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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 25 mars 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre
2)
Formation du bureau de la chambre. Nomination d’un nouveau secrétaire
3) Projet
de loi relatif aux pensions civiques. Pensions aux victimes des journées de
septembre et à leurs ayants droit (Legrelle, de Theux, Dubus, Jullien),
prise en charge par l’Etat des frais d’éducation des orphelins (A. Rodenbach, Legrelle, A. Rodenbach), octroi d’une décoration spécifique (de Theux), prescription des demandes de pension (Gendebien, Olislagers, Legrelle, Gendebien, Dubus, de Theux, Fleussu,
de Theux, Gendebien, Dubus, Verdussen, Jullien, de Theux, Dubus), paiement trimestriel (Dumortier,
Legrelle, Gendebien, d’Huart, A. Rodenbach, Gendebien, Dumortier, de Muelenaere), définition des combats de septembre (Gendebien, Dumortier, d’Huart,
de Theux), limitation du droit à la pension aux seuls combattants
de septembre et à leurs ayant droit (Dumortier, A. Rodenbach, Legrelle, Dumortier, Gendebien, Dubus, A. Rodenbach, Legrelle, Dumortier, Dubus, Dumortier, A. Rodenbach, Gendebien, Dumortier)
4)
Proposition visant à lutter contre l’absentéisme parlementaire. Adaptation du
règlement de la chambre et/ou question politique (de Behr,
Devaux, Dumortier, d’Huart, Dumortier, Gendebien, de Foere, Desmanet de Biesme, de Foere, Jullien)
5) Compte
relatif aux opérations de négociations des bons du trésor (d’Huart)
(Moniteur belge n°85, du 26 mars 1835 et Moniteur belge n°86, du 27 mars
1835)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°85, du 26 mars 1835) M. de Renesse
procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Brixhe lit le procès-verbal de la séance d’hier.
M.
de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
« Le sieur Henri Wauters
blessé de septembre, demande le paiement de l’indemnité qui lui revient encore du
chef des pertes qu’il a essuyées par la révolution. »
________________
« Plusieurs habitants
notables de la commune de Saint-Denis-Westrem-lez-Gand demandent à être
exemptés des logements militaires. »
- Ces pétitions sont renvoyées
la commission des pétitions.
________________
M. de Longrée demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
FORMATION DU BUREAU.
NOMINATION D’UN NOUVEAU SECRETAIRE
M. le
président. - L’ordre du jour appelle d’abord la nomination d’un
secrétaire.
- Il est procédé au scrutin
pour la nomination d’un secrétaire ; voici le résultat du scrutin :
Nombre des votants, 60.
Majorité absolue, 31.
M. Verdussen a obtenu 29 voix.
M. Watlet 10 voix.
M. Troye, 6 voix.
M. C. Vuylsteke, 5 voix.
M. A. Dellafaille, 5 voix.
M. Dubois, 2 voix.
M. Seron, 2 voix.
M. H. Dellafaille, 1 voix.
Aucun membre n’ayant obtenu la
majorité absolue, il est procédé à un second scrutin pour la nomination d’un
secrétaire ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 63.
Majorité absolue, 32.
M. Verdussen a obtenu 54 voix.
M. Watlet, 4 voix.
M. A. Dellafaille, 2 voix.
M. C. Vuylsteke, 1 voix.
M. Brabant, 1 voix.
M. Liedts, 1 voix.
M. Verdussen ayant obtenu la
majorité absolue est proclamé secrétaire.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
PENSIONS CIVIQUES
Discussion des articles
M. le
président. - MM. les ministres de l’intérieur et des finances se
rallient-ils au projet présenté par la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je déclare me rallier au projet de la section centrale, Il ne contient que
très peu de modifications au projet du gouvernement.
Articles 1 à 5
- M. le président donne
lecture des art. 1, 2, 3,4 et 5 du projet. Ils sont successivement mis aux voix
et adoptés. Ces articles sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Les veuves
des citoyens morts dans les combats soutenus pour conquérir notre indépendance
nationale, ou par suite des blessures qu’ils auraient reçues dans ces mêmes
combats, recevront de l’Etat, si leur existence dépendait des travaux de leur
mari, une pension annuelle et viagère de 365 fr. payable à dater du 1er
décembre 1830, si la mort du mari est antérieure à cette date, et à partit du
jour de son décès, s’il n’a eu lieu que postérieurement au 1er décembre 1830.
« Si une veuve est mère
d’un ou de plusieurs enfants, cette pension sera augmentée de la somme de 40
francs par année pour chaque enfant au-dessous de 15 ans, et jusqu’à ce qu’il
ait atteint cet âge ; si elle vient à mourir, chacun de ses enfants a droit, à
dater du jour du décès, à la pension déterminée par l’art. 7 de la présente
loi. »
« Art. 2. Les pères et
mères des citoyens morts pour la même cause, et pour autant qu’ils seront hors
d’état de gagner leur subsistance, soit à cause de leurs infirmités, soit à
cause de leur âge, ont droit, à dater du 1er décembre 1830, à une pension
annuelle et viagère de quatre cents francs, réduite, en cas de décès de l’un
d’eux, à la somme de trois cents francs.
« Leurs droits à cette
pension sont indépendants de ceux de la veuve de leur fils.
« Dans le cas où le décès d’un
citoyen blessé antérieurement au 6 novembre 1830 n’aurait eu lieu qu’après le
1er décembre de la même année, la pension à accorder à ses père et mère ne
prendrait cours qu’à dater du jour de sa mort. »
« Art. 3. Les
dispositions de l’article précédent sont applicables aux aïeuls paternels et
maternels, pour autant que les père et mère du citoyen mort dans les cas prévus
par l’article premier seraient décédés. »
« Art. 4. Les citoyens qui ont
reçu des blessures les mettant hors d’état de travailler, ont droit, à dater du
1er décembre 1830, à une pension dont la quotité annuelle est fixée comme suit
:
« 1° S’ils sont veufs et
qu’ils aient des enfants au-dessous de 15 ans, pourvu qu’ils soient conçus
antérieurement à la blessure du père, le taux de leur pension est fixé en
conformité de l’article 1er de la présente loi ;
« 2° S’ils sont célibataires,
ou qu’étant veufs, il n’aient que des enfants dont l’âge excède 15 ans, leur
pension est de 365 fr par an ;
« 3° S’ils sont mariés, leur
pension est de 450 fr., qu’ils aient ou non des enfants.
« Si le titulaire occupe un
emploi, charge ou fonction salariée par l’Etat, il ne touchera sa pension,
pendant qu’il continuera de l’occuper, qu’autant qu’elle excèdera son
traitement et seulement à concurrence de l’excédant. »
« Art. 5. Lors du décès de
l’un des conjoints, pensionnés en vertu du n° 3 de l’article précédent, le taux
de la pension du survivant sera fixé de la manière suivante, à partir du
lendemain du décès :
« 1° Si le blesse marié
meurt des suites des blessures qu’il a reçues en combattant pour l’indépendance
nationale, la pension de sa veuve sera fixée en conformité de l’art. 1 de la
présente loi ;
« 2° Si la mort du blessé
marié n’est pas le résultat de ses blessures, sa veuve recevra une pension
annuelle de 200 fr. jusqu’au jour de son décès ; plus 40 fr. pour chaque enfant
au-dessous de 15 ans ;
« 3° Si la femme du blessé
vient à décéder la première, la pension de ce dernier sera fixée à 365 fr. par
an, avec augmentation de 40 fr. par année, pour chaque enfant au-dessous de 15
ans.
« Les enfants au-dessous de 15
ans qui ont été procréés postérieurement à la date de la blessure de leur père,
ne peuvent donner droit aux augmentations de 40 fr. mentionnés
ci-dessus. »
M. le
président. - La discussion est ouverte sur 6 ainsi conçu :
« Art. 6. Les pensions
accordées en vertu des art. 1, 2, 3 et n°1° de l’art. 5 de la présente loi, aux
veuves, pères, mères aïeuls, des citoyens morts dans les combats soutenus pour
conquérir notre indépendance nationale, ou des suites de leurs blessures,
seront payées jusqu’au jour du décès, lors même que les titulaires
contracteraient un nouveau mariage. »
M.
Legrelle. - L’art. 6
porte que les pensions accordées en vertu de cette disposition seront payées
jusqu’au jour du décès, lorsque les titulaires contracteraient un nouveau mariage.
Je demande une explication sur la question de savoir si les ayants-droit, qui
depuis 14 ou 15 mois ont cessé de recevoir leurs pensions, recevront les
arrérages de ce temps. Je désirerais savoir de M. le ministre de l’intérieur de
quelle manière il entend l’article.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’observation de l’honorable préopinant est parfaitement juste. La présente
loi résout une difficulté soulevée par l’interprétation de l’arrêté du 16 novembre
1830. Il est dans l’esprit de l’art. 6 qu’il soit applicable à ceux qui se sont
mariés avant la présente loi.
M. Legrelle. - D’après cette explication, il est inutile que
je présente un amendement. Il est bien entendu que les arrérages des pensions
seront payés à dater de l’époque à laquelle elles ont été arrêtées
provisoirement.
M.
Dubus. - Je crois que tout provient de la rédaction de la dernière
phrase de l’article 6 ainsi conçue : « lors même que les titulaires
contracteraient un nouveau mariage. » Cette phrase se réfère aux mariages
contractés antérieurement à la promulgation de la présente, Il me semble que
l’on résoudrait la difficulté en disant : « lors même que les titulaires
auraient contracté un nouveau mariage. »
M.
Jullien. - Les explications données par M. le ministre de l’intérieur sont
en harmonie avec l’art. 1, duquel il résulte que les pensions seront payées à
dater du 1er décembre 1830.
Il est naturel que les lacunes
entre cette époque et la date de la promulgation de la loi soient remplies. Il
est vrai de dire que l’article n’est pas très clair. Mais je ne crois pas qu’il
soit nécessaire d’introduire un amendement dans la loi.
La déclaration de M. le
ministre de l’intérieur combinée avec l’article premier doit suffire pour bien
établir que les arriérés des pensions seront payés.
M. le
président. - Je ferai observer que le dernier article de la loi ne
laisse aucun doute à cet égard.
M.
Legrelle. - Il n’y a
pas besoin d’amendement, nous sommes tous d’accord.
M.
Jullien. - L’on pourrait faire un simple changement de rédaction et
dire :
« Lors même que les titulaires
auraient contracté ou contracteraient un nouveau mariage. »
- Le changement proposé par M.
Jullien est mis aux voix et adopté.
L’article 6 est mis aux voix
et adopté.
M. le
président. - La discussion est ouverte sur l’article 7. Il est ainsi
conçu :
« La Belgique adopte les
enfants orphelins des citoyens morts dans les divers combats.
« Une somme annuelle de 200
francs, payable depuis le 1er décembre 1830 est allouée à chaque enfant jusqu’à
l’âge de 18 ans ; elle pourra être employée par le gouvernement à l’entretien
et à l’éducation de ces enfants.
« En outre, ils sont
placés aux frais de l’Etat, soit dans les athénées ou collèges, soit en
apprentissage dans des ateliers.
« Les dispositions
ci-dessus sont applicables aux enfants qui deviendraient orphelins, par suite
du décès de leurs pères et mères pensionnés en vertu des articles 4 et 5 de la
présente loi, pourvu que ces orphelins aient été procréés avant l’époque où
leur père aura été blessé.
« Leurs pensions dateront
du jour où ils seront devenus orphelins. »
M.
A. Rodenbach. - On accorde aux enfants de la patrie 200 fr. de pension,
ensuite on leur fait donner de l’éducation dans un athénée, ou on les met dans
un atelier pour qu’ils apprennent un état ; mais en sortant d’un athénée avec
de l’instruction, ou d’un atelier avec une profession, ils sont dénués de tout
; ils n’on t absolument rien.
Je pense bien que le
gouvernement en aura soin ; malgré cela je crois qu’il faudrait donner aux
personnes dont il s’agit quelques fonds à titre de frais de premier
établissement.
La cinquième section avait
fait une proposition dans ce sens.
Je la reproduis comme un
amendement qui formerait le 4ème paragraphe de l’art. 7. Cette proposition est
ainsi conçue :
« Les
enfants orphelins des citoyens morts dans les combats, ou par suite des
blessures reçues dans les combats, seront élevés aux frais de l’Etat, jusqu’à
l’âge de 18 ans accomplis : la somme nécessaire aux frais de leur entretien et
de leur instruction sera annuellement portée au budget de l’Etat, à raison de
500 fr. par individu. Ils recevront en outre, lors de leur établissement (soit
qu’ils se marient ou qu’ils adoptent un métier ou un état industriel
quelconque), une somme de 300 fr. »
- L’amendement proposé par M.
A. Rodenbach est adopté ; il forme le 4ème paragraphe de l’art. 7.
L’article 7 est adopté avec
cet amendement.
M. Legrelle. - Quoique l’article soit voté, je demande à
présenter une observation.
D’après l’amendement qui vient
d’être adopté, amendement auquel nous ne nous attendions pas, les enfants des
citoyens morts par suite des combats de septembre, outre leur instruction et
leur entretien aux frais de l’Etat, jusqu’à l’âge de 18 ans, recevront, lors de
leur établissement (soit qu’ils se marient ou qu’ils adoptent un métier ou un
état industriel quelconque) une somme de 300 fr.
Je crois que d’après cette
disposition le gouvernement sera obligé d’accorder 300 fr. à chaque enfant dés
qu’il aura atteint l’âge de 18 ans. Or, je le demande, est-ce â cet âge que
cette somme de 300 fr. peut être le plus profitable ? Je voudrais qu’elle ne fût
accordée qu’à l’âge de majorité. Je crois qu’ainsi ce secours remplirait bien
mieux le but que se propose l’honorable auteur de l’amendement. C’est au reste
une simple observation que je présente, la chambre fera ce qu’elle jugera le
plus convenable.
M.
A. Rodenbach. - Je dirai d’abord à l’honorable préopinant que l’article
est voté. J’ajouterai qu’en sortant des athénées ou des ateliers, il faut que
ces enfants aient quelque argent pour se placer ; car que feraient-ils sans
emploi ? Il me faut pas les laisser dénués de tout ; s’ils n’avaient pas
quelque avance devant eux, il serait à craindre qu’ils ne devinssent de mauvais
sujets.
On a toujours soin que les
détenus, quand ils sortent de prison, aient toujours quelque avance ; à plus
forte raison faut-il avoir ce soin pour les enfants de la patrie ! D’ailleurs,
l’article est voté.
M. le
président. - L’article 7 a été adopté ; mais comme il a été amendé, il
pourra être au deuxième vote l’objet d’une nouvelle discussion.
« Art. 8. Les citoyens qui ont
été blessés grièvement, mais qui ne sont pas hors d’état de travailler, ont
droit à une indemnité de 200 francs ou à l’obtention d’une décoration qui
rappellera le souvenir des combats auxquels ils auront pris une part
glorieuse. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Il me semble que l’on devrait retrancher de cet article ce qui concerne la
décoration, attendu que, par la loi de 1833, la croix de fer a été décernée à
tous les blessés de septembre. Dès lors la décoration ferait double emploi,
Je demande donc que l’on
retranche la finale de l’article, c’est-à-dire les mots : « ou à
l’obtention d’une décoration qui rappellera le souvenir des combats auxquels
ils auront pris une part glorieuse. »
- La suppression proposée à
l’art. 8 par M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix et adoptée.
L’art. 8, ainsi modifié, est
adopté.
« Art. 9. Les pensions qui
seraient réclamées en vertu des articles 1, 2, 3 et 4, ne pourront être payées
à dater du 1er décembre 1830, que si les ayant-droit produisent leurs titres
dans les six mois qui suivront la promulgation de cette loi : après ce terme
ils seront déchus de leurs droits. »
M.
Gendebien. - Je demande que l’on veuille bien s’expliquer sur le sens
de cet art. Je conçois qu’au 6 novembre 1830, il pouvait avoir de l’utilité ;
je comprends pas cette utilité aujourd’hui.
S’il y avait eu une déchéance,
et que l’on voulût relever de cette déchéance, je concevrais l’utilité de
l’article. pour relever cette déchéance encourue à défaut de production de
pièces dans les six mois. Mais aujourd’hui, après 4 ans et demi écoulés depuis
l’arrêté du 6 novembre 1830, je ne conçois plus l’utilité d’un article
servilement copié dans un arrêté du gouvernement provisoire, article utile
alors, mais inutile maintenant.
M.
Olislagers, rapporteur. - L’article a été pris dans le projet du gouvernement ; on y a ajouté une
clause pour empêches les réclamations passé un délai déterminé.
M.
Gendebien. - Votre article, au lieu d’empêcher les réclamations, leur
donne ouverture.
M. Legrelle. - J’aurai l’honneur de faire remarquer à
l’honorable. M. Gendebien qu’il y a des réclamations qui sont encore en
instance aujourd’hui ; il y a des titres qui n’ont pas paru suffisants au
gouvernement et qui cependant sont encore reproduits, des titres dont le
gouvernement exige le complément. Si on supprime la disposition dont il s’agit,
ces individus ne pourront plus réclamer. D’un autre côté, il faut qu’il y ai un
terme à toutes les réclamations de ce genre, parce que, quand on laisse écouler
un laps de temps trop long, on ne peut plus savoir si ces réclamations sont
réellement fondées.
M.
Gendebien. - Si l’on veut relever de la déchéance, il faut le dire ; on
pourrait dire : « Tous ceux qui ont encouru la déchéance conformément à
l’arrêté du 6 novembre 1830 sont relevés de la déchéance. » Ceci offre un sens
que tout le monde comprend ; mais, à la manière alambiquée dont est rédigé
l’article, on ne le comprend pas.
M. Dubus. - La discussion qui s’est élevée sur
l’art. 9 n’a eu lieu que parce qu’on a supposé la déchéance prononcée par
l’arrêté du gouvernement provisoire. Je viens de recourir à cet arrêté, je n’y
ai trouvé aucune disposition qui prononce la déchéance. Cet arrêté donne
ouverture aux réclamations, sans fixer le terme de leur déchéance.
Je crois que l’art. 9 ne peut
pas rencontrer d’objection du chef de déchéance autrefois prononcée.
Toute la portée de l’art. 9 me
paraît de fixer le délai dans lequel les réclamations ultérieures devront être
présentées. Ce que l’on ne peut qu’approuver. Il me semble donc que l’art. 9
peut subsister tel qu’il est.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je viens également de vérifier l’arrêté du 6 novembre 1830 ; je n’y ai trouvé
aucune disposition relative à la déchéance.
Les assertions émises
m’avaient mis dans le doute à cet égard. Maintenant il est certain que la
disposition en discussion ne peut pas de ce chef rencontrer d’objection.
M. Fleussu. - On a donné plusieurs
interprétations sur l’article depuis que l’on donne des explications. Je ne
crois pas qu’il atteigne le but que le ministre s’est proposé ; car, tel qu’il
est rédigé, on pourrait l’interpréter en ce sens qu’il prononcerait la
déchéance non pas relativement à la pension même mais relativement aux
arrérages de la pension. Je pense donc qu’il faut changer la rédaction de
l’article.
Plusieurs membres. - Cela est vrai.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’observation de l’honorable M. Fleussu me paraît parfaitement juste. La
rédaction du projet du gouvernement était plus claire que celle de la section
centrale. Voici quelle était la proposition du gouvernement : « Les pensions
qui seraient réclamées en vertu des art. 1er, 2, 3 et 4, ne pourront être
payées à dater du 1er décembre 1830, que si les ayant-droit produisent leurs
titres dans les 3 mois qui suivront la promulgation de cette loi ; passé ce
délai les droits à la pension ne prendront cours qu’à partir du jour où les
droits des réclamants auront été reconnus par arrêté royal. » Je pense que
l’intention de la section centrale n’a été que de substituer le délai de 6 mois
à celui de 3 mois.
M.
Gendebien. - Il faudrait dire dans cet article, au lieu de : « la
promulgation de cette loi » « la promulgation de la présente loi. » Sans
cela on ne sait pas s’il s’agit de la loi du 6 novembre, ou de la loi actuelle.
M.
Dubus. - Je crois que la section centrale a voulu introduire des
modifications et établir une véritable déchéance ; cela n’est pas douteux
d’après le rapport de la section centrale.
« L’art. 9 est admis par
toutes les sections ; mais la première propose qu’après le terme de trois mois
il y aura déchéance de la pension.
« La
section centrale, faisant droit à cette proposition, afin de mettre un terme
aux réclamations sans fin qui pourraient surgir, a cru cependant que le terme
de trois mois serait trop court ; en conséquence, elle a fixé le délai à six
mois, après lequel les réclamations ne seront plus admises. »
Seulement
la section centrale, dans son système, aurait dû adopter une autre rédaction
pour l’art. 9, parce qu’il est rédigé non dans le sens d’une déchéance, mais
dans le sens d’un changement dans le terme à partir duquel la pension
commencerait à courir, de sorte que, pour bien formuler le système de la
section centrale, il serait nécessaire de changer la rédaction qu’elle a
présentée.
M. Verdussen. - Il est à désirer que l’on fixe
un terme passé lequel on ne pourra plus réclamer des indemnités, comme on a mis
un terme pour les réclamations du chef des pensions. Il ne faut pas laisser le
terme indéfini. Il suffirait de rappeler dans l’article les art. 1, 2, 3, 4 et
8.
M. Dubus propose la rédaction suivante :
« Les ayant-droit à des
pensions, en vertu des articles indiqués dans la loi, devront former leur
demande dans les 6 mois de la promulgation. Passé ce terme, ils seront déchus
de leurs droits. »
M. Jullien. - Cet amendement ne peut être admis.
Faites bien attention qu’il y aura des droits qui s’ouvriront six mois après la
promulgation, dans le cas du décès d’un titulaire, par exemple. Les femmes, les
enfants, les ascendants d’un pensionné décédé ont droit à une pension
déterminée par la présente loi. Le terme absolu de six mois ne peut être admis.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Si la chambre veut adopter une déchéance pour les arrérages et pour la
pension, je propose de fixer le délai à un an. Veuillez remarquer, messieurs,
que la loi s’appliquera à des personnes d’une condition obscure qui négligent
souvent par ignorance de faire valoir leurs droits. La déchéance des droits à
la pension, dans le cas surtout où la pension peut être considérée comme
alimentaire, est une peine assez forte pour que le délai permette qu’elle
frappe le moins d’individus possible. Quant à l’observation de l’honorable M.
Jullien, elle est parfaitement juste. Il faut fixer un terme de déchéance plus
éloigné pour les droits des ascendants.
M.
Dubus. - Je remarque que dans l’article 9 l’on n’a pas rappelé, parmi
les dispositions précédentes que cet article énumère, l’article 5, précisément,
à ce que je crois, parce que c’est cet article qui se réfère à des droits non
encore ouverts. En changeant la rédaction, l’on devrait comprendre l’article 5
comme les autres. Je proposerai la rédaction suivante :
« Ceux qui prétendraient
avoir droit à une pension en vertu des dispositions de la présente loi devront
avoir formé leur demande et avoir produit leurs titres dans le délai d’une
année à dater de la promulgation de la présente loi ou à dater du jour où leurs
droits se seraient ouverts depuis cette promulgation. Après ce terme, il y aura
déchéance. »
- L’amendement de M. Dubus est
mis aux voix et adopté. L’art. 9 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
« Art. 10. Les pensions
qui seront accordées en vertu de la présente loi seront payables par
trimestre. »
M.
Dumortier. - Il serait à désirer que les pensions des blessés fussent
payées mensuellement. Jusqu’à ce jour elles l’ont été de cette manière à
Bruxelles. Dans les provinces elles l’ont été par semestre. Songez, messieurs,
que refuser le paiement des pensions des blessés, c’est en accorder le quart,
la moitié même à l’usure. Il serait beaucoup plus moral que les pensions
fussent servies mensuellement.
Je propose de dire : « seront
payées mensuellement, et dans le cas d’impossibilité, par trimestre. »
M. Legrelle. - Lorsque la commission des secours transmettait
des fonds aux régences pour payer la pension des blesses, ces paiements
s’opéraient mensuellement. Depuis que les pensions ont été liquidées, elles n’ont
été payées que par semestre dans les provinces. Aussi, je regardais la
disposition de l’article 10 comme une grande amélioration à ce qui existe
actuellement. Je sais que depuis que les paiements se font tous les six mois,
des pensionnaires sacrifient le sixième, le quart même de leur pension pour en
recevoir le montant d’avance.
Je ne demande pas mieux que
d’appuyer l’amendement de l’honorable M.
Dumortier. Mais je désire, s’il n’était pas adopté, qu’au moins le
paiement par trimestre fût exigible. Ce sera déjà une grande amélioration.
M. Gendebien. - Aux termes de l’art. 1er de
l’arrêté du gouvernement provisoire en date du 6 novembre 1830, les pensions
devaient être payées mensuellement ; à moins que M. le ministre des finances ne
déclare qu’il y a impossibilité matérielle de continuer de payer mensuellement,
je crois que le terme d’un mois doit être maintenu dans la présente loi.
La disposition que j’ai
rappelée a été prise en faveur des malheureux. Ceux-ci ne peuvent attendre 6
mois. Car on ne leur fait pas crédit ; ils achètent tout argent comptant. Il en
est aussi à qui le paiement intégral et à de longs intervalles d’une trop forte
somme est plutôt nuisible qu’utile. Il me semble que quand bien même ce que je
propose gênerait un peu la routine des bureaux, il faut bien faire un petit
effort en faveur de ceux qui en définitive ont conquis l’indépendance et la
royauté belge.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Il n’y a pas impossibilité matérielle de payer
mensuellement les pensionnés. cela exigera beaucoup plus d’écritures. Mais si
la chambre désire adopter le terme d’un mois pour le paiement des pensions, je
déclare qu’il pourra s’effectuer. J’avais l’intention, dans le cas où l’art. 10
aurait été adopté tel qu’il a été présenté par la section centrale, de payer
mensuellement leur pension aux plus nécessiteux. Mais si la chambre veut
reproduire la disposition de l’arrêté du 6 novembre 1830, je ferai en sorte
qu’elle reçoive strictement son exécution.
M. A. Rodenbach. - Je demande aussi que le paiement soit fait
mensuellement. Il est certain que ces malheureux ne sont pas en position de
pouvoir attendre un trimestre. Ce sont souvent des artisans. L’armée est payée
mensuellement ; les employés des administrations sont payés mensuellement, et
encore trouve-t-on ce terme quelquefois bien long : le ministre des finances
peut vous le dire. Je vois que ce ministre est disposé à payer par mois ;
j’invite la chambre à adopter l’amendement.
M. Gendebien. - Je ne doute pas des bonnes
intentions du ministre actuel des finances, mais comme ce ministre peut être
remplacé demain par un autre qui n’aurait pas la même bienveillance envers les
blessés de septembre, je demande que l’on mette :
« Les pensions qui seront
accordées en vertu de la présente loi seront payées mensuellement. »
M.
Dumortier. - Je crois qu’il est nécessaire de dire : « Les
pensions accordées en vertu de la présente loi, et celle qui ont été accordées
en vertu de l’arrêté du 6 novembre 1830 du gouvernement provisoire, etc.»
M.
Gendebien. - Je consens que l’on mette : « Les pensions qui ont été accordées
et celles qui seront accordées. »
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que
la rédaction proposée par M. Dumortier est préférable : « Les pensions
accordées en vertu de la présente loi, et celles qui ont été accordées en vertu
de l’arrêté du 6 novembre 1830 du gouvernement provisoire, seront payées
mensuellement. »
M.
Legrelle. - Je pense
qu’il faut préférer la rédaction présentée par M. Gendebien.
- L’amendement de M. Dumortier
est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. La présente
loi n’est applicable qu’aux citoyens qui ont été blessés, ou aux veuves,
enfants, pères, mères, aïeuls de ceux qui ont morts ou qui ont été blessés dans
l’un des combats livrés antérieurement au 6 novembre 1830. »
M.
Gendebien. - Vous ne pouvez laisser subsister la date du 6 novembre
1830. Lorsque le gouvernement provisoire prit cet arrêté, son intention n’était
pas d’assurer uniquement des pensions à ceux qui avaient combattu avant le 6
novembre 1830. Il y avait encore des combats à livrer après le 6 novembre, et
alors on ne les redoutait pas. Il eût été impolitique de moins bien traité ceux
qui allaient s’exposer aux nouveaux combats, que ceux qui s’étaient exposés aux
combats précédents.
On a dit que l’arrêté se
rapportait à la première disposition diplomatique qui ait été convenue
relativement à la suspension des hostilités ; mais il n’y a pas eu suspension
d’armes proprement dite avant le 20 décembre. L’arrêté du 6 novembre est
antérieur de 3 ou 4 jours à la première communication diplomatique, car c’est
le 9 novembre que sont arrivés à Bruxelles MM. Cartwrigt et Bresson, lesquels
ont apporté la première déclaration de la Conférence de Londres. Ainsi l’arrêté
du gouvernement provisoire n’a pas été pris en considération d’aucun acte
diplomatique se rapportant à l’époque du 6 novembre.
La première suspension d’armes
date du 21 novembre 1830 ; mais elle n’a pas été exécutée. Elle exigeait, pour
être exécutée, des actes que le roi Guillaume n’a pas consentis d’abord ; elle
exigeait par exemple la liberté de l’Escaut.
Le
gouvernement provisoire voyant que le roi Guillaume n’exécutait pas ses
engagements, donna ordre d’investir Maestricht. Venloo a été pris le 9 ou le 10
novembre, postérieurement par conséquent à l’arrêté. Vous voyez bien que dans
votre loi vous ne pouvez fixer la limite au 6 novembre. Il y a une autre époque
à laquelle on pourrait s’arrêter, c’est celle de la véritable suspension
d’armes. L’armistice a été signé le 15 ou le 16 décembre. Il faut ajouter à
cette date un délai suffisant pour que sur toute la ligne on ait pu avoir
connaissance de la signature de l’armistice ajoutez cinq jours ou dix jours, et
vous arriverez au 25 décembre 1830.
Ainsi, quant à ce qui concerne
la guerre de l’indépendance, vous ne pouvez mettre de bornes que du 25 au 31
décembre. Je crois même qu’on devrait mettre dans la loi, jusqu’au 31 décembre
1830.
M. Dumortier. - Je voulais vous
soumettre les mêmes observations que l’honorable M. Gendebien vient de vous
présenter. Je pense qu’il serait bon d’appliquer le même terme qui a été adopté
pour les croix de fer, c’est-à-dire le 3 février 1831, jour de l’attaque de
Grégoire ; car dans cette journée il y a eu des blessés. Ainsi, je crois qu’il
faut dire dans la loi : « antérieurement au 4 février 1831. »
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Il y a seulement eu deux
personnes blessées le jour de l’entrée de Grégoire à Gand, c’étaient deux
pompiers qui ont été pensionnés l’année dernière par une loi spéciale. Il est
donc inutile de s’occuper maintenant de la journée du 3 février 1831, et il
serait beaucoup plus convenable d’adopter l’amendement de M. Gendebien qui tend
à choisir le 31 décembre 1830 pour dernier terme.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Il y aurait moins d’inconvénient à arrêter la date du 31 décembre ; avec
cette limite, on pourrait faire droit à toutes les réclamations fondées.
M.
Gendebien. - Je demande que l’on substitue « 31 décembre
1830 » à « 6 novembre 1830. »
- L’amendement de M. Gendebien
est mis aux voix et adopté.
M.
Dumortier. - Je crois qu’il y a lieu d’introduire ici une disposition
additionnelle ; indépendamment des personnes qui ont été tuées ou blessées en
combattant, il en est qui ont été tuées ou blessées sans prendre part au combat.
Le nombre de ces dernières personnes n’est pas très considérable ; il y en a
peut-être 5 ou 6 en Belgique ; il faut faire quelque chose en leur faveur, car
il en est qui sont dans une position malheureuse. Je demande que l’on adopte
cette disposition additionnelle.
« Il pourra être accordé
aux estropiés, et aux veuves des citoyens tués, à l’occasion des combats
soutenus pour l’indépendance nationale, une pension de 250 fr. »
Cette pension n’est pas
considérable. Il n’y aura pas 10 ou 12 personnes auxquelles elle sera
applicable. Il serait injuste que ceux qui ont reçu des blessures graves qui
les mettent dans l’impossibilité de travailler ; que les veuves de citoyens
tués, ne reçussent pas un secours : il serait souverainement injuste de ne rien
faire pour ces personnes-là.
(Moniteur belge n°86, du 27 mars 1835) M. A. Rodenbach. - Plusieurs pétitions ont
été adressées à la chambre par des malheureux qui ont été blessés pendant les
combats de septembre. Je vous citerai un ouvrier qui, en se rendant â son
ouvrage, a eu les deux cuisses emportées par un boulet de canon. On le porta
chez lui, et son frère, en le voyant dans cet état, éprouva une attaque
d’apoplexie. Un autre ouvrier travaillait sur un toit et y reçut une blessure grave
qui le met aussi dans l’impossibilité de travailler. Tous ces malheurs sont des
suites de la révolution : ils méritent une indemnité.
M.
Legrelle. - Messieurs, avant d’adopter l’amendement, je crois qu’il
faudrait en mesurer la portée. L’honorable M. Dumortier assure que le nombre
des individus qu’il faudra pensionner pour ce cas sera peu considérable ; je me
plais à le croire ; mais quoique le nombre des ayant-droit soit restreint, il
pourra bien arriver que le nombre des réclamants sera considérable. (Non ! non !)
Il est à ma connaissance que beaucoup de
personnes réclament encore aujourd’hui des pensions comme ayant combattu pour
notre indépendance, quoiqu’elles ne puissent fournir aucune preuve à l’appui de
leurs prétentions. S’il est difficile de juger les questions relatives aux
combattants, comment pourrez-vous prononcer sur celles qui seront relatives aux
blessés par accident ? Quelles preuves pourra fournir une personne qui aura été
atteinte fortuitement ? Il y a d’ailleurs une grande différence entre les
hommes qui se sont exposés volontairement et ceux que le hasard a frappés.
Cependant, s’il y a des
malheureux qui souffrent, on peut faire une loi à part pour eux ; mais on ne
peut intercaler dans celle qui nous occupe une disposition en leur faveur : la
loi en discussion est spéciale, elle est pour les blessés en combattant, pour
les blessés qui se sont exposés volontairement.
M.
Dumortier. - Je suis
étonné que l’on vienne dire que ma proposition peut avoir des suites
incalculables ; nous pouvons facilement calculer combien de Belges ont été tués
pendant les journées de septembre…
M.
Gendebien. - On n’en sait pas le nombre ; on ne connaît pas tout.
M.
Dumortier. - On cite trois ou quatre personnes dans la situation que
prévoit mon amendement. Dans une de vos séances précédentes on a renvoyé la
pétition de malheureux qui sont dans ce cas au ministre de l’intérieur, et on vous
a fait observer que le renvoi ne pouvait amener aucun résultat favorable,
puisque des fonds sont faits uniquement pour ceux qui ont versé leur sang les
armes à la main : vous voyez donc qu’il est nécessaire de stipuler ici quelque
chose pour les victimes des événements de la révolution. Vous accordez une
indemnité à celui qui a essuyé des pertes dans ses immeubles, qui a eu sa
maison brûlée, son champ inondé ; pouvez-vous être plus durs envers celui qui a
eu la jambe emportée ? Ces personnes sont-elles, à vos yeux, moins précieuses
que les propriétés ?
Tel de ces
individus a eu les jambes emportées par un boulet de canon, tel autre a eu la
cuisse cassée en rentrant chez lui, tel autre a été assassiné dans son domicile
par les Hollandais, parce qu’il y faisait de la charpie : ne doit-on aucune
indemnité à des gens qui ont éprouve des pertes aussi considérables ?
Pouvez-vous être rigoureux quand il s’agit des suites des combats qui nous ont
faits ce que nous sommes ? Ne serait-ce pas une grande injustice que d’accorder
des indemnités pour les pertes éprouvées dans les propriétés, tandis qu’on ne
donnerait rien à ceux qui ont éprouvé des pertes dans les personnes ? Les
personnes ne sont-elles pas plus sacrées que les propriétés ? M. Legrelle a
tort de s’effaroucher des suites de mon amendement. Je dis : « Il pourra
être accordé ; » le gouvernement sera juge ; ce n’est pas dans des termes
absolus que je produis ma proposition ; J’en appelle à l’humanité du
gouvernement.
M. Dubus. - Je viens m’opposer à l’adoption de
l’amendement. Il ne se rattache pas à la loi en discussion. Cette loi est
relative aux pensions civiques ; or, la pension de 250 francs dont il s’agit
n’est pas une pension civique, n’est pas une pension pour rémunération de
services rendus au pays. Il s’agit seulement d’indemnité à celui qui aurait été
victime, par accident, des combats livrés pendant les journées de la
révolution.
La proposition peut être
fondée en elle-même ; mais elle ne peut trouver place dans la loi en
délibération. Mon honorable ami pourrait en faire l’objet d’une proposition de
loi spéciale. Je ne puis approuver non plus la manière dont l’amendement est
libellé : j’engage son auteur à le revoir et à lui donner une autre forme.
M. A. Rodenbach. - Si l’honorable député de
Tournay retire son amendement pour en faire l’objet d’un projet de loi spécial,
j’y apposerai ma signature. La commission nommée pour secourir les victimes de
notre révolution a fait payer pendant deux ans de faibles pensions aux
malheureux qui avaient été blessés accidentellement ; mais elle a été obligée
de cesser ces paiements. Le nombre n’en est pas considérable ; il en existe
douze peut-être. Ou a voté ici 300,000 fr. pour indemniser des propriétaires
qui ne sont rien moins que malheureux. Parmi ceux qui doivent se partager cette
somme, il est des millionnaires qui recevront trois ou quatre mille francs ; ne
vaudrait-il pas mieux indemniser ceux qui ont perdu leurs membres et qui ne
sont plus en état de travailler, que de donner de l’argent à pleines mains à
ceux qui n’en ont pas besoin ?
M. Legrelle. - Je suis fâché qu’en faisant de la philanthropie on
veuille la faire aux dépens de quelques-uns de ses collègues. C’était sur le
terrain où je m’étais placé qu’il fallait me combattre, et non en employant de
vagues déclamations. Je n’ai pas dit que je m’opposais à ce que l’on accordât
des pensions à ceux qui ont souffert par suite de la révolution.
J’ai fait sentir que ce ne
pouvait être dans la loi actuelle, loi de récompense, que devaient figurer des
indemnités. J’ai fait remarquer qu’on ne connaissait pas la portée de la
proposition. Je conviens qu’il faut accorder des indemnités à ceux qui ont
perdu dans leurs personnes comme à ceux qui ont perdu dans leurs biens ; je
dirai plus, c’est qu’il faudrait commencer par indemniser ceux qui ont éprouvé
des pertes dans leurs personnes, avant de penser à indemniser les autres. S’il
est vrai qu’il n’y ait que six personnes mutilées par suite des combats de
notre révolution, il sera facile de faire admettre une loi qui aurait pour but
de leur procurer des secours. Quant à moi, j’appuierai la proposition de loi
qui aurait cet objet, si MM. Dumortier et Rodenbach en présentent une.
M.
Dumortier. - Je ne comprends pas les difficultés que l’on oppose à ma
proposition. On prétend que la loi que nous discutons est relative aux pensions
civiques ; où cela est-il écrit ?
Plusieurs membres. - En tête de la loi !
M.
Dumortier. - Je vois bien qu’il y a en tête du rapport présenté par M.
Olislagers : « Rapport sur les pensions civiques ; » mais lira-t-on :
« Loi sur les pensions civiques » dans le Bulletin des lois ? On lira en tête ; « Léopold, etc., » et on
n’y verra rien qui indique que la loi est exclusivement consacrée aux pensions
civiques, à ceux qui ont combattu pour notre indépendance.
Et la preuve d’ailleurs que la
loi n’est pas exclusivement pour ceux qui ont combattu, c’est que vous y
comprenez les veuves, les enfants, les pères, les mères ; ainsi, vous mettez
ceux qui ont souffert dans leurs personnes par suite des combats pour
l’indépendance nationale. A quoi servirait de faire une loi spéciale pour un
article tel que celui que je présente ? Pourquoi voulez-vous lui faire subir
toutes les épreuves parlementaires : le dépôt sur le bureau, le renvoi dans les
sections, la lecture, le développement, la prise en considération, un nouveau
renvoi devant les sections, et enfin le rapport d’une section centrale ? Et
tout cela pour une disposition que vous pouvez adopter maintenant.
Moi je dirai les choses comme
je les pense. Ceux qui demandent l’ajournement de ma proposition en veulent le
rejet. Comme je la regarde comme une justice, je me garderai bien de la
retirer. La chambre en fera ce qu’elle voudra. Mais j’aurai fait mon devoir.
Il est évident que l’article
que je propose ne peut pas avoir la portée que suppose l’honorable M. Legrelle.
Il s’agit de ceux qui ont été estropiés et des veuves de ceux qui ont été tués
à l’occasion des combats soutenus pour notre indépendance. Vous savez tous ce
que c’est qu’un estropié, c’est un homme à qui on a enlevé un jambe ou un bras.
Le nombre de ceux qui ont été tués ou estropiés par accident, lors de ces
combats, n’est pas très considérable.
Mais, dit l’honorable M.
Legrelle, je ne m’opposerai pas à ce qu’on insère dans la loi relative aux
indemnités une disposition concernant ces individus. Je ferai observer que bien
des années s’écouleront peut-être encore avant que cette loi ne soit votée, car
si des motifs d’humanité et de justice exigent que des indemnités soient
accordées à ceux qui ont souffert dans leurs propriétés par suite de
l’agression hollandaise, de hautes considérations politiques ont jusqu’ici
retardé la collation de ces indemnités.
Pouvez-vous ainsi attendre
pour accorder un subside à un individu qui a eu un bras ou les jambes emportées
à l’occasion des combats qui nous ont faits ce que nous sommes et qui se
trouvent, par suite de ses blessures, dans une position à mourir de faim si
vous ne venez à son secours. Vous pouvez bien retarder une loi qui a pour but
d’indemniser ceux qui ont souffert dans leurs propriétés, mais vous ne pouvez
ajourner les indemnités qui sont dues à ceux qui ont souffert dans leurs
personnes.
Comme la
loi des récompenses nationales ne parle que de ceux qui ont été blessés et des
veuves de ceux qui ont été tués en combattant pour l’indépendance nationale, et
semble par conséquent exclure ceux qui n’avaient pas les armes à la main, quand
ils ont été tués ou blessés, vous devez insérer dans la loi actuelle une
stipulation en faveur de ceux qui ont été blessés et des veuves de ceux qui ont
été tués à l’occasion des combats soutenus pour l’indépendance nationale.,
Je vous parlerai de nouveau de
ce citoyen de Berchem qui faisait de la charpie et des cartouches lorsqu’il a
été arraché de son domicile par les Hollandais et fusillé à l’instant même. Ne
rendait-il pas autant de services que ceux qui se battaient ? Voulez-vous que
sa veuve soit exclue du bénéfice de la loi, parce que ce citoyen n’est pas mort
les armes à la main ?
Je le répète, la chambre fera
ce qu’elle voudra de ma proposition ; si elle l’ajourne, je me garderai bien de
la représenter car je croirais qu’elle n’en veut pas, et je persiste à penser
qu’on doit l’admettre aujourd’hui.
M.
Dubus. - L’honorable préopinant prétend que ceux qui soutiennent que sa
proposition n’est pas ici à sa place, veulent l’écarter.
Messieurs, je crois que mon
honorable ami est tout à fait dans l’erreur, car on ne s’est pas borné à
proposer l’ajournement de sa proposition, mais on a donné les motifs pour
lesquels on s’opposait à ce que son amendement fût inséré dans la loi ; et ces
motifs n’étaient aucunement tirés du fond, mais de ce que cette proposition
était improvisée, qu’elle n’avait été l’objet d’aucun examen, et qu’elle se
trouvait jetée par forme d’amendement dans une loi étrangère. Dès lors il était
naturel de l’écarter, non parce qu’elle est mal fondée, mais parce qu’elle est
assez grave pour mériter un examen particulier. Vous avez tort, m’a-t-on dit,
de prétendre que la loi dont il s’agit était uniquement relative aux pensions
civiques, que cela n’était écrit nulle part. J’avais d’abord lu cela dans le
rapport ; mais si j’examine l’intitulé du projet du gouvernement, j’y trouve ;
« Exposé des motifs
accompagnant le projet de loi tendant à modifier ou étendre les dispositions de
l’arrêté du gouvernement provisoire, en date du 6 novembre 1830, concernant les
pensions auxquelles ont droit les citoyens qui ont été blessés en combattant
pour l’indépendance nationale, ou les veuves, enfants, pères, mères et aïeuls
de ceux qui ont succombé. »
Ainsi, vous le voyez, l’objet
de la loi est déterminé en tête, de l’exposé des motifs du projet de loi ; il y
est dit que ce projet de loi a pour but de remplacer l’arrêté du gouvernement
provisoire qui a le même objet. Or, vous voulez sortir de l’objet de l’arrêté
du gouvernement provisoire et de la loi qui vous est soumise. Vous dites qu’il
y a des motifs d’équité pour adopter votre proposition. Je ne nie pas qu’il en
soit ainsi pour les cas qui ont motivé votre proposition, mais je soutiens
qu’il envelopperait une multitude de cas pour lesquels ces motifs d’équité
n’existeraient pas. Remarquez le vague de la rédaction. Je vais vous citer un
exemple de son application qui prouve qu’il ne convient de se prononcer
qu’après avoir examiné mûrement la proposition.
Mon
honorable ami veut faire accorder des pensions à ceux qui auraient été
estropiés, ou aux veuves de ceux qui auraient été tués à l’occasion des combats
soutenus pour conquérir l’indépendance nationale.
Il veut que des pensions
soient accordées non seulement à ceux qui ont été blessés en combattant, mais à
ceux qui ont été estropiés à l’occasion des combats soutenus. Je ferai observer
que ceux qui ont été estropiés dans les rangs des Hollandais l’ont été à
l’occasion des combats soutenus pour conquérir l’indépendance nationale. Ainsi
la portée de la proposition de mon honorable ami irait jusqu’à faire donner des
pensions aux Belges qui se battaient contre nous. Cela est dans les termes de
son amendement, quoique cela soit loin de ses intentions. J’ai voulu faire voir
par cet exemple qu’il ne fallait pas voter sans examen une proposition de cette
nature, et qu’ayant un objet différent de la loi qui nous occupe, il serait
plus convenable d’en faire une loi séparée.
M.
Dumortier. - Les termes de ma proposition sont copiés mot pour mot de
l’article premier. Si, en vertu de cette disposition, on pourra récompenser les
Belges qui ont combattu dans les rangs des Hollandais, il faut convenir que
vous venez de faire une bien mauvaise loi.
J’ai dit : Il pourra être
accordé une pension de 250 fr. aux citoyens qui ont été estropiés et aux veuves
de ceux qui ont été tués à l’occasion des combats soutenus pour conquérir notre
indépendance nationale.
L’art. 1er porte : « Les veuves
des citoyens morts dans les combats soutenus pour conquérir notre indépendance
nationale, ou par suite des blessures qu’ils auraient reçues dans ces mêmes
combats, recevront de l’Etat, si leur existence dépendait des travaux de leur
mari, une pension annuelle et viagère de 365 fr. payable, etc. »
A coup
sûr, dans les combats soutenus pour conquérir notre indépendance nationale, il
y avait aussi des rangs ennemis dans lesquels des Belges ont pu être tués.
Cependant personne n’a pensé que l’article que nous avons voté pût être
appliqué aux Belges morts dans les rangs ennemis. C’est torturer ma proposition
que de vouloir lui donner un pareil sens.
Je ferai une dernière
observation qui répondra à toutes les objections, c’est que j’ai rendu la
disposition que j’ai proposée facultative, afin que le ministre pût, s’il en
reconnaissait la nécessité, accorder une pension à ceux qui se trouveraient
dans les cas que j’ai signalés. Ce sera au ministre à voir s’il y a lieu ou non
d’user de la faculté qui lui est donnée.
M. A. Rodenbach. - Un honorable membre a dit
qu’on ne pouvait pas voter, sans examen, une proposition ainsi improvisée. Je
ferai observer que vous avez un second vote ; d’ici-là vous aurez le temps de
l’examiner, et si alors vous ne jugez pas à propos de l’insérer dans la loi,
vous en ferez justice ; mais admettez-la provisoirement en principe.
L’honorable députe de Nivelles, en lisant l’intitulé de l’exposé des motifs,
vous a prouvé que la disposition pouvait trouver place dans la loi, car cet
exposé dit que la loi a pour but d’étendre l’arrêté du gouvernement provisoire.
Nous pouvons donc soulager d’autres malheureux. Je suppose qu’un chirurgien qui
soigne les blessés ait été blessé ou tué, votre loi ne le comprendrait pas, car
il n’aurait pas été tué ou blessé les armes à la main.
Certes, il aurait le même
droit que ceux qui auraient été blessés en combattant. Les hommes qui faisaient
de la charpie ou des cartouches étaient dans le même cas.
J’appuie donc la proposition
de M. Dumortier.
M.
Gendebien. - Je ne sais en vérité pourquoi on repousse avec autant de
défiance un amendement fondé sur l’humanité et la justice. Je reconnais qu’il
ne peut pas être admis tel qu’il est rédigé, mais, en principe, je le considère
comme devant faire partie de la loi ; nous nous occuperons de la rédaction au
second vote.
On dit qu’il ne peut pas
trouver place dans la loi qui nous occupe, parce que dans cette loi il ne
s’agit que de pensions civiques. Non, messieurs, ce n’est pas uniquement une
loi de pensions civiques. On pourrait dire cela de l’arrêté du gouvernement
provisoire, car cet arrêté était précédé d’un considérant indiquant la nature
de la loi proposée, tandis que la loi actuelle n’est précédée d’aucun
considérant. Elle commence : « Art. 1er. Les veuves des citoyens,
etc. »
L’arrêté du gouvernement
provisoire au contraire était précédé du considérant suivant :
« Considérant qu’il est juste
de récompenser les services rendus à la patrie par les braves citoyens qui, en
combattant pout l’indépendance du pays, seraient devenus victimes de leur
dévouement, etc. »
Il ne s’agissait là que de
donner des pensions à ceux qui avaient combattu. Trouvez-vous une disposition
semblable dans la loi actuelle ? Non ; l’art. 1er, l’art. 2 et successivement
les art. 3 et 4, renferment des dispositions relatives à ceux qui ont combattu
; mais y a-t-il quelque chose qui repousse une autre disposition ? Non, vous ne
trouvez rien.
On a voulu trouver dans
l’exposé des motifs du ministre quelque chose d’analogue au considérant de
l’arrêté du gouvernement provisoire. Mais veuillez remarquer que cet exposé de
motifs ne fait pas partie de la loi, tandis que les considérants de l’arrêté
faisaient partie de cet arrête.
Au surplus, que porte cet
exposé de motifs ?
« Exposé des motifs
accompagnant le projet de loi tendant à modifier ou étendre les dispositions de
l’arrêté du gouvernement provisoire, en date du 6 novembre 1830, concernant les
pensions auxquelles ont droit les citoyens qui ont été blessés en combattant,
pour l’indépendance nationale, ou les veuves, enfants, pères, mères, et aïeuls
de ceux qui ont succombé. »
Peut-on en induire que dans la
loi proposée il ne s’agira que de l’arrêté du gouvernement provisoire ?
Evidemment non, car l’exposé des motifs dit, au contraire, qu’il s’agit de
l’étendre. Vous n’avez donc plus de motif d’exclusion à tirer de la nature de
la loi proposée. Quelle extension plus légitime pouvez-vous donner à l’arrêté
du gouvernement provisoire, que celle qui vous est proposée par l’honorable M.
Dumortier ?
Ainsi qu’on vous l’a dit, on a
reconnu en principe qu’il fallait indemniser tous les citoyens qui auraient
souffert des combats soutenus pour conquérir notre indépendance. J’ai posé le
principe nettement, j’ai pensé que tous devaient être indemnisés à tel point
que, si la moitié de la nation avait été ruinée par notre révolution, l’autre
moitié aurait dû venir à son secours. Après avoir posé un principe aussi large,
si vous voyez un ouvrier qui a eu les jambes emportées ou le bras emporté et se
trouve ainsi privé des moyens de gagner sa vie, pouvez-vous laisser cet homme
mourir de faim ? Il n’a pas été blessé en combattant ; mais s’il a souffert par
suite, des combats, vous devez l’indemniser.
On ne peut pas, a dit un
honorable membre, pourvoir à tous les accidents : sans doute, si un homme avait
un bras cassé par la chute d’une cheminée, l’Etat ne devrait pas l’indemniser.
Mais il ne pleut pas tous les jours des boulets et des obus dans une ville
comme Bruxelles. C’est bien dans les combats soutenus pour conquérir notre
indépendance que cette mitraille a roulé dans les rues d’Anvers et de Bruxelles
!
Vous craignez, dites-vous les
conséquences de la proposition qui est faite ? Moi, messieurs, je ne les crains
pas. Y eût-il dix mille personnes à indemniser, ce serait une raison de plus
pour que la généralité vînt à leur secours. Plus il y a de victimes, plus il y
a nécessité d’être juste.
Je ne soumets pas les règles
de la justice à l’étendue du sacrifice qu’elle impose. La justice est une et
indivisible. Je ne calcule pas les conséquences d’un acte de justice. Je ne
consulte que ma conscience pour proclamer la nécessité d’être juste.
Est-il juste d’indemniser les
individus qui par les combats soutenus pour conquérir notre indépendance ont
perdu leurs moyens d’existence ? Est-il convenable de leur refuser une
indemnité, et de la leur refuser comment ? par une fin de non-recevoir, par une
fin de non-recevoir que j’ai prouvé n’être pas fondée. Si vous craignez que la
proposition qui vous est faite ait une portée que vous ne voudriez pas lui
donner, admettez-la comme principe, et au second vote nous formulerons la
disposition, de manière qu’elle ne puisse s’appliquer aux militaires qui
auraient combattu dans les rangs opposés. Au surplus, pour penser que la
disposition pût avoir une pareille application, il faudrait supposer que ceux
qui sont chargés d’exécuter la loi ont tout à fait perdu l’esprit.
Je
crois pouvoir sous ce rapport m’en rapporter au jugement de M le ministre des
finances. Je suis persuadé qu’il saura distinguer les citoyens qui ont été
blessés par accident, des individus qui ont été blessés dans les rangs de nos
ennemis. Nous avons le droit d’espérer qu’il n’en sera pas des pensions de
septembre comme de la décoration Léopold, qui a été chercher plus d’un élu dans
les rangs de nos ennemis.
M. le
président. - Je vais mettre aux voix la proposition de faire de
l’amendement de M. Dumortier une loi séparée.
- Cette proposition est
adoptée.
M.
Dumortier. - C’est un rejet de ma proposition, je ne la renouvellerai
pas.
Article 12
« Art. 10. L’arrêté du gouvernement provisoire, du 6 novembre
1830 (Bulletin officiel, n° 30), est rapporté et remplacé par les dispositions
de la présente loi.
- Adopté.
M. le
président. - Comme il y a eu des amendements, le vote définitif ne pourra
avoir lieu qu’à la séance de vendredi.
M. le
président. - Nous avons maintenant à l’ordre du jour la proposition de M. Desmanet de Biesme.
La proposition de M. Desmanet
était ainsi conçue :
« Les noms des membres
qui n’auront pas répondu à l’appel nominal ou signé la liste de présence seront
imprimés dans le Moniteur, en tête du
compte-rendu de la séance.
« Cette liste indiquera
séparément les noms des membres absents sans congé, les noms des absents avec
congé, les noms des membres empêchés pour cause de maladie qui en ont prévenu
le bureau.
« Sont réputés absents
sans congé ceux qui passent le terme pour lequel il a été accordé.
« Dans les premiers jours de chaque
mois, il sera formé un tableau indicatif du nombre des séances du mois
précédent, des membres qui y ont assisté, et des absents avec ou sans congé. Ce
tableau sera également imprimé au Moniteur.
« A la fin de chaque session
législative, il sera dressé un tableau général sur le modèle des tableaux
mensuels, auquel il sera donne la même publicité. »
La commission chargée
d’examiner cette motion d’ordre propose de la modifier de la manière suivante :
« Le Moniteur signalera chaque jour, en tête du compte-rendu de la
séance, les noms des membres présents, ceux des membres absents avec congé, et
ceux des membres absents sans congé.
« Sont considérés comme
absents sans congé les membres qui n’ont pas répondu à l’appel nominal, et ceux
qui auront dépassé le terme pour lequel ils avaient obtenu un congé.
« Sont considérés comme ayant
obtenu un congé les membres absents pour cause de maladie qui en auront informé
la chambre. »
M. de
Behr. - Messieurs, j’ai été d’un avis contraire à la proposition de M.
Desmanet dans le sein de la commission que vous avez chargée de son examen ; je
viens motiver en peu de mots le vote que j’ai émis alors, et dans lequel je
crois devoir persister. L’honorable membre a eu principalement en vue de remédier
aux lenteurs de nos travaux parlementaires, mais je pense que la proposition
n’atteindra pas le but que son auteur s’est proposé. Le mal est réellement dans
l’insouciance que l’on montre pour le travail des sections. Si chacun voulait y
prendre part avec autant de zèle qu’à la discussion publique, il est hors de
doute que les projets de loi seraient mieux élaborés, que la section centrale
aurait des matériaux plus parfaits, et qu’inspirant plus de confiance à la
chambre, son ouvrage aurait pour résultat d’abréger les débats, et de prévenir
cette foule d’amendements, qui sont pour la plupart rejetés, après avoir coûté
une grande perte de temps à l’assemblée. Or, ce résultat s’obtiendrait
facilement en modifiant quelques-unes des dispositions du règlement relatives
aux amendements, et en attribuant au président un pouvoir qui est maintenant
trop restreint pour diriger convenablement les débats, et les contenir dans les
bornes dont ils ne devraient jamais sortir.
Si nous étions à une époque
moins rapprochée du renouvellement de la chambre, je, proposerais de nommer une
commission pour la révision de notre règlement.
En attendant je ne puis donner
mon assentiment à la proposition qui est en discussion ; indépendamment de ce
qu’elle a d’insolite, et de contraire à la dignité de la chambre et aux usages
parlementaires de tous les gouvernements constitutionnels,
elle n’aura d’autre effet que de multiplier les demandes de congé ; et si vous
refusez d’en accorder, vous éloignerez de la chambre des membres fort utiles que
leurs occupations rappellent souvent chez eux, et qui sont par leur spécialité
les plus capables de bien travailler aux affaires du pays : d’un autre côté,
l’exécution de la mesure fera surgir une foule de réclamations : des membres
que vous signalerez comme absents auront peut-être les motifs les plus
légitimes à présenter, sans avoir eu le désir de les faire connaître le jour
qu’ils n’auront pas assisté à la séance. Cependant il me semble nécessaire de
publier les noms des membres présents, lorsqu’après l’appel nominal,
l’assemblée ne serait pas en nombre suffisant pour délibérer ; il pèse dans ce
cas sur la chambre une responsabilité morale qu’il est de toute justice de ne
pas faire partager aux députés qui, fidèles à leur mandat, se sont trouvés ponctuellement
à leur poste.
Par ces considérations,
j’aurais l’honneur de présenter la proposition suivante en remplacement de
celle qui est en discussion :
« Dans le cas où, après
l’appel nominal, l’assemblée ne serait pas en nombre suffisant pour délibérer,
les noms des membres qui ont répondu à l’appel seront insérés dans le Moniteur en tête du compte-rendu. »
M.
Devaux. - Messieurs, je ne veux pas m’opposer à la proposition de M.
Desmanet de Biesme. Je ne crois pas qu’il y ait de grands inconvénients à
adopter cette proposition, mais je crois d’un autre côté qu’elle n’atteindra
pas le but de son auteur, du moins en grande partie. Je crois que la
proposition est fort incomplète, et pour remédier au mal, il faudrait le
prendre à sa racine. C’est là qu’il faudrait appliquer le remède.
Un honorable membre vient de
nous dire que le mal venait de ce qu’on n’assistait pas aux sections. Je crois
qu’il prend l’effet pour la cause. Pour moi, je ne puis m’arrêter là, je
remonte plus haut, et je trouve que la véritable cause est dans le vide et dans
la longueur de nos sessions. Voilà le véritable mal à son essence. Il n’est pas
dans la nature d’une assemblée délibérante de siéger pendant neuf ou dix mois
de l’année, comme nous le faisons depuis cinq ans.
Tant que vous n’aurez pas des
sessions de 5 à 6 mois au plus, vous parviendrez bien à réunir quelques membres
de plus, dont je ne regrette pas l’absence comme un grand mal, mais vous
arriverez toujours au résultat dont on se plaint aujourd’hui, c’est-à-dire que
vous travaillerez mal et que vos travaux n’avanceront pas.
Une législature peut bien
siéger pendant onze mois de l’année deux ans de suite ; mais, au bout de quatre
ou cinq ans, des sessions aussi longues finissent par devenir fatigantes, les
travaux languissent. Cela est tout naturel. Il faut bien que les industriels
appartenant à la chambre aient le temps de donner quelques soins à leur
établissement ; il faut bien que les pères de famille aient le temps de
s’occuper des intérêts de leur famille. Les députés reçoivent, les uns pas une
obole, les autres ce qu’on peut appeler un traitement de commis ; il faut bien
qu’ils puissent consacrer quelque temps à leurs intérêts et à ceux de leurs
enfants.
Si pendant neuf ou dix mois,
ils doivent se trouver en sections de dix heures à midi et ensuite en séance
publique de midi jusqu’à quatre ou cinq heures, travailler ensuite soit dans
les commissions, soit dans les sections centrales ; si, rentré chez soi, on
veut étudier les matières dont on s’occupera le lendemain, faire des
recherches, recevoir les visites auxquelles expose et condamne la qualité de
représentant, entretenir la correspondance pour les affaires de la
représentation, je mets en fait que sur dix membres on en trouverait à peine un
à qui les forces physiques permissent d’accomplir rigoureusement de pareils
devoirs.
Les juges, dira-t-on, n’ont
que deux mois de vacances. Mais ils ne siègent que deux ou trois fois par
semaine, et encore peuvent-ils quelquefois se faire remplacer.
La longueur de nos sessions a
d’autres inconvénients, c’est d’exclure, pour ainsi dire, les industriels de la
représentation nationale ; et à l’avenir, si ce n’est aux élections de
Bruxelles, vous n’en verrez plus se présenter, car il est impossible que des
industriels abandonnent leurs affaires pendant 9 et 10 mois.
Cependant, à l’époque où nous
vivons, lorsque l’industrie remplit un si grand rôle dans le monde, je vous
demande ce que c’est qu’une représentation nationale dont sont exclus tous les
industriels, les hommes dont les connaissances pratiques sont si nécessaires.
Les fonctionnaires n’ont plus
le temps de remplir leurs fonctions en dehors de cette chambre, et ces
fonctions alors deviennent de véritables sinécures.
Quelques personnes croient
qu’on doit attribuer aux fonctionnaires publics qui font partie de la chambre
le peu d’exactitude qu’on met à suivre ses travaux. MM. les fonctionnaires sont
aussi exacts que les autres. On devrait plutôt leur supposer une tendance à
rester à Bruxelles et à négliger les occupations qu’ils ont en dehors de cette
chambre.
Lorsqu’au congrès fut soulevée
la question d’incompatibilité entre les fonctions de représentant et celles de
fonctionnaire public, j’ai combattu cette incompatibilité, parce que j’ai pensé
que ce serait priver la représentation nationale d’une foule de capacités. Et
nous sommes pas assez riches pour en repousser volontairement. Le congrès n’a
jamais pensé que les séances absorberaient tout le temps d’un homme, et qu’un
député n’aurait chaque année que deux mois et souvent moins pour songer à ses
autres occupations.
Il est bien évident pour moi
que, sauf quelques exceptions extrêmement rares, en général il ne se présentera
plus aux élections que des fonctionnaires publics, ou, ce qui est pire, des
hommes qui aspirent à le devenir.
Si les sessions étaient
réduites à ce qu’elles doivent être, à 5 ou 6 mois au plus, les fonctionnaires
pourraient s’acquitter des devoirs de représentant sans négliger leurs autres
fonctions.
Les juges pourraient siéger,
les procureurs-généraux et les procureurs du Roi pourraient retourner dans leur
parquet et donner l’impulsion, ou, comme on dit, le ton aux affaires. Les
industriels viendraient nous éclairer de leurs lumières spéciales qui, il faut
le dire, nous manquent souvent.
Les fonctions de député font
peur à beaucoup d’hommes honorables ; car, comme je le disais tout à l’heure,
elles absorbent un homme tout entier.
Si les sessions étaient moins
longues, on travaillerait davantage et on travaillerait mieux. Après quatre
sessions de 10 et 11 mois on est fatigué, on écoute avec distraction, on ne va
pas en sections. C’est là un effet de la longueur de nos sessions plutôt que la
cause du mal. Peut-être aussi faut-il ajouter que l’on travaille beaucoup moins
chez soi que lors du congrès ; j’ajouterai encore que les ministres eux-mêmes,
forcés d’être ici pendant dix mois pour nous combattre, forcés de se trouver
également à une autre chambre, ne peuvent plus consacrer le temps nécessaire
aux améliorations réclamées par l’administration. Mais, dira-t-on sans doute,
tout cela est vrai, mais oiseux. Comment arriver à avoir une session plus
courte ? A mon avis, le moyen en est très simple. J’ai entendu reprocher à
certains membres de cette assemblée de faire perdre beaucoup de temps, en parlant
beaucoup plus qu’il ne fallait. Il est pourtant juste, selon moi, que ceux dont
les opinions ne triomphent pas ordinairement dans cette enceinte fassent tous
leurs efforts pour les faire prévaloir. S’il faut dire que l’on abuse du temps
de la chambre, la faute en est à la chambre elle-même qui laisse abuser de son
temps. Si la chambre perd son temps, ce n’est pas à la minorité qu’il faut s’en
prendre, mais à la majorité qui laisse faire.
Notre grand défaut n’est pas
de ne point faire observer le règlement, c’est surtout de ne savoir pas clore ;
la chambre actuelle ne sait pas clore une discussion. Nous sommes si bons
collègues, que pour ne pas nous être désagréables les uns aux autres, dès qu’un
orateur demande la parole, à l’instant on rouvre la discussion. Je conçois que
c’est une chose assez désagréable que de dire à quelqu’un : Vous ne parlerez
pas, vous vous tairez ; mais, en bons citoyens, nous devons avoir cette
sévérité réciproque, nous devons nous fermer la bouche, quand il y a lieu. Les
mécontents diront au premier abord que c’est de l’oppression, que l’on
bâillonne la liberté des discussions mais, bientôt après, on s’apercevra que
nous aurons fait des lois, et au lieu de paroles, on trouvera des faits.
En Angleterre, il est très
rare que l’on prononce huit ou dix discours sur le même sujet ; il faut pour
cela que les matières soient excessivement importantes.
Ici, cela arrive tous les
jours, pour des questions minimes, je pourrais dire microscopiques. Le moindre amendement
amène dix discours.
En France, où sur ce point on
est moins avancé qu’en Angleterre, il est rare que le même orateur prenne deux
fois la parole, et jamais il ne la prend trois fois. Ici, ce sont des répliques
et des contre-répliques ; cela ressemble à des affaires de tribunaux, où les
deux parties sont en présence, et où chaque avocat veut avoir le dernier. Je
crois aussi que nos discours seront plus courts, quand nous saurons faire une
clôture ; on écoutera mieux ; les discours moins longs auront plus de
substance. Si l’on impose certaine brièveté aux orateurs, il arrivera que la
discussion sera écoutée plus attentivement. ; on étudiera les questions chez
soi, ce qui est inutile maintenant, car on est si sûr d’entendre les mêmes
arguments remués dans tous les sens, qu’il est inutile de s’en occuper à
l’avance.
A mon avis, c’est à la
majorité à abréger les discussions, à les clore. C’est là le seul remède au
mal, et il ne faut pas se le dissimuler, le mal est grand. Qu’avons-nous fait
depuis deux ans ? Les budgets ; une seule loi, la loi provinciale, qui va nous
revenir ; un travail provisoire, la loi sur le chemin de fer, et quelques
petites lois accessoires de deux ou trois articles. Cette année on nous a dit
que les budgets dureraient 15 jours ; ils ont duré trois ou quatre mois. Nous
avons fait la moitié d’une loi, et nous avons été obligés de couper en deux
cette loi qui nous reviendra. L’an prochain, ce sera la même chose. J’ai
demandé au greffe de combien nous étions arriérés. De 40 à 50 projets de loi.
La constitution nous impose de faire des lois. Si nous n’allons pas un autre
train, dans 10 ou 15 ans, les obligations qui nous sont imposées ne seront pas
remplies.
Avec le
mode de discussion actuel, serions-nous capables de faire un code ? Jamais. Il
faut le dire, la conviction de l’impuissance de la stérilité de la
représentation nationale fait de grands progrès dans le public. Et la
représentation nationale est tout le gouvernement représentatif. Je vous
demande où une pareille opinion pourrait conduire. Voilà pourquoi j’ai cru
devoir dire que le remède du mal existant était dans la volonté de la majorité
elle-même, qui seule pourra faire ce que tous les changements au règlement
n’effectueraient pas. Je vous demande pardon d’avoir contre mon habitude,
entretenu si longtemps la chambre, j’ai cru devoir expliquer pourquoi quelques
membres de cette assemblée, et moi-même qui avions pris autrefois une part
active aux discussions parlementaires, répugnions aujourd’hui d’y participer.
En effet quelquefois on aimerait mieux jouer un amendement à croix ou pile que
de se livrer aux discussions fastidieuses et interminables qu’il entraîne
presque toujours.
M.
Dumortier. - Je crois que la majorité rendra hommage à la semonce
qu’elle vient de recevoir, car vous avez pu voir, messieurs, que l’honorable
préopinant, dans l’oraison qu’il vient de prononcer, a semoncé la majorité,
comme s’il y avait dans cette chambre une majorité toujours prête à se lever
pour donner raison aux organes du gouvernement. Je ne crois pas que la chambre
soit encore tombée si bas. Le mal, dit-on, est grand, très grand ; moi, je
crois pouvoir prétendre qu’il ne l’est pas à tel point qu’on le dit. Pour ma
part ; j’assiste à toutes les séances ; depuis que cette chambre est réunie, je
n’en ai pas manqué vingt. Je déclare pour mes collègues et pour moi, je déclare
que je repousse tout ce qu’on a pu dire sur la prétendue impuissance de la
chambre, c’est une attaque injuste, et qui ne repose sur rien. Il faut examiner
les faits non comme ils se passent seulement en Belgique, mais dans tous les
pays où il y a une représentation nationale. Voilà ce qui avait lieu aux
états-généraux. La seconde chambre ne siégeait que quelques jours de la
semaine, nous siégeons tous les jours ; cela est sans exemple, et à coup sûr
c’est une vie très fatigante Voyez ce qui se pratique en France et en
Angleterre. En France, quand la chambre siège pour les pétitions, elle siège au
nombre de 60 sur 600 ; veuillez remarque que ce n’est qu’un dixième ; nous,
nous sommes toujours en nombre, c’est-à-dire un sur deux. En Angleterre,
quoique les députés soient au nombre de 658, il suffit que 36 soient présents
pour que l’assemblée puisse délibérer.
Ainsi, toutes les déclamations
contre les membres de cette assemblée sont injustes à l’excès. Ces membres ont
un mandat à remplir, dont ils s’acquittent honorablement ; mais ils ne sont pas
esclaves, ils ont aussi des charges de famille qui les réclament. Je suis
charmé de pouvoir rendre cet hommage à mes honorables collègues, et si les
journaux nous ont attaqués sur ce point, c’est qu’ils y ont été provoqués par
le gouvernement. C’est sur les instigations d’un honorable ministre d’État qui
ne siège pas ici en ce moment, qu’ils ont cherché à avilir la représentation
nationale, pour tout faire tomber au profit du gouvernement central, du pouvoir
exécutif. Il n’y a pas dans toute l’Europe une assemblée nationale qui
remplisse son devoir mieux que la représentation belge.
Je dirai aussi mon opinion sur
les faits avancés par l’honorable préopinant. Suivant lui, on ne fait pas assez
de lois. Cela est incontestable, et il est triste qu’il ne s’en fasse pas
d’avantage. A qui la faute ? L’honorable préopinant l’attribue à la longueur
des débats : je le veux bien mais comme lui je remonterai plus loin. Quelle est
la cause de la longueur des débats ? C’est que le vent de la révolution ne
souffle plus dans les voiles de l’Etat. C’est qu’on veut nous ramener à
l’ancien régime qui nous gouvernait. On a parlé de la loi communale qui n’était
faite qu’à moitié. Si le gouvernement avait voulu présenter une loi qui fût la
reproduction de celle du gouvernement provisoire, cela eût été bien plus vite.
Nous avons été six mois pour discuter cette loi, mais si nous n’avons pu faire
beaucoup de bien, nous avons du moins empêché beaucoup de mal.
Je crois que si nos débats se
prolongent outre-mesure, c’est que le gouvernement a eu pour tâche constante de
violer la constitution, et de vouloir ramener le pays à des institutions que la
révolution avait supprimées. Voulez-vous la preuve de ce que j’avance ? Une loi
vient de vous être présentée en quinze articles, elle a été votée en une
demi-heure, parce que le gouvernement était indifférent pour cette loi ; s’il
en était toujours ainsi, il y aurait moins d’acrimonie, on entendrait moins de
paroles acerbes. Si le contraire a lieu, c’est qu’il existe ici un parti qui
veut déraciner toutes nos libertés. Que le pays compare ce qui a été fait par
la première législature avec ce qui a été fait pendant les années subséquentes.
Pendant la première législature, nous étions encore voisins du congrès ; aussi
sous cette influence fîmes-nous beaucoup de lois.
Le gouvernement n’avait pas
alors ce système envahisseur qui l’anime aujourd’hui. Présentez-nous des lois qui
soient toujours l’expression sincère de la constitution, elles seront toujours
votées en très peu de temps.
Je ferai remarquer que nos
séances sont trop courtes, c’est leur brièveté qui nous empêche d’aller aussi
vite que nous le voudrions. Ces séances ne dirent que trois heures, trois
heures et demie. Il me semblerait infiniment plus sage de suivre l’exemple des
états-généraux ; nous commencerions nos séances de 10 heures à 5 heures, mais
elles ne seraient pas publiques tous les jours ; nous nous réunirions à 10
heures en sections, et les jours où il y aurait séance publique, elle
commencerait à midi, et nous finirions à 5 heures. Pour ceux qui travaillent
chez eux, qui se rendent dans les sections, et je suis du nombre, c’est une vie
très fatigante.
Il arrive
aussi que la section centrale se réunît à 7 heures du soit jusqu’à minuit, et
beaucoup de nous ont et quelquefois jusqu’à douze heures de travail par jour :
c’est une vie tuante, je ne saurais trop le répéter. Il serait beaucoup plus
simple de suivre le système des états-généraux. Ne siégeons que quatre jours
par semaine, en commençant la séance à dix heures, et les autres jours,
travaillons à la section centrale et dans les commissions. Remarquez, je vous
prie, quelle est l’heure à laquelle les votes s’émettent. La première heure est
occupée par l’appel nominal, la lecture du procès-verbal, les pétitions ; des
motions que l’on fait prennent encore un assez long laps de temps, je ne veux
pas dire pourtant que ce soit inutile, mais si vous n’aviez que quatre séance
par semaine, il n’y aurait que quatre heures consacrées à cela, et le reste du
temps serait plus fructueusement employé.
Ce système serait préférable à
celui qui a été suivi jusqu’à présent. Quant à ce qui a été dit de sang-froid
par l’honorable préopinant, j’ai démontré que c’était de la plus haute
injustice, et je répéterai en terminant que la chambre des représentants belge
s’acquitte de son mandat avec l’honneur, le zèle et l’intégrité désirables.
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Il y a dans le discours de
l’honorable préopinant des choses qu’il ne m’est pas possible de passer sous
silence.
D’après
ce qu’il a dit, ce serait le gouvernement qui aurait fait attaquer la chambre
ou certains membres de la chambre par des journaux salariés. Un seul mot
répondra victorieusement à cette assertion, c’est que le gouvernement n’a pas
un seul journal salarié. Cette raison me dispense de toute autre réfutation sur
ce point. La longueur des discussions, ajoute l’honorable député de Tournay,
provient de ce que le gouvernement cherche à introduire dans les lois
organiques des dispositions tendant à fausser la constitution, à détruire
toutes nos libertés. Bien loin de loi, messieurs, de pareilles intentions !
Nous tenons à insérer dans nos lois des idées pratiques, des gages certains
d’ordre et de sécurité ; nous voulons ces conditions dans l’intérêt même du
maintien des libertés publiques et rien autre chose.
Si nous entendons la mise en
pratique des principes constitutionnels autrement que l’honorable préopinant,
nos vues n’en sont pas moins pour cela moins pures que les siennes. En effet,
comment supposer raisonnablement que nous voudrions fausser la constitution ?
serait-ce pour un court passage que nous ferons au ministère que nous irions
consentir à abdiquer ces libertés, pour la conquête desquelles nous aussi nous
sommes fiers d’avoir travaillé ? Nous y tenons autant que personne ; et si
quelquefois nous sommes en contradiction avec lui, qu’il sache bien que nos intentions
sont aussi bonnes que les siennes !
M.
Dumortier. - Je m’étonne des paroles de M. le ministre des finances,
car je n’ai jamais révoqué en doute la loyauté de son caractère, à laquelle je
me plais à rendre hommage ; mais j’ai cité des faits…
M.
Milcamps. (avec précipitation). - Quels faits ? où sont-ils ? (On rit.)
M.
Dumortier. - Je vais vous les dire : quand le gouvernement est venu
proposer dans la loi communale à avoir la nomination des bourgmestres, soit
dans le sein, soit en dehors du conseil ; quand le gouvernement a voulu la
nomination des échevins sans intervention aucune, alors que ces magistrats
devaient tenir leur mandat du peuple ; quand il est venu demander de révoquer
dans les villes même les bourgmestres et les échevins, ce qui n’avait pas lieu
même sous Guillaume ; quand il a voulu mettre à la charge des communes le
traitement des vicaires et des ministres des cultes, que la constitution met à
la charge de l’Etat ; quand il s’est opposé à une disposition qui rendait aux
communes l’administration de leurs bois ; je puis dire, j’imagine, que le
gouvernement n’a pas marché dans le sens de la révolution.
On vous a dit que l’on voulait
des gages d’ordre, de tranquillité publique pour le maintien des libertés. Je
les veux aussi moi, et je prétends que les institutions populaires sont la plus
sûre des garanties de l’ordre, pourvu qu’un gouvernement supérieur, sage et
bien entendu, les dirige convenablement. J’ai parlé du gouvernement comme être
moral, et je répète qu’il a faussé tous les principes de la constitution.
Quant à
ce qu’a dit l’honorable préopinant que le gouvernement n’avait pas de feuilles
salariées, je ne sais s’il a voulu parler du gouvernement ou du ministère ;
mais un fait que personne n’ignore, c’est qu’il y a des feuilles salariées et
très bien salariées, et que c’est au moyen de ces feuilles que l’on cherche à
jeter du discrédit sur la représentation nationale. Personne n’ignore qu’il y a
des rapports entre l’une de ces feuilles et un honorable ministre d’Etat qui,
lorsque la chambre n’est pas en nombre, cherche toujours à faire du scandale à
cette occasion, à jeter du louche dans l’assemblée. Quel est le but d’une telle
conduite ? Vraiment, je ne le connais pas ; mais son résultat est de
discréditer la chambre dans le public.
Si le gouvernement veut que la
chambre soit respectée, qu’il la respecte lui-même, qu’il donne l’exemple du
respect pour la représentation nationale ! Mais en est-il ainsi ? J’en appelle
à vos souvenirs ; je crois que les faits sont clairs pour tous ceux qui ne sont
pas prévenus.
M.
Gendebien. - Mon intention n’est ni d’accuser la majorité de faiblesse,
ni d’exciter à des actes qui ressembleraient fort au bâillonnement de la
minorité. Sans suivre les ministres et quelques orateurs sur le terrain où ils
ont placé la discussion, je parlerai sur la proposition dont nous avons à nous
occuper. Je ne dirai que deux mots sur la grave accusation que l’on a lancée
contre la représentation nationale.
La représentation nationale
n’a pas fait tout ce que pourront faire les législatures à venir. En voici deux
raisons : La première, c’est que nous avions une constitution nouvelle qui ne
ressemblait guère aux précédentes ; il s’agissait de l’interpréter et le plus
souvent de la défendre contre le gouvernement. A qui doit-on reprocher la
longueur des débats à cet égard ? A ceux sans doute qui attaquaient la
constitution, et non pas à ceux qui la défendaient.
D’un autre côté, nous avions
un règlement nouveau. Pour l’interpréter, pour le maintenir, un préopinant a
souvent élevé la voix et prolongé longtemps les discussions. Vous savez jusqu’à
quel point il s’est montré sévère à cet égard ; sa prudence allait jusqu’à se
refuser à voter, même en cas d’urgence, un projet de loi le jour de sa
discussion parce qu’on y avait introduit un amendement, quelquefois
insignifiant.
Savez-vous quelle est encore
la cause que nos discussions se prolongent ? C’est le découragement dont on est
parvenu à frapper les hommes qui se sont depuis longtemps dévoués au pays, les
hommes consciencieux qui sont tous les jours à leur poste, et qui n’en
recueillent d’autre récompense que des injures de la part de certains
adorateurs du pouvoir fort, de certains ministres et de certains journaux,
alors que la part de leurs amis ils essuient le reproche d’être dupes. En
effet, il y a de la duperie à certains hommes de se rendre assidûment aux
séances, alors qu’elles se tiennent habituellement au nombre de 52, 54, et que
trop souvent nos sommes obligés de délibérer en dessous du nombre requis par la
constitution.
Il y a tel membre qui n’est
venu à la chambre que deux ou trois fois depuis l’ouverture de la session ;
d’autres qui n’ont assisté qu’à huit ou dix séances, et qui n’y prennent la
parole que pour défendre leurs amis ou pour attaquer nos libertés.
Si vous voulez que l’on aille
dans les sections, il faut que tout le monde s’y rende et remplisse ses devoirs
; il faut aussi moins multiplier les commissions ; car, qu’arrive-t-il ? Sur
trois propositions, il y en a deux au moins qui sont renvoyées à une commission
; il en résulte que les sections sont presque vides, parce que beaucoup de
membres font partie de commissions.
De plus il est impossible de
discuter utilement tous les jours dans les sections et en séance publique. En
effet, il faut d’abord chez soi se préparer à la discussion ; après cela
discussion dans les sections, et discussion en séance publique ! Songez qu’il
faut aussi faire la part du temps où l’on doit s’occuper de ses propres
affaires. Or, les sections se réunissent à 10 heures du matin ; en sortant des
sections on se rend à la séance publique qui se prolonge jusqu’à 5 heures.
Croyez-vous qu’il y ait beaucoup d’hommes capables de résister à un tel travail
de 7 heures par jour, à 7 heures d’attention et de discussion soutenue ! Je
défie l’avocat le plus versé dans les affaires, le plus habitué au travail, de
discuter tous les jours pendant 7 heures ; je défie la plus forte tête d’y
résister. Je défie tout magistrat quelconque de siéger tous les jours pendant 7
heures.
Que résulte-t-il de là ? C’est
que l’on ne donne qu’une demi-attention aux discussions ; c’est que les uns ont
soin de se soustraire aux travaux des sections ; les autres aux travaux de
l’assemblée générale ; je ne parle pas de ceux qui ne vont ni aux sections, ni
aux séances publiques, mais ils sont la principale cause du dégoût qui nous
atteint tous et qui rendra tous nos travaux stériles. Si vous voulez que l’on
se rende aux sections et à l’assemblée générale, si vous voulez rendre leur
travail infructueux, il faut restreindre le temps des délibérations des
sections et de la chambre. De cette manière chacun de nous arrivera préparé à
la discussion. Mais qu’arrive-t-il ? Les 3/4 du temps nous arrivons à la
séance, sans même avoir lu le projet de loi à l’ordre du jour. D’ailleurs, les
projets de loi présentés sont tellement incomplets qu’il est inutile de les
lire avant qu’ils aient été examinés par une commission ou une section centrale
; car ils sortent de là totalement changés.
On a parlé de la longueur des
débats. Il n’est pas étonnant que quelquefois les discussions soient longues,
lorsqu’un orateur a parlé pendant deux heures entières sur la question des
échevins, et a prononcé un discours qui tient sept colonnes du Moniteur ; et cela pourquoi ? pour nous
arracher un vote qui devait, en violant la constitution, donner au gouvernement
la nomination des échevins. Est-il étonnant que nos séances soient toujours
longues, lorsque nous avons vu naguère 5 ministres insister pendant trois
heures sur une question préalable tellement inconstitutionnelle, tellement
absurde, qu’en définitive tout ce labeur de cinq ministres, pendant trois
heures, n’a abouti qu’à entraîner 5 députés, puisque sur 78 votants, il y a eu
pour la question préalable 10 voix dont 5 étaient celles des ministres. La
discussion de proposition évidemment mal fondées ou attentatoires à la
constitution, voilà ce qui fait perdre du temps ; et l’on sait de quel côté ces
propositions nous arrivent, et comment elles nous arrivent souvent.
Je pense qu’il faut mettre de
côté toute récrimination, qu’il faut soigneusement s’en abstenir, qu’il faut
surtout être ménager de toutes les mercuriales que vous venez d’entendre quand
on ne peut se citer soi-même comme modèle à suivre, et qu’on a plus que tout
autre besoin d’indulgence.
Je pense qu’il faut rentrer
dans la discussion de la proposition de M.
Desmanet de Biesme. Tout à été dit à cet égard. Il est utile de
contraindre chacun de nous à se rendre à ses devoirs, puisque nos plaintes sont
restées sans résultat jusqu’ici. Or, c’est le but auquel tend la proposition
qui vous est faite. Il convient donc de l’adopter. Je crois qu’il y aurait
quelque chose de plus à faire ; il faudrait décider que la séance publique
s’ouvrira à une heure précise ; il faudrait faire l’appel nominal à une heure
précise et annoter tous les membres présents. Si nous arrivions à nous réunir
dès une heure, ce serait beaucoup de gagné.
Maintenant
la séance publique est fixée à midi ; et il est rare que nous soyons réunis
avec une heure un quart, et les diligents pâtissent pour les retardataires.
L’heure des sections devrait
être fixée à 11 heures ou midi. Cinq heures et demie de travail dans les
sections et en séance publique, c’est tout ce qu’un homme peut faire. Alors on
aura le temps de préparer la besogne chez soi et l’on discutera avec plus de
précision et de concision.
Ainsi, en résumant la
discussion, je demande que la chambre s’arrête à la proposition de M. Desmanet
de Biesme, ou s’occupe seulement de modifier le règlement en ce qui concerne
l’heure des séances. Je crois que cela ferait gagner beaucoup de temps à la
chambre.
M.
de Foere. - Plusieurs honorables préopinants ont approuvé la
proposition en discussion. Quant à moi, je trouve qu’elle n’a qu’un but, cela
de vilipender la chambre. (On rit.)
Ensuite, elle est entachée d’imprévoyance.
Si l’on fait une comparaison
avec les chambres législatives des autres pays, celles de France, d’Angleterre,
on trouve que la chambre des représentants belges est beaucoup plus assidue ;
et qu’il y a entre les chambres des trois pays cette différence remarquable,
qu’en France, dans les cas ordinaires, les députés présents sont dans la
proportion d’un à quatre, en Angleterre d’un à cinq, tandis qu’en Belgique il
sont dans la proportion d’un à deux.
Un honorable membre a cité
comme exemple l’Angleterre. Voici ce qu’il a dit : un Anglais se trouve à Odessa
; il apprend que le parlement a été dissous ; il part aussitôt pour se rendre
aux élections. Cet argument se réduit à ceci : Il y a un électeur qui s’est
rendu en toute hâte aux élections d’Angleterre ; donc tous les membres du
parlement assistent à ses discussions. Si l’exception devait faire la règle, ou
si la logique nous enseignait à déduire des conséquences générales d’un fait
particulier, l’honorable membre aurait parfaitement raison.
Toute loi qui n’est pas fondée
sur un principe absolu se trouve bornée à une question d’avantages et
d’inconvénients.
La question est toujours de
savoir de quel côté se trouvent les plus nombreux avantages, ou les plus
nombreux désavantages et les plus graves. Eh bien, messieurs, si vous envisagez
la question sous cette face, vous trouverez que la motion, dans ses résultats,
aura certainement les plus grands désavantages. Si elle pouvait être accueillie
favorablement, elle aura certainement pour effet d’écarter de la représentation
nationale les membres les plus utiles. Consultez l’histoire parlementaire, vous
trouverez que ce sont les membres qui ont une position sociale indépendante et
qui ont des affaires particulières, qui gèrent le mieux les affaires du pays :
vous écarterez ces membres de la chambre et vous la peuplerez de fainéants,
d’ignorants, qui n’ont rien à faire et qui ne savent rien faire ; telle serait
la suite immanquable de la motion d’ordre si elle pouvait être adoptée.
Si la présence aux séances
prouvait quelque chose, prouvait des qualités dans les membres assidus, je
pourrais admettre que la motion produira un bon effet ; mais les assidus
peuvent n’être, les uns, que de simples automates ; d’autres, des membres
serviles du pouvoir ; d’autres, des parleurs éternels et superficiels qui n’ont
rien approfondi (on rit) ; d’autres,
des membres intéressés qui viennent faire ici leurs propres affaires ou les
affaires de leur famille. (On rit encore.)
Craignez, messieurs,
d’imprimer une fâcheuse direction aux élections, si, par votre vote, vous
faites croire aux électeurs que tout le mérite d’un membre de la chambre dépend
de son assiduité aux séances ; alors vous exposerez le pays à avoir une
représentation dont le plus grand mérite consisterait à répondre ici exactement
aux appels nominaux.
Vous voulez que les membres
demandent un congé pour pouvoir s’absenter ; mais chaque demande de congé peut
provoquer une discussion. Vous savez que les représentations nationales sont
divisées en partis opposés ; quand un membre demande un congé, il peut toujours
craindre que la section de la chambre qui ne sympathise pas avec lui, soit en
politique extérieure, soit en politique intérieure, n’élève un débat sur la
demande, débat qui sera presque toujours inconvenant, car il sera personnel.
Nous en avons déjà vu des exemples : or, qui viendra s’exposer à des
inconvénients aussi considérables ? Les convenances parlementaires, les égards
que nous nous devons les uns aux autres, ne sont pas toujours observés dans les
débats, et il s’en suivra que le vœu de l’honorable député de Namur ne sera
presque jamais rempli.
Nous avons été souvent témoins
de discussions animées, de discussions personnelles : dernièrement encore (il y
a 15 jours environ), des discussions très fastidieuses, très dégoûtantes, se
sont élevées entre deux membres relativement à leur absence. Quel intérêt la
chambre peut-elle prendre à des discussions purement personnelles ?
Le mérite de chaque membre
doit être dans sa conscience, dans le sentiment qu’il a de sa propre dignité,
dans sa conviction qu’il est dévoué aux intérêts du pays et qu’il contribue,
dans cette chambre, autant qu’il est en lui, à la prospérité de la nation.
Comme on l’a fait observer,
beaucoup de Belges ne voudront pas se présenter aux élections si vous voulez
soumettre à des règlements aussi rigoureux, aussi dégradants, les membres de
cette chambre.
Messieurs, j’ai souvent
remarque que le travail de la chambre ne s’avance pas, précisément parce qu’on
exige que tous les membres prennent part aux discussions. En Angleterre les
trois quarts du travail du parlement sont faits par les commissions ; et ceux
qui font partie des commissions ne sont pas obligés de se présenter aux séances
du parlement. Les commissions préparent les projets de loi ; leur travail est
très élaboré, parce que les membres qui en font partie sont pris parmi ceux qui
ont des connaissances spéciales. Si vous dispensiez les membres de vos
commissions à siéger dans la chambre, vous feriez avancer les travaux
parlementaires. Voyez comment vont les travaux préparatoires. La commission pour
les naturalisations est en arrière de plusieurs mois ; la commission de la
banque siège depuis deux ans et ne termine rien ; ce sont cependant des
questions graves, importantes, qu’elles ont à examiner, il leur est impossible
de voir la fin de leur travail parce que vous exigez que ceux qui les composent
siègent.
L’honorable député de Namur a
cité l’exemple des états-généraux ; mais chacun de nous sait que les
états-généraux étaient divisés en deux camps opposés ; d’un côte c’étaient les
Belges, de l’autre c’étaient les Hollandais. Il n’y a aucun terme de
comparaison entre la chambre d’alors et la chambre actuelle. Maintenant la
chambre est toute composée de Belges : nous avons tous un intérêt commun ; nous
n’avons pas un intérêt étranger l’un à l’autre ; nous pouvons par conséquent
avoir quelque confiance les uns à l’égard des autres. Pourquoi les projets de
loi qui ne présentent qu’un intérêt secondaire ne pourraient-ils pas être
élaborés et discutés quand la chambre est en nombre ?
Permettez aux députés qui ont
des affaires chez eux, aux industriels, aux négociants, aux propriétaires de
s’occuper de leurs propres intérêts ; de se relever alternativement, de prendre
des congés de manière que la chambre soit toujours en nombre ; je ne vois là
aucun inconvénient. Il faut laisser à la chambre et à ses membres des
mouvements tout à fait libres.
Ce sont les électeurs qui sont
les seuls juges de ceux qui font des absences et de ceux qui sont assidus : je
crois pas que la présence continuelle à nos séances sera un motif suffisant
pour déterminer les électeurs dans leurs choix ; le vrai mérite à leurs yeux
sera la probité, les talents, le dévouement au pays.
Vouloir tout réglementer,
descendre dans les règlements aux détails les plus minutieux, ce serait gêner
les grands mouvements des élections et des discussions parlementaires ; ce
serait attacher de l’importance aux plus petites choses, et aux petites choses
qui ne peuvent procurer aucun bien.
Je suis
étonné que l’orateur que vous avez entendu avant moi ait appuyé la motion :
lui, qui croit avec raison qu’on peut refuser de porter la décoration de la
croix de fer parce que tout Belge doit trouver sa dignité, dans la pureté de sa
conscience, dans son dévouement aux intérêts généraux, comment se fait-il qu’il
demande l’établissement d’une censure ? Il veut qu’un membre soit insensible à
une décoration et qu’il soit sensible a une flétrissure émanée de la chambre ;
c’est là, selon moi, une inconséquence évidente.
Il est certain qu’un député
qui a la conscience de ses devoirs, qui fait tous ses efforts dans l’intérêt de
la dignité et de la prospérité de son pays, n’attachera aucune importance à
être affiché au poteau de la chambre. J’ai dit.
M. Desmanet de Biesme. - Je m’étais
imposé la loi de ne pas prendre la parole pour soutenir ma proposition, parce
que j’avais éprouvé trop de peine envoyant quelques journaux s’en emparer pour
attaquer la représentation nationale d’une manière très inconvenante. Cependant
je suis obligé de la prendre pour un fait personnel. L’honorable préopinant m’a
accusé de vouloir vilipender la chambre : en faisant cette proposition tel ne
pouvait être mon but. Qu’est-ce que j’ai demandé ? Ce que vous aviez adopté
dernière ; ce que vous aviez adopté comme motion d’ordre les années
précédentes. Je demande désormais qu’on mette en tête du Moniteur ce que vous mettiez à la fin.
Messieurs, je ne veux éloigner
personne de la chambre ; je veux moins encore la peupler de fainéants ; ma
proposition n’est hostile à aucune espèce de citoyens. Je conçois que les
avocats, les négociants, les industriels, doivent pouvoir de temps en temps
s’éloigner de la chambre. Aussi je ne demande pas que nous soyons
continuellement cent et un membres ; mais je veux que nous soyons toujours en
nombre suffisant pour délibérer.
S’il y avait toujours à peu
près 75 membres présents, on pourrait accorder des congés alternativement et
chacun pourrait s’occuper de ses affaires, tandis qu’on voit que ce sont
presque toujours les mêmes qui sont absents. Je ne vois pas grand mal à ce que
leurs noms soient connus du public. Il y a des membres qui restent des trois et
quatre mois sans venir siéger.
L’honorable député de Thielt a
interprété d’une manière assez peu charitable ma proposition.
Il a dit
aussi que je m’attachais à quelque chose de minime et que ma proposition aurait
pour résultat d’éloigner de la chambre des hommes de talent et de probité.
Je serais fâché d’éloigner de
la chambre les hommes de grande capacité dont parle l’honorable député de Thielt
; mais encore faut-il que ces grandes capacités se donnent la peine de se
rendre à nos séances, afin que nous soyons toujours en nombre pour délibérer.
Je n’en dirai pas davantage. Je livre ma proposition à la chambre qui en fera
ce qu’elle voudra, et l’opinion publique jugera si j’ai bien ou mal fait de la
présenter.
M. de Foere. - L’honorable membre a été dans
l’erreur lorsqu’il a cru que j’avais attaché à sa motion d’ordre une question
intentionnelle. Je n’ai pas dit qu’il avait voulu, mais que sa motion d’ordre
avait pour effet de vilipender la chambre.
Je ne sors jamais des termes
du règlement, et le règlement défend d’accuser les intentions. Mais la motion
d’ordre pourrait avoir la tendance que j’ai indiquée, sans que cette tendance
fût dans l’intention de son auteur. (Aux
voix ! aux voix !)
M. le
président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. de Behr.
« A l’ouverture de chaque séance,
lorsqu’après l’appel nominal l’assemblée ne sera pas en nombre suffisant pour
délibérer, les noms des membres qui auront répondu à l’appel seront insérés au Moniteur en tête du compte rendu de la
séance. »
M.
Jullien. - Je partage l’opinion de M. de Behr, et je suis disposé à
voter pour son amendement ; mais il me semble qu’il parle d’une séance qui
n’aura pas lieu.
M. de
Behr. - On n’a qu’à supprimer les mots : de la séance.
- La proposition de M. de Behr
ainsi modifiée est adoptée.
M. le
ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, j’ai l’honneur de
déposer sur le bureau, en conformité de l’art. 5 de la loi du 16 février 1833,
n° 157, concernant l’émission des bons du trésor, le compte spécial de toutes
les opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l’année
1834, faite tant en vertu de ladite loi du 16 février, que de celle du premier
mai 1834.
Ce compte spécial est revêtu
du visa et de l’approbation de la cour des comptes, à laquelle il a été soumis
préalablement.
- La chambre donne acte à M.
le ministre du dépôt qui vient d’être fait.
FIXATION DE L’ORDRE DU JOUR
M. le
président. - Que veut-on mettre à l’ordre du jour de demain ?
Plusieurs membres. - A après-demain la séance publique. On
travaillera demain dans les commissions et les sections. (Oui !oui !)
M. le
président. - Vendredi séance publique à une heure.
- La séance est levée à 4
heures et demie.