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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 juillet 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2)
Proposition de loi fixant les droits sur les céréales (essentiellement le
froment et le seigle) (Rogier, Dumont,
(+impôt sur les distilleries) A. Rodenbach, Smits, Angillis, Meeus)
(Moniteur
belge n°194, du 13 juillet 1834 et Moniteur belge n°195, du 14 juillet 1834)
(Présidence de M.
Raikem)
(Moniteur
belge n°194, du 13 juillet 1834) M. de Renesse
procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H.
Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est
adoptée.
M. de Renesse
fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Marsenin,
négociant, demande que la chambre adopte dans la loi communale, une disposition
qui déclare incompatible la qualité de membre d’une régence et la profession de
brasseur, distillateur ou fabricant d’objets assujettis aux taxes municipales.
»
- Dépôt au bureau des renseignements.
________________
« Cinq propriétaires de terres inondées
dans les polders de Sainte-Anne et Kectenisse,
adressent des observations contre le projet relatif aux indemnités. »
- Renvoi à la commission chargée d’examiner le
projet de loi sur les indemnités.
Discussion générale
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, dans la question
importante qui nous occupe, comme dans toutes celles qui ont des rapports avec
notre tarif dé douanes, je ne puis m’empêcher de regretter la manière dont la
chambre procède et la manière beaucoup trop prompte à mon avis avec laquelle
elle discute. La loi des céréales avait, il est vrai, été annoncée depuis un
certain temps par un honorable membre, représentant du district de Waremme.
Mais dans une question si importante et si étendue, dans une question qui
touche à la fois à tous les intérêts les plus vitaux du pays, il aurait semblé
qu’une enquête longue, détaillée, consciencieuse, réunissant le plus grand
nombre de faits possible, eût été nécessaire avant la discussion. Cette
enquête, messieurs, a bien été tentée, mais on ne peut pas dire qu’elle ait
atteint le but qu’on se proposait. Les chambres de commerce, les commissions
d’agriculture, les députations des états, ont bien été toutes consultées, mais
toutes n’ont pas répondu, et des réponses qui sont parvenues tant à la chambre
qu’au gouvernement, je ne pense pas qu’il en ait pu résulter des renseignements
assez complets pour former la conviction, soit du gouvernement, soit de la
chambre. A cet égard donc je ne puis que regretter l’insuffisance de l’enquête
que nous avons commencée.
Ce défaut de renseignements s’était déjà
présenté l’année dernière, lorsque sur le rapport de l’honorable M. Fleussu, la
chambre improvisa tout un nouveau système de douane en ce qui concerne les
céréales. Le gouvernement provisoire avait par un arrêté bienfaisant supprimé
tous les droits à l’importation des céréales étrangères, et en même temps par
des vues purement politiques et de circonstance, il avait cru devoir supprimer
la liberté de sortie et de transit ; de telle manière que les grains indigènes
étaient forcés de lutter avec les grains étrangers sur les marchés belges, sans
pouvoir aller leur disputer les marchés étrangers.
Il y avait liberté absolue, illimitée
d’importation, car ces brillantes théories et ces rêves dont on parle, ont été
des faits en Belgique pendant deux ans et demi, Je le répète, pendant deux ans
et demi
La loi du mois de mars 1833 remit les choses
sur l’ancien pied, rétablit le tarif tel que la révolution l’avait trouvé. J’ai
déjà dit de quelle manière cette loi avait été enlevée dans cette chambre. A
coup sûr on devait s’attendre qu’une semblable loi allait emporter avec elle
les avantages qu’on se promet de la loi proposée ; les grains allaient éprouver
une augmentation de deux francs par hectolitre, ou la loi était inutile et les
chambres ne sont pas censées vouloir faire des lois inutiles. Eh bien, pas du
tout, les grains n’ont éprouvé aucune augmentation ; au contraire, les grains
indigènes subissent depuis cette époque une dépréciation qui dure encore.
Malgré les droits protecteurs on ne peut pas parvenir à arrêter la
dépréciation. Je sais bien que l’on me dira que cette dépréciation ne fut que
la suite des deux années de liberté, pendant lesquelles des masses de grains
étrangers étaient arrivées dans le pays, que ces grains se déversant dans le
commerce en 1833, le tarif protecteur était venu trop tard et ne pouvait plus
protéger l’agriculture indigène contre ces masses de grains entrées sous le
régime de liberté illimitée.
Je répondrai à cette objection en temps et
lieu.
Mais avant d’aller plus loin, je dois faire
remarquer à la chambre dans quels systèmes contradictoires elle se trouve, sans
s’en apercevoir, tour à tour entraînée, en matière de douane bien entendu.
Nous avons vu tout récemment des députés de
deux provinces fort intéressantes réclamer en faveur de l’industrie linière des
droits protecteurs contre les toiles d’Allemagne. Ils ont dit que les toiles
d’Allemagne étant fabriquées par des ouvriers qui se nourrissent à bon compte
et travaillent à bon compte, il était nécessaire que nos toiles fussent
protégées, attendu qu’elles ne sont pas faites par des ouvriers se nourrissant
à aussi bon compte que les ouvriers allemands. Pour mettre sous ce rapport
Après avoir établi un droit protecteur en
faveur de l’industrie linière, nous allons voter un projet de loi tendant à paralyser
l’effet de ce droit, en augmentant la main-d’œuvre par l’élévation du prix des
céréales, nourriture des ouvriers.
Je raisonne ici dans l’hypothèse que la loi
aurait effet pour d’augmenter le prix des grains.
Ce n’est pas tout, en même temps qu’on proposait
un droit protecteur pour les toiles, on voulait interdire la sortie des lins et
des étoupes, c’est-à-dire forcer nos agriculteurs qui cultivent le lin à
cultiver autre chose ; car, en restreignant le débouché des lins, vous les
forcez de produire du grain et autre chose. En même temps on vient proposer une
loi qui a pour but d’augmenter, de favoriser dans le pays, la production des
céréales. Ainsi, on ne veut pas que nos agriculteurs cultivent trop de lin et
on veut les forcer à cultiver trop de céréales, alors que pour les céréales,
ils ont à lutter contre la concurrence étrangère. Il me semble qu’il y a
contradiction entre ces diverses propositions.
Je me borne à exposer les faits, je laisserai tirer
les conséquences. L’année dernière sur la proposition des députés des Flandres,
vous avez voté une loi sur les distilleries. Quel était le but de cette loi ?
Evidemment de favoriser l’agriculture, car quoiqu’on dise que l’agriculture est
toujours sacrifiée, je dirai tout à l’heure combien d’avantages elle a reçus,
que la révolution l’a favorisée autant que les autres industries, si pas plus ;
la loi des distilleries est une loi agricole.
Je ne dirai pas l’influence que cette loi a eue
sur les revenus du trésor ni quelle influence plus pernicieuse elle pourra
exercer sur la morale publique. Elle a été votée, je la prends avec ses
conséquences. Avec cette loi, on a ouvert de grands débouchés à l’intérieur à
nos céréales, qui seraient restées en magasin, et qui ont pu être consommées.
Mais il ne suffisait pas d’ouvrir des débouchés à nos céréales à l’intérieur,
il fallait aussi leur en procurer à l’extérieur, c’est dans ce but qu’on a
déchargé les matières distillées des droits à l’exportation.
M. A. Rodenbach.
- C’est une erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas assisté à la
discussion ; mais je pense que l’on a voulu favoriser l’exportation des
matières distillées. On aurait eu grand tort si l’on n’avait pas eu ce but en
vue. Messieurs, vous allez porter une loi qui aura pour résultat de paralyser
les effets de votre loi sur les distilleries en ce qui concerne l’exportation.
Si le distillateur indigène est obligé de payer un franc de plus par hectolitre
de seigle, le distillateur hollandais fournira les matières distillées à un
franc de moins par hectolitre que le premier. Vous favorisez donc indirectement
les distilleries hollandaises aux dépens de l’industrie belge. C’est pour ainsi
dire une prime que vous accordez au distillateur hollandais
Après avoir soumis à la chambre ces
observations préliminaires, je commencerai par poser une première question.
Y a-t-il nécessité, y a-t-il urgence de frapper
d’une augmentation de droit l’importation des céréales ?
En examinant les différentes périodes qui se
sont écoulées de 1815 à 1833, je trouve les trois époques suivantes :
De 1815 à 1824 le froment a valu, terme moyen,
20 fr. l’hect.
De 1819 à 1828, 15 fr. l’hect.
De 1824 à 1833, 17 fr. l’hect.
Pendant ces mêmes époques,
De 1815 à 1824, le seigle a valu, terme
moyen, 13 fr. l’hect.
De 1819 à 1828, 9 fr.
De 1824 à 1833, 11 fr.
Mais à partir de 1828 on compte 5 années
consécutives pendant lesquelles le prix des grains a été des plus satisfaisants
; il a égalé et même dépassé de beaucoup le taux fixé par l’honorable
rapporteur de la section centrale, comme étant suffisant, c’est-à-dire, 18 fr.
par hectolitre de froment et 12 fr. par hect. de
seigle.
Je vois l’honorable M. Coghen faire un signe
négatif. Je crois cependant ne pas me tromper. Je prierais M. le rapporteur de
la section centrale de me dire si je commets une erreur, en affirmant qu’il
trouve le taux de 18 francs par kil. pour le froment
et de 12 francs pour le seigle ; le terme moyen nécessaire pour la prospérité
agricole. De 1828 à 1833, le prix des grains a dépassé ce taux et notamment en
1831 et 1832, sous l’empire de la liberté illimitée.
En fait donc, s’il y a souffrance et par
conséquent urgence de porter un remède au tarif actuel, cette urgence n’existe
que depuis l’année dernière, c’est-à-dire depuis et malgré la mise à exécution
de la loi restrictive qui a été votée dans la dernière session. J’en tire la
conséquence que ces souffrances ne sont pas aussi générales, aussi profondes
que l’on a cherché à les dépeindre. En fait, la classe ouvrière, la classe
pauvre, la classe même des agriculteurs souffre-t-elle ? L’ouvrage manque-t-il
quelque part ? Les salaires sont-ils abaissés ? L’impôt sur la consommation
diminue-t-il ? La perception de l’impôt foncier présente-t-elle quelque
difficulté ? La valeur des terres est-elle tombée ? Les baux ont-ils baissé de
prix ? Toutes questions résolues négativement non pas par moi, mais par
plusieurs corps du royaume consultés à cet effet. La chambre me permettra de
lui citer entre autres documents, les observations de la chambre de commerce de
Tournay. Le voici :
« Et pour parler du présent, y a-t-il
perturbation dans la société, y a-t-il même réellement ce que l’on peut appeler
malaise inquiétant sous le rapport des conséquences de la baisse des céréales ?
Est-il bien vrai en conscience, que les journaliers et les ouvriers des métiers
trouvent peu d’occupation ? Qu’ils ont plus de peine à se procurer du pain que
si le grain était au double de sa valeur actuelle ?
« Est-il bien vrai que les propriétaires,
particulièrement les petits, se trouvent maintenant dans l’impossibilité de
faire face à l’impôt foncier ; que les fermiers locataires ne peuvent payer
l’impôt foncier à la décharge des propriétaires et qu’une grande partie de ces
fermiers locataires se voit maintenant ruinée ?
« Est-il bien vrai que tel bonnier de terre qui avant l’époque de la baisse se vendait
2,000 francs, perde depuis lors dans sa valeur vénale décroissante en telle progression
que bientôt il ne sera plus payé que 1,000 francs, et que les revenus de l’Etat
sous le rapport des droits de mutation souffrent dans une proportion semblable
?
« Est-il bien vrai que les habitations des
propriétaires commencent déjà à être moins soignées, et que par suite des
difficultés dans la rentrée de leurs revenus fonciers, il y ait chez eux
tendance à réforme en domestiques, chevaux, etc. ?
« Est-il bien vrai que dans la position où
l’agriculture se trouve actuellement, les propriétaires et les cultivateurs
doivent renoncer à faire les dépenses ordinaires en chaux, marne, engrais
étrangers, etc., et que l’industrie houillère, qui fournit la houille pour
faire la chaux, la terre de tourbe factice, briques, etc., soit en souffrance
sous ce rapport ?
« Est-il bien vrai que les agriculteurs sont
déjà tellement économes de la houille, parce que la baisse des céréales leur
ôte les moyens d’en acheter, qu’ils emploient la paille au lieu de bois ? Ce
que nous avouons ne pas comprendre ?
« Est-il bien vrai enfin que les
manufactures souffrent maintenant de la position de l’agriculture autant que
l’avance l’auteur, parce que le grain est à bon marché ?
« Telles sont cependant les assertions de
l’auteur de la proposition, pour toutes les époques où les céréales sont
réduites à vil prix ; il tient le prix actuel pour vil, ici se voit le danger
de vouloir trop prouver. »
Je pourrais reproduire l’opinion d’une autre
chambre de commerce. Je me dispenserai cependant de la lire.
M. de Muelenaere.
- Ces rapports ne nous ont pas été communiqués.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois qu’il serait plus
convenable que M. de Muelenaere attendît la fin de mon discours pour y
répondre. J’ai eu d’autant moins l’intention de cacher â la chambre les
rapports que je viens de citer, que ce sont les mêmes que ceux qui ont été
fournis directement à la chambre. Car je me suis contenté d’en demander des
copies aux chambres de commerce que l’assemblée a cru devoir consulter.
Il y a donc beaucoup d’exagération dans l’état
de souffrance que l’on attribue à l’agriculture. Quant à moi, je crois que le
gouvernement et le pays doivent toute leur sollicitude aux habitants des
campagnes. Nous ne rappellerons pas les services éminents qu’ils ont rendus au
nouvel ordre de choses, avec quel empressement ils se sont ralliés à la
révolution, avec quel patriotisme ils ont concouru à consolider l’existence du
royaume qui en est sorti. Mais il y a dans les campagnes autre chose que des
hommes cultivant des céréales ; il y a des ouvriers, des houilleurs, des
charretiers, des bateliers, des maçons, et il y a des hommes qui cultivent le
lin, la garance, le houblon, les légumes et qui élèvent le bétail. Tous ces
habitants de la campagne ont également droit à notre sollicitude. Pour ceux-là
le bas prix du grain est toujours une chose avantageuse.
Je sais que l’on avance que, quand le fermier
ou le propriétaire vend difficilement son grain, il restreint ses dépenses et
diminue l’ouvrage et le salaire, que l’ouvrier alors est moins payé et
travaille moins, deux causes de misère pour lui. Sans doute, sous ce point de
vue la question mérite une attention sérieuse, mais à l’heure où nous vivons en
est-il ainsi ? Qui oserait le soutenir ? S’il y a plainte quelque part, c’est
moins de la part de ceux qui travaillent, que de ceux qui font travailler.
J’en appelle aux membres de cette chambre. J’en
appelle aux industriels. C’est à qui se plaindra de la rareté des bras, du manque
d’ouvriers. Heureuse époque, messieurs, où l’ouvrier trouve à la fois un bon
salaire, un travail continuel et des vivres à bon marché ! N’est-ce rien qu’un
tel état de choses ? Est-il destiné â cesser ? Je l’ignore, mais serait-ce à
nous d’en hâter la cessation ?
Admettons cependant que la souffrance existe,
que le remède soit urgent, où trouver ce remède ?
Il y a depuis un an une baisse considérable
dans le prix des céréales. Au premier aperçu la cause en est bien simple,
plusieurs années successives de fertilité ont amené l’abondance et l’abondance
le bon marché. Rien de plus simple que cela.
Mais on veut trouver la cause ailleurs encore,
on veut que la cause de la dépréciation soit dans notre législation ; on se
figure qu’en modifiant la législation on arrêtera la fertilité de notre terre,
on supprimera les effets inévitables de l’abondance.
Voyons donc cette législation pernicieuse, et
ce que nous gagnerons à y toucher.
Le tarif qui régit les céréales, ainsi que je
l’ai dit, est de 1826. Je vois bien que sous l’empire de ce tarif les grains se
sont élevés à un prix beaucoup plus satisfaisant que dans la période
antérieure, mais non que dans les années où ce système a été remplacé par un. système de liberté illimitée. En 1832 on a levé la
prohibition qui pesait sur le transit. Mais on ne songea pas à lever la
prohibition à la sortie des grains étrangers. Le 7 mars 1833, le gouvernement
vint vous demander que la sortie des grains fût libre, et que l’on fît pour
l’exportation ce que l’on avait fait pour le transit. La chambre non seulement
accorda la liberté de transit pour les grains indigènes, mais en outre frappa
d’un droit restrictif la liberté d’importation qui existait depuis deux ans et
demi sans inconvénient aucun pour le prix de nos céréales.
On sait quel a été le résultat de la loi de
mars 1833. Je suis loin d’attribuer la dépréciation de nos céréales à cette loi
; je dis seulement que cette loi a manqué son but. Aujourd’hui qu’on voit
qu’elle n’a pas produit ce qu’on en attendait, on ne voit rien de plus simple
que d’élever le tarif : 2 francs ne sont pas assez pour le froment, mettons-en
3 ; un franc n’étant pas assez pour le seigle, mettons un et demi. De sorte que
si l’année prochaine nos grains n’ont pas acquis le taux où on veut les voir, il
faudra de nouveau augmenter le droit. Les grains étrangers continuent à nous
inonder, dira-t-on, c’est 4 francs, c’est 5 fr. qu’il faut ; voyez
Messieurs, la loi en discussion porte à 3
francs ce qui est aujourd’hui à 2 francs ; aura-t-elle pour cela plus d’effet
que la précédente relativement aux quantités importées ? Si je consulte ce qui
s’est passé dans les années antérieures, je dois croire que la loi nouvelle
sera de nul effet. Durant l’année 1833 sous le régime restrictif, il est entré
7,265,000 kilog. en froment
et 1,227,000 kilog. de seigle.
Je parle d’après le tableau fourni à la chambre
par M. Eloy de Burdinne ; tableau dont j’admets l’exactitude.
Pendant le premier trimestre de 1834, il été
importé
Dira-t-on que ces quantités de 9 millions de
kilogrammes aient pu exercer la moindre influence sur les prix des céréales ?
Pour répondre à cette question, il faut comparer cette quantité avec la masse
des céréales produites et consommées dans notre pays.
La consommation par tête dans notre pays qui a
des rapports avec
Je ne vois pas quelle influence peut exercer
une importation de 9 millions de kilog. en la
comparant à une consommation de 840 millions de kilog.
Ce sont les grains entrés en 1831 et 1832, et
entreposés d’abord, qui ont été versés dans la consommation en 1833 et 1834, et
voilà, dit-on, la cause de la dépréciation de nos céréales.
Il est vrai que les importations de froment et
de seigle ont été plus considérables en 1831 et 1832 que dans les années
suivantes ; ces importations vont dans ces années jusqu’à 30 millions de kilog.
de froment et 26 millions de kilog. de
seigle ; mais qu’est-ce que peuvent faire 56 millions de kilog. sur une consommation de 840 millions de kilogrammes ?
Est-il vraisemblable qu’un spéculateur, si peu
habile qu’il soit, ait été choisir pour livrer son grain à la consommation
l’année même où l’importation était frappée de 2 francs à l’hectolitre l’année
où le grain indigène était d’un prix tellement bas que ce droit même ne
paraissait plus d’une protection suffisante.
Quand j’admettrais une telle invraisemblance,
il n’en résulterait pas encore que l’importation de 56 millions de kilogrammes
pût avoir le moindre effet sur la consommation.
Veut-on savoir ce qu’au juste signifient ces
mots qu’on a fait retentir d’inondation
de blés étrangers ? nous avons comparé les
quantités importées avec la masse générale des grains consommés ; nous aurions
pu nous borner à comparer l’importation avec la consommation faite par quelques
industries particulières.
On a évalué dans les trois dernières années
l’importation à 1,600,000 hectolitres ; eh bien, une
même quantité a été absorbée pour nos brasseries en une seule année, et cela
d’après le calcul le plus modéré ; nos brasseries, si j’en crois les
renseignements des hommes spéciaux, absorbent par année au-delà de 2 millions
de grains, orge et froment compris.
Nos distilleries ont fait de leur côté une
consommation fort considérable et sous ce rapport, la loi sur les distilleries
a parfaitement accompli son but, s’il faut en croire des documents qui n’ont
rien d’exagéré.
Pendant les trois derniers mois de 1833, les
distilleries ont employé
Je pourrais multiplier les exemples ; je
pourrais dire, par exemple, que toute l’importation de l’année
J’ai supposé l’armée sur le pied de 60 mille hommes
; mais en 1833 et 1832 elle a été portée jusqu’à 110 mille hommes.
Messieurs, nous avons établi que les
importations en 1833, ont été presque nulles et sans que le prix des céréales
en soit haussé ; que la baisse des prix ne peut être attribuée à la quantité de
grains importés dans les années antérieures, et que cette quantité est
insignifiante, relativement à la production et à la consommation générale du
pays. J’en conclus qu’une nouvelle protection sera impuissante, car il ne
s’agit pas tant de protéger les céréales contre l’abondance étrangère que
contre l’abondance indigène.
Il faudrait, messieurs, trouver le moyen de
faire disparaître ou mieux encore d’exporter l’excès de notre production ;
c’est alors seulement que nous pourrons espérer d’acquérir des prix meilleurs
pour nos céréales. C’est ainsi qu’en favorisant la sortie des lins et des
étoupes, en favorisant la culture du houblon et de la garance, nous engagerions
nos cultivateurs à produire moins de grains ; nous rendrions le grain plus rare
et pourrions en faire hausser le prix. Les cultivateurs trouveraient de grands
avantages à cultiver des produits qui leur rapporteraient beaucoup plus. (Légères rumeurs.)
Je crains très fort, messieurs, que ce que je
dis ne paraisse à quelques-uns des théories plus ou moins brillantes ; je cite
des faits, je ne les invente pas, et quant aux dernières observations, je les
prends dans les rapports communiqués à la commission d’industrie dont je me
suis procuré des copies.
(Moniteur
belge n°194, du 14 juillet 1834 : suite du discours et de la séance) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - En admettant, messieurs, que la
loi atteigne ses résultats, c’est-à-dire qu’elle empêche l’importation des
céréales, qu’y aura-t-on gagné ? Rien ; mais on aura plus ou moins gêné le
commerce, et par conséquent l’industrie qui vit du commerce, y compris
l’industrie agricole. Est-ce le moyen de maintenir les prix élevés, que de
gêner la spéculation ? J’éprouve, je l’avoue, de graves doutes à cet égard, et
je vais vous dire par quels motifs.
S’il est une contrée où la concurrence
étrangère ne se fait pas sentir, où pas un grain étranger ne pénètre, c’est à
coup sûr la province de Luxembourg ; là point de concurrence étrangère, le
grain indigène est seul offert sur le marché ; on pourrait croire dès lors que
les prix y sont élevés, point du tout ! Les marchés du Luxembourg offrent des
prix très inférieurs aux autres marchés.
M. d’Hoffschmidt. - Il n’y a pas de communication.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Tant mieux pour le cas dont il
s’agit. Vous n’avez pas à craindre la concurrence étrangère ; vous êtes maître
chez vous, et ce défaut de communication équivalut à une prohibition ;
cependant le grain indigène se donne souvent à 2 fr. de moins que sur le marché
d’Arlon que sur le marché d’Anvers.
Puisque j’ai cité Anvers, je répèterai
l’observation que M. Devaux a faite hier. A Anvers, où il arrive tant de grains
étrangers, où l’on peut supposer qu’il y a encombrement, les prix se
maintiennent plus élevés que dans beaucoup d’autres marchés.
M. Eloy de
Burdinne. - C’est trop fort.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est un fait, j’en demanderai
l’explication à M. Eloy de Burdinne, et j’en soumettrai quelques autres à
l’honorable membre.
On dit que l’arrondissement de Verviers est
encombré d’une quantité énorme de céréales de
Eh bien, il se trouve qu’entre le marché
d’Aubel et celui de Huy, à dix lieues de là, l’avantage du prix est souvent au
premier marché.
Je prie M. Eloy de Burdinne de nous donner
quelques explications sur ce point. En attendant cette explication, je me
permettrai de donner la mienne ; je crois que si les prix se maintiennent à ces
taux aussi élévés sur quelques marchés, vis-à-vis de
certains autres, c’est que là la spéculation s’en empare, et qu’elle fait tous
ses efforts pour les maintenir ou s’en défaire à son plus grand avantage ;
tandis qu’ailleurs les produits que ne soutient pas la spéculation, succombent
pour ainsi dire sous leur propre poids, et tombent aussi bas que nous le voyons
dans certains marchés, particulièrement dans ceux du Luxembourg.
Je pressens que M. Coghen va me
répondre que l’on ne gênera pas la spéculation ni le commerce, attendu que le
commerce aura la faculté d’entreposer les grains ; MM. les commerçants ne sont
pas d’avis que le système de l’entreposage puisse jamais équivaloir à une
liberté complète, c’est-à-dire à celle qui consiste à pouvoir, soit entreposer,
soit verser dans la consommation.
J’invoquerai ici sur la question d’entreposage
une opinion qui est de nature à faire impression sur la chambre. La chambre de
commerce de Liége se prononce très fortement contre l’entreposage, attendu qu’il
ne change rien à l’incertitude de la spéculation.
Les commerçants étrangers et les commerçants
indigènes, alors qu’ils n’ont pas de certitude de pouvoir à leur choix verser
le grain dans la consommation, ou l’entreposer, restreignent leurs
correspondances, et suspendent leurs commandes.
Je demanderai si le négociant a aujourd’hui à
choisir entre
Aujourd’hui le commerce de grains lorsqu’il se
présente en Hollande a cet avantage de pouvoir être introduit à meilleur
compte, et d’avoir la faculté de l’entreposage ; par votre loi, vous conservez
cette faculté, mais non celle de l’importation pour la consommation intérieure
; vous restreignez la spéculation.
Nous avons l’exemple de
Je dirai même que nous avons à lutter
industriellement avec
Nous sommes aussi voisins de l’Allemagne ; nous
nous plaignons que notre industrie ne puisse lutter avec la sienne.
L’Allemagne produit beaucoup de céréales ; son
tarif est plus libéral que le nôtre. Il en résulte que la main-d’œuvre est à
plus bas prix et la concurrence plus difficile à soutenir vis-à-vis de leurs
fabricats.
On nous a cité les tarifs anglais et français
comme bons à suivre. Mais ces tarifs sont-ils plus puissants que le nôtre,
ont-ils amené en France des prix meilleurs que les nôtres ? Pas du tout. On
vous a cité bien des exemples qui établissent qu’en France, sur beaucoup de
marchés, les grains se vendent à plus vil prix que sur les marchés belges. Un
honorable membre a cru voir cet avantage dans le tarif français qu’il maintient
un niveau entre les prix. Ce n’est pas du tout là le résultat du système de ce
pays, car nous voyons la plus grande fluctuation entre les prix des grains des
différentes années. Sour ce rapport encore le tarif français n’est pas plus
efficace que le nôtre. Il ne maintient ni un prix meilleur, ni ce niveau entre
les prix de chaque année, qu’il serait désirable de voir établir. (Mouvement négatif.)
C’est un fait qu’en France les prix des grains
éprouvent une fluctuation aussi grande que chez nous.
Je dirai que ce système tant préconisé par
quelques-uns, chez nous, n’a pas la même faveur, je ne dirai pas seulement chez
les économistes, mais chez les hommes pratiques de France ; ils trouvent leur
système impuissant. Je pourrais citer l’opinion de l’illustre Cuvier qui peut
être regardé comme une autorité. Les ministres français eux-mêmes qui ont
proposé la loi, reconnaissent son impuissance. Tout récemment encore, le
ministre des finances M. Duchatel l’a déclaré. Ce
n’est pas le moment de chercher à impatroniser chez nous un système repoussé
par ceux-là même qui sont forcés de l’appliquer en France.
J’ai dit que je reviendrais sur les souffrance de la propriété foncière, sur les griefs
qu’elle aurait à adresser à la révolution.
Je dois rappeler que, depuis la révolution, la
loi monture a disparu, la loi de l’abattage a disparu, la loi des distilleries
a été faite, la libre sortie des bestiaux vient d’être autorisée ; c’est une
perte de 100,000 fr. par an pour le fisc ; un million par an est consacré aux
communications. L’honorable M. Eloy de Burdinne ne méconnaît pas l’importance
des communications. L’impôt des barrières a été successivement dégrevé ; c’est
également au profit de l’agriculture.
La loi des distilleries tout agricole a enlevé
au trésor public deux millions par an, jusqu’à présent. Il me semble,
messieurs, que voilà bien des faveurs accordées à l’agriculture, qu’il serait
injuste de méconnaître.
Savez-vous quels seraient les effets de la
nouvelle faveur qu’on veut lui accorder, si la loi atteint le but qu’on se
propose (ce que je ne crois pas) ? Elle augmentera d’un franc l’hectolitre de
froment, et de 50 centimes, je pense, l’hectolitre de seigle ; de telle manière
que, pour 12 millions d’hectolitres que nous supposons produits et consommés
dans le pays, neuf millions de francs environ seront imposés au consommateur.
C’est véritablement un impôt indirect dont vous le frappez.
Mais, dit-on, cette loi n’atteindra pas son but.
Beaucoup de promoteurs du projet de loi le reconnaissent et disent : « C’est un
mal moral qu’il faut guérir ; nous sommes persuadés que la loi n’influera pas
sur le prix des grains, mais c’est une nécessité de la voter. » J’avoue qu’à
ces sortes de nécessités un gouvernement sage doit quelquefois se rendre ; mais
je ne sais s’il en est de même de la législature.
Je ne sais pas si on doit de gaieté de cœur
faire une loi qu’on reconnaît devoir être inutile, surtout lorsqu’on a tant de
lois utiles à faire. Au reste, si je ne voyais d’autre mal dans la loi que son
inutilité, je ne m’y opposerais pas, je n’aurais même pas présenté d’objections
; j’aurais dit : Faisons une loi inutile, puisque le pays, dit-on, la veut ;
mais prenons garde qu’en appliquant un remède moral, nous ne fassions un mal
très réel aux intérêts matériels.
On a souvent parlé des capitaux que l’étranger
nous enlève en nous apportant ses produits ; on a souvent exprimé la crainte
que l’étranger ne nous enlevât notre argent. Aujourd’hui, on ne peut guère
s’occuper sérieusement de répondre à de pareilles craintes.
Il suffirait de demander à ceux qui les
manifestent combien de pièces de dix florins ou de pièces de 5 francs de notre
nouvelle monnaie on rencontre, soit en France, soit en Angleterre. A la vérité,
les produits étrangers nous enlèvent des capitaux, mais c’est fort avantageux
pour nous qu’ils nous les enlèvent, car ces capitaux sont nos propres produits.
Il est certain que plusieurs branches de notre industrie ont éprouvé une grande
amélioration à la suite des importations des céréales étrangères dans nos
ports, et si j’avais eu le temps de me livrer à des recherches plus approfondies., je crois qu’il eût été facile d’établir que
ce que nous avons reçu en grains, nous l’avons, outre mesure, renvoyé en draps,
cotons, armes, toiles, verres à vitres, écorces, charbons, clous, sucres
raffinés, cordages...
M. Coghen. -
Des cordages, c’est trop fort !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’entends M. Coghen dire que pour
des cordages c’est trop fort. Cependant je ne trouve rien de plus naturel qu’un
navire qui arrive dans nos ports, si ses cordages sont vieux, en achète de
neufs, comme il se radoube s’il est endommagé. Je ne fais pas entrer cela en
ligne de compte ; je ne fais pas entrer non plus les fournitures des objets
nécessaires à la vie commune que ces navires peuvent emporter, en beurre, œufs,
légumes et autres produits de notre industrie agricole. Si nous n’avions pas
été si pressés par le temps, j’aurais pu donner à la chambre à cet égard des
documents précieux ; elle aurait reconnu que les céréales importées dans le
pays s’y échangent contre des produits indigènes et procurent de grands
bénéfices à notre industrie.
Voilà les observations générales que j’avais à
présenter sur le projet de loi.
Je dois de nouveau répéter que je regrette de
ne pas avoir eu plus de temps pour réunir des renseignements plus complets et
les présenter avec plus d’ordre.
Au reste, la discussion du projet soulèvera
quelques questions accessoires : je vais les poser d’avance.
Pourquoi le projet frappe-t-il
l’avoine et l’orge ? Il est généralement reconnu que les prix en sont très
satisfaisants. Plusieurs provinces prétendent qu’on n’en produit pas assez pour
la consommation. Il est à remarquer qu’en frappant l’orge, vous nuisez aux
brasseries, quand vous avez protégé les distilleries, et que les brasseries
demandent aussi une diminution de droits. L’avoine est nécessaire à
l’agriculture elle-même, attendu qu’un grand nombre de chevaux sont employés à
ses travaux.
Maintiendra-t-on, un seul droit à la sortie, un
seul droit à l’entrée ? Introduira-t-on dans notre tarif le mot de prohibition,
alors que dans nos rapports avec les pays voisins, nous nous efforçons de les
amener à un système plus large, alors que nous tâchons de faire disparaître
toutes les prohibitions de leurs tarifs ?
En supposant que l’on admette la prohibition à
l’entrée, l’admettra-t-on également à la sortie ? Voilà quelques questions que l’on
me permettra de poser et sur lesquelles je reviendrai pendant le cours de la
discussion.
M. Dumont. -
Plus la discussion actuelle avance, plus elle est favorable au projet de loi
soumis à votre examen. Il faut que les orateurs qui en repoussent l’adoption,
trouvent leur cause bien mauvaise, puisqu’ils vont chercher leurs arguments en
dehors de la question, puisqu’ils parlent de tout autre chose que de ce dont il
s’agit.
Plusieurs membres de cette chambre ont déclaré
qu’ils étaient ennemis de tous privilèges, et ils ont posé en fait que le
projet de loi actuel établirait, s’il était adopté, un privilège en faveur des
propriétaires fonciers. Si cette allégation était prouvée, il serait juste de
repousser la loi. Mais ils se sont contentés de mettre en avant cette
assertion, sans essayer de la justifier par des preuves auxquelles nous
puissions nous rendre.
D’autres orateurs ont parlé de faits qui selon
moi ne sont pas pertinents dans la question qui nous occupe. Ils se sont posé cette
question :
L’agriculture est-elle réellement en souffrance
? Je leur répondrai : Ce n’est pas là la question. Il ne s’agit pas seulement
d’examiner la position de l’industrie agricole qui peut éprouver un mal
passager. Nous faisons actuellement une loi dont le but est de prévenir les
maux futurs, soit qu’ils doivent peser sur une classe spéciale d’individus, ou
qu’ils s’étendent à la nation tout entière.
Les honorables orateurs que je combats
n’envisagent la question que sous un point de vue. Ils ont prêté aux partisans
du projet une assertion que ceux-ci auraient présentée comme étant le seul but
de la loi. Ils ont supposé que nous attribuions à l’importation seulement la
cause du bas prix des céréales.
Je ne crois pas, messieurs, que ce soit là le
but du projet. La loi a pour résultat de concilier les intérêts de la
consommation, de l’agriculture et du commerce. Elle trouvera également sa place
quelque soit le prix des grains, qu’il soit élevé ou qu’il retombe très bas. Si
la disette venait à régner dans notre pays, je vous le demande, la présentation
de cette loi serait-elle inopportune ?
Je ne crois donc pas non plus comme on l’a dit,
que le projet de loi ait eu simplement en vue d’arrêter l’importation des
grains. Il s’agit actuellement de savoir s’il est utile au pays, au
gouvernement qu’il soit pris des mesures tendant à empêcher l’excessive cherté
des céréales, comme à empêcher qu’ils ne tombent à un prix trop vil.
C’est prêter une absurdité aux auteurs du
projet que de soutenir que l’importation des blés étrangers est la seule cause
de vilité du prix des céréales. Il y a plusieurs autres causes. On ne peut
révoquer en doute que le prix des marchandises ne soit établi par la quantité
des denrées comparée aux demandes. Quand les demandes excèdent cette quantité,
il y a hausse dans le prix. Dans le cas inverse les prix retombent.
Les honorables adversaires du projet ont
invoqué l’expérience de deux années, pendant lesquelles la liberté illimitée du
commerce a régné en matière de céréales. Mais cette expérience ne peut nous
servir de base. Je crois qu’il faut autre chose. Si vous prenez une période de
20 à 30 années, vous trouverez que l’exportation ou l’importation ont exercé
une très grande influence sur le prix des grains.
En 1817 la récolte a été assez abondante en
Belgique. Mais à cette époque il y avait liberté illimitée d’exportation de
céréales. Qu’est-il arrivé ? une grande partie des
grains fournis par la récolte est sortie de nos ports. Une disette s’en est
suivie. Croyez-vous que le commerce ait pu parvenir à en empêcher les effets ?
Non : il fallut que le gouvernement fit venir lui-même des grains de
De ce que dans les deux années précédentes
l’importation a exercé peu d’influence sur le prix des grains, s’ensuit-il que
cette importation ne puisse en exercer jamais ? Je viens de vous citer un fait.
Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu peu d’importation puisqu’il n’y avait pas
abondance de grains dans les pays qui nous en envoient. Nous savons tous que
pour que le Nord nous expédie des grains, il faut que la grande abondance des
quantités exportées puisse couvrir les frais de transport. Or, en 1834, s’il
n’est pas entré beaucoup de grains de
L’on a dit que si le droit établi en 1833 n’a
pas produit son effet, il ne produira jamais d’effet. Pour que cela fût vrai,
il faudrait que l’on nous donnât la garantie que les pays respectifs soient
dans la même position qu’ils ont été en 1833.
Supposez que dans le nord il y ait une récolte
en 1834 plus abondante qu’en Belgique. Pensez-vous que l’on puisse affirmer que
l’importation ne dépassera pas alors celle de 1833 ? Ce serait déraisonner si
on osait le prétendre.
J’ai dit que je suis ennemi des privilèges. Je
ne suis guère ami de la liberté de commerce. Mais je pense qu’en supposant que
ce système pût être introduit dans notre pays, il faudrait toujours établir une
exception pour ce qui est relatif au commerce des grains. Ce commerce est en
effet d’une nature particulière. Les grains sont d’une nécessité absolue en
Belgique comme chez tous les autres peuples. La classe pauvre ne peut s’en
passer. On ne peut les remplacer par aucune autre espèce de denrée. De là
découle la nécessité de faire ce qui est en nous pour assurer la subsistance
des citoyens.
Aussi, voyez-vous que le gouvernement, quels
que soient ses principes en matière commerciale, est obligé de prendre des mesures
pour empêcher l’exportation des grains, que, s’il les néglige, on les demande
vivement la plupart du temps sur la place publique. Voilà donc un cas où il est
nécessaire de prendre des mesures en faveur du consommateur.
Si ce cultivateur ou le propriétaire (car pour
moi, c’est exactement la même chose), ont dû supporter des sacrifices quand les
grains étaient chers, puisqu’on leur a interdit l’exportation, n’est-il pas
juste que l’on vienne les en dédommager lorsqu’il y a vilité de prix ? Ainsi
donc d’un côté, la loi prévoit la disette, de l’autre elle offre des garanties
d’écoulement de sa denrée à l’agriculteur, lorsque la récolte a été abondante,
il n’y a pas là privilège, il y a justice.
Pendant deux ans et demi nos grains ont trouvé moyen
de se soutenir à des prix élevés. L’importation était cependant permise.
L’exportation était défendue. Mais on n’a pas établi que la quantité des grains
importés ait eu uniquement de l’influence sur le prix des grains. Il peut y
avoir eu des causes étrangères. La présence de l’armée française en Belgique,
l’espérance d’une guerre générale, etc. C’est peut-être à ces motifs que l’on
doit attribuer le taux où se sont maintenus les prix des céréales. Et de ce que
par des causes locales le rétablissement d’un droit de 2 fr. par hectolitre à
l’entrée n’a pas eu un effet immédiat, doit-on conclure qu’il n’en aura jamais
?
Il n’est pas difficile, comme on l’a fait, de
trouver de l’opposition entre les opinions des partisans du projet de loi ;
cette opposition est le résultat de la manière de voir et de sentir de chacun,
de sa position ; et dans une chambre nombreuse ces contradictions ne prouvent
rien contre la loi, ni contre ceux qui la soutiennent.
La révolution a profité aux cultivateurs, je le
crois, parce que la révolution a généralement profité à la nation : elle a
profité particulièrement aux cultivateurs distillateurs ; mais ceux-ci sont en
bien petit nombre.
Relativement à la loi sur les distilleries dont
on a parlé, je dirai ce qui l’a amenée, c’est la fraude considérable qui se
faisait ; et si l’agriculture en a profité, c’est bien indirectement, et elle
n’en doit avoir aucune obligation à la législature.
On a fait valoir l’opinion d’une chambre de
commerce contre la loi. Depuis longtemps j’ai l’expérience que le commerce ne
peut supporter, je ne dirai pas la moindre diminution dans ses bénéfices, mais
la moindre gêne dans ses opérations. Il lui faut la plus grande aisance ; peu
lui importe que cette aisance blesse d’autres intérêts : il se plaint quand il
éprouve la moindre gêne.
De quoi se composent les chambres de commerce ?
sont-elles composées de commerçants et d’agriculteurs
? Elles sont composées de commerçants qui voient comme tous les autres
commerçants.
Si on s’était donné la peine de consulter les
états députés, on aurait pu trouver des documents favorables à la loi. La
commission d’industrie réunie à la section centrale a donné son adhésion à la
loi. Au reste, on a trouvé ailleurs des avis favorables à la loi ou à une
mesure équivalente. Si on s’en rapporte aux états députés, il faut en conclure
l’admission du projet de loi.
Le ministre a dit que dans nos campagnes il y
avait beaucoup de cultivateurs qui ne produisaient pas de céréales : cela est
très vrai ; mais les ouvriers qui ne vivent pas de l’agriculture vivent de
l’ouvrage que leur commandent les agriculteurs, et quand les agriculteurs sont
dans la détresse, ils ne font pas travailler. On a cité les maçons ; ce sont
ceux-là qui souffrent particulièrement quand l’agriculture ne prospère pas.
On a cité encore les cultivateurs du lin, de la
garance : pour faire de semblables citations, il faut ignorer ce que c’est que
l’agriculture ; on ne peut pas produire tous les ans la même denrée ; le
cultivateur doit savoir cultiver tous les végétaux utiles.
On a prétendu que la loi gênait la circulation
: si la circulation était gênée, par la loi, je serais fort embarrassé sur le
vote que j’aurais à émettre, car gêner la circulation c’est diminuer le prix.
Le commerce sera gêné, il est vrai, par les entrepôts
; mais l’administration peut diminuer cette gêne. Mais jusqu’à ce qu’on prouve
que le commerce sera réellement entravé, je persisterai dans mon opinion.
Je crois au contraire que le commerce trouvera
des garanties dans la loi. Ce qui gêne les spéculations, c’est l’incertitude
dans la législation sur les grains. Dans un tel état de choses, il ne peut
risquer aucune opération ; si au contraire vous admettez une loi comme celle
qu’on propose, le négociant sera averti de ce qu’il a à faire. Si sa spéculation
manque, il ne pourra l’attribuer à la loi ; il faudra qu’il l’attribue à
d’autres circonstances. Ainsi, dans l’intérêt du négociant, je crois que le
projet doit être adopté.
Le
commerce de grains, dit-on, remédie aux disettes : il n’y a pas encore bien
longtemps que nous avons eu l’exemple d’une disette de céréales dans cette
contrée ; eh bien ! qu’a fait le commerce pour y remédier ? Le commerce s’est
caché ; il a tout à fait disparu. Un commissaire de district qui siège dans
cette assemblée a même été forcé, à cette époque, d’avertir les cultivateurs
que dans leur intérêt ils devaient approvisionner le marché de la ville.
Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Quand le blé est cher, quel est
le commerçant honnête qui oserait faire le commerce de grains pendant une
disette ? Il passerait dans le public pour un homme odieux, pour un accapareur.
Comme un homme qui veut faire renchérir le pain, qui veut spéculer sur le
malheur de ses compatriotes ; il s’expose à perdre sa réputation et à voir ses
propriétés pillées.
Pouvez-vous compter sur le commerce pour
remédier aux disettes dans un tel état de choses ? Il vaut mieux prévenir les
maux que de chercher des remèdes quand ils sont arrivés. Je voterai une loi
permanente, et je voterai contre l’article qui soumet la loi qui vous occupe à
une révision en 1835. Je ne dis pas pour cela que si l’expérience nous
indiquait des améliorations, il ne faudrait pas les admettre. Quoi qu’il en
soit, il faut dès aujourd’hui donner un caractère définitif à la loi et non un
caractère de circonstance.
M. A. Rodenbach.
- Je partage aussi l’opinion de l’honorable préopinant que la liberté du
commerce ne donne pas toujours le pain à bon marché au peuple. Il a cité
l’exemple de la disette de 1817 ; à cette époque quelques négociants
appartenant au haut commerce ont gagné des millions. Guillaume qui était au
nombre des accapareurs de grains a rempli ses coffres de millions pris au
peuple qui mange du pain. Comme l’a dit le préopinant, dans les campagnes un
honnête homme ne faisait plus le commerce des blés ; il n’y avait que les
hommes avides qui spéculent sur la misère publique, qui osassent faire ce
trafic. Il y avait assez de céréales pour faire vivre la population, mais les
spéculateurs achetaient tout chez les cultivateurs et gagnaient des sommes
immenses par le renchérissement. Quelques hommes se sont enrichis par suite
d’une disette qu’ils provoquaient.
Mais si par une disette factice des hommes se
sont enrichis, les classes moyennes et une foule de familles honnêtes se sont
ruinées. Dans ma province, l’excessive cherté du grain, il valait 60 fr., a
plongé dans la détresse pendant deux ou trois ans, une classe laborieuse et
économe de familles ; elles ont dépensé alors toutes leurs économies pour se
procurer du pain, et toutes ces économies sont entrées dans les coffres de
cruels spéculateurs.
Messieurs, il ne serait pas difficile de
réfuter toutes les assertions des adversaires du projet de loi ; je me bornerai
à combattre celles qui m’ont paru mériter une réponse.
Je dirai d’abord au ministre de l’intérieur,
qu’en Hollande les droits sur les genièvres sont remis à l’exportateur, et que
pour soutenir la concurrence avec elle, il faudrait que le ministre des
finances nous accordât la même faveur en remboursant le droit intégral pour les
genièvres exportés.
Pendant la discussion de la loi sur les
distilleries, j’avais proposé une disposition pour obtenir ce remboursement ;, un député d’Anvers s’y est opposé.
Il est très vrai que la loi sur les distilleries
a été portée pour éviter la fraude ; les fraudeurs gagnaient environ trois ou
quatre millions par an ; la loi a mis fin à ces bénéfices immoraux ; elle a
procuré des engrais à l’agriculture en multipliant les distilleries. Le petit
commerce a gagné aussi par suite de cette loi. La consommation ou la
fabrication du genièvre n’a rien d’immoral et ne produit rien d’immoral ; que
ceux qui qualifient d’immoral le commerce du genièvre consultent les registres
des cours d’assises, et ils verront que depuis la loi sur les distilleries le
nombre des vols et des assassinats n’est pas augmenté. Ce sont ces registres
qui témoignent de la moralité on de l’immoralité d’un peuple et de ses
institutions.
L’honorable M. Devaux a adressé des
interpellations à la section centrale, à la commission d’industrie et à la
commission d’agriculture ; messieurs, pour répondre à toutes les observations
de l’honorable membre, il faudrait faire une enquête qui durerait trois à
quatre mois ; ce n’est pas dans notre situation actuelle, lorsque le froment
est à 13 fr. et le seigle à 8 fr. que nous avons le temps de faire des
enquêtes.
M. Devaux qui est très partisan des faits, a
cité des faits : l’honorable membre a fait des excursions en France, en
Hollande, en Allemagne et en Russie ; je ne le suivrai pas, et je resterai en
Belgique.
D’abord, M. Devaux est allé en France, il a dit
que dans certaines provinces françaises, le prix des grains était de 12 fr. et
dans d’autres de 13 fr. ; à Verdun, a-t-il dit, le prix est de 10 fr. ; à Metz,
il est de 11 francs. Je répondrai â l’honorable orateur qu’il aurait fallu
prendre le prix moyen de toute
Il est impossible qu’en France il soit
impolitique et même immoral d’imposer les grains, parce que
En Angleterre, il n’y a pas non plus d’excédant
; à Londres le prix du froment est de 20 à 22 francs. Vous voyez que le tarif
est bien protecteur.
Pour le moment, je crois que la loi ne fera pas
hausser les prix, mais ainsi que l’a fait remarquer un honorable préopinant,
nous ne travaillons pas pour huit jours, nous travaillons pour l’avenir.
Lorsque les récoltes de l’Allemagne, du
Danemark et du nord seront faites, vous pourrez être encombrés ; il faut donc
vous prémunir contre une pareille importation et ne pas laisser les grains
étrangers entrer en Belgique avec le faible droit de 2 francs par hectolitre de
froment qui pèse sur eux, et d’un fr. 25 centimes par hectolitre de seigle.
Les grains des nations dont je parle peuvent
être donnés à meilleur compte que le nôtre ; d’abord, en Allemagne, en Prusse
les impôts et surtout l’impôt foncier sont moins forts, ensuite les
cultivateurs sont des serfs que l’on fait travailler à coups de knout. Il n’est
donc pas étonnant que les grains soient à meilleur marché en Russie.
Ce sont des calculs tirés de notre propre
situation qu’il nous faut ici.
Je dirai qu’en 1831, il est entre en Belgique
14 millions de kilogrammes de grains de toute espèce, il n’en est sorti qu’un
million de kilogrammes ; ainsi, vous voyez que malgré notre excédant, nos
importations sont beaucoup plus fortes que nos exportations.
Je prouverai qu’elles ne s’élèvent qu’à 3 p. c.
à l’égard des exportations ; cela explique comment nous avons 35 à 40 millions
d’hectolitres de grains dans nos greniers.
En 1832, il est entré 117 millions de
kilogrammes de grains de toute espèce ; nous n’en avons expédié qu’un peu
au-delà d’un demi-million.
En 1832, sur 61 millions de kilogrammes
d’importation, nous n’en avons exporté que 3 millions.
Cette année, il a déjà été importé pour 15
millions d’avoine et d’orge.
En Belgique la consommation de froment et de
seigle n’est que de 6 à 9 millions, parce que le peuple se nourrit beaucoup de
tubercules, de pommes de terre ; la moyenne de nos récoltes s’élève à 12
millions d’hectolitres, et même cette année, la récolte s’élèvera à 15 ou 16
millions.
Je le demande, en présence de la différence des
importations et des exportations, et en présence de la différence de la
production et de la consommation, pouvons-nous persévérer dans le système qui
est actuellement en vigueur ?
Vous avez environ 40 millions d’hectolitres
amassés dans vos magasins, comment recevoir encore après cela les grains
étrangers ? Jusqu’à ce que vous ayez trouvé le moyen de mettre vos exportations
au niveau des importations, le système actuel sera ruineux.
En vain fera-t-on valoir les considérations
d’économie sociale d’Adam Smith et des J.-B. Say, et des autres économistes,
leurs théories ne me font rien ; je ne crois pas aux théories ; je crois aux
systèmes qui ont été mis en pratique.
L’honorable député de Verviers a dit que le
système proposé par la section centrale donnait pour le froment 30 p. c. et
pour le seigle 24 p. c.
Il y a exagération dans ce calcul ; je trouve
que l’impôt ne sera pour le froment que de 24 p. c.,
et pour le seigle de 19 p. c., non compris les centimes additionnels. Remarquez
aussi que lorsque le prix des grains haussera et qu’il ira à 15, 18 et même 20
fr., votre impôt ne sera plus que de 12, 15 et 16 p. c., etc. ; c’est-à dire à
peu près le même droit protecteur qui existe pour une foule d’autres
industries, ainsi l’agriculture ne demande pas une protection trop exagérée.
L’honorable députe de Verviers,
partisan de la liberté illimitée du commerce, a dit que cette liberté était la
poule aux œufs d’or. Messieurs, la véritable poule aux œufs d’or, pour nous, ce
sont la terre et nos grains. Vous avez beaucoup d’armateurs et de spéculateurs
étrangers, qui veulent plumer la poule. (On
rit.)
Le système de M. Coghen me paraît pouvoir être amélioré,
et je me hasarderai à déposer sur le bureau un amendement que je développerai
plus tard.
M. Smits. - En
prenant la parole sur l’importante question qui est soumise dans ce moment à
votre examen, croyez que je ne me dissimule point les difficultés de sa
position.
Si, d’une part, je partage la vive sollicitude
de cette assemblée pour une des premières branches de la richesse publique, de
l’autre je crains de porter cette sollicitude au-delà des limites posées par
les règles d’une sage économie politique.
Ces règles, je les ai cherchées dans les
travaux de la législature nationale, et comme l’honorable M. Meeus, j’ai trouvé
qu’elles n’avaient encore été posées nulle part.
Cependant, messieurs, notre pays a besoin d’une
grande fixité de principes. Destiné à devenir le centre d’un commerce d’échange
très considérable entre différents peuples étrangers, on ne saurait, sans
exposer ce commerce à des dangers bien réels, admettre avec facilité des
modifications fréquentes qu’on trouvera toujours le moyen de colorer du
prétexte d’urgence.
C’est donc, comme vous l’a dit M. Meeus, par
examiner le principe du système que nous voulons adopter que nous aurions dû
commencer l’œuvre de la régénération financière en matière de douane. Alors, messieurs,
nous n’eussions pas été entraînés dans les discussions pénibles qu’ont déjà
soulevées et que soulèveront encore les différentes propositions qui, depuis
quelque temps, surgissent dans cette enceinte avec une inconcevable rapidité et
détournent notre attention des lois qui doivent régler l’organisation des
communes ; alors nous n’eussions pas vu le projet qui tend à gêner
l’exportation des lins, s’accoler au projet qui réclame une protection plus
grande pour l’agriculture ; alors aussi nous n’eussions pas rencontré dans le
même recueil et la loi du chemin de fer, qui tend à renouer nos antiques
relations avec l’Allemagne, et une loi plus récente qui a une tendance tout
opposée.
Mais puisque le sort en est jeté, puisque la
chambre n’a pas cru devoir attendre l’achèvement du travail de statistique
générale qui est sur le point d’être achevé, pour procéder à la révision
partielle du tarif des douanes, et que même elle a cru ne pas devoir attendre
les propositions que le gouvernement se proposait de présenter à cet égard, il
faut bien se résoudre à aborder dans leur isolement les questions toutes
spéciales qui vous ont été soumises par droit d’initiative parlementaire.
Le projet actuellement en délibération est la
troisième modification au système sur les céréales depuis l’époque de la
révolution, et c’est conséquemment le troisième préjudice notable qui a été
apporté au commerce et à l’industrie sans aucun avantage pour l’agriculture. Je
dis qu’on a apporté, parce que toute proposition législative en matière de
douane a pour effet immédiat de jeter l’incertitude dans les transactions et de
compromettre quelques fortunes particulières.
Cependant, je me plais à rendre hommage aux
intentions de l’honorable M. Eloy de Burdinne : il a vu dans la baisse momentanée
du prix des céréales une cause de souffrance pour l’agriculture, et il a cru y
devoir porter remède.
Mais son but sera-t-il atteint par la
proposition qu’il vous a soumise ? En d’autres termes, un changement quelconque
dans la loi sur les céréales amènera-t-il une hausse permanente ou quelque peu
durable dans la valeur de ces denrées. Messieurs, il est permis d’en douter. En
1823 comme en 1832, il soutenait également que les lois qu’on réclamait alors
auraient renchéri le prix des denrées et auraient procuré à l’industrie
agricole la protection qu’elle méritait ; on assurait aussi qu’elles ne
pouvaient porter aucun préjudice à la navigation et au commerce des grains que,
depuis 1821, nous avions si laborieusement conquis sur
Il y a cependant cette différence entre les
allégations d’alors et celle d’aujourd’hui qu’on reconnaît maintenant que
l’adoption du projet de loi en discussion n’exercera aucune influence sur le
prix des céréales ; mais alors pourquoi l’adopter ? Pourquoi ne pas la
repousser comme inutile et intempestive, puisqu’elle l’est en effet ?
D’après le dernier relevé général des
mercuriales du continent d’Europe et d’Amérique pendant le premier trimestre de
cette année, l’hectolitre de froment se vendait :
A Odessa, le 14 avril, fr. 11 79
A Liverpool, le 18 avril, fr. 25 74
A Rotterdam, le 15 avril, fr. 14 70
A Dantzig, le 15 avril, fr. 11 04
A Hambourg, le 15 avril, fr. 10 08
A Bilbao, le 1er mai, fr. 14 69
En France, le 15 avril, fr. 15 05
Ces prix, d’après les renseignements que je
viens de recevoir, sont encore à peu près les mêmes aujourd’hui.
Or, comme le terme moyen du prix du froment a
été constamment à 14 fr. pendant la même période, il en est résulté que le Nord
et la petite Baltique n’ont pu rien nous importer, puisque les frets et les
droits auraient absorbé les bénéfices, et que d’un autre côté nous n’avons rien
pu exporter, puisque la marge que présentaient nos prix, aurait également été
absorbée par les transports et les droits que nous aurions eu à payer à
l’étranger.
Les prix que je viens de citer prouvent encore
deux grandes choses sur lesquelles j’appelle toute votre attention : la
première, c’est que le pauvre et l’artisan français et anglais paient le pain
qui les nourrit, grâce au système établi chez eux, 25, 50 et 100 p. c. plus
cher que le nôtre, suivant la variation des prix ; la seconde, c’est que
A quoi tient cette dernière circonstance ? Aux
causes que vous a déjà signalées M. le ministre de l’intérieur ; cela tient
d’une part à la fixité du système adopté par
Privez en effet un article quelconque d’un
produit national suffisant à la consommation de son commerce d’échange,
c’est-à-dire du commerce d’importation et d’exportation ; aussitôt le prix
prend son assiette en raison des frais occasionnés pour le produit, et les bénéfices
de la hausse cessent. C’est là le mal inhérent à tout système répulsif, et ce
mal ne peut manquer de se faire sentir pour noire agriculture.
A entendre les plaintes par lesquelles on
cherche à vous émouvoir en faveur d’une loi répulsive sur les céréales
étrangères, on dirait, messieurs, que le ciel dans sa colère nous a accablés
des plus grandes calamités, et que jamais les prix des grains ne sont descendus
aussi bas ; mais on oublie que ces prix n’offrent rien d’extraordinaire puisque
pendant presque tout le cours du siècle dernier, c’est-à-dire, pendant toute la
période de 1700 jusqu’en 1760, le froment a été constamment vendu sur notre
principal marché, celui de Louvain, à 1 fl. et I fl. 10 par halster,
ce qui revient à peu près à 4 fr. 10 ou 8 fr. l’hectolitre, et non pas à 11 fr.
comme on l’a dit.
M. d’Hoffschmidt. - A cette époque la valeur de
l’argent n’était point ce qu’elle est aujourd’hui.
M. Smits. -
C’est vrai : il n’y a point de comparaison à faire sous ce rapport entre le
siècle dernier et l’époque actuelle. Mais on doit aussi ne pas perdre de vue
que les bénéfices sur les autres produits de l’agriculture, tels que les
légumes, les fourrages, le lait, le beurre, sont augmentes par suite même de
l’extension des besoins ; que beaucoup d’objets devenus nécessaires à la vie
tels que les sucres, les cafés, et autres denrées, ont considérablement baissé
de prix et qu’enfin les objets d’habillement et d’entretien ainsi que les
outils sont devenus moins coûteux par le perfectionnement du travail. Si donc
l’on compare ces faits avec ceux du 18ème siècle, et qu’on fasse attention
encore que la moyenne du prix pour le froment a été pendant les dix dernières
années de 9 fl. ou 18 fr., ou trouvera que le désavantage n’est point pour
l’époque actuelle.
Les craintes constamment amenées par les
événements extraordinaires dont notre époque a été le théâtre, ainsi que
l’augmentation des richesses produite dans ces derniers temps par le commerce
régulier et le commerce des fonds publics, ont dû nécessairement faire refluer
beaucoup de capitaux vers les propriétés rurales. La valeur de celles-ci a dû
nécessairement s’en ressentir, et de là est née une diminution dans le rendage, c’est-à-dire, dans le montant de la rente annuelle
qui, pour quelques propriétés, se trouve réduite à 2 1/2 et 2 p. c.
On conçoit dès lors que le propriétaie
doit nourrir le désir d’augmenter la rente par le renchérissement des produits,
sans lequel le cultivateur ne saurait s’assujettir à donner un plus fort loyer
des terres qu’il exploite ; mais ce calcul de l’intérêt privé, quoique très
légitime, la législature doit-elle le favoriser ? On ne le pense pas ; car le
propriétaire a connu la somme de la rente avant son achat ; il a su que le
fermier ne pouvait payer qu’en raison des bénéfices ordinaires des produits, et
il doit conséquemment s’en contenter, d’autant plus que l’augmentation des
loyers est souvent défavorable à l’agriculture, attendu qu’elle décourage
l’agriculteur alors que les bénéfices opérés pendant son bail précédent, et qui
ont été les motifs de l’augmentation, viennent à cesser par suite d’une baisse
dans la valeur des produits.
Mais, dit-on, il est cependant reconnu que
l’agriculture nationale n’est pas suffisamment protégée contre l’agriculture
étrangère, et c’est cette protection que nous réclamons parce qu’il est juste
qu’une industrie ne soit pas plus avantagée que l’autre.
Examinons :
Dans une année commune nos fermiers doivent
obtenir les prix suivants :
Du froment, 18 fr. par hectolitre.
Du seigle, 6 fr.
De l’orge, 5 fr.
Du sarrasin, 4 fr.
De l’avoine, 2 fr. 50 c.
Or, comme les droits actuels sont, par 1000
kilog.
De froment, de fr. 11, 25, soit 98 c. par
hectolitre
De seigle, fr. 7,50, soit 59 c.
D’orge, fr. 6,50, soit 44 c.
De sarrasin, fr. 5,00, soit 37 c.
D’avoine, fr. 3,18, soit 26 c.
Il en résulte que d’après les prix susdits les
droits d’entrée sont sur le froment équivalents à 11 p. c.,
sur le seigle à 10 p. c., sur l’orge 9 p. c., sur le sarrasin à 9 p. c., et sur
les avoines également 9 p. c.
Voilà, messieurs, la protection de notre
agriculture contre l’agriculture hollandaise, française et anglaise ; et,
certes, on ne prétendra pas que nous ayons beaucoup à redouter de leur
concurrence.
Maintenant, voyons quelle est cette protection
contre le Oldenbourg et le Danemarck. Les froments,
seigles et orges qui nous arrivent de ces pays, valent ordinairement dans nos
marelles, en moins que les produits du pays, savoir :
Le froment, fr. 1,25
Le seigle, fr. 0,75
Les orges, fr. 0,75
Les sarrasins, fr. 1,00.
Or, comme les frets et assurances s’élèvent
ordinairement dans une bonne saison, pour les céréales expédiées de ces pays
sur nos entrepôts,
à 86 cents pour le froment,
74 pour le seigle.
70 pour l’orge.
74 pour le sarrasin.
65 pour l’avoine.
Il en résulte encore une fois que la protection
que nous avons contre ces derniers pays est de
33 p. c. pour le froment.
34 p. c. pour le seigle.
37 p. c. pour l’orge.
52 p. c. pour le sarrasin.
35 p. c. pour les avoines.
Si l’on ajoute ensuite à cette protection les
frais que les cultivateurs de l’Oost-Frise, du
Oldenbourg et du Danemarck doivent faire pour amener
leurs grains dans les ports de mer, les commissions, les courtages et la
main-d’œuvre qu’ils ont à payer, frais qu’on peut estimer à au moins 10 p. c.,
on trouvera que les droits protecteurs susdits s’élèvent de 44 à 62 p. c.
Vous voyez, messieurs, que nous sommes bien
loin encore du système de la liberté illimitée dont personne ne veut, et qui
véritablement n’est qu’un fantôme dont on s’effraie à tort.
Je m’étais encore livré à d’autres calculs pour
démontrer que, dans une année d’abondantes récoltes qui provoque la baisse des
prix, le fermier reçoit même une somme de bénéfices plus forte que dans une
année de récoltes médiocres, alors que les prix sont ordinairement plus élevés
; et l’on conçoit en effet que si, sur une superficie donnée, on récolte 130
hectolitres de froment dans une année d’abondance, et qu’on les vende au prix
actuel de 14 francs, le cultivateur obtiendra une plus forte somme que si on ne
récoltait que 100 hectolitres dans une année ordinaire et qu’il les vendît au
prix de 18 francs qui est le terme moyen des dix dernières années ; mais,
messieurs, comme la presse périodique a déjà publié des calculs semblables, je
me dispenserai de les rappeler. Seulement, je saisirai cette occasion pour vous
faire voir combien les alarmes qu’on a jetées à l’occasion de la seule
importation des 10,161 hectolitres de froment et 1,593 dc
seigle faite en 1831 par
En effet, messieurs, tous les calculs
statistiques établissent que la consommation de
Vous voyez, messieurs, que quand on réduit
ainsi les choses à leurs véritables proportions, elles perdent beaucoup de
l’importance qu’on a voulu leur donner.
L’honorable M. Eloy de Burdinne vous a dit
aussi dans son discours d’ouverture que l’Angleterre ne produit que le 1/3 des
céréales nécessaires à sa consommation, et
M. Eloy de
Burdinne. - C’est une erreur d’impression.
M. Smits. -
C’est différent, sans cela j’aurais fait remarquer que les navires employés au
transport des céréales ne peuvent charger, l’un parmi l’autre, que 1,500 lasts, et qu’il faudrait conséquemment 45,000 navires pour
transporter seulement les céréales dont
Quoi qu’il en soit des importations dont je
parlais tantôt, je dis que s’il y a aujourd’hui un trop-plein et que ce
trop-plein soit cause, comme ce n’est pas douteux, da la dépréciation des
céréales, c’est que l’année
L’industrie, le commerce et la navigation
doivent-elles pâtir de cette imprudence ? ne serait-ce
pas d’ailleurs agir inconsidérément que de prendre le prix actuel des céréales pour
motif d’une majoration, alors, messieurs, que le prix des 10 dernières années
répond pour le froment à une moyenne de 18 fr. par hectolitre ?
S’il est de 13 fr. aujourd’hui, c’est une de
ces vicissitudes inhérentes à tous les genres d’industrie ; mais ce n’est pas
un motif, je le répète, pour frapper de nouveau le principal aliment du peuple,
et pour anéantir entièrement le commerce des grains ; car, soit qu’on adopte le
tarif de M. Eloy, soit qu’on adopte celui de la section centrale, cet
anéantissement est également inévitable puisque le premier, en graduant les
droits d’entrée d’après les mercuriales, empêche toutes les spéculations, et
que le second, en fixant un maximum et un minimum, rend également le commerce
impossible et même une disette très probable.
Supposons, messieurs, une opération. Le prix
des grains est ici 18 fr. ; le propriétaire du Nord y voit une marge suffisante
pour nous expédier une cargaison sur laquelle il recevra par à compte le 1/4 ou
la 1/2 de la valeur ; le navire fait voile ; mais, arrivé en Belgique, la
mercuriale des prix est diminuée et la quotité des droits est augmentée ; en
d’autres termes la valeur de la marchandise a baissé, et les droits qui la
frappent se sont élevés.
Ainsi d’une part l’opération est devenue mauvaise
par la dépréciation de la valeur de la denrée, et de l’autre on force encore
l’expéditeur à payer des droits sur lesquels il n’avait pu raisonnablement
compter.
Vous le voyez, messieurs, ce seul exemple
prouve à l’évidence qu’avec le système de M. Eloy de Burdinne le commerce est
presque impraticable, et qu’avec celui de la section centrale, auquel
l’honorable membre s’est rallié, il est impossible ; car si celui-ci ne
présente pas les inconvénients de la variation presque journalière des droits,
il présente l’inconvénient bien plus grave encore du minimum, attendu qu’il
frappe de prohibition l’entrée des grains étrangers alors que la mercuriale du
pays est descendue à 15 fr. l’hectolitre pour le froment et à 8 fr.
l’hectolitre pour le seigle, de sorte qu’une cargaison qui serait expédiée
lorsque les prix étaient encore à 15 ou 14 fr. pourrait se trouver repoussée en
arrivant dans nos ports.
Vous concevrez, messieurs, que personne, pas un
seul négociant, ne voudra s’exposer à ces éventualités continuelles, et que
conséquemment le commerce cessera entièrement.
M. A. Rodenbach.
- Mais on aura les entrepôts et le transit.
M. Smits. - Oui,
nous aurons des entrepôts et le transit ; oui, on pourra toujours entreposer,
transiter ou réexporter ; du moins la loi le dit : mais lorsque les grains sont
à bas prix en Belgique, ils le sont également en France, en Hollande, en Prusse
et en Angleterre, attendu que les climats sont à peu près les mêmes ; et que
lorsqu’il y a abondance chez nous, il y a également abondance chez eux. Eh
bien, je le demande, dans ce cas où transitera-t-on ? Nulle part puisqu’il n’y
a pas d’issues, et les grains devant conséquemment se réexporter vers des pays
lointains ou rester en entrepôt, il faudra bien que la valeur s’anéantisse,
soit par les avaries et les charançons, comme on l’a dit, soit par les doubles
frets, les frais d’entreposage et les manipulations.
Je m’expliquerai plus tard sur le maximum ;
mais je ferai remarquer en attendant que ce système de maximum et de minimum
avait aussi eté proposé en 1822 aux anciens
états-généraux, et que toujours (l’honorable M. Pirson que je vois ici présent
pourra attester ce fait) les députés belges même ont reculé devant l’adoption
d’une mesure aussi défavorable pour le pays que désastreuse pour le commerce.
Ce dernier a été détruit par de pareilles
mesures en France et en Angleterre ; et il n’y a qu’à jeter les yeux sur les
mercuriales de ces pays pour juger combien ils ont été favorables aux populations
de ces royaumes.
Agirons-nous de même alors que le peu de
commerce que nous avons encore alimente notre navigation intérieure, ressource
si féconde de travail, et que c’est ce commerce, seul et puissant auxiliaire de
notre industrie, qui est aussi seul capable d’écouler l’excédant de nos
céréales ?
Le ministre de l’intérieur vous a parlé tantôt
des exportations qui se font par le commerce des grains. Eh bien, je possède un
tableau qui les indique pour le premier trimestre de cette année. Il en résulte
que, sur 38 navires, deux seulement sont partis sur lest, et que les
exportations opérées par les autres en produits nationaux, tels, que clous,
cuivre, fer, mercerie, meubles, cristaux, sucres raffinés, tissus, houblon,
etc., ont excédé la valeur des importations à Anvers de fr. 688,825, à Gand de
fr. 156,026 et à Bruxelles de fr. 91,798. Conséquemment à une somme totale de
fr. 836,650. Et cela pendant trois mois et avec quelques bâtiments
insignifiants.
J’appelle, messieurs, sur ce fait l’attention
de MM. les députés des Flandres, du Brabant, de Namur, de Liége et du Hainaut ;
il doit leur prouver que si la navigation pour le commerce des céréales était
plus vivace, l’exportation des produits de leurs provinces pourrait devenir
plus considérable, et que vouloir maintenant encore, sans profit pour
l’agriculture (car si je voyais ce profit, je voterais pour la loi), éloigner
la faible navigation qui nous reste, c’est priver, l’industrie et l’agriculture
nationale même d’une ressource précieuse, et préparer à la première une crise
qui ne saurait manquer de se présenter.
Des
renseignements que je viens d’avoir l’honneur de vous donner, vous aurez pu
également tirer la conséquence, messieurs, que ce n’est seulement pas une
question d’intérêt commercial proprement dit, mais également une question
d’industrie qu’il s’agit de décider ; mais ne perdez pas de vue que quand on
aura éloigné le commerce et la navigation par les droits différentiels qu’on
vous propose, et qu’on aura renchéri la nourriture du pauvre et de l’ouvrier
(si toutefois la loi exerce quelque influence), il faudra bien aussi accorder
de nouvelles protections aux fabriques, car tout se tient, messieurs, dans le
monde économique. Ainsi, quand l’artisan devra payer son pain plus cher, il
réclamera une augmentation de salaire ; cette augmentation augmentera les frais
du travail et conséquemment le prix de revient des produits : ces produits, ne
pouvant plus par là concourir sur les marchés étrangers ou intérieurs,
réclameront, comme je l’ai dit, de nouvelles protections qui, à leur tour,
viendront de nouveau aggraver la position du consommateur.
Messieurs, j’avais encore beaucoup d’autres
considérations à vous soumettre ; mais comme la plupart d’entre elles viennent
de vous être présentées par M. le ministre de l’intérieur, et que je ne veux
pas abuser des moments de la chambre, je terminerai par une réflexion qui
déterminera mon vote négatif, celle, messieurs, que c’est un principe
fondamental en économie sociale que tous les bénéfices d’un pays reviennent à
la propriété, et que tout ce qui nuit à ces bénéfices produits par le travail
de l’ouvrier, les capitaux de l’industriel, du négociant et du capitaliste,
tourne indirectement contre la propriété même, et conséquemment aussi contre
l’agriculture.
M. Angillis.
- Dans son exorde, M. le ministre de l’intérieur s’est plaint de la
précipitation que la chambre a mise à discuter le projet en délibération, sans
entourée de toutes les lumières capables d’éclairer la question ; il aurait
désiré que l’on fît une enquête. Mais, messieurs, voilà six mois que le projet
est connu du public, et cependant jusqu’à ce jour aucune réclamation contre ce
projet n’est parvenue à la chambre. Mais cette question n’est pas neuve en
Belgique : elle fut provoquée devant les états-généraux par de nombreuses
réclamations ; elle fit naître un nombre considérable d’écrits, où elle fut
examinée et analysée dans ses causes les plus intimes ; et c’est après une
investigation qui a duré deux années qu’elle a été si solennellement discutée
et résolue. L’opinion de la majorité des états-généraux fut pour l’adoption
d’un tarif, et cette opinion règlera mon vote dans cette discussion.
M. le ministre dit encore que les députés des
Flandres ont déjà obtenu, par la loi sur les distilleries, un grand
encouragement pour leur agriculture. Il ne s’agit pas ici des députés des
Flandres, ce ne sont pas eux qui ont proposé le projet. A la vérité
quelques-uns de ces députés s’y sont ralliés parce que le projet est dans l’intérêt
de l’agriculture, et que dans les Flandres on pense toujours, malgré la théorie
de nos soi-disant économistes, que les nations qui ne sont que maritimes ou
commerçantes ont bien les fruits du commerce, mais que l’arbre en appartient
aux peuples agricoles ; et que l’agriculture est la première et la véritable
richesse d’un Etat. Je dis que quelques députés des Flandres se sont prononcés
pour le projet, car vous avez entendu le discours de M. de Foere qui a été
contre le projet, et où les propriétaires fonciers sont traités un peu
cavalièrement ; M. Devaux, qui est aussi député de
Quant à la loi sur les distilleries, je ne
crois pas que l’agriculture ait été son but ; on a voulu réprimer la fraude en
diminuant les droits, on a voulu aussi encourager cette branche d’industrie
nationale : si l’agriculture en profite indirectement, ce léger profit, cet
avantage n’a pas été l’objet principal de la loi ; et si on met cette haute
faveur dont on parle à côté des centimes additionnels ajoutés à la contribution
foncière, elle se réduit à zéro.
Le premier orateur qui a parlé contre le projet
a dit que c’est toujours à l’improviste que l’on propose des lois pour modifier
notre tarif de douanes, sans qu’antérieurement la chambre ait posé et assis un
seul principe.
Messieurs, je ne connais pas de principe
exclusif en matière de douanes. Chaque article du tarif est une loi spéciale,
une loi à part qui n’est pas nécessairement liée avec celles qui précédera et
celles qui suivent : ce sont des lois qui n’ont pas la durée pour condition
essentielle ; elles sont basées sur le besoin de l’industrie ; elles sont
restrictives ou libérales, selon l’intérêt de quelques branches de la
prospérité nationale, et surtout selon la disposition de nos voisins ; toutes
ces lois se modifient selon les circonstances. On peut donc fort bien
introduire dans notre tarif des changements partiels sans être réduit à une
révision générale.
M. de Foere a soutenu que les propriétaires ont
constamment augmenté les baux des propriétés foncières. Cette allégation,
messieurs, est inexacte ; depuis vingt ans les baux n’ont presque pas varié, et
tous ceux qui ont été augmentés en 1817 ont été réduits à leur ancien prix
après leur expiration.
M. le ministre insiste pour avoir un système
libéral de douanes. Messieurs, je suis de son avis, mais il faut nous entendre
sur ce point. Sous l’ancien gouvernement on a voulu abaisser les barrières qui
isolent presque tous les Etats en proclamant une grande liberté de commerce ;
mais on n’a pas répondu à notre appel, aucun de nos voisins ne nous a imités.
Au contraire, l’expérience nous a appris que
nous devons mettre à notre libéralité une condition qui en excite chez les
autres les sentiments et les libéralités réciproques ; la simple raison nous
dit que nous devons ménager à nos habitants, chez les étrangers, les droits que
nous accorderons chez nous à ceux-ci. En agir autrement, ce serait, d’un côté,
mettre le bienfait, de l’autre, l’ingratitude : ce serait livrer le territoire
belge à ceux qui nous excluraient du partage de leurs marchés ; ce serait
accorder en Belgique une prime à l’industrie de nos voisins, et accabler la
nôtre d’entraves. La réciprocité, au contraire, ralliera graduellement tous les
peuples vers le terme que les hommes sages désirent atteindre ; ils donneront
pour obtenir. Voilà la clause des premiers contrats qui se firent entre les
hommes ; voilà le point de réunion de tous les intérêts passés, présents et
futurs.
Des exemples récents viennent de répandre un
grand jour sur cette vérité. L’Angleterre, la prohibitive Angleterre, a déjà
beaucoup modifié son système exclusif. Avec le temps, la liberté raisonnée du
commerce sera le résultat de l’action contenue du ressort qui tend à détruire
toutes les entraves.
Mais, en attendant que nos voisins changent de
système à notre égard, n’immolons pas les intérêts de notre propre famille à
ceux d’une famille étrangère : il est une bienveillance au-dessus de cette
bienveillance générale qui embrasse le genre humain ; c’est celle que nous
devons à notre patrie, à nos concitoyens. Selon MM. Meeus et de Foere, c’est à
peu près la faute des cultivateurs s’ils sont maintenant forcés de vendre leurs
grains à vil prix. Nos cultivateurs, disent-ils, sont dans l’aisance ; ils
gardent leurs grains pendant deux et trois ans : s’ils avaient vendu depuis
longtemps, ils en auraient été débarrassés.
Messieurs, il y a là autant d’erreurs que de
mots : d’abord, en Flandre, les cultivateurs ne sont pas dans l’aisance ; et je
cite ici les Flandres, parce que en fait d’agriculture ce pays fait la règle.
En Flandre, à l’exception d’un endroit que l’on nomme Furnes-Ambacht,
les cultivateurs vendent leurs grains par partie chaque semaine sur un ou deux
marchés. On conçoit qu’on ne peut pas vendre tout à la fois, parce qu’il y aurait
folie et impossibilité : ils vendent donc pendant toute l’année. Le cultivateur
ne ressemble point à un négociant qui calcule ses frais et ses gains pour les
retrouver dans ses ventes : il cultive, parce que la terre est plutôt l’emploi
de sa vie que le moyen de sa fortune : loin de garder sa récolte pendant des
années, il doit la vendre sans pouvoir calculer ni ce qu’il gagne, ni ce qu’il
perd. Trop heureux de s’en défaire pour payer les impôts et les fermages, il
est à la discrétion de l’acheteur.
Nos cultivateurs, pour ne pas être dans
l’aisance, ne sont cependant pas absolument pauvres ; et pourquoi ? Parce que
la pauvreté s’arrêtera longtemps devant la porte de la maison de l’homme actif
et sobre avant d’y entrer. Mais leur situation est en ce moment digne de fixer
l’attention de l’homme d’Etat. Plusieurs sont dans l’impossibilité de payer
leurs fermages, qu’ils doivent depuis trois, quatre et cinq ans. A cela, MM.
Meeus et de Foere trouvent un moyen très simple, mais un peu tranchant. C’est,
disent-ils, qu’il faut diminuer les fermages. Ce moyen, messieurs, tout
philosophique, tout philanthropique qu’il soit, présente cependant quelques
petits inconvénients ; je me permettrai de les citer.
D’abord, la contribution foncière est basée sur
la haute valeur du produit de la terre ; en diminuant les fermages, l’impôt
foncier sera hors de toute proportion avec la rente de la terre, et alors il
faudrait réduire l’impôt pour le mettre en harmonie avec cette rente : je
demanderai à ces messieurs quels moyens ils indiqueront pour indemniser le
trésor de la diminution de l’impôt foncier. Peut-être ne voudraient-ils pas
diminuer l’impôt foncier, mais alors il y aura une injustice criante ; car si,
dans l’achat j’ai dû calculer l’impôt, j’ai dû aussi calculer le revenu, et si
vous me forcez à diminuer mon revenu qui est la base de votre impôt, vous
devez, pour être juste, diminuer la contribution foncière, autrement elle ne
sera plus en rapport avec sa base. Mais ce n’est pas tout ; l’honorable membre
qui connaît si bien la valeur des produis annuels de nos terres, ne connaît
peut-être pas avec le capital de la rente hypothéquée sur la fortune foncière :
ce capital est énorme, messieurs, et la moitié de toutes ces rentes anciennes
et nouvelles paie un intérêt le 5 p.c. tandis que le propriétaire ne loue
communément qu’à 3 p. c. Pour établir une proportion dans tout le système, il
faudrait également engager les rentiers à diminuer l’intérêt de la rente
hypothéquée. Il y a encore quelque chose, le propriétaire foncier qui diminuera
le prix des baux, sera forcé de diminuer ses dépenses ; il retranchera d’abord
les dépenses du luxe : de là perte pour les arts et l’industrie. Il renverra
une partie de ses domestiques ; au lieu de faire travailler en grand, il fera
peut-être comme les propriétaires des maisons pillées à Bruxelles, il laissera
les propriétés dans un état de dégradation : de là perte pour tout le monde.
Il ne suffit pas à l’ouvrier que le pain soit à
bas prix, il faut encore qu’il trouve assez de travail pour pouvoir acheter le
pain et les autres objets qui lui sont nécessaires ; et si vous mettez les
propriétaires dans l’impossibilité de pouvoir faire travailler, qui sont ceux
qui donneront du travail au peuple ?
C’est un principe incontestable que
le bonheur des ouvriers dépend surtout de la proportion qui s’établit entre
leur nombre, la masse des travaux à exécuter et les denrées alimentaires ; par
conséquent toutes les hypothèses dans lesquelles cette proportion n’est pas
mise en ligue de compte, portent sur une base fausse.
Et remarquez, messieurs, quelle différence de
position entre le propriétaire foncier qui paie un impôt énorme à l’Etat, qui
ne retire de son bien qu’un revenu de 2 à 3 p. c., et qui demeure chargé de
toutes les réparations et frais d’entretien et de conservation, et le
capitaliste dont la fortune est en portefeuille, qui ne paie rien à l’Etat, et
qui, s’il est un peu adroit comme cela arrive ordinairement, peut obtenir un
revenu de 6 à 20 p. c. Et pour prix de tous les sacrifices que la propriété
foncière n’a cessé de faire, on voudrait l’écraser sous le poids des impôts et
lui refuser tout secours ! Je dis donc avec M. Eloy de Burdinne que c’est trop
fort.
M. Meeus. - Messieurs, avant de réfuter les orateurs qui ont répondu hier et
aujourd’hui aux paroles que j’ai prononcées dans une séance précédente, je
commencerai par répondre à ce que vient de dire l’honorable M. Angillis. Ce que j’ai trouvé de
plus spécieux dans ses paroles, c’est la conclusion qu’il tire de ce que le
propriétaire foncier paie à l’Etat une contribution sur ses propriétés, et de
ce que plusieurs propriétés se trouvaient chargées de rentes hypothéquées.
L’honorable orateur vous dit que forcer le propriétaire à diminuer les baux,
faute de protection à l’agriculture, sans diminuer la contribution foncière,
c’est faire une injustice. En vérité, où en sommes-nous, si sur les faits les
plus simples nous entendons faire de semblables comparaisons ?
Qu’a de commun la contribution foncière avec le
revenu de la terre ? Depuis le mois de novembre 1790, si ma mémoire est fidèle,
où la contribution foncière fut décrétée par l’assemblée constituante, depuis
cette époque, dis-je, plus des trois quarts des biens en Belgique ont passé
dans de nouvelles mains.
Or, je vous demande si, quand vous achetez une
terre, vous faites attention à autre chose qu’au revenu que paie le fermier ?
Est-il jamais venu à la pensée de l’acheteur de faire le calcul suivant : Cette
terre rapporte par le fermier 60 francs, mais il paiera à ma décharge 10 francs
au trésor public, donc la terre me rapportera 70 francs ; je capitalise sur
cette donnée à raison de tant pour cent.
Jamais cela n’est venu à la pensée de personne.
Si une terre est chargée d’une rente, vous la payez d’autant moins.
Qu’est-ce que cette rente a de commun avec le
revenu ? Absolument rien, puisque vous n’avez payé qu’à raison du revenu que
vous produira le bien que vous achetez ? Vous n’avez pas établi dans le calcul
de votre revenu la contribution foncière ? Non, et par une raison fort simple,
c’est que vous ne vous êtes pas attendu et que vous ne pouviez pas vous
attendre à ce que la contribution foncière fût changée ; vous l’avez regardée
comme une véritable rente hypothéquée à l’Etat, vous n’avez calculé le prix
d’achat que sur le revenu qu’allait rendre le fermier, soit qu’après le bail
existant le fermage dût être diminué ou augmenté.
Cela est vrai, messieurs, je le répète, pour
les trois quarts, je pourrais dire pour les sept huitièmes des propriétés
foncières en Belgique, qui ont changé de mains depuis 1790. Que ceux qui ont
des terres qu’ils possédaient avant cette époque se plaignent du décret de
l’assemblée constituante, je le veux bien ; mais il n’en est pas moins certain
qu’il est presque vrai de dire que la terre est frappée d’une hypothèque en
faveur de l’Etat. C’est pour cela que tous les hommes qui, en France comme en
Belgique, ont étudié les lois cadastrales ont élevé des doutes sur la question
de savoir s’il était bien juste de diminuer la contribution foncière dans
certaines provinces, certaines localités, qui se plaignent d’être surchargées ;
et ils se basaient sur cette raison que le propriétaire avait acheté la
propriété grevée de cette charge. Je ne veux pas m’étendre davantage sur cette
matière.
Bien que des hommes de talent aient soutenu
cette thèse, je ne viens pas l’épouser pour le moment. Mais vous comprendrez,
après les réflexions que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, que les
arguments lancés ici par l’honorable préopinant ne sont d’aucune valeur.
Messieurs, en commençant à énoncer mon opinion
dans une séance précédente, j’ai insisté surtout pour que la chambre, avant de
continuer à déchirer ainsi le tarif des douanes existant, posât le véritable
principe en économie sociale, principe basé sur la justice et la raison. J’ai
eu l’honneur de vous dire que toute nation qui s’écarterait d’une règle fixe
tomberait dans les erreurs où sont tombées
Eh bien, dans peu de temps, on viendra vous
dire que le taux de 13 francs fixé par votre loi ne suffit plus, qu’il faut
qu’il soit élevé à 18 fr. par exemple : ce n’est pas tout ; comme cette
élévation aura été également inefficace, on viendra vous dire : « Nous n’avons
pas réfléchi qu’il est d’autres céréales à imposer que le froment et le seigle.
Nous voyons arriver dans les ports d’Ostende et d’Anvers des cargaisons de
graines de lin, de colza, de chanvre, etc., etc., que nous envoient le pacha
d’Egypte,
Mais l’on ne s’arrêtera pas en aussi bon
chemin. On remarquera qu’il arrive dans nos ports des huiles de baleine qui
servent à nos savonneries, des huiles de Gallipoli. Ces méchants fabricants de Verviers, par exemple, poussent le manque de
patriotisme jusqu’à faire usage de cette huile de Gallipoli qui nous vient de
Ce n’est pas tout encore. Les propriétaires de
bois paient des contributions énormes. Les lois sont injustes à leur égard,
vous dira-t-on. Presque partout l’hectare de bois est taxé sur le pied d’un
hectare de terre cultivée, comme s’il rapportait un revenu égal au prix d’une
récolte de froment dans le même espace donné. Il faut absolument une protection
en faveur des propriétaires de bois. Vous laissez arriver des cargaisons
entières de bois de construction qui viennent de
Lorsque vous aurez établi des droits sur toutes
les marchandises qui nous viennent de l’étranger, lorsque vous aurez protégé
l’industrie agricole et toutes les industries qui viendront vous réclamer une
égale protection, le prix de la main-d’œuvre augmentant, vous ne pourrez plus
livrer vos produits qu’à des prix plus élevés que chez les nations voisines.
Indépendamment de ces désavantages qui vous placeront dans la situation où se
trouve
Ce sont là des vérités dont tout le monde
aujourd’hui reconnaît la justesse. Consultez en France les hommes spéciaux, les
hommes les plus avancés en économie sociale, et qui sont même très haut placés
auprès du gouvernement ; ils vous diront tous : Nous savons bien que notre
système est vicieux. Nous voudrions bien le changer. Mais pouvons-nous en un
jour proposer l’adoption d’une marche plus libérale, plus conforme aux libertés
commerciales que réclament les peuples au 19ème siècle, à une chambre composée
en majorité de propriétaires fonciers, de propriétaires d’usines et de
hauts-fourneaux, etc., où se résument tous les intérêts du système prohibitif ?
Nous serions infailliblement repoussés. Nous ne pouvons sortir de l’ornière où
nous sommes engagés qu’à la longue. Nous tâchons tous les ans d’obtenir des
concessions plus libérales.
On a, messieurs, opposé l’exemple de
l’Angleterre, qui n’est pas d’ailleurs dans la même position que
Il en est en outre cent millions qui subissent
les conditions qu’il veut leur imposer pour les articles de consommation. Je
conçois qu’il a été possible à l’Angleterre d’établir des droits énormes sur la
consommation intérieure. Il y a eu dans cette manière de procéder l’application
d’un principe faux, mais qui a pu réellement porter quelques fruits. Mais il ne
faut pas se dissimuler que l’Angleterre gémit
elle-même de l’adoption d’un système dont elle reconnaît les vices. Il ne faut
pas se dissimuler non plus qu’elle est dominée par l’intérêt particulier, par
l’aristocratie qui possède toutes les terres et qui siège à la chambre des
lords. Et cependant elle finira peut-être par changer son système avant
Les réflexions que je viens de faire répondent
en partie à bien des objections, Je désirais y mettre plus d’ordre, apporter
plus d’examen ; mais, entraîné par la chaleur de l’improvisation, les
réfutations me sont échappées plus vite que je ne l’aurais voulu.
Je répondrai cependant à quelques parties du
discours de M. d’Huart. Selon cet honorable membre, le peuple comme il faut
l’entendre, c’est le peuple des campagnes. Puis, s’appuyant de chiffres dont je
ne contesterai pas l’autorité, il nous dit que les trois quarts de la
population du royaume habitent les campagnes ; que l’autre quart seulement
reste dans les villes. Je ne sais où M. d’Huart a puisé ces documents, mais je
lui demanderai si par cela seul qu’on habite la campagne, l’on doit être
considéré comme cultivateur. Si je me souviens bien des tableaux statistiques
faits sous l’ancien gouvernement, et du reste assez mal faits, on établissait
qu’il y avait en Belgique 130 à 140 mille familles de cultivateurs. Le reste
des habitants des campagnes est employé en partie par les cultivateurs et
s’occupe des travaux de la culture des terres, ce qui a lieu surtout dans les
pays de grande exploitation.
Pour les domestiques qui travaillent dans les
fermes, peu importe, direz-vous, le prix des grains. Mais. messieurs,
lorsque le fermier vend son froment 15 ou 20 fr., il a soin de ne nourrir alors
ses domestiques qu’avec du seigle. Je répète, messieurs, ce que j’ai dit dans
une autre séance, il ne faut pas sans motifs puissants détériorer la condition
de celui qui a peu, de celui qui a droit à toute la protection de la société ;
car le travail de l’ouvrier est utile à toute la société, tandis que le
propriétaire, comme propriétaire, est un être inutile à la société. Moi aussi
tous ici nous sommes propriétaires ; mais je vous prie, dites-moi ce que comme
propriétaires nous faisons d’utile pour la société ? Nous nous donnons la peine
de recevoir nos revenus, et nous usons un peu de papier pour faire des
quittances.
Une autre partie de la population des campagnes
est employée aux usines, soit à l’exploitation des mines de houille, soit à
celle des mines de fer, à l’exploitation de nos nombreuses carrières, etc.,
etc. En. Belgique, M. d’Huart l’ignore peut-être, nous avons plus de fabriques
situées dans les campagnes que dans les villes. Une autre partie encore de la
population des campagnes vient chercher de l’ouvrage dans les villes. S’agit-il
de percer une route, de creuser un canal : d’où viennent les ouvriers ? ils accourent de toutes nos provinces, du Luxembourg, de
Liége, du Hainaut.
Le peuple, messieurs, se compose de tous les
citoyens ; mais parmi ces citoyens il en est qui ont droit à plus d’égards que
d’autres de la part du législateur : C’est cette partie qui n’est jamais
représentée dans les assemblées qui font les lois ; c’est cette part qui
travaille pour les autres.
Ce que je dis là n’est pas pour faire de la
popularité ; vous savez que je n’aime pas la popularité.
L’honorable M. d’Huart, qui a ordinairement une
logique fort serrée et qui ne répond pas par des subtilités, m’a cependant fait
dire, pour me combattre, ce que je n’ai pas dit ; il n’a pas voulu me
comprendre. Il m’a fait dire : « Mais l’Angleterre ne produit pas les
céréales qui lui sont nécessaires.. »
M. d’Huart. - Lisez le Moniteur.
M. Meeus. - Eh bien, je vais lire le Moniteur.
Remarquez d’abord, messieurs, que j’avais émis cette assertion que les blés
étrangers ne nous nuisaient en rien. J’allais vous le prouver, mais je n’ai pas
pu terminer ma réflexion parce que la pétulance de M. Eloy de Burdinne m’en a
empêché.
Ma période est dans le Moniteur ; quoiqu’elle ne soit pas très bien rendue, elle est à peu
près celle que j’ai dite.
Dans les prémisses de mon discours j’avais
établi qu’il ne fallait pas imposer la majorité au profit de la minorité. A
l’endroit dont il s’agit, le Moniteur
rend ainsi ma pensée :
« Les grains étrangers ne nous nuisent en
rien. L’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que
Là j’ai été interrompu, mais, allais-je ajouter
: « Ce qui est inconcevable, c’est qu’une nation qui produit plus de
grains qu’elle ne peut en consommer, qui doit vendre son excédant à l’étranger,
impose les grains étrangers. »
Si cela vous parait un paradoxe, écoutez
quelques minutes.
Un peuple comme un négociant qui a plus de
marchandises qu’il n’en peut garder, il faut qu’il les vende : à qui ? aux nations qui veulent acheter et pour les vendre, il faut
qu’il baisse ses prix au taux auquel les nations achètent. Et pour bien vendre
nos grains, il faut recourir au soin du commerce, il faut recourir aux grains
étrangers..
J’ai entendu ici très peu raisonner juste sur
le commerce des grains. Je dirai ce qu’un peu d’expérience m’a appris. Je dirai
donc que l’écoulement des grains en Belgique est dû au commerce des grains ; il
est souvent nécessaire, messieurs, de mélanger nos grains pour en obtenir à
l’étranger un écoulement facile.
Les négociants donnent aux grains qui ont trop
de poids pour
Il est trop plaisant vraiment d’ouïr dire qu’un
pays qui produit trop doit frapper les blés étrangers : mais que vous font les
blés étrangers ? Baissez vos prix et vendez par le secours du commerce. Mais si
vous voulez anéantir le commerce des blés, que ferez-vous de votre superflu ?
Le jetterez-vous dans les entrailles du Vésuve, comme le dit M. Eloy de
Burdinne ?
Messieurs, au risque de perdre vos grains, il
faut baisser vos prix au niveau des prix étrangers.
M. Eloy de
Burdinne. - C’est pour l’excédant qu’il faut baisser les prix.
M. Meeus. - Pour l’excédant, certes mais parce que l’excédant se vend à bas
prix, faut-il imposer la consommation à l’intérieur ? D’après quel principe de
justice, s’il vous plaît ?
Le cultivateur ou le propriétaire ne doit pas
garder ses grains ; et ici je n’examine pas la question dans l’intérêt
particulier, mais dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de la nation entière.
La partie de grains qui n’est pas nécessaire à
la consommation du pays est pour le moment un capital improductif qui ne sert à
rien ; vendez-les et vous obtiendrez de l’étranger des capitaux qui viendront
accroître la richesse générale. Mais pour vendre à l’étranger, il faut baisser
vos prix.
Ce sont là des principes que l’on ne peut
détruire.
« Je termine, a dit M. d’Huart, persuadé
que l’agriculture a besoin d’une protection efficace liée aux vrais intérêts du
pays ; je suis donc disposé à la lui accorder. Je ne prétends pas toutefois que
le projet qui nous est présenté soit le terme moyen le plus parfait qu’il
importe d’adopter : en consacrant le principe de la protection que j’invoque,
je suis prêt à en accueillir l’application la plus sage qui serait proposée, et
je m’empresserai de me rallier aux amendements qui me paraîtront préférables au
projet. »
Moi aussi, messieurs, je veux servir l’agriculture,
mais voici de quelle manière : allez voir, messieurs, la différence qui existe
entre les provinces parsemées, coupées de routes, puis visitez les provinces où
il existe à peine quelques routes, vous verrez quelle différence il y a dans
les produits de l’agriculture, vous verrez comment la terre, également bonne
dans les unes et les autres provinces, rend beaucoup moins là où les routes
sont moins nombreuses. Je n’ai pas besoin d’en dire les raisons, vous les
connaissez comme moi.
Messieurs, je ne raisonne pas de l’agriculture
comme un homme qui ne l’a étudiée que dans son cabinet ; j’ignore si beaucoup
de membres se sont donné la peine de parcourir plusieurs de nos provinces, non
en voiture, mais à pieds ; s’ils sont allés dans les champs interroger et
consulter les fermiers.
Pour moi, je l’ai fait dans ma jeunesse, et
encore en 1822 et en 1824. Je m’en suis donné la peine ; je dirai mieux, je
m’en suis donné le plaisir, car c’est un plaisir de causer avec le citoyen qui
donne son temps et son travail pour enrichir la société.
En 1824, dans cette année de détresse (le mot
détresse dans l’acception des auteurs du projet de loi) j’ai vu les fermiers
s’occuper à améliorer plus que jamais leurs champs ; je les ai vus lutter
contre les prix peu élevés, et chercher à obtenir une compensation dans la
grande quantité de grains.
En Flandre, même dans plusieurs
arrondissements, les terrains étaient encore, comme c’est l’usage, améliorés
par un engrais qui revenait à 40, 50 florins pour l’hectare, et cela dans un
moment où tout était à bon compte. (M. de
Muelenaere fait un geste de dénégation.)
Oui, M. de Muelenaere, il en est ainsi, et même
dans votre province les terres sont souvent arrosées avec un engrais qui
consiste en une sauce de tourteaux de colza.
J’ai vu d’après cet engrais les terres qui
avant ne rendaient que 30 à 40 rasières, en produire 60 à 70.
On a dit que si on ne protégeait les céréales,
les terres seraient moins bien cultivées ; pour moi, je ne le crois pas :
l’homme lorsqu’il voit qu’il ne peut obtenir le prix de ses sueurs, redouble
d’efforts ; il lutte contre l’adversité, il lutte pour ses intérêts, et presque
toujours il réussit. Cela explique ce qui s’est passé dans
C’est aussi pendant cette époque que le
syndicat d’amortissement a vendu une quantité considérable de bois. Eh bien,
allez voir le terrain où étaient ces bois ; on a si bien cultivé la terre
qu’elle a produit du froment au bout du 4 à 6 ans, tandis qu’autrefois, dans
les terrains défrichés, il fallait attendre 12 à 15 ans pour que la terre
produisît du froment.
Voilà, messieurs, des faits que doit
reconnaître celui qui a étudié la situation réelle du pays.
Je le répète, la production efficace à donner à
l’agriculture, c’est de faire des communications plus faciles que celles qui
existent aujourd’hui dans plusieurs de nos provinces. Que l’honorable M.
d’Huart vienne proposer dc créer des routes dans le
Luxembourg, province éminemment patriote et éminemment intéressante, car elle
peut devenir très agricole, je promets de donner mon vote à l’honorable membre.
Messieurs, il résulte, pour quiconque veut lire
sans préjugés ce que le Moniteur a
rendu de mes paroles que trois points m’ont occupé lorsque j’ai émis
premièrement mon opinion.
J’ai voulu que tout principe d’économie sociale
soit basé, comme tout principe de loi en intérêts moraux, sur la seule base
raisonnable qu’offre l’avenir, c’est-à-dire, sur la justice. C’est là la seule
bonne voie ; lorsque le législateur s’en écartera, il tombera dans les graves
inconvénients que j’ai eu l’honneur de vous signaler, il ne fera que créer des
privilèges qui appelleront à leur suite d’autres privilèges et il mettra enfin
le pays dans un embarras inextricable.
Après avoir posé le principe, j’ai établi que
si je combattais le principe de la loi, c’est parce que je craignais son
application plus dans l’avenir que dans les circonstances présentes ; j’ai dit
qu’il résultait de ce principe que l’on viendrait vous demander d’autres
exceptions pour protéger telle ou telle industrie.
Si dans une seule année la question des
céréales a été agitée 3 fois, on viendra agiter d’autres questions, soi-disant
en faveur de l’agriculture.
J’ai posé ensuite de cette assertion que la loi
telle qu’elle est, loin d’être favorable à l’agriculture, tourne contre elle,
et je l’ai déjà prouvé en établissant que les grains étrangers sont un moyen de
faire disparaître les nôtres en les livrant au commerce extérieur. J’ai dit que
le commerce des grains n’existerait plus en Belgique ; en effet, un négociant
enverra-t-il de
Mais la cargaison, supposez-le, est entrée dans
l’Escaut, et votre minimum est atteint. Que fera alors l’importateur ? Ira-t-il
ailleurs ? Mais le grain est augmenté de toute la valeur du trajet, de la
valeur du fret ; il n’y a plus moyen, il ne peut plus retourner à Amsterdam ou
à Rotterdam qu’en payant un nouveau fret qui augmentera la marchandise.
Messieurs, le négociant ne voudra point courir toutes ces chances défavorables,
et vous perdrez chez vous le commerce des grains. « Après tout, le
commerce des grains n’a jamais été d’une grande utilité, » dit M. Dumont.
M. Dumont. - Je
n’ai pas dit cela !
M. Meeus. - De quelle utilité a été le commerce des grains, alors que nous avons
eu une disette ? Voilà ce qu’a dit M.
Dumont. Je l’ai bien compris. Eh bien ! si ce
commerce n’avait pas existé, que serait-il arrivé ? Vous auriez eu une disette
bien plus forte. Qui a détruit ces accaparements odieux qu’on fait dans les
villes de province ? c’est le haut commerce, parce que
les accapareurs sont bien obligés de vendre leur blé au prix auquel le haut
commerce vient vendre les siens. Je me rappelle cette époque où les marchands
qui ne voulaient pas baisser leurs prix au taux d’Amsterdam, de Rotterdam et
d’Anvers, firent des pertes énormes.
Il n’y a que dans des villes retirées que les
accaparements sont possibles, là où il n’y a pas de vrai commerce. Il faut
faire la différence entre ceux qui veulent faire le commerce des grains à
l’intérieur et ceux qui le font dans les ports de mer.
J’avais dit dans une séance précédente que si
réellement le projet de loi atteignait le but qu’on se propose, il en serait de
cette loi, à part les vexations, ce qu’avait été la loi mouture. M. de Theux a
récriminé fortement contre cette assertion, mais il n’y a pas répondu.
Tant qu’il n’aura pas prouvé qu’avec le grain
on ne fait pas la farine, et avec la farine le pain ; qu’imposer le grain ou la
farine ce n’est pas la même chose, je dirai qu’à part les vexations, la loi qui
nous occupe, si elle a de l’efficacité, si elle amène une augmentation des
grains, sera pour le consommateur ce qu’a été la loi mouture.
Je n’occuperai pas plus longtemps les moments
de la chambre. D’ailleurs, je crois avoir, sinon épuisé cette matière, du moins
répondu aux objections les plus importantes. Les autres, s’il en est que je
n’aie qu’effleurées, se détruisent les unes par les autres.
Je termine en résumant la discussion en
quelques mots. Les défenseurs du principe de la loi prétendent qu’imposer la
consommation intérieure, c’est favoriser l’agriculture belge. Moi je réponds
que favoriser ainsi l’agriculture, c’est favoriser le propriétaire, c’est
favoriser quelques-uns au détriment de tous. J’ajoute que la richesse agricole
du pays ne se résume pas par la hauteur des prix des céréales, quant à la
consommation intérieure, mais seulement par le capital qui est le produit de
notre excédant, et que, pour vendre cet excédant, il faut de toute nécessité
établir nos prix au niveau de ceux des marchés voisins.
- La séance est levée 4 heures trois quarts.