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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 juillet 1834

(Moniteur belge n°194, du 13 juillet 1834 et Moniteur belge n°195, du 14 juillet 1834)

(Moniteur belge n°194, du 13 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Marsenin, négociant, demande que la chambre adopte dans la loi communale, une disposition qui déclare incompatible la qualité de membre d’une régence et la profession de brasseur, distillateur ou fabricant d’objets assujettis aux taxes municipales. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Cinq propriétaires de terres inondées dans les polders de Sainte-Anne et Kectenisse, adressent des observations contre le projet relatif aux indemnités. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur les indemnités.

Proposition de loi relative aux droits sur les céréales

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, dans la question importante qui nous occupe, comme dans toutes celles qui ont des rapports avec notre tarif de douanes, je ne puis m’empêcher de regretter la manière dont la chambre procède et la manière beaucoup trop prompte à mon avis avec laquelle elle discute.

La loi des céréales avait, il est vrai, été annoncée depuis un certain temps par un honorable membre, représentant du district de Waremme. Mais dans une question si importante et si étendue, dans une question qui touche à la fois à tous les intérêts les plus vitaux du pays, il aurait semblé qu’une enquête longue, détaillée, consciencieuse, réunissant le plus grand nombre de faits possible, eût été nécessaire avant la discussion.

Cette enquête, messieurs, a bien été tentée, mais on ne peut pas dire qu’elle ait atteint le but qu’on se proposait. Les chambres de commerce, les commissions d’agriculture, les députations des états, ont bien été toutes consultées, mais toutes n’ont pas répondu, et des réponses qui sont parvenues tant à la chambre qu’au gouvernement, je ne pense pas qu’il en ait pu résulter des renseignements assez complets pour former la conviction, soit du gouvernement, soit de la chambre. A cet égard donc je ne puis que regretter l’insuffisance de l’enquête que nous avons commencée.

Ce défaut de renseignements s’était déjà présenté l’année dernière, lorsque sur le rapport de l’honorable M. Fleussu, la chambre improvisa tout un nouveau système de douane en ce qui concerne les céréales. Le gouvernement provisoire avait par un arrêté bienfaisant supprimé tous les droits à l’importation des céréales étrangères, et en même temps par des vues purement politiques et de circonstance, il avait cru devoir supprimer la liberté de sortie et de transit ; de telle manière que les grains indigènes étaient forcés de lutter avec les grains étrangers sur les marchés belges, sans pouvoir aller leur disputer les marchés étrangers.

Il y avait liberté absolue, illimitée d’importation, car ces brillantes théories et ces rêves dont on parle, ont été des faits en Belgique pendant deux ans et demi, Je le répète, pendant deux ans et demi la Belgique a été soumise au régime le plus illimité en fait de commerce de grains. De plus, nos grains indigènes n’avaient pas la faculté de sortir du royaume.

A coup sûr l’application de cette théorie devait dans la pensée des partisans du système prohibitif entraîner des malheurs effroyables pour le pays, une baisse très sensible au moins devait avoir lieu dans les prix des céréales. Eh bien, les années 1831 et 1832 se sont écoulées sans qu’une seule plainte se soit élevée contre le bas prix des céréales. En effet, ces plaintes eussent été fort injustes, attendu que pendant ces deux années de liberté illimitée, nos grains ont trouvé le moyen de se maintenir à un prix fort élevé.

La loi du mois de mars 1833 remit les choses sur l’ancien pied, rétablit le tarif tel que la révolution l’avait trouvé. J’ai déjà dit de quelle manière cette loi avait été enlevée dans cette chambre. A coup sûr on devait s’attendre qu’une semblable loi allait emporter avec elle les avantages qu’on se promet de la loi proposée ; les grains allaient éprouver une augmentation de deux francs par hectolitre, ou la loi était inutile et les chambres ne sont pas censées vouloir faire des lois inutiles. Eh bien, pas du tout, les grains n’ont éprouvé aucune augmentation ; au contraire, les grains indigènes subissent depuis cette époque une dépréciation qui dure encore. Malgré les droits protecteurs on ne peut pas parvenir à arrêter la dépréciation. Je sais bien que l’on me dira que cette dépréciation ne fut que la suite des deux années de liberté, pendant lesquelles des masses de grains étrangers étaient arrivées dans le pays, que ces grains se déversant dans le commerce en 1833, le tarif protecteur était venu trop tard et ne pouvait plus protéger l’agriculture indigène contre ces masses de grains entrées sous le régime de liberté illimitée.

Je répondrai à cette objection en temps et lieu.

Mais avant d’aller plus loin, je dois faire remarquer à la chambre dans quels systèmes contradictoires elle se trouve, sans s’en apercevoir, tour à tour entraînée, en matière de douane bien entendu.

Nous avons vu tout récemment des députés de deux provinces fort intéressantes réclamer en faveur de l’industrie linière des droits protecteurs contre les toiles d’Allemagne. Ils ont dit que les toiles d’Allemagne étant fabriquées par des ouvriers qui se nourrissent à bon compte et travaillent à bon compte, il était nécessaire que nos toiles fussent protégées, attendu qu’elles ne sont pas faites par des ouvriers se nourrissant à aussi bon compte que les ouvriers allemands. Pour mettre sous ce rapport la Belgique de niveau avec l’Allemagne, qu’avons-nous à faire ? Nous devons tâcher de placer nos ouvriers sur la même ligne que les ouvriers allemands, tâcher de leur fournir les vivres à bon marché, afin que la main-d’œuvre se ressente du bas prix des vivres ? Aucunement.

Après avoir établi un droit protecteur en faveur de l’industrie linière, nous allons voter un projet de loi tendant à paralyser l’effet de ce droit, en augmentant la main-d’œuvre par l’élévation du prix des céréales, nourriture des ouvriers.

Je raisonne ici dans l’hypothèse que la loi aurait effet pour d’augmenter le prix des grains.

Ce n’est pas tout, en même temps qu’on proposait un droit protecteur pour les toiles, on voulait interdire la sortie des lins et des étoupes, c’est-à-dire forcer nos agriculteurs qui cultivent le lin à cultiver autre chose ; car, en restreignant le débouché des lins, vous les forcez de produire du grain et autre chose. En même temps on vient proposer une loi qui a pour but d’augmenter, de favoriser dans le pays, la production des céréales. Ainsi, on ne veut pas que nos agriculteurs cultivent trop de lin et on veut les forcer à cultiver trop de céréales, alors que pour les céréales, ils ont à lutter contre la concurrence étrangère. Il me semble qu’il y a contradiction entre ces diverses propositions.

Je me borne à exposer les faits, je laisserai tirer les conséquences. L’année dernière sur la proposition des députés des Flandres, vous avez voté une loi sur les distilleries. Quel était le but de cette loi ? Evidemment de favoriser l’agriculture, car quoiqu’on dise que l’agriculture est toujours sacrifiée, je dirai tout à l’heure combien d’avantages elle a reçus, que la révolution l’a favorisée autant que les autres industries, si pas plus ; la loi des distilleries est une loi agricole.

Je ne dirai pas l’influence que cette loi a eue sur les revenus du trésor ni quelle influence plus pernicieuse elle pourra exercer sur la morale publique. Elle a été votée, je la prends avec ses conséquences. Avec cette loi, on a ouvert de grands débouchés à l’intérieur à nos céréales, qui seraient restées en magasin, et qui ont pu être consommées. Mais il ne suffisait pas d’ouvrir des débouchés à nos céréales à l’intérieur, il fallait aussi leur en procurer à l’extérieur, c’est dans ce but qu’on a déchargé les matières distillées des droits à l’exportation.

M. A. Rodenbach. - C’est une erreur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas assisté à la discussion ; mais je pense que l’on a voulu favoriser l’exportation des matières distillées. On aurait eu grand tort si l’on n’avait pas eu ce but en vue.

Messieurs, vous allez porter une loi qui aura pour résultat de paralyser les effets de votre loi sur les distilleries en ce qui concerne l’exportation. Si le distillateur indigène est obligé de payer un franc de plus par hectolitre de seigle, le distillateur hollandais fournira les matières distillées à un franc de moins par hectolitre que le premier. Vous favorisez donc indirectement les distilleries hollandaises aux dépens de l’industrie belge. C’est pour ainsi dire une prime que vous accordez au distillateur hollandais

Après avoir soumis à la chambre ces observations préliminaires, je commencerai par poser une première question.

Y a-t-il nécessité, y a-t-il urgence de frapper d’une augmentation de droit l’importation des céréales ?

En examinant les différentes périodes qui se sont écoulées de 1815 à 1833, je trouve les trois époques suivantes :

De 1815 à 1824 le froment a valu, terme moyen, 20 fr. l’hect.

De 1819 à 1828, 15 fr. l’hect.

De 1824 à 1833, 17 fr. l’hect.

Pendant ces mêmes époques,

De 1815 à 1824, le seigle a valu, terme moyen, 13 fr. l’hect.

De 1819 à 1828, 9 fr.

De 1824 à 1833, 11 fr.

Mais à partir de 1828 on compte 5 années consécutives pendant lesquelles le prix des grains a été des plus satisfaisants ; il a égalé et même dépassé de beaucoup le taux fixé par l’honorable rapporteur de la section centrale, comme étant suffisant, c’est-à-dire, 18 fr. par hectolitre de froment et 12 fr. par hect. de seigle.

Je vois l’honorable M. Coghen faire un signe négatif. Je crois cependant ne pas me tromper. Je prierais M. le rapporteur de la section centrale de me dire si je commets une erreur, en affirmant qu’il trouve le taux de 18 francs par kil. pour le froment et de 12 francs pour le seigle ; le terme moyen nécessaire pour la prospérité agricole. De 1828 à 1833, le prix des grains a dépassé ce taux et notamment en 1831 et 1832, sous l’empire de la liberté illimitée.

En fait donc, s’il y a souffrance et par conséquent urgence de porter un remède au tarif actuel, cette urgence n’existe que depuis l’année dernière, c’est-à-dire depuis et malgré la mise à exécution de la loi restrictive qui a été votée dans la dernière session.

J’en tire la conséquence que ces souffrances ne sont pas aussi générales, aussi profondes que l’on a cherché à les dépeindre. En fait, la classe ouvrière, la classe pauvre, la classe même des agriculteurs souffre-t-elle ? L’ouvrage manque-t-il quelque part ? Les salaires sont-ils abaissés ? L’impôt sur la consommation diminue-t-il ? La perception de l’impôt foncier présente-t-elle quelque difficulté ? La valeur des terres est-elle tombée ? Les baux ont-ils baissé de prix ? Toutes questions résolues négativement non pas par moi, mais par plusieurs corps du royaume consultés à cet effet. La chambre me permettra de lui citer entre autres documents, les observations de la chambre de commerce de Tournay. Le voici :

« Et pour parler du présent, y a-t-il perturbation dans la société, y a-t-il même réellement ce que l’on peut appeler malaise inquiétant sous le rapport des conséquences de la baisse des céréales ? Est-il bien vrai en conscience, que les journaliers et les ouvriers des métiers trouvent peu d’occupation ? Qu’ils ont plus de peine à se procurer du pain que si le grain était au double de sa valeur actuelle ?

« Est-il bien vrai que les propriétaires, particulièrement les petits, se trouvent maintenant dans l’impossibilité de faire face à l’impôt foncier ; que les fermiers locataires ne peuvent payer l’impôt foncier à la décharge des propriétaires et qu’une grande partie de ces fermiers locataires se voit maintenant ruinée ?

« Est-il bien vrai que tel bonnier de terre qui avant l’époque de la baisse se vendait 2,000 francs, perde depuis lors dans sa valeur vénale décroissante en telle progression que bientôt il ne sera plus payé que 1,000 francs, et que les revenus de l’Etat sous le rapport des droits de mutation souffrent dans une proportion semblable ?

« Est-il bien vrai que les habitations des propriétaires commencent déjà à être moins soignées, et que par suite des difficultés dans la rentrée de leurs revenus fonciers, il y ait chez eux tendance à réforme en domestiques, chevaux, etc. ?

« Est-il bien vrai que dans la position où l’agriculture se trouve actuellement, les propriétaires et les cultivateurs doivent renoncer à faire les dépenses ordinaires en chaux, marne, engrais étrangers, etc., et que l’industrie houillère, qui fournit la houille pour faire la chaux, la terre de tourbe factice, briques, etc., soit en souffrance sous ce rapport ?

« Est-il bien vrai que les agriculteurs sont déjà tellement économes de la houille, parce que la baisse des céréales leur ôte les moyens d’en acheter, qu’ils emploient la paille au lieu de bois ? Ce que nous avouons ne pas comprendre ?

« Est-il bien vrai enfin que les manufactures souffrent maintenant de la position de l’agriculture autant que l’avance l’auteur, parce que le grain est à bon marché ?

« Telles sont cependant les assertions de l’auteur de la proposition, pour toutes les époques où les céréales sont réduites à vil prix ; il tient le prix actuel pour vil, ici se voit le danger de vouloir trop prouver. »

Je pourrais reproduire l’opinion d’une autre chambre de commerce. Je me dispenserai cependant de la lire.

M. de Muelenaere. - Ces rapports ne nous ont pas été communiqués.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois qu’il serait plus convenable que M. de Muelenaere attendît la fin de mon discours pour y répondre. J’ai eu d’autant moins l’intention de cacher à la chambre les rapports que je viens de citer, que ce sont les mêmes que ceux qui ont été fournis directement à la chambre. Car je me suis contenté d’en demander des copies aux chambres de commerce que l’assemblée a cru devoir consulter.

Il y a donc beaucoup d’exagération dans l’état de souffrance que l’on attribue à l’agriculture. Quant à moi, je crois que le gouvernement et le pays doivent toute leur sollicitude aux habitants des campagnes. Nous ne rappellerons pas les services éminents qu’ils ont rendus au nouvel ordre de choses, avec quel empressement ils se sont ralliés à la révolution, avec quel patriotisme ils ont concouru à consolider l’existence du royaume qui en est sorti. Mais il y a dans les campagnes autre chose que des hommes cultivant des céréales ; il y a des ouvriers, des houilleurs, des charretiers, des bateliers, des maçons, et il y a des hommes qui cultivent le lin, la garance, le houblon, les légumes et qui élèvent le bétail. Tous ces habitants de la campagne ont également droit à notre sollicitude. Pour ceux-là le bas prix du grain est toujours une chose avantageuse.

Je sais que l’on avance que, quand le fermier ou le propriétaire vend difficilement son grain, il restreint ses dépenses et diminue l’ouvrage et le salaire, que l’ouvrier alors est moins payé et travaille moins, deux causes de misère pour lui. Sans doute, sous ce point de vue la question mérite une attention sérieuse, mais à l’heure où nous vivons en est-il ainsi ? Qui oserait le soutenir ? S’il y a plainte quelque part, c’est moins de la part de ceux qui travaillent, que de ceux qui font travailler.

J’en appelle aux membres de cette chambre. J’en appelle aux industriels. C’est à qui se plaindra de la rareté des bras, du manque d’ouvriers. Heureuse époque, messieurs, où l’ouvrier trouve à la fois un bon salaire, un travail continuel et des vivres à bon marché ! N’est-ce rien qu’un tel état de choses ? Est-il destiné à cesser ? Je l’ignore, mais serait-ce à nous d’en hâter la cessation ?

Admettons cependant que la souffrance existe, que le remède soit urgent, où trouver ce remède ?

Il y a depuis un an une baisse considérable dans le prix des céréales. Au premier aperçu la cause en est bien simple, plusieurs années successives de fertilité ont amené l’abondance et l’abondance le bon marché. Rien de plus simple que cela.

Mais on veut trouver la cause ailleurs encore, on veut que la cause de la dépréciation soit dans notre législation ; on se figure qu’en modifiant la législation on arrêtera la fertilité de notre terre, on supprimera les effets inévitables de l’abondance.

Voyons donc cette législation pernicieuse, et ce que nous gagnerons à y toucher.

Le tarif qui régit les céréales, ainsi que je l’ai dit, est de 1826. Je vois bien que sous l’empire de ce tarif les grains se sont élevés à un prix beaucoup plus satisfaisant que dans la période antérieure, mais non que dans les années où ce système a été remplacé par un système de liberté illimitée.

En 1832 on a levé la prohibition qui pesait sur le transit. Mais on ne songea pas à lever la prohibition à la sortie des grains étrangers. Le 7 mars 1833, le gouvernement vint vous demander que la sortie des grains fût libre, et que l’on fît pour l’exportation ce que l’on avait fait pour le transit. La chambre non seulement accorda la liberté de transit pour les grains indigènes, mais en outre frappa d’un droit restrictif la liberté d’importation qui existait depuis deux ans et demi sans inconvénient aucun pour le prix de nos céréales. On sait quel a été le résultat de la loi de mars 1833. Je suis loin d’attribuer la dépréciation de nos céréales à cette loi ; je dis seulement que cette loi a manqué son but.

Aujourd’hui qu’on voit qu’elle n’a pas produit ce qu’on en attendait, on ne voit rien de plus simple que d’élever le tarif : 2 francs ne sont pas assez pour le froment, mettons-en 3 ; un franc n’étant pas assez pour le seigle, mettons un et demi. De sorte que si l’année prochaine nos grains n’ont pas acquis le taux où on veut les voir, il faudra de nouveau augmenter le droit. Les grains étrangers continuent à nous inonder, dira-t-on, c’est 4 francs, c’est 5 fr. qu’il faut ; voyez la France, voyez l’Angleterre ; ces pays renferment des hommes spéciaux, des hommes éclairés ; ils ont adopté ce système, ils le continuent ; nous n’ayons rien de mieux à faire qu’à les imiter.

Messieurs, la loi en discussion porte à 3 francs ce qui est aujourd’hui à 2 francs ; aura-t-elle pour cela plus d’effet que la précédente relativement aux quantités importées ? Si je consulte ce qui s’est passé dans les années antérieures, je dois croire que la loi nouvelle sera de nul effet. Durant l’année 1833 sous le régime restrictif, il est entré 7,265,000 kilog. en froment et 1,227,000 kilog. de seigle.

Je parle d’après le tableau fourni à la chambre par M. Eloy de Burdinne ; tableau dont j’admets l’exactitude.

Pendant le premier trimestre de 1834, il été importé 391,000 kilogrammes de froment qui a été réexporté, 391,000 kilogrammes de seigle, dont il a été réexporté une grande partie.

Dira-t-on que ces quantités de 9 millions de kilogrammes aient pu exercer la moindre influence sur les prix des céréales ? Pour répondre à cette question, il faut comparer cette quantité avec la masse des céréales produites et consommées dans notre pays.

La consommation par tête dans notre pays qui a des rapports avec la France et l’Angleterre, la consommation par tête peut être évaluée à peu près à 3 hectolitres : c’est l’évaluation française et anglaise. Or, 3 hectolitres par tête donnent pour le pays 12 millions d’hectolitres. En portant l’hectolitre à 70 kilogrammes, la consommation sera de 840 millions de kilogrammes.

Je ne vois pas quelle influence peut exercer une importation de 9 millions de kilog. en la comparant à une consommation de 840 millions de kilog.

Ce sont les grains entrés en 1831 et 1832, et entreposés d’abord, qui ont été versés dans la consommation en 1833 et 1834, et voilà, dit-on, la cause de la dépréciation de nos céréales.

Il est vrai que les importations de froment et de seigle ont été plus considérables en 1831 et 1832 que dans les années suivantes ; ces importations vont dans ces années jusqu’à 30 millions de kilog. de froment et 26 millions de kilog. de seigle ; mais qu’est-ce que peuvent faire 56 millions de kilog. sur une consommation de 840 millions de kilogrammes ?

Est-il vraisemblable qu’un spéculateur, si peu habile qu’il soit, ait été choisir pour livrer son grain à la consommation l’année même où l’importation était frappée de 2 francs à l’hectolitre l’année où le grain indigène était d’un prix tellement bas que ce droit même ne paraissait plus d’une protection suffisante.

Quand j’admettrais une telle invraisemblance, il n’en résulterait pas encore que l’importation de 56 millions de kilogrammes pût avoir le moindre effet sur la consommation.

Veut-on savoir ce qu’au juste signifient ces mots qu’on a fait retentir d’inondation de blés étrangers ? Nous avons comparé les quantités importées avec la masse générale des grains consommés ; nous aurions pu nous borner à comparer l’importation avec la consommation faite par quelques industries particulières.

On a évalué dans les trois dernières années l’importation à 1,600,000 hectolitres ; eh bien, une même quantité a été absorbée pour nos brasseries en une seule année, et cela d’après le calcul le plus modéré ; nos brasseries, si j’en crois les renseignements des hommes spéciaux, absorbent par année au-delà de 2 millions de grains, orge et froment compris.

Nos distilleries ont fait de leur côté une consommation fort considérable et sous ce rapport, la loi sur les distilleries a parfaitement accompli son but, s’il faut en croire des documents qui n’ont rien d’exagéré.

Pendant les trois derniers mois de 1833, les distilleries ont employé 34,809,000 kilogrammes de grains, les trois quarts en seigle. Cette quantité équivaut à l’importation de 1832, où les importations ont été les plus fortes.

Je pourrais multiplier les exemples ; je pourrais dire, par exemple, que toute l’importation de l’année 1833 a été absorbée par la consommation de l’armée. En supposant l’armée sur le pied de 60,000 hommes, et en mettant la ration à un demi-kilog. seulement de pur froment, on verra l’exactitude de ce fait. Sous le régime hollandais, nos soldats ne recevaient que 50 décagrammes par jour ; le gouvernement provisoire a augmenté de moitié la ration, ou de 25 décagrammes. Et depuis cette époque l’armée a pu consommer 75 décagrammes de pain par jour ; c’est un fait que l’on n’a pas assez remarqué.

J’ai supposé l’armée sur le pied de 60 mille hommes ; mais en 1833 et 1832 elle a été portée jusqu’à 110 mille hommes.

Messieurs, nous avons établi que les importations en 1833, ont été presque nulles et sans que le prix des céréales en soit haussé ; que la baisse des prix ne peut être attribuée à la quantité de grains importés dans les années antérieures, et que cette quantité est insignifiante, relativement à la production et à la consommation générale du pays. J’en conclus qu’une nouvelle protection sera impuissante, car il ne s’agit pas tant de protéger les céréales contre l’abondance étrangère que contre l’abondance indigène.

Il faudrait, messieurs, trouver le moyen de faire disparaître ou mieux encore d’exporter l’excès de notre production ; c’est alors seulement que nous pourrons espérer d’acquérir des prix meilleurs pour nos céréales. C’est ainsi qu’en favorisant la sortie des lins et des étoupes, en favorisant la culture du houblon et de la garance, nous engagerions nos cultivateurs à produire moins de grains ; nous rendrions le grain plus rare et pourrions en faire hausser le prix. Les cultivateurs trouveraient de grands avantages à cultiver des produits qui leur rapporteraient beaucoup plus. (Légères rumeurs.)

Je crains très fort, messieurs, que ce que je dis ne paraisse à quelques-uns des théories plus ou moins brillantes ; je cite des faits, je ne les invente pas, et quant aux dernières observations, je les prends dans les rapports communiqués à la commission d’industrie dont je me suis procuré des copies.

(Moniteur belge n°194, du 14 juillet 1834 En admettant, messieurs, que la loi atteigne ses résultats, c’est-à-dire qu’elle empêche l’importation des céréales, qu’y aura-t-on gagné ? Rien ; mais on aura plus ou moins gêné le commerce, et par conséquent l’industrie qui vit du commerce, y compris l’industrie agricole. Est-ce le moyen de maintenir les prix élevés, que de gêner la spéculation ? J’éprouve, je l’avoue, de graves doutes à cet égard, et je vais vous dire par quels motifs.

S’il est une contrée où la concurrence étrangère ne se fait pas sentir, où pas un grain étranger ne pénètre, c’est à coup sûr la province de Luxembourg ; là point de concurrence étrangère, le grain indigène est seul offert sur le marché ; on pourrait croire dès lors que les prix y sont élevés, point du tout ! Les marchés du Luxembourg offrent des prix très inférieurs aux autres marchés.

M. d’Hoffschmidt. - Il n’y a pas de communication.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Tant mieux pour le cas dont il s’agit. Vous n’avez pas à craindre la concurrence étrangère ; vous êtes maître chez vous, et ce défaut de communication équivaut à une prohibition ; cependant le grain indigène se donne souvent à 2 fr. de moins que sur le marché d’Arlon que sur le marché d’Anvers.

Puisque j’ai cité Anvers, je répèterai l’observation que M. Devaux a faite hier. A Anvers, où il arrive tant de grains étrangers, où l’on peut supposer qu’il y a encombrement, les prix se maintiennent plus élevés que dans beaucoup d’autres marchés.

M. Eloy de Burdinne. - C’est trop fort.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est un fait, j’en demanderai l’explication à M. Eloy de Burdinne, et j’en soumettrai quelques autres à l’honorable membre.

On dit que l’arrondissement de Verviers est encombré d’une quantité énorme de céréales de la Prusse ; par conséquent on doit aussi supposer que sur les marchés où il arrive tant de grains de la Prusse, les prix doivent être plus élevés, cela semblerait une conséquence de cet encombrement.

Eh bien, il se trouve qu’entre le marché d’Aubel et celui de Huy, à dix lieues de là, l’avantage du prix est souvent au premier marché.

Je prie M. Eloy de Burdinne de nous donner quelques explications sur ce point. En attendant cette explication, je me permettrai de donner la mienne ; je crois que si les prix se maintiennent à ces taux aussi élévés sur quelques marchés, vis-à-vis de certains autres, c’est que là la spéculation s’en empare, et qu’elle fait tous ses efforts pour les maintenir ou s’en défaire à son plus grand avantage ; tandis qu’ailleurs les produits que ne soutient pas la spéculation, succombent pour ainsi dire sous leur propre poids, et tombent aussi bas que nous le voyons dans certains marchés, particulièrement dans ceux du Luxembourg.

Je pressens que M. Coghen va me répondre que l’on ne gênera pas la spéculation ni le commerce, attendu que le commerce aura la faculté d’entreposer les grains ; MM. les commerçants ne sont pas d’avis que le système de l’entreposage puisse jamais équivaloir à une liberté complète, c’est-à-dire à celle qui consiste à pouvoir, soit entreposer, soit verser dans la consommation.

J’invoquerai ici sur la question d’entreposage une opinion qui est de nature à faire impression sur la chambre. La chambre de commerce de Liége se prononce très fortement contre l’entreposage, attendu qu’il ne change rien à l’incertitude de la spéculation.

Les commerçants étrangers et les commerçants indigènes, alors qu’ils n’ont pas de certitude de pouvoir à leur choix verser le grain dans la consommation, ou l’entreposer, restreignent leurs correspondances, et suspendent leurs commandes.

Je demanderai si le négociant a aujourd’hui à choisir entre la Hollande et la Belgique, quel est celui des deux pays auquel il donnerait la préférence ? à la Hollande, messieurs, qui n’a pas procédé de la même manière que nous. Car en même temps que nous rétablissons le tarif, la Hollande a abaissé le sien et elle s’en est bien trouvée.

Aujourd’hui le commerce de grains lorsqu’il se présente en Hollande a cet avantage de pouvoir être introduit à meilleur compte, et d’avoir la faculté de l’entreposage ; par votre loi, vous conservez cette faculté, mais non celle de l’importation pour la consommation intérieure ; vous restreignez la spéculation.

Nous avons l’exemple de la France et de l’Angleterre, mais nous avons la concurrence de la Hollande et de l’Allemagne contre laquelle nous avons à lutter ; pour pouvoir lutter commercialement avec le commerce de la Hollande, il faut faire en sorte que notre système maritime soit aussi libéral au moins que le sien.

Je dirai même que nous avons à lutter industriellement avec la Hollande, par la loi sur les distilleries. Cette loi importe beaucoup sous le rapport de l’agriculture ; si nous forçons les distillateurs à payer trop cher l’hectolitre de seigle, vous accordez indirectement une prime aux distillateurs hollandais.

Nous sommes aussi voisins de l’Allemagne ; nous nous plaignons que notre industrie ne puisse lutter avec la sienne.

L’Allemagne produit beaucoup de céréales ; son tarif est plus libéral que le nôtre. Il en résulte que la main-d’œuvre est à plus bas prix et la concurrence plus difficile à soutenir vis-à-vis de leurs fabricats.

On nous a cité les tarifs anglais et français comme bons à suivre. Mais ces tarifs sont-ils plus puissants que le nôtre, ont-ils amené en France des prix meilleurs que les nôtres ? Pas du tout. On vous a cité bien des exemples qui établissent qu’en France, sur beaucoup de marchés, les grains se vendent à plus vil prix que sur les marchés belges. Un honorable membre a cru voir cet avantage dans le tarif français qu’il maintient un niveau entre les prix. Ce n’est pas du tout là le résultat du système de ce pays, car nous voyons la plus grande fluctuation entre les prix des grains des différentes années. Sour ce rapport encore le tarif français n’est pas plus efficace que le nôtre. Il ne maintient ni un prix meilleur, ni ce niveau entre les prix de chaque année, qu’il serait désirable de voir établir. (Mouvement négatif.)

C’est un fait qu’en France les prix des grains éprouvent une fluctuation aussi grande que chez nous.

Je dirai que ce système tant préconisé par quelques-uns, chez nous, n’a pas la même faveur, je ne dirai pas seulement chez les économistes, mais chez les hommes pratiques de France ; ils trouvent leur système impuissant. Je pourrais citer l’opinion de l’illustre Cuvier qui peut être regardé comme une autorité. Les ministres français eux-mêmes qui ont proposé la loi, reconnaissent son impuissance. Tout récemment encore, le ministre des finances M. Duchatel l’a déclaré. Ce n’est pas le moment de chercher à impatroniser chez nous un système repoussé par ceux-là même qui sont forcés de l’appliquer en France.

J’ai dit que je reviendrais sur les souffrances de la propriété foncière, sur les griefs qu’elle aurait à adresser à la révolution.

Je dois rappeler que, depuis la révolution, la loi monture a disparu, la loi de l’abattage a disparu, la loi des distilleries a été faite, la libre sortie des bestiaux vient d’être autorisée ; c’est une perte de 100,000 fr. par an pour le fisc ; un million par an est consacré aux communications. L’honorable M. Eloy de Burdinne ne méconnaît pas l’importance des communications. L’impôt des barrières a été successivement dégrevé ; c’est également au profit de l’agriculture.

La loi des distilleries tout agricole a enlevé au trésor public deux millions par an, jusqu’à présent. Il me semble, messieurs, que voilà bien des faveurs accordées à l’agriculture, qu’il serait injuste de méconnaître.

Savez-vous quels seraient les effets de la nouvelle faveur qu’on veut lui accorder, si la loi atteint le but qu’on se propose (ce que je ne crois pas) ? Elle augmentera d’un franc l’hectolitre de froment, et de 50 centimes, je pense, l’hectolitre de seigle ; de telle manière que, pour 12 millions d’hectolitres que nous supposons produits et consommés dans le pays, neuf millions de francs environ seront imposés au consommateur. C’est véritablement un impôt indirect dont vous le frappez.

Mais, dit-on, cette loi n’atteindra pas son but. Beaucoup de promoteurs du projet de loi le reconnaissent et disent : « C’est un mal moral qu’il faut guérir ; nous sommes persuadés que la loi n’influera pas sur le prix des grains, mais c’est une nécessité de la voter. » J’avoue qu’à ces sortes de nécessités un gouvernement sage doit quelquefois se rendre ; mais je ne sais s’il en est de même de la législature.

Je ne sais pas si on doit de gaieté de cœur faire une loi qu’on reconnaît devoir être inutile, surtout lorsqu’on a tant de lois utiles à faire. Au reste, si je ne voyais d’autre mal dans la loi que son inutilité, je ne m’y opposerais pas, je n’aurais même pas présenté d’objections ; j’aurais dit : Faisons une loi inutile, puisque le pays, dit-on, la veut ; mais prenons garde qu’en appliquant un remède moral, nous ne fassions un mal très réel aux intérêts matériels.

On a souvent parlé des capitaux que l’étranger nous enlève en nous apportant ses produits ; on a souvent exprimé la crainte que l’étranger ne nous enlevât notre argent. Aujourd’hui, on ne peut guère s’occuper sérieusement de répondre à de pareilles craintes.

Il suffirait de demander à ceux qui les manifestent combien de pièces de dix florins ou de pièces de 5 francs de notre nouvelle monnaie on rencontre, soit en France, soit en Angleterre. A la vérité, les produits étrangers nous enlèvent des capitaux, mais c’est fort avantageux pour nous qu’ils nous les enlèvent, car ces capitaux sont nos propres produits. Il est certain que plusieurs branches de notre industrie ont éprouvé une grande amélioration à la suite des importations des céréales étrangères dans nos ports, et si j’avais eu le temps de me livrer à des recherches plus approfondies., je crois qu’il eût été facile d’établir que ce que nous avons reçu en grains, nous l’avons, outre mesure, renvoyé en draps, cotons, armes, toiles, verres à vitres, écorces, charbons, clous, sucres raffinés, cordages...

M. Coghen. - Des cordages, c’est trop fort !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’entends M. Coghen dire que pour des cordages c’est trop fort. Cependant je ne trouve rien de plus naturel qu’un navire qui arrive dans nos ports, si ses cordages sont vieux, en achète de neufs, comme il se radoube s’il est endommagé. Je ne fais pas entrer cela en ligne de compte ; je ne fais pas entrer non plus les fournitures des objets nécessaires à la vie commune que ces navires peuvent emporter, en beurre, œufs, légumes et autres produits de notre industrie agricole. Si nous n’avions pas été si pressés par le temps, j’aurais pu donner à la chambre à cet égard des documents précieux ; elle aurait reconnu que les céréales importées dans le pays s’y échangent contre des produits indigènes et procurent de grands bénéfices à notre industrie.

Voilà les observations générales que j’avais à présenter sur le projet de loi.

Je dois de nouveau répéter que je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour réunir des renseignements plus complets et les présenter avec plus d’ordre.

Au reste, la discussion du projet soulèvera quelques questions accessoires : je vais les poser d’avance.

Pourquoi le projet frappe-t-il l’avoine et l’orge ? Il est généralement reconnu que les prix en sont très satisfaisants. Plusieurs provinces prétendent qu’on n’en produit pas assez pour la consommation. Il est à remarquer qu’en frappant l’orge, vous nuisez aux brasseries, quand vous avez protégé les distilleries, et que les brasseries demandent aussi une diminution de droits. L’avoine est nécessaire à l’agriculture elle-même, attendu qu’un grand nombre de chevaux sont employés à ses travaux.

Maintiendra-t-on, un seul droit à la sortie, un seul droit à l’entrée ? Introduira-t-on dans notre tarif le mot de prohibition, alors que dans nos rapports avec les pays voisins, nous nous efforçons de les amener à un système plus large, alors que nous tâchons de faire disparaître toutes les prohibitions de leurs tarifs ?

En supposant que l’on admette la prohibition à l’entrée, l’admettra-t-on également à la sortie ? Voilà quelques questions que l’on me permettra de poser et sur lesquelles je reviendrai pendant le cours de la discussion.

M. Dumont. - Plus la discussion actuelle avance, plus elle est favorable au projet de loi soumis à votre examen. Il faut que les orateurs qui en repoussent l’adoption, trouvent leur cause bien mauvaise, puisqu’ils vont chercher leurs arguments en dehors de la question, puisqu’ils parlent de tout autre chose que de ce dont il s’agit.

Plusieurs membres de cette chambre ont déclaré qu’ils étaient ennemis de tous privilèges, et ils ont posé en fait que le projet de loi actuel établirait, s’il était adopté, un privilège en faveur des propriétaires fonciers. Si cette allégation était prouvée, il serait juste de repousser la loi. Mais ils se sont contentés de mettre en avant cette assertion, sans essayer de la justifier par des preuves auxquelles nous puissions nous rendre.

D’autres orateurs ont parlé de faits qui selon moi ne sont pas pertinents dans la question qui nous occupe. Ils se sont posé cette question :

L’agriculture est-elle réellement en souffrance ? Je leur répondrai : Ce n’est pas là la question. Il ne s’agit pas seulement d’examiner la position de l’industrie agricole qui peut éprouver un mal passager. Nous faisons actuellement une loi dont le but est de prévenir les maux futurs, soit qu’ils doivent peser sur une classe spéciale d’individus, ou qu’ils s’étendent à la nation tout entière.

Les honorables orateurs que je combats n’envisagent la question que sous un point de vue. Ils ont prêté aux partisans du projet une assertion que ceux-ci auraient présentée comme étant le seul but de la loi. Ils ont supposé que nous attribuions à l’importation seulement la cause du bas prix des céréales.

Je ne crois pas, messieurs, que ce soit là le but du projet. La loi a pour résultat de concilier les intérêts de la consommation, de l’agriculture et du commerce. Elle trouvera également sa place quelque soit le prix des grains, qu’il soit élevé ou qu’il retombe très bas. Si la disette venait à régner dans notre pays, je vous le demande, la présentation de cette loi serait-elle inopportune ?

Je ne crois donc pas non plus comme on l’a dit, que le projet de loi ait eu simplement en vue d’arrêter l’importation des grains. Il s’agit actuellement de savoir s’il est utile au pays, au gouvernement, qu’il soit pris des mesures tendant à empêcher l’excessive cherté des céréales, comme à empêcher qu’ils ne tombent à un prix trop vil.

C’est prêter une absurdité aux auteurs du projet que de soutenir que l’importation des blés étrangers est la seule cause de vilité du prix des céréales. Il y a plusieurs autres causes. On ne peut révoquer en doute que le prix des marchandises ne soit établi par la quantité des denrées comparée aux demandes. Quand les demandes excèdent cette quantité, il y a hausse dans le prix. Dans le cas inverse les prix retombent.

Les honorables adversaires du projet ont invoqué l’expérience de deux années, pendant lesquelles la liberté illimitée du commerce a régné en matière de céréales. Mais cette expérience ne peut nous servir de base. Je crois qu’il faut autre chose. Si vous prenez une période de 20 à 30 années, vous trouverez que l’exportation ou l’importation ont exercé une très grande influence sur le prix des grains.

En 1817 la récolte a été assez abondante en Belgique. Mais à cette époque il y avait liberté illimitée d’exportation de céréales. Qu’est-il arrivé ? une grande partie des grains fournis par la récolte est sortie de nos ports. Une disette s’en est suivie. Croyez-vous que le commerce ait pu parvenir à en empêcher les effets ? Non : il fallut que le gouvernement fît venir lui-même des grains de la Baltique à grands frais, et c’est le trésor public qui en définitive a souffert de l’application d’une belle théorie.

De ce que dans les deux années précédentes l’importation a exercé peu d’influence sur le prix des grains, s’ensuit-il que cette importation ne puisse en exercer jamais ? Je viens de vous citer un fait. Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu peu d’importation puisqu’il n’y avait pas abondance de grains dans les pays qui nous en envoient. Nous savons tous que pour que le Nord nous expédie des grains, il faut que la grande abondance des quantités exportées puisse couvrir les frais de transport. Or, en 1834, s’il n’est pas entré beaucoup de grains de la Baltique, c’est que la récolte a été manquée en 1833 dans le Nord.

L’on a dit que si le droit établi en 1833 n’a pas produit son effet, il ne produira jamais d’effet. Pour que cela fût vrai, il faudrait que l’on nous donnât la garantie que les pays respectifs soient dans la même position qu’ils ont été en 1833.

Supposez que dans le nord il y ait une récolte en 1834 plus abondante qu’en Belgique. Pensez-vous que l’on puisse affirmer que l’importation ne dépassera pas alors celle de 1833 ? Ce serait déraisonner si on osait le prétendre.

J’ai dit que je suis ennemi des privilèges. Je ne suis guère ami de la liberté de commerce. Mais je pense qu’en supposant que ce système pût être introduit dans notre pays, il faudrait toujours établir une exception pour ce qui est relatif au commerce des grains. Ce commerce est en effet d’une nature particulière. Les grains sont d’une nécessité absolue en Belgique comme chez tous les autres peuples. La classe pauvre ne peut s’en passer. On ne peut les remplacer par aucune autre espèce de denrée. De là découle la nécessité de faire ce qui est en nous pour assurer la subsistance des citoyens.

Aussi, voyez-vous que le gouvernement, quels que soient ses principes en matière commerciale, est obligé de prendre des mesures pour empêcher l’exportation des grains, que, s’il les néglige, on les demande vivement la plupart du temps sur la place publique. Voilà donc un cas où il est nécessaire de prendre des mesures en faveur du consommateur.

Si ce cultivateur ou le propriétaire (car pour moi, c’est exactement la même chose), ont dû supporter des sacrifices quand les grains étaient chers, puisqu’on leur a interdit l’exportation, n’est-il pas juste que l’on vienne les en dédommager lorsqu’il y a vilité de prix ? Ainsi donc d’un côté, la loi prévoit la disette, de l’autre elle offre des garanties d’écoulement de sa denrée à l’agriculteur, lorsque la récolte a été abondante, il n’y a pas là privilège, il y a justice.

Pendant deux ans et demi nos grains ont trouvé moyen de se soutenir à des prix élevés. L’importation était cependant permise. L’exportation était défendue. Mais on n’a pas établi que la quantité des grains importés ait eu uniquement de l’influence sur le prix des grains. Il peut y avoir eu des causes étrangères. La présence de l’armée française en Belgique, l’espérance d’une guerre générale, etc. C’est peut-être à ces motifs que l’on doit attribuer le taux où se sont maintenus les prix des céréales. Et de ce que par des causes locales le rétablissement d’un droit de 2 fr. par hectolitre à l’entrée n’a pas eu un effet immédiat, doit-on conclure qu’il n’en aura jamais ?

Il n’est pas difficile, comme on l’a fait, de trouver de l’opposition entre les opinions des partisans du projet de loi ; cette opposition est le résultat de la manière de voir et de sentir de chacun, de sa position ; et dans une chambre nombreuse ces contradictions ne prouvent rien contre la loi, ni contre ceux qui la soutiennent.

La révolution a profité aux cultivateurs, je le crois, parce que la révolution a généralement profité à la nation : elle a profité particulièrement aux cultivateurs distillateurs ; mais ceux-ci sont en bien petit nombre.

Relativement à la loi sur les distilleries dont on a parlé, je dirai ce qui l’a amenée, c’est la fraude considérable qui se faisait ; et si l’agriculture en a profité, c’est bien indirectement, et elle n’en doit avoir aucune obligation à la législature.

On a fait valoir l’opinion d’une chambre de commerce contre la loi. Depuis longtemps j’ai l’expérience que le commerce ne peut supporter, je ne dirai pas la moindre diminution dans ses bénéfices, mais la moindre gêne dans ses opérations. Il lui faut la plus grande aisance ; peu lui importe que cette aisance blesse d’autres intérêts : il se plaint quand il éprouve la moindre gêne.

De quoi se composent les chambres de commerce ? sont-elles composées de commerçants et d’agriculteurs ? Elles sont composées de commerçants qui voient comme tous les autres commerçants.

Si on s’était donné la peine de consulter les états députés, on aurait pu trouver des documents favorables à la loi. La commission d’industrie réunie à la section centrale a donné son adhésion à la loi. Au reste, on a trouvé ailleurs des avis favorables à la loi ou à une mesure équivalente. Si on s’en rapporte aux états députés, il faut en conclure l’admission du projet de loi.

Le ministre a dit que dans nos campagnes il y avait beaucoup de cultivateurs qui ne produisaient pas de céréales : cela est très vrai ; mais les ouvriers qui ne vivent pas de l’agriculture vivent de l’ouvrage que leur commandent les agriculteurs, et quand les agriculteurs sont dans la détresse, ils ne font pas travailler. On a cité les maçons ; ce sont ceux-là qui souffrent particulièrement quand l’agriculture ne prospère pas.

On a cité encore les cultivateurs du lin, de la garance : pour faire de semblables citations, il faut ignorer ce que c’est que l’agriculture ; on ne peut pas produire tous les ans la même denrée ; le cultivateur doit savoir cultiver tous les végétaux utiles.

On a prétendu que la loi gênait la circulation : si la circulation était gênée, par la loi, je serais fort embarrassé sur le vote que j’aurais à émettre, car gêner la circulation c’est diminuer le prix.

Le commerce sera gêné, il est vrai, par les entrepôts ; mais l’administration peut diminuer cette gêne. Mais jusqu’à ce qu’on prouve que le commerce sera réellement entravé, je persisterai dans mon opinion.

Je crois au contraire que le commerce trouvera des garanties dans la loi. Ce qui gêne les spéculations, c’est l’incertitude dans la législation sur les grains. Dans un tel état de choses, il ne peut risquer aucune opération ; si au contraire vous admettez une loi comme celle qu’on propose, le négociant sera averti de ce qu’il a à faire. Si sa spéculation manque, il ne pourra l’attribuer à la loi ; il faudra qu’il l’attribue à d’autres circonstances. Ainsi, dans l’intérêt du négociant, je crois que le projet doit être adopté.

Le commerce de grains, dit-on, remédie aux disettes : il n’y a pas encore bien longtemps que nous avons eu l’exemple d’une disette de céréales dans cette contrée ; eh bien ! qu’a fait le commerce pour y remédier ? Le commerce s’est caché ; il a tout à fait disparu. Un commissaire de district qui siège dans cette assemblée a même été forcé, à cette époque, d’avertir les cultivateurs que dans leur intérêt ils devaient approvisionner le marché de la ville. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Quand le blé est cher, quel est le commerçant honnête qui oserait faire le commerce de grains pendant une disette ? Il passerait dans le public pour un homme odieux, pour un accapareur. Comme un homme qui veut faire renchérir le pain, qui veut spéculer sur le malheur de ses compatriotes ; il s’expose à perdre sa réputation et à voir ses propriétés pillées.

Pouvez-vous compter sur le commerce pour remédier aux disettes dans un tel état de choses ? Il vaut mieux prévenir les maux que de chercher des remèdes quand ils sont arrivés.

Je voterai une loi permanente, et je voterai contre l’article qui soumet la loi qui vous occupe à une révision en 1835. Je ne dis pas pour cela que si l’expérience nous indiquait des améliorations, il ne faudrait pas les admettre. Quoi qu’il en soit, il faut dès aujourd’hui donner un caractère définitif à la loi et non un caractère de circonstance.

M. A. Rodenbach. - Je partage aussi l’opinion de l’honorable préopinant que la liberté du commerce ne donne pas toujours le pain à bon marché au peuple. Il a cité l’exemple de la disette de 1817 ; à cette époque quelques négociants appartenant au haut commerce ont gagné des millions. Guillaume qui était au nombre des accapareurs de grains a rempli ses coffres de millions pris au peuple qui mange du pain. Comme l’a dit le préopinant, dans les campagnes un honnête homme ne faisait plus le commerce des blés ; il n’y avait que les hommes avides qui spéculent sur la misère publique, qui osassent faire ce trafic. Il y avait assez de céréales pour faire vivre la population, mais les spéculateurs achetaient tout chez les cultivateurs et gagnaient des sommes immenses par le renchérissement. Quelques hommes se sont enrichis par suite d’une disette qu’ils provoquaient.

Mais si par une disette factice des hommes se sont enrichis, les classes moyennes et une foule de familles honnêtes se sont ruinées. Dans ma province, l’excessive cherté du grain, il valait 60 fr., a plongé dans la détresse pendant deux ou trois ans, une classe laborieuse et économe de familles ; elles ont dépensé alors toutes leurs économies pour se procurer du pain, et toutes ces économies sont entrées dans les coffres de cruels spéculateurs.

Messieurs, il ne serait pas difficile de réfuter toutes les assertions des adversaires du projet de loi ; je me bornerai à combattre celles qui m’ont paru mériter une réponse.

Je dirai d’abord au ministre de l’intérieur, qu’en Hollande les droits sur les genièvres sont remis à l’exportateur, et que pour soutenir la concurrence avec elle, il faudrait que le ministre des finances nous accordât la même faveur en remboursant le droit intégral pour les genièvres exportés.

Pendant la discussion de la loi sur les distilleries, j’avais proposé une disposition pour obtenir ce remboursement ; un député d’Anvers s’y est opposé.

Il est très vrai que la loi sur les distilleries a été portée pour éviter la fraude ; les fraudeurs gagnaient environ trois ou quatre millions par an ; la loi a mis fin à ces bénéfices immoraux ; elle a procuré des engrais à l’agriculture en multipliant les distilleries. Le petit commerce a gagné aussi par suite de cette loi. La consommation ou la fabrication du genièvre n’a rien d’immoral et ne produit rien d’immoral ; que ceux qui qualifient d’immoral le commerce du genièvre consultent les registres des cours d’assises, et ils verront que depuis la loi sur les distilleries le nombre des vols et des assassinats n’est pas augmenté. Ce sont ces registres qui témoignent de la moralité on de l’immoralité d’un peuple et de ses institutions.

L’honorable M. Devaux a adressé des interpellations à la section centrale, à la commission d’industrie et à la commission d’agriculture ; messieurs, pour répondre à toutes les observations de l’honorable membre, il faudrait faire une enquête qui durerait trois à quatre mois ; ce n’est pas dans notre situation actuelle, lorsque le froment est à 13 fr. et le seigle à 8 fr. que nous avons le temps de faire des enquêtes.

M. Devaux qui est très partisan des faits, a cité des faits : l’honorable membre a fait des excursions en France, en Hollande, en Allemagne et en Russie ; je ne le suivrai pas, et je resterai en Belgique.

D’abord, M. Devaux est allé en France, il a dit que dans certaines provinces françaises, le prix des grains était de 12 fr. et dans d’autres de 13 fr. ; à Verdun, a-t-il dit, le prix est de 10 fr. ; à Metz, il est de 11 francs. Je répondrai à l’honorable orateur qu’il aurait fallu prendre le prix moyen de toute la France, et que ce prix moyen est de 15 francs 60 centimes ; cela prouve messieurs, que le tarif français que je n’adopte pas cependant entièrement, n’est pas tellement mauvais, qu’il ne puisse protéger les céréales, puisque le prix du froment est en France de plus de 15 fr., tandis que chez nous il n’est que de 13 fr.

Il est impossible qu’en France il soit impolitique et même immoral d’imposer les grains, parce que la France ne récolte pas suffisamment pour sa consommation. Chez nous, il faut voir les choses autrement, nous avons un excédant, et il n’y a pas d’immoralité dans l’exportation des grains.

En Angleterre, il n’y a pas non plus d’excédant ; à Londres le prix du froment est de 20 à 22 francs. Vous voyez que le tarif est bien protecteur.

Pour le moment, je crois que la loi ne fera pas hausser les prix, mais ainsi que l’a fait remarquer un honorable préopinant, nous ne travaillons pas pour huit jours, nous travaillons pour l’avenir.

Lorsque les récoltes de l’Allemagne, du Danemark et du nord seront faites, vous pourrez être encombrés ; il faut donc vous prémunir contre une pareille importation et ne pas laisser les grains étrangers entrer en Belgique avec le faible droit de 2 francs par hectolitre de froment qui pèse sur eux, et d’un fr. 25 centimes par hectolitre de seigle.

Les grains des nations dont je parle peuvent être donnés à meilleur compte que le nôtre ; d’abord, en Allemagne, en Prusse les impôts et surtout l’impôt foncier sont moins forts, ensuite les cultivateurs sont des serfs que l’on fait travailler à coups de knout. Il n’est donc pas étonnant que les grains soient à meilleur marché en Russie.

Ce sont des calculs tirés de notre propre situation qu’il nous faut ici.

Je dirai qu’en 1831, il est entre en Belgique 14 millions de kilogrammes de grains de toute espèce, il n’en est sorti qu’un million de kilogrammes ; ainsi, vous voyez que malgré notre excédant, nos importations sont beaucoup plus fortes que nos exportations.

Je prouverai qu’elles ne s’élèvent qu’à 3 p. c. à l’égard des exportations ; cela explique comment nous avons 35 à 40 millions d’hectolitres de grains dans nos greniers.

En 1832, il est entré 117 millions de kilogrammes de grains de toute espèce ; nous n’en avons expédié qu’un peu au-delà d’un demi-million.

En 1832, sur 61 millions de kilogrammes d’importation, nous n’en avons exporté que 3 millions.

Cette année, il a déjà été importé pour 15 millions d’avoine et d’orge.

En Belgique la consommation de froment et de seigle n’est que de 6 à 9 millions, parce que le peuple se nourrit beaucoup de tubercules, de pommes de terre ; la moyenne de nos récoltes s’élève à 12 millions d’hectolitres, et même cette année, la récolte s’élèvera à 15 ou 16 millions.

Je le demande, en présence de la différence des importations et des exportations, et en présence de la différence de la production et de la consommation, pouvons-nous persévérer dans le système qui est actuellement en vigueur ?

Vous avez environ 40 millions d’hectolitres amassés dans vos magasins, comment recevoir encore après cela les grains étrangers ? Jusqu’à ce que vous ayez trouvé le moyen de mettre vos exportations au niveau des importations, le système actuel sera ruineux.

En vain fera-t-on valoir les considérations d’économie sociale d’Adam Smith et des J.-B. Say, et des autres économistes, leurs théories ne me font rien ; je ne crois pas aux théories ; je crois aux systèmes qui ont été mis en pratique.

L’honorable député de Verviers a dit que le système proposé par la section centrale donnait pour le froment 30 p. c. et pour le seigle 24 p. c.

Il y a exagération dans ce calcul ; je trouve que l’impôt ne sera pour le froment que de 24 p. c., et pour le seigle de 19 p. c., non compris les centimes additionnels. Remarquez aussi que lorsque le prix des grains haussera et qu’il ira à 15, 18 et même 20 fr., votre impôt ne sera plus que de 12, 15 et 16 p. c., etc. ; c’est-à dire à peu près le même droit protecteur qui existe pour une foule d’autres industries, ainsi l’agriculture ne demande pas une protection trop exagérée.

L’honorable députe de Verviers, partisan de la liberté illimitée du commerce, a dit que cette liberté était la poule aux œufs d’or. Messieurs, la véritable poule aux œufs d’or, pour nous, ce sont la terre et nos grains. Vous avez beaucoup d’armateurs et de spéculateurs étrangers, qui veulent plumer la poule. (On rit.)

Le système de M. Coghen me paraît pouvoir être amélioré, et je me hasarderai à déposer sur le bureau un amendement que je développerai plus tard.

M. Smits. - En prenant la parole sur l’importante question qui est soumise dans ce moment à votre examen, croyez que je ne me dissimule point les difficultés de sa position.

Si, d’une part, je partage la vive sollicitude de cette assemblée pour une des premières branches de la richesse publique, de l’autre je crains de porter cette sollicitude au-delà des limites posées par les règles d’une sage économie politique.

Ces règles, je les ai cherchées dans les travaux de la législature nationale, et comme l’honorable M. Meeus, j’ai trouvé qu’elles n’avaient encore été posées nulle part.

Cependant, messieurs, notre pays a besoin d’une grande fixité de principes. Destiné à devenir le centre d’un commerce d’échange très considérable entre différents peuples étrangers, on ne saurait, sans exposer ce commerce à des dangers bien réels, admettre avec facilité des modifications fréquentes qu’on trouvera toujours le moyen de colorer du prétexte d’urgence.

C’est donc, comme vous l’a dit M. Meeus, par examiner le principe du système que nous voulons adopter que nous aurions dû commencer l’œuvre de la régénération financière en matière de douane. Alors, messieurs, nous n’eussions pas été entraînés dans les discussions pénibles qu’ont déjà soulevées et que soulèveront encore les différentes propositions qui, depuis quelque temps, surgissent dans cette enceinte avec une inconcevable rapidité et détournent notre attention des lois qui doivent régler l’organisation des communes ; alors nous n’eussions pas vu le projet qui tend à gêner l’exportation des lins, s’accoler au projet qui réclame une protection plus grande pour l’agriculture ; alors aussi nous n’eussions pas rencontré dans le même recueil et la loi du chemin de fer, qui tend à renouer nos antiques relations avec l’Allemagne, et une loi plus récente qui a une tendance tout opposée.

Mais puisque le sort en est jeté, puisque la chambre n’a pas cru devoir attendre l’achèvement du travail de statistique générale qui est sur le point d’être achevé, pour procéder à la révision partielle du tarif des douanes, et que même elle a cru ne pas devoir attendre les propositions que le gouvernement se proposait de présenter à cet égard, il faut bien se résoudre à aborder dans leur isolement les questions toutes spéciales qui vous ont été soumises par droit d’initiative parlementaire.

Le projet actuellement en délibération est la troisième modification au système sur les céréales depuis l’époque de la révolution, et c’est conséquemment le troisième préjudice notable qui a été apporté au commerce et à l’industrie sans aucun avantage pour l’agriculture. Je dis qu’on a apporté, parce que toute proposition législative en matière de douane a pour effet immédiat de jeter l’incertitude dans les transactions et de compromettre quelques fortunes particulières.

Cependant, je me plais à rendre hommage aux intentions de l’honorable M. Eloy de Burdinne : il a vu dans la baisse momentanée du prix des céréales une cause de souffrance pour l’agriculture, et il a cru y devoir porter remède.

Mais son but sera-t-il atteint par la proposition qu’il vous a soumise ? En d’autres termes, un changement quelconque dans la loi sur les céréales amènera-t-il une hausse permanente ou quelque peu durable dans la valeur de ces denrées. Messieurs, il est permis d’en douter.

En 1823 comme en 1832, il soutenait également que les lois qu’on réclamait alors auraient renchéri le prix des denrées et auraient procuré à l’industrie agricole la protection qu’elle méritait ; on assurait aussi qu’elles ne pouvaient porter aucun préjudice à la navigation et au commerce des grains que, depuis 1821, nous avions si laborieusement conquis sur la Hollande. Eh bien, je le demande, ces prédictions se sont-elles accomplies ? Non. L’agriculture n’a point profité des lois, mais des circonstances, et la majeure partie du commerce s’est anéantie.

Il y a cependant cette différence entre les allégations d’alors et celle d’aujourd’hui qu’on reconnaît maintenant que l’adoption du projet de loi en discussion n’exercera aucune influence sur le prix des céréales ; mais alors pourquoi l’adopter ? Pourquoi ne pas la repousser comme inutile et intempestive, puisqu’elle l’est en effet ?

D’après le dernier relevé général des mercuriales du continent d’Europe et d’Amérique pendant le premier trimestre de cette année, l’hectolitre de froment se vendait :

A Odessa, le 14 avril, fr. 11 79

A Liverpool, le 18 avril, fr. 25 74

A Rotterdam, le 15 avril, fr. 14 70

A Dantzig, le 15 avril, fr. 11 04

A Hambourg, le 15 avril, fr. 10 08

A Bilbao, le 1er mai, fr. 14 69

En France, le 15 avril, fr. 15 05

Ces prix, d’après les renseignements que je viens de recevoir, sont encore à peu près les mêmes aujourd’hui.

Or, comme le terme moyen du prix du froment a été constamment à 14 fr. pendant la même période, il en est résulté que le Nord et la petite Baltique n’ont pu rien nous importer, puisque les frets et les droits auraient absorbé les bénéfices, et que d’un autre côté nous n’avons rien pu exporter, puisque la marge que présentaient nos prix, aurait également été absorbée par les transports et les droits que nous aurions eu à payer à l’étranger.

Les prix que je viens de citer prouvent encore deux grandes choses sur lesquelles j’appelle toute votre attention : la première, c’est que le pauvre et l’artisan français et anglais paient le pain qui les nourrit, grâce au système établi chez eux, 25, 50 et 100 p. c. plus cher que le nôtre, suivant la variation des prix ; la seconde, c’est que la Hollande, où le commerce des grains est le plus protégé, le prix des céréales, grâce également à son système, est resté plus élevé que chez nous.

A quoi tient cette dernière circonstance ? Aux causes que vous a déjà signalées M. le ministre de l’intérieur ; cela tient d’une part à la fixité du système adopté par la Hollande pour le négoce des céréales, fixité qui encourage la spéculation et maintient pour les prix une fluctuation presque toujours favorable à l’agriculture.

Privez en effet un article quelconque d’un produit national suffisant à la consommation de son commerce d’échange, c’est-à-dire du commerce d’importation et d’exportation ; aussitôt le prix prend son assiette en raison des frais occasionnés pour le produit, et les bénéfices de la hausse cessent. C’est là le mal inhérent à tout système répulsif, et ce mal ne peut manquer de se faire sentir pour noire agriculture.

A entendre les plaintes par lesquelles on cherche à vous émouvoir en faveur d’une loi répulsive sur les céréales étrangères, on dirait, messieurs, que le ciel dans sa colère nous a accablés des plus grandes calamités, et que jamais les prix des grains ne sont descendus aussi bas ; mais on oublie que ces prix n’offrent rien d’extraordinaire puisque pendant presque tout le cours du siècle dernier, c’est-à-dire, pendant toute la période de 1700 jusqu’en 1760, le froment a été constamment vendu sur notre principal marché, celui de Louvain, à 1 fl. et1I fl. 10 par halster, ce qui revient à peu près à 4 fr. 10 ou 8 fr. l’hectolitre, et non pas à 11 fr. comme on l’a dit.

M. d’Hoffschmidt. - A cette époque la valeur de l’argent n’était point ce qu’elle est aujourd’hui.

M. Smits. - C’est vrai : il n’y a point de comparaison à faire sous ce rapport entre le siècle dernier et l’époque actuelle. Mais on doit aussi ne pas perdre de vue que les bénéfices sur les autres produits de l’agriculture, tels que les légumes, les fourrages, le lait, le beurre, sont augmentes par suite même de l’extension des besoins ; que beaucoup d’objets devenus nécessaires à la vie tels que les sucres, les cafés, et autres denrées, ont considérablement baissé de prix et qu’enfin les objets d’habillement et d’entretien ainsi que les outils sont devenus moins coûteux par le perfectionnement du travail. Si donc l’on compare ces faits avec ceux du 18ème siècle, et qu’on fasse attention encore que la moyenne du prix pour le froment a été pendant les dix dernières années de 9 fl. ou 18 fr., ou trouvera que le désavantage n’est point pour l’époque actuelle.

Les craintes constamment amenées par les événements extraordinaires dont notre époque a été le théâtre, ainsi que l’augmentation des richesses produite dans ces derniers temps par le commerce régulier et le commerce des fonds publics, ont dû nécessairement faire refluer beaucoup de capitaux vers les propriétés rurales. La valeur de celles-ci a dû nécessairement s’en ressentir, et de là est née une diminution dans le rendage, c’est-à-dire, dans le montant de la rente annuelle qui, pour quelques propriétés, se trouve réduite à 2 1/2 et 2 p. c.

On conçoit dès lors que le propriétaie doit nourrir le désir d’augmenter la rente par le renchérissement des produits, sans lequel le cultivateur ne saurait s’assujettir à donner un plus fort loyer des terres qu’il exploite ; mais ce calcul de l’intérêt privé, quoique très légitime, la législature doit-elle le favoriser ? On ne le pense pas ; car le propriétaire a connu la somme de la rente avant son achat ; il a su que le fermier ne pouvait payer qu’en raison des bénéfices ordinaires des produits, et il doit conséquemment s’en contenter, d’autant plus que l’augmentation des loyers est souvent défavorable à l’agriculture, attendu qu’elle décourage l’agriculteur alors que les bénéfices opérés pendant son bail précédent, et qui ont été les motifs de l’augmentation, viennent à cesser par suite d’une baisse dans la valeur des produits.

Mais, dit-on, il est cependant reconnu que l’agriculture nationale n’est pas suffisamment protégée contre l’agriculture étrangère, et c’est cette protection que nous réclamons parce qu’il est juste qu’une industrie ne soit pas plus avantagée que l’autre.

Examinons :

Dans une année commune nos fermiers doivent obtenir les prix suivants :

Du froment, 18 fr. par hectolitre.

Du seigle, 6 fr.

De l’orge, 5 fr.

Du sarrasin, 4 fr.

De l’avoine, 2 fr. 50 c.

Or, comme les droits actuels sont, par 1000 kilog.

De froment, de fr. 11, 25, soit 98 c. par hectolitre

De seigle, fr. 7,50, soit 59 c.

D’orge, fr. 6,50, soit 44 c.

De sarrasin, fr. 5,00, soit 37 c.

D’avoine, fr. 3,18, soit 26 c.

Il en résulte que d’après les prix susdits les droits d’entrée sont sur le froment équivalents à 11 p. c., sur le seigle à 10 p. c., sur l’orge 9 p. c., sur le sarrasin à 9 p. c., et sur les avoines également 9 p. c.

Voilà, messieurs, la protection de notre agriculture contre l’agriculture hollandaise, française et anglaise ; et, certes, on ne prétendra pas que nous ayons beaucoup à redouter de leur concurrence.

Maintenant, voyons quelle est cette protection contre le Oldenbourg et le Danemarck. Les froments, seigles et orges qui nous arrivent de ces pays, valent ordinairement dans nos marelles, en moins que les produits du pays, savoir :

Le froment, fr. 1,25

Le seigle, fr. 0,75

Les orges, fr. 0,75

Les sarrasins, fr. 1,00.

Or, comme les frets et assurances s’élèvent ordinairement dans une bonne saison, pour les céréales expédiées de ces pays sur nos entrepôts,

à 86 cents pour le froment,

74 pour le seigle,

70 pour l’orge,

74 pour le sarrasin,

65 pour l’avoine,

il en résulte encore une fois que la protection que nous avons contre ces derniers pays est de

33 p. c. pour le froment,

34 p. c. pour le seigle,

37 p. c. pour l’orge,

52 p. c. pour le sarrasin,

35 p. c. pour les avoines.

Si l’on ajoute ensuite à cette protection les frais que les cultivateurs de l’Oost-Frise, du Oldenbourg et du Danemarck doivent faire pour amener leurs grains dans les ports de mer, les commissions, les courtages et la main-d’œuvre qu’ils ont à payer, frais qu’on peut estimer à au moins 10 p. c., on trouvera que les droits protecteurs susdits s’élèvent de 44 à 62 p. c.

Vous voyez, messieurs, que nous sommes bien loin encore du système de la liberté illimitée dont personne ne veut, et qui véritablement n’est qu’un fantôme dont on s’effraie à tort.

Je m’étais encore livré à d’autres calculs pour démontrer que, dans une année d’abondantes récoltes qui provoque la baisse des prix, le fermier reçoit même une somme de bénéfices plus forte que dans une année de récoltes médiocres, alors que les prix sont ordinairement plus élevés ; et l’on conçoit en effet que si, sur une superficie donnée, on récolte 130 hectolitres de froment dans une année d’abondance, et qu’on les vende au prix actuel de 14 francs, le cultivateur obtiendra une plus forte somme que si on ne récoltait que 100 hectolitres dans une année ordinaire et qu’il les vendît au prix de 18 francs qui est le terme moyen des dix dernières années ; mais, messieurs, comme la presse périodique a déjà publié des calculs semblables, je me dispenserai de les rappeler. Seulement, je saisirai cette occasion pour vous faire voir combien les alarmes qu’on a jetées à l’occasion de la seule importation des 10,161 hectolitres de froment et 1,593 dc seigle faite en 1831 par la Prusse pour le pays de Verviers et de Herve sont exagérées.

En effet, messieurs, tous les calculs statistiques établissent que la consommation de la Belgique en grains peut, comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur, être évaluée comme celle de l’Angleterre, à 5 hectolitres par habitant et par année : soit, au terme moyen de 75 kilog. par hectolitre, 225 kilog. par personne et par année ; donc, pour quatre millions d’habitants ; neuf cents millions de kilog. par année, 2,465,750 kilog. par jour et 102.740 kilog. par heure. Or, comme les importations dont je viens de parler ne montent pas au-delà de 881,550 kilog., il en résulte qu’elles ont à peine suffi à la consommation de huit heures, ce qui, comme l’a dit l’honorable M. Devaux, forme à peine un déjeuner pour la Belgique.

Vous voyez, messieurs, que quand on réduit ainsi les choses à leurs véritables proportions, elles perdent beaucoup de l’importance qu’on a voulu leur donner.

L’honorable M. Eloy de Burdinne vous a dit aussi dans son discours d’ouverture que l’Angleterre ne produit que le 1/3 des céréales nécessaires à sa consommation, et la France seulement les 3/4. Si ce calcul est exact, il y aurait une importation dans le premier pays de 44,000,000 d’hectolitres, et dans le second de 24,000,000, ce qui fait soixante-huit millions d’hectolitres.

M. Eloy de Burdinne. - C’est une erreur d’impression.

M. Smits. - C’est différent, sans cela j’aurais fait remarquer que les navires employés au transport des céréales ne peuvent charger, l’un parmi l’autre, que 1,500 lasts, et qu’il faudrait conséquemment 45,000 navires pour transporter seulement les céréales dont la France et l’Angleterre ont besoin. Je ne crois pas qu’il en existe 3,000 dans l’Europe entière.

Quoi qu’il en soit des importations dont je parlais tantôt, je dis que s’il y a aujourd’hui un trop-plein et que ce trop-plein soit cause, comme ce n’est pas douteux, da la dépréciation des céréales, c’est que l’année 1832 a fourni une récolte extrêmement abondante, et c’est que beaucoup de nos fermiers, qui sont spéculateurs eux-mêmes, ont gardé leurs excédants dans la prévision d’un événement quelconque ou d’une guerre qui, heureusement n’a pas eu lieu.

L’industrie, le commerce et la navigation doivent-elles pâtir de cette imprudence ? ne serait-ce pas d’ailleurs agir inconsidérément que de prendre le prix actuel des céréales pour motif d’une majoration, alors, messieurs, que le prix des 10 dernières années répond pour le froment à une moyenne de 18 fr. par hectolitre ?

S’il est de 13 fr. aujourd’hui, c’est une de ces vicissitudes inhérentes à tous les genres d’industrie ; mais ce n’est pas un motif, je le répète, pour frapper de nouveau le principal aliment du peuple, et pour anéantir entièrement le commerce des grains ; car, soit qu’on adopte le tarif de M. Eloy, soit qu’on adopte celui de la section centrale, cet anéantissement est également inévitable puisque le premier, en graduant les droits d’entrée d’après les mercuriales, empêche toutes les spéculations, et que le second, en fixant un maximum et un minimum, rend également le commerce impossible et même une disette très probable.

Supposons, messieurs, une opération. Le prix des grains est ici 18 fr. ; le propriétaire du Nord y voit une marge suffisante pour nous expédier une cargaison sur laquelle il recevra par à compte le 1/4 ou la 1/2 de la valeur ; le navire fait voile ; mais, arrivé en Belgique, la mercuriale des prix est diminuée et la quotité des droits est augmentée ; en d’autres termes la valeur de la marchandise a baissé, et les droits qui la frappent se sont élevés.

Ainsi d’une part l’opération est devenue mauvaise par la dépréciation de la valeur de la denrée, et de l’autre on force encore l’expéditeur à payer des droits sur lesquels il n’avait pu raisonnablement compter.

Vous le voyez, messieurs, ce seul exemple prouve à l’évidence qu’avec le système de M. Eloy de Burdinne le commerce est presque impraticable, et qu’avec celui de la section centrale, auquel l’honorable membre s’est rallié, il est impossible ; car si celui-ci ne présente pas les inconvénients de la variation presque journalière des droits, il présente l’inconvénient bien plus grave encore du minimum, attendu qu’il frappe de prohibition l’entrée des grains étrangers alors que la mercuriale du pays est descendue à 15 fr. l’hectolitre pour le froment et à 8 fr. l’hectolitre pour le seigle, de sorte qu’une cargaison qui serait expédiée lorsque les prix étaient encore à 15 ou 14 fr. pourrait se trouver repoussée en arrivant dans nos ports.

Vous concevrez, messieurs, que personne, pas un seul négociant, ne voudra s’exposer à ces éventualités continuelles, et que conséquemment le commerce cessera entièrement.

M. A. Rodenbach. - Mais on aura les entrepôts et le transit.

M. Smits. - Oui, nous aurons des entrepôts et le transit ; oui, on pourra toujours entreposer, transiter ou réexporter ; du moins la loi le dit : mais lorsque les grains sont à bas prix en Belgique, ils le sont également en France, en Hollande, en Prusse et en Angleterre, attendu que les climats sont à peu près les mêmes ; et que lorsqu’il y a abondance chez nous, il y a également abondance chez eux. Eh bien, je le demande, dans ce cas où transitera-t-on ? Nulle part puisqu’il n’y a pas d’issues, et les grains devant conséquemment se réexporter vers des pays lointains ou rester en entrepôt, il faudra bien que la valeur s’anéantisse, soit par les avaries et les charançons, comme on l’a dit, soit par les doubles frets, les frais d’entreposage et les manipulations.

Je m’expliquerai plus tard sur le maximum ; mais je ferai remarquer en attendant que ce système de maximum et de minimum avait aussi eté proposé en 1822 aux anciens états-généraux, et que toujours (l’honorable M. Pirson que je vois ici présent pourra attester ce fait) les députés belges même ont reculé devant l’adoption d’une mesure aussi défavorable pour le pays que désastreuse pour le commerce.

Ce dernier a été détruit par de pareilles mesures en France et en Angleterre ; et il n’y a qu’à jeter les yeux sur les mercuriales de ces pays pour juger combien ils ont été favorables aux populations de ces royaumes.

Agirons-nous de même alors que le peu de commerce que nous avons encore alimente notre navigation intérieure, ressource si féconde de travail, et que c’est ce commerce, seul et puissant auxiliaire de notre industrie, qui est aussi seul capable d’écouler l’excédant de nos céréales ?

Le ministre de l’intérieur vous a parlé tantôt des exportations qui se font par le commerce des grains. Eh bien, je possède un tableau qui les indique pour le premier trimestre de cette année. Il en résulte que, sur 38 navires, deux seulement sont partis sur lest, et que les exportations opérées par les autres en produits nationaux, tels, que clous, cuivre, fer, mercerie, meubles, cristaux, sucres raffinés, tissus, houblon, etc., ont excédé la valeur des importations à Anvers de fr. 688,825, à Gand de fr. 156,026 et à Bruxelles de fr. 91,798. Conséquemment à une somme totale de fr. 836,650. Et cela pendant trois mois et avec quelques bâtiments insignifiants.

J’appelle, messieurs, sur ce fait l’attention de MM. les députés des Flandres, du Brabant, de Namur, de Liége et du Hainaut ; il doit leur prouver que si la navigation pour le commerce des céréales était plus vivace, l’exportation des produits de leurs provinces pourrait devenir plus considérable, et que vouloir maintenant encore, sans profit pour l’agriculture (car si je voyais ce profit, je voterais pour la loi), éloigner la faible navigation qui nous reste, c’est priver l’industrie et l’agriculture nationale même d’une ressource précieuse, et préparer à la première une crise qui ne saurait manquer de se présenter.

Des renseignements que je viens d’avoir l’honneur de vous donner, vous aurez pu également tirer la conséquence, messieurs, que ce n’est seulement pas une question d’intérêt commercial proprement dit, mais également une question d’industrie qu’il s’agit de décider ; mais ne perdez pas de vue que quand on aura éloigné le commerce et la navigation par les droits différentiels qu’on vous propose, et qu’on aura renchéri la nourriture du pauvre et de l’ouvrier (si toutefois la loi exerce quelque influence), il faudra bien aussi accorder de nouvelles protections aux fabriques, car tout se tient, messieurs, dans le monde économique.

Ainsi, quand l’artisan devra payer son pain plus cher, il réclamera une augmentation de salaire ; cette augmentation augmentera les frais du travail et conséquemment le prix de revient des produits : ces produits, ne pouvant plus par là concourir sur les marchés étrangers ou intérieurs, réclameront, comme je l’ai dit, de nouvelles protections qui, à leur tour, viendront de nouveau aggraver la position du consommateur.

Messieurs, j’avais encore beaucoup d’autres considérations à vous soumettre ; mais comme la plupart d’entre elles viennent de vous être présentées par M. le ministre de l’intérieur, et que je ne veux pas abuser des moments de la chambre, je terminerai par une réflexion qui déterminera mon vote négatif, celle, messieurs, que c’est un principe fondamental en économie sociale que tous les bénéfices d’un pays reviennent à la propriété, et que tout ce qui nuit à ces bénéfices produits par le travail de l’ouvrier, les capitaux de l’industriel, du négociant et du capitaliste, tourne indirectement contre la propriété même, et conséquemment aussi contre l’agriculture.

M. Angillis. - Dans son exorde, M. le ministre de l’intérieur s’est plaint de la précipitation que la chambre a mise à discuter le projet en délibération, sans entourée de toutes les lumières capables d’éclairer la question ; il aurait désiré que l’on fît une enquête. Mais, messieurs, voilà six mois que le projet est connu du public, et cependant jusqu’à ce jour aucune réclamation contre ce projet n’est parvenue à la chambre. Mais cette question n’est pas neuve en Belgique : elle fut provoquée devant les états-généraux par de nombreuses réclamations ; elle fit naître un nombre considérable d’écrits, où elle fut examinée et analysée dans ses causes les plus intimes ; et c’est après une investigation qui a duré deux années qu’elle a été si solennellement discutée et résolue. L’opinion de la majorité des états-généraux fut pour l’adoption d’un tarif, et cette opinion règlera mon vote dans cette discussion.

M. le ministre dit encore que les députés des Flandres ont déjà obtenu, par la loi sur les distilleries, un grand encouragement pour leur agriculture. Il ne s’agit pas ici des députés des Flandres, ce ne sont pas eux qui ont proposé le projet. A la vérité quelques-uns de ces députés s’y sont ralliés parce que le projet est dans l’intérêt de l’agriculture, et que dans les Flandres on pense toujours, malgré la théorie de nos soi-disant économistes, que les nations qui ne sont que maritimes ou commerçantes ont bien les fruits du commerce, mais que l’arbre en appartient aux peuples agricoles ; et que l’agriculture est la première et la véritable richesse d’un Etat.

Je dis que quelques députés des Flandres se sont prononcés pour le projet, car vous avez entendu le discours de M. de Foere qui a été contre le projet, et où les propriétaires fonciers sont traités un peu cavalièrement ; M. Devaux, qui est aussi député de la Flandre, s’est également prononcé contre ; d’autres encore suivront peut-être le même exemple : donc les députés des Flandres, qu’on a l’air d’accuser de prétendre à des faveurs extraordinaires, ne sont pour rien dans la proposition qui est à l’ordre du jour.

Quant à la loi sur les distilleries, je ne crois pas que l’agriculture ait été son but ; on a voulu réprimer la fraude en diminuant les droits, on a voulu aussi encourager cette branche d’industrie nationale : si l’agriculture en profite indirectement, ce léger profit, cet avantage n’a pas été l’objet principal de la loi ; et si on met cette haute faveur dont on parle à côté des centimes additionnels ajoutés à la contribution foncière, elle se réduit à zéro.

Le premier orateur qui a parlé contre le projet a dit que c’est toujours à l’improviste que l’on propose des lois pour modifier notre tarif de douanes, sans qu’antérieurement la chambre ait posé et assis un seul principe.

Messieurs, je ne connais pas de principe exclusif en matière de douanes. Chaque article du tarif est une loi spéciale, une loi à part qui n’est pas nécessairement liée avec celles qui précédera et celles qui suivent : ce sont des lois qui n’ont pas la durée pour condition essentielle ; elles sont basées sur le besoin de l’industrie ; elles sont restrictives ou libérales, selon l’intérêt de quelques branches de la prospérité nationale, et surtout selon la disposition de nos voisins ; toutes ces lois se modifient selon les circonstances. On peut donc fort bien introduire dans notre tarif des changements partiels sans être réduit à une révision générale.

M. de Foere a soutenu que les propriétaires ont constamment augmenté les baux des propriétés foncières. Cette allégation, messieurs, est inexacte ; depuis vingt ans les baux n’ont presque pas varié, et tous ceux qui ont été augmentés en 1817 ont été réduits à leur ancien prix après leur expiration.

M. le ministre insiste pour avoir un système libéral de douanes. Messieurs, je suis de son avis, mais il faut nous entendre sur ce point. Sous l’ancien gouvernement on a voulu abaisser les barrières qui isolent presque tous les Etats en proclamant une grande liberté de commerce ; mais on n’a pas répondu à notre appel, aucun de nos voisins ne nous a imités.

Au contraire, l’expérience nous a appris que nous devons mettre à notre libéralité une condition qui en excite chez les autres les sentiments et les libéralités réciproques ; la simple raison nous dit que nous devons ménager à nos habitants, chez les étrangers, les droits que nous accorderons chez nous à ceux-ci. En agir autrement, ce serait, d’un côté, mettre le bienfait, de l’autre, l’ingratitude : ce serait livrer le territoire belge à ceux qui nous excluraient du partage de leurs marchés ; ce serait accorder en Belgique une prime à l’industrie de nos voisins, et accabler la nôtre d’entraves. La réciprocité, au contraire, ralliera graduellement tous les peuples vers le terme que les hommes sages désirent atteindre ; ils donneront pour obtenir. Voilà la clause des premiers contrats qui se firent entre les hommes ; voilà le point de réunion de tous les intérêts passés, présents et futurs.

Des exemples récents viennent de répandre un grand jour sur cette vérité. L’Angleterre, la prohibitive Angleterre, a déjà beaucoup modifié son système exclusif. Avec le temps, la liberté raisonnée du commerce sera le résultat de l’action contenue du ressort qui tend à détruire toutes les entraves.

Mais, en attendant que nos voisins changent de système à notre égard, n’immolons pas les intérêts de notre propre famille à ceux d’une famille étrangère : il est une bienveillance au-dessus de cette bienveillance générale qui embrasse le genre humain ; c’est celle que nous devons à notre patrie, à nos concitoyens.

Selon MM. Meeus et de Foere, c’est à peu près la faute des cultivateurs s’ils sont maintenant forcés de vendre leurs grains à vil prix. Nos cultivateurs, disent-ils, sont dans l’aisance ; ils gardent leurs grains pendant deux et trois ans : s’ils avaient vendu depuis longtemps, ils en auraient été débarrassés.

Messieurs, il y a là autant d’erreurs que de mots : d’abord, en Flandre, les cultivateurs ne sont pas dans l’aisance ; et je cite ici les Flandres, parce que en fait d’agriculture ce pays fait la règle. En Flandre, à l’exception d’un endroit que l’on nomme Furnes-Ambacht, les cultivateurs vendent leurs grains par partie chaque semaine sur un ou deux marchés. On conçoit qu’on ne peut pas vendre tout à la fois, parce qu’il y aurait folie et impossibilité : ils vendent donc pendant toute l’année.

Le cultivateur ne ressemble point à un négociant qui calcule ses frais et ses gains pour les retrouver dans ses ventes : il cultive, parce que la terre est plutôt l’emploi de sa vie que le moyen de sa fortune : loin de garder sa récolte pendant des années, il doit la vendre sans pouvoir calculer ni ce qu’il gagne, ni ce qu’il perd. Trop heureux de s’en défaire pour payer les impôts et les fermages, il est à la discrétion de l’acheteur.

Nos cultivateurs, pour ne pas être dans l’aisance, ne sont cependant pas absolument pauvres ; et pourquoi ? Parce que la pauvreté s’arrêtera longtemps devant la porte de la maison de l’homme actif et sobre avant d’y entrer. Mais leur situation est en ce moment digne de fixer l’attention de l’homme d’Etat. Plusieurs sont dans l’impossibilité de payer leurs fermages, qu’ils doivent depuis trois, quatre et cinq ans. A cela, MM. Meeus et de Foere trouvent un moyen très simple, mais un peu tranchant. C’est, disent-ils, qu’il faut diminuer les fermages. Ce moyen, messieurs, tout philosophique, tout philanthropique qu’il soit, présente cependant quelques petits inconvénients ; je me permettrai de les citer.

D’abord, la contribution foncière est basée sur la haute valeur du produit de la terre ; en diminuant les fermages, l’impôt foncier sera hors de toute proportion avec la rente de la terre, et alors il faudrait réduire l’impôt pour le mettre en harmonie avec cette rente : je demanderai à ces messieurs quels moyens ils indiqueront pour indemniser le trésor de la diminution de l’impôt foncier. Peut-être ne voudraient-ils pas diminuer l’impôt foncier, mais alors il y aura une injustice criante ; car si, dans l’achat j’ai dû calculer l’impôt, j’ai dû aussi calculer le revenu, et si vous me forcez à diminuer mon revenu qui est la base de votre impôt, vous devez, pour être juste, diminuer la contribution foncière, autrement elle ne sera plus en rapport avec sa base.

Mais ce n’est pas tout ; l’honorable membre qui connaît si bien la valeur des produis annuels de nos terres, ne connaît peut-être pas avec le capital de la rente hypothéquée sur la fortune foncière : ce capital est énorme, messieurs, et la moitié de toutes ces rentes anciennes et nouvelles paie un intérêt de 5 p.c. tandis que le propriétaire ne loue communément qu’à 3 p. c. Pour établir une proportion dans tout le système, il faudrait également engager les rentiers à diminuer l’intérêt de la rente hypothéquée. Il y a encore quelque chose, le propriétaire foncier qui diminuera le prix des baux, sera forcé de diminuer ses dépenses ; il retranchera d’abord les dépenses du luxe : de là perte pour les arts et l’industrie. Il renverra une partie de ses domestiques ; au lieu de faire travailler en grand, il fera peut-être comme les propriétaires des maisons pillées à Bruxelles, il laissera les propriétés dans un état de dégradation : de là perte pour tout le monde.

Il ne suffit pas à l’ouvrier que le pain soit à bas prix, il faut encore qu’il trouve assez de travail pour pouvoir acheter le pain et les autres objets qui lui sont nécessaires ; et si vous mettez les propriétaires dans l’impossibilité de pouvoir faire travailler, qui sont ceux qui donneront du travail au peuple ?

C’est un principe incontestable que le bonheur des ouvriers dépend surtout de la proportion qui s’établit entre leur nombre, la masse des travaux à exécuter et les denrées alimentaires ; par conséquent toutes les hypothèses dans lesquelles cette proportion n’est pas mise en ligne de compte, portent sur une base fausse.

Et remarquez, messieurs, quelle différence de position entre le propriétaire foncier qui paie un impôt énorme à l’Etat, qui ne retire de son bien qu’un revenu de 2 à 3 p. c., et qui demeure chargé de toutes les réparations et frais d’entretien et de conservation, et le capitaliste dont la fortune est en portefeuille, qui ne paie rien à l’Etat, et qui, s’il est un peu adroit comme cela arrive ordinairement, peut obtenir un revenu de 6 à 20 p. c. Et pour prix de tous les sacrifices que la propriété foncière n’a cessé de faire, on voudrait l’écraser sous le poids des impôts et lui refuser tout secours ! Je dis donc avec M. Eloy de Burdinne que c’est trop fort.

M. Meeus. - Messieurs, avant de réfuter les orateurs qui ont répondu hier et aujourd’hui aux paroles que j’ai prononcées dans une séance précédente, je commencerai par répondre à ce que vient de dire l’honorable M. Angillis. Ce que j’ai trouvé de plus spécieux dans ses paroles, c’est la conclusion qu’il tire de ce que le propriétaire foncier paie à l’Etat une contribution sur ses propriétés, et de ce que plusieurs propriétés se trouvaient chargées de rentes hypothéquées. L’honorable orateur vous dit que forcer le propriétaire à diminuer les baux, faute de protection à l’agriculture, sans diminuer la contribution foncière, c’est faire une injustice. En vérité, où en sommes-nous, si sur les faits les plus simples nous entendons faire de semblables comparaisons ?

Qu’a de commun la contribution foncière avec le revenu de la terre ? Depuis le mois de novembre 1790, si ma mémoire est fidèle, où la contribution foncière fut décrétée par l’assemblée constituante, depuis cette époque, dis-je, plus des trois quarts des biens en Belgique ont passé dans de nouvelles mains.

Or, je vous demande si, quand vous achetez une terre, vous faites attention à autre chose qu’au revenu que paie le fermier ? Est-il jamais venu à la pensée de l’acheteur de faire le calcul suivant : Cette terre rapporte par le fermier 60 francs, mais il paiera à ma décharge 10 francs au trésor public, donc la terre me rapportera 70 francs ; je capitalise sur cette donnée à raison de tant pour cent.

Jamais cela n’est venu à la pensée de personne. Si une terre est chargée d’une rente, vous la payez d’autant moins.

Qu’est-ce que cette rente a de commun avec le revenu ? Absolument rien, puisque vous n’avez payé qu’à raison du revenu que vous produira le bien que vous achetez ? Vous n’avez pas établi dans le calcul de votre revenu la contribution foncière ? Non, et par une raison fort simple, c’est que vous ne vous êtes pas attendu et que vous ne pouviez pas vous attendre à ce que la contribution foncière fût changée ; vous l’avez regardée comme une véritable rente hypothéquée à l’Etat, vous n’avez calculé le prix d’achat que sur le revenu qu’allait rendre le fermier, soit qu’après le bail existant le fermage dût être diminué ou augmenté.

Cela est vrai, messieurs, je le répète, pour les trois quarts, je pourrais dire pour les sept huitièmes des propriétés foncières en Belgique, qui ont changé de mains depuis 1790. Que ceux qui ont des terres qu’ils possédaient avant cette époque se plaignent du décret de l’assemblée constituante, je le veux bien ; mais il n’en est pas moins certain qu’il est presque vrai de dire que la terre est frappée d’une hypothèque en faveur de l’Etat. C’est pour cela que tous les hommes qui, en France comme en Belgique, ont étudié les lois cadastrales ont élevé des doutes sur la question de savoir s’il était bien juste de diminuer la contribution foncière dans certaines provinces, certaines localités, qui se plaignent d’être surchargées ; et ils se basaient sur cette raison que le propriétaire avait acheté la propriété grevée de cette charge. Je ne veux pas m’étendre davantage sur cette matière.

Bien que des hommes de talent aient soutenu cette thèse, je ne viens pas l’épouser pour le moment. Mais vous comprendrez, après les réflexions que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, que les arguments lancés ici par l’honorable préopinant ne sont d’aucune valeur.

Messieurs, en commençant à énoncer mon opinion dans une séance précédente, j’ai insisté surtout pour que la chambre, avant de continuer à déchirer ainsi le tarif des douanes existant, posât le véritable principe en économie sociale, principe basé sur la justice et la raison.

J’ai eu l’honneur de vous dire que toute nation qui s’écarterait d’une règle fixe tomberait dans les erreurs où sont tombées la France et l’Angleterre. Qu’on ne vienne pas citer ces nations et dire : Cela existe chez elles. Car les esprits sains en Angleterre et en France gémissent aujourd’hui du système restrictif et prohibitif qui y domine. Eh bien, où allons-nous avec le principe qui domine le projet de loi en discussion ? Nous allons précisément au point où ces nations souffrent de se trouver. Quand elles descendent la montagne, nous allons la gravir.

Non, vous ne ferez rien de bien tant que vous n’aurez pas admis le principe que je posais, qu’une industrie n’a droit à une protection qu’autant que l’intérêt de tous s’y trouve engagé ; que la généralité en un mot ne doit pas être victime de la minorité. Si une industrie qui représente un capital court risque d’être enlevée au pays, élevez des droits conservateurs. Mais si vous établissez des droits en faveur d’une industrie, sans nécessité, sans qu’il en résulte un bénéfice pour la généralité, vous accordez un privilège.

Ce sont là les conséquences que devra avoir l’élévation qu’on vous demande du prix des grains, et vous allez probablement l’accorder. Je le crains bien. D’après le principe de la loi, c’est une faveur, dit-on, qu’on veut faire à l’agriculture. Mais la loi, soyez-en certains, sera sans efficacité. L’agriculture va continuer à languir, comme l’entendent les membres de cette chambre qui défendent la loi ; car ce qu’ils appellent langueur pour l’agriculture, moi je l’appelle prospérité.

Eh bien, dans peu de temps, on viendra vous dire que le taux de 13 francs fixé par votre loi ne suffit plus, qu’il faut qu’il soit élevé à 18 fr. par exemple. Ce n’est pas tout : comme cette élévation aura été également inefficace, on viendra vous dire : « Nous n’avons pas réfléchi qu’il est d’autres céréales à imposer que le froment et le seigle. Nous voyons arriver dans les ports d’Ostende et d’Anvers des cargaisons de graines de lin, de colza, de chanvre, etc., etc., que nous envoient le pacha d’Egypte, la Russie, l’Allemagne (le pacha reçoit en nature des graines de lin comme paiement des contributions). Puisque vous avez établi un droit sur le froment et le seigle, vous dira-t-on, puisque vous avez imposé ces objets de consommation de la classe ouvrière, à plus forte raison ne vous refuserez-vous pas à établir un droit sur la graine de lin, de colza, etc. ; sur les céréales enfin, dont les classes plus fortunées seules font usage, On ne vous reprochera pas au moins, cette fois, ajoutera-t-on, le prix du pain du pauvre ; c’est le riche que vous allez frapper. »

Mais l’on ne s’arrêtera pas en aussi bon chemin. On remarquera qu’il arrive dans nos ports des huiles de baleine qui servent à nos savonneries, des huiles de Gallipoli. Ces méchants fabricants de Verviers, par exemple, poussent le manque de patriotisme jusqu’à faire usage de cette huile de Gallipoli qui nous vient de la Méditerranée, tandis que nous avons l’huile indigène de colza qui est aussi bonne et peut servir aux mêmes fins. Vite un droit sur l’huile de baleine ! sur les huiles d’olive.

Ce n’est pas tout encore. Les propriétaires de bois paient des contributions énormes. Les lois sont injustes à leur égard, vous dira-t-on. Presque partout l’hectare de bois est taxé sur le pied d’un hectare de terre cultivée, comme s’il rapportait un revenu égal au prix d’une récolte de froment dans le même espace donné. Il faut absolument une protection en faveur des propriétaires de bois. Vous laissez arriver des cargaisons entières de bois de construction qui viennent de la Baltique. N’avons-nous pas nos forêts ? Ne peuvent-elles pas suffire aux demandes du commerce ? Pourquoi les entrepreneurs préfèrent-ils le sapin du Nord dans la construction des maisons ? Nous leur donnerons notre bois blanc. Pour les bois de construction, qu’ils prennent nos chênes. Vite un droit sur les bois étrangers.

Lorsque vous aurez établi des droits sur toutes les marchandises qui nous viennent de l’étranger, lorsque vous aurez protégé l’industrie agricole et toutes les industries qui viendront vous réclamer une égale protection, le prix de la main-d’œuvre augmentant, vous ne pourrez plus livrer vos produits qu’à des prix plus élevés que chez les nations voisines. Indépendamment de ces désavantages qui vous placeront dans la situation où se trouve la France actuellement, vous trouverez qu’en voulant sur de telles bases protéger votre commerce et votre industrie, vous n’aurez en définitive accordé que des privilèges.

Ce sont là des vérités dont tout le monde aujourd’hui reconnaît la justesse. Consultez en France les hommes spéciaux, les hommes les plus avancés en économie sociale, et qui sont même très haut placés auprès du gouvernement ; ils vous diront tous : Nous savons bien que notre système est vicieux. Nous voudrions bien le changer. Mais pouvons-nous en un jour proposer l’adoption d’une marche plus libérale, plus conforme aux libertés commerciales que réclament les peuples au XIXème siècle, à une chambre composée en majorité de propriétaires fonciers, de propriétaires d’usines et de hauts-fourneaux, etc., où se résument tous les intérêts du système prohibitif ? Nous serions infailliblement repoussés. Nous ne pouvons sortir de l’ornière où nous sommes engagés qu’à la longue. Nous tâchons tous les ans d’obtenir des concessions plus libérales.

On a, messieurs, opposé l’exemple de l’Angleterre, qui n’est pas d’ailleurs dans la même position que la France. Mais l’Angleterre est dans une situation tout exceptionnelle. Ce pays, composé de 24 millions d’habitants, fournit à la consommation de 200 millions d’individus.

Il en est en outre cent millions qui subissent les conditions qu’il veut leur imposer pour les articles de consommation. Je conçois qu’il a été possible à l’Angleterre d’établir des droits énormes sur la consommation intérieure. Il y a eu dans cette manière de procéder l’application d’un principe faux, mais qui a pu réellement porter quelques fruits. Mais il ne faut pas se dissimuler que l’Angleterre gémit elle-même de l’adoption d’un système dont elle reconnaît les vices. Il ne faut pas se dissimuler non plus qu’elle est dominée par l’intérêt particulier, par l’aristocratie qui possède toutes les terres et qui siège à la chambre des lords. Et cependant elle finira peut-être par changer son système avant la France.

Elle y sera en tout cas forcée un jour. Tant qu’elle monopolisera la consommation d’une partie du monde, elle pourra soutenir son système actuel. Mais quand ses vastes colonies lui échapperont, quand les nations sur lesquelles elle déverse ses produits se seront affranchies de sa tutelle, et l’histoire des peuples nous prouve qu’il faut que ces prédictions se réalisent, l’Angleterre sentira elle-même que pour produire à meilleur marché, pour arrêter l’expatriation de cette foule de ses enfants qui vont dépenser ses trésors à l’étranger, il faudra qu’elle en revienne à un système plus large de réciprocité avec les autres nations. Mais il n’est pas étonnant que sa position actuelle lui permette de prendre des mesures que notre pays dans tous les cas ne saurait imiter.

Les réflexions que je viens de faire répondent en partie à bien des objections, Je désirais y mettre plus d’ordre, apporter plus d’examen ; mais, entraîné par la chaleur de l’improvisation, les réfutations me sont échappées plus vite que je ne l’aurais voulu.

Je répondrai cependant à quelques parties du discours de M. d’Huart. Selon cet honorable membre, le peuple comme il faut l’entendre, c’est le peuple des campagnes. Puis, s’appuyant de chiffres dont je ne contesterai pas l’autorité, il nous dit que les trois quarts de la population du royaume habitent les campagnes ; que l’autre quart seulement reste dans les villes.

Je ne sais où M. d’Huart a puisé ces documents, mais je lui demanderai si par cela seul qu’on habite la campagne, l’on doit être considéré comme cultivateur. Si je me souviens bien des tableaux statistiques faits sous l’ancien gouvernement, et du reste assez mal faits, on établissait qu’il y avait en Belgique 130 à 140 mille familles de cultivateurs. Le reste des habitants des campagnes est employé en partie par les cultivateurs et s’occupe des travaux de la culture des terres, ce qui a lieu surtout dans les pays de grande exploitation.

Pour les domestiques qui travaillent dans les fermes, peu importe, direz-vous, le prix des grains. Mais. messieurs, lorsque le fermier vend son froment 15 ou 20 fr., il a soin de ne nourrir alors ses domestiques qu’avec du seigle. Je répète, messieurs, ce que j’ai dit dans une autre séance, il ne faut pas sans motifs puissants détériorer la condition de celui qui a peu, de celui qui a droit à toute la protection de la société ; car le travail de l’ouvrier est utile à toute la société, tandis que le propriétaire, comme propriétaire, est un être inutile à la société. Moi aussi, tous ici, nous sommes propriétaires ; mais je vous prie, dites-moi ce que comme propriétaires nous faisons d’utile pour la société ? Nous nous donnons la peine de recevoir nos revenus, et nous usons un peu de papier pour faire des quittances.

Une autre partie de la population des campagnes est employée aux usines, soit à l’exploitation des mines de houille, soit à celle des mines de fer, à l’exploitation de nos nombreuses carrières, etc., etc. En Belgique, M. d’Huart l’ignore peut-être, nous avons plus de fabriques situées dans les campagnes que dans les villes. Une autre partie encore de la population des campagnes vient chercher de l’ouvrage dans les villes. S’agit-il de percer une route, de creuser un canal : d’où viennent les ouvriers ? ils accourent de toutes nos provinces, du Luxembourg, de Liége, du Hainaut.

Le peuple, messieurs, se compose de tous les citoyens ; mais parmi ces citoyens il en est qui ont droit à plus d’égards que d’autres de la part du législateur : C’est cette partie qui n’est jamais représentée dans les assemblées qui font les lois ; c’est cette part qui travaille pour les autres.

Ce que je dis là n’est pas pour faire de la popularité ; vous savez que je n’aime pas la popularité.

L’honorable M. d’Huart, qui a ordinairement une logique fort serrée et qui ne répond pas par des subtilités, m’a cependant fait dire, pour me combattre, ce que je n’ai pas dit ; il n’a pas voulu me comprendre. Il m’a fait dire : « Mais l’Angleterre ne produit pas les céréales qui lui sont nécessaires.. »

M. d’Huart. - Lisez le Moniteur.

M. Meeus. - Eh bien, je vais lire le Moniteur. Remarquez d’abord, messieurs, que j’avais émis cette assertion que les blés étrangers ne nous nuisaient en rien. J’allais vous le prouver, mais je n’ai pas pu terminer ma réflexion parce que la pétulance de M. Eloy de Burdinne m’en a empêché.

Ma période est dans le Moniteur ; quoiqu’elle ne soit pas très bien rendue, elle est à peu près celle que j’ai dite.

Dans les prémisses de mon discours j’avais établi qu’il ne fallait pas imposer la majorité au profit de la minorité. A l’endroit dont il s’agit, le Moniteur rend ainsi ma pensée :

« Les grains étrangers ne nous nuisent en rien. L’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que la France et l’Angleterre n’ont pas d’excédant de grains. Je conçois très bien que ces nations qui doivent tirer pour leur consommation les grains de l’étranger, les frappent d’un droit à l’entrée. »

Là j’ai été interrompu, mais, allais-je ajouter : « Ce qui est inconcevable, c’est qu’une nation qui produit plus de grains qu’elle ne peut en consommer, qui doit vendre son excédant à l’étranger, impose les grains étrangers. »

Si cela vous paraît un paradoxe, écoutez quelques minutes.

Un peuple comme un négociant qui a plus de marchandises qu’il n’en peut garder, il faut qu’il les vende : à qui ? aux nations qui veulent acheter et pour les vendre, il faut qu’il baisse ses prix au taux auquel les nations achètent. Et pour bien vendre nos grains, il faut recourir au soin du commerce, il faut recourir aux grains étrangers.

J’ai entendu ici très peu raisonner juste sur le commerce des grains. Je dirai ce qu’un peu d’expérience m’a appris. Je dirai donc que l’écoulement des grains en Belgique est dû au commerce des grains ; il est souvent nécessaire, messieurs, de mélanger nos grains pour en obtenir à l’étranger un écoulement facile.

Les négociants donnent aux grains qui ont trop de poids pour la France la légèreté convenable, en les mêlant avec des grains moins lourds. Pour l’Angleterre au contraire, qui veut toujours ce qu’il y a de meilleur, on mêle nos grains avec du grain de plus de poids, avec ceux de Pologne par exemple.

Il est trop plaisant vraiment d’ouïr dire qu’un pays qui produit trop doit frapper les blés étrangers : mais que vous font les blés étrangers ? Baissez vos prix et vendez par le secours du commerce. Mais si vous voulez anéantir le commerce des blés, que ferez-vous de votre superflu ? Le jetterez-vous dans les entrailles du Vésuve, comme le dit M. Eloy de Burdinne ?

Messieurs, au risque de perdre vos grains, il faut baisser vos prix au niveau des prix étrangers.

M. Eloy de Burdinne. - C’est pour l’excédant qu’il faut baisser les prix.

M. Meeus. - Pour l’excédant, certes mais parce que l’excédant se vend à bas prix, faut-il imposer la consommation à l’intérieur ? D’après quel principe de justice, s’il vous plaît ?

La Belgique ne veut pas vendre son excédant : Eh bien, encore une ou deux bonnes récoltes, les prix en Belgique seront plus bas que dans la Baltique, que sur les bords de la mer Noire. La raison en est simple ; c’est que vous gardez votre excédant, et que ces deux contrées ont le bon système de le vendre et de le convertir en un capital qui vivifie le commerce et l’industrie intérieure.

Le cultivateur ou le propriétaire ne doit pas garder ses grains ; et ici je n’examine pas la question dans l’intérêt particulier, mais dans l’intérêt du pays, dans l’intérêt de la nation entière.

La partie de grains qui n’est pas nécessaire à la consommation du pays est pour le moment un capital improductif qui ne sert à rien ; vendez-les et vous obtiendrez de l’étranger des capitaux qui viendront accroître la richesse générale. Mais pour vendre à l’étranger, il faut baisser vos prix.

Ce sont là des principes que l’on ne peut détruire.

« Je termine, a dit M. d’Huart, persuadé que l’agriculture a besoin d’une protection efficace liée aux vrais intérêts du pays ; je suis donc disposé à la lui accorder. Je ne prétends pas toutefois que le projet qui nous est présenté soit le terme moyen le plus parfait qu’il importe d’adopter : en consacrant le principe de la protection que j’invoque, je suis prêt à en accueillir l’application la plus sage qui serait proposée, et je m’empresserai de me rallier aux amendements qui me paraîtront préférables au projet. »

Moi aussi, messieurs, je veux servir l’agriculture, mais voici de quelle manière : allez voir, messieurs, la différence qui existe entre les provinces parsemées, coupées de routes, puis visitez les provinces où il existe à peine quelques routes, vous verrez quelle différence il y a dans les produits de l’agriculture, vous verrez comment la terre, également bonne dans les unes et les autres provinces, rend beaucoup moins là où les routes sont moins nombreuses. Je n’ai pas besoin d’en dire les raisons, vous les connaissez comme moi.

Messieurs, je ne raisonne pas de l’agriculture comme un homme qui ne l’a étudiée que dans son cabinet ; j’ignore si beaucoup de membres se sont donné la peine de parcourir plusieurs de nos provinces, non en voiture, mais à pieds ; s’ils sont allés dans les champs interroger et consulter les fermiers.

Pour moi, je l’ai fait dans ma jeunesse, et encore en 1822 et en 1824. Je m’en suis donné la peine ; je dirai mieux, je m’en suis donné le plaisir, car c’est un plaisir de causer avec le citoyen qui donne son temps et son travail pour enrichir la société.

En 1824, dans cette année de détresse (le mot détresse dans l’acception des auteurs du projet de loi) j’ai vu les fermiers s’occuper à améliorer plus que jamais leurs champs ; je les ai vus lutter contre les prix peu élevés, et chercher à obtenir une compensation dans la grande quantité de grains.

En Flandre, même dans plusieurs arrondissements, les terrains étaient encore, comme c’est l’usage, améliorés par un engrais qui revenait à 40, 50 florins pour l’hectare, et cela dans un moment où tout était à bon compte. (M. de Muelenaere fait un geste de dénégation.)

Oui, M. de Muelenaere, il en est ainsi, et même dans votre province les terres sont souvent arrosées avec un engrais qui consiste en une sauce de tourteaux de colza.

J’ai vu d’après cet engrais les terres qui avant ne rendaient que 30 à 40 rasières, en produire 60 à 70.

On a dit que si on ne protégeait les céréales, les terres seraient moins bien cultivées ; pour moi, je ne le crois pas : l’homme lorsqu’il voit qu’il ne peut obtenir le prix de ses sueurs, redouble d’efforts ; il lutte contre l’adversité, il lutte pour ses intérêts, et presque toujours il réussit. Cela explique ce qui s’est passé dans la Belgique de 1820 à 1830 ; le système des jachères a presque entièrement disparu, et c’est cependant l’époque où le grain a été vendu à vil prix.

C’est aussi pendant cette époque que le syndicat d’amortissement a vendu une quantité considérable de bois. Eh bien, allez voir le terrain où étaient ces bois ; on a si bien cultivé la terre qu’elle a produit du froment au bout du 4 à 6 ans, tandis qu’autrefois, dans les terrains défrichés, il fallait attendre 12 à 15 ans pour que la terre produisît du froment.

Voilà, messieurs, des faits que doit reconnaître celui qui a étudié la situation réelle du pays.

Je le répète, la production efficace à donner à l’agriculture, c’est de faire des communications plus faciles que celles qui existent aujourd’hui dans plusieurs de nos provinces. Que l’honorable M. d’Huart vienne proposer de créer des routes dans le Luxembourg, province éminemment patriote et éminemment intéressante, car elle peut devenir très agricole, je promets de donner mon vote à l’honorable membre.

Messieurs, il résulte, pour quiconque veut lire sans préjugés ce que le Moniteur a rendu de mes paroles que trois points m’ont occupé lorsque j’ai émis premièrement mon opinion.

J’ai voulu que tout principe d’économie sociale soit basé, comme tout principe de loi en intérêts moraux, sur la seule base raisonnable qu’offre l’avenir, c’est-à-dire, sur la justice. C’est là la seule bonne voie ; lorsque le législateur s’en écartera, il tombera dans les graves inconvénients que j’ai eu l’honneur de vous signaler, il ne fera que créer des privilèges qui appelleront à leur suite d’autres privilèges et il mettra enfin le pays dans un embarras inextricable.

Après avoir posé le principe, j’ai établi que si je combattais le principe de la loi, c’est parce que je craignais son application plus dans l’avenir que dans les circonstances présentes ; j’ai dit qu’il résultait de ce principe que l’on viendrait vous demander d’autres exceptions pour protéger telle ou telle industrie.

Si dans une seule année la question des céréales a été agitée trois fois, on viendra agiter d’autres questions, soi-disant en faveur de l’agriculture.

J’ai posé ensuite de cette assertion que la loi telle qu’elle est, loin d’être favorable à l’agriculture, tourne contre elle, et je l’ai déjà prouvé en établissant que les grains étrangers sont un moyen de faire disparaître les nôtres en les livrant au commerce extérieur. J’ai dit que le commerce des grains n’existerait plus en Belgique ; en effet, un négociant enverra-t-il de la Baltique ou de la mer Noire des grains dans nos ports ? Mais à peine seront-ils sous voile que l’espoir de bénéfice sera déçu.

Mais la cargaison, supposez-le, est entrée dans l’Escaut, et votre minimum est atteint. Que fera alors l’importateur ? Ira-t-il ailleurs ? Mais le grain est augmenté de toute la valeur du trajet, de la valeur du fret ; il n’y a plus moyen, il ne peut plus retourner à Amsterdam ou à Rotterdam qu’en payant un nouveau fret qui augmentera la marchandise. Messieurs, le négociant ne voudra point courir toutes ces chances défavorables, et vous perdrez chez vous le commerce des grains. « Après tout, le commerce des grains n’a jamais été d’une grande utilité, » dit M. Dumont.

M. Dumont. - Je n’ai pas dit cela !

M. Meeus. - De quelle utilité a été le commerce des grains, alors que nous avons eu une disette ? Voilà ce qu’a dit M. Dumont. Je l’ai bien compris. Eh bien ! si ce commerce n’avait pas existé, que serait-il arrivé ? Vous auriez eu une disette bien plus forte. Qui a détruit ces accaparements odieux qu’on fait dans les villes de province ? c’est le haut commerce, parce que les accapareurs sont bien obligés de vendre leur blé au prix auquel le haut commerce vient vendre les siens. Je me rappelle cette époque où les marchands qui ne voulaient pas baisser leurs prix au taux d’Amsterdam, de Rotterdam et d’Anvers, firent des pertes énormes.

Il n’y a que dans des villes retirées que les accaparements sont possibles, là où il n’y a pas de vrai commerce. Il faut faire la différence entre ceux qui veulent faire le commerce des grains à l’intérieur et ceux qui le font dans les ports de mer.

J’avais dit dans une séance précédente que si réellement le projet de loi atteignait le but qu’on se propose, il en serait de cette loi, à part les vexations, ce qu’avait été la loi mouture. M. de Theux a récriminé fortement contre cette assertion, mais il n’y a pas répondu.

Tant qu’il n’aura pas prouvé qu’avec le grain on ne fait pas la farine, et avec la farine le pain ; qu’imposer le grain ou la farine ce n’est pas la même chose, je dirai qu’à part les vexations, la loi qui nous occupe, si elle a de l’efficacité, si elle amène une augmentation des grains, sera pour le consommateur ce qu’a été la loi mouture.

Je n’occuperai pas plus longtemps les moments de la chambre. D’ailleurs, je crois avoir, sinon épuisé cette matière, du moins répondu aux objections les plus importantes. Les autres, s’il en est que je n’aie qu’effleurées, se détruisent les unes par les autres.

Je termine en résumant la discussion en quelques mots. Les défenseurs du principe de la loi prétendent qu’imposer la consommation intérieure, c’est favoriser l’agriculture belge. Moi je réponds que favoriser ainsi l’agriculture, c’est favoriser le propriétaire, c’est favoriser quelques-uns au détriment de tous. J’ajoute que la richesse agricole du pays ne se résume pas par la hauteur des prix des céréales, quant à la consommation intérieure, mais seulement par le capital qui est le produit de notre excédant, et que, pour vendre cet excédant, il faut de toute nécessité établir nos prix au niveau de ceux des marchés voisins.

- La séance est levée 4 heures trois quarts.