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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 11 juillet 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment plainte relative à une expropriation pour la construction du chemin de fer (de Renesse)
2) Proposition de loi fixant les droits sur les céréales (essentiellement le froment et le seigle) (de Foere, (+droits de barrière) Frison, d’Huart, Quirini, Vandenhove, de Theux, de Man d’Attenrode, (+société générale) Desmet, Desmanet de Biesme)
3) Rapport sur une pétition relative à une violation de propriété lors des travaux du chemin de fer (Rogier, Liedts, Desmanet de Biesme, de Renesse, Rogier, Jullien, Rogier)
4)
Proposition de loi fixant les droits sur les céréales (essentiellement le
froment et le seigle) (Donny, Desmaisières,
Devaux)
(Moniteur
belge n°193, du 12 juillet 1834)
(Présidence de M.
Raikem)
M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille
donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet des pièces adressées la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Dubosch
adresse une réponse aux explications envoyées à la chambre sur sa pétition par
le ministre de la guerre. »
________________
« La régence de Zele réclame contre le
projet présenté par MM. Dewitte et Desmet. »
________________
« L’administration communale de Schellebelle contre les propositions de MM. Dewitte et
Desmet, tendantes à partager l’arrondissement de Termonde entre les villes
d’Alost et de St-Nicolas. »
________________
- Ces deux dernières pétitions sont renvoyées à
la commission charges de l’examen de la proposition de MM. Dewitte et Desmet.
________________
« Quatre personnes, nées Anglaises, ayant
essuyé des pertes par suite de l’invasion hollandaise en 1830, renouvellent
leur demande d’être indemnisées de ces pertes. »
- Cette pétition est renvoyée à la commission
des pétitions.
Le sieur Verhasselt,
propriétaire, domicilié à Bruxelles, dénonce à la chambre que les agents du
gouvernement ont violé à l’égard de sa propriété
l’art. 11 de la constitution, en prenant, sans aucune information préalable,
une partie de son terrain pour la construction du chemin de fer. »
M. de Renesse.
- Messieurs, à la séance d’hier, M. le ministre de l’intérieur a semblé
révoquer en doute que des agents du gouvernement auraient violé l’article 11 de
la constitution à l’égard de plusieurs propriétaires, dont ils ont pris une
partie de terrain pour la construction du chemin de fer, sans que ceux-ci
eussent été préalablement indemnisés. Aujourd’hui la pétition du sieur Verhasselt semble prouver que la violation de la
constitution dénoncée par le baron de Poederlé, n’est
que trop réelle ; que même, sans aucune information, une partie de la propriété
du pétitionnaire a été envahie par ordre des agents du gouvernement. De pareils
attentats au droit de propriété, si les faits cités sont exacts, ne peuvent
être tolères ; il est urgent que M. le ministre de l’intérieur avise de suite
aux moyens de faire cesser ces actes arbitraires, qui ne font que décrier le
gouvernement né de la révolution. Je demande que la pétition soit pareillement
renvoyée au ministre de l’intérieur avec demande d’explications.
Discussion générale
M. de Foere.
- Messieurs, j’ai cherché en vain, dans
les deux rapports qui nous ont été soumis, l’examen de deux questions dont la
solution devait fixer mon vote. Je signalerai d’abord la première. Parmi les
intérêts opposés qui sont balancés dans ces documents, je ne trouve nulle part les
intérêts du cultivateur et du consommateur mis en regard avec ceux du
propriétaire. J’ai toujours pensé, messieurs, que, dans les circonstances
ordinaires, une loi protectrice des céréales n’était autre chose qu’une loi
protectrice du propriétaire territorial et nuisible à toutes les autres classes
de la société, y compris même celle des agriculteurs. Je vous avoue que jusqu’à
présent rien n’a pu ébranler l’espèce de conviction que j’ai toujours nourrie à
cet égard. En effet, messieurs, si vous pénétrez dans les vrais ressorts de la
société, ou, en d’autres termes, si vous suivez les lois céréales dans leurs
derniers résultats, vous trouvez qu’elles enrichissent la classe des
propriétaires ; et qu’elles appauvrissent toutes les autres. Lorsque le prix des
céréales, des lins et autres produits du sol s’est élevé pendant quelques
années au-dessus de celui des années précédentes, le propriétaire augmente le
prix du fermage, et il ne le baisse pas dans les cas inverses. C’est ainsi que,
depuis un demi-siècle, on a vu augmenter les baux dans une progression
effrayante pour le fermier et pour le consommateur.
Lors donc que les prix des céréales baissent,
el que le propriétaire n’entend pas baisser les baux dans la même proportion,
il est évident qu’une loi protectrice ne peut tourner qu’à l’avantage du
propriétaire et au détriment de l’immense majorité de la nation. Le
propriétaire fait payer au fermier les contributions imposées sur le sol, ou,
ce qui est la même chose, elles sont comprises dans la quotité du bail. Si ces
impôts sont augmentés, c’est encore toujours le fermier qui les paie, n’importe
les variations que subit la valeur de ses produits. C’est donc à tort que, s’il
était vrai de dire que les fermiers ne pourront plus acquitter leurs
contributions, on en accuse le bas prix des céréales. Accusez-en le
propriétaire, qui dans ce cas ne veut pas diminuer le prix d’affermage, qui,
dans les cas d’avilissement des produits agricoles, force encore les fermiers
de payer les contributions : jetez le tort sur le propriétaire qui, quoi qu’il
en dise, exerce une industrie comme tout autre, ne veut pas courir les chances
de toute autre industrie, et prétend, contre la nature des choses, jouir d’un
revenu fixe, quelle que puisse être la position de toutes les autres branches
d’industrie et de toutes les autres classes de la société. Si les fermiers ne
peuvent payer les impôts, je dirai moi que c’est la faute au propriétaire non
au bas prix des céréales ; je dirai que c’est au propriétaire à les acquitter.
La conséquence de ces faits est, messieurs, que les lois céréales ne protègent
pas l’agriculture, moins encore la masse des consommateurs ; mais qu’en dernier
résultat elles ne sont avantageuses qu’au propriétaire seul.
Je vous demande maintenant, messieurs, est-ce
bien la classe des propriétaires qu’il faille protéger au détriment de toutes
les autres ? On la voit vivre, non pas dans l’aisance, mais dans l’abondance.
Il y a plus, en suivant le mouvement des achats et des ventes des propriétés
territoriales, on remarque que la division des propriétés, cette véritable et
seule image de l’aisance et de la prospérité d’un pays, disparaît chaque année
: Ce sont les grands propriétaires qui, précisément en raison de l’élévation
des baux et de leur non-participation aux charges du pays qu’ils rejettent sur
le fermier, parviennent à accumuler terres sur terres, sans vouloir entrer dans
les chances des valeurs que toutes les autres classes de la société sont
forcées de subir. Je le répète, messieurs, par les lois céréales, vous protégez
la classe de la société qui n’a pas besoin de protection, et vous nuisez à
toutes les autres qui la méritent.
Lorsque la récolte est riche, lorsqu’il y a
abondance de céréales, c’est un véritable bienfait, une vraie prospérité pour
le pays, et pour le propriétaire aussi bien que pour le fermier et pour le
consommateur. Je n’ai jamais entendu jeter le moindre doute sur cette
assertion. C’est une vérité qui, depuis des siècles, est passée en axiome. Je ne
conçois pas que l’on ne vienne aujourd’hui soutenir le contraire.
Quand il y a abondance, lorsque la récolte est
riche, les moindres valeurs des céréales sont compensées par la plus grande
quantité que l’agriculteur peut mettre en vente ; il peut en vendre en plus
grande quantité, parce qu’en raison de leur bas prix, la consommation est
beaucoup plus forte. Ainsi le propriétaire, le fermier et le consommateur y
trouvent leur compte. En imposant les céréales, vous voulez détruire cet ordre
de choses ; vous voulez anéantir les heureux résultats de la richesse des
récoltes ; vous voulez contredire les faits qui se sont toujours présentés sous
ce point de vue et dont la succession ne s’est jamais démentie. Quand il
n’existait pas d’économie sociale, organisée en science, toutes les nations ont
toujours compris que l’aisance, le bonheur et la prospérité dans un pays
n’existaient dans un pays que lorsqu’ils étaient répandus dans toutes les
classes de la société, et surtout lorsque le peuple pouvait manger du pain à
bon compte. Maintenant, lorsque l’économie sociale tend à répandre cette
aisance et ce bonheur dans toutes les classes, c’est le principe opposé que
l’on cherche à imprimer dans nos lois.
Lorsque par l’abondance de la récolte, le
fermier a été à même de réaliser plus de valeurs, parce qu’en raison du bas
prix des grains il y a eu plus de consommation, et que, malgré cette
consommation supérieure, la récolte l’excède encore, j’ai dit que c’était un
bienfait pour le fermier et, par conséquent, pour le propriétaire, car il est
impossible de détruire cette corrélation. Mais s’il existe des fermiers qui, en
spéculant sur la hausse des céréales, n’ont pas voulu vendre les leurs, de quel
droit viendrait-on prétendre que toute la nation doive compenser leurs mauvaises
spéculations, tandis que jamais il n’entre dans l’esprit d’aucun autre
industriel de demander au pays le remboursement des pertes qu’il a faites parce
que les résultats n’ont pas répondu à ses calculs ? Et quand, chez d’autres
fermiers, il y a excédant, non par suite de mauvaises spéculations mais par
suite de la richesse de la récolte, de quel droit encore viendrait-on soutenir
qu’il faut punir un bienfait passé par un impôt futur ? Quand, dans une année,
ou dans quelques années consécutives, il y a abondance dans un pays, cette
abondance existe ordinairement dans tous les autres pays. Chaque pays, dans ce
cas, est obligé de lutter en prix et en qualités avec les autres pour
l’écoulement de ses céréales. Pourquoi le nôtre, au détriment du bonheur général,
serait-il exempté de cette concurrence ?
Si vous voulez, messieurs, protéger d’une
manière réelle, efficace et durable, la vente de l’excédant de vos céréales et
de tous vos autres produits agricoles, minéraux et manufacturés il n’y a à mon
avis qu’un seul moyen, c’est celui d’admettre le projet de loi tendant à
avantager votre navigation que j’ai eu l’honneur de vous présenter, et auquel,
dans l’intérêt du pays, j’apporterai des modifications que la position navale
du pays réclame.
Quand je vote pour une loi conçue dans les
intérêts matériels du pays, je n’en calcule pas les résultats immédiats, mais
les résultats lointains, mais sûrs, ou très probables. C’est pour ce motif que
j’ai voté pour notre nouvelle législation sur les distilleries. C’est la prospérité
de l’agriculture et du pays tout entier que j’ai eue en vue, ou, en d’autres
termes, l’abondance dans la production. Mais si, par l’effet des distilleries,
nous parvenons à mettre en culture des terres autrefois stérile, et faire
produire plus abondamment les terres déjà cultivables, il en résultera
nécessairement une plus grande abondance dans la production. La conséquence
nécessaire en sera aussi que le prix des céréales baissera dans la proportion
de leur abondance.
Viendra-t-on encore en accuser le prix des
céréales lorsque ce résultat sera obtenu par l’abondance de la production ou
par l’excédant de la consommation ?
Nous avons voulu tous la loi sur les
distilleries dans l’intérêt même de l’agriculture ; si maintenant vous frappez
la matière première de cette industrie, vous en entravez les heureux résultats
agricoles.
J’abandonne ces observations, messieurs, à
votre sagesse pour en apprécier la valeur ; mais une autre question vient dans
mon esprit les contrebalancer. Cette question n’est pas non plus discutée dans
les documents qui nous ont été soumis. (erratum au Moniteur
belge n°196, du 15 juillet 1834) Je ne puis dévier du principe qu’un pays
doit conserver ses marchés à sa propre industrie, alors surtout que les pays
étrangers ne lui ouvrent pas les leurs, ou lorsqu’il n’y a pas échange de
produits. Or, nous nous trouvons dans cette position relativement aux marchés
de Dantzig et de Hambourg, vers lesquels nous n’écoulons pas les produits du
pays. Je ne puis, dans ce cas, admettre que l’industrie et le travail de
l’étranger viennent se substituer à l’industrie et au travail du pays.
Mais avant que ce fait soit bien éclairci, il
importe de savoir jusqu’à quel point la concurrence des céréales étrangères
puisse compromettre notre industrie agricole.
La solution de cette question dépend de celle
de savoir à quel prix, en prenant le terme moyen pendant dix ans, le commerce
peut embarquer dans le port de Dantzig les grains de
Or, l’honorable rapporteur n’est pas
entré dans la comparaison de ces prix. J’ai fait moi-même des recherches à cet
égard ; le résultat en a été que les grains de Pologne ne peuvent être importés
pour notre consommation, terme moyen pris dans dix années, qu’à 15 et 16 francs
par hectolitre, et les grains d’Allemagne, en raison de leur qualité
inférieure, à 5 huitièmes de moins. Si mes calculs sont justes je ne vois pas
que l’agriculture de
M. Frison. -
Messieurs, personne ne conteste à la loi soumise à vos délibérations d’être de
la plus haute importance, et nous devons tous désirer qu’elle ait pour
l’agriculture les résultats salutaires qu’on paraît en attendre ; c’est aussi à
cause de l’importance de cette loi que je me permets de vous présenter quelques
observations que vous saurez apprécier avec votre discernement accoutumé.
La détresse de l’agriculture ne tient pas
seulement à la baisse successive des céréales, résultat inévitable de plusieurs
années d’abondance ; et la moisson qui s’avance promet encore d’outrepasser les
espérances du cultivateur ; nous devons nous en féliciter, car je ne pense pas
qu’il soit entré dans l’esprit d’aucun de nous de souhaiter une année de
détresse, comme seul moyen de relever le prix trop avili des céréales. Je
tâcherai de vous exposer les causes auxquelles j’attribue en partie la
dépréciation du prix des grains.
Vous n’ignorez pas, messieurs, que depuis la
vente des bois domaniaux, les acheteurs en ont défriché des parties
considérables, qui ont été rendues propres à la culture des céréales ; c’est
une des causes qui ont augmenté la production et par conséquent la baisse des
prix ; et je ne pense pas qu’il soit possible ni même politique d’arrêter les
défrichements de cette nature, puisqu’aucune condition n’a imposé aux acheteurs
l’obligation de ne pas dénaturer les domaines vendus ; c’est ce qui avait
lieur, si ma mémoire est fidèle, sous l’empire et auparavant, lorsque le
gouvernement recourait à de pareilles ressources. Il fallait alors obtenir
l’autorisation ultérieure pour faire des défrichements. Vous pouvez avoir une
idée, messieurs, de leur importance actuelle, par les exemples que vous en avez
sous les murs de la capitale ; et dans toutes les provinces où se trouvent des
propriétés boisées, elles disparaissent dans une proportion semblable et toujours
croissante.
Une autre chose qui a une influence immédiate
sur la détresse de l’agriculture, c’est l’anéantissement du roulage que l’on
semble abandonner à un oubli total, sans rien faire pour le relever. Messieurs,
la prospérité du roulage a plus de rapport avec celle de l’agriculture qu’on ne
pourrait le croire au premier abord ; en effet, les fermiers élevaient une race
de chevaux de trait dont ils trouvaient une défaite facile et assurée, lorsque
les routes étaient fréquentées ; il se faisait une consommation considérable
d’avoine, de fourrages, de féveroles, etc. Et maintenant, au moment où je vous
parle, dans les provinces de Hainaut, de Namur, de Liège, et déjà depuis
longtemps, les chevaux sont à si vil prix que les fermiers ne peuvent les
vendre, quelque désir qu’ils en aient ; c’est un fait connu de beaucoup d’entre
nous. Messieurs, le roulage avait besoin d’un nombre considérable de chevaux,
et au point où il est maintenant réduit, il n’en emploie plus que le quart.
Aussi, les fermiers ne sachant plus se procurer la vente de ces chevaux qui
leur était assurée auparavant, n’en élèveront plus et rendront à la culture du
froment et du seigle les terres qu’ils ensemençaient auparavant des grains
nécessaires à la nourriture de ces animaux. Le prix du froment et du seigle
sera loin d’en obtenir une augmentation, puisque la production en sera plus
grande encore. Dans les seules communs de Frasnes, Gosselies, Jumet et Gilly, il se trouvait, il n’y a que
trois ans encore, plus de 400 chariots constamment occupés au transport de
matières pondéreuses ; à peine y en a-t-il cent aujourd’hui : Comptez 5 chevaux
par chariot, cela faisait 2,000 chevaux, réduits aujourd’hui à 500. Je ne vous
parle pas, messieurs, des communes du Brabant, des environs de Mons où le roulage
était actif, et se trouve réduit dans la même proportion.
Tous les chevaux dont le roulage avait besoin,
étaient élevés et achetés dans le pays, et se vendaient ordinairement de 400 à
450 francs ; et quand cette industrie était prospère, le voiturier ne craignait
pas même de se procurer des chevaux du prix de 800 à 1,000 francs. Ce n’est pas
sur les céréales seules que le fermier établit son compte, messieurs. Il fait
entrer dans ses calculs, et cela pour une grande partie, la vente plus ou moins
favorable de ses chevaux ou de ses bestiaux. La conséquence de tout ce qui
précède, c’est que lorsque les baux seront à renouveler, les fermiers, prenant
en considération toutes ces chances défavorables, ne consentiront à reprendre
leurs terres que sur une diminution du fermage, qui retombera directement sur
le propriétaire. L’honorable M. Meeus vous l’a dit hier, le fermier ne pouvant
continuer à couvrir ses frais de culture lorsqu’il aura un bail trop élevé, en
raison de la baisse successive des céréales, ce sera au propriétaire à diminuer
la location de ses terres.
Que si l’avoine et les fourrages se sont
maintenus depuis quatre années à un prix assez élevé, vous en connaissez la
cause aussi bien que moi, messieurs ; c’est le résultat de ce statu quo dans
lequel nous vivons, et qui oblige les fournisseurs à tenir toujours des
approvisionnement de ce genre, afin de ne pas être pris au dépourvu en cas
d’une reprise d’hostilité. Une fois cet état de choses terminé, et il faudra
bien qu’on en vienne à un accommodement tôt ou tard, l’avoine et les fourrages
éprouveront la dépréciation qu’ont subie les autres céréales, lorsqu’il n’y
aura plus ni écoulement, ni consommation extraordinaires.
Messieurs, depuis le 11 décembre dernier,
repose en paix dans les cartons de la chambre une pétition de 5 à 6 mille
propriétaires, négociant, agriculteurs, voituriers de toutes nos provinces ; si
l’on avait admis les croix, comme sur telle autre pétition à laquelle je veux
faire allusion, il n’y a nul doute qu’on n’eût recueilli 3 à 4 cent mille
signatures ; je ne sache pas que l’on se soit jusqu’à présent occupé de ces
réclamations, autrement que par le renvoi au ministre de l’intérieur, ordonne
par la chambre dans la séance du 27 janvier dernier. Les voituriers ne
demandent pour soulagement à leur détresse que la diminution et non l’abolition
du droit de barrière.
Dans la séance du 3 mars de cette année, nos
honorables collègues MM. Gendebien, A. Rodenbach et Dumont, ont fait valoir des
arguments si solides en faveur du roulage, que je craindrais de les affaiblir
en les reproduisant ; j’appelle donc, messieurs, votre attention sur les
considérations que je ne fais qu’effleurer, et j’invite M. le ministre de
l’intérieur à réfléchir sérieusement s’il ne conviendrait pas, lors de la présentation
du prochain budget, d’en supprimer l’excédant du produit des barrières, et de
proposer même l’abolition de ce droit, puisque ce serait un moyen d’apporter du
soulagement à l’industrie des voituriers et en même temps à la détresse de
l’agriculture, par le rapport intime qui lie ensemble ces deux industries.
Je ne dirai qu’un mot sur la manière dont on
pourrait remplacer la suppression du droit de barrière : ce serait d’ajouter
deux ou trois centimes additionnels par franc aux contributions directes et
indirectes ; et comme notre budget de gouvernement à bon marché sera toujours
au moins de 80 millions de francs, vous auriez à employer annuellement environ
2 millions de francs à la réparation des routes existantes et à la construction
de routes nouvelles, pour lesquelles chaque province contribuerait de la
manière la plus équitable.
Je devrais m’élever, messieurs,
contre l’augmentation de droit à l’importation de l’orge, proposée par la
section centrale, puisque dans le rapport fait en séance du 10 juin, par M.
Coghen, sur la proposition de M. Eloy de Burdinne, cet honorable rapporteur
disait qu’il serait sage de diminuer les droits sur la fabrication de la bière
; or, en augmentant le droit d’importation sur l’orge dont la culture est loin
de suffire aux besoins de la fabrication de la bière, c’est tendre à augmenter
le prix de cette boisson de première nécessité chez nous, puisque le droit
proposé s’élèvera à un franc environ par hectolitre, j’en dirai autant de
l’avoine dont l’hectolitre serait frappé de 75 centimes. Et remarquez bien que
ces deux espèces de céréales ont jusqu’à ce jour été d’un prix fort élevé et
hors de proportion avec le froment et le seigle. Dans la discussion du tarif
j’espère que vous modifierez ces chiffres.
Messieurs, peu familiarisé avec la science de
l’économie sociale, c’est avec une juste défiance de moi-même que je vous ai
apporté le faible tribut de mes réflexions ; je les abandonne à vos
méditations. Les lumières qui jailliront de la discussion détermineront mon
vote, ou contraire ou favorable ; car je n’ai point encore des idées bien
arrêtées sur le projet de loi qui nous occupe.
M. d’Huart. - Messieurs, l’honorable M. Meeus, en
commençant hier son discours, a déclaré qu’il ne s’arrêterait pas aux paroles
que j’avais énoncées dans une précédente séance, lorsqu’appuyant la proposition
de s’occuper promptement de la loi sur les céréales, je disais que les
agriculteurs étaient les plus fermes appuis du gouvernement, les partisans les
plus dévoués à l’ordre de choses actuel ; qu’ainsi ils méritaient bien que l’on
s’occupât d’eux. Ce à quoi il faut songer le plus sérieusement, dit l’honorable
orateur, c’est au peuple qui mange du pain, le matin, à midi et qui en mange
encore le soir.
Je suis entièrement d’accord sur ce dernier
point avec M. Meeus ; et moi aussi je ne veux que ce qui peut améliorer
l’existence du peuple, et, fidèle à cette pensée, je veux une loi sur les
céréales. Mais, où je me trouve en divergence avec l’honorable représentant et
avec d’autres collègues, c’est sur la manière de comprendre ce qu’il faut
entendre par le peuple. Le peuple de M. Meeus, c’est la réunion des ouvriers
employés aux fabriques, aux entrepôts du haut commerce, au débarquement des
marchandises. Le mien, c’est la masse de la nation qui se compose des personnes
adonnées exclusivement à l’agriculture et qui forment environ les quatre
cinquièmes de la population. Personne n’ignore que la division des propriétés
en Belgique est extrême, elles se trouvent réparties presque entre toutes les
mains ; on sait aussi que, sur 10 ouvriers ne possédant rien, 5 trouvent leur
existence dans les travaux agronomes, et que le salaire journalier, la plupart
du temps payé en nature, augmente ou diminue toujours selon que le prix des céréales
lui-même augmente ou diminue.
Il est sans doute inutile de faire des efforts
pour vous convaincre, messieurs, que l’immense majorité de la nation se compose
d’agriculteurs ; cependant, puisqu’un homme dont l’opinion est d’un grand poids
a présenté des arguments qui, implicitement, tendraient à contester celte
vérité, permettez-moi de citer un seul argument basé sur des chiffres.
La population totale de
J’ai fait le relevé de la population de nos 17
plus grandes cités où l’on doit supposer que l’industrie et le commerce forment
l’occupation principale et presque exclusive : cette population s’élève à
581,316 habitants, c’est-à-dire à environ le huitième de la population totale
du pays. Dans ce nombre une moitié peut-être se compose encore de
propriétaires, de fonctionnaires et de rentiers ; si je vous l’abandonne donc
en entier, je compenserai sans doute largement le nombre des industriels et de
leurs ouvriers qui se trouvent ailleurs, et avec cette concession beaucoup trop
large il reste prouve que près des 7/8 de notre population trouve son existence
dans les travaux agricoles.
Si M. Meeus avait compris ce qu’est le peuple, comme
il faut sainement le comprendre, il n’aurait certes pas exprimé l’idée que
l’ouvrier aux gages de l’industrie et du commerce doit être placé par le
législateur dans la plus grande aisance possible, au prix de la gêne et de la
misère même du cultivateur. Aujourd’hui, dit-il, l’ouvrier mange du froment,
tandis qu’autrefois il ne se nourrissait que de seigle, et il s’écrie tant
mieux. Mais il oublie que pendant qu’une minime partie de la nation vit avec
une sorte de luxe, plus des trois quarts de la même nation gémit et n’entrevoit
que ruine. Et pourtant c’est cette dernière portion qui fournit à l’Etat la
majeure partie des subsides indispensables à son existence, les bras
nécessaires à sa défense.
Gardez-vous d’oublier, messieurs, que dans les
moments de crise l’agriculteur se résigne avec patience ; les plus cruelles
privations commandées par l’intérêt de la patrie ne suscitent point chez lui la
menace, ce n’est pas lui qui recourt à l’émeute, à la conspiration. Mais, pour
alimenter chez lui ces nobles sentiments sans lesquels la société deviendrait
impossible, il ne faut pas le combler d’ingratitude, il ne faut pas lui refuser
la protection à laquelle il a droit.
Que ferez-vous par une loi telle que celle
qu’on vous propose ? dit l’honorable M. Meeus, vous opérerez un simple
déplacement d’écus. Oui sans doute, lui répondrais-je, mais un déplacement
juste, raisonnable, tendant à repartir les moyens d’existence d’une manière
équitable entre tous les citoyens et s’il faut, pour que l’agriculteur vive,
que l’ouvrier se résigne à manger du seigle, je le demande avec empressement,
car, je l’ai dit tantôt, un dixième de la grande famille ne doit pas, à la
faveur d’une législation vicieuse, vivre dans une somptueuse aisance au
détriment du reste de cette même famille livré au dénuement.
Et qu’on ne vienne pas dire que le projet qu’on
vous présente établit un monopole en faveur de l’agriculture ; le minimum
en-dessous duquel l’entrée des grains étrangers est prohibée n’assure pas même
au cultivateur le recouvrement de ses frais de culture, et il est reconnu qu’à
une moitié en sus du taux de ce minimum, l’ouvrier peut encore se procurer le
pain à un prix très modique ; alors encore les produits des fabriques ne se
vendent pas plus cher, car il est à remarquer que la variation du prix des
céréales n’en opère guère dans celui de la vente des fabricats, et que
l’abaissement du premier tourne à peu près uniquement au profit du fabricant.
Ceux qui admettent que
Qu’on cesse d’alléguer qu’immédiatement en
dessus du minimum proposé, l’étranger qui aura des frais de transport à
supporter ne pourrait pas concourir avec nous : c’est une trop grave erreur ;
il est des pays dans le nord où la culture est si facile et où le débit des
céréales est en même temps si nul, que les propriétaires sont bien forcés de
les livrer à tout prix chez l’étranger ; personne n’ignore non plus que
certains Etats de ces mêmes contrées perçoivent leurs contributions en nature
et que, pour faire face à leurs besoins, il faut que chaque année ils réalisent
leurs revenus en espèces. A cette occasion je dois un mot de réponse à
l’honorable M. de Foere : il a dit que c’était sur les marchés du nord qu’il
fallait consulter le prix des céréales, et que celui-ci y avait été moyennement
de 17 fr. l’hectolitre de froment. Je demanderai ce que cela prouve. Si les
prix des céréales sont plus élevés dans ce moment dans les marchés étrangers,
c’est aux commandes mêmes de nos négociants qu’il faut attribuer cette
élévation. Les mercuriales de Dantzig et de Hambourg ne prouvent pas plus que
celle de Bruxelles. Il est bon de remarquer que les céréales du nord sont d’une
qualité supérieure aux nôtres et que nos agriculteurs ne pourront par
conséquent jamais engager entre leurs produits et les produits étrangers, une
lutte égale.
On a beaucoup parlé des entraves que la loi
proposée apporterait au commerce. Mais en la lisant sans prévention, on est
bientôt convaincu qu’il n’en est rien ; point d’obstacle au transit, faculté
d’entreposer, liberté de réexportation, toutes ces garanties sont données au
commerce. Jamais les navires qui ont amené des grains dans nos ports, pour
exporter en retour des marchandises belges, n’ont trouvé à vendre directement
leurs cargaisons. Ils ont toujours dû user des entrepôts ; rien ne sera donc
changé à cet égard, et ainsi se réduit à rien l’objection principale du haut
commerce.
En cherchant à prouver qu’il ne convenait pas à
Il faut en convenir, les adversaires du projet
doivent être bien dénués de motifs raisonnables contre le principe de la loi en
discussion, lorsque l’un d’eux, pour nous combattre, vient prôner et considérer
comme un bienfait de la civilisation le système de douanes de l’ancien royaume
des Pays-Bas ; nais c’est par inadvertance, sans doute, que le député de
Verviers a tenu ce langage.
Je termine : persuadé que l’agriculture a
besoin d’une protection efficace liée aux vrais intérêts du pays ; je suis donc
disposé à la lui accorder. Je ne prétends pas toutefois que le projet qui nous
est présenté soit le terme moyen le plus parfait qu’il importe d’adopter : en
consacrant le principe de la protection que j’invoque, je suis prêt à en
accueillir l’application la plus sage qui serait proposée, et je m’empresserai
de me rallier aux amendements qui me paraîtront préférables au projet.
L’honorable M.de Foere, en s’élevant
contre la loi, dit qu’il ne suffit pas d’examiner l’état actuel des choses,
qu’il faut voir ce qui aura lieu dans l’avenir et prévoir toutes les
conséquences des mesures protectrices qu’on vous propose de prendre. La
commission d’industrie a été du même avis. Elle se défie également des
conséquences d’une loi dont on n’a pas fait l’expérience, Aussi propose-t-elle qu’elle
soit déclarée transitoire, afin que, si l’on remarquait qu’à l’expiration du
terme pendant lequel elle sera en vigueur, elle pouvait avoir quelque chose de
funeste, elle dût tomber d’elle-même. Cette hypothèse, dans mon opinion, ne
pourra arriver. Si au contraire sa continuation est jugée utile, si elle doit
servir désormais de règle définitive, les chambres seront là pour lui donner
une nouvelle vie.
(Moniteur
belge n°194, du 13 juillet 1834) M. Quirini.
- Messieurs, un des inconvénients que j’éprouve, en prenant part à cette
discussion, c’est de devoir motiver mon opinion sur une matière qui ne m’est
pas très familière, et à l’examen de laquelle je n’ai pas pu employer tout le
temps que j’aurais désiré y donner : cependant, le projet de loi qui a été
présenté par l’honorable M. Eloy de Burdinne, est d’une telle gravité et se
combine si étroitement avec les intérêts les plus chers du pays, que je n’ai
pas cru pouvoir me dispenser de vous présenter quelques observations que la
lecture de ce projet m’a suggérées. Je n’abuserai que peu de temps des moments
de la chambre, convaincu comme je le sais que si les observations que je vais
vous soumettre présentent quelque utilité, d’autres orateurs plus versés que
moi dans cette matière sauront leur donner les développements nécessaires et
les feront ressortir avec plus de talent que je ne pourrais le faire.
Il est d’abord à remarquer que, dans l’examen
préalable auquel il a été soumis, le projet de loi de M. Eloy de Burdinne, a
rencontré une opposition très forte, non pas seulement de la part du commerce
et de l’industrie, mais de la part même des commissions d’agriculture composées
en grande partie de cultivateurs, c’est-à-dire de la part de ceux-là même qui
ont le plus grand intérêt à ce qu’il soit adopté, puisque sur 7 de ces
commissions trois seulement ont donné leur approbation. Ce dissentiment mérite
de fixer votre attention : le nouveau projet qui nous est soumis par la section
centrale et par la commission d’industrie, auxquelles M. Eloy a donné son
assentiment, me paraît préférable sous tous les rapports à celui que cet
honorable membre a présenté primitivement. La commission d’industrie et votre
section centrale donnent dans le juste milieu : elles proposent pour le seigle et
le froment ce que proposait à peu près l’honorable M. Eloy de Burdinne pour
tous les grains sans distinction : maximum, minimum, libre entrée, sans droits,
défense d’exportation, défense d’importation.
Telles sont les mesures que le projet en
discussion vous propose d’adopter dans l’intérêt de l’agriculture ; pour moi,
je dois l’avouer, toutes ces mesures me paraissent aussi contraires, aussi
nuisibles à l’agriculture qu’au commerce du pays. Que veut M. Eloy de Burdinne
? Protéger l’industrie agricole du pays contre les importations de l’étranger :
tel est le but que l’on a, et que certes nous devons tous avoir en vue
d’atteindre ; or le projet qui vous est soumis doit-il amener ce résultat et
quels sont les moyens à employer à cet effet ?
Pour empêcher que notre agriculture ne souffre
par les importations étrangères, il suffit d’établir sur les grains étrangers
un droit à l’entrée tel qu’ils ne puissent jamais concourir avec nos produits
intérieurs, et que ces derniers obtiennent toujours la préférence sur les
céréales étrangères : c’est la seule protection que l’agriculture de notre pays
ait droit de réclamer de nous, la seule que nous puissions raisonnablement leur
accorder : toute mesure ultérieure, toute prohibition absolue deviennent
inutiles, et ne peuvent qu’entraver le commerce sans apporter aucun remède à
notre industrie agricole.
Or, le droit que l’on propose d’établir sur les
importations des grains étrangers sera plus que suffisant pour atteindre ce
but. Il est certain que déjà maintenant, par suite de l’avilissement du prix
des céréales, les productions étrangères ne peuvent plus concourir sur nos
marchés avec celles du pays.
Dès lors à quoi servent les mesures de
prohibition auxquelles le projet soumis à nos délibérations propose de
soumettre, en certains cas et pour certaines éventualités, les céréales
étrangères ?
L’établissement d’un maximum et d’un minimum,
l’alternative d’une importation tantôt sans droit, tantôt avec un droit assez
élevé, ne peut servir qu’à anéantir tout commerce de céréales dans notre pays,
à jeter la perturbation dans toutes les spéculations, à inquiéter et
déconcerter sans cesse le commerce, et cela, je le répète, sans qu’il puisse en
résulter le moindre avantage en faveur de notre agriculture indigène : je
m’explique :
L’article 2 du projet de la section centrale et
de la commission d’industrie permet l’entrée libre de tous droits au froment et
au seigle, lorsque le prix est parvenu au maximum : mais il est évident que
lorsque le maximum est atteint, on devra accorder la même faveur aux grains qui
se trouvent déjà entreposés dans le pays, qu’il faut même leur accorder cette
faveur préférablement à ceux que l’on ferait arriver de l’étranger. C’est même
cette perspective de pouvoir vendre les grains qui se trouvent en entrepôt
concurremment avec ceux de l’intérieur, qui engage les spéculateurs à expédier
pour l’Angleterre une masse de grains étrangers, dans l’espoir qu’ils pourront
jouir d’un avantage analogue à celui que l’on accorde toujours aux grains qui
doivent être importés. Or, il est certain que si l’on permet de porter tout
d’un coup dans la consommation intérieure les grains qui pourraient se trouver
emmagasinés au moment où le prix moyen, réglé sur des marchés régulateurs,
serait parvenu à 4 francs, il est certain, dis-je, qu’il en résulterait une
fluctuation, une baisse, qui pourrait être prévue, et, crainte d’avance par le
commerce, empêchera toutes les spéculations. On veut établir une balance,
maintenir un certain équilibre dans le commerce ; eh bien ! pour
conserver cet équilibre, accordez la plus grande liberté : la concurrence entre
les négociants est telle aujourd’hui que les grands bénéfices sont impossibles
dans tout commerce auquel un négociant honnête et prudent peut se livrer avec
quelque certitude dans les résultats.
Je le répète, messieurs, il faut favoriser
notre agriculture, lui accorder une protection efficace, à cet effet employer
tous les moyens qu’elle a droit de réclamer de nous ; mais il ne faut rien
accorder au-delà : sous le prétexte de favoriser nos cultivateurs, gardons-nous
bien de détruire le commerce du pays. On a distingué l’intérêt de l’agriculture
de celui du commerce, de l’industrie et du consommateur ; quant à moi, je pense
que tous ces intérêts ne peuvent point se séparer, qu’ils se combinent et
dépendent l’un de l’autre : il y a corrélation, connexité parfaite entre la
prospérité de l’agriculture et celle de l’industrie ; rien ne contribue plus à
la prospérité de l’agriculture que le commerce des grains ; l’absence de ce
commerce, par le défaut de communications, est cause qu’en Espagne très souvent
le grain est sans aucune valeur dans telle province de ce pays, tandis que dans
une province voisine il y a disette. C’est toujours sur les points où arrivent
les importations que se font aussi les exportations ; c’est ainsi, par exemple,
que lorsque tout récemment encore la disette s’est fait sentir en Russie,
Si
l’agriculture languit, toutes les branches d’industrie sont en souffrance : les
3/4 de notre population et plus même sont cultivateurs. La consommation de
l’intérieur des objets fabriqués est d’autant plus active, que les habitants de
la campagne jouissent de plus d’aisance. C’est le commerçant qui achète,
emmagasine les grains de nos cultivateurs lorsqu’il leur manque des débouchés ;
c’est le commerce qui fait venir les grains de l’étranger lorsque la récolte
n’a pas produit suffisamment pour satisfaire à nos besoins, et qui empêche par
là que les prix ne soient trop élevés dans l’intérêt du consommateur et de
l’industrie ; c’est encore par le commerce que se font toutes les exportations,
et que les capitaux étrangers viennent refluer dans notre pays. Il est donc
bien évident que l’agriculture est particulièrement intéressée à la prospérité
de notre commerce.
Comment prétendra-t-on favoriser l’une en
anéantissant complètement l’autre, et en détruisant toutes les relations que
notre commerce a formées pour ce commerce ? Ces considérations me détermineront
à voter contre le projet en discussion, à moins qu’il ne subisse des
changements notables.
(Moniteur
belge n°193, du 12 juillet 1834) M. Vandenhove.
- Messieurs, la question qui nous occupe en ce moment n’est pas plus ardue que
bien d’autres, et si l’on veut examiner bien attentivement et suivre
méthodiquement 1e développement de l’industrie, la solution offrira moins de
difficulté que l’on ne s’imagine.
Nous prendrons pour point de départ que toutes
les industries, et commerciale, et agricole, et manufacturière, ont un droit
égal à la sollicitude du gouvernement : favoriser l’une aux dépens de l’autre
serait rompre l’équilibre qui doit régner entre elles ; mais comme depuis
longtemps on a adopté et modifié selon les circonstances, des mesures pour
empêcher les étrangers de s’emparer de nos marchés intérieurs, pour y vendre
leurs productions manufacturières, il serait injuste de ne point réviser la
législation sur les céréales signalée comme incomplète.
Ici, se renouvellent les regrets de la
privation où nous sommes des tableaux statistiques, tant de nos productions
manufacturières, agricoles et commerciales, que de ceux de leurs productions.
Pendant leur absence, nous invoquerons des faits connus des contemporains, ceux
consignés dans l’histoire et dans les ouvrages d’économie politique : ils nous
diront que
Vous avez une preuve toute récente, messieurs,
de la puissance de nos ressources territoriales, alors que les céréales sont à
des prix élevés : c’est à l’aide de ces prix avantagent que nous avons pu faire
nos deux premiers emprunts, et majorer la contribution foncière ; la belle
position de l’industrie agricole nous a permis de lui demander des sacrifices
pour assurer notre indépendance ; les souffrances des deux autres branches de
l’industrie vous ont fait abstenir de leur rien imposer ; et nonobstant les
pertes essuyées par le commerce et, à l’exception de trois ou quatre villes,
vous avez vu partout s’élever de nouveaux édifices, signe évident que la
plus-value de nos céréales a la plus grande influence sur l’aisance et
l’abondance qui se manifeste de tous côtés à la suite de l’exportation qui a eu
lieu depuis quelques années, de l’exubérance de nos produits agricoles.
Que demande l’agriculture aujourd’hui que les
grains sont à vil prix ? que vous preniez des
dispositions qui lui donnent la garantie que, dans les temps de bas prix des
céréales, elle aura seule la faculté de pourvoir à la subsistance de notre
population. Ce qu’elle réclame de nous, messieurs, est peu de chose
comparativement à ce que les législateurs anglais et français ont fait pour la
première des industries.
Avant 1820, l’Angleterre dépensait des sommes
considérables en achats de grains étrangers pour compléter la consommation ;
cette année vit cesser les importations des céréales, en payant un dernier
tribut de 30 millions de francs aux contrées du Nord.
Ces deux puissances, depuis 1820-1821, ont ôté
un débouché de 9 à 10 millions d’hectolitres de toute espèce de grains pour les
pays qui y déversaient leur trop-plein : et dès 1822,
Pour parvenir à des résultats aussi étonnants,
ces gouvernements ont eu recours à des mesures décisives qu’avait préparées,
depuis plusieurs années, le perfectionnement de l’agriculture ; ils ont prohibé
l’entrée des grains jusqu’à ce que l’hectolitre fût par un terme moyen du
trimestre, à environ 32 fr. pour l’Angleterre, et à 21 fr. pour
Les sacrifices que
Les prix excessifs de cette première nourriture
de l’ouvrier n’ont point nui à la production manufacturière, ainsi qu’on se
plaint toujours à l’avancer dès qu’il s’agit de prévenir que les grains
exotiques ne viennent concourir avec les nôtres, alors que nous en regorgeons,
et que leur valeur donne à peine de quoi couvrir le prix de location des terres
et les frais de culture.
Les documents officiels de l’exportation des
objets fabriqués par l’industrie anglaise pendant ces années de grande cherté
des grains, repoussent les objections enfantées par l’ignorance ou l’intérêt
particulier mal entendu.
L’Angleterre a exporté :
En 1819, 30,996,352 liv. ster.
En 1820, 32,307,373 liv. ster.
En 1821, 32,957,771
liv. ster.
En 1822, 33,442,051
liv. ster.
On viendra peut-être nous objecter que
l’Anglais se nourrit principalement de viande : il est vrai que la consommation
en est considérable, elle est à Londres de
Sans s’associer aux exagérations d’un pareil
système, on peut bien insister sur l’établissement d’un droit protecteur, et
d’une prohibition dans le cas d’une vilité de prix qui jetterait de nouveau le
découragement dans nos campagnes : vous verriez se reproduire ce qui eut lieu
de 1819 à 1826 ; dans plusieurs de nos contrées la journée de l’ouvrier tomba de
10 à 7 sous, celle des femmes de 7 à 5 sous ; les cultivateurs, ne pouvant
vendre leurs productions qu’à vil prix ne cultivèrent plus avec le même soin ;
ils renvoyèrent leurs domestiques, et supprimèrent plusieurs travaux, notamment
celui du sarclage du froment, de l’orge, de l’avoine : les fumiers se vendaient
difficilement, les rues de certaines de nos grandes villes étaient pleines
d’immondices, qui ont disparu quand les prix des céréales se sont relevés.
Si vous suspectez ces assertions ou que vous n’ayez
plus en mémoire le malaise du pays pendant cette série de dépréciations de nos
céréales, d’autres orateurs viendront les corroborer, et je ne doute pas que
pendant le cours de cette discussion on en déroule encore le tableau à vos
yeux. Des administrateurs vous révéleront peut-être que déjà dans certaines
localités les ressources de cette année de plusieurs bureaux de bienfaisance
sont à peu près absorbées : vienne un hiver rigoureux, il faudra aller à
l’emprunt, et faire un appel à la charité publique, dont les libéralités seront
restreintes par le retard ou la non-rentrée des rendages.
Nous le dirons franchement, messieurs, le pays
où les trois quarts de la population sont attachés à l’agriculture, n’est
jamais été plus florissant qu’alors que ses productions sont à des prix élevés
: l’argent est abondant, il circule rapidement, la consommation est grande,
tout le monde est à l’ouvrage, le prix de la journée n’éprouve de variation que
par le manque de bras ; si la dépense s’enfle de l’augmentation du prix du
pain, il y a compensation parce que toute la famille a de l’ouvrage, ce qui n’a
pas lieu dans les temps de détresse.
En attendant une nouvelle ère de prospérité,
prenons des mesures pour que nos marchés ne soient approvisionnés que de nos
productions ; il serait déraisonnable de ne point faire en sorte que toute la
population de
D’après les recherches que M. le duc de Gaëte a consignées dans un mémoire sur le cadastre, et dont
les données résultent du dépouillement des documents officiels, la classe
agricole consiste en France en 19,421,000 individus ou
près des deux tiers de la population. L’autre tiers se compose d’artisans
ouvriers de manufactures, 4,309,000. 5,270,000 marchands, fonctionnaires, professions libérales.
Total, 29,000,000.
En Angleterre le tiers seulement tient à
l’agriculture, la moitié de la population appartient à l’industrie
manufacturière, 4,373,841 sont étrangers aux deux
premières classes qui forment ensemble une population de 22,000,000 d’habitants
à l’époque du recensement en 1821.
La loi que vous propose la section
centrale, lorsqu’elle aura subi quelques modifications, ne causera aucun
préjudice au commerce, qui pourra recevoir des consignations et acheter des
grains pour son propre compte, et les déposer dans les entrepôts d’où il pourra
les retirer en tout temps pour les réexporter, s’il ne peut les présenter sur
nos marchés en payant les droits : toute exigence qui voudrait franchir ces
limites en se parant des phrases banales et pompeuses de première nourriture du
peuple, d’augmentation de la main-d’œuvre manufacturière, se retrancherait
derrière un vil égoïsme ou un intérêt particulier mal entendu, je le répète,
qui ne peut que compromettre la fortune publique.
Nous venons de voir, messieurs, les effets du
bon vouloir de nos voisins ; il a porte leurs cultivateurs non seulement à
compléter les nécessités de la consommation intérieure dans les temps
ordinaires, mais il les a mis à même de présenter leurs denrées à côté des
nôtres sur les marchés étrangers ; et si vous n’y veillez de près dans peu ils
envahiront les nôtres.
M. de
Theux. - L’on a prétendu, messieurs, que la loi actuellement en
discussion avait pour but de favoriser le propriétaire aux dépens du consommateur.
Si tel était en effet le but du projet, je m’empresserais de le rejeter, car je
m’opposerai toujours de toutes mes forces à tout projet de loi qui aurait pour
objet de protéger une classe de la nation aux dépens de toutes les autres
classes de citoyens. Mais dans mon opinion il n’en est pas aussi.
Si le projet de loi sur les céréales a pris
naissance à une époque de détresse pour l’agriculture, en même temps que l’on a
voulu établir des dispositions en faveur de la production, on a offert à la
consommation des garanties pour les circonstances où le prix des céréales
viendrait à s’élever extraordinairement.
Le véritable but de la loi est de sauver la
classe agricole de l’état de détresse dans la crise actuelle, comme il est,
d’un autre côté, de sauver la classe des consommateurs de l’état de misère qui
serait le résultat d’une crise opposée.
Ces deux buts ont été de tout temps l’objet de
la sollicitude de tous les législateurs. Le seul point sur lequel ils ne se
sont pas trouvés d’accord, ce n’est pas la fin, c’est le moyen.
Un honorable député de Bruxelles qui a combattu
le projet de la section centrale a employé des arguments opposés qui se
détruisent l’un par l’autre. En effet, d’un côté cet honorable membre a dit que
l’agriculture n’a pas besoin de droits protecteurs, qu’elle n’a qu’à diminuer
ses bénéfices, et que la diminution de ses bénéfices n’atteindrait que les
propriétaires. Il a cité les années 1822 à 1824, où les grains étaient à
beaucoup plus bas prix qu’ils ne le sont actuellement.
Mais, d’un autre côté, il a avoué que lorsque
la valeur des blés est élevée, l’agriculteur cherche à forcer la production. Il
a rappelé les efforts extraordinaires des cultivateurs pour augmenter les
produits de leurs terres.
Si donc il est évident que lorsque les prix des
céréales sont élevés, l’agriculteur augmente sa production, par une conséquence
toute logique il doit être évident que quand ces prix baissent, les efforts des
cultivateurs subissent également une progression décroissante.
L’honorable orateur que je combats pense que le
cultivateur n’est guère intéressé aux fluctuations du prix des blés. Si le
cultivateur belge, au lieu d’être fermier, n’était, comme dans certains pays,
qu’un simple métayer qui reçoit sa nourriture de son propriétaire, cette
assertion serait fondée.
Mais en Belgique l’agriculteur est un
industriel qui engage dans la culture des capitaux considérables, qui conclut
un marché avec son propriétaire, qui, après avoir rempli les conditions de son bail,
bénéficie exclusivement pour son compte.
Voilà pourquoi, le prix des blés étant assez
élevé, on voit les habitants des campagnes se rendre dans les villes, y vendre
leurs céréales, acheter en retour les produits de l’industrie manufacturière et
vivifier le commerce. Ce sont là des faits qu’il est impossible de contester.
Je dis donc qu’il est évident que l’augmentation du prix des blés est dans
l’intérêt des cultivateurs. Si l’élévation des blés ne profitait qu’aux
propriétaires, on verrait les cultivateurs constamment dans la même position
pécuniaire, ce qui n’a pas lieu ; car ils montrent quelquefois beaucoup
d’aisance.
Le même orateur a dit que si les prix restent
au taux actuel, les importations seront très minimes.
Je me rappelle que, de 1822 à 1824, les
réclamations les plus vives furent faites aux états-généraux pour obtenir des
mesures protectrices à l’agriculture ; alors les prix des blés étaient
cependant plus faibles qu’aujourd’hui.
Si les états-généraux avaient eu la certitude
qu’il n’entrait pas de blés étrangers en Belgique, ils n’auraient pas porté les
lois qu’ils ont portées en 1822 et en 1824. Il y a donc lieu de douter du
fondement de l’assertion de l’honorable membre.
On a dit encore que le projet de loi était une
taxe sur les pauvres, une taxe sur la classe nombreuse des consommateurs au
profit de la classe des propriétaires.
L’on a été jusqu’à dire que le projet de loi
était en lui-même plus odieux que l’impôt mouture d’odieuse mémoire parce que
le droit de mouture profitait à l’Etat, à la généralité ; cet argument est tout
à fait neuf ; je n’y répondrai pas, car chacun de vous y a déjà répondu.
En même temps l’honorable député a eu soin de
dire que le projet n’aurait aucune influence sur le prix des blés ; qu’il
n’aurait pour résultat que d’anéantir le commerce des grains qui, lui seul,
vivifie l’agriculture en facilitant l’écoulement de ses produits ; que le
projet tendrait plutôt à avilir le prix des blés qu’à le maintenir ; mais s’il
en est ainsi, il est donc faux que le projet profitera aux grands propriétaires
au détriment des consommateurs ; ce serait l’inverse qui aurait lieu.
Enfin on a dit que ce ne sera pas le
cultivateur qui en profitera parce que le propriétaire élèvera ses baux si les
céréales augmentent de prix. Alors même que le projet de loi aurait pour objet
de maintenir constamment un état de hausse, l’argument ne serait fondé qu’en
partie, car les bénéfices se partageraient entre les propriétaires et les
cultivateurs ; mais ici l’argument est entièrement erroné.
Le projet de loi n’a pas pour objet de procurer
l’augmentation du prix des blés dans tout état de cause, mais de prévenir
l’abaissement des prix dans de certaines circonstances,et
le renchérissement dans d’autres circonstances. Le propriétaire est
désintéressé dans la question.
Si le propriétaire doit cette année diminuer
ses baux qui sont expirés une autre année, il élèvera ses baux quand les
céréales seront augmentées de prix. Il y a quelque chose d’aléatoire dans le
contrat entre le propriétaire et le fermier.
Le projet de loi établit-il l’équilibre ? offre-t-il un juste dédommagement aux consommateurs ? Pour
résoudre cette question, j’ai consulté un document officiel sur la période qui
s’est écoulée depuis 1815 jusqu’à 1833.
Cette époque me paraît donner les renseignements
les plus vrais, parce qu’avant cette époque l’état de guerre maritime et
continental empêchait qu’il ne s’établît entre les prix des blés un juste
équilibre. Depuis 1815 la liberté des mers a tendu à établir cet équilibre.
J’ai cherché à connaître le prix moyen du
froment pendant ces années ; j’ai trouvé 19 francs 43 centimes, tandis que le
prix moyen du seigle est pendant la même époque de 12 francs 62 centimes :
connaissant ce prix, j’ai examiné si le projet de loi offrait véritablement des
bénéfices à l’agriculture en général ; il m’a paru au contraire. que les chances étaient plus favorables aux consommateurs.
En effet, le taux auquel la sortie des blés est interdite est 24 francs ; la
différence à 19 francs 43 est fr. 4-57.
Le taux auquel l’entrée des blés est interdite
est 13 francs ; de 19 fr. 43 à 13 fr., il y
a 6 fr. 43 ; pour que l’équilibre fût parfait, on aurait dû proposer 14
francs 85 centimes pour interdire l’entrée.
Il en est de même pour les seigles ; au lieu de
8 fr. on aurait pu proposer 9 fr. 24 c.
J’appelle l’attention de la chambre sur ces
chiffres, car peut-être sera-t-il utile d’augmenter le chiffre minimum pour
interdire l’entrée, et au contraire de diminuer le chiffre maximum pour
défendre la sortie.
Il en résulterait un grand bien pour empêcher
les secousses subites dans les prix des blés, secousses qui amènent la misère
du peuple pendant les années de cherté.
Au reste, messieurs, je n’ai point à cet égard
une opinion entièrement formée. Bien que cette mesure me paraisse utile, il
serait cependant possible que les limites en fussent trop serrées pour les
opérations commerciales. Je livre ce point à la méditation des hommes qui
connaissent parfaitement les opérations du commerce des céréales.
On a encore fait l’objection suivante : on a
dit : Le projet de loi va entraver le commerce des grains, et alors point de
prospérité pour l’agriculture.
Je serais porté à admettre la
seconde partie de cette proposition ; mais je ne pense pas que le projet puisse
anéantir le commerce des grains ; on ne l’a aucunement démontré dans cette
discussion.
En attendant qu’on le fasse, je m’en tiendrai à
cette vérité si simple en elle-même ; c’est que plus l’abondance est grande et
plus les prix doivent baisser, et que, lorsque les blés sont chers, plus
l’exportation est grande et plus les prix augmentent. Ce sont là des vérités
qui paraissent triviales et auxquelles je me tiendrai jusqu’à ce qu’on ait
prouvé que les mesures proposées paralyseront le commerce des grains.
Et comme il s’agit ici d’intérêts qui touchent
à la nation presque entière quant à la production, et à la nation tout entière
quant à la consommation, je crois l’objet digne de toute la sollicitude du
législateur. Ne craignons pas de nous engager dans une mauvaise voie en suivant
les traces des législatures qui nous ont précédés.
En principe, je voterai pour la loi.
M. de Man d’Attenrode. - La loi importante qui nous
occupe a déjà soulevé de graves questions ; un orateur qui n’est pas partisan
de la liberté illimitée du commerce, et qui pense qu’on peut équitablement
établir des droit conservateurs en faveur d’une industrie qui serait menacée
d’être anéantie par une industrie étrangère, parce qu’en prélevant un léger
sacrifice sur la nation entière, c’est lui conserver un capital réel, ne pense
pas que notre agriculture soit une industrie qu’on puisse ranger dans la
catégorie précitée, parce qu’elle n’est pas en danger de crouler vu que
personne ne peut entrer en concurrence avec elle, et que si la concurrence
arrive de l’étranger, c’est en proportion si minime qu’il est inutile d’en
parler. Voilà la comparaison établie pour l’agriculture par un honorable
adversaire.
Cela ne me semble pas juste, car notre pays est
annuellement inondé par les blés, que produisent ces pays d’esclavage et de
despotisme où le salaire n’est presque rien ; car il est hors de doute que le
cultivateur belge ne peut pas concourir avec le cultivateur russe en fait du
prix de la main-d’œuvre ; et ce sont les propriétaires, les gouvernements même
de ces pays, qui viennent échanger contre notre argent des blés que leurs serfs
ont produits presque pour rien.
J’ai entendu dire ensuite que protéger
l’agriculture c’était frapper la majorité au profit de la minorité ; je
répondrai d’abord que tous les genres d’industrie en Belgique sont solidaires
de leur prospérité réciproque : si le revenu du propriétaire foncier riche,
moyen ou petit, est diminué, le salaire de l’ouvrier le sera par la même
conséquence. Le riche propriétaire fera moins de dépense de luxe, le
cultivateur s’imposera quelques privations au détriment des manufactures,
l’ouvrier du fermier recevra un salaire moins élevé : il est vrai qu’il
dépensera par jour 20 centimes de moins pour son pain, mais il lui sera fait une
retenue de 30 centimes peut-être ; soit 10 centimes de moins pour se procurer
quelques douceurs. La propriété n’est d’ailleurs pas concentrée en Belgique
dans quelques mains comme dans d’autres pays. Le doux nom de propriétaire
foncier est répandu dans toutes les classes, et tend à se répandre de plus en
plus ; la petite propriété est très répandue dans ce pays, et c’est ce qui
établit une des garanties de sa paix intérieure. Ce n’est donc pas frapper la
majorité au profit de la minorité, ce n’est donc pas prendre dans la poche du
consommateur pour mettre dans la poche du producteur. Mais c’est protéger tous
les producteurs, tous les travailleurs, que de protéger notre industrie
agricole, en empêchant la dépréciation ou le prix trop élevé des blés.
Le bas prix des céréales amène avec soi la
dépréciation de tous les produits ; diminution de la valeur de la propriété
foncière, diminution de l’impôt dont elle paie les 13/16 environ, diminution de
tous les fabricats, dépréciation de toutes les productions.
La question qui nous occupe se réduit pour moi
à savoir si nous livrerons, pendant les moments où le pays n’a que faire des
blés étrangers, où leur introduction est ruineuse pour tout le monde, si,
dis-je, nous livrerons le pays dans ces moments aux spéculations du haut
commerce.
Nous ne voulons d’ailleurs pas gêner le haut
commerce, nous ne voulons pas entraver des spéculations qui ont le monde pour
marché ; nous établissons un transit et un entreposage libre.
Nous ne voulons que soustraire momentanément notre
pays à des opérations ruineuses pour lui.
Et qu’est-ce que peut être
L’agriculteur demande un salaire modéré et
assuré autant que possible, parce qu’il est soumis à des taxes fixes, qui ne se
paient pas en raison du prix élevé ou déprécie de la production. Le haut
commerce au contraire est habitué à ces chances : s’il perd aujourd’hui, il se
refait avec l’espoir de décupler son gain.
L’agriculteur demande à subsister ; il ne doit
pas pouvoir spéculer sur un gain exorbitant, dont les résultats sont la misère
et la famine.
Il est et sera toujours le plus
ferme soutien de la moralité, de l’ordre et de la nationalité ; il saura
supporter pour son pays une gêne momentanée et les plus grands sacrifices ;
c’est ce dont je suis journalièrement témoin dans les polders de
Messieurs, j’ai la conviction que la loi
destinée à protéger nos céréales est une loi toute nationale, toute populaire,
et qui sera accueillie avec reconnaissance.
En l’adoptant, nous prouverons encore que nous
avions des motifs de nous séparer de
M. Desmet. -
Messieurs, le système libéral en fait de commerce, j’en conviens, est indiqué
par la nature ; elle a mis les hommes sur la terre pour y vivre en paix et en
frères ; placer des douanes aux portes des royaumes et des empires, c’est
enchaîner le génie et l’industrie des peuples, couper le nerf de leurs
jouissances et alimenter un état de guerre permanent entre toutes les nations.
Si les gouvernants pouvaient substituer à la
politique un code qui réglerait le droit des parties, et employer la raison au
lieu de l’artillerie, quelle économie pour les peuples ! Quelle besogne
épouvantable les grands fonctionnaires des Etats s’épargneraient, et combien de
leurs énormes traitements pourrait-on ne pas économiser ! Que de flots de sang
on arrêterait ! et alors sans doute le système libéral
serait établi de fait ; mais aussi longtemps qu’on ne sera pas parvenu là,
celui qui ouvrira sa porte toute grande à celui qui ferme la sienne, se ruinera
sans ressources.
Une nation chez laquelle on pourrait se passer
d’impôts, pourrait donner aux autres nations l’exemple du système libéral et
les convaincre de leurs erreurs.
Mais est-ce bien chez nous, où on se trouve en
défaut pour mettre le trésor au niveau des dépenses et on ne doit avoir recours
aux emprunts pour faire face aux budgets, qu’il appartient de donner cet
exemple aux nations, sans nous exposer à être le jouet de l’Europe ?
L’Angleterre, au moyen de ses mécaniques,
pourrait la première donner aux autres nations l’exemple de ce système, et elle
mériterait bien de l’humanité si elle prenait cette noble et sublime
résolution. Mais est-elle disposée à le faire ? Je ne le crois pas. Elle
continuera à nous envoyer ses produits, parce que nous sommes assez bonasses
pour les recevoir, et elle repoussera les nôtres, parce qu’elle y trouvera
mieux son compte, comme elle trouve son compte de venir accaparer nos matières
premières et de nous en renvoyer les fabricats que nous sommes assez fous de
nous laisser enlever.
La nature qui traça aux hommes le système
libéral ne nous enseigna jamais une pareille doctrine. Quod tibi
non vis fieri, alteri ne feceris, dit-elle ; suivons donc cette sage leçon que
l’expérience n’a jamais démentie, et je ne doute pas que toute la chambre ne la
partage et ne dise avec l’honorable député, gouverneur de la banque de
Bruxelles, que jusqu’à présent encore la liberté illimitée du commerce n’est
qu’une utopie et ne se trouve que dans ce pays fabuleux décrit par Thomas Morus
dans son livre sur l’Utopie. Si donc on reconnaît ce fait, ne doit-on pas
reconnaître de même que l’agriculture, étant la source d’où découlent toutes
les richesses et tenant le premier rang dans les industries, demande qu’on la
protège et qu’on prévienne sa décadence ? Comment se fait-il que le haut
commerce, qui reconnaît de même toute l’importance de l’agriculture, et
hypocritement déclare qu’on doit la protéger, met tout en œuvre pour
l’anéantir, qu’il se débat pour laisser arriver sur nos marches ces énormes
quantités de grains étrangers qui, s’ils procurent de promptes et colossales
fortunes à quelques hauts commerçants, privent nos pauvres cultivateurs des
bénéfices suffisants pour payer le fermage au propriétaire et les impôts à
l’Etat, et qui pour récompense de leurs pénibles travaux ne leur laissent que
du pain et des pommes de terre à manger et de l’eau à boire... !
Mais, dit l’honorable M. Meeus, la mesure que
vous allez prendre ne profitera qu’aux propriétaires, elle n’intéresse qu’une
fraction de la société, la généralité n’y gagnera rien. Comment ! L’agriculture
n’intéresse qu’une partie de la société, et on ose vous dire cela en Belgique !
Je crois que ceci ne demande point de réponse ; mais je demanderai à
l’honorable député, gouverneur de la banque de Bruxelles, quel est l’objet,
quels sont les revenus qui versent la plus grande part dans les contributions
de l’Etat ? ne sont-ce pas ceux qui proviennent de
l’agriculture, et même ne devra-t-il pas avouer que cette part est tout à fait
hors de proportion avec ceux qui proviennent des autres industries ? Cependant
on ne cesse de répéter, et tout le monde doit le dire, qu’on doit contribuer
aux charges de l’Etat dans la proportion de son avoir ; et cependant toutes ces
sociétés pour encouragement, qui n’encouragent personne que l’avidité de
quelques individus, toutes ces sociétés d’assurances, toutes ces bourses de
commerce qui attirent tous les capitalistes pour le gain immense que l’agio des
fonds publics leur offre, font toutes des fortunes immenses et colossales, et
ce sont précisément ceux-là qui ne paient rien à l’Etat.
On dira peut-être : Comment les atteindre ?
Celte difficulté ne me paraît pas insurmontable ; et si nous avions à la tête
de nos finances des hommes qui seraient à la hauteur de leurs fonctions et qui
ne seraient que pour le bien-être du pays, je crois qu’on trouverait facilement
des moyens pour atteindre ces revenus.
En fondant la banque de Bruxelles, le roi
Guillaume avait particulièrement en vue, comme il le disait, l’agriculture ;
elle occupa même la première place dans sa pensée. Mais depuis la fondation de
cette banque, sous le régime hollandais comme depuis la révolution de
septembre, l’agriculture n’en a retiré aucun avantage et elle n’en retirera
jamais, parce que les actionnaires qui la dirigent ont des intérêts contraires,
et la leçon de tous les siècles nous apprend que l’intérêt particulier est
toujours le mieux soigné.
Cette banque qui est une institution, qui n’a
été créée que pour le bien public, profitera à quelques particuliers qui feront
des fortunes colossales, et voilà tout le bien que le pays en retirera
quoiqu’elle ait spolié tous ses domaines.
Et pour surcroît de malheur, cette société si
protégée, si prospère et qui fait tant de bénéfices avec les propriétés du
pays, ne participe nullement aux charges publiques : cependant si les
propriétaires des terres versent au trésor le cinquième de leur revenu, ne
serait-il pas également de toute justice que la banque de Bruxelles versât
aussi au trésor le cinquième de tous ses dividendes ?
Ne serait-ce pas encore de toute justice que
tout ce qui excède la somme de vingt millions de florins des Pays-Bas,
lorsqu’on fera le compte de la vente des domaines, faite par la banque,
retourne au trésor de l’Etat ?
Ne serait-ce pas aussi d’après les règles de la
justice éternelle que les bénéfices que la banque a faits avec les capitaux
appartenant au trésor public, elle en rende compte au pays et les verse dans
ses caisses ? Enfin est-ce que la justice éternelle ne me défend pas aussi de
tenir les fonds qui ne m’appartiennent point, et ne prescrit-elle point de les
rendre à celui à qui ils reviennent.
Si tous ces principes de la justice éternelle
étaient consciencieusement observés par la société de la banque de Bruxelles,
les charges de l’Etat y trouveraient un soulagement sensible, et si elle ne
fait rien à l’avantage de l’agriculture, du moins elle ferait baisser les forts
impôts dont elle est surchargée par le remboursement des capitaux du pays
qu’elle tient dans ses coffres.
Je n’en dirai pas davantage sur la question des
céréales, car nous ne faisons que nous répéter ; je me bornerai dans cette
discussion générale à répondre à ceux qui ont tant de sollicitude pour
l’ouvrier prolétaire et le pauvre consommateur, que ce ne sont pas seulement
les propriétaires et les cultivateurs qui demandent des droits à l’entrée des
grains étrangers, mais que ce sont aussi ces ouvriers et ces pauvres, qui ne se
procurent des subsistances et des vêtements que quand ils ont à travailler,
quand ils gagnent des salaires ; que ce n’est que quand l’agriculture prospère,
qu’il y a réellement aisance et prospérité en Belgique, et quand elle languit,
on n’y rencontre que gêne et pauvreté ; tout le monde, toutes les industries
souffrent quand elle souffre, et c’est une vérité que personne ne me contestera
; car qu’entend-on dire tous les jours par les boutiquiers et par ceux qui font
un métier : « les grains sont chers, nous vendons et nous avons du
travail. »
Quand on discutera les deux systèmes différents
présentés pour établir des droits sur les céréales, j’émettrai alors mon
opinion, et je crois que je donnerai la préférence à celle de l’honorable M.
Eloy ; je le ferai même pour répondre aux vues de l’honorable M. Coghen, qui
désire également protéger le commerce, la consommation et la production, et ne
donner aucune faveur privilégiée à l’un de ces trois intérêts, car je crois
mieux y parvenir par un tarif gradué d’importation et d’exportation que par un
droit fixe et des mesures prohibitives, que je ne trouve jamais nécessaires que
dans des années extraordinaires qu’il faut se prémunir contre la disette.
C’est le système qu’on a préféré en Angleterre
et en France : ils y ont reconnu tous les inconvénients que présente la
combinaison successive de la prohibition et de la libre entrée, surtout avec un
droit qui n’a pas d’avance amené l’équilibre entre les blés du pays et ceux de
l’étranger.
Il en résulte des alternatives de bénéfices
trop grands et des pertes absolues. Des entreprises commencées dans l’espace
d’une importation permise se trouvent tout à coup interdites, et ruinent ceux
qui les avaient conçues avec le plus de sagesse et dans les intentions les plus
louables.
C’est pourquoi il me semble qu’il faut adopter
le principe que l’entrée et la sortie des blés soient toujours permises, mais
qu’elles ne pourront l’être que sous la condition d’un droit protecteur, qui
sera gradué d’après la baisse ou la hausse des grains sur nos marchés, et qui
les tiendra toujours à un prix qui donnera la protection nécessaire à
l’agriculture et qui ne nuira point à la consommation en conservant sans
interruption la marche du commerce.
C’est
absolument, je pense, entrer dans les vues de l’honorable rapporteur de la
commission d’industrie et du commerce et satisfaire aux vœux du pays, qui est
unanime pour demander une protection en faveur de l’agriculture. Je ne vois
qu’un seul cas où, par mesure de police, on doit laisser la faculté au
gouvernement de prohiber les grains à la sortie ; c’est quand ils sont montés à
un tel prix que le pays est menacé d’une disette....
Quand on discutera les articles, j’émettrai mon
opinion sur la hauteur de ce prix rémunérateur et de quelle manière je
désirerai que le tarif soit gradué, particulièrement pour les blés de froment
et de seigle ; je m’énoncerai aussi sur le nombre des marchés régulateurs qu’on
a proposés, et je ferai la motion que les graines de colza soient aussi
imposées d’un droit protecteur à leur entrée dans le pays, car il nous en
arrive une grande quantité de l’Allemagne. J’ai dit.
M. Desmanet
de Biesme. - Je prends la parole pour soutenir le projet de M. Coghen
plutôt que celui de M. Eloy de Burdinne.
Cependant si je préfère ce projet, ce n’est pas que j’en attende de grands
résultats sur le prix des céréales.
Je veux seulement motiver mon vote et répondre
à quelques assersions qui ont été émises dans un sens
trop absolu.
Je ne crois pas que le prix des grains haussera
; je pense au contraire qu’il baissera, au moyen des céréales dont la récolte
cette année s’annonce de la manière la plus favorable.
Comme on l’a dit hier, les divers systèmes sur
la liberté du commerce des grains sont nombreux, partout on s’est livré à des
théories très belles et très brillantes ; j’avoue que je n’ai pas encore une
opinion fixe dans un sens exclusif, je cherche à m’éclairer, et je vois
beaucoup de doute dans chaque système.
Bien que les théories sur les différents
systèmes soient répandues dans les pays qui nous entourent, le France et
l’Angleterre ne paraissent pas prêtes à les adopter, ce qui prouve qu’elles ne
sont pas tellement sûres qu’on puisse s’y rallier.
Il me serait téméraire de chercher à
approfondir la grande question des céréales, en opposition avec M. Meeus ;
cependant je me permettrai d’exprimer mon opinion sur un principe que
l’honorable membre a voulu établir.
M. Meeus demande la liberté du commerce des
grains, il veut des droits protecteurs pour certaines fabriques du pays. Je ne
partage pas cette opinion : si on veut la liberté du commerce des grains, si on
veut protéger les cultivateurs, il faut également vouloir la liberté de
l’industrie, il faut la liberté pour les cotons, pour le fer, etc.
Je préfère le système de M. Lardinois qui veut
que s’il y a liberté illimitée pour le commerce des grains, il y ait aussi
liberté illimitée pour toutes les industries ; je ne sais si ce système peut
être établi entièrement, je ne suis pas assez versé dans la matière pour avoir
une opinion formelle, mais cela me paraît plus raisonnable.
On a dit que si les grains étrangers peuvent
entrer sans droits, d’un autre côté vous devez laisser sortir vos grains avec
la même liberté ; je regarde cela comme impossible, et alors même qu’une loi
existerait à l’égard de ce système, on ne pourrait l’exécuter. Il est des
circonstances dans lesquelles le gouvernement doit dans l’intérêt de sa
stabilité empêcher la sortie des grains. Les propriétaires mêmes, que l’on a
représentés comme égoïstes, seraient les premiers à consentir à cette mesure.
En Hollande, à une certaine époque, les propriétaires belges qui s’y trouvaient
se sont opposés à ce que les grains sortissent du pays, et c’est le haut
commerce qui réclamait cette mesure.
J’admettrai le système de balance de M. Eloy de
Burdinne, qui pourrait empêcher les émeutes ; car on sait que dans les temps de
crise et de disette, le peuple peut se livrer à la révolte.
Quand le prix des grains hausse, le
propriétaire souffre et ne profite point de cette augmentation ; quand il y a
baisse, le propriétaire doit en profiter ; il peut dire au fermier : Vous avez
eu de bonnes années ; si vous avez maintenant moins de bénéfices, je n’y puis
rien.
Si la baisse se prolongeait, je crois que les
propriétaires devraient faire une diminution dans le prix des baux ; mais,
quelque système que l’on veuille établir, il arrivera toujours que ce seront
les fermiers qui souffriront. Il y a des propriétaires impitoyables, qui feront
vendre tout ce que possède le fermier pour les payer de deux années de fermage
que la gêne aura empêchée d’acquitter. Cela est injuste, mais cela peut
arriver.
J’ai vu en 1823 des fermiers qui ont été
expropriés par leurs propriétaires.
Comme l’a dit M. d’Huart, le sol est très
divisé en Belgique, et la législation qui nous régit tend à amener encore une
plus grande division dans la propriété ; il y a un grand nombre de petits propriétaires
intéressés dans la question des céréales, ce serait déplacer la question que de
la rattacher seulement aux grands propriétaires.
L’honorable M. Meeus a dit hier : Si le prix
des grains baisse, le sol ne sera pas moins cultivé, et les terres ne resteront
pas en friche. C’est une erreur : dans une bonne partie de
Les cultivateurs de ces provinces souffriraient
beaucoup d’après le système de M. Meeus, et ce ne serait pas seulement les
cultivateurs qui souffriraient, mais une foule d’ouvriers qui sont employés à
des travaux de sablonnage.
Il y a eu beaucoup de bois défrichés ; les
terrains en ont été achetés à vil prix, et ces terrains qui commencent à être
cultivés resteront en friche ; ils ne serviront plus qu’à des pâturages, et ne
seront plus que des terrains de vaine pâture.
M. Lardinois a dit qu’il ne fallait pas juger
en égoïste, que la question n’était pas sans influence sur l’ordre social et
que de grands écrivains avaient écrit pour donner au peuple un autre système
d’économie sociale ; je ne sais si ce système s’établira, mais je demanderai à
l’honorable député de Verviers, relativement à l’avis qu’il a donné aux
propriétaires, si les doctrines des saint-simoniens et de M. de Lamennais
seraient seulement applicables aux propriétaires ? Je lui demanderai si les
ouvriers ne viendraient pas demander compte aux fabricants du profit immense
qu’ils font sur eux, s’ils ne mettraient pas l’aisance du maître en regard de
leur misère, s’ils ne feraient pas la différence du profit et du salaire ? Pour
moi, je ne vois pas que l’on puisse séparer l’industrie et le commerce ; tout
doit marcher ensemble dans un pays réglé.
Il faudrait voir ce que serait en Belgique la
liberté du commerce et de l’industrie ; je pense que les ministres ne sont pas
disposés à proposer ce système qui pourrait compromettre le pays, mais enfin
c’est un système comme un autre : du reste, quel que soit le système que l’on
adopte, il faut que l’agriculture et l’industrie jouissent également de droits
protecteurs.
On dit qu’il ne se fait plus d’arrivages de
grains dans notre pays : je ferai remarquer que ce défaut d’arrivages peut
résulter de ce qu’il y a eu l’année dernière une disette en Russie. Je ne crois
pas que la loi fasse hausser le prix des grains, mais en tous cas il faut
maintenir le système dans lequel le consommateur aussi bien que le cultivateur
trouve son profit ; il faut faire en sorte que l’agriculture ne revienne pas à
l’état dans lequel elle était il y a 20 ans.
D’après ces considérations, je vois que je
voterai pour la proposition de M. Eloy de Burdinne, ou pour celle de M. Coghen,
selon les amendements qui seront présentés.
M. Dumont. - La
plupart des orateurs ayant répondu aux objections des adversaires du projet, et
le dernier ayant parlé en faveur du projet, j’attendrai qu’un orateur ait parlé
dans le sens contraire pour lui répondre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole. La chambre
a paru désirer hier de promptes explications au sujet de la pétition qui lui
aurait été adressée par un baron de Poederlé pour une
partie de terrain à lui appartenant, dont on aurait disposé pour la
construction de la route en fer.
Je suis en mesure de donner à la chambre ces
explications si elle est disposée à les entendre.
C’est le rapport de MM. les ingénieurs, chargés
de la direction des travaux, que j’aurai l’honneur de communiquer à la chambre.
Un grand nombre de voix. - Oui ! oui
!
M. le président.
- La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) donne lecture de ce rapport.
M. Liedts. - Je
commence par déclarer que je ne connais pas le pétitionnaire, et que si je
prends ici sa défense, c’est par respect pour la constitution.
Vous venez d’entendre M, le ministre vous dire
que le pétitionnaire avait osé demander la somme énorme de trois mille florins
pour un tiers d’hectare. J’admets que la somme demandée par le pétitionnaire
peut être fort exagérée, que ses prétentions peuvent être fort déraisonnables ;
mais cela n’autorisait pas l’administrateur à s’emparer de son terrain sans
forme de procès. C’est cependant ce qui est arrivé, d’après le rapport même de
M. le ministre de l’intérieur.
L’article 11 de la constitution ne dit pas
seulement que nul ne peut être privé de sa propriété pour cause d’utilité que
moyennant une juste et préalable indemnité, mais aussi sans avoir rempli les
formes prescrites par la loi. Cet article est ainsi conçu :
« Nul ne peut être privé de sa propriété
que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la
loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. »
Lorsqu’un
propriétaire est assez déraisonnable pour exiger un prix exorbitant de son
terrain, la loi trace la marche à suivre, elle a prévu ce cas. La loi de 1810
porte que quand l’administration a besoin d’un terrain pour exécuter un travail
d’utilité publique, elle s’adresse aux tribunaux pour obtenir provisoirement la
mise en possession, en attendant que l’indemnité soit réglée par la justice.
L’administration devait observer cette formalité ; si, sans forme de procès,
elle s’est emparée de la propriété du pétitionnaire, sur le seul motif qu’il
demandait un prix exorbitant, elle a violé l’art. 11 de la constitution.
Je demande le dépôt des pièces au greffe, afin
que chacun des membres puisse en prendre inspection.
M. Desmanet de Biesme. - D’après ce
que vient de dire l’honorable M. Liedts, je n’ai rien à ajouter. Si le
propriétaire demandait un prix trop élevé, l’administration a eu raison de
s’emparer de son terrain. Mais, sur ce prix qu’on regarde comme si élevé, il y
a une considération à faire valoir. On prétend que sur les terrains que traversera
le chemin de fer, on empêchera d’arroser les prairies ; cette circonstance
devant faire baisser la valeur de toute la propriété, on doit y avoir égard
quand on fixe le prix de la partie qu’on achète.
D’après ces motifs, je demande aussi le dépôt
des pièces.
Malgré l’empressement que M. le ministre
veuille mettre à faire exécuter le chemin en fer, les wagons ne pussent-ils pas
marcher pour les fêtes de septembre, il ne doit pas déposséder les
propriétaires sans remplir les formes que les lois et la constitution
prescrivent.
M. de
Renesse. - A l’ouverture de la séance, j’ai donné connaissance à la
chambre d’une pétition d’un sieur Verhasselt qui se
plaint que sa propriété a été envahie sans qu’on lui ait seulement donné connaissance
des travaux qu’on voulait y exécuter.
Il y a trois mois que, croyant que le chemin de
fer passerait sur toute sa propriété, on s’était adressé à lui, et un certain
employé l’avait engagé à céder sa propriété gratis à l’Etat. Il a répondu qu’il
avait des enfants et qu’il ne pouvait pas faire ce sacrifice. Depuis, on ne lui
en a plus parlé, et la semaine dernière il a vu sa propriété envahie.
Ces faits exigent que la chambre nomme une
commission d’enquête pour les examiner.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je suis le premier à regretter
que, dans leur zèle louable pour activer autant que possible l’exécution du
chemin en fer, les ingénieurs aient dans une circonstance, il paraît même dans
deux, passé sur certaines formes, respectables sans doute puisqu’elles sont
prescrites par la loi et la constitution que nous nous efforcerons de respecter
autant qu’il sera en nous. Mais la chambre aura remarqué que le fait dont on se
plaint est véritablement une exception, que cette exception ne frappe pas un
pauvre cultivateur, et en second lieu qu’elle ne concerne pas de très grands
intérêts.
Sur 390 propriétaires environ, avec lesquels il
a fallu traiter, 27 seulement n’ont pas encore consenti, preuve que le
gouvernement a procédé, malgré toute l’activité qu’il veut mettre aux travaux,
avec autant d’égards qu’il a pu, vis-à-vis des propriétaires. Des ordres très
formels seront donnés pour qu’à l’avenir on ne procède plus avec autant
d’empressement. Le gouvernement a fait tout ce qu’il a pu pour obtenir un prix raisonnable des propriétaires. Il est tombé d’accord
avec la presque totalité, sauf ceux qui veulent profiter de leur position pour
exiger des prix énormes et nullement en rapport avec de terrains voisins de
même contenance et de même qualité. J’ajouterai une observation. Si les
propriétaires trouvaient dans les chambres des dispositions à accueillir avec
beaucoup d’empressement toute espèce de réclamations qui leur sera adressée,
leurs prétentions iront en augmentant. Je ne crois pas que l’intention de la
chambre soit que les travaux de la route soient retardés, ou que les
acquisitions soient faites à des conditions onéreuses. Il ne faudrait pas que
les propriétaires récalcitrants trouvassent dans leur sein un appui tel qu’ils
en profitassent pour mettre le gouvernement dans une position difficile
vis-à-vis d’eux. C’est une observation que je soumets avec confiance à la
chambre. Cependant, je renouvelle l’engagement que j’ai pris de donner des
ordres pour qu’on agisse avec moins de vivacité à l’égard des terrains qu’il
faudra prendre.
M. Jullien. -
Le rapport du ministre nous dit que le propriétaire demandait pour son terrain un
prix excessif. Voilà en effet qui justifie bien l’acte de violence dont il se
plaint ! On a fait quelques démarches qui n’ont pas obtenu de résultat
satisfaisant,et après une dernière démarche, M. le
baron de Poederlé, n’ayant pas voulu céder aux demandes
de M. l’ingénieur, on s’est emparé violemment de sa propriété.
Il n’y a pas, selon moi, dans cette violence un
zèle louable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce n’est pas à cet acte que j’ai
appliqué les mots de zèle louable.
M. Jullien. -
Quant à moi, loin de trouver là un zèle louable, j’y vois une action
répréhensible et qui doit être réprimée.
Il ne faut pas que la chambre s’étonne si des
propriétaires élèvent des prétentions exagérées. Vous vous rappelez que quand
nous avons discuté la loi sur le chemin de fer, plusieurs orateurs ont soutenu
que les calculs ne pouvaient pas être justes quant à l’estimation de la valeur
des propriétés. J’ai cité l’exemple de
Je ne crois pas d’ailleurs et je ne suis pas
obligé de croire que les propositions faites à M. de Poederlé
étaient raisonnables. Nous ne l’avons pas entendu, et si je me rappelle sa
pétition, de son côté, il n’avait fait que demander un prix très raisonnable de
la valeur de son terrain. Il est de principe du reste que quand il y a
contestation, on ne peut pas se faire justice à soi-même.
D’après la constitution c’était aux tribunaux
que doivent être déférées les contestations résultant de la différence de
l’évaluation d’un terrain par l’autorité et de celle faite par le propriétaire
lui-même. Il n’est donc pas possible d’excuser dans le cas actuel la conduite
des agents du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur nous a dit que,
dans le désir où le gouvernement était d’activer les travaux du chemin de fer,
l’on avait cru devoir passer sur certaines formes. Je suis étonné d’entendre
traiter de simples formes ce qui dans notre pacte fondamental est la garantie
la plus positive, la plus sacrée du droit de la propriété. Comment ! je demanderai pour un terrain dont l’autorité trouve l’achat
nécessaire pour l’exécution de certains travaux, un prix que je crois
raisonnable. Je ne tombe pas d’accord avec le gouvernement. Et au mépris de la
constitution que j’invoque, M. l’expert passera sur certaines formes, et
viendra occuper de force cette propriété ? Je vous demande si l’on ferait
davantage à Alger (ou plutôt, si l’on y aurait fait plus avant l’occupation
française). Il est certain que des abus aussi criants doivent être réprimés
promptement, si on ne veut pas exposer les propriétaires des terrains sur
lesquels passera le chemin de fer à toutes les vexations des agents du
gouvernement. Dés que vous abandonneriez le droit de la propriété aux caprices
de l’autorité, il n’y aurait plus de droit sacré qui ne pût être violé
impunément.
M. le ministre de l’intérieur a dit
encore, dans l’intention de diminuer les fâcheuses impressions que de pareilles
plaintes peuvent faire sur la chambre, que si nous les accueillions trop
facilement, il serait à craindre que les propriétaires, forts de notre appui,
n’élevassent leurs prétentions d’une manière tout à fait exagérée. Une
semblable raison ne doit pas vous arrêter. Le devoir de la chambre avant tout
est de faire observer la constitution, de faire respecter le droit de la
propriété. Si ensuite les prétentions des propriétaires ne peuvent être
accueillies, c’est aux tribunaux qu’il appartiendra de décider cette dernière
question. Si les travaux du chemin de fer ne s’exécutent pas aussi promptement
que M. le ministre de l’intérieur le désirerait, qu’il ne s’en prenne qu’à la
constitution, qui a établi le respect des propriétés.
Je déclare donc appuyer la proposition de M. Liedts.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il me semble qu’il est inutile
que la chambre adopte la proposition de M. Liedts, puisque je ne m’oppose en
aucune manière à déposer sur le bureau un rapport que j’ai seulement voulu
faire en mon nom.
M. le président.
- Puisque la question soulevée par le rapport de M. le ministre me paraît
vidée, nous allons passer à l’ordre du jour.
Discussion générale
M. Donny. - Ce
que j’ai entendu de plus spécieux contre le projet de la loi actuellement eu
discussion, peut se résumer dans ce raisonnement :
La vilité du prix des céréales est avantageuse
au peuple. Elle n’est désavantageuse qu’aux propriétaires. Entre la richesse des
propriétaires et les souffrances du peuple, il n’y a pas à balancer ; il faut
alléguer les souffrances du peuple aux dépens de la richesse des propriétaires.
Il faut donc encourager la vilité des prix plutôt que de prendre des mesures
qui y sont contraires.
Il y a, messieurs, autant d’erreurs que de
parties dans ce raisonnement. Je vais reprendre ces parties une à une.
« La vilité de prix des céréales est,
dit-on, avantageuse au peuple. » Il faut commencer par savoir ce que l’on
entend par le peuple. Mon honorable ami M. d’Huart l’a déjà fait remarquer,
dans cette question, il faut considérer le peuple comme composé de deux
parties, le peuple agricole (c’est la grande majorité de la nation), le peuple
industriel (c’est la petite minorité).
Quant au peuple agricole, la vilité du prix des
céréales lui est évidemment plus nuisible qu’utile. A la vérité il paie un peu
moins cher le pain, non pas de froment, mais de seigle, dont il fait sa
nourriture actuellement. Mais d’un autre côté le salaire au moyen duquel il
doit acheter le pain de seigle est à la fois moins élevé et plus rare, par une
conséquence toute naturelle du bas prix des grains. Ainsi, quant à cette partie
du peuple, la vilité du prix des grains ne constitue pas un avantage ; c’est au
contraire un désavantage, une cause de souffrance et de misère.
Quant à l’autre partie du peuple, le bas prix
des grains présente à la vérité un avantage réel. Il ne faut pas cependant
s’exagérer l’étendue de cet avantage. Il ne tourne pas en totalité au profit de
cette classe. Car elle n’en recueille qu’une minime partie. C’est le fabricant
qui emploie l’ouvrier qui en retire presque tous les bénéfices. Et à ce sujet,
je vous prie, messieurs, de vouloir bien vous rappeler que dans la séance
précédente, un honorable députe de Verriers qui doit parfaitement connaître
cette classe industrielle a cité comme une vérité triviale que le prix de la
journée de l’ouvrier suivait exactement le prix des céréales. Si, comme je le
crois, il en est ainsi, lorsque les grains baissent, le taux de la journée de
l’ouvrier baisse dans la même proportion, et l’ouvrier ne recueille en
définitive qu’une faible partie de l’avantage qui en résulte.
C’est une erreur tout aussi grande que de
prétendre que la vilité du prix des céréales n’est principalement nuisible
qu’aux propriétaires. Les propriétaires ne sont pas exclusivement ceux qui
souffrent de cette circonstance. Ils ne sont pas même les premiers atteints.
Le cultivateur a plusieurs obligations à
remplir, Il doit payer ses contributions et le prix de son fermage ; il doit
ensuite entretenir sa famille ; il doit enfin cultiver ses champs.
Quand le prix des grains ne lui permet pas de
faire convenablement face à tous ces besoins il commence par ceux qui sont les
plus pressants. Il paie ses contributions, parce qu’il craint les poursuites du
percepteur. Il paie ensuite son propriétaire, parce qu’il craint d’être
expulsé. Puis il entretient sa famille. Le déficit de son revenu tombe en
définitive et presque en totalité sur la culture. Il cultive moins bien, il
emploie moins de bras, et c’est sur l’ouvrier des campagnes, bien plus que sur
les propriétaires, que pèsent les inconvénients résultant de la vilité du prix
des grains. Il n’est donc pas toujours vrai que le propriétaire soit atteint
directement par la baisse du prix des céréales. D’ailleurs, quand il en serait
ainsi, y aurait-il justice à vouloir alléger les souffrances d’une partie de la
population en reportant ces souffrances sur une autre classe quelconque de la
société ? S’il y a des secours à donner, une taxe des pauvres à établir
directement ou indirectement, n’est-ce pas la nation entière qui doit les
supporter et non pas uniquement la classe des propriétaires ? Y aurait-il de la
justice à traiter tous les propriétaires comme des gens riches ? Ne sait-on pas
que l’on n’est pas toujours riche par cela seul que l’on est propriétaire de
même que l’on n’est pas toujours pauvre par cela seul que l’on ne possède pas
de terres ?... Dans le raisonnement des orateurs que je combats, les prémisses
sont des erreurs, les conséquences sont des injustices ; le raisonnement
lui-même ne peut donc vous paraître fondé.
On a fait un autre raisonnement sur lequel je
dirai quelques mots. Un honorable membre versé dans l’économie politique a dit
qu’il fallait prendre des mesures de douane pour protéger une industrie
quelconque ; que cette industrie était en danger de périr à défaut de ces
mesures par suite de la concurrence étrangère. L’agriculture belge n’est pas
dans ce danger, a-t-il ajouté, puisque j’ai vu de mes yeux que dans les années
les plus défavorables les champs ne sont pas restés incultes, ce qui prouve que
cette agriculture peut supporter l’abaissement du prix des céréales.
Je ne puis admettre le principe d’économie
politique que cet orateur a posé. Je crois que nous devons protéger une
industrie non seulement en raison du danger qu’il y a pour elle d’être
anéantie, mais encore en raison de son utilité réelle pour le pays, et cette
utilité réelle, je la fais consister non seulement dans la production d’un
capital considérable, mais encore dans le nombre des bras qu’elle emploie, dans
le nombre des familles qu’elle nourrit.
Sous ce rapport vous serez sans doute tous
d’accord avec moi que l’agriculture belge mérite en première ligne toute votre
sollicitude et qu’elle a droit à une protection spéciale.
D’ailleurs, messieurs ; est-il bien vrai, ainsi
que l’a dit cet honorable membre, que la concurrence étrangère ne pourra jamais
anéantir l’agriculture de notre pays ? Je ne le pense pas. A la vérité deux ou
trois années défavorables ne peuvent déterminer le cultivateur à laisser
incultes des champs pour lesquels il paie un fermage et des contributions. Dans
l’espérance d’un avenir meilleur, il continue à les cultiver pendant quelque
temps, même quand il ne cultive qu’à perte ; mais si cet état devait se
prolonger, s’il devait devenir la situation normale de l’agriculture en
Belgique, il n’y a pas de doute que le cultivateur ne cesse ses travaux et
n’abandonne enfin la partie la moins fertile de ses terres.
Il ne voudra pas sacrifier longtemps des
capitaux et des peines que la concurrence étrangère rend improductifs ; il
cultivera moins ou même ne cultivera plus. Le fait cité ne peut donc être admis
comme vrai, au moins pas d’une manière aussi absolue que l’a posé l’honorable
orateur.
Après
avoir réfuté ces deux raisonnements que je considère comme renfermant à peu
près tout ce qu’on a dit de spécieux dans l’opinion adverse, je terminerai en
déclarant que je suis du nombre de ceux qui pensent que les résultats de la loi
ne seront pas de faire hausser le prix des céréales.
Je pense avec d’autres orateurs que le seul
effet de la loi sera d’empêcher qu’une baisse trop forte, suite naturelle de la
fertilité de notre sol, ne soit encore augmentée par l’importation des grains
étrangers, et qu’ainsi un état de gêne, auquel nous ne pouvons nous soustraire,
ne soit aggravé encore par le commerce extérieur. J’ai dit.
M. Desmaisières.
- Et moi aussi, messieurs, je serais partisan de la liberté de commerce fondée
sur les bases d’une juste réciprocité, si cette utopie théorique, comme l’a
fort bien dit l’honorable M. Meeus, pouvait se réaliser dans la pratique. A une
pareille liberté de commerce, un peuple aussi actif, aussi sage, aussi
laborieux, aussi industriel que l’est le peuple belge a tout à gagner. Mais si
Il n’y a pas longtemps, messieurs, que j’avais
l’honneur de vous dire : « Ne perdons pas de vue que (comme l’a hautement
proclamé un savant homme d’Etat français) les nations manufacturières cherchent
à se lier par des traités avec les autres nations agricoles, et qu’elles
emploient tour à tour la ruse de la politique et l’ascendant de la force pour
en faire contracter qui soient conformes à leurs intérêts. »
Eh bien, qu’avons-nous vu il y a peu de temps ?
Nous avons vu arriver ici de chez une nation voisine, de chez une nation qui
marche à la tête des peuples manufacturiers, des hommes dont sans doute les
hautes connaissances et les grands talents ne peuvent être révoqués en doute,
mais à ces titres d’autant plus dangereux pour ceux près de qui on les envoie.
Nous avons vu ces hommes distingués venir, missionnaires nouveaux, prêcher en
Belgique et en France les bienfaits qui, selon eux, doivent découler pour ces
pays de l’adoption du système de liberté de commerce. Mais, tournant maintenant
la médaille, les avons-nous vus ces mêmes hommes qui jouissent à divers titres
d’une très grande influence dans le gouvernement de leur pays, les avons-nous
vus, tant avant leur départ pour le continent qu’après leur retour en
Angleterre, faire entrer le moins du monde leur propre gouvernement, leur
propre législature même dans cette voie que pourtant ils nous ont présentée ici
comme un autre Eldorado ? Non, messieurs, nous ne les avons pas vus agir de
cette manière chez eus, et pourquoi ? Parce que si un ministère, celui de lord
Grey comme tout autre, s’avisait en Angleterre de proposer ainsi le
renversement complet du système à l’aide duquel la nation anglaise a réussi à
se poser la reine des nations industrielles, ce ministère serait à l’instant
même renversé. La nation en masse se ruerait contre lui pour le faire tomber.
Mais, assure-t-on, les Anglais commencent à
revenir de la prohibition ou de l’espèce de prohibition établie chez eux dans
certains cas à des grains étrangers. Jusqu’ici aucun fait n’est venu le
démontrer, et au contraire nous voyons le parlement anglais persister de plus
en plus dans le système prohibitif qu’il a adopté depuis longtemps, et qui, il
faut le reconnaître, ne lui a pas mal réussi.
C’est surtout en ce qui concerne les céréales
que les Anglais ont tort de mettre le système prohibitif en pratique,
objecte-t-en encore ; car enfin ils enrichissent par là, il est vrai, les
propriétaires fonciers, ils enrichissent leur agriculture, mais, d’un autre
côté, combien ne coûte pas au malheureux ouvrier des manufactures le pain qu’il
gagne à la sueur de son front ? Combien le prix de la journée de travail de ces
ouvriers ne doit-il pas être plus fort qu’il ne l’est chez les peuples où les
grains sont à bon compte ? Quelle charge résulte-t-il pas par suite pour
l’industrie manufacturière ? Cela serait vrai, messieurs, si tout n’était pas
relatif, coordonné et équilibré dans le système de l’Angleterre. La législation
anglaise est telle à la vérité que l’industrie agricole voit s’élever
considérablement le prix de ses produits et de manière même à ce que le
manufacturier est obligé d’élever en proportion le prix de la journée de ses
ouvriers ; mais à côté du mal se trouve le remède, et ce remède c’est la taxe
des pauvres à l’aide de laquelle le manufacturier est mis à même de ne devoir
payer qu’un très bas prix à ses ouvriers. Maintenant, cette taxe des pauvres,
qui la paie ? L’agriculteur et le propriétaire foncier. Vous voyez donc qu’en
définitive l’industrie ne souffre nullement de ce que les grains sont chers ;
et comme la taxe des pauvres payée par ceux qui profitent de l’industrie
agricole n’égale pas à beaucoup près encore les bénéfices qu’ils font, il en
résulte pour le pays qu’il conserve chez lui une plus grande masse de
richesses.
Ce n’est pas que je veuille ici préconiser le
système anglais au point d’en proposer l’introduction en Belgique : loin de là,
messieurs ; chaque peuple a ses mœurs et ses habitudes qui lui sont propres, et
le plus grand mal qui travaille l’esprit de beaucoup de nos économistes et
politiques modernes, c’est qu’ils veulent souvent faire imiter servilement par
d’autres nations la nation qu’ils croient être entrée dans le véritablement bon
système d’économie politique ou de gouvernement. Qu’il me soit permis cependant
de comparer quelque peu notre système d’impôts à celui anglais, en ce qui
regarde la taxe des pauvres. Cette taxe n’existe pas de nom chez nous, mais
elle existe de fait ; quel est en effet celui de nos impôts qui produit le plus
; et qui permet par conséquent, au gouvernement, de dépenser plus, soit pour,
au moyen de nos armes, soutenir à la fois, et notre indépendance et nos intérêts
commerciaux et industriels, soit pour secourir le commerce et l’industrie au
moyen de la création d’une marine marchande et de sacrifices pécuniaires faits
de manière à nous procurer des d&bouchés à l’extérieur ? Quel est cet
impôt, messieurs ? Vous l’avez déjà tous nommé, j’en suis certain, c’est
l’impôt foncier, c’est cet impôt prélevé sur l’agriculture, qui est pour nous
la taxe des pauvres. Sans lui on ne peut rien en Belgique ; sans lui, lorsque
déjà, pendant trois années d’un état de quasi-paix, vous avez dû lui demander
des emprunts de 12 et 10 millions, les 40 et 20 p. c. en sus, vous serez hors
d’état de soutenir l’état de guerre qui nous menace toujours d’une manière de
plus en plus incessante. On a dit et répété avec raison dans cette enceinte,
qu’il fallait prendre l’argent où il se trouvait ; que si notre état politique
actuel exigeait le paiement de plus fortes contributions, c’était l’impôt
foncier qui devait les fournir. Oui, messieurs, il faut prendre l’argent là où
il se trouve mais il faut aussi faire en sorte qu’il s’y trouve lorsque vous en
aurez besoin ; et certes, ce n’est pas en se refusant à porter secours en temps
utile à l’industrie agricole qu’on parviendra à verser dans le trésor ce qu’il
faudra pour payer les dépenses qu’on lui demandera plus tard d’acquitter.
On a dit dans cette enceinte qu’il fallait se
garder de toucher partiellement à notre système général des douanes ; que si
des modifications y étaient devenues nécessaires, il fallait non pas les faire
peu à peu, mais procéder une bonne fois à une révision générale, et qu’enfin,
avant cette révision à l’égard de chacune des parties, il fallait préalablement
discuter et se mettre d’accord sur les bases qui serviraient de règle à cette
révision. Je suis aussi de cette dernière opinion, mais nous n’en sommes pas
encore arrivés, messieurs, à cet heureux moment où nous pourrons à notre aise
et sans dangers politiques aucuns procéder ainsi à une révision générale de
notre système de douanes. Notre indépendance n’est point encore assez fermement
établie à cet égard, et ce que nous ferions aujourd’hui pourrait bien devoir
être renversé de fond en comble demain. Tout ce que nous pouvons faire en
attendant, c’est d’ajouter quelques exceptions encore à celles qui existent
déjà au principe de liberté de commerce qui domine fortement le système de
douanes que nous ont légué 15 années de réunion à
On est d’accord qu’il nous faut un système
protecteur, et on veut maintenir le système actuel qui est un système de
liberté de commerce. En vérité, je ne conçois pas comment on peut ainsi se
contredire soi-même. Mais, dit-on, le système français n’est pas un système
protecteur, c’est un système prohibitif. Messieurs, j’ai parcouru le tarif
français, et je dois le dire, il ne m’a pas paru que ce soit la prohibition qui
absolument y domine. Si l’on parlait ainsi du système anglais, oh ! alors je concevrais qu’on a raison de l’appeler système de
prohibition. Tous deux, du reste, ont cherché la protection et sont arrivés,
dans certains cas, à ne trouver cette protection que dans la prohibition ; et
l’Angleterre, il faut le dire, est arrivée bien plus souvent à la prohibition
que
Je conçois fort bien que, lors de notre réunion
à
Mais a-t-on dit encore, vous allez forcer nos
malheureux ouvriers à manger du pain de seigle au lieu du pain de froment ;
vous allez même les réduire à ne pas pouvoir manger de pain du tout. Non,
messieurs, il n’en sera pas ainsi : interrogez les industriels du pays et tous
vous répondront comme l’ont fait à la commission d’industrie les industriels de
Gand : « Lorsque les agriculteurs qui forment la classe la plus nombreuse de
consommateurs en Belgique font des bénéfices, c’est alors que nous vendons plus
et plus cher ; c’est alors par conséquent que nous sommes à même de mieux payer
nos ouvriers qui ainsi sont mis à même de payer leur pain plus cher. » Il en
est de même du commerce qui va chercher les denrées coloniales. La masse des
consommateurs en Belgique, ce sont les agriculteurs, et lorsqu’ils jouissent de
l’aisance qui est due à leurs travaux, ils consomment d’autant plus d’objets de
commerce.
Enfin on a dit, messieurs, qu’en 1817 c’était
le haut commerce hollandais belge qui avait sauvé et
M. le
président. - La parole est à M.
Verdussen.
M. Verdussen.
- Comme on paraît désirer clore la discussion, je renoncerai volontiers à la
parole. Les observations que j’ai à présenter trouveront tout aussi bien leur
place dans la discussion des articles.
M. le président.
- La parole est à M. Devaux.
M. A. Rodenbach.
- Il est quatre heures ; fermons la discussion générale, et demain nous nous
occuperons des articles.
(Moniteur
belge n°194, du 13 juillet 1834) M. Devaux.
- Messieurs, il n’est pas de principe si absolu en économie politique qui ne
doive fléchir devant les faits. Il n’y a pas de partisan si déclaré de la
liberté commerciale qui n’accorde qu’il existe des exceptions nécessaires à
cette liberté. Dans une question de la nature de celle qui nous occupe, il
s’agit plus de faits que de doctrines. J’ai entendu retentir dans cette
enceinte les paroles de ruine… de malheur prochain… On nous a menacés de
débris, d’engloutissements dans des volcans… On a dit que les grains seraient
mangés par les charançons. J’avoue que si je pensais que l’agriculture fût
menacée de ruine, que la loi actuelle dût la sauver, j’aurais un grand
empressement à voter cette loi ; j’aurais un grand empressement à consolider un
intérêt général qui est si en accord avec nos intérêts particuliers.
Ce sont des faits, messieurs, que j’aurais
désiré trouver dans une discussion semblable, et que tout le monde convient
être grave. C’est une discussion dont les suites seront peut-être de nous placer
dans une voie toute nouvelle relativement à cette grande question du commerce
des grains. J’aurais voulu que cette question fût bien élaborée, que tous les
faits fussent éclaircis : mais je le dis à regret, malgré la longueur de la
discussion, malgré les renseignements qu’on a recueillis près des chambres de
commerce, malgré les hommes spéciaux qui dans la commission d’industrie se sont
occupés de la question, malgré leur position qui les met à même de mieux
connaître les faits, je dois dire que pour moi la plupart des faits capables de
nous décider restent inconnus ou sans éclaircissements.
Ces faits, voici comment on pourrait les
rédiger en questions :
Connaît-on des faits qui prouvent que
l’agriculture ait dépéri en Belgique depuis une période de 10 ou 15 ans ? Y
a-t-il des terrains cultivés antérieurement qui aient cessé de l’être ?
Depuis cette époque le prix des terres est-il
diminué ? Le taux des fermages est-il diminue ?
Dans les contrées voisines soumises à un
système plus prohibitif, par exemple les départements français qui touchent à
nos frontières, le prix du blé dans les temps d’abondance est-il plus élevé que
chez nous ?
Quel est sur le lieu de production le prix
moyen des grains du nord qui arrivent en Belgique ? Quel est le prix de transport
de ces grains depuis le lieu de production jusqu’aux bords de
Des éclaircissement ne
me sont pas arrivés jusqu’ici sur ces questions. Et comme dans les discussions
de ce genre on fait des interpellations aux auteurs des projets et aux
rapporteurs, j’avais eu l’idée d’en faire l’objet d’interpellation ; mais
j’éviterai ces formes un peu rudes, et on répondra à mes questions si on veut.
Un membre. - Ou si on peut.
M. Devaux. -
C’est sur chacun de ces faits que j’essaierai, moi, une réponse ; mais cette
réponse ne sera que la mienne ; et vous savez que dans la position où je me
trouve, je suis bien moins à même de vous donner des renseignements méritant
votre confiance, que ceux des honorables membres qui ont des connaissances
spéciales en cette matière.
A quelle occasion le projet de loi vous est-il
présenté ? En fait que s’est-il passé sous le rapport du commerce des grains
étrangers ?
En 1831, l’excédant de l’importation sur les
exportations a été de 163 mille hectolitres.
Je parle du seigle et du froment et d’après le
tableau de M. Eloy de Burdinne.
En 1832, l’excédant de l’importation a été de
764 mille hectolitres.
En 1833, elle a été de 108 mille hectolitres.
En 1834, il n’y a pas eu un seul grain de
froment d’importé par mer ; et l’excédant des importations sur les exportations
s’élève à 5,972 hectolitres.
Eh bien, que signifie cet excédant en
comparaison de la production et de la consommation en Belgique ?
En Belgique on estime la production du froment
et du seigle à 12 millions d’hectolitres ; ainsi en 1832 l’excédant de
l’importation a été à peine un seizième de la production.
En 1833, l’excédant n’est plus que de 108
hectolitres ; ainsi il ne s’agit pas d’un seizième ; ce n’est même pas un
centième, c’est tout au plus la consommation de 5 jours pour
En 1834, pas un grain de froment n’est entré
par mer. L’excédant de l’importation est de 6 mille hectolitres. Ce n’est pas
là la consommation pour un jour du tiers du pays ; ce n’est pas un déjeuner
pour
En présence de ces faits, je l’avoue, je ne
comprends pas l’importance de la loi, car je ne comprends pas quelle influence
funeste on veut que les grains étrangers exercent sur nos prix.
En 1832, vous avez la plus grande importation ;
eh bien, le prix reste élevé ; en 1833, le prix baisse, aussitôt l’excédant de
l’importation est réduit presque à rien ; la baisse continue en 1834, et cette
fois on peut dire que l’excédant d’exportation est tout à fait nul.
Si je consulte d’autres faits (car je ne veux
vous entretenir que de faits), j’arrive toujours au même résultat que les
grains étrangers sont sans influence sur la baisse de nos prix.
On a beaucoup vanté le système de
La dernière mercuriale qui se trouve dans le Moniteur Belge porte le prix du froment
blanc à 12 fr. 63 c. et le prix du froment rouge à 12 fr. 93 c.
; voilà le prix moyen pour
Il y a un autre fait qui m’a frappé et sur
lequel j’appelle votre attention. Les importations les plus fortes chez nous
sont celles des grains du Nord ; elles ont lieu par mer et par le port
d’Anvers. Eh bien, si je parcours les mercuriales du Moniteur, je trouve que le prix des grains dans la province est
depuis 3 ans ; et même en 1832, dans l’année des plus grandes importations, que
ce prix, dis-je, est constamment parmi les plus élevés de
Je me demande comment il est possible que les
grains étrangers exercent une influence notable sur nos prix, et qu’ils ne
parviennent pas seulement sur le marché d’Anvers, où ils doivent naturellement
se porter de préférence et avec le plus de facilité, à ramener le prix au taux
moyen de
Evidemment, messieurs, les spéculateurs en
grains étrangers qui vendent leurs grains en Belgique, les vendent là où ils
peuvent en espérer le plus de profit. Si la province d’Anvers leur offre à la
fois l’avantage d’un prix plus élevé et de la proximité du lieu de
déchargement, c’est dans la province qu’ils doivent tâcher de vendre le plus.
Quelle est donc, je le répète, l’influence des grains étrangers sur nos prix, si,
dans un cercle aussi restreint que la province d’Anvers, ils ne sont pas
parvenus à ramener les prix au taux moyen du pays tout entier ?
Les faits que je cite, messieurs, ne sont pas
d’aujourd’hui seulement ; je vois qu’ils se sont toujours reproduits lorsque
les mêmes circonstances existaient. Quant à la coïncidence de nos prix avec
ceux de
En 1822, dans les département français limitrophes
de
En Hollande, on le sait, il existe depuis
longtemps un régime très large en matière de grains ; nos provinces, au
contraire, ont été soumises anciennement à des restrictions. Cependant, je
trouve qu’à Rotterdam le prix du froment a été, dans la période de 1771 à 1785,
de 8 florins 30, tandis qu’à Louvain, le principal marché de
J’avoue que, d’après ce fait, il est impossible
de prétendre que l’importation des grains est une action quelque peu notable
pour faire baisser nos prix.
On dira que si la chose n’est pas arrivée, elle
peut arriver. Il faut cependant remarquer que l’expérience a été faite sur une
grande échelle ; depuis 15 à 20 ans en Hollande et en Belgique. La carrière
était ouverte à tous les désastres dont on a tant parlé dans cette discussion,
et cependant nous n’avons pas vu qu’il se soient
réalisés. Nous n’avons pas vu que l’agriculture ait dépéri. Je ne connais pas,
quant à moi, de faits qui le prouvent.
Le prix des terres, depuis 15 à 20 ans, a-t-il
diminué ? non, je crois qu’on en convient ; et je
pense, au contraire, qu’il a haussé, que les achats de terres se dont encore
aujourd’hui à des prix extrêmement élevés.
Le prix des baux a-t-il été en diminuant ? Je
crois que c’est le contraire qui est la vérité. Enfin, les terres cultivées
antérieurement ont-elles été abandonnées par la culture ? Non encore, et je
pense que nous sommes tous forcés de convenir que, tout au contraire, beaucoup
de terrains nouveaux ont été cultivés, et que la culture, loin de se restreindre,
s’est étendue. Tous ces faits ne prouvent-ils pas qu’il y a
progrès et non décadence dans l’agriculture, et que l’influence funeste des
grains étrangers ne se trouve manifestée nulle part ? Y a-t-il d’autres faits
qui détruisent ceux-ci, et prouvent le contraire ? qu’on
nous les fasse connaître. Je ne demande qu’à être éclairé. Si je me trompe, je
suis prêt à reconnaître mon erreur, pourvu qu’on m’éclaire par des faits.
Mais, dit-on, comment serait-il possible que
nous puissions soutenir la lutte contre les grains de
Comment la lutte est-elle possible ? Mais
d’abord parce qu’elle existe, parce qu’elle a lieu depuis 15 à 20 ans. Cela seul ne pourrait-il pas faire
croire que l’on a beaucoup exagéré, lorsqu’on a parlé de la production des
grains dans le nord ? Cela ne doit-il pas nous faire soupçonner qu’on a vu dans
le nord des géants et des monstres qui n’existent pas ? Si les grains du nord
étaient si abondants et se vendaient à si bon compte, je dis que depuis
longtemps ils seraient arrivés dans notre pays en assez grande quantité pour
nous vaincre complètement. Si les grains de
Ne faudrait-il donc pas penser qu’il y a erreur
quant au prix et peut-être même quant à la quantité des grains du Nord ? En
attendant que de mieux informés nous instruisent à cet égard, je vais présenter
quelques chiffres. Je cite la source où je puise. C’est un rapport imprimé par
ordre de la chambre des communes en Angleterre sur le commerce des grains et
l’agriculture du nord de l’Europe, rapport analysé et commenté parla Revue
d’Edimbourg, numéro de septembre 1826. Je crois que ce travail a été aussi traduit
en tout ou en partie dans une revue française. l’auteur
du rapport est M. Jacob, qui a été envoyé tout exprès sur les lieux pour
prendre connaissance de la production du Nord.
Je vois d’abord dans ce document que la
production des grains dans le Nord n’est pas aussi considérable qu’on le croit.
L’exportation annuelle et totale de froment de
tous les ports de
Vous avez vu qu’en 1832, lorsque nos prix
étaient à près de 31 francs pour le froment et de 14 et demi pour le seigle,
l’importation du froment fut de 326,000 hectolitres, celle du seigle de
Il me semble que nous avons ainsi, par ce qui
s’est passé chez nous en 1832, la mesure de ce que le Nord peut nous fournir,
quand le prix du froment est à 21 francs, et par l’exemple de l’Angleterre en
1817 et 1818, la mesure de ce qu’il peut fournir lorsque le prix s’élève
jusqu’à 37 francs.
Maintenant que j’ai tâché de me former une idée
de la quantité exportable des grains du Nord, je cherche dans le même document
des renseignements sur leur prix, et j’y trouve que, de 1770 à 1819, le prix
moyen de l’hectolitre de froment à Dantzick a été de
18 fr. 75 c. ; celui du seigle de 11 fr. 25 c. A
Hambourg le prix moyen de l’hectolitre de froment, de 1817 à 1822, est évalué à
19 francs.
Si à ce prix nous ajoutons les pertes qu’éprouve
le négociant, quand le grain se mouille, quand il germe ; les frais de
transport, d’assurance, de déchargement ; le profit du négociant et les faux
frais de divers genres ; si nous y ajoutons le droit actuel de notre tarif qui
est de deux francs environ sur l’hectolitre de froment, nous obtiendrons pour
résultat un prix qui sera bien peu redoutable pour notre agriculture.
Tels sont, messieurs, les faits que je désire
voir soumis à la discussion, et qui me font croire qu’il y a infiniment
d’exagération dans les résultats que les partisans du projet attendent de son
application. Je ne dis pas qu’il n’y en ait peut-être pas un peu d’autre part
dans les résultats calamiteux que le commerce prédit.
Il est de la nature des industriels d’exagérer
leur position, leurs dangers. L’industrie manufacturière nous en a donné un
exemple assez connu dans les premiers temps de la révolution. L’agriculture,
aujourd’hui, fait ce que l’industrie faisait alors, et le commerce les imite
peut-être bien l’une et l’autre.
Dans tous les cas, je ne vois pas pour les
souffrances de l’agriculture de résultat à votre loi. Vous ne parviendrez pas à
arrêter la baisse ; si l’abondance continue, le bas prix continuera ici comme
en France, tout autant que si vous ne faisiez pas de loi. Quant aux
importations étrangères, votre loi ne les empêchera pas plus qu’aujourd’hui,
puisque aujourd’hui il n’y a pas d’importation.
La seule influence peut-être qu’elle pourrait
exercer, ce serait, quand les prix sont assez élevés, de les rendre un peu plus
élevés encore ; car, lorsque la récolte est abondante, la petite quantité que
fournirait l’étranger ne pourrait pas influer beaucoup. Mais quand la
production intérieure diminue, il pourra en résulter une différence de quelques
francs : lorsque le froment devrait se vendre 20 francs, on le vendra peut-être
25.
On dira que si la loi ne fait pas de bien, elle
ne peut pas faire de mal, Il faut reconnaître cependant que c’est imposer
quelque gêne de plus au commerce ; que, dans des années comme celle de 1832,
c’est le priver de quelques débouchés, et supprimer un assez grand mouvement
d’affaires à Anvers. Nous nous plaignons sans cesse pour nos produits de
manquer de débouchés ; nous faisons tout ce que nous pouvons pour en créer.
Mais quels sont ceux qui nous offrent des
débouchés les plus naturels ? Evidemment ceux qui nous fournissent des
marchandises : si nous n’achetons rien, nous ne vendrons rien. Maintenant les
importations de blé nous offrent peut-être des débouchés peu considérables ;
mais pourquoi ? Parce que les relations de
Il est encore une autre considération qui à mes
yeux est peut-être la plus grave, c’est que l’expérience paraît avoir prouvé
que, dans un pays qui n’a pas de relations suivies avec les contrées qui
fournissent des grains en cas de disette, ce pays souffre beaucoup plus
cruellement ; il n’est que très longuement approvisionné, tandis que la nation
qui a des relations établies se trouve bien plus tôt approvisionnée. Avant
d’aller dans le pays qui a des lois restrictives, les grains se portent d’abord
dans les ports où on les reçoit habituellement, avant d’arriver en Belgique ;
si un commerce établi ne les y appelle, ils pourraient bien aussi se porter où
de plus vastes débouchés leur sont offerts, comme en France et en Angleterre.
Voilà, messieurs, les raisons qui dicteront mon
vote. Je crois que si on admet cette loi et que les récoltes continuent à être
bonnes, dans deux ans on verra que la loi n’a rien fait pour l’agriculture. On
vous dira que vous n’avez pas atteint votre but, on demandera un autre moyen de
protéger l’agriculture, je ne sais lequel ; mais comme on sera entré dans la
voie, peut-être évitera-t-on à des moyens beaucoup plus nuisibles que celui
qu’on propose aujourd’hui.
(Moniteur
belge n°193, du 12 juillet 1834) La séance est levée à quatre heures et
demie.