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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 9 juin 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi visant à interdire
les démonstrations publiques (notamment : liberté de la presse et recours au
jury d’assises) en faveur de la famille d’Orange-Nassau (+pensions des
fonctionnaires publics (Jullien, Desmanet
de Biesme, Pollénus, A.
Rodenbach, Jullien, Milcamps,
A. Rodenbach, Gendebien, Lebeau, Pollénus)), (+arrestation
préalable) (Fleussu, Lebeau, Fleussu, Lebeau, Raikem,
Lebeau, Gendebien, Lebeau, d’Huart, Gendebien, Lebeau)), (+pensions
des fonctionnaires publics) d’Huart, de
Theux, Desmet)
3) Projet de loi d’organisation
provinciale. Second vote des articles. Cens et conditions d’éligibilité (Dubus, de Theux, Dubus)
(Moniteur belge n°161, du 10 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à
une heure.
M. H. Dellafaille fait l’appel nominal.
Le même donne lecture du
procès-verbal de la séance d’avant-hier ; il est adopté sans réclamation.
M. Liedts fait connaître l’objet des pétitions suivantes
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Les
administrations communales de Vleezeele, Nederhasselt et Oordeghem,
demandent que la ville d’Alost soit érigée en chef-lieu d’arrondissement et que
leurs communes en fassent partie. »
« Les administrations
communales des communes composant le canton de Henri-Chapelle adressent des
observations sur la circonscription projetée du canton d’Aubel. »
- Ces deux pétitions
sont renvoyées à la commission chargée de examen du projet de loi sur la circonscription des
justices de paix.
M.
de Renesse demande un congé de six jours.
- Accordé.
PROJET DE LOI VISANT A
REPRIMER LES DEMONSTRATIONS EN FAVEUR DE LA FAMILLE D’ORANGE-NASSAU
Second vote
Article 4 (additionnel)
M.
le président. - L’art.4 du projet de la section centrale et auquel le
gouvernement s’est rallié, était ainsi conçu :
« Tout
fonctionnaire public, tout militaire, toute personne jouissant d’une pension ou
traitement à charge de l’Etat, qui aura été déclaré coupable de l’un des faits
prévus par l’un des trois articles qui précédent, sera en outre condamné, par
le même arrêt, à la déchéance de toute fonction publique, grade, honneurs et
pension. »
Deux amendements ont été
introduits dans cet article : l’un, de M. A. Rodenbach, consiste à ajouter
après ces mots : « à la charge de l’Etat ; » ceux-ci : « de la
province et de la commune ; » l’autre, de M. Desmanet de Biesme, consiste
à ajouter à la fin de la disposition, au lieu des mots « et
pension, » ceux-ci : « Il pourra, par le même arrêt, être déchu de sa
pension. »
La discussion est
ouverte sur ces amendements.
M.
Jullien. - Je commence par déclarer que je professe le plus profond
mépris pour tout homme qui accepte des honneurs et des emplois d’un
gouvernement avec l’intention de lui nuire, ou même seulement sans avoir
l’intention de servir fidèlement et loyalement le pays qui le paie. Ce
sentiment me paraît avoir dominé la discussion qui a eu lieu sur un article à
l’avant-dernière séance ; ce sentiment est louable sans doute ; mais il ne doit
pas aller jusqu’à l’injustice. Or, je suis convaincu que vous commettriez une
injustice révoltante si vous adoptiez l’article tel qu’il est conçu, si vous
laissiez aux tribunaux la faculté de priver indistinctement de leurs pensions
ceux qui seront dans le cas de la loi, quelle que soit l’origine de ces
pensions.
Il est certain en
principe qu’on peut, dans des cas donnés, priver un individu d’une faveur qu’on
lui a accordée. Et, toutes les fois qu’il s’agit de donations, on sait qu’elles
peuvent toujours être révoquées pour cause d’ingratitude. Ainsi les
fonctionnaires publics, les employés qui ont reçu du gouvernement des pensions
de faveur, s’ils emploient des manœuvres pour le renverser, à ces hommes on
peut appliquer la déchéance de ces pensions ; mais là doit s’arrêter votre
droit tant que la confiscation n’aura pas été rétablie.
Il y a des distinctions
à faire entre les pensions, distinctions qui n’ont pas été, ce me semble,
suffisamment appréciées par la chambre. Voici les différences que je proposerai
d’établir : pour les pensions qui ont été données à d’anciens militaires ou
autres par le gouvernement français, et que le traité du 25 avril
Songez donc que ces
pensions ne sont pas dues par la Belgique à titre gratuit, mais à titre onéreux
; que vous êtes à cet égard les débiteurs des pensionnaires, les délégués de la
France ; que vous avez, je le répète, reçu le prix de ces pensions ; que vous
ne pouvez par conséquent les retirer aux pensionnaires, à moins de leur
confisquer, de leur voler leur bien : je tranche le mot. Voilà pour ce qui
concerne les pensions mises à la charge de la Belgique par les traités avec la
France ou d’autres puissances.
J’aborde un autre genre
de pensions, celles établies sur la caisse de retraite, acquises à des
fonctionnaires et employés d’après le nombre déterminé d’années de service, non
sur les deniers de l’Etat, mais sur leurs propres deniers ; car ce sont leurs
propres traitements qui ont fourni à la caisse de retraite les fonds de ces
pensions. Vous ne pouvez donc, dans l’un ou l’autre cas des articles de votre
loi, déclarer ces fonctionnaires privés de leurs pensions. Il faut, si vous ne
voulez pas rétablir la confiscation, ne pas accorder aux tribunaux la faculté
d’en prononcer la déchéance.
Je vous ferai encore
observer que d’après les principes étranges que vous avez introduits dans la
loi, ce sont précisément les fonctionnaires publics, les employés, les
militaires ayant des grades, qui sont le plus exposés à se trouver dans les cas
des articles 1 et 2, et ils y sont le plus exposés, précisément parce qu’ils
ont des places ; car, comme l’a dit M. l’abbé Boucqueau
à l’avant-dernière séance, il y a une masse de patriotes très amoureux de
places, non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour leurs parents et leurs
amis ; et ils se croient tant de droits à les obtenir, que si on les leur
refuse, ils se proclament de suite orangistes, ainsi que vous l’a dit
l’honorable abbé de monsieur un tel, à qui on avait refusé une place de
gouverneur ou de colonel, et de monsieur un tel qui n’a pu obtenir celle de
commissaire de district.
Or, ne craignez-vous pas
que ces fonctionnaires et ces militaires gradés ne soient entraînés dans le
piège par cette espèce de patriotes, et ne tombent dans l’un des cas de votre
loi ?
Il est d’ailleurs
impossible de prévoir quels seront les cas de la loi, puisqu’ils n’ont pas été
définis. Dans quel cas, par exemple, les démonstrations orangistes ne
seront-elles pas un appel ou une provocation au retour des Nassau ? La
souscription, puisqu’on a encore cité cette éternelle souscription, n’a-t-elle
pas été qualifiée par certains orateurs, tantôt d’appel au retour des Nassau,, tantôt de démonstrations orangistes ?
M.
Ernst. - C’est une erreur.
M.
Jullien. - Je sais que l’honorable M. Ernst, et je m’empresse de lui
rendre cette justice, a dit que c’était seulement une démonstration. Toujours
est-il que, d’après votre loi, les démonstrations orangistes seront tout ce
qu’on voudra.
Les
fonctionnaires, les officiers seront à la merci des délateurs qui ne manqueront
pas de leur tendre des pièges pour les faire déchoir de leurs titres et
fonctions afin de se mettre à leur place. Je désire que ces craintes ne se
réalisent pas ; mais dans cette prévision, je crois de mon devoir de proposer
un sous-amendement ; il consisterait à ajouter à l’amendement de l’honorable M.
Desmanet de Biesme après ces mots : déchus
de leurs fonctions, ceux-ci :
« A
l’exception de celles qui ont été mises à la charge de l’Etat par suite de
traités avec les autres puissances, ou des pensions originairement dues par la
caisse des retraites. »
- L’amendement de M.
Jullien est appuyé.
M. Desmanet de Biesme. - En vous
présentant mon amendement dans la séance précédente, mon but n’a pu être
douteux pour l’assemblée : forcés par les circonstances à voter une loi
d’exception, nous devons tous désirer qu’elle soit efficace, mais nous devons
tous désirer aussi qu’elle ne porte pas l’empreinte d’une loi de passion, et
qu’elle soit adoucie, améliorée. J’aurais adhéré à la suppression demandée du
mot pension ; mais comme cela ne me
paraissait pas devoir être accepté par l’assemblée j’ai cru devoir présenter
une modification. D’après les nouvelles observations présentées par M. Jullien
et qui tendent à adoucir la loi sans lui ôter de son efficacité, je partagerai
volontiers son opinion.
M. Pollénus, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur ce qui
a été dit pour et contre la proposition de la section centrale, tendant, soit à
autoriser le juge, soit à lui imposer l’obligation de condamner les coupables
des délits prévus par la loi à la privation des pensions. Je ferai seulement
remarquer que des termes du projet de loi et des explications données dans les
précédentes séances, il ne peut résulter de doute relativement aux pensions
affectées sur la caisse des retraites : la loi ne frappe pas sur ces pensions ;
ainsi l’amendement de M. Jullien, sous ce rapport, me paraît inutile.
Pour ce qui regarde les
pensions accordées à des militaires, on distingue celles qui sont payées en
vertu des traités. Je crois qu’il n’y a pas lieu à faire cette distinction ; la
nature de toutes les pensions est la même, les obligations des pensionnés ne
peuvent être différentes.
Il me semble que nous
avons complètement répondu à tout ce que l’on a dit contre le système de la
section centrale : on a invoqué un article de la constitution pour combattre ce
système ; nous en avons cité un autre (l’article 124), qui porte textuellement
que les personnes jouissant de pensions pourront en être privées en vertu d’une
loi. Cet article de la constitution n’ayant fait aucune distinction, il faut
examiner s’il y a utilité, s’il y a justice à faire l’exception dont on parle :
pour ma part, je ne le pense pas.
Les puissances
contractantes aux traités, qui se sont chargées de payer quelques pensions en
recevant le capital de ces pensions, n’ont pu s’imposer de les payer même aux
individus qui conspiraient contre ces puissances ; un acte de cette nature ne
peut échapper à des conditions de résolution telles que celles qui se
rencontrent dans la loi proposée. Par suite des arrangements, tel individu est
payé par la Belgique, par cela seul qu’il y demeure ou qu’il y est né :
recevra-t-il encore sa pension s’il conspire contre le nouvel Etat qui succède
à la dette du premier ? Pouvez-vous croire que dans un traité on stipule que
les conspirateurs ne perdront pas leurs pensions dans ce cas ? Des lois de
l’empire prononcent la peine de mort et la confiscation contre ceux qui
attaquent l’Etat ; la loi proposée, en prononçant contre eux la perte de leurs
pensions, peut-elle étonner ces ingrats ? De quoi se plaignent-ils ? Considérez
que les privations de pension seront ordonnées par le jury, par le jugement du
pays, par conséquent, et ce jugement doit rassurer. On doit sévir contre ceux
qui ont cherché à mettre le pays en péril, et leur refuser la continuation
d’une rémunération dont ils font un si coupable usage.
La
privation de la pension est une faculté laissée au juge ; il ne la prononcera
pas légèrement. Par un premier jugement on ne sera pas condamné à la privation
de la pension, à moins que le cas ne soit très grave ; quand on sera en état de
récidive, on pourra même n’être pas toujours privé de la pension ; les
circonstances aggravantes pourront seules déterminer le juge à être rigoureux.
Je crois, messieurs,
qu’en voilà assez pour tranquilliser l’assemblée sur les conséquences de la
délibération qu’elle a prise dans une des précédentes séances.
M.
A. Rodenbach. - Je me prononcerai contre l’amendement présenté par
l’honorable M. Jullien. Cet
orateur a fait des distinctions entre les pensions. On a dû le tranquilliser
suffisamment relativement aux pensions établies sur la caisse de retraite ;
celles-là, lui a-t-on dit, ne peuvent être enlevées. Quant à ce qu’il a allégué
sur les traités, je ferai observer que les militaires qui reçoivent des
pensions en conséquence de ces traités, c’est en qualité de Belges que la
Belgique les leur paie : ainsi c’est à un Belge qu’on a donné la pension ; et
si ce Belge conspire, forfait à l’honneur, je ne vois pas pourquoi il faudrait
user de ménageaient envers lui.
Cependant on ne prive de
la pension que selon les circonstances plus ou moins aggravantes qui
accompagnent le délit ; c’est pour cela que nous avons mis les mots : pourra
être privé, etc. C’est le jury qui examinera les circonstances du fait imputé ;
il est très indulgent, et tellement indulgent, que nous avons eu l’exemple
d’acquittements scandaleux.
L’amendement
ne me semble nullement nécessaire ; je trouve, au contraire, qu’il est utile de
laisser à la loi toute sa sanction : la privation de la pension déterminera
peut-être quelques individus à ne pas conspirer. Il faut lier les malveillants
par leur intérêt. L’intérêt est un grand mobile des actions des hommes.
Par ces motifs je
repousse l’amendement.
M.
Jullien. - Je prends acte de ce qui vient d’être déclaré par M. le
rapporteur de la section centrale (M. Pollénus), savoir que dans tous les cas
la loi ne s’applique pas aux pensions payées par des caisses de retraite. Cette
explication était au moins nécessaire.
Quant aux autres
pensions, je ne me tiens pas satisfait par ce qui a été dit. Les hommes qui
reçoivent des pensions en vertu des traités, soit Belges ou Allemands, étaient
créanciers du gouvernement français ; ils étaient inscrits sur le grand livre.
Il n’y a que des militaires dans cette catégorie. Il en est de même de tous les
Belges qui, à l’époque des traités, étaient créanciers reconnus de la France.
Qu’est-il arrivé ? Après
1814, à la suite des désastres de l’armée française, au moment où les alliés
imposaient leurs conditions à la France, on l’a amenée à un arrangement pour
toutes ses dettes à des sujets étrangers. Elle a versé
dans les caisses des divers Etats je ne sais combien de millions : le capital
enfin de toutes les créances. La Belgique, ou plutôt les Pays-Bas, ont reçu
pour leur part 35 millions environ, à la charge de payer tous les créanciers de
la France sujets des Pays-Bas. C’est ainsi que les Belges sont devenus
créancier de la Belgique, puisque l’Etat, en recevant ces fonds, a pris sur lui
l’obligation de remplir les engagements de la France. Or, qu’ont de commun ces
créances avec votre loi orangiste ?
II y a encore
aujourd’hui des créanciers de la France qui ne sont pas payés, quoique leurs
créances aient été liquidées par le traité d’avril 1818. Ils en réclament
encore aujourd’hui le paiement, mais on les renvoie à la liquidation avec la
Hollande, parce que la Hollande a reçu les fonds. Y a-t-il quelque chose de
politique dans ces créances qu’un traité a mises à la charge de l’Etat ? Vous
ne pouvez pas confisquer ces créances que la Belgique a prises à sa charge en
remplaçant la France dans ses obligations moyennant finances reçues à cet
effet. Vous ne pouvez pas plus confisquer les pensions que vous vous êtes
engagés à payer pour la France, que vous ne pourriez dire aux autres créanciers
qui se trouveraient dans le cas de la loi : je confisquerai les fonds que j’ai
entre les mains et que je vous dois. Ce serait une iniquité qui, en droit comme
en fait, révolterait tout le monde.
Ces pensionnaires ne
sont donc que des créanciers ordinaires ; car ce n’est pas, comme l’a dit M. A.
Rodenbach, comme Belges ou comme Allemands qu’ils ont été récompensés. Si la
France n’avait pas traité avec le gouvernement pour ces dettes, elle en serait
restée débitrice envers les pensionnaires. Or, je vous demande si une contravention
à votre loi de démonstrations orangistes pourrait détruire les droits de ces
créanciers à charge de leur débiteur primitif. Si j’étais, dans pareil cas,
votre créancier, je dirais à la France : Vous étiez ma débitrice, vous avez
payé la somme de.... à la Belgique a la charge d’acquitter la pension que vous
me deviez. La Belgique me confisque cette pension. C’est à vous ma débitrice
primitive que je remonte, parce que c’est à vous à faire exécuter et à faire
valoir le traité que vous aviez fait avec la Belgique. La France me répondra :
Si dans votre pays il y a des lois qui prononcent la confiscation, tant pis
pour vous.
Mais s’il n’y a pas de
loi qui prononce la confiscation, je serai dans mon droit en recourant à mon
débiteur originaire.
Voilà des principes de
justice qu’il est impossible de contester.
Mais en présence de ces
droits si simples on a parlé des dangers de l’Etat.
Messieurs, les
conspirations et les complots sont prévus par le code pénal. Aussi n’est-ce pas
de complots ou de conspirations qu’il s’agit dans la loi, mais de
démonstrations et de provocations. Eh bien ! je fais un appel à toutes les
intelligences, et je serais tenté de promettre une récompense honnête à qui me
ferait le plaisir de m’indiquer et de me préciser quelques cas d’appel ou de
provocation au retour des Nassau, ou bien encore de démonstrations orangistes,
qui ne soient pas le port de drapeau, de cocarde, d’insignes distinctifs, etc..
prévus par l’article 3.
Nous n’avons rien à
craindre de semblable ; j’en trouve la meilleure preuve dans le rapport même
des ministres qui se sont efforcés de nous rassurer. Ce sont, disent-ils, en
parlant des orangistes, des individus infiniment rares et qui n’inspirent
aucune espèce de méfiance au gouvernement. C’est seulement dans leur propre
intérêt qu’il faut prendre la loi.
Il
ne s’agit donc pas d’une loi de salut public ; heureusement l’Etat n’est pas en
péril. Dès lors il n’y a aucune espèce de raison à porter une loi d’exception,
une loi de persécution, contre une classe d’individus que vous n’avez pas à
craindre.
Messieurs, j’ai appuyé
mon amendement sur les principes du droit, sur des faits et sur des traités.
J’ai lieu de croire que mes observations auront fait impression sur vos
esprits.
J’ajouterai une
observation que j’avais omise. Il y a un traité du 15 novembre qui est bien
vieux, il est vrai : je ne sais s’il fait encore notre droit public, si ce
traité compte encore pour quelque chose ou s’il ne compte pour rien. C’est à
MM. les ministres à nous le dire. S’il est compté pour quelque chose, il vous
impose l’obligation de payer les pensions accordées par le roi Guillaume dans
une disposition formelle dont j’ai oublié le numéro. Eh bien, vous faites en ce
moment une loi qui est en contradiction avec ce que nous avons réclamé comme le
droit public du pays, que j’ai eu moi-même dans un autre temps la simplicité
d’invoquer ; vous mettez encore ces pensions en question, vous vous mettez en
opposition avec le traité du 15 novembre. J’ai dit.
M. Milcamps. - Je ne vois pas qu’il soit
nécessaire d’adopter l’amendement proposé par l’honorable M. Jullien. Si on suppose que des
traités ou conventions avec les puissances donnent aux pensionnaires qui en
sont l’objet un droit acquis, les cours et les tribunaux n’appliqueront pas la
disposition générale de l’art. 4 du projet, parce que ces cours ou tribunaux
trouveront dans ces traités ou conventions une exception par suite de laquelle
les titulaires ont un droit acquis ; car le jury n’est pour rien dans la
question, ce sont les cours et tribunaux qui appliquent la loi.
C’est un point de
jurisprudence constant que les cours et les tribunaux ne peuvent décider contre
les dispositions des traités ; c’est même là un principe consacré par la cour
supérieure de justice de Bruxelles ; mais ils peuvent en expliquer le sens,
déclarer qu’ils doivent être entendus de telle ou telle manière.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, l’honorable
député de Bruges vous a dit que si on faisait des démonstrations ou des
provocations, il y avait des lois assez rigoureuses pour les punir. Je lui
répondrai que si, pour les dernières démonstrations de mars et d’avril, on
avait dû appliquer les lois rigoureuses de Napoléon, on aurait fusillé ceux qui
ont envoyé des chevaux à un ennemi qui commandait en chef un corps d’armée à 15
lieues de la capitale. Si sous Napoléon des particuliers s’étaient permis
d’envoyer des chevaux, munitions ou objets matériels à une armée ennemie, ils
auraient été fusillés, et toute la France aurait trouvé qu’on avait bien fait.
Je sais que nous sommes en 1834, que nous ne vivons plus sous le gouvernement
militaire de Napoléon, dont j’entends souvent préconiser les lois dans cette
enceinte. On prétend qu’on devrait appliquer ces lois si sévères, ces lois de
sang ; et si on les avait appliquées, on aurait crié à la tyrannie, on aurait
dit que le gouvernement n’était pas au niveau de son siècle. C’est pour cela
que nous votons des lois plus douces que celles auxquelles M. Jullien veut nous
renvoyer.
M.
Jullien. - Vous ne m’avez pas compris.
M.
Gendebien. - Il est désespérant de revenir si souvent sur des questions
aussi simples. Il est plus désolant encore de voir reproduire, pour répondre à
des arguments irrésistibles, les propositions qui ont été combattues par ces
arguments. C’est là le résultat de la discussion d’aujourd’hui. On n’a fait que
reproduire les objections détruites par M. Jullien pour répondre à ses
démonstrations.
Rentrons sommairement
dans la discussion. Le rapporteur de la section centrale vous a dit qu’on ne
pouvait faire aucun doute quant aux pensions payées sur la caisse des
retraites. Il vous a dit que les tribunaux appliqueraient la loi suivant la
discussion. Vous pourriez accepter de semblables raisons si déjà vous n’aviez
des exemples que non seulement on oublie la discussion, mais qu’on en abuse
pour se mettre au-dessus de la loi.
Savez-vous ce qui
arrivera, quand il s’agira d’appliquer cette loi et qu’on invoquera la
discussion ? On dira : Vous avez les opinions de messieurs tel et tel ; mais
voilà le texte de la loi qui dit le contraire. Je suppose ensuite qu’un
tribunal juge d’après le texte de la loi et qu’on se pourvoie en cassation,
croyez-vous qu’on cassera le jugement ? On aura beau invoquer les discussions,
il suffira que le texte n’ait pas été violé. Je défie au plus fin de trouver un
motif d’annulation dans l’application de l’art. 4, alors que cet article
s’exprime par le mot pourra.
Vous voyez que si vous
voulez poser une règle qui soit respectée et dont la fausse application puisse
être réformée par la cour de cassation, il faut éviter aux juges le danger de
commettre une injustice irréparable ; car si une cour avait à tort supprimer une pension, il serait impossible de réparer
l’injustice. Je défie d’indiquer par quel moyen on ferait casser un arrêt qui
aurait annulé une pension même sur la caisse de retraite.
M. Rodenbach, pour vous
tranquilliser, vous a dit que ce serait le jury qui prononcerait.
Rassurez-vous, dit d’un autre côté M. Milcamps, ce n’est pas le jury, ce sont
les juges qui appliqueront la loi.
Voyez maintenant lorsque après avoir discuté pendant deux séances, nous
sommes si peu d’accord sur les garanties qu’offre la loi, quelle perturbation
existera alors devant les tribunaux : il y aura contradiction entre le
ministère public et les avocats.
Il faut, messieurs, ces
garanties dans la loi, nous ne sommes pas ici pour en laisser l’application au
libre arbitre du juge et même du juré.
En s’occupant d’une loi,
le législateur doit prévoir tous les cas d’application, déterminer tous ceux
qui tombent dans la prévoyance de cette loi : lorsque le législateur n’en agit
pas ainsi, il manque à son caractère et à son devoir.
Il faut éviter tout doute,
il en restera toujours assez dans l’application de la loi.
Vous avez dit : Quant
aux pensions résultant de traites, nous avons déjà répondu qu’elles ne peuvent
constituer un droit acquis ; et d’ailleurs, dans ce cas, la constitution
autorise à annuler les pensions par une loi. On cite l’article 124 qui porte
que les titulaires ne peuvent être privés de leur pension qu’en vertu d’une loi
; on conclut ensuite de cet article qu’on peut priver un citoyen de sa pension
en vertu d’une loi.
Je vous le demande,
l’article 124 peut-il sortir des catégories des lois ordinaires ? Quelle est la
première règle en législation ? C’est que les lois ne portent avec elle aucun
effet rétroactif. Voilà la règle posée ; maintenant, si vous faites qu’aucune
loi ne puisse avoir un effet rétroactif, vous pouvez faire que dans la loi
actuelle il en soit autrement, vous pouvez faire qu’elle ait un effet
rétroactif. En invoquant l’art. 124 de la constitution, vous ne faites autre
chose que résoudre la question par la question.
La constitution a prévu
le cas où un militaire pourrait perdre sa pension en vertu d’une loi : lorsque
vous aurez fait cette loi, le militaire, en continuant sa carrière, en
s’abandonnant à une éventualité, n’aura plus rien à dire ; il connaîtra dans
quelle position il est placé ; mais avant qu’une loi ne soit faite, lorsqu’un
militaire aura rempli les obligations voulues par une loi antérieure, lorsqu’il
aura complètement satisfait à tous les devoirs qu’impose cette loi, il est
impossible que vous l’atteigniez par votre projet actuel ; il est hors de votre
domaine, il est en dehors de toute législation. En vain vous invoqueriez l’art.
124, vous ne pouvez pas plus toucher à sa pension que vous ne toucheriez à une
propriété, à une rente sur l’Etat, qui serait le résultat d’économies faites
dans une profession quelconque.
Quoi !! un militaire, après avoir parcouru tous les champs de
bataille de l’Europe, après avoir satisfait aux lois qui peuvent lui être
appliquées, ne pourra être assuré de jouir d’une faible pension ? Il sera
attaché à la glèbe gouvernementale, et il pourra être privé de sa modique
pension (on sait en effet combien elle est modique) tandis qu’un autre citoyen,
son voisin, dans une profession quelconque, pourra, par ses économies, jouir en
paix d’une pension, d’une rente viagère infiniment plus forte. Celui-là seul ne
sera pas atteint, car le gouvernement et la section centrale n’ont pas pensé,
je crois, à rétablir la confiscation sous ce rapport.
Quelle différence
faites-vous donc entre une rente viagère acquise par un citoyen, par des
économies dans sa profession, avec une pension qu’un militaire a acquise par
des travaux beaucoup plus durs, beaucoup plus périlleux ? Je ne vois dans la
loi aucun motif de cette différence ; d’un côté vous ne pouvez assurer la
conservation des biens, et d’autre part, rétablir la confiscation.
Véritablement, à moins
de n’avoir aucun sentiment du juste et de l’injuste, ou d’avoir perdu toute
idée de législation, je ne conçois pas qu’on insiste sur des choses aussi
simples.
Vous appliquez le mot
félon au militaire qui a fait la guerre depuis vingt ans, et qui n’a rien de
commun avec le gouvernement. Je voudrais, en effet, que l’on me dît ce qu’un
militaire qui a quitté le service soit avant, soit depuis
Messieurs, en un mot
comme en cent, dans l’ordre civil comme dans l’ordre militaire, toute pension
accordée sous l’empire de la loi, pour services rendus à l’Etat, et lorsque le
titulaire a rempli toutes les conditions de la loi, constitue un droit aussi
sacré que le droit de propriété d’un bien acquis par un citoyen avec le fruit
de ses économies.
On vous dit que l’on ne
peut croire qu’un juge privera de sa pension un homme condamné une première
fois : si vous ne croyez pas qu’il en puisse être ainsi, qui empêchera le juge
de prononcer la privation de la pension, lorsque l’article ne fait aucune
distinction entre une première condamnation et l’état de récidive ? En
l’absence de cette distinction, le juge argumentera de la législation
ordinaire, qui prévoit, lorsque telle a été l’intention du législateur, les cas
de récidive. Il pensera que si la loi qu’il doit appliquer ne renferme point de
distinction, c’est que le législateur n’a pu en reconnaître ; dès lors, il
pourra prononcer la privation de la pension à l’égard d’un homme qui ne sera
pas eu état de récidive, et qui aura condamne à un mois de prison et à 25 fr.
d’amende.
Le législateur ne doit
pas compter sur une prévoyance individuelle ; il doit poser une règle générale,
afin d’éviter les erreurs et les aberrations dans l’application de la loi ; il
ne doit laisser que le moins possible à l’arbitrage du juge.
S’il en était autrement,
les juges ne prononceraient plus d’après la loi, ils jugeraient selon leur
impression, selon l’influence, selon la justice du moment, et cette justice, en
matière politique, vous savez ce que c’est : on a peur aujourd’hui, et les
tribunaux condamnent ; on se rassure le lendemain, et on se repent d’avoir été
sévère ; on s’en veut d’avoir eu peur. Il y a réaction, on cesse d’appliquer la
loi même dans des cas très graves ; ou bien on craint ce que paraissent
craindre aujourd’hui certains membres de cette chambre. On craint le retour de certain membres de la famille d’Orange, et encore on ne veut
pas appliquer la loi, de peur d’encourir la peine du talion.
Les juges trouveront,
dit-on, dans la loi une exception pour les pensions qui ont un droit acquis :
pour moi je soutiens qu’ils ne trouveront aucunement cette exception. Un
honorable membre tout en convenant que l’exception n’était pas dans la loi, a
dit que les juges l’y verront. Il y a quelque chose de bien plus simple :
faites entrer cette exception dans la loi d’une manière précise.
Un autre membre qui n’a
pas bien compris M. Jullien a cru que cet orateur avait préféré le code pénal à
la loi actuelle ; il s’est trompé, et remarquez que le code subsiste
indépendamment de la loi et que la loi ne l’abroge nullement.
La loi actuelle a prévu
d’autres catégories de faits que le code pénal.
Le code pénal prononce
la peine de mort pour des complots contre l’Etat ; cela ne rentre dans aucune
disposition de la loi ; ces mots « ou de toute autre manière » ne
peuvent être entendus dans ce sens ; ainsi le code pénal reste tout entier à
côté de la loi.
Vous voulez, dites-vous,
adoucir le code pénal, mais il n’en pas ainsi ; si vous étiez, vous ministre,
aussi prudent, aussi sage, aussi vraiment libéral que vous vous en vantiez dans
la dernière séance, vous ne nous auriez pas présenté un fatras de dispositions
dont le moindre inconvénient est de faire croire à l’étranger que le parti
orangiste est grandement à craindre, vous auriez proposé des modifications au
code pénal, vous eussiez fait ce qu’on a proposé de faire dans un temps ; vous
eussiez aboli la peine de mort, la confiscation des biens. En un mot, vous
eussiez abaissé les peines du code pénal ; alors en eût pu croire que la loi
était libérale.
Il n’y a ici que de la
jactance, et le code pénal reste sans modification et toujours applicable.
Je défie que l’on me
prouve le contraire. Vous avez l’avantage de paraître
libéraux à l’étranger, au lieu de faire croire que le parti orangiste a
de l’importance en Belgique. Au contraire, vous montrez à l’étranger que ce
parti est sans consistance. Vous aurez également l’avantage à l’intérieur de ne
pas vous exposer à voir augmenter le nombre des hommes de ce parti. Car, ainsi
que je le disais dans une séance précédente, le peuple ressemble assez aux
moutons de Panurge. Il est assez disposé à se ranger du côté du parti le plus
nombreux. Pour peu qu’il arrive quelques troubles, quelques sinistres, je
crains qu’il ne penche vers un parti auquel vous aurez donné une valeur
factice. Voilà donc ce qu’il fallait faire, si vous vouliez vous donner un
vernis de libéralisme.
Ainsi, messieurs, quand
j’entends qualifier la loi actuelle de loi plus douce, quand je lui entends
accorder une mansuétude qu’elle n’a pas, je dis à ceux qui partagent de bonne
foi cette erreur : Vous vous trompez complètement ; loin d’adoucir les lois
pénales antérieures, vous entrez dans le vaste champ de l’arbitraire, dont M.
Charles Vilain XIIII vous a développé les maximes dans une séance mémorable. Et
après avoir introduit dans une loi d’exception un vague aussi effrayant, vous
voulez pousser la rigueur jusqu’à porter atteinte à des droits sacrés, à des
droits acquis. Vraiment, messieurs, j’en suis honteux pour mon pays. Je crois
que nous sommes les premiers qui donnons l’exemple d’une pareille tache
imprimée à une loi : Et, plus tard, lorsque l’histoire passera en revue les
événements de ces quatre dernières années, elle dira que les Belges, pour
consacrer une pareille iniquité, devaient avoir bien peur, ou bien avoir perdu
toute notion de législation.
En
résumé, vous ne pouvez faire une loi dont l’interprétation soit à la merci des
juges ou du jury. Je dis qu’il faut établir des règles invariables, je dis que
vous devez éviter d’y graver une tache de rétroactivité, et ce vice de
rétroactivité, vous l’avez implanté en donnant aux juges la faculté de
prononcer, comme il le jugera convenable, sous l’inspiration du moment. Car
c’est à cela que se résument les discours des défenseurs de la loi. Ils disent
qu’il faut avoir confiance dans l’intégrité du juge. Vous lui donnez donc la
faculté de prononcer la décision qu’il lui plaira de prendre. C’est ce que vous
êtes impuissants à faire.
Je me bornerai à ces
observations. Si les paroles de l’honorable M. Jullien, si les miennes ne
peuvent parvenir à vous convaincre, je crois qu’il serait inutile de chercher
plus longtemps à éclairer votre conviction.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - S’il est vrai, comme l’a dit le
préopinant, que le projet actuel ait pour résultat d’annoncer à l’étranger que
le parti désigné sous le nom d’orangiste a acquis un aussi grand développement
que cet honorable orateur voudrait le faire croire, je m’étonne que les organes
du parti n’aient pas mieux apprécié le service que leur rend le gouvernement,
et qu’au lieu d’applaudir à la présentation du projet, ils n’aient pas trouvé
de termes assez acerbes, d’expressions assez énergiques pour le combattre. Les
organes du parti orangiste, dont par ma position je suis obligé de lire les
écrits, loin de saluer d’unanimes acclamations le rapport de la section
centrale qui, ajoutant à la sévérité du projet primitif, aurait pour résultat
de présenter le parti comme prêt à ressaisir le pouvoir, ces organes, dis-je,
n’ont cessé de diriger contre la loi actuelle les plus violentes attaques.
Leurs arguments sont moins forts de logique peut-être que ceux dont M.
Gendebien s’est servi, mais ils sont revêtus de formes plus virulentes. Il
serait étonnant que le parti orangiste eût manqué aussi grossièrement à
l’instinct de son véritable intérêt. Quant à moi, je suis persuadé qu’il le
comprend beaucoup mieux que les honorables adversaires du projet.
Vous ne faites pas,
messieurs, une loi d’exception quoiqu’on l’ait prétendu encore aujourd’hui.
Cette expression qui a de nouveau frappé mon oreille, mérite d’être relevée.
Les honorables adversaires du projet oublient le caractère d’une loi
d’exception. Les lois d’exception sont impossibles en Belgique ; elles sont
possibles en Angleterre, où le parlement est omnipotent, les lois d’exception
suspendent la loi fondamentale d’un Etat dans quelques-unes de ses
dispositions. Nos honorables contradicteurs ont confondu les lois d’exception
avec les lois de circonstances qui ne suspendent ni ne blessent la
constitution. Le projet que vous discutez ne sera pas plus une loi d’exception
que celle qui, en vertu d’un article de notre pacte fondamental, a permis
l’entrée de troupes étrangères en Belgique. Si le gouvernement avait essayé de
créer une juridiction autre que le jury, il aurait tenté de violer la
constitution et de faire une loi d’exception. Mais le gouvernement n’a jamais
répudié la compétence du jury et jamais il ne le fera, aussi longtemps que je
siégerai sur le banc comme ministre. Il le tenterait d’ailleurs en vain.
Nous l’avons dit
franchement, messieurs, la loi sur les démonstrations en faveur de la famille
déchue n’est pas une loi de peur. Nous déclarons hautement que le parti
orangiste est, à nos yeux, une fraction très minime du pays. Mais de ce qu’il
n’a pas assez d’importance pour remettre l’existence du nouvel Etat belge en
question, il ne s’ensuit pas qu’il n’en ait point assez pour pouvoir par la
violence de quelques-unes de ses démonstrations, exciter des troubles toujours
fâcheux dans certaines localités du royaume. C’est pour prévenir les réactions
inévitables auxquelles ces manifestations poussent les masses populaires, que
nous sommes venus vous demander l’appui de votre concours.
Le gouvernement s’est
rallié avec empressement à l’amendement de M. Desmanet de Biesme. Il ne croit pas devoir aller plus loin.
Quant aux pensions de retraite, il me semble que la majorité de la chambre est
d’accord à cet égard avec le ministère, et la loi ne laisse aucun doute sur son
interprétation. Si la cour de cassation avait à réviser un arrêt de la cour
d’assises qui eût privé un fonctionnaire condamné de sa pension de retraite, il
n’est pas douteux qu’il annulerait l’arrêt, attendu qu’il y aurait violation de
l’art. 4. De ce que l’Etat est chargé du paiement de ces pensions, il ne
s’ensuit pas, en effet, qu’elles soient à la charge de l’Etat. C’est comme si
l’on disait que dans le cas où le gouvernement donne un subside à une province,
à une commune pour cause d’insuffisance de leurs revenus, la dépense soit
provinciale, soit communale, à laquelle serait affecté un subside changerait de
nature et deviendrait une charge générale. Du reste, notre intention bien
prononcée est tellement d’excepter de la catégorie admise dans l’article 4 les
pensions sur les caisse de retraite, que, s’il
s’élevait le moindre doute à l’égard de son interprétation, le gouvernement
s’empresserait de se rallier à un amendement explicatif que l’un de nos
adversaires voudrait présenter.
Quant aux autres
pensions, est-il vrai qu’elles constituent une propriété inviolable ? En règle
générale, toute pension donnée par l’Etat est un acte de munificence, un acte
de rémunération pour services rendus. Or, il est de la nature de pareils actes
d’être révocables pour cause d’ingratitude, d’être révoqués
par l’effet des lois pénales. C’est ainsi qu’en France où la mort civile n’est
pas abolie, le résultat de l’application de cette peine est de priver ipso
facto, ipso jure, l’individu qui en est frappé de la pension dont il pourrait
jouir sur les fonds de l’Etat, puisqu’elle lui fait perdre la propriété de tous
ses biens.
Le gouvernement a reçu,
dit-on, une somme à l’effet de se charger du paiement de pensions acquises sons
l’empire français. Je conteste le fait, mais fût-il exact, ces pensions ont été
ordinairement accordées à titre de récompense, de rémunération pour services
rendus à l’empire français, leur caractère n’a pas changé par suite des
changements politiques. Le royaume des Pays-Bas et plus récemment le nouvel
Etat belge ont été substitués aux droits et devoirs de l’empire français.
Lorsqu’il existait, le gouvernement impérial aurait pu faire une loi semblable
à celle-ci, dont l’action se fût étendue à toutes les parties du territoire.
Le gouvernement établi
dans chaque fraction qui est résultée de la dissolution de cet empire, a hérité
de ses droits et a acquis sur les pensions dont le service lui a été dévolu, la
même puissance que le pouvoir impérial.
Il suffit pour s’en
convaincre de jeter les yeux sur l’article 26 du traité de Paris du 30 mai
1814. Voici en quels termes cet article est conçu :
« A dater du 1er
janvier 1814, le gouvernement français cesse d’être charge du paiement de toute
pension civile, militaire et ecclésiastique, solde de retraite et traitement de
réforme, à tout individu qui se trouve n’être plus sujet français. »
Ce serait évidemment là
une délégation implicite résultant d’une remise des fonds nécessaires, si cette
remise avait eu lieu, délégation qui obligerait les gouvernements auxquels
appartiennent ces individus étrangers aujourd’hui à la France, comme la France
elle-même était obligée envers ces particuliers, lorsqu’ils faisaient partie du
grand empire, mais obligée sous une condition résolutoire toujours
sous-entendue, celle d’ingratitude.
L’article 27 qui parle
d’autres propriétés réellement inattaquables, s’explique en termes bien
différents ; il porte : « Les domaines nationaux acquis, à titre onéreux,
par des sujets français dans les ci-devant département de la Belgique, de la
rive gauche du Rhin et des Alpes, hors des anciennes limites de la France, sont
et demeurent garantis aux acquéreurs. »
Là il y a garantie
formelle résultant d’une différence sensible entre les objets dont il est
question dans les articles 26 et 27.
Peut-être une seule
espèce de pensions autres que les pensions de retraite, doit-elle être
considérée comme inviolable : ce sont les anciennes pensions ecclésiastiques
accordées en échange de biens des couvents acquis à l’Etat ; ces pensions, on
pourrait le soutenir, sont le prix, l’indemnité d’une expropriation ; elles ont
été accordées à titre onéreux, on ne pourrait donc les supprimer en conséquence
d’une loi pénale ; Au reste, il y a fort peu de ces pensions aujourd’hui si
toutefois il en reste encore, car la plupart des titulaires sont décédés.
On a dit que la peine de
la privation de la pension serait exorbitante ; oui dans certains cas, je crois
que cette peine serait extrême ; dans le cas, par exemple, où les juges
appliqueraient le minimum des peines comminées par les articles 1 et 2 de la
loi : il y aurait injustice (je ne dirai pas injustice légale, puisque la loi
ne s’y opposerait pas) ; mais il y aurait une injustice à appliquer la peine de
la privation de la pension. Et il faut supposer aux juges du bon sens et un
esprit d’équité ; il faut aussi supposer au jury quelque sollicitude des
intérêts de l’accusé, qu’on aurait traduit à leur barre avec une cruelle
légèreté.
Remarquez bien que c’est
pour obvier aux inconvénients qu’il y aurait eus à ce que la condamnation fût
toujours résolutoire de la pension, que l’amendement de l’honorable M. Desmanet
de Biesme tendant à ce que la déchéance de la pension fût une simple faculté
laissée aux tribunaux, a été adopté par l’assemblée. Si les tribunaux trouvent
que le délit présente des circonstances atténuantes, assurément ils ne
prononceront pas la déchéance de pension. S’il arrivait qu’en appliquant le
minimum de la peine ou une pénalité principale peu sévère, ils prononçassent la
déchéance de la pension, évidemment il y aurait lieu au recours en grâce,
recours tous les jours exercé de telle manière que s’il a pu donner lieu à
quelques plaintes, c’est bien plutôt contre son extension que contre sa
réserve.
Si la peine est extrême
dans certains cas, qu’on n’oublie pas quel caractère de gravité peuvent revêtir parfois les faits énumérés aux art. 1 et 2
de la loi ; ils peuvent être posés en récidive ; ils peuvent présenter, par une
coïncidence calculée, le caractère de provocation flagrante à la guerre civile.
Dans ce cas hésiterez-vous à déclarer qu’il ne doit plus jouir des bienfaits de
l’Etat celui qui aurait commis un tel crime contre son pays, qui aurait fait à
ce point abnégation de tous les devoirs du citoyen ? Dans ce cas sans doute la
peine ne serait pas disproportionnée. Or c’est sans doute dans ce cas seulement
que la magistrature prononcerait la déchéance de la pension.
Avant de terminer je
dois donner à la chambre une explication qui la mettra à même de voter en connaissance
de cause sur un point qui n’a été qu’effleuré dans une précédente séance. J’ai
entendu l’honorable rapporteur de la section centrale parler de l’article 9 de
la loi du 20 juillet 1831, portant que l’arrestation préalable ne pourrait
avoir lieu en matière de délits de presse ; et il a paru croire que cette
disposition était applicable à tous les délits prévus par le projet de loi
actuel.
Je
pourrais garder le silence ; ce qui ne m’empêcherait pas de profiter de la loi
que la chambre aurait votée ; mais je préfère déclarer que ce n’est pas là ce
qui me paraît résulter de la loi du 20 juillet 1831. Ainsi les discours
prononcés dans un lieu public, les cris séditieux prononcés en public, les
démonstrations graves, dangereuses pour la paix publique, eu égard aux
circonstances où elles se sont produites, pourraient, aux termes de la loi du
20 juillet 1831, donner lieu à l’arrestation préalable. Il y a des faits graves
qui peuvent coïncider avec des circonstances résultant de notre situation avec
la Hollande, et qui peuvent exiger une répression immédiate. L’arrestation
immédiate du coupable peut être nécessaire pour arrêter des troubles
populaires, pour prévenir une réaction dont il pourrait être lui-même victime.
Voilà pourquoi la loi,
si on n’y introduit pas un amendement, n’interdit l’arrestation que pour les
délits de la presse ; dans les autres cas, l’arrestation préalable est licite,
au moins d’après la loi du 20 juillet 1831.
M. Pollénus, rapporteur. - Je commencerai par répondre à M.
le ministre de la justice qui revient sur le motif qui m’a déterminé à
reconnaître que la disposition d’une autre loi qui interdit l’emprisonnement
préalable doit s’appliquer aux cas prévus par les trois premiers articles du
projet ; voici ce motif :
L’article 8, dans son
paragraphe dernier, du décret national sur le jury, porte que l’emprisonnement
préalable ne peut avoir lieu pour simples délités politiques ni pour délits de
presse. La section centrale n’a pas hésité un moment de reconnaître que cette
disposition générale ne dût recevoir son application aux cas prévus par les
articles 1, 2 et 3 du projet, et qu’il s’agit bien évidemment des délits
auxquels se rapporte ledit décret, puisque le projet de loi proposé qualifie de
délits dans son article 8 les faits prévus par la loi.
L’un des adversaires du
projet persiste à soutenir que la disposition dont nous nous occupons est
entachée de rétroactivité. M. le ministre de la justice a déjà répondu à cette
objection de manière à ne laisser aucun doute. Il est incontestable en effet
que la condition résolutoire est nécessairement attachée à un acte
rémunératoire de cette espèce, et le gouvernement belge n’a pu succéder à cette
charge qu’aux mêmes conditions auxquelles elle était imposée au gouvernement
français. Certainement si le gouvernement est obligé d’effectuer ces paiements,
ce ne peut être qu’à charge de la part de la personne gratifiée, de se placer
dans une position qui exclue l’ingratitude, condition toujours résolutoire d’un
acte rémunératoire.
On m’a reproché d’avoir
reconnu la présence de la rétroactivité dans cette disposition du projet, et
cela parce que j’avais dit que rarement il se présenterait des circonstances de
nature à engager les juges à prononcer la privation des pensions. La
conséquence que le préopinant a attachée à mes paroles est évidemment erronée :
en soutenant que rarement il serait fait application de cette disposition, je
n’ai fait que combattre le reproche de sévérité adressé au projet. Ma
proposition ne comporte pas d’autre conséquence.
On blâme en ce moment la
faculté que laisse aux juges l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme
; car, dit-on, le juge prononcera la privation de la pension, tout comme il
prononce les autres peines, car les termes du projet ne présentent aucune
différence relative à la pension. C’est encore là une erreur. Les autres peines
doivent être appliquées. C’est une nécessité pour le juge : sera condamné dit le projet ; mais quant
à la pension il se prononce tout autrement. A cet égard ce n’est qu’une simple
faculté que le projet accorde aux juges.
Il y a donc
véritablement différence dans les expressions pour ce qui concerne l’une et
l’autre de ces peines. Cette différence est si bien exprimée qu’il est
impossible que le juge se méprenne sur le motif qui a déterminé le législateur
à lui accorder cette faculté.
Mais comment ! continue-t-on ; cette faculté même n’est que de l’arbitraire
dont les juges ne peuvent manquer de faire le plus pernicieux usage. Veuillez
remarquer, messieurs, que dans l’échelle des peines il est souvent laissé aux
juges une assez grande latitude. Et nos lois pénales offrent plusieurs exemples
de peines facultatives.
Mais vous qui craignez
que les juges n’abusent de la latitude qu’ils ont de prononcer des peines que
vous qualifiez d’exorbitantes (cette peine cependant n’est que la privation de
la pension), comment souffrez-vous que ces mêmes juges, que vous poursuivez ici
de votre méfiance, continuent à rester investis du droit de prononcer les
peines de mort, de travaux forcés à perpétuité, etc., et en présence de telles
attributions ne faites-vous pas à la chambre une proposition tendant à ôter aux
juges le pouvoir d’infliger des condamnations d’une pareille gravité ? Soyez
donc conséquents.
Mais puisque vous m’avez
adressé le reproche d’être en contradiction avec moi-même, ne puis-je pas avec
bien plus de raison rétorquer cet argument contre vous qui me combattez ? Que
portait l’amendement proposé à une précédente séance par l’honorable M. Gendebien ? Il tendait à
infliger la privation de la pension comme une conséquence nécessaire de
l’application du maximum de la peine. Vous reconnaissiez donc alors que cette
privation de la pension pouvait avoir lieu légalement. Trois jours plus tard
vous accusez cette disposition de rétroactivité. Sauvez l’inconséquence si vous
pouvez.
La condition résolutoire
a été définie par le ministre de la justice. C’est sur ce principe qu’est fondé
l’article 124 de la constitution, lequel stipule que la privation d’une pension
peut être autorisée par une loi.
Quelle injustice
voyez-vous là-dedans, quelle crainte pourrez-vous avoir lorsqu’il est bien
stipulé que ce n’est point la volonté du gouvernement qui décide, mais que les
tribunaux, les juges ordinaires ne peuvent la prononcer qu’à la suite d’une
déclaration de culpabilité du jury.
La loi est une
amélioration législative. Le code pénal prodiguait la peine de mort avec une
profusion effrayante dans tous les article relatifs à
la sûreté du pays, articles qui prononçaient même la confiscation des biens. La
loi ne prononce la déchéance de la pension que dans les cas résolutoires, dans
les cas d’ingratitude.
Ces militaires par
exemple, dont on a tant parlé, qui ont obtenu des pensions sous l’empereur
Napoléon, et sous la législation du code pénal de 1810, oseraient-ils affirmer
que dans leur opinion la pension leur était tellement acquise, que même la
participation ou la provocation au bouleversement du gouvernement ne pouvait en
entraîner la révocation ? Les pensionnés ne peuvent avoir ainsi considérés la
loi qui existait au moment de la collation de la pension, loi cependant que nos
adversaires semblent invoquer pour soutenir l’existence du droit acquis.
II
est également déraisonnable, il est impossible de soutenir que des puissance
stipulant dans l’intérêt de leurs Etats réciproques, aient pu s’imposer la
continuation d’actes de rémunération et de bienveillance en faveur de personnes
qui chercheraient à anéantir l’Etat qui devait succéder à l’obligation de
servir leur pension.
Je
conclurai, avec l’honorable M. A. Rodenbach, que cette pénalité est nécessaire,
et que sans elle la loi est illusoire.
M.
Fleussu. - J’applaudis à la franchise du ministre de la justice. Selon
lui, chaque fois qu’il y aura lieu à l’application de la loi et que le délit
aura été commis de tout autre manière que par la
presse, l’emprisonnement préalable est possible. Cependant, je ne sais jusqu’à
quel point il pourrait concilier cette opinion avec l’article 8 de la loi sur
le jury…
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est une erreur… J’avouerai
que ce qui fait pour moi doute, c’est que, dans l’article 8 du décret du
congrès sur le jury, on lit que l’emprisonnement ne pourra jamais avoir lieu
pour simples délits politiques ou de
presse.
Je reconnais que cette
disposition de l’article 8 peut soulever quelques difficultés ; peut-être
n’est-il plus temps d’y remédier dans le projet en délibération et serons-nous
obligés de faire modifier le projet devant le sénat.
Je ne ferai pas
remarquer la singularité de l’expression employée dans l’article 8 : « Le
pouvoir législatif parle ici comme le pouvoir constituant. Or, c’est comme
pouvoir législatif que le congrès a porté le décret du 19 juillet 1831 ; l’on
doit s’étonner aussi de trouver une telle disposition dans une loi sur le jury.
Elle eût été mieux à sa place dans le décret du lendemain sur la presse.
L’emprisonnement ne pourra jamais avoir lieu. »
Le
doute vient de ceci : ce qui est caractérisé délit dans la loi actuelle est
caractérisé crime dans le code pénal ; car l’article 102 du code pénal, que
l’on cité, emporte dans un cas la peine
de mort, et dans un autre cas la peine de bannissement.
Maintenant les termes du
décret du 19 juillet sont-ils tellement absolus qu’ils s’appliquent seulement à
ce qui était alors simple délit de presse ou simple délit politique ; ou bien,
chaque fois que la législature modifiera la législation, y aura-il lieu à
appliquer l’article 8 du décret aux modifications ? cela
peut faire une question. Je ne crois pas que nous soyons en position de pouvoir
la trancher actuellement. Mais je me propose de faire éclairer ce doute par
l’autre chambre.
M.
Fleussu. - Ainsi, nous ne savons pas comment la loi sera exécutée.
Il me semble que le
doute est à peine raisonnable ; je crois pouvoir affirmer qu’il a été dans
l’esprit de la section centrale, du moins d’après l’impression qui m’est restée
d’une conversation que j’ai eue avec notre honorable président, qu’on ne
pouvait emprisonner préalablement pour les délits politiques ou de presse, M.
le ministre de la justice trouve du doute ; mais son projet ne fait que mettre
dans la catégorie correctionnelle ce qui était crime, dans le code pénal, et le
décret relatif au jury, qui interdit pour délits politiques et de la presse
tout emprisonnement préalable, doit recevoir ici son application.
Est-il vrai, comme l’a
dit M. le ministre de la justice, et comme l’a répété M. le rapporteur de la
section centrale, qu’une pension soit un titre donné par la bienfaisance, soit
un titre rémunératoire ; que le pensions sont une
largesse, une donation ?
Ceux qui admettent que
ce sont des dotations, peuvent invoquer le code civil : d’après le code une
donation peut en certains cas être annulée pour cause d’ingratitude.
Mais, messieurs, une
pension est en droit un véritable paiement de services rendus au pays. Cela est
si vrai que, par son article 114, la constitution a expressément défendu au
gouvernement de donner des pensions, ainsi que faisait l’ancien gouvernement ;
aucune pension, aucune gratification, dit la constitution, ne peut être
accordée qu’en vertu d’une loi.
Vous voyez comment à
l’avenir il faudra envisager les pensions. Je ne parle pas des pensions données
jusqu’à ce jour ; il y en a eu de données de toutes les manières. A l’avenir
les pensions ne doivent être considérées que comme conséquence, que comme
l’accomplissement des engagements pris par le gouvernement envers les
fonctionnaires qui auront rempli les conditions imposées par la loi. Sous ce
point de vie, il est évident que vous ne pouvez autoriser les juges à prononcer
la déchéance d’une pension ; car vous retomberiez indirectement à la
confiscation des biens, ainsi qu’on vous l’a déjà fait observer.
Si la confiscation des
biens est interdire en général, on ne peut la rétablir par parties, et c’est ce
que vous feriez par la loi.
Je conçois parfaitement
que la loi autorise la déchéance d’un fonctionnaire qui a conspiré contre l’Etat
; il n’y a sous ce rapport rien que de juste ; personne ne s’en plaindra ; mais
enlever une pension, une partie du patrimoine, c’est ce que la constitution
défend.
Toutefois, messieurs,
lorsque vous aurez autorisé le magistrat à prononcer la déchéance du
fonctionnaire public, n’avez-vous pas été beaucoup trop loin en ajoutant une
autre peine à celle-là ? en ajoutant la perte du droit
d’éligibilité pendant trois ou six années ?
Nous avons dans la
constitution une disposition fort impérieuse, c’est celle de l’article 50 :
« Pour être éligible, selon cet article, il faut être Belge de naissance
ou avoir reçu la grande naturalisation, jouir des droits civils et politiques,
être âgé de 25 ans, être domicilié en Belgique. » Et par un paragraphe spécial
la constitution ajoute : « Aucune autre condition d’éligibilité ne peut
être requise. »
Si vous frappez d’une
peine, si vous rendez l’éligibilité impossible pour celui qui a été condamné
comme ayant fait partie d’un complot, n’ajoutez-vous pas des conditions à celles
qui sont requises par la constitution ?
C’est une question que
j’avouerai n’avoir pas approfondie ; c’est un doute qui vient de s’élever dans
mon esprit et que je vous soumets.
Messieurs, j’ai été très
mal compris, lorsque j’ai dit que le pouvoir avait, dans les articles 86 et 87
du code pénal, tous les moyens nécessaires pour réprimer les complots et les
attentats contre le gouvernement. Il suffit de jeter les yeux sur les
dispositions de ces articles : vous verrez que le complot ou l’attentat qui a pour
but de renverser le trône et de détruire les institutions résultant de la
révolution, sont punis sévèrement par le code pénal ; vous verrez, en
rapprochant ces dispositions de l’article 102, que celui qui a provoqué un tel
complot est puni d’une peine également très forte ; mais cette peine varie
selon la gravité des circonstances qui ont accompagné la provocation ou plutôt
suivant les suites de la provocations. En vous parlant de l’article 102 du code
pénal, on ne vous a cité que la disposition qui commine la peine de mort ;
cependant cet article porte que, lorsque la provocation n’aura été suivie
d’aucun résultat, le coupable encourra seulement la peine du bannissement.
On a dit : C’est parce
que la loi est sévère qu’elle est une loi draconienne, que nous avons voulu
l’adoucir, et que nous avons présenté le projet actuel ; à la bonne heure ;
mais alors qu’on établisse franchement que l’article 102 du code pénal est
abrogé ; mais avant de prononcer cette abrogation, qu’on veuille bien en voir
toutes les conséquences. Si vous adoptiez l’abrogation du code pénal, celui qui
aurait provoqué à une révolution, au retour de la famille d’Orange, à la guerre
civile, qui aurait provoqué à la destruction de nos institutions, ne
serait puni que d’une peine légère, c’est-à-dire à
quelques années de prison, tandis que ceux qui auront cédé à la provocation,
qui auront été entraînés dans un complot, seront punis de mort dans quelques
circonstances. Voilà dans quelle contradiction vous tomber ; voilà ce qui
résulte de la loi, si le code pénal est annulé comme vous le prétendez.
Mais non, ne vous
laissez pas faire illusion ; il n’y aura rien de changé aux lois de l’empire,
ce n’est que pour mieux s’emparer de votre confiance, que l’on vous dit que
l’on veut adoucir le code pénal ; le code pénal reste tout entier, ou vous
tombez dans la plus inconcevable des inconséquences.
Remarquez ensuite, à
l’égard de la disposition que je combats, que soit que la provocation ait été
suivie d’un résultat quelconque, soit qu’elle est restée sans effet, la loi
porte la même peine. Le code pénal plus rationnel, gradue les peines ; lorsque
la provocation a été suivie d’effet, d’un résultat quelconque, la peine
appliquée est très forte ; la rigueur de la loi s’adoucit, quand les
provocations n’ont pas été la cause de quelque désordre.
Le code pénal établir
une distinction ; lorsque la provocation par des discours, ou par des écrits,
aura eu un succès quelconque, les auteurs de ces discours ou écrits seront
punis comme ceux qui se sont rendus coupables du complot ; lorsque au contraire
la provocation n’a eu aucun effet, la peine est beaucoup moindre.
Dans le projet actuel,
on n’établit aucune distinction, la peine est la même pour tous les crimes ou
délits, seulement le magistrat pourra graduer la peine ; de trois moins à cinq
ans d’emprisonnement, il y a quelque latitude.
Je me suis déjà expliqué
franchement sur la manière d’envisager la loi ; je crois que le projet contient
des dispositions fort utiles, en ce qu’elles comblent
une lacune dans notre législation, pour ce qui regarde les simples
démonstrations orangistes.
Je répondrai ici à une
espèce d’interpellation de M. Rodenbach. L’honorable membre a dit à propos de
la souscription pour le rachat des chevaux du prince d’Orange :
Les auteurs de ces
démonstrations orangistes auraient donc dû être punis de mort !... Non, il n’y
avait nulle peine à leur infliger, parce qu’il y avait à cet égard lacune dans
la législation ; c’est cette lacune qui est comblée par l’article 2 de la loi ;
elle comble encore une autre lacune lorsqu’elles atteint
ceux qui portent les insignes d’un ordre étranger. La défense de porter ces
insignes sans l’autorisation du Roi était jusqu’à présenter sans sanction.
Un tribunal a jugé, je
crois, dans le sens que j’indique ; mais cet abus cessera par la loi en
discussion. Bien utile sous plusieurs rapports, je ne donnerai cependant pas
mon assentiment à la loi, l’article 1er renferme un vague dont je suis effrayé.
Et puis je vous
l’avouerai, je ne conçois pas que dans cette loi qui est toute politique,
puisqu’il s’agit de mesures à prendre contre le rappel de la famille d’Orange,
on ait été copier littéralement une loi française, qui avait pour but de
réprimer les outrages à la morale publique et religieuse, et aux bonnes mœurs ;
si la section centrale avait bien compris le but de cette loi, elle l’eût sans
doute modifiée. En effet concevez-vous qu’on puisse rappeler la famille
d’Orange par des dessins, par des peintures, gravures, emblèmes et caricatures,
etc., etc. La loi française voulait réprimer les outrages à la morale publique
et religieuse et aux bonnes mœurs, et on conçoit que ces outrages puissent être
commis par des peintures, dessins ou par des emblèmes ; mais, je le demande,
comment avec de pareils moyens provoquer le rappel de la famille d’Orange ? On
peut jusqu’à certain point s’en servir pour une démonstration orangiste ; mais
il m’est impossible d’y voir jamais des moyens de provocation.
Je me serais rallié au
projet du gouvernement s’il n’avait été modifié par la section centrale ; la
section centrale (et cet exemple n’est pas à imiter) est allée beaucoup au-delà
des exigences du gouvernement ; la section a apporté dans l’article premier un
vague tel, que quand le gouvernement le voudra, il pourra bâillonner la presse orangiste
; cependant, la presse orangiste, tant qu’elle se borne à examiner, à censurer
même les actes du gouvernement, doit, d’après nos institutions, jouir des mêmes
garanties que les autres presses.
On attaque indirectement
la presse orangiste, mais mettez-vous en garde contre vous-mêmes ; craignez
qu’en s’adressant à vos sympathies, en vous effrayant de l’orangisme, on ne
confisque une partie de vos libertés ; aujourd’hui, il s’agit de la presse
orangiste, demain on fera le procès à la presse libérale.
J’aurais
encore donné la préférence au projet du gouvernement parce qu’il laissait plus
de garanties ; en effet, avec le projet du ministre, l’amendement de M. de
Trentesaux, qui a donné lieu à une vive discussion, devenait sans importance ;
car alors la provocation aurait dû être faite directement.
L’article premier de ce
projet demandait des mesures contre les provocations au retour de la famille
d’Orange. Lorsque les provocations auraient en lieu au moyen de la presse,
force aurait été de recourir aux termes de la loi qui règle cette matière. Or,
en combinant l’article premier du projet du gouvernement avec la loi sur la
presse, les provocations, pour être punissables, auraient dû être directes ; on
ne pouvait entendre la provocation autrement ; c’était le résultat nécessaire
du rapprochement des deux lois. J’aurais, je le déclare, voté pour le projet du
gouvernement, mais il m’est impossible de souscrire à l’œuvre de la section
centrale.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne rentrerai point dans la
discussion générale, mais je demande la parole pour répondre à une supposition
de l’honorable préopinant. (Parlez !
parlez !)
M. Fleussu a pensé que
j’avais conclu de la loi actuelle que si elle était adoptée, il fallait rayer
l’article 102 du code pénal ; telle n’a pas été ma pensée.
J’ai dit que dans
l’absence de la loi actuelle, si le gouvernement avait demandé des armes contre
les faits qu’elle prévoit, il n’eût pu en trouver que dans l’article 102.
Qu’il
y ait des provocations très graves, dans l’hypothèse dont il s’agit ici, qui
puissent rentrer dans l’article 102, je le soutiens ; mais que toutes les
provocations, toutes les démonstrations en faveur de la famille d’Orange soient
susceptibles de rentrer dans l’application de l’article 102, c’est ce que je
n’ai pas cru.
Le projet actuel dans
des cas particuliers peut remplacer l’article 102, mais il n’en résulte pas
qu’il abroge entièrement cet article ; je crois que s’il s’agissait de
tentatives de contre-révolution, de provocations violentes à la guerre civile,
l’art 102 devrait être appliqué dans plusieurs occasions.
M.
Raikem. - Mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette
circonstance ; je ne l’ai demandée que parce que un
honorable membre a cité une conversation dans laquelle j’ai parlé de
l’emprisonnement préalable.
Ce que j’ai dit dans
cette conversation particulière, je le répéterai en séance publique afin que la
chambre juge si la doctrine que j’ai exposée est juste ou si elle est fausse. (Ecoutez ! écoutez !)
On me demandait s’il y
aurait emprisonnement pour tous les délits prévus dans la loi en discussion ;
je répondis : Je ne le crois pas quant aux trois premiers articles, mais je
conviens qu’à l’égard des peines comminées par un autre article,
l’emprisonnement préalable pourrait avoir lieu, ou plutôt que l’on rentre, à
cet égard, dans les règles ordinaires de la procédure criminelle.
A l’égard des trois
premiers articles, je dis qu’il me semble qu’il ne peut y avoir question ; il
est évident que dans l’état actuel de notre législation, à moins qu’on ne
déroge à la loi sur le jury, il est clair que l’emprisonnement préalable ne
peut pas avoir lieu.
Il est dit dans
l’article 3 que la connaissance des délits appartient à la cour d’assises ;
d’après l’art. 98 de la constitution, on doit soumettre au jury d’abord toute
matière criminelle et ensuite les délits politiques et de la presse.
Le jury est donc établi
en matière criminelle et pour tous les délits politiques et de presse ; on sait
que le mot délit s’emploie en termes généraux ; en ce sens il comprend les
crimes dont la définition plus exacte se trouve dans le code pénal ; le crime
est le fait qui entraîne avec lui une peine infamante et afflictive, le délit
est un fait passible de peines correctionnelles.
Ainsi on doit porter
devant le jury tout ce qui est matière criminelle. Mais en matière de délits ou
de simples délits, on ne peut d’après l’art. 98 de la constitution, soumettre
au jury que les délits politiques et les délits de la presse. C’est ainsi qu’on
a envisagé les faits mentionnés aux art. 1, 2 et 3,
quand on les a soumis aux cours d’assises ; car pour l’exécution de la
constitution comme l’a dit le rapporteur, il faut soumettre aux cours d’assises
les délits politiques et de presse. Tout ce qui est prévu dans les art. 1, 2 et 3 est délit politique ou de presse, et en
cette qualité doit être déféré aux cours d’assises.
Voyez la loi sur le
jury. Elle est générale ; elle est toujours en vigueur Il y est dit art. 8, au
1er paragraphe, « que la connaissance des délits politiques et de presse
sera attribuée au jury. »
Et au dernier paragraphe
: « Que l’emprisonnement préalable ne pourra jamais avoir lieu pour
simples délits politiques et de la presse. »
Pourquoi le mot simple est-il ici ? Parce que dans la
commission, ou dans le sein du congrès, on s’était demandé quel était le sens
du mot délit ; et s’il en résultait qu’en matière politique,
l’emprisonnement préalable ne pourrait avoir lieu quand il s’agirait de crimes
politiques. Le mot délit, dans son sens général, pouvant s’appliquer aux
crimes, on est convenu que dans le cas de crime, l’emprisonnement préalable
pourrait avoir lieu ; mais en même temps on a établi que quand il s’agirait de
ces faits qui quoique déférés au jury ne sont punis que de simples peines
correctionnelles, l’emprisonnement préalable ne pourrait être ordonné ; enfin
qu’il ne pourrait avoir lieu en matière politique, que quand il s’agirait de
faits emportant avec eux peine afflictive ou infamante.
D’après ces
explications, que les honorables membres qui m’ont cité, trouveront, j’espère,
conformes l’opinion que j’ai énoncée dans des conversations particulières, je
crois que la chambre pensera que d’après le projet de la section centrale et
même d’après celui du gouvernement, il ne peut y avoir emprisonnement
préalable, pour les cas énoncés aux art. 1er, 2 et 3
de la présente loi ; mais à l’égard de l’art. 6, qui est relatif au port
d’insignes étrangers, comme les prévenus ne sont pas renvoyés devant la cour
d’assises, ce fait reste sous l’empire du droit commun ; il donne lieu à de
simples poursuites devant les tribunaux correctionnels, l’emprisonnement
préalable peut être ordonne.
Voilà les explications
que j’ai cru devoir donner sur une conversation qui a été citée à la séance ;
et je ne suis pas fâché d’avoir énoncé publiquement les principes que je
professais à cet égard.
Mon intention n’est pas
d’entre dans le fond de la discussion, cependant je crois devoir faire une
observation sur une doctrine émise par un honorable préopinant, relative aux
droits d’électeur et d’éligibilité.
M. Fleussu. - C’est une erreur. Le code pénal
détermine des cas où les droits civils et politiques peuvent être interdits.
M.
Raikem. - Puisque l’honorable membre reconnaît qu’il s’est trompé, je
n’insisterai pas, je dirai seulement que lors de la discussion de la loi
électorale au congrès, on avait reconnu que dans certains cas le législateur
pourrait prononcer l’interdiction des droits politiques.
Mon intention n’étant
que de donner des explications sur un fait particulier, je bornerai là mes
réflexions.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En
présence de la déclaration de M. le président de la section centrale, je dois
dire que si la chambre vote la loi telle qu’elle est, le gouvernement ne se
croira pas autorisé à ordonner l’arrestation préalable dans aucun des cas
prévus par les articles 1, 2 et 3. C’est une lacune dans le projet, et
malheureusement la section centrale ne l’a pas comblée. Dans l’opinion des
rédacteurs de la loi du 19 juillet 1831, on n’a voulu sans doute affranchir de
l’emprisonnement préalable que les délits de presse. Il est impossible
d’assimiler, par exemple, le port public d’un buste, le port public d’un
drapeau orange à un délit de presse. Il est impossible qu’on ne reconnaisse pas
qu’il y a danger pour la paix publique à ne pas procéder, dans ces cas, à
l’arrestation des délinquants. Mais d’après les termes dans lesquels la loi est
conçue, je reconnais que nous n’en avons pas le droit. Le gouvernement aura à
délibérer pour voir s’il n’y aurait pas lieu, en présence de l’art. 8 de la loi
sur le jury, d’essayer d’introduire un amendement devant le sénat dans le cas
où le vote de la chambre permettrait au gouvernement d’y porter la loi
actuelle.
Je ne parle pas de
l’article 6 ; je partage à cet égard complètement l’opinion de président,
M. Gendebien. - J’ai émis l’opinion que
l’article 7 n’était pas suffisant pour assurer les citoyens poursuivis du chef
de la loi proposée que la liberté leur serait garantie jusqu’au moment du
jugement. Ils auront beau invoquer la loi sur le jury, ils n’en subiront pas
moins l’arrestation préalable. M. le rapporteur de la section centrale a dit à
peu près la même chose que l’honorable président, et tous les membres ont adhéré à ce qu’a dit le rapporteur. La discussion de la loi
a continué sous l’influence de cette idée. C’est alors que le doute aurait dû
venir à M. le ministre de la justice. Ce n’est pas quand il n’y a plus de
remède à l’erreur, qu’on vient émettre un doute. Je crois devoir, pour faire
cesser toute incertitude, présenter un amendement.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Si on présente un amendement
dans ce sens, j’en présenterai un dans le sens contraire.
M.
Gendebien. - Peu m’importe ce que vous ferez. J’aurai fait mon devoir.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il m’importe peu ce que vous
dites. Je déclare que s’il y a ouverture à amendement sur le sujet dont il
s’agit, j’en présenterai un dans le sens contraire à celui que proposerait le
préopinant.
M.
Gendebien. - Il est certain que si vous ne mettez pas dans la loi une
disposition conforme aux explications données par M. le rapporteur de la
section centrale, on passera outre ; vous n’aurez aucune garantie, et vous aurez
discuté pendant trois jours sous l’empire d’un mensonge.
Vous avez rejeté un
amendement à l’art. 1er, par lequel nous avions insisté pour faire insérer le
mot directement. Par suite du rejet
de cet amendement, il est indispensable d’adopter une disposition qui modifie
les conséquences épouvantables de la faculté de l’emprisonnement préalable.
Il serait absurde qu’une
chambre, s’apercevant au second vote qu’elle a commis une erreur, ne pût pas
revenir sur ce qu’elle a fait, et qu’on dût envoyer au sénat une loi, qu’on
saurait défectueuse. Le moyen serait de voter contre la loi sauf à la
représenter ensuite. Vous ne pouvez pas adopter une loi semblable, et en
laisser l’exécution à l’arbitrage d’un tiers sur qui nous n’avons aucune espèce
d’influence.
Si la loi passe comme
l’entend le ministre, elle viole une loi précédente que vous n’avez pas entendu
abroger, et dont au contraire vous avez entendu faire l’application pendant
toute la discussion : ce serait un véritable guet-apens que de faire des lois
de cette façon.
Je proposerai un
amendement ; la chambre fera ce qu’elle voudra, je me serai acquitté de mon
devoir ; je propose un amendement à l’art. 7 de la loi.
L’article porte : « La
connaissance des délits prévus par les articles 1, 2 et 3 ci-dessus, est
attribuée aux cours d’assises. »
Je propose de rédiger
ainsi l’article :
« Pour les délits
prévus par les art. 1, 2 et 3 ci-dessus, il sera procédé à l’instruction et au
jugement, conformément à l’art. 8 du décret qui rétablit le jury. »
Si
le ministre présente un amendement contraire et qu’il soit adopté, il en
résultera un abus de confiance. C’est après la discussion générale, avant
d’aborder les articles, qu’il devait s’expliquer. Il ne l’a pas fait. On a
argumenté de la juridiction du jury pour en faire passer les diverses
dispositions ; et maintenant vous voulez anéantir les garanties que cette
juridiction présentait. Evidemment vous faites de votre loi une loi
d’exception. Vous vous mettez en contradiction avec ce que vous disiez tout à
l’heure, que ce n’était qu’une loi de circonstance.
Vous mettez les citoyens
belges dans une position exceptionnelle relativement à la loi sur le jury. Vous
faites donc d’une loi que M. le ministre de la justice nommait loi de circonstance,
une loi d’exception, loi dont il se défendait si vivement tout à l’heure.
M. d’Huart. - Je ne sais trop si l’on peut
reproduire actuellement un amendement ; au surplus, je regarde l’amendement
proposé par M. Gendebien comme inutile. Il n’y a plus eu d’erreur dans la
première discussion. M. le ministre de la justice vient de déclarer que la loi
telle qu’elle est rédigée actuellement ne lui permettait pas de faire opérer
l’arrestation préalable des accusés. Le doute signalé par M. Gendebien n’existe
donc pas. La discussion nouvelle provient d’une erreur commise par M. le
ministre de la justice, qui, n’ayant pas sous les yeux la loi sur le jury, n’a
argumenté qu’en s’appuyant de la loi sur la presse. II est probable que s’il y
avait songé, il n’aurait pas fait l’observation relevée par M. Gendebien. Je crois que toute la
chambre a entendu comme moi qu’il ne pouvait y avoir lieu à arrestation
préalable.
M.
Gendebien. - Si M. le ministre de la justice déclare positivement…
Plusieurs voix. - Il l’a déclaré.
M.
Gendebien. - S’il déclare positivement que c’est par erreur qu’il a
oublié la disposition de la loi du jury qui interdit l’arrestation préalable
dans les procès politiques, je retirera mon amendement. J’entends dire que M.
le ministre a fait cette déclaration, Nous sommes donc tous d’accord sur ce
point. Je me bornerai donc à demander acte au procès-verbal de l’assurance
donnée par le ministre de la justice, que le gouvernement entendrait la loi
comme la section centrale ; mais il a ajouté qu’il fera en sorte que le sénat
comprenne la loi comme nous, sous le rapport des arrestations.
Plusieurs voix. - M. le ministre a dit qu’il
présenterait un amendement.
M.
Gendebien. - Oui ; mais il a prétendu qu’il n’est pas nécessaire qu’il
existe dans la loi. Nous ne pouvons considérer cette dernière déclaration de M.
le ministre comme étant de quelque valeur. Elle ne nous assure rien. Si
l’amendement qu’il présentera au sénat ne plaît pas à cette assemblée, si on le
rejette, la loi passera telle qu’elle est, sans l’amendement. Mais dans quel
sens devra-t-on l’interpréter ? Si le sénat, en rejetant l’amendement,
déclarait qu’il est inutile, que les dispositions de la loi sur le jury
suffisent, alors la mention au procès-verbal que je demande suffira. Mais dans
le cas contraire que fera le juge ?
Voix nombreux. - La loi sur le jury est là.
M. Gendebien. - On considère mon amendement
comme inutile. Soit, je le retirerai.
Mais si le sénat ne
partage pas l’opinion de la chambre des représentants à l’égard de
l’arrestation préalable, on exécutera la loi dans un sens tout à fait opposé.
Sous le roi Guillaume on avait interdit également l’arrestation préalable. Pour
éluder la défense bien formelle de la loi, on intentait des procès du chef de
conspiration. On fera sous le régime actuel exactement la même chose ; car tous
les gouvernements se ressemblent quand ils ont peur.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il est possible que le
ministère actuel ressemble au ministère auquel le préopinant a fait allusion.
Mais ce que je puis lui assurer, c’est qu’il n’a pas peur.
Je ne m’oppose pas à ce
qu’on inscrive ma déclaration au procès-verbal.
Si le sénat rejette
l’amendement que je lui présenterai, c’est qu’il partagera l’opinion de la
chambre des représentants. J’ai déclaré que cette opinion je la faisais mienne.
Le
gouvernement ne se croit pas autorisé à opérer l’arrestation préalable des
personnes qui contreviendraient à la loi actuelle, si ce n’est dans le cas de
simple délit correctionnel. Je pouvais ne rien dire à cet égard. Si je l’ai
fait, c’était uniquement pour lever les doutes qui pourraient s’élever dans
l’esprit des membres de cette assemblée, en supposant que cela fût possible.
L’accusation du préopinant tombe donc d’elle-même. Il n’y a pas eu abus de
confiance.
Il y a eu au contraire
excès de franchise de notre part ; nous avons voulu que la chambre votât en
pleine connaissance de cause, et si notre déclaration lui inspire la défiance
que montre M. Gendebien, elle peut encore, si elle le veut, rejeter la loi tout
entière.
M. le président. - Je mettrai successivement aux
voix les amendements présentés par MM. A. Rodenbach, Desmanet de Biesme et
Jullien.
M. d’Huart. - Je déclare demander la division de
l’article 4. Les motifs de cette demande sont faciles à concevoir. Je voudrais
que l’on votât premièrement sur la suppression du droit accordé au juge de
priver le coupable de sa pension, ou si cette suppression n’était pas admise,
sur les cas où la faculté en serait laissée au juge. L’on a présenté de
nouveaux arguments. La conviction des membres de cette assemblée peut avoir été
ébranlée. Si donc le règlement ne s’y oppose pas, je demanderai que M. le
président veuille bien mettre la division aux voix.
M. de Theux. - Il me paraît que la
division existe de fait. En votant séparément la première partie de l’article,
comme l’a annoncé M. le président, puis les amendements de MM. Desmanet de
Biesme et Jullien, les membres qui n’admettront pas le premier pourront voter
pour le second.
M. d’Huart. - Je n’ai attaqué en aucune manière le mode
de procéder proposé par M. le président.
Pourvu que la division que je demande soit accordée, je ne tiens pas à ma
première proposition.
M.
Jullien. - Je ferai observer à M. d’Huart que ni l’amendement de M.
Desmanet de Biesme ni le mien ne suppose la suppression du droit d’ôter la
pension au coupable.
- L’amendement de M. A.
Rodenbach est mis aux voix et adopté.
L’amendement de M.
Jullien est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
La chambre confirme par
son vote l’adoption de l’amendement de M.
Desmanet de Biesme.
Vote sur l’ensemble du
projet
La chambre procède à
l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 66.
Pour l’adoption, 60.
Contre, 4.
Deux membres se sont
abstenus.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption
:
MM. Bekaert, Berger, Boucqueau, Brixhe, Coghen,
Coppieters, Dams, Dautrebande,
de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille,
de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt,
C. Vuylsteke, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte,
d’Hane d’Huart, Doignon, Donny, Dubois, Dubus,
Deschamps, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Cornet de Grez, Helias d’Huddeghem, Lebeau,
Liedts, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet,
Pollénus, Poschet, Quirini,
Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen,
Simons, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden,
H. Vilain XIIII, Zoude.
MM. Fleussu, Gendebien,
Jadot, Jullien.
MM. de Foere et Desmet
se sont abstenus ; ils font connaître en ces termes les motifs de leur
abstention.
M.
de Foere. - Je n’ai pas pu assister à la discussion de la loi.
M.
Desmet. - Messieurs, ennemi de toute loi exceptionnelle je n’en voterai
jamais, si ce n’est que j’en voie une nécessité absolue, et ce ne serait pas
quelques mesquines intrigues d’un parti impopulaire et qui, d’ailleurs,
auraient pu être arrêtées et punies par les lois existantes, qui pourront
m’effrayer aujourd’hui et me convaincre de cette nécessite.
En adoptant une
disposition aussi vague que celle de l’article premier de la loi, et surtout
que l’amendement de l’honorable M. Trentesaux a été repoussé, je crains, au
contraire, de mettre une arme à plus d’un tranchant entre les mains d’un
ministre qui la ferait couper à sa manière, et dans un moment qu’on voit faire
un si étrange abus du pouvoir, qu’on viole avec une si étonnante effronterie la
constitution, et que, sans retenue, ou exhume les lois les plus arbitraires du
sans-culottisme français, pour mener la Belgique
d’après un bon plaisir et des caprices.
Je dois donc douter si
la mesure exceptionnelle ou de circonstance, qu’on vient de voter, puisse être
salutaire pour le pays, et c’est dans ce doute que la prudence m’a conseillé de
m’abstenir.
PROJET DE LOI PORTANT
ORGANISATION PROVINCIALE
Second vote des
articles
Titre Ier. Des autorités
provinciales
Articles 1 à 4
La chambre confirme par
son vote les amendements introduits dans les articles 1er,
3 et 4 de la loi.
Titre II. Des électeurs et des
listes électorales
Article 5
M.
le président. - L’article
« Art 5. Sont
électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi électorale
pour la formation des chambres.
« Les listes
électorales, formées en exécution de cette loi, serviront pour l’élection des
conseils provinciaux.
« Néanmoins les
individus qui auront obtenu la naturalisation ordinaire pourront réclamer le
droit d’électeur et se faire porter sur une liste supplémentaire, pourvu qu’ils
réunissent les autres qualités requises pour être électeur, et qu’ils fassent
leur réclamation dans le délai fixé par la loi.
« Les mères veuves
pourront déléguer leurs contributions à celui de leurs fils qu’elles
désigneront, et le fils désigné par sa mère sera porté sur la liste
supplémentaire s’il réunit d’ailleurs les autres conditions exigées par la loi.
« La déclaration de
la mère sera faite à l’autorité communale ; elle pourra toujours être
révoquée. »
M. Dubus. - J’ai une observation à faire sur
l’avant-dernier paragraphe de cet article. Je crois qu’il est bien entendu
qu’aujourd’hui, comme sous l’empire des anciens règlements, une mère veuve
ayant plusieurs fils domiciliés dans plusieurs districts différents ne pourra
former un cens électoral qu’à l’un d’eux. Je crois que sous le gouvernement
précédent les règlements exigeaient que la mère, dans la déclaration par
laquelle elle désignait l’un de ses fils comme électeur, dît formellement
qu’elle n’avait précédemment désigné à ce même titre aucun autre de ses fils.
Peut-être serait-il utile d’insérer dans la loi la même proposition.
M. de Theux, rapporteur. - Il est certain qu’une mère veuve ne pourra
désigner plus d’un de ses fils pour être électeur. Sans cela elle aurait plus
de droits qu’un électeur payant des contributions considérables et qui
néanmoins ne dispose que d’un seul vote. Quant à l’utilité de la déclaration
dont a parlé l’honorable préopinant, elle ne me paraît pas évidente. Il est
certain que si une veuve déléguait ses contributions à deux de ses fils, celui
à qui elle les aurait délégués en deuxième lieu serait considéré comme faux
électeur.
M.
Dubus. - Je ne fais aucune proposition formelle ; c’est une simple
observation que j’ai voulu faire.
- La chambre confirme
par son vote l’adoption de l’art. 5.
Titre II. Des
électeurs et des listes électorales
Titre III. Des collèges électoraux
Article 6 à 36
Depuis l’article 6
jusqu’à l’article 20 du projet résultant des résolutions de la chambre, tous
les amendements qui trouvent dans la loi sont de nouveau
adoptés, et sans débat. Il n’y a que l’article 16 qui donne lieu aux
observations de M. Dubus. Cet
honorable membre fait remarquer des erreurs dans la rédaction de l’article 16,
et sur la proposition de M. le président on en ajourne le vote définitif pour
donner le temps à la section centrale de faire les corrections nécessaires. Ces
corrections se bornent à des citations plus exactes de chiffres.
Les articles 21, 22, 23,
26, 31, sont confirmés sans donner lieu à aucune discussion.
L’article 32 est adopté
avec un léger changement de rédaction, consistant à mettre l’article 21, au
lieu de l’article 20.
Les articles 33, 34, 36
sont également confirmés.
- La séance est levée à
4 heures et demie.