fera donc que l’objet d’une seule question. Ce
qu’a supposé M. le ministre de la justice n’arrivera jamais. Mais, dans le
système que je viens de développer à la chambre, on pourra poser aux jurés ces
deux questions : Y a-t-il eu provocation. La provocation est-elle directe ou
indirecte ?
Je crois que l’honorable
M. de Theux ne doit pas attacher tant de prix à ce que le mot directement ne soit pas inséré dans la
loi. Selon lui, il n’y a pas de doute sur l’application de l’art. 2 à l’égard
des provocations indirectes. Que l’on ne dise donc plus que l’insertion du mot directement rendra la loi inefficace. La
loi recevra tout son effet. Seulement on proportionnera les peines aux délits.
On a prétendu,
messieurs, que le jury n’est pas de sa nature enclin à des condamnations. Le
jury a souvent été prôné comme étant une institution beaucoup plus précieuse
dans les causes politiques dans les causes purement judiciaires. C’est ce que
je n’ai jamais pensé. Je trouve que le jury est souvent une institution
dangereuse en matière politique. Pendant tout le temps que dura la réunion de
la Belgique à la Hollande, oui, l’influence politique du jury aurait eu un
effet admirable, parce que, formé de Belges, partageant la pensée de la
majorité du pays, il aurait opposé une barrière utile aux provinces
méridionales dans les procès politiques.
Si vous consultez le
jury aujourd’hui sur cette matière, j’admets que la plupart du temps sa réponse
formulera les vœux du pays. Mais il devra nécessairement se trouver par les
jurés des hommes de partis contraires. Si leurs opinions sont celles que l’on
qualifie d’orangistes, dans les procès qui seront suscités en vertu de la loi
que nous discutons, ils ne verront pas dans les provocations au retour de la
famille déchue un acte criminel. Si ne sont des patriotes, et que ce soient des
hommes passionnés, exaltés, n’est-il pas à craindre qu’ils ne regardent un fait
peut-être excusable comme une provocation directe, eux qui sont peu au tait de
la législation criminelle ?
L’arrêté de
Si vous rejetez le mot directement, je prends acte en terminant
de deux choses dont on est convenu dans tous les sens ; si vous rejetez le mot directement (et ici j’invoque le
témoignage de M. le ministre de la justice, et j’attache de l’importance à ce
que ce témoignage vienne d’un homme du gouvernement), vous n’autorisez personne
à croire que ce soit la même chose que si vous insériez dans la loi le mot indirecte, que si vous disiez provocation directe et indirecte. M. le
ministre de la justice a fait entendre qu’il pourrait arriver qu’une
provocation indirecte ne donnât pas lieu à l’application de la loi ; c’est
supposer que la provocation indirecte ne sera jamais punissable d’après la loi
; car s’il en est autrement, lorsque ce fait sera constant, la loi devra être
appliquée.
L’autre chose dont je
veux prendre acte, c’est que suivant l’opinion émise par l’honorable M.
Milcamps, opinion que personne n’a contredite, on ne peut envisager comme
coupables des vœux ou l’expression d’une simple opinion. Il faut que ces vœux
ou l’expression de cette opinion présentent les caractères déterminés par les art. 1er et 3 de la loi.
Je
terminerai par cette observation : l’amendement doit se présenter à vous sous
les meilleurs auspices ; il est soumis à la chambre par un ancien défenseur des
libertés de la Belgique, par un homme qui a défendu la presse sous l’ancien
gouvernement. Il est beau pour lui de servir de tradition vivante du même
attachement à cette liberté dont il a donné un si bel exemple autrefois.
M. le président. - La parole est à M. Legrelle.
M.
Legrelle. - Je n’avais demande la parole que pour combattre la proposition
de M. C. Rodenbach ; comme il a retiré sa proposition, je n’ai rien à dire.
M. de Theux. - L’honorable préopinant
a dit qu’il pouvait y avoir une distance immense entre une provocation directe
et une provocation indirecte, et qu’on ne pouvait leur infliger les mêmes
peines. Je ferai remarquer que la distinction des peines dans ce cas a été
consacrée par le code pénal.
Lorsque la provocation
prend le caractère d’attentat, de complot, le code pénal contient à cet égard
des dispositions spéciales. Il est donc inutile d’ajouter le mot directement pour caractériser
particulièrement certaines provocations. Les distinctions établies par le code
pénal sont, je crois, suffisantes. Mais il résulte de cette observation que l’article
en discussion ne se rapporte qu’à des délits d’une gravité moindre et qui ont
de l’analogie entre eux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne prolongerai pas cette
discussion que la chambre paraît généralement disposée à clore ; mais comme on
a pris acte de quelques paroles que j’ai prononcées dans la séance d’hier, je
crois qu’il est nécessaire que je rende ma pensée bien claire, pour qu’on ne
puisse pas prétendre que les subordonnés du gouvernement, les officiers du
ministère public ne peuvent exercer des poursuites sans se mettre en
contradiction ouverte avec les paroles du ministre de la justice.
J’ai dit et je répète
que le rejet de l’amendement de l’honorable M. Trentesaux n’aurait pas les
mêmes conséquences que l’insertion dans la loi du mot indirecte ; évidemment le rejet de l’amendement ne change rien à la
teneur du projet qui veut qu’il y ait une provocation, mais qui ne dit pas que
les provocations indirectes ne seront passibles ni de poursuites ni de condamnations.
J’ai dit que le jury
apprécierait le caractère de la provocation, déciderait si elle est directe ou
indirecte ; en effet, il est incontestable que ces circonstances sont
entièrement livrées à l’appréciation du jury. Le jury, lorsqu’il est saisi de
la question de savoir s’il y a provocation, doit examiner les circonstances de
lieu, le temps de coïncidence qui peuvent fixer, déterminer la gravité du fait.
S’il trouve dans la
provocation un tel caractère d’atténuation que, par exemple, la société n’ait
pas été mise un instant en péril sous le rapport de la paix publique, qu’elle
ne soit qu’un vœu inoffensif, une simple imprudence, il peut déclarer qu’il n’y
a ni provocation directe, ni provocation indirecte. Voilà le sens dans lequel
je me suis exprimé hier.
Je
terminerai en rappelant que dans la discussion qui a eu lieu à la chambre des
députes de la loi du 17 mars 1819, on n’a fait aucune difficulté à élaguer
l’expression directement. C’était la
première fois qu’on introduisait dans la législation française l’intervention
du jury ; et le principe général de la loi valut au ministère les éloges de
l’opposition. MM. Bignon, Benjamin Constant, Manuel, toute l’opposition de
gauche applaudirent à cette loi. Dans l’opposition la
plus prononcée, la plus jalouse de défendre les libertés publiques, il ne
s’éleva aucune objection contre l’absence du mot directement.
Aucune discussion ne
s’éleva sur ce point, tant l’intervention du jury parut une immense
amélioration. Cette observation suffira, je pense, pour calmer les craintes
qu’on a manifestées sur la rédaction de la loi.
M. Pollénus, rapporteur. - A la fin de la séance d’hier, un
honorable adversaire du projet a invoqué contre la loi en discussion l’autorité
de la commission chargée par le congrès d’examiner une loi analogue. Il s’est
borné à rappeler un passage du rapport qui, je pense, rend imparfaitement la
pensée de la commission. Je tiens à compléter la pensée de la commission, et à
combler la lacune laissée par l’honorable adversaire auquel je réponds.
Voici l’avis de la
commission :
« Rapport fait au
congrès national par la commission nommée pour examiner le projet de décret
présenté par M. van Meenen, sans la séance du 7
janvier 1831.
« Messieurs,
« La commission
ayant attentivement examiné le projet de décret présenté par l’honorable M. van
Meenen, et les motifs sur lesquels il s’appuie a été
unanimement d’avis que rien n’autorise à douter que les dispositions des lois
actuellement existantes sur les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat ne
restent en vigueur ;
« Qu’aucun fait ayant caractère officiel ou
précis n’a été signalé comme preuve de l’existence d’un pareil doute ;
« Que si, dans les
circonstances présentes, et dans le mouvement qui accompagne et suit une
révolution, il est impossible de ne point rencontrer des hommes dont les
intentions soient hostiles au bonheur du pays, et qui préfèrent l’agitation au
repos, il est cependant évident que la nation, fidèles à son devoir, à son
honneur, à elle-même, offre par son caractère et sa moralité la plus forte
garantie contre tout danger de conflagration ;
« Que, placés sous
la sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement provisoire sont mieux
protégés et seront mieux défendus que par les lois répressives ;
« Que si, ce que la
commission ne doit pas supposer ; un attentat venait à être commis, on
pourrait, dans ce cas même, unissant la nécessité de l’exemple avec les besoins
de l’humanité, adoucir la sévérité d’une condamnation, sans se livrer
prématurément et partiellement à la réforme du code pénal.
« Elle a, en
conséquence, l’honneur de vous proposer l’ordre du jour.
« Fait à Bruxelles,
le 13 janvier 1831.
« Baron Beyts, de Behr, Raikem, M.-N.-J. Leclercq, J. Barbançon, P.-J. Destriveaux. »
Aussi, vous le voyez, le
principal motif qui avait donné lieu à la proposition, c’est que son auteur
doutait si les dispositions du code rénal étaient applicables sous le
gouvernement établi en Belgique. Ce doute ayant été reconnu sans fondement, il
n’y avait pas lieu à admettre la proposition.
La jurisprudence a
depuis changé cet état de choses.
J’ai donc eu l’occasion
de compléter la citation de l’honorable membre, tout comme dans le cours de la
discussion j’ai eu l’occasion de relever une erreur qui s’était glissée dans
une bienveillante insinuation…
Je dois dire quelques
mots sur l’amendement présenté par l’honorable M. Boucqueau de Villeraie.
La première section avait proposé une disposition à peu près semblable ; mais
elle s’en rapportait à la section centrale sur la nécessité ou la convenance de
l’introduire dans la loi. La section centrale a été d’avis qu’il convenait de
conserver à la loi son caractère et son but tout à fait spécial, et qu’il ne
convenait pas de reconnaître le besoin d’autres moyens que ceux qui étaient
reconnus par le gouvernement lui-même qui, mieux que nous, doit être instruit
des faits et de ce qu’exige la situation du pays.
La section centrale a
encore eu un autre motif pour écarter la proposition de la première section. Il
m’est agréable de voir que par ce motif même M. C. Rodenbach ait retiré son
amendement. Oui, la loi doit être temporaire ; ce caractère ne peut être donné
à la proposition de M. Boucqueau de Villeraie, parce que la nationalité belge ne peut pas
réclamer une garantie temporaire. Cette proposition est de plus inconciliable
avec l’article dernier du projet, lequel porte que la loi n’aura d’effet que
jusqu’au traité définitif, terme qui n’est pas celui de la nationalité belge,
je l’espère.
Je
suis d’accord avec l’honorable membre
qui vient de vous dire que la provocation dont il s’agit à l’art. 1er doit
avoir une relation nécessaire avec l’idée du retour de la dynastie déchue. Mais
il pourrait, ajoute-t-on, que la provocation entrainât une autre idée que celle
du retour des Nassau, et c’est pour cela que l’on demande l’insertion du mot directement. La pensée de l’honorable M.
Ernst est celle de tout le monde ; cependant l’insertion du mot directement ne pourrait avoir lieu sans
causer des embarras dans l’application de la loi ; les monuments de la
jurisprudence attestent quelles sont les difficultés qui se sont élevées à
l’occasion de ce mot qui se trouve dans plusieurs lois pénales.
D’après les explications
résultant de la discussion, il me semble impossible qu’il y ait doute sur le
sens des termes de la loi ou sur son application. (Aux voix ! aux voix !)
M. d’Huart. - Est-ce la clôture de la
discussion sur tous les amendements que l’on demande ? Il me semble cependant
qu’il serait nécessaire de dire quelques mots sur l’amendement de M. Boucqueau de Villeraie ; il
faudrait que le ministre nous fît connaître s’il partage l’opinion de
l’honorable membre. L’amendement de M. Boucqueau
changerait, selon moi, le caractère de la loi. Mais faisons une loi spéciale et
temporaire, et point une loi générale et perpétuelle.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je m’empresse de déférer aux
interpellations faites par l’honorable préopinant.
J’apprécie l’intention
toute patriotique qui a dicté l’amendement de l’honorable M. Boucqueau de Villeraie, mais je
déclare que je partage contre cet amendement le sentiment du rapporteur de la
section centrale. Il y a une raison déterminante pour ne pas admettre la
proposition, c’est qu’elle a un caractère de permanence qui la mettrait en
désharmonie avec le reste du projet. Je pense, en outre, que la loi du 20
juillet 1831 contient des dispositions qui rendent superflu l’amendement de M. Boucqueau. Si nous en étions réduits au code pénal, si nous
n’avions pas d’autres moyens de répression que ceux qu’il offre dans ce cas,
j’approuverais l’amendement parce qu’il introduirait une atténuation qui
augmenterait les chances de la punition.
En rendant donc hommage
aux sentiments qui l’ont dicté, je me vois dans la nécessité de ne pas appuyer
l’amendement.
- La clôture de la
discussion des amendements et de l’article 1er est mise aux voix et adoptée.
- L’amendement de M.
Trentesaux est mis aux voix et rejeté.
L’amendement de M. Boucqueau de Villeraie est
également rejeté.
L’article 1er est
adopté.
Il est ainsi conçu :
« Art ; 1er.
Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés dans des lieux
ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, des dessins, des
gravures, des peintures ou emblèmes vendus ou distribués, mis en vente ou
exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches
exposés aux regards du public, ou de toute autre manière, aura publiquement
appelé ou provoqué le retour de la famille d’Orange-Nassau ou d’un de ses
membres, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende
de 500 à 10,000 francs. »
Articles 2 et 3
« Art. 2. Quiconque
aura fait une démonstration publique en faveur de la même famille ou d’un de
ses membres, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende
de 25 à 500 francs. »
- Adopté sans
discussion.
« Art. 3. Quiconque
aura arboré ou porté publiquement, sans l’autorisation du Roi un drapeau, une
cocarde ou les insignes distinctifs d’une nation étrangère sera puni des peines
portées en l’article précédent. »
- Adopté sans
discussion.
« Art 4
(additionnel). Tout fonctionnaire public, tout militaire, toute personne
jouissant d’une pension ou traitement à charge de l’Etat, qui aura été déclaré
coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui précèdent,
sera en outre condamné, par le même arrêt, à la déchéance de toute fonction
publique, grade, honneurs et pension. »
M.
A. Rodenbach. - Je demandais que le condamné fût également privé des
pensions sur la province ou sur la commune ; je retire mon amendement.
M.
Legrelle. - Je ne puis me dispenser, messieurs, de vous soumettre une
observation. Il y a une très grande différence entre les pensions ; il en est
qui résultent de la munificence du gouvernement ; il en est d’autres qui sont
devenues pour ainsi dire la propriété de ceux à qui elles sont accordées : on
fait des retenues sur les honoraires d’un fonctionnaire, et au bout d’un
certain temps il a une pension sur la caisse de retraite ; cette pension est
sienne. Cependant, l’article 4 ne faisant aucune distinction, les pensions de
la caisse de retraite pourront-elles être enlevées comme les pensions résultant
de la munificence du gouvernement ?
Après
avoir été condamné à une amende et à l’emprisonnement, le pensionnaire se
verrait privé en outre de ce qui souvent est son moyen d’existence ; la peine
ne me semble pas ici en harmonie avec le délit.
Il y a plus. Deux
personnes sont prévenues du même délit ; l’une a une pension, l’autre n’en a
pas ; la première sera frappée de manière à être privée de son existence ;
l’autre paiera seulement une amende et subira un léger emprisonnement : où est
l’égalité devant la loi ? Voilà deux peines très différentes pour le même fait.
M.
Gendebien. - Messieurs, un homme qui aurait conspiré contre l’Etat
belge, ou en faveur d’un des membres de la famille d’Orange-Nassau, serait
condamnable et pourrait être privé de toute pension de munificence ; mais
veuillez bien faire attention que le vague qui existe dans les articles que
vous avez adoptés déjà, est tel, qu’il ne sera pas toujours bien certain que
celui qui sera condamné avait l’intention, soit de détruire les résultats de la
révolution, soit de ramener un des membres de la famille d’orange. Veuillez bien
remarquer aussi qu’il y a dans la loi une échelle de peines, et que vous
appliquez la privation de la pension à tous les degrés de cette gradation de
peines.
Un homme, par exemple,
peut être condamné à un mois de prison et à 25 francs d’amende, conformément
aux articles 2 et 3 de la loi. Cet homme ainsi condamné à une faible peine,
vous le soumettez ensuite à une nouvelle et bien plus forte peine, que vous
considérez comme accessoire ; vous le condamnez à mourir de faim, après qu’il
aura fait son mois de prison et payé ses vingt-cinq francs d’amende ; vous lui
faites subir la même peine qu’à celui qui aura conspiré contre le gouvernement
établi, qui aura directement provoqué au retour de Guillaume ou d’un membre de
la famille d’Orange.
Je le demande, n’est-ce
pas là, je ne dirai pas jeter la perturbation dans toutes les idées de la
législation et de la jurisprudence criminelles, mais renverser tontes les idées
du sens commun.
Que le coupable,
fonctionnaire civil ou militaire, soit privé de ses fonctions, de son grade, de
ses honneurs, je le conçois ; mais il ne peut être privé de sa pension dans
toutes les circonstances possibles.
L’honorable M. Legrelle
vous l’a fait bien sentir, il y a une différence à établir entre les pensions.
Il faut faire en effet une différence à l’égard d’une pension arrachée à la
faiblesse du gouvernement, accordée à la flatterie d’un moment ; s’il ne
s’agissait que de ces pensions qui sont flétries dans leur origine, on
pourrait, on devrait saisir toutes les occasions, tous les prétextes même de
les abolir ; mais il est des hommes qui ont acquis une pension en versant sur
leur traitement une somme mensuelle pour la former : atteindrez-vous ces
pensions ?
Elles
sont payées par l’Etat, elles sont aussi à la charge de l’Etat, puisqu’il est
chargé de les payer ; condamnerez-vous à mourir de faim un ancien militaire qui
aura obtenu non une pension de faveur, mais une pension réglée par la loi en
raison de tel nombre d’années de service ?
Mon honorable ami M. Seron, retenu chez lui par une
indisposition assez grave, m’a soumis de très judicieuses réflexions sur
l’article en discussion ; je ne crois pas pouvoir mieux dire que ne l’a fait M.
Seron malgré son état douloureux.
Voici la lettre que m’a
écrite mon ami M. Seron ; il m’a autorisé à en donner lecture :
« Bruxelles, le 5
juin 1834.
« A M. Alexandre
Gendebien, membre de la chambre des représentants.
« Parmi les
observations que je voulais exposer, en voici une sur laquelle je crois devoir
appeler votre attention.
« La section
centrale, renchérissant sur les idées ministérielles, propose un art. 4
additionnel ainsi conçu : « Tout fonctionnaire public, tout militaire, toute
personne jouissant d’une pension ou traitement à charge de l’Etat, qui aura été
déclaré coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui
précédent, sera, en outre, condamné par le même arrêt à la déchéance de toute
fonction publique grade, honneurs et
pensions.
« Il existe à
Philippeville, à Mariembourg et dans les autres
communes des quatre cantons détachés de la France en 1815, un assez grand
nombre d’anciens militaires ayant fait les guerres de la république et de
l’empire dans lesquelles ils ont gagné des infirmités et perdu une jambe un
bras ou un œil. La plupart sont vieux et incapables de travailler. Ils
jouissent, à cause de leurs services et de leurs blessures, d’une pension
accordée sous le gouvernement français, et dont, aux termes des traités de 1814
et 1815, le paiement leur a été continué depuis notre réunion au royaume des
Pays-Bas, d’abord par le gouvernement néerlandais, ensuite par le gouvernement
belge.
« Ces anciens
militaires sont en général fort paisibles ; mais ils ont leurs opinions et
leurs moments d’honneur. Je suppose que l’un d’eux, en plein cabaret, après
boire, s’avise de dire que le gouvernement actuel est un … gouvernement (ici se
trouve une expression consacrée dans les camps), que le gouvernement de
Guillaume valait mieux et mangeait moins ; que pour faire une révolution de Vandernoot, il ne fallait pas tant se presser, et qu’enfin
il voudrait voir partir les c… et revenir les n… Des témoins ont entendu ces
paroles indiscrètes ; les jurés déclarent le fait constant. C’est une
démonstration publique en faveur de la famille d’Orange-Nassau. Les juges,
toujours humains, comme on sait, parce que l’habitude de condamner n’endurcit
pas leur cœur, les juges lui appliquent le minimum de la peine prononcée par
l’article 2 ; ils le condamnent à un simple emprisonnement d’un mois et à la
modique amende de 25 francs.
« Il n’est pas
assez puni ; il faut, de l’avis unanime de la section centrale composée de 7
membres, qu’il soit à toujours privé de sa pension et qu’il meure de faim.
Point de miséricorde ! car c’est là, dit l’honorable
rapporteur, M. Pollénus, procureur du Roi et grand patriote, c’est là une peine
toute rationnelle qui doit être attachée à la félonie et au parjure.
« Mais, M.
l’avocat, félon vient du vieux mot fel qui
signifiait méchant, faux, cruel, inhumain, traître, rebelle, infidèle ; mon
vieux militaire n’est rien de tout cela.
« Il ne s’est point
parjuré, car il n’a violé aucun serment ; il n’a pas fait un faux serment en
justice.
« Le mot rationnel que vous mettez à toute sauce
veut dire sans doute conforme à la raison, raisonnable. Or, la peine de la
perte de la pension, des moyens d’existence d’un pauvre diable pour quelques
mots par lui proférés inconsidérément, dans l’ivresse, cette peine est tout à
fait déraisonnable par son énormité.
« Elle est absurde,
puisque vous la regardez comme l’accessoire d’un mois de prison et de 25 francs
d’amende qui sont cependant peu de chose au prix de la privation des moyens
d’existence.
« Elle est
inconséquente, parce qu’il ne s’ensuit pas nécessairement de ma condamnation à
un mois de prison et à 25 francs d’amende, que vous ayez le droit de me couper
la gorge, de me faire mourir de faim.
« Elle est
souverainement injuste, puisque cette peine, prix de mes services, de mes
privations, de mes souffrances, de mon sang, était un droit acquis qui ne
devait mourir qu’avec moi, une propriété aussi sacrée que la maison, l’héritage
que d’autres ont acheté et payé, et que vous n’avez pas le droit de leur ôter,
quelque crime qu’ils commettent, à moins que vous ne rétablissiez la
confiscation ! à moins que vous n’effaciez de la
constitution la disposition de l’art. 12, comme vous en avez effacé tant
d’autres dispositions, ainsi conçue ;
« La peine de la
confiscation des biens ne peut être rétablie.
« Voilà, mon ami,
ce que j’aurais dit, entre autres choses, si ma situation m’avait permis de me
rendre à la chambre. Voyez si au lieu de garder le silence dans la discussion
comme vous paraissez vouloir le faire, attendu que la loi ne saurait être trop
mauvaise, voyez s’il ne conviendrait pas que vous vous élevassiez du moins
contre ce dégoûtant article 4 ajouté par la section centrale aux dispositions
proposées par le ministère. »
J’achève ici la pensée
de l’auteur de la lettre que je viens de citer, c’est ce que si vous ne voulez
point rétablir la confiscation, vous ne pouvez maintenir l’article 4 dans toute
l’étendue que son texte comporte. Je crois qu’il y aura lieu à renvoyer cet
article à la section centrale ; peut-être même devrait-on le supprimer en ce
qui concerne les pensions. Au reste, voici l’amendement sur lequel je
proposerais à la section centrale de rédiger un nouvel article, afin de rendre
l’article moins déraisonnable. Après les mots « coupable de l’un des faits
prévus par l’un des trois articles qui précèdent, » je mettrais :
« pourra (au lieu de sera) en outre être condamné par le même arrêt à la
déchéance de toute fonction publique, grade, honneurs et pensions, mais dans
les cas seulement de l’application du maximum de la peine
d’emprisonnement. »
Si
vous voulez étendre cet article à la destitution de certains fonctionnaires
publics, je serais très disposé à l’admettre, attendu que nous ne manquons pas
de fonctionnaires publics en Belgique, et qu’il n’y aurait pas de mal d’en
diminuer le nombre en renvoyant les orangistes. Nous en avons qui ne se sont
jamais compromis en rien, et qui, à tout événement, ont eu le soin d’avoir à la
fois un pied en Hollande et un pied en Belgique ; il n’y aurait pas de mal de
destituer quelques-uns de ces fonctionnaires, sans même recourir à
l’application de la loi que nous discutons. (On rit.) Il n’y aurait là pas d’arbitraire ; mais bonne justice
distributive si on le faisait au profit de tant de patriotes qui meurent de
faim. Si on admet mon amendement, je consens ainsi volontiers à ce que l’on
applique la loi aux fonctionnaires dont je parle ; mais je veux qu’on les
restreigne, quant aux pensions, au cas de l’application du maximum de la peine
de l’emprisonnement et pour les pensions seulement qui ne constituent pas un
droit acquis, qui ne résultent pas d’une loi.
M. Pollénus, rapporteur. - L’intention de la section
centrale, en rédigeant l’article soumis en ce moment à vos délibérations, a été
bien évidemment, ainsi qu’on l’a déjà fait remarquer à l’honorable M. Legrelle,
de borner ses dispositions aux pensions à la charge de l’Etat ; la disposition
ne s’étend pas aux autres pensions, qui sont affectées sur des caisses
particulières dont les fonds auraient été faits des deniers propres des
fonctionnaires, et cette expression « à la charge de l’Etat » ne peut
laisser aucun doute à cet égard.
Un député, qui n’est pas
présent à la séance, a adressé, par l’organe d’un de vos collègues, des
observations contre l’article du projet, en rappelant au rapporteur la qualité
qu’il a en dehors de cette chambre. Le rapporteur ne tiendra aucun compte de
cette insinuation. S’il est procureur du Roi hors de la chambre, il saura
montrer, et je puis dire qu’il a déjà montré, qu’il savait être député.
Il y a, dit ce député,
un droit acquis pour les pensions. Mais l’amendement de l’honorable M.
Gendebien détruit le système de M. Seron, dont il a donné l’analyse : si la
pension est un droit acquis, vous ne pouvez pas plus l’enlever quand le maximum
de la peine a été prononcé que quand on a applique le minimum.
Non, messieurs, une
pension n’est pas un droit acquis, et la preuve la plus incontestable, c’est
que la constitution elle-même, article 124, suppose qu’une pension peut être
votée en vertu d’une loi.
Ainsi M. Seron a évidemment
tort ; il est condamné par celui qui semblait soutenir son opinion.
Voici comme la section
centrale a considéré la pension. Elle a pensé que la pension n’était pas une
dette véritable ; elle y a vu un acte de munificence dont la continuation
supposait également la permanence des motifs qui l’avaient fait obtenir.
La section centrale ne
s’attendait pas et ne devait pas s’attendre à une attaque aussi vive à cet
égard, surtout lorsqu’elle se rappelait qu’un ministre du Roi avait dit que la
loi plaçait le gouvernement dans l’impossibilité d’ôter leur grade et leur
pension à des hommes qui avaient manifestement manqué à ce qu’ils se devaient à
eux-mêmes et à ce qu’ils devaient au Roi qu’ils avaient juré de servir. La
section centrale s’est inspirée des sentiments manifestés dans cette enceinte à
cette occasion, et en présentant cet article, elle a cru remplir les intentions
de la chambre.
Je persiste donc, n’en
déplaise à M. Seron, dans l’opinion de la section centrale, et m’emparant des
avertissements de la chambre et les rattachant à cette peine, je persiste aussi
à la considérer comme rationnelle.
D’après ces motifs, je
ne puis même admettre aucune transaction. Si un fonctionnaire public ou un
militaire de tout grade a manqué à ses devoirs au point de se rendre coupable
d’un fait de la nature de ceux mentionnés dans la loi, il serait inconcevable
qu’un tel homme continuât à jouir de la munificence d’un gouvernement qu’il
aurait cherché à anéantir. Non, la transaction n’est pas possible.
Afin
de jeter de la défaveur sur la disposition de l’article, on a présenté le
tableau de quelques anciens militaires. Mais ces militaires ne doivent-ils pas
savoir qu’en restant dans le pays dont le gouvernement continue un acte de
munificence, de bienveillance, ils contractent envers ce pays l’obligation
sincère de le servir, au moins de ne pas chercher à l’anéantir ? Au reste un
acte puni par la loi ne peut jamais avoir de justification.
M.
Legrelle. - Messieurs voudrez-vous, parce qu’un homme pour un délit
aura encouru une légère peine le frapper dans son existence
? Songez que ce n’est pas seulement l’homme coupable que vous atteindrez, mais
toute sa famille. La pension d’un ancien employé est un bien acquis non
seulement pour lui, mais pour toute sa famille qui vit de cette pension. Ne
pourra-t-il pas arriver que des démonstrations toujours coupables, il est vrai,
présentent des circonstances atténuantes, aient lieu par entraînement ou dans
l’ivresse ? Eh bien, je vous le demande, pour la faute d’un moment irez-vous
condamner à mourir de faim, non seulement le coupable, mais toute sa famille ?
Non, messieurs, cette
sévérité n’est nullement en rapport avec le délit.
Je croirais commettre
une injustice en donnant mon assentiment à cette disposition.
M.
Pirson. - On a dit qu’en mettant dans la loi pensions à la charge de l’Etat, on exceptait les pensions de la
caisse des retraites. Mais il est un fait, c’est que cette caisse de retraite
n’a pas assez de fonds pour faire face au service et que vous donnez des
subsides considérables, de sorte que ces pensions sont non seulement des
pensions de la caisse des retraites, mais d’une caisse à laquelle le trésor
public fournit des fonds considérables. Ces pensions pourraient donc être
considérées comme étant à la charge de l’Etat.
L’amendement
de M. Gendebien, en substituant le mot pourra
au mot sera, améliore l’article, mais
il ne remplit pas le but. Comme on vient de le dire, il y a telle famille qui
n’a pas d’autre moyen d’existence que la pension que reçoit son chef ; eh bien,
ce chef aura encouru le maximum des peines portées dans la loi que vous
discutez ; vous condamnerez toute sa famille à mourir de faim. Cependant tel
chef de famille peut être un mauvais sujet, tandis que les membres de cette
famille seraient de bons patriotes.
Je demande en
conséquence le renvoi à la section centrale.
M. d’Huart. - Comme plusieurs préopinants, je pense qu’il
faut supprimer ou modifier au moins la partie de l’article qui concerne la
pension. Il est à remarquer que les pensions subsistent après que les
gouvernements qui les ont conférées ont cessé d’exister. La preuve en est que
la majeure partie des pensions actuelles a été donnée sous le gouvernement
précédent. Là il y a un droit acquis que vous ne pouvez pas enlever comme vous
destitueriez un fonctionnaire qui, après un changement de gouvernement, ne peut
continuer ses fonctions sans un nouveau mandat. Une autre considération c’est
que celui qui jouit d’une pension a subi une espèce de retenue. Il n’en est pas
de même pour le fonctionnaire public.
Je
désirerais que l’article restât, sauf à supprimer le mot pension. Car un
fonctionnaire public qui commet un des délits prévus par cette loi est plus
coupable qu’un autre ; il a prêté serment au gouvernement et il en est payé
pour le servir fidèlement. Je pense donc qu’au lieu de donner la faculté de le
destituer il faut en imposer l’obligation.
M. Desmanet de Biesme. - Les
observations présentées par M. Gendebien sont de nature à faire impression sur
l’assemblée.
Il n’y a pas de
proportion entre le minimum de la peine comminée par la loi et la privation
totale d’une pension. Je voudrais que pour les cas graves dont les tribunaux
sont les justes appréciateurs, les coupables pussent être privés de leur
pension.
Quant
au mot pourra que l’honorable membre
veut substituer au mot sera, j’avoue
que je ne l’adopterai pas en ce qui concerne les fonctionnaires publics. Je
pense qu’il faut que ce soit une règle bien établie que tout fonctionnaire qui
se sera rendu coupable de délit contre le gouvernement, sera privé de ses
fonctions. Assez et trop longtemps les emplois, messieurs, sont restés entre
les mains des ennemis de notre révolution. Je trouve donc très juste que ceux
qui se rendront coupables envers la révolution perdent grades, emplois,
honneurs.
Mais pour la pension je
crois qu’il faut laisser au tribunal la faculté d’en priver le condamné ; je
propose en conséquence d’ajouter à la fin de la disposition : « Il pourra
par le même arrêté être privé de sa pension. »
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je commencerai par déclarer que
le gouvernement se ralliera à la proposition de l’honorable M. Desmanet de
Biesme. Je crois que ce serait exposer le sort de la loi dans son application
que de ne pas adopter cet amendement. Si l’action des magistrats était toujours
forcée dans l’extension des peines portées par l’art. 4, il serait à craindre
que le jury, effrayé des conséquences qui atteindraient non seulement l’accusé,
mais sa famille, dont un habile défenseur peut toujours faire ressortir la
position malheureuse, surtout si des circonstances atténuantes viennent
augmenter l’intérêt qu’elle inspire, que le jury, dis-je, ne préférât prononcer
un verdict d’acquittement.
La
première pensée du législateur, en faisant une loi pénale, est de calculer les
chances de son application. C’est un moyen presque assuré de consacrer
l’impunité que de créer des lois extrêmes. Je ne me dissimule pas que si dans
beaucoup de cas les peines prononcées par la section centrale ne seront que des
actes de justice, il peut s’en présenter d’autres où le juge sera enclin à
n’appliquer que le minimum de ces peines. Cette même considération peut frapper
le jury ; comme il est omnipotent, il y aurait lieu de craindre que pour
épargner à leur conscience une condamnation qu’il
regarderaient comme excessive, les jurés ne préférassent renvoyer
l’accusé absous. Vous irez ainsi contre le but de la loi. C’est par ces
considérations que je suis porté à croire que la chambre fera bien de se
rallier à la proposition de M. Desmanet
de Biesme.
M.
A. Rodenbach. - L’amendement que j’ai retiré, je le reproduis
maintenant. Je demande que ceux qui reçoivent des pensions sur les fonds de la
province ou de la commune, que ceux qui exercent des fonctions dans la province
ou dans la commune soient punis des mêmes peines que ceux qui reçoivent des
pensions ou des traitements de l’Etat. Lorsque des démonstrations ont été
faites en faveur de la famille d’Orange, lorsque la fameuse adresse a été
rédigée, on se souvient que des fonctionnaires publics y ont apposé leur nom.
Je
regrette que l’absence de l’honorable M. Dumortier nous prive des
renseignements qu’il pourrait nous donner à cet égard. Oui, messieurs, des
fonctionnaires provinciaux, des receveurs communaux ont apposé leur signature
au bas de cette abominable adresse. Je reproduits mon amendement, parce que
ceux qui sont félons ne doivent pas recevoir le prix de leur félonie et
recevoir en beaux deniers comptants leurs émoluments.
M.
Gendebien. - J’ai commencé par parler contre l’article en ce qui concerne
les pensions. J’ai exprimé le désir de voir disparaître les peines qu’il
consacrait à cet égard et j’ai demandé que l’on renvoyât l’article entier à la
section centrale afin qu’elle pût nous présenter une rédaction plus convenable
Je n’ai fait qu’indiquer ce qui me semblait devoir être ajouté à cet article,
si on n’admettait pas ma première proposition. Nons
sommes à peu près d’accord sur les différents points qu’il comporte, mais il en
est un auquel je crois devoir donner des développements.
Je conçois très bien
qu’un fonctionnaire public, qu’un militaire qui a reçu dans ces 4 dernières
années une pension de l’Etat, s’il commet le délit prévu par la loi en
discussion, se constitue en état de félonie contre le gouvernement, puisqu’il
reçoit un bienfait et qu’il le paie d’ingratitude. Je conçois que toutes les
pensions accordées sous le gouvernement actuel pourraient être retirées, si
toutefois les individus qui en jouissent ne les ont pas obtenues après avoir
rempli les conditions exigées par la loi.
On a contesté le droit
acquis que mon honorable ami M. Seron a défendu. Je crois que l’on devrait
considérer les pensions dont cet honorable membre a fait mention comme
irrévocables. En effet, elles ont été acquises en exécution d’une loi. Elles
ont été mises à la charge du gouvernement des Pays-Bas par les traités de 1814
et 1815. Et si l’Etat les paie actuellement, c’est en sa qualité de successeur
du royaume des Pays-Bas. On ne peut pas priver un citoyen d’un droit que des
lois et des traités antérieurs lui ont assuré. Ce serait donner à la loi un
effet rétroactif que d’accorder au juge le pouvoir d’atteindre les conséquences
d’un fait consommé avant sa promulgation.
Mais, vous a-t-on dit,
reconnaître que les tribunaux peuvent priver d’une pension un condamné au
maximum de la peine, c’est reconnaître que la loi n’a pas d’effet rétroactif.
Je n’ai pas reconnu que la loi pouvait en agir ainsi, mais j’ai dit que la
section centrale pourrait adopter la rédaction que je présente si ma première
proposition n’était pas adoptée. Je n’ai entendu nullement abandonner ma
première opinion.
La chambre montre des
dispositions si bienveillantes pour la loi proposée, que je dois la placer dans
toutes les positions possibles afin de rendre cette loi moins mauvaise. Je défie
que l’on justifie la loi du reproche de rétroactivité à l’égard des pensions de
retraite réglées d’après une loi, ou à l’égard des pensions sur la caisse de
retraite.
Car
toutes ces pensions sont des pensions à charge de l’Etat. Il est chargé de les
servir ; il a reçu pour cet objet les retenues mensuelles que la loi fixait sur
chaque traitement pour les unes et des services pour les autres, services pour
lesquels la loi accordait une pension. La loi ne faisant pas de distinction, le
juge ne fera pas la distinction. Il existe donc une difficulté sur
l’interprétation de la loi à l’égard des pensions. Quand on fait une loi, c’est
pour trancher des difficultés. Je persisté donc à demander le renvoi de
l’article à la section centrale.
M. d’Huart. - Je propose la suppression du mot pensions. Mon amendement devra ainsi
obtenir la priorité sur celui de M.
Desmanet de Biesme.
M.
Gendebien. - Je crois que l’amendement de M. d’Huart va trop loin et
que celui de M. Desmanet de Biesme ne va pas assez loin, ou plutôt qu’ils vont
trop loin tous les deux. Il y a diverses catégories de pensions. Si vous
autorisez les juges à priver un individu de sa pension sans distinction,
cependant vous devez distinguer entre la pension pour laquelle il y a droit
acquis et la pension de faveur ; sous ce rapport l’amendement de M. Desmanet va
trop loin, puisqu’il autorise le juge à priver indistinctement tout accusé de
la pension.
L’amendement de M.
d’Huart ne va pas assez loin ; en effet il y a telle catégorie de pensionnaires
qui ne doivent et ne peuvent pas être privés de leurs pensions ; les hommes qui
ont reçu des pensions de la munificence du gouvernement ou sur la cassette
royale, pourquoi ne seraient-il pas privés de leur pension s’ils commettent des
crimes et des délits contre l’existence du gouvernement ou du chef de l’Etat ?
Il y a là ingratitude et même félonie.
Il
faudrait distinguer entre les pensions de faveur et celles résultant de cas
spéciaux déterminés par la loi.
Je persiste à demander
le renvoi à la section centrale, à moins que quelqu’un n’improvise une
rédaction satisfaisante.
M. Pollénus, rapporteur. - Puisque mes honorables collègues
de la section centrale me donnent cette preuve de confiance d’abandonner à moi
seul la défense de l’article en discussion, article qu’elle a voté à
l’unanimité, je dois soumettre à la chambre le principal motif qui a déterminé
ce vote.
On se rappelle que, lors
de la discussion du budget de 1833, il fut question de la pension de M. l’abbé
de Pradt : on fit valoir beaucoup d’objections contre
cette pension ; mais on fit remarquer qu’il avait lancé un écrit contre la
révolution ; ce motif fut plus fort que l’argument que l’on avait prétendu
déduire du traité des 24 articles, et il détermina la chambre à faire refuser
par le ministre des finances le paiement de la pension.
Après
cet engagement, après un vote si unanime de la chambre, la section centrale
pouvait-elle douter que la chambre hésitât à priver de leurs pensions des
hommes vivant dans le pays, lorsqu’ils ont commis un délit par lequel ils ont
cherché à compromettre notre révolution ?
Je persiste à demander
le maintien de l’article.
M. Gendebien. - Il n’y a aucune espèce d’argument
à tirer de la pension de M. de Pradt ; elle ne
résulte d’aucune loi : tout le monde en connaît l’origine. M. de Pradt, en quittant l’archevêché de Malines, a échangé son
titre d’archevêque contre une pension. Je ne conteste pas à M. de Pradt sa pension ; je ne suis pas ici pour cela ; je dis
seulement qu’il y a une grande différence entre une telle pension et celle de
4, 6 ou 800 francs qu’un militaire aura gagnée en combattant pour son pays. Je
dis qu’un militaire qui aura perdu un bras, une jambe, un œil, comme dit M.
Seron, ne doit pas dans sa vieillesse être privé d’une pension qui l’empêche de
mourir de faim et de misère. Il n’y a pas là de comparaison possible.
M. Legrelle. - Je repousse l’amendement de M.
A. Rodenbach, parce que, s’il était admis, il donnerait lieu à des conflits
entre l’autorité judiciaire et les administrations communales ou provinciales.
En effet, si après qu’un
employé de l’une de ces administrations a été privé de son emploi et de sa pension
en vertu d’un jugement, l’administration communale ou provinciale trouve dans
son délit des circonstances tellement atténuantes qu’elle juge convenable de le
réélire, il en résultera une espèce de scandale ; il y aura un conflit entre
l’autorité judiciaire et l’autorité provinciale ou communale. Il est donc
évident que vous devriez stipuler le terme dans lequel cet employé ne pourra
être réélu, ou que vous devez rejeter l’amendement de M. A. Rodenbach.
M. d’Huart. - L’honorable M. Gendebien a dit que ceux qui
tenaient des pensions de la munificence du gouvernement, qui avaient des
pensions de faveur et non instituées par la loi, devaient en être privés s’ils
sont condamnés pour l’un des délits spécifiés dans la loi. Mais je lui ferai
remarquer qu’il n’y a pas de telles pensions, que toutes les pensions sont
établies par des lois. Aurait-il voulu parler des pensions sur la cassette du
Roi ? Mais sans doute le Roi est libre de disposer à son gré de sa liste
civile ; et on ne doit pas croire qu’il en dispose pour pensionner les
orangistes, les ennemis de son trône. (Rires
d’approbation.)
L’honorable M. Gendebien
ne veut pas sans doute laisser aux tribunaux la faculté d’ôter des pensions
fondées sur des droits acquis avant la révolution. Cette observation tendrait à
faire la révision des pensions, à établir des catégories entre les
pensionnaires.
Quant
à moi je pense qu’en général il ne faut pas laisser aux juges la faculté d’ôter
les pensions, et que, s’il y a des abus, ils seront très rares. Je voterai pour
l’amendement de M. Desmanet.
Quant à ce qu’a dit M.
Legrelle sur la possibilité d’un conflit entre l’autorité judiciaire et les
autorités provinciales ou communales, je ne pense pas que cela doive nous
donner me moindre scrupule. Déjà dans la loi provinciale nous avons déterminé
des incompatibilités. Il appartient d’ailleurs à la loi d’ôter les droits
civiques aux individus qui se rendent coupables de tel ou tel délit. Je pense
donc que nous ne devons avoir aucun scrupule à accueillir l’amendement de M. A. Rodenbach.
M. Donny. - Si je n’ai pas pris la parole comme
membre de la section centrale pour défendre la disposition qu’elle a proposée
relativement aux pensions, l’honorable rapporteur ne doit pas en être surpris ;
car la raison en est toute simple. J’ai entendu alléguer de si bonnes raisons
contre cette partie des propositions de la section centrale, que je suis plus
disposé à voter pour la suppression de cette disposition qu’à l’appuyer. Je ne
reproduirai certainement pas tous les arguments qu’on a présentés contre ce
système ; mais s’ils ont fait sur l’esprit d’un grand nombre de membres de
l’assemblée l’impression qu’ils ont faites sur le mien, le succès de ce système
est bien douteux ; car je le répète, je me sens disposé à voter contre cette
partie de l’article de la section centrale.
M.
A. Rodenbach. - J’ajouterai à ce qu’a répondu à l’honorable député
d’Anvers un représentant qui siège à ma droite, que s’il avait lu l’art. 5 de
la section centrale, probablement il n’aurait pas fait valoir les arguments
qu’il a présentés pour le combattre.
Par qui donc sont payés
les employés des administrations provinciales ? Par qui ? Par le peuple ; et
lorsqu’ils ont par leurs crimes ou délits trahi ce peuple et sa révolution,
sans doute ils n’ont plus aucun salaire à attendre de lui.
- L’amendement de M.
d’Huart est mis aux voix, il n’est pas adopté.
L’amendement de M.
Desmanet de Biesme est mis aux voix et adopté.
L’amendement de M. A.
Rodenbach est également adopté.
L’ensemble de l’art. 4
est adopté avec les amendements déjà votés.
« Art. 5
(additionnel). Les coupables seront, dans les cas prévus par les mêmes articles,
déclarés déchus des droits d’électeurs et d’éligibilité pendant trois ans au
moins et six ans au plus. »
M.
le président. - Demande-t-on la parole ? Si personne ne demande la
parole, je vais le mettre aux voix.
- L’article 5 est mis
aux voix et adopté.
M.
Gendebien. - Je ne pensais pas que l’on voterait si rapidement ;
j’avais des observations à présenter sur cet article.
Il me semble qu’il ne
faudrait pas condamner indifféremment à la perte des droits politiques les
coupables : l’un sera condamné, attendu les circonstances atténuantes, à 25
francs d’amende et à un court emprisonnement ; l’autre aura mérité toutes les
rigueurs de la loi. Peut-on condamner l’un et l’autre à la perte des droits politiques
? C’est la peur qui vous dicte cette loi ; mais du moins, dans la peur,
n’oubliez pas, s’il se peut, les règles du sens commun. Pourriez-vous priver
des droits politiques un homme dont les paroles recueillies par un infâme agent
auront été rapportées travesties à un ministre qui a peur, comme vous priveriez
des droits politiques un homme qui aurait conspiré contre l’Etat ?
M.
le président. - L’article est voté ; avant de le mettre aux voix, j’ai
demandé plusieurs fois si on voulait la parole.
Articles 6 à 10
« Art. 6. Quiconque
aura porté publiquement, sans autorisation du Roi, l’un ou l’autre des insignes
d’un ordre quelconque, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et
d’une amende de 50 à 500 francs, sans préjudice de l’application, s’il y a
lieu, des peines portées aux articles 2 ci-dessous et 259 du code pénal. »
- Adopté.
« Art. 7. Les
articles 3 et 6 de la présente ne sont applicables ni aux agents diplomatiques
et consuls accrédités et leur suite, ni aux étrangers chargés d’une mission
auprès du gouvernement, ou voyageant avec l’agrément du gouvernement.
« Les bâtiments de
guerre ou de commerce appartenant aux nations alliées ou neutres pourront
également, dans les ports et eaux intérieures, arborer leur pavillon, selon les
usages établis. »
- Adopté sans
discussion.
« Art. 8. Les
articles 57 et 58 du code pénal sont applicable à la
présente loi. »
- Adopté sans
discussion.
« Art. 9. La
connaissance des délits prévus par les articles 1, 2 et 3 ci-dessus est attribuée
aux cours d’assises. »
- Adopté.
« Art. 10. La
présente loi cessera d’avoir son effet à l’époque du traité définitif entre la
Hollande et la Belgique. »
- Adopté.
FIXATION DE L’ORDRE
DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M.
le président. - Comme un article a été amendé, on ne peut voter
aujourd’hui définitivement.
M.
Jullien. - C’est dommage !
M.
le président. - Il s’agit de déterminer l’ordre du jour pour la séance
prochaine.
Des voix. - Rapport sur les pétitions ! les pétitions !
D’autres voix. - La loi provinciale ! la loi provinciale !
M.
Dubus. - Il y a de nombreux amendements sur la loi provinciale ; il
faut qu’ils soient imprimés et distribués : nous devons, avant de voter
définitivement, examiner l’ensemble de la loi tel qu’il est maintenant. Je
demande que demain on s’occupe des pétitions, et que lundi nous nous occupions
du second vote sur la loi provinciale.
M.
Legrelle. - On dit que le droit de pétition est un droit sacré ; il ne
suffit pas de le dire : pour que ce droit ne soit pas illusoire, occupons-nous
demain des pétitions.
M.
le président. - La chambre s’occupera demain des pétitions.
- La séance est levée à
quatre heures.