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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 décembre 1834

(Moniteur belge n°337, du 3 décembre 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure et demie.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Brixhe fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre II. Des attributions municipales

Chapitre II. Des attributions du collège des bourgmestre et échevins
Articles 98 et 99 (du projet du gouvernement) et article 99 (du projet de la section centrale)

M. le président. - La chambre a décidé dans une précédente séance qu’elle voterait sur l’article 99 de la section centrale après qu’elle aurait statué sur l’article 104 ; ce dernier article ayant été adopté dans la séance d’hier, je mets en délibération l’article 99 de la section centrale, correspondant aux articles 98 et 99 du projet du gouvernement, et qui leur est en tout conforme ; il est ainsi conçu :

« Dans le cas où un échevin remplacera le bourgmestre pour un terme d’un mois ou plus longtemps, le traitement attaché à ces fonctions lui sera alloué, à moins cependant que le bourgmestre remplacé n’ait été empêché pour cause de maladie ou de service public non salarié.

« L’échevin remplaçant ne pourra toucher en même temps le traitement du bourgmestre et celui d’échevin.

« Il en sera de même si un membre du conseil remplit pendant un mois ou plus longtemps les fonctions d’échevin ; dans ce cas, le traitement attaché à la place lui sera alloué pour tout le temps qu’il l’aura remplie. »

M. Eloy de Burdinne. - Je demande qu’on ajoute dans cet article, à la fin de la première phrase et après les mots « à moins cependant que le bourgmestre remplacé n’ait été empêché pour cause de maladie ou de service public non salarié, » ceux-ci : « ou non indemnisé ; » en effet, il y a des indemnités qui valent des traitements. Par exemple, si un bourgmestre est appelé a faire partie de la chambre des représentants, il jouit à ce titre d’une indemnité ; dans ce cas il me semble que l’échevin qui remplace le bourgmestre doit obtenir son traitement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne vois pas pourquoi on insérerait dans cet article de la loi les mots : « ou non indemnisé. » Je ferai remarquer qu’il y a lieu de laisser au bourgmestre la faculté de s’arranger avec l’échevin qui le remplace. Aux termes mêmes de la constitution, le fonctionnaire rétribué, appelé à siéger dans la chambre des représentant jouit à la fois de son indemnité et de son traitement. Une disposition semblable a été proposée au congrès ; elle a été rejetée. Le congrès a voulu qu’un fonctionnaire élu membre de la chambre ne perdît pas son traitement en recevant l’indemnité attachée à sa nouvelle qualité. Je crois, messieurs, que pour maintenir l’harmonie, il ne faut pas adopter la proposition qui vous est faite.

- L’amendement de M. Eloy de Burdinne est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’article 99 de la section centrale est mis au voix et adopté.

Chapitre III. Des attributions du bourgmestre.
Article 101 (du projet de la section centrale)

M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’article 101 du projet de la section centrale auquel le gouvernement se rallie ; il est ainsi conçu :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’exécution de toutes les lois et règlements qui requièrent son intervention ou dans lesquels le conseil est appelé à délibérer, ainsi que des dispositions exclusivement communales. Néanmoins, le bourgmestre agit seul pour tout ce qui a rapport à la publication et l’exécution, dans la commune, des lois et règlements d’administration générale étrangers aux intérêts communaux et pour lesquels l’intervention du conseil ou du collège n’est pas exigée, ainsi que pour tous les objets qui lui sont spécialement déférés par la loi. »

M. H. Dellafaille. - Messieurs, d’après ce que j’ai eu l’honneur de dire dans la séance d’hier, vous devez connaître que mon opinion est conforme à celle consignée dans un passage du rapport, savoir qu’il convient de maintenir la disposition ancienne ainsi conçue :

« Les bourgmestres et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale, sauf le cas où la loi conférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution. »

Depuis près de vingt ans, telle est la législation sous laquelle nous avons vécu.

Les anciens règlements de 1817 donnent formellement aux bourgmestre et échevins le droit de veiller à l’exécution des lois. L’article 62 du règlement des villes de la province de la Flandre orientale le porte textuellement ; il en est de même dans le règlement du plat pays de la même province.

Ce système n’a pas varié dans les règlements de 1824 et 1825. Je trouve dans le règlement de la province du Brabant la même disposition en ce qui concerne les villes.

Quant au règlement du plat pays, j’ai une remarque à faire. L’article 51 consacre une distinction, il porte :

« Le bourgmestre est chargé de veiller à l’exécution de tout ce que le conseil communal aura résolu ; il exerce de plus la direction journalière, et la surveillance sur tout ce qui regarde la police ordinaire, le maintien et la mise à exécution des règlements, l’administration des finances, édifices et autres propriétés de la commune ainsi que la conservation des droits de la commune, et en général sur tout ce qui n’est pas spécialement confié ou attribué par le présent règlement au conseil communal, le tout conformément aux lois et dispositions générales existantes, ou qui pourraient être faites ultérieurement par rapport à l’exercice de cette administration et de cette surveillance.

« Dans les opérations susmentionnées, il agit seul ou conjointement avec les assesseurs, d’après ce qui sera dit aux articles suivants. »

Vous voyez que, dans l’esprit de règlement du plat pays, le législateur voulait que dans des cas donnés le bourgmestre agît seul. Cependant que lisons-nous dans l’article 76 ?

« Le bourgmestre et les assesseurs soignent et assurent l’exécution immédiate et l’exacte observation de toutes les lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale, ainsi que des ordres qui leur sont donnés en conséquence par quelque chef dé département d’administration générale, le gouverneur, les états ou le commissaires de district ; ils se conforment en général aux instructions qui leur sont données par ces autorités, tant par suite de ces lois, dispositions et arrêtés que sur d’autres objets. »

D’après ceci, quoique d’après le règlement de 1825 le bourgmestre pût quelquefois agir seul, cependant quand il s’agit de l’exécution des lois, on revient à la pensée première qui est de déférer cette exécution au collège des bourgmestre et échevins. Je ne vois pas quels inconvénients ont résulté de cette organisation.

Remarquez, messieurs, que le système que je soutiens est en harmonie avec ce qui se pratiquait dans nos provinces avant l’occupation française.

Dans ce temps il y avait aussi un pouvoir plus on moins central, des lois à observer et à exécuter et c’était à nos administrations collégiales qu’était confié ce dernier soin. Nous avons eu, je le sais, un système différent, sous le régime français, pendant un laps de 20 ou 30 années. Mais le système qui depuis a été en vigueur me paraît préférable. J’attendrai que M. le ministre en ait démontré les inconvénients. Si ces inconvénients sont réels, sans doute il ne faut pas sacrifier à une théorie le bien de l’administration. Mais tant qu’on n’aura pas prouvé que ce qui existe actuellement est vicieux, je préférerai à une innovation ce système dont nous avons une longue expérience.

M. Doignon. - A l’égard de l’exécution des lois dans la commune, je partage, messieurs, l’avis d’une des sections, que sans entrer dans les distinctions que fait la section centrale, il serait plus simple de s’arrêter aux dispositions des anciens règlements, et nommément à l’article 78 du règlement du plat pays, et de rédiger l’article en ces termes :

« Les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale, sauf le cas où la loi conférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution. »

Le ministère précédent n’a pu évidemment proposer la rédaction de l’article en discussion que dans le but d’asservir absolument la commune et de la remettre presque sous le régime des maires de l’empire.

D’abord, en chargeant exclusivement le bourgmestre seul de tout ce qui a rapport dans la commune à l’exécution des lois, des règlements et des arrêtés d’administration générale, on lui ôterait le seul caractère qu’il doit avoir, celui de chef de l’administration, article 108, n°1 de la constitution. En effet, comme l’administration de la commune consiste principalement dans cette exécution par rapport à elle et pour ce qui l’intéresse, en déférant cette branche la plus importante à ce magistrat seul, on fait plus que de le constituer chef, on le rend maître absolu de toute cette partie essentielle de l’administration locale ; il lui serait libre de diriger le tout à son gré, puisqu’il agirait séparément et sans avoir jamais besoin du concours de ses collègues.

On sait que partout où il y a un chef, il est certaines attributions qui par la nature des choses ne peuvent convenir qu’à lui seul, et déjà les articles 51 et suivants du règlement du plat-pays indiquaient plusieurs de ces attributions. Mais on irait beaucoup plus loin ; tout ce qui a rapport indistinctement à l’exécution des lois et règlements appartiendrait au bourgmestre seul, et contre le texte et l’esprit de l’article 108 n°2 de la constitution : on attribuerait ainsi à ce fonctionnaire la très grande majeure partie de l’administration.

Si l’on avait en vue d’ériger les bourgmestres en commissaires spéciaux du gouvernement près des administrations locales, on devrait le dire en termes exprès : mais notre nouvelle loi fondamentale ne parle que « de commissaires près des conseils provinciaux » : ce serait là une nouvelle institution qu’on ne peut admettre, me paraît-il, par cela seul qu’elle n’est point créée par la charte belge. Lorsque nous voyons que sans elle, les lois s’exécutent partout ponctuellement, on doit reconnaître qu’elle serait parfaitement inutile. De plus, elle blesse nos mœurs, et il serait à craindre que les administrations ne voient dans leur sein ce nouveau commissaire qu’avec une grande défiance, et comme un rapporteur ou un espion du gouvernement.

La constitution de l’an II avait créé des commissaires près de chaque administration qui surveillaient et requéraient l’exécution des lois. L’on avait ainsi établi des commissaires dans chaque canton ; mais cet état de choses n’a pu subsister que deux ou trois ans. Les maires de l’empire étaient exclusivement des agents du gouvernement ; mais le nombre de nos commissaires de district, pour surveiller la commune, est bien plus considérable que celui des sous-préfets.

Déjà sous l’ancienne loi fondamentale qui donnait à l’administrateur la direction pleine et entière des intérêts communaux, déjà sous cette constitution l’exécution des lois sans distinction était formellement dévolue non au bourgmestre, mais au collège lui-même, et dans les villes et dans les campagnes. C’est ce que statuent les articles 98 du règlement des villes, et 79 du plat pays. Ou voit même dans ce premier règlement que dans aucun cas jamais le bourgmestre n’agit seul, et lorsque dans les campagnes on autorise quelquefois le bourgmestre à agir seul, ce n’est point lorsqu’il est question de l’exécution des lois, mais dans des cas d’urgence ou pour des actes d’une nature telle qu’il convient de les laisser au chef de l’administration. Le congrès ayant, par une disposition transitoire, conservé aux autorités locales toutes leurs attributions, dans ce moment même, c’est encore ce collège qui est chargé de l’exécution des lois dans la commune.

Or, il faut convenir que sous une constitution plus libérale, et qui fait du pouvoir communal l’un des grands pouvoirs qui constituent l’Etat, ce serait se jouer de cette constitution que de vouloir ravir cette attribution non seulement au conseil, mais au collège des bourgmestre et échevins. Alors comme aujourd’hui, les membres de ce collège étaient choisis par les élus du peuple, et représentaient l’administration locale, il n’y a donc aucun motif pour ne pas leur continuer cette attribution.

C’est principalement à l’occasion de cet article, qu’il faut rappeler le grand principe qui doit dominer toute la loi, puisqu’il est consacré en termes formels dans la constitution, c’est que tout ce qui est d’intérêt communal est attribué au conseil, et que c’est en vertu d’une délégation présumée de la part de celui-ci que les bourgmestre et échevins exercent une partie de cette attribution universelle.

Or il est évident que l’application d’une loi à telle ou telle localité est éminemment un objet d’intérêt communal. Sans doute, il existe une espèce de lois entièrement étrangères à cet intérêt, à l’exécution desquelles les administrations locales ne peuvent ou ne doivent prendre aucune part ; ce sont les lois qui intéressent en général tous les habitants comme citoyens du royaume : telles sont les lois civiles, les lois pénales, les lois sur l’enregistrement, la plupart des lois financières, et il est tellement clair que la commune n’a point à s’occuper de l’exécution de ces lois, que les anciens règlements n’en parlaient point et n’avaient pas jugé nécessaire de faire aucune distinction : c’est encore ce qu’on doit faire aujourd’hui.

Mais quant aux lois dont l’exécution doit être mise spécialement en rapport dans chaque localité avec l’intérêt communal, il est impossible de ne point en laisser l’exécution à l’administration locale comme précédemment : tels sont les lois et arrêtés sur la mendicité, la vaccine, l’échenllage, les chemins, les lois relatives aux élections, à l’agriculture, au commerce, à l’industrie, et une foule d’autres de la même catégorie.

Toutes les fois qu’il s’agit d’appliquer une semblable loi à la commune, l’affaire devient dès lors d’intérêt tout à fait communal, et le conseil ou son collège doivent nécessairement en connaître. La bonne administration d’une commune consiste précisément à mettre en parfaite harmonie ses intérêts particuliers avec les intérêts généraux ; or, qui peut mieux apprécier la question d’application que l’administration locale qui possède seule une grande connaissance de la position, des besoins, de vœux des habitants, et d’une infinité de circonstances qu’il convient de peser mûrement pour faire à la commune une juste et saine application de la loi ou de l’arrêté ?

Ainsi, appliquer une pareille loi à la commune, c’est évidemment faire un acte d’administration locale. Du moment que la loi est appliquée à la commune, l’intérêt de localité identifié avec l’intérêt général n’en forme plus qu’un seule, et l’affaire est devenue entièrement d’intérêt communal. Lorsque le juge civil applique la loi à un acte particulier, il ne fait point un acte d’intérêt général ; pareillement le conseil ou le collège faisant à la commune l’application de la loi ne font autre chose qu’un acte d’intérêt communal ou en d’autres termes un acte d’administration.

Il suffit alors, comme sous le régime précédent, d’assurer à l’Etat une surveillance afin que dans l’exécution de la loi on ne puisse mettre l’intérêt de localité au-dessus de l’intérêt général ou en opposition avec celui-ci. Or, le gouvernement obtient cette surveillance par la présence du bourgmestre qui est nommé par lui et qui, à, ce titre, est autant sous sa dépendance que peut l’être un procureur du Roi.

Il est déjà pourvu aux inconvénients que l’on aurait à redouter. D’une part, la chambre a déjà donné au Roi le droit d’annuler les actes de la commune qui seraient contraires aux lois et à l’ordre public, et de l’autre, elle a autorisé le gouverneur ou la députation à faire exécuter eux-mêmes dans la commune, les mesures d’exécution qu’il aurait ordonnées, à défaut par l’administration locale de le faire elle-même après deux simples avertissements : droit tellement exorbitant qu’il emporte même cette conséquence que si, par exemple, après deux lettres de rappel seulement, une administration ne forme pas de suite sa liste électorale, un commissaire spécial ira la dresser lui-même dans la commune.

Le gouvernement précédent n’avait pas autant de garanties, et cependant il laissait entièrement au collège l’exécution des lois. L’expérience a donc prouvé qu’elles seraient plus que suffisantes.

Mais ce qu’il est extrêmement important d’observer, c’est que presque toutes les affaires communales se rapportent à l’exécution d’une loi ou d’un arrêté. Je crois même pouvoir dire qu’il n’existe peut-être aucune matière, aucun objet d’administration locale sur lesquels on ne trouve point une disposition législative ou un acte d’administration générale qui n’aient avec eux un rapport plus ou moins direct.

Conséquemment, en attribuant au bourgmestre tout objet qui se réfère à l’exécution des lois et règlements, on lui donnerait le droit de s’emparer de toutes les affaires de la commune à l’exclusion de ses collègues ; on l’autoriserait à absorber ainsi en lui tout le pouvoir communal. Autant vaudrait-il effacer de la constitution l’article qui attribue au conseil tout ce qui est d’intérêt communal.

Lorsqu’une loi est étrangère à cet intérêt, on peut concevoir que le bourgmestre puisse être considéré à l’égard de son exécution, comme l’agent exclusif du gouvernement ; mais pour peu qu’elle touche la communauté des habitants elle-même, vous ne pourriez alors rejeter l’intervention de l’administration locale sans dire en même temps qu’il n’y a plus de pouvoir communal. C’est bien certainement pour administrer dans ces derniers cas que le bourgmestre a reçu mission de la commune conjointement avec ses collègues. Par conséquent, puisqu’il n’est point et ne peut être maître exclusif des intérêts communaux, il doit nécessairement s’entendre alors avec eux. Nous avons vu d’ailleurs que le gouvernement a les plus sûres garanties que cet agent désigné par lui ne pourra agir contre les lois et l’intérêt général.

Le principal caractère du bourgmestre, c’est d’être l’agent de la commune, puisque c’est par elle qu’il est premièrement élu et que le gouvernement ne peut le nommer ou plutôt le désigner que parmi les membres que le peuple a choisis. Mais s’il est agent de la commune, il est en même temps tellement dépendant du gouvernement, que ce n’est qu’avec impartialité et justice qu’il peut concourir à l’exécution des lois qui intéressent chaque localité.

Ainsi, puisque l’exécution des lois dans la commune constitue nécessairement une affaire d’intérêt communal, cette exécution tombe de droit dans les attributions de l’administration locale, et toute distinction à cet égard est superflue, car soit que l’intervention de cette administration se trouve requise en termes exprès par la loi ou qu’elle ne le soit point, dans tous les cas c’est la nature même des choses qui appelle son concours en pareil cas.

La section centrale charge le collège des bourgmestre et échevins de l’exécution de toutes les lois et règlements qui requièrent son intervention ou dans lesquels le conseil est appelé à délibérer.

Or, cette intervention est requise par la constitution elle-même qui attribue universellement au conseil tout ce qui est d’intérêt communal et par suite l’exécution de la loi dès l’instant qu’il s’agit de la coordonner et de la mettre en rapport avec ce même intérêt. Si l’on admettait la proposition de la section centrale, il faudrait donc dans tous les cas l’entendre en ce sens que l’intervention du collège ne doit pas nécessairement être prescrite en termes formels, vu qu’elle est dans ce cas autorisée par la constitution qui est la loi des lois.

Cette règle a constamment été suivie jusqu’à présent sous l’empire des règlements de Guillaume. L’article 76 des règlements du plat pays porte :

« Les bourgmestres et les assesseurs soignent et assurent l’exécution immédiate de toutes les lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale, ainsi que des ordres qui leur sont donnés en conséquence par quelque chef de département d’administration général, le gouverneur, les états ou le commissaire de district ; ils se conforment en général aux instructions qui leur sont données d’office par ces autorités, tant par suite de ces lois, dispositions en arrêtés que sur d’autres objets. »

Cet article ne fait donc aucune distinction entre le cas où la loi demande, en termes exprès, le concours des bourgmestre et échevins, et celui où cette intervention n’est point requise formellement ; il attribue au collège l’exécution des lois de la manière la plus absolue, sans aucune réserve ni exception. Il y a plus, si l’autorité supérieure a transmis des ordres ou des instructions, en conséquence d’une loi ou d’un arrêté, c’est encore au collège, et nullement au bourgmestre seul, qu’elle doit s’adresser pour leur exécution.

L’article 98 du règlement des villes contient une disposition semblable, qui est ainsi conçue :

« Les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois et des arrêtés et ordres royaux dont ils sont chargés par ces actes mêmes, ou qui, en vertu de ces actes, leur sera conférée par les chefs des départements d’administration générale, le gouverneur ou les états ; et en général ils se conformeront aux instructions qui leur seront données par ces autorités en vertu de ces lois, arrêtés et ordres. »

M. le ministre paraît avoir interprété hier cet article en ce sens que le collège n’aurait que l’exécution des lois dont il serait expressément chargé, et il s’est prévalu de ces mots de l’article : « dont ils sont chargés par ces actes mêmes ; » mais ces dernières expressions ne peuvent évidemment que se référer aux mots « ordres royaux, » qui les précèdent immédiatement. On ne peut dire, en effet, qu’une loi est un acte, et dans cette opinion il y aurait une contradiction manifeste entre les deux règlements. Or, on ne peut supposer qu’en cette matière on aurait voulu donner moins d’attributions aux villes qu’au plat pays, régi encore aujourd’hui par l’article 70 précité, qui ne comporte aucune distinction.

Au surplus, l’expérience a fait justice de cette interprétation subtile, puisque dans le fait, à la ville comme dans les campagnes, le collège est chargé indistinctement de l’exécution des lois. Enfin, dans tous les cas et s’il avait doute, ce qui ne peut être, il faudrait s’arrêter à la disposition du règlement le plus en harmonie avec notre constitution ; et par conséquent ce ne serait point cet article 98, mais bien l’article 76 du règlement du plat pays qu’il faudrait adopter, sauf, toutefois, comme l’a proposé une section, les cas où la loi conférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Les honorables préopinants ont cru voir dans le projet du gouvernement et dans celui de la section centrale qui sont absolument d’accord (car je dois faire remarquer que le premier paragraphe du projet de la section centrale est emprunté à un article précédent du projet du gouvernement), les honorables préopinants ont cru, dis-je, remarquer dans les deux projets une grande innovation. Je pense toutefois qu’il suffit d’examiner avec attention l’article en discussion pour voir qu’il est la reproduction du texte des anciens règlements et qu’il ne présente pas l’innovation qu’on veut signaler.

Je ferai d’abord remarquer qu’il faut distinguer les intérêts communaux et ceux de l’administration générale. Les intérêts communaux sont nécessairement confiés aux officiers municipaux, et lorsqu’il y a un collège, aux membres du conseil. Quant aux intérêts généraux, au contraire, le gouvernement peut évidemment se contenter d’un agent unique ; il n’a pas besoin de s’adresser au collège ; rien ne l’y oblige. Tels sont les principes ; telle est aussi la pratique. Ainsi, en matière de police judiciaire, de finances, de force armée, etc., l’exécution est confiée spécialement aux bourgmestres ; d’autres dispositions d’intérêt général, et celles d’un intérêt purement communal, sont quant à leur exécution confiées au collège de régence. Voilà, messieurs, la distinction que consacre l’article 98 du règlement des villes ; il est ainsi conçu :

« Les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois et des arrêtés et ordres royaux dont ils sont chargés par ces actes mêmes, ou qui, en vertu de ces actes, leur sera conférée par les chefs des départements d’administration générale, le gouverneur ou les états ; et en général ils se conformeront aux instructions qui leur seront données par ces autorités en vertu de ces lois, arrêtés et ordres. »

Messieurs, ce serait une distinction véritablement inadmissible que les mots « par ces actes mêmes » ne dussent pas s’appliquer aux mots prémentionnés. Si vous admettez cette distinction par cet article, il faut l’admettre aussi pour l’article 76. C’est ce que n’a pas fait l’honorable orateur auquel je réponds, qui prétend au contraire que l’article 70 doit être entendu dans un sens plus large que l’article 98 du règlement des villes. Pour moi, messieurs, je pense que ces deux articles doivent nécessairement être entendus dans le même sens.

Pour le prouver, je citerai deux dispositions du plat pays desquelles il résulte que, dans les campagnes, l’action du bourgmestre est très souvent unie à celle des assesseurs, alors qu’il s’agit d’intérêts communaux. Voici ce que portent les articles 81 et 82 de ce règlement :

« Art. 81. Il veille à ce que les inspections qu’il lui est recommandé de faire avec un des assesseurs, par les articles 52, 53, 56 et 57 du règlement, aient lieu au moins quatre fois par an, et que chaque fois il en soit rédigé un procès-verbal, que l’on ait ou non découvert des infractions ; il transmet toujours copie de ce procès-verbal au gouverneur. »

« Art. 82. Dans toutes les affaires et opérations dont le bourgmestre et les assesseurs sont chargés par ce règlement ou par quelque disposition particulière, le bourgmestre agit de concert avec les assesseurs, lorsqu’il s’agira d’une simple mesure d’exécution ou de maintenue, mais qu’il y aura encore matière à délibération quant au mode. Si ce n’est qu’une simple mesure d’exécution ou de maintenue, il a la faculté d’agir seul comme bourgmestre et sous sa responsabilité ; il y est même tenu si un délai ou un retard pouvait entraîner quelque préjudice ou un inconvénient ; il est obligé toutefois de faire aux assesseurs, dans la première séance qui suivra, un rapport circonstancié des opérations de cette espèce. »

Ainsi le bourgmestre, en matière d’intérêts communaux, n’agit conjointement avec les assesseurs que quand il y a lieu à délibération sur le mode d’exécution ; mais il agit seul quand il n’est pas besoin de délibérer sur ce mode d’exécution.

Cet article est conforme à l’article 51 du même règlement qui dit, paragraphe 2 : « Dans les opérations susmentionnées il agit seul ou conjointement avec ses assesseurs d’après ce qui sera dit aux articles suivants : »

Suit l’énumération, dans une série d‘articles, des cas où le bourgmestre agit seul et de ceux où il agit conjointement avec un seul des assesseurs. L’intervention des assesseurs est requise pour les visites domiciliaires faites dans le but d’assurer l’exécution des lois et règlements. Dans les autres cas, le bourgmestre agit seul.

Il est donc évident que le règlement du plat pays attribue plus d’autorité au bourgmestre seul que le projet que nous discutons.

Quant au règlement des villes, il est en tout conforme à l’article proposé.

L’article 18 au règlement des villes est en tout conforme à la disposition proposée ; aucune espèce de doute ne peut s’élever à cet égard.

Cette disposition est conforme aux principes ; je ne vois donc pas de motif pour introduire un amendement quelconque.

M. Legrelle. - Messieurs, en thèse générale, le bourgmestre doit être considéré comme l’homme de la commune, comme le protecteur de ses concitoyens. Il est vrai que la loi a admis quelques exceptions à cette règle. L’exécution des ordonnances et arrêtés est confiée au bourgmestre seul. Mais ces dispositions exceptionnelles sont très rares, et je pense que M. Doignon a tenu compte de ces exceptions dans son amendement.

Cet amendement diffère de l’article de la section centrale, en ce que la section centrale propose l’intervention du bourgmestre seul toutes les fois que l’intervention du collège ou du conseil n’est pas exigée. Il peut y avoir des cas où l’intervention du conseil et du collège ne soit pas exigée, et que la loi n’ait pas spécialement mis dans les attributions du bourgmestre seul ; mais j’avoue, que jusqu’ici j’ai eu beau chercher quels pourraient être ces cas, je n’en ai trouvé aucun. Au reste en existât-il, ce n’est pas un motif pour en déléguer l’exécution au bourgmestre seul.

Pénétrons-nous d’une chose, messieurs, c’est que moins vous isolez le bourgmestre, moins vous le faites l’homme du gouvernement, plus vous lui assurez l’affection et l’attachement de ses concitoyens.

Après tout, je ne vois dans l’amendement que j’appuie qu’une affaire de forme. Quand il s’agira de l’exécution d’une loi, ni le bourgmestre, ni le collège ne pourra s’y refuser. Toute la différence est que dans un cas le bourgmestre signera au nom du collège et que le secrétaire signera après lui, tandis que dans l’autre l’ordre d’exécution portera la signature du bourgmestre seul. Quant à l’exécution de la loi, elle aura toujours lieu. Mais la responsabilité du bourgmestre se trouve plus à couvert quand il agit avec ses collègues que quand il agit seul.

L’exécution de la loi sur la milice, par exemple, entraîne avec elle des mesures acerbes. Eh bien, lorsqu’il s’agit d’une loi de cette espèce, il est plus convenable de charger le collège collectivement de son exécution que le bourgmestre seul, parce que quand un homme seul est chargé de l’exécution d’une mesure acerbe, bien qu’il ne soit pas en son pouvoir de se refuser à l’exécuter, on est toujours plus porté à s’en prendre à lui que si cette exécution était déférée à plusieurs personnes.

Je crois donc que l’amendement de M. Doignon, bien que je n’aie pas partagé ses principes dans d’autres circonstances, doit être adopté.

On me demande ce qu’on a fait à Anvers depuis dix ans. Messieurs, les lois ont été exécutées, mais cette exécution n’a jamais été l’objet de délibérations, parce que le collège n’avait pas à s’occuper de la simple exécution d’une loi. Pour la milice par exemple, il n’y a qu’une réclamation à faire, cela ne fait pas l’objet d’une délibération. Quand il y a quelques difficultés le collège délibère, parce que tous les membres font partie de l’administration. Le bourgmestre, dans ces cas-là, n’a rien de plus empressé que de consulter le collège. Je répète donc que vouloir l’isoler de ses collègues serait une chose peu convenable, et qui ne pourrait que nuire à l’administration.

M. Desmet. - Messieurs, quoique nous ayons fait la révolution de septembre pour secouer le joug despotique de Guillaume, et récupérer plus de liberté dans toutes les branches de l’administration, il me semble cependant que parfois nous allons en arrière, et faisons un pas rétrograde sur ce même que nous avions sous le régime hollandais, C’est comme l’article que nous discutons dans ce moment ; la disposition qui se trouve sur le même objet dans le règlement du plat pays à l’article 76, est plus libérale et plus en faveur des libertés des communes et du pouvoir municipal, que celle que nous propose la section centrale

Je ne parle pas, comme vous le sentez bien, messieurs, de l’article tel que le ministère précédent nous l’avait présenté, car ce serait vouloir remettre la Belgique sous le régime impérial, et faire subir à nos communes l’esclavage des maires de Bonaparte ; aussi le nouveau ministre de l’intérieur l’a bien senti, car il n’a pas dû longtemps réfléchir pour se rallier à la disposition de la section centrale et abandonner celle du projet du gouvernement.

L’article 76 du règlement des campagnes ne fait point la distinction qui se trouve dans la disposition de la section centrale, il ne distingue point si ce sont des objets sur lesquels les conseils communaux sont appelés ou non à délibérer ; il les met tous sur la même ligne, il veut que toujours ce soit le collège des échevins et non le bourgmestre seul qui mette à exécution dans les communes les lois et règlements de l’Etat, et que la publication en soit faite et ordonnée par et au nom du collège des échevins, et ne soit pas abandonnée à la volonté unique du bourgmestre.

Ce n’est pas le bourgmestre seul qui est ici l’agent du gouvernement et qui peut être délégué pour faire exécuter ses actes, mais c’est tout le collège ; le bourgmestre y est bien le président, mais il n’a que sa voix et doit suivre les décisions qui auront été prises à la majorité des membres qui composent le collège.

Vous sentez, messieurs, et cela n’a pas besoin de grands commentaires pour être compris, que la disposition du règlement des campagnes donne plus de garantie aux communes et les met plus à l’abri de voir retourner le despotisme des maires de l’empire, que si vous adoptiez celle que vous présente la section centrale, qui modifie le règlement pour rendre plus grand le pouvoir des bourgmestres et plus indépendant du collège des échevins.

Veuillez cependant y bien songer, messieurs, car vous savez que c’était dans l’exécution des lois et règlements et dans l’accomplissement des ordres des préfets que les maires ont le plus vexé et tyrannisé les communes. C’est pour ces motifs que je viens appuyer l’amendement de l’honorable M. Doignon.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, j’appuierai l’amendement de l’honorable député de Tournay. Le député d’Anvers l’a également appuyé, mais il n’a point cité de faits. Moi j’en citerai un. Je connais un bourgmestre très négligent, qui a gardé dans ses poches pendant trois ou quatre semaines des arrêtés, des lois qu’il devait faire publier. Les échevins de sa commune ont adressé à cet égard des plaintes au gouvernement.

Je pense, messieurs, que la connaissance d’un pareil fait suffira pour vous décider à adopter l’amendement de M. Doignon.

M. Lebeau. - C’est une chose assez singulière que la manière dont chacun invoque ici à l’appui de son opinion les législations antérieures ou étrangères. Si le gouvernement propose une disposition tirée des lois françaises votées depuis la révolution, ou des anciens règlements octroyés par le roi Guillaume, on ne manque pas de reprocher à l’administration qu’elle est servilement imitatrice des traditions de l’ex-roi, ou des traditions de la France, beaucoup moins libérales que les nôtres. Si, au contraire, je ne dis pas le gouvernement, mais la section centrale, veut s’écarter le moins du monde de certaines dispositions des anciens règlements, on l’accuse d’une manière non moins vive de renoncer à des disposition rationnelles.

C’est ainsi que vous avez entendu l’honorable M. Doignon dire qu’on voulait introduire dans la loi une innovation contraire à tous les règlements antérieurs. De sorte que voilà les règlements antérieurs, anathématisés dans d’autres circonstances par l’honorable préopinant, qui servent aujourd’hui d’appui à son opinion. C’est la boussole dont nous ne devons pas nous écarter.

Mais, de ces règlements, vous voulez bien telle ou telle disposition qui vous plaît, et vous vous gardez bien d’accepter telle ou telle autre qui, cependant, modifiait celle que vous voulez introduire isolément. Ainsi, tout à l’heure, on invoquait le règlement du plat pays pour que l’exécution des lois fût confiée à une autorité collective, et on ne remarque pas que ce corps offrait alors des garanties de docilité et d’obéissance que vous ne rencontrerez pas dans l’administration telle qu’elle va être constituée par la loi actuelle.

En effet, comment était composée l’administration du plat pays ? Etait-ce par l’élection ? Les communes rurales étaient-elles représentées comme elles le seront en vertu de la nouvelle loi ? Alors, l’administration municipale était nommée par les états-députés ; et le roi, en nommant le bourgmestre dans les communes rurales, s’il le prenait hors du conseil, comme il en avait le droit, par le fait seul de sa nomination de bourgmestre, il le faisait membre du conseil communal.

Les honorables préopinants, quelques-uns du moins, ne remarquent pas qu’ici ils tombent dans une contradiction manifeste avec tout ce qu’ils ont dit antérieurement sur le caractère des échevins. Quand il s’agissait d’écarter complètement l’intervention gouvernementale dans la nomination des échevins, que vous disait-on ? on vous disait : « Les échevins ne sont jamais les agents du gouvernement, les échevins n’engagent jamais la responsabilité du gouvernement ; ils sont purement et simplement les agents de l’autorité municipale ; et dès lors il est absurde de faire intervenir dans leur nomination le pouvoir exécutif. »

Mais si les échevins sont exclusivement les hommes de la commune, s’ils ne sont sous aucun rapport dans la dépendance du pouvoir exécutif, comment pouvez-vous demander ici que, s’associant au bourgmestre, non pas lorsqu’il agit comme officier de la communale, mais comme officier du pouvoir exécutif, engageant la responsabilité du gouvernement, comment pouvez-vous demander que les échevins viennent agir ici comment agent de gouvernement ?

Vous parlez des anciens règlements du plat pays, mais je vous prie de remarquer que le système du gouvernement actuel repose sur un principe qui a été nié sous l’ancien gouvernement, le principe de la responsabilité ministérielle, principe qui devient une injustice si le gouvernement n’est pas libre dans le choix des hommes appelés à mettre à exécution et les lois et ses actes dans toutes les parties du royaume.

Messieurs, qu’arriverait-il si, comme le proposent plusieurs membres, l’amendement de l’honorable député de Tournay venait à être adopté, et qu’ensuite, par le second vote, comme les préopinants s’en flattent, la chambre enlevât au Roi toute intervention dans la nomination des échevins ? Il arriverait que les hommes qui ne tiendraient en aucune façon leur mandat du gouvernement concourraient journellement à l’exécution des lois et des arrêtés d’administration générale, qu’ils les exécuteraient comme ils l’entendraient après délibération, ou qu’ils opposeraient une force d’inertie à leur exécution ou même une résistance ouverte, quand ils jugeraient que la loi n’est pas constitutionnelle et que les ordres du gouvernement n’en sont pas l’interprétation exacte.

Voilà ce qui arriverait si l’on remettait l’exécution des lois au collège des échevins ; si on permettait à un collège de discuter s’il faut exécuter la loi dans tel sens plutôt que dans tel autre, si on lui soumettait la question de savoir si tel arrête est légal ou illégal.

On a fait l’essai, sous le directoire exécutif, des autorités collectives chargées de l’exécution des lois et arrêtés ; ce système a introduit l’anarchie presque dans tout le pays. L’exécution des mesures générales en a tellement souffert qu’on a accueilli avec acclamation la loi que le remplaçait, quoiqu’elle confisquât toutes les libertés communales au profit du pouvoir central. C’est la loi du 28 nivôse de l’an VIII.

Un préopinant, croyant faire impression sur l’assemblée, a cité un seul cas, celui où un bourgmestre, par négligence, et en gardant pendant un mois des lois ou des arrêtés dans sa poche, en avait empêché l’exécution.

Un tel fait ne prouve rien en faveur de l’opinion que je combats ; car la destitution du bourgmestre remédie à l’inconvénient ; et dans le cas où le gouvernement n’éloignerait pas un tel magistrat, les électeurs en feraient probablement justice.

On vous a cité plusieurs cas où le bourgmestre, en qualité d’officier au gouvernement, agit constamment seul ; ainsi il agit seul comme officier de police judiciaire, comme juge de police, comme officier du ministère public ; pourra-t-on déclarer que dans ces cas il doit s’associer au collège pour agir ? Pourra-t-on déclarer que, dans ces cas et dans d’autres, on doit introduire les lenteurs de la délibération, les dangers de la force d’inertie, lenteurs et inertie qui pourraient gravement compromettre les intérêts généraux et même ceux des habitants de la commune ?

On ne veut point innover quant au règlement des villes ; la disposition que j’appuie, si elle n’est pas identiquement celle de l’article 98 du règlement des villes, a absolument le même sens. Il peut n’y avoir pas d’inconvénient à faire exécuter certaines lois par le collège, mais il ne faut pas vouloir renverser le système actuel, et convertir l’exception en règle. C’est là que tend l’amendement proposé, et je m’y oppose.

M. Dumortier, rapporteur. - La question qui nous occupe maintenant, forme avec celles qui sont relatives à la nomination des bourgmestres et des échevins, et au droit de révoquer et suspendre les fonctionnaires municipaux, les points les plus importants de la législation communale. Cette question et celles que je viens de citer, résument toute la loi ; les autres dispositions ne sont que des corollaires ; nous ne saurions donc apporter trop d’attention sur cet objet.

Si je prends la parole, c’est pour défendre la proposition qui a été faite par MM. Dellafaille et Doignon ; c’est pour appuyer la rédaction qui a été présentée et d’après laquelle le collège des bourgmestre et échevins veille immédiatement à l’exécution des lois et ordonnances, sauf les cas où la loi confie cette exécution au seul bourgmestre.

Je ne soutiendrai pas le rapport de la section centrale parce que je suis contraire au système qu’elle a présenté à la chambre.

Vous voyez dès lors combien je suis opposé dans ma manière de voir à l’opinion émise par l’honorable préopinant et à celle émise par le ministre de l’intérieur. Je crois devoir entrer dans quelques développements pour démontrer les erreurs dans lesquelles les orateurs sont tombés.

En règle générale, que devons-nous rechercher dans la loi qui nous occupe ? Nous devons y rechercher des garanties de plusieurs ordres : avant tout, nous devons y trouver des garanties pour l’exécution des lois, ensuite des garanties pour l’exécution des mesures d’intérêt communal ; puis enfin des garanties contre les arrêtés inconstitutionnels, quand il prendrait envie au ministère d’en prendre.

Or, je trouve toutes ces garanties mieux tracées, mieux stipulées dans l’amendement de mes collègues, que dans les propositions faites par le gouvernement et par la section centrale.

Le ministre de l’intérieur a beaucoup parlé des anciens règlements : il trouve que la disposition présentée par le gouvernement n’en est que la reproduction textuelle ; voyons jusqu’à quel point ces articles répondent aux expressions du ministre. D’abord, quel est le texte du projet en discussion ? Voici comment est conçu l’article 101 :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’exécution de toutes les lois et règlements qui requièrent son intervention ou dans lesquels le conseil est appelé à délibérer, ainsi que des dispositions exclusivement communales. Néanmoins, le bourgmestre agit seul pour tout ce qui a rapport à la publication et l’exécution, dans la commune, des lois et règlements d’administration générale étrangers aux intérêts communaux et pour lesquels l’intervention du conseil ou du collège n’est pas exigée, ainsi que pour tous les objets qui lui sont spécialement déférés par la loi. »

Il y a donc ici deux interventions tracées : l’intervention du collège et l’intervention seule du bourgmestre dans les cas où le collège n’est pas appelé à délibérer.

Puisque le ministre a adhéré à la proposition faite par la section centrale, je n’ai à examiner que l’article que je viens de lire.

Ceci posé, voyons s’il est vrai que cet article soit conforme à l’article 98 du règlement des villes.

Je lis l’article 98 du règlement des villes :

« « Les bourgmestre et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois et des arrêtés et ordres royaux dont ils sont chargés par ces actes mêmes, ou qui, en vertu de ces actes, leur sera conférée par les chefs des départements d’administration générale, le gouverneur ou les états ; et en général ils se conformeront aux instructions qui leur seront données par ces autorités en vertu de ces lois, arrêtés et ordres. »

Mais, messieurs, vous voyez à la lecture de ce texte : « L’intervention des bourgmestre et échevins est requise pour assurer l’exécution des lois ; » vous voyez, dis-je, que ce n’est point au bourgmestre seul qu’est déféré ce soin. Vous voyez qu’il y a dans les règlements des villes, un système différent, puisque jamais le bourgmestre n’est appelé seul à faire ce qui est de la compétence de tout le collège.

On cite le règlement du plat pays. Le bourgmestre, d’après le règlement du plat pays, agit quelquefois seul, dit M. le ministre de l’intérieur. Examinons encore cette assertion. L’article 76 de ce règlement porte : « Le bourgmestre et les assesseurs soignent et assurent l'exécution immédiate et l’exacte observation de toutes les lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale. »

Cela est clair, j’imagine. Vous voyez bien évidemment que le bourgmestre n’agit pas seul, puisqu’il est question du collège des bourgmestre et échevins. Qu’on n’aille donc pas prétendre que la disposition de M. le ministre n’est pas une innovation ! Non seulement c’en est une manifeste, mais encore c’est le renversement total de tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour. Lisez l’article 82, dit-il, et vous verrez si le bourgmestre lui-même n’est pas chargé quelquefois seul de ce qui concerne les intérêts communaux.

Voyons donc cet article 82. « Dans toutes les affaires et opérations dont le bourgmestre et les assesseurs sont chargés par ce règlement ou par quelque disposition particulière, le bourgmestre agit de concert avec les assesseurs, lorsqu’il s’agira d’une simple mesure d’exécution ou de maintenue, mais qu’il y aura encore matière à délibération quant au mode. »

Voilà ce qu’a lu M. le ministre de l'intérieur. Là il s’est arrêté, messieurs ; mais s’il avait continué, vous auriez vu qu’il n’y avait là qu’une division de l’article qui dit ensuite : « Si ce n’est qu’une simple mesure d’exécution ou de maintenue, il a la faculté d’agir seul, comme bourgmestre et sous sa responsabilité. »

Eh ! pourquoi, messieurs ? Parce qu’il faut bien que dans les communes où le collège ne se réunit pas toujours, il y ait une personne qui puisse agir seule. Il peut agir seul, mais il ne le doit pas. Ecoutez la fin de cet article. « Il y est même tenu si un délai ou un retard pouvait entraîner quelque préjudice ou inconvénient. »

S’il s’agit d’une mesure si urgente qu’elle ne puisse être différée sans causer un préjudice réel, le bourgmestre est tenu d’agir sans être assisté du collège. Cela rentre dans toutes les règles en usage. Qu’ajoute enfin l’article 82 : « Il est obligé toutefois de faire aux assesseurs, dans la première séance qui suivra, un rapport sommaire des opérations de cette espèce. »

Ainsi, voilà la règle rétablie. La loi autorise le bourgmestre à agir seul quand il y a urgence, mais il doit ensuite rendre compte au collège de ce qu’il a pu faire. Les assertions ministérielles sont donc inexactes, je crois l’avoir démontré. Car les termes de l’article 76 : « Le bourgmestre et les assesseurs soignent et assurent l’exécution immédiate et l’exacte observation des lois, et toutes ordonnances et arrêtés de l’administration générale, » sont trop clairs pour qu’on puisse soutenir que ce que propose M. le ministre n’est pas une innovation dans toute l’acception du mot.

Mais, dit-on, il est des cas nombreux dans lesquels le bourgmestre est obligé d’agir seul. L’honorable M. Lebeau qui aime beaucoup les généralisations quand il s’agit de s’effrayer sur les pouvoirs municipaux, voit une multitude de cas dans lesquels un bourgmestre est forcé d’agir seul.

Eh bien, moi je la cherche cette multitude de cas ; je n’en vois qu’un seul, celui où le bourgmestre agit en matière de police judiciaire. Mais ce cas est stipulé dans l’amendement qui vous est présenté et c’est celui ou la loi défèrerait au bourgmestre le soin de son exécution. Dans ce cas, que le bourgmestre soit seul chargé de l’exécution de la loi, rien de plus juste, et c’est ce que vous avez déjà stipulé dans la présente loi. Ainsi, en cas de trouble ou d’émeute, c’est ce magistrat qui requiert l’assistance de la garde civique et cela de sa propre autorité. Dans tous les autres cas, il sera nécessaire qu’il agisse avec le concours du collège.

Pour bien connaître jusqu’à quel point est fondée l’assertion de l’honorable député de Bruxelles, il importe avant tout de classifier les lois ; par là nous verrons d’un coup d’oeil où est cette multitude de lois qui requièrent l’intervention spéciale du bourgmestre. Messieurs, vous le savez, les lois sont de divers genres ; elles sont pénales, administratives, financières ou militaires.

D’abord viennent les lois pénales. Le bourgmestre en ce cas doit agir seul ; nous sommes ici d’accord avec le gouvernement. Viennent ensuite les lois administratives. Or, messieurs, j’appelle votre attention sur ce cas. Toute les branches administratives sont réglées par des lois. S’agit-il d’élections par exemple ? Il y a une loi qui les règle ; et quand je parle d’élections, je n’entends pas seulement celles de la chambre, mais celles des conseils provinciaux, des conseils communaux, celles de la garde civique.

Voudriez-vous donc abandonner au bourgmestre ce qui tient aux lois administratives ? En matière d’élection surtout, question qui touche de si près les intérêts de chacun, est-ce au bourgmestre qui faudra tout déférer ? Jusqu’à présent, est-ce que ce fut le bourgmestre qui seul intervint dans une circonstance aussi majeure ? Non, messieurs, mais ce fut toujours le collège de bourgmestres et échevins. Si le bourgmestre pouvait, à son gré, venir modifier les listes électorales, sans que le collège pût y trouver à redire, cela irait loin, messieurs, et le pays pourrait y trouver la source des plus graves abus.

L’exemple que je viens de citer s’applique à toutes les lois administratives. Pour les enfants trouvés, par exemple, il y a une loi qui règle ce qui y a rapport. Eh bien ! le bourgmestre pourrait venir seul s’emparer de ce qui concerne l’administration des enfants trouvés. Il finirait par s’emparer ainsi de toutes les affaires administratives ; car dans les 44 mille lois qui composent l’arsenal législatif du gouvernement français, il trouverait bien moyen de s’attribuer l’exécution d’une grande partie d’entre elles. Je sais que tôt ou tard un pareil envahissement rencontrerait de la résistance, mais ce ne serait pas toujours sans danger, et puisqu’il y a moyen de le prévenir, faut-il attendre qu’on ait à le réprimer ?

Voilà pour les lois administratives. Maintenant viennent les lois financières, il existe dans le pays des agents chargés spécialement de l’exécution de ces lois relatives aux contributions, à l’enregistrement, aux douanes, etc. On ne peut donc dire que sous ce rapport il est une multitude de cas où le bourgmestre seul doit intervenir ; cependant ces lois, celles du moins relatives aux contributions directes, sont en rapport avec les communes. Entend-on par hasard que les bourgmestres s’attribuerait l’exécution de ces lois ? vous sentez, messieurs, si c’est une chose possible.

Enfin, viennent les lois militaires. A l’exception du seul contrôle de la milice, toutes sont du ressort des agents militaires, nommés à cet effet par le gouvernement. Les bourgmestres n’ont donc point à y intervenir, sinon en une circonstance unique, celle de l’inscription.

Vous avez entendu ce que vous a dit à l’égard des cas suscités l’honorable bourgmestre d’Anvers. Toujours même dans ce cas, vous a-t-il dit, les bourgmestres agissent de concert avec leurs collègues. Ainsi, je maintiens qu’à l’exception des lois de police, le bourgmestre ne peut exécuter seul. Je persiste donc à dire que ce dont a parlé l’honorable député de Bruxelles n’existe que dans son idée.

J’ajouterai, messieurs, à ceci une réflexion judicieuse qu’a faite un honorable député d’Anvers. C’est que vous en viendriez à isoler complètement le bourgmestre. Dans le sein du collège, il ne serait plus primus inter pares. Il ne serait plus considéré que comme agent du gouvernement. Une pareille position l’affaiblirait dans l’opinion publique. Il ne faut pas que le premier magistrat de la commune cesse d’être regardé comme tel.

Mais, dit l’honorable M. Lebeau, les anciens règlements présentaient une foule de garanties que les règlements actuels sont loin de présenter. Sous le régime précédent, continue l’orateur, le gouvernement avait le droit exclusif des nominations, et à coup sûr, c’était là une des plus fortes garantie en faveur du pouvoir royal.

J’examinerai s’il est juste de soutenir que les anciens règlements donnaient au gouvernement toute garantie en faveur du pouvoir royal, et que le projet actuel de la section centrale ne lui en accorde aucune. Les garanties, messieurs, ne sont plus les mêmes ; mais je nie formellement ce que dit l’honorable M. Lebeau, lorsqu’il avance que les dispositions soumises à vos discussions offrent moins de garanties que leurs anciens règlements. Des garanties existent toujours en faveur du pouvoir royal ; seulement elles sont d’un ordre différent.

Sous le roi Guillaume, en quoi consistaient les garanties du pouvoir à l’égard des institutions communales ? Elles portaient sur les personnes. Le roi avait la nomination de tous les agents de la commune. Mais pour ce qui est des garanties sur les actes, le gouvernement ne s’en était réservé nulle part.

Nous, messieurs, qui voulions la nomination des échevins par le peuple, nous avons agi d’une manière toute différente. Nous n’avons pas voulu par cela priver la loi de garanties ; nous avons compris que la loi devait être exécutée ; nous avons donc établi un ordre de garanties tout différent ; ce sont les garanties sur les actes. Il serait fastidieux de répéter ce qui a été dit cent fois sur la nécessité qu’il y a de ne pas donner de garanties sur les personnes.

Je dirai simplement quelles sont les garanties données aujourd’hui au gouvernement sur les actes.

Si l’autorité communale refuse l’exécution d’une mesure, d’une loi quelconque, nous autorisons le gouvernement à envoyer sur les lieux un de ses agents chargé de l’exécution de la mesure ou de la loi, laquelle aura lieu (je vous prie du le remarquer) aux frais et en l’absence de l’autorité communale. C’est là un pouvoir immense accordé à l’administration centrale, pouvoir qui n’existe pas dans la loi française, qui n’existait pas sous le gouvernement précédent.

Mais il peut se faire que l’autorité communale présente une résistance passive, qu’elle se refuse, par exemple, à l’exécution des lois financières. On a déjà vu des régences qui s’obstinaient à ne pas porter à leurs budgets les dépenses stipulées par la loi ; pas exemple, pour les enfants trouvés. Quel remède avons-nous présenté à cet abus ? Nous avons voulu que la députation provinciale pût porter d’office aux budgets de ces régences les dépenses exigées par la loi à charge de l’autorité communale.

N’est-ce pas là une faculté très grande accordée au gouvernement ? Ce n’est pas tout. La résistance de l’autorité communale peut ne pas être arrêtée par cette première mesure. Le collège des bourgmestre et échevins peut se refuser à faire la dépense portée d’office au budget communal. Eh bien, nous autorisons la députation provinciale à mandater d’office les dépenses sur la caisse du receveur communal. Voici une troisième garantie. Ce n’est pas tout. Nous rendons le receveur personnellement responsable de la non-liquidation des dépenses ainsi portées d’office.

Voilà certes une série de garanties parallèle à ce qui existait dans l’ancien gouvernement. Elles sont seulement d’un ordre différent. Nous repoussons les garanties sur les personnes, mais nous appelons une intervention très puissante de la part du gouvernement sur les actes de l’autorité communale qui pourraient s’écarter des limites posées par la loi.

Pour continuer la nomenclature des garanties que nous avons accordées au gouvernement, je ferai remarquer que nous lui avons conféré le droit absolu d’annuler tous les actes des autorités communales qui blessent l’intérêt général ou qui sortent de leurs attributions. N’est-ce donc pas assez ? Pourquoi voulez-vous entasser garanties sur garanties en faveur du gouvernement, et n’en donner aucune à l’élément populaire ? S’il faut au gouvernement des garanties qui lui assurent des lois, il en faut aussi au peuple contre les entraves que l’on pourrait apporter à la jouissance de ses libertés constitutionnelles. Et d’ailleurs, ne trouvez-vous pas plus de certitude de l’exécution des lois dans un collège de régence, que dans un seul individu qui pourra substituer sa volonté à la place de celle du législateur ?

Mais, dit l’honorable député de Bruxelles, quand il s’agissait de la nomination des échevins, vous disiez que l’action des échevins ne pouvait engager le gouvernement. Aujourd’hui vous voulez que les échevins interviennent comme collège dans l’exécution des lois ; vous êtes donc en contradiction avec vous-même, vous compromettez ainsi la responsabilité ministérielle.

Ce dernier argument est-il plus fort que ceux que je viens de combattre ? Il est plus faible au contraire. Quelle est cette responsabilité ministérielle que l’honorable M. Lebeau invoque à l’occasion de l’exécution des lois par l’autorité communale ? Prétendrait-il que les ministres doivent être responsables de tous les actes illégaux commis par tous les employés qui existent dans le pays ? Mais il est impossible de soutenir une pareille absurdité. Si un député venait nous présenter un projet de loi qui rendît tous les ministres subséquents responsables de tous les actes illégaux commis par toutes les autorités du royaume, je vous demande si un seul membre se lèverait pour adopter un pareil projet. Il ne faut pas ainsi mésuser de la responsabilité ministérielle déniée sous le gouvernement précédent et consacrée enfin par notre constitution !

La responsabilité ministérielle est bonne dans certains cas mais elle ne peut remplacer toutes nos libertés publiques.

Elle est nécessaire, lorsqu’il s’agit de punir des crimes, de grands crimes, des crimes de haute trahison, de concussion, de forfaiture. Mais lorsqu’un agent subalterne aura violé la loi, jamais il ne viendra à l’imagination de personne d’en rendre le ministre, son supérieur dans l’ordre responsable, et de lancer contre lui l’accusation qu’autorise notre pacte constitutionnel. On se contentera de dire au gouvernement : Vous avez fait un mauvais choix, et non pas : Vous avez agi inconstitutionnellement.

La responsabilité du ministre ne serait engagée que dans le cas où l’agent subalterne aurait agi d’après ses ordres directs et exprès ; hors de là, pas de responsabilité.

Des exemples rendront cette vérité plus claire encore. Le ministre des finances a 6,000 employés sous ses ordres. Admettons qu’un de ces 6,000 employés se soit rendu coupable de concussion, quelqu’un d’entre nous aura-t-il la pensée de faire partager cette culpabilité au ministre ? Nous ne pourrons le blâmer que sur le choix de l’homme nommé par lui à un emploi dont il était si peu digne, que sur son peu de surveillance, mais jamais nous ne le rendrons coupable du fait de son employé.

Le ministre de la guerre a cent mille employés sous ses ordres, qui, tous nommés par le gouvernement, lui doivent obéissance passive et sans réflexion aucune. Qu’un seul commette un acte inconstitutionnel, voudrez-vous que le ministre en soit responsable ? Oui, s’il a donné ordre, non, si l’agent a suivi sa propre impulsion.

Vous voyez, messieurs, que c’est pour faire peur à la chambre que l’on met en avant ce grand mot de responsabilité ministérielle. Nous pouvons donc sans inconséquence, demander la nomination des échevins par le peuple et leur participation dans l’exécution des lois.

Mais, ajoute l’honorable M. Lebeau, on a reconnu que l’exécution collective des lois détruit l’harmonie, l’ensemble si nécessaires dans les rouages administratifs. Encore une fois, où trouvez-vous cela ? Avez-vous ouvert les pages de l’histoire ? De tout temps les lois en Belgique n’ont-elles pas été exécutées par des corps collectifs, par les mayeurs et les échevins, par les prévôts et les jurandes ; et cependant avons-nous vécu pour cela dans l’anarchie ? Il n’est pas de pays qui ait joui depuis des siècles de plus de liberté que la Belgique et qui ait su allier ainsi l’ordre à la liberté. Les administrations communales loin de contenir des germes d’anarchie, ont toujours été et seront toujours les premiers éléments d’ordre en Belgique.

Se reposer sur elles, c’est assurer à jamais l’ordre dans le royaume ; leur donner de la force, c’est donner de la force au pays.

Confions-nous, messieurs, dans ces antiques institutions qui ont fait chez nous la force du gouvernement, toutes les fois qu’il a respecté les libertés publiques, et qui ont su l’arrêter dans ses envahissements, chaque fois qu’il a voulu attenter à nos droits. Conservons ces institutions qui ont toujours fait notre force. Par là nous unirons l’avenir au passé, et nous répondrons à ce que le pays attend de nous.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je vois avec regret qu’une question aussi simple soit l’objet d’une discussion aussi longue. Je prouverai cette assertion quand j’aurai répondu à quelques objections faites par les honorables préopinants.

L’on a prétendu que l’article de la section centrale introduisait une innovation dans la loi. Cette opinion est facile à émettre. Encore faut-il la prouver ? L’on a cité une disposition isolée du règlement du plat pays, l’article 76. On a perdu de vue l’article 51 du même règlement, qui porte que le bourgmestre agit avec ses assesseurs ou agit seul, sauf certaines exceptions citées à la suite de l’article. L’on a donc omis de mentionner dans la discussion les diverses circonstances ou le bourgmestre agit seul.

Les articles 81 et 82 du même règlement confèrent encore des attributions spéciales aux bourgmestres, indépendamment des autres articles qui les précèdent et qui donnent l’énumération d’actes très importants où l’action du bourgmestre est isolée. Notez bien que d’après les anciens règlements le bourgmestre agissait très souvent seul dans des affaires d’intérêt purement communal, tandis que d’après le projet de la section centrale il s’agirait seul que pour l’exécution des actes de l’administration générale.

On a beaucoup argumenté sur l’article 98 du règlement des villes. Quand le collège des bourgmestre et échevins est-il appelé à agir ? Dans les cas où la loi confère des attributions à cet effet. La disposition est claire, elle est de plus fondée sur la raison. Le collège des échevins ne peut avoir d’autres attributions que celles qui lui sont conférées par la loi communale ou par des actes spéciaux d’administration générale.

Il est vrai que l’article 98 ne dit pas que, dans certains cas, le bourgmestre sera seul chargé de l’exécution des lois. Mais quand la loi confère cette attribution au bourgmestre, il puise son droit dans cette loi ou dans les règlements d’administration générale. Il est évidemment facultatif au gouvernement de charger qui bon lui semble de l’exécution des dispositions qu’il lui appartient seul de prendre. C’est là un principe très simple et tout à fait élémentaire.

J’ai dit que la discussion actuelle n’était qu’une question de mots. Je vais le prouver par les termes mêmes de l’amendement de l’honorable M. Doignon. Cet amendement est ainsi conçu :

« Les bourgmestres et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois, ordonnances et arrêtés de l’administration générale, sauf le cas où la loi conférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution. »

Je ferai remarquer que chaque loi, chaque arrêté d’administration générale indique l’autorité chargée de le mettre à exécution. L’exécution d’une loi ou d’un arrêté d’administration générale ne pourrait être prescrite, si l’administration chargée de la mise à exécution n’était pas désignée. Je ne m’opposerai pas au surplus, à l’adoption de cette rédaction, sauf deux modifications que je proposerai d’y porter.

La première consistera à remplacer ces mots : « Sauf le cas où la loi, etc. ; » par ceux-ci : « Sauf le cas ou la loi, l’ordonnance ou l’arrêté conférerait, etc., » car il est évident que quand le Roi prend un arrêté sur un objet ressortissant de ses pouvoirs, il doit avoir la faculté de charger le bourgmestre de l’exécuter, tout comme la législature a celle de designer l’autorité qu’elle veut charger de l’exécution de la loi. Cette réflexion s’applique également aux actes d’administration générale.

Il est une seconde modification qui me paraît également indispensable, si l’on ne veut pas entraver la marche administrative dans les campagnes.

Dans les villes il y a moins d’inconvénients à ce que le collège veille à l’exécution des lois. Il y a des officiers de l’administration chargés de cette mise à exécution. Mais dans les campagnes, il faut que ce soin soit dévolu au bourgmestre ou à l’assesseur. L’on ne peut recourir pour cet objet à la simultanéité d’un collège composé d’un bourgmestre et de deux assesseurs. Je demande donc l’insertion d’un paragraphe additionnel, ainsi conçu :

« Le collège peut charger un ou plusieurs de ses membres de l’exécution des mesures dont la surveillance lui est confiée. »

Cette faculté donnée au collège de délivrer un mandat d’exécution simplifiera l’administration dans les campagnes.

Je crois avoir ainsi répondu aux objections des honorables préopinants. Je me rallierai donc à l’amendement de M. Doignon, moyennant les modifications que je viens de proposer. Mais je ne donne pas pour cela la préférence à cet amendement sur l’article de la section centrale. Car je ne vois pas de différence entre ces deux propositions.

M. Pollénus. - Je crois qu’il est fort difficile de se livrer à une discussion claire, surtout en ce qui regarde l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Je désirerais, pour ma part, que la discussion de cet amendement pût être assez différée pour que nous en prissions connaissance.

Deux choses me frappent dans cet amendement, c’est qu’il semble que le collège de régence pourrait déléguer un de ses membres pour prendre des mesures d’exécution. Dans ce cas, je ne sais pas ce que serait un bourgmestre. A quoi se réduiront ses fonctions, si d’autres que lui peuvent être chargés de l’exécution des lois dans la commune ? Que deviendra le droit de nomination que vous accordez au Roi ? Je désire donc que cet amendement ne soit discuté que dans une séance suivante. Si la chambre ne partage pas mon opinion, je me permettrai de faire une autre réflexion sur la rédaction de la section centrale, à laquelle il me paraît que M. le ministre de l’intérieur se rallie, puisqu’il propose un amendement.

Il me semble que la première partie de l’article de la section centrale dit une chose inutile, de ces choses inutiles qui ont déjà été retranchées dans plusieurs autres dispositions. L’article 101 porte :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’exécution de toutes les lois et règlements qui requièrent son intervention ou dans lesquels le conseil est appelé à délibérer, ainsi que des dispositions exclusivement communales. »

Ainsi une loi spéciale réclame l’intervention du collège des bourgmestre et échevins : est-il nécessaire de dire qu’il faudra que le collège obéisse aux ordres de cette loi ? Je demande le retranchement de cette partie du premier paragraphe de l’article, d’autant que je vois toute la réserve que l’on voudrait faire résulter de la loi dans la disposition finale.

Le rapporteur de la section centrale faisait remarquer qu’il n’était pas donné de garantie au collège des bourgmestre et échevins dans le cas où l’exécution d’actes illégaux lui serait ordonnée. Il est remédié à cet inconvénient. Il y a une réserve expresse en faveur du collège des bourgmestre et échevins dans le cas où la loi réclame son intervention.

Je ne pense pas que l’honorable M. Dumortier ait répondu d’une manière satisfaisante aux observations de l’honorable M. Lebeau. M. Dumortier voudrait en faveur de la commune une garantie telle que l’on pût espérer du collège des bourgmestre et échevins une résistance dans le cas d’une ordonnance d’exécution d’actes entachés d’illégalité. Après avoir dit qu’il désirait rencontrer les éléments de cette résistance, le rapporteur dit plus bas que la résistance est impossible, que toute garantie sur les actes a été donnée au gouvernement. Si la résistance est impossible, je ne vois pas pourquoi il désire qu’on en organise les éléments.

La résistance ne peut produire aucun effet, parce que le bourgmestre qui se refuserait à l’exécution des lois, serait responsable de son refus. Si cela n’était pas ainsi, comment, ainsi que l’a fait observer M. Lebeau, entendrait-on la responsabilité ministérielle ? Pourrait-elle subsister devant le système de résistance organisée que désirerait M. Dumortier ?

Il me semble, messieurs, que l’on concilierait toutes les garanties que réclament et le gouvernement et l’autorité communale, si l’on adoptait la rédaction suivante à la place de l’article 101 :

« Le bourgmestre agit seul comme agent du gouvernement pour tout ce qui a rapport à la publication et à l’exécution des lois et des règlements d’administration générale, sauf le cas où les lois conféreraient au conseil de régence ou du collège le soin de leur exécution. »

M. Donny. - J’avais demandé la parole pour combattre le système avancé par M. le ministre de l'intérieur à l’occasion de l’article 101 proposé par la section centrale. Comme M. le ministre vient d’abandonner cet article, il deviendrait inutile d’entretenir la chambre des considérations que je voulais faire valoir. Je renonce donc à la parole.

M. Jullien. - Il me semble en effet que l’auteur de l’amendement en discussion doit être satisfait par la déclaration de M. le ministre de l’intérieur. Que demandait l’honorable M. Doignon ? Il demandait que dans tous les cas le collège des échevins fût chargé de l’exécution des lois et règlements. Sous ce rapport, je suis de la même opinion. Il est bien certain que les lois roulent constamment sur deux pivots, que toutes se résument en définitive à ceci : de l’argent et des soldats.

Or je demande, si, puisqu’il s’agit toujours d’argent et de soldats, la commune n’est pas directement intéressée à toutes les lois émanées du pouvoir central ?

Il est donc vrai de dire qu’à l’exception de quelques cas particuliers, c’est bien la commune, c’est-à-dire ceux qui la représentent, qui ont droit d’exécuter les lois.

Il paraît que M. le ministre est tout à fait d’accord avec l’auteur de l’amendement, qu’il adhère à la rédaction faite de cette manière : sauf le cas ou la loi, l’ordonnance ou l’arrêté, déférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution. Il me semble qu’à cet égard il n’y a plus rien à demander.

Quant à l’amendement de M. Pollénus, il remettrait en question ce à quoi il paraît satisfait par la déclaration du ministre. Je m’opposerait donc à cet amendement, et je voterai pour l’amendement de M. Doignon tel qu’il a été modifié par le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demanderai la parole pour remplir une lacune que j’ai remarquée dans l’article. Je proposerai, d’ajouter : « Le collège peut, du consentement du bourgmestre, charger un ou plusieurs de ses membres de l’exécution des mesures dont la surveillance lui est confiée. »

Je propose d’ajouter cette disposition pour que les échevins ne puissent pas déférer l’exécution des lois à un membre du collège, contre le gré du bourgmestre.

M. Doignon. - Je me rallie volontiers à l’amendement de M. le ministre de l'intérieur, mais je désirerais auparavant obtenir de lui une explication. Je lui demanderai si, en vertu de son amendement, le gouvernement pourra, par arrêté, enlever à la commune l’exécution d’une loi, lorsque celle-ci ne l’aura pas déférée au bourgmestre seul.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) et M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ! non !

M. Doignon. - Alors je me rallie à M. le ministre de l’intérieur.

M. Pollénus. - La modification apportée à l’amendement par M. le ministre parant aux inconvénients que j’avais signalés, je déclare retirer ma proposition.

M. Jullien. - Je ne sais si la chambre adhérera à cette nouvelle addition relative à la délégation facultative. Cette disposition me paraît assez singulière, et je n’en vois pas la nécessite ; dès l’instant que vous laissez au collège l’exécution des lois, sauf le cas où la loi déférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution.

Je m’opposerai à l’adoption de cette nouvelle disposition portant : « Cependant le collège, de l’avis du bourgmestre, pourra désigner quelqu’un qui sera chargé spécialement de l’exécution des lois. » Et, pour pouvoir voter contre, je demanderai la division.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que la nécessité de cette disposition est évidente. Il résulte de plusieurs dispositions du règlement que le bourgmestre seul est appelé à mettre à exécution telle ou telle mesure. La nature même des choses peut ne pas permettre au bourgmestre de réunir ses assesseurs pour la mise à exécution dont il s’agit. Il faut donc qu’un membre du collège soit spécialement chargé de cette partie du service, car il est impossible que le collège se transporte en corps pour exécuter les lois.

M. Donny. - J’ajouterai que la disposition proposée par M. le ministre de l’intérieur, quoiqu’elle n’ait pas été formulée jusqu’ici, n’est pas insolite dans la pratique. Les fonctions des bourgmestre et échevins se divisent.

Le collège délègue tel ou tel échevin pour remplir telle partie du service, et tel autre pour telle autre partie.

M. Jullien est dans l’erreur quand il pense que l’amendement de M. le ministre introduirait quelque chose d’insolite dans l’administration.


M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Doignon sous-amendé par M. le ministre ; M. Jullien ayant demandé la division, je mets d’abord aux voix la première partie qui est ainsi conçue :

« Les bourgmestre. et échevins veillent à l’exécution immédiate des lois, ordonnances, et arrêtés d’administration générale, sauf le cas où la loi, ordonnance ou arrêté, déférerait au bourgmestre seul le soin de son exécution. »

- Cette première partie est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - Deuxième partie. « Le collège peut, du consentement du bourgmestre, charger un ou plusieurs de ses membres de l’exécution des mesures dont la surveillance lui est confiée. »

- Adopté.

L’ensemble de cet amendement qui remplace l’article 101 de la section centrale est adopté.

Chapitre IV. Du secrétaire
Articles 100 et 101 (du projet du gouvernement) et article 105 (du projet de la section centrale)

M. le président. - Les articles 102, 103 et 104 ayant été adoptés dans la dernière séance, nous passons à l’article 105 de la section centrale qui remplacerait les articles 100 et 101 du projet du gouvernement. Ces articles sont ainsi conçus :

« Art. 100. Dans les communes de 3,000 habitants et au-dessus, le Roi nomme et révoque les secrétaires.

« Dans les autres communes, les secrétaires sont nommés et révoqués par les gouverneurs au nom du Roi. »

« Art. 101. Les nominations se font sur une liste de deux candidats présentés par le conseil municipal, auxquels le collège des bourgmestre et échevins pourra en ajouter un troisième.

« Art. 105 proposé par la section centrale. Le secrétaire est nommé et révoqué par le conseil de régence ; la durée de ses fonctions est de six ans.

« Néanmoins, dans les communes de 2,000 habitants en au-dessous, ces nominations devront être approuvées par la députation provinciale.

« La première nomination des secrétaires est laissée au gouvernement. »

M. le ministre déclare ne pas se rallier à la section centrale.

M. C. Vuylsteke. - Messieurs, je crois devoir me rallier à la proposition du gouvernement par le double motif que cet article me paraît donner une plus grande garantie à la commune et au secrétaire lui-même. En effet, l’expérience a toujours prouvé que, dans une administration communale (et ici je fais particulièrement allusion aux communes rurales), les affaires ne marchent pas ou marchent mal si l’administration n’est pas soutenue, j’ose même dire dirigée, par un homme versé dans les affaires, par un homme qu’un grand nombre d’années de travail a rompu au rouage administratif : cet homme, c’est évidemment le secrétaire.

C’est donc une des premières conditions d’une bonne administration pour la commune d’avoir un homme instruit, probe, laborieux et entièrement dévoué à l’accomplissement de tous ses devoirs. Mais pour que la commune puisse espérer de rencontrer un homme qui, avec toutes ces qualités, consente à se charger de pénibles fonctions pour un si médiocre salaire, il faut au moins que le secrétaire trouve dans sa position une garantie morale qu’il ne sera pas exposé à perdre sa place aussi longtemps qu’il remplit ses devoirs avec talent, zèle et probité. Or, cette garantie, le secrétaire ne la trouve pas, selon moi, dans le conseil de régence.

Ce qu’il a surtout à craindre, lorsque sa révocation dépend du conseil, c’est que l’échec ou le triomphe momentané d’un parti dans la commune ne devienne pour lui un signe de vie ou de mort ; ce qu’il a craindre encore, dans ce même cas, c’est l’esprit de coterie et de népotisme qui, malheureusement, est si actif et agit avec tant de force dans les petites localités.

Il répugne à l’homme d’honneur, qui a quelque peu de sentiment de sa dignité et de son mérite, de se vouer à une carrière dans laquelle, pour s’y maintenir, il sera souvent obligé de sacrifier sa conviction, ou peut-être même le bien public à la crainte de froisser par sa résistance les intérêts personnels de l’un ou de l’autre membre de l’administration, de s’exposer ainsi à sa haine et à sa vengeance. Aussi pourra-t-il arriver que si la proposition de la section centrale était adoptée, plusieurs secrétaires renoncent plutôt à leur fonction que de se voir dans la cruelle alternative, ou de forfaire à leur devoir, ou de s’exposer à une révocation.

Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, qu’il existe une différence essentielle entre les autres fonctions municipales et celles de secrétaire. Les premières ne sont jamais considérées que comme plus ou moins honorifiques et passagères ; rarement celui qui les accepte, renonce à son état antérieur. Au lieu que les fonctions de secrétaire sont une véritable carrière, une véritable profession à laquelle on se dispose par des études et de travaux préparatoires, et dont la plupart des secrétaires ne pourraient être déposés qu’en se voyant privés tout d’un coup de tous moyens d’existence pour eux et pour leur famille.

Je pressens une objection, celle que si le secrétaire est nommé par le gouvernement, la régence sera subordonnée à ses caprices, qu’il n’aura plus pour elle le respect dû à sa dignité ; mais cette objection et autres de cette nature tombent devant la considération qu’un secrétaire n’est qu’un agent d’exécution n’ayant pas de voix délibérative, et dont toutes les obligations sont consignées dans la loi. Cependant, si un secrétaire avait l’imprudence de transgresser ses devoirs en quelque point, l’administration communale qui contrôle tous ses actes ne manquerait pas d’en faire son rapport à l’autorité supérieure qui, j’aime à le croire, n’hésitera jamais à lui rendre la justice qu’elle réclame. D’ailleurs, l’administration trouve une nouvelle garantie contre la négligence ou la mauvaise volonté du secrétaire dans l’envoi de commissaires spéciaux, que vous avez autorisé par l’article 85 du présent projet de loi voté en séance du 26 novembre dernier.

La section centrale laisse la première nomination des secrétaires au gouvernement. Cette disposition qui, au premier aspect, paraît restreindre l’autorité du conseil, et qui semble dissiper en grande partie les craintes que j’ai manifestées, se réduit au fond à peu de chose, car il pourrait arriver qu’aujourd’hui, le gouvernement nomme un secrétaire dans une commune, laquelle usant du droit que la disposition de la section centrale lui accorde, le révoque le lendemain. Le pouvoir du gouvernement est épuisé ; il n’a plus aucun droit de s’ingérer dans les nominations, moins encore dans les révocations ; il n’est donc paré à aucun inconvénient, ni abus.

Je crois, messieurs, que telle ne peut pas être la disposition de la loi : nous devons assurer à la commune une bonne administration. Lorsqu’un secrétaire remplit bien ses devoirs, son existence, le maintien de sa place doivent lui être garantis ; cette garantie je la trouve dans la révocation des secrétaires par le Roi. La responsabilité ministérielle, morale et politique, est pour eux un garant qu’ils ne trouvent pas dans le conseil de régence, puisque toute responsabilité qui ne tombe que sur un corps délibérant est réellement illusoire.

Je ne crains pas que le gouvernement révoque le secrétaire, s’il remplit sa fonction avec probité, zèle et assiduité. Il est de l’intérêt de tout pouvoir, n’eût-il seulement qu’un peu de sens commun, de faire un usage très modéré et bien motivé du droit sévère de révocation. L’honneur doit être le mobile tout gouvernement constitutionnel. Si un ministre devenait assez insensé pour faire un usage révoltant du droit de révocation que la loi lui accorde, l’opinion publique le flétrirait, la tribune de la chambre des représentants retentirait de justes plaintes, la majorité de la chambre s’éloignerait de lui, il tomberait.

J’aurai l’honneur de vous faire remarquer en outre, messieurs, que d’après la rédaction de l’article tel que le gouvernement vous le propose, le conseil de régence et le collège sont investis d’un droit si restreint pour le pouvoir, qu’il est impossible au Roi de nommer un secrétaire qui ne soit pas agréable au conseil de régence. L’article suivant qui doit être la conséquence de l’adoption de l’article actuellement en discussion dit : « Les nominations se font sur une liste de deux candidats présentés par le conseil municipal, auxquels le collège des bourgmestre et échevins pourra en adjoindre un troisième. »

Vous voyez, d’après cela, que l’autorité communale, loin de demeurer étrangère à la nomination du secrétaire, puisque c’est le conseil et le collège qui présentent les candidats, parmi lesquels le Roi choisit ce fonctionnaire ; c’est n’est que dans la révocation seule que l’autorité du conseil est restreinte.

C’est par ces diverses considérations que j’ai cru devoir me rallier à la proposition du gouvernement plutôt qu’à celle de la section centrale. Cependant si des amendements étaient présentés qui consacrassent une garantie suffisante pour les administrations communales et pour les secrétaires, je les appuierais de mon vote.

M. le président. - M. Legrelle propose d’ajouter la suspension entre la nomination et la révocation, de ne pas limiter la durée des fonctions du secrétaire et de supprimer le dernier paragraphe qui laisse au gouvernement la première nomination des secrétaires.

M. Legrelle. - Il me semble, messieurs, que dans l’intérêt du secrétaire, nous devons ajouter au premier paragraphe de l’article le mot suspension, afin de mettre un terme moyen entre l’annulation et la révocation, comme cela existe pour beaucoup d’autres fonctionnaires. Je pense en outre que nous ne devons pas fixer de terme aux fonctions du secrétaire. Les motifs donnés par la section centrale pour les limiter à six ans, ne sont, selon moi, rien moins que déterminants. Car un homme qui pour les fonctions de secrétaire aura sacrifié une position et renoncé à de belles espérances, ne doit pas être exposé à voir dépendre son sort d’un nouveau secrétaire. S’il a commis des fautes ou donné des motifs graves de mécontentement, le droit de suspension et de révocation est un remède suffisant.

Je ne crois pas qu’on doive laisser au gouvernement la première nomination du secrétaire. Partant du principe posé par la section centrale que le secrétaire est un agent communal, je suis d’avis que sa nomination, la première comme les suivantes, doit appartenir au conseil, qui sans cela serait exposé, le cas échéant, ou bien à révoquer le secrétaire nommé par le Roi, ou bien à ne pas oser faire usage de son droit de révocation.

Je crois, messieurs, que ce peu de mots suffit pour vous faire apprécier mon amendement.

- L’amendement de M. Legrelle est appuyé.

M. Dubois. - Messieurs, dans la question qui nous occupe, deux systèmes bien tranchés se présentent : l’un est celui de la section centrale, l’autre celui proposé par le gouvernement.

La section centrale veut que les secrétaires des communes soient nommés par le conseil communal, le projet du gouvernement soumet leur nomination et leur révocation à l’autorité supérieure. C’est en principe ce que contiennent les articles 100 et 101 ministériels, et 105 de la section centrale, et c’est à la chambre à opter le mode qui lui semble le plus convenable aux principes et aux besoins de la bonne administration des communes du pays.

Pour ma part, messieurs, je n’ai jamais hésité un instant sur le parti qu’il me reste à prendre. Le système de la section centrale offre, à une légère modification près, la continuation de la mesure prise par le gouvernement provisoire ; et je me suis trop bien convaincu, par quatre années d’expérience, des dangers et des nombreux inconvénients qu’elle présente, pour que je consente à convertir en loi définitive un décret provisoire, que je n’ai jamais pu justifier qu’en le considérant comme temporaire, et comme pris à une époque où le gouvernement avait le plus grand intérêt à réorganiser promptement et dans son entier tout le personnel de l’administration intérieure. J’appuierai en ceci le projet présenté par M. le ministre de l'intérieur.

Et d’abord, si je consulte les antécédents de la chambre, je trouve que le système de la section centrale n’est pas en harmonie avec le principe admis par elle.

Qu’il me soit permis de vous rappeler, messieurs, qu’une question à peu près semblable a été soulevée à l’occasion de la discussion de la loi provinciale. Quand il s’est agi de décider à qui appartiendrait la nomination des greffiers provinciaux, la section centrale proposait également qu’ils fussent nommés par le conseil provincial ; mais la chambre eut recours au principe que la nomination d’un fonctionnaire appartient à la personne ou au corps administratif auquel ce fonctionnaire doit être plus intimement adjoint, qui doit avoir avec lui des relations journalières, et sur lequel il a un contrôle incessant ; et elle décida que ce ne serait pas le conseil, mais la députation permanente du conseil, qui proposerait les candidats au greffe de la province.

Or, nous sommes déjà assez avancés dans la discussion de la loi communale pour qu’il soit évident pour vous autres tous, messieurs, que le secrétaire de la commune est aussi intimement, aussi nécessairement lié au corps des bourgmestre et échevins que l’est le greffe provincial au corps de la députation permanente. Ses relations avec le conseil sont extrêmement rares, et encore n’est-il là que pour prendre des notes, puisque c’est le bourgmestre lui-même qui est chargé de surveiller la rédaction du procès-verbal de délibération. Pourquoi alors faire émaner du conseil la nomination d’un fonctionnaire avec lequel il a si peu de rapports, qu’il est incapable de contrôler et de surveiller, et dont il ne peut conséquemment ni apprécier les talents ni reconnaître les mérites ? Cette proposition me paraît donc essentiellement contraire au principe que j’ai cité et qui a été antérieurement consacré par la chambre.

Cependant, je suis loin de nier que les personnes qui composent le conseil, qui toutes sont choisies dans le sein de la commune, ne puissent, plus ou moins, bien juger de l’aptitude et des capacités d’une personne qui se présenterait pour remplir la place de secrétaire. Non, messieurs, je sais que sous ce rapport il existe quelque différence entre la position des membres du conseil communal et celle de membres du conseil provincial, et je reconnais ceci d’autant plus volontiers que, m’étant rallié à la proposition du gouvernement, je trouve que dans son projet il laisse une grande part d’influence au conseil dans la nomination du secrétaire.

Ne pouvant consentir à ce que le conseil nomme et révoque son secrétaire, le gouvernement propose la présentation simultanée de candidats par le conseil communal et par la régence, et il demande que l’autorité provinciale ou centrale décide. Ceci me semble rationnel et en harmonie avec tous les vrais principes d’administration, et en outre, conforme à nos lois antérieures et à nos usages.

Et, messieurs, ce n’est pas inutilement que je remarque que cette disposition est conforme à nos anciens usages ; car en administration, qui est bien plutôt une science de pratique que de théorie, il est prudent de ne pas dévier légèrement d’un usage dont l’utilité n’a pas été contestée et qui n’a pas offert d’inconvénients notables. Je n’hésite pas à le dire : c’est pour avoir brusquement changé le système de nomination des autorités communales que le gouvernement provisoire a suscité dans un grand nombre de nos communes des haines et des divisions qui durent encore, c’est pour avoir soumis à la volonté ou au caprice d’un conseil communal la nomination et la révocation des secrétaires qu’il a jeté la perturbation dans l’administration.

Je n’accuse pas le gouvernement provisoire. J’ai déjà rendu justice aux motifs qui l’ont fait agir. Je me contente de vous dire, messieurs, ce qui se passe depuis quatre ans dans nos communes.

Je sais, messieurs, que pour ce qui regarde la nomination des secrétaires communaux, des inconvénients tels que je les ai signalés ne se présenteront pas dans nos grandes villes. C’est ainsi que je conçois l’opinion contraire de l’honorable bourgmestre d’Anvers. Mais comme notre loi communale offre l’inconvénient d’être uniforme pour toutes les petites villes et pour toutes les communes de la Belgique, c’est en faveur de l’immense majorité qu’offrent celles-ci que je plaide pour le maintien des articles 100 et 101 du projet.

La section centrale a elle-même senti le besoin de modifier sa proposition en soumettant à l’approbation des états provinciaux la nomination des secrétaires des communes dont la population ne s’élève pas au-dessus de 2,000 âmes, mais cette modification est insuffisante. Elle se tait sur le mode de révocation et elle restreint trop le nombre des communes auxquelles elle l’applique. D’ailleurs, c’est toujours le conseil, et le conseil seul, qui nomme.

J’ai toujours cru qu’il faut nécessairement admettre un système de nomination qui permette à nos communes d’avoir un secrétaire instruit, capable et indépendant. C’est une condition essentielle devant laquelle le principe même devrait céder, s’il y était contraire. En effet, le secrétaire est l’homme qui donne le mouvement et l’impulsion à la plupart de nos communes ; il est le conseil et le guide des autorités, il et l’âme de l’administration.

Si ce que je dis est vrai, messieurs, vous vous apercevrez facilement qu’il n’y a que la disposition du gouvernement qui nous permette d’espérer ce résultat, et qu’il sera rendu impossible si vous adoptez l’amendement de la section centrale.

Nos communes rurales sont trop peu importantes, et elles n’ont pas de ressources suffisantes pour payer comme il convient un secrétaire instruit et capable. Pour cela, elles s’adjoignent à deux ou trois communes voisines, et le pouvoir nomme un secrétaire commun qui jouit d’émoluments raisonnables par la réunion du traitement alloué par les budgets des trois ou quatre communes qu’il assiste. Consultez maintenant le projet de la section centrale, et vous comprendrez s’il est possible d’espérer un résultat pareil d’une disposition qui autorise les conseils à choisir leurs candidats individuellement et sans égard ni à leurs voisins, ni à leurs ressources pécuniaires. Tandis que si vous accordez au pouvoir la nomination de ces fonctionnaires, vous lui donnez la facilité de concilier cette nécessité de créer des cantons de secrétaires, avec les préférences et avec les affections qu’une régence peut avoir pour certaines personnes.

Mais il est un inconvénient bien plus grave, qui ressort de la disposition que je critique ; c’est qu’elle laisse à ces fonctionnaires une grande incertitude sur leur avenir, et des craintes continuelles que la volonté aveugle ou le caprice de la régence ne le dépossède d’un emploi auquel ils se sont entièrement consacrés, et pour lequel ils ont abandonné tout autre moyen d’existence.

On a vu trop souvent un homme qu’un caprice avait élevé, être renversé et anéanti par un caprice contraire. J’ai été témoin d’un événement pareil. Dans une commune, l’entrée d’un seul individu au conseil fut cause de la destitution du secrétaire qui, parce qu’il avait le malheur de déplaire à ce nouveau venu fut injustement et brutalement dépossédé de ses fonctions. Un système qui mène à de pareils résultats est évidemment mauvais, messieurs ; il faut assurer le sort d’un fonctionnaire contre des événements semblables. Il faut qu’un père de famille ne soit pas exposé à la ruine, au déshonneur et à l’humiliation, sans qu’il y ait des motifs graves, sans avoir été entendu, sans pouvoir présenter sa défense et sans qu’il y ait appel pour lui à une autorité quelconque.

A cet inconvénient, on peut en ajouter un autre qui lui est entièrement opposé et qui pour le moins est tout aussi sérieux. C’est que s’il y a à craindre des trop grands pouvoirs que pourraient avoir les régences sur leur secrétaire, il peut arriver également que celui-ci par sa supériorité personnelle, par son influence dans la commune, par ses intrigues, ne parvienne à dominer et à maîtriser la régence au point qu’il devienne l’être le plus absolu et le plus intraitable de l’administration. Je pourrais citer plus d’un exemple pareil, je pourrais nommer plus d’un secrétaire, qui a soumis à sa volonté une régence faible et pusillanime, qui dans sa commune est le fléau des administrés, et qui suscite à l’administration supérieure des tracasseries qui dureront aussi longtemps que celle-ci n’aura pas le pouvoir de chasser de son poste un individu qui opprime la commune et qui nargue l’autorité.

Messieurs, je cède à une autorité profonde, acquise par une assez longue expérience, quand je vous dis que les fonctions de secrétaire communal sont trop importantes dans l’ordre politique et administratif du pays, pour que ces employés soient mis en dehors de l’action et de la surveillance du gouvernement. Car, veuillez remarquez encore que les fonctions de secrétaire ne sont pas réduites à tout ce qui n’est que d’intérêt communal, qu’elles ne sont pas restreintes à l’exécution des lois et des règlements de la commune, mais qu’il est obligé, sous la direction du bourgmestre et des échevins, à concourir à l’exécution des lois et des règlements généraux de l’Etat ; qu’ainsi il est chargé de l’exécution des lois sur la garde civique sur la milice, des règlements de police générale, des lois sur l’état-civil. Il y a là bien des motifs pour ne pas le soustraire au contrôle de l’autorité supérieure. Je ne vous parlerai, messieurs, que des lois relatives à la tenue des registre de l’état-civil, et je tâcherai de vous démontrer que, dans l’intérêt de la bonne tenue de ces registres, le secrétaire de la commune ne peut pas échapper à l’action du pouvoir central.

Dans toutes les communes du pays, c’est le bourgmestre ou l’un des échevins délégué à cet effet qui signe les actes de l’état-civil, et dans la plupart c’est le secrétaire de la commune qui est chargé de leur rédaction et de leur inscription sur le registre. Il est malheureusement prouvé qu’un objet de cette importance est souvent négligé et que les registres fourmillent d’incorrections, d’omissions et de défauts nombreux, qui tous emportent les peines les plus sévères. Pour ne vous en citer qu’un exemple, je vous dirai que j’ai rencontré un registre de naissance et de décès, où dans le courant de neuf mois le secrétaire n’avait inscrit aucun acte ; il avait laissé toutes les déclarations en blanc et s’était contenté de faire apposer sur le registre la signature de l’officier de l’état et celles des personnes qui s’étaient présentées devant lui. Il avait remis à d’autres temps la rédaction et l’inscription de l’acte.

Il était bien évident que c’était le secrétaire qui était le plus coupable, et cependant je ne pouvais que le réprimander. Je pouvais dénoncer le fait au procureur du Roi de l’arrondissement, je pouvais faire traduire l’officier de l’état-civil devant la justice ; mais la justice n’aurait trouvé qu’un homme coupable d’ignorance, qu’il eût été peut-être dangereux de punir parce que sa peine aurait effrayé tous les officiers de l’état-civil des communes rurales qui, pour ne pas s’exposer à être traduits devant les tribunaux, auraient donné simultanément leur démission. N’eût-ce pas été infiniment mieux, messieurs, s’il avait été possible d’atteindre le vrai coupable ? Si par exemple les lois n’eussent autorisé à provoqué sa démission ou du moins la suspension temporaire de ses fonctions ?

Ce que je vous dis ici, messieurs, touchant la tenue des registres de l’état-civil, peut s’appliquer généralement à l’exécution de toutes les autres lois de l’Etat ; mais je me hâte de terminer ces observations.

Je voterai pour les articles proposés par le gouvernement qui mettront un terme à un état de choses dangereux et nuisible qui dure depuis quatre ans.

M. H. Dellafaille. - Pour nous fixer sur le mode de nomination des secrétaires, il nous faut examiner la nature de leurs fonctions : sont-ils officiers ministériels ou officiers communaux ? On a dit que les greffiers des états provinciaux étaient nommés par le gouvernement sur la présentation des états ; et l’on s’est appuyé de ce fait pour demander que les greffiers communaux fussent nommés par le Roi dans les villes, et par les gouverneurs dans les campagnes ; mais il n’y a pas là similitude et l’exemple est mal choisi, puisque les états provinciaux par leur députation interviennent dans la nomination du greffier provincial.

D’après ce que l’on demande, la commune n’aurait aucune influence dans la nomination de son secrétaire. Ce secrétaire serait nommé sur une liste double présentée par la commune ; le collège des bourgmestre et des échevins ajouterait un troisième candidat : qu’arriverait-il de là ? C’est que le gouverneur dira au collège : Vous choisirez telle personne pour ajouter à la liste ; et les bourgmestre et échevins, gens révocables, ne choisiront que la personne indiquée par le gouvernement. Ainsi, c’est le gouvernement seul qui nommerait les secrétaires.

Dans la nomination par le gouvernement il y a de grands inconvénients. C’est que de cette manière les secrétaires indépendants de la commune en deviennent généralement les petits tyrans. Ce que les bourgmestre et échevins n’osent pas faire, est exécuté par le secrétaire. Vous avez entendu, il y a quelques jours, M. le ministre des affaires étrangères vous citer un fait qui montre jusqu’à quel point les secrétaires nommés par le gouvernement s’affranchissent de toute subordination envers les magistrats de la commune ; il a fallu envoyer des commissaires près d’une régence afin de forcer le secrétaire à remplir ses fonctions. Ainsi quand un secrétaire nommé par l’autorité centrale dit : Je ne veux pas, il est impossible à la régence de lui imposer une autre volonté.

Si les secrétaires ne sont pas nommés, par le Roi, par les gouverneurs, a dit M. Dubois, ils seront livrés aux caprices des membres de la régence ; il dépendra d’un seul de ces membres de faire éloigner le secrétaire, de lui faire perdre son emploi. Il n’est pas à croire qu’un seul membre de régence ait assez d’influence sur ses collègues pour faire destituer un secrétaire ; du moins ces cas seront très rares ; or, on ne fait pas les lois pour des circonstances exceptionnelles ; on ne les fait que pour des cas généraux ; il est donc inutile de formuler la loi pour prévenir uniquement cet inconvénient.

On a prétendu que si les secrétaires n’étaient pas nommés par le gouvernement, ceux qui sont en fonctions donneraient leurs démissions ; je ne vois pas ce que les communes perdraient si leurs secrétaires actuels prenaient une telle détermination : il ne faut pas s’imaginer que pour cela elles manqueraient de secrétaires. Pour me servir d’une expression devenue vulgaire, je dirai : Donnez un coup de pied et vous les verrez sortir de dessous les pavés.

L’arrêté du gouvernement provisoire n’a son exécution que depuis quatre années ; l’autre mode de nomination des secrétaires a reçu son exécution pendant 10 années, et sans inconvénients. Il a en sa faveur la longueur du temps ; et nous pensons qu’on doit le préférer.

Toutefois nous n’avons pas laissé le gouvernement sans influence dans la nomination des secrétaires : la section centrale propose de soumettre à la députation provinciale la nomination des secrétaires des communes au-dessous de 2 mille habitants. Cette surveillance peut empêcher qu’un homme qui ne mérite aucune confiance ne puisse se faire nommer dans une commune rurale où il serait peu connu.

Je proposerai même de supprimer les premiers mots de l’article présenté par la section centrale, afin de soumettre, dans tous les cas, la nomination des secrétaires communaux à la députation provinciale.

Je crois aussi qu’il faudrait ôter le terme de six années pour la durée de leurs fonctions, peut-être serait-il utile de les faire nommer pour un terme plus long et même indéfini ou jusqu’à révocation. Je réserve mon vote sur cette question.

M. Dubus. - Je demande l’impression et la distribution des différents amendements qui viennent d’être présentés.

M. H. Dellafaille. - Mon amendement consiste à faire soumettre toutes les nominations des secrétaires communaux au conseil de la députation provinciale.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je crois devoir vous signaler les inconvénients d’abandonner la nomination et la révocation du secrétaire communal exclusivement au collège de régence. Je rappellerai à la chambre qu’il lui fut adressé, il y a quelques temps, par plusieurs secrétaires de régence de l’arrondissement de Termonde, une pétition à ce sujet. Cette pétition qui fut également transmise au ministère de l’intérieur, contenait des renseignements et des conclusions entièrement à l’appui du projet du gouvernement.

La nomination à terme compromet l’existence des secrétaires ; en la remettant de nouveau tous les six ans en question, il arrive souvent qu’on révoque un secrétaire de régence, non pour des motifs graves mais bien plutôt pour des motifs d’intérêt personnel, la plupart du temps contraire à celui de la commune. Qu’un membre influent du conseil vienne aujourd’hui proposé un de ses parents, n’est-il pas à craindre que ce parent ne l’emportera, quoiqu’il ait moins de qualités que celui qui remplissait déjà les fonctions de secrétaire et qu’il est appelé à remplacer ?

Il est incontestable que pour remplir les fonctions de secrétaire de régence, il faut connaître la loi et les diverses dispositions sur l’administration des communes. Cette expérience ne peut s’acquérir qu’en se consacrant exclusivement à cette administration et pour parvenir à la parfaite connaissance des devoirs imposés à un secrétaire, il faut qu’on lui donne le temps de se rompre dans les affaires administratives. Sous ce rapport, il est utile de prévenir des mutations fréquentes qui ne peuvent qu’être préjudiciables aux intérêts communaux et généraux ; car il est aussi de l’intérêt général que les arrêtés reçoivent dans les communes une prompte et régulière exécution.

Ce que j’ai dit sur la nomination à terme, est aussi applicable à la révocation. Je pense que le projet du gouvernement concilie tout à la fois et l’intérêt général et l’intérêt communal ; il est bien constant que la nomination du secrétaire de régence n’est pas d’un intérêt purement communal, mais que les secrétaires sont tenus de coopérer d’une manière efficace à l’exécution des lois et arrêtés. Il y a donc quelque chose de mixte dans les fonctions du secrétaire.

L’intérêt communal est suffisamment garanti quand le conseil de régence, qui est nommé parmi les élus de la commune ou au moins (erratum au Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1834 :) les bourgmestres et les échevins, doivent présenter les candidats. Le choix du gouvernement n’est plus qu’une approbation de ce qu’a fait (erratum au Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1834 :) le collège de régence. Le gouvernement invite le conseil de régence de lui faire telle proposition qu’il transmet au gouvernement et par là est anéantie l’influence dont je parlais tout à l’heure, relativement à ce que pourrait faire un membre important du conseil en faveur d’un de ses parents. Il ne sera jamais de l’intérêt du gouvernement ni du chef de l’administration provinciale de nommer de mauvais secrétaires.

Est-il présumable aussi qu’un collège méconnaîtra sa mission au point de se prêter aussi facilement aux insinuations du gouverneur, dans le cas où par impossible celui-ci chercherait à imposer un candidat ? Pour moi, messieurs, je ne puis même admettre l’éventualité d’un pareil fait.

Vous trouverez une grande garantie d’indépendance dans les échevins. Car le titre d’échevin est plutôt une charge qu’un avantage. Ne recevant pas d’émoluments, il ne sont pas dépendants du gouvernement. Ils sont pris dans le sein du conseil communal et sont nommés sur la présentation du même conseil. Le bourgmestre, messieurs, n’est pas non plus dans une aussi grande dépendance qu’on cherche à vous le faire croire. Les fonctions municipales sont loin d’être lucratives. Pourquoi supposer dans la personne des bourgmestres une dépendance telle qu’ils seraient capables de présenter pour remplir les fonctions de secrétaire des hommes indignes de la confiance publique ? Il faudrait d’abord la coopération abusive du gouverneur et celle (erratum au Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1834 :) du collège pour parvenir à faire une présentation vicieuse. Il n’est point d’ailleurs d’abus qui soient plus à craindre que ceux qui peuvent résulter d’une nomination intéressée, produite par l’influence dont jouirait un membre du conseil près (erratum au Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1834 :) de ses collèges.

On a dit que l’ancien règlement n’accordait pas autant de latitude au gouvernement que n’en confère le projet actuel. C’est une erreur manifeste : il suffit pour s’en convaincre de prendre lecture de l’article 92 du règlement du plat pays. Le voici : « Il y a près de l’administration locale un secrétaire nommé par le Roi. Le conseil communal propose pour cette charge au moins une personne. Le bourgmestre et les assesseurs en proposent aussi au moins une. Cependant lorsque les attributions de secrétaire sont réunies à celles de bourgmestre, il est nommé à cette double fonction, sans proposition préalable. »

Vous voyez donc, messieurs, que la dernière disposition de l’article 92 est beaucoup plus large que le projet du gouvernement. Il en est de même du règlement des villes. Le secrétaire dans les villes est également nommé par le Roi sur présentation de candidats. Le droit de révocation appartient au Roi seul, tant pour les villes que pour les campagnes.

Les états-députés ou le gouverneur ont le droit de suspension et encore dans des cas déterminés, tels qu’inconduite ou négligence grave. Quant au droit de suspension je ne serais pas éloigné de l’attribuer au conseil de régence. Ce serait donner à l’autorité locale une garantie de plus et suffisante.

Mais je le répète, les droits de cette autorité doivent se borner à la présentation des candidats et à la suspension. Il serait même bon, me semble-t-il, de déterminer les cas de la suspension. Je pense donc que l’on peut sans inconvénient adopter les articles 100 et 101 du projet du gouvernement.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Legrelle :

« Je propose de rédiger l’article 105 de la manière suivante : Le secrétaire est nommé, suspendu et révoqué par le conseil communal. Néanmoins ces nominations doivent être approuvées par la députation provinciale.

M. le président. - Voici le sous-amendement de M. Donny à l’amendement de M. H. Dellafaille : « Je propose d’ajouter aux mots : ces nominations (du paragraphe), ceux-ci : et révocations. »

M. le président. - La parole est à M. Donny pour développer son sous-amendement.

M. Donny. - Je pense et je suis intimement convaincu que, dans l’intérêt même de la commune, le système proposé par le gouvernement, quant à la nomination du secrétaire, est préférable au système de la section centrale. Cependant comme il pourrait se faire que l’amendement proposé par l’honorable M. H. Dellafaille fût adopté, désirant l’améliorer autant qu’il est en moi, j’y ai, dans cette vue, proposé le sous-amendement dont il vient d’être donné connaissance à la chambre.

L’honorable M. H. Dellafaille veut soumettre à l’approbation des états-députés la nomination du secrétaire. Vous sentez que s’il est raisonnable d’en agir ainsi à l’égard des nominations, il l’est bien plus d’agir de même à l’égard des révocations. En effet, le secrétaire, lors de sa nomination est étranger à la commune, il n’a pas de droits ; s’il n’est pas nommé, il n’y a pour lui aucun préjudice. Une fois qu’il est nommé, au contraire, sa révocation est une peine qui peut compromettre son existence et l’application de cette peine doit être soumise à l’approbation des états-députés.

Tels sont, messieurs, les motifs qui m’ont déterminé, à présenter mon sous-amendement.

M. Legrelle. - Messieurs, je me rallie au sous-amendement de M. Donny, et je fais entrer l’addition « et révocations » dans l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer.

Mais avant qu’on aille aux voix, je demande à donner quelques mots d’explication. Au point où est arrivée la discussion, je crois que nous, partisans du projet de la section centrale, nous avons cédé tout ce qu’il était humainement possible de céder au besoin de conciliation.

La section centrale demandait d’abord que la durée des fonctions de secrétaire fût limitée ; nous avons retranché cette clause.

La section centrale demandait que ce fût seulement dans les communes de 2,000 habitants et au-dessous, que la nomination du secrétaire dût être approuvée par la députation provinciale ; nous avons étendu cette clause à toutes les communes du royaume.

Nous désirons, M. H. Dellafaille et moi, que la nomination du secrétaire faite par le conseil de régence soit approuvée par la députation des états.

M. Donny demande que la révocation du secrétaire ait besoin de la même approbation, et je me réunis à cette proposition. Mais je ne me crois pas encore entièrement d’accord avec M. H. Dellafaille. Cet honorable membre veut laisser la première nomination du secrétaire au gouvernement ; mais je désire que la première nomination comme les autres appartienne au conseil de régence. Voici les motifs de cette proposition : Je suppose que le gouvernement, usant du droit qu’il aurait de première nomination choisisse un mauvais agent (car le gouvernement peut se tromper) ; le conseil, usant de son droit de révocation, révoquerait un agent nommé par le gouvernement. Eh bien, messieurs, est-il possible qu’une administration secondaire révoque un agent nommé par une administration supérieure ? Non sans doute ; cela n’est pas dans l’ordre de la hiérarchie des pouvoirs. C’est par ces motifs que je demande le retranchement du dernier paragraphe du projet de la section centrale.

- Plusieurs voix. - Aux voix !

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, il ne me parait pas possible d’aller aux voix sur les amendements proposés. Il y a d’abord deux systèmes, celui du gouvernement et celui de la section centrale ; systèmes qui diffèrent entièrement l’un de l’autre, Il y a eu ensuite trois ou quatre amendements proposés successivement et qui sont venus modifier ces systèmes. Il est impossible de voter sur ces diverses propositions sans les avoir examinées auparavant. Je demande donc le renvoi de la discussion à demain.

D’ailleurs, si la chambre désirait voter sur l’article aujourd’hui même, je demanderais la parole pour lui soumettre quelques observations.

- Plusieurs membres. - Et moi aussi.

- Un grand nombre de membres. - Alors, à demain.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.